Du Cinéma: Cahiers

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CAHIERS

DU CINÉMA

52 * REVUE MENSUELLE DU CINÉMA • NOVEMBRE 1955 * 52


Jane Russell a pour partenaire Jeff Ghandler dans le film U n i v e r s a l en Technicolor
LA MURAILLE D ’OR, tiré du célèbre rom an d’A n ja Selon et mis en scène par
Joseph Pevney. ’
Humphre}r Bogarl, Aldo Ray, Peter Uslinov et Joan Bennell sont les

principaux interprètes de LÀ CUISINE D E S ANGES, film en Y i s t a V is io n

et en Technicolor de Michael Gurtiz, d’après la célèbre pièce d'Albert Husson.

( P a r a m o u i s t .)

1
Cahiers du Cinéma
NOTRE COUVERTURE

NOVEMBRE 1955 TOM E IX . N° 52

SOMMAIRE

Koberto Rossellini . . . . Dix ans de Cinéma (II) ........................ .. 3


Alexandre Astruc et Ro­
land L au d e n b ac h __ _Les Mauvaises Rencontres (extrait du dé­
coupage) ............................................................. 10
A no uk Aimée et Jean- Eric Rhomer ................. ... Le celluloïd et le m arbre (IV) : Beau comme
C laude P ascal d a n s ' LES la m usique.
MAUVAISES RENCONTRES
d ’A lexandre A struc, (F ilm s
Robert Lachcnay . . . . . . P ortrait d’H umphrey B ogart .................... 30
M arceau). V oir d a n s ce n u ­ C. Bitscli, J. Doniol-Val-
m éro, l ’e x tra it d u découpage croie, F. Hoveyda, R. •
(p. 10) e t la c ritiq u e de J, Lachenay, A. M artin
et F. T ruffant .............Petit journal intim e du Cinéma ..................... 38
R iv ette (p. 45).
Jacques Audiberti ...........Billet X II • ............................................................ 51
Jacques Siclier ............. .. L ettre de B erlin ................................................... 55

EXCUSES : N ous n o u s ex­


cusons d e n e p ou v o ir p u b lie r
’ vc
d a n s ce n u m é ro :
Les Films ^ ..... .
1° L a n o te q u e n o u s a en-
yoyé L ouis C havance su r
L ’A tcita nte. Jacques Rivette ......... .. La recherche de l’absolu (Les M auvaises
Rencontres) ...................................................... 45
2° La c ritiq u e de La fin
de H itler de G.-W. P a b ts, p a r
Philippe Demonsablon . Le bouquet d’IIelga (Uun for cover) .......... 47
j . Siclier. Jacques Doniol - Val-
croze ................................ Le quatrièm e m ur (Comicos) ........................... 50
3° De re p o rte r é g alem en t
a u p ro c h a in n u m é ro la cri­
tiq u e de L ourdes e t ses m i­
racles, le tr è s in té re ssa n t film ★
d e Georges R o u q u ier so rti
au x A g ric u lte u rs d ep u is le Le courrier des lecteurs (ouvert et -répondu p ar F. T.) ........................ 57
9 novem bre.
Films sortis à Paris du 14 septembre au 21 octobre 1955 ........................ 61

CAHIERS DU CINEMA, revue m en su elle d u C in ém a e t d u T élé-cinêm »,


146, C ham ps-Elysées, PARIS (8«) - Elysées 05-83 - Rédacteur» en chef :
A ndré B azin, Ja c q u e s D oniol-V alcroze e t Lo D u c a.
Directeur-aêrant : h. K eigel.
ATTENTION : Ne m a n q u e z
pas de p re n d re, page 43,
LE CONSEIL DES D IX , Tous droits réservés — Copyright' by les Editions d e l’Etoîle.
DIX ANS DE CINÉMA
par Roberto Rossellini

il

ALLEMAGNE ANNEE ZERO

J'ai déjà expliqué que le succès dans le monde de fîome ville ouverte
et de Païsa était parti de la France (1). Je me trouvai en 1947 à Paris et j'eus
l'idée de demander au Gouvernement français l'autorisation d’aller tourner
à Berlin un film sur l'Allemagne après l'armistice : Allemagne année zéro
devait être le troisième volet du triptyque sur la guerre.
Je mis l'affaire sur pied avec la firme « Union Générale Cinématogra­
phique » (U.G.C.) et sans aucune idée préconçue, je partis pour l'Allemagne,
non pour tourner mais pour visiter et ramener une idée de scénario.
J'arrivai à Berlin au mois de mars, en auto, vers cinq heures de l'après-
midi, quand le soleil tombait; il fallait traverser toute la capitale pour trouver
le secteur français. La ville était déserte, le gris du ciel coulait dans les rues
et, à hauteur d'homme, on dominait les toits du regard; pour retrouver les
rues sous les décombres on avait déblayé et entassé les gravats; dans les
fêlures de l'asphalte, l'herbe commençait à pousser; le silence régnait,
(1) Se rep orter à la première partie de ce texfe, CAHIERS DU CINUM A N° 50.

Scène de tra v a il d'A llem agne année zéro de R ob erio Rossellini. O n


peu re c o n n a îtr e le réalisateu r a u second plan.

3
chaque bruit en était le contrepoint et le soulignait davantage; un mur
solide au travers duquel il fallait passer était constitué par l'odeur douceâtre
de matières organiques corrompues : on flottait sur Berlin. Je m'engageai
dans une large avenue; à l'horizon, unique signe de vie : un grand panneau
jaune; lentement je rejoignis cette immense pancarte placée sur un cube
de pierre devant un magasin à minuscule façade et je lus : « Bazar Israël ».
Les premiers juifs étaient rentrés à Berlin, c'était bien le symbole de la fin
du nazisme.
L'hospitalité des quatre occupants me permit de flâner partout et de
rentrer à Paris en ayant très clairement l'idée du film dans la tête. Dans
chaque pays on raconte des « histoires drôles » et ces histoires, en vérité,
plus ou moins « drôles », sont révélatrices de la vie de ce pays; à cette
époque on racontait celle-ci : un monsieur arrive à Berlin, on lui donne
l'hospitalité. Au premier matin on l'interroge : <* Avez-vous bien dormi ?
— Oui, malgré les trains qui n'ont pas arrêté de passer sous mes fenêtres,
très tôt ce matin. — Mais vous avez dû rêver, il n'y a pas de train ! — Mais
si, j'ai entendu la vapeur, la pompe à eau, etc. » L'hôte mène l'invité vers la
fenêtre et lui fait constater qu'il n'y a pas de train. Le lendemain matin
l'invité est réveillé par le même bruit. II se lève, regarde par la fenêtre et
voit de vieilles Allemandes habillées en homme, qui déblaient les décombres
et se passent les briques en « faisant la chaîne » : — Danke schoene — Bitte
schoene — Danke schoene — Bitte schoene... » Ce sont des histoires de ce
genre qui donnent l'angle de vision convenable.

A llem agne année zéro de R o b e rto Rossellini.

4
\
A llem agne année zéro de R ob erto Rossellini.

Les Allemands étaient des êtres humains comme les autres; qu'est-ce
qui avait pu les amener à ce désastre ? La fausse morale, essence même du
nazisme, l'abandon de l'humilité pour le culte de l'héroïsme, l'exaltation de
la force plutôt que celle de la faiblesse, l'orgueil contre la simplicité ?
C'est pourquoi j'ai choisi de raconter l'histoire d'un enfant, d'un être
innocent que la distorsion d'une éducation utopique amène à perpétrer un
crime en croyant accomplir un acte héroïque. Mais la petite flamme de la
morale n'est pas éteinte en lui : il se suicide pour échapper à ce malaise
et à cette contradiction.
Finalement j'ai pu tourner Allemagne année zéro exactement comme je
l'entendais et, quand je revois ce film aujourd'hui, je sors bouleversé de la
projection; il me semble que mon jugement sur l'Allemagne était juste, pas
complet mais juste.
Cependant, et contre toute attente, Allemagne année zéro a été fort mal
accueilli et c'est alors que j'ai commencé à me poser des questions.
Le monde du cinéma s'était réorganisé, avait retrouvé ses habitudes et
son style d'avant guerre; on jugeait Allemagne année zéro d'après cette
esthétique d'avant guerre, alors que l'on avait aimé Home ville ouverte et
Païsa pour ce qu'ils apportaient de neuf par rapport à ce style.

5
Anna Magnani dans Le Miracle. Ingrid Bergman dans Strom boli.

Par ailleurs le monde politique lui aussi s'était réorganisé et jugeait le


film par rapport à la politique. Les critiques d'Allemagne année zéro m'ap­
prirent ce que les journalistes pensaient respectivement du problème alle­
mand (ou ce qu'en pensait le directeur de leur journal) mais ne me furent
d'aucune utilité sur le plan critique.
A ce moment je me suis trouvé devant ce dilemme : ou la prostitution
ou la sincérité,

J’AI CHOISI LA SINCERITE

J'ai déjà dit dans ces Cahiers que selon moi le cinéma est un art neuf
et qui .porte en soi la possibilité de multiples découvertes; c'est cette possi­
bilité qui fait du métier de metteur en scène une activité énivrante, et
c'est dans cet esprit que j'ai tourné La Voix humaine d'après Jean Cocteau.
Le cinéma est aussi un microscope, il n'y a pas de doute. Le cinéma peut
nous prendre par la main et nous amener à découvrir des choses que l'œil
ne pourrait percevoir (soit comme les gros plans, les détails, etc...). C'est en
cela qu'il est un microscope. De préférence à tout autre sujet, La Voix

6
Humaine m'offrait l'occasion d'user de la caméra microscope, d'auiant que
le phénomène à examiner s'appelait Anna Magnani. Seuls le roman, la
poésie et le cinéma nous permettent de fouiller dans les personnages pour
découvrir leurs réactions et les mobiles qui les font agir.
Cette expérience poussée à l'extrême dans La Voix Humaine m'a servi
par la suite dans tous les films puisqu'à un moment ou un autre du tournage,
j'éprouve le besoin de laisser de côté le scénario pour suivre le personnage
dans' ses pensées les plus secrètes, celles dont il n'a peut-être même pas
conscience. C'est aussi cet « aspect microscope » du cinéma qui constitue le
néo-réalisme : une approche morale qui devient un fait esthétique.
Quand le film sortit après un certain temps sous le titre Amore (La Voix
Humaine et Le Miracle), la critique italienne à propos de La Voix Humaine
déclara que ce n'était pas du cinéma et c'est bien la seule occasion que j'ai
eu de voir la critique unanime dans une affirmation.
Quand j'eus terminé La Voix Humaine, je me trouvai avec un film de
quarante minutes pratiquement invendable puisque nous sommes esclaves
des programmes. J'ai dû chercher une histoire de la même longueur. Fede­
rico Fellini qui travaillait habituellement avec moi me fit le récit que j'ai
filmé sous le titre du Miracle. Selon lui, il s'agissait d'une nouvelle russe dont
il avait oublié l'auteur ; quand il vit que je me passionnais pour l'histoire mais
que je cherchais désespérément le texte pour me mettre en règle avec la
Société des Auteurs, il m'avoua avoir inventé l'anecdote de toutes pièces. Il
avait menti, craignant que l'histoire me paraisse ridicule.
On a porté sur Le Miracle de très graves accusations. Un prêtre améri­
cain que j'ai rencontré en Italie m'a dit qu'il était manifeste que j'avais voulu
faire une affaire en exploitant les blasphèmes pour les blasphémateurs. Il
ne connaissait pas le prêche de saint Bernardin de Sienne que j'ai eu l'occa­
sion de raconter dans une interview des « Cahiers » (1),
Un thème qui m'a obsédé et que l'on retrouve entre autres dans Sfrom-
jboii, c'est le manque absolu de foi, l'absence de désir de combattre pour
quelque chose, faits typiques de l'après-guerre ; ce qui me tracassait, c'était
cette sorte de lâcheté qui amenait les gens à se grouper sous le bâton d'un
quelconque pasteur, comme des moutons.

(1) * Selon moi, Le Miracle est une œ uvre absolum ent catholique. l'a i d 'ailleu rs p en sé à un
prêche de saint B ernardin d e Sienne ; il s'a g it d 'u n sain t q u i s'a p p e lle Bonino ■. un p a y s a n v a
à la cam pag ne a v ec son fils d e deux an s et un chien. Il laisse l'en fant et le chien à l'om bre
d 'un chêne et s'en v a travailler. Q u a n d il revient, il trouve l'enfant égorgé a v ec d es traces de
dents su r s a gorge ; d a n s s a douleur de père, il tue 1& chien ef à ce moment là se u lem e n t il
aperçoit un gros serpent et com prend son erreur. Conscient d e son injustice, il en terre le chien
dans les rochers proches et g ra v e u n e inscription sur la tombe : * Ci-gît Bonino (c'était le nam
du chien) que la férocifé des hom m es a iué. * Plusieurs siècles s'écoulent, p rè s de la tombe
p a sse u ne route ; les voyageurs qui s'arrêten t à l'om bre du chêne lisent l'inscription. Peu à peu,
ils se m ettent à prier, à dem ander l'intercession du m alheureux, là enseveli : les m iracles a rri­
vèrent, si nom breux q u e les gens de l a contrée construisirent une b e lle église, et un tom beau
pour y transférer le corps de ce Bonino. Ils s'ap erçu ren t alors q u e c'était u n chien.
Vous voyez que l’histoire du Miracle est assez proche. C 'est u n e p a u v re folle, oui a une
espèce de m anie religieuse, mais', en plus de cette manie, une foi, vraie, profonde. Elle peut
croire tout ce q u 'e lle veut. Ce q u 'e lle croit peut être aussi blasphèm e, je l'ad m ets ; m ais cette
foi est tellem ent immense, que cette foi l a récom pense : son. g e ste est absolum ent hu m ain et
normal : donner le sein à son enfant. » (CAHIEBS DU CINEMA N ° 36 — Entretien a vec Roberto
Rossellini, p a r Maurice Schérer ef François Truiiaut).

7
Or, le personnage joué par Anna Magnani dans Le M iracle est tout le
contraire. C'est une folle mais, au milieu de sa confusion mentale, elle a une
foi, hallucinée si l'on veut mais une foi.
Un homme politique me disait un jour avec beaucoup d'amertume : « Les
h o m m e s veulen t a voir m oin s de justice sociaie pourvu qu'ils aient aussi moins
de liberté. » C'est cet esprit qui m'obsède et m'angoisse aujourd'hui encore,
malgré que certains signes apparaissent d'un certain retour à la conscience.

UNE UETTRE D’INGRID BERGMAN

C'est à cette époqué que je reçus des propositions concrètes pour aller
travailler aux Etats-Unis. Ces offres, qui me venaient de David O'Selznic,
étaient très alléchantes. Selznic qui a une très forte personnalité, aurait été
un guide précieux dans ma carrière de cinéaste..., si j'avais eu pour idéal de
faire une carrière de cinéaste. Après de longs pourparlers, je décidai de res­
ter en Italie. Quatre ans plus tard nous sommes devenus très bons amis et
c'est un homme que j'apprécie pour ses grandes qualités humaines. Une chose
qui me retenait et qui influença mon refus, était que dans mon pays les
gens avaient un très grand besoin de travailler et que j'avais peur de trahir
mes amis et collaborateurs habituels en partant.
Le 8 mai 1948 je reçus une lettre d'Ingrid Bergman : elle avait vu R om e
ville ouverte et Païsa, et elle aurait aimé tourner un film avec moi. Le 8 mai
était le jour de mon anniversaire. Le 7 au soir je reçus un coup de téléphone
de M. Potsius de « Minerva Films », la société qui avait acheté Rome ville
o u verte . M. Potsius me dit qu'il voulait me voir pour me faire un beau
cadeau. Je crus qu'il faisait allusion à mon anniversaire d'autant que je lui
avais vendu Rome ville ouverte pour une bouchée de pain lorsque c'était
un « navet » et que, lui, l'avait « exploité » lorsque c'était un « chef-d'œu­
vre ». Le lendemain, il m'apporta la lettre d'Ingrid qu'il avait déjà lue. Quel­
ques temps auparavant « Minerva » avait brûlé, la correspondance s'était
accumulée et M. Potsius avait ouvert toutes les lettres sans vérifier s'il était
bien le destinataire. J'ai répondu de suite à Ingrid et le 17 janvier 1949, cinq
ans jour pour jour après le premier tour de manivelle de Rome ville o u ve rte,
j'arrivai à Hollywood pour discuter l'idée de Stromboli.
Un grand producteur américain se montra très intéressé par notre projet
et nous eûmes de longues conversations à la faveur de nombreux déjeuners,
dîners et breakfasts. C'est ainsi que j'ai appris l'anglais puisque les mêmes
mots, interminablement, revenaient dans la conversation.
Je dois insister sur un point : toutes les conversations que j'ai eues avec
ce producteur furent d'ordre esthétique ; il m'expliquait tout ce que sa grande
expérience lui suggérait et entreprit de me convaincre de la nécessité de tra­
vailler avec un découpage. Quelques-uns de ses arguments étaient fort judi­
cieux mais je m'opposai formellement à cette nécessité du découpage pour
les raisons que j'ai dites cent fois (1). Un soir, Ingrid et moi fûmes convoqués
par téléphone dans son bureau ; il avait organisé une conférence de Presse

8
et annoncé le film aux journalistes ; très surpris nous nous rendîmes cepen­
dant sur les lieux de la Conférence où nous fûmes photographiés signant un
faux contrat.
Dès ce jour, les discussions entre le producteur et moi prirent un tour
nettement plus concret, à tel point que je déclinai ses offres peu après.
A Hollywood, la ville au monde qui a la plus forte densité d'intellec­
tuels, je me sentais très dépaysé et je ne comprenais guère cette atmosphère
de mépris et d'orgueil blessé, pour tout dire ce chauvinisme forcené. Je dois
dire cependant que je me suis fait dé très bons amis mais l'ambiance fut
d'emblée assez inamicale sans que les raisons — du moins à cette époque
— ne m'en apparussent clairement.
Un jour, Ingrid fut invitée à une réception dont elle était l'hôte d'hon­
neur. Au retour, elle me raconta, pleine d'étonnement, qu'à sa droite était
assis un grand manitou (2) d'Hollwood qu, après avoir tenté de la dissuader
de tourner un film avec moi, lui dit que j'étais venu le voir un an plus tôt, en
Europe, pour le supplier de m'emmener à Hollywood et que je m'étais montré
tellement insistant qu'il avait dû me rudoyer pour se débarrasser de moi et
qu'il m'avait mis à la porte en m'expliquant qu'il n'avait nul besoin d'un type
tel que moi !
Je ne connaissais évidemment ce personnage que de nom et lorsque l'an
passé on me l'a montré dans un restaurant à Paris, j'ai marqué de Téton-
nement qu'un homme rusé comme vingt renards parvînt à se montrer plus
petit qu'un seul.
Début mars, ayant finalement mis sur pied la production de Stromboli je
rentrai en Italie où le 19 mars me rejoignait Ingrid.

ROBERTO ROSSELLINI.
(a suivre.,) . . .

T ous d ro its réservés. C o py righ t fry les E d itio n s de l ’E toile.

(1) On m e dem ande de les résum er ici. Les voici :


a) Comme je tourne en inférieurs réels ei en extérieurs sa n s « repérage » préalable, je ne
p uis qu'im proviser m a mise en scène en fonction du décor dans leq u e l je m e trouve. Donc, la
colonne de gauche du découpage resterait blanche si }e d eva is en faire un.
b) Je choisis m es « acteurs de compiémenf » sur piace, a u moment du tournage ; je ne
puis, a v a n t de les avoir vus, écrire un diaJogue qui serait forcém ent théâtral et faux. La
colonne de droite resterait blanche elle aussi...
c) Enfin je crois beau cou p à J'inspirafion du moment...

(2) C 'est la seconde fo is dans ce texte que je p a rle d'un p erso n n ag e célèbre san s dire son
nom. Je n'écris c es souvenirs ni p our scandaliser, ni p our provoquer une polém ique, a u ssi bien
n'ai-je p a s à p rier ie Jecfeur d'excuser m a discrétion.

9
Anouk Aimée dans Les Mauvaises Rencontres d’Alexandre Astruc.

Alexandre Astruc et Roland Laudenbach

LES MAUVAISES RENCONTRES


(ex trait d u découpage technique)

S T U D IO — B O I T E D E N U I T — N IC E — N U IT .

C’est un restaurant boîte de nuit, comme il y en a beaucoup sur la côte.


Dans une ambiance à couper au couteau, ' mangent, rient, dansent et
partent, une cinquantaine de noctambules d’une tenue vestimentaire élégante,
mais relâchée.
L’impression est celle d’un aquarium dans lequel s’agiteraient des monstres
marins.
Les mûrs de la boîte sont en matière noire et brillante.
Le décor est plafonné pour accentuer l'impression d’étouffement.
Les tables sont disposées d’une part, contre les murs, mais certaines s’avan-

10
cent jusqu’à la piste, de sorte qu'elles donnent l’impression d’être isolées
dans îa mer d’ombre épaisse et étincelante qui danse tout autour. On entre
dans la salle en descendant un petit escalier.

