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vendredi 8 novembre 2024

Tout faire un peu plus lentement


Dans sa lettre d’octobre, Jacques nous invite à ne pas séparer dans notre quotidien « l’action, reliée aux intentions de l’être, et l’activité, orientée vers un but extérieur » ou encore « l’infaisable et le faire ». Pour ne pas se laisser emporter par l’activisme journalier, une indication est précieuse dans le zen : tout faire un peu plus lentement.

Indication donnée par K.G. Dürckheim à Jacques à la fin de l’une de leur première rencontre : « si vous voulez pénétrer le monde du zen, je vous invite, les jours à venir, à tout faire un peu plus lentement ». Il n’échappe à personne que la mode actuelle est à la performance, la vitesse et l’efficacité, quelle que soit l’activité.


Tout faire un peu plus lentement, avant de devenir un acte sacré, est un sacré apprentissage !

Je m’en suis rendu compte dans le domaine de la montagne que je connais bien ; j’ai pu sentir combien cette indication était finalement bien plus difficile à mettre en œuvre qu’une pratique habituelle, bien réglée et mécanique, basée sur la vitesse et la performance.

La montagne, lieu de contemplation par excellence, n’échappe pas à la règle. Trails, ultra-trails et courses diverses et variées fleurissent un peu partout dans les Alpes. Les yeux rivés sur le chronomètre ou la montre connectée, nous nous fions à ce que nous disent les instruments, et faisons peu de fi de ce que nous ressentons et de ce qui nous entoure.

Seuls comptent les chiffres que nous indique l’écran : gagner quelques minutes, quelques secondes, quelques mètres. Ces activités se situent principalement dans une optique crispée et volontariste, s’appuyant sur un instrument supplémentaire que l’on appelle « mon corps », au service des attentes et des objectifs du mental.

L’obsession du chronomètre, d’une distance à parcourir, d’une altitude à dépasser, c’est la toute-puissance du temps pensé et de l’espace pensé, ce qui se mesure, se contrôle, sur le temps vécu et l’espace vécu, insaisissable moment qui ne se goûte qu’au présent.

C’est la toute-puissance du mental et du corps outil sur la sensorialité du corps vivant.

Toujours ailleurs et plus tard, quand j’aurai accompli ceci ou cela … enfin la paix ? Rien n’est moins sûr.

Apprendre à ralentir, ce n’est pas s’engager dans une lenteur, mais juste ralentir un peu, très légèrement, changer ses habitudes, transformer sa mécanicité en acte plus conscient.

Cela ne se remarque pas de l’extérieur, ou à peine, mais intérieurement, il se passe quelque chose de très riche : l’initiation, l’invitation à la Présence.

Tout faire un peu plus lentement demande une grande attention, non plus aux instruments de mesure divers et variés, mais au corps, à ses rythmes et ses gestes vitaux.

Plus vigilant, plus à l’écoute de ma manière d’être, suis-je vraiment en train d’habiter ce que je suis en train de faire ? Etant présent à tout ce qui vient de l’extérieur, suis-je vraiment en train de répondre à ce que la situation propose, exige ?

Dans toute action, il est possible de redécouvrir et de nourrir une autre manière d’être, une autre relation au corps et au monde.

Par un retour attentif aux actions vitales, spontanées, naturelles du corps vivant, je peux commencer à sentir ce qui m’anime, me nourrit, me porte et me met en relation à ce qui m’entoure. Le corps n’est plus l’instrument du mental, mais devient le centre vital de l’action et donne sens, richesse et profondeur au geste pratiqué de manière plus juste ; plus juste parce que plus en accord avec les lois du vivant. Paradoxalement, cette démarche intime et intérieure me plonge au cœur de la relation au monde.

Quelles sont ces actions naturelles, spontanées qui n’ont rien à voir avec mon désir de performance ? Va-et-vient du souffle, rythme cardiaque ... Forme et tenue corporelles plus justes (les 4 attitudes dignes), actions sensorielles : ce que je sens, ressens, vois, entends …

Cette présence vitale est la source de ma vraie nature, en même temps que le lien qui m’ouvre à un regard neuf sur le monde, comme l’illustre ce dialogue rapporté par Jacques lors d’une promenade en forêt avec Dürckheim :


« - Jacques que voyez-vous là ?

- Je vois un arbre, un très bel arbre !

- C’est curieux, là où vous voyez un arbre, je vois un geste de la vie. »

Cela demande une grande vigilance de sentir que, quelle que soit l’action, je ne satisfais pas seulement une volonté d’utilité ou de mainmise sur le monde, que je ne maitrise pas qu’un savoir-faire, mais que l’activité engagée ouvre sur un savoir-être, une transparence à ma vraie nature. C’est ce que nous appelons dans le zen la pratique de la voie intérieure.

« L’exercice du savoir-faire est terminé lorsque le résultat extérieur est acquis, satisfaisant. L’exercice sur la voie commence seulement au moment où l’on sait faire ce que l’on a appris en pratiquant régulièrement ; l’exercice consiste alors en une répétition perpétuelle du même geste… » nous dit Dürckheim.

Cette indication peut nous sembler bien ennuyante, mais le mot -répétition- prend une tout autre signification si nous l’entendons dans le sens de renouvellement. L’épanouissement de l’être humain peut alors se trouver dans les activités les plus banales, et la libération du savoir-être se découvre au cœur même de la contrainte existentielle ; c’est la voie du zen.

Indubitablement et quotidiennement, nous sommes effectivement dans l’obligation de répéter des activités ayant un but extérieur certain, mais nous en oublions la plupart du temps le sens sacré : le contact avec la source de toute activité. C'est-à-dire la présence et la soumission aux actions corporelles vitales, impermanentes et infaisables, qui réactualisent notre manière d’être, nos gestes, à chaque instant, et nous maintiennent au contact de l’essentiel.

Seulement ainsi, soumis à un changement permanent, voulu par la vie, nous sommes une

Personne en devenir, interagissant avec l’Ensemble, un être « divinement humain ».

Si les lois du mental nous enferment dans un besoin de normes et de mesures, dans un savoir figé et limité à notre besoin de compréhension et de maîtrise de notre existence, les lois du corps vivant nous ouvrent à une connaissance illimitée ; illimitée parce que sans cesse renouvelée par l’acte d’être. Sortir de la banalité demande à prendre au sérieux l’instruction de tout faire un peu plus lentement, afin de faire l’expérience que « Le zen n’est pas un art de vivre, c’est devenir un artiste de la vie » D.T. Suzuki

Joël PAUL 

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mardi 15 octobre 2024

La pratique de la Voie dans le quotidien ?

