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lundi 15 juillet 2024

Essence et existence



Inévitablement « L’homme vit sa vie dans deux dimensions » nous dit K.G. Dürckheim, qui nous rappelle aussi que la complétude de l’être humain se réalise « avec un pied dans l’existence et un pied dans l’essence ».

L’existence, domaine du faire, de la conscience rationnelle, de la réussite dans le monde, et l’Essence, domaine du laisser-faire, de la conscience océanique, de notre vraie nature immuable et indépendante des circonstances, sont souvent opposées l’une à l’autre.

Il est très difficile de s’imaginer vivre une existence humaine autrement qu’à travers la seule approche d’un moi accaparé par la réussite dans le monde.

La possibilité même d’un autre épanouissement appelé « Percée de l’Être », « Eclosion de notre vraie nature », « Plus haute possibilité humaine », n’est même souvent jamais envisagée.

L’image de la vague et de l’Océan, paraissant deux entités séparées mais en réalité de même nature, est souvent employée pour décrire ces deux aspects de l’existence, sans lesquels l’être humain ne serait pas complet, unifié et apaisé.

La plupart du temps, mettant allègrement de côté notre profondeur, nous ne vivons pas, nous nous contentons de gérer notre existence. « Il faut que » et « je dois » sont sans doute les débuts de phrase les plus utilisés dans une journée.

« Il faut que » : je sois utile, rentable et performant dans toutes mes activités, et « je dois » organiser rationnellement mon temps, mon énergie afin de faire face à mes obligations, et caser la multitude de choses à faire.

Cette manière de mener son existence, vécue sous le signe du devoir faire et du contrôle, est une vie où l’être humain ne peut compter que sur lui-même, sa volonté et ses propres forces. Ainsi,

« Moi », je suis vague isolée parcourant l’existence en luttant, coupée de la nature de l’Océan qui me porte, m’anime et me relie à tout ce qui vit.

Graf Dürckheim, il y a quelques décennies, parlait déjà de notre fascination pour l’homme d’action : « On dit : c’est un homme d’action ! C’est une parole bien d’aujourd’hui, mais il y a un excès du faire qui élimine la chance du devenir… »

Le besoin compulsif de faire par nous-mêmes, fonctionnement égocentré, nous empêche donc de nous relier à notre être véritable et de sentir les lois du devenir propres à l’être vivant que nous sommes. Lois qui nous maintiennent sur le chemin de transformation et de maturation permanent qu’est Vivre, lois qui nous relient à la profondeur de l’Océan.

Ce que K.G.Dürckheim nomme « chance du devenir », c’est remettre au centre de l’existence humaine le lien à « la Grande Vie ». Il ne s’agit pas d’opposer essence et existence, ces deux aspects de la vie humaine, mais de les réunir en redécouvrant, tout en vivant notre existence de vague, le lien à l’Océan que nous sommes. « Quel mystère, je respire, et je n’y suis pour rien ! »

En tant qu’être humain, je peux redevenir conscient que mes forces profondes, ma vraie nature ne m’appartiennent pas, et reposent sur ce que je ne peux pas faire, « l’infaisable », ce qui est déjà là avant les « il faut que » et les « je dois ».

Cette autre manière d’être nous ouvre à la source de ce que nous sommes déjà, développement impersonnel de la vie en nous, indépendante de ce que nous gagnons par nos efforts, que nous aimons appeler développement personnel.

Nous passons de l’insatiable désir de possession égocentré, à la reconnaissance immédiate de notre complétude, un Être s’accomplissant sous une forme individuelle de vague, relié encore et toujours à l’Océan.


Ainsi, vivre n’est pas qu’une accumulation d’avoirs, de savoirs, de pouvoirs à notre service, mais un don originel toujours en action, en devenir, qui dépasse la seule identification à cet être de raison boulimique, l’ego, qui emprisonne et fige notre vraie nature.

Cette chance du devenir nous parle très concrètement d’une autre possibilité de vivre notre existence, en contact avec le point d’appui inébranlable, immuable qu’est le lien à l’Océan, notre nature essentielle, de laquelle nait et se nourrit notre individualité de vague. Dans le langage du corps vivant, ce point d’appui individuel s’appelle Hara, centre vital de l’être humain.

« En Za-zen, je n’ai pas à me transformer, mais à reconnaitre, accepter, favoriser une transformation naturelle voulue par la vie ; ainsi je me donne à ce qui m’est donné ». J. Castermane

Toujours, lorsque nous pratiquons un exercice sur la voie du zen, il s’agit de reconnaitre qu’une action plonge ses racines dans le non-faire, le non-égo, dont la source est le bassin, le bas-ventre, siège des forces vitales, du renouvellement, de « la transformation sans arrêt de la forme corporelle ».

Joël PAUL

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lundi 6 mai 2024

La séparation avec soi


Le lien à soi est aussi en souffrance, et il est, lui aussi, à restaurer. Il s’agit de la relation que Ion a avec son propre cœur, un cœur entendu au-delà même de la capacité à ressentir ou éprouver quelque chose, comme un organe spirituel qui nous relie à l’infini, à l’infiniment plus grand que soi, à ce qui est au-delà de l’espace et du temps, à l’origine de toutes choses. Mais, là encore, quelle éducation à trouver son cœur recevons-nous ? Qui nous apprend à vivre selon ce qui jaillit de ce cœur ? Quel exercice spirituel pratiqué au quotidien peut libérer dans notre existence tout entière sa source de vie, d’amour et de puissance ? Car le cœur n’est pas seulement un organe physique, sensible. Il nous relie à une profondeur à côté de laquelle la profondeur de l’univers lui-même n’est qu’une surface. Et du côté de cette profondeur, de cette origine, il y a une fontaine de miséricorde, issue d’une source mystérieuse d’où surgissent l’univers et son harmonie... Mais laquelle de nos méditations nous apprend à creuser assez profond pour libérer son jaillissement ?

