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samedi 11 janvier 2025

La paix à offrir (2)

 Je l’ai compris auprès d’une femme qui n’avait plus que quelques jours à vivre.


J’entre dans une chambre de l’unité de soins palliatifs où je travaille. Cette femme est là, alitée. Elle m’accueille avec un sourire. Elle est fatiguée mais une douceur intérieure lisse les traits de son visage. Je m’assieds sur le rebord de son lit. Spontanément, elle me prend la main et me regarde en silence. Elle hésite, comme si elle cherchait ses mots. «Je vais bien, me dit-elle presque dans un souffle. Je ne comprends pas pourquoi... mais je vais bien. »

Elle est pourtant en train de vivre ses derniers jours. C’est étrange : l’un après l’autre, elle perd les supports de ce qui a constitué sa personne tout au long de son existence. Son corps l’abandonne. Il s’épuise et s’amaigrit. Elle a perdu depuis longtemps son statut professionnel et a renoncé aux projets qui étaient ses moteurs de vie. Elle sait qu’elle est en train de perdre sa place dans le monde des vivants qui continueront à vivre quand elle ne sera plus... Tant de pertes successives, tant de renoncements. La perte inexorable de tout ce qui lui permettait de dire : «Je suis cette personne. Ceci est “moi”.» Et pourtant, aujourd’hui, alors qu’elle est profondément engagée dans le deuil d’elle-même, elle me dit : «Je vais bien.» Cet état de quiétude arrive si rarement chez une personne en fin de vie que j’éprouve le besoin de rester auprès d’elle. Pour m’en imprégner. Pour comprendre aussi ce qui se passe sous mes yeux car, de façon troublante, je me sens aussi pénétré par cette tranquillité si paradoxale, alors que la mort s’annonce.

Que se passe-t-il à cet instant ? Quelle est la nature de cet apaisement ?

Je vois cette femme qui n’a plus assez de «support » pour continuer à se définir elle-même comme elle le faisait autrefois. Sous les assauts de la maladie, elle est contrainte à quitter son ego - cette représentation mentale d’elle-même - qui lentement se délite. Son espace psychique se vide progressivement de tout ce qu’elle pensait être mais, dans un même temps, une porte s’ouvre en elle : elle fait l’expérience directe d’un espace intérieur où peu de pensées s’élèvent. Et elle y découvre la paix. Une sorte d’immédiateté dans son rapport au monde et à elle-même. Quelque chose de très simple et de très calme, un espace de non-lutte par rapport à sa nouvelle réalité.

Mot après mot, dans un effort qu’il me semble essentiel de ne pas contrarier, elle me raconte combien elle sent un accès plus simple à l’instant présent : les sensations d’un bain ou d’un massage, la contemplation d’un arbre à travers sa fenêtre, le son de la musique, le silence d’une rencontre. Elle découvre, étonnée, qu’affranchie des pensées qu’elle n’a plus la force de suivre,

elle existe autrement, différemment. Plus calme, plus paisible. Elle avait l’impression de tout perdre et elle découvre qu’elle continue à exister. Qu’elle conserve son essence, son sentiment d’«être». «Je suis arrivée à un état que j’ai recherché toute ma vie, me confie-t-elle dans un filet de voix. Une vérité, une clarté, une simplicité à être “moi”, alors que..., sourit-elle en regardant son corps décharné, il n’y a plus rien de moi.» Une pensée me traverse : j’ai l’intuition qu’elle contacte un écho de son essence profonde, un écho sourd mais indéniable de ce qu’elle est fondamentalement. Un espace calme, clair, lumineux, sans pensée, intelligent, au-delà du temps, conscient de lui-même...

Je ne comprends pas pourquoi je suis autant touché par la paix que cette femme irradie. Je me sens moi aussi porté par cette paix. Je pense un instant qu’elle me la communique, mais non... Cela ne vient pas d’elle... Ce qui me trouble, c’est que je reconnais la sensation que ses mots réactivent en moi. Je reconnais la texture de ma propre expérience méditative — comme si son état intérieur entrait en résonance avec ma propre dimension intérieure. Son esprit dépouillé de tout devient un miroir qui me révèle à moi-même. Le visage de Chogyé Trichen traverse mon esprit. En dépit du fait que ni moi ni cette femme ne sommes «réalisés» comme lui, il se déroule la même expérience spirituelle qu’avec ce maître : nos essences respectives entrent en harmonie l’une avec l’autre.

A suivre

 Dr Christophe Fauré - S'aimer enfin (un chemin initiatique pour retrouver l'essentiel)

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dimanche 17 novembre 2024

« Il est urgent de chercher à tricoter le rêve de Dieu »


Samuel lui a téléphoné : « Mamounette, voudrais-tu me tricoter un pull-over, si tu as de la laine chez toi ? J’ai peur que tu t’ennuies. » Une mamie, ça ne s’ennuie jamais, Samuel ! Et les mamies tricoteuses ont toujours de la laine en réserve. L’enfant a poursuivi : « J’aimerais bien qu’il y ait quatre lamas, et un soleil qui se lève derrière la montagne. Et puis de l’herbe verte. Et puis, sur le côté, j’aimerais bien qu’il y ait un petit lama qui court après son papa… »

Le petit Samuel de 5 ans a rêvé : c’est le métier des enfants. Danièle a sorti ses pelotes et ses aiguilles et s’est mise au travail : c’est le métier des grands-mères. Elle lui a tricoté son rêve. Le tricotage, c’est des bouts de laine qui se mêlent. Mais ici, ce sont deux vies qui s’entrecroisent et des années après, on en parle toujours…

Cette histoire que Danièle m’a racontée il y a quelques jours, du soleil plein les yeux, me ramène à d’autres rêves que les petits et les grands vont exprimer à l’approche de la fin de l’année. Rêves de cadeaux en tous genres, bien souvent capricieux ; rêves achetables, pouvant être assouvis sans délais par la « magie » des Black Fridays et des promos de fin d’année. Cadeaux prêts à porter, sans autre engagement que celui d’une carte bancaire. On sera loin alors de l’envie de Samuel, rendue possible par sa confiance et sa complicité avec sa Mamounette, parce qu’il faut le savoir : dans cette histoire de trois fois rien, Danièle et Samuel se sont rendus vivants.

Rêver, c’est le métier de Dieu

Et cela me ramène à un autre rêve, celui d’un Dieu qui « planta un jardin en Éden, à l’Orient », y mit l’humanité naissante « créée à son image », lui confiant la gérance d’un monde inachevé. Rêver, c’est le métier de Dieu. Il y voyait déjà une famille humaine multipliée, responsable de l’à-venir. Il rêvait de bonheur, de vie à profusion, d’amours multicolores. Les paroles de la Bible sont une trace tissée de son désir.

Pendant quelques années, sans jamais cesser de marcher, d’aller à la rencontre, d’inviter à sa table et de se laisser inviter, Jésus a tricoté à sa façon le monde rêvé de son Père. Parce que plus que tout autre, il pressentait que Dieu est jeune, éternellement jeune. L’enfance de son monde l’obsédait. À certaines heures, fatigué par ceux qui vivaient Dieu comme un exercice de gymnastique ou un théorème qui casse la tête, il se risquait à dire : « J’ai joué de la flûte, vous n’avez pas dansé. »

Tricoter le rêve de Dieu

Les quelques-uns qui l’ont suivi jusqu’au seuil du tombeau ont compris au matin de Pâques qu’il leur fallait donner une nouvelle intensité aux lueurs d’espoir qu’il avait allumé. Et ils se sont ligués pour donner forme ensemble aux rêves de leur Ami.

Dans le creux de l’hiver qui s’annonce, il est temps de ressortir nos aiguilles et les trois bouts de laine qui traînent dans nos boîtes à découdre. Dans notre monde abîmé par la violence, malmené par l’hystérie du pouvoir et sclérosé par les replis identitaires – jusque dans notre Église ! –, avec les hommes et les femmes de bonne volonté, il est urgent de chercher à tricoter le rêve de Dieu. Sans quoi nous mourrons tous de froid.