149 — P. M. Catherine amorce dos.


APPAREIL SUR GRUE,
Catherine s’immobilise sur la marche VOIX DE CATHERINE. — Quand, ou­
supérieure de l’escalier. Elle est dans vrant cette porte, je le vis surgir devant
une robe à danser blanche, assez jolie moi...
mais simple.
Une bouffée de musique, un brouhaha
de voix, des bruits métalliques s’en­
gouffrent sur l’écran dès le début du
plan.

150 —■ Suite du pian.


L’appareil descend pour cadrer en
P. E. la boîte de nuit dans son plus
grand angle.
Biaise apparaît en pied au milieu de
la boîte de nuit : il se dirige vers l’es­
calier; il s’immobilise un instant en
apercevant Catherine maintenant hors
champ.
VOIX DE CATHERINE (enchaînant).
— Ce fut comme si l’odeur de la forêt
vierge m’éclatait au visage...
151 — Suite du plan.
L’appareil continue à. baisser tout en
reculant; il découvre au premier plan
l’orchestre.
Catherine rentre alors de nouveau
dans le champ, se dirigeant vers
Biaise; il s’incline vers elle et la lais­
sant passer devant lui, l’entraîne dans
le fond du décor où on les voit s’asseoir
à une table. Un groupe de danseurs
passe devant l ’appareil, les masquant.
Musique. — Bruit de conversations.
— Brouhaha.

ENCHAINE RAPIDE
152 — P. M. en LEGERE PLONGEE.
Catherine, de PROFIL.
Biaise, DE DOS.
L’APPAREIL SE RAPPROCHE EN
P. R.
Au moment où une forte amorce
noire formée par Biaise se penche,
bouchant pour un instant tout le ca­ CRI DE CATHERINE {en off). —
dre. Non... '

LA CAMERA S’ARRETE.

11
Biaise se redresse immédiatement
démasquant Catherine qui a posé la
main sur son verre d’un geste brusque.
On sent derrière, en profondeur de
champ, l’atmosphère fumeuse de la
boîte de nuit et la piste de danse.
CATHERINE (comme pour s’excuser
de la brutalité de sa réaction). — ...Je
bois toujours très peu, vous savez...
Sa main tremble à plat sur le verre,
elle la retire, prend le verre et l’appro­
che d’elle.
Biaise repose dans le champ la bou­
teille que son épaule masquait.
Le verre et la bouteille étincellent sur
le fond noir et ouaté de la boîte.
Il se tourne vers elle, se plaçant DE BLAISE. — Comme vous voudrez...
PROFIL.
BLAISE (dans un rire, et large). —
Je ne vous ferai pas boire de force...,
n ’ayez pas peur...
Il a dit ça comme 11 aurait dit n’im­
porte quoi, 'mais la réponse de Cathe­
rine arrive, crispée et sèche.
Elle attaque, furieuse de s’être lais­
sée aller à ce mouvement qui trahit sa
gêne.
CATHERINE (d’une voix sèche qui se
voudrait railleuse, avec une certaine
véhémence accusatrice). — Vous n ’avez
pas besoin de ça, n’est-ce pas...
Elle s’est tournée 3/4 FACE vers
Biaise, ses doigts restent toujours cris­
pés sur son verre.

153 — GROS PLAN Biaise 3/4 FACE —


CONTRE-PLONGEE.
Il se penche, regardant Catherine. BLAISE (brusquement). — Et vous?

154 — 155 — Supprimés.

156 — P. R. Catherine seule.


Elle porte le verre à ses lèvres.
CATHERINE. — Je sais très bien
boire... ou faire semblant de boire...,
mais dans certaines circonstances et
quand j’en ai envie...
Elle relève les yeux vers Biaise et bu­
vant comme pour achever la provoca­
tion.
La main de Biaise entre dans le
champ et saisit le poignet de Cathe­
rine.
BLAISE (off). — Et ce soir, vous nren
avez pas envie.., .
Dans le mouvement de sa main...

157 — Suite du vlan*

12
Anouk Aimée avec Jean-CIaude Pascal (à gauche) et Gianni Esposito (à droite) dans Les Mauvaises
Rencontres d’Alexandre Astruc.

TRAVELLING ARRIERE jusQU’à un


P. R. des deux. CATHERINE ([les yeux dans ceux de
Biaise). — Pas le moins du monde, fi­
Us restent les yeux dans les yeux. gurez-vous...
On voit le liquide trembler dans le
verre.
La main de Biaise se crispe sur celle
de Catherine.
Le pied du verre se brise. '
Le verre bascule. Bruit sec de la cassure.

158 — P. M ~ CONTRE-PLONGEE
(Plafond) APPAREIL de Vautre
côté de la table. Avantage Ca­
therine.
(TÀa table étant eîi quelque sorte in­
crustée dans un petit recoin, la piste de
danse est maintenant off. Venant de
derrière l’appareil les jeux de lumière
se font sur les visages de Biaise et de
Catherine pendant la scène. C’est dans
ce plan que l’on comprend que les ta­
bles sont comme séparées les unes des
autres par de petits blocs de verre rec­
tangulaires pleins d’eau et violemment
éclairés où tremblent des plantes. Toute
la lumière de la salle, à part le projec­
teur de la piste, vient de là.)
Catherine se lève brusquement.
Le verre tombe, éclaboussant de vin Bruit de verre qui tombe et se brise.
la nappe.
Catherine regarde sa main pour voir
si elle est" blessée, pendant que Biaise
s’approche d’elle.

13
BLAISE. — Vous n’avez rien; quelle
chance'... Vous n'êtes pas blessée ?
Il veut lui prendre la main, mais Ca­
therine la lui ôte d’un geste sec.
CATHERINE. — Non.,., non.... ce n'est
rien..., ne vous inquiétez pas...
Elle se tourne FACE A L’APPAREIL,
Elle porte rapidement son doigt à la
bouche et efface avec ses lèvres la pe­
tite tache de sang qui s'y est formée,
puis prenant son sac sur la table, elle
le fouille rapidement pour chercher un
mouchoir.
BLAISE (insistant), ■— Mais si..., vous
êtes blessée... Vous cherchez un mou­
choir ?... Voulez-vous le mien ?...
Il sort un mouchoir de sa poche et le
lui tend en venant se placer derrière
elle.
Elle se détourne avec irritation et
continue à fouiller dans son sac.
CATHERINE (aw bord des larmes). —
J’ai tout ce qu’il me faut, merci.
Elle lance un regard affolé vers la
salle comme si elle voulait fuir. Mais
la masse des danseurs, toute cette salle
à traverser, lui font trop peur.
Elle essuie le doigt avec son mou­
choir enfin trouvé, puis elle se retourne
vers Biaise avec un regard accusateur
et désemparé, comme si elle le rendait
responsable de ce qui vient de lui ar­
river. C’est alors, avant qu’elle ait eu
le temps d’ouvrir la bouche, que Biaise
lui prend brusquement le poignet d’un
geste à la fois ferme et poli, comme s’il
voulait simplement l’aider à s’asseoir.

159 — Suite du pian.


On les recadre en P. R.
Lui penché sur elle. BLAISE (doux, charmeur, mais avec
autorité). — Vous voyez..., vous voyez...
Vous m’avez demandé ce matin pour­
quoi les hommes avec les femmes pré­
féraient s'en tenir aux idées généra­
les... Regardez où ça mène... quand on
abandonne ce terrain..., et qu’on se
mêle, comme vous, de donner à, la con­
versation un tour un petit peu plus
personnel...
Comme elle le regarde d’un air ab­
sent, ne comprenant pas ce qu’il veut
dire, complètement stupéfaite, médu­
sée, il ajoute, lui tenant toujours le
poignet et la regardant de son regard
profond.
BLAISE (même jeu). — C’est fou ce
que les choses vont vite... H n’y a bien­
tôt plus de conversation possible..

T4
Il regarde Catherine en silence.
Elle le regarde aussi et, comme à. son
regard, il voit qu'elle a compris il
ajoute : BLAISE. — Est-ce que je n'ai pas un
peu raison ?...
Catherine fait « oui » de la tête.

160 — Suite du vlan.


Il s’écarte pour la laisser passer et
revient se poster derrière sa chaise à
elle. •
BLAISE (dans le mouvement). — Eh
bien, rasseyez-vous maintenant... et tâ­
chons de dîner tranquillement.,^
On la voit encore un instant hésiter '
puis elle va silencieusement reprendre
sa place tandis que
UAPPAREIL COMMENCE A REÇU- ’
LER LENTEMENT.
Musique.
On la voit encore regarder Biaise
puis, d'un geste enfantin, lui tendre la
main à travers la table.

161 — Suite du pian.


Dans le mouvement, le maître d’hô­
tel poussant une table roulante, entre
dans le champ, dos à l ’appareil; il bou­
che l’écran.

NOIR.

162 — Raccord dans le noir du dos du


maître d'hôtel.
Il se recule, démasquant
P. R. de Catherine face.
Elle est complètement dans l’ombre.
Le maître d'hôtel sort du champ, une
assiette à la main; le visage de Cathe­
rine apparaît en pleine lumière. Rire sonore de Biaise.

Sur le visage de Catherine passent et


repassent les ombres des danseurs. Elle
a les mains croisées sous son menton
et elle écoute Biaise qui vient de lui
parler en off et qui rit...
' CATHERINE {décroisant ses mains).
— Parce que vous y croyez, vous..., à
l’enfer...
Un craquement en off, est toute la
réponse.
Elle relève la tête, regarde dans la
direction de Biaise et éclate d’un rir^
léger.

15
163 — -P. R . d e B ia ise , P R O F IL .
FORTE AMORCE DE LA TABLE.
Il craque une allumette. Rire de Catherine (.off.')
VOIX DE CATHERINE (.dans un
rire). — ...Ce que je suis bête, voyons î
BLAISE. — Hé... hé... je voudrais bien,
vous savez... j'ai essayé...
Il parle sans regarder Catherine,
comme quelqu’un absorbé par ce qu’il
fait. "
BLAISE. — ...le péché, ce n’est pas
si mal que ça. C’est une invention for­
midable. Les croyants ont bien de la
chance...

164 — P.R. de Catherine — *PROFIL.


Elle joue avec son couteau sur la
table.
VOIX DE BLAISE (off.). — C’est fou
ce que ça peut donner de prix aux
choses, quand on pense qu’on peut
rôtir pour l’éternité...
Elle s’interrompt un instant et re­
garde dans la direction de Biaise. Rire de Biaise en off.

165 — P.M. des deux — TRES LARGE.


Avantage Biaise.
Les ombres des danseurs vont passer
et repasser sur les visages pendant
toute la scène. ' Musique — ambiance.
BLAISE (riant). — Mais de vous à
moi... malgré tout... non... franchement
non... je n’y arrive pas...
Il repousse son assiette et se recule
dans l'ombre.
Catherine rit. Son regard se détourne
vers Biaise. .
BLAISE (derrière elle, dans Vombre).
Et puis, entre nous, est-ce bien néces­
saire... regardez-les...
Il se penche. Son visage prend la
lumière à son tour. Il regarde dans la
salle.
Catherine suit son regard. Elle se pen­
che vers l’ombre.
BLAISE (désignant la salle du men­
ton). — ...Ils croient qu’ils s’amusent,
ils s ’ennuient à mourir et ils crèvent
de peur... vous ne trouvez pas qu'ils
sont déjà assez punis comme ça... enfer
ou pas ? -

166 — Suite du plan.


Il rit. Rire de Biaise,

16
Anouk A imée avec G ianni Esposito (à gauche) e t Jean-C Iaude P ascal d an s L es M auvaises R encontres
d ’A lexandre A struc.

Catherine se détourne.
Biaise retombe dans l’ombre.
CATHERINE (ton de la conversation).
...Mais, dites-donc... ce n’est pas drôle
du tout ce que vous dites... et ce n’est
guère encourageant...
BLAISE (.rapidement). — Pourquoi ?
CATHERINE (même jeu). — Vous
parlez de toutes ces choses avec un tel
désenchantement... un tel pessimisme...
BLAISE (ricanant légèrement). —
...Un tel désenchantement... un tel pes­
simisme ? Comme vous y allez !...
Il la regarde. Il prend la lumière. Son
regard s’éclaire d’une lueur dure.
Le ton dur de Biaise fait tressaillir
Catherine, qui le regarde tout d’un
coup.
BLAISE (d’une voix un peu dure. On
sent qu’ü fait son procès■ tout autant
que celui des gens qui sont là et qu’il
accuse). — ...Non... les gens ont ce qu’ils
méritent... S’ils s’ennuient à mourir,
c’est bien fait pour eux...
Le regard de Catherine s'est détaché
de Biaise. Elle feint d’être absorbée
dans la contemplation d’un couteau
qu’elle tripote sur la table, mais elle
l’écoute avec attention. Elle a les yeux
baissés et reste dans la lumière.
BLAISE. — Ils ne veulent prendre
aucun risque, qu’est-ce aue vous vou­
lez...
Catherine regarde Biaise comme si
elle ne comprenait pas.

17
2
167 — PM. des deux .
APPAREIL dans le dos de Catherine.
Biaise de profil en bordure de cadre.
En. profondeur de champ, on voit la
boîte de nuit où dansent des couples.
Biaise allume une cigarette. Il fume
nerveusement. ,,
BLAISE (sans regarder Catherine, les
yeux dans le vague). — Ils veulent
tout avoir à crédit... ou gratuitement...
Ils vivent à la petite semaine... Ils
s’habituent d’avance à tout, exprès...
pour ne pas être pris de court... pour
ne pas être dépassés par les événe­
ments, comme ils disent...
Mais regardez-les, le jour où le ha­
sard leur met entre les mains une
chance imprévisible... comme ils sont
embarrassés, comme ils ont peur... On
aimerait les prendre par la main et
leur dire : « vous pouvez toucher, vous
savez... ce n’est pas dangereux... vous
n'en mourrez pas... »
Il s’arrête et regarde dans la direc­
tion de Catherine en silence.

168 — 169 — Supprimés.

170 — P.R. Catherine — Légèrement


PROFIL.
CONTRE-PLONGEE.
Elle hoche la tête, se retourne vers
Biaise.
CATHERINE. — Vous pouvez man­
ger tous les fruits du jardin, sauf celui-
là... Dites-moi, est-ce que je n ’ai pas
déjà entendu quelque part cette h is­
toire...

171 — P.R. — Biaise. BLAISE. — ...et ils mangèrent la


pomme... et ils furent chassés du Pa­
radis...
Il sourit à* son tour.
...Vous vous rendrez peut-être compte
plus tard à quel point cette vieille
histoire continue à faire ses ravages...
Il regarde dans la direction de Ca­
therine.
BLAISE. — Mais je me demande
pourquoi je vous raconte tout ça, vous
êtes si jeune...

172 — P.M. des deux.


Avantage Catherine.
APPAREIL dans le dos de Biaise.

18
CATHERINE (levant les yeux vers
Biaise). — C’est drôle... j’étais juste­
ment en train de me dire, à vous
entendre... combien je me sentais vieille
tout d’un coup...
BLAISE. — Parce que je fais des
gestes... parce que je parle un peu
trop fort...
Il désigne son. verre.
...J’en ai aussi plus que mon compte
et j’ai assez parlé pour aujourd’hui.
Il prend son verre et le porte à ses
lèvres.

173 — P.R. de Catherine, dans Vaxe


TRAVELLING AVANT sur elle.
CATHERINE. — Et moi... est-ce que
vous ne me donnez pas à boire...
Elle pousse lentement son verre
dans la direction de Biaise. Elle lève
les yeux vers lui.
CATHERINE. — J’ai si soif... main­
tenant.
On finit sur elle en GROS PLAN.

174 — P.R. de Biaise.


TRAVELLING AVANT SUR LUI.
Il a la bouteille à la main, il Tin-
cline et remplit lentement le verre de
Catherine.
On finit sur lui en GROS PLAN.
Il la regarde.

175 — P.R. de Catherine FACE.


Amorce grosse tête Biaise.
Elle porte lentement le verre à ses
. lèvres et elle fixe les yeux sur Biaise.
BLAISE. — Comment vous appelez-
vous ?
Elle détourne le visage.
CATHERINE (tournant de nouveau
les yeux vers Biaise et se mettant face
à l’appareil). — Mon nom ne vous dira
rien et puis ne doit-on pas se quitter
dans une heure...
Elle détourne à nouveau son vi­
sage.

176 — Gros plan Biaise — face.


BLAISE (comme pour lui-même). —
Dans une heure, oui, vous avez rai­
son...

19'
177 — Même Que 175.
CATHERINE (le regardant de nou­
veau). — Vous saviez que je viendrais...

177 bis — Même que 176.


BLAISE. — J’en étais sûr... vous re­
grettez ?

178 — Même que 177.


CATHERINE (plongeant son regard
dans celui de Biaise). — Je ne re­
grette jamais rien...
Ils restent tous les deux immobiles,
puis Catherine détourne la tête.
CATHERINE (d’une voix altérée). — '
J’aime bien parler avec vous, vous,
savez...
Elle recule comme si elle voulait se
dérober à une étreinte.

179 — P.M. des deux.


(Avantage Catherine).
La note claire de la robe de Cathe­
rine se détache sur le fond noir de
la piste. Elle est éclairée par le pro­
jecteur. Elle s’encadre sur un fond de
fausse porte que l’on dirait ouverte
sur la nuit.
Biaise, au PREMIER PLAN, en
AMORCE NOIRE, la contemple.
CATHERINE (d’une voix soudain
troublée par l’ivresse. Est-elle aussi ivre
qu’elle le paraît ?). — ...Vous êtes très
intelligent, même quand vous plaisan­
tez... j’aime écouter ce que vous dites...
par exemple, tout à l’heure, quand
vous parliez de l’enfer... (elle sourit).
Ce n’est pas que j’y crois, je serais
plutôt de votre avis... (sur un autre
ton). Mais pourquoi souriez-vous tout
le temps ?...

180 — P.R. de Biaise.


n sourit.

181 — Très gros plan de Catherine


(même axe que 179).
CATHERINE. — ...Vous ne m’écou-
tez pas, vous vous moquez de moi...
Pourquoi me regardez-vous ainsi ?...

20
181 bis — Même que 180.

Il la regarde, immobile, comme s’il


attendait qu'elle vienne d'elle-même
se jeter dans ses bras.

182 — Reprise du 179.


CATHERINE (essayant de suivre le
fil de sa pensée, s’embrouille). —■ ..Je
ne sais plus ce que je voulais dire...
Ah ! oui ! Ce que vous avez dit tout
à l’heure de l’enfer... c’était bien... ça
m’a intéressée... seulement voilà, ça
n’existe pas... (elle chantonne)... ça
n’existe pas... ça n’existe pas. Mon
Dieu, je ne sais plus ce que je dis !...

Elle semble être, à son tour, absor­


bée par la piste. Elle regarde autour
d’elle, les danseurs qui tournent de
plus en plus vite.
La lumière passe et repasse sur son
visage. La musique monte. — Rires. — Cris.

183 — Supprimé.

184 — P. M. des deux axé vers l’esca­


lier de Vautre côté de la piste.

Avantage Biaise. Catherine G. P.


Profil bord de cadre. ‘
CATHERINE {comme une femme
ivret récite). — « Esprit Saint, qui êtes
■la lumière de ma vie... éclairez ma
conscience,., » (à Biaise) : Vous voye-,
je sais encore mes prières...
BLAISE (penché sur elle, répète> :
« Esprit Saint, qui êtes la lumière de
ma vie... »
CATHERINE (continuant) : Eclai­
rez ma conscience... Montrez-moi mes
péchés... faites que je les voie comme
je les verrai à l ’heure du jugement
dernier... Amen !
C’est drôle que je me rappelle tout ça
par cœ ur!.. Mon Dieu, ce qu’il fait
chaud ici ! "'V *

Elle se lève, la main à la tête.

21
Biaise, venant à son secours.
BLAISE 0d’une voix brusque). — Al­
lez, vous avez besoin de prendre un
peu l'air...
Il lui met son sac dans les mains et
Fentraîne en profondeur de champ
vers l’escalier.
L'appareil recule pour agrandir le
champ. .
On les voit traverser la piste et mon­
ter l’escalier, se- dirigeant vers la
sortie,

A le x a n d r e A st r t jc et R oland L audënbach .

(E xtra it du découpage technique des M auvaises R en co n tres avec l'autorisation des


auteurs et des Films M arceau).

