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vendredi 8 novembre 2024

Tout faire un peu plus lentement


Dans sa lettre d’octobre, Jacques nous invite à ne pas séparer dans notre quotidien « l’action, reliée aux intentions de l’être, et l’activité, orientée vers un but extérieur » ou encore « l’infaisable et le faire ». Pour ne pas se laisser emporter par l’activisme journalier, une indication est précieuse dans le zen : tout faire un peu plus lentement.

Indication donnée par K.G. Dürckheim à Jacques à la fin de l’une de leur première rencontre : « si vous voulez pénétrer le monde du zen, je vous invite, les jours à venir, à tout faire un peu plus lentement ». Il n’échappe à personne que la mode actuelle est à la performance, la vitesse et l’efficacité, quelle que soit l’activité.


Tout faire un peu plus lentement, avant de devenir un acte sacré, est un sacré apprentissage !

Je m’en suis rendu compte dans le domaine de la montagne que je connais bien ; j’ai pu sentir combien cette indication était finalement bien plus difficile à mettre en œuvre qu’une pratique habituelle, bien réglée et mécanique, basée sur la vitesse et la performance.

La montagne, lieu de contemplation par excellence, n’échappe pas à la règle. Trails, ultra-trails et courses diverses et variées fleurissent un peu partout dans les Alpes. Les yeux rivés sur le chronomètre ou la montre connectée, nous nous fions à ce que nous disent les instruments, et faisons peu de fi de ce que nous ressentons et de ce qui nous entoure.

Seuls comptent les chiffres que nous indique l’écran : gagner quelques minutes, quelques secondes, quelques mètres. Ces activités se situent principalement dans une optique crispée et volontariste, s’appuyant sur un instrument supplémentaire que l’on appelle « mon corps », au service des attentes et des objectifs du mental.

L’obsession du chronomètre, d’une distance à parcourir, d’une altitude à dépasser, c’est la toute-puissance du temps pensé et de l’espace pensé, ce qui se mesure, se contrôle, sur le temps vécu et l’espace vécu, insaisissable moment qui ne se goûte qu’au présent.

C’est la toute-puissance du mental et du corps outil sur la sensorialité du corps vivant.

Toujours ailleurs et plus tard, quand j’aurai accompli ceci ou cela … enfin la paix ? Rien n’est moins sûr.

Apprendre à ralentir, ce n’est pas s’engager dans une lenteur, mais juste ralentir un peu, très légèrement, changer ses habitudes, transformer sa mécanicité en acte plus conscient.

Cela ne se remarque pas de l’extérieur, ou à peine, mais intérieurement, il se passe quelque chose de très riche : l’initiation, l’invitation à la Présence.

Tout faire un peu plus lentement demande une grande attention, non plus aux instruments de mesure divers et variés, mais au corps, à ses rythmes et ses gestes vitaux.

Plus vigilant, plus à l’écoute de ma manière d’être, suis-je vraiment en train d’habiter ce que je suis en train de faire ? Etant présent à tout ce qui vient de l’extérieur, suis-je vraiment en train de répondre à ce que la situation propose, exige ?

Dans toute action, il est possible de redécouvrir et de nourrir une autre manière d’être, une autre relation au corps et au monde.

Par un retour attentif aux actions vitales, spontanées, naturelles du corps vivant, je peux commencer à sentir ce qui m’anime, me nourrit, me porte et me met en relation à ce qui m’entoure. Le corps n’est plus l’instrument du mental, mais devient le centre vital de l’action et donne sens, richesse et profondeur au geste pratiqué de manière plus juste ; plus juste parce que plus en accord avec les lois du vivant. Paradoxalement, cette démarche intime et intérieure me plonge au cœur de la relation au monde.

Quelles sont ces actions naturelles, spontanées qui n’ont rien à voir avec mon désir de performance ? Va-et-vient du souffle, rythme cardiaque ... Forme et tenue corporelles plus justes (les 4 attitudes dignes), actions sensorielles : ce que je sens, ressens, vois, entends …

Cette présence vitale est la source de ma vraie nature, en même temps que le lien qui m’ouvre à un regard neuf sur le monde, comme l’illustre ce dialogue rapporté par Jacques lors d’une promenade en forêt avec Dürckheim :


« - Jacques que voyez-vous là ?

- Je vois un arbre, un très bel arbre !

- C’est curieux, là où vous voyez un arbre, je vois un geste de la vie. »

Cela demande une grande vigilance de sentir que, quelle que soit l’action, je ne satisfais pas seulement une volonté d’utilité ou de mainmise sur le monde, que je ne maitrise pas qu’un savoir-faire, mais que l’activité engagée ouvre sur un savoir-être, une transparence à ma vraie nature. C’est ce que nous appelons dans le zen la pratique de la voie intérieure.

« L’exercice du savoir-faire est terminé lorsque le résultat extérieur est acquis, satisfaisant. L’exercice sur la voie commence seulement au moment où l’on sait faire ce que l’on a appris en pratiquant régulièrement ; l’exercice consiste alors en une répétition perpétuelle du même geste… » nous dit Dürckheim.

Cette indication peut nous sembler bien ennuyante, mais le mot -répétition- prend une tout autre signification si nous l’entendons dans le sens de renouvellement. L’épanouissement de l’être humain peut alors se trouver dans les activités les plus banales, et la libération du savoir-être se découvre au cœur même de la contrainte existentielle ; c’est la voie du zen.

Indubitablement et quotidiennement, nous sommes effectivement dans l’obligation de répéter des activités ayant un but extérieur certain, mais nous en oublions la plupart du temps le sens sacré : le contact avec la source de toute activité. C'est-à-dire la présence et la soumission aux actions corporelles vitales, impermanentes et infaisables, qui réactualisent notre manière d’être, nos gestes, à chaque instant, et nous maintiennent au contact de l’essentiel.

Seulement ainsi, soumis à un changement permanent, voulu par la vie, nous sommes une

Personne en devenir, interagissant avec l’Ensemble, un être « divinement humain ».

Si les lois du mental nous enferment dans un besoin de normes et de mesures, dans un savoir figé et limité à notre besoin de compréhension et de maîtrise de notre existence, les lois du corps vivant nous ouvrent à une connaissance illimitée ; illimitée parce que sans cesse renouvelée par l’acte d’être. Sortir de la banalité demande à prendre au sérieux l’instruction de tout faire un peu plus lentement, afin de faire l’expérience que « Le zen n’est pas un art de vivre, c’est devenir un artiste de la vie » D.T. Suzuki

Joël PAUL 

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mardi 15 octobre 2024

La pratique de la Voie dans le quotidien ?

 "Lorsque vous pratiquez zazen, le corps prend la forme du calme" (Hirano Rôshi)

Il ne s'agit pas d'un dogme. A chacun de vérifier si c'est vrai. Comment ? Je ne vois qu'un seul moyen : en pratiquant fidèlement zazen.

Une pratique qui a été décrite dans des Lettres d'Instant en Instant antérieures. S'il vous arrive, au cours de cet exercice que l'on fait à un moment de la journée en étant à l'écart des obligations quotidiennes, s'il vous arrive de vous sentir habité par ce calme qui n'est pas le contraire de l'agitation mais l'absence d'agitation, une question s'impose : ce calme intérieur peut-il déborder dans ma vie de tous les jours ?

Ce n'est que dans la mesure où cette manière d'être qui révèle que je suis en contact avec ma vraie nature imprègne ma manière d'être au monde que l'exercice a un sens.