Raphaël Buyse 

source : La Vie

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jeudi 7 novembre 2024

Une vie de ronces et de cours d’eau

 Mais, tout d’abord, laissez-moi vous conter l’histoire de Zhongli Quan, l’un des plus célèbres des 8 Immortels…

Zhongli Quan : l’Immortel qui changea de voie

Enfant, Zhongli Quan était connu dans sa région natale pour les miracles qui se produisaient sur son chemin. Il était déjà apprécié, dès son plus jeune âge, pour sa sagesse extraordinaire. L’enfant grandit, et décida de suivre davantage une vie de militaire plutôt que ses aspirations spirituelles, tout comme son père l’avait fait avant lui. Rapidement, Zhongli Quan fut recruté par la cour de l’empereur, et nommé général. Il fut envoyé sur le champ de bataille par l’empereur Han, afin de combattre les Qiang. Au cours de ce combat, Zhongli Quan fut lâchement trahi par son supérieur, et subit une terrible défaite. Blessé, humilié, il se réfugia dans une montagne enneigée pour s’y laisser mourir.

C’est alors qu’une maisonnette de bois lui apparut, au milieu de la forêt. Sur son seuil se tenait un vieillard, vêtu d’une peau de cerf blanc. L’homme accueillit le soldat blessé, et lui offrit l’hospitalité. Leurs discussions, profondes et empreintes de sagesse, réveillèrent l’aspiration de Zhongli Quan pour la spiritualité. Il supplia le vieillard de l’aider à renouer avec cette part de lui-même, qu’il avait si longtemps négligée. L’homme accepta, et se chargea de l’initiation de Zhongli Quan au Tao.

Bien des jours plus tard, le vieillard poussa Zhongli Quan à quitter les bois pour réintégrer la société, en lui faisant promettre d’utiliser ses nouvelles connaissances pour le bien de l’humanité. Après avoir quitté la maisonnette et fait quelques pas dans la neige, Zhongli Quan se souvint qu’il n’avait pas remercié son hôte comme il l’aurait dû. Il fit demi-tour. La maisonnette avait disparu.

Zhongli Quan réintégra la société, comme il l’avait promis, et se consacra corps et âme à sa quête spirituelle. Il multiplia les miracles et les bienfaits sur son passage, changeant le cuivre en argent, afin de permettre aux paysans miséreux de s’acheter de la nourriture. Entre autres faits, Zhongli Quan fut celui qui montra la voie de l’illumination à Lu Dongbin, l’un des 8 Immortels.

Un jour, alors que Zhongli Quan méditait dans sa chambre, un mur de la pièce s’effondra, laissant apparaître une boîte en jade. Lorsqu’il l’ouvrit, Zhongli Quan y découvrit le secret de l’Immortalité.

Il devint ainsi Immortel à son tour, et rejoignit les cieux.

Une peinture de Zhongli Quan à la recherche de la voie du Tao, 15e siècle

Lorsque les évènements nous soufflent la voie à prendre

Comme nous tous, certainement, Zhongli Quan a essuyé au cours de sa vie une terrible défaite. Je suis certain que nous avons tous et toutes déjà vécu un événement similaire. Un licenciement. Une trahison amoureuse ou amicale. Un projet qui nous tenait à cœur, mais qui n’a pas fonctionné.

Dans le cas de Zhongli Quan, l’Immortel a dû vivre une terrible trahison, suivie d’un échec cuisant, pour se rendre compte que la voie qu’il avait empruntée n’était pas la bonne. L’échec, vous en conviendrez tout comme moi, n’est pas agréable. Rare est celui qui parvient à se réjouir d’une défaite. Mais échouer, se tromper, qu’est-ce que cela veut vraiment dire ?

Est-ce une fatalité, un événement contre lequel lutter de toutes ses forces ? Ou, au contraire, une main tendue par la voie du Tao ? N’oublions pas, chers amis, le principe de non-agir. Principe contraire à notre envie de lutter contre les échecs. À nous battre, toujours plus fort, contre les évènements.Lorsque nous luttons contre ce qui nous arrive de plus malheureux, nous nous épuisons inutilement. Nous nageons à contre-courant, dans un torrent vif et impétueux. Au lieu de nous laisser porter par l’eau.

Le non-agir n’est pas de la passivité. Il s’agit simplement de ne pas forcer les choses. Agir en harmonie avec le flux naturel, comme un bateau qui suit le courant plutôt que de lutter contre lui. Avez-vous déjà fait l’expérience d’essayer de nager contre le sens naturel d’une rivière ? Si oui, vous connaissez ce sentiment d’épuisement qui vous gagne. La douleur et la fatigue. Le froid qui commence à ronger votre peau. Si vous avez déjà fait cette expérience, vous savez aussi le soulagement que l’on ressent lorsque l’on cesse de se mouvoir. Lorsqu’on accepte le sens du courant. Lorsque nous nous y abandonnons pleinement. Il ne s’agit pas de résignation, non. Simplement d’un choix de suivre le juste cours des choses. D’accepter l’évidence, au lieu de tenter de plier la réalité à la seule force de notre volonté.

La rivière est le Tao. Accepter son flux naturel est un soulagement évident. 

Quand les échecs guident notre chemin

Peinture de Zhang Lu sur Zhongli Quan, début du XVIe siècle

J’aime voir les échecs, les trahisons et les instants difficiles de notre vie comme des buissons de ronces qui poussent le long de notre chemin de vie. Qui nous empêchent de nous tromper de sentier, et, au final, de nous perdre. Qui nous mènent, avec plus de douceur que l’on pourrait le supposer, vers ce que nous sommes et voulons profondément. Une occasion précieuse de réorienter notre chemin.

Dans le Taoïsme, les échecs et les obstacles sont vus comme des courants invisibles dans le flot de la vie. Plutôt que de les voir comme des barrages, nous pouvons les percevoir comme des signaux subtils qui nous guident vers une voie plus harmonieuse. En accord avec notre vraie nature

N’oublions jamais, ami(e)s du Tao, que la voie est celle qui apparaît sous nos pieds. Sans forcer et sans acte de résistance. Tout comme la maison du vieillard est apparue devant Zhongli, alors que les ronces de ses échecs l’avaient poussé à s’isoler dans la montagne. Les échecs, les trahisons et les déconvenues de l’existence nous indiquent que nous ne nous trouvons pas sur le bon chemin.

Alors, peut-être, nous indiquent-ils où se trouve notre réelle place dans l’univers. Celle que nous connaissons, tout au fond de nous.

Mais à laquelle nous refusons de croire...

Charles Zhang

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mercredi 23 octobre 2024

Dynamique du travail


 LES AVANIES DE L’EMPATHIE (POSSIBLE INSTRUMENTALISATION DU PROCESSUS THERAPEUTIQUE AU DÉTRIMENT DE LA DYNAMIQUE DU "TRAVAIL"...

Le rôle des thérapeutes plus ou moins en lien avec la voie peut s’avérer involontairement pernicieux à partir du moment où ils ne font pas clairement la différence entre accompagnement dans la maturation et rééquilibrage de surface. 

J’ai souvent  - pas toujours heureusement - observé qu’une personne occupée à éviter une étape cruciale sur son chemin proprement spirituel va chercher - tout cela inconsciemment bien entendu - à instrumentaliser le thérapeute, si thérapeute il y a, dans son processus d’évitement. 

En pratique, la personne demande au thérapeute de le rééquilibrer.  


Et ce dernier, peut, quelles que soient ses compétences, facilement tomber dans le piège si il ou elle n’est pas lui même complètement au clair sur sa relation avec son propre maître et avec les instructeurs affiliés à cette voie, ou/et n’est pas lui même  suffisamment passé par ce processus.  