/
LE CELLULOÏD ET LE MARBRE
par Eric Rohmer

IV

Beau comme la Musique

Avant de poursuivre, je voudrais répondre à deux critiques que n 'a pu manquer de formuler
le lecteur le plus indulgent. La première concerne le mépris systématique en lequel j'affecte
de tenir tous les autres arts, du moins dans leurs productions les plus récentes. Je ne crois pas,
toutefois, m 'être montré plus sévère que nombre de chroniqueurs picturaux, théâtraux ou litté­
raires, si ce n'est qu'aussi rigoureux dans la condamnation, j'accorderais plus difficilement mes
éloges à des oeuvres qui n'ont pour elles que la probité ou l'intelligence dans l'exécution.
Est-ce notre faute à nous, am ateurs de cinéma, si nous croyons encore à l'inspiration et au
génie, si nous gardons dans notre cœur une place pour l'enthousiasme et le plaisir d'être
étonnés, si nous pouvons nous déclarer avides de neuf, tout en fermant l'oreille aux mots
d'ordre contemporains? Nous ne condamnons pas notre époque, mais qu'est-ce, au juste, que
notre époque ? Celle de Picasso ou d e Griffith ? Ou plus exactement — car m a question eût
été incongrue en 1920 — celle de ces jeunes peintres qui s'étiolent à l'ombre de Picasso, ou de
tel cinéaste dont chaque œ uvre nouvelle, loin de rétrécir, fait paraître plus large encore le
champ d'investigation. C'est parce que j'admire l'art moderne, celui d e la première moitié
du siècle, que je tremble pour ses épigones. Est-ce donc présomption de notre part, si l'exis­
tence même du cinéma nous pousse à multiplier nos exigences 1 Pour défendre un art qui nous
est cher, inutile, certes, d'égratigner les autres : mais à quel titre notre indulgence, quant
ceux-là s'abandonnent à une pâle résignation ?
Aussi bien est-ce au cinéma dans sa plus haute visée que j'ai réservé ce chapitre. Quoi,
dira-t-on, ne l'avez-vous p as juché assez haut, presque au coude à coude avec les cheîs-
d'œ uvre des plus grands peintres et des plus grands poètes ? Et qu'est-ce que cette hiérarchie
que vous prétendez établir entre les différentes formes d 'a rt? Il ne s'agit pas de cela : quelque
estime particulière que je lui porte, je n'entends p as attribuer de place d'honneur à la musique.
Il se trouve, simplement, que le plan où j'ai choisi de confronter le cinéma et celle-ci est plus
élevé, plus noble, si l'on veut, que ceux de nos comparaisons précédentes avec le roman, la
peinture ou la poésie.
Mais, auparavant, un mot pour répondre à la seconde accusation. Je ne me dissimule pas
d'avoir confondu la cause du cinéma avec celle d'une thèse non seulement classique, mais
spirifuaJisfe : peu Importe le parti pris, pourrais-je dire, si celui-ci se révèle fécond, nous
découvre des beautés et des pouvoirs ignorés des tenants du système opposé- J'éprouverais
pourtant quelque pudeur à mobiliser au service de cet art une philosophie que ses productions
n'ont jusqu'ici revendiqué que p ar leurs aspects les plus accidentels, si l'incompréhension qu'il
rencontre auprès de trop d'esprits éclairés n'était due, en qrande partie, à l'attitude agnostique
que ceux-ci se flattent communément d'adopter. L'artiste d'autrefois croyant vivre dans le
« meilleur des mondes possible » n'envisageait d'autre mission que celle de le glorifier, même
s'il lui prenait fantaisie de dénoncer ses imperfections apparentes. Cette croyance est-elle si
naïve ? L'évidence de l'écran prêche en sa faveur, et c'est à notre scepticisme actuel que je
juge plus raisonnable de m’en prendre. Alors que l'art modeme nous invite à méditer sur les
soubassements organiques de l'homme, c'est, au contraire, s a condition spirituelle que le cinéma
se trouve être, paradoxalement, je veux bien, mais sûrememl, le plus apte à mettre en
lumière.
*

Forts de ce préambule tournons les yeux vers l'art le plus indifférent aux prestiges de
l'objet matériel. Divin ou diabolique, * aoollinien » ou < dyonisiaque >, le pouvoir propre à la
musique est de nous mener à une espèce particulière de contemplation qui nous arrache à

23
celle du monde extérieur. Celte forme d'expression, le ch cmf, la poésie y participait déjà ; mais
ici nul besoin du sym bole; l'idée trouve dans le son, ou la succession des sons, un écho fidèle
sans l'intermédiaire du signe, et la musique se présente comme le plus abstrait des arts ou
le plus concret selon l'angle scus lequel on la considère. EU© est à la fois le plus sensuel et
le moins asservi aux impressions particulières des sens, le plus propre à parler directement à
l'âm e et le plus lié à l'état passager, si ce n'est à la structure même de notre corps. '
Cet aspect corporel, il m'appartient moins q u'à tout autre de le négliger. La danse n'est*

Quintet
' I W. A, Mozart
1756-1791

24
elle p a s la m eillleure porte d'introduction ? Sans au cu n doute, si toutefois on sait l'ouvrir avec
toute la prudence requise. Voici deux arts qui pourraient sem bler frères, trouvant, à la fois,
l'un et l'au tre dans le temps et l'esn ace leur cham p d ’expression, a rts du mouvement certes,
mais d'u n mouvemeni, ici et là , différemment conçu. D ans les figures d e l'une, si fugaces
sojent-ellles, je discerne une fascination d e la * pose », d 'u n e immobilité constam m ent proposée
comme limite ; à la m an ière d 'u n objet placé en équilibre stable, m ais ici, moins effet de
nature q u 'h a b itu d e p atiente et violence faite a u corps, il sem ble q u e le d a n se u r soit p e rp é ­
tuellem ent assu ré de retourner à son attitude prem ière, en dépit des efforts violents q u 'il fournil
pour s'élo ig ner d'elle. L 'écran, a u ’ contraire, ne sait q u 'aig u iser notre sentim ent du péril : tout
arrêt, toute h a lte est le fruit d'une lutte, d 'u n e tension entre des forces ennem ies. Songez aux
vertigineuses évolutions d'H arold Llovd sur les gratte-ciel, situation type des prem ières comé­
dies. Revoyez cette scène du Grand. Som m eil où le revolver p a s s e de la m ain du g ang ster
dans celle d e M arlowe. Je p o urrais citer mille au tres exem ples d‘un eiiet reposant sur une
sem blable inversion des forces en présence. Dans toute l’œ uv re d es g ran d s m aîtres du muet,
peut-être n e trouverions-nous p a s u n seul p lan crui n e soit rupture d'équilibre, où l'expression
ne; soit conçue non p a s en fonction de la construction plastique, m ais d e l'effondrem ent de
cette construction. Quelle distance entre cette course sacccad ée d e paliers en paliers, cette
discontinuité foncière du style ciném atographique et la souple continuité de la dan se ! Mais
e n revanche, en celle-ci, u n e recherche de l'autom atism e, u n e rig u eu r m écanique qui, à l'écran,
ne * p a sse » pas. Bref, d'un côté, un temps, un e sp ace schém atisés à l'extrêm e, uniformes,
lisses, si je puis dire ; d e l'au tre ce sentiment d 'a b so lu e liberté, cette angoisse particulière que
nous procure tout fragm ent d e film, indépendam m ent de son contexte dram atique.
L'existence d'une « coalédïe m usicale » qui inspira a v ec b o nheur l'Am érique, n'infirme
en rien mon propos. Libre a u cinéaste de prend re s a m atière où il veuf, de se satisfaire de la
convention d u music-hall, du cirque ou d'un b a lle t que, d'ailleurs, à tort ou à raison m éprisent
les vrais am ateurs d e chorégraphie. De même q u e le style ciném atographique a plus a pp ris de
l'im agerie populaire que des tab leau x des musées, le dancing est pour lui m eilleur m aître que
les planches de l'O péra. Et puis, à bien regarder, quelle p lace occupe la danse dans l'histoire
de l'art occidental ? On n e p e u t honnêtem ent lui reconnaître q u e le rôle d'un divertissem ent,
-.d'un interlude dans le th éâtre antique eu su r la scène lyrique moderne. Très vite elle a perd u
ce, caractère sa c ié qu'elle p o ssèd e encore chez les peu ples d es au tres continents : nous sommes,
entre tous, inaptes à faire de certains états paroxystiques de notre corps un pont entre l'âm e et'
le cosmos. Notre art, p aïen ou chrétien, latin germ ain ou celtique, s'e s ï constam m ent distingué p a r
le recul qu'il a su pren d re vis-à-vis du motif : c'est u n a rt d'observation, de méditation : loin d e
céder aux m ouvements désordonnés de l'instinct, il n 'a jam ais cherché q u 'à les intégrer d an s un
systèm e dont l'ordre de l'univers, objectivement considéré, lui fournit le modèle. Songez au x d a n se s
du folklore européen : qui n e se ra it frappé non seulem ent de leu r air de famille, m ais des a n a lo ­
gies précises qu'elles présentent, nées aux confins d es C arp ath es ou a u pied des Pyrénées ?
Leur qualité commune est la retenue ; même a u sein d e la plus g ra n d e rapidité, violence n'y
est p a s synonym e d e frénésie ; le corps peut bondir, tournoyer, se plier à mille mouvements
divers, m ais forme bloc : point d e déhanchem ents, de trém oussem ents, de spasm es altéran t
son maintien ordinaire. Elles sont naïves, certes, proches d es g am b ad es d'enfants, curieuse­
ment pudiques a u point que nous a v o rs cru bon de leur préférer la semi-lascivité du tango,
de la rum ba ou du jazz. Mais cette pudeur, ce refus, pour qui sait observer n'est p a s sans
éloquence, y
Occidental, a u contraire, p a r son origine, le ciném a, ju sq u 'à ce jour, le dem eure dans son
esprit. le ne conteste p a s plus à l'Inde ou au Japon le droit d e faire des films que celui d e
construire des gratte-ciel ou de fabriquer des autom obiles, m ais je crois que les traditions
auxquelles ces p e u p les restent encore attachés sont moins fécondes que la nôtre : le cinéma
est un vêtem ent si bien a d a p té à la forme de notre propre corps q u e d 'autres n e peuvent
l'endosser san s faux plis ni craquem ents aux coutures. Le hiératism e des attitudes, où ils se
complaisent encore, sonne faux sur l'écran, s'il n e p a sse à travers le prism e d 'u n e vision
occidentale ou, tout a u moins, occidentalisée. Le ciném a est non seulem ent le produit de noire
génie technique, m ais celui d 'u n e longue odyssée de notre a rt : vous avez p eu de chances de
m anier habilem ent ce jouet inqrat, si le m éridien et le p a rallèle du lieu de votre n aissan ce
ne vous ont doté d*un épais p a ssé où vous appuyer.
Nous sommes les plus a p te s a u cinéma, parce q u e l'écran rép ug n e à l'artifice et que
nous avons, nous européens, un sens plus aigu du naturel. Ne vous récriez p a s ! Les écrivains^
du XVIIe siècle ont loué les Grecs de ce qu'ils av aien t su rester tout p rès de l a nature. Ce
cliché d'école n e s'est-il p a s, depuis cinquante ans, ch argé d'un sens nouveau ? L'ethnologue
a b e a u jeu de dém ontrer qu'on ne peut ici trancher dans l'absolu, qu'il est aussi norm al de
s'accroupir sur une natte q u e de s'asseoir sur un * sièqe élevé » comme les héros d'Hom ère :
on a u ra peine à me convaincre q u 'u n e race éprise des jeux du stade n'est p a s plus conforme

25
Le Carrosse d’or de Jean Renoir.

a u canon de l ’espèce que celle qui s'ad o nn e au x exercices d u yoga. Mais il s'agit bien d 'a n ­
thropologie ! Ce qui m'importe, c 'est q u 'u n e civilisa (ion, Ict nôtre, a it volontairem ent confondu
les notions de b e a u idéal et de n ature et qu'elle ait atteint, p a r là-même, à u ne indiscutable
universalité.
*

A l'id ée de classicism e que m 'avait inspirée Ta com paraison du ciném a et de la peinture,


c'est celle de n ature que je voudrais, m aintenant, substituer. Ce n 'est plus leu r seul cara ctè re
d'équilibre heureux qui rend com parables la sculpture grecque d u Ve siècle et la m usique
européenne du XVIIe : cette b e au té m ajestueuse q u e les â g es suivants eu ren t raison de railler
lorsqu'elle d é g én éra en grandiloquence ou en fadeur me sem ble bien être propriété incontes­
table de l'a rt occidental. Si le cinéma, dans ses plus g ran d s m oments, p eut s e h a u sse r ju sq u 'à
elle, c'est qu'il s'in sère dans la m ême tradition. Souvent, d a n s la sa lle obscure, ces mots « b e a u
comme la m usique » sont venus servir d e soutien à mon ad m iration : à n e considérer d ans
l'im age d e l'écran que la pu re plastique, nous m anquerions, certes, d 'arg u m en ts en face d e s
créations d e s peintres et des sculpteurs ; jugé selon les seul scritères d e la peinture, « c e la »,
je veu x bien, < n'est p a s d e l'art », ou si peu , q u e nous pouvons re g a rd e r cet asp ect comme
n ég ligeab le. C'est, a v an t tout, parce qu'il s'exprim e d an s le tem ps q u e le ciném a atteint à la
dignité artistique. Je dis bien tem ps et non p a s m ouvement. Ce q u e l'éc ran sait offrir à nos
yeux, n'est p a s le p ur chatoiement des ap paren ces, l'ab stra ite m écan iq ue d e je ne sais quel
b allet cosmique : la m atière filmée est a u contraire d 'a u ta n t plus p e rm é ab le à nos sens q u 'elle
’Se laisse difficilement enclore dans le systèm e d 'u n e phy siq ue du m ouvem ent. Ce n rest p a s p a r
la porte du déterminisme que nous pénétrons d an s l a dimension tem porelle, m aïs p a r celle d e
la liberté : la chair est ici sa n s cesse m arquée du sc e au de l'esp rit qui l'an im e : nous a ccé­
dons d'em blée à cette * intériorité » dont Hegel faisait le p riv ilè g e de l a m usique. L'homme,
rendu à lui-même, se libère du m agm a organique où l'a rt contem porain essa y a it de le dissou*
d re : nulle a u tre forme d 'art n 'a v ait su nous donner u n e id ée au ssi h a u te de nos sem blables,

26
faire brilller de ses pleins feux la noblesse originelle du visage, du geste, du comportement
hum ain. '
Beau comme la m usique.,. Si l'art des sons s'extériorise d a n s la d an se, le ciném a ne retient
d e lui q u e s a dém arche intérieure. Quoi de plus d ép laisant q u e ces partitions qui adaptent P­
leur tem po a u m ouvement extérieur des êtres ou des choses en déplacem ent sur l'écran ? Quoi
d e p lu s inexact que cette exactitude ! Faites au contraire « p a sse r » un disque p en d ant la pro­
jection d 'u n e b a n d e m uette : pourvu q u e le ion du m orceau s'acco rd e avec celui du film, q ue
le sentim ent exprimé soit analogue, p eu importe la retom bée d es tem ps : vous serez surpris des
effets d e coïncidence d ram atiqu e ou poétique q u e vous obtiendrez d e cette m anière. Ainsi, dans
le C arrosse, Renoir comprit-il le rôle d 'u n e m usique accom pagnatrice : c'est le rythm e inté­
rieur, non le visible qu'il convient d e souligner. Si la b e au té de certains p lan s est toute musi­
cale, c 'est q u 'e lle nous touche, nous séduit, nous envoûte comme le ferait u n chant, c'est qu 'elle
donne à l'instant cette chaleur, ce poids que, jusqu'ici, seu l l'art d'O rp h ée a v a it su lui conférer,
c'est q u e surtout, d e m ême que P y th ag o re faisait de l'harm onie céleste le répondant visible
d 'u n e « m usique des sphères », ainsi le ciném a nous dévoile une b e au té sui generis qui, partie
in tég ran te du m onde dès les origines, attendait l'instrum ent propre à la rév éler aux hommes.
A ussi est-il mille fois plus q u 'u n la n g a g e : sa fonction n'est p a s d e dire « autrem ent » ce qui
a d é jà été dit ; on a trop souvent fait de lui u n e sorte de mime raffiné, un moyen d'exprim er
p a r le geste, l'allusion ce q u e le rom an ou le th éâtre peignent p a r le discours. Il a non seu le­
m ent s a m anière, s a forme propre, m ais apporte une m atière a v an t lui insoupçonnée : ce
chant secret du m onde q u e p a r s a m agie il peut réveiller, le son incom parable dont il a fait,
m anié d e m ain de m aître, retentir tout ce qu'il touche.

Q u'on me p ard on n e u n e fois de plus d'être de parti pris. En ce domaine, moins encore
q u 'e n les autres, je ne p réten d s me poser en spécialiste. La m usique est a u contraire, d e tous
les arts, celui que je goûte le mieux en am ateur, q u e je fréquente p a r pu r plaisir, sa n s aucune
arrière-p en sée critique, m ais les m aîtres a v ec lesquels j'ai établi u n comm erce q u asi quotidien
ont vu le jour à l'intérieur d es mêmes frontières de tem ps et d 'e sp a ce , et ]"ai toutes raisons d e
p e n se r q u e cette p référence a passab lem en t déteint sur l'id é e q u e je me fais de la fonction
p ro p re à toute m usique. Il existe d 'a u tre s conceptions que celle q u'illu strèren t les q ran d s com­
p ositeu rs allem an d s d u XVIIIe et du XIXe siècles, mais je ne crois p a s q u 'au cu n e soit allée aussi
loin d a n s cette q uête intérieure qui m 'in­
tére sse ici : m usique impure, s'il est vrai
q u 'il n 'est p a s un seul des sentim ents
hum ains, joie ou tristesse, am our ou co­
lère, orgueil ou résignation, q u 'elle n 'a it
e s sa y é d'exprim er, pure, entre toutes, a u
contraire, p uisqu'elle se nourrit d e s a pro­
p re substance, n 'a q u e faire, en général,
de l'évocation du m onde visible, que, même
d an s ses p a s s a g e s descriptifs, elle se sou­
cie moins du pittoresque extérieur q u e de
l'état d'âm e, puisqu'elle s'a p p liq u e plus à
p ein dre le devenir, le changem ent que le
m ouvem ent d a n s l'esp ac e, puisque, p lato­
nicienne de tradition, a u d e là et à travers
ch aq u e émotion particulière, c'est à l'/dee
q u 'e lle se propose de nous conduire. Toutes
les au tres m usiques, populaires ou sa v a n ­
tes, e n quelque lieu ou siècle q u 'elles
soient nées, ne m e sem blent être q u e la
notation d ’une sorte d e rum eur pro pre à la
m atière, à laqu elle l'esprit n 'a point de
part, d a n s laq u elle il p eut tout a u plus se
couler, s e dissoudre, s'a n é a n tir ; elles exi­
gent q u 'o n les écoute passif, comme le
v o y a g e u r assis su r l a b a n q u ette d'un
train re g a rd e le p a y sa g e défiler derrière
l a vitre, ou, a u contraire, qu'u ne fois ac~

Leslie C a ro n d an s Un A m éricain
à Paris.
cordés à leur rythme nous nous oublions tout entier. Celle-ci, au contraire, requiert une adhé*
sion volontaire de chaque instant, de chaque mesure, de chaque « note », elle nous tient tendus
mais toujours distants, elle n'excite point nos sens, mais exalte notre être spirituel. Ce caractère,
que les théoriciens appellent d'ailleurs * ascendant », qu'il s’agisse du rythme ou de la gam me
même, je n'ai sous ma plume que des images spatiales pour l'exprimer, mais il est spécifique
de la dimension temporelle. Un exemple entre mille : j'ai souvent été frappé, dans les œ uvres
les plus denses, les plus méditées de Mozart ou de Beethoven, de la présence d'une p h ra se
interrogative, introduisant un développement « décidé ». Plus encore que le style dît * héroï­
que », ce procédé du discours musical n'exprime-t-il p a s le mouvement non pas tant du désir
que de la volonté au sens le plus étroit du terme, volonté qui se sait libre, apte à se mesurer
victorieusement avec le destin, anxieuse toutefois de n'être pas admise dans les secrets des
dieux ? Quelle distance entre le ferme dessin de cet appel et l'iqnuiétude toute physiologique
du chant naturel de l'homme « qui, dit Chateaubriand en tout pays est triste, lors même qu'il
exprime le bonheur ». .
On pourrait, je veux bien, concevoir un autre type classique que celui que l'art grec nous
a proposé, une architecture fondée sur d'autres normes que celle du Parthénon, un modèle
humain plus parfait que celui' de la statuaire du Ve siècle, on le pourrait * à la rigueur », en
incriminant l'habitude, l'alavisme, q ue sais-je ?... mais je ne- vois p as comment prétendre que
notre système tonal classique aurait pu ne pas être, je crois impossible de faire de lui le pro­
duit de circonstances particulières, de nier qu'il soit une vérité unique, nécessaire en face de
laquelle toutes les autres conceptions se trouvent être entachées de contingence historique ou
géographique. Cette majesté, cet équilibre, cette santé propres au ton d'uf majeur, celui d e la
« Jupiter » mais aussi d'Au clair de la lune, ces qualités, au sens étymologique du mot,
» incomparables », nos oreïllles modernes, je crains, ne les apprécient plus à leur juste prix,
mais, même si nous avons perdu l'art de les goûter, reconnaissons le privilège qu'elles ne
cesseront de posséder depuis qu'elles nous furent, une première fois, révélées : outre qu'il y
a un seul visage de la santé pour mille maladies, une seule perpendiculaire pour une infinité
d'obliques, la voie stricte de la règle donne leur prix, leur raison d'être aux < accidents ».
Sbns pousser trop loin le paradoxe, je dirais volontiers que j"'aime Mozart parce qu'il est dis­
s o n a n t. En tout cas, beaucoup m'accorderont que W agner ou Liszt sont moins variés dans leur
couleur tonale que le Beethoven des derniers quatuors, Debussy moins que Wagner, et moins
encore Schoenberg. L'extrême liberté de modulations dont usent les modernes aboutit à une
sorte de grisaillle harmonique où l'altération noyée dans la masse, perd l'efficacité dont elle
Jouissait à l'époque classique ; plus de ces brusques éclats, de ces brumes soudaines intro­
duites par un seul accord modulant et dont la hardiesse étonne encore aujourd'hui nos oreilles.