Si le maître Zen est là pour nous apprendre comment pratiquer zazen, il est également là pour attirer notre attention sur le comportement correct à adopter dans tous les moments de notre vie quotidienne, ce qui est désigné par l'expression japonaise Shiigi que l'on peut entendre comme étant les quatre attitude dignes : en marchant (gyô), debout (jû), assis (za), allongé (ga).1

En 1960, dans son livre Der Altag als Ubung (Le quotidien comme exercice),2 Graf Dürckheim souligne l'importance de notre manière d'être en tant que corps vivant (Leib). : "Tout ce que nous entreprenons dans le monde, nous l'effectuons dans une certaine attitude corporelle. L'objet de notre entreprise appartient au monde, mais dans l'attitude, dans la façon de faire, l'homme s'exprime soi-même !"

Et il prend comme exemple une activité quotidienne aujourd'hui quasiment révolue : poster une lettre à la boîte aux lettres.

"Poster une lettre à cent pas de l'endroit où on se trouve signifie cent pas de perdus si l'on ne donne à cette action que le but de jeter la lettre dans la boîte. Par contre, s'il s'agit d'un homme sur la voie, alors, même la distance la plus courte lui donnera l'occasion de se mettre en ordre intérieurement, de se renouveler par le contact avec son être essentiel, à condition de parcourir cette distance dans une attitude juste. Il en sera de même pour toutes les activités quotidiennes".

Graf Dürckheim dans les années soixante, Hirano Rôshi au cours des dix dernières années lorsqu'il a animé des sesshin au Centre, comme Dôgen Zenji (3) au 13ième siècle, nous invitent à distinguer action et activité.


Chaque jour je marche pendant une dizaine de minutes pour me rendre sur mon lieu de travail.

Marcher est dans ce cas une activité en relation avec un but extérieur, une nécessité existentielle. Soumis à certaines conditions, comme par exemple l'heure d'un rendez-vous, je vais marcher plus ou moins vite.

Au Dojo, j'exerce la marche lente appelée Kin-Hin. Au cours de cet exercice je suis attentif à la tenue juste (ni crispé ni avachi), attentif au rythme grâce auquel le passage d'un pied sur l'autre se fait dans un parfait équilibre. Marcher est dans ce cas une action qui exprime et en même temps imprime ce qu'on peut désigner comme étant les intentions de l'être.

Les intentions de l'être ? De même que l'acte de respirer - cette action vitale - l'acte qu'est marcher est inné. L'inné précède l'héritage génétique et les conditionnements acquis. Respirer, marcher, ces actions infaisables qui ne sont pas du ressort du moi, expriment et révèlent la présence dynamique de notre propre essence. Il en est de même du calme intérieur, cette valeur de l'être trop souvent ignorée. "Je ne souffre pas d'un manque, je souffre d'ignorer ce qui ne manque pas" (Graf Dürckheim).

Action et activité. L'infaisable et le faire.

Il ne s'agit pas d'opposer ces deux modes d'agir. Il s'agit de les harmoniser, de les entrelacer. Jusqu'à ce que leur interaction devienne notre manière de vivre, notre manière d'être au monde. Entrelacement du moi existentiel, du moi mondain et de notre être essentiel.

Tchouang Tseu (4) parle de la relation entre le ciel et l'humain.

À la question - qu'entends-tu par le ciel ? - le penseur chinois répond : "Les chevaux et les buffles ont quatre pattes : voilà ce que j'appelle le Ciel".

À la question - qu'entends-tu par l'humain ? il répond : " Mettre un licou au cheval, percer le museau du buffle : voilà ce que j'appelle l'humain".

Et il ajoute : "Veille à ce que l'humain ne détruise pas le céleste en toi". Veille ! Veiller est le verbe qui traduit le plus justement le kanji -Zen-.

Zazen ? Veille à ne pas déranger l'infaisable avec ce que tu fais ! Kin-Hin ? Veille à ne pas déranger l'infaisable avec ce que tu fais !

L'exercice dans le quotidien ? « Il n'y a rien de spécial dans ce que je fais chaque jour. Je me contente de me tenir en harmonie avec toutes choses. (...) Les pouvoirs surnaturels et les travaux qui provoquent l'admiration ne sont rien d'autre que de chercher de l'eau et ramasser du bois ».

Quoi que tu fasses, veille à ne pas déranger l'infaisable avec ce que tu fais !

Jacques Castermane


1 Hirano Katsufumi Rôshi - ENSEIGNEMENTS - p. 29 - Compilation par J. Derudder – éd. Unicité

2 Pratique de la Voie intérieure – Le quotidien comme exercice – K.G. Dürckheim – éd. Le Courrier du Livre

3 Dôgen Zenji (12ième Siècle) Fukanzazengi : Règles et méthodes pour la pratique de zazen

4 Leçons sur Tchouang-Tseu - J.-F. Billeter - p. 47-48 – éd. Allia

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mercredi 9 octobre 2024

Absence de désir

 Je partage ce beau texte d’un homme que je ne connais pas - à priori- mais dont le propos résonne en moi. - Gilles Farcet

DESIRELESS SANS VOYAGE

Il est une absence de désir qui n’est pas la dépression, qui n’est pas l’ennui.
Qui n’a absolument rien à voir avec le désenchantement. Ce désir réduit à la portion congrue d’un bon café au soleil du matin, d’une bonne douche chaude au cœur de l’hiver, est affaire de maturité. Dans ses deux formes. Lié d’abord à ce qu’on appelle euphémiquement « l’entrée dans l’âge » et le bénéfice des mille et un désirs déjà satisfaits mille et une fois. Et puis, il y a pour ceux qui cheminent sur la « voie », quelle que soit la forme que celle-ci peut prendre (yoga, zen avec ou sans entretien de motocyclettes, cuisine, pêche au lancer, macramé, sculpture sur soi, collection de boomerangs, barfly…), une maturité que j’ose qualifier de sagesse, moi qui suis tout sauf un sage. Pas même une « sage personne » par la seule grâce des années. Ainsi la méditation de ce matin, zazen en l’occurrence, n’était-elle pas des plus intenses sur l’échelle du satori. Un satori à 10 dollars, certainement pas à 100 dollars, pour reprendre cette image qu’ont pu proposer certains maîtres zen américains (Alan Watts ? À confirmer). Une méditation durant laquelle j’ai surtout oscillé entre somnolence et agitation intérieure. Qu’importe… Se laisser transformer par l’exercice, jour après jour, qu’il soit agréable, désagréable ou neutre. Observer surtout les passages entre les trois types de vécu. Faire confiance à cet invisible pouvoir de transformation dans la régularité de la pratique. Comme une lente, très lente, très très lente, érosion de la gangue de l’ego vers cet être essentiel qui, à l’insu de notre plein gré, est invité à s’exprimer dans nos quotidiens les plus prosaïques. Une de ses expressions visiblement : cette absence de désir sereine, positive, apaisante. De la même manière, dans le même esprit, que l’esprit shikantaza de zazen : juste s’asseoir. Juste marcher, tel « L’homme qui marche » de Taniguchi. Juste aller à la prochaine place du quartier, plutôt qu’au bout du monde. Juste regarder. Juste sourire aux gens. Juste acheter de quoi composer mon prochain repas. Juste être là. Sans exotisme, sans grande aventure sur l’axe du loup. Sans péripéties ni wow effect. Sans dépaysement autre que la surprise d’un laurier en fleurs jaillissant entre deux immeubles de la deuxième rue à droite. A la manière d’un Bobin en son Creusot natal, d’un Thoreau en son Walden : juste arpenter son petit royaume que bouleversent des évènements que personne ne voit. A part les enfants... Oui, juste arpenter mon environnement le plus proche, dans sa subtile impermanence. Juste entrer en relation par la seule contemplation. Et se laisser gagner par cet amour inconditionnel qui est notre nature première à la naissance, et non celle du « péché ». Nous serons sculpteur d’homme dit le philosophe… Un être essentiel à extraire de sa coque. Un nucleus a révéler. Par la répétition, têtue mais confiante, d’un geste, d’une technique. Mon marteau et mon ciseau ? J’ai décidé désormais de faire confiance à la pratique de zazen. Sans la sacraliser. Tant d’autres voies, tant d’autres pratiques opérantes à disposition. Avec ou sans lien explicite avec la spiritualité. Je ne suis plus tout jeune. Je suis loin d’être vieux. Mais tant de désirs longtemps si importants en moi, se dissipent, s’effacent. Des éléments de ma vie si longtemps présents en moi, comme autant de désirs qui tinrent une si grande place, s’éloignent, sortent justement de ma vie, se meurent insensiblement : créer un média, revoir le Madagascar de ma jeunesse, arpenter la montagne, vivre à la campagne, monter un dojo… Ils sont devenus du passé. A l’automne de ma vie, il me reste peut-être finalement cet unique désir : pouvoir toucher du doigt cet être profond et l’inviter à se mêler le plus souvent possible de mon quotidien d’être incarné. « Maître, la voie consiste-t-elle à renoncer au vouloir ? - Nullement, jeune padawan, c’est vouloir ce qui est. »

