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samedi 29 juin 2024

Revenir sans cesse


Avec le temps, l'expérience qui consiste à étiqueter ses pensées « penser » devient aussi beaucoup plus claire. On peut être complètement plongé dans une rêverie, dans une remémoration du passé ou faire des projets d'avenir, totalement absorbé, comme si on avait pris place dans un avion qui s'est envolé. On est ailleurs, on est avec d'autres personnes, on a redécoré une pièce ou bien on a revécu des événements, agréables ou non, ou bien on s'inquiète énormément de quelque chose qui pourrait arriver, ou encore on retire une grande jouissance en pensant à quelque chose qui pourrait se produire, mais on y est immergé tout entier, comme si on était dans un rêve. Puis, soudain, on s'en rend compte et on revient, un point c'est tout.

C'est automatique. On se dit « penser » et, en le disant, fondamentalement, on choisit de laisser tomber ces pensées : on ne les refoule pas, mais on les reconnaît avec beaucoup de clarté et de douceur comme du « penser », pour ensuite les abandonner.

Quand on commence à se familiariser avec ce processus, on acquiert une puissance incroyable : voir que l'on peut être complètement obsédé par l'espoir, la peur et toutes sortes d'autres pensées, se rendre compte de ce que l'on fait — sans le critiquer —, et que l'on peut abandonner ces pensées.

C'est probablement l'un des outils les plus stupéfiants qu'on puisse recevoir, cette capacité de simplement renoncer aux choses, sans être pris dans l'étreinte de ses propres pensées de colère, de passion, d'inquiétude ou de dépression.

Pema Chödrön – Entrer en amitié avec soi-même

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dimanche 28 avril 2024

Routes spirituelles

En chemin vers la détente avec Jacques Castermane...


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jeudi 15 février 2024

Shiatsu en Ehpad


Une personne travaillant en ehpad s'est dit que si le shiatsu lui faisait du bien, elle pouvait le proposer aux résidents.

Ainsi, j'ai récemment pu sentir la détente se propager dans des corps en fin de vie et chez des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer.

Certaines ronronnaient pendant la séance puis avaient ensuite oublié mais j'ai ressenti que le corps n'oublie pas qu'il a reçu de la détente... au moins pendant un moment.

Une fois, une de ces personnes m'a demandé d'arrêter le contact et s'est tourné vers moi en disant : "Regarde !" et en montrant une cour déserte.

Dans un état de présence profonde, nous avons regardé ensemble la cour immobile.

Elle s'est de nouveau tournée vers moi en levant le doigt et a dit : "Ecoute !" et nous avons prêté l'oreille au silence...

Après un moment magique de contemplation commune, elle s'est retournée vers moi en disant avec sa voix fluette : "Merci !!!".

Elle avait, pour moi, résumé en 3 mots notre présence sur terre.

Gratitude !

Eric Dewulf

azur-shiatsu.com

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dimanche 7 janvier 2024

Expérience duelle


Si vous avez fréquenté un minimum les cercles spirituels contemporains, vous savez qu’il existe un engouement pour « la non dualité ». Le concept et le rythme des mots autour de ce thème spirituel provoque quelque chose en soi, éveille une forme de distance froide, une posture surplombante qui fait planer l’esprit au-delà du monde et des contraintes de l'Incarnation. Le vague adoucissement émotionnel que l'on ressent parfois à l’écoute de cette perspective est réel mais n'est pas une confirmation que nous approchons de la vérité. 

Nous vivons une expérience de dualité. C’est tout simplement indéniable. Notre monde est animé par la relation (où il faut être au moins deux). Tout se joue dans la tentative laborieuse d’incarnation de l'amour entre deux ou plusieurs êtres. Même la relation au divin doit être personnelle aussi longtemps que nous sommes incarnés. On ne peut se dissocier de cette réalité du deux, de l'autre, humain et divin. Nous aimerions ne pas être pétris par le monde, par ses affaires, par les affres des relations mais la résolution n'est pas dans la dissolution de la dualité, dans le refus des contraintes de l'incarnation, dans le rejet de l'altérité, dans la perspective de se dissoudre dans une « unité » sans substance. 

La beauté de la relation à l’autre ne surgit qu'après un chemin de va-et-vient ou l’on réalise qu’incarner l'amour ce n'est pas le demander à tout prix, ni même l’éviter, c'est dépasser la demande d'amour infantile afin de pouvoir servir le projet d'amour divin, tissé de don de soi et de service.

Je sais qu’on peut, de façon savante, élaborer n'importe quelle vérité parallèle, comme un ange déchu qui souhaiterait entrer en compétition avec son créateur, démiurge avec des apparences de sauveur. Notre époque aime inventer des voies téméraires, des solutions d’apprenti-sorcier, en défiant les lois naturelles de ce monde. Et la spiritualité contemporaine n’est pas en reste dans cette attitude. Si bien qu'il y a quelque chose de nocif dans la posture non duelle occidentale.

Il est urgent de revenir à la simplicité, à la flagrante réalité de nos chemins de vie. Nous n’avons pas de temps à perdre. Mais surtout, au-delà de déconstruire le mythe non duel, nous pouvons restaurer le sens de la relation. Les abstractions désincarnées, sans compassion chaleureuse pour nos existences pétries à la fois par nos failles et nos fulgurances spirituelles, nous éloignent de ce qui se trame vraiment. 

Nous voulons aimer, ressentir le flux vivant de l’amour. Et même lorsqu’il s’agit de Dieu, nous ne rencontrons la reconnaissance de son amour infini que dans le lien personnel, parce que nous sommes constitués ainsi. Impossible de snober notre humanité. Le dépassement nécessaire de la demande infantile ne met pourtant pas à la poubelle la réalité du prodigieux lien interpersonnel littéralement attaché au processus de l’incarnation. Il n’y a pas de honte, ni rien de puéril, à vouloir vivre un « cœur à cœur » avec l’être aimé, fût-il divin.

L’expérience non duelle appartient à Dieu. Tout est en Lui mais, dans le mystère Créateur, nous ne sommes jamais Lui. Pour nous, il n’est question que de « communion ». La prétention à dissoudre le moi dans un « grand tout » est attrayante (plus ou moins) mais joue sur le douloureux déni du réel. Le problème de la faille humaine, c’est qu’elle produit des postures que l’on prend pour des réalités vivantes. Un peu comme quelqu’un qui dit « moi, je n’ai pas peur de la mort » (il faut vraiment toucher la perspective de la mort pour savoir ce que l’on ressent à ce sujet, quelle que soit la réalité du phénomène et de nos interprétations). 

Ne nous faisons pas de mal avec des postures déshumanisées, aussi attractives soient-elles (après tout, on sait qu’une drogue peut nous faire planer, ce qui est plaisant mais « plus dure sera la chute » !). Retrouvons, sans complexe, un chemin de vie porté par le désir de donner le meilleur de soi-même dans la relation, de respecter la création, la divine dualité, et de jouir des grâces avec gratitude. 

Thierry Vissac

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lundi 11 décembre 2023

De maître à pensées...

 


Nous devons cheminer entre deux risques : si nous ne suivons pas une voie traditionnelle comportant la transmission d’un maître ayant lui-même reçu cette transmission d’un autre maître, nous risquons tout simplement de ne suivre que nous-mêmes et de nous bercer de nouvelles illusions. L’autre danger consiste à suivre une tradition en se figeant dans des formes, ou dans une pratique, qui devienne l’imitation d’un idéal créant en nous une personnalité artificielle. Il est essentiel de ne jamais perdre le contact avec le sens de l’expérience en suivant aveuglément les cultes ou les croyances.