Nous vivons des existences qui, hélas, sont rarement alignées entre ce plus profond intérieur et l’extérieur, où l’eau fondamentale ne s’écoule pas de nos cœurs à nos pensées jusqu’à nos actes, nos engagements, si sincères soient-ils. Nous ressentons dès lors comme une souffrance, entre ce que nous sommes et ce que nous faisons, et nous remplissons ce vide avec des consommations extérieures. Nous souffrons aussi d’une société qui ne nous donne pas l’occasion, dans notre travail, de chercher puis de libérer et d’engager la ressource de ce moi si profond, mais qui nous conditionne et nous condamne à ne vivre qu’en surface de nous-mêmes. Ainsi, nous restons si faibles, si fragiles, que nous devenons une proie toujours plus facile pour toutes les dominations, exploitations, aliénations, illusions qui prolifèrent dans le monde d’aujourd’hui.

Pour résister à cela, pour être plus forts que ce qui nous me, nos grands liens sont des canaux. Ils nous relient à des énergies sans lesquelles nous serons, hélas !, toujours plus impuissants et deviendrons plus encore des proies pour les prédateurs de toutes les dominations, de toutes les aliénations, à commencer par les aliénations consuméristes, mais aussi les aliénations politiques. L’enjeu du spirituel, c’est-à-dire l’enjeu de la puissance des liens, est inséparablement un enjeu politique. Voilà pourquoi il est urgent et nécessaire, me semble-t-il, que nous réfléchissions ensemble, que nous méditions ensemble, à partir de la ressource la plus intérieure, à la façon dont nous allons pouvoir reconstruire des vies authentiquement humaines, retisser nos liens essentiels, nos liens de vitalité, nos liens de lucidité, nos liens de lumière, les liens qui nous engagent dans le monde de façon à la fois intelligente, généreuse et amoureuse.

Abdennour Bidar - La puissance des liens

De Ilios Kotsou, Caroline Lesire, Christophe André, Abdennour Bidar, Fabienne Brugère, Rébecca Shankland, Matthieu Ricard

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dimanche 21 avril 2024

« La vie est un collier de perles »


Après avoir parlé, la personne victime d’abus peut ressentir un immense soulagement. Enfin, elle a été entendue. Enfin, les faits ont été reconnus. Enfin, la voilà libérée de ce poids si lourd qui pesait sur elle et qui la détruisait depuis de nombreuses années. Mais, en même temps, elle s’est entièrement construite avec et autour et à côté de ce trauma. Si on imagine l’abus comme un obus qui s’est fiché violemment en elle, on se rend compte de l’impact que cela a pu avoir en son psychisme, en son âme, en sa vie. Il suffit de penser aux trous de bombes que l’on observe encore dans nos campagnes. Parler a donc non seulement laissé en elle des éclats bien tranchants, mais a en plus créé un vide, un gouffre ingérable.

Un travail d’orfèvre

Commence alors, pour le patient et son thérapeute, un travail long et douloureux, un travail d’orfèvre. Comme l’expliquait le médecin général et professeur de psychiatrie Louis Crocq, mon maître, il faut que la personne parvienne à faire un « récit autobiographie » de son existence. Ce n’est que lorsque la parole va permettre au trauma d’être intégré à la vie, à l’être même de la personne, que peuvent poindre les bénéfices d’une liberté retrouvée.

Je dis souvent à mes patients que la vie est un collier de perles : « Nous allons les enfiler les unes après les autres. Certaines seront magnifiques, d’autres toutes noires. Celles-ci ne redeviendront jamais blanches, mais elles font partie du collier. Il faut l’accepter. Cela ne veut pas dire accepter l’innommable, mais accepter de vivre malgré et avec l’innommable qu’il y a eu en votre vie. » La personne victime ne parviendra peut-être jamais à donner un sens à son vécu, mais, en prenant son temps, en creusant au plus profond d’elle-même, en acceptant de cheminer sur des sentiers jusqu’alors inconnus, en se détachant du regard des autres, elle rencontrera une source qui l’autorisera tout simplement à vivre.

Isabelle Chartier Siben 

source : La Vie

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mardi 16 avril 2024

L'autre peut me nourrir...

 


Il est extrêmement rare de rencontrer quelqu’un, qu’on voie beaucoup de monde ou qu’on soit ce qu’on appelle un solitaire. La plupart des gens rendent très difficile de les rencontrer parce qu’ils ne sont pas vraiment dans leur parole ou parce qu’ils sont sans âme. Je fais toujours à l’autre le crédit de la nouveauté incroyable de son existence, mais ce crédit va s’user si l’autre a gâché cette merveille-là pour devenir comme tout le monde. Comment parler avec personne ? C’est impossible.

Parfois le désir de partager est si fort que je vais quand même tenter ma chance mais souvent en vain. Les opinions ne m’intéressent pas. Ce qui me touche, c’est quand l’autre met tout le poids de sa vie dans la balance des mots et que sa pensée s’appuie sur ça. Pour ma part, j’ai parfois l’impression d’être totalement incapable d’aimer, et en même temps d’aimer plus que personne. Je vois très peu de monde, mais je peux être indéfiniment avec l’autre quand il est là. Quand je suis né, on m’a proposé le menu du monde, et il n’y avait rien de comestible. Mais quand l’autre est vraiment avec moi, je peux manger : je bois une gorgée d’air, je mange une cuillerée de lumière.

~ Christian Bobin

La lumière du monde 

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mardi 13 février 2024

L'entre-nous


Je n’existe pas. Tu n’existes pas.
Mais ce qui existe (…)
c’est ce qui s’est tressé entre nous,
ce qui est filé entre nos deux quenouilles,
la relation, l’entre-nous.

Lorsque je comprends que tout ce qui détermine mon existence
définit l’exact périmètre de ce qui n’est pas important
et que tout ce qui me relie à la création est le Vivant

– alors seulement la bonne existence peut commencer.

(Christiane Singer)

Recueil: Du bon usage des crises
Editions: Albin Michel
(l'arbre à lettres)

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dimanche 29 octobre 2023

L'existence en Toi


 
La vérité est toujours là mais tu es trop complexe et trop distrait pour la voir. Il te faudra donc parcourir tout l’univers pour revenir la trouver juste sous ton nez. C'est le paradoxe de l'existence. C'est toujours toi, ça a toujours été toi, mais tu penses que c'est autre chose. C'est toi mais ce n'est pas le "toi" que tu voudrais être ou que tu penses être ; c'est le vrai Toi.

~ Mooji

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mercredi 18 octobre 2023

Le passé à digérer

 Charles Pépin : « Pour aller de l’avant, il faut prendre son passé avec soi »

[Interview] Du passé, ne faisons pas table rase. Le philosophe et romancier, qui vient de publier Vivre avec son passé, nous conseille de régénérer celui-ci pour s’en libérer.


