JÉSUS A DIT : « Je ne suis pas venu pour les bien portants, mais pour les malades » et, entre autres titres, le Bouddha a été appelé le « Grand Médecin ». Nous pouvons donc laisser de côté, du moins pour l’instant, les termes prestigieux d’Éveil, de Libération, d’Illumination et prendre appui sur le mot guérison.
mardi 17 décembre 2024
Paix sans contraire
JÉSUS A DIT : « Je ne suis pas venu pour les bien portants, mais pour les malades » et, entre autres titres, le Bouddha a été appelé le « Grand Médecin ». Nous pouvons donc laisser de côté, du moins pour l’instant, les termes prestigieux d’Éveil, de Libération, d’Illumination et prendre appui sur le mot guérison.
mercredi 4 décembre 2024
Révolution pacifique
Qui a dit : « tu » ne tueras pas ?
Quelle femme ? Quel homme ? Quel Dieu ?
Seul un « je » peut dire « tu » et « tu » ne tueras pas.
Quel est ce « je » origine d’une telle conscience et d’une telle loi ?
Le « je » d’Abraham, de Moïse, de Yeshoua ? Le « je » de chacun de nous, quand nous sommes en bonne santé et de bonne humeur ?
Aujourd’hui, il paraît qu’il n’y a plus de « je », seulement des « on » qui se déclarent la guerre et se terrifient les uns les autres, avec leurs machines efficaces, leurs engrenages et agrégats de violence, de peur, de colère, de plainte qui emportent le « je » loin de lui-même, loin du beau « Je suis » calme et silencieux dont on a fini de rêver.
Pourquoi parlons-nous de « révolutions » et de « gardiens de la révolution », qu’elle soit islamique, française, sioniste, américaine et autres, toutes ces « révolutions » se font dans le sang ?
La véritable révolution qui littéralement veut dire « revenir à soi », « être de retour », revenir à « je », à « Je suis » ne semble pas encore née.
N’est-ce pas faire « un pas de plus », (ultreïa disaient les pèlerins) ? N’est-ce pas aller au-delà de tous ces « on » belliqueux et de toutes ces mémoires orgueilleuses et vengeresses pour découvrir un « je » libre, capable de dire : « je » ne tuerai pas et si « tu » le veux toi aussi, « tu » ne tueras pas ; toi aussi, tu seras libre, libre d’exister sans crainte ni convoitise.
Tant que « je » n’est pas en paix, « on » ne sera jamais en paix.
Encore une évidence que tout le monde sait et que personne ne fait.
Il faut un « je » pour le faire, « on » ne le fera pas à notre place.
Jean-Yves Leloup, Décembre 2024
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vendredi 8 novembre 2024
Tout faire un peu plus lentement
Dans sa lettre d’octobre, Jacques nous invite à ne pas séparer dans notre quotidien « l’action, reliée aux intentions de l’être, et l’activité, orientée vers un but extérieur » ou encore « l’infaisable et le faire ». Pour ne pas se laisser emporter par l’activisme journalier, une indication est précieuse dans le zen : tout faire un peu plus lentement.
Indication donnée par K.G. Dürckheim à Jacques à la fin de l’une de leur première rencontre : « si vous voulez pénétrer le monde du zen, je vous invite, les jours à venir, à tout faire un peu plus lentement ». Il n’échappe à personne que la mode actuelle est à la performance, la vitesse et l’efficacité, quelle que soit l’activité.
Tout faire un peu plus lentement, avant de devenir un acte sacré, est un sacré apprentissage !
Je m’en suis rendu compte dans le domaine de la montagne que je connais bien ; j’ai pu sentir combien cette indication était finalement bien plus difficile à mettre en œuvre qu’une pratique habituelle, bien réglée et mécanique, basée sur la vitesse et la performance.
La montagne, lieu de contemplation par excellence, n’échappe pas à la règle. Trails, ultra-trails et courses diverses et variées fleurissent un peu partout dans les Alpes. Les yeux rivés sur le chronomètre ou la montre connectée, nous nous fions à ce que nous disent les instruments, et faisons peu de fi de ce que nous ressentons et de ce qui nous entoure.
Seuls comptent les chiffres que nous indique l’écran : gagner quelques minutes, quelques secondes, quelques mètres. Ces activités se situent principalement dans une optique crispée et volontariste, s’appuyant sur un instrument supplémentaire que l’on appelle « mon corps », au service des attentes et des objectifs du mental.
L’obsession du chronomètre, d’une distance à parcourir, d’une altitude à dépasser, c’est la toute-puissance du temps pensé et de l’espace pensé, ce qui se mesure, se contrôle, sur le temps vécu et l’espace vécu, insaisissable moment qui ne se goûte qu’au présent.
C’est la toute-puissance du mental et du corps outil sur la sensorialité du corps vivant.
Toujours ailleurs et plus tard, quand j’aurai accompli ceci ou cela … enfin la paix ? Rien n’est moins sûr.
Apprendre à ralentir, ce n’est pas s’engager dans une lenteur, mais juste ralentir un peu, très légèrement, changer ses habitudes, transformer sa mécanicité en acte plus conscient.
Cela ne se remarque pas de l’extérieur, ou à peine, mais intérieurement, il se passe quelque chose de très riche : l’initiation, l’invitation à la Présence.
Tout faire un peu plus lentement demande une grande attention, non plus aux instruments de mesure divers et variés, mais au corps, à ses rythmes et ses gestes vitaux.
Plus vigilant, plus à l’écoute de ma manière d’être, suis-je vraiment en train d’habiter ce que je suis en train de faire ? Etant présent à tout ce qui vient de l’extérieur, suis-je vraiment en train de répondre à ce que la situation propose, exige ?