Roland Rech - Moine zen en Occident

(...) Si, en étant bien concentré sur la posture du corps et la respiration, on se met à observer l'esprit, alors on réalise que l'esprit est insaisissable car c'est l'esprit lui-même qui observe, c'est l'esprit qui pense . Si on s'avise de vouloir saisir l'esprit, cela ne peut pas être l'esprit mais une idée au sujet de l'esprit et à ce moment-là, l'esprit , au lieu d'être ce qu'il est, illimité comme le vaste ciel contenant tout, devient à son tour une pensée, une fabrication mentale, quelque chose de séparé et de limité. Alors, l'esprit perd le pouvoir de nous libérer et devient un objet d'attachement parmi d'autres. Si l'on essaye d'observer l'esprit, ce que l'on peut juste faire, c'est d'observer ce qui apparaît et disparaît d'instant en instant dans cet esprit . En étant attentif au moment de l'apparition d'un phénomène, si on observe comment surgissent la pensée, la sensation, la perception, alors très vite l'agitation mentale se calme. Très vite un espace vide apparaît entre les pensées, les sensations et les perceptions. C'est le point où observation et concentration se rejoignent. Cela permet à l'esprit de fonctionner suivant sa véritable nature, c'est à dire de ne pas s'aliéner aux choses, aux pensées en s'identifiant à elles. Et, cela ne peut se réaliser qu'instantanément."(...)

Roland Rech - la voie de l'oiseau

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dimanche 27 août 2023

Accueil du miroir

 

Lors de la méditation... j'ai repris la comparaison classique de notre esprit et du miroir. Nous ne pouvons jamais voir la surface d'un miroir. La surface d'un miroir est toujours recouverte d'un reflet.

Le reflet n'est pas la surface du miroir. La surface du miroir est par elle-même, par essence, vide et ne contient aucune image, aucune forme, aucune couleur. La nature du miroir est de refléter.

De par le fait que la surface du miroir n'a aucune caractéristiques, aucune formes et aucune couleurs, elle est capable de refléter toutes les formes et les couleurs qui se présentent à elle. A chaque instant la surface du miroir reflète quelque chose de différent, l'analyse fine nous montre que ce n'est identique à aucun moment.

Le miroir ne choisit à aucun moment ce qu'il reflète, il accueille tout avec la même équanimité. Bien qu'il soit capable de tout refléter, le miroir ne garde aucune trace de ce qu'il a reflété.

L'image qui est reflétée dans le miroir est vide de toute existence en elle-même, c'est la raison pour laquelle elle ne peut laisser aucune trace. Notre esprit a des caractéristiques très semblable au miroir, sans être un miroir, car notre esprit n'est pas une chose.


Nous ne pouvons pas voir notre esprit directement, mais seulement au travers de tout ce dont il est conscient. Ce dont l'esprit est conscient, toutes les perceptions (les cinq sens et les perceptions mentales), ne sont pas l'esprit, l'esprit est ce qui perçoit les perceptions. L'esprit est par essence vide de tout et ne contient rien. Et perce qu'il ne contient rien, il peut tout accueillir.

La nature de l'esprit est d'être animé et connaissant. Au sein de l'esprit apparaissent toutes les perceptions, ce surgissement est l'aspect animé de l'esprit. Le fait d'en prendre connaissance est l'aspect connaissant et auto connaissant de l'esprit.

Tout ce qui apparaît dans l'esprit à chaque instant est nouveau et n'a jamais eu lieu à un autre moment que maintenant. Notre esprit ne choisit pas ses perceptions, elles surviennent, elles émergent, elles surgissent sans aucun chois de notre part. Notre esprit est par nature totalement équanime. 

La conscience ne garde aucune trace de ce qui a surgi dans l'instant précédent, si ce n'est une nouvelle pensée qui surgit et fait suite à la précédente. Mais c'est une nouvelle pensée, ce n'est pas une trace. Chaque pensée est vide d'existence autonome et ne peut être saisie, elle n'est qu'un flux, un mouvement de l'esprit. Sachons laisser le flux de la vie nous traverser sans chercher à le saisir. Sachons être rempli de gratitude que tout cela puisse survenir afin que nous puissions réaliser notre véritable nature.

Philippe Fabri

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mercredi 19 juillet 2023

Quand le masque est taquiné... (extrait du carnet)


When you first meet someone

they seem so sincere

when you scratch the surface

get a little too near ... (Lee Lozowick) 

C’est quand même saisissant de constater à quel point , quand quelque chose de la stratégie de survie (le masque) est effleuré, la manière dont nous débattons obéit à des figures obligées. C’est comme une chorégraphie dont il est possible de prévoir à l’avance chacun des mouvements. 

Cela alors même que la personne en cause s’éprouve plus que jamais singulière, s’arc-boute sur sa « liberté »… 

Ce serait comique si ce n’était pas déchirant. Cela débute presque toujours par un détail,  « un petit rien, une bêtise ».

Plusieurs cas de figure. 

Souvent, la personne prend la parole pour évoquer en général autre chose, un arbre qui cache la forêt. Parfois elle cherche l’air de rien à prendre en défaut l’enseignant, pointant une « contradiction », une « erreur »,  tout en faisant mine de ne pas y attacher d’importance … Ou alors elle entreprend de s’expliquer sur un propos précédent qui aurait été « mal compris » ; ou elle tient un discours visant à démontrer la profondeur et la justesse de sa pratique. 

En tout cas, le démarrage se fait la plupart du temps sur un point « de détail » sous la surface duquel grouillent des nuées de monstres, ceux là même qui tirent depuis si longtemps les ficelles de la marionnette à laquelle la personne s’identifie.  

A ce moment là, soit l’enseignant, vieux singe à qui on n’apprend pas à faire la grimace, relève et cherche à en tirer un profit, si il ou elle le sent possible. 

Auquel cas il ou elle prend un petit risque, se lance les yeux ouverts dans un échange dont il est à peu près sûr qu’il ne sera pas de tout repos et lui demandera un surcroit d’attention et d’énergie, dans le moment et par la suite . Car il s’agira d’assurer le service après vente, et c’est bien pourquoi ce type d’intervention ne peut se faire sauf exception que dans le cadre d’un lien à durée indéterminée, d’un véritable accompagnement qui ne s’arrête pas à la fin du « stage » ou « séminaire » . 

Soit, estimant que rien n’est possible présentement, l’enseignant(e) botte en touche. Quoi qu’il en soit, si l’enseignant (e) « relève le défi », les choses périlleuses commencent. 

La personne se sentait déjà confusément en « déséquilibre », son intervention ayant visé à ce qu’elle se rééquilibre en surface. Et voilà qu’elle se sent de suite commencer à perdre pied. 

C’est alors qu’arrivent les « protestations ». Non non, ce n’est pas ce qu’elle voulait dire, on l’a manifestement mal comprise, elle s’est certainement mal exprimée, qu’à cela ne tienne elle va clarifier son propos. 

L’enseignant (e) signifie alors qu’il ou elle a très bien compris, et que le vrai sujet se situe ailleurs, pas tout à fait là où on le croit …  aïe aïe aïe … 

A ce stade, soit la personne qui se retrouve bien malgré elle et tout en l’ayant cherché à l’insu de son plein gré sur la sellette capitule, pour son plus grand honneur et sa profonde paix, mais c’est rare. Elle « capitule » parce qu’elle voit et dans ce cas là cette capitulation est une splendide victoire sans vaincu , un moment de gloire…

Soit, et c’est ce qui se passe dans l’immense majorité des cas, la personne - ou plutôt la marionnette à laquelle la personne s’identifie- redouble de protestations, d’explications, d’argumentations… 

C’est le moment où l’on voit des gens intelligents et sensibles devenir momentanément idiots, tenir des propos absurdes, incohérents, dénués de bon sens. 

C’est le moment où tout le groupe présent (en tout cas la majorité) est consterné et gêné, chacun percevant bien ce qui se joue, tant il est vrai que notre stratégie de survie est transparente aux yeux des autres, même si ils demeurent aveugles à la leur propre (la fameuse « poutre » qui ne nous empêche pas de voir la paille dans l’œil de nos semblables) . 

C’est le moment où, contrairement à ce qui se passe si souvent en thérapie de groupe, parfois avec profit mais souvent au prix de gros dégâts, il importe surtout que le groupe se taise, soit là, vraiment là, mais en soutien silencieux. Surtout pas de « retours »… 

C’est un passage, un passage délicat que l’enseignant (e) doit gérer avec la maîtrise d’un commandant de bord en pleine tempête quand le pilote automatique fait défaut. 