J’ai ainsi vu des personnes consacrer beaucoup de temps et d’énergie à se rééquilibrer en surface avec l’aide dévouée d’un thérapeute sincèrement convaincu et parfois pas mécontent de « réparer » les dommages causés par tel ou tel transmetteur pourtant a priori qualifié … 

Or, il eût été, du moins du point de vue du processus profond de la voie, bien plus profitable à ces personnes de rester momentanément « en déséquilibre » et d’être éventuellement aidées par leur thérapeute à le traverser pour parvenir à entrevoir une autre perspective, plutôt que de trouver oreille complaisante aux « torts » subis. 

C’est par excellence une question fort délicate , dont je suis bien conscient qu’elle peut donner lieu  à toutes sortes de réfutations raisonnables. 

Ou en serai je si j’avais eu la mauvaise idée d’instrumentaliser un autre instructeur prêt à tomber dans le piège ou un thérapeute, pour me rééquilibrer suite aux maintes secousses reçues de mon maître , voire parfois d’autres personnes au service du travail de mon maître ? 

En pratique, il s’agit d’un stade du cheminement où les logiques thérapeutiques classiques et la logique du travail proprement spirituel peuvent réellement diverger. 

Bien entendu, les enseignants spirituels mal positionnés et non intègres s’empresseront de justifier leurs abus en invoquant les nécessités du « travail »… C’est pourquoi tout cela demeure encore une fois bien délicat.

Gilles Farcet

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dimanche 20 octobre 2024

Un grand et un petit retournement

 Les anciens chamans ou thérapeutes allaient à la recherche de l’âme perdue ou exilée de ceux qui étaient considérés comme des corps malades ou malheureux.


Leur âme perdue, c’est leur énergie perdue, leur santé, leur souffle, la vibration subtile de leurs corps vivants.

Leur âme perdue, c’est leur conscience perdue, cette lumière, ce discernement, cette claire vision de tout ce qui est, sans jugement.

Leur âme perdue, c’est leur bonté perdue, cette bienveillance qui reconnaît et respecte tout ce qui existe, qui ne fait qu’« un avec ».

Leur âme perdue, c’est leur silence perdu, l’infini, la liberté qui contient tous les bruits du monde et ne s’arrête en aucun.

Cette âme perdue, pourtant, elle n’est jamais loin…

La vie, la conscience, l’amour, le silence, ne sont jamais loin…

C’est le revers de l’unique médaille, l’implicite de l’explicite, l’intérieur de l’extérieur, l’invisible du visible, l’onde de la particule, le Réel en toute réalité.

Chaque instant d’attention, c’est le retour de la conscience perdue, ce retournement de la médaille.

Chaque instant de bonté et de générosité gratuite, c’est le retour de l’amour perdu, le retournement de la médaille.

Chaque instant de plaisir, c’est le retour de l’énergie perdue.

Chaque instant est une occasion favorable d’accueillir la vie, la conscience, l’amour, le silence souvent oubliés, jamais perdus, c’est un grand et un petit retournement.

 Jean-Yves Leloup, octobre 2024

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samedi 12 octobre 2024

Comme une goutte d'eau qui se dissout dans l'océan

Mes chers amis,


Une goutte d'eau a une individualité, une forme, des limites, mais quand elle tombe dans l'océan, elle est indifférenciée de l'océan. Son individualité, sa forme, ses limites ont disparu.

L'apparence de la goutte était transitoire, entre le nuage et l'océan. La nature de la goutte est restée identique, c'est de l'eau.

A la naissance notre corps prend forme et après la mort il redevient poussière. C'est juste un jeu temporel d'apparence. Un jeu extrêmement précieux car c'est le jeu de notre vie. C'est pendant notre vie que la prise de conscience de ce que nous sommes vraiment, de quelle est notre véritable nature peut avoir lieu.

Notre apparence est bien plus complexe que celle de la goutte. Et quelle est notre nature ?

Les enseignements bouddhistes nous disent que notre nature de Bouddha est vacuité, qu'elle n'a pas d'existence en soi (c'est à dire qu'elle n'a aucune existence permanente indépendante d'autres phénomènes). Nous viendrions de la vacuité, pour retourner à la vacuité. Notre vue duelle nous donne toujours ces impressions de mouvement.

La méditation nous permet, en diminuant les mouvements, de revenir à l'instantanéité, à tenter de percevoir ce qui est perçu, ce dont nous sommes conscients, juste dans l'instant.

C'est un des chemins qui peut nous permettre de dévoiler notre véritable nature.

Nous pouvons alors commencer à prendre conscience des qualités inhérentes à notre véritable nature. Je vous les résume de façon très courte et incomplète car découvrir les qualités de notre nature de Bouddha, nos qualités divines est le chemin de toute une vie.

Mais nous pouvons déjà dire que ce que nous sommes est clair, c'est à dire insubstantiel et non obstructif, créateur (c'est en son sein que tout se produit) et connaissant, c'est à dire que nous sommes conscients de ce que nous percevons et que nous sommes conscients d'être, conscients d'être conscient.

Voila les points abordés dans cette méditation.

Avec ma profonde amitié pour vous tous.

Philippe Fabri

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vendredi 4 octobre 2024

Grâce divine

 

"Quand vous parlez de la grâce divine, cela sous entend que quelque chose descend sur l'homme sans raison perceptible. Cela vient de soi-même, en son temps. Un enfant par exemple, peut oublier sa mère parce qu'il est absorbé dans son propre jeu; mais la mère se penche vers lui avec amour et le prend sur ses genoux. C'est ainsi que la grâce divine touche quelqu'un. L'affection d'une mère se révèle avant que l'enfant ait le temps d'y penser. Vous allez certainement dire que les bénédictions sous forme de grâces divines sont les résultats des bonnes actions dans les vies antérieures. Cela peut être vrai d'un certain point de vue, mais d'un autre on peut dire qu'il ne faut pas chercher à sonder les intentions de Dieu, dans la mercure où celui-ci est absolument libre de l'enchaînement des causes et effets. Bien que nous nous troublions souvent l'esprit pour essayer de trouver des raisons à la grâce, sa miséricorde s'étend également sur tous les êtres. Mais lorsqu'on développe une vision plus haute, on commence à sentir le contact divin. Prenez refuge en cela, et tâchez d'être toujours en contact avec Lui ; vous ressentirez le libre flot de ses bénédictions sur votre âme, de même qu'un seau d'eau sort d'un puit seulement lorsqu'on tire la corde à laquelle il est attaché."

Bhaïji, Matri Darshan

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dimanche 15 septembre 2024

La trame du temps

 Oui, le temps nous fait et nous défait, nous tisse et nous détisse. Il n’est pas l’ennemi, même s’il nous donne parfois l’impression de nous mordre, de nous faire tourner en bourrique, d’effacer les traces de nos pas sur le chemin. Il nous déleste, nous détache, nous accoutume, nous transforme, nous simplifie. On comprend que Gilles Baudry cite, parmi les exergues qui jalonnent son très beau recueil de poèmes, le Chant du balancier (Ad Solem, 2024), cette réflexion lumineuse, bouleversante de confiance, d’Hölderlin : « Le temps est d’une précision littérale et d’une infinie miséricorde. »

Et cette autre du paysan de Dieu, François Cassingena-Trévedy : « Les heures sont les étamines du temps que chaque jour énumère, émerveillé, jusqu’à ce que le temps même nous cueille. » Nous cueille ! Nous revient à l’oreille, comme un chant d’espérance, la Cantate à trois voix de Paul Claudel : « Mais toi, mon âme, dis : Je ne suis pas née en vain et celui qui est appelé à me cueillir existe ! »


La science de l’adieu

Le temps nous conduit où nous devons aller, fait de nous ce que nous devons être, défait ce qui doit l’être, et sauvegarde ce noyau étrange, cette musique irréductible, ce souffle improbable que nous sommes encore quelques-uns à appeler l’âme. L’âme ! Un de ces « mots déshabillés de tout savoir », comme le dit Gilles Baudry.