Dans toute action, il est possible de redécouvrir et de nourrir une autre manière d’être, une autre relation au corps et au monde.
Par un retour attentif aux actions vitales, spontanées, naturelles du corps vivant, je peux commencer à sentir ce qui m’anime, me nourrit, me porte et me met en relation à ce qui m’entoure. Le corps n’est plus l’instrument du mental, mais devient le centre vital de l’action et donne sens, richesse et profondeur au geste pratiqué de manière plus juste ; plus juste parce que plus en accord avec les lois du vivant. Paradoxalement, cette démarche intime et intérieure me plonge au cœur de la relation au monde.
Quelles sont ces actions naturelles, spontanées qui n’ont rien à voir avec mon désir de performance ? Va-et-vient du souffle, rythme cardiaque ... Forme et tenue corporelles plus justes (les 4 attitudes dignes), actions sensorielles : ce que je sens, ressens, vois, entends …
Cette présence vitale est la source de ma vraie nature, en même temps que le lien qui m’ouvre à un regard neuf sur le monde, comme l’illustre ce dialogue rapporté par Jacques lors d’une promenade en forêt avec Dürckheim :
« - Jacques que voyez-vous là ?
- Je vois un arbre, un très bel arbre !
- C’est curieux, là où vous voyez un arbre, je vois un geste de la vie. »
Cela demande une grande vigilance de sentir que, quelle que soit l’action, je ne satisfais pas seulement une volonté d’utilité ou de mainmise sur le monde, que je ne maitrise pas qu’un savoir-faire, mais que l’activité engagée ouvre sur un savoir-être, une transparence à ma vraie nature. C’est ce que nous appelons dans le zen la pratique de la voie intérieure.
« L’exercice du savoir-faire est terminé lorsque le résultat extérieur est acquis, satisfaisant. L’exercice sur la voie commence seulement au moment où l’on sait faire ce que l’on a appris en pratiquant régulièrement ; l’exercice consiste alors en une répétition perpétuelle du même geste… » nous dit Dürckheim.
Cette indication peut nous sembler bien ennuyante, mais le mot -répétition- prend une tout autre signification si nous l’entendons dans le sens de renouvellement. L’épanouissement de l’être humain peut alors se trouver dans les activités les plus banales, et la libération du savoir-être se découvre au cœur même de la contrainte existentielle ; c’est la voie du zen.
Indubitablement et quotidiennement, nous sommes effectivement dans l’obligation de répéter des activités ayant un but extérieur certain, mais nous en oublions la plupart du temps le sens sacré : le contact avec la source de toute activité. C'est-à-dire la présence et la soumission aux actions corporelles vitales, impermanentes et infaisables, qui réactualisent notre manière d’être, nos gestes, à chaque instant, et nous maintiennent au contact de l’essentiel.
Seulement ainsi, soumis à un changement permanent, voulu par la vie, nous sommes une
Personne en devenir, interagissant avec l’Ensemble, un être « divinement humain ».
Si les lois du mental nous enferment dans un besoin de normes et de mesures, dans un savoir figé et limité à notre besoin de compréhension et de maîtrise de notre existence, les lois du corps vivant nous ouvrent à une connaissance illimitée ; illimitée parce que sans cesse renouvelée par l’acte d’être. Sortir de la banalité demande à prendre au sérieux l’instruction de tout faire un peu plus lentement, afin de faire l’expérience que « Le zen n’est pas un art de vivre, c’est devenir un artiste de la vie » D.T. Suzuki
Joël PAUL
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mercredi 7 août 2024
Richesse...
Q : Je veux être riche mais mon vœu n'est jamais exaucé.
Ma Anandamayi : Vous recevez exactement ce qui vous est dû, rien de moins et rien de plus.
Ce qui gêne sur le chemin spirituel porte en soi les graines de souffrances futures. Pourtant, le chagrin et l'angoisse résultant de ces entraves sont le début d'un éveil à la conscience. S'il y a quelque chose à obtenir – quoi que ce soit, de quelque manière que ce soit – cela doit être obtenu de Lui seul.
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dimanche 23 juin 2024
Ombre et lumière
Mordom. Il s’appelait Mordom. Il était terrible. En tout cas je l’imaginais tel. Quoi qu’il eût le pouvoir de se rendre invisible (je ne l’avais jamais vu et chacun n’en parlait que pour dire son absence), il ne semblait pas appartenir à la galaxie des super-héros. J’avais épluché bien des comics, espéré tomber sur une page où il serait vaincu par Superman ou terrassé par Spiderman…
Mais pour cela, encore fallait-il offrir prise. Apparaître. Or, de Mordom, nous ne connaissions que le nom. Et cela suffisait à susciter l’effroi. Peut-être ce nom n’était-il qu’une variante, à partir de la première syllabe, de cet autre ennemi invisible, et par-là invincible, ce professeur Moriarty que jamais Watson ne verra et que Sherlock Holmes n’affronte physiquement qu’une seule fois, et encore, le jour de sa mort…
Mordom a-t-il un corps ? A-t-il toutes ses dents ? De quelle couleur sont ses cheveux ? N’est-il pas le diable lui-même, dont les noms mystérieux suffisent à inspirer la crainte : Satan, Lucifer, Belzébuth, Béelzéboul, Légion… ? À mesure que je grandissais, celui que j’imaginais comme une grosse brute au visage sombre devenait plus diaphane. Bien plus tard, je reconnus l’impression que me laissait Mordom dans les figures évanescentes et non moins terrifiantes que l’on trouve des nouvelles de Lovecraft. Il y a Cthulhu, évidemment, l’affreuse créature tentaculaire. Il y a surtout Nyarlathotep, démon à l’identité flottante, ombre qui plane, monstre dont la forme est celle que lui donnera votre propre angoisse…
Relativiser l’épreuve
Un jour, j’ai compris. J’ai compris que quand les adultes rencontrent une épreuve, ils éprouvent le besoin de la mettre en perspective, de la replacer dans un champ plus large. Bref de la relativiser. Ou bien de relativiser l’épreuve de leurs congénères, afin de n’avoir pas à s’y intéresser ou à les consoler. J’ai aussi compris que ce qui me distinguait d’un adulte était précisément ce recul qu’on acquiert face à la contrariété. Ce jour où j’ai compris, c’était avant l’école.