Comment faire en sorte que le travail se fasse sans que ce soit une boucherie, que  la personne se voit démasquée sans se sentir durablement malmenée (je dis durablement parce que tout effleurement du masque sera sur le moment vécu comme une atteinte), voire humiliée…  

Comment permettre à l’élève de ne pas se sentir durablement défait alors même que la stratégie est déjouée, exposée, mise en déroute ? Comment œuvrer avec délicatesse tout en traitant le mal près de la racine ? 

C’est le moment où l’enseignant se fait chirurgien - dentiste à l’œuvre tout près du nerf  mais sans anesthésie… Pas étonnant que plus grand monde ne veuille faire ce job, pas étonnant que le dit travail ne soit même plus envisagé et conçu la plupart du temps, laissant la place aux berceuses de la « non dualité » pseudo radicale  ou du "développement personnel »… 

C’est le moment où la personne, se débattant de plus belle, s’enlise, coule, bat des pattes, s’accroche à n’importe quelle branche pourrie, cherche des alliances , écarquille les yeux, parfois pleure des larmes de crocodile, s’agite en tous sens… 

C’est un spectacle totalement prévisible, une chorégraphie encore une fois, une danse qui fait mal, celle de la souffrance agrippée à elle même, résolue à ne pas céder un pouce de son empire… 

Et c’est le moment où il faut , du côté de l’enseignant, savoir arrêter honorablement le combat avant qu’il ne vire à l’affrontement frontal, négocier un armistice décent qui ne laisse pas l’autre écrasé, tendre une main généreuse sans pour autant laisser le presque noyé oublier qu’il ou elle a voulu faire le malin et présumé de ses capacités à nager par gros temps …

C’est le moment où il s’agit de passer à tout autre chose, de ne plus en reparler jusqu’au moment propice, de faire preuve de légèreté. C’est le moment de plaisanter gentiment, de danser, de trinquer, de respirer. 

Et, d’un bout à l’autre, c’est le moment de la compassion, de la compassion non dite mais dominante hors laquelle tout ce processus n’est plus que mascarade sadique, pseudo folle sagesse , bidouillages d’apprenti sorciers et autres caricatures , Gurdjieff au petit pied …

S’ensuit souvent pour la personne un moment de fermeture, plus ou moins assumée, plus ou moins vue et déjouée par l’élève en la personne, un moment  d’apitoiement sur soi même où la créature recroquevillée se fait la liste des torts odieux qui lui ont été infligés par le ou les enseignants. 

C’est un passage périlleux, celui où l’on pourrait si on n’y prend garde, prendre ses cliques et ses claques, partir en un geste pathétique et grandiose, s’offrir un pied de nez amer, une pirouette désespérée. Certains le font et n’en reviennent pas. 

Dans ces cas là, il appartient à l enseignant de procéder à son examen de conscience et de se demander si il ou elle n’a pas mal évalué les forces en présence, présumé de l’aptitude de l’élève… 

Etant entendu que l’enseignant aussi a droit à l’erreur, pourvu que la compassion ait été là, et même si il importe qu’il ou elle ne cesse de gagner en expérience, afin que sa main se fasse de plus en plus sûre, son geste de plus en plus adéquat et précis, bref et décisif. 

Si la personne, par on ne sait quelle grâce, consent à faire passer la vérité avant le faux semblan , à privilégier l’émergence de son visage originel par dessus le masque, alors c’est si beau,  si nourrissant … 

Alors le vrai éclate de sa splendeur rare.

Gilles Farcet

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dimanche 25 juin 2023

lundi 21 novembre 2022

Itinéraire intérieur

Par Sabine Dewulf

Je dois avouer qu'habituellement, je suis très circonspecte quand j'entends ou lis ce mot si galvaudé : "éveil". Mais ici, il s'agit visiblement de tout autre chose...
Dès les premières pages de ce livre publié par les éditions Jean-Louis Accarias -L'ORIGINEL, je me suis sentie à la fois happée et concernée au plus profond... au point, moi qui n'aime pas beaucoup les vidéos, d'aller chercher un lien pour pouvoir entendre et voir cette auteure québécoise, Christine Morency, qui cherche avec tant de soin à nous faire comprendre, avec des mots et des images qu'elle sait condamnés à l'approximation, ce qu'elle a vécu en deux étapes, en 2010 puis en 2015 ! Et je n'ai pas été déçue...
À cette lecture, on peut se rendre compte à quel point ce terme d' "éveil", de nos jours employé à toutes les sauces, mérite une attention et une précision décuplées. Le résultat en est vertigineux. Je ne dirais pas que cette lecture est facile, ni qu'elle est difficile. C'est seulement qu'elle nous parle depuis un " espace" si différent du nôtre, si indescriptible, qu'à la fois elle accroche et déconcerte, bouleverse tout en nous laissant un goût d'intimité, de déjà-connu-de-l'intérieur comme une évidence jamais manifestée.
Vraiment, ce livre en vaut la peine. Il me paraît honnête d'un bout à l'autre, cherchant à coller à l'expérience vécue dans sa traversée d'une découverte miraculeuse et insondable, celle qui fait se rejoindre dans un même éblouissement la plus haute métaphysique et l'ordinaire quotidien. Passionnant !
"Sous chaque titre apparait un court texte que je développe et qui résume de façon générale l'idée du titre. Ensuite la place est laissée à des textes qui témoignent de mon expérience ainsi qu'à des écrits que j'appelle les révélations spontanées, et ce sans ordre prédéfini. [... ] Peut-être répandront-ils sur vous leur parfum ?"
Sommaire :
Introduction
Qu'est-ce que l'éveil ?
Manifesté -- Non-manifesté
Le corps
Embûches sur le chemin
L'essence

Extrait du livre :


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samedi 15 octobre 2022

La Vie

 


Etre entièrement vivant, entièrement humain et complétement  éveillé, c'est être continuellement jeté hors du nid. Vivre complétement c'est être sans cesse dans le no man's land, c'est faire l'expérience de chaque instant complétement neuf et frais. 

Vivre, c'est être disposé à mourir encore et toujours. Du point de vue éveillé, c'est ça la vie. 

Pema Chödrön

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mardi 4 octobre 2022

Maurice Nicoll, (2)

 (suite et fin du passage traduit - volume 2, "Self Observation")

Je m'autorise une remarque en introduction : les Psychological Commentaries font six volumes ; et l'assimilation d'un seul passage, comme celui là, transforme la relation à soi même. L'important n'étant pas d'avoir accès à un buffet abondant mais de digérer, de "faire soi" - " digest, assimilate , make it your own"- Swami Prajnanpad- ne serait ce qu'un seul aliment de grande qualité. 


Photo : Mr Gurdjieff observant les "mouvements". A droite, Maurice Nicoll. Au piano, Alexandre de Salzmann

"Comment puis-je vous prouver que commencer à ressentir les nombreuses influences du Travail est différent que d'être complètement identifié à l'existence ? 

Bien entendu je ne peux pas le faire, en tout cas à travers une argumentation. Je ne peux pas davantage vous prouver que ce Travail dit vrai. 

Si vous êtes complètement identifié à l'existence, mieux vaut ne pas tenter ce Travail. En fait, le Travail ne cherchera pas à vous atteindre. À ce moment-là vous êtes juste plongé dans l'existence et sa perspective. Si cela vous satisfait, alors pourquoi chercher une nouvelle compréhension, un nouveau sens à notre existence sur cette planète imparfaite et violente ? 

Ce Travail et pour ceux qui éprouvent avec une certaine conviction que l'existence ne peut pas être comprise pour ainsi dire par elle-même. Si toutes les expériences que vous vivez vous satisfont, si vous sentez que cette existence est tout ce dont vous avez besoin, si vous êtes parfaitement satisfait de vous-même, si vous êtes content de tout ce que vous avez expérimenté jusqu'à présent, alors, je le répète, pourquoi aller à la rencontre de ce Travail ? Par contre, si ce n'est pas le cas, il vous faut être assez intelligent pour faire le lien entre votre insatisfaction et ce Travail. Il vous faut commencer à réaliser que vos nombreuses insatisfactions ne sont pas exceptionnelles et entrevoir ce que le Travail a à vous dire au sujet de l'existence : comment tout arrive, comment votre être attire ce qui vous advient, etc. Sinon comment le Travail peut-il vous aider ?

