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vendredi 10 janvier 2025

La paix à offrir (1)

 La paix qu’on se donne à soi-même n’a de sens que si on l’offre en retour


Suivre les boussoles qui font du bien. Accorder sa vie à ce qu’on pense être juste. Stabiliser son esprit... Autant d’actes qui induisent en soi du calme et de la paix. C’est déjà beaucoup dans ce monde tourmenté, n’est-ce pas ? Mais est-ce pour autant suffisant pour parvenir à la plénitude ? Non. Car ce n’est qu’une partie du chemin : les maîtres nous enseignent que se donner la paix n’a de sens que si on offre cette paix en retour.

J’en ai eu l’ultime illustration à Dhagpo, un après-midi d’été.

Chogyé Trichen est un des maîtres contemporains les plus illustres du bouddhisme tibétain. Il est de passage en Dordogne pour une série d’enseignements. Sincèrement, j’ignore tout de ce très vieil homme, né au Tibet en 1920, mais il nous est proposé de lui rendre hommage en lui offrant une kata, une écharpe de soie blanche. Une foule s’amasse devant la «maison des lamas ». Afin de ne pas trop le fatiguer, nous sommes reçus deux par deux dans une petite pièce. Sans états d’âme, j’entre, accompagné d’une amie. Le vieux maître est assis dans un fauteuil, visiblement fatigué, entouré de deux assistants. Je m’incline devant lui.

Il y a soudain un « blanc » dans ma tête.


Plus de pensée pendant un bref instant. En une fraction de seconde, je me sens comme à la porte d’un avion, à 10 000 mètres d’altitude, face à un immense espace sans limites. Je suis totalement pris de court. Je perds tout repère. C’est extrêmement fugace mais d’une incroyable puissance. Alors que je me redresse, un cuisant mal-être m’envahit ! Je me sens soudain totalement nu face à lui, comme s’il voyait tout de moi. En même temps, je sens une colossale vague de bienveillance et d’amour déferler sur moi. Une acceptation inconditionnelle de la totalité de mon être, dans ce qu’il a de plus beau et de plus laid ! Cet homme n’a pourtant rien dit, ni rien fait. Il a juste souri puis détourné son regard. Puis, en un instant, tout s’est évanoui.

Que s’est-il passé ? Il est difficile de décrire une telle expérience. J’ai déjà lu des textes qui parlent de l’impact spirituel de la rencontre avec un maître accompli, mais la réalité à laquelle j’ai été confronté aujourd’hui est tout autre. Il est dit que le maître éveillé a, comme le Bouddha, développé sa pratique à un tel point de perfection qu’il n’existe plus en tant que personne. Il n’y a plus, en lui, de support pour un quelconque ego. Celui-ci s’est dissous dans l’espace de ce qu’on appelle «la Nature de l’Esprit», la nature même du Réel. L’esprit du maître devient alors aussi transparent que le verre, aussi vaste que le ciel. Par la force de sa réalisation, il devient aussi clair qu’un miroir sans tache. Un miroir dans lequel tout se reflète et qu’il tend sans relâche à ceux qui s’avancent vers lui :

«Regarde la nature de ton esprit. Ceci est “toi" au-delà de ce que tu crois être. Contemple le travail que tu as encore à accomplir sur toi. Mais, par-dessus tout, regarde l’insondable Paix où cela va te mener. »

Le maître éveillé est, en lui-même, par sa seule présence, un enseignement spirituel. Spontanément, sans effort, il offre au disciple un aperçu extrêmement bref mais extrêmement puissant de sa propre réalisation : il lui montre la réalité de son esprit quand celui-ci est affranchi des obscurcissements mentaux. C’est, je crois, ce «blanc» sans pensée que j’ai ressenti pendant ces quelques secondes à son contact, un instant si bref mais si intense. C’est au-delà de ce que le mental est capable de comprendre. Peu importe si les sceptiques ou les cartésiens ne voient dans la spiritualité qu’une simple construction mentale, un prix de consolation pathétiquement humain visant à mettre à distance la peur de la mort, cette expérience a planté en moi la certitude de la réalité du chemin spirituel et de sa finalité.

Je pensais néanmoins qu’elle resterait unique, uniquement accessible en présence d’un maître éveillé. J’avais tort... Car, depuis mon retour, je sais maintenant qu'«offrir sa paix» n’est pas l’apanage des êtres accomplis. Cela est à notre portée.

A suivre

 Dr Christophe Fauré - S'aimer enfin (un chemin initiatique pour retrouver l'essentiel)

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lundi 12 août 2024

Histoire Zen


Taiyô Kyôgen (943-1027) et son maître allèrent présenter leurs condoléances à la famille d’un ami décédé.

Taiyô Kyôgen demanda à son maître : « Est-il vivant ou mort ? »

Le maître répondit : « On ne peut pas dire qu’il est vivant, on ne peut pas dire qu’il est mort. »

Taiyô Kyôgen demanda alors : « Pourquoi ne peut-on pas dire cela ? »

Le maître lui dit : « Si on ne peut pas le dire, on ne peut pas le dire. »

Taiyô Kyôgen se mit en colère : « Vous feriez mieux de me le dire ou je vous frappe ! »

Le maître répliqua : « Si tu dois me frapper, frappe-moi. Je ne le dirai toujours pas. »

Taiyô Kyôgen demanda alors : « Quel genre de maître êtes-vous ? Vous savez et pourtant vous ne voulez pas le dire à votre disciple. »

Taiyô Kyôgen frappa le maître et s’en alla. Quelque temps plus tard, son maître mourut. Taiyô Kyôgen trouva un autre maître nommé Ryôzan Enkan et lui posa la même question.

Ryôzan Enkan répondit : « On ne peut pas dire qu’il est vivant, on ne peut pas dire qu’il est mort. »

En entendant ces mots, Taiyô Kyôgen accéda à l’éveil.

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samedi 6 avril 2024

Le maître ne présente pas des signes extérieurs de sagesse (partie 3)

 Ce troisième extrait décrit les caractéristiques d’un maître.

Revue Acropolis : À quoi reconnaît-on un maître ? Y a-t-il des garanties permettant de ne pas se tromper dans son choix ?


Gilles FARCET : C’est une question très difficile et qui prête à confusion. On s’imagine souvent, en effet, pouvoir reconnaître un maître de manière quelque peu miraculeuse. Nous avons tous été nourris de ces histoires – d’ailleurs vraies, pour la plupart où le maître, voyant le disciple se présenter à lui pour la première fois, l’apostrophe : « Ah, enfin, vous voilà ! « Si de telles choses arrivent, elles ne sont pas si fréquentes, surtout en Occident. En outre, le maître n’apparaîtra pas nécessairement comme un être rayonnant, surnaturel ou hors du commun. Outre Arnaud Desjardins, j’ai rencontré un certain nombre d’hommes ou de femmes que je considère comme des sages – rencontres racontées dans mon dernier livre –. Dans la plupart des cas, ce sont des gens sur lesquels je ne me serais pas retourné dans la rue. Lors de certains moments intimes ou privilégiés, il arrive quel le maître laisse transparaître un peu de ce qu’il vit intérieurement. Mais sinon, je ne crois pas à l’existence d’indiscutables signes extérieurs de sagesse.

Revue A. : Le calme, le détachement, peut-être ?