Ma mère revenait de la boulangerie. « Cette nuit, quelqu’un a visité notre voiture ! », nous annonce-t-elle. L’inconnu a pris un paquet de cigarettes qui traînait là et piqué la monnaie du parking dans la boîte à gants. « Bah, il n’y a pas mort d’homme. » Non pas le Mordom dont la présence aurait signifié pire que toutes les effractions. Non, seulement une façon de dire que ce n’est pas grave. Je me souviens : le pain était là, tout frais, mais il n’y avait plus de chocolat en poudre pour mettre dans mon lait. Comme il n’y a pas non plus mort d’homme, on m’a demandé de retenir mes larmes.
Sous un fond de grâce
Mordom n’est parti pas comme ça. Le pouvait-il seulement, lui qui jamais n’est venu ? Car jamais je n’entendis dire : « Il y a mort d’homme ! » Mordom m’a laissé sa leçon de sagesse. Quand il m’arrive aujourd’hui un peu plus qu’un lait chaud sans poudre chocolatée, ou qu’une visite de la boîte à gants, quand vraiment le bât me blesse, je sens avec une acuité particulière l’absence d’un mal qui fût pire.
Mordom a fait mieux. Il m’a confié une lumière pour éclairer sous un jour plus favorable mes épreuves. Relativiser l’adversité non en la maximisant par imagination peut mener à se rendre insensible. Plus sage encore est de reconnaître que l’épreuve n’a jamais lieu que sous un fond de grâce. On ne tombe malade que d’être en vie. Il n’y a de tension en famille que parce qu’il y a là une famille assez unie pour vivre les tensions. Nos disputes en couple écrivent l’histoire d’amour sans laquelle elles n’existeraient pas. Etc.
Mordom est devenu Rich. Car tout ça, n’est-ce pas, ce sont les problèmes de Rich.
Par Martin Steffens.
Professeur de philosophie en classe préparatoire, il a notamment publié Petit traité de la joie. Consentir à la vie, Rien que l’amour. Repères pour le martyre qui vient, l’Amour vrai. Au seuil de l’autre (Salvator), et Faire face. Le visage de la crise sanitaire (Première Partie). Dernier ouvrage paru : Dieu, après la peur (Salvator).
source : La Vie
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mardi 21 mai 2024
Cheikh Bentounes: «Passer de la culture du 'je’ à celle du 'nous’»
Initiateur de la Journée internationale du vivre-ensemble en paix (JIVEP), célébrée le 16 mai, le cheikh Khaled Bentounes est présent à Genève pour sa 7e édition qui a pour thème «La paix au cœur de l’éducation». Guide spirituel soufi, il travaille à resserrer les liens de fraternité entre cultures, traditions et religions. Pour lui, le vivre-ensemble et le faire ensemble vont de pair et l’éducation à la paix est le germe d’un monde réconcilié.
Geneviève de Simone-Cornet, pour cath.ch
Vous êtes le guide spirituel de la confrérie soufie Alâwiyya. Quelles valeurs promeut votre confrérie?
Khaled Bentounes: Les valeurs que promeut le soufisme, et ce depuis des siècles, c’est d’abord l’expérience: goûter la réalité divine, qui nous dépasse, et essayer d’en être les témoins vivants. Ne dire et ne faire que ce qui passe par l’expérience sinon nous tombons dans le piège de l’ego: nous pensons que la vérité nous appartient alors que nous lui appartenons.
Puis, nous réfléchissons à la façon de maintenir les liens entre les cultures, les traditions, les religions. Pour nous, les êtres humains sont les lettres du même alphabet. Chacun est à respecter en tant que tel: il ressent l’appel divin à sa façon et on ne peut s’immiscer dans son intimité. C’est sa façon d’agir, son comportement, sa bienveillance, son humanité, qui nous montrent la réalité de son intériorité: un être humain se révèle par ses actions.
Comment assumez-vous votre rôle de guide spirituel?
Cette fonction m’a été léguée par les sages de l’ordre soufi. Je m’efforce de tout faire pour préserver ce patrimoine spirituel, qui a son siège dans le cœur, des troubles, des incertitudes et des doutes de notre époque. Car nous vivons une période de l’histoire de l’humanité où le matérialisme s’est incrusté dans nos vies au quotidien.
«Comment retrouver cette notion où chacun de nous fait partie du tout qu’est l’humanité?»
Je fais en sorte, avec mes faibles moyens et dans la mesure de mes possibilités, de tisser des liens entre les humains de cultures, de religions, de philosophies et d’intérêts divers dans un monde de plus en plus déstabilisé, traversé de crises sociales, politiques et de sens au goût amer. Sans oublier la crise climatique, qui menace l’humanité entière. Et les premiers touchés sont nos enfants et nos petits-enfants.
Vous êtes l’initiateur de la Journée internationale du vivre-ensemble en paix (JIVEP), adoptée le 8 décembre 2017 par l’Assemblée générale des Nations unies. De quelle intuition est née cette journée?
La JIVEP a été acceptée à l’unanimité des 193 Etats membres: c’est une chose exceptionnelle alors que personne n’y croyait!
