D U Cinemâ: Uarlliiub

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f* ÀTXTTTOG

U a rlliiu b

D U CINEMÂ

139 HOWARD HAWKS 139


Cahiers du Cinéma
N O T R E C O U V ER TU R E
JA N V IE R 1963 T O M E X X IV . — No 139

SOMMAIRE

HOWARD HAWKS

J o h n W a y n e e t E is a M a rti-
n e lli d a n s HATARI ! d e H o ­
w a r d H a w k s. C e tte s c è n e n e H en ri Langlois .................. Hawks hom m e m oderne .............................. 1
f ig u r e p lu s d a n s l a co p ie p r o ­
j e t é e en F r a n c e ( P a r a r n o u n t y
FILM O G R A PH IE COMMENTEE DE HOW ARD H A W K S .............. 5

L e s F iim s
P a r s u i t e d u m a n q u e d e p la c e ,
n o u s r e p o r t o n s a u m o is p r o ­
c h a in le c o m p te ren d u du
Luc M oullet ...................... L’im m o rtalité de l’âm e (Les A nnées de
F e s tiv a l d e T o u rs .
feu ) ..................................................................... 58

Claude Beylie .................. Les parado xes d e la fidélité (T hérèse Des­


queyroux) ........................................................ 60

Ne m a n q u e z p as de p re n d re
p a g e 57 *
LE CONSEIL DES DIX

Film s sortis à P a ris du 14 novem bre a u 11 décem bre 1962 .................. 63

CAH IERS D U CINEM A, r e v u e m e n s u e lle de C in é m a


Rédacteurs en c h ef : J a c q u e s D o n io l-V a lc ro z e e t E ric R o h m e r
146, C h a m p s-E ly sé e s, P a r i s (8 e) - E ly sées 05-38
Tous droits réservés — Copyright by les Editions de l'Etoile
Jo h n G ariield, Gig Young, H a rry C arey, Moroni O lsen (la m ain su r le revolver) e t George
T obias (W einberg) d an s A ir Force.

HAVKS HOMME MODERNE

par Henri Langlois

A Gkl in Every Poit fut, paraît-il, la révélation de la saison Hawks au Muséum


oi Modem Art de New York.
Ainsi pour le tout New York de 1962, Louise Brooks surgissait soudain sur son
estrade avec le visage du Siècle, comme jadis devant les spectateurs du cinéma
des Ursulines.
Car pour Paris A Girl in Every Port, par contre, est un événement qui survint
dans la saison 1928.

1•

i
C'était encore le Paris des Montparnos et de Picasso, celui des surréalistes et
du Septième Art, de Diaghilev, des « Soirées de Paris », des « Six », de Gertru.de
Sïein, des chefs-d'œuvre de Brancusi...
Et c'est pourquoi, il y a quelques années, un soir de confidence. Biaise Cendrars
n'hésitait pas à dire qu'il situait A Girl in Every Porf à l'apparition du cinéma contem­
porain.
Pour le Paris de 1928, qui rejetait l'expressionnisme, A Girl in Every port est
un film, conçu au présent, s'identifie au refus du passé.
Le regarder, c'est regarder face à soi, face à l'avenir qui mène à travers
Scarface au cinéma de notre temps.

Homme moderne, Hcrwks 3'est totalement.


Ce qui frappe aujourd'hui dans ce long regard jeté sur l'ensemble de ses
oeuvres, c'est à quel point le cinéma de Hawks devance celui de son temps.
Plus exactement, — comme l'art cinématographique est généralement en déca­
lage sur les grands courants de l'art contemporain — c'est à quel point l'art
de Hawks est à l'heure ; par là même, à la pointe des mouvements de l'art.
L'art qu'il a" créé est celui d'une Amérique qui s'est révélée aujourd'hui çt
qui était, mais dont le devenir était encore en puissance.
Ainsi, cinq ans avant l'apparition de la première construction moderne dans
les m es de New York, 53ème Rue — quinze ans avant l'apparition des premiers
gratte-ciel modernes qui ont transformé Manhattan, — Hawks, comme Gropius,
conçoit ses films comme on conçoit des machines à écrire, un moteur, des ponts.
C'est pourquoi, aujourd'hui où l'Amérique a pris le visage de Hawks, ses
anciens films comme La Fourle hurle ont tant frcçppé à la Télévision.
Dans ces films oubliés de la Warner, New York et l'Amérique furent tout
smpris de s'y reconnaître, tant ils sont à l'image d'aujourd'hui.
C'est ce qui a fait écrire que Hawks est le plus américain des cinéastes.
Américain, il l'est, certes, non pas plus qu'un Griffith, qu'un Vidor, mais son
œuvre, dans son esprit comme dans sa physionomie, est née de l'Amérique contem­
poraine et se découvre être la seule avec laquelle celle-ci puisse le mieux s'iden­
tifier et totalement, dans hotre admiration comme dans notre critique:
« ...ce film n'a aucun lapport avec m es œuvres... Cela ne m'intéressait pas
de Je fourrier, mais j'y étais obligé par contrat... Il fut réalisé aussitôt après
L'Aurore de Murnau qui introduisait le style allemand à Hollywood... On aimait
cela, pas moi... /'ai toujours eu une tournure d'esprit orientée vers la mécanique,
aussi ai-je essayé des tas de moyens mécaniques pour m'en détourner après...
Maintenant, ma cam éra demeure à 2a hauteur de l'œil... J'utilise le travail de
caméra le plus simple du monde... »
Que d'excuses pour trois ou quatre plans concédés à la Fox dans Paid To Love
qui devance Lubitsch.
Faut-il qu'il lui en ait pesé.
Ainsi, à l'heure où Paris rejetait l'expressionnisme, au moment même où
Babelsberg subjuguait les Etats-Unis et Hollywood, Hawks le rejetait et pour les
mêmes motifs, parce qu'il était contraire à la discipline des temps nouveaux.

2
Laureii Bacall, M arcel Dalio et H um phrey B ogart dans T o H ave a n d H ava Not.

Curieusement, A Girl in Every Port, si nouveau pour les contemporains, l'est


aujourd'hui beaucoup moins que Fig Leaves où l'art de Hawks se révèle et s'an-
nonce en toute liberté.
Mais Fig Leaves était alors un film trop neuf pour que les contemporains
n'eu soient pas aveuglés.
Avec l'avènement du film sonore, se posa le problème de la construction
cinématographique en fonction du parlant, du découpage des dialogues en fono
tion du mouvement.
Une dramaturgie nouvelle allait naître, elle restait à découvrir, à explorer, à
établir.
Hawks s'y attela ds front, sans tricher.
Il se place aussitôt au cœur du problème *. la construction dramatique cinéma*
tographique en fonction du rôle que tiennent, dans l'existence, la parole et le
son.
De Dawn PatroL à Ceiîing Zéro, Hawks ne se préoccupe que de cette cons­
truction, donc des volumes et des lignes, il est le Le Corbusier du cinéma parlant.

3
Ses œuvres ont alors une nudité quasi abstraite, — faites comme de béton.
L'essentiel. La vérité des dialogues, la vérité des situations, la vérité des
sujets, des milieux, des êtres, une dramaturgie qui naît d'un emboîtement de
faits, de parlers, de bruits, de mouvements, de situations, comme on monte un
moteur. Aucun superflu, aucune halte, aucun méandre, aucune chair, m ais quelle
progression dans cette conquête jusqu’à Ceïlmg Zéro où tout est accompli, et qui
est à l'opposé du théâtre filmé, sauf pour ceux qui, pour en avoir trop bénéficié et
s'y être accoutumés, n'en voient plus l'originalité et l'extraordinaire réussite.
— Le dialogue : ce que l'on dit, ce que l'on est, ce que l'on fait. Comme il
insiste sur le dialogue et sur le parler. Sur la signification du dialogue, la cons­
truction du dialogue, le débit du dialogue.
« ...non cela ne vient pas cïu montage, cela vient du dialogue, directement
écrit comme une conversation réelle... »
« ...Ce qu'il faut c'est entendre les choses essentielles. »
« ...Si j'ai une scène à tourner que j'estime intéressante, j'ai fout intérêt à
la tourner dans 2e rythme le plus rapide possible... »
Au milieu de ces films d'hommes, une exception :
Twentieth Century, tout illuminé du rayonnement de la féminité de Carole
Lombard, et cela suffit. Grâce à cela tout s'équilibre, tout devient vie, dans le
tracé d'un découpage où le dialogue s'est fait cinéma.
La période marquée par Scarface touche à sa fin.
Un court arrêt en 1937.
L'explosion de Bringing Up Baby,
Et soudain, en 1939, ce soir là au Marivaux où l'on projetait Seuls les anges
ont des aile s, un charme renaissait, cet envoûtement qui tenait du sommeil, qui
semblait perdu depuis l'avènement de la parole.
Du cinéma, maîtrisé à nouveau, renaissait la magie. Et, avec elle, Hawks
retrouvait cette liberté totale qui le délivrait de toute pesanteur. Déjà s'annon-
çaient le chatoiement, les reflets, le merveilleux de Jîed J?iver et de Big Sky.
De Dawn Pafrol à Only Angels Have Wings : le cercle est fermé.
Encore un exercice de style, comme pour le plaisir de se donner une gageure
à soi-même, His GirJ friday.
Et voici "les grands chefs-d'œuvre.
Hawks n'est plus que lui-même, comme jadis, à ses débuts, au temps du
muet.
Une même arabesque et cet art de faire naître d'un rien le merveilleux de
la vie.
L'âge du béton est dépassé. To Have and Have Not, The Big Sleep, déro­
bent leur force logique derrière le miroitement d'un art dense et translucide comme
l'extraordinaire poussée végétale du nouveau New York.
L’art constructiviste, quasi abstrait, de Hawks se fait couleur.
Plus dépouillé — et parce qu'il est en couleurs —• Rio Bravo est une construc­
tion de mouvements psychologiques.
Toute l’intelligence de Hawks se confirme et s'impose dans Land of the Pha-
ijaohs, le seul film à gran,de mise en scène qui ait un style, une rigueur et des
beautés plastiques dont on avait perdu la notion depuis longtemps.

Henri LANGLOIS.

4
FILMOGRAPHIE
#s§j!pp=spHgi
f S ? . S "ilT' ’ ’'Vf
. .

COMMENTEE llB Illii


iip ltts ife æ iit»
BHBHHU
DE

HOWARD

H A WKS

H o w a rd Haw ks et so n fils, p e n d a n t le t o u r n a g e
d 'H otari.

Nous avons publié, dans noire numéro 56 (février 1956), un entretien avec Howard
Hawks, suivi d'une filmographie. Ce numéro est actuellement épuisé. L‘ « hommage » récent
de la Cinémathèque, et la plaquette éditée p a r le Musée d'Art Moderne de N ew York nous
ont permis de présenter à nos Jecieurs un nouvel ensemble différemment conçu. Le géné­
rique de chaque film y est suivi d'un résumé de l'action eî de deux sortes (sauf exceptions)
de commentaires : par I'auieur et p a r nous-mêmes. Ce travail n e fera pas double emploi
avec Je précédent. En effet, noire première filmographie comportait un certain nombre de
lacunes que nous avons maintenant comblées. D’autre part, ces nouveaux propos„ recueillis
par notre confrère new-yorkais Peter Bogdanovich, ne recoupent qu'à de rares moments
(par exemple la célèbre formule de la * caméra à hauteur d'œif ») ceux, de l'entretien avec
Becker, Riveite et Truiîaut. Bien que répondant ici à des questions d'ordre moins général
que n'avaient été les nôtres, Howard H aw ks apparaît encore comme le cinéaste américain
qui (Welles, peut-être, exceptéj sait le mieux parler de son art, et cela, sans hausser le
ton le moins du monde. Face à cette royale simplicité, à cette vraie modestie, l'amphigouri
— hé oui! — de nos propres commentaires ne manquera pas de détonner. Mais c'est notre
modestie à nous que de n'oser aborder Hawks sans précautions ni ambages. Sa flamme
est de celles où se brûlerait une approche trop directe. 11 est difficile de ne p as parler
difficilement des fihas < faciles ». 11 faut éclaircir Marienbad, obscurcir Rio Bravo.

5
DEBUTS Melford. 5c. ; Howard Hawks, d ’après
<r El Gato Montes », de Manuel
Penella. A dapt, : Julie Hern.
Howard Winchester Hawks est né à Goshen
(Indiana), le 30 jnai J896, p u ia n t sa jeunesse, J925 — THE DRESSMAKER FROM PARIS (Famous
ses parents l'emmènent, lui et ses deux frères, Players-Lasky Corg. — Paramount).
Kenneth et William, en Californie. C’est dans Prod. .- Atiolph &ikor, Joseph L.
l’Est, au collège de Phillips Exeter et à l’uni­ Lasky. Rêal. ; Paul Bern, 5c. ; A dé­
versité de Cornell, que Howard sera envoyé laïde Heilbron, d ’après Howard
ensuite, pour y parfaire son éducation. 11 Hawks et Adélaïde Heilbron.
travaille pendant les vacances, comme acces­
soiriste, aux studios « Famous Players-Lasky » 1927 — QUICKSANDS (Afgar Corp. — Para­
(actuellement la Paramount), et devient sous- mount). Réaî. ; Jack Conway. Sc. :
iieutenant de l'armée de l’air, lors de la pre­ Howard Hawks. Int. ; Richard Dix.
mière eu erre mondiale, (Ses frères ont travaillé
aussi dans le cinéma. Kenneth mourut dans Mentionnons aussi, avec réserves :
un accident d ’avion, après avoir réalisé Maskfid 1927 — DRAME VÉCU {titre français) (William
Emotions et Big Time. William a produit The Fox). Réal. ; Chester Bennett. Sujet :
Tall M én {Les Implacables) H955), vaguement Howard Hawks. Int. : Pauline Starke,
inspiré de R ed River, et The Last Wagon Johnie Walker, Chester Rockliffes.
(La Dernière Caravane) (1956), entre autres.)
De seize à vingt et un ans, Hawks gagne
sa vie com me pilote de voitures de course;
il en construit lui-même deux, ainsi qu’un ou VERSIONS FRANÇAISES
deux avions. Pendant environ deux ans, de
1922 à 1924, il s’occupe de la production indé­
pendante et du financement d ’un certain 1932 — LA FOULE HURLE (Warner Bros.), Co­
nombre de films (v. ci-dessous). 11 se consacre production France-Allemagne-U.S.A.,
également à la réalisation de comédies en tournée à Berlin. Rêa}. : Jean Dau-
deux bobines. Ensuite, pendant _deux ans, il mery. Int. ; Hélène Perdrière, Fran-
dirige le « département-scénarios » de la cine Mussey, Hélène Frederique, Frank
Param ount ; il écrit — ou collabore à la rédac­ O ’Neil, Sergius, Jean Gabin.
tion de — quarante ou cinquante films, dont
Quiclisands (1923), Tiger Loüe (1924) et The (933 — CRIMINEL (Productions Forrester - Pa­
Dressmaî^er /rom Paris (1925). Bien que les rent). Réaï. ; Jacques Forrester. Dial. :
génériques n'en fassent pas souvent mention, Jean-José Frappa. Ph. : Riccioni et
Hawks a travaillé à tous les scénarios des films Dantan. Mus. ; H. de Bozi. Dec. ;
qu’il a réalisés. Lauer. Tourné aux Studios de Bil­
lancourt, Int. : Harry Baur (Brady),
En 1925, il est engagé comme metteur en Jean Servais, Hélène Perdrière (Mary
scène sous contrat par William Fox, et réalise Brady), Pauline Carton. Mille Joyce,
son premier film. Daniel Mendaille, Arvel, Robert Gra-
ham, Gaubens.

PRODUCTIONS
REMAKES
Entre 1922 et 1924, Hawks produit, en indé­
pendant, de nombreux films de divers réali­
sateurs, parm i lesquels Allan Dwan, Marshall 1938 — THE ~ DAWN PATROL (Warner Bros.).
Neilan et Allen Holubar. Rêal. : Edmund Goulding. Sc. : Se-
ton I. Miller, Dan Totheroh. Int. :
- Plus tard, il produira les films de ses colla­ Errol Flynn, David Niven.
borateurs : Richard Rosson (Corvette K-225),
qui fut son assistant pour de nombreux films, 1939 — INDIANAPOLIS SPEEDWAV (Warner Bros.).
et à qui il déclare avoir voulu donner une Rêal. ; Lloyd Bacon. 5c. : Sig Hetzig,
chance ; et Christian Nyby (The Thing jrom W ally Klein, d ’après T he Crotod
A nother World), le monteur de To Haoe and __ Roars, de Howard Hawks.
H ave Not,., The Big SIeep, R ed Rt'uer, et T he 1950 — THE BREAKING POINT (Warner Bros.).
Big Réal. : Michael Curtiz. Sc. : Ranald
McDougall, d ’après a To Have and
SCENARIOS Have Not », d ’Ernest Hemingway.
Ph. : T ed McCord. Int. : John Gar-
field, Patricia Neal Tuano Hernandez,
Entre 1924 et 1926, il s’occupe du départe­ Ed. Ryan, Phyllïs Thaxter.
ment « s tory » de la Paramount, où il écrit
(ou contribue ' à l’élaboration de) près de 1958 — TH E CUN RUNNERS (United Artists).
40 films, parmi lesquels : R éal. ; Don Siegel. Sc. ; Geoffrey
Homes, d’après s To Have and Have
1924 — TIGER LOVE (F amous Players-Lasky Not », d ’Ernest Hemingway. Int. :
Corp. — Paramount. Prod. ; Adolph Audîe Murphy, Patricia Owens, Eve-
Z ukor, Jesse L. Lasky. Réal. ; George rett Sfoan, Jack Elam,

6
F I L M S M U E T S

THE ROAD TO CLORY « J'ai simplement essayé de dire que les


gens n'ont guère changé et qu'ils sont les
mêmes aujourd'hui. »
1926 — T H E iROAD T O GLORY { l ’o m b r e
q u i DESCEND) (William Fox), 5 600 ft.
Moins que les séquences préhistoriques,
Sc. ; L. G. Rigby, d ’après Howard traitées pourtant avec beaucoup de recul et
Hawks. 'Pli. : Joseph August (teinté).
Int. : May McAvoy, Rockliffe Fellows, d'ironie, moins aussi que les astuces d'une
Leslie Fenton, Ford Sterling. construction déjà impitoyable, ce qui nous
retiendra ici, comme déjà spécifique de la
Drame sur les réactions d'une jeune fille création de Hawks, c'est, en dehors d'une
qui devient aveugle. Le iilm n 'a aucun rap ­ direction d'acteurs déjà totalement maîtrisée,
port avec J'ouvrage du même titre tourné le rapport du vécu et du rêvé, du créé et de
p ar Hawks en 1936 : la création, la relation entre la mise en scène
hawksienne et ce qu'elle meî en scène : une
« ]e n'étais pas dans un très bon état autre mise en scène.
d ’esprit, et /'écrivis une complète tragédie. On
Eu effet, quand Eve, conseillée et < diri­
m'expliqua que ce n'était pas ce que les
gée » p ar son amie, et quand Adam, « répé­
spectateurs voulaient voix, aussi, dans mon
film suivant, ai-je changé de registre, » tant » les directives du sien, se jouent mutuel­
lement leur propre rôle de femme avide de
toilettes et de mari intransigeant, il y a déjà
mise en. scène d e personnages qui s'impo­
F1G LEAVES sent chacun leur mise en scène.
Mais quand, p ar le même miracle que dans
1926 — FIG L EA V ES ( s a m a j e s t é l a f e m m e ) Sergenf York, le rêve d'Eve devient réalité
{William Fox), 6 498 ft. et se vit, quand elle est renversée par la
Prod. ; H owaid Hawks. Sc. : Hope voiture du grand couturier, puis tramée et
Loring, Louis D, LigKton, d ’après ballottée de salon en salon, puis déshabillée,
Howard Hawks. Ph, : Joseph August coiffée, enlacée d e tissus, vêtue et dévêtue
(deux séquences en couleur par Tech­ dans le même après-midi des plus somptueu­
nicolor). Dec. : W illiam S. Darling, ses et effarantes toilettes début de siècle
William Cameron Menzies. Cost. ; (les parties d'essayage étaient en technicolor
Adrian. Mont. ; Rose Smith. Inter­
titres : Mal col m Stuart Boylan.
Int. ; George O ’Brien {Adam Sm ith),
Olive Borden (Eve Smith), André de
Béranger (/ose/ André), Phyllis Ha ver
(Alice A tfoins), Heine Conklin (ami
d’A dam ), W illiam Austïn (assistant
d ’André).

_ R ésum é : A dam et Eve sont dans leur pe­


tit paradis. Eve a besoin de se vêtir. Ne sa­
chant comment faire, elle demande conseil au
serpent, sa meilleure amie, et passe au X X 0
siècle : là, selon les recommandations de son
amie, elle exige de l'argent de son mari,
se dispute avec Jui, sort dans la rue, se fait
renverser par la voiture du plus grand coutu­
rier (français...) de New York : André. Celui-
ci, animé par la passion de créer des robes
sur de toujours nouvelles silhouettes, l'engage
comme mannequin, après un après-midi de
rêve où elle inspire les plus somptueuses toi­
lettes au couturier. Le jour de la présentation
de la collection arrive : elle doit participer au
défilé des mannequins. Cependant son mari,
pour se réconcilier avec elle, désire lui faire
un cadeau : il assiste à la présentation des
modèles chez André, reconnaît sa femme, se
fâche, récupère Eve, et c’est le retour au
paradis, où, de nouveau, la question cruciale
se pose : Eve n ’a plus rien à se mettre. O live B o r d e n d a n s Fig L eo ves.

7
de l'époque : il n'en subsiste qu'un frisson Résumé ; Le roi d ’un minuscule royaume
dé la lumière, un chatoiement des tissus, un européen attend, vers 1920, très impatiemment,
frémissement des ombres, un trouble' de la l'arrivée d ’un financier américain qui doit ren­
vision qui entraîne mannequins et robes, ten­ flouer les finances de l’état. Le banquier n ’ac­
cepte qu’à la condition que le prince héritier
tures et gestes dans le même tourbillon, dans se marie, un grand mariage devant assurer la
un scintillement de toutes les apparences qui popularité du trône. Mais le prince (G. O ’Brien)
deviennent ainsi émanations, auréoles des ne s’intéresse qu’aux voitures et ignore le*
êtres), quand, enfin, Eve est livrée au magi­ femmes. En conséquence, le roi et le b an ­
cien, au couturier qui I'épuise, jamais satis­ quier, grands amis, partent pour Paris, où ils
fait, toujours recommençant, animé d'éclairs trouvent, dans une boîte à faux-apaches pour
et d'inspirations, jusqu'au moment où il par­ touristes, et dans la personne d ’une fausse fille
vient à créer, sur la femme qui l'a inspiré perdue — qui-, chaque soir, feint de tuer son
ami sous les yeux horrifiés de la salle, et dont
et qu'il a brisée, la forme ultime, la robe de ils dévoilent le jeu — la femme qui, pour une
collection, nul doute alors que Hawks ne se forte somme, acceptera d ’accoutumer le prince
soit passionné pour cette délirante mise en aux futures princesses. Elle (V, Valli) arrive
scène, pour cette création perpétuellement dans le royaume par un soir d’orage, et doit
renouvelée et avide d'absolu, et que, tout se réfugier dans une villa, où elle perd connais­
en en soulignant les démesures et les ridi­ sance. Elle s'éveille le lendemain dans le Ht
cules, il ne soit devenu lui-même le metteur de son hote (qui n ’est autre que le prince),
en scène supérieur, l'ordonnateur, dont le et, elle ignorant son identité comme il ignore
sa fonction, ils s’éprennent l’un de l’autre.
couturier n'est que l'agent, de cette démente Elle le quitte pour remplir tout de m êm e sa
fête des sens et des yeux. mission et rencontre, non pas son prince, mais
Déjà apparaît donc cette clé de l'art le cousin (W. Powell) de celui-ci, coureur im­
hawksien : le sens de la création de Hawks pénitent. Le quiproquo dure assez pour que
le banquier soit rassuré quant à l’éducation du
est dans la vie qu'il met en scène, dans futur roi. Lorsque la vérité se fait jour, le
cette fusion entre vie et art, au moment où prince apprend que celle qu’il aime était payée
mise en scène filmée et mise en scène fil­ pour aimer, il rompt. Désespérée, la fille re
mante ne sont plus qu'un même élan en lui- tourne à sa boîte, jusqu’au moment où, désil­
même accompli. — J.-L. C. lusionné mais mûri, le prince l’enlève à n ou ­
veau pour l’épouser.

THE CRADL'E SNATCHERS c Ç<x n'a aucun rapport avec l’ensem ble de
mon œuvre. Il s'agit d'une histoire sur laquelle
je n 'avais pas travaillé et pour laquelle je
1927 — T H E CRADLE SNATCHERS ( s i n o s n'éprouvais aucune sympathie. Je n e vou­
MARIS S ’AMUSENT) (William Fox), lais pas la tourner, mais mon contrat m 'y
6 282 ft.
obligeait. Le film a été tourné juste après
5c. : Sarah Y. Mason, d'après la pièce L'Aurore de Murnau, qui introduisit à Hol­
de Russell Medcraft et Norma Mit- lywood les astuces de caméra des Allemands.
chell. Ph. : L. W illiam O ’Connell.
Je débutais dans la mise en scène et tâtais
Int. : Arthur Lake, Nicfc Stuart, Sally Je terrain. Ça a p lu ; moi, je n'ai pas aimé
Eilers Louise Fazenda, Ethel Wales,
Joseph Striker, Dorothy Phillips, ça. Je ne m’y suis essayé qu'une fois. J'ai
Arthur "Watts, J„ Farrel McDonald. toujours eu un esprit plutôt intéressé p a r la
mécanique, /'a i donc essayé un tas de choses
Adapté d'un succès de l'époque, le lilm se mécaniques, pour les abandonner com plète­
signale, selon Hawks, p a r un rythme ultra- ment — la plupart du temps ma caméra reste
rapide, comme dans ses comédies du parlant. au. niveau du regard. Parfois si un homme se
met en mouvement et voit quelque chose,
je fais bouger la caméra. Je l'avance ou la
recule pour insister sur un détail, quand je
PAID TO LOVE
veux éviter une coupe de montage. Mais, en
dehors de ça, j’emploie la caméra le plus
1927 — PAID T O LO V E ( p r i n c e s a n s a m o u r ) simplement du monde. »
(William Fox), 6 888 ft,
Prod. r Howard Hawks. Sc. ; W il­
liam M. Conselman Seton I. Miller, Rien de moins hawksien, en apparence,
d ’après un récit de Harry Carr. Ph. : que cette manière d'opérette viennoise, genre
L; William O'Connel. Dec. : William fort à la mode à Hollywood, dans les années
r S. Darling. Mont. : R alph Dixon. trente, et dont The Love Parade de Lubitsch
I nier titres : Malcolm Stuart Boylan. demeure le prototype. Mais Hawks, qui a tou­
Int. ; Virginia Valli (Dolorès), George jours voulu réaliser le modèle de chaque
O ’Brien (Prince Michael), W illiam genre, saura ne pas démériter avec celui-ci.
Powell {Prince Eric), J. Farrel Me
Donald. Comme toutes les comédies hawksiennes.

8
Paid To Love est axé sur le rôle néfaste de la
femme, agent de dévirilisation. C'est parce
que Dolorès exécute un numéro de femme-
apache, c'est-à-dire de dompteuse d'hom­
mes, qu'elle est choisie p ar le vieux roi et le
banquier américain pour convertir aux fem­
mes le prince Michael, jeune homme sain et
sportif qui préfère au beau sexe la com­
pagnie racée et énergique des voitures de
course. De même, le prince Eric, cousin de
Michael, parce qu'il est un coureur de jupons,
perd le droit moral d'être un homme et n e
commet que des vilenies. De même encore,
les deux vieillards (la vieillesse comme l'en­
fance étant toujours, chez Hawks, une infir­
mité, puisque déperdition de l'énergie vitale
qui est le propre de la virilité), fêtards en
goguette qui se comportent comme des collé­
giens, se dégradent et grimacent d'une m a­
nière simiesque.
Restent les rapports amoureux de Dolorès
et de Michael. La Femme, face à l'Homme,
découvre l'estime et la soumission. D'où son
amour. Le prince a la révélation de la Femme
dont la grâce, le mystère et la fluidité doi­
vent étendre, accroître et enrichir s a propre
force. Alliance chimérique, menant à une
cruelle désillusion. 11 est dans la nature fé­
minine d'être trompeuse, parce que la femme
est le fruit de la nature. Or, dans l'univers
hawksien, l'homme doit se confronter avec la
nature pour la dominer. L'amour ne peut,
donc, naître que d'un rapport de forces et
non d'un accord de sentiments. Pour avoir
cru en cet accord, le prince sera vaincu. II
reviendra chercher Dolorès dans ce bouge
parisien où elle exécute derechef son numéro V ir g in ia V aili e t G e o rg e O 'B rien d a n s Païd To Love.
de dompteuse d'hommes. Il commettra une
* mésalliance ».
Dans ce film inspiré, dit Hawks, p a r Mur-
nau (ce long travelling dans le mess des Prod. ; Howard Hawks. Sc. : Howard
officiers ou cette stylisation du jeu) le forma­ Hawks. Selon I. Miller, Reginald
lisme montre le bout de l'oreille. L'arrivée Morris, William Tummel. Ph. ; L.
de Dolorès à la principauté, p ar une nuit William O ’Connell, R. J. Berquist
brumeuse, ou la découverte p a r le prince de (teinté). Dec. : William. S. Darling.
son imposture, scènes d'une grande beauté, Cost. : Kathîeen Dax. Mont. : Ralph
Dixon. ^4ss. Rêal. ; Sidney Lanfield.
restent entachées pourtant d'un certain esthé­ Intertitres : Malcolm Stuart Boylan.
tisme. Hawks quête encore ce naturel qui Int. : Louise Brooks {Mam’seîie
est le propre de son génie et dans lequel Godiva), Victor McLaglen (Spifye),
les plus savantes recherches formelles se Robert Armstrong (Bill), Maria Casa-
fondront, comme allant de soi. Notons au pas­ juana, Leila Hyams, Francis McDo­
sage cette admirable idée poétique de la nald, Michael Visaroff, Natalie Joyce,
chule des perles, qui évoque irrésistiblement Gretel Yoltz.
la mort de Yang Kwei Fei imaginée p a r Mizo-
guchi. — J. Dt. Résum é : Un marin, Spike (V, McLaglen),
qui croit avoir une fille dans chaque port, ap­
prend vite, pour son irritation croissante, q u ’il
est « doublé » chaque fois par un autre ma­
A GIRL i H lEVERY PORT rin (R. Armstrong), qui laisse, comme mar­
que de son passage, une ancre dans un cœur,
à chaque fille. Ils se rencontrent enfin, et.
1928 — A GIRL IN EVERY P O R T { p o in g s après bagarre, deviennent les meilleurs amis du
DE FER, CŒUR d ’o r (William Fox), monde. Alors Spike tombe violemment am ou­
5 500 ft 80 min. reux d ’une acrobate de foire (L. Brooks) qu’il

9
s'em presse de présenter à son ami, _On se rend la direction d'acteurs, voilà des vertus clas­
compte que, cette fois encore, l’ami était passé siques auxquelles on ne parvient le plus
avant lui, puisque la fille porte l'ancre révé­ souvent qu'après avoir estompé les séductions
latrice tatouée sur son bras. Le copain, par expressionnistes, les effusions faciles et fous
amitié pour Spike qui veut se ranger et épou­
ser la fille, xèruse les avances réitérées de son ces excès de langage qui font le charme
ancienne amante. Mais Spike voit le tatouage des créations premières.
et veut tuer son rival : l’amitié entre hommes Que Hawks ait donc d'emblée pressenti, et
l’emporte cependant sur l’amour et les calculs mis en application, la vocation classique du
de la garce. cinéma, le p are d'un adm irable et un peu
irritant privilège, et lui donne aussi une
« Ce fut la première fois que je décrivais place, en son art, comparable à celle de
ce genre de rapports qu'on retrouvera sou­ Poussin en peinture.
vent dans mes films, C'esf vraiment une his­
toire d'amour entre deux iommes. » Ainsi le schéma de A Gïrl in Every Port
tant p ar la construction du récit que p ar
l'épaisseur physique des personnages, est-il
Alors que ce qui nous intéresse ou nous déjà exemplairement hawksien : y joue ce
émeut, dans les premières œuvres de Renoir, subtil balancement du rire à la gravité, de
de Rossellini, d'Hitchcock, de Laag même, a l'amitié à la rupture, de la grandeur d'être
trait surtout à un certain « tremblé » juvé­ homme à la déchéance d'être asservi.
nile de leur écriture ou de leur propos, à
tout ce qui laisse supposer la maîtrise à S'ouvrant par' le développement quasi kea-
venir, mais ne la possède pas encore, et tonien, par la rigueur, de quelques gags sim­
que nous éprouvons le délicieux sentiment ples conduits jusqu’à leurs ultimes consé­
de discerner le splendide papillon futur dans quences, le film semble d'abord construit sur
ce qu'il est encore un peu chenille, nous une logique du déséquilibre. Puis « la grande
stupéfie au contraire, chez Hawks, l'insolence, aventure haw ksienne *, l'amitié, y équili­
affirmée d'emblée, d'une inébranlable cerfi- bre les forces, Rompues à leur tour p a r l'in­
iude. trusion, maléfique à souhait, d'une créature
nocturne qui, telle la Femme de la Ville de
Certitude qui semble non seulement avoir Mumau détourne et corrompt, s'offrant ici le
triomphé des inévitables balbutiements qui, luxe, en supplément, d'un fabuleux et my­
chez tout jeune créateur, signalent l'impa­
thique plongeon qui éclabousse de désir et
tience dâ faire, mais les avoir purement et
pétrifie d'admiration, un McLaglen éberlué.
simplement ignorés.
L'équilibre, la force interne de chaque plan, Mais le triomphe final de l’amitié rétablit
Vautorité du découpage, l'évidente aisance de cette joyeuse et sereine virilité, clef de voûte
de la morale hawksienne, qui tient en échec
les tentations, version moderne de la corné­
lienne « estime ». — J.A.F.

FAZIL

1928 — FA ZIL (l ’insoum ise ) (William Fox),


7 217 ft. Effets sonores synchronisés.
" Sc. : Seton I. Miller, Philip Klein,
d’après la pièce « L ’Insoumise », de
Pierre Frondaie, et son adaptation an­
glaise k Prince Fazil ». Ph. : L. Wil­
liam O’Connell. Mont. : Ralph Dixon.
Int. : Charles Farrell (Prince Fazil),
Greta Nisaen (Fabienne), John Boles
(John Claüering), Mae Busch (Hé/ène
Debreuse), Tyler Broolce (Jacques De-
bresuse), Eddie Sturgis (Rt'ce), V adim
Uraneff (Ahm ed), Hank Mann {Ali),
Josephine Borio (A'icha), John T . Mur-
rey (gondolier), Erville A nderson
(Imzn Idris), Dale Fuller (Zouroya).