Je voudrais que vous réfléchissiez à cela. C'est une idée très profonde. C'est tellement facile de devenir négatif, d’ imputer la faute aux autres et aux circonstances.… C'est la comédie habituelle de l'existence. Mais le centre magnétique amène une personne à sentir qu'il doit y avoir autre chose, qu’il existe une autre histoire , pas uniquement constituée d’émotions et de tragédies. Le problème est un problème intérieur. Sa solution commence avec l'observation de soi pratiquée selon des instructions précises.

 Aussi, à moins que vous puissiez vous observer vous-même, le Travail reste lettre morte. Afin de vous observer vous-même, il est nécessaire de réaliser que vous n'êtes pas un mais plusieurs.  Tant que vous ne pouvez pas voir les différents « je » en vous, vous ne pouvez pas sélectionner ou rejeter. Et sans le travail et la compréhension de l' objet du dit Travail, vous ne serez pas capable de faire le tri de manière juste. Par contre si vous le faites, de nouvelles influences commencent à pénétrer votre vie intérieure. Vous commencez à ressentir le début d'une nouvelle vie , une  vie nouvelle  et pleine de grâce. Si vous y prêtez l’oreille,  quelque chose commence à croître en vous. Si,  quand vous perdez contact avec cela, vous le savez,  en ressentez le manque et cherchez à le retrouver, alors cela va revenir. Pendant longtemps, et c'est inévitable, on va faire des aller retours entre l'ancien et le nouveau. C'est une question d'appréciation intérieure , en rapport avec cette chose étrange que l'on appelle la volonté.  La volonté, c'est comme c'est se tourner,  sans violence, dans une certaine direction , malgré les empêchements, comme une aiguille magnétique. Mais tout cela, tout le commencement de cette octave dont nous avons parlé qui crée de nouvelles énergies, tout cela demeure quasi impossible si vous dites « je », si vous vous identifiez à tout ce qui se présente en vous. Dans ce cas là vous êtes plongé dans les ténèbres,  celles dont parlent les versets qui ouvrent la Genèse. La lumière n'y est pas encore extraite des ténèbres.

Maintenant je voudrais que certains d'entre vous remarquent particulièrement les « je « qui dévorent leur énergie. Récemment, j'en ai été infesté et pendant un moment je ne les ai pas remarqués J'ai considéré que ces pensées, ces mots et ces émotions étaient « moi » autrement dit, je dormais. Chacun d'entre vous  est cerné à l'intérieur de lui-même par des « je » négatifs, faibles, soupçonneux, étroits, stupides, médiocres, chicaniers. Certains d'entre eux sont devenus très forts suite à votre longue habitude de leur céder. Vous voyez qu'une personne perd soudain son énergie, devient faible , négative perdue, etc. Que s'est-il passé ?  Un certain « je » est en train de dévorer cette personne. Notre vie intérieure est bien plus dangereuse que notre vie extérieure avec tous ses périls. 

Bien sûr, il vous faut tous comprendre que cette doctrine des différents « je » ne vous enlève pas toute votre responsabilité. Seul un imbécile imaginerait cela. Faire le tri entre les différents « je », en prendre certains et en laisser certains et quelque chose de très réel. Il faut que vous souffriez de votre identification à certains « je » néfastes. Que cela vous cause une vraie douleur, une vraie souffrance. C'est une souffrance utile. Il vous faut apprendre à haïr certains « je » en vous-même faute de quoi, vous considérerez le travail de manière désinvolte, comme une excuse pour faire tout ce que vous voulez. Il y a des périodes où le travail vous met une grosse pression. Puis ça passe, pour un moment. Mais si le travail ne vous met jamais la pression, vous pouvez être sûr qu'il ne s’est pas encore décidé à véritablement vous atteindre.

Par Gilles Farcet

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jeudi 15 septembre 2022

Zazen ou mindfulness ?


À chacun de choisir et de décider ! Mais, si possible, en connaissance de cause parce que l'amalgame qui est fait actuellement entre ces deux propositions est inconvenant.

Pourquoi ? Parce que :

Le Zen est un chemin d'expérience et d'exercice !

La Mindfulness est un chemin d'exercice et d'expérience !

« Pour l'homme en chemin, tout commence par une expérience! » écrit K.G. Dürckheim à son retour du Japon où, pendant une dizaine d'années, il s'est immergé dans le monde du Zen. L'expérience dont il est ici question n'a rien d'oriental, rien de japonais, rien de bouddhiste, rien de chrétien, rien de laïque. Elle est universellement humaine. Il est dans la nature de tout être humain d'être happé ou touché, par une expérience, un vécu intérieur, qui transforme en un clin d'œil la personne qui l'éprouve, qui l'accueille, sans détour par la réflexion mentale.

En témoigne et lui donne caution le récit d'un auteur hors bouddhisme, hors christianisme, hors hindouisme, hors scientisme. Il s'agit de Marcel Proust (1) :


« Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d'un triste lendemain je portai à mes lèvres une cuillerée de thé où j'avais laissé s'amollir un morceau de madeleine. Mais à l'instant même où la gorgée mêlée de miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans notion de sa cause. Il m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu'opère l'amour, en me remplissant d'une essence précieuse : ou plutôt cette essence n'était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D'où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu'elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu'elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D'où venait-elle ? Que signifiait-elle? Où l'appréhender? (...) Il est clair que la vérité que je cherche n'est pas dans le breuvage, mais en moi. Le breuvage a éveillé la vérité mais il ne la connaît pas. »

Dans la mémoire de chacun il y a une petite madeleine. Souvenez-vous ! Il y a dix ans, en écoutant Gymnopédie d'Eric Satie ... lors des dernières vacances au bord de l'Atlantique, ce coucher de soleil qui m'a bouleversé ... en courant le marathon de Paris, tout à coup je ne courrais plus, cela courrait ... j'avais quatre ans et j'étais sur la balançoire ... la semaine dernière, en arrêt devant une peinture de Monet ...!

Ce moment inattendu au cours duquel on ne se pose plus la question du sens de la vie parce que ce qu'on vit, ce qu'on sent et ressent, donne sens. Expérience à l'origine d'une force vitale stimulante, d'un calme intérieur apaisant, d'une profonde joie intérieure.


La question est alors : comment devenir celui, celle, qui s'est dévoilé à l'occasion de telle ou telle 
circonstance existentielle? La réponse au -comment- lorsqu'elle est posée à un maître Zen est immédiate : « En pratiquant zazen » (ou un exercice pratiqué dans l'esprit du zen : Kyudo, Kendo, Chado (2).

On ne pratique pas zazen dans le but de construire un avenir. On pratique zazen afin de libérer notre nature profonde enfermée dans le moi mondain, l'ego. C'est pourquoi on désigne zazen comme étant une pratique sans but. Parce que le but n'est autre que ce qui est dès l'origine de mon existence : ma vraie nature, ma nature essentielle. Zazen n'a donc rien à voir avec les méthodes proposées dans le cadre du développement personnel ni avec les pratiques méditatives qui s'appuient sur l'usage du mental (mind). Ces différentes méthodes proposent un "chemin d'exercice et d'expérience". Le Zen propose un chemin d'expérience et d'exercice.

La liste des cent (100) bienfaits promis à celles et ceux qui vont pratiquer la méditation de pleine conscience n'a absolument rien à voir avec la pratique méditative sans objet appelée zazen. Zazen, n'a d'autre but que l'éveil de nos potentialités innées qui ne peuvent être construites à coups d'exercices.

Zazen ? "C'est être assis (Za) comme un bébé est allongé dans son berceau !" (Michiko Nojiri - Maître du Chado).

