Les blessures d’enfance rejaillissent naturellement dans la vie de couple. Elles peuvent assombrir la relation, mais aussi ouvrir un chemin de guérison. À condition d’en prendre conscience et de vouloir les dépasser à deux.
...Quatre types de liens hérités de l’enfance
Comment identifier ses blessures ? « Certaines sont révélées par un comportement inadapté ; une réaction automatique, comme si le disque était rayé ; des échecs professionnels ou relationnels répétés », répond la psychologue, qui a publié les Blessures d’enfance, les connaître, s’en remettre (Mame, 2023). « L’impression d’un manque de liberté ou que, dans une situation particulière, on ne se reconnaît pas, on ne s’aime pas. » Agnès connaît ce malaise diffus lorsque, à chaque fois qu’elle passe des vacances dans sa famille, elle ressent une forte tension s’installer en elle (voir témoignage ci-dessous). Autre indicateur : les réflexions bienveillantes mais répétées du conjoint ou de l’entourage. « S’il nous fait toujours la même remarque, c’est un signal », poursuit l’experte.La théorie de l’attachement identifie quatre types de liens hérités de la petite enfance, comme le détaille la psychologue Gwénaëlle Persiaux dans Guérir des blessures d’attachement (Eyrolles, 2021) : « sécure » ; « anxieux », marqué par la peur de l’abandon ; « évitant », avec la crainte de l’intimité ; « désorganisé » à cause d’une éducation imprévisible et incohérente. Ces tendances, qui colorent sans qu’on s’en rende compte toutes les relations affectives, ressurgissent particulièrement en amour.
« Souvent, l’autre appuie inconsciemment sur ce qui nous a marqué petit, relève Nathalie Loevenbruck, conseillère conjugale et familiale du cabinet Mots croisés. L’intensité relationnelle que l’on vit dans le couple rappelle les besoins affectifs que nous avions enfants et qui n’ont pas été toujours suffisamment satisfaits. Les conjoints attendent souvent du lien conjugal comme une réparation : amour inconditionnel, attention privilégiée ou bonne distance, qui ont pu manquer. Ainsi, notre choix amoureux va inconsciemment résonner avec notre vécu relationnel d’enfance. »
Prendre conscience de son histoire
Avec du recul, Véronique en témoigne, elle qui a épousé un homme très autoritaire. « Au début de notre mariage, je n’osais pas lui dire ce que je pensais, par peur du conflit, se souvient cette enseignante. En fait, je revivais exactement la même situation qu’avec ma mère ! Face au chômage et à la dépression de mon mari, je me suis fait violence pour lui dire mon ressenti. Le fait que je change nous a permis de vivre une relation plus ajustée. Aujourd’hui, je n’ai plus peur de lui faire part de mes craintes, par exemple. » Et que l’on soit attiré par son semblable ou par son contraire, la difficulté ne tardera pas à émerger, comme le souligne Bénédicte Sillon : « Quand une personne me dit qu’elle a épousé une femme ou un homme très différents de sa mère – l’opposé même – ou de son père, cela me fait sourire, parce que les opposés, c’est souvent la même problématique… »Un accompagnement thérapeutique peut permettre de prendre conscience de son histoire. « Ainsi, on projette moins sur l’autre ce qui nous appartient », abonde Nathalie Loevenbruck. Dans le cas de Louise, pas de quoi se livrer à 10 ans de divan, mais son attitude mutique a pu déstabiliser son mari. « Au début, quand elle se fermait, je pensais bien faire en la laissant tranquille, explique ce commercial quinquagénaire. J’ai mis plus de 10 ans à comprendre qu’il s’agissait en fait d’un appel à l’aide… muet. » Il s’emploie désormais à l’aider à s’exprimer, quand il la sent bloquée. « Parle-moi ! », lui intime-t-il alors en la serrant dans ses bras, jusqu’à ce qu’elle réussisse à vider son sac. « Sa tendresse inconditionnelle, son absence de jugement et son humour m’ont beaucoup aidée à sortir de ma coquille », accorde son épouse.
« Si nous sommes blessés en relation, c’est en relation que nous pouvons guérir, approuve la conseillère. La relation conjugale est celle qui nous met le plus au travail ! Elle nous invite, notamment par les conflits que provoque la réactivation des blessures, à cheminer. » Et de citer l’exemple de Stéphanie qui, enfant, s’était sentie étouffée par des parents surprotecteurs. Devenue une adulte casse-cou, rebelle, elle tombe amoureuse de Raphaël. Elle se sent sécurisée par le côté prévoyant qu’il a développé car lui, à l’inverse, s’est souvent senti en danger lorsqu’il était petit. Ses parents le surveillaient peu, il se blessait, se perdait fréquemment. Mais cette femme aventureuse finira par mal supporter les limites que semble lui imposer son conjoint et lui, séduit au départ par la soif d’exploration de sa chérie, en ressentira de l’insécurité. « La situation peut devenir invivable. Mais si chacun prend conscience de ce qui se joue, elle sera occasion de guérison », garantit Nathalie Loevenbruck.
« Apprendre à explorer le monde de l’autre »
Pour y parvenir, elle propose notamment l’approche relationnelle Imago. L’idée ? « Apprendre à explorer le monde de l’autre, si différent, si étrange… Comprendre que telle réaction trop vive exprime un besoin non satisfait dans l’enfance. » Concrètement, la méthode invite à des dialogues. « Chacun à son tour “traverse le pont qui le relie à l’autre” en reformulant ce qu’il dit, en exprimant sa compréhension, son empathie, détaille-t-elle. Des demandes réalistes pourront être faites et librement consenties. »
Ainsi, Raphaël et Stéphanie vont comprendre, ensemble, que lui a mis son côté aventurier « au congélateur » pour se protéger. Elle veillera à lui proposer une excursion où le danger est mesuré, qu’il pourra suivre sans peur. Il « décongèlera » ainsi l’audace bloquée en lui. Elle-même fera le chemin inverse en posant une limite à son goût du risque excessif et grandira en prudence, par amour. Cette approche thérapeutique permet de se révéler l’un à l’autre, jusque dans sa vulnérabilité. « On entre dans une relation plus consciente, conclut Nathalie Loevenbruck. En rejoignant l’autre, on apporte un baume sur sa blessure car se sentir compris aide à sortir d’une logique de victime et on se renforce soi-même. »
Mère de trois enfants, Louise en témoigne : « On fait partie des équipes Notre-Dame, et chaque mois, on se prend un moment en tête-à-tête pour se redire notre amour, aborder les difficultés rencontrées – tout ce que j’aime !, ironise-t-elle. Mais au fil des ans, cet exercice m’a appris à verbaliser mes besoins, à présenter mes failles, à ouvrir davantage mon cœur. » Si les blessures font mal, elles peuvent ouvrir un chemin d’espérance, par la force d’un amour qui sécurise et répare.
Par Agnès de Gelis
Source : La Vie
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