 "Lorsque vous pratiquez zazen, le corps prend la forme du calme" (Hirano Rôshi)

Il ne s'agit pas d'un dogme. A chacun de vérifier si c'est vrai. Comment ? Je ne vois qu'un seul moyen : en pratiquant fidèlement zazen.

Une pratique qui a été décrite dans des Lettres d'Instant en Instant antérieures. S'il vous arrive, au cours de cet exercice que l'on fait à un moment de la journée en étant à l'écart des obligations quotidiennes, s'il vous arrive de vous sentir habité par ce calme qui n'est pas le contraire de l'agitation mais l'absence d'agitation, une question s'impose : ce calme intérieur peut-il déborder dans ma vie de tous les jours ?

Ce n'est que dans la mesure où cette manière d'être qui révèle que je suis en contact avec ma vraie nature imprègne ma manière d'être au monde que l'exercice a un sens.

Si le maître Zen est là pour nous apprendre comment pratiquer zazen, il est également là pour attirer notre attention sur le comportement correct à adopter dans tous les moments de notre vie quotidienne, ce qui est désigné par l'expression japonaise Shiigi que l'on peut entendre comme étant les quatre attitude dignes : en marchant (gyô), debout (jû), assis (za), allongé (ga).1

En 1960, dans son livre Der Altag als Ubung (Le quotidien comme exercice),2 Graf Dürckheim souligne l'importance de notre manière d'être en tant que corps vivant (Leib). : "Tout ce que nous entreprenons dans le monde, nous l'effectuons dans une certaine attitude corporelle. L'objet de notre entreprise appartient au monde, mais dans l'attitude, dans la façon de faire, l'homme s'exprime soi-même !"

Et il prend comme exemple une activité quotidienne aujourd'hui quasiment révolue : poster une lettre à la boîte aux lettres.

"Poster une lettre à cent pas de l'endroit où on se trouve signifie cent pas de perdus si l'on ne donne à cette action que le but de jeter la lettre dans la boîte. Par contre, s'il s'agit d'un homme sur la voie, alors, même la distance la plus courte lui donnera l'occasion de se mettre en ordre intérieurement, de se renouveler par le contact avec son être essentiel, à condition de parcourir cette distance dans une attitude juste. Il en sera de même pour toutes les activités quotidiennes".

Graf Dürckheim dans les années soixante, Hirano Rôshi au cours des dix dernières années lorsqu'il a animé des sesshin au Centre, comme Dôgen Zenji (3) au 13ième siècle, nous invitent à distinguer action et activité.


Chaque jour je marche pendant une dizaine de minutes pour me rendre sur mon lieu de travail.

Marcher est dans ce cas une activité en relation avec un but extérieur, une nécessité existentielle. Soumis à certaines conditions, comme par exemple l'heure d'un rendez-vous, je vais marcher plus ou moins vite.

Au Dojo, j'exerce la marche lente appelée Kin-Hin. Au cours de cet exercice je suis attentif à la tenue juste (ni crispé ni avachi), attentif au rythme grâce auquel le passage d'un pied sur l'autre se fait dans un parfait équilibre. Marcher est dans ce cas une action qui exprime et en même temps imprime ce qu'on peut désigner comme étant les intentions de l'être.

Les intentions de l'être ? De même que l'acte de respirer - cette action vitale - l'acte qu'est marcher est inné. L'inné précède l'héritage génétique et les conditionnements acquis. Respirer, marcher, ces actions infaisables qui ne sont pas du ressort du moi, expriment et révèlent la présence dynamique de notre propre essence. Il en est de même du calme intérieur, cette valeur de l'être trop souvent ignorée. "Je ne souffre pas d'un manque, je souffre d'ignorer ce qui ne manque pas" (Graf Dürckheim).

Action et activité. L'infaisable et le faire.

Il ne s'agit pas d'opposer ces deux modes d'agir. Il s'agit de les harmoniser, de les entrelacer. Jusqu'à ce que leur interaction devienne notre manière de vivre, notre manière d'être au monde. Entrelacement du moi existentiel, du moi mondain et de notre être essentiel.

Tchouang Tseu (4) parle de la relation entre le ciel et l'humain.

À la question - qu'entends-tu par le ciel ? - le penseur chinois répond : "Les chevaux et les buffles ont quatre pattes : voilà ce que j'appelle le Ciel".

À la question - qu'entends-tu par l'humain ? il répond : " Mettre un licou au cheval, percer le museau du buffle : voilà ce que j'appelle l'humain".

Et il ajoute : "Veille à ce que l'humain ne détruise pas le céleste en toi". Veille ! Veiller est le verbe qui traduit le plus justement le kanji -Zen-.

Zazen ? Veille à ne pas déranger l'infaisable avec ce que tu fais ! Kin-Hin ? Veille à ne pas déranger l'infaisable avec ce que tu fais !

L'exercice dans le quotidien ? « Il n'y a rien de spécial dans ce que je fais chaque jour. Je me contente de me tenir en harmonie avec toutes choses. (...) Les pouvoirs surnaturels et les travaux qui provoquent l'admiration ne sont rien d'autre que de chercher de l'eau et ramasser du bois ».

Quoi que tu fasses, veille à ne pas déranger l'infaisable avec ce que tu fais !

Jacques Castermane


1 Hirano Katsufumi Rôshi - ENSEIGNEMENTS - p. 29 - Compilation par J. Derudder – éd. Unicité

2 Pratique de la Voie intérieure – Le quotidien comme exercice – K.G. Dürckheim – éd. Le Courrier du Livre

3 Dôgen Zenji (12ième Siècle) Fukanzazengi : Règles et méthodes pour la pratique de zazen

4 Leçons sur Tchouang-Tseu - J.-F. Billeter - p. 47-48 – éd. Allia

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dimanche 18 août 2024

La grandeur de l’être humain

 

Le quatrième épisode de la série documentaire Sur les Routes spirituelles s’intitule « La grandeur de l’être humain » ... Merci à "Les Films de la Table 10".


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dimanche 26 mai 2024

Surmonter la tragédie en prenant soin des autres

Voici un exemple très inspirant de la façon dont nous pouvons surmonter les tragédies de l'existence en prenant soin des autres et de notre société.