Voici ce qu'écrit Christian Bobin (3) : "Les bébés sont les grands sages. Le vrai savoir est dans leurs yeux.(...) Une de leurs grandes vertus est de ne pas être aveuglés par un savoir. Ils regardent sans morale, sans aucune prétention, sans philosophie, sans religion, sans aucune précaution. Il n'y a aucune distance entre leurs yeux et Dieu ou les anges. Ou les atomes de l'air si l'on ne croit pas en Dieu ou aux anges. Les bébés sont à une cloison de papier de riz de la vérité."

L'ensemble des doctrines concernant une conception nouvelle de l'homme a pour but ce que révèle cette idée absurde ... "rien que du bonheur"! À la pointe de ce désir égotique il y a aujourd'hui l'idée d'accéder à un "homme augmenté".

Cette arrogante vanité qui promet le passage d'un ego de taille XXL à un ego de taille XXXL écarte plus que jamais l'être humain de sa nature essentielle qui est indépendante des conditions sociologiques ou psychanalytiques ou scientifiques. L'inobservance des intentions de l'être − ce qui fait que chacun est ce qu'il devient et devient ce qu'il est − est la cause d'un mal-être individuel qui devient un mal-être collectif. Finalement et irrémédiablement une vérité qui a sa place dans les traditions de sagesse en Orient est l'importance du CORPS sur ce chemin d'expérience et d'exercice.

Le corps vivant, Leib (4), est l'enceinte du secret qu'est le vrai soi-même. Il s'agit du corps-vivant, Leib (à ne pas confondre avec le corps-objet, objectivé mentalement, Körper). La vie n'est pas dans un contenant qu'on désigne comme étant un corps. Le corps-vivant est la vie qui, d'instant en instant, prend forme selon un ordre des choses (Tao-Do) qui n'est pas du ressort du moi, lequel pense que s'il ne fait rien, rien ne se fera.

Jacques Castermane

(1) Du côté de chez Swann, éd. Folio, p. 44-45

(2) l'art du tir à l'arc, l'art du sabre, l'art de la préparation du thé.

(3) Christian Bobin, Le Plâtrier siffleur, éd. Poésis, p.11

(4) Le corps-objet, le corps-outil = Körper dans la langue allemande.

 Le corps-vivant dans sa globalité et son unité = Leib dans la langue allemande.

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lundi 18 juillet 2022

Zazen ! Oui, mais pour quels effets ?

 

Question légitime. À quoi bon zazen, Kin-hin (la marche momentanéisée), la Leibtherapie ?


Réponse : Pour les effets que vous découvrez en pratiquant ces exercices qui n'ont d'autre but que l'éveil de l'homme à sa vraie nature d'être humain. Il serait donc aberrant de vous présenter une liste des cent bienfaits de la pratique du zazen. Une liste d'autant plus incohérente que zazen est spécifié depuis plus de vingt-cinq siècles comme devant être pratiqué sans but.

Nonobstant, je peux affirmer que les exercices que je pratique depuis une cinquantaine d'années et que j'enseigne (avec la collaboration de quelques élèves qui approfondissent toujours encore les Enseignements qu'ils suivent au Centre depuis de nombreuses années) contribuent à un effet. Mais alors, lequel ? Je ne peux que me répéter : l'effet qu'on découvre soi-même en pratiquant ces exercices.

Plutôt que de dispenser des promesses, je préfère donc être à l'écoute des personnes qui cheminent sur la Voie de l'action. J'ai demandé aux participants qui terminaient une retraite en silence de prendre le temps de se remémorer un éventuel EFFET d'un exercice pratiqué au cours de cette semaine? Un effet ! Ce moment inattendu qui subitement nous émeut, nous étonne, nous surprend et parfois même nous bouscule hors de l'habituel ?


Voici quelques réponses :

L* : "L'exercice appelé Gazen (le Zen allongé) m'a surpris, parce que je pensais qu'il n'y avait que Zazen (le Zen assis). L'attention au geste de SE détendre, tout au long de chaque expiration, m'a englouti dans un océan de calme ...Plus rien ne pouvait me perturber ou m'agiter, tant ce sentiment de paix intérieure était vaste et bon".

S* : "Lorsque nous avons exercé les gestes qui sont à l'origine de l'activité corporelle de tous les bébés venus au monde, ce que vous appelez "la chorégraphie des bébés", je me suis sentie sacrément vivante ! Ce n'est pas que j'ai compris mais j'ai vraiment senti ce qu'est le passage de —je-suismoi—l'enfermement dans l'ego) à —jeSuis— (cette part de nous-même qui transcende l'ego) ! Cette expérience, laquelle m'a ouvert à la simple joie d'être, me convainc de reprendre la pratique de zazen chaque jour."

M* :"Au cours de la marche pratiquée très lentement et longtemps en engageant la pleine attention à chaque pas, j'ai été surpris de faire l'expérience de ce sentEment qu'est le grand calme ; un calme qui n'est pas conditionné à telle ou telle circonstance favorable. C'était absolument clair, le calme intérieur a sa source, non pas dans le mental mais dans -le corps que nous sommes-. Je dois avouer que je ne comprenais pas ce que pouvait être cette relation entre le calme et ce que vous appelez -le corps que nous sommes-. Mais au cours de cet exercice, je l'ai ressenti. Lorsque vous avez dit que : "Ce pas, celui-ci, jamais encore n'a été et plus jamais ne sera!" j'ai tout à coup senti ce qu'on appelle l'éternité ou le calme éternel.

V*: "Pendant une séance individuelle de Leibtherapie j'ai fait l'expérience de ce que Graf Dürckheim appelle —Leib—, le corps vivant dans sa globalité et son unité. Cette sensation de respirer de partout m'a libérée de l'envie de bouger (qu’habituellement je n’arrive pas à contrôler) et je suis restée absolument immobile pendant la demi-heure qui a suivi la séance ! Quel apaisement !"

J* : "Votre proposition, lorsqu'on pratique zazen, de se glisser dans la pleine attention à cette action du corps vivant " JeInspire" (en un mot) ... "JeExpire" (en un mot) et de découvrir que le -moi- n'y est pour rien, m'a plongée dans un calme enveloppant. En conclusion, encore et encore avec gratitude".

M*: " Lorsque vous avez dit que — ce qui nous rassemble tous est le fait que d'instant en instant chacun inspire.... expire... inspire... et que nous n'y sommes pour rien —, j'ai ressenti un bouleversement intérieur. Tout en restant dans ce contact sensoriel avec ce que vous appelez un geste de la Vie, j'avais les larmes aux yeux, je reconnaissais que ma fille respire ... ma petite-fille respire ...que ma voisine, qu'il m'arrive de trouver énervante ... respire. J'ai l'impression, non pas de comprendre, mais de faire l'expérience de ce qu'on appelle la compassion !"

D*: "Lorsque, au cours de la pratique de zazen, vous avez rappelé ce que disait Hirano Rôshi — "La respiration est la signature de la vie" — cet exercice, que je pratique depuis plusieurs années, a instantanément changé de niveau ! C'est dingue ! La simple attention au va-et-vient qu'est le souffle me remplit de confiance et de joie. "

Bien ! Ce qui m'intéresse à la lecture de ces quelques effets, c'est qu'ils ne constituent pas une liste de bienfaits envisageables dans un futur proche ou lointain, ce qui sous entendrait que nous pourrions les fabriquer à coups d'exercices. Il s'agit d'une expérience momentanée (ressentie au moment présent) qui a ses racines au plus profond de nous-même, dans notre vraie nature d'être humain. Au cours de l'exercice, il se passe quelque chose qui nous met en contact avec une réalité que nous sommes dès l'origine de notre existence. Je pratique zazen, cet absolu rien faire, et voilà que tout à coup un voile se déchire. D'un instant à l'autre il arrive qu'on se voie, qu’on se sente autre, c'est-à-dire un petit peu plus soi-même.

Ce que Graf Dürckheim propose à l'homme occidental à son retour du Japon où il s'est immergé durant une dizaine d'années dans le monde du Zen est que le verbe ÊTRE, l'acte d'être, est du ressort du corps, du corps que nous sommes (Leib). Nous sommes enfermés dans un désir et un souci de maîtrise ; l'exercice appelé zazen consiste à lâcher-prise de cette obsession mentale et à donner au corps vivant, dans sa globalité et son unité, la place qui lui revient : la première.