Le temps nous apprend la science de l’adieu, si amère vue de l’amour que nous avons contracté pour les choses de cette terre, ses fruits merveilleux, ses passants qu’on voudrait immortels. Le poète y décèle un scintillement autre : « L’adieu tu en connais / les extases et les ombres // la fêlure de rechercher / partout sa doublure invisible // le pied vacille / le cœur se vrille // le silence des larmes / la poignante mélancolie des choses // l’adieu pourtant / ne peut mourir définitivement // il se retire / comme la mer pour laisser advenir // dans l’interstice de l’absence / cette lumière murmurée // l’instant porté / à l’état pur // inattendu se lève en nous / le visage intérieur et sa lueur d’eau vive. »

Il y a une lenteur propre au temps. Cet espace, creusé en lui, pour la naissance. Cette naissance qui n’en finit pas. Qui se confond avec le mouvement même de la vie. Un mouvement, pour ainsi dire immobile. Cette lenteur, nous apprenons à en trouver la porte — c’est une aile, nous dit le poète. Et à l’habiter. Mais pour l’habiter, il faut sortir du temps agité, faussement productif, frénétique, où le monde voudrait nous enfermer : « Plus tu fais, moins tu es / et moins tu contemples, / plus tu t’agites, / moins tu habites. »

Le commencement de l’effacement

Habiter ! Voilà ce que le temps nous apprend. Habiter le passage, la traversée des apparences, l’Évangile douloureux de la mort — cet « ange qui revient chercher ses ailes », comme l’écrit le poète Jean-Baptiste Para, cité par Gilles Baudry. Habiter, ne pas esquiver, amoindrir l’épreuve de la mort : « Immobile la chambre / comme l’attente / la fenêtre se signe / il s’est quitté / enfin. »

Habiter, voir dans le visage de l’ami qui s’en va pour jamais quelque chose de difficile à nommer : le commencement de l’effacement, mais aussi le signe presque imperceptible de l’acheminement. Comme une promesse de Destination. Le poème est dédié à Philippe Mac Leod, mort en 2019 : « Tu n’avais plus que le visage de l’absence / mais au cœur du silence chacun voyait luire / l’inextinguible flamme de l’humble présence. / C’était assez d’amour infini pour partir, / prendre congé de nous sans vraiment nous quitter. / La mort à notre vue qui croyait te ravir / a fait éclore à son insu l’éternité. » Il existe une fécondité et même une sainteté du temps. L’œuvre d’une vie, la seule qui compte ? Le découvrir, en soi et hors de soi. Et pour cela, « voir ce qui demeure dans ce qui passe », comprendre ce qui fait qu’à chaque instant « les aiguilles / de l’horloge sont à deux doigts / de se taire ». 


Emmanuel Godo, poète et essayiste, est professeur de littérature en classes préparatoires. Il a notamment publié les Passeurs de l’absolu (Artège), les Égarées de Noël (Gallimard) et Maurice Barrès (Tallandier). Son dernier livre, Ton âme est un chemin (Artège), sort le 18 septembre.

Source : La  Vie

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dimanche 25 août 2024

« J’ai le vague à l’âme de l’été, la nostalgie de l’enfance où le temps du repos était long »

 Paule Amblard arpente les rues désertées du Paris estival… et cette saison lui évoque l'insouciance de ses jeunes années, les déambulations des poètes, l'abandon au présent des spiritualités orientales.



À l’heure où j’écris, la ville dans laquelle j’habite est dépeuplée. À Paris, les rues sont en deuil avec leurs commerces fermés par les lourdes ferrailles des rideaux gris, les trottoirs sont désertés des humains, des poussettes, des chiens. Je pourrais me réjouir de ce calme retrouvé, où la cité semble reprendre souffle.

Débarrassée de son trop-plein d’habitants, elle apparaît nue dans la beauté de ses musées, de ses monuments, de ses immeubles de vieilles pierres, de ses éléments qui n’appartiennent qu’à elles : une entrée de métro signée Guimard, une fontaine Wallace avec ses cariatides, un bouquiniste le long de la Seine. La pierre reprend ses droits sur la foule qui s’est enfuie, elle redevient un objet de contemplation. Je pourrais me réjouir de ce spectacle qui brille pour une poignée d’égarés qui ne sont pas partis. Mais le temps radieux m’invite ailleurs.


Ce bonheur d’enfant

J’ai le vague à l’âme de l’été, la nostalgie de l’enfance où le temps du repos était long, heureux, loin de mon quotidien d’écolière. L’été avait le goût de pêche, l’odeur de fleur et de vent, la surprise de l’instant non prévu, le sourire des adultes détendus. C’était si simple, le temps d’enfance, à rêvasser, à bouger sans fatigue ou lassitude, à regarder l’infiniment petit dans une fourmi ou l’infiniment grand dans les constellations célestes.


À l’heure où je devrais travailler, j’aimerais voyager dans ce passé des étés de l’enfance, revoir mon grand-père dans le jardin confectionner pour ma sœur et moi des pagnes de Tahitiennes avec des fanes de carotte. J’aimerais revenir dans l’église où nous allions chaque dimanche célébrer la messe avec ma grand-mère, l’entendre chanter fort à me faire rougir d’être à ses côtés, mettre ma main dans la sienne à l’heure de communier, aller dans le cimetière sur la tombe familiale pour dire un bonjour hebdomadaire à ceux qui sont partis et nettoyer la pierre, l’orner de nouvelles fleurs et enfin revenir dans la maison, rejoindre mon grand-père qui ne croit pas mais respecte la ferveur de son épouse.

J’aimerais retrouver ce bonheur d’enfant fait de grandeurs et de manques, d’engouements et d’ennuis. Pourquoi à l’âge adulte est-ce devenu si complexe de vivre pleinement, sans crainte, en faisant confiance à notre destinée ? Il faudrait faire comme les bouddhistes, laisser passer les nuages des pensées, des obligations, des projections pour fixer sa conscience sur l’instant présent, qui laissera sa place à un autre instant.


Une question de conscience

Il faudrait être comme les poètes qui n’ont pas besoin de sortir de chez eux pour déambuler dans la nature et être en communion avec le monde : « J’irai dans les sentiers, / Picoté par les blés, fouler l’herbe menue : / Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds. / Je laisserai le vent baigner ma tête nue. / Je ne parlerai pas, je ne penserai rien : / Mais l’amour infini me montera dans


l’âme », écrit Rimbaud dans son poème Sensation.

Il faudrait être comme les voyants, sentir le ravissement spirituel, quitter nos pesanteurs, se retourner et voir le ciel ouvert comme Jean à Patmos. Que l’on reste, que l’on parte, on voit bien que tout ceci est une question de conscience. Vacances ou non, il s’agit de trouver la bonne orientation, celle qui mène à l’Orient de nous-mêmes, vers la lumière qui est la nôtre.

Alors les nuages, les nostalgies seront laissées à ce qu’ils sont, des souvenirs. Si vous partez en vacances ou si vous ne partez pas, - puissiez-vous goûter les pêches et sentir l’odeur du vent. « Ici une buée, et là une buée / Et après la Clarté ! » (Emily Dickinson). 


Paule Amblard

Historienne de l’art, spécialisée dans l’art du Moyen Âge et la symbolique chrétienne, elle est l’autrice de l’Apocalypse de saint Jean, illustrée par la tapisserie d’Angers (Diane de Selliers, 2010), des Enfants de Notre-Dame et de la Chambre de l’âme (Salvator, 2021 et 2023).

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dimanche 18 août 2024

La grandeur de l’être humain

 

Le quatrième épisode de la série documentaire Sur les Routes spirituelles s’intitule « La grandeur de l’être humain » ... Merci à "Les Films de la Table 10".