Latifa Ibn Ziaten est la maman d’Imad Ibn Ziaten, soldat assassiné par Mohamed Merah le 11 mars 2012. Elle a créé l'association IMAD pour la jeunesse et la paix en avril 2012. Son but est de venir en aide aux jeunes des quartiers défavorisés, de promouvoir la laïcité et le dialogue interreligieux. Latifa a gagné de très nombreux prix dont le prix de la tolérance en 2016 et elle a été nommée pour le prix Nobel de la paix en 2018. Voici ce qu'elle nous dit :

« Quarante jours après le décès de mon fils, je suis retournée chez moi et j’ai commencé à sombrer dans la souffrance. Imad était plus qu’un fils pour moi : c’était un confident, un ami. Durant cette période, j’ai rêvé de lui à trois reprises. Dans le premier rêve, il m’a dit: “Maman, lève-toi.” J’en ai parlé à ma famille, qui a attribué cela à un effet des médicaments. Mais j’ai refait le même rêve. Puis, la troisième fois, j’ai senti une présence. Mon fils était assis sur le lit, il me tenait la main et répétait: “Maman, lève-toi. S’il te plaît, maman, lève-toi. Je ne veux pas te voir comme ça. Maman, j’ai besoin de toi.” Là, je me suis dit : “Il faut que je me lève”, et j’ai annoncé à ma famille : “Je vais sortir; je ne veux pas sombrer comme ça. Je vais prendre soin de vous, de moi, de la mémoire de mon fils, et tendre la main aux autres.” Et c’est ainsi que je suis sortie de chez moi. Aujourd’hui, une partie de moi est partie avec lui. Et ce vide que j’ai à l’intérieur de moi, j’essaie de le remplir en tendant la main aux autres: je me rends dans des établissements scolaires, auprès de jeunes qui ont besoin d’aide, de conseils, d’amour, de confiance et d’espoir. Je fais de même auprès de prisonniers dans des maisons d’arrêt. Je mène plusieurs projets pour aider ces jeunes à échapper à leur quotidien, leurs souffrances, leur malchance de ne pas réussir. Et j’accompagne des familles, parce que l’éducation, la présence des parents et leur amour sont à la base de tout.

Je ne souhaite à personne de perdre un fils de 30 ans, un fils merveilleux qui était lui-même empli d’espoir et d'amour...Il me manque énormément, mais à travers cette association, à chaque vie que je contribue à sauver, je vois Imad grandir encore un peu : lorsqu’un jeune ne part finalement pas en Syrie, ou décide d’en revenir ou lorsque je convaincs un jeune en maison d’arrêt de prendre soin de lui et de démarrer le moteur de sa vie pour avancer, ce qu’il est le seul à pouvoir décider au final.

Notre société a mis l’humain de côté alors que l’humain a besoin d’aide. Dès lors, pour mieux prendre soin de notre humanité commune, malgré la souffrance et le deuil, il faut garder à l’esprit que ce n’est pas la peur qui nous fait avancer, mais une meilleure compréhension de l’autre et un vrai dialogue avec celui-ci.»

Extrait du livre collectif "Prendre soin de la Vie, de soi, des autres et de la nature"
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samedi 20 avril 2024

Embarquement

 Il y a des jours où les expressions les plus populaires et les découvertes scientifiques les plus récentes semblent se faire écho.

« Mondialisation oblige, nous sommes tous dans la même galère » et il semblerait que dans la soute de notre navire planétaire, il y ait quelques bombes atomiques ou à retardement.

« Nous sommes embarqués » disait Pascal, mieux « nous sommes intriqués » dirait la physique quantique. Ce n’est pas une question de vouloir, même pas de pulsions, mais d’ondes et de particules.

Savoir cela devrait rendre dérisoires nos avis contraires, nos luttes assidues pour prendre ou garder le pouvoir, pour être le premier ou le dernier à avoir raison. Nos déterminismes se moquent bien de ces « je », de ces « jeux » puérils.

Nous sommes dans la même galère, embarqués, intriqués… et alors ?

Savoir cela suffirait-il pour que nous descendions ensemble dans la cale du navire planétaire, pour désamorcer ce qui est prêt et programmé pour l’explosion ?

Descendre ensemble dans la cale, c’est-à-dire dans notre intériorité, là où nous sommes un, interreliés, intriqués. Là où il n’y a plus d’Iraniens, d’Israéliens, de Palestiniens, de Russes, d’Ukrainiens, de Français, d’Américains… mais seulement l’humanité une, silencieuse et blessée… Là où il n’y a plus de veaux, de vaches et de cochons mais des animaux malades de la peste, avides de guérison plutôt que d’extinction….

Est-ce possible ?

Vœu désuet, vaste utopie ou expérience simple et triviale :

Le chat et la souris, dans leur faim de survivre, ne savourent-ils pas le même fromage ?

Mais où est la faim, où est le fromage ?

Ne demandez pas à la vie : « Où es-tu ? ».

Elle est là, je suis là, tu es là, nous sommes là…

Allons-y !     

  Jean-Yves Leloup, Avril 2024

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vendredi 19 avril 2024

Performance ou robustesse

 


Je vous conseille l'écoute de l'interview d'un français sur une chaîne belge et qui parle de pause café !

L'article est ici

Olivier Hamant propose plutôt de passer de l’abondance matérielle à l’abondance relationnelle.

Si vous n'arrivez pas à écouter l'audio, vous pouvez la trouver ici.






"La croissance donne l’impression d’abondance alors qu’elle crée la pénurie."


"Nous sommes dans une secte de la performance : on n’est plus capable de la questionner alors qu’on sait scientifiquement qu’elle induit une dégradation, c’est le burn-out des humains et celui des écosystèmes."

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dimanche 10 mars 2024

Accompagner la fin de vie

 D’où vous vient cette détermination ?


Elle s’est forgée au fil des années, mais aussi des rencontres avec ce que j’appellerais des “compagnons de route”, qui m’ont aidée tout au long de ce cheminement. Je pense en particulier aux philosophes que j’ai côtoyés, comme Bertrand Vergely, Emmanuel Hirsch, de l’espace Éthique de l’AP HP, ou, plus récemment, Cynthia Fleury. Après nos échanges, il m’a paru évident que l’abandon des personnes vieillissantes ou vulnérables, l’abandon des mourants et le silence sur cette mort qui est notre destin à tous n’étaient pas dignes d’une société des droits humains. 