< Je n'aim e guère le film. C'était l'histoire


d'un cheik ef d'une jeune Française, J'ai dû ■
L o u ise B ro o k s e t V ic t o r M c L a g le n dans travailler p a r contrat sur une histoire que je
A Cirl in Every Port. n'avais pas écrite. C'esf tout. »

10
THE AIR CIROUS Lew SeiJer a donc repris Je film et tourné
cet insipide dialogue. Et ils ont rafistolé le
film du mieux qu'ils ont pu. >
1928 — T H E AIR C1RCUS ( l e s r o i s d e l ' a i r )
(William Fox), 6 bobines, en partie
parlant, avec musique et effets
sonores. TRENT’S LAST CASE
Rêal. ; Howard Hawks et Lewis B.
Seiler. Sc. : Selon 1. Miller, Norman
Z . McLeod, d ’après Graham Baker et 1929 — T R E N T ’S L A ST CASE (William
Andrew Bennison. Dial. : Hugh Her­ Fox), 6 bobines, musique et effets
bert. Ph. : Dan Clarke. Mont. .* Ralph sonores.
Dixon. Intertitres : W illiam Kernell. Sc. ; Scott Dailing, Beulah Marie Dix,
Int. : A rthur Lake, Sue Caro], David d’après le roman de E.C. Bentley.
Rollins, Charles Delaney, Heine Ph. : Harold Rosson. intertitres ; Mal-
Conklin, Louise Dresser, Cari Robin- colm Stuart Boylan.
son. Int. ; Raymond Griffith, Marceline
« 11 n 'y avait presque aucun sujet. Je me Day, Raymond Hutton, Lawrence
Gray, Donald Crisp, Edgar Kennedy,
contentais de décrire comment un garçon Nicnolas Soussanin, A nita Carvin.
apprend à voler. Je l'ai mis en scène, puis
ils ont vouJu glisser des séquences parlantes, Le film ne fut jamais montré en Amérique,
et ont amené un homme dont ils assuraient parce; qu'il était muei. Mais il fut projeté en
qu'il était une autorité en matière de dialogues Europe,
et qui était en réalité un acteur de burlesque,
le lis ce qu'il avait écrit et dis : « Mais « Nous n'avons pu obtenir les droits de
personne ne parte comme ça, » Je leur ai la version parlante. Wons avions un scénario
dit que, s'ils voulaient, ils continuent sans pour un Hlm parlant que nous avons dû
moi, mais je n'aurais rien à voir avec ça. tourner en muet. »

F I L MS P A R L A N T S

THE DAWN PATROL son ami Scott {D. Fairbanks Jr.) et au jeune
frère de celui-ci. Scott en revient, son frère
1930 — T H E DAWN PA TR O L { l a p a t r o u i l l e y meurt. Les deux amis se querellent violem­
DE L JAUBE) {First National), 12 bobines, ment. L'état-major commande alors une opé-
üc. : Howard Hawks, Dan Totheroh, ration-suicîde : bombarder une zone indus­
Seton 1. Miller, d ’après te T he Flight trielle. Scott se porte volontaire. Le chef du
Commander », de John Monk Saun-
ders. Ph, ; Ernest Haller. M ont, ;
Ray Curtis, Dir. Art. : Jack Okey,
Cons-, Aér, : Léo Nomis.
Int. : Richard Barthelmess (Dic^
•Courtney), Douglas Fairbanks Jr,
(Douglas Scott), Netl Hamilton (Major
Brand), William Janney {Gordon
Scott), James Finlayson (Fieid-Sergent),
Clyde Cook (Boit), Gardner James
(Ralph Holîister), Edmond Breon
(Lietif. Phipps), Frank McHugh (Fîa-
herty), Jack Àckroyd, Harry Allen
(mécaniciens).
The Dawn P-atrol fut retitré T/ie
Flight Commander pour son passage
à la Télévision,
R ésum é ; 1917, un camp d ’aviateurs am é­
ricains sur le front français. L a tension règne
entre les pilotes et le chef du camp qui- leur
commande des missions périlleuses où beau­
coup d ’entre eux sont abattus. A u cours d ’une
violente altercation avec le chef de vol (R. Bar­
thelmess), le chef du camp apprend qu'il est
nommé au Q .G ., et que le chef de vol devient
chef du camp. Celui-ci se retrouve dans la
même situation à l’égard des pilotes que son A d ro ite R ic h a r d B a r t h e lm e s s e t N eil H a m i lto n
prédécesseur : il doit imposer une mission à d a n s T h e Dawn Patrol.

11
camp parvient à le saouler et prend sa place : Souvenir pour Hawks de sa propre jeu­
il accomplit la mission et y meurt. Scott de­ nesse, Dawn Patrol marque le début de cette
vient à son tour commandant du camp, il as­ période (Scarface, The Crowd Roatsr Ceiling
sume les mêmés responsabilités, la même ten­ Zéro) où le romantisme des héros se voit
sion. en même temps condamné et exalté et qui
* Tout est viai, même les atterrissages for­ semble marquer pour Hawks lui-même le diffi­
cile passage de la jeunesse à la maturité.
cés. Dans plusieurs scènes, j'ai moi-même
piloté l'avion avec la caméra placée à l'avant. — J. Dt.
Ce métrage aérien a été utilisé dans nombre
d'autres films : The Last Flight par exemple, THE CRIMfNAL CODE
et le remake de La Patrouille de l'aube avec:
Eiroî Flynn. 1931 — T H E CRIM1NAL CODE ( l e c o d e
— Dans La Patrouille de l'aube. Le Chemin CRIMINEL) (Columbia). 97 min.
de la gloire et Train de luxe, vous finissez Prod. : Howard. Hawks, pour H arry
le film comme vous l'avez commencé, Cohn. Sc. : Fred Niblo jr, Seton I.
« C'est une forme de récit que j'aime beau­ Miller, d’après la pièce de Martin
coup. Vous créez un personnage qui a un Flavin. Ph. : James W ong Howe,
problème, un autre homme arrive et reprend T eddy Tetzlaff. Mont. ; Edward
son problème. Et à la fin, quand celui-ci Curtis,
s'est épuisé, un troisième homme se pose le Int. : Walter Huston (IVarden Brady),
problème. Ça continue ainsi de suite. C'esf Phillips Holmes (Robert Graham),
Constance Cummings (Mary Brady],
comme un grand mécanicien qui construit des Mary Doran (Gertrude W’iîlûrms), De
voitures de course. Un homme est tué, puis un Witt Jennings (Gleasan), ïohn Shee-
autre, et ainsi de suite — on ne v a pas s'ar­ han (McManus), Boris Karloff (Gallo-
rêter pour cela. » tûay), Otto Hoffman {Faies), Clark
Marshall (Runch), Arthur Hoyt (iVef-
L'unique film de Hawks qui soit sans iîajord). Ethel AVales {Kaiie). John
femme. Le plus important, peut-être, pour la St. Polis (Dr Rinewiulf), Paul Forçasi
compréhension du rôle de l'homme, ou plus (Spe/oin), Hugh Walker (Letü), Jack
exactement de s a * mission », terme qui Vance (reporter), Nicholas Soussanin,
convient mieux à cette histoire d'hommes en James Guilfoyle, Lee Phelps.
guerre. Resirmé : L/n jeune homme de bonne fa­
C'est donc à l'intérieur de sa mission. — mille, Robert Graham (P. Holmes) est arrêté
les mots de profession et de métier n e con­ pour avoir tué le souteneur de sa danseuse.
viennent p as non plus — que n aîtra le Il reçoit de l'attorney général (W. Huston)
confit. L'homme est pris entre son besoin l’assurance de sa grâce : il est condamné à
de s'exalter dans et p ar le monde et son dix ans de prison. On le retrouve, cinq ans
devoir à l'égârd du monde. D'où la tragédie plus tard, dans une cellule, où il apprend la
mort de sa mère : on doit le soigner pour
cornélienne. Dawn PafroJ est un peu le Cid dépression nerveuse. Dans le même temps,
de notre cinéaste. arrive le nouveau directeur de la prison ; l’an­
L'homme jeune découvre l'ivresse de sa force, cien attorney, qui prend, sur la dem ande du
les possibilités immenses de son énergie, la médecin, le jeune homme chez lui comme do­
liberté de son être révélée par la conquête mestique. Une idylle naît entre lui et la fille
de l'espace et s a lutte avec le monde, l'éten­ (C. Cummings) du directeur. Au cours d ’un
chahut, les prisonniers parviennent à tuer un
due quasiment illimitée de lui-même. C'est la mouchard qui travaille aussi chez le directeur.
période de l'éclatement de sa vitalité, de Graham a tout vu, maïs ne veut rien dire :
l'exaltation de sa personnalité. on l’enferme au secret. L ’assassin du mou­
Puis vient le moment p ar lequel chacun chard (B. Karloff), qui a un compte à régler
successivement doit passer, qui est l'appren­ avec le gardien-chef, et oui veut innocenter
tissage de la maturité, c'est-à-dire la com­ le jeune homme, parvient à se faite enfermer
au secret ; il tue le gardien-chef et perm et
préhension de la véritable mission confiée à ainsi à Graham d ’être gracié et de se marier.
l'homme : régir, contrôler, organiser et, s'il
le faut, briser et soumettre foutes ces éner­ < Code Criminel était une pièce non sans
gies qui doivent dominèr le monde. Rivé à mérites, mais qui avait échoué à Broadway
son commandement, l'ex-pilote se souvient de à cause de son dénouement. Je réunis dix
sa jeunesse ardente, de ses sensations, de prisonniers ef Jeur dis : * Comment devrais-je
ses émotions, de sa folie, comme il se sou­ finir ? », ef ils m'onf répondu sans ambiguïté.
viendrait d'une femme aimée. Et l'impression Ils ont eu p as mal a voir avec la rédaction
d'être frustré de son énergie l'obsède et le de plusieurs scènes, car Je tilm s ’inspirait
mine. L'homme, encore em barrassé p ar son plus ou moins du code des prisonniers, à
propre romantisme, ne parvient pas à surmon­ savoir qu'on ne doif pas moucharder. }’ai
ter sa crise et préfère une mort glorieuse à utilisé d'anciens prisonniers comme figurants,
l'acceptation de sa mission. durant tout le film, pour lui donner plus d 'au ­

12
thenticité. Evidemment, Huston est un des plus
grands acfeurs que nous ayons jamais eus.
Son personnage était inspiré de celui d'un
procureur que nous avons connu ici en Cali­
fornie, qui a été finalement jugé et condamné
à ia prison. On le mit à l'hôpital de 2a* pri­
son, pour le protéger des hommes qu'il y
avait tait envoyer. A la fin il dit : « Je ne
peux plus fenir, je veux aller dans la cour. »
Il y alla, et la scène que nous montrons dctns
le film est reprise de la réalité. Nous n'avons
pas non plus inventé la scène où il se /orit
raser p ar un homme qu'il avait iait condam­
ner pour avoir coupé la gorge d e quelqu'un.
C'est la première fois que j'ai découvert que
presgue n'importe quelle tragédie peut aussi
être très amusante. Dans La Captive aux yeux
claïis nous avons traité en comédie la scène
où Kirk Douglas a son doigt coupé et cauté­
risé, C'était très drôle.
La scène où Holmes apprend la mort de
sa mère était-elle dans le script ?
— Je ne crois pas. Ce n'est que lorsque
j'aborde une scène frop senfimenfaJe que
j’essaie de icr changer et de l'empêcher d'être
sentimentale. Dans Seuls les anges ont des
ailes, j'avais un homme en train de parler à
son ami gui a été victime d'un accident
d'avion. Il Jtii disait : * Ton cou est brisé,
mon petit. » Une simple déclaration, aussi
plate que possible ; il ne faut p a s que la
scène devienne larmoyante. On joue à fond
en sens contraire de la scène. »
Parmi les premières œuvres de Hawks,
Criminal Code est l'une des plus réussies,
maïs non l'une des plus personnelles : le
sujet, en effet, n 'a pas grand-chose en com­
mun avec les films précédents ou avec les
suivants, ni sur le plan de la thématique ni
sur celui des personnages. Non qu'il pêche J a c k V an ce e t W a lte : H u sto n d a n s
par sa médiocrité : sa construction drama­ The Criminal Code.
tique au contraire se révèle d'une implaca­
ble sûreté et sa morale témoigne d'un esprit
tout à {ait louable, puisque critiquant violem­ sensibles dans les séquences d'interrogatoires
ment le mouchardage. Criminal Code se rat­ — menés p a r Walter Huston avec une rare
tache plus à un genre précis, le dram e péni­ maestria — et dans les scènes finales.
tentiaire, dont il représente un certain abou­ Grâce à une telle œuvre dont la théma­
tissement, qu'à la vision personnelle d'un au­ tique lui était extérieure, Hawks a pu se livrer
teur. La notion de iilms de genre est tou­ à quelques expériences techniques qui lui
jours présente chez Hawks, mcds s'y ajoute ont été fort profitables. Comme Paid To Love,
aussi un * regard » partiellement absent de Criminal Code a permis, à son auteur, d'appro­
ce iilm. fondir < le langage cinématographique ». Plus
Cela explique sans doute la virtuosité qu'un film remarquable, c'est un film néces­
extrême de la narration, le recours à cer­ saire. — B.T.
taines astuces de mise en scène, de mon­
tage : il en résulte une efficacité qui cul­
mine dans la séquence du meurtre commis THE CROWD ROARS
par un étonnant Boris Karloff, créant pour
arriver à ses fins un espace-temps presque 1932 _ T H E CROWD ROA RS ( l a f o u l e
borgésien, dans lequel il enferme s a victime HURLE) (Warner Bros - Vitaphone),
pour mieux en venir à bout. Le film fourmille 85 min.
en pièges, en chausse-trapes du même ordre, Sc. ; Kubee Glasmon, Niven Busch,

13
blessé au bras par la déchirure de son pneu
arrière ; Joe devient son coéquipier, les deux
frères gagnent et sont victimes, à l’arrivée,
d ’un léger accident. On les retrouve, heureux
et rieurs, dans une ambulance, forçant le
chauffeur, en prétextant la gravité de leur cas,
à rouler de plus en plus vite.

« Les coureurs de Lcr Foule hurle semblent


avoir un total mépris pour les dangers de leur
profession ?
— Iis rentrent dans la même catégorie que
ies hommes d'H ataii qui prennent des ani­
maux sauvages en Afrique. CJiague jour est
dangereux, terriblement excitant, et ils vivent
comme ça. Ils aiment ça, et ils ont aussi l'h a­
bitude de glisser le pius possible sur leurs
prouesses. Après que nous eûm es quitté
VAfrique, un des hommes eut un combat avec
un lion ; il reçut un îerrihle coup de griffe,
mais sa manière de me raconier ia chose
consiifue 7e plus grand exempte que je con­
naisse d'une certaine manière de glisser sur
J a m e s C o g n ey e t Eric L in d e n d o n s T h e C row d Roars. les choses. Il me dit simplement que le boy
noir était venu, avait pris son fusil, l'avait
braqué sur le h’on et avait fué le lion : il
était heureux qu'on l'ait si bien entraîné. »
Seton I. Miller, John Bright, d ’aprè?
Howard Hawks, Ph. : Sidney Hickox,
Dir. art. : Jack Okey. Mont. : John Le schéma de ce film (compétition entre
Stumar, Thomas Pratt. Cons. ctut. : l'aîné et le cadet, aussi bien en ce qui
Fred Jackman. concerne les femmes que les voitures de
Int. ; James Cagney (Joe Greer), course), est encore un peu grossier et marque
Joan Blondell (Anne), Ann Dvorak une régression p ar rapport à la pureté de
{Lee Merrick3, Eric Linden (Eddie ligne à.'Une .fille dans chaque port (ce sont
Greer), Guy Kibbee (Dad Greer), les débuts du parlant), mais il annonce toute
Frank 'McHugh (Spu d Connors), une oeuvre qui ira en se raffinant vers un
William Arnold (Bfïi), Léo Nümis humanisme serein.
(Jim), Charlotte Merriam (Mrs Spud
Snult) Harry Hartz, Ralph Hepburu, Car c'est toujours à hauteur d'homme que
Fred Guisso, Fred Frame.Phil Pardee, Hawks place non seulement sa cam éra, mais
Spider Matlock, Jack Brisko (/ailofes de aussi ses conflits dramatiques. Tous ses héros
course). portent en eux la forme de l'humaine condi­
Résumé ; Joe Greer (J. Cagney), grand tion, et lorsque p a r h asard ils abdiquent
champion de courses automobiles, après avoir toute dignité, ils deviennent des bêtes (gorille
romis à sa Fiancée Lee (Ann Dvorak) qu’il dans Scarface, chimpanzé dans Monkey Busi­
P épouserait bientôt, arrive dans sa ville natale ness).
pour y disputer une course, Son jeune frère La crise éclate chez Hawks quand le héros
Eddie (E. Linden) est le champion local. Pen­
dant la course, les deux frères, en tête tour rencontre son double, mais ce qui fait l'ori­
à tour, s'aveuglent l'un l'autre par la pous­ ginalité de l'auteur de Haiari, s a touche v é­
sière de sable qu ’ils soulèvent. Lee et son ritablement propre, c'est que cette confron­
amie A nn (J. Blondell) font vite la connais­ tation est pudique et affectueuse, le double
sance d ’Eddie. Joe rompt avec Lee, tandis n'étant p a s un brutal négatif de l'original,
qu 'Eddie aime A nn. U ne course de nuit mais son contretype presque fidèle.
oppose alors les deux frères :, pour éviter que
leur rivalité ne provoque un accident, l’ami Très peu de choses, à peine un léger
de Joe, Spudd (F. ‘iVIcHugh)t_ roule sans cesse déséquilibre entre les forces en présence,
devant Joe et l’empêche ainsi de dépasser séparent ses héros unis dans u ne même
Eddie, Joe tente d ’écatter Spudd en se col­ action, c'est presque toujours une femme
lant à sa roue ; rl ne parvient qu’à enflammer (Tiger Short, Une lille dans chaque port
par frottement le pneu, arrière de Spudd, qui etc.) mais c'est souvent une différence d 'âg e
se tue. Eddie gagne et est sacré grand cham­ et les conséquences qu'elle entraîne (le râte­
pion, tandis que Joe disparaît. On le revoit lier de W alter Brennan, la cécité de Tho­
plus tard à Indianapolis, traînant sur la piste
et cherchant en vain un emploi 'pour ]a course, mas Mitchell) ou encore une différence de
II rencontre alors Lee, serveuse de bar, qui grade militaire ou civil (La Patrouille de 2'aube,
l’aime toujours. Pendant l’épreuve, Eddie est i a 'Rivière rouge. La Terre des Pharaons),

14
Mais ce peut être aussi une question de sexe différent. Je voudrais décrire la famiile Ca­
(Cary Grant dans .AJIez coucher ailleurs !, pone comme s'il s'agissait des Borgia venus
Bogaxt et Bacal! dans Le Port de l'angoisse, s'installer à Chicago. » Et il me répondit :
trop semblables pour tomber amoureux l'un « On se met au travail demain. * Il nous a
de l'autre). failli onze jours pour écrire f'hisfoire et
les dialogues. Nous avons été très influencés
Et c'est bien là, en dehors de sa signifi­ par les éléments incestueux de l’histoire des
cation profonde, un des charmes de l'oeuvre Borgia. Nous avons rendu les rapports cfu
de Hawks de nous présenter sur l'écran des frère et de la sœ ur clairement incestueux.
complices dont il est impossible de ne pas Mais les censeurs ne comprirent pas nos
nous faire complices. — C. de G. intentions, et ne tirent objection que parce
qu'ils croyaient ce genre de rapports trop
nobJe pour êfre attribué à un gangster. Il
SCARFACE y avait une scène où Aîuni disait à sa sœur
qu'il l'aimait. Nous n'avons pas pu lui donner
tout son éclairage et finîmes par la jouer en
1932 — SCARFACE, SHAME OF T H E NA­ silhouette contre un rideau, avec Ja lumière
TION (RACKETTERs) (Atlantic Pict. — venant du dehors. C'était un peu trop intime
United Artists), 90 min. pour montrer les visages. On ne pouvait cou­
Production : Howard Hughes. Produc­ rir de risque.
teurs ; H»~waid Hughes et Howard
Hawks. Sc. : Ben Hecht, d ’après le
livre « Scarface », d ’Armitage Trail.
Adapt. et Dtaî. ; Seton 1. Miller,
John Lee Mahin, W .-R. Burnett. Ph. :
Lee Garmes, L. "William O ’Conneil.
Mus. : Adolph Tancüei, Gustav Arn-
heim. Dec. ; Harry Olivier, Mont. ;
Edward Curtis, supervisé par _ Qou-
las Bîggs. /îss. réal. ; Richard
Slosson.
Int. : Paul Muni (Toni Camonte),
George Raft {Guino Rinaîdo), A nn
Dvorak (Lesca), Boris Karloff {Gajf-
ney), Karen Morley (Poppy), Osgood
Perkins (Johnny Lovo), Vince Bar-
nett (Angello), Henry Gordon (Ben),
Purnell Pratt (publtsher), Jnez Palange
(Mère de Toni), Edwîn Maxwell {chef
des détectives), Tully Marshall (mana­
ging ediior) Harry T. Vejar, Henry
Armetta, Maurice Black, Bert Star-
key.
Résumé ; U n garde du corps et tueur à ga­
ges (P. Muni), servant les autres avant de se
servir d ’eux, tuant pour les autres avant de
tuer pour lui, s ’élève peu à peu, poussé par
une ambition rude et naïve, et devient le
maître de la pègre. Alors qu’il a étendu son
emprise sur la ville marquée de son signe.
« Scarface » en devient le prisonnier : i! fait
le vide autour de lui; en tuant même son
meilleur ami (G, Raft) pour avoir plu à sa
soeur. Seul avec lui-même, son « secrétaire »
idiot (V. Barnett) et sa sœur qui le hait, mais
le suit, il s’emprisonne chez lui, se 'croyant
à l’abri des balles, et, dans un dernier délire
d s puissance, voit mourir son secrétaire, puis
sa sœur, tuée par le ricochet d ’une balle sur
le volet blindé qu’il fermait, et cède lui-même
aux gaz, pour être abattu, devant sa porte, dans
le feu des projecteurs.

« Scarface est la véridique histoire cTAl


Capone. Quand j’ai demandé à Ben Hecht
de l'écrire, je lui ai dit : « Nous ne voulons
pas taire un film de gangsters. C'est un peu A nn D vorak et G eorge Raft d a n s S ca r f a c e .

15
— D'où est venue l'idée de la pièce de p a r son élan, elle s'accomplit en un tout
monnaie que Kaft fait sauter ? nécessaire, qui, de côtoyer toujours le péril
à' esthétisme, suscite un sentiment de fragi­
— Il y avait eu deux ou trois meurtres à
lité, d'impondérabilité et mène pourtant à
Chicago, où l'on avait découvert, dans le l'achèvement inexorable. C'est dans l'équili­
poing de la victime, une pièce de cinq cents. bre, perpétuellement menacé et sans cesse
C'était une marque de mépris. Quant nous affirmé, entre la maîtrise cinématographique
avons choisi Baft pour le rôle, il nous a sem­
de Hawks, qui lui permet d'aller jusqu'au bout
blé qu'une pièce de monnaie était un excel­ de chaque effet, et la menace que soulève
lent symbole pour caractériser un homme. touj'ours cette tentative d ’trbsolu, que réside
C'était son premier Hlm. En outre, ça l'aidait
aussi l'aura tragique et sublime du film. —
à combler Jes vides. C'est devenu sa marque
J.-L. C.
de fabrique. »
D'où vient que, de l'ensemble des premiers
parlants de Hawks, Scarface surgisse et s'im­ TIGER SHARK
pose ?
C'est qu'il est, avec Tiger Sharfc et l a Terre 1932 — T IG ER SHARK ( l e h a r p o n r o u g e )
des Pharaons, l'une des rares tragédies (au (First National - W arner Bros - Vita-
sens shakespearien) qu'ait tournées son a u ­ phone), 80 min.
teur. Ce qui le distingue de l'œ uvre contem­ Sc. ; Wells Root, d’après « T u na »
poraine, c'est justement le passage, incessant, de Houston Bran ch. Ph. : T ony Gau-
comme dans Shakespeare, du drame à la dio. Mus. ; L ’orchestre Vitaphone.
tragédie, du « pathétique > dramatique au Dtr •arf. ; Jack Okey. Cost. ; Orry
« sublime » tragique. Pareil passage, et c'est Kelly, Mont. ; Thomas Pratt. -*4ss.
toute la force et la beauté de Scarface, ne ré ai. ; Richard Rosson. Cons. Mar. :
se fait pas le long d'une évolution, ni par Capt. Guy Silva.
phases successives, mais p a r une mutation Int. : Edward G. Robinson (Mifoe Mas-
de chaque instant, par un accomplissement foarenas], Z ita Johann (Quifa S ilva),
de tous les moments du film, qui, de les Richard Arien (Pipes Boley), V ince
achever ainsi en eux-mêmes, les anime d'une Barnett (FishheUy), J. Carrol Naish
force de fatalité telle que chaque événe­ (Tony), William Ricciardi (Manuel
ment filmique devient avènement, totalité dra­ Silna), Leila Bennett (Muggsey).
matique.
R ésum é : Son bateau perdu dans une tem­
En effet, comme pour Tiger Sharl:, le film pête, Mike Mascarenas (E. G. Robinson), a le
est contenu tout entier dans les premières meilleur pêcheur du vieux Pacifique »( se re­
scènes. Il débute p ar la présence latente de trouve, avec son ami Pipes Boley (R. Arien)
et un marin, dans une barque à la dérive sous
la destruction : au long de ce panoramique le soleil. A près une lutte pour la seule gourde
à travers la salle du cabaret, jonchée des d ’eau, Mike jette à la mer le marin, aussitôt
vestiges de la fête, jusqu'à ces hommes qui dévoré par les requins, et s’écroule lui-même,
se quittent et vont chacun vers leur mort sa main traînant dans l’eau, vite emportée par
proche, on sent, comme dans la première un requin. O n îe revoit plus tard au port avec
apparition d& Scarface, à l'aube même de sa un nouveau bateau et un crochet en guise de
puissance bâtie sur la destruction, peser une main, se préparant à partir pour la pêche avec
menace de destruction en chaque instant, en Pipes, La pêche commence, quand survient
un requin : l'équipage le tire au fusil, sauf
chaque présence des personnages. Et ce signe un marin, M anuel Silva, qui lance un harpon :
qui ray e chaque séquence de meurtre, c'est son pied se prend dans le filin, il tombe a
celui de la vanité du déchaînement de Scar* l’eau et on 1 arrache mourant aux dents du
face, de la fatalité qui fait que ce déchaî­ requin. A u port, Mike va voir la fille de Silva.
nement ne servira q u'à la destruction de celui Quita (Z. Johann), parvient à la consoler,
qui croit contrôler pareille puissance. s'en éprend et l’épouse : elle veut bien k es­
sayer » avec Mike. Avant la noce, Mike charge
Chaque plan contient tout le film. Scarface, Pipes d ’apporter sa robe de mariée à Q uita ;
chaque fois qu'il détruit les autres, se détruit. pendant la_ noce, il boit trop et s’endort : P i­
Cette dimension tragique, c'est la relation fa. pes et Q uîta s’occupent de lui. Plus tard, ils
taie entre action et impuissance, qui fait que, pique-niquent tous trois au bord de l’eau :
Quita dit à Pipes qu’elle ne peut plus conti­
chaque fois que l'homme essaie de détourner nuer avec Mike, et qu’elle l’aime, lui. A u
la force de destruction qu'il porte en lui, elle cours d ’une pêche, Pipes est blessé par un
se retourne contre lui. hameçon : on le porte chez Mike où Quita
le soigne. Ils repartent en mer, et Q uita les
Cette dimension se retrouve dans la créa­ suit sur le bateau : pendant que Mike tire
tion formelle : chaque possibilité d'expression sur des requins, Pipes et Quita s’embrassent.
est poussée jusqu'au bout d'elle-même, jus­ Ih sont surpris par Mike, qui assomme Pipes
q u'à frôler sans cesse la gratuité ; mcâs, et le jette dans une barque qu’il perce d ’un

16
coup de haipon : son pied se prend d a n s le
filin, Pipes parvient à l’arracher aux requins
et Mike meurt dans les bras de son ami.

* Dans Le Harpon rouge vous utilisez l'idée


qu‘un homme n'est pas admis au ciel, à moins
qu'il ne soit en entier, et vous l'utilisez à
nouveau dans La Captive aux yeux clairs.
— /'a i connu un homme qui le croyait. Il
avait perdu deux doigts, mais il les avait
conservés, car il croyait q u 'à sa mort il
devrait entrer au ciel en entier. Ça m 'a amusé,
et j'ai utilisé cette histoire à plusieurs repri­
ses. Le personnage incarné p ar .Edward G.
Robin son avait été conçu comme un citoyen
très calme, solide. C'était ennuyeux à mourir.
Dès 7e premier jour, j'ai renversé la vapeur et
j'ai dit à Robinson : « Nous allons vraiment
faire quelque chose d'horrible. » Et je lui
expliquai que j'avais connu un homme gui
parlait beaucoup et très vite, pour mieux
masquer sa timidité. Je lui dis : < Si vous
avez assez de courage pour essayer, je vous
aiderai de mon mieux. » Nous avons trans­
formé un homme morose, silencieux, fout d'une
pièce, en un être volubile qui, à l'occasion, R ic h a r d A rie n , E d w ard G. R o b in s o n e t Z i t a J o h a n n
pouvait devenir très dur, » d a n s Tig er S h a rk .

Hawks mêle ici, comme plus tard en ses


westerns, le goût des descriptions intimistes qui lui ont ravi une main, à la légendaire
et les aspirations cosmiques. Savante alter­ baleine blanche de Melville ?
nance des scènes où les personnages s'affron­ L'intrusion du Mal, sous une forme quasi
tent et se révèlent dans leurs désirs, leurs démoniaque, dans un récit charpenté p ar
contraintes, leur noblesse, et de scènes où des sentiments forts et simples, l'Amitié,
la nature tout entière — ici l'océan — les l'Amour, la Haine, métamorphose en fable
provoque en un perpétuel combat où se mé­ ce merveilleux film d'aventures qui donne une
rite le titre d'homme. Alternance qui, en des clefs de la dynamique formelle propre
vérité, n'a rien d'une exception dans l'œuvre, à notre auteur : Hawks traite le documen­
mais sert même d'ossature à plusieurs autres taire (la pêche) comme s'il s'agissait d'une
films ; aux interminables conflits humains aventure, et cette aventure (là est s a force
ou aux attentes de Dawn Patrol, succèdent, souveraine) comme un repos, une respiration
explosent après eux pourrait-on dire, les com­ plus ample dans le rythme de la mise en
bats aériens, comme une libération. De même, scène, — I.-A. F.
les courses de voitures dans The Crowd
J?oars, les mitraillades dans Scarface, etc.
C'est que Hawks aime à saisir, à faire naître TODAY WE LIVE
plutôt, la vérité de ses personnages sous
l'angle des rapports, ou des conflits, d'une 1933 — TODAY W E LIVE ( a p r è s n o u s l e
part avec les autres, d*autre part avec l'ac­ d é l u g e ) (M.G.M.), 113 min.
tion. Que l'action, d'un film à l'autre, soit Prod. ; Howard Hawks. Sc. : Edith
rarement de même nature confère à l'oeuvre Fitzgerald, Dwight Taylor, d ’après
entière cet aspect de vaste documentaire sur k Turn A bout a (Chacun son tour),
1& monde moderne où avions, voitures, trains, de William Faulkner. Dial, ; W illiam
bateaux, deviennent le bestiaire d'acier d'une Faulkner, P h. : Oliver T . Marsh.
nouvelle et étonnante mythologie. Nouvelle, Mont. : Edward Curtis.
mais dont les racines baignent, par delà Int. : Joan Crawford (Diana), Gary
les siècles, aux mêmes sources que les an­ Cooper (Bogarcf), Robert Young
(Claude). Franchot Tone (Ronnie),
ciennes. Car si c'est aux chansons de geste Roscoe Karns (McGînnis), Louise Clos-
que font songer les saluts que les aviateurs ser Haie (Apple gaie), Rollo Lloyd
ennemis s'adressent, lorsque l'un a mortelle­ (Major)' H ilda Vaughn (Elcanor),
ment atteint l'autre (Dawn PafroJ), comment
ne pas rêver, tout au long de l'inlassable Ce fut le début de la collaboration de
combat qui oppose ici Robinson aux requins Hawks et de Faulkner, qui avait publié I'his-

17
toire dans le Satuiday Evening Post et tra­ sa), Donald Cook (Don Felipe), Stuart
vaillait à ce moment-là chez Macy's, au rayon Ervvin (Johnny Sg^es), George E. 5to-
librairie : ne (Ernilio Chavito), Joseph Schild-
kraut (General Pascal), K atherine de
c Le film respecte fidèlement la forme sous Mille (Rosita), Henry B. W althaîl (iWa-
dero), Philip Cooper (Pancho, ihe
laquelle le Post avait publié la nouvelle de boy), Frank Puglia {père cfe Villa),
Faulkner. C'esf l'histoire d'un groupe d'hom­ Francis X . Busnman.
mes en Angleterre, durant la première guerre
mondiale. Il y avait une fois de plus le petit Résumé : On conte, dans les haciendas le
thème amoureux de deux garçons qui vivent soir à la veillée, sur les places des marchés,
ensemble. La Métro voulait tourner un film dans les humbles bourgades du Mexique, les
avec Joan Crcrwîord : une semaine avant le exploits fabuleux de Pancho Villa : lequel,
jour être certain qu’on ne déflore point sa
déhut du tournage, on m 'a annoncé qu'elle
jouerait dans le mien. Nous avons dû modifier
féeende, s ’était attaché les services d ’un jour­
considérablement notre histoire. Four rendre naliste qui le suivit jusqu’à la mort, parti­
cipant à ses rapines comme à ses actions
les choses pires, elle essaya de parler comme d ’éclat.
les hommes. Ce n'était plus le même film, »
C ’est erSce à ce dernier que l ’on sait com­
ment Villa captura et épousa la belle Rosita ;
comment il s’instaura général en chef sous l’im­
(VIVA VILLA !) pulsion du libérateur Francesco Madero ; com­
ment il vainquit Diaz le tyran ; comment, à la
suite de nouvelles exactions, il dut s'exiler de
1934 __ V IV A VILLA ! {viva v illa /) (M.G. l’autre côté du Rio Grande ; comment il re­
M.) 115 min. partit en guerre contre le général Pascal, assas­
Prod, ; David O’Selznick. Ré«J. : sin de son ami Madero (au départ d ’El Paso,
Howard Hawks, puis Jack Conway, ils étaient sept — au bout de cent kilomètres,
qui signe le film. Sc. : Ben Hecht, ils étaient dix mille...) ; comment la foule
d ’après le livre de Edgcumb hurlante l’acclama président ; comment il abdi­
Pinchon et O. B. Stade. Pk. ■* qua, de son plein gré, préférant retourner vi­
James "Wong Howe, Charles G. vre dans son hacienda auprès des siens ; com­
Clarke, Mus. .- Herbert Stothart ment il fut tué enfin par Don Felipe, dont il
{Cons. : Juan Aguilar). Oir. A r t. avait occis (par mégarde) la gente sœ ur, un
Harry Oliver, Dêc. : Edwin B. "Willis. soir de beuverie mémorable...
Cosf. ; Dolly Tree. Mont. : Robert
J. Kern. Cons. Techn* ; Carlos Na- Mourant, étendu aur Je sol d ’une boutique de
varro, Matias Santoyo. boucher, Villa déclara à son compagnon Johny
Int. : Wallace Beery (Pancho Villa), Spikes, le journaliste : « Il faudra rapporter
Léo Carrillo (Sierra), Fay W ray (Tere- mes dernières paroles : j’ai bien aimé mon
pays... »

A cause d'un incident concernant Lee Tracy


(qui fut plus lard remplacé p ar Stuart Erwin),
a u cours du tournage en extérieurs au Mexi»
que, Hawks fut rappelé à Hollywood p ar
Louis Mayer qui lui dem anda de témoigner
contre Tracy, Hawks refusa et Conway ter­
mina le film. Néanmoins toute l'histoire et les
extérieurs sont de Hawks ; les intérieurs, sauf
ceux tournés au Mexique, ne le sont pas. Au
total, Hawks dirigea plus de la moitié du
film, mais ne fut p a s mentionné au généri­
que. — P.B.