G.F. : Oui et non. Nous allons appréhender le maître comme nous appréhendons le monde en général, c’est-à-dire à travers nos projections et notre mental. Comment pourrions-nous donc savoir ce qu’est le détachement ? Nous nous en faisons tout au plus une idée à la lumière de laquelle nous allons évaluer le détachement du maître. Et si la façon dont il manifeste son détachement ne correspond pas à notre attente, à notre représentation du détachement, nous allons être déçus et formuler des jugements. Nous pourrons ainsi nous tromper totalement, prendre pour détacher un homme qui ne le sera nullement et vice-versa…

Il est vrai qu’avec le temps et la maturation, le regard se purifie et l’on devient mieux à même, non de « juger » mais de tout simplement voir. Un disciple ayant un peu de « bouteille », si vous me permettez I’ expression, ne se laissera pas abuser par le premier causeur venu, si impressionnant soit-il. Mais quant à reconnaître un sage… On dit que seul un sage peut en reconnaître un autre. Cela demeure en tous les cas une affaire intime et tout à fait subjective.

Ce qui me frappe, moi, c’est le peu de distance que nous avons, de manière générale, vis­ à-vis de nos opinions. J’entends par exemple X décréter que tel livre est excellent, très bien écrit, profond et Y affirmer que ce livre est décevant. Peu importe qui a raison : ce qui me sidère, c’est que X comme Y ne puissent un seul instant mettre en doute leur propre jugement qui pour eux semble définitif, prononcé d’en haut pour le temps et l’éternité. Et malheur à l’insensé qui dira le contraire… Nous conférons à nos opinions, la plupart du temps totalement subjectives, une valeur universelle et objective. Si cela est vrai pour un livre, que dire d’un maître ou d’un sage ? Certains sont très choqués de constater chez le maître un comportement en lequel ils voient la preuve de son absence de détachement. Mais d’autres considéreront cette même attitude comme un suprême témoignage d’amour et de sagesse…

Un maître véritable ne nous entraîne jamais plus loin que là où nous pouvons aller

Je suis persuadé que le mental peut nous faire prendre des vessies pour des lanternes, nous faire voir l’avidité chez un homme généreux et la générosité chez un avare. Donc, le point sur lequel je voudrais surtout insister en réponse à cet aspect de votre question, c’est que nous nous imaginons, en général, être capables de voir objectivement. Or, c’est faux. L’une des premières leçons dispensées par le maître, c’est que nous sommes longtemps incapables de voir. On me dira que c’est là « la porte ouverte à tout ». C’est ainsi que les admirateurs de gourous, disons, discutables, en arrivent à justifier l’injustifiable, à conférer à des comportements néfastes une aura de sagesse. C’est effectivement un domaine très délicat. Mais la relation de maître à disciple ne répond pas aux critères soi-disant objectifs et rationnels sur lesquels notre société insiste tant.

Quelles sont les garanties ? Je dirai finalement qu’il n’y en a pas. C’est une entreprise risquée, à l’image de la vie. Il est parfaitement possible que l’on se trompe. Mieux vaut se tromper et prendre une Xeme leçon que de rester tiède et indifférent. Aujourd’hui, nous prétendons vivre une vie intéressante mais assurée tous risques. Ce n’est tout simplement pas possible. Il faut s’exposer. Cela dit, un maître véritable pose des garde-fous et sait ce qu’il fait. Il ne nous entraîne jamais plus loin que là où nous pouvons aller. Néanmoins, la tradition a toujours admis la possibilité d’accidents, même auprès des maîtres les plus compétents. Si je fais du cheval, même avec l’instructeur le plus compétent, je cours le risque de tomber et de me casser la jambe, voire de me tuer… cela fait partie du jeu. Refuser le risque, c’est s’engluer dans une mentalité d’assisté qui ne nous mènera nulle part ailleurs que dans nos pantoufles !

Revue A. : Une des caractéristiques des maîtres n’est autre que le sens de l’humour. Qu’avez-vous à dire à cet égard ?


G.F. : Je pense que tous les maîtres, sans exception, ont un sens de l’humour très développé. L’humour est une grande arme de guerre, si j’ose dire, pour le gourou, car il implique le paradoxe. C’est par l’humour que l’on peut donner à voir tout le côté paradoxal, mystérieux et incongru de cette existence. Le maître peut aussi amener le disciple à rire de lui-même, de ses faiblesses, des absurdités de son mental, de ses tentatives aussi vaines que désespérées pour se prouver qu’il y a d’autres solutions que de mettre en pratique l’enseignement… Une fois devenu un tant soit peu lucide, capable d’entrevoir l’étendue de sa propre folie destructrice, le disciple n’a d’autre possibilité que de pleurer ou de rire.

Autant rire… L’humour est capital : parce qu’il témoigne d’une distance. Une personne dépourvue d’humour ne saurait être spirituelle. La langue française nous met d’ailleurs sur la voie : ne dit-on pas d’un être plein d’humour qu’il se montre très… « spirituel » ? L’humour est une qualité nous permettant de considérer les péripéties de l’existence avec recul et perspective. En fin de compte, qu’est-ce que la vie, sinon une tragi-comédie ?

Comique, parce que toutes nos manœuvres et stratégies égocentriques sont parfaitement dérisoires et souvent maladroites, tragiques, parce que c’est là le tissu de nos vies et qu’à travers ces manigances, nous ne cherchons qu’à être aimés. Je crois qu’un être véritablement spirituel perçoit pleinement cette dimension en tragicomique de la vie. Mais, ce qui chez certains, aboutit au cynisme, se traduit chez lui plus profonde. Si l’on perd ses illusions sans s’être ouvert à dimension spirituelle, on devient désabusé ; si par contre, on ne se masque plus l’horreur de la situation tout en percevant la dignité fondamentale de l’humain, on ne peut qu’être touché et devenir de plus en plus aimant. Je renvoie les lecteurs à une remarquable anthologie de l’humour des sages composée par Eric Edelmann : Plus on est de sages, plus on rit (paru aux Éditions de La Table Ronde). D’après ce que j’ai pu voir du manuscrit, ce livre donne bien à sentir la place tenue par l’humour dans les enseignements des maîtres de tous les temps. Nous en avions besoin !

Propos receuillis par Laura WINCKLER, co-Fondatrice de Nouvelle Acropole en France

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vendredi 5 avril 2024

La rencontre avec Arnaud Desjardins (partie 2)

 Ce second extrait raconte sa rencontre avec son maître, Arnaud Desjardins. (voir la 1ère partie)

Revue Acropolis : Pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec Arnaud Desjardins ?


Gilles FARCET : À l’âge de vingt-trois ans, j’ai donc rencontré Arnaud Desjardins avec qui je me suis tout de suite senti en confiance. Dès notre premier contact – j’ai assisté à une réunion qu’il animait – je me suis trouvé à ma place et ai eu le sentiment d’avoir essentiellement découvert ce que je cherchais. Tout le travail restait encore à faire, mais il me semblait avoir trouvé mon « école ».

Revue A. : Cela, vous ne l’avez jamais remis en question !

G. F. : Non. Si Arnaud Desjardins a beaucoup d’admirateurs, il a aussi ses détracteurs. Comme toute personne en sa position, il fait l’objet de critiques et de jugements parfois très sévères et tranchés. Je crois avoir toujours laissé monter en moi les doutes et les interrogations, parce que cela fait justement partie de l’enseignement de ne rien refouler et de regarder ce qui monte en soi sans se voiler la face ; mais jamais je ne me suis véritablement posé de « problème » vis-à-vis de sa transmission ou de telle ou telle de ses attitudes. Beaucoup de gens passent leur temps à chercher la petite bête, à se demander si le maître qu’ils prétendent suivre – surtout s’il s’agit d’un occidental ordinaire dont l’existence n’est pas exempte de difficultés courantes – est bel et bien éveillé, bien ceci, bien cela, s’il est « mieux » ou « moins bien » que tel autre, etc.