Cette prise de conscience s’est imposée à moi à la suite d’un rêve survenu durant les années où j’exerçais en tant que psychologue clinicienne dans la première unité de soins palliatifs créée en France, en 1996, à l’Hôpital universitaire '. Ce rêve, survenu alors que j’avais une quarantaine d’années, j’en ai fait le récit dans La Mort intime, et le voici tel que je l’ai raconté : “Je suis dans une cuisine où se dresse devant moi une grande cheminée. Un homme que je ne connais pas se trouve à côté de moi. Il me demande de monter sur un tabouret et de regarder à travers un trou percé dans le conduit. Je grimpe sur le tabouret, jette un œil et vois ce qui ressemble à un conduit de cheminée avec de la suie à l’intérieur. Et là, mon regard est attiré par un filet de miel coulant au milieu de la suie. Je m’interroge : « Du miel dans un conduit de la cheminée ? » Je teste la consistance avec le doigt et goûte : c’est bien du miel. Alors je redescends, bouleversée, puis je dis avec force à cet homme : « Il faut que j’aille dire aux gens qu’il y a du miel dans la suie ! »”Je me réveille alors avec le sentiment d’avoir fait un grand rêve, un rêve qui m’indiquait mon destin. En tant qu'analyste jungienne, j’étais depuis longtemps habituée à travailler sur le matériel onirique de mes patients, et il m’a paru évident que ce rêve me disait en quoi consiste ce “mandat céleste” dont je vous parlais tout à l’heure. Je travaillais déjà sur tous ces thèmes que notre société rejette : la vulnérabilité, la maladie, la dégradation physique, la mort. Tout ce qui fait peur. Tout ce qui dégoûte. Tout ce que l’on cache. La suie, c’est cela. Mais dans la suie coule du miel, ce que j’ai découvert lorsque j’accompagnais des personnes si fragiles. Le miel représente la douceur, la tendresse, le partage, quelque chose de bon et de précieux qui existe au milieu de cela. Tout est parti de là !

Les personnes en Ehpad ou en fin de vie, mais aussi leurs proches, leurs soignants, souhaitent bien sûr qu'on les accompagne, qu'on les écoute, qu’on les comprenne, mais elles attendent également des réponses et des solutions concrètes aux questions quelles se posent pour vieillir décemment, mourir dignement et partir sans souffrir. Êtes-vous en mesure de leur apporter cela ?

Je n’ai pas de recettes toutes faites. En revanche, après avoir beaucoup observé et interrogé de personnes âgées remarquables, je sais qu’il existe des pistes pour se donner les meilleures chances de vivre une vieillesse riche, épanouie, constructive et en bonne santé. Mes dix années d’expérience au chevet des mourants m’ont aussi montré ce qui permet à une personne en fin de vie - même si chaque cas est particulier - de mourir sans souffrance physique ni morale. Mais pour cela, un énorme travail de prise de conscience collective doit être accompli. La génération des boomers - la mienne -, celle qui a prôné dans sa jeunesse l’imagination au pouvoir, doit rivaliser d’imagination, justement, pour ne plus compter sur ses enfants ou sur l’État pour régler ses problèmes de grand âge et de fin de vie, car la solidarité intergénérationnelle a atteint ses limites. Nous sommes les premiers dans l’histoire de l’humanité à vivre aussi longtemps. Il est possible de faire de cette nouvelle donne une chance, une véritable opportunité, ou bien au contraire un enfer. À nous de choisir, et vite, car c’est aujourd’hui, maintenant, que tout se joue. Les solutions existent. Je les expérimente seule ou avec d’autres personnes de ma génération. Reste à trouver la volonté individuelle et collective de les appliquer.

Si la génération actuelle du troisième âge ne prend pas très vite conscience que c’est à elle de se donner les moyens de rester autonome le plus longtemps possible, elle se prépare un quatrième puis un cinquième âges très difficiles. Bien sûr, la perte d’autonomie peut être consécutive à la maladie, à une fragilité chronique ou à un accident, mais si les bonnes pratiques - sur les plans physique et psychique - sont mises en place assez tôt, nous savons que nous avons de grandes chances de parvenir à l’âge de quatre-vingt-dix ans en ayant conservé notre autonomie. Or les gériatres nous disent que celui qui atteint cet âge en étant autonome a huit chances sur dix de le demeurer jusqu’au bout, ce qui contribue grandement à une fin de vie digne et paisible. Prévenir la perte d’autonomie n’est donc pas un vœu pieux mais une réalité possible, et une grande satisfaction lorsqu’on obtient les résultats escomptés. À l’âge qui est le mien, c’est dans cette logique que je m’inscris.

source : extraits de l'Eclaireuse - entretiens avec Marie de Hennezel

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samedi 13 janvier 2024

Parler aux enfants

 "Je condamne l’ignorance qui règne en ce moment dans les démocraties aussi bien que dans les régimes totalitaires. Cette ignorance est si forte, souvent si totale, qu’on la dirait voulue par le système, sinon par le régime. J’ai souvent réfléchi à ce que pourrait être l’éducation de l’enfant.


Je pense qu’il faudrait des études de base, très simples, où l’enfant apprendrait qu’il existe au sein de l’univers, sur une planète dont il devra plus tard ménager les ressources, qu’il dépend de l’air, de l’eau, de tous les êtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout détruire.

Il apprendrait que les hommes se sont entretués dans des guerres qui n’ont jamais fait que produire d’autres guerres, et que chaque pays arrange son histoire, mensongèrement, de façon à flatter son orgueil.

On lui apprendrait assez du passé pour qu’il se sente relié aux hommes qui l’ont précédé, pour qu’il les admire là où ils méritent de l’être, sans s’en faire des idoles, non plus que du présent ou d’un hypothétique avenir.

On essaierait de le familiariser à la fois avec les livres et les choses ; il saurait le nom des plantes, il connaîtrait les animaux sans se livrer aux hideuses vivisections imposées aux enfants et aux très jeunes adolescents sous prétexte de biologie. ; il apprendrait à donner les premiers soins aux blessés ; son éducation sexuelle comprendrait la présence à un accouchement, son éducation mentale la vue des grands malades et des morts.

On lui donnerait aussi les simples notions de morale sans laquelle la vie en société est impossible, instruction que les écoles élémentaires et moyennes n’osent plus donner dans ce pays.

En matière de religion, on ne lui imposerait aucune pratique ou aucun dogme, mais on lui dirait quelque chose de toutes les grandes religions du monde, et surtout de celle du pays où il se trouve, pour éveiller en lui le respect et détruire d’avance certains odieux préjugés.

On lui apprendrait à aimer le travail quand le travail est utile, et à ne pas se laisser prendre à l’imposture publicitaire, en commençant par celle qui lui vante des friandises plus ou moins frelatées, en lui préparant des caries et des diabètes futurs.

Il y a certainement un moyen de parler aux enfants de choses véritablement importantes plus tôt qu’on ne le fait."