Une légende courait, en France, sur ce film,


jusqu'à sa réédition, en 1957 : un certain
nombre de prises de Que viva Mexico lui
auraient été malhonnêtement incorporées.
Effectivement, c'est une légende. Les plans
qui pourraient, à la rigueur, provenir dudit
pillage — plans de raccord — s e comptent
sur les doigts de la m ain: encore n'y recon­
naît-on point ]a marque du style d'Eisenstein,
ni de la photo de Tissé. La surprise nous
W a ll a c e Beery, Fay W r o y e t S tu a r t Erwîn d ans vint d'un tout autre côté : c'était un film
V iv a Villa ! de Hawks.

18
Le personnage de Poncho Villa ressemble
comme un frère à celui de Scarface. Il ne
lui est pas inférieur. Le * caractère » ici
dépeint est un des plus forts que nous ait
offerts l'histoire du cinéma, et même du théâtre.
Ce grand sujet politique, au sens que Corneille
ou Shakespeare donnaient à ce mot, est
traité avec toute la ’ grandeur et la pro­
fondeur requises. C'est à « Rodogune > que
l'on songe, ou à « Eichard III » : Pancho Villa
est un bandit, non moins qu'un tribun, mais,
campé p ar le grand Wallace Beery, il est
sublime, parce qu'il est vrai et non point
porte-parole de telle thèse partisane, de telle
idée préfabriquée et esthétisante de l'anti­
héros. Regrettons que Viva Villa que Hawks
reconnaît comme sien, et que marque de bout
en bout le sceau inimitable de son humour,
n'ait pas trouvé place dans 1' < hommage »
de la Cinémathèque ; maïs, si nos souvenirs
sont exacts, la part — négative, bien sûr, —
de Conway y est heureusement des plus
minces. — E. H. R o sco e K a rn s , C a r o le L o m b a rd e t W a l t e r C o n n o lly
d a n s T w e n t ie t h Century.

TWENTIETH CENTURY
route, Lily monte dans le train et occupe le
1934 — TW EN TIETH CENTURY ( t r a i n d e compartiment voisin de Jaffe. Celui-ci essaie
l u x e ) (Columbia), 84 min, désespérément alors de 6e remettre à flot en
obtenant de Lily le contrat qui ferait d ’elle
Prod. : Howard Hawks. Sc. ; Ben la vedette de la troupe. Il n ’y parvient enfin
Hecht, Charles McArthur, d ’après leur q u ’en mimant sa propre mort devant Lilv, qui
pièce, tirée de la pièce « Napoléon signe le contrat sur son corps. Dès qu’il a la
of Broadway », de Charles Bruce signature, 31 se comporte à nouveau en tyran,
Milliholand, montée au théâtre par et la dirige, avec la même intransigeance, dans
George A bbott et Philip Dunning. la pièce qui avait fait leur succès.
Ph. : Joseph Walker, Joseph August.
Mont, : Gene Havlick. /Iss. Rêaî. ;
C.C. Coleman. « Le rythme extrêmement rapide de vos
Int. ; John Barrymore (Oscar Jaffe), comédies, comme Twentieth Century, ne doit
Carole Lombard (Lilly Garland), rien au montage ?
Walter Connolly (W7eoî>), Roscoe
Karns (O'MalIey), Etienne Gîrardot — Non, ça n'a rien à faire avec le mon­
(Clark), Charles Levison {Jacobs), tage. C’est délibérément que j'écris des dia­
Dale Fuller (Sadie), R alph Forbes logues comme de vraies conversations — je
(George Smith), Clifford T hom p­ peux vous interrompre à tout instant, vous
son (LacfiwooJ), James P. Bur- pouvez m'interrompre à tout instant — vous
tis (conducfor), G agi Parrish (Schultz),
Edgar Kennedy (McGonigle), Ed. Gar- écrivez vos dialogues de telle sorte qu’ils
gan (sheriff), Snowflake (porteur), Her- puissent s'entrecouper, sans ne rien perdre du
man Bing (premier tcrj-fcu), Lee Kohi- sens. Ce n'est qu'un truc. C'est un truc de
mar (second barhu), Pat Flaherty forcer les gens à faire, ça, il fauf Jbien deux
(Flannigan), Billie Seward. à trois jours pour les y habituer, et ensuite
tout va bien. Vous devez en tenir compte
Résum é : Un célèbre metteur en scène, au­ dans votre dialogue, en ajoutant simplement
teur complet et directeur de théâtre, Jaffe (J. quelques mots courts au début ; « Oui, je
Barrymore), lance une débutante, Lily Garland crois... -■ C'est tout ce dont vous avez besoin,
(C. Lombard), qui obtient un triomphe dans et ensuite vous dites ce que vous avez à
sa pièce, lis se marient : au bout de deux dire. Tout ce que vous désirez, c est q uon
ans, Lily, devenue grande vedette et le m é­ entende l'essentiel. Si on ne l’entend pas dans
nage allant de mal en pis, quitte Jaffe pour une scène, vous êtes perdu. Vous devez dire
Hollywood. Jaffe (qui n travaille dans le g é ­ à l'ingénieur du son quelles phrases il est
nie s), ayant perdu femme et actrice, n'a
plus Q u e des échecs dans des tournées m ina­ supposé entendre ; et il doit vous faire savoir
bles. Poursuivi par ses créanciers, il doit m ê­ s'il les a entendues. Cela vous permet en
me se grimer pour leur échapper par le train outre de vous roder — ça empêche un acteur
de luxe « Twentieth Century ». En cours de d'attaquer une phrase trop brusquement. En

19
fait, nous avons commencé à nous servir de c C'était fantastique ! » Elle fondit en larmes
la vitesse dans Scarface, dont le tempo était et s'enfuit du plateau. Elle ne commençait
probablement vingt pour cent plus rapide jamais un film sans m'envoyer un télégramme
que tout ce qu'on avait fait à ce jour. Et bien avec ces mots : le vais commencer p ar le
entendu, si j'avais une scène aujourd'hui que frapper. »
je ne juge pas intéressante, plus vite je la
jouerai, meilleur ce sera.
Dans la lignée de Paid to Love, Twenîieth
— Comment êtes-vous parvenu à vos tech­ Century appartient aux comédies non bur­
niques rythmiques ? lesques d e Hawks. La femme n 'y est pas
source de catastrophe. Elle se contente de
— Pour ce qui est de la vitesse, j'ai été
dominer l’homme. Ce qui est une inversion de
formé à la vieille école des comédies en l'ordre du monde. D'où la comédie.
deux bobines où fout ce qu'on recherchait,
c'était la vitesse. Les gens semblaient aimer Pourquoi Jaffe, qui est le créateur, l'homme
ça. je me suis dit : pourquoi ne pas jouer doié d'énergie, va-t-il se laisser subjuguer par
toute une comédie à ce rythme ? Le seul Lily G arland qui est une * nature » ? Parce
autre film supposé rapide était The Front qu'il est un intellectuel, un homme qui n'af­
P a g e; j'ai dit ailleurs qu'il avait un serfs fronte pas directement le monde dans un
faux de la vitesse. Dans La Patrouille de combat physique, mais entend l'imaginer.
l'aube, nous avons glissé sur les effets, nous Comme dans toutes les autres comédies
dispensant des scènes chargées d'émotion et hctwksiennes, la nature se vengera cruelle­
du cabotinage de mise jusqu'alors. En consé­ ment de cette renonciation au rôle viril.
quence, je recevais chaque jour des notes de
la direction, me disant que je ne tirais pas Jaffe, donc, découvre la déhutanie Lily
tout le profit voulu de mes scènes, alors que et en plie la « nature » à sa volonté, en la
je me contentais simplement de les jouer sur soumettant cr sa discipline physique. Car, ne
un autre registre, Voilà tout. l'oublions pas, chez Hawks, l'homme n'accepte
jamais les lois physiques naturelles. II impose
— La scène dans le compartiment du w a­ les siennes à la nature. Or, Jaffe commet
gon de chemin de fer, quand elle essaie de cette erreur fatale, source de toutes les comé­
frapper Barrymore, semble particulièrement dies comme de toutes les- tragédies hawksien-
improvisée. Qu'en est-il? . nes, de tomber amoureux de la nature, c'est-
à-dire de la femme. A ce moment, il est
— C'est la première scène du film que perdu. La nature de la femme prend le dessus
nous avons fournée. Lombard n'avait jamais et, consciente de sa force, lui échappe. Le
joué ce genre de comédie auparavant, mais génie de Jaffe, n'ayant plus d& matière à
je •lui avais donné ce râle après l'avoir vue travailler, subit échec sur échec. D'où la
au cours d'une party : elle avait bu quelques nécessité, vitale pour lui, de la reconquérir.
verres, ellle était hilare, scms inhibition,
juste ce qu'exigeait le rôle. Mais quand elle Commence alors cette folle poursuite dans
arriva sur le plateau, elle ruisselait d'émo­ le « Twentïeîh Century », ce train de luxe qui
tion. Elle essayait très dur, mais c'était terri­ allie à l'énergie la puissance et la grâce
blement difficile. Baiiymore était plein de et qui est le symbole de notre vingtième
patience et nous avons fait plusieurs essais, siècle où l-'homme délègue à la machine ce
mais elle était raide et comme paralysée. rôle que tente de lui ravir la femme. Jaffe
Alors je lui dis : « Ecoutez, on va faire un v a donc se livrer à une fantastique dépense
tour. » Nous sommes sortis, je lui ai demandé d'énergie qui le dégrade et le rend simiesque.
combien d'argent elle gagnait pour le film. il ne parviendra à son but qu'en simulant
Elle me le dit et je lui répondis : c Que pen- son agonie. La femme s'émeut alors d e son
seriez-vous si je vous disais que, ce matin, propre triomphe. Emotion qui, comme toute
vous avez gagné tout votre salaire et que émotion chez Hawks, lui sera fatale et rendra
vous n'avez plus besoin de jouer ? * Elle fut à Jaffe son énergie première. Il récupère sa
frappée de stupeur. Je lai d is: « Eh bien, création.
oublions la scèn e; que ierie 2-vous si quel­
qu'un vous disait ceci et cela ? > Elle dit : La mise en scène est faite sur le verbe, qui
« Je lui placerais un uppercut à l'estomac. » est plus crié que parlé, sur la gesticulation,
Moi : « Eh bien, c'est plus ou moins ce qu'il qui est effort physique exaspéré, sur la tré­
vous a dit, pourquoi ne le frappez-vous pas ? » pidation, le rythme syncopé, bref sur la dé­
Elle : « Vous rigolez? » Moi : « Non. » Nous perdition colossale d'énergie propre à la créa­
sommes retournés sur le plateau, je lui ai tion même. Twentieth Century prélude ainsi à
laissé un moment pour réfléchir. Ensuite, on His Girl Friday qui poussera cette déperdi­
a essayé la scène. Une prise, et ça y était. tion à son paroxysme, au point qu'on sort du
Et, par la suite, Barrymore m e déclara ; film complètement groggy. — J. Dt.

20
BARBARY COAST qu'eJJe devait épouser a été tu.é a u cours
d'une rixe de jeu. 7e n'ai pas beaucoup aimé
le film. Je le trouvais trop artificiel, plus ou
1955 — BARBARY COAST (ville s a n s loi) moins faif sur commande. Comme dit Ben
(Samuel Goldwyn - United Aitîsts), Hecht ; « Myriam Hopkins débarqua à Bar­
90 min. bary Coast et erra alentour, comme une
Prod. ; Samuel Goldwyn. Sc. ; Ben Goldwyn Girl égalée. »
Hecht. Charles M cAithur. Ph. ; Ray
June. Mus. : Alfred Newman. Dir.
A rt. : Richard Day, Cost. : Omar Un fait divers historique a inspiré Hawks
Kiam. Mont. : Edward Curtis. /Iss. dans Barbary Coast : l'arrivée fracassante à
Réal, : W alter Mayo. San Francisco, en pleine ruée vers l'or,
d'Eléonore Dupont, jolie femme effrontée et
Int. : Myriam Hopkins (Mary Rut- forte en gueule à l'accent français prononcé
ïedge), Edward G. Robinson (Louis
Chamaîis), Joël McCrea (James Carmi- qui devînt une célèbre paironne de maison
chaeï), W alter Brennan (Old Atro- de jeux, s'enrichit aux dépens des desperados
city), Frank Craven {Colonel Marcus de l'époque, mit s a vertu plusieurs fois aux
Aurelius Cobb), Brian D o n 1 e v y enchères et mourut respectée, sous le nom
(KnuchJes), Clyde C ook {Oakie), Harry de Mme Moustache, à cause du fin duvet
Carey (Slocum), Matt McHugh (Bron- qui lui était venu sur la lèvre supérieure...
cho), Otto Hoifm an (Peebes), Rollo Sujet pittoresque, grouillant de vie, lui fournis­
Lloyd {Wighatn), J.-M. Kerrigan sant l'occasion de camper quelques figures
(Juge Harper), Donald Meek (McTa-
vish), Fred Vogeding {capitaine), étonnantes d'aventuriers ratés, tel le savou­
Dave W engren (quartier-maître) , An- reux * Old Atrodty », descendant en droite
ders V on Haden (McCreaty), Jules ligne de Falstaff, et d'autres réussis (ce qui
Cowles (pilote), Cyril Thornton {ste- ne leur évitera point la coi de), comme le
Wart), Roger Grey. splendide Edward Eobinson, lequel a une
manière bien à lui de descendre l'escalier de
Résum é : San Francisco 1849. La première son tripot ou d'aguicher les dames qui, sur
ruée vers I*or a fait de Frisco la capitale de le plan de l'arisîocraîie du geste, n 'a rien à
cette a Barbary Coast » (Côte sauvage) envier aux éléganls de Scarface.
qu’était alors la Californie, Aucune femme
blanche n ’aurait consenti à se risquer dans C'est Anna Sten qui devait, dit-on, inter­
ce milieu de forbans et de hors-la-loi, jus­ préter le rôle de la belle entraîneuse : Myriam
qu’à l’arrivée de iMary Rutledge — Swan Hopkins l'obtint, et il semble que l'on ait
pour les intimes — dont 1’ « abattage » fait gagné au change. Elle et Robinson forment,
tout de suite sensation. Chamalis, le maître on s'en doute, un couple haut en couleur. Ne
des tripots de la ville dam née la prend aussi­ manque qu'un troisième larron pour que le
tôt sous sa coupe et la transforme en entraî­ triangle hawksien soit équilatéral : ce sera
neuse, chargée d ’attirer dans son cabaret (la Joël MacCrea, incarnation d'un autre type
« Beila Donna ») les chercheurs d ’or en mal
de tapis vert. d'humaniié virile, moins surprenant peut-être
mais d'une égale noblesse. Autour d'eux, la
Roulettes truquées, meurtres quotidiens de ville, colorée, chatoyante, brutale, avec d'as­
braves bougres^ intrigues sordides... T out
irait pour le mieux dans le pire des mondes sez beaux effets de brume. Le film est contem­
si un jour n ’intervenait un journaliste plus porain du Mouchard de Ford, auquel on l'a
courageux que les autres, Cobb, un séduisant comparé quelquefois : mais nul expression­
prospecteur venu de l’Est et le bataillon des nisme, pas la moindre trace de iam raerspiel
o Vigilants ». Le premier sera lâchement ne viennent ici troubler les perspectives.
assassiné par Knuckles, un tueur à gages, ce L'humour, la poésie, la franchise de ton qui
ui provoquera les hurlements réprobateurs y régnent en maîtres ne sont pas pipés ; et
e la foule ; le second rachètera {aux deux si l'on peut à bon droit parler d'atmosphère
sens du terme) la belle Swan ; quant au
corps de troupe venu in exfremis a la res­ réaliste, a u sens non encore trafiqué des
cousse, c’est le deus ex machina qui se char­ termes, c'est bien à propos de Barbary Coast,
gera _ de châtier les méchants, auxquels sera qui est en outre l'un des premiers films de
appliquée la loi du lynch. notre auteur à imposer la tradition d'un style
picaresque purement américain. — C.B.
Mais Chamalis, avant d ’être capturé, aura
eu un beau geste ; ém u par la sincérité de
l’amour des deux jeunes gens, il les laissera,
magnanime, fuir à toutes brides vers un des­ CE1LING ZERO
tin meilleur.
1936 — CEILING ZERO ( b r u m e s ) (Cosmopo-
litan Pictures - First National - W ar­
< Je ne me rappelle plus le sujet, sauf ner Bros), 95 min.
qu'il s'agissait d'une jeune fille qui arrive à Prod. : Harry Joe Brown, Howard
San Francisco pour découvrir que l'homme Hawks. Sc. : Frank W ead, d ’après

21
Ce fihn se présente comme une esquisse,
tant par l’idée que lcr construction, de Seuls
les anges ont des aiies. Il est d’autre part
tiré d'une pièce qu'il suit, semble-t-il, très
fidèlement, étant donné la rareté des exté­
rieurs, l'unité du lieu, la place accordée au
dialogue. En fait, même originaux, même pris
□ des romans, les scénarios de Hawks doi­
vent beaucoup au théâtre : ils en gardent
presque fout -— sauf la théâtralité, (Ce sera
au contraire sur cette théâtralité que la géné­
ration d’après guerre, Welles, Kazan, Losey,
les trois Mann, Brooks, Aldrich, etc., aim era
à renchérir.)
Ce qui fait 3a force de Hawks, c'est qu'il
est sans complexes, loin de la nostalgie du
muet, comme des tentations de la scène. II
nous livre lui-même l'un de ses trucs : la
rapidité d'élocution, servie p a r l'adm irable
prise de son de l'entre-deux-guerres ; mais le
mystère de la « direction d'acteurs »/ sur­
tout chez lui, ne se laisse pas réduire à
Jam es Cagney e t P a t Q 'B rie n dans Ceiling Zéro.
quelques recettes. Ce qu'un film comme celui-
ci met en lumière, c'est le refus net de biaiser,
la façon de choisir les moments les plus
ingrats, cinématographiquement parlant —
sa pièce. Ph. ; A rthur Edeson. Mus. : longs discours où l'action piétine, ou, au
Léo F„ Forbstein. Dir. A rt. : John contraire, emphase des temps forts — sans
Hughes. Mont. ; W illiam Holmes. qu'il y ait jamais ni stagnation, ni outrance,
Jnf. ; James Cagney {D izzy DaVin), ni, bien qu'on y pleure souvent, de pleurni­
P at O ’Brien (Jacfo Lee), June Travis cheries. De tels films défont en nous l'idée
(Tommy) Stuart Erwin (Texas), fsa- d'un cinéma flegmatique et de suggestion à
bel Jev/ell {Lorî), Henry Wadsworth
(Tay), Craig Reynolds (Joe A tien), Ri­ quoi, curieusement, s'identifie celui de Hcrwks.
chard Purcell (5mi/ey) Robert Light, dans le souvenir. Le paroxysme et le b av ar­
Gary Owen, Barton McLane, Martha dage, vices chéris des années 50, sont là
Tibbetts, Edward Garyn, Carlyle déjà, mais ne sont pas vices.
Moore jr, Addison Richards, Pat West,
Matilda Comont, James Bush, Un mot encore sur l'idée — matérialisée ici
par le brouillard et les télécommunications
Résum é : L ’aérodrome d ’une compagnie — d'un espace hetérogène, indéfini, farci de
d'aéropostale. Au cours d ’un vol sans visibi­ pièges, qui est celui de l'homme en action.
lité, un pilote, affolé, abandonne courrier et Et Hawks n'aime p as à doter le spectateur
avion pour sauter en parachute. Le lendemain,
Jack Lee (P. O ’Brien), chef de l'aérodrome, d'un point de vue privilégié p ar rapport au
attend anxieusement un avion en retard. héros. Ce qui rend son style si difficile à
L ’avion arrive bien, piloté par Dizzy (J. Ca­ définir, c’est qu'il ne répond ni a u point de
gney}, pilote de la vieille école qui n ’est pas vue du narrateur — de Dieu — (pas d e mou­
formé aux horaires stricts du fonctionnarisme : vements d'appareil descriptifs, ou d e plan
il s ’était posé près d ’une piscine pour voir fixe weïlesien), ni des personnages {style
des filles. Cette conduite h ’est pas appréciée d'associations d'idées). Il y aurait beaucoup
par le commissaire des vols. Le soir même. à dire sur le découpage — « classique > selon
Dizzy, pour ne pas manquer un de ses nom­ Bazin — de Hawks. Le choix de ce qu'il
breux rendez-vous galants, se fait remplacer
par un autre pilote, Texas. Celui-ci vole sans montre ou ne montre p as surprend toujours,
visibilité, tente un atterrissage dans le brouil­ et s'impose p a r son existence, sans que
lard : son avion s’enflamme et on le trans­ nous parvenions très bien à le justifier. II
porte à l’hôpital. La femme de Texas accuse semble que la nécessité interne de l'art fasse
Dizzy d ’être responsable de l’accident. On lut écho, ici, à la cohésion du monde, selon les
retire sa licence de vol. Peu après, un jeune lois d'une homothétie dont la formule reste
pilote doit accomplir un vol de nuit dange­ encore à découvrir. — E. R.
reux en raison du brouillard ; avant le départ,
Dizzy l’assomme et prend sa place. Texas
meurt pendant que Dizzy vole sans visibilité. THE ROAD TO CLORY
Lee ordonne à Dizzy de revenir, qui refuse :
son avion tombe en vrille et explose au sol. Lee
ne peut plus que réunir les fragments de la 1936 — T H E ROAD T O GLORY ( l e s c h e ­
carte de pilote de Dizzy, pour les conserver. { F o x ) , 95 m in.
m i n s DE LA g l o i r e )

22
Prod. : Darryl F. Zanuck (/Iss. ; C'est la règle du jeu. Ils essaient des avions ;
Nunnally Johnson). Sc. ; Joël Sayre, ils essaient des voituies, Ayant été formés à
William Faulkner, d'après le film fran- l'armée, ils acceptent les ordres, quels qu'ils
iis Les Croix de Bois, de Raymond
S ernard, tiré du roman de Roland
soient. C'est ainsi que fonctionne une armée.
La calme acceptation des faits. Dans Seuls
Dorgelès. Ph. : Gregg Toland. Mus. :
'Louis Silvers. Dir. A rt. : Hans Peters. les anges ont des ailes, après Ja mort de Joe,
Déc. : Thomas Little. Cost. : Gwen Cary Grant dît : « Il n'était pas assez bon,
Wakeling, M ont. ; Edward Curtis. voilà tout. > C'est la seule chose qui main­
Réal. : Ed. O ’Fearma. tient les gens en étaf d'agir. Ils n o n t qu'à
Int, : Frédéric March (lieut, Michel se dire ; * Joe n'était pas assez bon, et je
De-net), W arner Baxter {cap. Paul L a ­ suis meilleur que Joe. Je continue et fais le
roche), Lionel Barrymore [Papa Laro­ boulot. » Et ils découvrent qu'ils ne sont pas
che), June Lang (Monique), Gregory meilleurs que Joe, mais c'est trop tard, voyez-
Ratoff (Boufjiou), Victor Kilian (Ré­ vous. »
gnier), Paul Stanton {capitaine d e la
relève), John Qualen (Duflous), Julius
Tannen (lieut. Tannen), Theodore V an Son film le plus dément. Qui évoque Gance
Heîtz [major), Paul Fix {Rigaud), ou Vidor. Et c'est normal, puisque se vou­
Leonid Kinskey (Ledoux), Jacques
Vernaire (docteur), Edythe Kaynore lant peinture et critique du romantisme de
(infirmière), George W arrington (vieux la guerre.
soldai).
The Jîoad ïo Glory met en conflit deux
Résumé ; Près du front, en 1914, dans le types d'homme. Le çapitaine, être faible qui
camp d ’un régiment français : un lieutenant rêve de gloire, mais, par manque d'effica­
(F. March) s ’éprend, au cours d’un bom barde­ cité et de prise sur le réel, se retranche
ment, d'une jeune infirmière (J, Lang), en derrière son devoir. Le lieutenant qui affronte
ignorant qu’elle est la fiancée de son capi­ le monde, agit, risque, décide, bref domine
taine (W. Baxter). Celui-ci est célèbre sur tout simplement la vie et la guerre sans s'en
le front, car il perd, à chaque attaque, la moi­ faire un titre de gloire. Le conflit inverse,
tié de ses effectifs. Le régiment monte au donc, de celui de The Dawn Patrol. Le roman­
front, à la relève, et trouve, dans la tranchée tisme de l'action appartient au chef. Son
qu’il occupe, un blessé prisonnier des barbe­
lés : deux volontaires tentent de le libérer, réalisme au subordonné.
l’un d ’eux meurt, l’autre est blessé à son tour, Une fois de plus, c'est par rapport à la
le lieutenant va le chercher et le sauve, tan­ femme que prend son sens le conflit hawk­
dis que le capitaine abat le premier blessé.
Les rapports aes deux hommes se tendent. sien. C'est donc avec elle que le film com­
Après de longs moments d ’angoisse dus à une mence. Dans cet univers cruel et terrifiant
tranchée souterraine de sape creusée par les de la guerre, c'est un portrait de femme douce,
Allemands, le régiment est relevé par ceux consolatrice, refuge des affligés que l'auteur
qu’il avait lui-même relevés, à temps pour les nous propose en cette infirmière bénévole,
voir sauter sur la mine allemande. A l’arrière, un personnage presque sorti des films de
arrivent de nouvelles recrues, dont le père, Griffith. Il y a en elle un caractère marial,
volontaire, du capitaine. Le capitaine décou­ mis en évidence dans les scènes de l’église.
vre les rapports du lieutenant avec l ’infirmiè­
re. Ils montent de nouveau au front, pour Elle n'en est que plus dangereuse.
poser une liaison téléphonique : la mission En se fiançant avec elle (début du film),
échoue par la faute du père, aui, affolé, abat
ses camarades. Le capitaine charge le lieute­ le capitaine commet une « mésalliance Ne
nant de ramener le père à l'arrière pour le cherche-t-il pas à se concilier une nature
faire juger, le lieutenant en profite pour re­ aimante et protectrice, alors que, chef, il doit
trouver l’infirmière dans un hôpital ; il est commander contre une nature éminemment
surpris par le capitaine, blessé. Le lieutenant hostile ? Il abdique ainsi son véritable rôle
dévoile alors tout au capitaine, avant de s'aper­ d'homme et se laisse dérober son. énergie
cevoir que celui-ci est aveugle. Désespéré, le morale. Dès lors, il ne déploiera plus qu’une
capitaine, guidé par son père, remonte en li­ énergie de fonction. Une énergie illusoire, sans
gne. réussit à poser la liaison téléphonique,
et dirige sur lui un tir d'artillerie : un obus prise sur le monde, qui ne peut courir
les tue. Le lieutenant, nommé capitaine, fait qu'après un pur rêve de gloire. Elle est
à ses hommes le même discours, avec les m ê ­ aussi vaine que celle de son père, auguste
mes attitudes, que son ancien chef. vieillard, donc homme dégradé (et même
au sens propre du mot, puisque, ancien offi­
cier de la guerre de 70, il accepte de servir
c Les hommes dans vos films de guerre et comme simple poilu) qui p ar manque, lui,
d'aventures ne mettent jamais en question d'énergie physique se comportera comme un
les conditions impossibles dans lesquelles ils couard. Leur deux faiblesses s'uniront pour
doivent travailler. réaliser finalement leur songe d’héroïsme
— Us savent qu'ils n 'y gagneraient rien. cocardier.

23
Le lieutenant, en sauvant (deuxième scène w ard Hawks, William Wyler. Récil.
du film) la femme du bombardement, donc A d j. : Ross Lederm an (scènes de
de la nature hostile, la prend sous sa pro­ forêt). 5c. ; June Murfin, Jules Furth-
m an, d ’après le rom an d ’Edna Ferber.
tection pour défendre et reconquérir le droit Ph. : Gregg Toland, Rudolph Maté.
à une nature paisible. Celte attitude d'homme •Mas. ; Alfred Newman. Monf.
lui est une source nouvelle d'énergie. Mais, Edward Curtis.
en s'em parant de l'amour de cette femme, il Int. : Edward Arnold {Barney Glas­
se lie à elle. Processus fatal de dégradation : gow), Joël McCrea {Richard Glas­
son énergie morale vacille. Il trahit la con­ gow), Fiances Farmer (Loffa), Walter
fiance de son capitaine. Les rôles vont alors Brennan (5u)an Bosirom), Andréa
s'inverser. Abandonné par la femme, le Leeds (Eüoie Glasgow), Frank Shields
capitaine peut devenir un héros. Le lieute­ (Tony Schwerke), Mady Christians
nant qui lui succède dans son commande­ (Karie), Mary Nash (Emma Louise
Glasgow), Edwin Maxwell (Sid la Mai­
ment reprend mot pour met son discours re), Clem Bevans (Gunnar Gallagher),
c glorieux » aux troupes. Captif de la femme, Leoncie Rouy-Dementis.
il connaîtra à son tour la faiblesse et devra
parcourir la même route vers la gloire. Résumé ; E n 1864, on commence à déboi­
Ce film de pur délire, photographié d'une ser les forêts de l’Amérique du Nord, pour
satisfaire aux besoins croissants de ["industrie
manière proprement fantastique p ar Gregg du papier. Barney Glasgow, qui travaille, avec
Toland, avec des sources de lumière plus son am i Swan Bostrom, sur un chantier appar­
mystérieuses les unes que les autres, a un tenant à l’industriel Hewitt, croit, en bon A m é­
étrange pouvoir d'envoûtement. Il prélude à ricain, q u ’il pourra devenir milliardaire en pra­
toute une longue série de films d'aventures tiquant le commerce du bois. Lorsque He’w itt
qui, de O nly A ngels Have Wings jusqu'à lui propose d ’épouser sa fille, Emma-Louise,
Big Sky, vont traiter de l’errance spirituelle et de s associer avec lui, l'ambitieux accepte,
et morale de l'homme dans un monde plus abandonnant sans regrets Lotta, une jeune
mouvant, moins préhensible que précédem­ femme rencontrée dans un tripot un soir de
bagarre, à laquelle il a promis le mariage.
ment. — I.Dt. Lotta s'efface pour ne pas contrarier les pro­
jets de Barney. Elle accepte d ’épouser Swan.
(COME AND CET IT) 1907. — Barney est arrivé à ses fins. Pro­
priétaire des immenses usines Hewitt, il a
conquis à la fois la richesse et la puissance.
1936 — COME AND GET IT ( l e v a n d a l e ) Swan Bostrom, qui a continué de vivre dans
(Samuel Goldwyn - United Artists), la forêt, l'invite un jour à son domaine cam­
105 min. pagnard. Lotta est morte, mais elle a laissé
Prod. : Samuel Goldwyn. Réaï. ; Ho- une fille, qui porte son nom. Croyant retrou­
ver celle qu'ïl avait sacrifiée à son ambition,
Barney s'éprend de la jeune Lotta. Mais il en­
tre en rivalité avec son fils, Richard, qui prend
d*abord Lotta pour une intrigante, Finalement,
pour la première fois de sa vie, Barney devra
tenir compte d ’une autre volonté que la sien­
ne. Lotta aim e Richard. Le père et le fils
m anquent d ’en venir aux mains, mais c’est
Richard qui l’emporte et épouse Lotta.

La fin du film n'allait pas, et Goldwyn se


faisait du souci. Hawks récrivit un certain
nombre de scènes et les montra au produc­
teur. Q uand il s'aperçut que Hawks les avait
écrites lui-même, il dit : < Les metteurs en
scène ne devraient p as écrire »P et là-dessus
Hawks abandonna le film. W yler tourna envi­
ron 270 mètres des scènes que Hawks avait
écrites.

BRÏNCIN G UP BABY

1938 — BRINGING UP BABY ( l ' i m p o s s i b l e


MONSIEUR BÉBÉ) (R.K.O.), 102 minutes.
Prod. : Howard Hawks (Ass. prod, :
Cliff Reid). Sc. : Dudley Nichols, Ha-
ger W ilde d ’après Hager "Wilde. Ph. :
C om e and Get lt . Russell Metty. Mus. : Roy W ebb.

24
Dir, A rt. : V an Nest Polglase, Perry
Ferguson. Dé c. ; D anell Silvera.
Cost. : Howard Greer, Mont. ; Geor­
ge Hively. E ff. Sp. : Vernon L.
w a\ker. Xss. Réal. ; Edward Dona-
hue.
Int, ; Cary Grant {Daoid Huxley),
Katherine H epburn (5«son), Charlie
Ruggles (Major Applegate), May Rob-
son (Tante Eïizabeth), Barry Fitzge­
rald (Gogo rfy), Walter Catlett (Slo­
cum ), Fritz Feld (Dr. Lehman), Lena
Rota e rts (Mrs. Gogartu), George Irving
(Peabady), T ala Birrell (Mrs. Lehman),
Virginia Walker (A lice Swallou)), John
Kelly (Elmer) Asta [Baby), NisSa (mé­
chant îécvfsard).
Résum é ; U n jeune et naïf paléontologue
(C. Grant), cherchant des crédits pour son
musée, se m et en frais pour suivre au golf
l’avocat d 'u n milliardaire et tombe sur une
fille (K. Hepburn) qui lui prend d ’abord sa
balle, puis sa voiture, puis l’enlève, puis le
laisse. Il la retrouve dans les salons de l ’hô­ C a r y G r a n t, A s t a et K a th e r in e H e p b u r n d a n s
tel où il a rendez-vous avec l’avocat : en peu
de temps les catastrophes s’amoncellent au­ Bringing Up Baby.
tour d ’eux. Charmée par lui, elle feint, le len­
demain, d ’être attaquée par un léopard appri­
voisé (Mr. Baby) pour le faire venir a son certainement Hepburn, Voyez-vous, comme je
secours. 11 faudra encore q u ’ils affrontent en­ vous Je disais, vous partez d'une caricature
semble la tante milliardaire, son ami explo­ très poussée et ensuite vous l'atténuez, en
rateur qui pousse dans un parc des cris de
fauve, un léopard sauvage échappé d ’un cir­ rendant au personnage le sens du normal,
que, un chien, Georges, qui a caché la cla­ car il ne se serait guère amusé en continuant
vicule du dinosaure du musée, les quatre élé­ à vivre comme p a r Je passé. A mesure que
ments et leurs traîtrises, un voisin psychiatre, Je film progresse, il devient de plus en plus
le shériff et la prison, avant de s'embrasser, normal, à force de fréquenter la jeune fille.
enfin, sur le squelette écroulé du dinosaure. Grant me disait : < J'ai l'impression que ma
caractérisation part en morceaux, » Je lui
c Dans L'impossible M. Bébé et dans plu­ répondis : * Non, c'est la fille qui a une
sieurs de vos comédies n'exprimez-vous pas influence sur vous. Vous commencez à deve­
votre lassitude envers les savants ? nir normal. »
— Non, si vous devez faire un film, ce qui — Hepbum représente-t-elle la normale ici ?
est drôle, c'est d'en flrer une « caractérisa­ — Je ciois que 1e film a un grave défaut,
tion » (1), quelque chose de très proche de la j'ai beaucoup appris de lui. Il n 'y avait per­
caricature. Mais, au moment où vous faites sonne de normal. Tous Jes gens qu'on ren­
de Ja caricature, on vous accuse de vous contrait étaient cinglés. Depuis ce temps-là
moquer du monde. En réalité, vous n'avez j'ai appris ma leçon et je n'ai p a s J'infenfion
fait que choisir des détails caricaturaux — de jamais rendre à nouveau fout Je monde
l'attitude des Journalistes, J'affitude des sa ­ cinglé. Si Je jardinier avait été normal, si le
vants — et l'on croiî que vous les ridiculisez. shérif n'avait été qu'un brave homme de la
C'esf pourquoi un savanf, ou un inventeur, ou campagne mal assuré... mais, tels quels,
un homme qui se trouve dans un endroit inté­ tous étaient décentrés. Et j’ai réalisé mon
ressant, est amusant à décrire. C'est un tra­ erreur après coup et je ne l'ai plus renou­
vail proche de 1er caricature, et nous l'utili­ velée. Harold Lloyd m'a dit qü'il considérait
sons pour le Western, dans n'importe quel que c’était la comédie la mieux construite
film. Si vous ne recourez pas ce la caricature, qu'il ait jamais vue et que, pour lui, c'était
vous n'avez p a s de personnage. un classique.
— A la fin du film, Grant a-t-il abandonné ■ — C'est un film plus sombre que la plupart
sa vie scientifique ? des comédies ?
— Disons qu'il a des sentiments mêlés. Il — On a tendance à commencer une comé­
s'est beaucoup amusé, et, si vous deviez die avec un titre très drôle et des dessins
choisir entre les deux femmes, vous choisiriez qui semblent dire : < Et maintenant, on va

(7) Caractérisation : néologisme américain pour désigner l'art avec lequel un acteur approfondit un
personnage, un « caractère ».