Stéphane Robinson (Nice, le 21 septembre 2024, Libération)

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mardi 10 septembre 2024

Du bon usage de la conscience

  


« L’importance donnée au hara représente la relation originelle de l’homme avec les puissances de la grande vie. Cette conscience est le lien non encore rompu avec la nature. Hara est un don originel fait à l’homme. Sur ce chemin qu’est le zen, nous avons le devoir de nous relier, consciemment cette fois, aux forces de la grande vie ; nous avons le devoir de reconquérir notre vrai centre. »  K.G.Dürckheim

Ces quelques mots - consciemment cette fois - ont toute leur importance ; l’être humain connaît déjà cette manière d’être. C’est ainsi que nous avons commencé notre existence, baignant dans l’inconscience de notre sort, sans volonté ni mental, portés par une conscience vitale, primaire, corporelle et sensorielle. Alors, conscience ou inconscience ?

D’un certain point de vue, nous pourrions dire que depuis la fécondation, nous sommes sur la Voie. Le corps est un incessant processus vivant, comme nous le montrent les imageries médicales de la vie intra-utérine. Nous sommes soumis aux lois de la nature : pas de mental pour la multiplication des cellules, du ‘haricot’ à l’embryon, de l’embryon au fœtus …

Passage d’une forme à une autre : tout est action, geste vivant transformateur.

Déjà, fœtus, je sens, je ressens, j’entends, je goûte ... Puis, le passage de la matrice à l’extérieur engendre d’autres transformations, d’autres actions : une autre respiration, puis tous les gestes innés du bébé se mettent en place mois après mois : sur le dos, sur le ventre, sur le côté …

Ramper, s’asseoir, se mettre debout, puis quelques pas … Je suis corps vivant, mis en forme, en geste par la Vie.

Cette gestuelle parlera à tous les participants aux retraites du Centre Dürckheim !

Que ce soit dans la vie intra-utérine, dès les premiers instants, « Cela » se transforme sans arrêt, puis ensuite, bébé, « Cela » agit, prend forme ; forme voulue par la vie, forme portée par des actions vitales. Dans la tradition zen, le maitre de tir à l’arc dira : « Ne tirez pas, laissez cela tirer ! »

« Hara – centrés » (bassin et ventre), c’est comme cela que nous avons débuté notre existence, emportés par l’énergie vitale, le Tao - l’ordre des choses - tel le petit animal (étymologiquement, un être doué de vie) que nous sommes, sensoriellement ouverts à tout.

Cette inconscience vitale, faite de force et de vulnérabilité, de dépendance en même temps que d’innocence, de simplicité et d’abandon, est « ce don originel fait à l’homme », source de notre existence terrestre.

« Inconscience vitale » qui fascine et fait trembler les adultes que nous sommes devenus. Mais peut-on parler d’inconscience chez l’enfant ?

« L’enfant ne sait pas qu’il vit, il vit ! ».

Adultes, nous redoutons cette inconscience car nous sommes tombés dans une autre forme de conscience, propre à l’être humain : la conscience objectivante, rationnelle et explicative, avec ce besoin effréné de comprendre et de maitriser notre existence à tout prix.

Nous devenons des êtres pensants, « égo-centrés », c'est-à-dire centrés dans notre tête, et non plus dans le centre vital du bassin, du ventre.

Peu à peu, « je pense donc je suis » remplace et occulte « je respire donc je suis ».

Cette forme de conscience ne peut plus accepter, ou alors très difficilement, cet état d’abandon face à l’incompréhensible, l’inattendu ou le renouveau de la vie.

Mais, adultes, (et c’est notre chance !) nous restons aussi fascinés par cet état d’innocence et d’abandon propre à l’enfance, nostalgiques de cet état que nous avons déjà vécu.

Etant adultes, devenus des êtres de raison, nous avons à redécouvrir, « consciemment cette fois » ce que finalement nous connaissons depuis toujours : l’appartenance à cette conscience vitale, pré-mentale, source de toute vie. Il ne s’agit pas de renier l’intelligence propre à l’humain et ses capacités extraordinaires, mais de retourner vers une forme de conscience plus ouverte, plus large, plus inclusive : une conscience corporelle, sensitive qui nous relie à l’intelligence vitale.

« Remplaçant les forces naturelles inconscientes constituant sa base par les forces de son esprit rationnalisant et sa volonté, l’être humain devient un moi conscient de lui-même et autonome ; mais, ce faisant, il oublie d’où il vient ». K.G. Dürckheim.


Toutes ces actions qui nous portent et nous transforment depuis nos premiers instants sont encore là aujourd’hui, pour chacun d’entre nous, quel que soit notre âge, notre activité et notre intelligence rationnelle. Le soulagement évoqué après une retraite dans le témoignage ci-dessous nous rappelle que cette première conscience océanique n’est jamais perdue mais seulement oubliée, mise de côté.

« Après ce séjour, le soulagement est certainement ce qui m’a le plus saisie.

En sortie d’études, avec des années passées à fonctionner avec la tête et le raisonnement, assujettie aux injonctions personnelles de toujours faire plus et mieux, l’anxiété a commencé à faire son nid, mettant en sourdine les moments de sensibilité et de connexion avec moi-même et le monde qui m’entoure. “Pas le temps de prendre le temps”, “Pas le temps de s’arrêter un instant”, “Pas le temps d’observer, de ne rien faire”… Toujours faire plus, aller plus loin, plus vite et refaire mieux.

Alors je suis émue et soulagée par ce rappel que l’essentiel n’est pas là, tout au contraire. Émue et soulagée d’avoir perçu que cette connexion à l’essentiel est belle et bien réelle, qu’elle est toujours là. Émue et soulagée car il y a en effet une manière d’être, ou de se laisser être, révélatrice de sens et qui donne à vivre des moments vrais, sensibles et apaisants. »

Une manière d’être, hors de cette habitude de tout aborder par la pensée, que l’exercice, sur la voie du Zen, nous révèle. Nous sommes déjà, encore, toujours, ce que nous cherchons.

Joël Paul

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vendredi 16 août 2024

Deux réalités (fin)

 Il n'y a pas de séparation, pas de dualité, pas d'opposition entre la vague et l'Océan, entre le moi existentiel et notre réalité essentielle.

La souffrance propre à l'être humain, souffrance fabriquée mentalement, est la souffrance de la séparation. Une souffrance qui n'a donc pas une cause réelle mais notre représentation mentale du réel. Représentation que je me fais ou représentation à laquelle on m'invite à croire (le credo) ou à laquelle on m'oblige à adhérer (le dogme).

La vague qui pense être séparée de l'Océan, l'homme qui pense être séparé de sa propre essence souffre ; l'homme souffre d'un manque.

Non. Il souffre de l'impression d'un manque.