À celles et ceux qui ont bien voulu transmettre leur expérience il me reste à dire que "Ce que vous avez senti est une bonne raison pour reprendre la pratique de zazen demain. Le chemin est la technique ; la technique est le chemin".

Jacques Castermane

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mardi 26 avril 2022

Le sentiment « d’être moi-même » (2)


 Lorsque nous permettons à notre être essentiel de se mélanger ou de s’identifier aux qualités de l’expérience, son état naturel de paix et de bonheur se voile ou s’obscurcit.

De même que l’eau n’a pas de goût en soi mais acquiert le goût de l’ingrédient auquel il est mélangé pour sembler devenir, par exemple, du thé ou du café, notre être ou soi essentiel ne possède aucun attribut propre mais assume les qualités de l’expérience, paraissant ainsi devenir une personne, un soi ou ego fini.

Par exemple, lorsqu’un sentiment tel que la tristesse, la solitude ou l’anxiété apparaît, nous ne nous connaissons plus tel que nous sommes essentiellement : transparent, silencieux, paisible, comblé. Notre connaissance de nous-mêmes est mêlée à ce sentiment et s’en trouve modifiée. Nous faisons abstraction de notre être en faveur du sentiment.

En fait, nous paraissons devenir le sentiment en question. « Je ressens de la tristesse » devient « je suis triste ». Nous nous perdons dans l’expérience. Nous nous oublions. Toutefois, cet oubli n’éclipse jamais totalement le sentiment « d’être moi-même ». Celui-ci se voile partiellement car même les sentiments les plus sombres ne parviennent jamais à occulter l’expérience « d’être moi-même ».

Lors d’une dépression, par exemple, notre expérience est tellement entachée de noirceur que les qualités de paix et de bonheur qui nous sont innées se retrouvent presque totalement obscurcies. Notre soi semble terni ou enténébré.

Cependant, de même que la nature de l’eau ne bouge pas même lorsqu’elle est mélangée à du thé ou à du café, notre soi essentiel conserve son état de pureté même lorsqu’il est mélangé au contenu de l’expérience. Il suffit tout simplement de ne pas perdre de vue son être ou soi essentiel dans chaque expérience.

* *
Se sentant limité, le soi séparé ou ego est enclin à la vulnérabilité et à l’insécurité et va donc chercher à se défendre. C’est l’impulsion qui se cache derrière toute réactivité émotionnelle : une tentative de restaurer l’équilibre qui constitue l’état naturel de notre soi ou être essentiel.

Étant vulnérable, le soi séparé ou ego a tendance à se sentir peu sûr de lui, inférieur ou mal aimé, et pour tenter de rétablir la dignité inhérente à notre véritable nature, il chercher à se magnifier. C’est l’impulsion qui se dissimule dans la plupart des plaintes, des critiques et des jugements.

Enfin, se sentant incomplet, le soi séparé ou ego verse dans un sentiment d’insuffisance, d’insatisfaction ou d’inadéquation. Et pour retrouver son état naturel de complétude, il cherche la plénitude dans l’acquisition d’objets, dans les drogues et l’alcool, dans des états mentaux spéciaux et dans une frénésie de relations.

Le soi séparé ou ego vit ainsi un sentiment de manque constant : un sentiment d’insuffisance chronique et insidieux, entrecoupé de périodes de détresse aiguë. Cette souffrance est l’inéluctable rançon de l’oubli ou de la méconnaissance de notre véritable nature.

La profondeur de notre souffrance dépend de notre degré d’amnésie. Jusqu’à quel point avons-nous permis au sentiment ou à l’expérience du moment de voiler la paix et le bonheur qui se trouvent au cœur de notre être ?

De même que la souffrance est inévitable pour le soi apparemment séparé ou ego, la résistance et la recherche constituent les deux activités qui régissent ses pensées, ses sentiments, ses activités et ses relations dans sa tentative de retrouver sa paix et son bonheur innés.

Le soi séparé ne réalise pas que sa véritable aspiration ne consiste pas à défendre ou à combler l’entité qu’il s’imagine être mais bien plutôt à se délivrer de ses apparentes limitations et de retourner à son état naturel.

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Cette perte de la paix et du bonheur amorce une recherche acharnée dans la sphère de l’expérience objective, recherche qui est tôt ou tard vouée à l’échec. D’ailleurs, aucun de nous ne serait en train de lire ce livre si notre quête n’avait pas, dans une plus ou moins grande mesure, échoué.

Lorsque nous sommes suffisamment revenus de nos illusions quant à la capacité de l’expérience objective à nous procurer la paix et le bonheur auxquels nous aspirons, beaucoup d’entre nous se tournent vers les traditions religieuses ou spirituelles qui semblent nous offrir une promesse de plénitude.

À cette fin, nous nous consacrons à des pratiques de méditation, de prière, de yoga, de visualisation, nous nous livrons à des régimes alimentaires spéciaux, à des régimes régis par la discipline et à des enseignements spirituels. Et tout cela peut, dans une certaine mesure, apaiser la souffrance provoquée par notre aspiration, et rétablir un certain degré d’équilibre et d’harmonie dans nos vies.

Or, si nous mettons un tant soit peu notre paix et notre bonheur à la merci de l’expérience objective, aussi raffinée ou noble soit-elle, nous pouvons être certains que le sentiment de manque continuera de couver sous le vernis de la paix. Et tôt ou tard, il nous incombera d’avoir la clarté et le courage de tourner le dos à l’aventure de l’expérience pour revenir à notre soi.

Les grandes traditions religieuses et spirituelles abritent en leur cœur un grand secret : il consiste à comprendre que l’expérience objective ne peut jamais nous apporter la paix et le bonheur auxquels nous aspirons tous. Nous ne pouvons les trouver qu’en nous-mêmes, dans les profondeurs de notre être.

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Le soi séparé ou ego est l’entité apparente qui résulte du mélange de notre soi et des limitations de l’expérience. Lorsque notre être se dépouille des caractéristiques que l’expérience semble lui avoir conférées, la littérature traditionnelle parle alors d’« illumination ». Notre être perd les limitations de l’expérience qui avaient semblé l’obscurcir ou « l’enténébrer ».

Ainsi, l’illumination ne constitue pas en soi une expérience nouvelle ou extraordinaire à atteindre ou à obtenir. Elle consiste tout simplement en la révélation de la nature originelle de notre soi ou de notre être. Rien ne pourrait être plus familier ou plus intime que notre être, raison pour laquelle nous avons le sentiment de rentrer à la maison. Dans la tradition zen, on parle de la reconnaissance de notre visage originel.

Il n’y a rien d’exotique ni de mystique dans l’éveil. Il s’agit simplement de la reconnaissance de ce que l’on a toujours connu — de ce qui est en fait toujours connu jusqu’à ce que l’expérience vienne le brouiller.

Personne ne devient illuminé. Notre être est tout simplement délivré d’une limitation imaginaire, à la suite de quoi, sa condition naturelle de paix et de bonheur rayonne.

Extrait du livre "Etre moi-même" de Rupert Spira, editions Accarias L'Originel
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vendredi 11 mars 2022

Autour de Mr Gurdjieff

 En présence de Roger Lipsey, Gilles Farcet, Frédéric Blanc et Jean-Pierre Chometon. 