25
bien s'amuser. » Hatari débute presque en au-delà de toute nécessité — mais aussi au
tragédie, et ce n'est que lorsqu'on découvre sens plus général de reproduction. Répéter
que l'homme va vivre que ça devient drôle. un acte, c'est en rogner la finalité, c'est le
Le rire esf venu peu à peu ; on n'avait réduire à sa figure littérale. L'action n 'a
pas dit qu'il fallait rire. Et plus dangereux d'autre avenir, ici, qu'elle-même, la réussite
et pins excitant ça devenait, plus facilement même n 'a pas de sens. La différence entre
on ri ait. Capra et Hawks est que le second n 'a jamais
— Il y a pourtant dans les scènes noctur­ cru à la réussite rooseveltienne.
nes entre Grant et Hepbum en train de cher­ 4° J'en arrive enfin au point d'où j'aurais
cher l’os une tonalité très sombre, malgré la pu partir. Si chaque gag répète le précédent,
drôlerie de la situation. si chaque film répète le précédent, il ne
— Pour Cary, c'était une véritable tragé­ reste au critique q u'à se répéter à son tour.
die, n'est-ce pas ? Voyez-vous, un savant a Ce qui a été, sera. — A.S.L,
sa dignité. S'il se met à marche r à quatre
pattes pour aller chercher quelque chose, il
devient drôle. ChapZin excellait dans ce genre ONLY ANGELS HAVE WINGS
de situation. CeJa remonte à A Girl in Every
Port, quand ils poussent le policier dans 1939 — ONLY ANGELS H A V E WINGS
l'eau. Ils n'aimaient pas les flics. Ils n'étaient (Co­
(SEULS LES a n g e s o n t DES A rLEs),
ni vicieux ni mesquins, mais les policiers Jes lumbia) , 121 m inutes.
empêchaient de s'amuser et ils leur firent un Procf. ; Howard Hawks. Sc. : Jules
tour. Plus on a de dignité... Kafie Hepbum, Furthman, d ’après H oward Hawks,
dans L'Impossible M. Bébé, perdant le dos de Ph. ; Joseph w alker, Elmer Dyer (sé­
sa robe, devenait drôle, parce qu'elle était quences aériennes). Mus. : Dimitri
sur son trente, et un, si supérieure à ioufe Tiomkin, dirigée par Morris W . Sto-
la situation et finalement si ridicule... » loff. Dir. Art. ; Lionel Banks. Cast. :
Kalloch. Mont. : Viola Lawrence,
Eff. Sp. : Roy Davidson, Edwin C.
Quatorze ans avant Monkey Business, onze Hahn.
ans après Paid To Love, Bringiag Up Baby Jnt. : Cary Grant (G èoff Carter), Jean
est la preuve par l'absurde de la grande Arthur (Bormte Lee), Richard Barthel­
mess (Bat McPherson), Rita Hayworth
Iegon de maturité qui s'épanouit dans The (Judith), Thomas Mitcheli (K id Dahb),
Big Sîeep, iffed River et The Big Sky. Le < hé­ Sig Ruman (Dutchie), Altyn Joslyn
ros » ne lutte plus : le voici retombé en {Les Peters), Noah Beery Jr. (Joe Sou»
enfance. Ce qui appelle quelques remarques f/ief), John Carrol (Gent Sheîfon), V ic­
concernai! aussi bien les causes de cette tor Kilian (Sparts), Donald Barry (Tex
démission que la façon dont Hawks l'exploite. Gordon), Meiissa Sierra (Lily), Lucio
Villegas (Dr. Lagorio), Forbes Murray
1° La femme. La femme, disait Kierkegaard, (Hartwood), Maciste (guitariste).
est essentiellement comique : elle appartient
donc à la catégorie du fantastique. Celle Résumé ; Un poit d ’Amérique du Sud :
que nous propose Hawks est de la même une compagnie d aviation privée doit accom­
famille : un être puéril dont l'â g e mental plir un certain nombre de vols jpour obtenir
un contrat de l’Etat. U ne fille, Sony (J. A r­
n'excède guère celui de lerry Lewis. C'est thur), descendue à l’escale de son bateau, est
là, notons-le en passant, l'un des deux types accostée par deux pilotes : au bar-siège de la
de femmes selon Hawks, l'autre étant repré­ compagnie, elle rencontre leur chef, Jef (C.
sentée p a r la Lauren Bacall de To Have Grant), pendant qu’un des deux pilotes part
and Have Not et de The Big Sieep, exemple en mission. Ü doit bientôt revenir, n ’ayant pu.
assez rare de la femme mcdeme. à cause du mauvais temps, franchir une passe
des Andes. Malgré les ordres de Jef et la
2° La logique. Issue en droite ligne de Mack tempête, il tente de se poser, pour pouvoir
Sennett, elle suit un canevas immuable : a) dîner avec Bony : son avion prend feu et il
mise en place du gag (exposition) ; b) réa­ meurt. Bony se met à aimer Jef. Arrive un
lisation du gag (développement) ; c) consé' pilote en remplacement (R. Barthelmess), avec
quences (conclusion). Tradition très pure du sa femme Tudy^ (R. Hayworth), ancienne fian­
burlesque cinématographique où le comique cée de Jef, qui l’avait quitté à cause de son
métier trop dangereux. Le pilote, qui s’est pré­
n'éclate pas en gerbes comme chez les Marx, senté sous un faux nom, M cPherson, est dé­
mais tire ses effets les plus sûrs de la coati» masqué par Jef : il avait abandonné, en sau­
nuité de l'action engagée. tant en parachute, son avion en vol, en y
3° La répétition. Lorsque toutes les consé­ laissant le mécanicien, frère du vieil ami de
quences du gag ont été tirées, on passe au Jef : cc the Kid. d (Tli. Mitcheli). T andis
que Jef confie les missions les plus dange­
suivant. Répétition au sens théâtral du mot reuses à McPherson, « the Kid », trop myope,
— rappelez-vous Twentieth Century où les se voit interdire le vol par Jef. Mais il Teste
actes n'en finissent pqs d'être recommencés un vol à accomplir avant l’échéance : Jef veut

26
Cary G rant, AUyn Joslyn, R.Ua H a y w a tih et Richard B aithelm ess dans OnJy Angcls H av e W ings.

s’en charger, a the Kid », pour l’accompagner, que nos personnages n'agissent pas comme
tire à pile ou face avec une pièce truquée. une héroïne ou un héros. Ce sont faut juste
Bony, en menaçant Jef d ’un revolver pour des gens normaux. J'appelle cela de J'hon-
l’empêcher de voler, !e blesse accidentelle­ nêfeté, ça vous permet de faire une scène qui
ment : c’est McPherson qui part avec le frère soit un peu différente, Hitchcock s'y est
de son ancienne victime. En vol, un condor
brise la vitre de l’avion et blesse « the Kid », essayé avec La Mort aux trousses.
qui demande à McPherson de l’abandonner — Parmi les incidents décrits dans SeuJs
et de sauter : celui-ci refuse et parvient à Jes anges onf des aiJes, y en a-t-il beaucoup
ramener l'avion à l’aérodrome. Là, Bony de­ que vous avez entendu raconter ou connus
mande à Jef s ’il veut qu’elle reste ou q u ’eile directement ?
parte. 11 le joue avec la pièce truquée ; Bony
restera. — Chaque personne s'inspire de faits
vécus. Barthelmess, c'est un homme que j'ai
vu sauter d'un avion, en en laissant un autre
« Dans SeuJs Jes anges ont des ailes vous
derrière fui. Le lien qui unit ces incidents
avez, pour la première fois, établi le thème
de vos scènes d'amour, dont nous trouvons est fictif ; mais, en fait, Je personnage de
Jean Arthur et ses rapports avec Cary Grant
des variations dans Le Port de l'angoisse. La
sont authentiques, reposant sur des faits. L'oi­
Rivière rouge, Le Grand Sommeil, Jîio Bravo
et Hafari. Vous aimez des relations où la seau qui crève Je pare-brise est, Jui aussi,
réeJ. L'endroif était réel : un petit porf de
femme est agressive.
Ja Grâce Line en Amérique du Sud.
— Oui, c'esf la première /ois que j'ai uti­
lisé ce thème, ef on Je retrouve dans Le — Vos personnages mettent leur point
Port de l'angoisse ef Le Grand Sommeil, ef de d'honneur à ignorer la tragédie, p ar exemple
façon évidente dans Rio Bravo ef Hatari. Je quand Cary Grant demande * Qui est Joe ? »
le fais exprès, de temps en temps, parce que après la mort de Joe ?
ça amuse Jes gens, spécialement les gens — C'est très simple. 11 y a deux façons de
que j'aime. Combien de fois va-f-on l'utiliser? voir la chose. Celle de Josef von Sternberg,
Aussi souvent que ça fera rire. C'esf une par exemple. Quelqu'un a eu Ja brillante
méthode de pensée ef c'esf intéressant, parce idée que, si nous tournions un ïùm ensemble,
nous ferions un super-film mcris j'ai dit que inventé. Je J'ai vu de mes propres yeux, ça
c'était profondément ridicule. Nous pourrions m'intéresse, donc, je m'en sers. »
chacun nous m ethe au travail sur la même
histoire, et vous ne la reconnaîtriez plus, tel­
lement nous aurions changé les caractères. Le plus b ea u des films d'aviation de
Sternberg gonfle un petit rien (et à cette épo­ Hawks. Celui dans lequel la sensation du
que il était un de nos plus grands metteurs péril est la plus évidente. Only Angels Have
en scènes aux dimensions d'une grande situa­ Wïngs, avec ses brumes, ses décors et ses
tion, alors que je prends une grande situa­ maquettes, se présente comme une aventure
tion et la mets en sourdine. Nous avons donc intime et fantastique dans le genre, sinon
des points de vue exactement contraires. ]e dans l'esprit, des oeuvres de Josef von
pense que vous provoquez un soupir de sou­ Stemberg,
lagement, quand le public voit poindre une Une fois de plus, le véritable péril n'est
situation familière, usée à la corde, et que point la Cordillère des Andes, ni les misé­
l'on ne l'ennuie pas avec. Juste un petit rables coucous de cette compagnie d 'avia­
coup et on enchaîne ! De toute façon, les tion fauchée, mais la femme. Elle est, avec
gens que je montre et que je choisis de mon­ la nature (l'oiseau final qui brise les vitres),
trer ne dramatisent pas ces situations, ils les la source de toutes les catastrophes.
mettent en sourdine, ce qui est normal avec En revanche, l'homme ne prend conscience
ce type d'hommes. Le film moyen parle beau­ de lui-même, n'est lui-même, que dans et p a r
coup trop; vous devez bâtir vos scènes, bien son métier. Le métier rachète et réintègre
les planter, puis laisser le spectateur faire celui qui avait fauté p ar lâcheté. Il tue celui
un petit peu de travail : qu'il se sente qui, p a r vieillissement, n’est plus en mesure
concerné. Tout script qu'on lit avec aisance de l'assumer et qui, de toute façon, sans lui,
n'est pas bon. Si vous devez Je lire trois fois ne serait plus qu'un mort vivant. Enfin, il
avant de le comprendre, vous risquez d'en devient le véritable rival de la femme, qui
tirer un film. Mais s'il commence par des lui fait une vraie scène de jalousie.
phrases du genre « 11 la regarda et tout le
désir qu'il avait accumulé pendant dix ans Est-il besoin, p ar ailleurs, de rappeler les
apparut dans ses yeux... », je n'ai jamais beautés de ce film célèbre, en particulier
trouvé un acteur qui pût jouer ça. cet extraordinaire exploit sportif q u 'a consti­
tué la prise de vues de l'avion venant se
— 11 y a aussi dans Seuls les anges ont poser au sommet d'une montagne ? Jamais,
des ailes le thème du professionnalisme. Vous peut-être, le génie de Hawks n 'a été plus
avez une opinion très précise à ce sujet? évident que dans cette scène. La confronta­
tion de l'homme, de son effort, de sa gran­
— Et le s hommes dans le film également. deur, avec le monde, confrontation qui tient
C'est leur job, ils sont supposés l'accomplir. du flirt et du défi, prend ici une présence et
Prenez une équipe de cascadeurs aériens : une beauté véritablement stupéfiantes, —
si l'un ne vaut rien, tous sont en danger. Si J. Dt.
quelqu'un perd ses nerfs en attrapant des ani­
maux, toute l'équipe est en danger, J'ai un
enregistrement sonore du bombardement par HIS CIRL FR1DAY
les Anglais de trois barrages, bombardement
qui changea véritablement le cours de la
guerre. Ils arrivèrent tôt le matin sur l'ob­ 1939 — HIS GlRL, FRIDAY ( l a dame du ven­
jectif et le chef dit : < Vous les gars, vous dredi), (Columbia), 92 mintes,
restez groupés, moi je vais faire un four Prod, : Howard Hawks. 5c. ; Charles
complet et voir s'ils ont fendu des câbles. » Lederer, d ’après la pièce « T he Front
Alors l'un d'eux ; * Je vous achèterai une Page », de Ben H echt et Charles
Me Arthur, produite à la scène par
bière au retour. » Kf l'homme de dire : < II Jed Harris. P h. : Joseph W alker.
n'y a pas de câble, on peut y aller tau/ de M us. : Morris W . Stoioff, Dir. A rt. :
suite. > II a/oufe : < 7e vais voler un peu en Lionel Banks. Cosf. ; Kalloch. Mont. :
retrait sur Je côté et en avant de vous, peut- Gene Havlick.
être réussirai-je à attirer leur feu. » Un pilote Int. : Cary Grant (Walter Burns),
sur deux s'en tira, le premier, le troisième, Rosalind Russell (H ildy Johson), Ralph
le cinquième, mais le second, le quatrième, Bellamy (Bruce Baldxvyn), Gene Lock-
le sixième, furent abattus. Je devais filmer hart (Sheriff Hartwelî), Porter Hall
ce sujet. On avait enregistré toute Ja conver­ (Murphy), Roscoe Karns (McCue),
satio n; M. Churchill m'en envoya une copie. Frank Jenks (M'iZson), Regis Toomey
Et ce n'étaient que des gosses, le plus vieux (Sanders), John Qualen (EarZ W il­
liams), Ernest T ruex (Bensinger), Cliff
avait vingt et un ans ; mais, à juger par Edwards (Endicoti), Billy Gilbert (Si-
leur entraînement ils en avaient cinquante ou 7as F. Pinças), Clarence Kolb (Mai­
soixante. Ils étaient comme ça. Je n'ai rien re), A bner Biberman (Lomé), Frank

28
Orth (Duffy), Helen Mack (Mollie
Malloy), Aima Kruger {Mrs. Bald-
win), Pat West, Edwin Maxwell.
Résumé : U ne rédactrice de grand journal,
Hildy (R. Russell), qui veut changer de vie
et « devenir u ne femme », vient demander le
divorce à son mari, W alter (C. Grant) direc­
teur du même journal. A u cours d ’un repas
où il s ’invite, elle lui présente son fiancé,
Bruce (R. Bellamy), homme apathique et
lourd, que W alter prend un malin plaisir à
ridiculiser, ce qui irrite Hildy. Mais elle ne
peut échapper à l'engrenage du journal, où
elle se sent aimée et nécessaire : elle va in­
terroger un condamné à mort qui se dit inno­
cent et qu’on va exécuter. Celui-ci s’évade
et elle doit !e cacher dans une salle de réu­
nion du journal. Pendant q u ’elle ee laisse
reprendre par le tourbillon d ’activité des jour­
nalistes, et que Bruce a des ennuis, provo­
ués par Walter, avec la police, les policiers
écouvrent le fugitif. Ils vont arrêter Hildy et
Walter, quand une lettre innocente le coupa­
ble. Les deux époux se réconcilient, laissant
Bruce et sa mère au poste, et ^font des pro­
jets de voyage : une information arrive qui C a ry G r a n t e t R o s a lin d R ussell d a n s Hîs Girl Friday.
remet en branle toute l’activité du journal et
les entraîne irrésistiblement.

* J'ai voulu un soir prouver à quelqu'un el Lombard, Bogart et Bacall, et prend rrinsî
que Front Page contient le plus subtil dia­ un sens quasi métaphysique : « Des mots,
logue moderne qui ait été écrit. J'ai demandé encore des mots. » — L. Ms.
à une jeune fille de lire le rôle d'Hildy, j'ai
lu celui du rédacteur en chef, je rat suis
arrêté en m'écriant ; « Diable, c'esf meilleur (THE OUTLAW)
enfre une fille et un homme qu'entre deux
hommes ! » J'ai téléphoné à Ben Hecht et
je lui ai dit : « Que penseriez-vous si on 1940 — T H E O U T L A W (le ban ni ), (Hughes
changeait votre pièce ef qu'on fasse d'Hildy Production - United Artists - R.K.O.),
123 minutes.
une jeune femme ? « Il me répondit : * C'esf
une idée formidable ! ». Et nous fîmes le Prod. : Howard Hughes. Rêal. : H o­
film. » ward Hawks (10 jours), Howard Hu­
ghes. S c . Jules Furthman. P h. :
Gregg Toland. M us. ; Victor Young.
Hawks crée là, en un sens, le film améri­ M ont. ; W allace Grissell.
cain p ar excellence, film d'action pure, mais Int. : Jack Buetel (Billy the Kid),
une action étroitement soutenue par le verbe ; Jane Russell (Rio McDonald), Walter
ce verbe étant perçu, non pour sa valeur Huston (Doc Holliday) Thomas Mit-
explicative ou dramatique, mais parce qu'il cheli (Pat Garrett).
fait partie du rythme de vie américain, au
même titre qu'aujourd'hui les autostrades, les Résum é : Un vieux routier du Far-West,
jets et les supermarkets. Doc Holliday, se prend d ’affection pour un
jeune dur, grand amateur de chevaux et pour­
Le maximum de candeur dans les dia­ suivi pour quelques menus méfaits : Billy the
logues coïncide avec le maximum de sophis­ Kid. Le shériff du lieu voit la chose d ’un
tication dans le rendu de ce dialogue. mauvais œil et se promet bien d ’intervenir au
Le langage retrouve s a fonction première moment ad hoc pour liquider le Kid que
d'instrument de communication. H exclut chez protège Doc. Par mesure de sécurité Doc con­
fie K id à une sienne amie, voluptueuse m é­
celui qui l'emploie la complaisance, la « lit­ tisse toute disposée à accueillir les godelu­
térature », il est lui-même action. Notons, à reaux dans son sein. Kid, en dépit de l’amour
ce propos, la performance physique des plus que maternel dont il est couvé, n ’hésite
acteurs du film, l'énorme quantité d'énergie point à échanger, à la première occasion, la
qu'ils doivent dépenser. fille contre un pur-sang. Celle-ci, vexée, le
livre au shériff.
Ce côté performance correspond peut-être Surviennent alors des Indiens, qui compli­
au dessein de Hawks de décrire la vie anor­ quent pour un temps la situation. Devant l’en­
male des reporters. Mais, plus secrètement, nemi commun, on se réconcilie. Puis, le dan­
il rejoint d'autres performances : Barrymore ger écarté, les rivalités renaissent. Doc et

29
Bill, poussés par le machiavélique shériff, en SERGEANT YORK
viennent aux mains. En fin de compte, c’est
]e shériff lui-même qui sera amené à tuer
Doc. Le Kid, pour le punir, l’attache à un 1941 — SERGEANT YORK ( s e r g e n t y o r k ) ,
poteau et, le laissant croupir sur place, s ’en­ (Warner Bros.), 134 minutes.
fuit heureux avec le pur-sang et la fille. Prod. : Jesse L, Lasky, Hal B. W al-
Iis, Howard Hawks. 5c. : Abem Fin-
« J'avais entendu raconter l'histoire origi­ kel, iHarry Chandler, Howard Koch,
nale a u Wouveau-Mexique : quelqu'un avait John Huston, d ’après « W ar Diary
of Sergeant York » « Sergeant York
supprimé un bonhomme et i'avaff fait enterrer and His People b, de Sam K. Cowan,
comme étant Billy le Kid — nous sommes et « Sergeant York - Last oE the Long
partis cîe là et nous avons écrit le sujet. Je Hunters »t de Tom Skeyhill. P h. :
trouvai Jane Bussell et Jack Buetel, j'imaginai Sol Polito, Arthur Edeson (séquences
un bon petit Western, je m'amusais bien. de guerre). Dir. A rt. ; John Hughes.
Mais j'eus la chance de faire Sergent York Dec. : Fred McLean. Mus. : Max
auquel je tenais, Hughes p a r ailleurs voulait Steiner, dirigée par Léo F. Forbstein.
mettre en scène. Je lui dis : « Allez-y, mettez Mont. ; William Holmes.
en scène et Unissez le iïlia. » J’ai tourné la Jnt. ; Gary Cooper t<4îum C. York),
scène d'introduction de Billy Je Kid et de Joan Leslie (Grctcie M^fiams), W alter
Doc Holliday en extérieurs, ensuite Hughes Brennan (pasteur Rosier Pile), George
a traficoté le reste. 7'ai fravaÜIé environ deux Tobias (<t Pusher » Rose), Stanley
semaines sur Je film. On a dû garder entre Ridges (major Buxfon), Margaret Wy-
cherly {mère Yorfc), June Lockhart
trois cents et cinq cents mètres de ce que (Rosie Yor&), Dickie Moore (George
j'avais tourné. > Yor^), Ward Bond (/fce Botkim), Noah
Berry Jr, (Buch Lipscomb), Clem Be-
Ce film ne faisait pas partie de T a hom­ vans (2ete), Howard Da Silva (L-em),
mage ». Faute de l’avoir vu, nous nous borne­ Charles Trowbridge (Cordell H ull),
rons à reproduire ces phrases d ’A ndré Bazin Robert Portersfield (Zcb A ndrew s),
— qui d ’ailleurs faisait gloire à Hughes de Erville Anderson (Nate Tom fyns}, Da­
mérites qui (v. ci-dessus) reviennent certaine­ vid Bruce (Serf Thomas), Harvey Ste­
ment à Hawks seul : ve ns (capitaine Danforih), Charles Es-
mond (major AUamand), Joseph Sa-
...C'est à la mylhologïe chevaleresque du wyer (sergenf Ear/y), Pat Flaherty
western que Howard Hughes s'attaque avec (sergent Parsons).
une violence dont je ne vois d'autre exemple,
dans tout le cinéma américain, que dans Résumé : En 1916, dans le Tennessee, Alvin
Monsieur Verdoux... York (G. Cooper), tente avec acharnem ent
de faite fructifier un mauvais carré de terre,
Le Banni est fondé sur le mépris de la à flanc de colline : ài se console le dim an­
femme. A l'inverse de leurs semblables, che, en buvant et en troublant les offices de
ses coups de feu. A u cours d ’une chasse au
le 3 héros s'acharnent à retirer à l'héroïne renard, il s’éprend d ’une voisine, Gracie
leur protection. Ils ne cessent de la Williams (J. Leslie), et décide de se m arier
bafouer, de l'abandonner ef de se refuser avec elle : pour cela, il lui faut acquérir une
aux épreuves. Dans cette incroyable contre- terre dans la vallée, travailler jour et nuit
quête du Graal, c'est la femme qui a besoin pour réunir la somme nécessaire. M algré ses
d'eux et qui passe p ar les pires épreuves, efforts effrénés, il ne parvient à compléter
avant que d'obtenir un regard de son seigneur ses gains qu’en remportant un concours de
et maître (...). II est assez évident que tir, Le jour même où la terre est vendue,
malgré les promesses du marchand et les
Howard Hughes a sciemment généralisé le avances d ’Alvin à son rival sentimental. Fu­
sens de son héroïne. lan e Russel n'est pas rieux et déçu, il va s’enivrer, et revient, prêt
une femme qui mériterait exceptionnellement au meurtre : la foudre fait éclater son fusil,
ce traitement. L'absence de tout autre per­ il y voit un signe du ciel, se convertit, et va
sonnage féminin susceptible de racheter jusqu’à se montrer objecteur de conscience,
l'espèce, de laisser en quelque sorte enten­ quand les U.S.A. entrent en guerre. Son re­
dre qu'elles ne sont pas toutes « comme cours est refusé, et ses chefs, étonnés par
ses dons de tireur, décident de le convertir
ça », p ar une comparaison défavorable pour à la guerre en lui faisant lire l’histoire des
l'héroïne, est d'ailleurs significative. Au de­ Etats-Unis : il part pour la France, réalise
meurant, Jane Russel n'est point du tout des exploits fantastiques et, sans se départir
antipathique (...). Dans le Banni, personne de son calme et de sa force naïve, revient
n'est antipathique : c'est l'ordre de l'univers en héros, refuse des offres publicitaires, re­
qui donne à l'homme la prééminence et fait trouve sa fiancée sur la terre qu’il convoitait,
de la femme un animal domestique, agréable don de l’Etat.
mais ennuyeux, auquel le vrai bétail est
encore préférable. — A. B. fia Revue du « Huston et moi avons écrit le scénario.
Cinéma, août 1948.) Nous étions fouf juste un peu en avance

30
sur le tournage. Nous avons mis à la cor­
beille Je scénario déjà écrit et lait ce que
Jesse Lasky nous a raconté sur Je vrai
Sergent York. Huston et moi nous entendions
parfaitement, nous n'eûm es aucun rnal à
raconter l'histoire simplement, /'ai eu beau­
coup de plaisir à travailler sur ce film, spé­
cialement parce que Lasky lut mon premier
employeur et qu'à cette époque il était sur
la paille. Après lui avoir parlé, j'ai appelé
Gary Cooper et je lui ai dit : « Coop, c'est
bien Lasky qui t'a. donné ton premier job ? »
ef il me répondit « Oui > * Eh bien, il est
sur Jet paille, il a besoin d’un coup d'épaule.
U a une histoire, je crois que nous pourrions
la tourner, ça ne nous ferait aucun mal. »
Coop fut d’accord et nous parlâmes de tout,
sauf de l'histoire — surtout d'un nouveau
fusil. Enfin, je Jui dis : « Si on parlait de
l'histoire. » — « A quoi bon, de toute façon,
on va faire ce sacré film, tu le sais. » —
« Ecoute, Jui dis-je, allons chez W arner et
taisons un marché. Quand je dirai ; * C'esf
exact, monsieur Cooper ? », fu dis oui. » je
dis donc : « Nous faisons le film, si vous nous
laissez seuls. Correcf, monsieur Cooper? *
— < Oui. > — « Si vous intervenez, si vous
nous forcez la main, vous tomberez sur un os.
Pas vrai, monsieur Cooper? s Et lui de répon­
dre : « Oui. » Nous signâmes le contrat et
nous fîmes Je film. Lasky en tira deux m ê­
lions de bénéfices et nous étions fout heureux
d'avoir pu aider quelqu'un. Le plus drôle de
2'histoire, c'esf que Je film fit un malheur ;
Cooper gagna J’Academ y Avrard, nous ne
nou» attendions pas à tout cela.
— Le dénouement de Sergent Yorfc serait
plutôt Iragique en ce sens qu'il s'agit d'un G a ry C o o p er, Dic ki e M o are, M a r g a r e t W y c h e r iy
homme lrès religieux qui est récompensé pour e t J u n e L o c k h a r t d a n s S crge an t York,
avoir agi contre ses convictions. Est-ce bien
ce que vous avez voulu?
— Il reposait sur la théorie dont vous venez
de parler. 11 s'inspirait de la vie d'un homme d'introduire mon personnage dans la petite
en réalité très religieux. On lui dit de partir salle de réunion et, tandis qu'ils chantaient,
et de faire exactement Je contraire de ce que de le faire se convertir. Mais, si vous faites
sa religion lui enseignait, et il devint un bien attention, encore une fois, la scène es)
grand héros en agissant de la sorte. C'est jouée en sourdine. Si les gens veulent y
normal qu'il ctif éprouvé une certaine confu­ croire, très bien, mais ne le leur imposez
sion dans ses idées, en réalité c'était une pas dù force. Je suis retourné là-bas après la
forme de tragédie. Je lui ai posé des centaines fin du film pour voir si j'avais fait du bon
de questions, comme vous me posez des ques­ travail. J'entendis des gens parler entre eux,
tions, ef il a répondu à mes questions. Je et l'un d'eux déclarer : * Je t'ai vu un fiim
lui ai demandé comment il était devenu reli­ l’autre soir — sur les gens de la montagne
gieux. * Au beau milieu d e la route >, m'ex- •— et le type savait certainement ce qu'il
pliqua-t-il. Je me représentai la scène sous faisait quand il a tourné ce film. On dirait
la forme d'une mule frappée p ar la foudre, tout à fait des montagnards. Ils parlent comme
au milieu de Ja route. On avait écrit une de vrais montagnards. ^ Quelques-uns d'en­
scène remarquable sur la manière dont il avait tre eux m’ont aidé, disaient une phrase quo
découvert la religion, et je n 'y croyais pas- les acteurs répétaient, et tout changeait, voilà,
Je dis que si quelqu'un me parlait de la Une des meilleures choses du film, c'est Ja
sorte, je ne deviendrais pas religieux. Alors, mère qui ne parle presque jamais. Les scé­
j'eus l'idée de rassembler un petit groupe de naristes lui avaient attribué beaucoup de
gens du Tennessee pour chanter ef s'excifer. reparties, et je ne cessai de lui en enlever le

31
plus possible. Finalement, je dis : < 7e sais ville où il se planque, et ou il a l’intention
ce qu'il nous faut, que/qu'un qui ne parle d ’épouser, lui, Sugarpuss, pour qu’elle ne
uisse témoigner contre lui. En route, l’équipe
pas. » « Ça, je le comprends très bien »,
dit-elle. Mais ils sonf très enfantins, ces gens(
S es savants et la fille doivent s’arrêter, après
un accident, dans un hôtel ; les bandits les y
extrêmement arriérés — les quelques scènes retrouvent, et quand Potts vient d ’avouer
au magasin l'indiquent — vous n'avez pas son amour à la fille émue, enlèvent celle-ci.
affaire cr un homme sophistiqué — il était Or, Surgarpuss refuse d'épouser Joe, et les
désorienté. Et nous avons essayé de montrer bandits décident de menacer Potts de mort
an homme désoiienté. ]e ne cherche pas à pour la faire céder. Mais les savants, grâce
prêcher ou à prouver quoi que ce soif. Je à leurs connaissances en physique, parvien­
cherche seulement à imaginer ce qu'il y nent à désarmer les bandits et à libérer Su­
garpuss qui épousera enfin l’homme q u ’elle a
avait dans cet homme et à le dire. Le com­ choisi, malgré tous ses ridicules.
mentaire que fit York, après avoir vu le
film, est intéressant. Il déclara . « J'ai fourni
l'arbre et Hawks y a mis des feuilles, » Je
trouve ça plutôt gentil. » AIR FORCE

Ce film a été analysé par J.-L. Comolli


dans notre numéro 135 (août 1962). 1943 — AIR FORCE (air f o r c e ) (Warner
Bros.}, J24 m in.
Prod. ; Hal B. Wallis, Howard Hawks.
BALL OF FIRE Sc. Dudley Nichols. Ph. : James
W ong Howe, et Elmer Dyer, Cnarles
Marshall pour les séquences aériennes.
1941 — BALL OF F IRE (b o u l e d e f e u ) {Sa­ Mus. ; Franz W axman, dirigée par
muel Goldwyn - R.K.O.), 111 min, Léo F. Forbstein. Dir. Art. ; John
Prod. : Samuel Goîdwyn. Sc. ; Billy Hughes. Dec, ; W alter F. Tilrord.
W ilder, Charles Bïackett, d ’après Cosf. : Milo Anderson. M o n t :
<t From A to Z », de Billy W ilder et George Amy. Erff. Sp. ; Roy David­
Thomas Monroe, Ph. ; Gregg Toland. son, Rex W impy, bi.F. JCoenekamp.
Mus. .• Alfred Newman, Dir, Art. : j4ss. Réai. ; Jack Sullivan. C hef Pi­
Perry Ferguson. Monf. ; Daniel Man­ lote : Paul Mantz.
de)!. /nf. : John Ridgely, Gig Yound, A r­
Int : Gary Cooper (Berfram Potts), thur Kennedy, "john Garfield, Harry
Barbara Stanwyck (Stÿar&uss 0 ’5fiea)j Carey, George Tobias, Charles Drake,
Oscar Homolka (Pr. Gurrça/^o//). Dana W ara Wood, Ray Montgomery, Stan­
Andrew» {Joe Lillac) , Dan Duryea ley Ridges, James Brown, W illard
(Du^e Pasirami), Henry Travers (Pr. Robertson, Moroni Olsen, Edw ard S.
jerome), S .Z . Sakall (Pr. Magen- Brophy. Richard Lane, Bill Crago,
hruch) Tully Marshall (Pr, Robinson), Faye Emerson, Addison Richards,
Leonid Kinskey (Pr. Qtiintana), Ri­ James Flavin, Ann Doran, Dorothy
chard Haydn (Pr. Oddlu), Aubrey Peterson.
Mather (Pr. Peagram), AÎlen Jenkins
{Garbage mon), et Gene Krupa et Résum é : 1941, une base aérienne am éri­
son orchestre. caine : l’équipage d'une forteresse volante,
les adieux faits, part en mission avec une
R ésum é : Huit savants, reclus dans une fon­ escadrille de bombardiers. En vol, on apprend
dation, préparent une encyclopédie sous la di­ l’attaque de Pearl Harbour, l’escadrille se
rection d ’un professeur de grammaire, Ber- disperse, et la forteresse se pose dans une
tram Potts (G. Cooper) qui, grâce à un île : il faut réparer son train d ’atterrissage :
■boueux, se passionne pour l'argot et se met l’avion est attaqué par quelques soldats japo­
à fréquenter les cabarets pour étudier cette nais, maïs réussit à décoller. Ils vont à Hawaï,
langue neuve. Un soir, une chanteuse, Suear- et l’avion est ravitaillé en bombes. Ils repar­
pus (B. Stanwyck) le fascine par son vocabu­ tent à l’aube et vont jusqu'à Waké, se po­
laire. Il la suit dane sa loge, où deux gang­ sent en route sur une île DGtnbardée par les
sters viennent l’avertir de se cacher, son ami Japonais, où ils prennent le courrier cfes sol­
Joe (D. Andrews) étant interrogé par la police. dats et un chien. D ans une autre île, où les
Q uand Potts entre, elle le prend pour un poli­ Japonais préparent un bombardement, ils dé­
cier et le m et à la porte. Il a pu lui laisser collent pour défendre l’île, et, au cours d ’un
sa carte, avec l’adresse de la Fondation, et, combat contre des chasseurs ennemis, les m i­
ne sachant où se s planquer », elle y va en trailleurs, dont W inocki (J. Garfield), les
pleine nuit. Elle séduit vite les savants, se abattent, mais l’avion est touché. Le capitaine
fait héberger, leur apprend à danser, em­ ordonne à l’équipage de sauter,^ et parvient
brasse Potts, qui veut la chasser mais lui à faire atterrir la forteresse, mais il est blessé,
offre une bague. Un coup de téléphone de et l’équipage au complet assiste à sa mort.
Joe, relâché, et que Sugarpuss fait passer Les hommes s’emploient à réparer les dégâts
pour son père, perm et à Potts de la dem an­ de l ’avion, quand les Japonais attaquent. Un
der en mariage au gangster amueé qui accepte officier de la base leur ordonne alorg d ’incen­
et exige que la cérémonie se passe dans la dier la forteresse, ils refusent et dem andent