Pour ma part, j’ai d’emblée ressenti Arnaud comme profondément bon et honnête, enraciné en sa profondeur, animé par le désir non-égoïste de venir en aide à autrui et ne parlant que de ce qu’il avait lui-même vécu et expérimenté. J’ai eu par la suite l’occasion de le fréquenter d’assez près dans des situations diverses et il ne m’a jamais déçu, peut-être parce que mon aspiration de départ était claire et que je ne cherchais ni un super-héros ni un yogi miraculeux mais un maître, un guide en d’autres termes une personne parvenue à la maîtrise et capable de m’indiquer comment moi-même progresser vers cette maîtrise. Le fait de me sentir à ma place auprès de lui ne m’a pas empêché de m’ouvrir à d’autres formes et à d’autres voies, ainsi qu’en témoignent mes articles et mes livres, notamment le dernier, L’Homme se lève à l’Ouest, Les nouveaux sages de l’Occident, paru chez Albin Michel. Lui-même m’a encouragé à rencontrer des Sages, des disciples, et des maîtres. Ni sectarisme ni fermeture, donc, mais un nécessaire enracinement.

Revue A. : Cette relation existe toujours ?

G.F. : Oui, bien sûr. Je crois qu’elle ne saurait être brisée. Encore faudrait-il savoir de quelle relation nous parlons… Si j’évoque « ma » relation avec Arnaud Desjardins, on aura l’impression qu’il s’agit des rapports qu’entretient Gilles Farcet, 33 ans, écrivain et journaliste, avec Arnaud Desjardins, 66 ans (2), auteur de livres et gourou… Or il ne s’agit pas de cela. Certes, ma personnalité entretient effectivement des rapports avec la sienne, nous nous entendons plutôt bien. Je veux bien que l’on me dise que j’ai cherché en lui mon père, c’est tout à fait vrai, d’autant plus que je l’ai rencontré en pleine période de formation, alors que je terminais mes études et ne gagnais pas encore ma vie. Mais là n’est pas l’essentiel. Car après tout, j’ai eu la chance d’approcher beaucoup d’autres personnes remarquables et même susceptibles de me fasciner davantage sur le plan artistique ou humain. Le cœur de la relation est d’un autre ordre.

Il ne s’agit pas tant d’une relation entre deux personnes que d’une relation entre un maître et un disciple, ou un apprenti-disciple, ou un apprenti­-apprenti-disciple, je ne sais pas… quelqu’un qui, en tout cas, essaie sincèrement de suivre le chemin proposé. Et cette relation, finalement, est à la fois extrêmement personnelle et tout à fait impersonnelle.

Si cette relation a vraiment été établie, elle ne peut pas être brisée. Elle ne se situe pas sur le seul plan immédiatement humain, elle transcende les formes transitoires.

Revue A. : Pourquoi dites-vous : « Si cette relation a vraiment été établie… ? »


G.F. : Parce qu’en cette matière, il convient de rester très prudent. Cela se vérifie dans le temps. Voilà une dizaine d’années que je m’expose à cette influence. Ce n’est pas mal mais, en même temps, c’est court et je suis encore jeune. Rendez-vous dans vingt ou trente ans…

C’est à partir de son être essentiel, même s’il n’en est pas conscient, que le disciple va vers le maître.

Revue A. : Peut-on parler de filiation d’idées ? Où se situe d’après vous l’origine de cette relation ?

G.F. : Elle part de l’essentiel pour aboutir à l’essentiel. Dürckheim (3) distingue ce qu’il appelle le niveau essentiel du niveau existentiel. Dans la mesure où le maître a retrouvé au plus profond de lui-même ce qui constitue l’essence, la réalité ultime de tout être vivant, c’est à partir de son être essentiel, même s’il n’en est pas conscient, que le disciple va vers le maître. Tout appel authentique, tout élan vrai vers le maître et ce qu’il transmet procèdent de l’essence. La relation de maître à disciple se manifeste certes sur le plan existentiel : je puis téléphoner au maître, déjeuner avec lui, prendre le train en sa compagnie, avoir avec lui des entretiens… mais ce n’est là que l’apparence. L’important se joue dans l’ordre de l’essence.

Tout maître authentique est véhicule et serviteur d’une essence universelle et impersonnelle, laquelle utilise ses qualités et aptitudes humaines pour se manifester. Aussi le maître s’adresse-t-il de l’essence à l’essence, « de mon âme à ton âme, de mon être à ton être, de mon cœur à ton cœur », comme le dit la belle expression traditionnelle. Sur ce plan, le gourou n’est pas un autre que le disciple.

Mon essence – ce que je suis, au-delà de toutes les particularités et limites de la manifestation transitoire appelée Gilles Farcet – était à la recherche d’elle-même et s’est reconnue en la manifestation transitoire appelée Arnaud Desjardins, cette dernière constituant un véhicule plus purifié et transparent. Lorsque je percevrai : qu’il « n’y a plus deux mais un », lorsque je ne me prendrai plus pour Gilles et ne prendrai plus Arnaud pour Arnaud, l’énergie du gourou aura fait son office. Cela, bien sûr, c’est le « but », si on peut parler de but pour une réalité qui est déjà là, bien que je n’en aie pas conscience. Mais dès le départ, la relation, si elle s’établit vraiment, se noue au niveau essentiel. C’est parce qu’elle relève de l’essentiel qu’elle est impérissable, alors que ce qui ne relève que de l’existentiel sera nécessairement périssable. Arnaud dit souvent que depuis que son maître est mort, jamais il ne s’est autant senti en communion avec lui. Il ne le perçoit plus comme situé dans l’espace et le temps mais le ressent toujours présent.


(1) Derniers ouvrages de Gilles Farcet parus : Le choix d’être heureux, Éditions Entremises, 2021

La Réalité est un Concept à Géométrie Variable, Éditions Charles Antoni-L’Originel, 2022

(2) Arnaud Desjardins est décédé en 2011

(3) Karlfried Graf Dürckheim (1896-1988), diplomate, psychothérapeute et philosophe allemand. Il découvre le bouddhisme zen au japon. 

Édition augmentée du dossier paru dans la revue n° 125 (mai 1992)

Propos recueillis par Laura WINCKLER, cofondatrice de Nouvelle acropole en France

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vendredi 29 décembre 2023

La relation Maître-disciple


Entretien avec Gilles Farcet - #1 La rencontre d’un disciple avec son maître

Dans le cadre du 50e anniversaire de notre revue (Acropolis), après Antoine Faivre, nous publions l’entretien réalisé avec Gilles Farcet (1) sur la relation de maître à disciple.

Ce premier extrait raconte sa recherche d’un maître.

Revue Acropolis : Vous parlez souvent dans vos écrits de la relation maître-disciple. Pouvez­ vous nous expliquer ce qui dans votre vie vous a amené à réfléchir et à mettre l’accent sur cette relation ?


Gilles FARCET : Tout d’abord la conscience très claire que, pour progresser, pour croître dans quelque domaine que ce soit, profane ou sacré, humain ou spirituel (les deux étant d’ailleurs à mon sens inséparables) il faut apprendre. Je suis très étonné de constater que beaucoup prétendent aujourd’hui se passer de maître dans le domaine spirituel, alors même que chacun s’accorde à reconnaître la nécessité d’un apprentissage rigoureux dans les autres sphères de l’existence. Si je désire jouer correctement du piano – sans parler d’être un virtuose – il me faudra prendre des cours, m’initier au solfège, m’ouvrir à certaines influences. Je devrai choisir un professeur et ne pas en changer tous les quinze jours.

Tout le monde juge normal et même indispensable qu’un futur médecin aille à l’université et suive des stages à l’hôpital. J’avoue donc être surpris de voir cette nécessité d’une formation sérieuse si peu reconnue aujourd’hui parmi ceux et celles qui disent s’intéresser à « la spiritualité ». Beaucoup « picorent » un peu partout, suivent un stage, puis un autre… Or, je crois que si l’on veut véritablement approfondir il faut, non pas être fermé et ne plus jurer que par une personne hors de laquelle on ne voit point de salut, mais du moins s’exposer de façon durable à une influence, à une « école » – pour reprendre un terme cher à Georges Gurdjieff (2) –, quitte ensuite à pouvoir d’autant mieux s’ouvrir et se montrer disponible.