Marguerite Yourcenar, "Les yeux ouverts."


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jeudi 11 janvier 2024

dimanche 7 janvier 2024

Expérience duelle


Si vous avez fréquenté un minimum les cercles spirituels contemporains, vous savez qu’il existe un engouement pour « la non dualité ». Le concept et le rythme des mots autour de ce thème spirituel provoque quelque chose en soi, éveille une forme de distance froide, une posture surplombante qui fait planer l’esprit au-delà du monde et des contraintes de l'Incarnation. Le vague adoucissement émotionnel que l'on ressent parfois à l’écoute de cette perspective est réel mais n'est pas une confirmation que nous approchons de la vérité. 

Nous vivons une expérience de dualité. C’est tout simplement indéniable. Notre monde est animé par la relation (où il faut être au moins deux). Tout se joue dans la tentative laborieuse d’incarnation de l'amour entre deux ou plusieurs êtres. Même la relation au divin doit être personnelle aussi longtemps que nous sommes incarnés. On ne peut se dissocier de cette réalité du deux, de l'autre, humain et divin. Nous aimerions ne pas être pétris par le monde, par ses affaires, par les affres des relations mais la résolution n'est pas dans la dissolution de la dualité, dans le refus des contraintes de l'incarnation, dans le rejet de l'altérité, dans la perspective de se dissoudre dans une « unité » sans substance. 

La beauté de la relation à l’autre ne surgit qu'après un chemin de va-et-vient ou l’on réalise qu’incarner l'amour ce n'est pas le demander à tout prix, ni même l’éviter, c'est dépasser la demande d'amour infantile afin de pouvoir servir le projet d'amour divin, tissé de don de soi et de service.

Je sais qu’on peut, de façon savante, élaborer n'importe quelle vérité parallèle, comme un ange déchu qui souhaiterait entrer en compétition avec son créateur, démiurge avec des apparences de sauveur. Notre époque aime inventer des voies téméraires, des solutions d’apprenti-sorcier, en défiant les lois naturelles de ce monde. Et la spiritualité contemporaine n’est pas en reste dans cette attitude. Si bien qu'il y a quelque chose de nocif dans la posture non duelle occidentale.

Il est urgent de revenir à la simplicité, à la flagrante réalité de nos chemins de vie. Nous n’avons pas de temps à perdre. Mais surtout, au-delà de déconstruire le mythe non duel, nous pouvons restaurer le sens de la relation. Les abstractions désincarnées, sans compassion chaleureuse pour nos existences pétries à la fois par nos failles et nos fulgurances spirituelles, nous éloignent de ce qui se trame vraiment. 

Nous voulons aimer, ressentir le flux vivant de l’amour. Et même lorsqu’il s’agit de Dieu, nous ne rencontrons la reconnaissance de son amour infini que dans le lien personnel, parce que nous sommes constitués ainsi. Impossible de snober notre humanité. Le dépassement nécessaire de la demande infantile ne met pourtant pas à la poubelle la réalité du prodigieux lien interpersonnel littéralement attaché au processus de l’incarnation. Il n’y a pas de honte, ni rien de puéril, à vouloir vivre un « cœur à cœur » avec l’être aimé, fût-il divin.

L’expérience non duelle appartient à Dieu. Tout est en Lui mais, dans le mystère Créateur, nous ne sommes jamais Lui. Pour nous, il n’est question que de « communion ». La prétention à dissoudre le moi dans un « grand tout » est attrayante (plus ou moins) mais joue sur le douloureux déni du réel. Le problème de la faille humaine, c’est qu’elle produit des postures que l’on prend pour des réalités vivantes. Un peu comme quelqu’un qui dit « moi, je n’ai pas peur de la mort » (il faut vraiment toucher la perspective de la mort pour savoir ce que l’on ressent à ce sujet, quelle que soit la réalité du phénomène et de nos interprétations). 

Ne nous faisons pas de mal avec des postures déshumanisées, aussi attractives soient-elles (après tout, on sait qu’une drogue peut nous faire planer, ce qui est plaisant mais « plus dure sera la chute » !). Retrouvons, sans complexe, un chemin de vie porté par le désir de donner le meilleur de soi-même dans la relation, de respecter la création, la divine dualité, et de jouir des grâces avec gratitude. 

Thierry Vissac

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dimanche 17 décembre 2023

« L’antidote à la fatigue est d’être dans l’engagement »

 La fatigue qui nous guette n’est pas tant physique que psychologique, mais elle s’avère vaste, complexe, profonde. Elle provoque en effet lassitude, découragement, peur de l’avenir, repli sur soi. Un cortège de maux sans doute à attribuer à notre société matérialiste, de surconsommation, de performance, qui nie notre vulnérabilité et toute transcendance. Comment retrouver notre énergie ? Fabrice Midal nous invite à puiser dans la sagesse des Anciens afin de redevenir plus vivants.

Notre fatigue n’est pas tant physique que psychologique. Comment se manifeste-t-elle ?


Cette fatigue psychologique, que je préfère nommer découragement, prend deux visages. La première forme, la plus évidente, nous rend sans tonus, sans allant. Mais la seconde, plus masquée et plus difficile à débusquer, se caractérise par une hyperactivité, qui vient d’une volonté de tout contrôler, d’être parfait, performant. Ces deux écueils – démission ou instrumentalisation de soi – sont en réalité des impasses. Dans les deux cas, ce qui nous fait défaut est le mouvement de confiance dans la vie.

En quoi la volonté de contrôle est-elle problématique, selon vous ?

Nietzsche avait alerté sur une volonté de contrôle, d’élimination de l’incertitude, au nom d’un progrès, qui entraînerait une haine de la vie et nous détruirait. « Il faut avoir du chaos en soi pour enfanter une étoile qui danse », écrit-il dans Ainsi parlait Zarathoustra. De quoi se plaignent les soignants, les enseignants, les chercheurs du CNRS qui viennent de signer une pétition contre leur nouveau système de gestion des missions ? Il y a certes un besoin de reconnaissance, d’une juste rémunération, mais ils pointent avant tout leurs conditions de travail, qui les empêchent de faire leur métier. Ils dénoncent le poids des protocoles, des procédures, de l’administratif, des cases à remplir… Notre société souffre de cette gestion devenue totalitaire qui nous déshumanise en tuant la rencontre, la créativité, la vie.

Ce phénomène est donc nouveau ?