Beau comme la musique... Ai-je bien mesuré mes mots ? Un film au moins à ma connais­
sance peut se flatter de garder de bout en bout, par son fempo tantôt vif, tantôt retenu, ses
pianissimi, ses crescendi, son contrepoint serré, ce son brillant ou étouffé qu'il fait rendre à tout
ce qui, objets,' visage, portions de ciel ou de lac, arbres ou architectures, tombe dans le champ
de l'objectif, parce qu'il n'est que continuel passage, soit brusque soit gradué, d'un état d'âm e
à un autre état d'âme, chacun toujours exactement accordé^ à la tonalité de leurs cadres suc­
cessifs, parce qu'il révèle d'autant mieux l'être intime de ses héros qu'il se contente d'étaleï
les apparences —- ce film, je crois, garde de bout en bout, sans la moindre faille l'allure souve­
raine de la grande symphonie classique. Au sortir d'une projection de YAurore, nous pouvons
dire comme après la Neuvième : c'est un monde. C'est la beauté toute musicale du film de
Mumau qui me le rend plus cher que cet autre monument du muet Que Viva Mexico d'Eisen-
stein, trop uniquement épris de perfection plastique. Après la venue du parlant le lyrisme du
cinéaste s'exprimera sur un mode plus terne, le dram e l'emporte sur le chant et il faut attendre
SfromboJi de Roberto Rossellini pour retrouver d'aussi puissantes ou mélodieuses harmonies :
la beauté poétique de ce film, la profondeur de son ambition ne sont plus je l'espère à démon­
trer : si je le cite en cette place, c'est que sa confrontation avec les chefs-d'œuvre d e la
musique me semble être la meilleure oorte d'accès à des richesses que chaque nouvelle
vision nous fait découvrir plus nombreuses. le signalerai seulement que, de toutes les œ uvres
récentes, il est celui qui prend les libertés les plus grandes avec les lois de la composition
photographique, les prétendues nécessités du découpage ou du montage, conservant en dépit
de la grandeur du ton, l'allure libre du documenf. Ainsi les deux arts que l'on est en droit
de placer aux extrémités de l'échelle, l'un parce qu'il est étranger à toute représentation sen­

28
sible, l'au tre p a rce qu'îl reproduit exactement, m écaniquem ent le réel, l'un p a r son abstraction
fondam entale, l'au tre p a r la fascination du concret, produisent en nous un tumulte d'essence
identique. Plus qu'un tableau, un drame, un rom an, ils ont le ^pouvoir d 'a g ir directem ent, inten­
sément su r nos sens, notre esprit, pour le soustraire à eux-mêmes, comme la plus efficace et
la plus raffinée des drogues. 1

**

Me voici p resq u e a u term e de m a recherche, de cette enquête p a r approxim ation qui des
aspects les plus a p p are n ts du ciném a m 'a conduit, sa n s trop brûler d'étap es, ju sq u 'à s a nature
la plus secrète. Ne me" suis-je p a s avancé trop h au t ? H ne s'a g it q u e d e bien redescendre. Le
v isag e de l'a rt est à double face : il satisiait l'u n e d e nos plus nobles aspirations, le besoin
d u Beau ; mais il est en m ême tem ps né de passions moins av ou ab les, d'u n m alaise physique
et m oral dont il ne peut n e p a s g a rd er la trace. Le dernier-né de la série n 'é ch a p p e point à
cette loi, et la contradiction q u 'il renferm e est peut-être plus flagran te chez lui qu'ailleurs. C'est
dJelle q u e je me propose de toucher un mot d a n s un dernier chapitre consacré à l'architecture.
Eric ROHMER.
(à suivre.)

S tro m b o li de R oberto Rosselllini.

29
PORTRAIT
D’ HUMPHREY
BOGART

par Robert Lachenay


F a ire m o n p o r tr a it ? Quelle drôle cTidée !

Rasé du jour mais déjà barbu, lës sourcils inclinés vers les tempes, les paupières
mi-closes, une main tendue, prête à disculper où ; à confondre, Humphrey Bogart
avance vers le tribunal du monde, la démarche scandée par les accords de Max
Steiner. ■>>
II s'arrête, écarte raisonnablement _leà jambës, déboutonne son veston, passe les
pouces dans la ceinture de son pantalon et commence à parler.
Chaque début de phrase révèle une dentition vagabonde. La crispation de sa
mâchoire évoque irrésistiblement le rictus d'un cadavre gai, l'expression dernière
d'un homme triste qui s'évanouirait en souriant. C'est bien là le sourire de la mort.
L'élocution est saccadée, le timbre d’outre-tombe. La diction favorise la voyelle a
et la consonne k ; on devine à quel prestige, .tjdtns sa bouche, se hausse le mot
rackett (1). - S .
Il est né le jour de Noël, une cmnée où ce fut Noël tous les jours : mil neuf cent.
Humphrey était le nom de famille de ëa maman- actrice, il en fit son prénom. Pour­
quoi Bogart ? Pourquoi pas Bogart ? Mauvais étëve, mauvais marin, m auvais mari,
il attendait que l'écran fit de lui le meilleur en/tout.
La première fois qu'il fut question de lui dans un torchon, c'était à propos d'une
pièce dans laquelle il tenait un petit rôle ; « ippur pütler gentiment nous dirons de
cet acteur qu'il esf inadéquat. » Humphrey : enjrèsta pétrifié et c'est précisément à
cette époque que Leslie Howard lui fit jouét^à ‘ses côtés The Petrïfied Foresf au
théâtre d'abord et puis au cinéma. Suivirent. llne trentaine de thrillers oü il tint des
emplois de second rôles crapuleux servant ae repoussoir à la vedette : Edward. G.
Robinson, James Gcrgney, George Raft ou encore Paul Muni. La trçdiiion hol­
(1) Un coup de ch ap e au a u p a ssa g e à C laude P e ia n et R aym ond Loyer q ui particip en t
a u mythe en tant q u 'acteu rs de la post-synchronisation. C ar il y a B ogart et Bogart : Bogart
en V. O. et Bogart en V. D.

30
lywoodienne exige qu'un acteur devenu célèbre en jouant les gangsters s'élève dans
la hiérarchie en changeant de camp ; le tueur devient flic et voit son salaire décu­
plé : nous sommes au cinéma et le destin de Vidocq, pile et face, illustre assez bien
ce rituel transit.
De 1936 à 1940, Humphrey Bogart dort debout en tournant des histoires qui l'y
incitent. Le 1er janvier 1941, il saisit sa chance à pleins bras et à pleines lèvres : le
corps et la bouche d'Ida Lupino. Il étreint le premier et baise la seconde. Il s'agis­
sait d'High Sierra, l'un des meilleurs Raoul Walsh sur un scénario de John Huston...
et dans un rôle refusé par Cagney. Huston ayant réussi dans l'échec comme d'autres
dans la conserve, va tourner son premier film : The Maltese FaJcon. Pour interpréter
Sam Spade, le beau personnage de Hammett, il songe immédiatement à... George
Raft, qui refuse pour le plus grand bénéfice de Bogart, lequel accepte de rechercher
le faux faucon. Le vrai, s'il existe, vole encore. Le bandit est devenu un « privé »
avec carte de flic dans sa poche — sans quoi on risquerait encore de s'y tromper.
Il a passé le cap du kill et il fait son bilan : en moins de quarante films, il est mort
électrocuté sur une chaise une douzaine de fois et totalise plus de huit cents années
de bagne. Seul parlait auparavant son luger, à présent c'est lui et que dit-il ? Mes­
dames, je mesure un mètre soixante-dix-sept et je pèse soixante-dix-sept kilos. Mes
cheveux sont bruns et marrons mes mirettes. Mon premier mariage n'a duré que
dix-huit mois (de trop) et le second huit ans (de trop) et l'on ne m'y reprendra plus
jusqu'à la prochaine fois.
Marcher et parler, parler et marcher tel est son nouveau job. En traversant les
rues il pose la main sur tout ce qui est à sa portée ; une borne, une rampe, le crâne
d'un gamin, autant de jalons sur sa route ; il s'adapte formidablement à la vie et
collle à elle, il est le type à la coule. Puis, comme on dit : il campe son person­
nage, apprend à se pincer l'oreille pour
exprimer l'étonnement. Vous croyez qu'il
se brosse les ongles sur le revers de son
veston ? Regardez bien, voyez se déten­
dre le bras et recevez le marron en pleine
poire. Porte ce message à ton pafron. »
Quand je vous disais qu'il faut garder
ses distances ! ~'
Ce que Bogart fait, il le fait mieux que
personne : il est celui qui peut jouer le
plus longtemps sans parler, il menace
comme un Dieu, il est le roi de la machi­
nation, le prince de la machine à sous.
Le bord de la lèvre retourné, j'apprécie
chez lui la commissure dont j'ai lu quel­
que part qu'elle est l'empreinte du doigt
de l'ange. On tordrait ses chemises tant
il sue quand il sue. Il aime à tenir ses
mains rapprochées, les poignets collés
comme liés par les menottes virtuelles du
secret professionnel, le savoir-vivre et
faire. Les meilleurs scénaristes et dialo­
guistes ont écrit sur mesure pour lui leurs
meilleurs scénarios et leurs meilleurs dia­
logues. Il est donc possible, de ^parler de
« l'ceuvïo écrite » d'Humph'réV';Bo'gart. L auren Bacall n’est ni la m aîtresse, ni Ja
« AUo douceur ? Ce gui,sciait idéal c'est femme, nî l’am ie, ni la complice de B ogart,
une femme qui pourrait' se réduire à dix elle est sa com pagne. L eurs rapports sont
centimètres ; on pourrait la mettre dans précisém ent giralductens. Le revolver est
sa poche. — J'ai rarement vu autant de leur plus fidèlè com pagnon.

31
revolvers pour aussi peu de cerveüe, » Après un passage à tabac, il faut le voir revenir
à lui, te serais-tu méfié que tu le serais moins. Les œuvres complètes de Landru avec
uu erratum page dix-huit? Voire. Et un Douanier Rousseau du XVIIIe? Voire eitcore.
Un jour, Mme Howard Hawks repère sur la couverture d'un magazine amusant
qui n'est pas positif une fille au beau regard : c'est la future : « The look », Lauren
Bacall qui fait alors la connaissance de M, Howard Hawks puis de Bogart. C'est en
feignant Le Grand Sommeil que leur amour s'éveillera et qu'ils décideront de dormir
ensemble pour la vie. Cette rencontre fut comme Don Juan mis en échec par un
regard. La panoplie de Bogart : chapeau, luger, cigarette et téléphone s'enrichît
d'un accessoire qui est Betty. Ils se marient chez Bromfield et achètent dans le
Benedick Canyon le ranch de Thomas Ince encore imprégné du parfum d'Heddy
Lamarr qui y vécut Elevage : « chaque œuf me revient à deux dollars cinquante »,
dit Bogart qui est devenu Boggy puis Bogey (qui signifie loup-garou ou encore cro-
quemitaine). Le domestique noir se nomme Nathanaël et s'occupe des nourritures
terrestres, Lauren (alias Betty, alias Sluggy) pourvoyant aux spirituelles. Le yacht
s'appelle le Scrnfana et Bogart ne tarde pas à fonder sa propre maison de produc­
tion : la Sanfana où Nicholas Ray fait ses coups d'essai de maître : Les fïueiJes du
Maiheur, Le VioJenf. ■
Je tiens- de Jean Genet une admirable théorie dont tous les jours j'ai le loisir
de vérifier la valeur : « le seul sentiment que sache de lui-même exprimer un acteur
est ia lâcheté parce que seul ce sentiment lui est familier; songez à l'expression
de B... lorsqu'il reçoit cette paire de giflés dans Je film de Carné, songez à D... dans
ce film de Clément. » Humphrey Bogart est l'exception qui confirme la règle : si l'on
giffle Boggy c'est le souffleteur qui pâlit sous l'insulte. .
Bogart avait une belle tête de dur ; lui convenaient la sueur de l'effort avec
Huston, la violence polémique avec Nicholas Ray, l'intelligence raisonneuse avec
Howard Hawks, une belle tête, travaillée, un visage fascinant. Ce visage, un film

En famille. Monsieur, Madame et Bébé Bogart.

32
V ingt années, soit à peu p rès tre n te mille cinq c e n t w hiskys, séparent ces deux photos.
B o gart dans F e m m es m arquées (à gauche) et d a n s O uragan su r le Caine (à droite).
D u stock-boy de la W a rn e r à la vedette P aram o u n t, quel chem in p arco u ru !

assez moyen récemment l'a porté au sublime ; je veux parler de Caine Mutiny. Dans
le rôle du Général Douracaine, Boggy nous est apparu tel qu'en lui-même, enfin
Technicolor le change, tel que tous les soirs sur l'oreiller îl se montre à Betty. Dur
à Caine nous a révélé un Bogart ravagé, vérolé, avec un peu au-dessous de la lèvre,
la cicatrice laissée il y a bien longtemps par un éclat de bois et que tous les maquil­
leurs en popoff d'Hollywood nous avaient, les rusés compères, dissimulée. J'aime
encore mieux Bogart depuis que j'ai appris par cœur son visage grâce à Nathalie
Kalmus (1). Dans le Caine (2), comme dit Malraux : « le mythe apparaissait à l'état
pur. »
On dénombre aussi peu de mauvais films avec Bogart que de bons avec Alan
Ladd. .
L'Ecole du Crime où Bogart était professeur de sagesse nous offrit peut-être la
seule séquence hollywoodienne qui se puisse comparer à une scène de Zéro de
Conduife. Je veux parler de la stupéfaction de Boggy lorsqu'il entre dans une pièce
que les jeunes délinquants ont à charqe de repeindre et qu'ils ont repeinte, certes,
mais à leur manière.
Humphrey Bogart est, selon la phrase d'Octave Renoir dans La Règle du Jeu,
un héros moderne et rien que moderne. Le film à costumes ne lui conviendrait
guère, historique ou pirate ; il est l'homme du starter, du chargeur dans lequel il ne
reste plus qu'une balle, l'homme du microphone et du feutre transformable pour
exprimer la colère ou la gaieté : allo, allo, appel à toutes les voitures...
Avez-vous assisté à sa mort dans Le Caïd ? Il s'agit pour lui de semer les
motards de la police et d'arriver avant eux — et sans eux — à la prison. Il triomphe
dans ce rallye paradoxal mais c'est en mourant qu'il prononce devant le directeur
(1) On ne m aquille p a s les acteurs d an s les films en Technicolor. Je sais q u 'a v a n t le Caine,
il y avait eu A irican Q ueen m ais outre q u e la couleur du film d'H uston était exécrable, Boggy
y tenait un faux bon rôle. O scar ne s'y est p a s trompé.
(2) Nul n 'a mieux p a rlé de Bogart q u e François Vinneuil dans s a critique de C aine M utiny.
de la prison, les paroles qui innocenteront le petit jeune qui n'avait rien fait de
mal : « Mariez-vous, faites des gosses, comme dans les histoires ! ». Le dirlo lui offre
une sèche : « Alors, vous fumez toujours la même saleté ? »
Mais Bogart a joué des rôles plus sérieux et non moins émouvants. Celui du
journaliste dans Bas les Masques que Richard Brooksr à l'italienne, tourna dans les
bureaux du « New York Daily News » avec les linotypistes pour figurants. Dans ce
film, pas de salade et pas de musique ; seulement les bruits des rotatives, des télé­
phones et des machines à écrire. Un autre Richard Brooks : Baffle Circus (Le Cirque
Iniernal), méconnu d'entre les méconnus, lui offrit un de ses très beaux rôles : celui
d'un médecin militaire qui voudrait bien aimer June Allyson sans être obligé de se
laisser tramer chez le marieur.
Dans Le Faucon Maltais, Peter Lorre promenait sa tête de turbot ensommeillé.
Sait-on quril fut, Peter, le mari d'Ida Lupino, incroyable nouvelle, accouplement
exotique 1 Dans quel film étaient-ils mariés ? Dans la vie vous dis-je, le film de la
vie ! Mais dans Une Femmç dangereuse Boggy se faisait lutiner par Lupino.
Si l’on déplore de ne pas trouver dans cet article décousu main un mot sur
Lauren Bacall, voici : le secret de son jeu tient dans l'inclination du visage (c'est la
pudeur) et la cassure du sourcil en V renversé (promesse d'attouchements inédits).
Lauren Bacall et Gloria Grahame ont quelque chose de commun : elles dor­
ment sans chemise, c'est-à-dire sans pyjama.
Je voudrais dire encore combien il est désolant que Le Violent de Nicholas
Ray n'ait pas obtenu le succès d'estime qu'il méritait. Voilà bien le film le plus
1lucide et le plus dur qui ait été tourné à Hollywood sur Hollywood. Bogart y tenait
le rôle d'un scénariste assoiffé, aigri et brutal ; le film était très autobiographique
par rapport à Nicholas Ray et même un peu par rapport à Bogart.
Bientôt nous le reverrons, dans The Desperafe Hours dans lequel Wyler lui a
fait jouer a l'un des criminels les plus retors et les plus intelligents que Von ait jamais

B o g a rt e st u n p e rs o n n a g e élo quent. II e st plus so u v e n t l’a v o c a t à c h a r g e q u e c e lu i d e


la défense. Il a to u jo u rs ra is o n p a rc e q u ’il e s t plus in te llig e n t, le p lu s lo g iq u e e t le p lu s
fort. Il m e t le m o n d e d a n s sa p o ch e e t so n m o u c h o ir p a r d e ssu s. II e s t le v e n g e u r e t le
ju stic ie r d es v ic tim e s d ’u n n o u v e a u m o n d e c ra p u le u x , c y n iq u e e t se n tim e n ta l.

34
La preuve que B og art ne m e u rt pas à la fin de K e y Largo, c’est q u ’il a to u rn é tout de
suite ap rès L es R uelles d u m alheur. E t puis, u n e balle d an s le \e n tr e , au ciném a, on
n ’en m e u rt pas, Dieu soit loué !

vus ». Dans La main gauche du Seigneur il est le bras droit de Dieu et nous aurons
l'occasion, le voyant en soutane et sans automobile, de vérifier le vieil axiome ■
« les habits, ça sert d'autos. »
Bogart est-il si moderne que cherchent à nous le faire croire les signes exté­
rieurs ? Si son apparence est actuelle sa morale est classique, il y a en lui du
Nemours plutôt que du Maigret, il n'a pas le mal du héros, les causes valent moins
que les gestes qui les servent et toute action est bonne qui ne se dérobe à sou
achèvement.
ROBERT LACHENAY.

FILMOGRAPHIE 1935 — BLACK FURY — First National.