L’intuition de cette journée remonte aux écrits philosophiques de mon arrière-grand-père, dans les années 1920. Il décrivait alors l’humanité comme un corps dont chaque être est une cellule et chaque nation un membre. Il disait que l’on ne peut accorder une prééminence à un membre, que l’humanité est un tout où chacun, en travaillant pour lui-même, travaille pour le corps entier.
Comment retrouver cette notion où chacun de nous fait partie du tout qu’est l’humanité? Cette question nous a poussés à oser l’aventure de la JIVEP. Et c’est au Congrès international féminin pour une culture de paix qui s’est tenu à Oran en 2014 sur le thème «Parole aux femmes» que la décision a été prise de demander aux Nations unies de célébrer une journée du vivre-ensemble en paix.
«Le vivre-ensemble est le faire ensemble: car le premier ne peut exister sans le second»
La JIVEP a bénéficié d’un concours de circonstances: car le 8 décembre 2017, alors que le monde vivait sous la menace d’un conflit entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, se réunissaient simultanément le Conseil de sécurité, qui débattait de cette menace, et l’Assemblée générale, qui statuait sur cette journée. Ce jour-là, j’ai senti que l’humain l’avait emporté sur l’aspect politique: la crainte d’un conflit qui pouvait être nucléaire a permis de faire l’unité. Ainsi, parfois, les chocs sont salutaires.
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source : Cath.ch
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lundi 6 mai 2024
La séparation avec soi
Le lien à soi est aussi en souffrance, et il est, lui aussi, à restaurer. Il s’agit de la relation que Ion a avec son propre cœur, un cœur entendu au-delà même de la capacité à ressentir ou éprouver quelque chose, comme un organe spirituel qui nous relie à l’infini, à l’infiniment plus grand que soi, à ce qui est au-delà de l’espace et du temps, à l’origine de toutes choses. Mais, là encore, quelle éducation à trouver son cœur recevons-nous ? Qui nous apprend à vivre selon ce qui jaillit de ce cœur ? Quel exercice spirituel pratiqué au quotidien peut libérer dans notre existence tout entière sa source de vie, d’amour et de puissance ? Car le cœur n’est pas seulement un organe physique, sensible. Il nous relie à une profondeur à côté de laquelle la profondeur de l’univers lui-même n’est qu’une surface. Et du côté de cette profondeur, de cette origine, il y a une fontaine de miséricorde, issue d’une source mystérieuse d’où surgissent l’univers et son harmonie... Mais laquelle de nos méditations nous apprend à creuser assez profond pour libérer son jaillissement ?
Nous vivons des existences qui, hélas, sont rarement alignées entre ce plus profond intérieur et l’extérieur, où l’eau fondamentale ne s’écoule pas de nos cœurs à nos pensées jusqu’à nos actes, nos engagements, si sincères soient-ils. Nous ressentons dès lors comme une souffrance, entre ce que nous sommes et ce que nous faisons, et nous remplissons ce vide avec des consommations extérieures. Nous souffrons aussi d’une société qui ne nous donne pas l’occasion, dans notre travail, de chercher puis de libérer et d’engager la ressource de ce moi si profond, mais qui nous conditionne et nous condamne à ne vivre qu’en surface de nous-mêmes. Ainsi, nous restons si faibles, si fragiles, que nous devenons une proie toujours plus facile pour toutes les dominations, exploitations, aliénations, illusions qui prolifèrent dans le monde d’aujourd’hui.
Pour résister à cela, pour être plus forts que ce qui nous me, nos grands liens sont des canaux. Ils nous relient à des énergies sans lesquelles nous serons, hélas !, toujours plus impuissants et deviendrons plus encore des proies pour les prédateurs de toutes les dominations, de toutes les aliénations, à commencer par les aliénations consuméristes, mais aussi les aliénations politiques. L’enjeu du spirituel, c’est-à-dire l’enjeu de la puissance des liens, est inséparablement un enjeu politique. Voilà pourquoi il est urgent et nécessaire, me semble-t-il, que nous réfléchissions ensemble, que nous méditions ensemble, à partir de la ressource la plus intérieure, à la façon dont nous allons pouvoir reconstruire des vies authentiquement humaines, retisser nos liens essentiels, nos liens de vitalité, nos liens de lucidité, nos liens de lumière, les liens qui nous engagent dans le monde de façon à la fois intelligente, généreuse et amoureuse.
Abdennour Bidar - La puissance des liens
De Ilios Kotsou, Caroline Lesire, Christophe André, Abdennour Bidar, Fabienne Brugère, Rébecca Shankland, Matthieu Ricard
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dimanche 28 janvier 2024
A l'affut !
samedi 27 janvier 2024
L'œuvre de la maturité
"Dans l'avancée de la maturité et l'approche de la vieillesse, il est un ... phénomène qui frappe : le rajeunissement progressif du cœur et de l'âme.
Depuis toujours, je pressentais que la nature ne pouvait pas vouloir la déchéance de l'homme. Aujourd'hui, je le sais.
Si la deuxième moitié de l'existence ne recelait pas un projet, nous serions éliminés - comme le sont certains animaux - après le cycle de la fécondité.
Ce projet qui nous est confié est invisible à l'œil.
J'aurais la tâche légère si je me plaignais de maux de dents : même si j'étais la seule à pouvoir vérifier mes dires, personne ne douterait de ce que j'avance. Mais si j'affirme que mon âme et mon cœur rajeunissent de jour en jour, je ne serais pas étonnée que certains n'y voient qu'une licence poétique. Ou un sujet d'agacement. Et pourtant!