Notre passé ne passe pas. Il n’est pas un bibelot poussiéreux que l’on peut abandonner sur une cheminée. Au contraire, il est extraordinairement vivace, surgissant dans le présent, sans prévenir, sous forme de réminiscences, de rêves ou d’émotions inexpliquées. Enfance, éducation, événements heureux ou malheureux, mais aussi lointaine histoire familiale : nous sommes faits de notre passé bien davantage que nous ne le pensons. Pour que nous soyons réellement libres, le « philosophe du quotidien » Charles Pépin nous incite à le cultiver et à investir le territoire trop souvent inexploré de notre mémoire. L’enjeu ? Comprendre qui nous sommes et aller de l’avant vers ce qui nous rendra heureux.

Plutôt que d’oublier, démarche souvent illusoire, se souvenir nous permet de mieux vivre avec nos fantômes, nos traumatismes et nos regrets. Car les neurosciences le confirment : il est possible de modifier son passé, sa marque parfois négative sur nous, sa nocivité. Saisissons-nous aussi du trésor des beaux souvenirs, cet « édifice immense » dont parle Proust, à portée de main, sur lequel nous nous attardons trop peu, embarqués malgré nous dans l’accélération généralisée de nos existences. Voyageons dans le temps, pour donner au présent sa véritable épaisseur, et pourquoi pas goûter dès ici-bas à quelque chose de l’éternité. C’est à un compagnonnage avec le passé que nous invite ardemment Charles Pépin, convaincu que s’y trouve une clé du bonheur.

Pourquoi écrire sur le passé ?

J’ai cherché une sagesse qui permettrait de bien vieillir parce que je suis entouré de gens qui ressassent, et que j’avais peur de leur ressembler ! En outre, les dernières découvertes des neurosciences sur la mémoire m’ont passionné, notamment celles concernant la plasticité cérébrale et le fait que nos souvenirs ne sont pas une donnée figée mais peuvent être « retravaillés » grâce à des thérapies. Enfin, l’idéologie moderniste selon laquelle on peut tourner la page, se débarrasser d’un passé trop pesant par une simple décision, m’agace. C’est faux et inefficace. Je défends l’idée que pour aller de l’avant, il faut prendre son passé avec soi. Je veux proposer une philosophie qui permette cela.


« Le passé ne passe pas », écrivez-vous. De quelle manière est-il encore vivace dans le présent ?

Nous le constatons lorsque nous vivons une réminiscence : une histoire d’amour, un moment de sa paternité reviennent parfois d’un coup, extrêmement, précisément, à la manière de Proust et sa madeleine. Cela montre que le passé est bien là, certes pas en permanence et de manière consciente, mais quelque part. Nous ressentons aussi parfois une forte émotion, comme de la colère, dont nous ne comprenons pas la cause mais dont la clé se trouve dans le passé. Il y a aussi nos rêves où certaines images convoquent une période ancienne qui vient se mélanger aux souvenirs plus récents.

Le passé n’est pas du passé. L’illusion qu’il est révolu nous entrave souvent au quotidien, car nous ne comprenons pas qu’il nous travaille encore. Il faut faire avec, l’étudier, l’accepter, puis parfois le mettre à distance mais certainement pas le balayer d’un revers de main.

Ignorer son passé créerait un « appauvrissement de nos existences ». C’est-à-dire ?

Notre identité n’est pas abstraite, mais le fruit d’une histoire, comme Bergson l’a magnifiquement montré. Ce que nous avons vécu se sédimente et fait notre identité. Coupés de notre passé, nous ne nous connaissons pas. L’identité sans mémoire est creuse. Le risque alors est de « flotter » ou de s’accrocher à des identités factices et rapides.

Nous retourner vers notre passé permet aussi de savoir ce qui compte pour nous et donc d’aller vers ce qui nous ressemble et nous rendra heureux. C’est à cette condition, par exemple, qu’une reconversion professionnelle peut être réussie. Nos souvenirs nous donnent des indices sur la manière de conduire notre avenir. Se tourner vers le passé et aller vers l’avenir ne s’opposent pas, à l’image du rugby où les joueurs courent en avant en faisant des passes arrière. La mémoire est une force d’avenir.

Pourtant, ignorer ce passé est parfois de l’ordre de la survie.…

Il existe des situations où pendant un moment qui peut être très long, parfois des décennies, il est impossible de revenir sur le passé car il est trop violent. C’est une question de survie. Cela a été le cas pour Jorge Semprun, par exemple, qui, de retour des camps d’extermination, a parlé d’« oubli volontaire » pour reconstruire sa vie. Beaucoup de femmes violées le vivent ainsi. Cela est légitime et nécessaire. Mais ce passé risque de revenir des années après sous forme de flashs traumatiques ou de névroses, d’émotions inexpliquées. Il faudra alors s’y confronter pour aller mieux. Jorge Semprun a fait l’expérience de cauchemars au terme desquels il ne savait plus si les camps étaient une expérience fantasmée ou réelle, s’il était encore là-bas ou pas. Il était rattrapé.

Même lorsque l’on dispose d’une force de vie qui nous fait aller de l’avant, il est dangereux de tourner la page car le passé risque de revenir d’autant plus violemment qu’il a été refoulé. En outre, nous pouvons intervenir sur un souvenir qui nous hante, il n’est pas figé à jamais, comme nous l’enseignent de nouvelles thérapies prometteuses sur la mémoire traumatique. Le cerveau se reconstruit sans cesse.

Les « leçons de vie » tirées de certaines expériences douloureuses peuvent être modifiées. Par exemple, une enfance difficile, avec un père absent et une mère pas aimante, nous fait conclure que nous ne sommes pas dignes d’être aimés. Or nous savons aujourd’hui qu’il est possible de casser cet « enseignement » par une courte psychothérapie. Il faut certes accueillir son passé, mais on peut aussi en diminuer la nocivité.