Mise en scène : Micliael Curtiz.
1930 — A DEVIL WITH WOMEN — Fox. 1936 — THE PETRIFIED FOREST (La F o b È t
’.aâl — BODY ANE> SOUL — Fox. p é t r i f i é e ) — Warner.
UP THE RIVER — Fox. Mise en scène : Archie Mayo.
BAD SISTER — Universal.
Interprétation : Bette ’ Davis, Leslic
1932 — SHE WANTED A MELLIONAIRE — Howard. •
Fox BULLETS OR BALLOTS — Warner.
LOVE AFFAIR — Columbia. ~ Interprétation : Joan Blonde 11, Edward
BIG CITY BLUES — Warner. G. Robinson.
THREE ON A MATCH — First National. TWO AGAINST THE WORLD — First
National.
1934 — MIDNIGHT — Universal. Misç en scène : Archie Mayo.
CHINA CLIPPER ( C o u r r i e r d e C h i n e ) BROTHER ORCHID — Warner.
— First National. Mise en scène : Lloyd Bacon.
Mise en scène ; Ray Enrïgîit. Interprétàtion : Edward G. Robinson,
Interprétation : Pat O’Brien, Wayne Donald Crisp.
Morris. THEY DRIVE BY NIGHT (U n e F e m m e
ISLE OP FURY (Ile d e F u r i e ) — d a n g e r e u s e ) — Warner.
W arn er. Mise en scène : Raoul Walsh.
Interprétation : Margaret Lyndsay, Interprétation : Ida Lupino, Ann Sheri­
dan, George Raft.
1937 — THE HOLY TERROR — Fox.
MARKED WOMEN ( F e m m e s m a r q u é e s ) 1941 —• HIGH SIERRA (L a G r a n d e E v a s i o n )
—- Warner. —■ Warner.
Mise en scène ; Lloyd Bacon. A7i.se en scène : Raoul Walsh.
Interprétation ; Bette Davis, Eduardo Interprétation ; Ida Lupino.
Cianelli. THE WAGONS ROLL AT NIGHT —
. THE. GREAT O’MALLEY — Warner. Warner.
KXD G A L A H A D (L e D e r n i e r R o u n d ) •— Mise en scène ; Ray Enriglit.
Warner. interprétation ; Sylvia Sydney.
> Mise en scène : Michael Curtiz. THE MALTESE FALCON (Le F a u c o n
DEAD END ( R u e s a n s I s s u e ) — United m a l t a i s ) — Warner.
Artlsts. Mise en scène : John Huston.
: Mise en scène : William Wyler. interprétation ; Mary Astor, Sydney
SAN QUENTIN — First National. Greenstreet.
STAND IN — United Artists.
- ■ BLACK LEGION (L a L é g io n N o i r e ) — 1942 — ALL THROUGH THE NIGHT ( E c h e c
. Warner, a l a G e s t a p o ) ,— Warner.
Mise en scène ; Archie Mayo. Mise en scène ; Vincent Sherman.
Interprétation : Ann Sheridan, Interprétation ; Conrad Veidt.
TE BIG SHOT (L e C a ïd ) — Warner.
1938 — SWING YOUR LADY — Warner. Mise en scène ; Lewis Seiler.
CRIME SCHGOL (L ’E c o l e d u C r i m e ) Interprétation ; irene Manning.
- - Wavner, AOROSS THE PACIFIC (GRIFFES
Mise en scène : Lewis Seiler. j a u n e s ) — Warner.
MEN ARE SUCH POOLS — Warner. Mise en scène ; John Huston.
AMAZING D R CLITTERHOUSE — (LE Interprétation ; Mary Astor, Sydney
M y sté rie u x D o c te u r C litte r h o u s e ) — Greenstreet.
Warner. CASABLANCA ( C a s a b l a n c a ) — Warner,
RACKET BUSTERS — Warner. Mise en scène : Michael Curtiz.
Mise en scène : Lloyd Bacon. Interprétation : Ingrid Bergman, Paul
Interprétation : George Brent, Henreid, Peter Lorre, Conrad Veidt.
ANGELS WITH DIRTY FÂCES (L e s
A n g e s a u x f i g u b e s s a l e s ) — Warner. 3943 — ACTION IN T H E NORTH ATLANTIC
Mise en scène : Michael Curtiz. (C o n v o i v e r s l a R u s s i e ) — Warner.
, Interprétation ; Ann Sheridan, James Mise en scène ; Lloyd Bacon.
Cagney, Edmund o ’Brien. Interprétation ; Raymond Massey.
THANK YOUR LUCKY STAR ( R e m e r ­
c i e z v o t r e B o n n e E t o i l e ) — Warner.
1B39 — KING OF THE WORLD — Warner. Mise en scène : David Butler
Mise en scène : Lewis Seiler. Interprétation : Olivia De Havilland,
Interprétation : Kay Francis. ‘ Errol Fiynn.
ARIZONA KID ( T e r r e u r d e l jO u e s t ) SAHARA ( S a h a r a ) — Columbia.
— Warner. Mise en scène : Zoltan Korda,
Mise en scène : Michael Curtiz. Interprétation : Bruce Bennett.
Interprétation : James Cagney.
DARK V IC T O R Y ( V i c t o i r e s u r l a
N u i t ) — Warner. 1944 — PASSAGE TO MARSEILLE — War­
Mise en scène : Edmund Goulding. ner.
Interprétation Bette Davis, Géraldine Mise en scène : Michael Curtiz.
Fitzgerald, George Brent. Interprétation : Michèle Morgan, Claude
YOU .CAN’T GET AWAY WITH MUR- Rains.
DER (Le G u e t - a p e n s ) — Warner.
Mise en scène : Lewis Seiler. 1945 — CONFLICT (La M o r t n ’é t a i t p a s a u
Interprétation ; Gale Pale. Johny Ha- R e n d e z - v o u s ) — Warner,
loop. Mise en scène : Curtis Bernhardt.
THE ROARING TWENTIES — Warner. Interprétation ; Alexis Smith.
Mise en scène : Raoul Walsh. TO HAVE AND HAVE NOT (L e P o r t ' D E
Interprétation : Friscilla Lane, James l ’a n g o i s s e ) — Warner.
Cagney. Mise en scène : Howard Hawks.
Interprétation : Lauren Bacall, Walter
Brennan.
1940 — INVISIBLE STRIPES — Warner.
Mise en scène : Lloyd Bacon.
Interprétation : Jane Bryan, George 1946 — THE BIG SLEEP (Le Grand Som­
Raft. m e i l ) .—. Warner.
VIRGINIA CITY (L a C a r a v a n e H é ­ Mise en scène : Howard Hawks.
r o ï q u e ) — Warner. . Interprétation : Lauren Bacall.
Mise en scène : Michael Curtiz.
Interprétation : Miriam Hopkins, Errol 1947 — DEAD RECKONING (En m a r g e d e
Flynn. l ’Equëte) ■—- Columbia.
IT ALL CAME TRUE (Rendez-vous A Mise en scène ; John cromwell.
M i n u i t ) — Warner. Interprétation : Elisabeth Scott.
Mise en scène : Lewis Seiler. • STALLION ROAD — Warner.
Interprétation : Ann Sheridan, Jeffrey Interprétation : Alexis Smith, Zachary
Lynn. Scott. .

36
L o rsq u e , d a n s u n film , B o g a rt télé p h o n e, t o u t se p a sse c o m m e s’il y a v a it q u e lq u ’u n à
l'a u t r e b o u t d u fil. 11 u se d e c e t a p p a re il c o m m e d e a l ’in s tr u m e n t d e t o r tu r e » d o n t p a rle
C o c te a u : il d o n n e u n c o u p d e fil c o m m e d ’a u tr e s u n c o u p d e m a tr a q u e .

THE TWO MRS CARROLL (La S e c o n d e 1952 — DEADLINE U.S.A. (B a s l e s M a s q u e s )


Warner.
m adam e C a r r o l l ) — — Fox.
Mise- en scène : Peter Godfrey. Mise en scène : Richard Brooks.
Interprétation : Barbara Stanwyck, Interprétation : Kim Hunier, Ethel
Alexis Smith. Barryinore
. DARK PASSAGE (L e s P a s s a g e r s d e l a
N u i t ) — Warner. 1953 — BATTLE CIRCUS (L e C i r q u e I n f e r ­
Mise en scène : Delmer Daves. n a l ) — M.G.M.
Interprétation : Lauren Bacall. Mise en scène : Richards Brooks.
1948 — THE TREASURE OF SIERRA M A ­ Interprétation ; June Allyson.
DRE (L e T r é s o r j>e l a S i e r r a M a d r é )
Warner. 1954 — THE CAINE MUTIN Y ( O u r a g a n s u r
Mise en scène : John Huston. l e « C a in e ») — Columbia.
Interprétation : Walter Huston. Mise en scène : Edward Dmytryck.
KEY LARGO ( K e y L a r g o ) — Warner, Interprétation : Van Johnson, José
Mise en scène : John Huston, Ferrer. ,f>
Interprétation : Lauren Bacall, Edward BEAT THE DEVIL ( P l u s F O R T q u e LE
G. Robinson. D ia b le ). ,■
Mise en scène : John Huston. '
1949 — TOKYO JOE ( T o k i o J o e ) — Warner. Interprétation : Jennifer Jones, Gina
Mise en scène : S tuart Heisler. Lollobrigida. ' : -i
Interprétation : Florence Marly, Sessue THE BAREFOOT CONTÉSSA (LA CoMr
Hayakawa. t e s Se a u x p ie d s n u s ) — Figaro Inc.'
KNOCK ON ANY DOOR (L e s R u e l l e s Mise en scène : Joseph L. Mankiewicz.
d u M a l h e u r ) ■—■ Santana-Columbia. Interprétation '■ Ava Gardner, Rossano
Mise en scène : Nicholas Ray. Brazzi. Edmund O’Brien. r
Interprétation : John Derek. SABRINA (S a b R ïn a ) — paramount. y..
Mise en scène : Billy Wilder. •'r;
1950 — IN A LONELY PLACE (L e V i o l e n t ) Interprétation : Audrey Hepburn, Wil­
— Santana-Columbia. liam Holden. . ;
Mise en scène : Nicholas Ray.
Interprétation : Gloria Grahame. 1955 — WE’RE NO ANGELS (La c u i s i n e d e s
CHAIN LIGHTNING ( P i l o t e d u D i a b l e ) A u g e s) —■ Paramount.
— Warner. Mise en scène : Michael Curtiz.
Mise en scène : Stuart Heisler. Interprétation : Joan Bennet, Aldo Ray,
Interprétation : Eleanor Parker. Peter Ustinov.
THE LEFT HAND OF GOD — Fox.
1951 — THE AFRICAN QUEEN (La R e i n e Mise en scè?ie : Edward Dmytryk.
a f r i c a i n e ) -—■ Romulus-Artistes Associés. Interprétation : Gene Tierney.
Mise en scène : John Huston. THE DESPERATE HOURS — Para­
Interprétation : Katharine Hepburn. mount.
THE ENFORCER (L a F e m m e a a b a t t r e ) Mise en scène : William Wyler.
— Warner. Interprétation ; Frédéric March, Dewey
Mise en scène : Bretaigne Windust. Martin.

CETTE FILMOGRAPHIE A ETE ETABLIE PAR CHARLES BITSCH

' 37
PETI T JOURNAL INTIME DU CI NÉMA

Par Charles Bitsch, Jacques Doniol-Valcroze, Fereydoun Hoveyda,


Robert Lachenay, André Martin et François Truffaut

10 O c t o b r e 11 dispense le mouvement, la musique, les


bruits et l'om bre sur les images avec une
A H ! ■ LE .COURT M ETRA G E ! — égale maîtrise, insérant dans la succession
Les Journées Internationales du Film de des peintures empruntées à toutes les épo­
Court Métrage de Tours ont été justement ques des images insolites dépareillées : pho­
une maïnfestation, qui ne se limitant pas à tographie de paysages réels négatifs ou posi­
la défense matérielle du court métrage, a tra­ tifs que commentent des grondements d ’ora­
vaillé pour son prestige, tenté son illustration ge ou des cris d ’oiseaux rtrJenfis. Sur les d if­
et sa définition. Huit copieuses séances ont férents claviers, Livet organise des entrées
permis de confronter des «œuvres inédites ou ftigtiées* des rimes, des répétitions qui sou­
déjà classiques. De cette révision et des dé­ lignent Son propos et donnent à l’œ uvre une
couvertes se dégageait l’évidence de chances captivante consistance. Q u’on aime ou qu’on
proprement cinématographiques. n ’aime pas Royaumes ae ce m onde, il est
Le Grand Prix du Court Métrage* 1955 de­ difficile de le considérer autrement qu’en
vait aller à Roger Livet, qui, avec Royaume silence.
de ce Monde, réveille sérieusement le genre Lourdes, de Georges Rouquier, nous plonge,
endormi du film d’art. Sa preuve de l’éro- avec une objectivité peut-être un peu cons­
tisme caché dans les annonciatians {tous les ciente dans une inoubliable m êlée trop
peintres et de toutes les époques, est magis­ humaine jusqu’à l'écœurem ent. C'est dans ce
trale. Certains n ’ont voulu retenir que deux mélange d ’j4ue Maria chanté faux, ces pro­
hrases creuses ou l’apparition de quelques cessions informes (inaptitude des Français à
gures du quatrocento dénuée de passion ter­ l’oraison et à la prière en commun), ces
restre. Ce qui les a certainement empêchés torches de préjugé, de bêtise, de niaiserie
d ’aimer comme elle le mérite toute la fin bénévole, de bonne volonté suspecte q u ’éclate
du film qui médite sur la mortelle immobilité le miracle. Je n’ai vu que cela dans ce film :
imposée par les peintres à ces passions se­ la face du miracle et de la mort : tout ce
crètes . que le cinéma n ’ose jamais nous m ontrer sous
Alors que la plupart des films sur l’art se prétexte que même les chats vont se cacher
contentent de parcourir cavalièrement en pour mourir.
tous sens les œuvres examinées, Roger Livet Ces Journées /nternafionafes doivent se re­
poursuit une démonstration avec une effi­ nouveler l ’an prochain. Il importe dès m ain­
cace ténacité, et en utilisant pleinement les tenant de fouiller dans la trop discrète pro­
possibilités visuelles et sonores. duction du film court. Un an ne sera pas de
trop pour découvrir tous les courts métrages
qu’aucune publicité ne défend, dont on peut
à peine trouver l’adresse des réalisateurs, et
qui, pourtant, nous réservent tout ce qui pour­
rait exciter, secouer, séduire. — R.L.

D a n s le s c i n é m a s d 'a n im a t io n

W A LT DISNEY ( : Les fameuses « techni­


ques nouvelles » n'ont jamais été aussi bien
servies que par les cinéastes d'animation.
C’est dans ivoiti is the Time de Norman
Me Laren que le relief était le plus impres­
sionnant. Dans Z im Z im Boum Boum (Toot
Whidle Plunk and Boam) de W alt Disney
la perspective sonore est aussi rem arquable
que le graphisme et l’animation.
Nous verrons pour Noël La Belle et le Clo­
chard {The Lady and the Tramp), le dernier
film de W alt Disney. Mais, dans cette nou­
velle réalisation le grand producteur a dé­
laissé le modernisme graphique de Z im Z im
Boum Boum pour les éblouissants faux mar­
bres, faux arbres, et fausses lumières d e son
Georges Rouquier et Roger Livet. les lauréats trompe l’œil classique. Il nous reste à voir
de Tours. Melody, la réplique du révolutionnaire Z im

38
Nous connaîtrons les deux chats siamois de Disney, si et a m , héros remarquables de La
Belle et le Clochard, mais aurons-nous l’occasion d’apprecier le charme moderniste et pas­
tiche de Melody, le deuxième film de la série « Adventure in jlfîisïc », également de Disney ?

Z im Boum Boum, tournée en relief, qui pour 0 Le dernier film d'Alexeïeff Le Buisson
rait au moins être projetée en 2 D. A rdent et The beach de A ndré Sarrut et
Jacques Anco ont été également primés.
PUBLICITAIRES : attention au Cinéma
Publicitaire. Il sera bientôt difficile d ’aimer PARIS : Les Productions Baillet préparent
vraiment le cinéma sans lui accorder un petit une série de dessins animés sur i’Ancien et
intérêt. Connaissez-vous le Schell l.C .A , et le Nouveau Testament.
^4zur de A ndré Sarrut et Jacques Asseo, Pure — Alexeîeff a terminé Sètie de la Terre et
Beauté et Fumée d ’Alexandre Alexeîeff, L e Buisson Ardent. Dans ces deux films le
Même L ’hiver de Casalinî et Raoul Franco. Pendule Composé d ’Alexeïeff a encore in­
Si oui vous voyez ce que je veux dire, venté de nouveaux et étonnants solides ima­
Du 26 septembre au 1er octobre s’est dérou­ ginaires.
lé à Monte-Carlo le deuxième Festival Inter­ O T T A W A : Comme le Lourdes de Rou-
national du Film Publicitaire, au cours d u ­ uïer, Rithmetic de Norman Me Laren est
quel ont été présentés environ 380 films evenu un tryptique. Dans ces trois films,
proposés par 80 producteurs appartenant à des chiffres de papier découpé s ’abandon­
17 pays différents. nent à leur propre inspiration, comme les
Le premier prix du Festival est un film lettres du générique de Tuûo Bagatelles, le
français de et Cinéma et Publicité », pour dernier film de la série, consacré à la divi­
une marque française de vins, Série roage sion, sera réservé aux adultes.
(un trophée en argent d'une valeur de
100.000 fr.) _ PRAGUE : B. Sefranka, élève de la Fa­
Prix pour la télévision commerciale, décer­ culté du Cinéma de Prague a réalisé un re­
né à G. Street et Cie, pour le film Harry marquable court-métrage sur Jiri Trnlça. Plu­
Corbett and Sooiy. sieurs séquences tirées du Prince Bajaja, de
Le prix pour série complète de faims : L'année Tchèque et des Vieilles Légendes
décerné à Cinéastes Associés pour le film illustrent la fabrication des marionnettes ainsi
Satisfait. que le travail de l'animation.
Prix’ pour modèles et objets animés, dé­ Trnka a terminé Le Voyage Pénible (l’épi­
cerné à Jopp Gesink et Pearl Dean Produc­ sode le plus chveîk du film Le Braüe Soldat
tion pour le film No ' Tax on Tips. Chveik) et L e Cirque de H uroinek (Marion­
Prix pour dessins animés décerné â W,M. nette spécifiquement tchèque du Professeur
Larkins et Cie pour le film Shippan's Guide Skupa, dont le succès va encore être diffici­
to the Opéra. lement traduîsible en français.) Il a aussi
Prix pour la vue réelle, décerné à Spart abandonné la préparation de Bastien et Bas-
pour le film Chacun son tour, à Insen Film tienne qu’il voulait terminer à l'occasion du
our le film Linden und Freuden et à Slogan- bi-centenaire de Mozart. Le grand chef d ’or-
ilm pour le film Q«anf*j4nn« Dopo. chestxc Vaclav Talich, qui devait diriger
Prix des poupées et marionnettes, décerné l ’adaptation et l ’exécution musicale est gra­
à Paul Blanchi-Ferry-Mayer, pour le film vement malade, et Trnka ne veut envisager
La scuola delle Mosche. cette réalisation sans sa participation. Pour
Il est dans Royaumes de ce Monde de Roger Livet des (nuionciations orthodoxes, où la
plus mystique des vierges se tient devant un ange impassible. Mais les tissus brodés dont
Boticelli a entouré les mains presque jointes, les somptueux palais bâtis par Crivelli trahis­
sent le goût du bonheur et de la vie terrestre. « Les objets sont laïques » précisait une des
premières versions du commentaire de Royaumes de ce Monde.

le moment il se consacre à l'illustration de ou néglige volontairement ? — nous savons


livres pour enfants, et pense illustrer avec aussi q u ’avec Jean Cocteau il y entre pour
des marionnettes une cantate, inédite de Mar- la première fois par la grande porte et avec
tinu : Le Pays Natal. De son côté Vaclav une majuscule, — J.D.-V.
Trojan écrit un opéra de chambre, tiré du
conte d ’Anatole France : L'Histoire de
l'homm e qui épousa tune fem m e mueite.
24 O c t o b r e
BIENTOT (PEUT-ETRE). — Un court-
métrage dessiné français (compensé). SEMAINE DU FILM FRANÇAIS EN U,R.
Un Festival Me Laren, dans lequel des in­ S,S. — C'est le 17 octobre à la Maison du
tervalles cinématographiques réuniront les Cinéma à Moscou q u ’a été inaugurée solen­
oeuvres inclassables du cinéaste canadien, nellement la semaine du Cinéma français en
permettant une présentation publique de U.R.S.S., avec la présentation en première
H en Hop, Five for Four, A round is Around mondiale, du film de René Clair : Les Gran­
et Rithmatic, etc. etc... Quelque chose comme des M anœuvres. Les autres présentations
Si Me Laren m'était conïé ou Les Secrets de eurent lieu dans trois cinémas de Moscou :
Norman Me Laren. Forum, Khoudojestveny et Oudarnik, Les
films suivants furent présentés : Le s Gran­
Les salles spécialisées et les Fédérations des des M anœuvres de René Clair, L M m our
Ciné-Clubs intéressées vont rendre ce projet d'une fe m m e de Jean Grémillon, Les Eva­
viable, et nous permettre de voir en 35 m /m dés de Jean-Paul Le Chanois, fulietta de
les œuvres de Me Laren, que l’on a jusqu’à Marc Allegret, L e Rouge et le Noir de
présent (pas ou mal) vu en 16 m /m . — A.M. Claude Autant-Lara, Le Salaire de la Peur
de Henri-Georges Clouzot et Thérèse Raquin
de Marcel Carné, pour les longs-métrages ;
Carnet de Plongée du Commandant Cous­
20 O c t o b r e teau, Naissance du Cinéma de Roger Leen-
hardt, Pantomime de Paul Paviot, Paris
JEAN COCTEAU A L ’ACADEMIE. — d ’Henri Calef, L e Pingouin Empereur de
Elu le 3 mars 1955, Jean Cocteau est reçu Mario Maret, Un vrai paradis de Claudine
aujourd’hui sous la coupole par A ndré Mau­ Lenoir et Z ola de Jean Vidai, pour les cours-
rois. 11 succède à l’abbé Olivet, Condillac, métrages.
Sieyès, Lally-Tollendal, Edmond Rostand, La délégation française était composée de
Joseph Bédier et Jérôme Tharaud. A l’uni­ MM. Jacques Flaud, Guy Desson, Vernert,
versel concert des félicitations apportons les Robert Cravenne, Raoul Ploquin, de H ubsch,
nôtres, modestes mais sincères. Son discours R ené Clair. Gérard Philipe, Pierre Bost et
à bâtons rompus fût le modèle du genre. Le de Mlles Danielle Darrieux, Dany Robin, et
cinéma n ’y tint point de place, mais deux Nicole Courcel.
fois Chaplin fut cité et si nous savons bien
que le septième art a déjà fait une timide Cette série de présentations a été doublée,
entrée à l’Académie — non point que nous avec quelques jours de décalage, par une
sous-estimions Marcel Pagnol, mais dans ses semaine du film français à Leningrad, avec
films les meilleurs n’est-ce pas encore ce qui le même programme en présence de la plus
doit le moins à un art du film, qu'il ignore grande partie de la même délégation.