32
Gig Young dans Air Force.

■une dernière chance. Et pendant qu’une pour l'homme d'affronter le monde et de se


chaîne de soldats se passe des bidons d ’es­ posséder lui-même, elle devient ici le inonde
sence pour l’avion, les mitrailleurs, qui ont de l'homme. Ces aviateurs dépendent de leur
pris les mitrailleuses lourdes à bras le corps, avicn, ils y vivent, y dorment, y mangent
parviennent à abattre plusieurs chasseurs japo­ et y meurent : leur vie est liée à sa vio.
nais. La forteresse, poussée en position d ’en­
vol par les soldats, décolle au moment où les L'avion est leur décor, leur milieu, c'est en
Japonais envahissent l'aérodrome. En vol, ils lui et par lui qu'ils agissent ,et même à
repèrent un convoi de navires de guerre terre, ils doivent le servir et ne peuvent l'ou­
nippons, le signalent au quartier général, et blier. Monde exigeant, qui demande des sacri­
participent, avec plusieurs escadrilles de chas­ fices el des audaces : pour sauver leur avion,
seurs, à sa destruction. Après la bataille, ils ils accepteront mille fois de mourir. Monde
atterrissent sur une plage, et plus tard, ils dur et jaloux : le mitrailleur qui va combattre
participeront, avec une immense escadrille
de forteresses volantes, à l’attaque de Tokio. sur -un autre avion y est tué. Monde enfin
qui intègre totalement les hommes et les
Qu'est-ce que la guerre pour les pilotes, navi­ accomplit : leur accord avec l'avion est tel
gateurs, mitrailleurs et bombardiers d'une for­ qu'ils deviennent ses prolong s menls (quand
teresse volante ? Une aventure personnelle, ils prennent les mitrailleuses à bras le corps),
une équipée de corsaires, où une déclaration qu'ils sont eux-mêmes des machines em­
lointaine et quelques ordres entendus par ployées p ar l'avion pour s a vie : l'orifice percé
radio les livrent à eux-mêmes et à leur à l'arrière où Winocki devient mitrailleuse
avion. Mais, au cours du long périple d'île humaine.
en île, ils pourront de moins en moins penser
lamais Hawks n'était allé aussi loin dans
à eux et seront complètement absorbés par
l'accord et la dépendance de l'homme et de
la machine. Si bien que la guerre devient pour sa machine. Et c'est seulement quand cet
eux la préservation et l'utilisation de l'avion
accord est totalement réalisé (par l'éducation
qu'ils doivent défendre contre les ennemis de
des uns et l'élimination des autres), quand
l'air et du sol, réparer, transformer, afin de
homme et machine sont un tout indissociable,
l'employer toujours plus à fond.
que la forteresse humaine peut rejoindre son
Alors que, dans les autres films d'cviation escadrille et participer à la « vraie guerre ».
de Hawks, l'avion, la machine était un moyen — J.-L. C.
(CORVETTE K -225) Furthman, William Faulkner, d ’après
le roman d ’Ernest Hemingway. Ph. :
Sidney Hickox. Mus; ; Léo F. Forb-
[943 — CORVETTE K-225 (c o r v e t t e k-225) stein. Ltfrics ; Hoagy Carmiahae],
(Uniyersal), 99 min, Johnny Mercer. Dir. Art. : Charles
Prod. : Howard Hawfcs. Réal. ; Ri­ Novi. Dêc. : Casey Roberts. M ont :
chard Rosson. Sc. ; Lieut. John Christian Nyby. Eff. 5p. ; Roy D a­
Rhodes Sturdy. Ph. ; Tony Gaudio, vidson, Rex Wimpy. Cons. Techn. ;
H arry Perry. Mont. ;• Edward Curtis. Louis Comien. j4ss. RéoJ. : Jack
Int. : Randolph Scott, Ella Raines, Sullivan.
James Brown, Barry Fitzgerald, A ndy Int. : Humphrey Bogart (Harry 'Mor­
Devine, Fuzzy Knight, Noah Berry gan), Lauren Bacall (Marie Browning),
jr., Richard Lane, Thomas Gomez, Walter Brennan (Eddie « The R um -
m y n), Marcel Dalio (Gérard), Hoagy
Camuchael (Cric^etf), Dolores Moran
TO HAVE AND HAVE NOT fHélène de Bursûc), W alter Molnar
{Paal de Bursac), Dan Seymour (ms-
1944 — T O H A V E AND H A V E N O T (l e pect&ur Renard), Sheldon Léonard
PORT DE L’ANGOISSE) (Warner Bros.), (lîeut. Coyo), Walter Sande (Johnson),
100 min, AJdo Nadi (garde du corps), Paul
Marion (Beauc/erc), Patricia Shay
Prod. : Howard Hawks, 5c. ; Jules (Madame Bcauclerc), P at W est (gar­
çon du fcar), Emmett Smith (Emti).
Résumé ; Histoire de cœur, aux deux sens
du m ot : amour et courage, à Fort-de-France,
vers 1942. Ce que Harry Morgan (H. Bogart) a,
c’est d'abord son bateau, qui lui permet de
vivre en menant à la pêche un riche A m éri­
cain, c’est ensuite une assurance, une sûreté
de décision et une force d ’action telles qu’elles
le poussent, son client tué sans l’avoir payé,
au cours d ’une lutte entre sûreté nationale vi*
chyste et partisans <le la France libre, d ’une
part à accepter de travailler pour ces derniers,
d ’autre part à maîtriser et à aimer une femme
aussi forte et aussi tenace que lui : Mary
Browning (L. Bacall), Pris entre la bassesse
et les méthodes odieuses des vichystes, et la
maladresse eî la confusion sympathiques, mais
inefficaces des Français libres, il s’impose vite,
accomplit sa mission, sauve en l’opérant un
des chefs de la résistance, libère son vieil ami
alcoolique prisonnier des vichystes, paralyse
ceux-ci, et, révélé à luwnême, s’engage dans
la résistance, en partant, avec Mary, son ami
ei les chefs résistants, sur son bateau, vers
l’île du Diable, pour <t mettre le feu aux pou­
dres »,

« Comment le personnage de Bacall a-t-il


pris naissancs ?
— Nous avons découvert qu’elle était une
gamine qui, lorsqu'elle était insolente, deve­
nait encore plus attirante. C'était la seule
façon que vous la remarquiez, car il lui
suffisait de sourire. Je dis à Bogey : « On va
essayer un truc intéressant. Tu es le type le
plus insolent de l'écran, et je vais rendre
une filfe un peu pïus insoîenfe que toi. »
— < Vas-y, m e répondit-il, mais tu auras du
boulot, » Et je Jui dis : « J'ai un grand av an­
tage sur foi, je suis Je mefieur en scène. Je
ne lui dirai qu'une chose : de sortir en le
tournant le dos à chaque scène. » — * T’as
déjà gagné. » A la Un de chaque scène:
elle sortait en lui tournant le dos. C'étail
H u m p h rey B o g art et Dan Seym cur d a n s
un antagonisme à Jbctse de sexe, il faul
To H av e a n d H a y e Nof.

34
ru, Marlowe, hanté par l'existence mythique
de Regan dont on cherche sans cesse à l’écar-
ter, et animé par la présence occulte du gé­
néral qui désire la tranquillité, s’obstine à
aller jusqu’au bout de sa tâche, malgré les
crimes et les menaces qui' s’accumulent autour
de lui et à propos de Regan. Il s’entête à re­
chercher celui-ci, malgré même la fille aînée du
énéral : Vivian (L. Bacall), qui le fascine,
F irrite et le séduit. Il accomplit ainsi, au mi­
lieu des meurtres et des truands un véritable
itinéraire moral qui le mène à sauver malgré
elles les filles du général, et à découvrir, en
démêlant l'imbroglio policier, la force de ne
jamais céder.

« Que signifie ce titre, l e Grand Sommeil ?


— Je ne sais p ars, probablement 2a mort.
Un excellent fifre. Je n'ai jamais i>ien com­
pris l'histoire, le l'ai Jue avec un pfaisir
extrême. Le scénario fut écrit en huit jours,
tout ce que nous avons essayé de taire, c'est
de rendre chaque scène aussi divertissante
que possible. Nous ne savions pas quelle
H u m p h re y B o g a r t e t M a r t h a V ic k e rs d a n s était i'hisfaire. On m 'a demandé qui a tué
T h e Big Sleep. un tel ou un tel, je ne savais pas. On a
envoyé un câjbie à l'auteur, il ne savait pa s.
Puis au scénariste, il ne savait toujours pas.
THE BIG SLEEP Cela n 'a pas empêché Je film d'avoir un
rythme très rapide et d'être très divertissant.
1946 — THE BIG SLEEP (l e g r a n d s o m m e i l } Au moment d'expédier le film à New York,
(Warner Bros.), [ 14 min. l'agent de publicité me demanda : « Howard,
Prod. : Howard Hawks. Sc. : William que vais-je Jewr dire sur ce .film ? » Je iui
Faulkner, Leigh Brackett, Jules Furth- répondis ; * Eh bien, dites-leur que c'est
man, d ’après le roman de Raymond assez intéressant, parce que c'est raconté
Chandler. Ph. ; Sidney Hickox. Mus. : du point de vue du détective et qu'il n ‘y
Max Steiner, dirigée par Léo F. a pas de fausses pistes. Et quiconque suit
Forbstein. Dir. Art. : Cari Jules Weyl. l'intrigue est obligé de suivre sa démarche
Dec. ; Fred M. McLean. Mont. : intellectuelle. » En lait, je n'en suis pas
Christian Nyby. Eff. Sp>. : Roy Da­
vidson, W arren E. Lynch, Réal. .* capable, et lui non plus, mais, peut-être, les
Chuck Hansen. spectateurs s'amuseront beaucoup. Le fi Ira
Int. ; Humphrey Bogart (Philip Mar- connut un grand succès auprès du public. Les
lowe), Lauren Bacall (Vivian Regan), critiques étaient désarmés, parce qu'ils vou­
Martha Vickers (Carmen Sternwood), laient être plus malins que le type dans le
John Rîdgely (Eddie Mars), Regis Hlm et qu'en fin de compte iis n'y parve­
Toomey (Bernie Ohîs), Dorothy Ma- naient pas.
lone (libraire), Eiisha Cook jr. i(Harry
Jones), Charles Waldron (général ■— Il s'agit en quelque sorte d'une parodie
Sternwood), Sonia Darrin {j4gnès), du film de détective, avec toutes les filles
Louis Jean H eydt (Joe Brody), Charles qui tombent amoureuses de Bogait?
D. Brown (Norris), Robert Steele — Absolument, on est là pour rire. L'idée
(Cantno), Peggy Knudsen {Morta
Mars), Tom Rafferty (Caroi Lundgren), centrale, c'était d'essayer de rendre chaque
Théodore Von Eltz (Gejger), Marc scène aussi drôle que possible. A un moment,
Lawrence Don "Wallace, Joy Barlowe, Bogey était supposé pénétrer dans une librai­
Tom Fadden, Ben W eldon, Trevor rie. je lui dis ; « C'est une scène terrible
Bardette. ment ordinaire. Tu n'as pas une idée ? » Il
Résum é ; U n détective, Phi] Marlowe (H. se contenta de relever le bord de son cha­
Bogart) est engagé par un vieux général reclus peau, mit des lunettes et prit un air efféminé.
dans une serre, goûtant la vie par procuration, Tandis qu'il taisait ces gestes, je lui dis :
et hanté à la fois par la vie scandaleuse de * O.K. on y va. J’écrirai d'autres dialogues
ses deux filles, et par le souvenir d ’un aven­ quand nous serons cr l'intérieur. » C'est comme
turier, Shawn Regan, qu’il aimait comme un ça que le tilm devint si drôle. On ne taisait
fils, en vivant de le regarder vivre. Chargé que montrer deux personnes passablement
de faire cesser les chantages dont la jeune
fille du général est la victime (M. Vickers). ennuyées. Environ huit mois après que nous
et de retrouver Regan mystérieusement dispa­ eûmes Uni le tilm, on me demanda de four-

36
appeler les choses p ar leur nom, et cela sim*
pliiïait les scènes. Mais ça ne marcherai I Tous ceux qui l'entourent reconnaissent
pas avec John W ayne, parce gu'il n'est pas
immédiatement en Harry Morgan ce qu'il est
du type insolent. Il y a un endroit, dans
d'abord : un homme d'action, alors que lui-
Haiari, où 2a fille dit : « J'ai été une fois même ne le reconnaît q u'à la Sin du film.
poursuivie par un taureau » ef il réplique ;
Défini d'emblée p ar rapport aux autres per­
* Ne croyez-vous pas plutôt que c'était le sonnages, il doit cependant accomplir un.
contraire ? » Cela ressemble davantage a
itinéraire au milieu d'eux pour prendre cons­
Bogey.
cience de cette définition. Ces personnages
— To Have and Have Net et Le Grand qui gravitent autour du héros constituent ici»
Sommeil sont pour moi les deux plus parfaites comme à divers degrés dans tous les films
éJaboralions du caractère de Bogaiî, les plus de Hawks, le véritable milieu du film, son
complètes. Qu'en pensez-vous ? décor vivant, son espace réel et concret. Mi­
lieu sensible ; des résistants aux policiers
— Je ne faisais que profiter de ce que )e
vichystes, de Mme de Bursac à Mary, tous
sais de Bogarf. Pour mai, if s'agit du même sentent, p ar la simple force de présence
film. Il était très facile de travailler avec lui,
de Morgan, ce qu’il est, et sont déterminés
on l'a sous-estimé en tant qu'acteur. C'est
p ar lui. Milieu révélateur : en le reconnais­
mon genre d'acteur. Et les petites choses sant ainsi, les personnages portent la marque
étranges qu'il faisait, parce qu'il avait un
de l'action de Morgan, lui renvoient et lui
nerf coupé à Ja lèvre supérieure — sa lèvre
imposent à leur tour cette force, la sienne,
supérieure ne souriait pas — seule la lèvre qu'ils ont subie ou acceptée.
inférieure souriait. Nous paraissions nous
comprendre l'un l'autre et nous faisions de Si bien que l'action, chez Hawks, n'est
l'excellent travail ensemble. Sans son aide, pas seulement une force dirigée dans un
je n'aurais jamais pu obtenir ce que j'ai certain sens et vers un certain but : elle est
obtenu de Bacall. Un leading man ordinaire la résultante de l'action, d'un homme et de
se serait vite fatigué et lassé de ces répéti­ ses répercussions sur les autres hommes.
tions et ennuis divers. II n'y et pas beaucoup Elle est l'accord entre le milieu vivant et
d'acteurs qui s'assiéraient comme ça, en l'homme, entre l'action de l'homme et celle
attendant qu'une fille leur vole une scène. du monde. La mise en scène hawksienne est
Mais il était tombé amoureux de la fille et elle aussi cette union, dans la création et
la fille de Iuir ce qui simplifiait bien les cho­ en. vue d'elle, des forces actives du monde
ses. et de l'homme. Elle est elle-même cet accord
— To Have and Jiave Not est essentielle­ entre le inonde et l'acte qui les crée simul­
ment un© histoire d'amour. Les intrigues poli­ tanément. Passionné p a r la vie qu'il veut
tiques du film ne vous ont guère intéressé ? rendre sensible dans toute sa force, Hawks
en fait ce qu'elle est vraiment ; une création
— Vous avez remarqué Je temps qu'il nous
de l'homme et du monde l'un par l'autre.
a. fallu pour dénouer la seconde intrigue. En
Ainsi, c'est la création elle-même qui devient
fait, le scénariste commençait à s'arracher
le sujet et l'objet de la création artistique.
les cheveux. Il disait ; « Je pars » — * Pour­
quoi ? * — « 11 y a déjà quatre bobines de Mais qu'est-ce qu'une action, qu'une créa­
fournées et vous n'avez pas eu Je courage tion qui ne se transcende pas dans la con­
de raconter l’histoire. Quand tournerez-vous naissance d'elle-même que s a force lui per­
ces scènes ? » 7e répondis ; « Je crois que, si met ? Révélé à lui-même' par l'écho de sa
je les évite, c'est parce qu'elles sont ennuyeu­ force sur les autres, Morgan, et c'est le
ses. » Il nous fallait quand même une intri­ miracle hawksien, n'en perd pas pour autant
gue, vous savez, une intrigue secondaire, toute force d'action, (On sait combien la
mais ce n'était qu'une excuse pour certaines prise de conscience de soi-même peut être
scènes. De l'homme blessé, nous avons iiré paralysante chez Lang ou Hitchcock.) Or
une scène merveilleuse, celle de la fille qui le film, à l'instant de celte révélation, devient
s'évanouif, tandis que l'autre fille, avec un envol, élan des personnages animés p ar la
éventail, répand sur elle des vapeurs d'éfher. force de Morgan, par une force telle que,
Et aussi quand Bogari charrie la fille éva­ pour renaître toujours et se renouveler tout
nouie et qu'elle lui dît : * Vous essayez de en se révélant, elle doit s'oublier. Chez
deviner son poids ? » Cela remonte à Dietrich, Hawks, l'action peut se connaître sans se
dans Morocco : Sfernberg faisait entrer Die­ détruire, parce que, dans son accord avec le
trich, qui frouvait Cooper avec deux filles du monde, elle est déjà san s cesse révélation et
p ays sur les genoux. £JJe le félicitait pres­ oubli. Tout le secret, tout l'insaisissable de
que, ne se fâchait pas. Bacall est une version la création hawksienne est là : il n'y a p as
plus chaude de Dietrich. Dietzich l'a reconnu, de création sans connaissance, de connais­
dès qu'elle a vu le film. Elle dit : « C'est sance sans oubli pour créer à nouveau. —
moi, hein ? » et je lui dis : * Oui. * T.-L. C.

35
lier des scènes supplémentaires entre Bogart tion en la répétant à l'infini, il ne la possé­
et Bacall. 11 n'y avait pas assez de scènes dera jamais. Et non pas, comme chez Huston,
entre eux. C'était la saison des courses à parce que toute action est d'emblée vouée
Santa Anita. /'avais des chevaux là-bas en à l'échec, mais parce que la posséder ce serait
train de courir, je leur dis de discuter de la la détruire. Peu importe que l'enquête abou­
lagon de monter un cheval, et cela se fer* tisse, ce qui compte, c'est la réitération inlas­
mina avec un < Tout dépend de celui qui sable des démarches. Howard Hawks, c'est
est en selle. » C'était juste ce que je pensais évident, n’est pas un cinéaste de la connais­
des courses et je me dis : après tout, pour­ sance comme, dit-on, l'est Minnelli. Il nous
quoi ne pas avoir une petite discussion invite à une lecture littérale de l'univers. Le
d'amoureux qui tournerait autour des courses ? reste n'est que littérature. — A.S.L.
— Donc l'intrigue avait très peu d'impor­
tance pour vous ?
— Aucune importance. Comme je vous l'ai RED RIVER
dit, ni l'auteur, ni le scénariste, ni moi-même
oe savions qui a tué qui. C'était tout ça qui
{aisait que c'était .bien. Je ne puis suivre le 1948 — RED R IV ER ( l a r i v i è r e r o u g e ) (Mon-
récit. J’en ai vu un bout l'autre soir à la terey Production - United Ârtists),
125 min.
télévision, et je me suis senti complètement
perdu, ne l’ayant pas revu depuis vingt ans. » Prod. ; Howard Hawks. Sc. .- Borden
Chase, Charles Schnee, d ’après le
roman de Borden Chase, « T he Chis-
Ou aurait tort de chercher à découvrir holm T ia il» . Ph. : Russell Harlan.
dans The Big Sleep l'une de ces gestes moder­ Mus. ; Dimitri Tïomkin. Dir. Art. :
nes où le héros doit surmonter un certain John Datu Arensma. Mont. ; Chris­
tian Nyby. ^4ss. Rêal. : A rthur Ros-
nombre d'épreuves pour gagner le cœ ur de son.
sa belle — encore que l'itinéraire se prêtât
particulièrement bien, ici, à ce genre d'extra­ Int. : John Wayne (Tom Donson),
polation. Un tel héros, en eifet, est marqué Montgomery Clift (Matt Garth), Joanne
Dru (Te ss Mülay), Walter Brennan
d'un signe qui ne trompe pas : il est jeune, (Groof), Coleen Gray (Fen), John
dynamique, guidé par une invisible étoile Ireland {Cherry), Noah Berry jr. (Bus-
(ne serait-ce que sa bonne étoile). te r), Chief Yowlachie (Quo), Harry
Tout autre est Phil Mariowe : il n 'a rien Carey (Meloille), Harry Carey jr. {Dan
à sauvegarder, rien non plus à espérer. Il Latimer), Mickey Kuhn (Matt, enfant),
Paul Fix (Teeler), Hank W arden
n'est mû ni par l'intérêt (il refuse les trop (Sims). Ivan Pairy (B un\ Kenneally),
gros chèques), ni p ar la passion (il ignore Hal Taliaferro (Old Leather), Paul
les injonctions de Vivian). Simplement, il agit. Fiero (Fernandez), Billie Self, Ray
Voici donc un « héros » qui ne sait ni ce Hyke.
qu'il veut, ni pourquoi il agit ! S'il y a une
philosophie hawksienne, c'est ici qu'elle
apparaît, au moment où l'homme juge ce
qu'il vaut à ce qu'il fait. Inaltérable densité
de l'action humaine : la vie s'alimente à
la vie, c'est une dialectique dont chaque
moment est égal au précédent. Dialectique
effective, mais immobile, dont le moteur est
la répétition. Le « héros » hcnvksien (on
sait maintenant comment il faut l'entendre)
n'est pas le héros lucide — car la lucidité
est encore une forme de la transcendance —
mais le héros agissant, Delahaye dirait : le
héros « aux prises avec ». C'est pourquoi le
combat est la figure exemplaire de la praxis
hawksienne — combat dont le chiffre est
d'ailleurs moins le corps-à-corps que l'échange
(ce qui explique la part faite au dialogue
et l'intérêt de Hawks pour toutes les formes
de l'amitié, jusques el y compris l'amour-
estime qui lie Bogart et L. Bacall dans les
deux iilms qui les rassemblent). Je lutte,
semble dire Marlowe, donc je suis (mais il
ne le dit pas). Cette preuve de soi-même que
recherche Marlowe et qui fait avancer l'ac­ M o n t g o m e r y C l i f t e t J o a n n e D ru d a n s Red River.

37
Résum é ; Deux convois de pionniers, en boys de ce qui les attend et déclare que
route vers l’Ouest. Au moment de se séparer, personne ne partira. Et tous le quittent. Wons
les chariots font halte, et Thomas Dunson {J. marchions sur la corde raide, en racontant
Wayne) dit adieu à sa fiancée, et lui remet pareille histoire. Allez-vous continuer à aimer
un bracelet qui vient de sa mère. Plus tard, W ayne ou non ? Heureusement, nous avons
Dunson et son conducteur, GToot (W. Bren-
nan), aperçoivent des feux au loin : un convoi terminé sur une solide « caractérisation *,
a été incendié par les Indiens. Dans la nuit, et le public aima W ayne. Disons que, chez
ils sont attaqués à leur tour : Dunson tue un lui, tout tournait autour de sa personne. Par
Indien qui porte à son poignet le bracelet. contraste. Cary Grant dans Seuls les anges
Puis, après avoir recueilli un enfant rescapé ont des ailes était entièrement désintéressé.
du massacre, ils parviennent près de la Red II accomplissait un travail pour un homme
River où Dunson lâche, après les avoir m ar­ qu'il aimait, un homme incapable de l'accom­
qués d e son signe, un taureau et une vache. plir lui-même. C'était de la pure amitié. Il
Les années passent et Dunson, vieilli, se re­
trouve à la tête d ’un immense troupeau. 11 pouvait regarder le Hollandais et lui dire :
est aidé par des cow-boys et par l’enfant trou­ * Je ne peux pas laisser ce type s'en tirer
vé qu’il considère comme son fils, Matthew comme ça. » Ef il lui disait, au type : « Vous
(M. Clift), Pour vendre le troupeau, un long êtes renvoyé, liquidé, puisque vous voulez
périple commence. Mais vite, Dunson, par sa partir. »
aureté, crée une hostilité des cow-boys contre — On vous a reproché de terminer votre
lui ; après quelques incidents, Matthew lui- film sans une mort, celle de W ayne ou de
même ne peut plus supporter ses méthodes : Clift. Mais cela n'aurait pas coïncidé avec
il s'attaque à lui, le désarme, prend sa place
à la tête de l'expédition, en l’abandonnant avec votre point de vue ?
un cheval. Plus loin, les cow-boys participent — Les prémisses de la scène sont logi­
à la défense d ’un convoi attaqué par des In­ ques, je crois. Si nou* en avons un peu
diens. et Matthew r encontre une fille, Tess rajouté ou si nous avons été trop loin, c'est
(J. Dru), qu'il aime. Il arrive à une gare où que je ne voyais pas d'autre façon de termi­
il vend le troupeau de Dunson, tandis que ner. J'aurais certainement détesté de tuer
celui-ci l'a suivi et !e rejoint. Les deux hom­ l'un d'eux. Je déteste tuer des gens sans rime
mes sont face à face, Dunson tente de provo­ ni raison. Je l'ai fait dans La Patrouille de
quer Matthew en tirant près de lui, en vain :
ils se battent alors avec leurs poings, et il L’aube, mais, le film achevé, je me suis rendu
faut l’intervention de Tess, armée d ’un pis­ compte à quel point j'avais failli tout gâcher,
tolet, pour les réunir enfin. ef je ne veux pas recommencer ce genre
de fantaisie. Je veux que les spectateurs
aillent voir mon film ef y prennent du plai­
« Dans Lcr Rivière Rouge comme dans La
Captive aux yeux clairs, Hatazi et même A sir. »
Girl in Every Port, vous avez deux étrangers
qui se rencontrent, se bagarrent et deviennent Les trois westerns de Hawks diffèrent plus
les meilleurs amis. Où avez-vous pris celte p ar leur p aysage que par leur intrigue. II
idée ? s'agit de trois paysages-types du Fur-West :
— Je ne sais pas. Probablement parce qua dans le premier le ciel et la prairie, dans le
le meilleur ami gue j'aie jamais eu, je l'ai Second la forêt et la rivière (en dépit de
connu sur un champ de courses, en défonçant leurs titres respectifs), dans le troisième enfin
une clôture. PIous avons fait connaissance et la bourgade. El le paysage, dans tous les
nous sommes devenus amis. Et vous vous trois, occupe une place beaucoup plus impor­
intéressez toujours plus à un rival qu'à quel­ tante que dans les autres films (sauf ffatari^
qu'un qui est terriblement gsntil avec vous. de Hawks qui se montre d'ordinaire assez
Dans La Rivière Houge, Wayne admirait le chiche de décors naturels ; cela dit sans
courage de Clift. Je voulais essayer de mon­ nuance péjorative aucune, car la qualité y
trer cohiment se créent des rapports entre compense amplement le manque — si l'on
des gens. peut dire — quantitatif. Ce qui intéresse le
“ Il y a une certaine ambiguïté dans le cinéaste, c'est leur point d'impact avec l'ac­
caractère de Wayne, n'est-ce pas ? Comment tion humaine, point à la fois ténu dans
le voyez-vous ? l'espace et borné dans le temps.
— W ayne est un homme qui a commis une Ici, la Nature quille les brumes et les
grave erreur ei perdu la fille qu'il aimait lointains où nous l'avions vue relégués. Mais,
véritablement, par ambition ef à cause de pour se rapprocher de nous, elle ne perd rien
son grand désir de posséder des terres à lui. de son mystère ; son visage est tourmenté,
Cette erreur commise, il n'en est que plus changeant, assombri par les nuages (celui,
anxieux de mettre ses plans à exécution. Un notamment, qui, pendant la prière sur la
homme qui a commis une grave erreur pour tombe, masque un moment le soleil), la pous­
parvenir à ses fins ne se laissera pas arrêter sière, la pluie, l'orage ou la nuit, à l'image
p ar des petits détails. Il a bâti un empire du troupeau ombrageux ou des vachers iras­
gui part en morceaux. II avertit ses cow- cibles qui, eux-mêmes, sont nature, ou plus

38
exactement sont comme elle-même est. Parce R ésum é : Le film est un remake plan par
qu'il est un cinéaste de I'êfre, Hawks s'appa­ plan de Bail o f Fire, à cette différence près
rente aux grands Européens, plus qu'aux que la musique remplace le langage, le jazz
maîtres américains de l'Aventure, auxquels l’argot, et que, dans la scène finale, le prin­
cipe des trompettes de Jéricho se substitue
fait défaut le sens du cosmos —• el cela en à la machine de guerre d ’Archimède.
dépit du pragmatisme de base dont se colore
toujours chez lui l'argument. C'est pourquoi
il évite le piège du décoratif — où tombent
1 WAS A MALE WAR BRIDE
un Ford ou un Vidor, chez qui la Nature,
toile de fond, ne respire qu'un air de sereine
indifférence — ou celui de la géométrie 1949 — I W A S A MALE W A R BRIDE
scénique où se cantonnent Anthony Mann et (allez coucher a i l l e u r s ) (Fox), 105
autres modernes. Proche de Murnau, Henoir min,
ou Rossellini, il refuse pourtant — sauf à ProcJ. ; Sol C. Siegel. Sc. ; Charles
de rares exceptions (cf. le nuage), cette Lederer, Hagar W ilde, Léonard Spi-
attention ‘au document, cette poursuite des gelgass, d ’anrès le roman de Henri
Rochard. Ph. ; Norbert Brodine; O.
hasards p ar quoi les grands d'entre les grands Borradaile. Mus. ; Cyril J. Mockridge,
aiment à entrer en communion plus profonde dirigée par Lionel Newman. Dir.
avec la nature. Cinéaste de l'être, il ne l'est Art. .* Lyle R, W heeler, Albert
point du paraître —• ou fort peu — ce qui Hogsett, Mont. : James B. Clark.
rend sa démarche si difficile à circonscrire. Déc. : Thomas Lïttle, W alter IV].
L'idée d'une opacité des apparences, d'une Scott. E ff. Sp. : Fred Sersen. /Iss,
incommunicabilité tragique des êtres, compa­ Réaî. : A rthur Jacobson.
rée à ce qu'il cherche et trouve, semble fri­ Int. : Cary Grant (capitaine Henri
vole. Ou plutôt, cette non-communication est Rochard), A nn Sheridan [lieutenant
ressentie chez lui comme une plénitude d'être ■Catherine Gates) , Marion Marshall,
et non pas un manque. Les monades qui Randy Stuart (H^cs), William Netf
(capitaine Jack. Rumsey), Eugene Ge-
constituent son univers — de l'avion à l'orage, ricke (Tony Jowitt), Ruben Wen-
du singe au savant, de l'étem el Adam à dorff (aubergiste), Lester Sharpe (fu­
l'Eve étemelle — n'ont pas plus à sortir de tur père), Kenneth T obey (marin),
leur isolement que la feuille, sur la branche, Robert Stevenson ({îeuferumi), Alfred
à être sa voisine. D'où son optimisme, d'où Linder (garçon de café), David Me
son pessimisme, l'un et l'autre absolus, et Mahon (aumônier), Joe Haworth
dont les rires de W ayne et de Clift, dans la (confrô/etrr d'embarcation, à terre).
dernière scène de ce film, donnent très jus­
tement la mesure. — E.R. .Résumé .• A la fin de la seconde guerre
mondiale* un officier français, le capitaine
Henri Rochard (C, Grant) est chargé d ’une

A SONC IS BORN

1948 _ A SONG IS BORN (si b é m o l e t f a


(Samuel Goldwyn - R.K.O.),
d j è s E)
113 min.
Prod. ; Samuel Goldwyn. Sc. : Harry
Tugent, d ’après Bail of Fire. Ph. :
Gregg Toland (Technicolor). Mus. :
Emil Newman, Hugo Friedhofer. Ly-
rics : Don Raye, Gene De Paul.
M ont. ; Daniel Mandell.
Int. : Danny Kaye (Robert Frisbee),
Virginia Mayo (Honey Swan son),
Steve Cochran {7ony Crow), Hugh
H erbert (Pr. Twingle) , J. Edward
Bromberg (Dr. E l fini), Benny Good­
m an (Pr. Magenbruch), Félix Bressart
(Pr. GerJylço^J), Ludwig Stossel
(Pr. Tratrmer), O. 2 . W hitehead (Pr.
Oddly). Esther Dale (Mis s Bragg),
Mary Field {Miss Trotten), Howard
Chamberlain, et Tomm y Dorsey, Louis
Armstrong, Lionel Hampton, Charlie
Barnett, Meî Powell, Buck and Bub-
blés. T h e Page Cavanagh Trio, T he
Golden Gâte Quartet, et Russo and
the Samba Kings. C ary G r a n t d a n s I W as a M a ie War Bride.