“Je ne souffre pas de ce qui manque ; je souffre d'ignorer ce qui ne manque pas.” K.G.Dürckheim


Afin de perdre l'ignorance, le maître Zen nous invite à nous mettre en chemin. Le chemin est la technique, la technique est le chemin. Un chemin d'expérience et d'exercice.

Vous êtes actuellement en vacances au bord de l'Océan. Profitez-en pour vous allonger à la surface de l'eau, et laissez-vous porter par cette action de l'Océan qu'est le va-et-vient des vagues. Comme, lorsque vous pratiquez zazen, vous vous livrez au va-et-vient qu'est le souffle vital. Ne rien faire, rien. Et le corps vivant que nous sommes prend de lui-même la forme du calme.

“La meilleure façon de purifier une eau boueuse est de la laisser tranquille.” (Alan Watts)

Jacques Castermane

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jeudi 15 août 2024

Deux réalités (1)

 

Tout être humain est tendu entre deux réalités

« L'homme est tendu entre deux réalités : sa réalité existentielle au cours de laquelle il se sent menacé — la durée de son existence dans le monde — par le chaos des événements extérieurs ET sa réalité essentielle, qui n'est autre que sa vraie nature, ce que j'appelle son être essentiel. » (K.G. Dürckheim)

"L'homme se sent menacé — la durée de son existence — dans le monde" ! Cela a toujours été et l'est encore aujourd'hui.

Aujourd'hui comme hier la menace relève de la puissance de la Nature. Ici un tremblement de terre ; là un tsunami. Ici une sécheresse ; là une inondation. Aujourd'hui plus qu'hier des dangers relèvent de la prétention de l'être humain. Exemple : identifié à son ego la vanité de l'homme est telle qu'il pense vivre – dans – la nature et qu'il peut donc dominer, contraindre, ce quelque chose à quoi il fait face. En réalité, comme tous les êtres vivants, l'homme vit – de – la Nature.

La vraie nature de l'être humain, sa réalité essentielle, est de la même Nature que la Nature.

La Nature est notre propre essence, notre réalité essentielle. Pour se libérer de cette menace le devoir de l'homme est de se mettre au service des lois de la Nature. Je crains que l'obsession de l'intelligence artificielle l'en dispense plus encore.

Lorsque, au début de mon séjour à Rütte (1967), j'ai dit à Graf Dürckheim que je n'arrivais pas à comprendre la relation entre ce qu'il désigne comme étant notre être essentiel et ce qu'il appelle le moi existentiel, il a souri et m'a dit "Je vous comprends ! Parce qu'on ne peut pas comprendre cette relation. Mais vous pourriez commencer par lire un récit qui me donne l'impression d'être une véritable clé de compréhension de la souffrance qui est propre à l'être humain. Cette allégorie attire notre attention sur la relation de la vague avec l'Océan".

Quel est ce récit ?

Le lendemain, sous la porte de ma chambre, s'était glissée cette métaphore qui répond à la question : « Qui suis-je ? »


LA VAGUE ET L'OCEAN.

« La vague n'est pas un objet différent de l'Océan, quelque chose qu'il serait possible de séparer de l'Océan. Le sentiment qui anime la vague tout au long de son parcours en surface, dans ce qu'on appelle le monde, est le sentiment de sécurité.

La sécurité ! Comment se fait-il ? Parce que la vague se sent UNE avec l'Océan.

Si la vague se différencie de l'Océan en pensant il y a moi et en dessous de moi il y a quelque chose, l'Océan, son parcours en surface est animé par l'angoisse et les états qui l'accompagnent. »

Cette allégorie reprend ce qui est commun à la plupart des voies de sagesse qui ont leurs racines en Orient et en Extrême-Orient.

Tout enseignant du Yoga, du Tai-Chi-Chuan, du tir à l'arc (Kyudo), de l'art du thé (Chado), de l'art du combat au sabre (Kendo), de l'art de la calligraphie (Shodo) devrait lire et relire ce qui est la clé de compréhension du fondement des ces pratiques à la fois différentes et identiques.

L'affirmation qui est commune à tous ces enseignements est que profondément, dans son essence, l'homme est réellement libre, calme, confiant. Comme la vague je peux envisager un parcours dans le monde dans la ... sécurité.

L'Océan est la matrice de chaque vague. De l'Océan s'extrait chaque vague. Chaque vague n'est autre que l'Océan. Il serait prétentieux de dire "Je suis l'Océan...!" Mais j'ai le droit de dire que "Jesuis un paquet d'Océan!"

Dans les années 1930, Graf Dürckheim pratique l'exercice appelé zazen et le tir à l'arc (Kyudo) depuis quelques mois. À D.T. Suzuki, qui lui a conseillé de ne pas aborder le Zen à travers son entendement de philosophe mais en entrant dans la pratique d'un exercice, il dit "Si je comprends bien, le Zen ouvre sur l'expérience d'être comme un poisson dans l'eau ?"

Réponse immédiate de Suzuki :"Non. Le Zen ouvre sur l'expérience d'être comme l'eau ... dans l'eau".

La Voie tracée par Graf Dürckheim, le Zen dans ce que cette tradition recèle d'universellement humain, me libère de l'illusion que la Vie est – dans - le vivant, me libère de l'illusion que l'Être est – dans - l'étant.

Le vivant, le corps vivant que je suis (Leib, IchLeib) "EST" la vie qui d'instant en instant prend forme existentielle.

Le corps n'est pas le contenant d'un contenu ... la Vie. De même que la vague n'est pas le contenant d'un contenu ... l'Océan.

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Jacques Castermane

A suivre.

lundi 12 août 2024

Histoire Zen


Taiyô Kyôgen (943-1027) et son maître allèrent présenter leurs condoléances à la famille d’un ami décédé.

Taiyô Kyôgen demanda à son maître : « Est-il vivant ou mort ? »

Le maître répondit : « On ne peut pas dire qu’il est vivant, on ne peut pas dire qu’il est mort. »

Taiyô Kyôgen demanda alors : « Pourquoi ne peut-on pas dire cela ? »

Le maître lui dit : « Si on ne peut pas le dire, on ne peut pas le dire. »

Taiyô Kyôgen se mit en colère : « Vous feriez mieux de me le dire ou je vous frappe ! »

Le maître répliqua : « Si tu dois me frapper, frappe-moi. Je ne le dirai toujours pas. »

Taiyô Kyôgen demanda alors : « Quel genre de maître êtes-vous ? Vous savez et pourtant vous ne voulez pas le dire à votre disciple. »

Taiyô Kyôgen frappa le maître et s’en alla. Quelque temps plus tard, son maître mourut. Taiyô Kyôgen trouva un autre maître nommé Ryôzan Enkan et lui posa la même question.

Ryôzan Enkan répondit : « On ne peut pas dire qu’il est vivant, on ne peut pas dire qu’il est mort. »

En entendant ces mots, Taiyô Kyôgen accéda à l’éveil.

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lundi 15 juillet 2024

Essence et existence



Inévitablement « L’homme vit sa vie dans deux dimensions » nous dit K.G. Dürckheim, qui nous rappelle aussi que la complétude de l’être humain se réalise « avec un pied dans l’existence et un pied dans l’essence ».

L’existence, domaine du faire, de la conscience rationnelle, de la réussite dans le monde, et l’Essence, domaine du laisser-faire, de la conscience océanique, de notre vraie nature immuable et indépendante des circonstances, sont souvent opposées l’une à l’autre.

Il est très difficile de s’imaginer vivre une existence humaine autrement qu’à travers la seule approche d’un moi accaparé par la réussite dans le monde.

La possibilité même d’un autre épanouissement appelé « Percée de l’Être », « Eclosion de notre vraie nature », « Plus haute possibilité humaine », n’est même souvent jamais envisagée.

L’image de la vague et de l’Océan, paraissant deux entités séparées mais en réalité de même nature, est souvent employée pour décrire ces deux aspects de l’existence, sans lesquels l’être humain ne serait pas complet, unifié et apaisé.