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vendredi 25 février 2022

Neutre

 NEUTRE 

c’est terrible

Il m’arrive

encore
de prendre les choses
personnellement

c’est terrible

c’est comme ça

une pique
de quelqu’un
qui m’est proche

un comportement
que je ne comprends pas

une attitude
qui me désarçonne

une saillie
qui m’entaille

cela ne m’arrive
pas très souvent

la plupart du temps
je vis
avec la claire conscience
que l’autre
ne peut faire autrement
que ce qu’il fait

être autrement
que ce qu’il est

que rien
non
rien de rien
n’a à voir
avec moi

que tout
est neutre

non pas indifférent
interchangeable
grand dieux non

plutôt
que de tout ce qui est
rien n’advient
en fonction de moi

parmi tout ce qui advient
Il est des choses
qui me concernent
celles qui viennent à moi
qui constituent mon lot

ce n’est pas
parce qu’elle me concernent
me demandent un positionnement

qu’elles adviennent
pour
ou contre
moi

au final
il n’y a pas
de moi
en fonction duquel
et autour duquel
ce qui advient
adviendrait

juste une personne,
momentanée
infiniment précieuse
radicalement limitée
Imbriquée
dans un réseau
de choses
qui arrivent

la plupart du temps
donc
de plus en plus
sans doute

j’existe

en tant que personne
en un ciel
dégagé
un climat
apaisé
au sein duquel
tout vibre
si fort
sans pour autant désaccorder
l’instrument
que je suis

et il arrive encore que
ce qui advient
je le prenne
personnellement

qu’un moi fictif
s’invite
usurpe la place
occupe la scène

sachant son moment court
Il s’époumone
comme un manifestant
en passe d’être évacué

Il fond sur le buffet
comme un pique assiette
en instance d’expulsion

et tant qu’il fait son cinéma
cet imposteur

c’est terrible

ce qui est
n’est plus simplement
ce qui est

mais une manigance
du réel
un vilain tour
joué par la vie

pied de nez
coup de griffe
claque
offense

outrages
qui auraient vite fait
de se muer en injustice
si j’en étais encore
à m’en saisir
à en tirer des conclusions

ce dont
désormais
et fort heureusement
je m’abstiens

mais enfin
quand ça arrive

c’est terrible

c’est ce qui est
aussi

c’est neutre
aussi

et c’est une déflagration
dans un espace de quiétude

une crécelle
au sein d’un ensemble harmonieux

le corps
accuse
l’onde de choc

le psychisme
vrille
des alarmes hurlent

alors l’urgence
vitale

est de descendre
du maudit manège
lancé en tourbillon

ne pas faire non plus
une affaire personnelle
d’avoir ainsi
pris les choses
personnellement

ne plus battre des pattes
en surface

à l’écoute
de la fréquence juste
accorder l’instrument
avec patience
délicatesse

veiller
à ne pas casser une corde

c’est seulement une fois
l’instrument réaccordé
qu’il redevient
opportun
de jouer

S’il y a une parole à dire
une ligne à écrire
un geste à poser
une main à tendre

puis les choses
reprennent leur cours

neutre

qu’elles n’ont d’ailleurs
jamais quitté


Gilles Farcet 

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mercredi 5 janvier 2022

Une vie spirituelle

Le célèbre moine publie ses mémoires, Carnets d'un moine errant (Allary éditions). Il nous explique la nature profonde de sa spiritualité et le sens qu'elle a donné à sa vie.

Écrit par Pierre Morel (source Femme actuelle)


Écrire ses mémoires n’est-il pas en contradiction avec les préceptes du bouddhisme qui prônent la modestie et la lutte contre l’ego ?

Ce dont je voulais témoigner, c’est tout ce que j’ai vécu en orient auprès de mes maîtres. Je n’aurais jamais pu écrire des mémoires pour me raconter. J’ai voulu partager cette incroyable expérience de vivre en leur présence, d’écouter leurs enseignements, montrer qui ils étaient et ce que ça représente par rapport à nos critères occidentaux, aux gens qu’on admire habituellement, hommes d’État, millionnaires ou chanteurs. Mes maîtres peuvent-ils produire une autre source d’inspiration, et la partager peut-il avoir une utilité ? C’est mon espoir.

Il est frappant de constater combien ils sont drôles, blagueurs... à mille lieues de l’image qu’on se fait du moine, un peu solennelle.

Les Tibétains, en général, sont des gens très joyeux. Quand on demandait au dalaï-lama pourquoi il riait tout le temps, il disait qu’il contemplait le monde ordinaire, du gain, de la perte, de la renommée comme des jeux d’enfants. Ça le fait rire, parce que ce sont des choses un peu dérisoires par rapport au fait de devenir un meilleur être humain, de se mettre au service des autres, de remédier à la souffrance. Dans les textes tibétains, on utilise le mot « enfant » pour désigner ceux qui sont pris uniquement par les préoccupations mondaines. Rire n’empêche pas la gravité et la profondeur par rapport à ce qui mérite qu’on s’y consacre.

Vous dites être vraiment venu à la vie à 21 ans en rencontrant votre maître Kangyour Rinpoché. Étiez-vous déjà en recherche de spiritualité ?

Je m’intéressais beaucoup à la spiritualité de façon livresque. Le déclic, ça a été de trouver une tradition vivante. Avec une pratique vieille de 2000 ans. Cela a été au-delà de mes espérances, mais j’ai bien mûri ma décision de m’installer dans l’Himalaya. J’ai fait sept voyages avant de décider. On ne peut pas faire confiance à n’importe qui, n’importe quand, il existe de faux maîtres.

Qu’est-ce que vous avez découvert là-bas ? En quoi cette expérience a changé votre existence ?

C’est un chemin pour remédier aux causes de la souffrance, éliminer les poisons mentaux, l’animosité, l’obsession, l’arrogance, la jalousie, le manque de discernement. J’ai aussi approfondi mes connaissances, comblé le fossé entre les apparences et la réalité. Si on tente d’atteindre l’état d’Éveil, l’état de Bouddha, c’est pour pouvoir mieux aider les êtres à sortir de la souffrance. Je suis encore bien loin du but mais chaque étape vaut son pesant d’or et les progrès accomplis nous aident à mieux aider les autres.

Où pensez-vous vous situer par rapport à votre maître, que vous décrivez comme un homme d’une bonté et d’une bienveillance extraordinaires ?

Je me considère toujours comme un disciple. L’esprit du débutant est une attitude extrêmement salutaire. Je mesure tout ce que je dois à mes maîtres pour avoir donné du sens à ma vie, c’est déjà un progrès. Je mesure aussi que le chemin est long, mais ce n’est pas tellement la longueur du chemin qui est un problème. L’essentiel est d’être dans la bonne direction. Il ne faut pas faire preuve d’impatience, il faut être persévérant.

En tant que photographe, vous estimez aussi avoir un rôle de témoin ?

Oui, pour ce qui est des portraits de mes maîtres et des photos qui montrent la vie spirituelle. L’autre aspect de la photo, c’est de susciter l’émerveillement. Il y a beaucoup de photographes qui montrent la guerre, les famines. Ils sont nécessaires mais on finit par crouler sous l’horreur. Ce n’est pas cela qui fait la totalité de la nature humaine. Ce que j’appelle la banalité du bien, c’est que la majeure partie de l’humanité se comporte décemment. Je veux montrer la part de beauté de la nature humaine et celle du monde sauvage, pour susciter l’émerveillement vis-à-vis de notre monde.

Ce qui paraît paradoxal dans le bouddhisme, c’est l’isolement dû à la méditation et le lien avec les autres. Comment l’expliquer ?

C’est très mal compris. Il y a une image que j’aime beaucoup, c’est celle du cerf blessé qui se cache dans la forêt pour panser ses blessures avant de partir gambader avec les autres. Nos blessures sont l’ignorance, le renfermement sur soi-même, l’égoïsme. Avant de faire quelque chose pour les autres, il faut se transformer soi-même. Le but de la solitude n’est ni de fuir la société, ni d’être indifférent, c’est un temps de mûrissement et de formation pour mieux se mettre au service des autres. La méditation sert à se débarrasser de l’ego.

Vous avez publié Le Moine et le Philosophe avec votre père Jean-François Revel. Son succès a fait de vous un personnage médiatique. Comment concilier ce statut avec celui de moine bouddhiste ?

La première leçon est que cette célébrité est très artificielle. Vous passez dans cette étrange lucarne qu’est la télé et, soudain, les gens vous parlent dans la rue. Longtemps, je venais de mon Himalaya en étant inconnu. Puis les livres se sont enchaînés, les projets humanitaires. Je me demande parfois si j’ai bien fait. On me dit que je suis très médiatisé, le moine le plus célèbre de France… C’est un peu l’overdose, je vous assure. En même temps, ça me permet de partager des idées.