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samedi 17 août 2024

Laisser la place

 


Nous pensons que si nous méditions juste assez ou si nous faisions assez de jogging ou si nous mangions une nourriture parfaite, tout serait parfait. Mais du point de vue de quelqu'un qui est éveillé, c'est la mort. Chercher la sécurité ou la perfection, se réjouir de se sentir validé et entier, autonome et confortable, est une sorte de mort. Il n'y a pas d'air frais. Il n'y a pas de place pour que quelque chose entre et interrompt tout ça. Nous tuons le moment en contrôlant notre expérience. 

Faire cela, c'est se préparer à l'échec, parce que tôt ou tard, nous allons vivre une expérience que nous ne pourrons pas contrôler : notre maison va brûler, ou quelqu'un que nous aimons va mourir, ou nous allons découvrir que nous avons un cancer, ou une brique va tomber du ciel et nous frapper à la tête, ou quelqu'un va renverser du jus de tomate partout sur notre costume blanc.

Le truc est de continuer à explorer et de ne pas renflouer, même lorsque nous découvrons que quelque chose n'est pas comme ce que nous pensions. C'est ce que nous allons découvrir encore et encore et encore : rien n'est comme ce que nous pensions. Les choses sont toujours en transition, si seulement nous pouvions nous en rendre compte. Rien ne se résume jamais à la façon dont nous aimons les rêver. 

L'état hors centre, entre-deux, est une situation idéale, une situation dans laquelle nous ne nous faisons pas prendre et où nous pouvons ouvrir notre cœur et notre esprit au-delà des limites. C'est une situation très tendre, non agressive et ouverte : rester avec un tremblement, rester avec un cœur brisé, rester avec un ventre qui gronde, rester avec le sentiment de désespoir et de vouloir se venger — voilà le chemin du vrai réveil. 

Les choses qui s'écroulent sont une sorte de test et aussi une sorte de guérison. Nous pensons que le but est de réussir le test ou de surmonter le problème, mais la vérité est que les choses ne se résolvent pas vraiment. Elles se rassemblent et elles s'effondrent. Puis elles se réunissent à nouveau et s'effondrent à nouveau. C'est comme ça. La guérison vient du fait qu'il y ait de la place pour tout cela : place au chagrin, au soulagement, à la misère, à la joie.

~ Pema Chödrön 

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dimanche 21 juillet 2024

Sous l'aile du silence

 


"Il faut tant de silences pour rejoindre le silence. Tant d'abandon pour recueillir une poignée de présence - pas plus grosse qu'un cœur d'oiseau - incommensurable sous le front enfin lisse et tranquille."

Philippe Mac Leod - Variations sur le silence

aquarelle: Ping



"Nous sommes au commencement du monde, toujours au commencement de la création. Chaque battement de notre cœur peut susciter une nouvelle étoile; chaque battement de cœur peut susciter une liberté encore endormie; chaque battement de notre cœur peut rayonner sur toute l’histoire et sur toutes les galaxies. Pourvu justement que nous entrions dans ce silence infini où l’on n’est plus qu’à l’écoute du silence éternel…

….Cette présence cachée, présence diaphane, est une présence réelle qui ne s’impose jamais mais qui est offerte à tous comme une invitation à découvrir cet immense secret d’amour caché au fond de toute conscience humaine…

La vie à tous les degrés ne peut conquérir sa valeur que dans le silence et le recueillement. Si cela est vrai de la vie physique, combien plus l’est-ce de la vie spirituelle…

Maurice Zundel

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mercredi 10 juillet 2024

Mystère de la source ordinaire



Faire des choses ordinaires
nos plus belles célébrations.
Vivre comme
un éloge à la simplicité.
Ouvrir grand le cœur.
Se laisser nourrir
et devenir nourriture...

Federico Dainin Sensei

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D'où que nous pensons venir et où que nous pensons pouvoir aller...
Nous ne venons que de nous mêmes pour nous en aller sans cesse vers nous mêmes.
En ce "nous même" est contenu tout l'univers.
Large, merveilleux, insaisissable.
Un mystère.
Le découvrir c'est plonger dans une joie infinie, douce, forte.
A en couper le souffle.
C’est soudain se sentir comme un galet qui tombe lentement dans les eaux de l’océan.
Happé par les profondeurs.
Nous sommes faits d’os et de brume,
nous somme l’eau qui revient à l’eau, de goutte en pluie, de ruisseau en océan,
nous sommes la lumière qui éclaire le jour et illumine la nuit.
Nous sommes ténèbres qui se laissent éclairer et qui protègent ce qui doit se confondre à la nuit.
Tout cela est source de joie si nous le voulons.
Cette joie, transfigure.
Federico Isshaq Dainin Sensei

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jeudi 11 avril 2024

Collaboration au processus...


 "On ne reproduit jamais un éveil ; on ne fait que collaborer étroitement au processus éveillant qui s’est mis en route. Dans la mesure où l’on y collabore de façon profonde, sincère, intelligente, on devient de plus en plus conducteur de ce processus, et on l’incarne de plus en plus. (...)

Il faut reconnaitre que la lumière, l’intelligence de l’éveil n’éclairent en fait que les lieux dont on a ouvert les portes en nous. Ensuite tout le travail consiste à coopérer avec cette dynamique de l’éveil, à ouvrir une à une les portes de toutes les zones obscures pour y faire s’engouffrer la lumière de l’éveil, la lumière de cette intelligence que l’on conserve en soi. Elle est vivante en moi. Au cœur de mon être, je me sais éveillé, je me sais libre, indéniablement. Pourtant, je sais que ce n’est pas suffisant, que je ne suis pas ce qu’en Inde on appelle un « réalisé », c’est a dire un homme définitivement établi dans l’éveil, et qu’il reste encore bien des domaines de ma conscience qui doivent être investis de cette qualité, visités par cette intelligence.

Il m‘est alors apparu évident que ce qui était au cœur de la voie du monde, dans la vie quotidienne, c‘était la relation, et que la pratique consistait à faire de cette relation un travail constant. C’est ce que j’ai appelé la pratique de la « relation consciente ». (...)

Je me suis rendu compte à quel point l’enseignement qui mettait en avant l’éveil comme le but ultime avait tendance a individualiser la démarche et à renforcer l’égoïsme de chacun. Dans mon enseignement, j’ai voulu au contraire que les personnes entrent en relation les unes avec les autres, qu’elles oublient un objectif personnel d’éveil, de libération, et reconnaissent qu’on ne peut grandir qu’ensemble, en prenant le risque de l’autre, en entrant en relation profonde avec l‘autre dans la mesure où celui-ci est l‘occasion d’aller voir ce qu’on n’est pas capable de voir tout seul. (...)

ll se passe quelque chose a partir du moment où l’on n’est plus obsédé par l’éveil et où l’on entre vraiment en relation avec ce qui est. C’est d’ailleurs là que j’ai compris la vraie signification du mot satsang, qui tient une grande place en Inde cela ne se limite pas à la fréquentation du guru, mais c’est élargir le guru à tout ce qui est et fréquenter le réel en tout et partout. Le grand enseignement, le vrai satsang, consiste à vivre en relation consciente avec tout ce qui est ; c’est l’occasion d’un grandir qui, par nature, est de la nature de l’éveil.

En sanskrit, Brahman signifie « grandir », « croître «. Cette dynamique, du fait qu’elle devient prioritaire, nous libère de l’objectif de l’éveil ; on prend peu a peu conscience de la nature réelle du grandir et on se rend compte que cette nature est la réalité. Quand le Christ dit : "Je suis le chemin, la vie, la vérité ", il ne dit pas " Je suis le bout du chemin ", mais " je suis le chemin ". C’est quand on entre dans un grandir constant, qu’on ne cherche plus à atteindre une destination finale, un but, qu’on l’appelle « éveil » ou autrement, que le grandir devient lui-même la conscience vivante dans laquelle tout est inclus. Saint Jean de la Croix disait : « Celui qui s’arrête en quelque chose cesse de se jeter dans le tout. » "

Yvan Amar

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mardi 9 avril 2024

Gilles Farcet, Qu'est-ce que la transmission spirituelle? (1)

 

Pour écouter l'interview sur RCF, cliquer ici (19 min.)