40
Signalons enfin que la semaine du film
soviétique à Paris aura lieu du 30 novem­
bre au 6 décem bre dans les cinémas cc Nor­
m andie », et Lux Renne » et a Lux Bastille ».
Les films suivants seront présentés : La Ci­
gale de Samsonov, La Dompteuse de Tigres
de Ivanovski et Kocheverova, Une grande
famille de Heifitz, Romeo et Juliette de
A rnstam et Scanderberg de Youtkevitch. Une
semaine identique aura lieu peu après à
Moscou, — J.D .V.

28 O c t o b r e

VISITE. — Luis Bunuel tourne à Courbe-


voie, sur le plateau où Dassin filma le hold-
up du R ififi, son premier film, français de­
puis & A g e d’Or : Cela s'appelle Vaurore,
d'après un roman d ’Emmanuel Roblès.
Bunuel, qui se laisse pousser la moustache,
tourne un plan avec Henri Nassiet et Georges
Marchai. Il est courant de voir le metteur
en. scène satisfait après une seule prise, ra­
rement il dépasse le chiffre quatre,
Henri Nassiet aimerait bien jeter un coup
d ’œil dans la pièce à côté, Georges Marchai
l’en empêche en claquant la porte avec au­
torité et s’adossant contre elle. La porte cla­
quée, le dialogue change de style et je songe pendant le tournage de Cela s'appelle l'au­
à la justesse du mot de Jean Aurel : a Dans rore ; de gauche à droite : Claude jaeger,
Luîs Bunuel, Georges Marchai.
le film de Bunuel, tout se passe comme il est
ferme, une porte derrière lui. Ce qui se fiasse
alors est irréel, inédit, incroyable, bunuelesqtie tour des cactus, l’aciion de son prochain
enfin; voilà le secret de Luis Bunuel »/ film ; La Mort en ce jardin d ’après le roman
Il suffit de songer à El et La vie crimi­ de José-André Lacour paru chez Julliard.
nelle d'Archibald de la Cruz pour vérifier
l’exactitude du propos.
29 O c t o b r e
Extraordinaire gentillesse de Bunuel ! Jus­
qu’au baroque ! Il me dit, sur le plateau ;
te Vous êtes ici chez vous et vous y faites ce FRANCE HUMILIEE. — Dans Ie nu­
que vous voulez quand vous voulez », Et si méro 9 de France Film International (Sep­
le prenant au mot, j’allais m ’étendre sur le tembre 1955) il y a un étonnant article inti­
lit planté là, au milieu du décor ? tulé a La France Humiliée » et signé Pierre
Coublanc. 11 s’agit du dernier festival de
Lorsque ces lignes paraîtront, Luîs Bunuel Venise, des « Trois gifles » que nous avons
aura regagné le Mexique où l’attend, au dé- reçu de « U humiliation de Jacques Flaud »
de te la délégation française quittant le Lido
complètement écœurée », de la « vague m é­
daille à Alexandre Astruc », des injustices
commises à l’égard de Ciampî, de Delan-
noy, de P. Gout, de J. Vidal, de J. Tourane,
Fabiani, Franju, de l’affront que « René
Clair s'est heureusement évité en n’envoyant
pas ses Grandes manœuvres a (à ce sujet
signalons que si le film de Clair avait été
à Venise c’eut été hors compétition... puis­
qu'il n'avait pas été présenté à la Commis­
sion de sélection), il est auestion aussi de
la stupidité du jury qui a a découvert et
magnifié Cari Th. Dreÿer s. Bref il fallait
donner des prix, y compris le lion d ’or et les
lions d ’argent, à tous les films français pré­
sentés, sinon c’est Waterloo, Sedan, la honte,
le drapeau dans la boue, la rage au cœur.
Comment expliquer cette inexplicable dé­
faite ?
Ainsi : a Voila bien la clef : le Jury, qui/
a écarté Ciampi et Delannoy et couronné
Dreyer est un aéropage de critiques. Les qua­

41
lité-boys, les rats de cinémathèque, les bébé s- Héros sont fatigués aurait certainem ent une
caca-hiers du Cinéma, régissent aujourd’hui récompense et une grosse, que Chiens perdus
jusqu'au jury de la Mostra vénitienne, où Do- sans colliers avec des chances certaines mais
niol-Valcroze était seul à représenter la compromises par le succès probable d u film
France ! Etonnons-nous à présent quasucun de Ciampi, que L es Mauvaises Rencontres
des fflrns primés n ’ait une chance de faire enfin connaîtrait quelque succès d ’estime
carrière commerciale, c’est-à-dire de toucher mais partait pratiquement perdant d an s la
/© public... 7) course aux lauriers. J ’ajoute, au risque de
A dmirable texte en ce qu’il dénonce si bien scandaliser une fois de plus M. Coublanc, que
une ahurissante façon de penser. En y répon­ pas u n instant je n’ai pensé que ma mission
dant je ne répondrai pas qu’à M. Pierre Cou- consistât à rapporter des timbales à m a mère
blanc mais à plusieurs de mes confrères, à patrie mais simplement à donner m o n opi •
certains cinéastes et à quelques-uns de ces nion sur les films présentés indépendam m ent
< officiels yi écœurés dont je sais — parce de toute considération sur leurs origines natio­
qu’il me Font dit en face ou parce que l’on nales ; et je déclare à la gloire de m es con­
m 'a rapporté leur opinion — q u ’ils partagent frères de ce jury que pas une seule fois, pas
tïès exactement les opinions de M. Coublanc. un seul d'entre eux, n ’a donné l'im pression
Je précise immédiatement que dans ma pen­ par ses paroles ou ' ses votes q u ’il avait con­
sée il ne s’agit ni ti’Yves Ciampi qui a ac­ signe de moissonner pour son propre pays.
cepté très sportivement sa défaite vénitienne, Pour revenir aux films français il se trouve
ni de Jean Delannoy dont je connais pas l’opi­ bien simplement qu’aucun d ’entre eux n ’a plu
nion mais que j’imagine au-dessus de ces suffisamment à la majorité du jury pour, non
mesquineries. Je précise aussi que je réponds pas décrocher un prix important, mais m êm e
en connaissance de cause : 1° parce que je être encore en lice dans les réunions finales
faisait partie de la commission qui a fait la où furent discutés ces prix. Il se trouve éga­
sélection pour Venise ; 2° parce que je suis lement que Les Mauvaises Rencontres, une
bien placé pour savoir exactement ce qui fois décidé le principe de réserver les m é­
s’est passé au jury de Venise. dailles aux jeunes, réunit sans difficulté
Vunanimité pour déçrocher « cette vague m é­
Je dirai donc que quand je fus désigné à daille » dont parle M. Coublanc, et c e sans
la dernière m inute pour remplacer Henri aucun plaidoyer particulier de ma p art. _
Agel, malade, au jury de Venise (on voit que Mais de quoi ai-je à me justifier ? D'avoir
le complot venait de loin !) je pensais ceci au contribué à faire couronner Dreyer (ce q u ’au­
sujet des films français envoyés : que Les cun festival n ’avait jamais fait), et des films

LE CONSEIL DES DIX


Le ta b le a u ci-contre q u e nous publions pour la prem ière fois m érite q u elqu es explications.
Plusieurs lecteurs nous ont écrit p o u r reprocher aux C ahiers du Ciném a leu r p a rtia lité d a n s le
choix d e s films critiqués. Même si nous n e som m es p a s toujours d'accord avec les titres q u ’ils
nous opposent, force nous est d e leur donner raison su r le principe.
S'il est bon d'av o ir des p arti pris esthétiques et d e laisser les gens p a rle r d e ce q u 'ils aim ent
d e préféren ce à ce qu'ils détestent, encore ne faut-il p a s y sacrifier un. in d isp en sab le souci
d ’information. La rubrique q u e nous inaugurons aujourd'hui a p our mission de concilier la
subjectivité des critiques (que Ton continuera d e trouver d'ailleu rs sous les sig n a tu re s h a b i­
tuelles) a v ec l 'exhaustivité et l'objectivilé légitim ement atten du es p a r nos lecteurs.
Nous avons eu l'id ée de proposer à u n e dizaine de personnaliés judicieusem ent choisies,
la liste des principaux films sortis d uran t le mois. En face de ces titres, chacun in d iq u e ra d 'u n
sig ne convenu si, selon lui, le film ne m érile p a s d'êfre vu (0), si l'on peut Je voir < à condition
d 'aim er ç a » (x), si c’est un iiJ.ro à voir (xx), ou à voir absolum ent (xxx). Si la c ase r e s te b la n ­
che, cela signifiera l'abstenïïon, soit q u e notre correspondant n 'ait p a s vu le film e n q uestion,
soit qu'il renonce à le juger. .
Nous a v on s tenu à ce q u 'u n producteur : Pierre B raunberger et u n c inéaste : A la in Res*
nais, tous deux bien connus po u r leu r bon goût et leur fréquentation assidue d e s sa lle s d 'e x clu ­
sivité figurassent d an s les « Dix ».
Nous asp iro ns à offrir c h aq u e mois au x lecteurs, en m arge de nos articles h a b itu e ls , u n e
information critique légitim ement subjective en fonction de chaque personnalité c o n su lté e m ais
cep en d an t objective et com plète p a r la com paraison de ses opinions.
II nous a évidem m ent fallu limiter no ire choix à des correspondants dont nous fussion s
assu ré s q u'ils au raien t vu la plus g ra n u ^ p a rt des films sélectionnés. Mais nous a jo u te ro n s
c h aq u e fois q u e c e la nous s e r a possible — au-dessous du tab le au — les conseils d e n o s am is
cinéastes ou journalistes à propos d 'u n film q u'ils auront particulièrem ent, aim é.
LA REDACTION.

42
COTATIONS
0 inutile de se déranger
il voir si on aime ça
LE CONSEIL DES DIX * ■* -
+
h voir
à voir absolument
Q abstention

T it r e J des f il m s Les d ix ^ —>


Henri Jean de André Pierre J. Donïol- Simone Alain Jacques Georges François
Agc| Baroncelli Bazin Braunbergcr Valcroze Dubreuilh Resnais Rivette Sadoul T ru ffa u t

★ * ★ ★ ★ ★ ■k ★ ★ ★ ■k i ( -k ★ * © ★ ★ ★ •

En quatrième vitesse • ■ * ......................... * ★ * ★ * -k ★ * ★ ★ ★ ★ ★ ★

Les Hommes en blanc ............................... e ★ ★ * *

M arty ★ ★ ★ * * ★ * * * ★ * ■k ~k ~k •

M. Roberts ......................... .......................... • ★

A l’ombre des potences ....................... ★ ★ ★ ★ 'k * -k ★ ★ *

Un homme est passé ..................... * * * * * ★ 'k 'k ★ ★

Je suis u n sentimental ........................... ★ * * ★ ★

Stratégie Air Command ........................... ★ * • ★ 6 •

Le Cheik bîcmc ............................................ ★ ★ * ★ * * ★ ★ ★ ★ ~k ★ * ★ * * ★ ★ ★ ★ ★

Comicos ........................................................ • - ★ ★ * ★ -k ★ * * ★ * 'k k: "k * ~k ~k *k •

A l’Est d'Eden ........ ................................... * * * ★ ★ * • ★ ★ ★ ★ ★

Les Aristocrates .................................... • * 'k * •

Les Mauvaises rencontres ................... ★ ★ * ★ ic * 'k * * * * ★ ★ •k ic k: •k -k -k ★ * ★


Chiens perdus sans colliers ................... . • ★ * ★ * ★ ★ * •

Les Grandes Manœuvres ........................... *- ★ * * ★ ★ * ★ ★ ★ ★ -k ★ ★ ★ * ★ ★ ★ ★ ★


La M ort d ’H itler ....................................-, ★ * ★ * ★

Sachez également nue :


# Roberto Rossellini a beaucoup aimé La Comtesse aux pieds nus,
# Alex Joffé est un admirateur passionné des Mauvaises Rencontre s que vous recommandent également de voir Roger LeenTnardt,
Claude Mauriac, Henri Bérard, Frédéric ftoscif, Pierre Kast, J.-L. Bost et Dora Doll.
# Kiss me deadly rallie les suffrages d’Alexandre Astmc, Pierre Kast, Paul Paviot, France Roche, Robert Benayoun et Jean Néry.
# Pierre K ast aime Le Scheik Blanc qui, par ailleurs, a obtenu u n joli succès critique.
aussi remarquables que La Cigale, T he Big 2 N ovem bre
Knife, Le >1miche et les Mauvaises Rencon­
tres ? Je m 'en glorifierai plutôt. Mon seul U.R.S.S. — Dans un numéro de Cinp-
regret est qu'Hitchcock ne soit pas dans la moncfe daté du 21 mars 1935, on peut lire
liste. De quoi se plaint M. Coublanc ? cette information : et Gros succès du Festival
« Qu'aucun des films primés riait jane chan­ Internationa] du Cinéma à Moscou ; de nom ­
ce de faire carrière commerciale ». Qu’en breux film s français ont été présentés doni
sait-il ? Et le propre d ’un festival n ’est-il Pension Mimosa qui retint particulièrement
pas justement, en distinguant certains films r attention. Le Dernier Milliardaire, Maria
d ’aspect difficile, d'aider à Iev;r compréhen­ Chapdelaine, Le Bonheur, les Misérables, etc
sion par le public souvent porté à aller au « Jean Renoirf le metteur en scène de T oni
lus facile. Que désire M. Coublanc ? Que et Mary Glory ont assisté à ce festival. »
F on envoie a Venise les films français les
plus commerciaux, les plus sûrs, faits d’après
Comme dit l’autre : la roue tourne mais
l ’air n ’a pas changé. — R.L,
les formules les plus éprouvées et qu’on les
piime afin de récompenser le retus du ris­
que, l’absence de l’audace, la complaisance
vis à vis du public, l’intention de flatter ses TECHNIQUES NOUVELLES
goûts les plus paresseux... le tiroir-caisse
avant tout en somme I . Cmém<rScope ;
Je devrais m ’indigner, me sentir injurié, — Au seuil de sa troisième année d ’exploi­
car on ne me l’envoie pas dire : tant d ’hu- tation commerciale, il compte 150 films à son
mîliation et d'écceurement ne peuvent s’expli­ actif. Les dernières statistiques font ressortir
quer que par ma seule présence... mais non, que 77,2 ■% des salles du Canada et des
je ne peux prendre cela au sérieux. Pourtant Etats-Unis sont équipées, ce qui, avec les
le chauvinisme est une notion regrettabie et 12.000 salles qui le sont dans le reste du
indigne d ’un homme civilisé, pourtant il est monde, donne un total de 25.149 installations
grave que beaucoup ne cachent pas (et jus­ CinémaScope. E n 1955, la moitié des filma
qu’aux plus hautes instances) qu’ils auraient américains ont été tournés par ce procédé.
préféré rien du tout que quelque chose,
m êm e petit, aux Mauvaises Rencontres, parce
que c’est le type du film audacieux, coura­ Cmérama :
geux, intelligent, personnel, propre à faire — Barcelone et Berlin vont prochainement
avancer l’art du film, donc nuisible, détesta­ faire sa connaissance.
ble, à combattre, à calomnier par tous les
moyens. C’est ici que se fait le partage. Si Pellicule Large :
je n ’avais le sentiment que je peux parfois
dans la faible mesure de mes moyens aider — Le film d ’Henry King d ’après l’opérette
à faire connaître et apprécier des films du de Rodgers et Hammerstein, Carouseï, produit
genre de celui d ’Astruc, je changerai de m é­ par la Fox, est tourné sur pellicule négative
tier. Qui M. Coublanc aurait-il voulu voir à de 55 mm. de large. Ce procédé est au
ma pjace à Venise ? Q u’il donne des noms. CinémaScope ce que la VistaVisîon est au
Lui peut-être, ou R.M. Arlaud dont il cite panoramique, et la Fox aurait l’intention de
ce courtois propos « Il est assez humiliant l’adopter pour toute sa production future.
qu’un des plus faibles des jurys que noua — Il est fort ce DuPont! Il lance sur le
ayons connu soit international êf formé de marché une pellicule négative de 70 mm. de
journalistes >>. Je suis navré d’avoir humilié large. On attend qu’un constructeur fabrique
Arlaud et pense soudain que j’ai déjà du des caméras pour l'utiliseT,
l’humilier une fois à Cannes cette année en
contribuant par mon vote à faire primeï
Blin\ity B lan\.., navré vraiment d’avoir hu­ VistaVision : -
milié Arlaud en honorant Dreyer, Samso- — Paramount a mis en service la première
nov, Aldrich, Antonioni et Astruc, tous per­ caméra portative VistaVision (poids : 9 kg.)
sonnages de qualité douteuse, incapable de pour certaines prises de vues périlleuses de
toucher le public et tragiquement suspects T he Mountain, le film dont Dmytryk a filmé
de ne pas vouloir auanf tout faire carrière les extérieurs à Chamonix.
commerciale. A u nom d'e la qualité, de la
Cinémathèque et des Cahiers je lui présente
mes plus humbles excuses... et je suis per­ 4 Novembre
suadé que, s’il le savait, Dreyer se joindrait à
moi pour demander pardon de sa probité et
de son génie, BATTRE LA PELLICULE. — J ’ai revu
le Carrousel Napolitain, dans un nouveau
Commentant le propos d ’Arlaud, M, Cou­ montage... involontaire : le projectionniste
blanc dit a Rappelons tout.de même à notre s’était trompé d e bobines et avait tout mé­
confrère qu’il y a journaliste e>[ journaliste ». langé. Résultat extraordinaire : je ne me
On ne saurait mieux dire. Jamais je n ’avais suis pas ennuyé. Y-a-t-il là un point de d é ­
mieux senti la distinction ; je suis donc part pour une nouvelle conception du mon­
reconnaissant à M. Coublanc de m’avoir fait tage ? Je me suis souvenu de ce personnage
éprouver pour la première fois de façon si de Huxley dans Paix des profondeurs qui
nette que j’appartenais à une catégorie el conseillait de battre les chapitres d ’un roman
pas à l’autre. — J.D. V . comme on bat un jeu de cartes... — F .H

44
LES F I LMS

G ab y Sylvia, Philippe L em aîre, C laude D auphin et A nouk A imée dans Les M auvaises
R encontres d ’A lexandre Astruc.