Donc, pour répondre de manière plus personnelle à votre question, mon intérêt pour le rapport maître­disciple vient de ce que j’ai eu assez tôt conscience de la nécessité de cette relation pour un travail spirituel digne de ce nom. Je ne vais pas vous raconter ma vie, mais disons qu’à l’âge de vingt-trois ans, après avoir beaucoup pratiqué certaines techniques de méditation, fait de nombreuses et longues retraites, je me suis rendu compte de l’omniprésence de cette relation maître-disciple dans toutes les traditions. Qu’il s’agisse de la tradition hindoue, de la tradition bouddhiste, du soufisme, du christianisme des premiers temps et même de la tradition philosophique occidentale, celle de Socrate et Platon, on retrouve toujours et partout cette relation du maître et du disciple. Elle est d’ailleurs source de très belles histoires, vraies ou symboliques, et porteuses de vérités profondes. Par conséquent, je ne pouvais pas prétendre être un génie spirituel capable de tout découvrir par lui­même. Non que les génies spirituels n’existent pas : Ramana Maharshi l’un des grands sages hindous du début de ce siècle, s’est éveillé « spontanément » à l’âge de dix-sept ans, sans avoir suivi d’enseignement. Mais quand on s’engage sur un chemin, on ne saurait partir du principe que l’on est un génie et un nouveau Maharshi… Si l’on aspire à bien jouer du piano et à composer, mieux vaut commencer tôt à prendre des cours plutôt que de se prendre d’emblée pour Mozart.

Revue A. : Pouvez-vous nous parler un peu de votre itinéraire ?


G.F. : Oui, mais à condition de préciser que cet itinéraire n’a rien d’exemplaire ou d’exceptionnel. Il se trouve que l’on m’interroge parce que j’écris des livres et que j’ai effectué quelques activités publiques. Mais il y a, ne serait-ce qu’en France, des personnes bien plus avancées que moi et qui pourraient parler avec davantage d’expérience et de perspective de la relation maître-disciple. Sans doute n’est-ce ni leur fonction ni leur désir. Ceci précisé et puisque je suis distribué dans le rôle du « parleur », allons-y.

Il m’est très tôt apparu – aux alentours de mes vingt ans – que quoique très intéressé par le bouddhisme, l’hindouisme et les spiritualités orientales en général, je me devais de rencontrer un maître occidental. Je me suis toujours senti d’Occident, appelé à une relative insertion dans le monde tel qu’il était, pour le meilleur et pour le pire ; je n’ai jamais durablement cru que ma vocation était de me retirer, d’aller vivre en Orient ou de mener une vie contemplative dans le sens précis de ce terme, c’est-à-dire accorder la priorité à la méditation plutôt qu’à l’action. J’aspirais à une spiritualité dépouillée de tous les exotismes, de tout le côté rituel ; en outre, il était pour moi très important de pouvoir entretenir cette relation avec un être humain bien sûr enraciné dans l’expérience spirituelle mais en même temps passé par les tribulations d’un Occidental moyen.

Comment dire ? Je voulais être guidé par quelqu’un dont les références culturelles au quotidien seraient essentiellement les miennes : quelqu’un à qui la nécessité de payer un loyer et des notes de téléphone ne serait pas étrangère, quelqu’un ayant eu une famille, ayant vécu et travaillé non dans un ashram en Inde, mais à Paris ou New York.

Ceci me paraissait très important, justement parce que la sagesse, si elle existait, devait être possible partout et non dépendante d’une culture ou d’un contexte particulier.

Cela n’enlève rien à la grandeur des cultures traditionnelles ni au fait que certains environnements semblent bien plus propices à la recherche intérieure. Reste que jamais je n’ai voulu rejeter mon héritage, ni même cette civilisation, malade sans doute, folle à bien des égards et cependant très propice à la recherche, du fait de sa folie même…

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Principaux ouvrages de Gilles Farcet

• Arnaud Desjardins ou l’aventure de la sagesse, 1987, Éditions La Table Ronde ; réédition en poche chez Albin Michel en 1992 et à la Table Ronde en 2014

• L’Homme se lève à l’Ouest, Éditions Albin Michel, 1992 ; traduit en espagnol

• La ferveur du quotidien, Éditions L’Originel, 1993

• Regards sages sur un monde fou, avec Arnaud Desjardins, Éditions La Table Ronde, 1997 ; traduction en espagnol

• Manuel de l’anti-sagesse, traité de l’échec sur la voie spirituelle, Éditions du Relié, 2002, traduit en espagnol et en anglais

• La Transmission selon Arnaud Desjardins, 25 ans d’échanges avec un ami spirituel, Éditions du Relié, 2009

• Le défi d’être, entretiens avec Gilles Farcet, de Denis Desjardins et Gilles Farcet, Éditions Dervy, 2017

• Une boussole dans le brouillard, Éditions du Relié, 2019

• Le choix d’être heureux, Éditions Entremises, 2021

• La Réalité est un Concept à Géométrie variable, Éditions Charles Antoni-L’Originel, 2022

Et bien d ‘autres encore…


Participation de Gilles Farcet dans des films

• Sur la route avec Mr Lee, de François Fronty, 1995, Alizé diffusion.

• Stephen Jourdain, La Folle Sagesse, de Carole Marquand, avec Gilles Farcet et Denise Desjardins, 2006, Alizé diffusion.

• Denise Desjardins, de la révolte au lâcher prise, un film de Guillaume Darcq, 2008, Alizé diffusion

• La Frontière intérieure, Gilles Farcet, Images d’un parcours, de Guillaume Darcq, 2013, Alizé diffusion


Propos recueillis par Laura Winckler - Cofondatrice de Nouvelle Acropole en France

Gilles Farcet, écrivain, journaliste, producteur à France Culture, animateur de stages, a également collaboré à diverses revues et a fondé à La Table Ronde la collection « Les Chemins de la Sagesse ». Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages et a travaillé aux côtés d’Arnaud Desjardins, qu’il a considéré comme son maître. Il se consacre, dans ses écrits comme dans sa vie, à une meilleure compréhension de la relation maître à disciple, située au cœur de toutes les traditions spirituelles.

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mardi 26 décembre 2023

Une lignée vivante

 Première partie qui aborde la lignée vivante de swami Prajnanpad.

On y retrouve les personnes qui ont accompagné Arnaud Desjardins...


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lundi 11 décembre 2023

De maître à pensées...

 


Nous devons cheminer entre deux risques : si nous ne suivons pas une voie traditionnelle comportant la transmission d’un maître ayant lui-même reçu cette transmission d’un autre maître, nous risquons tout simplement de ne suivre que nous-mêmes et de nous bercer de nouvelles illusions. L’autre danger consiste à suivre une tradition en se figeant dans des formes, ou dans une pratique, qui devienne l’imitation d’un idéal créant en nous une personnalité artificielle. Il est essentiel de ne jamais perdre le contact avec le sens de l’expérience en suivant aveuglément les cultes ou les croyances.