Dans la jeunesse, l'âme n'est pas jeune. Elle est percluse du rhumatisme des modes, plie sous les idéologies, les normes en vigueur. L'Alzheimer juvénile la ronge : l'oubli de tout ce que l'enfant savait encore sur le sens profond des choses. La jeunesse transbahute tous les préjugés qu'on lui a inculqués, les jugements féroces, les catégories assassines. Elle est souvent dure comme le monde qui l'accueille. Sa lumière est sous le boisseau.
Ce long travail de la libération de l'intelligence, ce déminage du terrain après tant d'années d'occupation étrangère sont l'œuvre de la maturité. Quand l'obligation de faire un avec sa génération n'est plus une question de survie, on peut enfin écarter les œillères, laisser venir la clarté. Comme dans les grandes forêts où l'automne, en dépouillant les branches, donne le ciel à voir.
"Il faut toute une vie, écrit Jean Sulivan, pour élargir son cœur, ses opinions, pour conquérir sa liberté spirituelle."
Toute une vie.
Voilà une chance à ne pas manquer."
Christiane Singer - N'oublie pas les chevaux écumants du passé
Image: Portrait d'un vieillard, de Rembrandt
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mardi 9 janvier 2024
Non connaissance.
Betty Quirion : Dans un total abandon, comme une fiancée promise à un inconnu, j'ai accueilli la non-connaissance : ne pas savoir intellectuellement, ne pas comprendre le processus et ne pas marchander le temps ; plonger dans le vide, seule...
Un sage qu'elle a rencontré : Tu sais Betty, la souffrance que tu as vécue, et que tu vis encore, ressemble à un voltage électrique qui ajuste ton corps graduellement pour ce que j'appelle "le grand rendez-vous avec la vérité". Cette énergie, qui sera ta demeure, est d'une telle force que si tu y avais accès maintenant, ton corps brûlerait ! Sois patiente ! Tu ne le sais pas encore, mais un évènement, interprété comme spirituel et exceptionnel, semblera t'arriver. Mais toi, Betty, telle que tu te conçois actuellement, tu ne seras même pas là pour t'en rendre compte.
Betty : Si le temps n'existe pas, pourquoi attendre qu'il arrive je ne sais trop quoi ?
Sage : Tu poses la question à partir de ta demeure actuelle : le temps. C'est ta volonté personnelle qui parle, car tu te crois un être de volonté qui a un pouvoir personnel, et c'est à partir de ce point de vue là que tu poses une question. Tu crois encore en ta personne. Et c'est parfait ! Ton corps n'est pas encore prêt. Des ouvertures se font depuis ton enfance, et ta volonté personnelle les referme aussitôt. Actuellement tu souffres, car tu prends tout personnellement ; mais ce n'est rien cette souffrance, ne t'en soucie pas.
(La Fraîcheur de l'instant, la fin d'un rêve d'individualité)
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lundi 8 janvier 2024
Le chemin continue...
Voici une belle entrée sur le chemin spirituel en 2024.
Les Films de la Table 10 sont heureux de vous informer que l'épisode 1 de la toute nouvelle série intitulée SUR LES ROUTES SPIRITUELLES est maintenant disponible gratuitement (sur viméo).
Ce premier épisode est consacré à Jacques Castermane, Joël Paul et Line Castermane au Centre de retraite Zen Durckheim situé à Mirmande.
Sur une idée originale de Nicolas Lavroff - Réalisation : Franck Terlin - Interviews réalisés par : Arnaud Laroche et Nicolas Lavroff - Consultant : Guillaume Darcq
Quelques mots de Nicolas Lavroff au sujet de cette série:
Cette série se fait l’écho des paroles d’Arnaud Desjardins, lors d’une interview de Marc de Smedt : « On ne peut imaginer un sage d’une tradition entrant en conflit avec celui d’une autre, représentant un monde culturel et religieux différent du sien. »
Cette série se propose de partir à la rencontre de traditions spirituelles et authentiques toujours vivantes et de leurs représentants qu’ils soient investis ou non d’une fonction de transmission. Elle ne vise pas à dresser le portrait d’une personne mais plutôt celui d’une voie vécue aujourd’hui. Il s’agit de saisir, au travers d’un témoignage singulier, la réalité d’une pratique ancrée au cœur du quotidien.
lundi 18 décembre 2023
Voyage intérieur ?
« J’ai pratiqué jusqu’à seize heures de méditation par jour. Était-ce pour autant un « voyage intérieur » ? D’une certaine façon, lorsque j’étais tout à fait honnête sur ce sujet, je reconnaissais que c’était surtout relaxant et reposant. Le mythe de cette sorte de Nirvana que j’attendais des méditations intensives a pris fin un jour. J’espérais que mon « moi » encombrant se dissoudrait propre et net dans le grand Soi, mais il n’en fut rien. J’avais pourtant des « expériences » (un mot qu’on entendait dans toutes les conversations à l’époque) qui montraient que j’étais sur la bonne voie, mais rien ne semblait se stabiliser. Les prodigieuses énergies qui se déployaient au bout de plusieurs heures de méditation, les visions, les sensations de plénitude, rien n’y faisait, j’étais toujours « moi » et même parfois au pire de ce « moi ».
Les années 1990 étaient encore tout imprégnées de la croyance qu’il fallait renoncer au monde pour atteindre l’illumination spirituelle. Certains étaient même partis dans des grottes, en France ! Tous ont vécu la même confrontation à leurs illusions. J’ai dû revenir à la case « monde », celle des femmes et des préoccupations de l’incarnation brute. Et le frottement avec cette matière a été bien plus bénéfique que mes extases intérieures. Ce n’est pas une exagération pour les besoins de ma démonstration. Le déchirement était plus fort, mais je devais être déchiré pour être enseigné. Et cela a continué sans cesse depuis ce jour. »
–Thierry Vissac, Un Chemin de vie.