Une autre méthode, déjà développée par les stoïciens, est celle de « l’habituation » : au lieu de fuir une image qui me hante et reviendra inévitablement, il me faut m’habituer à cette scène douloureuse, la mort de mon frère, cet examen raté… en lui donnant des rendez-vous, en la convoquant et en la regardant en face, quelques minutes par jour pendant quelques mois. Ainsi il y aura une usure de la toxicité du mauvais souvenir. Cela marche très bien ! Il y a aussi la méthode de la « dilution » du mauvais souvenir dans des bons. C’est l’intuition de Jorge Semprun : « faire le plein » de bons souvenirs, qui feront ensuite la guerre aux douloureux.

Le passé, c’est aussi les souvenirs heureux…

Oui ! Ils sont un trésor à disposition que nous ne mobilisons pas assez ! Se souvenir des belles choses est décisif et très simple, à condition d’y prêter attention. Or nous sommes le plus souvent affairés par le présent et soucieux de l’avenir. Lorsque nous avons des flashs d’un bon souvenir, nous le laissons repartir sans lui donner une réelle place.

Proust nous donne une méthode pour y goûter réellement : il faut s’arrêter et être attentif, s’y attarder ne serait-ce que quelques minutes. Alors, au lieu d’être nostalgiques, nous sommes joyeux ! À la manière de Proust, nous pouvons nous souvenir non seulement de cette plage l’été, mais aussi de la blague lancée à ce moment-là, de l’orangeade que nous avons bue, etc. Le passé est présent. Nous avons le pouvoir de le faire revenir et de revivre un bonheur.

Épicure propose aussi de mesurer combien ce bonheur passé aurait pu ne pas être, et conseille de se remplir de son caractère miraculeux. « J’ai reconnu le bonheur au bruit qu’il a fait en partant », dit de manière tragique Prévert. Je milite pour que nous entendions « le bruit que le bonheur fait en revenant », lorsque nous le convoquons. Pour cela, il ne faut pas se laisser prendre par l’accélération généralisée de nos existences. Prenons soin de notre mémoire, par exemple en imprimant certaines photos de notre téléphone pour les regarder vraiment, au lieu de les faire défiler…

Comment existe la liberté si « nous sommes notre passé » ?

Si je considère la liberté comme la possibilité de faire ce que je veux, alors la conscience de mon passé entrave ma liberté. Mais cette vision est une illusion. Je propose avec Bergson de redéfinir la liberté comme le fait d’être pleinement soi et de faire des choses qui nous ressemblent et expriment notre personnalité. Cette liberté découle de l’examen de mon passé. Le passé n’est pas un déterminisme, mais un conditionnement.

Plus nous prenons conscience que nous aurions pu naître ailleurs, avoir une autre place dans la fratrie, plus nous pouvons reconquérir une réelle liberté et inventer notre avenir. Être dans le déni, en croyant comme Sartre que l’on peut s’arracher complètement à son passé, nous condamne à aller dans le mur, parfois en reproduisant des schémas sans le savoir ou en étant habité par le passé sous forme de névroses.

N’est-il pas illusoire de vouloir « prendre tout notre passé avec nous » ? Une partie nous échappe…

Nous ne pourrons jamais tout savoir de notre passé, mais nous pouvons identifier des grandes dates clés. En outre, bien sûr, notre passé n’est pas que le nôtre, il est aussi celui des générations précédentes, de notre classe sociale. Mais nous pouvons avoir une prise sur lui. Par exemple, Didier Eribon, dans Retour à Reims, analyse son rapport au monde, et comprend ce qui vient des générations passées. Une psychogénéalogie peut aussi nous faire comprendre certains fantômes qui nous hantent.

Tous les secrets de famille ne doivent pas être levés, et il faut parfois tourner le dos au passé, mais une vie et une liberté proprement humaines nécessitent de savoir qui nous sommes pour aller vers l’avenir. Les auteurs d’œuvres importantes ont une conscience aiguë du passé, comme les grands hommes et femmes politiques capables de parler à un peuple parce qu’ils savent faire résonner son histoire. Nietzsche nous prévient : si tu ne sais pas de quoi tu es l’héritier, tu ne pourras rien fonder.


N’avons-nous pas besoin de rites pour faire mémoire ?

Nous avons besoin d’être invités à nous souvenir, comme lors des enterrements, par exemple dans la culture juive où l’on se rassemble une fois par semaine pendant deux mois pour cultiver le souvenir du défunt. Sans ces rites, nous sommes pris dans la hâte du présent et ne pensons pas suffisamment à nos morts. Nous en souffrons, ils nous manquent. Pourtant lorsque nous y pensons réellement, nous arrivons à les rendre vivants et à passer ce cap qui consiste à vivre et à prolonger le dialogue avec eux.

Nous pouvons goûter alors à quelque chose de l’éternité. De quelle manière ?

Nous raisonnons beaucoup en trois blocs – passé, présent, futur – distincts. Pourtant, Proust, Bergson et Freud disent la même chose : il n’y a pas de linéarité du temps, tout est mélangé dans une étrange simultanéité. Pour Bergson, ce que l’on a vécu persiste indéfiniment : lorsque je me retourne vers mon passé, que je me souviens de moi à 7 ans dans ce jardin, à 15 ans dans ce lycée, à 40 ans dans cette entreprise, il me semble que je touche à l’existence du moi, qui reste constant dans tous ces moments. C’est bien la même personne à chaque fois.

Au cœur de ce travail de mémoire, je sens quelque chose d’immuable qui est mon âme, une permanence de mon moi, et donc quelque chose de la vie éternelle. Proust considère que l’expérience de la mémoire peut nourrir une espérance en la vie éternelle.

Ne vivons-nous pas aussi des moments de « pur présent » ?

Il y a une mode « d’habiter le présent ». Pour traverser certains traumatismes et constater que je ne suis plus dans ce passé qui m’a fait mal, cela peut être utile. Mais, au-delà, le « pur présent » me paraît illusoire, car en réalité, nous vivons l’instant en étant le fruit de notre passé. Déguster un bon vin, en savourant l’instant présent n’est possible que parce que, comme le dit David Hume, un apprentissage a mené à cette « délicatesse de la perception ». Celle-ci est toujours imprégnée de souvenirs et d’éducation. L’idée de « pur présent » appauvrit l’existence.