Roland Rech - Moine zen en Occident

(...) Si, en étant bien concentré sur la posture du corps et la respiration, on se met à observer l'esprit, alors on réalise que l'esprit est insaisissable car c'est l'esprit lui-même qui observe, c'est l'esprit qui pense . Si on s'avise de vouloir saisir l'esprit, cela ne peut pas être l'esprit mais une idée au sujet de l'esprit et à ce moment-là, l'esprit , au lieu d'être ce qu'il est, illimité comme le vaste ciel contenant tout, devient à son tour une pensée, une fabrication mentale, quelque chose de séparé et de limité. Alors, l'esprit perd le pouvoir de nous libérer et devient un objet d'attachement parmi d'autres. Si l'on essaye d'observer l'esprit, ce que l'on peut juste faire, c'est d'observer ce qui apparaît et disparaît d'instant en instant dans cet esprit . En étant attentif au moment de l'apparition d'un phénomène, si on observe comment surgissent la pensée, la sensation, la perception, alors très vite l'agitation mentale se calme. Très vite un espace vide apparaît entre les pensées, les sensations et les perceptions. C'est le point où observation et concentration se rejoignent. Cela permet à l'esprit de fonctionner suivant sa véritable nature, c'est à dire de ne pas s'aliéner aux choses, aux pensées en s'identifiant à elles. Et, cela ne peut se réaliser qu'instantanément."(...)

Roland Rech - la voie de l'oiseau

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samedi 20 mai 2023

Ami spirituel ?

 L'AMI SPIRITUEL, VRAIMENT ?


En Occident, le terme "ami spirituel" a été utilisé dès les années 70, probablement popularisé par Chögyam Trungpa Rinpoché, pour désigner le ou la maitre spirituel.le.

Si on comprend très bien pourquoi on a voulu utiliser cette terminologie plutôt que celle, classique et traditionnelle, de maître spirituel, celle-ci participe à entretenir une certaine confusion sur la relation très particulière que constitue la relation maître-disciple.

Revenons à la définition même d'amitié : « affection entre deux personnes en dehors des liens du sang ou de l'attrait des sexes ». Rajoutons spirituel à ce lien.

On obtient une définition extraordinairement partielle de la relation maître disciple, qui "cache", selon moi, l'essence même de la transmission, qui est symboliquement générationnelle, et comporte donc obligatoirement une notion de verticalité, et donc, ô horreur aux yeux de la modernité, une notion de hiérarchisation.

Toutes les personnes en charge d'une forme de transmission spirituelle le savent bien : la principale résistance à la transmission prend la forme du "oui, MAIS". À tel point que tant que ce "oui, mais" est préférentiellement à l'œuvre dans la relation qu'entretient un ou une disciple avec son ou sa maître, on peut dire qu'il n'y a ni disciple, et par conséquent, ni maître.

Or ce "oui, mais" provient d'une vision horizontale de la relation, dans laquelle, au fond, tout est discutable et sujet à débat. Cette horizontalité est renforcée par le terme "ami spirituel", car très peu de personnes sont capables de comprendre que cette amitié est entière sur un plan ultime, mais pas complètement sur un plan relatif. Dans un tel cas, la dénomination "ami spirituel" est exactement ce qu'on appelle grammaticalement un "faux-ami" dans l'art de traduire. 

Loin de moi l'idée de dire qu'une amitié n'est pas possible entre maître et disciple, sur un plan relatif aussi, c'est même peut-être la forme la plus aboutie d' amitié qui puisse exister, la plus complexe aussi.

Mais il est aussi très clair que cette terminologie ne définit pas l'essence de cette relation, et pour ma part, et dans la lignée que je représente, je prends désormais la peine d'être extrêmement précis à ce sujet. Parce que sinon, on ment inconsciemment sur la marchandise (peut-être par omission) et le ou la disciple ne peut pas prendre une décision éclairée avant de s'engager.

Dans notre lignée, nous avons donc prévu un sas d'entrée, une sorte de prise de refuge taoïste, qui ne nécessite pas d'accepter le ou la maître en tant que tel, et qui permet de bénéficier de certains enseignements spécifiques tout en continuant à "tester" le ou la maître, autant que nécessaire (dans un temps raisonnable quand même). L'idée est qu'au moment de s'engager réellement, le ou la future disciple soit au clair avec le contrat tacite qui liera les deux partis et avec le mandat remis au maître. 

En chinois le problème ne se pose pas et tout est très clair :

Maître = 师父= Shifu = Enseignant-père=  étymologiquement celui qui ouvre la marche en tenant le bâton et défend celles et ceux qui le ou la suivent. Il ou elle est devant, tout.e seul.e. En cas de danger, on l'écoute et on lui fait confiance. En cas d'indécision, on le suit, parce qu'il ou elle a le meilleur point de vue du groupe.

Disciple = 徒弟= Tudi = personne de la nouvelle génération, frère ou sœur cadette, en train de marcher, avec une coupe vide (et encore en prison : la sienne, soumis aux voiles de l'illusion pourrait on ajouter).

Le génie de l'idéographie chinoise c'est qu'en permettant plusieurs angles possibles de déchiffrage, elle décrit très bien la dimension verticale, hiérarchique et générationnelle de la transmission, sans nier non plus la beauté horizontale mais complexe de l'amitié présente entre maître et disciple.

Revenons à l'image archaïque de cette personne avançant devant avec son bâton et guidant une personne ou un groupe : elle ramène à l'incroyable beauté naturelle des choses qui veut que celui ou celle qui est devant se sacrifiera si nécessaire pour la survie des suivants. Qui un jour feront pareil pour les suivants. N'est-ce pas ce que ferait tout père ou mère pour ses enfants ? 

Cette formidable solidarité archaïque hiérarchisée est le propre de tout ce qui est vivant, et de l'amour désintéressé qui traverse toute la création. Car oui, il y a un amour immense au sein même de cette hiérarchie. 

Alors réfléchissons à deux fois avant de vouloir tout horizontaliser, par peur de faire peur (sic), et de balayer certaines notions simplement parce qu'on ne comprend plus, ou mal, le vrai sens des hiérarchies. Par contre, il faut en accepter le côté complexe et dansant.

Je reparlerai de cette danse dans un futur article.

D'ici là, observons, dehors et dedans !

Bonne pratique

Fabrice Jordan

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lundi 2 janvier 2023

Un présent toujours nouveau !

 
Meilleurs vœux !
Portons au mieux les fruits de notre nature sur cette terre.


Merci de votre présence en 2022. 
Vous m'avez soutenu et je vous en suis reconnaissant !
Vos commentaires sont précieux.
J'espère poursuivre le chemin en votre compagnie en 2023.


Un petit cadeau de la part de Fabrice Jordan (en cliquant sur le copyright)


Copyright Gilles Farcet & Ming Shan, toute reproduction interdite, sur n’importe quel support, sans l’accord formel de l’auteur et de Ming Shan.

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mercredi 18 mai 2022

jeudi 24 mars 2022

Présentation audio du livre de Gilles Farcet

 “Mais il avait persisté dans sa secrète détermination à servir le tout en s'accomplissant. Et le tout, de guerre lasse, sans doute, avait fini par le lui rendre”. (p.11)

“Voilà ce qu'il avait compris : perte et rédemption, damnation et rachat, étaient la diastole et systole de la circulation de cette vie, elles en régissaient le cœur dans sa marche immémoriale”. (p.41)


Les éditions l'Originel-Charles Antoni, nouvellement renouvelées, proposent une inspiration de Gilles Farcet sur le concept du Réel : La réalité est un concept à géométrie variable.

L'auteur, mature en âge et discernement, y jette un regard compatissant sur son passé et son passif ; dresse un portrait lucide de sa génération, de ses contemporains et de sa propre tâche (“pas sage mais accoucheur”) ; nous livre ce qu'il a compris du monde, du sens et du mystère de la vie (l'Amour ?), du temps qui passe, de la mort.

Reconnaissant des amis spirituels rencontrés sur le chemin (A. Desjardins, Y. Amar, Yogi Ramsuratkumar, G.I Gurdjieff...), il goûte aux fruits de leurs enseignements, par une pratique assidue et continue depuis une quarantaine d'années, se découvrant et s'acceptant homme heureux, conscient, aimant et vivant.