LA RECHERCHE DE L’ABSOLU
LES MAUVAISES RENCONTRES, film français c T A l e x a n d r e A s t r u c . Scénario,
adaptation, commentaires et dialogues : Alexandre Astruc et Roland Laudenbach
d'après « Une sacrée salade » de Cécil Saint-Laurent. Images : Robert Lefebvre.
Musique : Maurice Le Roux et Henri Crolla. Décors : Max Douy. Interprétation :
Anouk Aimée, Jean-Claude Pascal, Philippe Lemaire, Yves Robert, Gianni Es-
posito. Claude Dauphin et Gaby Sylvia. Production : Films Marceau, 1955.
La frivolité n ’est pas son fort : telle tion de tout et de soi-même. Bref, voilà
serait tout naturellement la première un sujet et un metteur en scène qui
phrase d’un Portrait d’A.A.; et celui-ci me semblent faire bon ménage : « un
ne serait pas déplacé, puisque film film jeune, par un jeune, pour les jeu­
ressembla rarement plus à son auteur. nes », voilà, si j’étais chargé de la pu­
Ce qui fait la jeunesse, et je crois qu’il blicité des Mauvaises Rencontres, le
ne s ’agit pas seulement de notre géné­ slogan que j’afficherais sans vergogne.
ration, ce ne sont point, comme le sup­ Bien sûr, c’est justement cette gra­
posent les barbons boule vardiers, la vité, ce sérieux du ton qui déplaisent à
gaieté, Pinsouciance, la frivolité, mais certains ; comment, devant l’accueil
au contraire la gravité, le goût de la condescendant -d'une assemblée bien
discussion morale, la remise en ques­ parisienne, ne pas évoquer les premiè­

45
res de La Règle du Jeu et des Dames crit, cela se peut, qu’importe ; sans
du Bois de Boulogne ? Ici e.t là, même manquer à la véracité, elle donne un
hostilité ironique d’un public troublé sens à ce qui n'en avait peut-être pas
dans son confort et qui se devine se­ avant elle; à proprement parler, elle
crètement visé. Pour une fois, les sa­ sublime sa matière.
lauds ne sont pas sur l’écran, mais chez
les juges; l'élite admet avec peine une Quelle es.t la démarche d’Astruc ?
telle interversion des facteurs. Celle, disent les mauvaises langues,
d’un formaliste. Je remarque au con­
Si le public aime l’observation de traire qu'elle est celle de qui veut dire
détail, il fuit l’exactitude profonde; s’il quelque chose qui lui tient à cœur, de
goûte la vraisemblance, il a horreur de qui veut être entendu et qui s’assure
la vérité, même s’il ne s'agijt que des au­ avant tout que tous les éléments de
tres, puisqu'elle contredit l'idée qu’il l’œuvre se soumettent à son propos. Ses
aimait s'en faire. Or, c’est justement efforts convergent tous dans une seule
l’exactitude qui fait la force des Mau­ direction : être clair, net, sans équi­
vaises Rencontres ; Astruc, avant de voque. Et sans doute est-ce cette ab­
rien prouver, veut d’abord décrire avec sence d’ambiguïté qui gêne justement
justesse ; c’est par sa précision qu’il la critique « impressionniste », toujours
émeut et convainct. Ce qui me frappe, plus à l’aise dans l’<absence d’ambitions
c'est que l'on discute des héros de son avouées. Qui parle sur ce ton veut
film sur le même ton que l’on tente d’abord être écouté, et le mérite. La
entre amis de cerner la personnalité beauté est exactitude; toute l'ambition
d’une relation commune ; j’y vois la d’Astruc, répétons-le, fut de faire un
preuve de l’honnêteté de l'auteur ; son film exact; les seuls reproches vérita­
film est sans détours ni faux-fuyant ; bles ne pourraient se placer que sur
n’étant pas construit comme la plu­ ce terrain; or, ce ne sont point courrié­
part pour duper le spectateur par ristes ni gazettiers qui pourront discuter
l'engrenage de la machination drama­ de la véracité de ce qu'ils ignorent, de
tique, ne mettant pas à la fin son am­ la justesse de la description d’un monde
bition, puisque nous savons déjà où qui n’est pas le leur. L’important est
mènent toutes ces démarches, n’ayant bien qu’au contraire la jeunesse s’y
nul besoin, pour amener un dénoue­ reconnaisse, et non seulement par les
ment, de truquer les situations qui y faits, les personnages, les propos, mais
conduisent, il ne veut être que la re­ par le ton même, la hauteur du point
lation d'une expérience : « voilà ce de vue, la préoccupation profonde du
que j’ai vu, ce que jai cru com­ récit.
prendre, ce qui m'en est advenu ».
On reconnaît le thème romanesque Comme celui du romancier, l’art
fondamental de toute la littérature d’Astruc est didactique; comme toute
occidentale, celui des « années -d’ap­ description de Gœthe ou de Balzac,
prentissage » (car tout grand roman celle des Mauvaises Rencontres n’est
est aussi profondément didactique) ; le jamais hasardeuse, mais guidée touÿ au
roman du x x 6 siècle, on le sait, a échoué long par une idée abstraite; chaque
à prendre la succession de celui du épisode, chaque phrase, chaque plan
x ix 3; on sait aussi que cette succession, n'interviennent que lorsque l’exige le
c'est le cinéma qui Fa assurée. Comme mouvement même de la pensée direc­
Hitchcock continue le roman anglais, trice. L’exactitude du détail est liée à la
ou Hawks Stevenson, Astruc réussit ici précision géométrique de la figure sur
la moderne Education Sentimentale quoi toutes les apparences s’articulent.
que la plupart des romanciers contem­ (Et ce n’est pas non plus par hasard,
porains ont failli à écrire. puisque Astruc est celui qui a le mieux
parlé de la nécessité de l'abstraction
Que demandons-nous à Fart ? Qu'il dans toute mise en scène). Une cer­
nous justifie; qu'en fixant, il prouve; taine ostentation de cette architecture
qu’en montrant, il démontre. Les Mau­ secrète n'est somme toute qu’honnêteté
vaises Rencontres nous désaveuglent; supplémentaire de Fauteur, qui avertit
nous voyons Paris et sa faune, comme aussitôt le spectateur du plan sur le­
nous ne les avions jamais vus. Quel est quel se place le récit, qui est celui de
celui qui ne se sentira pas touché au l’essentiel : là où tous les actes enga­
cœur par telle parole où il reconnaîtra gent, où toutes les paroles ont un sens,
en clair ce qu'il ne savait pas s'expri­ et un seul : personne ne ment à per­
mer à lui-même ? Que cette descrip­ sonne. Si cette franchise déconcerte
tion hausse et embellisse ce qu’elle dé­ un public habitué à vivre dans le men­

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songe, l’équivoque, le compromis, à qui Lang. L’abondance d’effets, signe d’une
la faute ? Il n’y a pas ici à interpréter, âme tournée naturellement vers la
deviner, imaginer des sous-entendus et grandeur, n ’est reproche que si ceux-ci
des arrière-pensées, mais à croire les ratent, et Shakespeare s’autorise une
gens sur parole; c’est ce de quoi nos image par vers. Tous les mouvements
contemporains ont le plus perdu l’ha­ de caméra se soumettent ici aux mou­
bitude, qui ne croient plus ni à Dieu, vements de l’âme; la mise en scène est
.ni au diable, et pouffent dès qu’on leur toute fondée sur la croyance à la cor­
parle du péché : il faut croire d’ail­ respondance, aux effluves secrets qui
leurs que ces vérités étaient trop rudes émanent des êtres, au pouvoir, suipla
pour leurs chastes oreilles, puisqu’on forme même du film, de leur esprit,
s’est empressé de les couper. donjb les ondes attirent ou repoussent
l’appareil. Cette mystique du travel­
Encore une fois, rien n ’est ici fait ling-grue paraîtra, je le suppose, bien
pour surprendre mais pour convaincre; ridicule, mais ce film est sans doute
la logique de la construction est telle incompréhensible à. qui ne croit pas à
que, si l’on entre dans le jeu 'du film, il la réalité quasi corporelle des idées, à
est impossible d’y voir la moindre acro­ leurs luttes et leurs affinités mysté­
batie, mais un enchaînement rigoureux rieuses, à leur mouvement perpétuel
où l’arbitraire n ’a aucune place. Je qui est, à proprement parler, le lyrisme.
défie quiconque d’imaginer une autre Car tant de précision, d’exactitude sont
succession des plans et des épisodes enfin celles d’un passionné; ce n ’est
que celle-là, sans fausser aussitôt la pas au tremblement de la main que
vérité du récit. Le monde de l’art est celui-ci se reconnaît, mais à une cer­
celui de la nécessité; le hasard n’a que taine tension inquiète, une domination
faire avec lui; elle lui tient lieu de crispée sur les réflexes de la chair, qui
tout ; l’émotion, la beauté ont partie sont ici évidentes jusqu’à la gêne.
liée avec elle. Et le sublime naît enfin
d’un accord entre la justesse et la lo­ Encore un mot des rieurs : quand
gique, entre la vérité du trait et la Anouk Aimée dit ; « Vodeur de la forêt
précision de l’architecture ; je main­ vierge me sauta au visage », c’est qu’elle
tiens que cet accord est presque cons­ sent véritablement bondir sur elle une
tant tout au long des Mauvaises Ren­ force inconnue d'elle. Ils admettraient
contres,. L’intime conjugaison d’un d’ailleurs sans peine dans Dostoïevsky
geste, d’un mouvement d’appareil, ou Barbey d’Aurevilly (Le Rideau cra­
d’une phase créent comme de toutes moisi en est la preuve), ce qui les
pièces, in vitro, le sublime cinémato­ choque chez des humains ayant même
graphique. Et peut-être voit-on parfois apparence qu’eux - mêmes, portant
encore le mouvement des mains; re­ même costume ; et sans doute
connaissez du moins au prestidigita­ n’expriment-ils par leurs ricanements
teur (1) le mérite de s’essayer d’emblée que leur peur des sentiments forts
au plus difficile. chez leurs contemporains.
On parle de l’abondance des effets; J a c q u e s R iv e t t e .
mais l’effet est justement le nom tech­
nique, en argot de métier, de la volonté (1) Mot employé dans le sens où Cocteau
de sublime ; voyez Hitchcock, Welles ou. emploie celui d’acrobaîe.

LE BOUQUET D ’ HELGA

RUN FOR COVER (A L’OMBRE DES POTENCES), film américain en Tech­


nicolor et en Vistavision de N i c h o l a s R a y . Scénario : Winston Miller d’après une
histoire de Harriet Frank et Irving Ravetch. Images '■ Daniel Fapp. Musique :
Howard. Jackson. Décors : Hal Pereira et Henry Bunstead. Interprétation :
James Gagney, John Derek, Viveea Lindfors, Jean Hersholt, Grand Withers,
Jack Lambert, Ernest Borgnine, Ray Teal, Trevor Bar dette, Irving Bacon, Gus
Schelling. Production : Pine-Thomas, Paramount. 1955.
Je me suis déjà élevé, au sujet d’une démarche qui, un film aussitôt qualifié
œuvre moins singulière (c’était The Far de western, se propose de l’étudier se-
Country, d’Anthony Mann) contre la Ion une prétendue esthétique du 'genre.

47
John D eret et James Cagney dans R u n for Cover, de Nicliolas Ray.

Nous savons maintenant que Nicholas cœur avec une force assez rigoureuse
Ray aime à séjourner dans les régions pour ne pas émouvoir en nous la seule
du vieil Ouest, consacrant même de sensibilité. Quel gage vous donnerai-je
longues vacances à en recueillir les de ce que j’avance ? Quelque écho
traditions. Je répondrai, et M. de la fidèle que trouvent les événements de
Palisse ne me désavouerait pas de le la vie privée de Nicholas Ray dans l’af­
faire, qu'il y trouve sans doute son ins­ fabulation de certains de ses films
piration (« le timbre d’or de l’autorisa­ comme Le Violent ou Johny Guitare,
tion cosmique » dit magnifiquement je préférerai rappeler un mot de l ’ex­
René Char), comme Gérard de Nerval cellent Chabrol ajoutant, aux entrelacs
trouvait la sienne dans le Valois ou qu’on a pu tracer tout à loisir entre
Van Gogh dans la plaine d'Arles. Il les personnages d’Aîl about Eve et leurs
n'empêche que Run for Cover, le der­ faits et gestes à la ville, cette précision
nier film de Nicholas Ray, ne soit au­ inédite que depuis lors George Sanders
t a n t qu’un autre imprégné de la my­ ne pouvait sans la gifler rencontrer
thologie personnelle de son auteur. Anne Baxter. Les ramenant à cette
Nul doute en effet que Nicholas Ray proportion dérisoire, je voudrais faire
ne soit un auteur au sens le plus aigu sentir qu'il s'agit de plus ici que d'un
du terme. Nous sentons assez qu'avant jeu de miroirs ou d'une exhibition pour
d'être la projection de conceptions mo­ initiés. Chaque film de Ray est un mo­
rales ou de préoccupations philosophi­ ment de sa vie, le moment, dirai-je, de
ques (ce qu’elle est aussi, soyons-en la réflexion, du recueillement de la ré­
sûrs), son œuvre, chacune de ses œu­ solution.
vres, lui tient de beaucoup plus près Et chacun de ses films nous impose
par des liens de chair et s'offre en un irrésistiblement un visage de femme ou
mouvement généreux, s’adressant au d’enfant, des deux souvent ; voilà

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bien le pressentiment qu’ils peuvent gence envers sot Après l’irrémissible
sauver l’homme du monde des hom­ injustice du début — qu’ils n ’ont cer­
mes, le délivrer tout au moins d’une tes pas choisie — eux-mêmes tracent
malédiction qui fut celle de Muraau — leur voie, éprouvant le prix de pouvoir
l’enfant par le rappel de prémices com­ le faire à la mesure d’une confiance,
promises sans remède, la femme pro­ d’une générosité que le grand Corneille
posée en salut comme épreuve, insur­ eût aimée puisqu’il s ’agit pour chacun
montable parfois (1). D’un côté en état d'offrir à l’antre la possibilité, l’occa­
d’innocence, plus exactement d’igno­ sion presque, d’aller de son propre
rance du bien et du mal, impossible à mouvement au bout de lui-même, au
rejoindre une fois perdu; de l’autre une meilleur. La voie de Davey n’est pas
sérénité crispée que trouve le couple à seulement de faiblesse, de lâcheté ni
supposer qu’il y parvienne : Louise et même de révolte; dans l’affaire stricte­
Wess Merritt, Vienna et Johny Guitare, ment privée qui l’unit à Matt, sa fierté
Helga et Matthew Dow. Terrible est le et sa noblesse font qu’il ne se dérobe
passage de l’un, à l’autre, c’est l’enfant pas. Tentant plusieurs fois de le tuer, en
en proie aux hommes, c’est également simulacre puis en acte, il ne permettra
l'enfer d’une violence aveugle qui ne pourtant pas qu’un autre le fasse. Et
sait même pas ce qu’elle veut détruire. Matt en tan t qu'homme se sent" res­
Cette ambiguïté de la violence, des­ ponsable de l’injustice des hommes à
truction des autres par la haine de soi l’égard de Davey, même s’il a dû la
mais souffrance aussi à travers les au­ subir aussi pour sa part — responsabi- '
tres, fut celle surtout des héros du lité qu’il assume avec une progressive
Violent et de La Maison dans VOmbre exaspération, jusqu’à entrer à son tour
(dans sa première partie), solitaires dans cet ordre où l’injustice est l’auxi­
murés sans espoir en eux-mêmes. liaire de tout jugement ; dans un très
Depuis elle s'est résolue en apaisement, beau plan de la fin, Davey au piëd du
mais reste toujours un sujet de scan­ tribunal attend le verdict et c’était le
dale et d’indignation et Nicholas Ray même plan des Ruelles du Malheur où
ne manque pas de la flétrir, ici par le même adolescent attendait le verdict
exemple dans cette scène où Jack Lam­ mais cette fois plus personne n ’est au­
bert tournant sur lui-même une main près de lui pour l’assister et le juge a
autour du cou mime hideusement les changé. Voilà bien un approfondisse­
spasmes du pendu, ou par cette idée <de ment de reconnaître qu’au delà de l’in­
l’aveugle accoudé pendant des heures justice des société l’iniquité se trouve
à une barrière, regardant la potence à au cœur de l’homme ; mais voilà aussi
travers ses lunettes vaines. le signe d’une maturité puisque c’est
reconnaître la stérilité de l’angélisme
Dans La Maison dans VOmbre, l’en­ et en repousser définitivement les sé­
fant et la femme sont le double moyen ductions. C’est du seul point de vue de
du salut de Robert Ryan — mais cha­ l’innocence qu’une telle maturité paraît
cun rendant la voie plus périlleuse, amère, et crispée une telle sérénité :
plus accomplie aussi la délivrance. elles ne sont que la fin du refus, accé­
Avec Run for Cover il semble que pour dant du même coup à une dignité sans
la première fois dans l’œuvre de Ni­ imposture.
cholas Kay un état de disponibilité soit
acquis aux personnages, remplaçant le J’accorde que tout ceci est bien aus­
récit d'une délivrance si impérieuse­ tère ; la grâce pourtant y entre lar­
ment nécessaire qu’aucune autre entre­ gement, sa présence rayonne à travers
prise n'aurait pu se concevoir de leur le personnage d’Helga, elle est le don
part. Us se trouvent au delà de la ri­ pur et souverain. Voici la première fois
goureuse progression — celle de La depuis Les Amants de la Nuit que la
Maison dans VOmbre, celle de Johny femme accomplit ce rôle dans un film
Guitare — qui les y menait. Les actes de Nicholas Ray. Toute de douceur et
de Matt et de Davey ne dénotent pour­ de ferveur, son ambiguïté pudique n’est
tant pas moins de rigueur, moins d’exi­ qu’une sincérité plus éloquente ; des
(1) Les enfants : le couple des Amants de la Nuit, John Derek et Suminer Williams
dans te s Ruelles du Malheur, le même Summer Williams dans La Maison dans VOmbre
(qu’on se rappelle la stupeur de Ward Bond relevant le corps de l’assassin qu’il poursuivait
et répétant <t he was ju st a kid !), Ben Cooper dans Johny Guitare, John Derek dans (Run
for Cover.
Les femmes : Gloria Graliame (Le Violent), Ida Lupino (.La Maison dans VOmbre),
Susan Hayward (Les Indomptables), John Crawford (Johny Guitare), Viveva Lindfors (Run
for Cover).

49
fleurs jaillissent entre ses mains, sonnelle, l'invention de Nicholas ay
comme la source elle porte en soi va droit à la vérité et celle-ci ignore
i’image renversée du inonde, et son décidément les ménagements dont s’en­
silence est un chant qu'elle n ’inter­ tourent les coquettes ";' elle a d’autant,
rompt que pour dire l’ineffable avec plus d’efficace qu’elle se présente à
une simplicité confondante. D’instinct nous avec un visage, mieux que nou­
ses gestes» ses élans sont ceux-là veau, retrouvé (2). La création artisti­
mêmes de Keechie (1) ; il faudrait que reprend à son compte la création
remonter à VAurore pour trouver pa­ du monde, elle est invention du monde.
reille vérité dans l ’invention poétique. Parmi ceux qu’il est convenu d’appeler
Tel est en effet l’ascendant qu’exerce de jeunes metteurs en scène, Nicholas
l’œuvre de Nicholas Ray. Alors qu’il est Ray est celui qui a le mieux compris
loisible à chacun d’agiter de vains pro­ cette exigence : il a l’intelligence du
pos sur la vraisemblance selon la mé­ cceur pour la soutenir.
diocre étendue d'une expérience per­ Philippe DEMONSABLON,
(1) Comparer notamment la scène, entre Helga et M att dans le couloir de la prison e t la
scène des Amants de la Nuit où Bowie et Keechie décident de partir ensemble.
Ce thème de la réminiscence, au sens que lui a donné Platon, sera noté fréquemment
dans l ’œuvre de Nicholas Ray.

t t LE QUATRIÈME MUR
&*** *
COMICOS (LES COMEDIENS), film Espagnol de Jitan Antonio Bardem. Scé­
nario, adaptation et dialogues : Juan Antonio Bardem. Images ; Ricardo Torres.
Musique : Isidro B. Maiategui. Décors : Bernado Ballester. Interprétation : Chris­
tian Galve, Fernando Rey, Emma Fenella, Rosario Garcia Ortega, Carlos
Casaravilla. Production : Syndicat National du Spectacle 1953.
Bardem descend de trois générations Chômage puis l’inévitable : l’impressa­
d’acteurs. Comicos est pour lui un té­ rte qui fait de belles promesses et qui
moignage sur la condition de comé­ exige tout de même quelque chose en
dien : « Entre les coulisses et la scène, échange. Nouveau dégoût, retour à la
il y avait cette frontière magique et troupe et un soir le miracle : Ana rem­
infinitésimale, au delà de laquelle mon place la vedette malade et se révèle
père n'était plus ce monsieur aimable une grande actrice. Cependant le len­
qui vérifiait mes devoirs de mathémati­ demain il lui faudra de nouveau céder
ques, devenant, d'un seul coup, un le râle... mais le tour est joué ; Ana a
prince passionné. Moi, dans les coulis­ compris. Elle restera comédienne.
ses, j ’ai observé ce monde merveilleux, Ce beau sujet la été pour Bardem
toujours différent, englouti entre trois l'occasion d’affirmer son talent pour la
murs de papier peint et un quatrième première fois, puisque le film est de
mur sombre, fait de silence, de rires et deux ans avant La mort d’un cycliste.
de toux lointaines et répétées, ainsi que La virtuosité technique y est moins
d’applaudissements et de siffletsÀ Co­ grande et peut-être aussi les ambitions
micos est — tout au moins il le pré­ mais tous comptes faits, je préfère
tend — un documentaire un peu pas­ Comicos, plus simple, plus direct, plus
sionné, peut-être, de ce monde que f a i austère. Le personnage d’Ana, fragile
vu dès mon enfance ». et têtu, est finalement plus attachant
Comicos raconte l ’histoire d’Ana Ruiz, que ceux des deux héros du Cycliste
jeune comédienne de vingt-cinq ans, qui ont des problèmes, une ambiguïté,
qui fait partie d’une modeste troupe de une épaisseur romanesque mais à qui
tournées en province. On connaît la il manque ce que possède Ana : une
médiocrité de ces tournées : hôtels de vocation.
second ordre, vieux théâtres, pièces Je ne connais pas le monde du théâ­
stupides, cachets dérisoires. Pourtant tre, encore moins l'univers particulier
elle et ses compagnons gardent au d'une petite troupe espagnole ; il me
cœur un espoir stupide et merveilleux: semble néanmoins, et ce grâce au tru­
percer, réussir, triompher. La tournée chement de l’héroïne, prisme émouvant
revient à Madrid. On lit une nouvelle entre nous et le film, que Bardem a
pièce où il y a un rôle qui pourrait atteint son but : un documentaire uni
lancer Ana... mais ce rôle c’est la ve­ peu passionné sur le monde de son]
dette de la compagnie qui se l/l réser­ enfance.
1 vera. Dégoûtée, Ana quitte la troupe. Jacques D oniol-Valcroze,