39
mission en territoire occupé par les Améri­ contraire. II faudra changer vofre dialogue,
cains. Rochard accomplit plusieurs de ces mis­ mais ne vous cassez pas Ja tête pour ça.
sions délicates avec succès, aidé par un lieu­ Dites ce gui vous passe p ar Ja tête, et si rien
tenant féminin de l'aim ée U.S., Catherine ne vient, je vous écrirai des diaJogues. »
(A, Sheridan). Mais il a toujours échoué dans
ses tentatives pour séduire celle-ci, et,_ pour Mais il trouve juste ce qu'ii faut, on tourne
cette raison, il se réjouit d ’avoir cette fois une et ça y est. II y a une scène, d an s L'Im­
nouvelle collaboratrice. A u dernier moment, possible M. Bébé, où il est en colère, le lui
on lui impose Catherine, et il est furieux, dis : « Plutôt ennuyeux. Vous vous mettez
d'autant plus que le voyage doit s’effectuer en colère, comme vofre voisin Durand. Pensez
en side-car, faute d ’autres véhicules. Catherine à quelqu'un qui se met en coJère ef qui est
conduisant, ils arrivent* après s’être perdus, drôle. » Et je me suis souvenu d'un homme
trempés par la pluie, dans une auberge où gui hennit presque comme un chevaJ quand
Rochard espère enfin la séduire : il doit se
contenter d ’un fauteuil dans la chambre de il est en colère. C'est ce qu'il fit, »
Catherine. Le lendemain, vêtu en civil, Henri
commence ses recherches et se fait prendre Quand Henri Rochard voit sans cesse Cathe.
dans une rafle, tandis que Catherine accom­ rine, quand elle lui est imposée et qu'il p assa
p l i facilement la mission. Rochard, furieux, même une nuit à son chevet, il ne peut la
et Catherine, ironique, s'embrasseront enfin, séduire. Quand il l'épouse enfin et qu'il croit
et parviendront à se marier malgré l’extrême
lenteur des formalités. Alors que leur nuit de la tenir, il a alors les plus grandes diffi­
noces commence, Catherine doit rejoindre son cultés à l'approcher et ne peut arriver près
unité qui part pour l’Amérique. Rochard, re­ d'elle qu'en devenant lui-même femme.
devenu civil et considéré comme « l’épouse Dans un premier temps, l'homme est fas­
d’un membre des forces américaines », essairc ciné par ce qui résiste à son action ou
de se faire rapatrier en "même temps que sn
femme. Dès ,lors, voyageant avec les femmes à sa pensée. Il est attiré par ce qu’il ne
de soldats américains, il cherchera en vain, connaît ni ne possède encore, fût-ce une
de nuit en nuit et de centre en centre, à pas­ idée fMonkey Business), un animal (Bringing
ser une nuit avec Catherine. A u moment de zip Baby, où K, Hepbum est le véritable
l’embarquement, la Navy refoule Rochard. ins­ léopard), ou une femme. Mais ce qu'il veut
crit comme une femme sur les listes, et il de­ atteindre lui échappe en fonction même de
vra se travestir en femme pour, s u t le bateau, l'intensité d'activité qu'il dépense pour l'obte­
sa situation enfin régularisée, s’enfermer avec nir. C'est que l'homme, dans la comédie
sa femme dans une cabine. hawksienne, est condamné au supplice de
Tantale : sou geste de saisir fait fuir ce qui
« Quel était le vrai sujet du film? le tente. Cette impuissance à posséder, cette
7e ne sais pas. Deux êtres se marient et distance qui s'installe sans cesse entre le
les règlements les empêchent de covcher en­ désir et son objet, est avant tout impuissance
semble, 11 existe une version polonaise du de l'homme à communiquer avec « l'autre ».
même sujet. Le Huitième jour de la ssmaine, Et cela, parce que l'homme, déchu d e son
traité sur le registre dramatique, avec une accord avec la vie et le monde, ne peut
séquence comique, mais pour ressentie], c'est s'accorder avec la vie des êtres. Catherine
une tragédie. Comme c^ film sur Je suicide telle qu'elle est : une fsmme douée d'une
Quatorze Heures. 7'aï dit que la seule ma­ force de vie propre, et elle, en accord avec
nière pour moi de faire un tel film était sa nature, fascine Rochard, mais le dépasse.
d‘avoir Cary Granf dans le rôie de l'homme ; Il ne peut la considérer que comme un objet
il est en train de faire Ja cour à cette femme. dont il veut faire son objet de plaisir. Aussi,
Je 'mari arrive, il saufe sur Je rebord cfe la dans la première partie du film, est-ce C athe­
fenêtre et prétend qu'il veut se suicider. Après rine qui, en conduisant le side-car, entraîne
Allez coucher ailleurs, Zanuck me dît : « /'ai à sa suite Rochard ballotté et impuissant. Et
une idée formidable, toi et Granf faites La quand elle l'abandonne un instant à lui-
Marraine de Charley, » Je lui répondis : même, il continue son élan vers elle, il subit
« Nous venons de Je faire, » Une des bonnes toujours son attraction, mais sans qu'elle
scènes du fiîm est celle où les épouses de soit là pour le guider. C'est l'accident, où
G.I.'s doivent expliquer si eJJes ont des ennuis se révèle le total décalage, spécifique des
féminins, si eUes sont enceintes. La scène comédies, entre l'homme et la machine, les
était remarquablement écrite, et Cary Granf, éléments, la îemme : le désaccord avec le
étant un homme, était supposé être dans monde.
l'embarras. Aîors je Jui dis : « Essayez Je Dans un second temps, Catherine, qui a
contraire. Que Je sergent ait l'air embarrassé cédé à Rochard sans pour autant changer de
d'avoir à demander ces choses. Dites : « Sou­ nature, accumule les difficultés pour lui de
v en t sergent. J'ai beaucoup d'ennuis. » De la retrouver : il s'épuise toujours à la rejoin­
cette façon, c'était drôle, et de J'aufre façon dre, elle ne fait rien poiir l'y aider ef reste
ce ne l'était pas. Et voilà ce qui est épatant à distance. C'est qu'un être, réduit en objet
avec Grant. Vous Jui dites ; « Essayez Je par l'homme, non seulement résiste à toutes

40
les tentatives d'appréhension de sa part, mais
encore transforme les forces d'attraction en
forces de répulsion : de là, dans Bringing
Up Baby, les heurts constants entre l'homme
et toutes les formes de la vie, de là aussi,
les avatars de Rochard, rejeté toujours plus
[oin de sa * femme p. Considérant Catherine
comme objet, Rochard, pour la posséder,
devra devenir lui-même objet. Et c'est seu­
lement quand il aura complètement renié sa
propre nature d'homme, en se changeant en
femme pour rejoindre Catherine, que, devenu
objet identique à elle, il pourra s'anéantir en
elle.
Dans les comédies de Hawks, l'homme est
inéluctablement pris entre l'impossibilité de
communiquer avec l'être, et le néant du rap­
port entre objets. — J.L.C.

(THE THING) K e n n e t h T o b e y e t D ew ey M a r t i n ( a u s e c o n d p la n ) ,
M a r g a r e t S h e r i d a n e t D o u g la s S p e n e e r ( a u tr o i s i è m e
p la n ) d a n s The Thing.
1951 — T H E THING FROM A NO TH ER
WORLD (l a c h o s e d ’u n a u t r e m o n d e )
(Winchester Pict. - R.K.O.), 67 min.
Prod. ; Howard Hawks (y4ss,, Edward au moment de la relève, un garde laisse sa
Lasker). Réaï.: Christian Nyby {j4ss. couverture sur elle, et la glace fond. La chose
Arthur Siteman, Max Henry). Sc. : est vivante, elle se dégage de la glace et prend
Charles Lederer, d ’après a W ho Goes la fuite. Dehors, les chiens, affolés, l’atta­
There », {Le Ciel est mort), de John quent les hommes la cernent et ne parviennent
Wood Campbell jr. Ph. ; Russell q u ’à lui arracher un tnembre, en forme de
Harlan. Mus. : Dimitri Tiomkin. Dir. main. Le docteur l’analyse et constate q u ’il
Art. : Albert S. D ’Agostino. Dec. : n ’y a pas trace de tissu animal. La chose est
Darrell Silvera, W illiam Stevens. végétale : on la place dans une serre, et le
Cost. : Michael Woulfe. Mont. : Ro­ docteur se passionne pour elle. Dehors, on re­
land Cross. Eff. Sp. : Linwood Dunn. trouve un chien vidé de son sang, et le doc­
Donald Steward. teur alimente alors le membre avec les ré­
serves de plasma sanguin de la base, ce qui
Int. : Kenneth Tobey [capitaine Pa­ l’oppose au capitaine Hendry. Dehors encore,
trick H endry), Margaret Sheridan un homme est attaqué par la chose, et les
[Nilfâi), Dewey Martin (chef de base), balles sont inefficaces contre elle. On par­
Robert Corntnwaite (Dr. Carrington), vient enfin à l’enfermer dans une pièce où
Douglas Spencer (SfceeJW), James le savant et le capitaine se heurtent. L’un veut
Young [lieutenant Eddie Dykes), Ro­ étudier la chose et tenter de communiqueu
bert Nichols [lieutenant K en Ericsson), avec elle, l ’autre la détruire, car elle est dan­
William Self icoîonel Barnes), Eduard gereuse. Sous les ordres de Hendry. on pré-
Franz (Dr. Stem ), Salîy Creighton jare un piège ; les parois métalliques du cou-
(Mrs. Chapman), et James Arness
(La Chose).
Ioir sont électrifiées, On ouvre la porte de la
pièce, et la chose sort. Alors, le savant se
précipite sur elle et lui parle : la chose le tue.
Résumé : A u Pôle, un avion a mystérieuse­ et elle est détruite.
ment disparu. Un général convoque l’équipage
d ’un autre avion et lui confie la mission a en­
quêter sur les étranges phénomènes. L’avion, Hawks travailla de bout en bout sur le
commandé par le capitaine Hendry (K. To- scénario et suivit toutes les répétitions. Chris­
bev), survole l’étendue glacée, quand le contact tian Nyby était alors son monteur et tentait
radio est brouillé. L ’équipe atterrit à une sa chance dans !a mise en scène :
base polaire, où Hendry retrouve son amie,
Nikki (A. Sheridan). Le savant de la base, * S’agit-il d'une critique systématique des
le Dr. Carrington (R. Cornthwaite) repart savants ?
avec l’avion pour survoler l’endroit. Là, ils — Non, ça s'est trouvé comme ça. Nous
aperçoivent, à travers la glace, un immense devions rendre pîausîbhs les raisons pour
disque. Avec un léger explosif, iis tentent de lesquelles ils laissent vivre la Chose. Nous
faire fondre la glace, et, après l’explosion, le
disque s’est volatilisé. Il n ’en reste q u ’un cy­ en avons donc tait des lourdauds, des gens
lindre recouvert de glace, qu’ils embarquent à leur façon honnêfemenf voués à leur tra­
et entreposent dans une chambre froide. La vail. C'éiaif drôle, lancer une pointe à la
chose est surveillée jour et nuit, mais une nuit, science-fiction. J'ai acheté l'histoife, qui n ' a v a i J

41
que quatre pages, e? nous mîmes environ une Prod. ; Howard Hawks. Sc. .* Dudley
semaine à Ja rédiger. Les deux premiers jours, Nichols, d ’après le roman de A . B.
nous avions des ennuis pour trouver une Guthrie jr. Ph. : Russell Harlan.
manière de raconfer l'histoire. Finalement, Mus. : Dimîtri’ Tiomkin. Lyr tes fran­
çais : Gordon Clark. Dir. A rt. : A l­
nous eûmes l'idée du reporter et nous la bert S. D ’Agostino, Perry Feiguson.
racontâmes à travers son regard. » Dec. ; Darrell Siivera, W illiam Ste-
vens. Cost. : Dorothy Jeakins. Mont. :
Signée de son monteur traditionnel Nyby. Christian Nyby. Secor>d-Unit Dr- :
mais suivie de très près par Hawks, en A rthur Rosson, j4ss. Réai, : "William
McGarry.
l'occasion son propre producteur, cette bande
s'intégre sans doute aucun dans son œuvre, Int. .- K irk Douglas (Jim Deakjrts),
Dewey Martin (Boone Candill), Eli-
ne serait-ce que parce que, tout comme A zabeth Threatt (Teaî Eye), A rthur
Song is Bom et Monkey Business, elle repîend Hunnicutt (Zeb), Buddy Baer (Ro­
le mythe de Faust. Il est plus important de maine), Steven Geray (/ourtfonnais),
vivre, même si cette vie ne laisse nul sou­ H ank W orden (Poor Deoi/), Jim Davis
venir et consiste en actions vaines el bana­ [Streali) , Henri Letondal (Labadie),
les, que de connaître. La fin nous Je précise : Robert H unter (Chotrcmeff e), Booth
une amourette est une action de plus d'im­ Colman (Pasccrf), Paul rrees (McMas-
portance pour l'avenir de l'humanité que le fers), Frank De Ko va (Molef ace),
Guy Wilkerson (Longface).
progrès de la science ou l'information du
public. L'esprit classique de Hawks glorifie Résum é : U n aventurier-trappeur, Deakins,
l'ordinaire aux dépens de toutes les formes (K. Douglas), rencontre dans une forêt un au­
de l'extraordinaire, comme en témoigne son tre aventurier, Boone (Dewey Martin). Ils font
mépris à l'égard du monstre el de tous ceux connaissance en se boxant durement, puis,
qui ne le méprisent pas, et à l'égard de amis, vont ensemble vers une ville où Boone
la science-fiction en général. Certains plans doit trouver un travail, grâce à son oncle. Là,
sont d'une richesse prodigieuse : quinze per­ ils provoquent une bagarre et retrouvent l’on­
sonnages peuvenl s'y trouver, qui agissent cle en prison, Z eb, vieux trappeur (A. Hunni-
tous différemment et simultanément. — L.M. cutt). Ils sont embauchés tous trois par le cheF
d ’une bande d ’aventuriers-commerçants fran-
çais, qui veulent, en bateau, aller acheter des
peaux à une tribu indienne et em mènent avec
THE BIG SKY eux en otage, pour se faire bien accueillir, la
fille du chef de la tribu, Teal Eye (E. Coyotte-
1952 — T H E BIG SKY ( l a c a p t i v e a t j x y e u x Threatt). La longue remontée du rleuve com­
CLAIRs), {Winchester Pictures - R. mence, les hommes ramant, tirant le bateau
K.O.), 140 mîn. dans les rapides, pendant que les trois trap­
peurs chassent pour de la viande fraîche et
protègent la captive contre les tentations des
hommes, car elle ne doit pas être souillée.
Mais vite, malgré les avertissements de Dea-
kïns, Boone en est amoureux, tandis q u ’elle le
hait d ’abord, essaie de le tuer, et l’aime enfin.
Une bande d ’aventuriers rivaux attaquent le
bateau et enlèvent l’otage, que les trois trap­
peurs reprennent vite. L ’expédition arrive enfin
sur le territoire des Indiens, où Boone épouse
la jeune fille. Plus tard, leur commerce étant
terminé, les trappeurs repartent, et Boone,
hésitant, les suit.

« La fin du film doit-elle être considérée


comme tragique, en ce sens que Martin reste
avec la fille, non parce qu'il l'aime, mais
parce que, s'il ne reste pas, il perdra l'amitié
de Douglas, qui en réalité aime la fille ?
— Oui, c'esf Jbien ce que nous avons voulu
faire, mais Je ne crois pas y avoir réussi.
Assez curieusement, je ne croîs p as qu'il y
eût de la chaleur dans les rapports entre ess
deux êtres. C'est ce que je visais, m ais ça
n'a pas passé. Et je crois que je suis le prin­
cipal responsable p ar ma façon de décrire
l'amitié de deux hommes. Je considère iCirfc
Kîrk D o u g la s d a n s T h e Big Sky. comme un de nos mezJJeurs * durs » —

42
chaque fois qu'il joue un rôle dans ce génie la ténacité, * répondant » moral de la répé'
il est absolument excellent. Quand il veut titiou. — A..S.L,
être trop gentil, montrer de l'amitié, ça ne
passe pas. J'ai eu tort de le prendre pour
Je film. Mon sujet tel que je J'avais conçu, THE RANSOM OF THE RED CHIEF
n'a pas passé vraiment. »
1952 - THE RANSOM OF T H E _ RED
La caractéristique de l'épopée, cinématogra­ CHIEF, s e c o n d s k e t c h ( i n é d i t e n
phique ou autre, est de * le prendre d'assez France), d e o ’HENRY FULL HO USE _ (LA
SARABANDE DËS p a n t i n s ) (Fox), e n v i r o n
haut » avec les actions des hommes. Le
20 m in .
temps de l'épopée échappe à la littéralité
qui définit l'univers quotidien. : c'est -un cou­ Prod. : A ndré Hakim. Sc. : Nunnally
rant souverain qui entraîne les hommes pour Johnson. P h, : Milton Krasner. Mus. .•
les jeter dans un monde grandiose, dominé Aifred Newman. Dir. Art. : Chestei
Goce.
par de grandes allégories morales comme la
Peur, le Courage, la Sagesse, etc. Int. ; Fred Allen (Sam), Oscar Levant
(Bill), Lee Aaker (}.B .), Kathleen
La profonde justice avec laquelle Hawks Freeman (Mère de J.B.),
examine les hommes (1) — qui affleure jus­
que dans l'indifférence objective du décou­ R ésum é : Des gangsters kidnappent un jeu­
page (plan large, plan rapproché : le gros ne garçon. Mais le gosse est tellement insup­
plan, exceptionnel, n'ayant qu'une Jonction portable, que les parents n’ont pas envie de
nayer la rançon et que les kidnappers doivent
de signal) — témoigne d'une altitude bien J
eur proposer de l’argent, pour qu’ils consen­
différente à l'égard du temps. Prenez en tent à le reprendre.
effet The Big Sky ; le temps n'est plus cet
ample manteau qui enveloppe les actions
humaines et les desfine (littéralement) à quel­ * Je suppose qu'on a coupé mon épisode
que fatum de tragédie. Que Kirfe Douglas parce qu'if n'avait pas vraiment grand-chose
soit amputé d'un doigt, cela n 'a guère d'im­ à voir avec O'Henry. Je voulais faire une
portance : avec tous les siens John Wayne comédie et me suis beaucoup écarté de
n'a pas entamé la beauté étale de Red Q’Henry. On a dû juger qu'il était trop diffé­
River ! (2) * Ce qui est, est », écrivait Rivette. rent des autres épisodes tournés pour le
Concluons : Howard Hawks refuse toute ruse fifm. »
d'auteur pour conduire son public sur un
terrain métaphysique. Ce terrain n'existe pas.
Pareillement, le temps n'existe qu'es. tant que MQNKEY BUSINESS
i praxis », au point qu'il devient un peu
absurde d'en parler (qu'on me pardonne 1952 — MONKEY BUSINESS (c h é r i e , j e me
donc !). Howard Hawks ignore la transcen­ SENS RAJEUNIR) ( F o x ) , 97 m i n .
dance, et l'humour qui imprègne son œuvre Prod. : Sol C. Slegel, Sc. : Ben
n 'a précisément d'autre fonction que de pré­ Hecht, LA, L. Diamond, Charles
cipiter les dernières traces de transcendance Lederer, d ’après un roman de Harry
qui pourraient encore rester en suspension Segall. Ph. : Milton Krasner. Mus. :
dans le récit. Leigh Harline, dirigée par Lionel
Newman. Dir A rt. ; Lyle R. Wheeler,
Mais The Big S ky brille à nos yeux pour George Patrick. Dec. ; Thomas Little-
une autre raison. C'est, avec Red River, le W alter iM. Scott. Cost. : Charles Le
film de l'amitié, de cette amitié virile, sans Maire, Travilla. Mont. ; William B
romantisme, qui dut toucher fort le Becker du Murphy.. Eff. Sp. : Ray Kellog.
Grisbi et du Trou. Enfin, en présence de celte Int. : Cary Grant (Dr. Barnabe Ful-
volonté typiquement hawksienne de doter fon), Ginger Rogers (Eàwina Fulton),
l’acte humain moins d'une résonance (oh I Charles Coburn (O/iüer Oxley), Mari-
Bressan) que d'une gravité, on comprend- Iyn Monroe (Lois Laurel), Hugh Mar-
mieux que le héros selon Hawks — le Dou­ lowe (Haroeu Entwistle), Henri Leton-
glas de The Big Sky, aussi bien que le Wayne dal {Dr. Siegfried Kitzel), Robert
de tRed River ou le Bogait d e The Big Sleep Corntwaîte (Dr. ZoUec^), Latxy
Keating (G. }. Gulaerly), Douglas
— soit en fait un anti-héros dont la vertu Spencer (Dr. Bruner), Esther Dalo
essentielle n'est pas le courage (aucune (Aîrs. Rhînciander), Georges Winslow
* action d'éclat » dans The Big Sky), mais (deep üoiced boy), Emmett Lynn

(1) Et pas seulement los hommes : les animaux e t (es machines ont également droit à toute la faveur de
Hawks.
(2) Je fais allusion à ce que nous disait H.H., dans son premier entretien : l'épisode du doigt coupé avait
d'abord é t é prévu pour Red River.

43
nésie juvénile. Plus tard, tous sont remis, et
attendent avec inquiétude que le singe renou­
velle son cocktail de jouvence.

« Les prémisses de Monkey Business étaient


difficilement acceptables et, en conséquence,
le film ne fut pas aussi drôle qu'il aurait dû
l'être. Les épisodes qui concernaient directe­
ment le singe étaient impossibles à croire. Les
autres atteignaient parfaitement leur but, une
lois acceptées ces prémisses. Mais je crois que
nous avions embarqué les spectateurs dans la
mauvaise direction. On ne pouvait imaginer
qu’un singe fût capable de mettre ensem ble
toutes ces choses, cela ressemblait un peu
trop à une farce. En outre, les scènes avec
Ginger fiogers devenue adolescente faisaient
double emp/oi avec celfes de Cary Grant, qui
l'emportait parce qu'if les jouait ie premier
ef que son rofe étaif mieux écrit, >

Oui, c'est bien là le film génial dont on


parlait ici même voilà plusieurs années déjà.
Mais il s'agit de ce génie difficilement sup­
portable où la mécanique du rire ne dissi­
H en ri L e to n d a ! e t C a r y G r a n t mule pas un glacial mépris : 1© rire même
d a n s M o n k c y B u sin ess. n'y est sans doute qu'un réflexe, et de la
plus suspecte des catégories, celle de 2'auto-
défense. Sans doute le théâtre contempo­
rain, de Jarry à Beckett, nous a-t-il hab i­
(Jimmy), Kathleen Freeman {Mrs. tués à de semblables paraboles où la logi­
Branntngan), Jerry Sheldon,
que, ne se distinguant plus de la folie (cette
Résumé ; Un grand chimiste, Barnabe (C. implacable logique « naire > .dans la lignée
Grant), tente de mettre au point la formule des moralistes corrosifs, Swift ou Quincey...)
d ’une drogue redonnant jeunesse et vigueur présente de l'homme, une caricature méta­
à l’esprit et au corps. 11 expérimente sur des physique, préservée ou enrichie par la force
singes, et, un jour, l’un d'eux, après avoir du symbole. Cependant, la conscience d 'assis­
observé les Restes du savant, s’écnappe de
sa cage et l'imite en mélangeant plusieurs ter à un. spectacle crée au théâtre u ne dis­
produits en une solution qu’il jette dans le tance dont Brecht n 'a pas été le seul, ou
distributeur d ’eau potale du laboratoire. Le le premier, conscient : qui nous empêche,
lendemain, Barnabe, croyant avoir trouvé la quand la charge devient péniblement trop
formule efficace, en boit, et boit ensuite un vraie, quand l'accusation nous concerne plus
verre d'eau. Il se comporte comme un collé* particulièrement, de nous réfugier derrière les
gien, n ’a plus besoin de lunettes, courtise la alibis de la fantaisie ou du fantastique ?
secrétaire de son patron (M', Monroe) accom­ Or, tri bu faire, qu'on le veuille ou non, de
plit des prouesses physiques et automobiles.
Quand l’effet est passé, encouragé par ce l'Entrée d'un train en gare de La Ciotat, le
qu’il croit un succès, il renouvelle l’expérience cinéma ne peut renoncer (le voudrait-il...) à
sur sa femme, Edwina (G. Rogers) qui re­ sa force documentaire, qui ne v a p a s sans
trouve l’entrain de ses vingt ans et la nostaL malices, ni tyrannie : u ne pièce filmée
gie de la lune de miel ; e l l e traîne son mari ne sera pas seulement le documentaire
épuisé, de bal en bal, jusqu’à l’hôtel^ de leur sur une pièce de théâtre, mais fera,
nuit de noces. Plus tard, au laboratoire, Bar- . d'une certaine façon, apparaître aussi
nabé travaille et boit, avec sa femme, beau­
coup de café (préparé avec l'eau du distribu­ cette pièce comme un document, en la
teur). Ils retombent tous deux en enfance, plaçant à un niveau qui est celui d e l'évi­
et à l’affolement du directeur qui voudrait dence réaliste, du constat. (On voit le pou­
bien posséder la formule, se battent, se cou­ voir dont pourrait ainsi s'accroître le déjà
vrent de peinture. Edwina revient la pre­ considérable Ubu.)
mière à elle et s ’affole en voyant auprès d'elle La crédibilité de Monkey Business ne peut
un bébé (celui d’une voisine) qu’elle prend ainsi pas un instant être mise en. doute. Hawks
pour Barnabe, tandis que celui-ci scalpe avec montre et ne fait que montrer. Sa sécheresse
une bande d ’enfants l’ancien flirt d ’Édwina.
Au labo, chimistes et hommes d ’affaires atten­ même, qui refuse la séduction ou la grâce,
dent le retour du savant, boivent eux-mêmes dont la présence, en Bringing Up B aby fai­
beaucoup d’eau, et partagent )a même fré­ sait passer bien des choses, est le g ag e le

44
plus sûr de sa vérité. Hawks aime, en. ses tiser un vieux milliardaire, tandis que Dorothy
comédies, à représenter l'envers de l'univers tombe amoureuse de Malone. Mais celui-ci se
moral de ses autres films. D'une part, l'homme Fait prendre en flagrant délit d ’espionnage et
est grand en ce qu’il lutte, et la victoire ou c’est la brouille, A Paris, les deux filles, rui­
nées par l’annulation de la lettre de crédit de
la défaite sont choses dérisoires à côté de Gus, doivent à nouveau chanter, jusqu’au jour
cette lutte même. D'autre part, il est pitoya­ où, Gus et Malone reconquis, tout finit par
ble, risible ou méprisable en tout ce qui est un double mariage, où toutes deux cette fois
son abaissement ou sa caricature : l'enfant chantent l’amour des diamants.
américain, le singe, le primitif, la femme-
objet, etc.
* N'est-il pas drôle que certains trouvent
La crudité avec laquelle Monkey Business Monroe et Russell sexy dans Gentlemen Prefer
dénonce la faillite de l'intelligence et la Blondes, alors que vous visiez le résultat
fascination des états premiers prouve en Hawks contraire ?
une * sensibilité absurde » qui non seule­
ment renvoie au néant ioute une partie du — C'est diôls. Moi, je les ai trouvées très
théâtre contemporain, maïs permet aussi diffi­ amusantes, de parfaites caricafures : un tra­
cilement d'en rire, mie fois qu'elle a révélé vestissement du sexe. Il n 'y avait pas de
son rôle de miroir. Car nous glacent moins, sexualité normale. Jane Russell était supposée
parmi ceux qui font le constat des failles représenter la santé et Marilyn jouait une fiiie
humaines, les extériorisations expressionnis­ dont Je seul souci est d'épouser un homme
tes à la Stioheim que les intériorisations lu­ riche. Elle avait son petit code à elle et s'y
cides, comme chez Hawks. — J.-A. F. tenait strictement. Le plus adulfe de tous était
Ventant, à ibord du navire, ef je crois qu'il
était très amusant. Nous avons volontairement
rendu le Hlm vulgaire et raccrocheur. Pas la
GENTLEMEN PREFER BLONDES moindre recherche de réalisme. Nous tour­
nions une comédie musicale, pure ef simple. »
1953 — GENTLEMEN PREFER BLONDES
(L e s hommes préfèrent les blondes)
(Fox), 91 min.
Prod. : Sol C. Siegel. Sc. : Charles
Lederer, d ’après la comédie musicale
d ’Anita Loos et Joseph Fields, inspi­
rée du roman d ’A nita Loos. Ph. :
Harry J. Wïld (Technicolor). O m s,
Couï. ; Léonard Doss. Mus. et Lyrics :
Jule Styne, Léo Robin, Hoagy Car-
micbael, Harold Adamson. Z3ir. A rt. :
Lyle R. Wheeler, Joseph C. Wright.
Mont. ; Hugh S. Fowler, Chor. ;
Jack Cole. Ejf. S (y. ; R ay Kellog,
/4ss. Réal, : Paul Helmick,
Int. : Jane Russell (Doroihy Shüu)),
Marilyn Monroe (Loreiei Lee),' Charles
Coburn {Sir /'rancis Beefynan), Elîiott
Reid (Malone), Tomm y Noonan (Gus
Esmond), George W inslow [Henry
Spofjard III), Marcel Dalio (juge fran­
çais), Taylor Holmes (Esmond sr.),
Norman Vardem fLady Beefcman),
Howard W endell ofson), Steven
Geray (gérant de Vhôtel) Henri Leton-
dal (Grotien), Lee Mostovoy (Philipps),
Alvy Moore [athlète).

Résumé : Deux danseuses de cabaret, l’une


blonde, Loreiei Lee (M. Monroe), qui préfère
les diamants, et l’autre brune, Dorothy Shaw
(J. Russe)]), qui préfère les muscles, s ’en vont
en France pour inciter le soupirant naïf et
milliardaire de Loreiei, Gus (T. Noonan), à
fprcer la main à son père, très rétif au m a­
riage. Le père charge un détective, Malone
(E. Reid), de surveiller la conduite de Loreiei :
sur le bateau, elle ne peut s'empêcher de cour­ M a rily n M onroe dans G e n tlem en Prefer Blondes.
Viscanti, Bresson et Long proposent trois ner, Harry Kurnitz, Harold Jack
images différentes d'un, cinéma aristocrate : Bîoom. Ph. : Russell Harlan, Lee
le premier par la profusion, le second par Garnies, en cinémascope et Warner»
color. Mus. ; Dimitri Tiomkin. Dîr.
l'ascèse et le troisième par l'architecture. Art, : Alexandre Trauner. C ost :
Familier ou hautain, indulgent ou méprisant, Mayo. Monf. : V . Sagovsky, supervisé
c'est dans la manière particulière qu'il s'ac­ par Rudi Fehr. Second-Unît Dir. ;
corde de juger, que Hawks peut être rangé Noël Howard, ^ ss. Réaî. : Paul Hei-
parmi les patriciens. Jugement toujours pré­ mic.
s e n t mais noyé, dans la plupart des films, Int. : Jack Hawkins (Chéops), Joan
dans le déroulement de l'action, inséparable CoIIins (NeUifer), Dewey Martin
d'elle, alors que mis à nu dans les comédies, (Senta), Alexis Minotis ^Hamar),
qui sont le mécanisme même de ce juge­ James Robertson Justice (Kasfifar),
m ent « Oh, il was just fun dit-il dans son Luisa Boni (Kyra), Sidney Chaplin
(Treneh), James Hayter (Mi^fca). Ke-
entretien (Cahiers, n° 56), à propos de Gent­ rima (Nailla), Piero Giagnoni (Zani).
lemen prefer Blondes, Or, un film de Hawks
ne peut pas qu'être drôle, le regard critique
du metteur en scène refusant toujours le spec­ Résum é ; Rentrant victorieux d ’une longue
tacle pur. guerre, le Pharaon Chéops (J. Hawkins)
retrouve sa reine, Neila, son immense trésor
et son ami le grand-prêtre. Chéops, obsédé
En quoi cependant la comédie musicale ar sa mort et ses richesses, veut se faire
se distingue-t-elle pour Hawks de la simple âtir un inviolable tombeau. Mécontent de
comédie ? La réponse va de soi, pour le ses architectes, il propose à Vastar (J. Robert­
moins statique des cinéastes : elle est dans son), prisonnier avec son peuple, et dont il
l'accentuation d'une dynamique, modulée se­ a admiré le génie d ’architecte, de faire les
lon la loi propre du genre, au lieu d'être plans du sépulcre en échange de la liberté
de son peuple. Une foule immense se ras­
stridente (Monkey Business). semble pour travailler sous les ordres de
Vastar. Les années passent, Chéops a un fils
Cependant danses et chants ne succom­ de Neila, mais bientôt les hommes s’épuisent,
bent aux tentations de la poésie, de la fan­ les vivres manquent, et la pyramide reste
taisie ou de la gratuité, mais, absolument inachevée. Chéops- doit lever un impôt chez
fonctionnelles, prolongent la mise en scène, ses alliés : la princesse de Chypre, Nellifer
(J. Collins) est trop pauvre pour payer Chéops
sans ruptures, toujours avec des justifications autrement qu’avec son corps. D’abord irrité
de degrés, ce qui donne, p ar rapport à un par la fierté de Neflifer, Chéops «e rend à ses
Minnelli, par exemple, le paradoxe fructueux charmes et en fait sa favorite. Les travaux
d'une comédie musicale réaliste. Même le goût secrets commencent, et Vastar, presque aveu­
d'un certain onirisme malsain {la scène du gle, doit se faire aider par son fils : mais
tribunal) ou de la logique du cauchemar tous ceux qui connaîtront le secret du laby­
(sensible aussi dans Monkey Business et I rinthe doivent mourir avec Chéops. Nellifer,
fascinée par les trésors de Chéops, et avide
W as a Maie W ar Bride) ne parviennent à de pouvoir, séduit un o f f i c i e r qui rapporte à
déparer une continuité aussi rigoureusement Chéops l'existence d ’un trésor dans un tom­
architecturée. On est alors sensible aux irrem­ beau lointain : Chéops ne résiste pas à la
plaçables « mouvements » hawksiens, qui se tentation et part. Nellifer fait assassiner Neila
répondent et s'approfondissent de film en par un serpent, et envoie 6on esclave pour
151m. Car, de même que le bateau de Big tuer Chéops : celui-ci, seulement blessé, recon­
Sky, tournant autour d'une dune en suivant naît l’esclave, mais ne croit pas à la culpabi­
lité de Nellifer. Il rentre au palais, surprend
le cours du fleuve, renvoie à l'avion et à la Nellifer dans les bras de son complice, tue
colline de OnJy Angels Have Wîngs, de même, celui-ci et, mortellement blessé, expire aux
c'est aux Indiens de Bed Biver, pendant pieds de Nellifer. Le grand-prêtre, ayant libéré
l’attaque du camp, que font songer les plon­ Vaetar et son fils, conduit avec Nellifer le
geurs de l'Equipe Olympique, en zébrant convoi funèbre du Pharaon jusque dans la
l'écran d'un superbe et rapide mouvement salle secrète : là, les issues se ferment, la
horizontal. — J.-A. F, salle se scelle selon le dispositif de Vastar,
Nellifer et le grand-prêtre sont enterrés vivants
près du sarcophage et des richesses de Chéops.

LAND OF THE PHARAOHS


« Je n'aime guère le îilm. J'ignore comment
parle un Pharaon. Et Faulkner ne le savait pas
1955 — LAND OF T H E PHARAOHS (l a davantage. Personne ne le savait. Nous
terre DES pharaons) (Continental croyions avoir une histoire intéressante, la
Prod. W arner Bros), 106 min. construction d'une pyramide, mais il nous
Prod. ; Howard Hawks (/îss. • A r­ fallait une fnfrigue, ef nous ne nous en sommes
thur Siteman.) Sc. ; William Faulk­ jamais approchés.