Cet "homme nouveau" au sens chrétien du terme, avec sa vision compatissante de l'humain, la responsabilité d'être au service de son prochain, d'accueillir toute souffrance pour la transcender et se donner en corps tel une hostie, la bonté d'âme aussi...s'est imposé avec le temps, reléguant l'homme ancien ou l'ego-centré en seconde place de la psyché consciente (le “il” narratif est employé à dessein).

Rien de permanent pour autant, aucun élu ni parvenu, ni fonction à laquelle s'identifier. Des années de lutte intérieure lui ont appris la patience, la veille stratégique et la nécessité de rester dans l'ouverture de vue et de cœur (“vivant plutôt qu'éveillé”).

Gilles Farcet traverse la vie en baroudeur, sans apporter de réponse toute faite au mystère insondable mais ressent de plus en plus le besoin de remercier pour l'assise, les signes et la confiance mis en lui. Il trace son sillon à la fois dans les pas de ses prédécesseurs mais aussi dans l'intime connivence et relation de l'être en soi.

Un auteur que l'on sent proche. La profondeur et l'acuité du Vivant qu'il est permet la mesure.

Entretien audio en plusieurs parties (11, 8, 9 et 9 minutes) avec Gilles Farcet :

1ere partie / 2ème partie / 3ème partie / 4ème partie 

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lundi 24 janvier 2022

Chers amis du Dharma,...

 Thayé Dorjé, Sa Sainteté le XVIIe Gyalwa Karmapa, partage le message suivant au sujet du décès de Thich Nhat Hanh. 



Chers amis du Dharma,

Thich Nhat Hanh, l’un de nos maîtres bouddhistes les plus révérés de notre époque, a quitté son corps. J’aimerais exprimer mes condoléances à tous ses étudiants de par le monde et je souhaiterais aussi nous encourager tous à nous réjouir de son activité sans limite et de son héritage atemporel.

Son décès ne signifie pas qu’il soit parti. Comme il l’a lui-même dit : « C’est seulement du fait de notre mécompréhension que nous pensons que la personne que nous aimons n’existe plus après sa mort. C’est parce que nous sommes attachés à l’une de ses formes, à l’une des multiples manifestations de cette personne... La personne que nous aimons est toujours présente. Elle est autour de nous, en nous et elle nous sourit. »

Notre lignée karma kagyü a un lien spirituel très spécial avec maître Thich Nhat Hanh parce que c’est grâce à sa bonté que nos moniales de Dhagpo Kundreul Ling ont pu recevoir les vœux de pleine ordination monastique, les voeux de bhikshuni (gelongma en tibétain), au Village des Pruniers, en 1994.

Puisque la pratique du vinaya est le fondement de tout mérite et de toute sagesse, il n’existe pas de plus grand cadeau que celui fait à la lignée du Dharma du Bouddha.

En ce qui concerne le monde, je pense que sa contribution principale était – et est encore – la pratique authentique de la spiritualité, sans séparation ni frontière.

Cette spiritualité sans frontière n’était pas que paroles et elle ne signifiait pas non plus mélanger les diverses religions et traditions spirituelles si bien que le caractère unique de chacune serait perdu.

Il a plutôt essayé, sans être source d’afflictions pour les autres, de révéler et de refléter la nature de chaque croyance d’autrui afin que chacun se sente respecté, compris et accepté dans sa singularité et ses différences. Et c’est ce respect et cette acceptation, – ce « laisser être »–, qui permettent aux autres de parvenir à la compréhension qu’au bout du compte, nous sommes les mêmes.

C’est ainsi que les afflictions se calment et s’apaisent, ce qui permet à chacun de voir la « vérité », quel que soit le nom que nous lui donnons.

Une telle activité est reconnue par les bouddhistes comme le Dharma du Bouddha.

Il n’existe rien en quoi les bodhisattvas ne s’impliquent pas, rien qu’ils n’apprennent pas afin d’apaiser les afflictions d’autrui, comme les cinq sciences et tous les outils sociaux, y compris la politique.

C’est ce qu’a fait maître Thich Nhat Hanh.

Le reste nous appartient.

Thayé Dorjé

Sa Sainteté le XVIIe Gyalwa Karmapa



Voir la vidéo en hommage sur Sagesses Bouddhistes

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dimanche 19 décembre 2021

Disciple d'un maître




 Note du réalisateur Guillaume Darcq : Je mets ce film gratuitement en ligne. Il est le fruit de six années de travail. Je préfère qu’il soit facilement accessible plutôt que de le voir sombrer dans l’oubli. Ici la qualité image est fortement dégradée. Heureusement le dvd reste en vente. Il a également cette particularité de contenir plus de 80 minutes de précieux bonus (séquences coupées au montage avec Douglas Harding, Maurice Béjart, Arnaud Desjardins, Lee Lozowick, Chandra Swami, Yvan Amar…) . Vous pouvez vous le procurer sur le site : www.legue-editions.com


Le film :
Plus que le portrait d’un individu, ce film, nourri de documents d’archives souvent inédits, se veut un voyage, l’évocation d’un parcours atypique et multiple, jalonné de rencontres privilégiées avec quantité de témoins remarquables. Autour de Gilles Farcet qui sert de fil conducteur, nous allons croiser les figures d’Yvan Amar, Lee Lozowick, Stephen Jourdain, Yogi Ramsumatkumar, mais aussi Allen Ginsberg, Jodorowsky, Kenneth White et bien d’autres, sans parler d’Arnaud Desjardins dont il est l’élève depuis 1982 et dans la lignée duquel il transmet aujourd’hui. Américaniste de formation, d’abord écrivain, journaliste et éditeur, également musicien, Gilles Farcet a été marqué par une approche traditionnelle du « chemin spirituel » en même temps que par le blues et plus généralement la culture américaine avec son mythe de la « la frontière », horizon neuf toujours en recul et métaphore du territoire intérieur à défricher. Ce film témoigne donc de cet itinéraire humain, artistique et spirituel d’une étonnante richesse dans sa diversité et rend hommage à de grandes figures dont beaucoup sont aujourd’hui disparues.
Voix off : Bernard Campan et Marie-Pascale Grenier
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Etonnant de voir, dans ce film, Arnaud à la date de création de ce blog -2007.

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samedi 9 octobre 2021

Interview de Matthieu Ricard

 Sa "naissance", écrit Matthieu Ricard dans ses mémoires, remonte à sa rencontre avec son maître, Kangyour Rinpoché, le 12 juin 1967, à l'âge de 21 ans : "J'ai compris que ce qui me manquait en fait dans l'existence. J'ai été très privilégié dans ma jeunesse. J'ai été entouré de grands philosophes, mon père et tous ses amis, ma mère, Yahne Le Toumelin, le peintre Pierre Soulages, Georges Mathieu, Zao Wou-Ki, mon oncle Jacques-Yves Le Toumelin. Tous les explorateurs, je les connaissais. Cocteau, etc... Ce n'était pas un modèle de vie. Une distribution formidable de gens exécrables, heureux, malheureux, égoïstes, altruistes. C'était très déconcertant pour un jeune qui cherche une inspiration, un modèle de vie."

"J'aurais bien voulu jouer aux échecs comme Bobby Fischer, mais pas être Bobby Fischer. Donc là, c'est quelque chose qui dont je n'étais pas satisfait. Donc, quand j'ai vu des documentaires faits par Arnaud Desjardins, à la télévision française sur tous les grands maîtres tibétains qui avaient fui l'invasion chinoise vers l'Inde. Je me suis dit il y a 20 Socrate, 20 Saint-François-d'Assise, j'y vais. J'avais six mois de vacances avant de rentrer à l'Institut Pasteur. Et là, brusquement, je ne connaissais rien au bouddhisme, mais la qualité des êtres humains, la cohérence, la bienveillance, la résilience, toutes ces qualités humaines m'a fait me dire que si je pouvais devenir un 100ème de ces qualités humaines là, je serais bon."