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dimanche 3 décembre 2023
L’inattention est-elle le mal du siècle ?
On la tient quelques instants, puis elle s’échappe : où est passée notre attention ? Quelle est cette qualité de présence qui manque tant au monde contemporain ? Pour entrer dans l’Avent, explorons les profondeurs de cette faculté de l’attente, accompagnés par la philosophe Simone Weil.
« Toute chose autour de nous mendie notre attention, de l’oiseau au coucher de soleil, constate Martin Steffens. Et l’attention que nous leur prêtons est un acte de responsabilité : si je n’y suis pas attentif, la chose n’existe pas pour moi, et à force de ne plus exister pour moi, elle risque de ne plus exister du tout », redoute-t-il, évoquant la crise écologique.
Appliquée aux autres, « l’attention est la forme la plus pure de la générosité », écrit Simone Weil, qui dit aussi dans De l’attention (Omnia) : « Les malheureux n’ont pas besoin d’autres choses en ce monde que d’hommes capables de faire attention à eux. La capacité de faire attention à un malheureux est chose très rare et très difficile ; c’est presque un miracle, c’est un miracle. La chaleur, l’élan du cœur, la pitié n’y suffisent pas. » Cette attention à l’autre se résume pour la philosophe à « être capable de demander : “quel est ton tourment ?” ». « Pour cela, il est suffisant mais indispensable de savoir poser sur lui un certain regard. Ce regard est d’abord un regard attentif, où l’âme se vide de tout contenu propre pour recevoir en elle-même l’être qu’elle regarde tel qu’il est, dans toute sa vérité », poursuit-elle. Pour Martin Steffens, une autre figure de l’attention est celle qu’un père ou une mère porte à son jeune enfant qui le sollicite et lui demande de « sortir de ses distractions pour entrer dans son univers et poser un regard sur lui ».
Mais l’attention est aussi une éthique, nécessaire pour agir bien. « Quand Jésus, sur la Croix, demande au Père le pardon de ceux qui l’ont mis à mort “parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font” (Luc 23, 34), que cherche-t-il ? », interroge Martin Steffens. Il pointe le « péché-racine : le manque d’attention ». « Il suffisait en effet, pour ne pas prendre part à la crucifixion de l’innocent, d’être attentif. Et il est grave de ne l’avoir pas été. »
« Un quart d’heure d’attention vaut beaucoup de bonnes œuvres »
Las, l’attention semble hors de portée dans nos journées bien remplies, d’abord occupées par l’action. « Nous avons sans doute davantage été attentifs que nous ne le pensons », rassure Martin Steffens. « C’est l’Évangile du jugement dernier de Matthieu (25, 35-46) : “J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli (…).” Ici les justes sont étonnés, ils répondent : “Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? Tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? Tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ? Tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ?” Ils sont étonnés parce que lorsque nous faisons le bien nous sommes tellement ajustés à la situation que cela est indolore, nous ne le sentons pas, telle Sonia dans Crime et châtiment, qui se trouve parfaitement à sa place aux côtés de Raskolnikov. » D’autre part, nul besoin de longues heures d’attention, celle-ci est par essence fugace, elle se « prête » et « un quart d’heure d’attention vaut beaucoup de bonnes œuvres », écrivait Simone Weil.
Mais même quelques minutes d’attention semblent parfois hors de portée. Car « il y a quelque chose dans notre âme qui répugne à la véritable attention beaucoup plus violemment que la chair répugne à la fatigue », constate Simone Weil. L’attention relève donc de la « grâce » pour Martin Steffens. Comment y parvenir ? « Savoir qu’on est inattentif, c’est déjà ne plus l’être. C’est s’être soudain réveillé, mais sans savoir exactement comment », ébauche Martin Steffens. En outre, nous pouvons au moins « être bien disposé, par exemple en prenant parfois la décision de prendre du temps pour ne rien faire, être à l’écoute, bref suspendre son action pour regarder un peu ».
Se libérer des sollicitations permanentes
Il ne peut être question de « muscler l’attention », puisque celle-ci n’est pas affaire de concentration et d’effort. D’ailleurs, Simone Weil remarque que l’attention ne fatigue pas, au contraire, « quand la fatigue se fait sentir, l’attention n’est presque plus possible, à moins qu’on soit déjà bien exercé ; il vaut mieux alors s’abandonner, chercher une détente, puis un peu plus tard recommencer, se déprendre et se reprendre comme on inspire et expire ». L’attention est bien davantage une histoire d’équilibre.
Spécialiste du sujet, le neuroscientifique Jean-Philippe Lachaux prend l’image du funambule pour la décrire : lorsque notre attention est sollicitée, nous sommes comme sur une poutre, en proie à des forces qui nous poussent à la chute. Il faut prendre conscience de ces forces et des signaux d’inattention que notre corps nous envoie afin de maintenir l’équilibre.
S’il est impossible de forcer l’attention, la coach Anne de Pomereu préconise plutôt, pour « l’empêcher de s’échapper », de mettre en place des pare-feu : éteindre son portable, fermer sa boîte mail pendant un temps donné par exemple. « Il est très difficile et coûteux de se discipliner pour être attentif, il faut plutôt libérer notre volonté et mettre en place des garde-fous dans son environnement. C’est précisément le rôle des règles monastiques autour du silence, des horaires, de la solitude ! Celles-ci rendent possible la prière malgré les distractions et le bruit intérieur. » Or l’attention « tournée vers Dieu constitue la vraie prière », écrit Simone Weil. Elle en est la substance. Alors, quand elle devient prière, l’attention prend la forme d’une disponibilité à la vérité, d’une attente, dans une posture propre à l’Avent. « Chaque jour de l’Avent, un événement m’attend par quoi Jésus va naître, une Visitation a lieu chaque jour, croit Martin Steffens. Vais-je le voir ? Vais-je avoir la disposition d’esprit pour parvenir à y être attentif ? »
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Source: magazine La Vie
lundi 4 septembre 2023
Transformation silencieuse.