La plupart du temps, mettant allègrement de côté notre profondeur, nous ne vivons pas, nous nous contentons de gérer notre existence. « Il faut que » et « je dois » sont sans doute les débuts de phrase les plus utilisés dans une journée.

« Il faut que » : je sois utile, rentable et performant dans toutes mes activités, et « je dois » organiser rationnellement mon temps, mon énergie afin de faire face à mes obligations, et caser la multitude de choses à faire.

Cette manière de mener son existence, vécue sous le signe du devoir faire et du contrôle, est une vie où l’être humain ne peut compter que sur lui-même, sa volonté et ses propres forces. Ainsi,

« Moi », je suis vague isolée parcourant l’existence en luttant, coupée de la nature de l’Océan qui me porte, m’anime et me relie à tout ce qui vit.

Graf Dürckheim, il y a quelques décennies, parlait déjà de notre fascination pour l’homme d’action : « On dit : c’est un homme d’action ! C’est une parole bien d’aujourd’hui, mais il y a un excès du faire qui élimine la chance du devenir… »

Le besoin compulsif de faire par nous-mêmes, fonctionnement égocentré, nous empêche donc de nous relier à notre être véritable et de sentir les lois du devenir propres à l’être vivant que nous sommes. Lois qui nous maintiennent sur le chemin de transformation et de maturation permanent qu’est Vivre, lois qui nous relient à la profondeur de l’Océan.

Ce que K.G.Dürckheim nomme « chance du devenir », c’est remettre au centre de l’existence humaine le lien à « la Grande Vie ». Il ne s’agit pas d’opposer essence et existence, ces deux aspects de la vie humaine, mais de les réunir en redécouvrant, tout en vivant notre existence de vague, le lien à l’Océan que nous sommes. « Quel mystère, je respire, et je n’y suis pour rien ! »

En tant qu’être humain, je peux redevenir conscient que mes forces profondes, ma vraie nature ne m’appartiennent pas, et reposent sur ce que je ne peux pas faire, « l’infaisable », ce qui est déjà là avant les « il faut que » et les « je dois ».

Cette autre manière d’être nous ouvre à la source de ce que nous sommes déjà, développement impersonnel de la vie en nous, indépendante de ce que nous gagnons par nos efforts, que nous aimons appeler développement personnel.

Nous passons de l’insatiable désir de possession égocentré, à la reconnaissance immédiate de notre complétude, un Être s’accomplissant sous une forme individuelle de vague, relié encore et toujours à l’Océan.


Ainsi, vivre n’est pas qu’une accumulation d’avoirs, de savoirs, de pouvoirs à notre service, mais un don originel toujours en action, en devenir, qui dépasse la seule identification à cet être de raison boulimique, l’ego, qui emprisonne et fige notre vraie nature.

Cette chance du devenir nous parle très concrètement d’une autre possibilité de vivre notre existence, en contact avec le point d’appui inébranlable, immuable qu’est le lien à l’Océan, notre nature essentielle, de laquelle nait et se nourrit notre individualité de vague. Dans le langage du corps vivant, ce point d’appui individuel s’appelle Hara, centre vital de l’être humain.

« En Za-zen, je n’ai pas à me transformer, mais à reconnaitre, accepter, favoriser une transformation naturelle voulue par la vie ; ainsi je me donne à ce qui m’est donné ». J. Castermane

Toujours, lorsque nous pratiquons un exercice sur la voie du zen, il s’agit de reconnaitre qu’une action plonge ses racines dans le non-faire, le non-égo, dont la source est le bassin, le bas-ventre, siège des forces vitales, du renouvellement, de « la transformation sans arrêt de la forme corporelle ».

Joël PAUL

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mardi 14 mai 2024

Le Zen : une voie de l’action ?

 

Quelle étrange formule pour désigner ce qu’est la Voie du zen, qui semble bien en décalage avec l’idée que l’on s’en fait, à savoir le Bouddha (ou tout autre pratiquant), assis en méditation, impassible, serein et parfaitement immobile.

Une action, cette attitude qui semble bien passive ?

Cette appellation « Voie de l’action » est pourtant tout à fait justifiée, et concerne des niveaux de compréhension et de pratique qui, bien que très différents, sont intimement liés. Le zen :

1 Une voie de l’action dans la pratique régulière d’un exercice spécifique

2 Une voie de l’action dans notre vie quotidienne

3 Une voie de l’action dans la libération de l’infaisable acte d’être.

1 « On ne peut comprendre ce qu’est le Zen que si l’on pratique un exercice … »

Voilà le propos que K. G. Dürckheim a régulièrement entendu au Japon, alors qu’il manifestait un intérêt certain pour le zen. Sous-entendu, « lâchez vos livres, vos savoirs, votre besoin intellectuel de comprendre, et pratiquez un exercice auprès d’un maitre de l’exercice » !

Traditionnellement, les exercices sur la Voie ne manquent pas, qu’ils soient artistiques, artisanaux, martiaux ou issus de la vie quotidienne. Pour comprendre ce qu’est le Zen, l’élève doit donc choisir et pratiquer un exercice spécifique, toujours le même, de manière régulière, sous peine de ne jamais pénétrer le monde du zen.

Cela peut être le tir à l’arc, l’aïkido, la cérémonie du thé, la calligraphie … ou plus simplement za-zen (l’assise), kin-hin (la marche lente). Za-zen et kin-hin sont les deux principaux exercices que nous pratiquons au Centre Dürckheim lors des retraites et sesshins.

Apprendre un exercice, c’est répéter un geste, ou une série de gestes, en maitriser la technique, en maitriser parfaitement la technique … et reprendre ce même exercice.

Cette action sans cesse renouvelée demande discipline, courage, persévérance et forge, au fil du temps, une stabilité et une force intérieure qui nous permettent de continuer inlassablement l’exercice pratiqué et nous gardent sur la Voie.

C’est à ce prix-là que l’on peut, d’une part, découvrir que l’exercice spécifique « déborde » sur le quotidien et, d’autre part, qu’il révèle un autre niveau d’action, qui transperce et dépasse l’attitude d’effort et de volontarisme que l’on peut mettre en place dans une telle pratique.

« Grace à l’exercice, l’homme arrive à lâcher une attitude de repli sur soi, d’autoprotection, résultant d’un manque de confiance, et peut mettre en place un moi fort, lui permettant d’assumer le monde tel qu’il est, et de rester ouvert afin que la Grande Vie coule à nouveau dans sa petite vie » K. G. Dürckheim


2 « …Et plus vous ferez un exercice à fond, plus nombreux seront les domaines de votre vie fécondés par cette profondeur » D. T. Suzuki à Dürckheim lors d’une entrevue au Japon.

Un exercice spécifique, régulier, c’est par exemple la pratique de l’assise tous les matins au lever.

Mais cet exercice ne peut féconder notre vie quotidienne que s’il ouvre sur une rupture avec notre manière d’être et de faire habituelle, et peut se prolonger dans l’existence.

Il est donc important de se poser quelques questions quant à notre manière de pratiquer za-zen, ou tout autre exercice spécifique sur la Voie.

Est-ce que je considère cette pratique comme un surplus d’activité que je m’impose, rajouté à une journée déjà bien remplie ?

Dans ce cas, l’exercice devient une activité banalisée, noyée dans « le tas de choses à faire », et doit être utile, performant, et porter ses fruits en me rendant plus efficace.

Il n’y a pas rupture avec mon fonctionnement habituel, mon besoin de faire quelque chose.

Est-ce que j’effectue cette pratique comme une parenthèse hors du temps, n’ayant aucun rapport avec ma manière d’être au quotidien ?

Dans ce cas, il y a opposition, séparation entre l’essence et l’existence, entre une pratique dite spirituelle, hors du monde, et l’affairement quotidien, et c’est une impasse.