Bien sûr, ce retour sur son passé est moins important à 17 ans qu’à 60, mais chaque seconde qui passe s’enfuit dans le passé, et nous commençons à vieillir très jeune ! Vivre, c’est accumuler du passé, comme une matière à portée de main qui peut nous indiquer où sera notre bonheur futur. Assouplissons notre rapport au passé, comme nos articulations, afin de bien vieillir et de ne pas devenir un « vieux con ». Pour vivre avec son passé, et non dans son passé.  

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source : La Vie

dimanche 27 août 2023

Accueil du miroir

 

Lors de la méditation... j'ai repris la comparaison classique de notre esprit et du miroir. Nous ne pouvons jamais voir la surface d'un miroir. La surface d'un miroir est toujours recouverte d'un reflet.

Le reflet n'est pas la surface du miroir. La surface du miroir est par elle-même, par essence, vide et ne contient aucune image, aucune forme, aucune couleur. La nature du miroir est de refléter.

De par le fait que la surface du miroir n'a aucune caractéristiques, aucune formes et aucune couleurs, elle est capable de refléter toutes les formes et les couleurs qui se présentent à elle. A chaque instant la surface du miroir reflète quelque chose de différent, l'analyse fine nous montre que ce n'est identique à aucun moment.

Le miroir ne choisit à aucun moment ce qu'il reflète, il accueille tout avec la même équanimité. Bien qu'il soit capable de tout refléter, le miroir ne garde aucune trace de ce qu'il a reflété.

L'image qui est reflétée dans le miroir est vide de toute existence en elle-même, c'est la raison pour laquelle elle ne peut laisser aucune trace. Notre esprit a des caractéristiques très semblable au miroir, sans être un miroir, car notre esprit n'est pas une chose.


Nous ne pouvons pas voir notre esprit directement, mais seulement au travers de tout ce dont il est conscient. Ce dont l'esprit est conscient, toutes les perceptions (les cinq sens et les perceptions mentales), ne sont pas l'esprit, l'esprit est ce qui perçoit les perceptions. L'esprit est par essence vide de tout et ne contient rien. Et perce qu'il ne contient rien, il peut tout accueillir.

La nature de l'esprit est d'être animé et connaissant. Au sein de l'esprit apparaissent toutes les perceptions, ce surgissement est l'aspect animé de l'esprit. Le fait d'en prendre connaissance est l'aspect connaissant et auto connaissant de l'esprit.

Tout ce qui apparaît dans l'esprit à chaque instant est nouveau et n'a jamais eu lieu à un autre moment que maintenant. Notre esprit ne choisit pas ses perceptions, elles surviennent, elles émergent, elles surgissent sans aucun chois de notre part. Notre esprit est par nature totalement équanime. 

La conscience ne garde aucune trace de ce qui a surgi dans l'instant précédent, si ce n'est une nouvelle pensée qui surgit et fait suite à la précédente. Mais c'est une nouvelle pensée, ce n'est pas une trace. Chaque pensée est vide d'existence autonome et ne peut être saisie, elle n'est qu'un flux, un mouvement de l'esprit. Sachons laisser le flux de la vie nous traverser sans chercher à le saisir. Sachons être rempli de gratitude que tout cela puisse survenir afin que nous puissions réaliser notre véritable nature.

Philippe Fabri

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mardi 2 mai 2023

Vers une conscience vivante

 Voici mes impressions après la lecture du nouveau livre "Vers une conscience vivante" de Jean Bousquet, éditions ACCARIAS L’ORIGINEL, 2023, 187 pages.

« Apprendre à vivre sans refuge conceptuel est garant de la plus haute sécurité. » (p. 41)