On ne peut pas imposer la liberté, ni la sécurité, on ne peut rien imposer. Votre attitude seulement va permettre à votre environnement de se questionner profondément. Dès lors commence une profonde transformation. Faire face aux faits, à ce qui est fonctionnel, cela s'apparente davantage à une attitude spirituelle; laisser la vie se révéler, non pas en sélectionnant selon sa préférence, son vouloir, ou son attente, mais en restant totalement disponible à chaque instant.
Le spirituel s'est s'immerger dans l'évidence de l'instant sans vouloir le manipuler ou l'utiliser. Etre disponible. A ce moment-là cette attitude de disponibilité va libérer la situation. Vous allez vous rendre compte que la situation se réfère toujours à votre écoute, à votre silence. D'un point de vue spirituel, il n'y a pas de conflit possible et rien à résoudre. Il y a uniquement acceptation, célébration de l'évidence.
Le sacre du dragon vert : Pour la joie de ne rien être - Eric Baret
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jeudi 25 mai 2023
Etre aux niveaux...
samedi 20 mai 2023
Ami spirituel ?
L'AMI SPIRITUEL, VRAIMENT ?
En Occident, le terme "ami spirituel" a été utilisé dès les années 70, probablement popularisé par Chögyam Trungpa Rinpoché, pour désigner le ou la maitre spirituel.le.
Si on comprend très bien pourquoi on a voulu utiliser cette terminologie plutôt que celle, classique et traditionnelle, de maître spirituel, celle-ci participe à entretenir une certaine confusion sur la relation très particulière que constitue la relation maître-disciple.
Revenons à la définition même d'amitié : « affection entre deux personnes en dehors des liens du sang ou de l'attrait des sexes ». Rajoutons spirituel à ce lien.
On obtient une définition extraordinairement partielle de la relation maître disciple, qui "cache", selon moi, l'essence même de la transmission, qui est symboliquement générationnelle, et comporte donc obligatoirement une notion de verticalité, et donc, ô horreur aux yeux de la modernité, une notion de hiérarchisation.
Toutes les personnes en charge d'une forme de transmission spirituelle le savent bien : la principale résistance à la transmission prend la forme du "oui, MAIS". À tel point que tant que ce "oui, mais" est préférentiellement à l'œuvre dans la relation qu'entretient un ou une disciple avec son ou sa maître, on peut dire qu'il n'y a ni disciple, et par conséquent, ni maître.
Or ce "oui, mais" provient d'une vision horizontale de la relation, dans laquelle, au fond, tout est discutable et sujet à débat. Cette horizontalité est renforcée par le terme "ami spirituel", car très peu de personnes sont capables de comprendre que cette amitié est entière sur un plan ultime, mais pas complètement sur un plan relatif. Dans un tel cas, la dénomination "ami spirituel" est exactement ce qu'on appelle grammaticalement un "faux-ami" dans l'art de traduire.
Loin de moi l'idée de dire qu'une amitié n'est pas possible entre maître et disciple, sur un plan relatif aussi, c'est même peut-être la forme la plus aboutie d' amitié qui puisse exister, la plus complexe aussi.
Mais il est aussi très clair que cette terminologie ne définit pas l'essence de cette relation, et pour ma part, et dans la lignée que je représente, je prends désormais la peine d'être extrêmement précis à ce sujet. Parce que sinon, on ment inconsciemment sur la marchandise (peut-être par omission) et le ou la disciple ne peut pas prendre une décision éclairée avant de s'engager.
Dans notre lignée, nous avons donc prévu un sas d'entrée, une sorte de prise de refuge taoïste, qui ne nécessite pas d'accepter le ou la maître en tant que tel, et qui permet de bénéficier de certains enseignements spécifiques tout en continuant à "tester" le ou la maître, autant que nécessaire (dans un temps raisonnable quand même). L'idée est qu'au moment de s'engager réellement, le ou la future disciple soit au clair avec le contrat tacite qui liera les deux partis et avec le mandat remis au maître.
En chinois le problème ne se pose pas et tout est très clair :
Maître = 师父= Shifu = Enseignant-père= étymologiquement celui qui ouvre la marche en tenant le bâton et défend celles et ceux qui le ou la suivent. Il ou elle est devant, tout.e seul.e. En cas de danger, on l'écoute et on lui fait confiance. En cas d'indécision, on le suit, parce qu'il ou elle a le meilleur point de vue du groupe.
Disciple = 徒弟= Tudi = personne de la nouvelle génération, frère ou sœur cadette, en train de marcher, avec une coupe vide (et encore en prison : la sienne, soumis aux voiles de l'illusion pourrait on ajouter).
Le génie de l'idéographie chinoise c'est qu'en permettant plusieurs angles possibles de déchiffrage, elle décrit très bien la dimension verticale, hiérarchique et générationnelle de la transmission, sans nier non plus la beauté horizontale mais complexe de l'amitié présente entre maître et disciple.
Revenons à l'image archaïque de cette personne avançant devant avec son bâton et guidant une personne ou un groupe : elle ramène à l'incroyable beauté naturelle des choses qui veut que celui ou celle qui est devant se sacrifiera si nécessaire pour la survie des suivants. Qui un jour feront pareil pour les suivants. N'est-ce pas ce que ferait tout père ou mère pour ses enfants ?