Gilles Farcet est un écrivain français et enseignant spirituel promoteur d'une spiritualité à la fois inspirée de l'enseignement d'Arnaud Desjardins et de l'énergie de la contre-culture américaine, du Rock et de la Beat Generation. Il a soutenu sa thèse de doctorat sur la Littérature américaine et Thoreau en 1984. De 1984 à 1986, il vit à Montréal où il travaille pour une organisation universitaire internationale et écrit régulièrement des articles de critique littéraire pour la revue Spirale.

De retour en France, il enseigne brièvement à l'université catholique de l'Ouest avant de s’installer à Paris. Producteur à France Culture, il y réalise des émissions sur des thèmes littéraires ou spirituels, notamment dans le cadre des «Chemins de la Connaissance » sous l’égide de Claude Mettra, ou « Une Vie, une Œuvre » sous la direction de Michel Cazenave. Journaliste, il collabore à diverses revues.

Avec Marc de Smedt, il dirige les dossiers Question de littérature, chez Albin Michel, pour lesquels il interviewe longuement des écrivains tels que Lawrence Durrell, Jacques Lacarrière, Allen Ginsberg, Philippe Sollers ou Kenneth White. Il participe à la fondation du magazine Nouvelles Clés auquel il collaborera régulièrement pendant des années.

Il tient aujourd'hui la chronique Ecologie intérieure pour le magazine Kaizen, dans la mouvance de Cyril Dion et Pierre Rabbhi. Éditeur, il fonde à La Table Ronde la collection « Les Chemins de la Sagesse » où il publie notamment Christian Charrière, Eric Edelmann et les premiers livres de Daniel Roumanoff sur Swami Prajnanpad. Il est également pour une période de transition directeur littéraire des Éditions Dervy où il publie notamment Bernard Montaud (La vie et la mort de Gitta Mallasz), Jodorowsky, Denise Desjardins…

Son premier livre, une biographie de l’écrivain et philosophe américain Thoreau paraît en 1986, avec une préface d’Arnaud Desjardins et une postface de Kenneth White. Ce livre sera suivi d’une quinzaine d’ouvrages, publiés chez Albin Michel, Dervy Livres, la Table Ronde, L’originel, le Relié. Il a cosigné deux ouvrages avec Arnaud Desjardins et deux avec Alexandro Jodorowsky. L’homme se lève à l’Ouest, paru en 1992 chez Albin Michel, fera notamment découvrir au public français l’existence de Lee Lozowick dont il traduira par ailleurs plusieurs ouvrages. L’Irrévérence de l’Éveil, publié la même année, révélera Stephen Jourdain.

Au début des années 1990, parallèlement à ses activités d'écrivain, journaliste et traducteur, il commence à s’investir dans l’animation de stages (notamment dans le cadre de Terre du Ciel, ainsi qu’en coanimation avec Marie de Hennezel) et fonde des groupes parisiens inspirés de l’enseignement d’Arnaud Desjardins, groupes qui fonctionnent encore aujourd’hui. En 1996, Arnaud Desjardins lui propose de rejoindre l’équipe de Hauteville, le lieu qu’il a fondé en Ardèche où séjournent chaque semaine pour une retraite une cinquantaine de personnes. Il y consacre l’essentiel de son temps pendant près de onze ans, tout en poursuivant l’animation de groupes parisiens, ainsi que son travail d’écrivain et de traducteur. En 2002 parait Le Manuel de l’Anti-Sagesse, puis en 2004, Allen Ginsberg, poète et Bodhisattva Beat, où l'auteur relate ses rencontres et entretiens avec le grand écrivain américain puis La joie qui avance chancelante le long de la rue en 2017, récit d'entretiens avec un Diogène sauvage passé de l'autre côté du désespoir, Hank alias Henry Warshowsky.

Ces deux livres serviront de base au superbe roman graphique spirituel d'Etienne Appert, Au crépuscule de la Beat Generation, paru en 2023. Deux En septembre 2007, il s'installe à nouveau à Paris où il donne un enseignement sous une forme originale dans la lignée d’Arnaud Desjardins et Swami Prajanpad tout en continuant à écrire. Il continue à intervenir à Hauteville. En 2011, parallèlement aux activités régulières organisées à Paris et à la suite d'une impulsion donnée par Arnaud Desjardins, il anime régulièrement avec son épouse Valérie des séminaires dans le beau village d'Angles sur l'Anglin dans la Vienne, où sa famille possède une maison depuis cinq générations. En 2015, il cesse de résider principalement à Paris pour s'établir en Poitou et y développer son école de transmission spirituelle tout en composant du Rock à vocation spirituelle dans des groupes comme Gestion des restes ou Survie, groupe qui interprète des chansons de Lee Lozowick, enseignant spirituel transgressif et subversif qui a marqué son parcours.

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samedi 6 avril 2024

Le maître ne présente pas des signes extérieurs de sagesse (partie 3)

 Ce troisième extrait décrit les caractéristiques d’un maître.

Revue Acropolis : À quoi reconnaît-on un maître ? Y a-t-il des garanties permettant de ne pas se tromper dans son choix ?


Gilles FARCET : C’est une question très difficile et qui prête à confusion. On s’imagine souvent, en effet, pouvoir reconnaître un maître de manière quelque peu miraculeuse. Nous avons tous été nourris de ces histoires – d’ailleurs vraies, pour la plupart où le maître, voyant le disciple se présenter à lui pour la première fois, l’apostrophe : « Ah, enfin, vous voilà ! « Si de telles choses arrivent, elles ne sont pas si fréquentes, surtout en Occident. En outre, le maître n’apparaîtra pas nécessairement comme un être rayonnant, surnaturel ou hors du commun. Outre Arnaud Desjardins, j’ai rencontré un certain nombre d’hommes ou de femmes que je considère comme des sages – rencontres racontées dans mon dernier livre –. Dans la plupart des cas, ce sont des gens sur lesquels je ne me serais pas retourné dans la rue. Lors de certains moments intimes ou privilégiés, il arrive quel le maître laisse transparaître un peu de ce qu’il vit intérieurement. Mais sinon, je ne crois pas à l’existence d’indiscutables signes extérieurs de sagesse.

Revue A. : Le calme, le détachement, peut-être ?

G.F. : Oui et non. Nous allons appréhender le maître comme nous appréhendons le monde en général, c’est-à-dire à travers nos projections et notre mental. Comment pourrions-nous donc savoir ce qu’est le détachement ? Nous nous en faisons tout au plus une idée à la lumière de laquelle nous allons évaluer le détachement du maître. Et si la façon dont il manifeste son détachement ne correspond pas à notre attente, à notre représentation du détachement, nous allons être déçus et formuler des jugements. Nous pourrons ainsi nous tromper totalement, prendre pour détacher un homme qui ne le sera nullement et vice-versa…

Il est vrai qu’avec le temps et la maturation, le regard se purifie et l’on devient mieux à même, non de « juger » mais de tout simplement voir. Un disciple ayant un peu de « bouteille », si vous me permettez I’ expression, ne se laissera pas abuser par le premier causeur venu, si impressionnant soit-il. Mais quant à reconnaître un sage… On dit que seul un sage peut en reconnaître un autre. Cela demeure en tous les cas une affaire intime et tout à fait subjective.