Ce livre de Jean Bousquet, conférencier et écrivain, se compose de 43 chapitres thématiques, du « temps d’une vie » à la « libération spirituelle », de longueur variable et de contenus divers, du texte élaboré à la succession d’aphorismes. Il nous invite avant tout à demeurer au cœur de nos questions, de leur exigence vitale, en oubliant les réponses, qui toutes ne pourront que nous conduire à une fausse sécurité. Il passe en revue les grands domaines de l’existence superficielle qui est la nôtre – de la société mercantile, néo-libérale, sur-consommatrice, qui dégrade et saccage les ressources planétaires, à l’intelligence artificielle – et propulse dans notre esprit un grand souffle libérateur.
La syntaxe et le vocabulaire utilisés en témoignent : il ne s’agit pas ici de nous proposer une nouvelle sagesse ou une nouvelle méthode spirituelle, mais au contraire de balayer et de dissoudre… Aussi les phrases sont-elles volontiers marquées par la négation. On y relève des adjectifs puissants comme « radical », « vertical », « crucial », « sauvage », « invincible », « inconditionnelle », « incommensurable », des déterminants absolus tels que « tout », « aucun », des adverbes tranchants comme « rien », de vigoureux substantifs comme « soif », « cataclysme », « brasier », des formules décisives, à l’image de « cri vers la Lumière », « Révélation fulgurante », « immensité inembrassable », « indispensable arrachement aux habitudes délétères, mortifères » loin du « marécage de l’accoutumance à un monde, à une vie sans perspective, à une vie coupée de l’Esprit, sans joie réelle, sans amour, sans renouveau ». L’auteur utilise également le mode impératif, ainsi que des figures de style particulières, par exemple cette métaphore filée, en s’adressant directement à nous pour rendre l’impact de ses mots encore plus intense et frappant : « Imaginez que vous entrez dans un appartement situé en étage […]. Il arrive un moment crucial, critique, où tout ce bric-à-brac psycho-mental vous pèse, oui, vous devient insupportable »… Ailleurs, il emploie l’antithèse, seulement marquée par le point-virgule : « Toutes les formes meurent un jour ; la Vie demeure éternellement. » Ou bien ce néologisme qui dit bien ce qu’il veut dire : « mots-cages ». Ou encore l’énumération de synonymes et de sonorités, la répétition de mots ou l’anaphore, qui assènent leurs coups de marteau : « fermée, fixe, figée, finie, définitive, donc morte » ; « Plus rien à gagner ; plus rien à perdre non plus. »
On l’aura compris, cet ouvrage de Jean Bousquet nous invite perpétuellement à la « révolution » intérieure. Il met en garde contre tous les pièges spirituels, y compris ceux de la méditation. Il martèle, tranche dans le vif, nettoie et rafraîchit. Un livre qui ne fait pas semblant et qui décape, inattendu et salvateur !
Voici un bouquet de citations qui m’ont particulièrement frappée :
● « Lorsque des traditions spirituelles affirment que le monde est illusion, ce n’est pas tant de la matière qu’il est question mais de l’inévitable biais cognitif-perceptif de notre conscience inconsciente d’elle-même. »
● « C’est indescriptible et pourtant très simple : c’est comme c’est ; une évidence indiscutable à laquelle on se rend enfin. Il n’y a rien à en dire, rien à en penser ; on ne peut ni l’aimer ni la détester, tant elle emplit tout ; ce serait encore s’en éloigner, l’envelopper de chimères, la cacher de nouveau. La réalité, c’est ce qu’il reste quand il n’y a plus rien. »
● « La vraie pensée est au-delà des mots. La vraie pensée est silencieuse. »
● « Comme pour tout, il y a un prix à payer pour pouvoir se tenir sereinement et durablement debout sur le terrain solide de la vérité. »
● « La conscience vivante n’est pas un mécanisme de la pensée. La conscience vivante est un voyage sans destination ; nous « n’arrivons » jamais, nous restons simplement vivants, alertes, en éveil. »
● « Seule la Vie crée ; l’être humain ne sait que reproduire, imiter, multiplier ; et bien souvent, seulement se reproduire, s’imiter, se multiplier. »
● « Ceux qui se dépouillent de tout mouvement interne se connectent au simple. »
● « Personne n’est droit. Personne n’est vertical. Personne n’est l’intermédiaire parfait entre ciel et terre, le « paratonnerre » idéal. Tous penchent d’un côté ou de l’autre, suivant des inclinations irrépressibles, ataviques, viscérales, structurelles, cellulaires, innées. »
● « La chute cesse lorsque plus rien en moi ne résiste à la chute. »
● « L’acte authentique, libre de tout devenir ou intention spatiotemporels, dénoue les liens, tranche les nœuds, enseigne sans paroles : il délivre le présent. »
● « Consulter la mémoire est une activité bruyante autant qu’inutile, pleine d’espoir fébrile et d’anxiété, finalement frustrante. Rien de neuf ne peut en sortir. Or le silence absolu est toujours neuf, toujours vierge, toujours surprenant, toujours émerveillant. »
● « Ne vous enfuyez pas, ne résistez pas, ne dissimulez pas, mais voyez ! C’est cela, être vide ; c’est cela, le vide libérateur ! »
● « Donner presque tout, jeter presque tout dans le feu de la vérité, est insuffisant, inutile. Un engagement total – non pas dans une organisation, non pas dans une foi quelconque en une quelconque divinité – est le minimum exigible. »
● « Le septième sens n’est pas un ajout, une nouvelle excroissance ou propriété de la personne humaine issue de l’évolution. Il est le résultat d’un retournement, d’une révolution interne spontanée, d’une rupture radicale avec tout le fonctionnement ordinaire (ou extraordinaire ) de la personne (pensée, sentiment, désir, émotion, activité) - d’un adieu conscient à toute la confusion reconnue telle qu’elle est. »
● « Le vide est la seule réalité permanente ; tout ce qui vient l’emplir ou le traverser n’est que passager, transitoire. »
● « Il n’existe pas de mauvais choix ; seulement des choix conscients et des choix inconscients. »
● « Le feu de l’attention est un feu de joie libératrice. En consumant ce qui est mort en nous, il redonne la vie. »
● « La peur de l’ego n’a pas d’autre fondement que l’existence même de celui-ci ; l’ego est la peur, l’ego est la mort. […] La mort de cette mort est Vie véritable. »
● « La libération spirituelle passe immanquablement par des actes posés en toute conscience, des engagements mesurés et conséquents. Chaque pas prépare l’envol, mais les pas, aussi nombreux soient-ils, ne peuvent suffire à eux seuls. Un élément mystérieux, très individuel et intime, doit être ajouté ; un levain seul capable de faire monter la pâte soigneusement pétrie. Ce levain est la soif spirituelle, réelle, authentique, puissante, inextinguible, qu’aucun enseignement, aucune pratique, aucune appartenance ne saurait faire naître ni étancher. »

Par Sabine Dewulf
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mercredi 1 mars 2023

Aveuglement


" Cette civilisation moderne a conduit l'humanité à deux guerres mondiales, mais la leçon n'a servi à aucun politicien. La politique ne se préoccupe que des apparences et ne tient aucun compte des réalités profondes. Seule la conscience de leur nature spirituelle commune peut unir les hommes. Le sens de leur individualisme les condamne à l'égoïsme et aux conflits. C'est dans la vision même de l'homme et du sens de sa vie que se trouve la racine de tous les « problèmes ». Tant que l'aveuglement et l'ignorance prévaudront, tout problème résolu fera immédiatement place à un autre, dans un déséquilibre permanent. L'intérêt pour la politique tient aujourd'hui la place que tenait autrefois l'intérêt pour la religion. Moins les gens ont l' intention de se diriger et de se réformer eux-mêmes, plus ils se préoccupent de la façon dont il faudrait diriger ou réformer la société. En fait, les « problèmes » politiques, économiques et sociaux ne sont qu'une façade qui masque le véritable problème, lequel est spirituel et psychologique. Aucune mesure ne sauvera la situation, qui ne tiendra pas compte de la réalité spirituelle, de la vraie nature de l'Homme. Pour le moment, l'humanité tourne le dos à cette vérité fondamentale. L'existence devient sans cesse plus complexe à tous égards et interdit de plus en plus aux hommes et aux femmes toute velléité de vie intérieure. Le véritable bonheur ne peut se trouver que dans la « réalisation » ou la prise de conscience de la Nature profonde, du Soi, mais jeunes et vieux cherchent désespérément des plaisirs et des satisfactions qui ne peuvent pas durer. C'est, par excellence, le fruit de ce que tous les enseignements initiatiques ont appelé l'aveuglement et l' ignorance.

Arnaud Desjardins , Monde moderne et Sagesse ancienne ( 1973 )

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lundi 15 août 2022

Joie !


« Conquérir sa joie vaut mieux que de s’abandonner à la tristesse. » notait Gide le 12 mai 1927 dans son Journal. 

Qu’est-ce que la joie ? Une façon pleine, satisfaite, reconnaissante d’habiter l’existence. 