Nous vivons actuellement un burn-out individuel et collectif. Le burn-out est une maladie nouvelle, ignorée de nos grands-parents, qui travaillaient souvent 12 h par jour ! Ils connaissaient bien la fatigue physique, l’angoisse des fins de mois, mais pas ce sentiment d’être coupé de la vie en soi. Nous sommes trop souvent prisonniers de notre image. Et pas seulement les jeunes qui s’exposent sur les réseaux sociaux ! Je rencontre aussi des grands-parents qui se comparent, qui ont peur de ne pas être assez bons, assez bien… Or si j’essaie de me conformer à une idée de moi-même, je me coupe de l’élan qui m’habite.

Ce marasme ambiant touche beaucoup les jeunes. Pourquoi eux-mêmes ont-ils perdu leur vitalité ?

Pour la première fois de l’humanité, nos jeunes ne trouvent pas leur place dans la société. Je crois qu’ils manquent de responsabilités. Jamais nous ne leur avons fait si peu confiance. Alors que le passé illustre le contraire : les généraux sous Louis XIV étaient très jeunes, par exemple. Sans doute faut-il aussi nous interroger sur l’enfance que nous leur faisons vivre. Du fait de l’insécurité, les parents préfèrent savoir leurs enfants à l’intérieur, devant un écran. Ils jouent moins. Or, pour grandir, on a besoin de l’expérience du réel : courir, se râper aux arbres, construire une cabane… Se développer harmonieusement suppose un double mouvement, la confiance secure et l’exploration, dont l’articulation permet à l’enfant d’être heureux.

Les écrans nous happent tous aujourd’hui… Notre lassitude n’est-elle pas également engendrée par notre manque de déconnexion ?


Nous recourons trop peu à notre système par défaut, dont les neurosciences ont montré qu’il joue un rôle majeur. Il s’active quand on ne fait rien, quand notre cerveau vagabonde, quand on laisse libre cours à nos pensées… Aujourd’hui, nous fuyons ces moments de vide, de silence, de rêverie, pourtant fondamentaux pour nous ressourcer. Pas étonnant que l’on soit fatigué ! Bergson appelle l’humanité à un sursaut de la dimension morale et mystique pour équilibrer les progrès matériels. Autrement, nous serions prisonniers d’un modèle mécanique, en particulier d’un rapport faussé au temps, qui nous coupe de l’expérience véritablement humaine, et par conséquent de la joie. N’est-ce pas ce que nous vivons ?

En quoi consiste cette expérience véritablement humaine ?

Cette expérience passe par la relation, qui est éminemment surprenante. Le découragement se surmonte par l’audace de redonner sa confiance. Rencontrer suppose d’être ouvert, prêt à se laisser déplacer, toucher, bouleverser… Elle impose de sortir radicalement de la gestion, de renoncer à tout contrôler. Alors la vie, qui est « surgissement de l’inattendu », pour reprendre les mots évocateurs de Bergson, peut se déployer. Elle incite à oser partir à l’aventure, à explorer, à ressentir… Voilà ce qui nous nourrit. Revenons au réel pour guérir de la fatigue. Il donne ! Il suffit de s’occuper de son jardin pour le mesurer.

Qu’est-ce qui indique que l’on a retrouvé ce mouvement de la vie ?

La joie est le signe que la vie a regagné du terrain. Quand nous sommes épuisés, nous entendons des injonctions contradictoires : « reprends-toi en main », sous-entendu « gère davantage », ou au contraire « lâche prise… ». Je propose de nous foutre la paix et de redevenir humains ! Où est-ce que je me torture ? Comme en cas de fuite d’eau, il faut commencer par identifier le problème. Notre problème se résume souvent dans cette volonté de tout contrôler, d’être performant, de tout réussir. Tout l’enjeu consiste à retrouver notre unité profonde. Cela implique de revenir au réel, qui ne se contrôle pas mais s’accompagne, voilà l’antidote au découragement. Il suppose d’accepter nos limites, notre finitude, le fait qu’on ne peut plaire à tout le monde. Notre vulnérabilité est une force puissante, qui incite à la transformation. Il ne suffit pas de se reposer, mais de s’engager dans la profondeur de sa vie. C’est elle qui ressource.

Là où la fatigue risque d’entraîner un repli sur soi, il s’agit donc au contraire de s’ouvrir ?

L’antidote à la fatigue est le repos ; l’antidote à la fatigue est d’être dans l’engagement. Nous sommes trop autocentrés. La philosophie enseigne que l’être humain est fondamentalement hétéronome et non autonome comme voudrait le faire croire notre société. Sortons donc de l’enfer de nous-même. En tant que vivants, nous avons besoin du ciel, de la terre, des autres. Acceptons de donner de la place à l’autre, de prendre le temps de nourrir la relation. Être aimé conduit à s’aimer ; découvrir l’autre permet de se découvrir soi-même. J’ai besoin du regard de l’autre pour exister et advenir à moi-même.

Interview de Fabrice Midal

Source : La Vie

vendredi 15 décembre 2023

L'invisible ressenti


 La pratique c’est aussi laisser être ramenés au visible tous les fils invisibles qui relient entre eux chaque partie en une inouïe harmonie chaque fois qu’on l’oublie.

Lorsque l’on lève un bras, ça n’est pas juste ce bras qui se lève, tout le corps et même l’être entier y participe, il se lève grâce à tout, même à nos orteils, même à notre rein, même à notre salive, …

Sentir ça. Sentir Ça.

Lorsque l’on est dans une salle entouré.e des autres personnes avec lesquelles on partage notre pratique, ou même lorsque l’on pratique seul.e dans sa chambre, toutes les personnes avec lesquelles nous sommes connecté.e.s d’une façon ou d’une autre pratiquent avec nous comme nous pratiquons avec elles et même si elles ne pratiquent pas du tout.

Sentir ça. Sentir Ça.

Lorsque l’on croit être qui et ce que l’on croit être, simple petit individu singulier avec son histoire chronologique, ses souvenirs, ses événements marquants, ses ceci, ses cela, tout ce qui constitue cette petite vie que l’on habite où chaque élément a pourtant tellement d’importance pour nous, nous rappeler encore et toujours à la grande vie qui nous habite, bien plus importante encore que chaque ceci-cela et sans laquelle ça n’existerait pas.

Sentir ça. Sentir Ça.

Pas de pièces détachées, isolées les unes des autres, assemblées par la force des choses, indépendamment d’un puissant désir primordial qui les veut et les crée unies.

Vaste mystère divin qui prend forme(s) à travers la chair sous laquelle toutes les rivières sacrées suivent leur chemin depuis et jusqu’à la source de notre cœur vibrant en écho avec tout le vivant.