Cette formidable solidarité archaïque hiérarchisée est le propre de tout ce qui est vivant, et de l'amour désintéressé qui traverse toute la création. Car oui, il y a un amour immense au sein même de cette hiérarchie.
Alors réfléchissons à deux fois avant de vouloir tout horizontaliser, par peur de faire peur (sic), et de balayer certaines notions simplement parce qu'on ne comprend plus, ou mal, le vrai sens des hiérarchies. Par contre, il faut en accepter le côté complexe et dansant.
Je reparlerai de cette danse dans un futur article.
D'ici là, observons, dehors et dedans !
Bonne pratique
Fabrice Jordan
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lundi 5 décembre 2022
Retour sur un itinéraire
Récit d'un itinéraire spirituel avec Arnaud Desjardins
Pour celles et ceux qui ne l'ont jamais vu ou qui veulent le revoir :
dimanche 30 octobre 2022
Vous qui possédez une précieuse existence humaine
Le marin doit traverser l'océan tant qu'il possède un bateau ; le général doit vaincre l'ennemi tant qu'il dispose d'une armée ; le pauvre doit traire la ‟ vache d'abondance ” tant qu'elle est à sa portée ; le voyageur qui veut atteindre des contrées lointaines doit poursuivre sa route tant qu'il dispose d'un excellent cheval.
Quant à vous, qui possédez temporairement une précieuse existence humaine et recevez les instructions d'un maître spirituel, incarnation de tous les bouddhas des trois temps, pensez avec joie et enthousiasme à parcourir la grande voie du Dharma suprême en vous rapprochant toujours plus du but ultime : l'Éveil et la libération.
Shabkar Tsogdruk Rangdrol
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jeudi 27 octobre 2022
Conférence de Gilles Farcet à Paris
dimanche 17 avril 2022
Libération de Pâques
Toute voie spirituelle vous appelle à ce qu'on peut légitimement appeler la mort à soi-même, la mort à un certain niveau pour vivre à un autre niveau. " Si le grain ne meurt, il demeure seul; s'il meurt, il porte beaucoup de fruits." Laissez-moi vous citer le passage célèbre de saint Paul sur la résurrection : « Semé corruptible, le corps ressuscite incorruptible; semé méprisable, il ressuscite éclatant de gloire; semé dans la faiblesse, il ressuscite plein de force; semé corps psychique, il ressuscite corps spirituel. S'il y a un corps psychique, il y a aussi un corps spirituel. C'est ainsi qu'il est écrit: le premier homme, Adam, fut un être psychique doué de vie, le dernier Adam est un être spirituel donnant la vie. Mais ce qui est premier, c'est l'être psychique, ce n'est pas l'être spirituel; il vient ensuite. Le premier homme tiré de la terre est terrestre. Le second homme, lui, vient du ciel ". (Corinthiens 15, 42-47.)
Traditionnellement, la doctrine hindoue reconnaît deux types de libération : la libération après la mort (videha-mukti) et la libération dans cette vie (jivanmukti). Le texte célèbre de saint Paul ne peut-il pas être interprété aux deux niveaux, indiquant d'une part de quelle manière la résurrection après la mort se manifestera et d'autre part évoquant la transformation possible dans cette existence? Ce texte fait penser au témoignage que certains portaient après leur rencontre avec tel ou tel des plus grands mystiques de l'histoire ou, au xxe siècle, avec tel ou tel saint exceptionnel du Mont Athos. Mais cette métamorphose à laquelle tous sont appelés n'a jamais concerné qu'une infime minorité.
Il ne s'agit plus de psychologie, il ne s'agit pas seulement d'être moins égoïste ou plus serein, il s'agit d'une expérience intérieure bouleversante présentée comme une mort et une résurrection dans cette vie-ci, par un abandon de tout ce qui constitue aujourd'hui notre psychisme, donc un abandon de nos points d'appui habituels. Cela suppose un effacement, un silence, un « vide » dont même les mystiques chrétiens ont parlé parce qu'il constitue l'expérience mystique proprement dite. Vous ne pouvez pas à la fois conserver vos limites, vos prérogatives et être en même temps vidés de vous-mêmes pour être remplis de Dieu. Que reste-t-il, quand nous avons tout perdu, tout lâché, dans ce tréfonds du cœur ou de l'âme où nous ne sommes plus ni homme ni femme?
Qu'est-ce qui se révèle alors? Tous ceux qui ont vécu cette transformation témoignent qu'il s'agit bien d'une expérience radicale qui est la plus haute possibilité d'accomplissement offerte à l'homme. La question est de savoir si nous aspirons ou non à cette réalisation d'un autre ordre. Elle ne passe pas forcément par le martyre physique qu'ont connu les premiers chrétiens mais par un abandon, un don de soi total à cette vie qui transcende nos limitations : " Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi." Mais très peu de chrétiens entrevoient le christianisme, surtout à notre époque, comme l'appel à cette réalisation mystique.
Un tel passage ne s'opère pas tout seul, parce que nous sommes attachés à notre manière d'appréhender la réalité dans la dualité, au travers du désir et de la peur, fonctionnement que les enseignements orientaux ont, eux aussi, très bien décrit de leur côté. L'homme a toujours tendance à rabaisser des enseignements transcendants, à les ramener à son niveau. Il commet l'erreur de vouloir faire entrer un enseignement original parlant de choses nouvelles dans ses catégories mentales habituelles. Le préalable à une véritable compréhension est donc un effort d'ouverture, de silence, d'oubli de nos opinions, pour que l'enseignement des Évangiles puisse pénétrer en nous et nous transformer de l'intérieur.
Arnaud Desjardins, En relisant les Evangiles
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