46
— La dernière phrase, < Nous avons un long
chemin à parcourir », constituait-elle votre
commentaire sur le destin de l'humanité ?
— Oui, pour cette période de l’humanifé.
Voyez-vous, le Pharaon était une personne un
peu trop étroite d'esprit, un peu trop simpliste.
II n'avait qu'une croyance, s'y tenait et il se
répétait trop souvent. J'avais le sentiment que
les scènes faisaient double emploi, c'était terri­
blement .difficile d'approfondir, parce que nous
ne savions pas ce que pensaient ni ce que
disaient ces Egyptiens. Tout ce que nous
savions d'eux c'est leur étrange désir d'amas­
ser une fortune pour l'employer dans leur
seconde vie, comme ils l'appelocient. Aussi
n'avions-nous aucune idée de la direction à
suivre. On ne savait pas s'il fallait rendre la
fille un peu plus mauvaise ou le Pharaon un
peu plus dominateur. On en arrive presque à
perdre tout sens des valeurs. Quand on ne sait
plus de quel côté se trouve Je personnage,
qu'ii ne vous intéresse pas fortement, que
vous ne prenez pas parti, alors il n 'y a plus
K e rîm a , P iero G i a g n o n i et Joan Collins d a n s
de film.
Land o f th e Ph argoh s.
— La Terre des Pharaons est le seul film
que vous ayez tourné en Cinémascope. Que
pensez-vous du procédé ?
est l'univers de quelqu'un qui sait, autre­
— je ne trouve pas le Cinémascope satis­ ment dit qui traite ses formes en termes
faisant. H ne vaut que pour montrer de vastes d'affirmations, d'évidence, et qui refuse l'in­
masses en mouvement. Pour le reste, il disfroit
terrogation. Univers à la fois admirable et
l'at(endon, empêche de se concentrer, rend
péchant p ar l'abssnce d'un péril que le créa­
très difficiles les effets de montage. Certains teur imposerait à s a propre démarche. Et
ne s'en préoccupent pas, font une coupe et
ce n'est pas l'exploration, et le triomphe sys­
laissent le regard du spectateur errer à J'aven­
tématique dans chaque genre qui peuvent
ture, a la découverte de ce qu'il lui plaît de
garantir de la recherche d'un salutaire danger,
découvrir. C'est presque impossible pour le
tant on a le sentiment, à chaque fois, que
spectateur de se concentrer, il a trop à voir,
notre auteur partait gagnant.
il ne peut p as voir la chose dans son ensem­
ble. Si vous voulez coupei sur un close-up il Allons-nous pourtant pousser l'ingratitude
vous faut que l'homme en train de parler ait jusqu'à lui reprocher l'ignorance de la fai­
la même position relative sur l'écran. C'est blesse, ou de l'échec ? Mais voilà qu'en abor­
difficile d'obtenir de telles compositions. Je dant le film historique, et qui plus est, anti­
préfère les proportions 1 X 1,85, celles que que, Hawks risque quelque chose. (Nous
nous avons employées pour Rio Bravo et Hatari, avons depuis, en ce domaine, enregistré les
ça vous donne juste un peu plus d’espace sur échecs, de l'impardonnable à l'honorable, de
les côtés. Si les dimensions du Cinémascope Mann, Kubrick, Ray, Fleischer, Aldrich, etc.,
étaient satisfaisantes, les peintres les a u ­ ce qui témoigne d'une certaine malédiction
raient utilisées depuis des années — ef ils du genre.) Sans doute y a-t-il la voie qui
sont tout de même dans le métier depuis plus bannit le spectacle pour restituer l'Histoïre à
longtemps que nous. » travers une intériorité, voie qu'eût sans doute
choisie Rossellini pour son Socrate, et que
choisira peut-être Dreyer pour son Christ. Mais
Exemplaire p ar son classicisme, moderne Hawks, jouant le jeu, lance l'admirable, et
p ar le détachement hautain de son écriture, le seul sans doute, coup de dés de son
l'œ uvre de Hawks ignore cependant une cer­ œuvre, ce pour quoi la Terre des Pharaons,
taine inquiétude, ou rêverie des formes, qui film génial et raté, m 'apparaît comme le
signe l'art du XXe siècle dans son ensemble. plus beau, le seul vraiment bouleversant
(Inquiétude ou rêverie qui peuvent se mani­ de son auteur. J'aime que Hawks, aidé, ou
fester même dans la sérénité : chez Matisse, induit en tentation p a r Faulkner, ait su céder
c'est la ligne qui rêve, comme, chez Bon­ à un vertige de i'Absolu tel que son sujet
nard, la couleur). C'est qu'un tel art de la (que Lang eût superbement abslractisé) impos­
certitude n'est point à l'abri d'un dogma­ sible et terrifiant, contienne la démarche qui
tisme parfois irritant : l’univers de Hawks fut probablement la sienne lors du tournage.

47
Si construire une pyramide est une idée nouvel assistant, Les mercenaires de N athan
iolle pour un Pharaon, faire un film de cette cernent la ville, et quand les trois hom m es et
idée iolle aboutit à reconstruire Ja pyramide. le vieux 'Stumpy (W. Brennan) qui garde la
prison, obsédés par îe « DegueJîo », Ja ch an ­
D'où l'extraordinaire cheminement, de l'exal­ son du coupe-gorge, que Nathan fait jouer
tation après la victoire, qui ouvre le film, sans cesse, décident de s’enfermer d an s la
à la lente dégradation du temps, aux fasci­ prison pour attendre l ’arrivée du shérif fédé­
nantes ténèbres de conspiration, de meurtre et ral, les tueurs parviennent à s’em parer de
de sang, à la mort et à l'allégeance finale. Dude. Chance accepte de faire l’échange Dude-
Le cinéaste a fait son portrait comme le Pha­ Joe : quand les deux hommes se croisent,
raon a voulu préserver sa mort : par l'ab an­ Dude saute sur Joe et le maîtrise, tandis que
don aux forces de l'orgueil, inextricable mé­ Chance, avec l’aide de Colorado et de Stum py,
détruit le repaire de Nathan et emprisonne
lange de création et de destruction, d'art et toute la bande. Libéré de ses soucis, C hance
de folie. — T.-A. F. peut enfin s’occuper de Daisy.

« Après La Terre des Pharaons vous avez


RIO BRAVO attendu trois ans avant de tourner Rio Bravo ?
— /e me suis mis à réfléchit à la m anière
1958 — RIO BRAVO (r i o b r w o ) (Armada dont nous avions l'habitude de faire des films
Prod. — Warner Bros). 141 niin. et dont nous les faisons aujourd'hui, et j'ai
passé en revue un tas de films que j'av ais
Prod, : Howard Hawks. Sc, : Jules aimés. Aujourd'hui, on vous demande de coller
Fur tKman, Leieh Brackett, d ’après
une nouvelle de B.H. McCampbell. à un scripf ef Ja méfhode Ja pJus facile, Ja
Ph. : Russell Harlan, en Technicolor, pïus simple, compte fenu des possibilités p h y­
Mus. : Dimitri Tiomkm. Chansons : siques du studio, est la meilleure. A ussi déci­
Paul Francis Webster, Dimitri Tiom­ dai-je de faire marche arrière ef d 'essay er de
kin. Dir. Art. : Léo F. Kuter. Dec. : retrouver un peu de l'esprit avec Jequel nous
Ralph S. Hurst. Cost. : Marjorie Best. avions l'habitude de fiJmer. Nous avions recours
Mont. : Folmar Blangsted. /Iss, Réal. : à Ja comédie chaque fois que cela éfaif pos-
Paul Helmick. sible. Puis nous sommes devenus trop sérieux
Int. : J°hn Wayne (John T. Chance), sur ce chapitre. Je crois que, dans Rio Bravo,
Dean M a rtin (Dude) Angie Dickin- on rit presque autant que si dès Je départ nous
son (Feathers}, Riçky Nelson (Colo­ avions voulu taire une comédie. Je décidai
rado), W alter Brennan (Stumpy), également que Jes spectateurs étaient fatigués
W ard Bond (Pcrf Wheeler) , John des intrigues et, comme vous le savez, Rio Bravo
Russel {Nathan Burdetîe), Pedro Gon-
zales-Gonzales (Ccrrios), Estelita Ro- ef Halari ont peu d'intrigue et davantage de
driguez {Consue(a), Claude Akins (Joe « caractérisation ». Et jusqu'à présent, je
Burdette), Harry Carey jr (Harold), n'ai pas eu à m'en plaindre. Les gens sem­
Malcolm Atterbury (Jahjz), Bob Steeîe blent prététer cette solution. 7e ne veux pas
(Maif Harris). dire que, si un grand sujet s'of/re à vous,
vous devez le rejeter, mais je crois q u e l ’in­
Résumé : John T . Chance (J. Wayne), trigue moyenne est passablement défraîchie. A
shériF de Rio Bravo, offre une nouvelle la télévision, on a fabriqué tant ef ta n t.d'infri-
chance, en le sauvant de l’humiliation, à son gues que les spectateurs en sont las. S i vous
ancien assistant, Dude (D. Martin) qu’une proposez aux gens une intrigue on a un peu
fille, venue par la diligence, a détruit en tendance à dire : < Oh l j'ai déjà vu ç a ! >
six mois et que, depuis, les Mexicains appellent Maïs si vous les empêchez de savoir e n quoi
« borrachon », ivrogne. Avec l’aide de Dude, consiste I'înfrïgue, vous avez une chance de
il emprisonne Joe, coupable de meurtre, le
fière raté du riche propriétaire Nathan Bur- maintenir leur intérêt intact. Ce q u i nous
dett. Il rencontre enfiri Daisy (A. Dickînson), amène aux personnages. Vous devez écrire
aventurière venue elle aussi par la diligence, ce que Je personnage pourrait penser : il
dont il se méfie, mais qui le trouble, dont il motive votre histoire et les situations. C'esf
cïaint qu’elle n ’entre dans sa vie, mais qui quand un personnage croif à queJque chose
le séduit. Dude, redevenu assistant de Chance, qu'une siîuafion se produit, non parce q u e, sur
réussit pour la première fois de sa vie à le papier, vous décidez qu'elle doit s e pro­
u entrer par la porte de devant » et à abattre
le meurtrier du vieil ami de Chance, P at duire.
W heeler. Mais Dude doit lutter contre l’alcool
et, au moment où Chance a le plus besoin — La plupart de vos iilms traitent d e per­
d ’aide pour lutter contre les hommes de main sonnages, plutôt que de situations ?
et les tentatives de Nathan qui veut libérer
son frère, il se laisse paralyser par les tueurs. — 7J vous faut souvent un certain te m p s pour
Chance aurait été perdu sang l'intervention prendre conscience de ce que vous faisiez
du jeune Colorado (R. Nelson) qui devient son inconsciemment. Alors, vous vous meffez à Je

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faire intentionnellement, ce gui rend vofre tra­ soudain notre scène démarra. De même les
vail bien moins compliqué. Mais aussi plus bébés éléphants dans Hatari, ef fouf ce qu'ifs
dur, parce que, s'il est aisé de suivre une faisaient. Ça ne se prévoit pas. Je ne crois pas
intrigue, ii est plutôt dur, sans intrigue, de qu'un sfudio normal aimerait dépenser six ou
savoir ce qu'on va faire. sept njifJions de doffars sur un film de ce
genre, sans histoire. Mais ce n'est pas aussi
— Hio Bravo a été improvisé en cours de bizarre que ça en a l'air. Vous pouvez avoir
tournage ? une scène absolument bonne, mais. au fur et
à mesure que fe personnage se développe au
— Non, ce n'était qu'une élaboration des cours de l'histoire, qu’il vous apparaît de plus
personnages. Nous disions, voilà une scène, en plus clairement, vous réafisez que fa scène
mettons-y un peu de vigueur. Que croyez-vous que vous êtes en train de tourner a peu ou
que ce personnage ferait ? Won, il ne ferait prou de * caractérisation * ; aussi vous met­
pas ceci, if ferait cela. Ça ne se trouve pas tez-vous à étoffer fe bonhomme. C'est en réa­
dans un bureau. Pour une pièce l'auteur lité la même scène, mais vous y avez introduit
s'assoit et observe une douzaine de répéti­ qu efques mots différents, quelques attitudes
tions, les choses changent. Nous ne pouvons nouvelles. Le noyau central de Rio Bravo ce
pas changer. Une fois qu'une scène est dans n'est pas W ayne, c'est i'histoire de Dean Mar­
la boîte, pour ainsi dire, elle ne changera tin. En fait, Wayne me décfara .* « Qu'est-ce
pas jusqu'à sa projection définitive. Nous de­ que je fais pendant qu'if joue toutes ces bon­
vons donc iâter le terrain, tout en progressant, nes scènes ? * « Eh bien, fui expliquai-je, vous
ajouter un trait de caractère, un bouf d'action fe regardez comme un ami ». Ef ij me répondit :
entre deux personnes, ou inventer de toutes * O.K. Je sais ce qu'il me reste à faire ». En
pièces des rapports que nous approfondirons. réalité, c'était un grand rôle pour W ayne p ar­
Dans Rio Bravo, Dean Martin, à un moment ce qu'il traverse toutes ces épreuves p a r amitié.
donné, devait rouler une cigarette. Ses doigts Il se demande ce que vaut cet homme, s'if
n'y arrivaient pas et W ayne ne cessait de lui est couJé ou s'if s'en tirera. Vous observez un
passer ses cigarettes. Vous saisissez immédia­ homme en pleine évolution, qui finit p a r bien
tement qu'ifs sont devenus formidablement tourner, et son ami en esf heureux.
amis, sinon if ne ferait p as cela. Cette scène
est née d'une remarque que me fit un jour — Comment avez-vous eu l'idée de faire
Martin : « Si mes doigts sont si maladroits, fîio Bravo ?
comment vais-je rouler cette cigarette ? s W ayne — Tout commença avec certaines scènes de
lui répondit : « Je vais t'en passer une et High Noon (Le Train sifflera trois fois), où

R ic k y N e ls o n , A n g ï e D ic k î n so n e t John W ayne dans Rio Bravo.

49
Gary Cooper cherchait de J'aide et où per­ Tous les moments d'un être se déroulent
sonne ne lui en donnait. C'esf plutôt slupide de dans chaque moment de s a vie, toute la
sa part, d’autant qu'à la fin du film il est dimension d'existence du personnage se dé­
capable de faire tout seul le travail, /e me suis ploie dans l'instant de son action.
dit ; faisons juste Je contraire, adoptons un
point de vue véritablement professionnel. Com­ Pour Dude, le présent, c'est le temps de
me dit W ayne, quand on lui offre de J'aide : la lutte; pour Colorado, de la perte des illu­
* S'ils sont vraiment bons, je les prends. Sinon, sions et dlz heurt avec le ré e l; pour Stumpy,
c'est moi qui devrai prendre soin d'eux ». Nous de l'affirmation désespérée de soi-même ; pour
'avons tout fait de la sorte: juste le contraire. Daisy, de la fixation. Tous ces personnages,
High Noon m 'avait tellement déplu que j'en ai avec chacun leur problème du présent, se
pris le contrepied, ça a marché, le public a définissent p ar rapport à Chance, parce que
adoré ça. Et puis, on s'est bien am usé au pour lui, le présent, c'est le temps de l'action.
cours du tournage. Comme des fous. Je ne Héros hawksien, il contrôle sans cesse le
pense pas que nos réactions fussent lolles, présent, tout en étant déterminé p a r la force
elles étaient normales, mais, par rapport aux de chaque événement. Il est l'homme en
mauvaises habitudes que nous avons, elles accord avec le monde et îui-même : il assume
pouvaient sembler folles. Tout Je monde devait les résistances inéluctables du réel (échec des
se décarcasser pour trouver des idées. Par plans, défaillances des autres), mais se dirige
exemple, l'explosion de Ja dynamite à Ja fin dans l'action et dans le réel tout aussi iné­
du film, c'esf une invention du directeur artis­ luctablement.
tique. 11 en mit même trop, une fois : dans notre
La mise en scène de Hawks, qui crée et
gigantesque explosion, il mit du papier rouge,
jaune ef vert, avec le résultat que toufe la présente cette harmonie des forces du monde
et de l'homme au sein de l'action, se définit
maison ressemblait à un gigantesque ieu d'ar­
tifice chinois. Nous éclatâmes de rire et je elle-même comme une harmonie supérieure
Jui dis ; < Qu'avez-vous fait ? » Et il me répon­ avec le monde et l'homme dans l'acte de
dit : < Je m'étais imaginé que ce bâtiment avait créer. Par la force de cette harmonie, elle
des fournitures de différentes couleurs, mais crée un cinéma en accord avec son essence :
d'offrir immédiatement 2a vie, dans s a tota­
c'esf Je spectacle Je pJus horrible que j'aie
jamais vu ». Il reconstruisit lé bâtiment et tout lité de dimensions et dans s a plénitude sen­
sible. — Ï.-L. C,
se passa normalement, mais on avait J'im-
pression de voir quelque énorme ef fantasti­
que bombe explosant à Monte-Carlo, C'était
fort dxôle. HATARI !

1961 — H A TA R I ! (HATARU) (Malabar Prod.,


Le film est au présent : il vit, il. se vit et Paramount), 159 min.
il est vécu cru présent. Pareil présent, c'est Prod. : Howard. Hawks (ylss. et Se-
d'abord la présence simultanée et immédiate cond-Unit Dir. : Paul Helmick. Sc. :
(comme chez Faulkner) de toutes les dimen­ Leigh Brackett, d'après une histoire
sions de la vie, de tous les moments de l'étre de Harry Kurnitz. Ph. ; Russe!
dans chaque présentation des personnages et Harlan, en Technicolor. Ass. : Jo­
seph Brun, Mus. : Henry Mancini.
des actions. Dir. Art. : Hal Pereira, Cari Andei-
son. Dec. : Sam Corner, Claude E.
Dans Je même marnent se condensent Carpenter, Cosl. : Edith Head, Frank
d'abord les implications de J'acfueJ, du réel : Beetson, jr. Mont. : Stuart Gilmore,
la ville cernée, la diligence rare, l'obsédante Ef}. Spe. : John P. Fulton. ylss.
chanson, les présences menaçantes des tueurs Réal. ; T om Connors, Russ Saun-
et celle, troublante, de la femme. Ensuite, ders. Cons. T echn. ; W illy De Benr
1rs déterminations du vécu, du < passé », Int. ; John W ayne {John Mercer)
H ardy Kruger (Kurt Stahl), Eisa Mar-
ferment du présent, enfoui et combattu, et qui tînellî (a Dallas »), Red Buttons
resurgit, plus déchirant chaque fois, dans (Pockets), Gérard Blaîn (« Frenchy ü),
chaque geste de Dude, dans le boitillement Michèle Girardon (« Brandy »), Bruce
de Stumpy, dans la méfiance de Chance pour Cabot U lndten »), Valentrn de
la femme venue, comme l'autre, p ar la dili­ Vargas (Luis), Eduard Franz (Dr.
gence. Enfin, Jes répercussions du risqué sur Süncferson) „
un avenir qui s'accomplit et s'absorbe sans
cesse dans l'évolution de l'action : le risque Résum é ; Sous la conduite de Sean Mer­
cer, un groupe de chasseurs qui travaille pour
que prend Dude, en passant « par devant », les zoos et comprend K urt Stahl, coureur
de se tromper et d'échouer, le risque de automobile, Pockets, ex-chauffeur de taxi
l'échange Dude-Ioe, où Dude, d'un seul élan, new-yorkais, Luis, qui fut toréador, et a l'In ­
assume son passé, son présent et son futur. dien », chasse un rhinocéros, qu’il faut cap­

50
turer vivant. La bête s’échappe, en blessant — Je dirai plutôt que le principe du fiim,
gravement r l’Indien ». D’abord soigné par c'esf une saison de ciasse, du début à la
Brandy, fille de l’ex-piopriétane du ranch fin. C'est ce qui arrive à un groupe de gais,
tué par un rhinocéros, il est conduit à l’hôpi­ partis ensemble chasser au cours d'une sai­
tal. O n ne peut le sauver que par une trans­
fusion sanguine d ’un groupe rare : à ce son. Eisa Martinelli, c’est la fameuse photo­
m oment, se présente Charles Maurey, jeune graphe Ylla, qui était si diablement excitante
aventurier français à bout de ressources, du que les hommes la menaient dans des endroits
m êm e groupe sanguin. 11 est alors accepté où elle pourrait obtenir les plus belles photos
par Sean. De retour au ranch, les chasseurs du monde. Elle tomba cfun camion et se tua
découvrent une fille couchée dans le lit de en Afrique du Sud. ]’ai entendu parler de ses
Sean ; c’est Dallas, photographe envoyée par aventures amoureuses et c'esf de là qu'est
le zoo de Bâle, Sean se montre d ’abord hos­ parti le personnage. Celui de la jeune Fran­
tile à sa présence, puis l’accepte : elle parti­
cipe aux chasses (rhinocéros, girafes, gazelles, çaise était basé sur l'histoire authentique d'une
buffles, singes). Très vite, elle tombe amou­ fille dont le père, illustre, avait été tué p ar
reuse de Sean, qui la fuit à cause d ’une pré­ un rhino. Ces hommes utilisaient s a ferme, ef
cédente déception sentimentale, e t’ elle doit la fille giandissait au milieu de ces hommes.
faire les premières avances. Elle sauve un Alors, au lieu d'une petite ef frêle jeune fille,
jeune éléphanteau, bientôt rejoint par deux j'ai piis une espèce de giand gosse déluré,
autres, et qui s’attache à elle. Par ailleurs, vous savez, du genre qui vient juste de s'arrê­
Kurt et Charles courtisent Brandy, qui est
amoureuse de Pockets, La saison de chasse ter de grandir, plutôt encombrant et y pre­
se termine par la capture d ’un rhinocéros. nant plaisir.
Sean ne parvient pas à avouer son amour à
Dallas : elle s’enfuit. Sean et les autres amè­ — Et la scène où Bed Buttons ne cesse de.
nent avec eux en ville les éléphanteaux, qui, leur demander de lui parler du projet de fu­
grâce à leur flair, et apçès avoir tout dévasté sée ?.
sur leur passage, la retrouvent. Quand Sean
doit rejoindre sa jeune épouse dans son lit, — Connaissez-vous Des Souris et des Hom­
les éléphanteaux pénètrent dans la chambre mes ?
et montent sur le lit qui s’effondre.
— Vous voulez dire quand Lennie demande
à George de lui parler des lapins. C'est de là
H â ta i lut en grande partie improvisé au que vous êtes paiîi 1
cours du tournage en exîérieurs ? — Oui. J'ai apporté un exemplaire du livre
— Vous ne pouvez pas rester assis dans ef l'ai fait lire à Jîed, écrivis quelques dialo­
un bureau et écrire ce que va faire un rhino gues et lui dis : * En avant, vas-y ». A la
ou n'importe quel autre animal, Entre le mo­ première prise c'était dans le sac.
ment où nous apercevions l'un d'entre eux
et celui où nous J'a/trapions, OÔ Je manquions, — Quels sont vos films préférés ?
il ne s'écoutait pas plus de quatre minutes. — Scarface, je suppose, Allez coucher ail­
Aussi devions-nous inventer des scènes à toute leurs, ef mon dernier, Hatari.
vitesse ; nous n'avions pas Je temps de les
décrire. Nous en avons rejeté plusieurs excel­
lentes ; peut-être les utiliserons-nous dans un
prochain film. Mais la ligne générale de ïhis-
toire était tracée dès le départ. No us avons
eu la chance d'attraper Joules sortes d'ani­
maux, fous ceux que nous désirions. Norma­ Hatarî n'est peut-être p as le meilleur film
lement, il faut s'estimer heureux avec un tiers de Hawks. Il apparaît pourtant comme son
de réussite. ceuvre la plus révélatrice. Une absence, toute
— Vous avez donc véritablement attrapé relative, de rigueur dans le canevas, une
ces animaux vous-mêmes? certaine indolence dans la conduite du. récit,
jointes à une improvisation au jour le jour,
— Oui, il n'y eut aucune doublure, les non contentes de le parer d'un charme sin­
acteurs attrapèrent les animaux. Nous pour­ gulier, se changent en vertu, si l'on consi­
suivîmes seize rftinos et en attrapâm es quatre dère qu'elles autorisent l'auteur à se livrer
a vec des cordes. Vous savez, c'esf bigrement à sa première ceuvre méditative. Libérée du
passionnant, quand vous réussissez à les maî­ < comment » de l'action et des conflits dra­
triser. Nous avons attrapé un grand nombre matiques qu'elle suscite, s a rêverie peut se
d'anim aux qu'on ne voit p as dans le film — il donner libre cours dans le « pourquoi » de
faut bien s'arrêter à un moment donné. J'ai celte action, la raison, d'être de l'homme, de
encore assez de pellicule pour une heure de la femme et du monde. Elle l'entraîne à un
projection. véritable retour aux sources, celles du monde
•— On dirait une suite de « vignettes ». post-édénique de Fig Leaves d'où son ceuvre

51
est issue. Aussi ne faut-il p as s ’étonner si sent p ar le moyen, soit d'un bolide (les
après ce long périple, Hafari ram asse l'œ u­ avions ou les voitures), soit d'une action
vre de Hawks en une somme évoquant cha­ rapide et efficace (les aventures périlleuses),
cune de ses parties p ar une scène, une ou a u contraire la gaspillent dans des entre­
situation, un mot, un personnage, toutes réfé­ prises vaines (les comédies). Notons au p a s­
rences dont la « rétrospective » facilite con­ sag e qu'Hatari mélange ces trois derniers
sidérablement le décryptage. éléments et que son refuge, la maison des
chasseurs, devient un lieu sans conflit, pres­
Que nous apprend donc Hatari sur Howard que de repos. D'où la dynamique interne
Hawks que nous ne sachions déjà, surtout des films de Hawks, soumise, comme le
après l'étude capitale de Jacques Hivette (1) ? reste de son imagination, non à la nécessité
Pas grand-chose, je l'avoue, si ce n'est peut- de sa rêverie intime, mais à celle même de
être une façon autre de considérer son ima­ la dynamique. Un ressort se comprime len­
gination créatrice. Cette dernière tire s a force tement, puis, soudain se détend. Compression-
d'une sensibilité en prise directe avec le explosion, compression-explosion, la marche
monde, d'un besoin de se confronter avec lui, même d'un moteur alimenté par l'énergie
non pour le dominer, mais pour le mieux et de la matière, la vie qui crée son propre et
se mieux connaître, d'un sentiment propre­ incessant mouvement.
ment physique des véritables rapports de
force. Ce terme de * physique », comme cha­ Là, peut-être, réside le secret du style
que fois qu'un terme caractérise et englobe hawksien. L'économie et l'efficacité de ses
une forme d'imagination, doit être entendu moyens ne sont qu'une stricte application de
dans sa pleine acception. Il implique un la loi de" la conservation de l'énergie. La
contact immédiat et instinctif avec la matière, simple mise en évidence des forces en pré­
un respect absolu de ses propriétés, un refus sence dans le monde crée un conflit et
de les interpréter a priori, une volonté d'en évite toute dramatisation, qui est une repré­
percer les secrets par la connaissance et la sentation, donc une conception a priori, du
méthode des sciences physiques. La forme monde. Hafari, de ce point de vue, est
« imaginante », pour reprendre un mot de exemplaire. Hawks réussit ce miracle de nous
Bachelard, se soumet totalement à la réalité intéresser à des personnages qui sont dans
et s'interdît toute conception qui ne soit pas les conditions requises pour une jolie crise
de fait. Elle est le fruit d'une acceptation théâtrale et entre lesquels il ne s e p asse
du monde tel qu'il est, et non d'une fuite pratiquement rien. Les drames sont apaisés,
devant lui. avant même d'éclater. Il nous suffit d e voir
cette réunion de caractères et de tem péra­
ments pour ressentir la possibilité d'un conflit.
Le fond du problème sera donc, pour Hawks, Et cette possibilité suffit à combler, tout en
le constat de la nécessité physique en îa déjouant, noire attente.
l'homme. Celui-ci n 'a qu'un devoir, qui est
son privilège : prouver p ar le travail sa
supériorité sur la matière, de quelque nature C'est que le véritable conflit d'Ha tari n'est
qu'elle soit. Le seul vrai problème qui se p as entre les hommes, mais entre l'homme
pose à lui sera celui de la conservation, de et le monde, L'homme doit s'imposer physi­
l'accroissement, ou de la déperdition de sa quement au monde, lui imprimer s a m arque
propre énergie et de celle du monde. p ar son travail. La dépense d'énergie qui
en résulte constitue non seulement la preuve
Tragédie ou comédie — mais toujours s a de son génie créateur, mais surtout s a rai­
grandeur, même dans le ridicule — que cette son d'être au monde. De là, l'importance de
énergie qu'il déploie pour capter ou domp­ la profession chez Hawks. L'homme se défi­
ter celle de la matière. Aussi voit-on. alter­ nit par rapport à son métier auquel il se
ner sans fin, chez Hawks, l'énergie statique, doit d e consacrer toute son énergie. C ar la
qui est la somme des tensions, et l'énergie tragédie ou la comédie commencent lorsque
actuelle qui est le produit de la masse par cette dernière est détournée de son unique
la vitesse. Se succèdent, dans ses films, les objet. La catastrophe arrive lorsque l'homme
scènes où les personnages se serrent dans cède à son émotivité, sa sensibilité, sou exci­
un espace restreint *— qui leur est moins tabilité, son affectivité ; lorsqu'il cesse de
refuge que lieu dans lequel ils subissent considérer la matière comme une somme
l'influence du temps et des tensions, aussi d'énergie à vaincre, mais qu'il se laisse
bien internes qu'externes, qu'il fait naître — séduire par l'apparence du monde, la na­
et celles ou, livrés à l'espace reconquis, ils ture.
libèrent cette énergie condensée et l'accrois-
La nature est ici l'ennemie, la séductrice,
la source de dégradation. Elle est le piège
(I) Cohrers du Cinéma, numéro 23. fatal que tend la matière à l'homme pour

52
H atari : [a c a p t u r e d e s g ir a f e s .

tarir son énergie créatrice. Le drame vient, les associer en lui-même, il dissocie la créa­
en effet, de ce que l'homme aussi, chez tion de l'énergie et, après un fabuleux gaspil­
Hawks, appartieni à l'univers de la physique. lage de cette dernière, parvient, avec l'aide
Il n'es! qu'un animal supérieur. Dès qu’il d'une fusée, à emprisonner ses frères les singes.
abdique ses qualités supérieures, l'intelligence, Victoire, certes, mais victoire grotesque qu'ac­
la volonté, la réflexion, la maturité, etc., il centue encore cette scène où, travestis en
retombe immédiatement au ran g du premier Martiens et chevaliers du moyen âge, les
animal qui le précède dans l'échelle des chasseurs parient à la conquête des quadru­
espèces, celui de singe. Ainsi de * Pockets ». pèdes, véritable satire de toutes les croisades
Ce personnage de minus habens, a u demeu­ passées et futures, lorsqu'elles demeurent
rant drôle et sympathique (mais les singes ne extérieures à la véritable aventure de l'homme.
le sont-ils point?) mérite qu'on s'y arrête
un instant. Incapable d’affronter l'énergie du Cette aventure, purement intérieure, réside
monde, figurée ici p ar les animaux sauvages dans cette lutte entre son énergie et sa
— dont le rhinocéros, p ar lequel commencent nature, attirée invinciblement par la nature.
et s'achèvent les scènes de chasse du film, Le drame naît de son affectivité qui fait sa
est le représentant d'autant plus typique et misère, mais surtout sa grandeur. Supprimez-
redoutable que son énorme m asse est dotée là, ne conservez que l'énergie et vous obtien­
d'une redoutable vitesse —, ce personnage drez un être monstrueux 1 une chose venue
aspire, lui aussi, à se révéler homme. Ten­ d'un autre monde qu'il faudrait immédiate­
tative dérisoire, vouée au ridicule. Ne pouvant ment détruire. Pour se préserver de ce danger

53
(haiari), il convient de se garder dans un l'affrontement avec l'espace qui contient le
splendide isolement. Ce que font . John Wayne monde, la matière, la nature. Indépendant, il
et ses compagnons, au début du film. est le maître.
C'était ne pas compter sur l'alliée la plus La solitude, comme un univers strictement
subtile de la nature : la femme. Si l'œuvre viril, sied donc parfaitement à l'homme que
de Hawks, éminemment américaine, est pro­ forgent l'amitié et la rivalité sportive, laquelle
fondément misogyne, cela tient peut-être à est justement conquête de l'espace. L'homme
l'esprit pionnier dont les défricheurs d'HoIly- n'est que lorsqu'il poursuit l'espace. L a femme
■wood, Griffith, Ince, Mack Sennett, Walsh, n'est que lorsqu'elle chasse l'homme. D'où
Dwan,' Ford et Hawks ont été pénétrés. Mais, leur impossible dialogue. La femme a besoin,
à la différence des autres, Hawks a tôt fait de s'attacher à un maître, mais, par là, atta­
de mettre en évidence la double relation che l'homme à la nature et au temps. C'est
contradictoire qui unit l'homme d'action à la si vrai que le héros hawksien, qui se meut
femme. Le héros redoute la femme, considérée toujours dans un présent tourné vers un ave­
comme une entrave à son action (et ce d'une nir proche ou lointain, n 'a de passé que
manière double : s'il se sent fort, la faiblesse p ar rapport aux femmes. Ainsi de John
de la femme qu'il doit protéger le handicape Wayne, dont toute la conduite n'est qu'une
et, dès qu'il éprouve un faible pour elle, la fuite en avant, afin d'oublier un souvenir
nature maternelle de s a partenaire, son côté amoureux. Pour parvenir à ses fins, la femme
* refuge » se fait, envahissant et gêne son cherche donc à pénétrer dans cet univers
travail), dans le même temps qu'il la désire masculin, p ar le biais de la profession. Le
comme source de son action (et là encore métier lui procure la sensation d'échapper à
d'une double façon contradictoire : il la rêve s a condition, de maîtriser à son tour l'espace
comme devant justifier son effort, c'est-à-dire et le monde, d'être l'égale de l'homme. Il
lui donner un surcroît d'énergie, mais aussi n'entraîne en fait q ue des catastrophes.
— la cause devenant fin —, comme digne de Comme la femme n e peut échapper à sa n a­
recevoir seule cette énergie). Cette diversité ture, elle introduit nécessairement la nature,
de la femme p ar rapport à l'homme aventu­ ses débordements, ses forces incontrôlées, son
reux, dont les autres cinéastes américains gaspillage d'énergie dans ce domaine réser­
rendent compte en peignant plusieurs types vé aux hommes. Elle anéantit leur travail
de femmes (la mère, l'épouse, la fiancée, qui est de contrôler et régir la nature. Et
l'aventurière, etc.) se trouve, chez Hawks, ce d'autant plus que l'homme est dupe de
réuni en chacune de ses héroïnes. Si bien que cette audace apparente qui, à la fois, l'émer­
ses films ne sont qu'une suite de variations sur veille et l'attendrit. Il se laisse envahir par
les multiples et complexes combinaisons que l'émotion et la sensibilité. Il est perdu.
perroef cette double relation contradictoire C'était déjà vzaî dans Fig Leaves, dès que
d'une femme à la fois refusée et souhaitée Eve accepte en secret le travail de manne­
comme contraire, et pourtant nécessaire à quin (pour satisfaire une pure envie de
l'homme. De là vient que la femme n'a jamais luxe). Ce l'est au centuple dans HatarL
été aussi belle, ni jamais à ce point détractée Deux femmes. L'une Brandy (M. Girardon),
et accusée. élevée dans ce milieu d'hommes, est consi­
Pour Hawks, la tragédie ou la comédie de dérée p ar eux comme un garçon, « Etait »,
la guerre des sexes ne se fondent pas seu­ plus exactement, puisque s a première appa­
lement sur cette distinction entre l'homme rition, qui est la première apparition fémi­
habité par des sentiments forts, c'est-à-dire nine du film, nous montre Kurt (H. Kruger)
par une sensibilité que maîtrisent la raison et lui boutonnant s a robe, et s'apercevant que
la volonté, et la femme possédée par ses ce bon copain est bel et bien devenu une
émotions, livrée à son intuition ou à ses jolie fille. Hien pourtant ne v a la distinguer,
instincts. La différence est d'ordre encore plus dans son comportement, des autres chasseurs,
physique. Physiologiquement, la femma es£ liée jusqu'à ce qu'amoureuse, elle manifeste sou­
à la nature. Elle en subit les influences, elle dain s a féminité. Elle se -révèle alors plus
est soumise à ses cycles. Elle en possède les femme que les autres femmes. Dédaignant
caprices, l'instabilité, les mouvantes varia­ les deux jeunes étalons, elle court au plus
tions. Elle est en perpétuel changement, parce faible, au plus disgracié, au moins homme,
que le temps règle et conditionne sa vie. celui sur lequel elle peut le mieux étendre
Elle est dépendante. L'homme au contraire sa nature protectrice et maternelle et qui
n e doit rien physiologiquement au temps qui ne demande d'ailleurs q u'à se laisser dorlo­
n'agit qu'extérieurement sur lui. Action suf­ ter, Pockets, l'homme frère du singe (Red
fisante d'ailleurs pour le dégrader. L'enfance, Buttons). Voici pour l'une.
là jeunesse, la vieillesse, autant d'états qui L'autre Dallas, vient en Afrique pour son
nuisent à sa plénitude. Mais la maturité, le « métier ». Elle part donc à la conquête
libère du temps. Seul compte alors pour lui de l'espace, témérité qu'elle paiera d'une

54
Eisa M a rtin e llî et- John W a y n e dans la d ernière scène d 'H a to ri.

jolie suite de dégringolades et de tape-culs. phante, envahit le domaine des hommes.