Le quotidien, c’est une pratique de chaque instant où des instructions comme :

- Tout faire un peu plus lentement - Pleine attention à ce pas, ce geste – Se reprendre -

Prennent tout leur sens : « Ralentissement » pour vivre la retenue, la non-dispersion dans l’action, et ainsi goûter une énergie plus fine, une force plus profonde, « Pleine attention » pour ne pas retomber dans le panneau des habitudes, attentif à l’inhabituel, « Persévérance et écoute » pour retrouver une forme, un rythme, une tenue plus juste, en accord avec ma profondeur et l’Ensemble.

Dans le flux du quotidien, il n’y a de changement possible que dans l’action engagée en ce moment, pour ce moment. Par exemple, si je sens que je suis précipité, trop rapide : je ralentis. Le changement est immédiat, ainsi que ses répercussions intérieures et extérieures.

Je quitte mon fonctionnement habituel, fait de réactions mécaniques, d’impératifs, de croyances imposées par le mental, pour découvrir une autre manière d’être et d’agir.

La modification immédiate de ma manière d’être, de mon geste, est un chemin de guérison radical, sans cesse à exercer, renouveler.

Selon maitre Dogen, c’est la pratique de zazen et des quatre attitudes dignes - être debout, être assis, être allongé, marcher - qui constitue le cœur du zen.

Ces attitudes concernent toutes nos actions, notre relation au monde et à nous-mêmes, en tout lieu et en toute circonstance ; elles révèlent ainsi notre manière d’être, d’assumer dignement notre existence, ou nous montrent nos mécanicités, nos résistances et nos peurs.


3 « Maitriser parfaitement un exercice signifie libérer l’action vitale infaisable, propre au corps vivant, que le moi conditionne, entrave, contraint »  J. Castermane

Pratiquer inlassablement un même exercice, ou pratiquer la vigilance dans nos faits et gestes du quotidien, c’est s’ouvrir à un autre niveau d’action que l’on appelle « l’infaisable ».

Cette ouverture, c’est la redécouverte du centre vital de l’homme, Hara, et, par le maintien et le développement de l’attention en ce centre, soumis aux lois du vivant avant d’être sous le joug de notre mental, redécouvrir notre appartenance naturelle à la Grande Vie.

Ces deux pratiques – exercice spécifique ou le quotidien comme exercice – se nourrissent l’une de l’autre.

Ce moment si particulier de l’exercice spécifique nous permet de nous habituer à goûter notre vraie nature, moments fugaces de « touchers de l’être », ou à reconnaitre ce qui nous en sépare. Sans cette discipline dans la pratique, la reconnaissance de notre être véritable nous échapperait, resterait inconsciente. La pratique des attitudes dignes au quotidien est la mise en œuvre dans l’existence de cette reconnaissance.

« La connaissance et la pratique du lien essence / existence est l’une des clés pour progresser sur la Voie » nous dit K. G. Dürckheim

Ce lien, « l’infaisable », sans lequel essence et existence s’opposent, c’est ce que nous ne pouvons pas fabriquer, obtenir à coup d’exercices, garder pour nous ou refuser, rejeter.

Ce sont toutes ces actions qui sont déjà là, depuis le début de notre existence, qui ont leur vie propre, qui puisent leur source dans le Tao, l’ordre des choses, « l’universellement humain ».

Ce contact conscient avec ce que je ne peux pas faire, Moi, me met en contact avec l’essence même d’être vivant, d’être respiré, mis en forme, en action par la Vie.

Des actions présentes depuis la fécondation : « cela » (cellules, embryon, fœtus) se transforme, prend forme, cela respire … sans arrêt et sans mental. Des actions qui continuent chez le bébé, le petit enfant : ramper, s’asseoir, se mettre debout, voir, entendre … Les lois de la vie sont à l’œuvre, sans la présence de ce que l’on nomme par la suite la volonté.

Des actions redécouvertes et révélées sur la Voie, dans la pratique d’un exercice spécifique : forme, tenue, respiration ; voir, entendre, ressentir … actions infaisables, déjà là.

L’acte d‘Être est avant la pensée ; de cette action découlent toutes les autres.

Agir, c’est porter attention à ce qui m’anime, en deçà du besoin compulsif de faire.


Par exemple, être en relation à ce geste du souffle, qui me modèle de l’intérieur, dans une forme, une tenue, un rythme plus juste … juste parce qu’en lien avec les lois du vivant, bien différentes des lois du mental.

Agir, c’est, dans toutes mes actions, sentir ce geste du tout corps vivant que je suis, s’insérant, participant à un évènement plus vaste que « Moi » ; évènement soumis aux lois du changement, de l’impermanence, de l’interdépendance.

Agir, c’est participer à ce geste, être porté par ce geste.

Agir en lien avec l’infaisable, c’est ne plus s’opposer à ce qui apparait et disparait, à ce qui respire, se transforme naturellement, à ce geste de transformation incessant qu’est vivre.

La vie nous oblige à l’action, la présence, la participation, tout le temps.

Agir, c’est répondre à cette obligation. Alors, za-zen : une action ?

Réponse de Tchouang Tseu : « La parfaite immobilité est une action supérieure à toutes les autres »

 Joël PAUL

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lundi 8 avril 2024

La forme doit être en accord avec le fond !

 

La forme doit être en accord avec le fond !

Une injonction qui devrait ébranler ou pour le moins troubler chaque personne qui pratique et enseigne une discipline artistique, artisanale ou martiale ayant ses racines dans le monde du Zen.


La forme doit être en accord avec le fond !

La forme ? C'est le corps que nous sommes, c'est notre manière d'être en tant que corps vivant dans sa globalité et son unité.

Le fond ? C'est notre propre essence, ce qui fait que ce qui est ... est ! C'est notre vraie nature d'être humain que Okumura Rôshi désigne comme étant le soi-nu ; ce que Graf Dürckheim appelle notre nature essentielle.

Hirano Rôshi : "Lorsque vous pratiquez zazen le corps prend la forme du calme !"

Zazen n'a pas pour but d'améliorer la forme afin de s'améliorer. Zazen doit être envisagé en termes de DEVENIR et pas en termes d'acquisition d'un état d'être tel ou tel. La technique appelée -Za- n'est pas une finalité, c'est un moyen. Il nous faut reprendre cet exercice jusqu'au moment où le moyen devient une preuve.

Une preuve ? Oui. Par exemple l'expérience que "Le corps prend la forme du calme !" Une expérience intérieure, un vécu intérieur, un senti qui s'accompagne d'un ressenti. Nous devons cesser d'imaginer ou de penser qu'il serait possible, à coups d'exercices, de fabriquer un mieux-être. Lorsqu'on est motivé par cette idée on va développer l'esprit d'acquisition et / ou l'esprit de performance qui est au centre de ce qu'on appelle le développement personnel mais empêche notre devenir en tant que personne.

Le calme, le grand calme, est une réalité qui d'elle-même tente de se réaliser, de prendre forme dans le corps que nous sommes. Le calme, la sérénité, la confiance, la simple joie d'être sont des potentialités de notre propre essence, qui n'ont pas besoin d'un exercice pour se réaliser.

Par contre l'exercice est incontournable pour ne pas rester fixé dans l'EGO qui pose un voile sur ces qualités d'être qui manquent cruellement chez l'homme contemporain.

Il suffit que ce voile se lève pour que, instantanément, le grand calme envahisse notre for intérieur. Qui n'a pas fait l'expérience de ces moments privilégiés au cours desquels sans bien savoir ni pourquoi ni comment notre existence tout à coup a un sens ?

Il suffit ... ! Oui, rien de plus simple. Mais comme l'ego complique tout ce qui est simple l'exercice est incontournable.