Palpitant.

Sentir ça. Sentir Ça.

Marie Ghillebaert - prof de yoga - https://yogasesame.com/

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lundi 4 décembre 2023

Harmonisation...

Cette semaine, soyez à l'écoute des messagers, de cette vie qui vous parle… 

L'écoute active est le programme pour ce mois de décembre. Soyez cet humus qui accueille les feuilles avec hospitalité pour les transformer en ressources pour le printemps à venir..

"C'est la carte "Humanité" qui est sortie du jeu. Le dieu grec Hermès (Mercure pour les Romains) court devant son temple, la lettre H. Il porte des chaussures, un casque et un caducée qui ont tous la particularité d'être ailés. Messager des dieux, il est leur intermédiaire auprès des hommes. 

Avez-vous remarqué combien la lettre H, particulièrement symétrique et Harmonieuse, s'élève autant vers le ciel qu'elle ne s'enfonce dans la terre ? Selon le poète Emile Blémont, c'est une sorte de cathédrale, avec ses deux tours reliées par le centre.  Pour ma part, je sens profondément qu'elle nous offre toute son Hospitalité, qu'elle nous permet d'Habiter notre espace en reliant notre aspiration à gagner les Hauteurs et notre sens de l'Humilité. Elle revêt par ailleurs la forme d'une Haie, ce à quoi elle renvoie directement à l'origine, dans la langue proto-sinaïtique ; la lettre hébraïque Heith signifie d'ailleurs "haie" ou "barrière". 

Georges Colleuil, qui a préfacé cet oracle, explique dans plusieurs de ses ouvrages que cette lettre symbolise le premier obstacle, la première grande épreuve initiatique dans le parcours ésotérique de l'alphabet. Elle m'évoque la Hache sacrée et offre la capacité de transformer n'importe lequel de nos Handicaps en sentiment de notre propre Honneur.

La lettre H où Hermès se ressource est aussi le plus Humain des sons, dans la mesure où elle s'apparente au souffle, à l'Haleine qui nous anime et nous permet de Humer les parfums autour de nous. Elle nous guide sans cesse et nous encourage :  "Halte-là ! Hé ! Ho hisse ! Hop ! Hourra..."

Hermès, dieu des commerçants, des voyageurs et des voleurs, est un  personnage vif et Habile, qui nous invite à dépasser notre sentiment de Honte pour nous élever et nous ancrer, pour harmoniser nos énergies comme les deux serpents qui s'enroulent autour de son bâton. Aussi pouvons-nous le suivre sans crainte...

Je vous souhaite un très bon début de semaine sous les auspices du dieu Hermès !"

Sabine Dewulf (auteure de l'Oracle Alphamythique)

Source : Illustration de la carte : Marie Dewulf. Dessin du temple : Rémi Decavel.


samedi 26 août 2023

Contournement spirituel

 JOHN WELWOOD ET LE "CONTOURNEMENT SPIRITUEL" (SPIRITUAL BYPASSING). Extraits d'un article à propos d'un écueil dans lesquels peuvent tomber de nombreux chercheurs et pratiquants spirituels à différents moments de leur cheminement, notamment dans les voies non-duelles qui mettent plus l'accent sur l'absolu et l'impersonnalité 

Une interview avec John Welwood par Tina Fossella 

*Très bon article (mais très mauvaise traduction) à propos d'une tendance et d'un écueil dans lesquels peuvent tomber de nombreux chercheurs et pratiquants spirituels à différents moments de leur cheminement. 

TF: Vous avez introduit le terme «contourner spirituellement" il y a 30 ans maintenant. Pour ceux qui ne connaissent pas le concept, pourriez-vous définir et expliquer ce que c'est ?


JW: Le contournement spirituel est un terme que j'ai inventé pour décrire un processus que j'ai vu se passer dans la communauté bouddhiste où j'étais, et aussi en moi. Bien que la plupart d'entre nous ont sincèrement essayé de travailler sur nous-mêmes, j'ai remarqué une tendance généralisée à utiliser les idées et les pratiques spirituelles pour contourner ou éviter d'affronter les problèmes non résolus émotionnels, les blessures psychologiques et les tâches inachevées de développement. Lorsque nous sommes dans le contournement spirituel, nous utilisons souvent l'objectif de l'éveil ou la libération pour rationaliser ce que j'appelle la transcendance prématurée: en essayant de s'élever au-dessus du côté brut et désordonné de notre humanité avant d'avoir confronté ceux-ci et fait la paix avec eux. Et puis nous avons tendance à utiliser la vérité absolue pour dénigrer ou de rejeter les besoins relatifs humaines, les sentiments, les problèmes psychologiques, difficultés relationnelles, et les déficits de développement. Je vois cela comme un "risque professionnel" de la voie spirituelle, car cette fausse spiritualité implique un déni de notre situation actuelle karmique.

TF: Quel genre de danger fait ça represente ?

JW: Essayer d'aller au-delà de nos problèmes psychologiques et émotionnels par les contourner est dangereux. Il met en place une rupture délétère entre le Bouddha et l'humain en nous. Et cela conduit à un cadre conceptuel, type unilatéral de la spiritualité où l'un des pôles de la vie est élevé, au détriment de son contraire: la vérité absolue est favorisée par rapport à la vérité relative, l'impersonnel par rapport au personnel, le vide par rapport à la forme, la transcendance par rapport aux besoins développementaux, et le détachement par rapport aux émotions. On pourrait, par exemple, essayer de pratiquer le non attachement en rejetant son besoin d'amour, mais cela refoule le besoin souterrain, de sorte qu'il devient souvent inconsciemment agi de manières subtiles et peut être nuisible à la place (...)

JW: Il est facile d'utiliser la vérité de la vacuité de cette façon unilatérale: «Les pensées et les sentiments sont vides, un simple jeu des apparences samsariques, afin de leur payer aucune attention. Voir leur nature vide, et il suffit de couper avec eux sur le vif. "Dans le domaine de la pratique spirituelle, cela pourrait être des conseils utiles. Mais dans des situations de la vie de ces mêmes mots pourraient aussi être utilisés pour supprimer ou nier sentiments ou préoccupations qui ont besoin de notre attention. J'ai vu cela se produire sur un certain nombre d'occasions.

TF: Qu’est-ce qui vous intéresse le plus dans le contournement spirituel ces jours-ci ?