"J'étais mûr pour faire cette décision"

Mais il n'a pas franchi le pas immédiatement à 21 ans. Ce n'est qu'à 26-27 ans qu'il retourne en Inde, car avant ses parents auraient été "terriblement déçus". Il ajoute : "J'aurais un peu cassé quelque chose. Ainsi, je suis allé à Pasteur, j'ai fait tout ce que j'avais à faire. J'ai publié les travaux de ma thèse. Tout le monde était content. J'allais partir en post-doctorat aux Etats-Unis et j'ai pris la poudre d'escampette. J'ai fait mon post-doc dans l'Himalaya et tout le monde était content. J'étais mûr pour faire cette décision."


En 1979, il prononce ses vœux monastiques. Il s'engage à respecter quatre règles importantes : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas mentir sur son chemin intérieur et ne pas avoir de relations sexuelles. "De l'extérieur, ça peut paraître un grand pas si on n'est pas prêt. Encore une fois, le fruit était mûr. J'avais une vie plus ou moins célibataire depuis quelques années. Et puis, je me suis dit une chose : si je veux vraiment mener à fond cette existence, partir dans les ermitages dans la montagne, vous imaginez ? Moi, je sais ce qu'est le sens des responsabilités. Vous avez une famille, deux enfants... 'Mes chéris, je reviens dans trois ans, je vais faire une retraite'. C'est pas possible, donc je n'aurais jamais mené cette vie, 50 ans dans l'Himalaya, au Bhoutan, 20 fois au Tibet, si j'avais eu une famille à charge. Alors je n'ai pas eu d'enfant, certes, mais j'en ai 30 000 dans les écoles qu'on a fondé avec Karouna-Shechen. Je ne les ai pas enfantés, mais je les aime beaucoup. Je suis très proche des enfants. J'ai des amies très chères parmi les femmes. Dans le bouddhisme, la femme était éminemment respectée. On dit même qu'un moine doit se prosterner intérieurement devant une femme parce qu'elle symbolise la sagesse."

"On est dans le règne de l'inconnaissance"

Sur la période dans laquelle nous vivons, Matthieu Ricard écrit que "l'épidémie du narcissisme gagne du terrain, tout comme la démagogie, le populisme et l'exacerbation des divisions." Il pointe également "la volatilité des réseaux sociaux, l'absence d'esprit critique et de rigueur, l'asservissement à un imaginaire malsain qui engendre un tsunami de confusion".

"On est dans le règne de l'inconnaissance. On a l'impression que avec trois clics sur Internet, on va remplacer dix ans, vingt ans de formation, de recherche et qu'on est aussi compétent que quelqu'un qui a consacré sa vie à un sujet de recherche particulier. C'est très nouveau, ce phénomène. Le monde est plein d'incertitudes, notamment la recherche scientifique change parce qu'on doit s'adapter à ce qu'on découvre. Les gens ont besoin de certitudes dans ces moments difficiles. Quand quelqu'un arrive avec un dogme qui est béton parce que ça ne repose pas sur des faits, ça a un côté rassurant pour les gens qui ne savent pas trop, qui ne sont pas forcément éduqués dans ce domaine. C'est un phénomène très troublant."

Ecouter l'interview

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source : France Inter

jeudi 16 septembre 2021

Les trois fois trois trésors

 

Dans le taoïsme, on cite souvent les Trois Trésors comme étant le Jing (Essence), Qi (Energie) et Shen (esprit/conscience).
La deuxième version, moins connue parce que moins séduisante pour les Occidentaux est la trilogie Dao (le Tao, donc), Jing (Les écritures) et Shi (le maître).
Cette trilogie répond à mon sens très bien à certaines questions posées en spiritualité:
La première: peut-on viser directement le Dao, comme le prétendent les voies non duelles? A ceci, le taoïsme répond que bien évidemment, le Dao est toujours là, dans la mesure où il est immanent à toute chose. Mais le taoïsme considère que viser uniquement le Dao, ce n'est pas accomplir pleinement notre destinée humaine. En effet, si le Dao avait voulu que nous ne connaissions que lui, pourquoi diable nous aurait-il fait "sortir" de lui? Pour une intelligence toute puissante, ce n'est pas très malin. De ce fait, on ne parle pas d'un seul Trésor, le Dao, mais bien de trois.
Le deuxième: Jing, représente ici les "Canons", ou "Ecritures". Mais c'est une autre manière de dire: l'expérience accumulée par les générations de pratiquants antérieurs, hommes et femmes. Parfois, c'est aussi un message transmis par un "esprit", canalisé par un medium. Ici, la version des Trois Trésors répond à cette question assez fréquente: peut-on être guidé par un être désincarné?
A ceci, le taoïsme répond: oui tu peux, à condition d'avoir le troisième Trésor à disposition, c'est à dire, le Shi, le Maître. Pourquoi? Parce que le seul "dispositif" capable de nous botter les fesses et de nous montrer nos angles morts est, tout bêtement, un autre être humain. Sans ce troisième Trésor, c'est très simple, on se leurre beaucoup, et surtout, la fuite est tellement facile.
J'ai personnellement connu des personnes fuyant des responsabilités qu'un enfant de 10 ans assume parfaitement, en prétextant être "guidé par un maître désincarné". Ou d'autres incapables de gérer une frustration, invoquer "l'enseignement direct par un maître désincarné", alors que leur niveau réel de développement ne dépassait pas le niveau qu'un enfant apprend à gérer vers l'âge de 5 ans.
Par exemple, un pratiquant relativement aguerri, est arrivé une fois à Wei Bao Shan, la montagne où vivait mon maître à l'époque. Il y avait plusieurs prêtres sur place, mais il demande à voir directement le maître le plus "gradé", en l'occurrence mon maître qui est le responsable du Temple. Celui-ci accepte de le voir, mais comme ce pratiquant ne cessait de demander des traitements de faveur (il voulait apprendre directement le Xuan Xue, la partie ésotérique), prétextant qu'il était exclu qu'il recommence tout à zéro, Liu Yuan Tong l'a gentiment remis à sa place.
Résultat: ce pratiquant a refusé le repas du soir, puis s'est mis à jeûner trois jours en s'enfuyant dans les montagnes, et est revenu fier comme un coq en clamant à tout va qu'il avait été enseigné par les Immortels de la montagne et que désormais, il pouvait se passer de maître. Pas besoin de vous dire que son regard était assez proche des décompensations psychotiques que l'on croise parfois aux urgences à ce moment précis.
Cette version des Trois Trésors ne nie ni la non-dualité (autrement dit, l'Unité, voire le Vide plein), ni la possibilité d'avoir accès à certains enseignements via des canaux parfois non communs, mais elle insiste sur notre ancrage humain, et...sur la relation! Celle qui humanise, et nous aide à rester humble.
D'ailleurs, une troisième version des Trois Trésors est la suivante, et on la trouve encore moins souvent citée: Ci 慈 (amour/compassion) Jian 儉 (simplicité) et Bugan wei tianxia xian 不敢為天下先 que l'on peut simplement traduire par humilité.
A mon sens, on devrait se souvenir régulièrement des Trois.

Un petit truc pour exercer l'ensemble de la troisième version d'un seul coup? L'auto-dérision. Il faut être gentil avec soi-même pour rire de nos travers et errances, il faut être juste pour oser nommer les choses et donc, simple, et assez humble pour savoir que nous portons en nous tous les personnages, bien que l'on ait l'immense privilège, en tant qu'humains, de pouvoir choisir ceux que l'on souhaite voir s'exprimer, et comment.
Bonne pratique!
Fabrice

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mardi 13 juillet 2021

Prise de conscience et acceptation

 — Maître, je n’obtiens pas ce que je souhaite de mes relations, pourquoi vais-je d’insatisfaction en insatisfaction ?