Le joyeux ne manque de rien. Pourtant il n’a pas tout – qui possède tout? En revanche, il se contente de ce qu’il a. Mieux : il s’en délecte. 

Le joyeux n’éprouve pas de frustration. Alors qu’au déçu, au déprimé, au mélancolique, au fatigué, tout fait défaut. 

Si la tristesse est conscience d’une absence, la joie est conscience d’une présence. Quand la tristesse vise ce qui n’existe pas ou plus – chagrin d’avoir perdu quelqu’un, dégoût de se savoir faible, mortel, impuissant, limité -, la joie découle d’une plénitude. Elle crie notre plaisir d’être vivants, là, éblouis par ce qui nous entoure. 

Se réjouir et jouir, telle s’avère la joie. Elle ne demande rien, elle ne déplore rien, elle ne se plaint de rien. Elle célèbre. Elle remercie. La joie est gratitude.

Quelle légèreté nous apporte la joie en nous délestant de ce qui nous alourdit, ambitions, regrets, remords, obsessions, amertumes, illusions, prétentions ! 

Notre époque n’aime pas la joie. Elle aime l’étourdissement et le divertissement, ces pratiques qui nous arrachent à l’ennui ou l’affliction sans approcher la joie. Dans le joyeux, elle ne voit qu’un abruti, jamais un sage. 

Or, il y a une sagesse de la joie. Heureux de vivre, non seulement je consens mais j’aime: je consens à ce qui existe et j’aime ce qui tombe sous mes sens. J’épouse et j’adore l’univers."

(Quand je pense que Beethoven est mort - Eric-Emmanuel Schmitt)

mardi 8 mars 2022

Un mendiant aveugle.

 Auprès de Swami Prajnanpad, Arnaud trouvera l’audace d’étreindre sa propre misère. « Vous êtes un mendiant » lui dira le maître ; « Vous mendiez l’amour ». Dans la solitude de quelques huttes en terre, l’homme de quarante ans pleurera de tout son cœur de n’être qu’un enfant suspendu aux regards et aux admirations des autres, s’agrippant à l’existence comme les misérables en Inde s’accrochent aux vêtements de passant et, sans la moindre dignité, supplient qu’on leur fasse l’aumône.


Notre aveuglement nous voile constamment tout le pathétique de notre condition de petits pantins manipulés par la vie, ballotté de-ci de-là au gré des espérances et des déceptions qui les réduisent en fumée, à la merci des paroles douces ou dévastatrices. Les vents de l’existence ne nous portent vers la joie que pour le lendemain nous envoyer la peine et nous laisser dévastés.


Arnaud Desjardins ou l'aventure de la sagesse de Gilles Farcet

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vendredi 19 novembre 2021

Carnet d'entretien

 Notre corps est notre véhicule. Alors, il est bon de prévoir des entretiens réguliers pour qu'il fonctionne au mieux sur notre chemin de vie.

La vie terrestre demande une vidange régulière.
Assurons-nous d'être bien éclairé : feux de croisement pour nous rencontrer et clignotant pour nous alerter à temps.
Pour les chocs et les coups du destin, il est bien de vérifier les amortisseurs pour diminuer les émotions sur les routes pavées de bonnes intentions.
Ne pas oublier qu'à force de ronger son frein, on va droit dans le mur.
Alors n'épuisons pas nos bougies au fil des ans, et soyons moteur de notre existence...


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mardi 7 septembre 2021

Existence sans frontière

 


Tout existe en vous ! Tout ce qui est dans la création existe en vous, et tout ce qui existe en vous est dans la création. Il n’est pas de frontière entre vous et les choses les plus proches, et il n’y a pas de distance entre vous et les choses les plus éloignées. Et toutes les choses, de la plus basse à la plus élevée, de la plus petite à la plus grande, sont en vous dans une complète harmonie.
Dans un atome, on trouve tous les éléments de la terre; dans un mouvement de l’esprit se trouvent tous les mouvements des lois de l’existence; dans une goutte d’eau se trouve tous les secrets des océans sans fin; dans un aspect de vous, il y a tous les aspects de l’existence. ✨
Khalil Gibran

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lundi 12 avril 2021

Anagramme existentielle

 


Le réel est silencieux,

enseigne Clément Rosset. Seulement le silence n’est pas l’absence de bruit mais l’absence de parole… Et tout ce qui met le silence en sourdine témoigne de lui. Dès qu'on le meuble, on le donne à entendre. Plus on le conjure, plus il est criant. C’est de lui que sont extraits les mots, et c’est à lui qu’ils retournent. Que dit donc le silence? Que le monde n’est pas là pour nous faire plaisir et qu’aux rêveries de l'imaginaire il faut substituer le talent de

lire l’existence seule.


extrait de "Anagrammes pour lire les pensées"
De Raphaël Enthoven
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dimanche 11 avril 2021

La saveur de l'existence

 

Aujourd'hui, nous vivons dans une culture de l'immédiat. On s'emballe, on se passionne, on s'enthousiasme ; on se désole, on dégringole. On vit dans l'émotion : cela peut nous jouer de bien vilains tours. Au risque de passer à côté de notre authenticité.

œuvre de Philippe Ramette


 Prendre un peu de hauteur, regarder les choses avec un peu de distance, laisser plus de place au raisonnement nous fait grandir. Les pas de côté que d'autres nous suggèrent, la prise de hauteur que la vie nous impose quelquefois, ou la descente dans notre profondeur nous permettent d'accueillir ce qui se dessine dans nos vies avec plus de légèreté. Et se précise alors le choix de continuer le chemin entamé ou de décider de changer de route, si elle ne nous convient pas.

Mystérieusement, les pas de côté, la prise d'un peu de hauteur ou de profondeur, qui peuvent parfois nous donner le sentiment d'avoir un pied dans le vide, nous recentrent, nous alignent, nous remettent dans notre vraie nature, apportent de plus en plus de vie et de saveur à l'existence. Changer de point de vue, c'est bien souvent changer de point de vie.