Mais sa modestie et sa confession « tou­ Toute énergie est annihilée. Seules la masse
chante » lui valent le pardon, du clan des et la force d'inertie commencent leur travail
hommes. La voici libre de commencer ses de dévastation (Iss éléphanteaux qui écra­
dégâts. Elle scruve un éléphanteau d'une mort sent le lit, plan p ar lequel s'achève le film).
cruelle. Et voici l'entrée de toutes ces chèvres
chargées d'allaiter le jeune animal qui pénè­ Mais il serait injuste de n'accuser que la
trent et dévastent le camp des farouches femme, Dans les films de Hawks, la femme
chasseurs, lesquels se ridiculisent à ce nou­ est ce que l'homme est au plus profond de
veau métier, protecteur de la nature. Et son êtte. Elle réalise s a véritable aspiration.
celle-ci ne cesse de progresser. Bientôt, ce Or, si dès les premiers plans d'Halari, le
n'est plus un, mais trois éléphanteaux qui sentiment de la nature se révèle si fort,
viennent se réfugier, et ce sont les sauvages avec ces couchers ds soleil, ces grandes
qui laissent libre cours à leur affectivité, elle plaines, ces splendides montagnes et tous
aussi débordante. Au point q u 'à la fin c'est ces animaux en liberté, c'est qu'il est déjà
la nature elle-même qui se révolte pour se fortement ancré au cœur de tous ces chas­
protéger d'un tel élan du cœur (la menace seurs. C'est que, déjà, il implique une dégra­
de la mère éléphant au point d'eau). EvidBra­ dation dans leur vie spirituelle ou morale. Cet
ment, Dallas sera finalement prise à son ancien toréador, cet ex-coureur automobiliste,
propre piège. Son amour de la nature lui cet aventurier à bout de ressources, ce des­
sera rendu au centuple, au moment où elle cendant d'indiens, bref tous ces hommes qui
ïherche à fuir. Et la nature, alors triom­ ont affronté l'espace et le monde, se don-
nent le change, se bercent d'illusions. Ils donnaient et tiraient de lui l'énergie, vont se
mettent leur énergie, leur soif d'espace/ au disperser. Les uns, comme nos deux jeunes
service d'une cause, d'un travail, dont ils héros virils, pour retrouver leur fonction éner­
sentent a u fond d'eux-mêmes qu'il est désho­ gétique d'homme conquérant de l'espace, les
norant : priver des êtres vivants, même s’il autres pour se dégrader un peu plus. Noyau
ne s'agit que d'animaux, de leur espace, ayant perdu à jamais son énergie, matière
donc de leur énergie. C'est pourquoi ils sont humaine désormais abandonnée à la masse,
si prompts, par mauvaise conscience, à céder Sean s'est suicidé. < Hat a ri », danger, ou la
à la nature, à lui accorder un amour qui v a fin physique, donc, pour Hawks, spirituelle
contre leur nature d'homme. Seul Eockets et morale de l'homme.
est capable de s'émerveiller d'une capture
d'animaux, jusqu'à en pleurer comme une Mais aussi la fin d'une entreprise qui res­
femmelette, parce qu'il croit qu’elle fait de semble à s'y méprendre à un tournage de film
lui un. homme, ce qui le condamne encore (avec sa vie d'équipe, son plan de travail
plus irrémédiablement. Mois jamais, au grand improvisé chaque soir, ses détentes et ses
jamais, les autres ne se vanteront une seule efforts), et peut-être celle d'un cinéaste. Il y
fois de leur prise. C'est à peine si l'Indien, a ici un ton. de confidence proprement inha­
p ar ailleurs grand coureur de filles, viendra bituel à Hawks. Hatari est un documentaire
contempler le rhinocéros terrassé, pour exor­ sur ce que fut s a vie, donc s a profession de
ciser le mauvais œil.
metteur en scène. Il nous y livre le secret de
C ’est peut-être parce q u ’il ressent c& malaise son esthétique et de sa morale, cette volonté
plus profondément que les autres, que Sean de serrer au plus près la réalité, véritable
se réfugie dans son splendide isolement et exploit sportif, pour mieux l'attraper au lasso
cherche, par tous les moyens, à colmater de s a caméra. Et il nous révèle le portrait
l'invasion de la nature. C'est une lutte contre d'un homme de cœur qu'une attitude hautaine
lui-même, d'autant pliis forte q u ’il est le plus cherchait à dissimuler et qui cache, sous un
attaché à ce coin d'Afrique (sa première humour amusé, distant et parfois féroce, une
femme l’avait quitté, parce qu'elle avait la secrète tendresse pour l'étrange faune humaine
nature en horreur), qu'il lui faut mener. II qui l'entoure. Au déclin d'une vie bien remplie,
est le centre d'énergie du groupe, le noyau Hawks cède au souvenir, au charme de son
de l'atome autour duquel gravitent tous les existence professionnelle, à son amour toujours
autres. Mais c'est un noyau prêt à se fissu­ combattu de la femme, à l'enthousiasme et la
rer, Il s'éprend de Dallas, parce qu'elle in­ beauté de la jeunesse. Reniement de toute
carne son inclination pour la nature, et plus son œ uvre ? Plus simplement, leçon de sagesse
profondément encore son aspiration au repos, d'un grand classique qui a toujours affronté
c'est-à-dire son rêve — rêve impossible qui le monde en face et qui sait, pour avoir cons­
le perdra — d'une réconciliation, p ar l'amour, tamment lutté contre lui, que le propre de
de l'homme, de l'espace et du monde. Par là, l'homme, s a grandeur et sa faiblesse, est cet
il se livre au temps, un temps débarrassé attachement à l'ordre des choses qu'il se
de toute énergie statique, qui s'écoule sans doit pourtant de régir sans amour. La nostalgie
heurt, sans conflit ni tension, en une sorte perce sous la gaîté franche et cordiale, une
de bonne harmonie naturelle et édenïque. Ce certaine amertume sous la simplicité de la
péché contre ce qu'il est physiquement, un maîtrise, un désenchantement sous l'émerveil­
noyau, ne peut aboutir qu'à sa proche désin­ lement jamais aussi intense de la vie. Le
tégration. Tous ceux qui l'entourent — élec­ pessimisme répond à l'optimisme et inverse­
trons ou protons, peu importe — qui lui ment. — J. Dt.

N o u s r e m erc io n s la CINÉMATHÈQUE DU MUSÉE D’ART MODERNE DE NEW Y o RK, la CINÉ­


MATHÈQUE FRANÇAISE et notre co n frè re lo n d o n ie n M oviE , q u i o n t b ie n v o u lu no u s p rêter
leurs' d o c u m e n ts et n o u s auto riser à r e p r o d u ir e le u rs trav au x .

■Là filmographie proprement dite a été établie par D omINIQ'JE R abourdi.V.

Les propos de Hawks on t été recueillis par P ETE R BOGDANOVICH.

Les notices critiques ont été rédigées par CLAUDE BEVUE, J e a N -L o Ui s C o M o L L I, JEAN
D o u c h e t , J ean- A ndré F ie sc h i, C laude de G iv r a y . A ndré S. L abarthe, L o u is M arco-
relles, Luc M oullet, E r ic R ohmer et Bertrand T a v e r n iê r .

56
COTATIONS
# I n u t i l e d e se d é r a n g e r
* à v o ir à l a r i g u e u r
LE CONSEIL DES DIX à v o ir
à v o ir a b s o lu m e n t
c h e f - d ’œ u v re

Henri Jean de Jea n -L o u is Bernard Jean André S. Pierre Claude J a cq u es Georges


T i t r e ^ d es f il m s I.bs d ix Agel Baroncelli Bory Dort iDouchet Labarthc Marcabru Mauriac Rïvette Sadoul

Miracle en Ala bam a (A Penn) ............. ★ * ★ ★ ★ ★ * ★ ★ ★ * ★ * ★ • ★ ★ * ★

Un cœ u r gros c o m m e ça (F. Reichenbach) * ★ ★ ★ * ★ ★ ★ ★ ★ • * * ★ ★ ★ * ★ •

Billy Budd (P. Ustinov) ............................... ★ ★ * ★ ★ ★ ★ ★ ★

Ciel pur (C. Tchoukraï) ........................... O * ★ • * * ★ ★ ★ ★ * ★ ★ ★

La C o n q u ête de ['Ouest' (J. Ford, H. Ha­


thaway, G Marshall)................................ 0 ★ ★ * * ★ ★ ★

L’Œil du M on ocle (C. L a u t n e r ) ................. • ★ ★ * * ★ * • ★

L’Empire de la nuit {P. G r i m b l a t ) ............ O * • * ★ ★ + ★ *

Lolita {S. Kubrick) ..................................... .. • • * * ★ • ★ ★ ★ •

Les Dimanches de Ville-d’Avray (S. Bour­


guignon) ........................................................... * * * * ★ • • • • • ★ • ★ ★

Le Fascinant Capitaine Clcgg (P. Graham


Scott) ........................................................... •je ★ •

Comment réussir en amour (M. Boisrond) ★ • ★

Quand les arbres étaient grands (L. Kou-


lidjanov) ........................................................... • * • * ★

Sodome et Comorrhe {R, Aldrich, S. Leone). e * ★ ★ •

Un Crime dans l,i t ê te (J. Frankenheimer) • • • ★ • * ★ ★ •

Sept heures avant la frontière {A. Asquith) • • • *

A fleur de p eau (C. Bernard-Aubert) • • •

Garçonnière pour quatre (M. Gordon) . . -


• •
LIS FUIS

Svetlana* Igoim et N ikolai V ingranovski dans L es A n n ées de feu de Y oulia Solntseva.

L’im m ortalité de l’âme


POVEST PLAMENNIKH LET (LES ANNEES DE FEU), film soviétique en
Sovcolor et scope 6 5 mm de Y o u l i a S o l n t s e v a et A l e x a n d r e D o v j e n k o . Scénario :
Alexandre Dovjenko. Images : Fiodor Provorov et Alexei Temerine. Musique :
Gavriil Popov. Décors : Alexandre Borissov. Interprétation : Nikolaï Vingranovski,
Svetlana Igoun, Boris Andreiev, Serguei Loukianov, Vassili Mercouriev, Zinaïda
Kirienko. Production : Studios Mosfilm. 1960.

En 1961 à Cannes, le film obtint le leurs films du festival fu t donc l’œuvre


Prix de la mise en scène, qui est géné­ d'une femme, ce qui ten d rait à m ontrer
ralem ent accordé, comme il se doit, au que, qualitativement, hommes et fem­
meilleur film de la compétition et re­ mes sont devenus égaux au cinéma.
présente u n plus grand honneur que la Ajoutons que la médiocrité antérieure
Palme d ’Or, qui récompense un ouvrage du cinéma fém inin s’explique p ar la
dont la mise en scène est inférieure, présence presque exclusive de m aîtres­
et le style académique. ses femmes, au tem péram ent m âle et
Comme en 1962, l'un des deux meil­ dominateur, qui n'offraien t au cinéma

58
■que les défauts inhérents à leur carac­ public occidental, peu habitué à l’esprit
tère hybride. Aujourd’hui, le cinéma russe et à l’esprit ukrainien en p arti­
féminin est le fait de vraies femmes, culier. En plus, des coupes légères ont
épouses de m etteurs en scène, qui a p ­ été effectuées depuis le Festival de
portent au cinéma l'originalité d ’un Cannes, et le doublage ne respecte pas
point de vue réflétant leur condition l’équilibre entre la poésie et la trivia­
et leur sensibilité naturelles. Autrefois, lité que Dovjenko, tel Hugo, avait
les réalisatrices l’étaient malgré leur toujours établi dans ses dialogues.
condition de femme, aujourd’hui elles D’autre part, l ’œuvre est une suite de
le sont à cause de leur condition, et moments poétiques à travers lesquels
elles réussissent là où les autres avaient s’insère une tram e presque inutile et à
échoué. peine discernable.
Mais Youlia Solntseva n ’est pas l'uni­ La poésie prend ici pour bases, non
que metteuse en scène de Povest Pla- pas les œuvres précédentes de Dov­
m ennïkh Let, qui serait, selon nos jenko, mais celles du cinéma russe
confrères, le deuxième film réalisé par d’aujourd’hui. Nul doute, il y a là les
Dovjenko après sa mort. Il y aura tournoiem ents vertigineux, ou voulus
d ’ailleurs un troisième film posthume. tels, de Quand passent les cigognes et
Zatcharovannaia Desna (La Desna de La Lettre inachevée, les prises en
magique) qui continuera le recul tem ­ hélicoptère de Bornes en flammes, les
porel amorcé avec le contemporain effets lyriques de Tchoukrai. La supé­
Pcema o More (1958) et Povest (I960), riorité du couple Dovjenko réside dans
récit de la deuxième guerre mondiale : leur volonté de ne pas couvrir la m ulti­
il se situe en effet entre 1920 et 1930. plicité de leurs artifices du masque peu
trom peur de la vérité psychologique ou
Si, pour Pœmai tout était préparé sociale ou de la réalité matérielle. Cer­
d ’avance par Dovjenko, il n ’en est pas tes, les images, les bruits de la guerre
de même pour Povest, où il n ’avait n'on t jam ais été aussi saisissants, aussi
laissé à son épouse qu’un découpage réalistes, to ut au moins ils nous en
incomplet. Qu’en toute honnêteté, il donnent l’illusion, que dans cette bande
soit impossible de ’distinguer ces faux qui révèle le meilleur emploi de la pel­
Dovjenko des vrais, sinon à l’avantage licule large. Mais l’excès même de cette
des faux, montre bien que, contraire­ réalité matérielle envahissante, ainsi
m ent à la tradition m alheureusem ent que l'abstraction des actions, des dialo­
répandue p ar certains critiques jusques gues, des mouvements, des rêves qui la
au sein de cette revue, le m etteur en continuent et l’am plifient à chaque sé­
scène n'a pas à assister au tournage quence font rentrer l’œuvre dans l’uni­
de son film, ni même à le surveiller, vers du. théâtre, du grand opéra, qui
pour réussir un chef-d'œuvre qui re­ est celui de tout le cinéma russe, quoi­
flète sa personnalité. On sait d ’ailleurs qu’il s'en défende. L’esthétisme du Po­
que Preminger — p ourtant un pur vest Plamennikh Let, au contraire de
m etteur en scène —, McCarey, H it­ celui de No Dekontchenoe Pismo de K a-
chcock, Hawks, Godard, Renoir, furent latozov, se signale p ar sa démesure,
parfois, et parfois plus que parfois, son naturel. H est, malgré la multipli­
absents de leur plateau pour leurs meil­ cité des interm édiaires techniques, ex­
leurs films. Dovjenko, lui, apporte la pression naturelle, et non effort cal­
seule preuve de l’im mortalité de l’âme culé. Povest Plamennikh Let, p ar sa
qu’un m arxiste puisse tolérer l’âme sincérité dans l’artifice, justifie le p rin ­
de l’artiste survit par ses proches, p ar cipe en soi peu justifiable du cinéma
ceux qui le connaissent le mieux, donc russe d ’aujourd'hui, porté vers la per­
par sa femme en premier lieu. formance technique et non vers l’hom­
me; Le film et son contenu, beaucoup
Il s'agit, on le sait, de la Guerre plus académique que celui de Poema o
1941-1945, du point de vue d’un More, premier essai de poésie dialec­
com battant russe, Ivan Orliouk, qui est tique, contradiction qui le vouait à
aussi un héros, et qui, à la fin, épou­ l’échec, ne doivent donc pas être pris
sera celle qui lui était promise et avec â la lettre, comme l'ont fa it certains
laquelle il rejoindra son pays natal, critiques qui l’ont détruit ainsi sans
rendu à la paix. Encore ce résumé est- difficulté aucune, car la structure for­
il bien peu fidèle au film. D’abord, melle du film fait qu’il n'y a même plus
parce que la réalisatrice, de son propre de lettre ni de contenu.
aveu, a coupé le film de plus d’une
heure afin qu’il ne choque pas trop le Lue MOULLET.

59
Les paradoxes de la fidélité

THERESE DESQUEYROUX, film français de G e o r g e s F r a n j u . Scénario :


F. Mauriac, C. Mauriac et G-. Franju, d’après le rom an de François Mauriac.
Images : Christian Matras. Musique : Maurice Jarre. Décors : J. Chalvefc. In te r ­
prétation : Emmanuèle Riva, Philippe Noiret,' Edith Scob, Sami Frey, Jeanne
Ferez, Jacques Monod, Renée Devillers, R ichard Saint-Bris, Lucien Nat, Hélène
Dieu donné. Production : Filmel, 1962. Distribution : Fox.

Encore une (adaptation d'œuvre lit­ d’avoir joué, successivement et parfois


téraire à l’écran) ! Mais assez diffé­ sim ultaném ent, sur les deux tableaux.
rente de ses aînées, il m e semble, pour Dans un prem ier temps, en effet, il
• légitimer une mise au point. P ar la ­ respecte — scrupuleusement — son m o­
quelle je 21e prétends certes pas dèle. Ainsi, ces retours en arrière prévus
épuiser ce pont-aux-ânes de la cri­ dans le roman, qu'il se borne à m oder­
tique, ni en renouveler tellement les niser, de carriole ou de train en au to ­
données initiales : celles-ci ne se trou­ mobile filant dans la nuit. En incluant
van t pas ici fondam entalem ent boule­ la voix off, indispensable adjuvant du
versées ; il est clair que F ranju a Joué cinéma littéraire « à la française »,
le jeu jusqu’au bout, « au risque de depuis Le Silence de la Mer. M auriac
se perdre ». Toute la question est de est ravi. Il s’estime, rétrospectivement,
savoir s ’il s’est perdu. Je crois que non, fo rt bon scénariste. Et il a raison.
-mais que tout à l'inverse il s'est re­ F ran ju de son côté est inattaquable.
trouvé, en dépit ou peut-être à cause Quand un insert sur la main fébrile
de l’hypothèque Mauriac. Voyons cela de Riva correspond à cette ligne du
d’un peu plus près. texte : « Elle ferma les yeux, et ses
M aupassant vu et amélioré p ar Re­ doigts jaunes faisaient encore le m ou­
noir ou Ophuls, c’est génial, tou t le vem ent accoutumé autour d’une ciga­
monde est bien d’accord. Deux tem pé­ rette », je dis que l’image est non seule­
ram ents se rejoignent et se m agnifient m ent fidèle à la lettre et à l’esprit du
réciproquement. De même, Shakespeare texte, m ais infinim ent plus saisissante,
vu par Welles, ou encore (à un degré car elle fascine là où la lecture suggé­
moindre toutefois) Bernanos tradu it ra it pesamment.
par Bresson. Bazin peut justem ent p a r­ Deuxième temps : Franju creuse
ler, à ce niveau de « réfraction d’une l’ambiance et les personnages m aurla-
œuvre dans l'esprit d’un autre créa­ ciens, les explore de fond en comble,
teur >, Il n'en va pas de même dans va jusqu’à déterrer ce qui s’y trouvait
le cas Greene-Mankiewicz, p ar exem­ enfoui, l'am enant au jour à la surprise
ple, ou Pavese-Antonioni : ici, je dirais approbatrice du maître. Il va exhumer,
qu’il y a plutôt transfiguration p a r p ar exemple, u n poème de jeunesse
raréfaction, tout se passant comme si éclairant d’un jour tout neuf les rela­
le cinéaste avait extrait la substance de tions de Thérèse et d'Anne de la Trave
l’œuvre et jeté le reste, telle une peau (c’est, on s'en souvient, le poème Orages
grossière dont il n ’a cure. Il y fau t dans « Les deux fleuves »). Le film dès
encore une manière de génie, sans lors se présente, mieux qu'une tra n s ­
doute, mais à l'extrême rigueur cription fidèle du roman, comme une
bon petit talen t moyen suffit : la exégèse en profondeur [ C’est du M au­
preuve Stendhal-Clavel (ou, à la Télé­ riac au carré. La psychologie intros-
vision, Gobineau-Curtis), Qu’on soit ou pective, assez épidermique après tout,
non d’accord avec les intentions de ces sur laquelle s'appuyait Técrivain, de­
derniers, puis leur réalisation (laquelle, vient psychanalyse. Les rapports Anne-
au fond, tend à passer au second plan), Thérèse expliquent et enrichissent les
force nous est de reconnaître que leurs rapports Thérèse-Bernard. Une com­
« hautes trahisons » valent bien, sur plicité nouvelle s'instaure, qui est tout
le plan strict du passage d’un a rt à l’au­ bénéfice pour le romancier, le cinéaste,
tre, la haute fidélité des premiers. leurs personnages et le spectateur.
L'habileté suprême de F ranju est Troisième temps : sans que l’adapté

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y prenne garde, tou t à l’émerveillement Quatrième et dernier temps : Franju,
de voir ses hantises les plus chères (et vainqueur, règne seul e t peut, ayant
les plus Intraduisibles sur le papier) fait place nette, nous imposer sa vision
prendre corps, ses personnages s’incar­ propre du monde et des êtres, son style,
ner dans toute leur complexité, e t le s a ‘morale. Pourquoi ces détours, de-
septième a rt enfin lui rendre justice, m andera-t-on alors ? Parce qu’une cer­
l’adaptateur greffe insidieusement ses taine contrainte, en ce qui le concerne
obsessions personnelles, comme des r a ­ to u t particulièrem ent, n ’est pas telle­
meaux annexes, et point trop parasites, m ent contre-indiquée. C’est même le
sur le tronc initial. Il ne saccage pas trem plin nécessaire qui lui m anquait.
ce dernier pour s’installer à ses lieu Le paysage landais par exemple, ces
et place, du moins pas tout de suite, il dunes désolées sur lesquelles p an ora­
confond plutôt son règne au sien. Ce mique amoureusement la caméra, cette
qui tend à prouver que la conjonction « forêt vivante » que le vent fait palpi­
M auriac-Franju n ’était pas si impen­ ter comme une chevelure, « cette im ­
sable qu’il y paraissait tout d’abord. mense et uniforme surface de gel où
Du même coup l’on d irait que Mauriac toutes les âmes sont prises s> èt que
se prolonge en F ranju, un peu si Ton seule une obstinée et pure jeune femme
veut comme Paves e en Antonioni, quoi­ parvient à faire craqueler, enfin la
que dans une direction sensiblement haute note blanche des adolescentes à
plus indépendante, ce qui va de soi. bicyclette, à qui donc im puter toutes
Mauriac le catholique est du reste, on ces richesses, même s’il est allé les
l‘a m aintes fois remarqué, un lucifé- chercher ailleurs qu’en lui-même, sinon
rien rentré. F ranju, inversement, n ’est à l’auteur (retrouvé) de Première nuit
diabolique qu’en apparence, et refoule, et de La Tête contre les murs ? Je ne
comme Bunuel, une tendresse et une les ai, pour m a part, jam ais senties si
générosité de p etit ange. Alors se pro­ éclatantes. Comme disait à peu près
duit, dans Thérèse Desqueyroux, une Jean-Louis Bory, l’œil de F ranju s’est
sorte de perm utation, comme dans un — peu à peu — substitué à la « dent »
jeu où les partenaires, d’un commun de Mauriac, mais au "lieu du visage
accord, échangeraient leurs pièces. De hybride qui était à craindre, c’est une
même que F ranju, docile, s’est m auria- face nette et rayonnante q u i . en dé­
cisé, de même à présent Mauriac, par coule : la « petite figure blanche et sans
esprit de réciprocité, laisse ses démons lèvres » que le romancier, empêtré dans
franjuesques déferler. « Ayez pitié des la phraséologie naturaliste, n ’avait fait
fous et des folles écrivait ce dernier, finalem ent qu’entrevoir. La Thérèse de
citant d’ailleurs Baudelaire — qui pour­ Franju, et le contexte dans lequel elle
ra it bien être leur inspirateur commun. s'inscrit (chambre, nature ou ville),
Franju ne lui dem ande que de le lais­ deviennent ainsi l'image la plus fidèle
ser allez jusqu’à l'extrém ité (ô com­ possible d’une réalité que l’écrivain, ne
bien scandaleuse, ce qui ne saurait lui disposant que de moyens insuffisants,
déplaire) de cette idée révolutionnaire : avait plus ou moins trahie. F ranju
que cette pitié se change en exaltation, rend en somme à Thérèse ses droits.
lui suggère-t-il à peu près. Car l’amour, Non content de la faire sienne, il la
n ’est-ce pas, est une vertu plus chré­ réhabilite. Au lieu de la confession
tienne encore que la pitié. Comment ré ­ banale qu’on redoutait, e t qui n ’eût été
sister à pareille injonction ? Mauriac, qu’un rabâchage, c’est un plaidoyer qu’il
séduit, donne carte blanche. Sa Thérèse nous propose. Le final à cet égard n ’est
devient bel et bien alors la « Sainte pas une simple clause de style, et l’am ­
Locuste » dont il n ’avait fait qu’évoquer biguïté du rom an se trouve (par
naguère, en un raccourci audacieux, la bonheur) désamorcée : Thérèse est
figure maudite. Ainsi François Mauriac vraim ent libre.
(grâces soient rendues au fils qui a fa ­
vorisé cette conversion à rebours) se
retrouve annexé dans le clan des im­
pies : c’est bien son tour. Claude BEYLIE.

L'abondance des matières nous contraint à reporter au mois suivant les critiques, de Coups
de feu dans la Sierra, Doux oiseau de jeunesse, Miracle en A labama.
FILMS SORTIS A PARIS
DU 14 NOVEMBRE AU 11 DÉCEMBRE 1962

9 FILMS AMERICAINS

Barcj^ to God’s Country (Le Justicier impitoyable), film en couleurs de Joseph Pevnèy„
avec Rock Hudson, Marcia Henderson, Steve Cochian. — Un chien sauve son maître dans le
Grand Nord. Pevney est plus gentil et moins roublard que Disney. Il a aussi moins d ’argent :
toiles peintes (en blanc).
Billy B udd [Billy BueW). — Voir note dans notre prochain numéro.
Boys N tght Ouf (Garçonnière pour quatre), film en Scope et en couleurs de Michael Gordon,
avec Kîm Novak, James Garner, Tony Randall. — Etait-il possible de faire quelque chose d e
plus hypocrite et de plus ennuyeux q u'Urt soupçon de vison ? Oui.
Gnns of Darkness (Sept heures aüant la frontière), film d’Anthony Asquith, avec Leslie
Caron, David Niven, David Opatoshu, James Robertson Justice. — Sous une forme anglaise,
le film, sur 1’ « engagement », tel que le concevaient il y a quinze ans les épigones de l’existen­
tialisme. Mais il y a l'admirable Leslie qui donne de l’existence à tout ce q u ’elle fait et dont
la seule présence révèle l’inexistence du cadre où on voudrait l'enfermer»
Hou) the W est W as W on {La Concfaête de l’Ouest). ■— Voir note dans notre prochain
numéro.
Lolita. — Voir note dans notre prochain numéro.
The Manchuriari Candidate [Une crime dans la tête), film de John Frankenheimer, avec
Frank Sinatra, Laurence Harvey, Janet Leigh, Angela Lansbury. — Nouvelle énormité de
Frankenheimer. Est-ce réussi ou non ? La question, à la limite, n*a plus de sens, tout l’intérêt
du film résidant dans le fait qu'il tient jusqu'au bout une .invraisemblable gageure dont on
se dit à chaque instant que l’auteur n ’osera pas la tenir. 11 a fallu, pour y arriver, défier les
lois les plus élémentaires de la politique et de la psychologie et déboucher dans un climat
de science-fiction, lui-même dépourvu de cohérence interne. On aligne les morceaux de bra­
voure (l’étonnant dialogue dans le train), on échappe à l’absurde en renchérissant sur l’absurde.
A noter, pour comble, une probable influence de Marïenbad,
T h e Miracle Worfier {Miracle en Alabama). — Voir critique dans notre prochain numéro.
Souf/i Sea Woman (Les Bagarreurs dix Pacifique) , film d ’Arthur Lubin, avec Burt Lancaster,
Virginia Mayo, Chuck Connors. — tJn beau sujet : l’apologie de l’imbécile, que Lubin
désamorce. La gratuité des péripéties est parfois amusante, Les acteurs sont aussi mal employés
que possible, même Lancaster,
6 FILMS FRANÇAIS
A fieiar de peau, film de Claude Bernard-Aubert, avec Jean-Roger Caussimon, Henri-Jacques
Huet, Françoise Giret, Z ita Perzel. — Sujet apolitique dans lequel Bernard-Aubeit n ’est pas
capable de donner la mesure qui est la sienne (cf. dictionnaire).
Comment réursir en amour, film de Michel Boisrond, avec Dany Saval, Jean Poiret, Jacque­
line Maillan, Michel Serrault. ■— W ademant, contrairement à ce que l’on a pu craindre, n ’est
pas complètement perdue : elle sait travailler une situation. Poiret serait sublime s’il jouait
du Guitry. Réalisé par un autre que Boisrond, le film aurait pu être au moins joli.
Les Dimanches de Ki/îe-d’Aüray, film en Scope de Serge Bourguignon, avec H ardy Krüger,
Nicole Courcel. Daniel Ivernel, Patricia Gozzi, — Un petit faiseur sans envergure dégrade une
belle idée de départ (pour complément d ’informationr voir notice de notre dictionnaire).
L ’Empire de Ja nuit, film de Pierre Grimblat, avec Eddie Constantine, Elga A ndersen,
Geneviève Grad, Jean Le Poulain, Claude Cerval, Guy Bedos, Michel de Ré. — Grimblat
échoue où réussit Lautner : il entasse les idées, bonnes ou mauvaises, sans en développer
aucune. Cela lut vaut du moins, ne serait-ce que par défaut, d ’échapper à la complaisance.
Déplorons les accidents financiers qui ont empêché ce film de devenir le <t musical 5) (avec
Scope et couleurs) q u ’iî ambitionnait d ’être. Saluons l’apparition dans Je cinéma français de
trop courts moments de danse, bien chorégraphiés par Dirk Sanderâ.
L ’Œil du monocle, film de Georges ^Lautner, avec Paul Meurîsse Maurice Biraud, Gala
Germani, Elga Andersen. — Revenant à un genre et un style qui lui conviennent mieux,
Lautner a énormément développé et travaillé le ton, les types^ et les tics qur ont fait le succès
du précédent Monocle. La réussite est certaine : Lautner ^aligne une série d e'm o rceau x de
bravoure dont le moindre, si on l’eût trouvé dans un policier français d ’il y a dix ans, eût

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fait crier au génie; mais elle est aussi inquiétante : on sent pointer la complaisance, on se
demande si Lautner ne va pas s ’installer confortablement dans son filon pour l’exploiter jusqu’à
usure complète.
Un cœur gros comme ça, film de François Reichenbach, avec Abdoulaye Faye. — Sans doute
le « cinéma-vérité » devait-il être tôt ou tard exploité par un petit fûté en quête d'u n bon truc.
A u moins pouvait-on espérer que, fût-ce au sein d ’une telle entreprise, la caméra nous livrerait
quelques involontaires beautés. On cherche en vain, dans le fourre-tout Reichenbach, ce qui
pourrait un tant soit peu racheter la puérilité des intentions et la laideur du résultat.

6 FILMS ITALIENS
Duello neila aila (Seul contre cept), film en Scope et en couleurs de Umberto Lenzi, avec
Fernando Lamas, Liana Orfei, Armand Mestral, Lisa Gaston». — Sept hommes, très abattus,
languissamment poursuivis par le frère de leur victime.
// était trois flibustiers, film en couleurs de Sténo, avec A nna Maria Pierangeli, Chaning
Pollock, Philippe Clay, Aldo Ray. — Comédie de caserne transposée chez les pirates.
Lçe Mercenaire, film en Scope et en couleurs d ’Etienne Périer, avec Stewart Granger,
Sylva Koscina, Christine Kaufmann. — On ne saurait mieux dire que la publicité ; « Film
d ’Etienne Périer, mis en scène par Baccio Bandini ».
Sodama e Gomorra (Sodome et Gomorrhe), film en couleurs de Robert Aldrich et Sergio
Leone, avec Stewart Granger, Pier Angelï, Stanley Baker, Anouk Aimée, Rossana Podesta. —
Des Hébreux emmerdeurs conduisent à leur perte deux villes où l’on s’amusait fort chaste­
ment. Une certaine vivacité dans les gestes et le montage trahit parfois la patte d ’Aldrich.
Les couleure sont très laides, Rossana Podesta et Anouk Aimée, très belles.
Solimano il conquistaiore (Soliman le Magnifique), film en Scope et en couleurs de Mario
Tota, avec Edmund Purdom, Georgia Moll, Alberto Farnese, Luciano Marin. — Sorte de
remake d'Alam o, transposé dans l’affrontement Turcs-Hongrois du XV(° siècle. Sinistre.
Ultimatum alla vita {A u x mains des S.S.), film de Renato Polselli avec Franca Bettoja,
Fabrizio Capucci, Andréa Cecchi, Antonio de Teffe. — A ucun S.S. dans ce film, parfois
curieux (quelques trouvailles baroques et un peu de l ’esprit du sérial) et dont l’auteur doit
être un sympathique déséquilibré

4 FILMS SOVIETIQUES
Contre oertts et marées, film de Stanislas Rostotski, avec Larissa Loujina, Viatcheslav
Tikhonov, Leonide Bikov, Clara Loutchko, — Mélodrame soviétique. Quelques combats
rompent la monotonie.
Quand les arbres étaient grands, film de Lev Koulidjanov, avec Youri Nikouline, Inna
Goulaya. — Un autre, mais sans combats. L ’auteur se rattrape en accumulant leg mouvements
de grue.
Tchistoe Nebo (Ciel pur), film de Grigori Tchoukraï, avec Alexis Astalchov, Evgueni
Ourbanski, Sacha Lvova, Nina Drobycheva. — Un autre, plus ambitieux, plus démagogique.
Inutile de travailler à la déstalinisation, si c’est pour aboutir au culte de l'impersonnalité.
,Volga... Volga, film en couleurs et en Kinopanorama de lakov Seguel. — Ce premier
film de fiction en, Kino ne vaut pas son équivalent américain en Ciné. Mais les charmes du
Rama font passer bien des choses.

\ FILM ALLEMAND
Heisser Hasen Hong-Kong (Espionnage à Hong-Kong), film de Jurgen Roland, avec
Marianne Koch, iKlausjürgen Wussow, Dominique Boschero, fjrad Harris. — Les cinéastes
allemands adorent l’espionnage. Mais, en allant chercher si loin ce qu’ils ont si près, ils se
privent de beaucoup d ’idées.
I FILM ANGLAIS
Night Creatares {Le Fascinant Capitaine Clegg), film de Peter Graham Scott, avec Peter
Cushing, Yvonne Romain, Patrick Allen, Oliver Keed. — Au départ : un bon sujet, dans
le ton du romantisme anglais d ’aventures (XV)11° siècle), et un curieux personnage, mais les
landes pitoyables suffisent à donner le ton de cette nouvelle postérité de Moonfleet. Le réalisa­
teur essaie de se rattraper par une réalisation en coup de poing- (non américain, hélas !).

1 FILM MEXICAIN
Trois mousquetaires... et demi, film de Gilberto Martinez Solares, avec Tin T an, Rosi ta
Arenas, Martha Valdes, — Après avoir fait l’effort d ’imagination qui consistait à inventer un
cinquième mousquetaire, les scénaristes ont dû se reposer,

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Le G é r a n t : J a c q u e s D o n lo l-V a lc ro z e
I m p rim e r ie C e n tr a le d u C ro iss a n t. P a r is — D é p ô t lé g a l 4* tr im e s tr e 1962.
Toute technique évolue...
y compris celle de la garantie
Comme son arrière-grand-père, l'homme
de 1963 souscrit des contrats d'assu­
rance. Mais ces contrats sont adaptés
aux circonstances actuelles. Ils accor­
dent des garanties illimitées; Ils ne
comportent pas de déclaration de
capitaux.

L'homme moderne s'adresse à

La Compagnie Française du Phénix


fondée en 1819
mais toujours à l’avant-garde du progrès technique

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