— Sans prise de conscience, l’enfant blessé (abandonné, rejeté, trahi, humilié, etc.) qui demeure en toi, s’exprime dans toutes tes relations, et demeure insatiable et inconsolable. Pire encore : il perçoit le monde à travers le filtre de sa blessure. Celui qui ne le conscientise pas, répète le même schéma inconsciemment. Et cette blessure est alors un puits sans fond, qu’aucune autre personne que toi ne parviendra à combler.

— Comment faire alors pour combler ce trou ?

— La blessure de notre enfant intérieur, que nous portons en nous tout au long de toute notre vie, peut être guérie à la seule condition que nous fassions lumière sur elle. Cette lumière dont il est question à travers les âges, des alchimistes aux poètes, et dans tous les ésotérismes, c’est la conscience. Faire lumière, c’est prendre conscience de ce qui est par définition, inconscient, dans le noir.

— Mais alors, une fois la lumière faite, on est guéri ?


— Cela passe ensuite par l’acceptation de ce qui est, puis par la reconnaissance de notre part de responsabilité d’adulte de demeurer, consciemment ou non, dans cet état de souffrance. Accompagner notre enfant intérieur, le prendre par la main et aller visiter ses blessures, nous permet de le faire grandir et enfin considérer les évènements récents de ta vie, comme des évènements extérieurs dont tu portes une responsabilité d’interprétation. 

Retiens bien ceci : l’aspect que tu donnes aux phénomènes extérieurs ne fait que refléter ton état intérieur, conditionné, et déformé par tes blessures ouvertes. C’est en ce sens que la solution réside en Toi.

Stephan Schillinger / Extrait des livres « Par un Curieux Hasard »

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mardi 11 mai 2021

A propos du mot disciple



En Occident, le mot "disciple" a souvent une connotation négative, notamment dans les analyses des nouveaux mouvements religieux, où son sens s'apparente à une forme d'aliénation à un guru, souvent supposé manipuler son élève.
Malheureusement, ces dernières années, cette vision a été renforcée par de nombreux scandales émanant d'écoles diverses. Aucun courant spirituel n'a été épargné.
Mais pour être justes, il faut ajouter deux choses: d'une part, ce type de scandales n'est pas spécifique à la spiritualité, on le trouve partout et dans tous les domaines, y compris dans les systèmes ne reposant aucunement sur la relation maître disciple.
D'autre part, pour un scandale, combien de relations maîtres-disciples qui se passent très bien et sont fructueuses? D'innombrables, dont nous n'entendrons évidemment jamais parler, puisque du domaine du respect et de l'intime. Ainsi, la vision que nous avons en Occident sur cette notion est tronquée et s'apparente à un bais cognitif.
Notons qu'en Occident aussi, ce concept est connu, et a parfois une connotation bien plus positive, même si on n'utilise pas forcément le terme "disciple". Pourtant, on connaît tous le concept du compagnonnage, cette relation de maître à disciple dans l'artisanat ou l'art. Combien de musiciens, de philosophes, voire de scientifiques "durs" se réclament disciples de certains de leurs enseignants, se battant même parfois pour en être les héritiers naturels ou légitimes?
En Orient, cependant, la notion a gardé un sens très positif, et pour ce que j'ai pu observer dans le domaine spécifique qui est le mien, le taoïsme, la relation est d'abord vécue comme une chance et un honneur pour le disciple, une chance pour le maître qui a ainsi l'opportunité de continuer à faire vivre sa lignée, et elle se vit de manière respectueuse dans la très grande majorité des cas.
Revenons simplement à l'étymologie du terme, qui signifie "élève, apprenti". Dans ce sens, évidemment, aucun problème à signaler. Pourquoi, alors, utiliser deux termes différents pour les apprenants?
Simplement pour la raison suivante, qui est fonctionnelle et pragmatique: un(e) élève a une relation avec un enseignant qui se construit sur un mode horizontal en ce qui concerne le contrat qui les lie: le plus souvent, celui-ci a comme transaction une certaine somme d'argent, qui lui permet d'obtenir qqch de précis. Une fois ceci obtenu, les deux, élèves et enseignants, sont quittes. Si on décide de commencer la guitare, tous les élèves obtiennent le même nombre de cours pour la même somme d'argent, et à priori, tout le monde a accès à l'enseignant, sauf si celui-ci est victime de son succès et est complet.

Il y a une grande différence dans la relation de maître à disciple: celle-ci ne se base pas sur une transaction économique en premier lieu (même si celle-ci peut avoir lieu et doit être très claire), mais sur une forme de résonance avant tout.
Résonance de l'élève pour l'art, la spiritualité ET l'enseignant en question. Résonance pour le maître ou enseignant vis à vis de l'élève, envers lequel il va devoir jauger non pas sa capacité en tant que telle, mais l'adéquation de la transmission entre ces deux personnalités particulières. Un maître, en effet, peut très bien refuser d'enseigner, non pas parce que l'élève n'est pas assez doué ou n'a pas assez travaillé, mais simplement parce que la "résonance" ne lui semble pas suffisante pour que la transmission puisse se faire à un niveau efficace. Dans ce cas, il pourra éventuellement référer cet élève à un enseignant qui a un autre type de personnalité, et donc une autre vibration, peut-être plus compatible avec l'élève en question.
Dans une telle transaction, car il s'agit bien d'une transaction, il n'y a pas d'égalité entre les personnes (à part, bien entendu, au plan humain le plus fondamental). Dans un tel cas de figure l'enseignant ou le maître est plus vaste et plus mature que son élève, au moins dans le domaine spécifique pour lequel l'élève demande de l'enseignement. Dès lors, ici, le client n'est plus roi. Il est obligé d'abaisser sa coupe, et de la vider avant, s'il veut recevoir quelque chose. Le fameux "oui, mais" revient dans ce cas à vouloir remonter sa coupe au même niveau que l'enseignant. C'est très humain, bien sûr, mais ça ne marche pas, sauf avec des élèves très matures et ils sont rares.
Relevons qu'abaisser sa coupe, momentanément, ne signifie en aucun cas perdre sa dignité, bien au contraire. Il s'agit de retrouver notre humilité fondamentale tout en sentant l'axe même de notre dignité intrinsèque. C'est un jeu introspectif d'une très grande subtilité, et qui peut amener à une très grande maturité, s'il est exercé suffisamment longtemps. C'est le sens, et l'essence, du salut traditionnel, par exemple, que l'on retrouve à la fin de toutes les formes de Qi Gong datant d'avant la Révolution Culturelle.

Cela ne veut pas dire du tout qu'en certaines circonstances, l'élève ne peux pas questionner le maître, le challenger, voire le tester. Mais ceci ne devrait pas être la routine de la relation. Ce type de test, s'il a lieu, doit avoir lieu très tôt, et autant que nécessaire. Mais à un moment donné, le disciple doit faire un choix: soit il s'engage et prend le risque et se donne en même temps l'immense opportunité d'un changement radical, soit il préserve sa carapace égotique et protectrice en restant dans sa zone de confort (mais dans laquelle, malheureusement, il ou elle étouffe) et il continuera à tourner en rond en pensant que l'herbe est vraiment toujours plus verte ailleurs.
C'est la raison pour laquelle je suis partisan de garder ce terme. Il n'est pas simple à utiliser, mais il empêche de s'endormir, oblige à une certaine exigence dans la réflexion. Il oblige au positionnement, à l'éventuel engagement, et à une forme de discipline dans la durée, au service d'un changement qui pourrait être radical, et pour le mieux, bien évidemment.
Mais que le ou la disciple n'obtiendra jamais au rabais, ni en marchandant.
Le sujet n'est bien évidemment pas clos, et il nécessite beaucoup de nuances pour l'aborder. Mais le premier pas est fait.
Bonne réflexion!
Fabrice Jordan

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