C'est quoi l'ego ? Bien qu'elle soit à l'origine d'innombrable ouvrages qui tentent d'élargir les savoirs sur notre fonctionnement (psychanalyse, sciences cognitives), c'est une fausse question.

Il serait plus juste de se demander "c'est qui l'ego ? "

Le quoi, se rapportant à quelque chose, peut être capté dans les filets de notre conscience ordinaire : la conscience DE dont la source est l'activité mentale.

Le qui, se rapportant à quelqu'un, ne peut être découvert que par ce quelqu'un. La quête des savoirs sur soi laisse ici place à la connaissance de soi.

C'est pourquoi il est important de souligner que lorsque nous pratiquons zazen nous ne faisons rien d'autre que de faire face à soi-même.


Hirano Rôshi nous rappelle que "Il y a mille et une manière de méditer mais qu'il n'y a qu'une façon de pratiquer zazen".

Cette lettre est l'occasion de s'arrêter à un exemple :

Dans la plupart des méthodes qui proposent l'exercice de la méditation vous êtes invité à vous concentrer sur quelque chose : la respiration.

La maître Zen évite cette proposition et vous invite à exercer la pleine attention à une expérience sensible : en ce moment "Je inspire" ... en ce moment "Je expire".

Au cours de mon séjour à Rütte, en Forêt Noire, il m'est arrivé de poser une question sur la respiration. Aussitôt, Graf Dürckheim, frappant des deux poings sur la tablette de son bureau me disait (d'une voix forte) « Jacques, quand allez-vous réaliser que ce qu'on appelle la respiration ça n'existe pas ? Quelqu'un respire ! »

Quelqu'un respire ! Voilà comment on passe de la question "quoi" à l'interrogation "qui" ; comment on passe des savoirs sur soi à la connaissance de soi.

Conséquence ? Des expériences intérieures transformantes.

La première, fondamentale, vous oblige à écrire "JeInspire" en un mot ! Parce que je fais l'expérience qu'il n'y a ni distance ni écart de temps entre ce que je nomme "Je" et ce que je nomme "Inspire". Pas de dualité sujet / objet ; pas d'opposition moi /ça.

Expérience qui engendre une évidence, une vérité vraie : " JeInspire et MOI je n'y suis pour rien".

Découverte sensible, tangible, de cette part de nous-même qu'est l' INFAISABLE. Et c'est en me donnant à ce qui m'est donné que, tout à coup ou petit à petit on passe de l'agitation au grand calme, de l'inquiétude latente à la confiance.

Expérience que la forme existentielle est en accord avec le fond, l'essentiel.

Jacques Castermane

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samedi 16 mars 2024

Une efficacité vitale

 


Récemment, lors d’une promenade, je suis tombé sur la sculpture ci-dessus, et ces quelques mots de l’auteur :

« La nature est maitresse dans l’art d’éduquer à la beauté et au silence intérieur. Le répertoire des formes qu’elle propose est toujours varié et parfaitement architecturé. Travailler avec ce répertoire m’oblige à observer le rythme, la construction et l’élan de n’importe quelle tige, fleur ou graine. L’épuration et la simplicité obéissent à la règle de l’efficacité et la servent en donnant la forme la plus aboutie qui soit » .  A. Bernegger

La nature : des formes innombrables, improbables, étonnantes ; formes qui parfois nous semblent d’une rare complexité, et qui pourtant n’obéissent qu’à la règle de l’efficacité, soit : développer la manière d’être la plus simple et la plus directe pour vivre et survivre dans tel ou tel milieu, du plus favorable au plus hostile, avec une intelligence d’adaptation et d’interdépendance à l’Ensemble qui nous laisse souvent pantois, nous, l’espèce humaine.

A de rares exceptions, nous avons oublié en tant qu’humain ce que peut être une efficacité vitale.

Nous développons une « efficacité mentale », propre à nous enfermer toujours plus dans ce que nous pensons être bon, rentable, utile, confortable … pour une seule espèce : la nôtre ; et quand elle ne sert pas l’espèce humaine, cette efficacité se réduit encore à : « Moi et seulement Moi ». De ce fait, nous nous coupons de l’Ensemble, de la vie sous toutes ses formes, changeantes et interdépendantes, de cette « efficacité vitale » dont la forme la plus aboutie va droit au but : servir la vie et son devenir.

Cette efficacité, reliée à la notion de simplicité de la forme et du geste, m’a immédiatement ramené à la voie du zen, qui nous invite à « ne plus fuir l’essentiel ».

Ne plus fuir en redécouvrant notamment « ce que peut le corps » (cf. post précédent).

Question à Graf Durckheim : « quelle est la place du corps sur le chemin que vous proposez ? »

Réponse : « La première ! »

Dans le zen, lors de l’exercice, nous pratiquons la répétition et le renouvellement d’un geste ou d’une séquence de gestes, l’épuration et la simplification de la forme et du geste.

Cela nous montre comment nous ouvrir à l’essentiel, comment ne pas se perdre dans les détours de la pensée. S’exercer, pratiquer, c’est apprendre à agir de la manière la plus juste possible - forme, tenue, rythme, respiration - afin d’être en accord avec les lois du corps vivant, qui sont les mêmes que pour tout autre être vivant.

Avec la pratique d’un exercice, ce que le corps montre, prouve, c’est qu’un geste appris, répété, renouvelé, parfaitement maitrisé … redevient épuré, simple, précis, direct et efficace, tels les gestes purs du bébé.

Ce que le corps peut, c’est m’ouvrir au geste en lien avec des forces universelles (hara), en lien avec l’Ensemble, ce flux qu’est vivre, en changement et en interaction permanent.

Ce que le corps peut, c’est me relier à une forme, des gestes rythmés par la vie.

Ce que le corps peut, c’est me relier à l’infaisable, ce que le Moi ne peut pas faire ; « des actions qui transcendent les capacités de ce qu’on appelle notre vouloir ».

Nous sommes des êtres vivants avant de devenir des êtres pensants.

Ce n’est pas regretter le progrès ou décrier la grande intelligence dont l’humain est capable que de dire cela. Mais force est de constater que dans bien des domaines, la folie, la détresse et la froideur du monde technologique et rationnel actuel a privé la personne de ses racines, qui vit comme une culture hors-sol.

Si l’être humain est, à l’origine, un geste de la nature, il le reste toute son existence, indépendamment du fait qu’il est aussi un être pensant.

Le corps, avant d’être pensé, nommé, étudié et vécu en tant qu’objet, est un champ de conscience, d’actions et d’expériences, et le reste toute notre existence.

La pratique de la voie du zen nous incite à nous poser sérieusement cette question : est-il plus sage de considérer que l’objet corps est un outil de la pensée ou de considérer que la pensée est un outil du corps vivant ?

« La pensée, un outil du corps vivant ? Vous n’y pensez pas, cette façon de voir est impensable ! »

Oui, « impensable ». Mais la possibilité d’une expérience est bien réelle : le corps, champ de conscience, est la forme, le geste qui nous relie, d’instant en instant, à la source de vie que nous sommes depuis toujours, notre vraie nature, et cette expérience, qui n’est pas inconnaissable, laissera notre mental coi.

Que nous le voulions ou non, que nous en soyons conscient ou non, nous appartenons à la Vie, source et soutien de notre existence.

Le corps vivant, leib, rappelle à l’homme que sa complétude, son point d’appui, sa grandeur, est qu’il peut devenir conscient de cette appartenance à plus grand, conscient « qu’en tant que vague il est aussi océan ».

Si le corps objet sert le mental humain dans son désir d’accumulation, de performance et de domination, la reconnaissance et l’épanouissement du corps vivant nous redistribue dans ce rôle souvent oublié : servir la vie et son devenir.

 Joël PAUL

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vendredi 1 mars 2024

50 ans de pratique zen...