Faites-vous du prosélytisme pour le bouddhisme ?

Ah, non ! Je serais même honteux d’en faire. Je ne décourage pas les gens mais je ne les encourage pas. Si on me demande de trouver quelqu’un pour l’initier au bouddhisme, je donne quelques conseils…

Peu de gens sont capables de donner une définition précise du bouddhisme. Est-ce une religion au sens propre ?

C’est un vieux débat. Les philosophes disent que c’est une religion et les religieux que c’est une philosophie. C’est quelque chose qui permet de faire le pont entre les deux. C’est une philosophie profonde, complexe, que j’ai passé des années à étudier. Ce n’est pas une religion théiste, le bouddhisme réfute la notion de créateur et de cause première. Mais il y a une forme de transcendance. C’est en tout cas une spiritualité. Est-ce qu’on peut dire que c’est une religion ? Il y a des rituels de groupe, des méditations guidées très développées qui durent toute une journée. Il existe aussi un bouddhisme populaire où les gens n’ont pas forcément approfondi les textes philosophiques. Il y a plusieurs niveaux.

Qu’est-ce que vous diriez à quelqu’un qui voudrait devenir bouddhiste ?

Réfléchissez bien. Prenez votre temps, regardez les textes pour ne pas vous mettre entre les mains de n’importe qui. Surtout, pas de précipitation. Comme on dit au Tibet, frottez le caillou pour voir si c’est de l’or.

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jeudi 9 décembre 2021

Le centre spirituel par Jacques Castermane

 Inauguré par K.G. Dürckheim le 12 juillet 1981, à Mirmande,


LE CENTRE DÜRCKHEIM EST-IL UN CENTRE SPIRITUEL ?

La réponse est : Oui ... à condition de distinguer les différentes définitions données à ces différents concepts : spirituel, exercice spirituel, expérience spirituelle, vie spirituelle. Ainsi, « On se trompe si on confond la vie spirituelle avec la religion qui n’est qu’une des façons de la vivre. La spiritualité est une dimension de la condition humaine, non le bien exclusif des Eglises »

Si je reprends ce que nous a dit André Comte-Sponville (1) au cours des nombreuses leçons de philosophie dont nous avons bénéficié au Centre, c’est parce que Graf Dürckheim, dès les années 1950, souligne que « Ce qu’on désigne comme étant l’expérience spirituelle (l’expérience mystique, le satori) n’est pas due au fait que l’homme qui fait cette expérience est chrétien ou bouddhiste mais parce qu’il est un être humain ».

Et le vieux sage de la Forêt Noire ajoute : « M’intéresse dans le Zen ce que cette tradition recèle —d’universellement humain— ».

La Voie spirituelle proposée au Centre Dürckheim est le Zen, un chemin d’expérience et d’exercice qui n’est en aucun cas enchaîné à une confession religieuse.

UN CHEMIN D’EXPÉRIENCE ! IL S’AGIT DE L’EXPÉRIENCE DE LA TRANSCENDANSE ?

Transcendance. C’est un mot que Graf Dürckheim n’hésitait pas à prononcer mais l’expression qui semble lui être propre était « Transcendance Immanente ». Il s’agissait pour lui d’une Réalité qui nous dépasse et qui, en même temps était le cœur de tout être vivant. Il s’agit de ce qui tout à la fois nous dépasse infiniment mais qui, nous dépassant, est le fondement intime de ce processus de transformation qu’est l’acte de vivre.

Plus je pratique zazen et plus il me semble que ce qu’on désigne comme étant la transcendance est l’immanence lorsqu’elle est pensée alors que l’immanence c’est la transcendance lorsqu’elle est vécue. Au cours des cinq années passées en Forêt Noire j’ai pu observer que les croyances et les rituels qui sont traditionnellement liés à l’expérience spirituelle et à la vie spirituelle cédaient le pas à l’exigence de la pratique d’un exercice indubitablement corporel et spirituel appelé -zazen- et au débordement de cette manière d’être au monde dans la vie quotidienne. Ce qui n’interdisait à personne ni la croyance ni la foi. Nonobstant, ni la croyance ni la foi n’autorisent à séquestrer l’exercice appelé zazen dans le cadre enserré de ses propres croyances, même si on fait don de sa vie pour celles-ci. (2)

ZAZEN ! UN EXERCICE CORPOREL ?


Oui. Un exercice qui engage le corps-vivant dans sa globalité et son unité (LEIB dans la langue allemande). Le tout corps vivant que l’homme ‘’EST‘’ ; à ne pas confondre avec le corps que l’homme ‘’A‘’ (KÖRPER dans la langue allemande).

Körper : (étymologie : le mot latin corpus) est le corps disséqué, morcelé ; c’est le corps objectivé, le corps-objet, le corps-outil, le corps-paraître. Körper est pensé comme étant la somme des éléments qui le composent (+ ou- 206 os, + ou- 600 muscles, + ou- 70 organes, + ou- 30 milliards de cellules, 23 paires de Chromosomes dans chaque cellule, chaque chromosome porte + ou – 2000 gènes).

Leib : (étymologie le verbe Leben, vivre) n’est pas quelque chose mais un événement qui associe un ensemble de gestes à travers lesquels l’homme se présente, devient ce qu’il est ou se manque (KGD).

VOUS SEMBLEZ PRÉFÉRER LE MOT ZAZEN AU MOT MÉDITATION ?

Il ne s’agit pas d’une préférence mais du respect d’une différence, d’une énorme différence. « Il y a mille et une manières de méditer mais il n’y a qu’une manière de pratiquer zazen ! C’est ce que n’a cessé de répéter le Maître zen Hirano Katsufumi Rôshi (3) au cours des sesshin qu’il a animé au Centre Dürckheim pendant une dizaine d’années. Une différence qui est insaisissable par la pensée.

« Chercher à comprendre le Zen n’est rien d’autre que pratiquer zazen. »

Autrement dit, si vous désirez savoir si l’eau est chaude ou froide ... trempez le coude dans l’eau, comme le font toutes les mamans du monde avant de plonger leur bébé dans le bain. Aucune mesure quantitative, objective, scientifique, ne peut remplacer cette expérience qualitative qu’est l’expérience de notre vraie nature, de notre propre essence.

Jacques Castermane

(1) André Comte-Sponville : « On a été habitué, pendant vingt siècles d’Occident chrétien, à ce que la seule spiritualité socialement disponible soit une religion, au sens occidental du terme, c’est-à-dire ne croyance en un Dieu, un théisme. On a donc fini par croire que les mots “religion” et “spiritualité” étaient synonymes. Il n’en est rien. Il suffit pour s’en rendre compte de prendre un peu de recul, aussi bien dans le temps, du côté des sagesses antiques, que dans l’espace, du côté des sagesses orientales, spécialement bouddhistes ou taoïstes. On découvre vite qu’il existe d’immenses spiritualités sans croyance en un Dieu ou en une transcendance. C’est ce que j’appelle des spiritualités de l’immanence. Cette manière d’envisager la spiritualité n’aurait pas du tout choqué un épicurien ou un stoïcien de l’Antiquité. Elle ne choquerait pas un bouddhiste d’aujourd’hui. Elle n’est paradoxale que dans un univers monothéiste, et judéo-chrétien en particulier. Comme je suis athée, j’ai dû m’appuyer sur des traditions différentes, à savoir les sagesses grecques, d’une part, et les spiritualités orientales, d’autre part. Sans mépriser pour autant la tradition judéo-chrétienne, qui m’intéresse surtout par sa morale, celle des Évangiles. Mais bouddhisme ou taoïsme sont plus proches de ma conception de la spiritualité, pour la simple raison qu’elles ne font aucune référence à quelque Dieu que ce soit ».

(Lire L’esprit de l’athéisme —André Comte-Sponville —Ed. Albin Michel)

(2) lire à ce propos la lettre d’Instant en Instant n° 96, (Octobre 2021) :

 Le soi Nu (Shohaku Okumura Rôshi)

(3) Nous venons d’apprendre le décès de Hirano Rôshi, survenu le samedi 27 novembre 2021

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