Raphaël Buyse (source : La Vie)

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jeudi 25 mars 2021

L'action en soi ou IN-action


 "Optez pour le plus grand et le plus petit sera pris en charge. Ne vous inquiétez pas. La vie n'est pas un casse-tête (puzzle). C'est l'ego qui rend perplexe. Vous n'êtes pas obligé d'arranger les choses. Il suffit de demeurer tranquille et de laisser tout cela se dérouler. Si vous pensez que vous pouvez mettre en œuvre la vie, vous créez une identité en tant que 'solutionneur' de vie. Grosse difficulté! Personne ne peut mettre la vie en œuvre. Comme on renonce à son ego, on est automatiquement en harmonie avec la vie. Regardez comme la vie prend soin de la vie. Ça coule spontanément et parfaitement en chaque forme. Lâchez prise à la danse de l'existence. Pourquoi manquer le meilleur spectacle sur terre ?"

Mooji

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jeudi 29 octobre 2020

"LA PEUR" par Khalil Gibran

 

On dit qu'avant d'entrer dans la mer une rivière tremble de peur.
Elle regarde en arrière le chemin qu'elle a parcouru, depuis les sommets des montagnes, la longue route sinueuse
qui traverse des forêts et des villages
Et devant elle, elle voit un océan si vaste, qu’y pénétrer ne paraît rien d'autre que devoir disparaître à jamais.
Mais il n'y a pas d'autre moyen.
La rivière ne peut pas revenir en arrière.
Personne ne peut revenir en arrière.
Revenir en arrière est impossible dans l'existence.
La rivière a besoin de prendre le risque d'entrer dans l'océan
parce que c'est alors seulement que la peur disparaîtra,
parce que c'est là que la rivière saura qu'il ne s'agit pas de disparaître dans l'océan,
mais de devenir océan."

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mercredi 1 avril 2020

La vie est une crise par Gilles Farcet


« Vous savez que depuis longtemps je nous considère tous sans exception comme des gens qui ayant vécu un naufrage ont échoué sur une île déserte mais ne le savent pas encore. Les personnes qui sont ici le savent. Les autres, ceux qui vivent encore une vie ordinaire, croient toujours qu’un paquebot va arriver pour les sauver demain et que tout va recommencer comme avant. Ceux qui sont ici savent que rien ne sera plus comme avant. Je suis si contente d’être ici. »
Katherine Mansfield (1888-1923 ) , lettre écrite depuis le Prieuré d’Avon où elle vécut ses derniers mois et mourut dans la proximité de Monsieur Gurdjieff




Oui, nous vivons en ce moment une situation « de crise ». Et les situations « de crise », crise individuelle , collective ou une combinaison des deux comme à l’heure actuelle, ne font elles pas que mettre en pleine lumière ce qui de toutes façons est toujours là, à savoir que la vie elle même est par nature une crise ? De la naissance à la mort, cette existence humaine est une crise. Une crise avec des accalmies, des moments plus tranquilles où il ne se passe en apparence pas grand chose, des « vagues », des « pics »,des retombées , des actions et réactions …
Qualifier notre existence de « crise » n’équivaut pas à en dresser un tableau exclusivement noir. Il y a des moments heureux, des joies , du moins pour beaucoup d’entre nous. Que cette existence soit intrinsèquement une crise n’exclue pas la dimension d’émerveillement, la beauté, la création, l’amour, bien au contraire ..
Et la naissance est une crise, l’enfance est une crise, la puberté est une crise, l’entrée dans l’âge adulte et le « monde du travail » est une crise, se mettre en couple est une crise, se séparer une crise, devenir parent une crise … la quarantaine est une crise, la cinquantaine, etc etc, la vieillesse est une crise, la mort une ultime crise … L’histoire, individuelle et collective est une crise. Avec à chaque étape la nécessité impérieuse et vitale de l’adaptation, oui l’adaptation qui est bien le mot clé.

Les grands mystiques, les artistes essentiels , les personnes qui travaillent vraiment sur elles mêmes comme on dit (à ne pas confondre avec les adeptes de la « feel good méditation » et autres béquilles gentillettes même s’il n’y aucun « mal »à tout ça) … toutes ces personnes ne sont elles pas celles et ceux qui, par un mystérieux processus interne, ont pris la mesure de la situation, compris que de toutes façons et quoi qu’il arrive l’existence est une crise ? Ces personnes ne sont elles pas celles qui assument le réel et sa nature de crise permanente - avec encore une fois des vagues, pics, retombées, plages de calme apparent …

Ce que d’aucuns appellent traditionnellement « la pratique de la voie » ne serait elle pas ni plus ni moins de la gestion consciente de crise ?

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vendredi 11 octobre 2019

Maîtres de l'existence...


Un proverbe ancien dit : « Quand l’élève est prêt, le maître apparaît. » Faut-il croire qu’un grand nombre d’entre nous sont aujourd’hui prêts… ou est-ce l’urgence de la situation qui pousse des foules d’humains à suivre les conseils spirituels de toutes sortes de maîtres ? Quels maîtres ? Les yogis indiens ont un mot étonnant, « uppa guru », pour exprimer l’idée que toutes sortes d’êtres ou d’entités peuvent jouer un rôle de maître. Si vous savez le respecter, l’observer et l’aimer, un enfant peut vous enseigner beaucoup. Un animal aussi. Ou un arbre… De nos jours, beaucoup de conseils nous arrivent par les médias ou les réseaux sociaux – où l’important est de savoir faire la différence entre les torchons et les serviettes, entre les bonimenteurs, escrocs ou manipulateurs, et les vrais instructeurs.


 Certaines radios font, de ce point de vue, du très bon travail. Par exemple, en laissant régulièrement l’antenne à des gens comme Christophe André, Fabrice Midal ou Frédéric Lenoir. Vous n’avez évidemment pas besoin de les considérer comme des « maîtres » pour faire bon usage de leurs conseils. Le plus commun de ces conseils est sans doute leur invitation à se mettre à la méditation. Certains esprits moqueurs, ou acides, prennent la généralisation de cette pratique pour une mode plus ou moins superficielle, qui ne saurait que rapidement s’épuiser. Il y a fort à parier que, bien au contraire, nous avons à faire à un phénomène profond, très intéressant, qui pourrait correspondre à un besoin ressenti par un nombre croissant de femmes et d’hommes, à une réponse collective.

 À quoi ? Aux déséquilibres de notre temps à l’accélération folle, à la désorientation, à la perte de sens. Comment mieux ralentir, retrouver son axe, redonner du sens à sa vie, et la joie qui va avec, sinon en laissant remonter les réponses du fond de soi-même ? 

source : Nouvelles Clés 

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