Ce qui me frappe, moi, c’est le peu de distance que nous avons, de manière générale, vis­ à-vis de nos opinions. J’entends par exemple X décréter que tel livre est excellent, très bien écrit, profond et Y affirmer que ce livre est décevant. Peu importe qui a raison : ce qui me sidère, c’est que X comme Y ne puissent un seul instant mettre en doute leur propre jugement qui pour eux semble définitif, prononcé d’en haut pour le temps et l’éternité. Et malheur à l’insensé qui dira le contraire… Nous conférons à nos opinions, la plupart du temps totalement subjectives, une valeur universelle et objective. Si cela est vrai pour un livre, que dire d’un maître ou d’un sage ? Certains sont très choqués de constater chez le maître un comportement en lequel ils voient la preuve de son absence de détachement. Mais d’autres considéreront cette même attitude comme un suprême témoignage d’amour et de sagesse…

Un maître véritable ne nous entraîne jamais plus loin que là où nous pouvons aller

Je suis persuadé que le mental peut nous faire prendre des vessies pour des lanternes, nous faire voir l’avidité chez un homme généreux et la générosité chez un avare. Donc, le point sur lequel je voudrais surtout insister en réponse à cet aspect de votre question, c’est que nous nous imaginons, en général, être capables de voir objectivement. Or, c’est faux. L’une des premières leçons dispensées par le maître, c’est que nous sommes longtemps incapables de voir. On me dira que c’est là « la porte ouverte à tout ». C’est ainsi que les admirateurs de gourous, disons, discutables, en arrivent à justifier l’injustifiable, à conférer à des comportements néfastes une aura de sagesse. C’est effectivement un domaine très délicat. Mais la relation de maître à disciple ne répond pas aux critères soi-disant objectifs et rationnels sur lesquels notre société insiste tant.

Quelles sont les garanties ? Je dirai finalement qu’il n’y en a pas. C’est une entreprise risquée, à l’image de la vie. Il est parfaitement possible que l’on se trompe. Mieux vaut se tromper et prendre une Xeme leçon que de rester tiède et indifférent. Aujourd’hui, nous prétendons vivre une vie intéressante mais assurée tous risques. Ce n’est tout simplement pas possible. Il faut s’exposer. Cela dit, un maître véritable pose des garde-fous et sait ce qu’il fait. Il ne nous entraîne jamais plus loin que là où nous pouvons aller. Néanmoins, la tradition a toujours admis la possibilité d’accidents, même auprès des maîtres les plus compétents. Si je fais du cheval, même avec l’instructeur le plus compétent, je cours le risque de tomber et de me casser la jambe, voire de me tuer… cela fait partie du jeu. Refuser le risque, c’est s’engluer dans une mentalité d’assisté qui ne nous mènera nulle part ailleurs que dans nos pantoufles !

Revue A. : Une des caractéristiques des maîtres n’est autre que le sens de l’humour. Qu’avez-vous à dire à cet égard ?


G.F. : Je pense que tous les maîtres, sans exception, ont un sens de l’humour très développé. L’humour est une grande arme de guerre, si j’ose dire, pour le gourou, car il implique le paradoxe. C’est par l’humour que l’on peut donner à voir tout le côté paradoxal, mystérieux et incongru de cette existence. Le maître peut aussi amener le disciple à rire de lui-même, de ses faiblesses, des absurdités de son mental, de ses tentatives aussi vaines que désespérées pour se prouver qu’il y a d’autres solutions que de mettre en pratique l’enseignement… Une fois devenu un tant soit peu lucide, capable d’entrevoir l’étendue de sa propre folie destructrice, le disciple n’a d’autre possibilité que de pleurer ou de rire.

Autant rire… L’humour est capital : parce qu’il témoigne d’une distance. Une personne dépourvue d’humour ne saurait être spirituelle. La langue française nous met d’ailleurs sur la voie : ne dit-on pas d’un être plein d’humour qu’il se montre très… « spirituel » ? L’humour est une qualité nous permettant de considérer les péripéties de l’existence avec recul et perspective. En fin de compte, qu’est-ce que la vie, sinon une tragi-comédie ?

Comique, parce que toutes nos manœuvres et stratégies égocentriques sont parfaitement dérisoires et souvent maladroites, tragiques, parce que c’est là le tissu de nos vies et qu’à travers ces manigances, nous ne cherchons qu’à être aimés. Je crois qu’un être véritablement spirituel perçoit pleinement cette dimension en tragicomique de la vie. Mais, ce qui chez certains, aboutit au cynisme, se traduit chez lui plus profonde. Si l’on perd ses illusions sans s’être ouvert à dimension spirituelle, on devient désabusé ; si par contre, on ne se masque plus l’horreur de la situation tout en percevant la dignité fondamentale de l’humain, on ne peut qu’être touché et devenir de plus en plus aimant. Je renvoie les lecteurs à une remarquable anthologie de l’humour des sages composée par Eric Edelmann : Plus on est de sages, plus on rit (paru aux Éditions de La Table Ronde). D’après ce que j’ai pu voir du manuscrit, ce livre donne bien à sentir la place tenue par l’humour dans les enseignements des maîtres de tous les temps. Nous en avions besoin !

Propos receuillis par Laura WINCKLER, co-Fondatrice de Nouvelle Acropole en France

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vendredi 5 avril 2024

La rencontre avec Arnaud Desjardins (partie 2)

 Ce second extrait raconte sa rencontre avec son maître, Arnaud Desjardins. (voir la 1ère partie)

Revue Acropolis : Pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec Arnaud Desjardins ?


Gilles FARCET : À l’âge de vingt-trois ans, j’ai donc rencontré Arnaud Desjardins avec qui je me suis tout de suite senti en confiance. Dès notre premier contact – j’ai assisté à une réunion qu’il animait – je me suis trouvé à ma place et ai eu le sentiment d’avoir essentiellement découvert ce que je cherchais. Tout le travail restait encore à faire, mais il me semblait avoir trouvé mon « école ».

Revue A. : Cela, vous ne l’avez jamais remis en question !

G. F. : Non. Si Arnaud Desjardins a beaucoup d’admirateurs, il a aussi ses détracteurs. Comme toute personne en sa position, il fait l’objet de critiques et de jugements parfois très sévères et tranchés. Je crois avoir toujours laissé monter en moi les doutes et les interrogations, parce que cela fait justement partie de l’enseignement de ne rien refouler et de regarder ce qui monte en soi sans se voiler la face ; mais jamais je ne me suis véritablement posé de « problème » vis-à-vis de sa transmission ou de telle ou telle de ses attitudes. Beaucoup de gens passent leur temps à chercher la petite bête, à se demander si le maître qu’ils prétendent suivre – surtout s’il s’agit d’un occidental ordinaire dont l’existence n’est pas exempte de difficultés courantes – est bel et bien éveillé, bien ceci, bien cela, s’il est « mieux » ou « moins bien » que tel autre, etc.

Pour ma part, j’ai d’emblée ressenti Arnaud comme profondément bon et honnête, enraciné en sa profondeur, animé par le désir non-égoïste de venir en aide à autrui et ne parlant que de ce qu’il avait lui-même vécu et expérimenté. J’ai eu par la suite l’occasion de le fréquenter d’assez près dans des situations diverses et il ne m’a jamais déçu, peut-être parce que mon aspiration de départ était claire et que je ne cherchais ni un super-héros ni un yogi miraculeux mais un maître, un guide en d’autres termes une personne parvenue à la maîtrise et capable de m’indiquer comment moi-même progresser vers cette maîtrise. Le fait de me sentir à ma place auprès de lui ne m’a pas empêché de m’ouvrir à d’autres formes et à d’autres voies, ainsi qu’en témoignent mes articles et mes livres, notamment le dernier, L’Homme se lève à l’Ouest, Les nouveaux sages de l’Occident, paru chez Albin Michel. Lui-même m’a encouragé à rencontrer des Sages, des disciples, et des maîtres. Ni sectarisme ni fermeture, donc, mais un nécessaire enracinement.

Revue A. : Cette relation existe toujours ?