Entretien avec Jacques Castermane, par Eric Tariant 

enregistré au Centre Durckheim à Mirmande (26) - juin 2023


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dimanche 4 février 2024

Ce que peut le corps !

 

Au 17ème siècle, Spinoza, quelques années après la mort de Descartes, écrit que : « Le corps peut, par les seules lois de sa nature, beaucoup de choses qui causent à son âme de l’étonnement ».

Longtemps, en ce qui concerne la vie de l'être humain, la place accordée à l'esprit a été démesurée. Aujourd'hui c'est le corps qui, étonnamment, occupe une place centrale dans de nombreux secteurs de la vie humaine. En dehors des découvertes scientifiques concernant l'organisation et les fonctions du corps, de nombreuses personnes s'accordent un temps réservé au corps. À la pratique sportive, s'ajoutent les pratiques qui visent le bien-être.

Mais revenons à cette indication fondamentale : ce que peut le corps ! Pour la comprendre il faut différencier ce que - le moi peut faire avec le corps - et ce que – le corps aimerait faire de moi - ?


Ce que le moi peut faire avec le corps est spectaculaire.

Le corps, dans cette optique, est considéré comme un outil, un instrument, un moyen pour atteindre un but. D'où l'opposition entre moi et quelque chose : mon corps. Un point de vue dualiste qui fait du corps un objet (un jeté-hors).

Ce corps objectivé, Dürckheim le désigne comme étant "le corps que l'homme A" (Körper dans la langue allemande). L'incroyable capacité des contorsionnistes m'impressionne. Aussi la danseuse qui peut "faire" le grand écart latéral et antéro-postérieur. Le trapéziste qui "fait" des sauts périlleux. Le sauteur à la perche qui franchit une barre placée à plus de six mètres de hauteur. Ou ces jeunes-gens qui dansent un hip-hop acrobatique.

Quant à ce que peut le corps c'est tout simplement ce que le moi ne peut pas faire. Par exemple :

"Respirer" !

L'action vitale la plus intime et la plus sensible, l'acte de respirer, est infaisable. C'est sans doute la raison pour laquelle les différentes traditions spirituelles proposées depuis plus de 25 siècles en Orient et en Extrême-Orient sont centrées sur l'attention portée sur l'acte de respirer. Il ne s'agit pas de faire des exercices respiratoires inventés par l'homme mais d'accueillir le souffle vital initié par la vie qui nous fait vivre.

Ceci étant est-il possible de dire quels sont les exercices proposés au cours d'une retraite au Centre Dückheim ?

Graf Dürckheim définit la Voie qu'il a tracée à son retour du Japon (1947) comme étant : " Le Zen dans ce que cette tradition recèle d'universellement humain."

Chaque journée au Centre commence par la pratique de l'exercice appelé zazen. Zazen ? C'est -ne rien faire- mais à fond !

Quelques heures de pratique suffisent pour se rendre compte que le rien faire ouvre nos yeux sur l'INFAISABLE, sur cette part de nous-même de laquelle sourdent des actions qui transcendent les capacités de ce qu’on appelle notre vouloir. La première étant inévitablement l'acte de respirer.


Expérience, sensible, de ce que peut le corps, le naturel. Remonte à ma mémoire ce moment au cours duquel il était clair que je suis obligé d’inspirer et que je suis obligé d'expirer. Et que moi, capable de faire mille et une choses, n'y est pour rien. J'ai rarement fait l'expérience de ce qu'on appelle la liberté intérieure comme à ce moment-là. Et cette force transcendante, ce rythme vital absolument infaisables ouvraient la porte sur un grand calme intérieur.

L'infaisable tisse notre vraie nature d'être humain. Ce que Graf Dürckheim désigne comme étant notre être essentiel.

La personne qui apprend à se confier à l'infaisable … dans tout ce qu'elle fait … libère son état de santé fondamental dont le symptôme majeur est le CALME, le grand calme intérieur.

Je ne pratique pas zazen (le Kyudo, le Shodo, l'Aïkido, le Yoga, le Taichi-Chuan) pour gagner une médaille d'or ou une médaille d'argent c'est-à-dire pour passer d'un ego de taille XXL à la taille XXXL.

Mais alors, pourquoi pratiquer ? Parce que "Lorsque vous pratiquez zazen, le corps prend la forme du calme" (Hirano Katsufumi Rôshi)

Jacques Castermane

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lundi 8 janvier 2024

Le chemin continue...

 


Voici une belle entrée sur le chemin spirituel en 2024.

Les Films de la Table 10 sont heureux de vous informer que l'épisode 1 de la toute nouvelle série intitulée SUR LES ROUTES SPIRITUELLES est maintenant disponible gratuitement (sur viméo).

Ce premier épisode est consacré à Jacques Castermane, Joël Paul et Line Castermane au Centre de retraite Zen Durckheim situé à Mirmande. 

Sur une idée originale de Nicolas Lavroff - Réalisation : Franck Terlin - Interviews réalisés par : Arnaud Laroche et Nicolas Lavroff - Consultant : Guillaume Darcq


Quelques mots de Nicolas Lavroff au sujet de cette série: 

Cette série se fait l’écho des paroles d’Arnaud Desjardins, lors d’une interview de Marc de Smedt : « On ne peut imaginer un sage d’une tradition entrant en conflit avec celui d’une autre, représentant un monde culturel et religieux différent du sien. » 

  Cette série se propose de partir à la rencontre de traditions spirituelles et authentiques toujours vivantes et de leurs représentants qu’ils soient investis ou non d’une fonction de transmission. Elle ne vise pas à dresser le portrait d’une personne mais plutôt celui d’une voie vécue aujourd’hui. Il s’agit de saisir, au travers d’un témoignage singulier, la réalité d’une pratique ancrée au cœur du quotidien.


Cliquer sur ce lien pour voir la vidéo sur Jacques Castermane





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lundi 11 décembre 2023

De maître à pensées...

 


Nous devons cheminer entre deux risques : si nous ne suivons pas une voie traditionnelle comportant la transmission d’un maître ayant lui-même reçu cette transmission d’un autre maître, nous risquons tout simplement de ne suivre que nous-mêmes et de nous bercer de nouvelles illusions. L’autre danger consiste à suivre une tradition en se figeant dans des formes, ou dans une pratique, qui devienne l’imitation d’un idéal créant en nous une personnalité artificielle. Il est essentiel de ne jamais perdre le contact avec le sens de l’expérience en suivant aveuglément les cultes ou les croyances.

Roland Rech - Moine zen en Occident

(...) Si, en étant bien concentré sur la posture du corps et la respiration, on se met à observer l'esprit, alors on réalise que l'esprit est insaisissable car c'est l'esprit lui-même qui observe, c'est l'esprit qui pense . Si on s'avise de vouloir saisir l'esprit, cela ne peut pas être l'esprit mais une idée au sujet de l'esprit et à ce moment-là, l'esprit , au lieu d'être ce qu'il est, illimité comme le vaste ciel contenant tout, devient à son tour une pensée, une fabrication mentale, quelque chose de séparé et de limité. Alors, l'esprit perd le pouvoir de nous libérer et devient un objet d'attachement parmi d'autres. Si l'on essaye d'observer l'esprit, ce que l'on peut juste faire, c'est d'observer ce qui apparaît et disparaît d'instant en instant dans cet esprit . En étant attentif au moment de l'apparition d'un phénomène, si on observe comment surgissent la pensée, la sensation, la perception, alors très vite l'agitation mentale se calme. Très vite un espace vide apparaît entre les pensées, les sensations et les perceptions. C'est le point où observation et concentration se rejoignent. Cela permet à l'esprit de fonctionner suivant sa véritable nature, c'est à dire de ne pas s'aliéner aux choses, aux pensées en s'identifiant à elles. Et, cela ne peut se réaliser qu'instantanément."(...)

Roland Rech - la voie de l'oiseau

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