JW : Je suis intéressé à savoir comment ça joue dans les relations, où le contournement spirituel souvent sème la pire des ravages. Si vous étiez un yogi dans une grotte faisant années de retraite en solo, votre blessure psychologique pourrait rester cachée parce que votre attention serait entièrement focalisée sur votre pratique spirituelle, dans un environnement qui ne risque pas de secouer vos blessures relationnelles. C'est dans les relations que nos problèmes psychologiques non résolus ont tendance à se manifester plus intensément. C'est parce que les blessures psychologiques sont toujours relationnel- ils forment dans et à travers nos relations avec nos premiers gardiens (...)

TF: Et comment est-ce pertinent pour la façon dont nous pratiquons le dharma ?

JW: à l’origine beaucoup d'entre nous, et je m'inclus là - se tournent vers le dharma, au moins en partie, comme une façon d'essayer de surmonter la douleur de nos blessures psychologiques et relationnelles. Pourtant, nous sommes souvent dans le déni ou inconsciente sur la nature ou la largeur de cette blessure. Nous savons seulement que quelque chose n'est pas juste et nous voulons être libres de la souffrance.

TF: Nous pouvons tourner vers le dharma d'un endroit blessé que nous ne sommes même pas au courant ?

JW: Oui. Nous nous dirigeons vers le dharma pour se sentir mieux, mais peut-être sans le vouloir nous abusons la pratique spirituelle comme un substitut pour faire face à nos problèmes psychologiques.

TF: Alors, comment nos blessures psychologiques affectent notre pratique spirituelle?

JW: (...) Bien que nous pouvons pratiquer avec diligence, notre pratique spirituelle peut être utilisé dans le service de déni et de défense. Et quand la pratique spirituelle est utilisé pour contourner nos problèmes humains de la vie réelle, il devient compartimenté dans une zone séparée de notre vie, et reste non intégré à notre fonctionnement global.

(...)

JW : . Si le bouddhisme cherche à prendre pleinement racine dans la psyché occidentale, à mon avis, il doit devenir plus informé sur la dynamique de la psyché occidentale, qui est assez différente de la psyché asiatique. Nous avons besoin d'une perspective plus large qui peut reconnaître et comprendre deux pistes différentes de développement humain - que nous pourrions appeler de grandir et s'éveiller , la guérison et l'éveil, ou de devenir un véritable être humain d'une part et d'aller au-delà de la personne d'autre part. Nous ne sommes pas juste des humains apprennent à devenir des bouddhas, mais aussi bouddhas s'éveillant sous une forme humaine, apprenant à devenir pleinement humain. Et ces deux pistes de développement peuvent s'enrichir mutuellement. Bien que le fruit de la pratique du dharma soit l'éveil, le fruit de devenir une personne complètement développée est la capacité à s'engager dans le «je-tu» relationnel avec les autres. Cela signifie risquer d'être entièrement ouvert et transparent avec les autres, tout en reconnaissant et en prenant un intérêt dans ce qu'ils vivent et comment ils sont différents de soi. Cette capacité d'expression ouverte et profonde syntonie est rare dans ce monde. Il est particulièrement difficile si vous êtes blessé sur le plan relationnel.

En bref, le dharma est trop souvent utilisée comme un moyen de nier notre côté humain. Mais si nous détenons une perspective qui englobe les deux voies de développement, nous n'utiliserons pas la vérité absolue pour minimiser la vérité relative. Au lieu du logique ‘soit/soit’, « Vos sentiments sont de nature vides, alors juste abandonnez-les », nous pourrons prendre une approche ‘et/et’: "Les sentiments sont de nature vides, et parfois nous devons faire très attention à eux. « À la lumière de la vérité absolue, les besoins personnels sont inconsistant comme un mirage, et se fixer sur eux cause de grandes souffrances.'' Oui, et en même temps, si un besoin relatif se pose, simplement manœuvrer de côté peut causer d'autres problèmes. En termes de vérité relative, être clair avec soi-même où on en est et ce dont on a besoin est un des principes les plus importants de la communication saine dans les relations. Le grand paradoxe d'être simultanément humain et Bouddha est que nous sommes à la fois dépendant et indépendant. Une partie de nous est totalement dépendant d’autres personnes pour tout, de la nourriture et des vêtements à l'amour, la connectivité, et de l'inspiration et de nous aider dans notre développement. Bien que notre nature de Bouddha ne soit pas dépendante - qui est de nature de la vérité absolue - notre incarnation humaine est interdépendante – donc de la nature de la vérité relative. Bien sûr, dans le sens le plus large, les vérités absolue et relative sont complètement imbriqués et leur séparation ne peut être maintenu : plus nous nous rendons compte de l'ouverture absolue de ce que nous sommes, le plus profondément nous arrivons à reconnaître notre interdépendance par rapport à tous les êtres.''

John Welwood (docteur en philosophie et psychothérapeute à San Francisco. Il a suivi la voie du bouddhisme tibétain et d'autres traditions orientales pendant plus de trente ans)

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lundi 12 juin 2023

Urgence humaine


 Nous avons une facilité étrange de penser par groupes : telle classe, telle profession, telle race, tel peuple. Qu'il y ait sous ces étiquettes des êtres vivants dont chacun a une destinée personnelle, nous n'éprouvons aucun scrupule à l'ignorer. 

Et nous portons, avec une assurance dogmatique, sur des millions d'hommes, dont nous ignorons le langage, les œuvres et la vie, dont nous ne connaissons intimement aucun, des jugements définitifs, qui les obligent éternellement à être ce que, pour la commodité de notre système ou la vanité de notre information, nous avons déclaré qu'ils devaient être.

Comme il est urgent de défaire en notre esprit ces unités factices, et de discerner, dans le groupe, les personnes : chaque personne, avec son devoir merveilleux et son droit imprescriptible de vivre humainement !

L'humanité est en péril de mort, parce que tous les problèmes - pédagogiques, économiques, sociaux, politiques sont posés dans l'abstrait, en l'ignorance systématique de la question qui les éclairerait tous :

Qu'est-ce que l'homme ?

Que voulons-nous sauver, en définitive ? Quelle est la valeur, commune à tous les hommes, dont nous sentons obscurément que toutes les autres dépendent, sinon la vie?

La vie, en sa dignité spirituelle, en ce mystérieux dedans qui en fait tout le prix.

Ce petit enfant qui est tout innocence et tout spontanéité, ce petit enfant dont le sourire vous illumine et vous purifie, pouvez-vous concevoir qu'il devienne, dans trente ou quarante ans, cet être alourdi, amer et charnel, automatique et anonyme, que tant d'entre nous sont devenus ?

Maurice Zundel

L’Evangile Intérieur - 1936 (extrait)

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