G.F. : Oui, bien sûr. Je crois qu’elle ne saurait être brisée. Encore faudrait-il savoir de quelle relation nous parlons… Si j’évoque « ma » relation avec Arnaud Desjardins, on aura l’impression qu’il s’agit des rapports qu’entretient Gilles Farcet, 33 ans, écrivain et journaliste, avec Arnaud Desjardins, 66 ans (2), auteur de livres et gourou… Or il ne s’agit pas de cela. Certes, ma personnalité entretient effectivement des rapports avec la sienne, nous nous entendons plutôt bien. Je veux bien que l’on me dise que j’ai cherché en lui mon père, c’est tout à fait vrai, d’autant plus que je l’ai rencontré en pleine période de formation, alors que je terminais mes études et ne gagnais pas encore ma vie. Mais là n’est pas l’essentiel. Car après tout, j’ai eu la chance d’approcher beaucoup d’autres personnes remarquables et même susceptibles de me fasciner davantage sur le plan artistique ou humain. Le cœur de la relation est d’un autre ordre.

Il ne s’agit pas tant d’une relation entre deux personnes que d’une relation entre un maître et un disciple, ou un apprenti-disciple, ou un apprenti­-apprenti-disciple, je ne sais pas… quelqu’un qui, en tout cas, essaie sincèrement de suivre le chemin proposé. Et cette relation, finalement, est à la fois extrêmement personnelle et tout à fait impersonnelle.

Si cette relation a vraiment été établie, elle ne peut pas être brisée. Elle ne se situe pas sur le seul plan immédiatement humain, elle transcende les formes transitoires.

Revue A. : Pourquoi dites-vous : « Si cette relation a vraiment été établie… ? »


G.F. : Parce qu’en cette matière, il convient de rester très prudent. Cela se vérifie dans le temps. Voilà une dizaine d’années que je m’expose à cette influence. Ce n’est pas mal mais, en même temps, c’est court et je suis encore jeune. Rendez-vous dans vingt ou trente ans…

C’est à partir de son être essentiel, même s’il n’en est pas conscient, que le disciple va vers le maître.

Revue A. : Peut-on parler de filiation d’idées ? Où se situe d’après vous l’origine de cette relation ?

G.F. : Elle part de l’essentiel pour aboutir à l’essentiel. Dürckheim (3) distingue ce qu’il appelle le niveau essentiel du niveau existentiel. Dans la mesure où le maître a retrouvé au plus profond de lui-même ce qui constitue l’essence, la réalité ultime de tout être vivant, c’est à partir de son être essentiel, même s’il n’en est pas conscient, que le disciple va vers le maître. Tout appel authentique, tout élan vrai vers le maître et ce qu’il transmet procèdent de l’essence. La relation de maître à disciple se manifeste certes sur le plan existentiel : je puis téléphoner au maître, déjeuner avec lui, prendre le train en sa compagnie, avoir avec lui des entretiens… mais ce n’est là que l’apparence. L’important se joue dans l’ordre de l’essence.

Tout maître authentique est véhicule et serviteur d’une essence universelle et impersonnelle, laquelle utilise ses qualités et aptitudes humaines pour se manifester. Aussi le maître s’adresse-t-il de l’essence à l’essence, « de mon âme à ton âme, de mon être à ton être, de mon cœur à ton cœur », comme le dit la belle expression traditionnelle. Sur ce plan, le gourou n’est pas un autre que le disciple.

Mon essence – ce que je suis, au-delà de toutes les particularités et limites de la manifestation transitoire appelée Gilles Farcet – était à la recherche d’elle-même et s’est reconnue en la manifestation transitoire appelée Arnaud Desjardins, cette dernière constituant un véhicule plus purifié et transparent. Lorsque je percevrai : qu’il « n’y a plus deux mais un », lorsque je ne me prendrai plus pour Gilles et ne prendrai plus Arnaud pour Arnaud, l’énergie du gourou aura fait son office. Cela, bien sûr, c’est le « but », si on peut parler de but pour une réalité qui est déjà là, bien que je n’en aie pas conscience. Mais dès le départ, la relation, si elle s’établit vraiment, se noue au niveau essentiel. C’est parce qu’elle relève de l’essentiel qu’elle est impérissable, alors que ce qui ne relève que de l’existentiel sera nécessairement périssable. Arnaud dit souvent que depuis que son maître est mort, jamais il ne s’est autant senti en communion avec lui. Il ne le perçoit plus comme situé dans l’espace et le temps mais le ressent toujours présent.


(1) Derniers ouvrages de Gilles Farcet parus : Le choix d’être heureux, Éditions Entremises, 2021

La Réalité est un Concept à Géométrie Variable, Éditions Charles Antoni-L’Originel, 2022

(2) Arnaud Desjardins est décédé en 2011

(3) Karlfried Graf Dürckheim (1896-1988), diplomate, psychothérapeute et philosophe allemand. Il découvre le bouddhisme zen au japon. 

Édition augmentée du dossier paru dans la revue n° 125 (mai 1992)

Propos recueillis par Laura WINCKLER, cofondatrice de Nouvelle acropole en France

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lundi 1 avril 2024

Passage sur terre...


 Le Christ sort au matin de la vieille maison fatiguée du monde. Il a une trentaine d'années. Il n'emporte rien avec lui. Il commence sa vie buissonnière dont, après sa disparition, ses amis recueillent des lambeaux. La joie de l'air contre ses tempes, les confidences de l'eau entre ses mains les éblouissements des renards qui croisaient son chemin, de tout cela rien ne nous est parvenu. Quelques paroles dont la plupart empruntent leur beauté à l'univers patient des bergers, des pêcheurs, des viticulteurs : voilà tout ce qui reste du passage sur terre du plus grand des poètes. Car c'est être poète que regarder la vie et la mort en face et réveiller les étoiles dans le néant des cœurs. Les commentateurs ont usé jusqu'à la corde ces paroles de l'errant. Elles résistent. Le simple est inépuisable. Comme des frelons sur une poire tombée dans l'herbe, ainsi s'agitent les théologiens, agglutinés autour des larmes d'un visage si humain qu'il en devenait divin. "Mon dieu, mon dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?" Cette parole du Christ est la parole la plus amoureuse qui soit. Chacun en connaît la vibration intime. Aucune vie ne peut faire l'économie de ce cri. Cette parole est le cœur de l'amour, sa flamme qui tremble, se couche et ne s'éteint pas. Elle est aussi bien la seule preuve de l'existence de Dieu : on ne s'adresse pas ainsi au néant. On ne fait pas de reproches au vide.

Christian Bobin - L'homme-joie page 153

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mardi 12 mars 2024

Hommage à Chandra Swami


Q : Affirmeriez-vous connaître votre Être véritable ?
Chandra Swami : Se proclamer soi-même comme tel, c'est le nier. Quand vous vous êtes réalisé, il n'y a rien à proclamer.
Q : Alors vous ne proclamez rien, mais vous dites que vous êtes réalisé...
Swamiji : Je ne dis rien. Quand vous dites que vous vous êtes réalisé, cela semble être une chose du passé.
Q : Non, j'ai demandé si vous vous diriez "réalisé", car je pense que c'est un événement et également un "état d'être".
Swamiji : La réalisation n'est pas une expérience, c'est le fait d'expérimenter. Dans la terminologie hindoue, ce genre de question est appelé "anadhikar cheshta", ce qui signifie inconvenance.
Si vous dites "oui", c'est faux.
Si vous dites "non", c'est faux.
La Vérité/Dieu est quelque chose qui n'est ni connaissable, ni inconnaissable.
Extrait de : Le Chant du Silence
(Arnaud Desjardins signe la préface)
✨ ✨️ ✨
️️Sri Chandra Swami Udasin nous a quittés le 9 mars dernier, quelques jours après son 94e anniversaire.
"Om Hari Sharanam"
(Ô Seigneur, je prends refuge en Toi)
🙏
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(une pensée pour un ami qui est sur place !)