50
Jacques Audiber tl

BILLET XI I

Réalisme et mythologie ordonnée

A b on d an te, la m a tiè r e . Illim ité e . D ram atu rges, ro m an ciers du livre ou


du film , a lle z -y ! N e v o u s gên ez p a s !
Q uelle m a tiè r e ? L es h o m m es. L es fem m es.
T o u t ren d . T o u t e s t bon. N 'im p orte q u el jou rn al, to u c h e z -le , a u
h a sa r d ,de la p o in te du bic, vous te n e z le filo n . À co n d itio n de ta p e r dans
les fa its-d iv e r s, ou d an s le s fa ir e -p a r t.
Le tra g iq u e, le com ique, efe l e p h ilosop h iq u e, et le m éta p h ysiq u e, o n t
d’a u ta n t p lu s d e s e l e t d e r e lie f que d a v a n ta g e ils se c o n c e n tr e n t d a n s des
ép op ées in d iv id u elles, tra d u ites p a r le p ittoresque, tou jou rs u n iq u e en so n
gen re, des fig u res e t d e s a llu r e s p a rticu la risées. La d o n n é e la p lu s v a ste
dem eure fro id e e t cérébrale t a n t qu’e lle n e croise p a s n o tr e v ie, d a n s les
ch ocs d o n t s ’illu str e e t s e p récise c e lle -c i, ou, à, d é fa u t, la vie de quelque
sem b lab le, m ê m e a p p r o x im a tif.'A to r t ou â raison , m a is e n h o m m a g e à
l'e ffic a c ité du procédé, W alt D isn ey , e n ses film s zoologiq ü es d ’après
n a tu re, n ’h é s ite p a s à fourrer se s to rtu es d an s des s itu a tio n s d ’av a n ce
co n tr e sig n é e s p a r A lexan d re D u m a s fils. Les croisad es h isto riq u es n e n ou s
to u c h e n t que cr ista llisé e s d a n s u n e a n ecd ote au tou r de q uelqu’u n ou de
q u elq u es-u n s. T o u te la guerre c iv ile a m érica in e et, p ar dessus le m arch é,
l ’irrév ersib ilité de la durée, tie n n e n t d a n s les sou rcils e t le s m in c e s souliers
de V ivian L eig h a u f il d 'Autant en emporte le vent. (N éan m oin s, le Cui­
rassé Potemkine e s t u n c h e f-d ’œ u v re de fou le.)

T ou te d ém o n stra tio n relig ieu se a u cin ém a, m êm e a ssortie de cinq m ille


fig u ra n ts, d em eu re e n -û e ç à de n o tr e in tim e exp érien ce du cu lte a u ssi b ien
par le s v o ie s de la croyance qu'à travers l'in certitu d e. Au th éâ tr e, les g e n s
de m in c e t a le n t qui m o n te n t d es Judas en e sc o m p ta n t q u e leu r p e tit
tra v a il p èsera su r le s â m es de to u te la m a sse d u christianism e* le u r fa u te,
en m êm e te m p s le u r p u n itio n , e s t d’avoir voulu s e m o u ch er plus h a u t que
le s trous d e n ez. N i th é o lo g ie n s, gra n d D ieu J n i m od estes im agiers, ces
m ég a lo m a n es, s ’ils te n a ie n t a b so lu m e n t à fa ir e u n so r t à leu rs ren vois d e

51
c a té c h ism e , ils l'e u sse n t eu p lu s b elle de le s transposer d a n s du ta n g ib le,
d a n s de l ’a ccessib le, s a n s se m êler de conférer, v a ille que v a ille , u n e p h y ­
sio n o m ie co n crète a rticu lée à d es p erson n ages d on t l ’in v isib ilité sa u te
a u x y eu x .
C es p erso n n a g es, la p ein tu re e t la scu lp tu re, r iv a lise n t à n o u s le s p r é ­
se n te r , m a is so u s le co u v ert d’u n e c la u se ta c ite a u x term es de quoi to u te
in te n tio n de ressem b la n ce e x a c te e st ex clu e. Et, pour a u ta n t q u ’il e s t lo is i­
b le de le s im a g in er à la fa v e u r de leu r p ersista n ce a u x d ivers e n d r o its de
la c h r é tie n té où l’o n jo u e to u jo u rs la P a ssion , le s m y stè r e s (je le s a im e
m ie u x a v ec u n i g rec) les m y stères fu ren t, au n iv ea u du g r a d in e t d a n s les
d ég u isem en ts, l ’é q u iv a le n t scén iq u e e t p a r la n t des to iles e t d e s s ta tu e s r e li­
gieu ses. D a n s les lim ite s de la foi, du m oin s en principe, le s m a n n e q u in s
v iv a n ts n ’évoq u aien t, su r le s tr é te a u x , les ê tres sa c r a m e n te ls qu’à l ’a p p u i
d e la d o ctrin e e t à l ’e n se ig n e d’u n e litu rg ie de co m p lém en t. A u th é â tr e
e t a u cin ém a , le m a ria g e d'une arch éologie so u v en t de b ric e t de broc e t
d’u n résid u d e r é v éren ce a u x silh o u e tte s de la lég e n d e p ie u se a b o u tit
v o lo n tiers à l’o b scén ité d ’u n ca rn a v a l p éd an t. A h ! F aire com p ren d re à
n o s b ro ca n teu rs d’E v a n g iles que le s é v é n e m en ts qu’ils t e n t e n t de r e s ti­
tu e r d é p e n d e n t d'une r é a lité sp iritu elle p lu s en clin e à s e m é fie r qu’à se
p révaloir de d o n n ées h isto riq u es co n firm ées !
H e s t p e u t-ê tr e com m od e m a is i l e st lég itim e de ra p p eler que le p lu s
im p r e ssio n n a n t so sie sp e c ta c u la ir e du C hrist in c a r n é d em eu re C hariot,
m êm e s i l ’o n tie n t co m p te de la v ein e im ita tiv e ré tr o sp e c tiv e m e n t c o n ­
sc ie n te qui, sur le tard, le c o n d u isit à son Calvéro, Le d ra m e du tr a îtr e
e s t serré de p lu s p rès p ar u n ro b u ste film com m e Le> Mouchard que par
l'in sig n ifia n te p iè c e de l ’a m i P agn ol. E t le ch e m in e m en t ap o sto liq u e b rille
le lo n g de La Strada p lu s que d a n s le s p lis de La Tunique.
■ L’a v en tu re h u m a in e, donc, rapporte à coup sûr. H s u f f it que le m a n i­
p u la te u r la com pose d 'élém en ts recon n aissab les a u x fin s d ’u n e o r ig in a le
h a r m o n ie qui pourra rejoind re e t d ista n cer le s r éu ssites le s p lu s féériq u es
de l’art.

Le réa lism e to ta l, ou su p p osé tel, n ’est sa n s d ou te q u ’u n p o in t de


d épart, b ie n que le Voleur de bicyclette, son joyau, a it sem b lé, u n m o m en t,
co u ron n er le ciném a! M is en scè n e par D elb ert M an n , d ialogu é p a r
C h ayefsk y, l e , r é a liste Marty n e n ou s o ffre p a s u n e s u ite d’in s ta n ta n é s
sur le v if ju x ta p o sé s au gré d’u n e m a n iv elle in sp irée m a is u n e cô te de porc
très c o h é r e n te où l’on s ’a tten d rit, à l ’im proviste, de c o n sta te r que la cra ­
v a te d ’u n b o u ch er d év o ile so n en vers quand le v e n t de la n u it, à B ron x, la
f a it flo tter, fr ia n d ise v isu e lle n o n prévue par le sc én a rio m a is conservée,
a p rès coup, au m o n ta g e.
Ce Marty, o n m ’en a v a it d it b eau cou p de b ien . P o u r ta n t il n e m ’e m ­
b a lle gu ère.
, P rim o, je n ’a i p a s com pris pourquoi il porte le n o m d u célèb re m u tin
d e la m er N oire, le co m m u n iste excom m u n ié. Le h éro s d u film e s t u n

52
N ew -Y ork ais d’o rigin e ita lie n n e que, to u t a u lo n g de la b an d e, on ap p elle
M ario, e n esc a m o ta n t l’u ltim e voyelle, à la n a p o lita in e , d’où M ari. N an ti
d ’un p o in t d’ex cla m a tio n ce vo ca b le eû t f a it un e x c e lle n t titr e ! s
E h seco n d lieu la p ro p agan d e m o ra le su b tile m e n t liée à la con clu sion
du r é c it m ’a déçu et h e u r té com m e le s b ou ch on s v erseu rs que le ca m elo t
nous p resse dë lu i a ch eter, à la f in d ’un v if discours, p a rfo is e n tre m ê lé
de tours, qu’o n p ou v a it croire, ju sq u e -là , dédié, en p lein e g ra tu ité, à l’é lo ­
quence p u re e t à la p r e stid ig ita tio n d ésin téressée.
L es a cteu rs e t le s décors s o n t so ig n e u sem en t sou d és au ren tab le
p a r ti pris d e n e p a s s ’égarer. T o u te s le s a ttitu d e s e t to u tes le s p aroles so n t
ten u es d e se précipiter, a sp irées vers l ’a r g u m e n t d écisif, à savoir le
m ariage com m e rem èd e à la so litu d e du sex e. L a p rom esse d’a ccou p le­
m e n t de ce b ou cher (E rn est B o r g n in e ) a u x in c isiv e s an o rm a les e t de c e tte
m a ig r ic h o n n e e t fé tid e p ro fesseu r de c h im ie (B e tsy B la ir) n e provoque e n
m o i a u cu n e e x a lta tio n . S’ils s ’ép o u sen t, ces d e u x -là , c’e s t p a rce qu’ils n ’o n t
d ’autre m o y en d ’avoir e n fin de la ca resse. On n e d iscern e à a u cu n m o m en t
que quoi que ce so it d ’ex em p la ire doive ré su lter d e le u r tso in -tso in . Leur
unique m ob ile e st le b eso in d’étrein d re. H ors d e to u t ch o ix lu cid e ils p r en ­
n e n t ce qu’ils trou ven t. L’in te n tio n é d ifia n te s ’e n g lo u tit d a n s l ’em p resse­
m e n t g la n d u la ire n u p tia l de c e tte p a ire de la is s é s p ou r com pte.
E n g én éra l, au cin ém a, c ’e s t d ’a illeu rs assez cu rieux, n o u s n ’éprou­
vons n u l m a la ise à n o u s so u v e n ir qu e l ’a cteu r que n o u s regard on s tîn t
des rôles d iffé r e n ts. P o u rta n t j e n ’a i pu m ’em p êch er de recon n aître, e n
ce b ou ch er tra ca ssé p ar le d ém o n d e la vian d e, le se r g e n t s a d ic o -ta b a s-
seur, m a in te n a n t ren du à l a vie civ ile, du m a l ou b liab le Tant qu'il y aura
des hommes , a u regard de quoi 08/15 e s t un p rosp ectu s pur su cre en l’h o n ­
neur d es id ylliq u es ca sern es a llem an d es.

★ ’

Le réa lism e de Mort d’un cycliste , le m a g n ifiq u e ou vrage de B ardem ,


pour m in u tie u x qu'il so it, c o u r a it b ien plus de risques que Marty.
D ’u n e part, le com p o rtem en t des p erson n ages, qu’on d evin e trop d is­
tin g u é s pou r avoir ja m a is a s s is té à u n e course de tau reau x, e t nous so m ­
m es e n E sp agn e ! s ’a ffirm e b ie n p lu s com plexe que celu i du boucher e t
de s a to ca rd e n a v ig u a n t à la v a -c o m m e -je -te -p o u sse su r leu rs sécrétio n s.
D ’au tre part, B ardem n ’a p a s h é s ité à n ég lig er, du m oin s e n apparence,
la g a r a n tie classiq u e de l ’u n ité. E n ap p aren ce, d is-je , car s ’il m u ltip lie les
d écro ch em en ts d e ta b le a u x qui, ch aq u e fois, d éco n certen t, n o u s tra n sp o r­
ta n t, sa n s p révenir, d’u n e ro u te p lu v ieu se d a n s u n am p h ith éâ tre, d ’une
soirée m o n d a in e d an s u n c in é m a d’a c tu a lité, d’u n e église, où l ’on célèbre
u n serv ice fu n éra ire, sur u n te r r a in de sport, ces g ifle s de ta p is v o la n t n e
ta r d e n t p a s à s ’in tégrer a v ec rigu eur, sin o n d an s l’in é v ita b le n é ce ssité ,
du m o in s d an s u n e s a tisfa is a n te p la u sib ilité de l’exposé.
T o u te l ’a ffa ir e roule su r le ca ra ctère d’u n prof, de m a th s (A lberto
C losas). H e s t d a n s la voiture de sa b rilla n te m a îtresse (L u cia B ose) qui,
d a n s le p rivé, n e d é te ste p a s la ta u r o m a g ie ). E lle t ie n t le v o la n t. M êm e si
le s fe m m e s p a sse n t p our m o in s b ien conduire que le s homméfc la b e lle

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a m a zo n e m éca n iq u e f a it corps av ec la ca rèn e d e lu x e d a n s u n e p r e sta tio n
réciproq ue de lig n e s é lé g a n te s p lu s ou m o in s in h u m a in e s. C rac ! L a b e lle
a p la tit u n cy cliste. In a p erçu e de quiconque, la v o itu re m eu rtrière d isp a ­
r a ît au so m m et de la c h a u ssé e h u m id e. C ep en d an t, a u p r em ie r p la n ,
c o u p ée à d essein , p ar le cad re, la b écan e n e n o u s liv r e qu’u n e roue h o r i­
z o n ta le qui tourne, lo terie d e la m ort. H y aura, a in si, d é fia n t l’o rth od oxie
r é a liste , d'autres allégories, p a r ex em p le le s m a in s de l'étu d ia n te, b lon d e
a u x y e u x noirs, jo u a n t d e la h a rp e d a n s le s lo sa n g e s de la barrière en f il
d e fe r qui, su r le s ta d e u n iv ersita ire, par d éc re t d e l ’au teu r, la sép are de
so n m a ître, d o n t le to u r m e n t la rem u e e t l’a tte n d r it.
A p rès l'a c c id e n t le p ro fesseu r, d on c, to u t co m m e l ’écra seu r s e n t i­
m e n ta l d es Dames de Concarneau de l'a h u r issa n t S im en o n , s'effo rce, m o l­
le m e n t, d'entrer en c o n ta c t a v ec l a fa m ille du d é fu n t, d an s u n im m e u b le
lo c a tif m ad rilèn e p ro léta rien , id en tiq u e à celu i d e La Comtesse aux pieds
nus mais» ici, le noir e t b la n c, dans u n de c e s cou p s de re in s d o n t ü g a rd e
le secret, to rp ille la r é m in isc e n c e du bonbon, a q u arellé,
A u rem ords pou r l ’h o m m e tu é l'a m a n t jo in t, d a n s u n e sourde fo lie
d isc r è te e t b ien élevée, le scru p u le d e l'ad u ltère.
H te n te de c o n ta m in e r s a com plice, de l'in fe c te r de so n to u r m e n t
m o ra l. H l'a g a ce au p o in t que, su r ce tte m êm e r o u te p eu fréq u en tée, où le
f ilm a v a it dém arré, la m a c h in e de m é ta l, de ch a ir e t de vison» l ’écra se lu i
a u ssi, alors que, debout, il co n tem p la it, d an s le p a y sa g e où fu r e n t le s tr a n ­
c h é e s d e la guerre civile, so n propre e n n u i qui s ’in terro g e.
I l e s t tard. L a tu eu se, au volant, file vers so n m ari. M ais, d a n s la
n u it, dan se, rejo in te en tro m b e à c e n t v in g t à l ’h e u r e , u n e lu m ière, p r u ­
n e lle de la bête, m ou ch e p h o sp h o rescen te, erra n te fla m m e des to m b a u x , la
la n te r n e arrière d ’un cy c liste , encore, so u d a in à u n m ètre, elle l ’év ite, e lle
en tre d an s le p arap et, elle b a scu le en con treb as, fin . Le cy c liste , in d e m n e ,
m e t les voiles s a n s d em an d er d’a u tograp h e.
T e lle s qu’elles se m a n ife s te n t d an s le m arieu r Marty la th è se f i l ­
tr a n te , la réclam e m a q u illée, l'in v ite fe u tr é e m e d é so b lig e n t fo r t. C ep en ­
d a n t, qu'un film de la ta ille de Muer te de, un ciclista se b orn e, a u b o u t du
com p te, à n ou s distraire e n n o u s r a m e n a n t su r n o u s-m ê m e s q u an d il
r é fr a c te quelque d éc h ir a n te e t c a p tiv a n te b a ta ille h u m a in e à quoi n o u s
a d h éro n s par sp écifiq u e a ffin ité , j e déplore u n p e u qu ’il n e p u isse cela que
p e u v e n t les livres, fa ç o n n e r j e n e sa is q u elle d o ctrin e, quelle co n séq u en ce
d é p a ssa n t u n e p ersp ectiv e sy sté m a tiq u e p ou r la pensée, u n e m y th o lo g ie
ord on n ée.
M ais F ra n ço is T r u ffa u t su rg it. I l m ’a ffir m e que, d a n s l'esprifc de
B a rd em , i l e s t ex clu que l e c y c liste fin a l, h o m m e du p eu p le, s e s o it tir é
com m e u n m alpropre, H e s t sû r e m e n t a llé ch e r c h e r d u secou rs. J e n e v o is
p a s la ch ose a in si. Le b olid e e t so n a m a zo n e estoq u és, a u b o u t d u c o m p te ,
p ar u n p au vre vélo, je m ’e n r é g a le com m e d'une fa ta lité g o g u e n a r d e où
p o in te r a it l ’oreille d’u n e lo i m a th é m a tiq u e ou p h ilosop h iq u e. E n t o u t ca s,
üès lors que le s m o b iles de l ’a ctio n , d a n s u n film d o n n é , p o u rsu iv en t leu r
p is te d an s n o tre p er p le x ité ru m in ée, la voilà, c e tte s o if de co m m en te r,
d 'in terp réter, de prolonger,, qui p rouve la v a leu r d es th è m e s q u i la
p ro v o q u e* * ^
J a c q u e s A U D IBER TI.

54
LETTRE DE BERLIN

par Jacques Sielier

LES RATS (Robert Siodmak)


Le film a succès pour cet été 1955 s'appelle « Die Ratten » (les Rats). Remarqué au Festival
de Berlin, il consacre définitivement M aria Schell que nous avons p u apprécier en France dans
Je Dernier Pont d'Helmut Kautner et qui, dans un rôle impossible de fille-mère abandonnée,
cédant pour un peu d'argent son enfant à une femme frustrée de maternité, accomplit la perfor­
mance assez rare d e rendre vraisemblable et humain un personnage affligé de tous les tics de
la littérature naturaliste du début du siècle. Car, bien que l'action de la pièce de Gérard
Hauptmaïm ait été transposée de nos jours, dans la 2one soviétique de Berlin, c'est du natu­
ralisme que relève celte histoire digne, d é « Pot Bouille » où sont dénoncées les tares domes­
tiques d'une bourgeoise égoïste. Ce monde replié sur lui-même et prêt à crouler, date terrible­
ment.
Les Rats a été réalisé p a r Robert Siodmak, chassé d'Allemagne p a r l'hitlérisme et qui, après
un bref passage en France (se souvient-on encore de Pièges ?} s'était installé à Hollywood.
Des réminiscences de l'expressionnisme marquèrent continuellement ses œuvres américaines (The
Spiral Staircase et The Killers en particulier) d'une forte empreinte germanique. Par un curieux
choc en retour, l'influence d'Hollywood est manifeste, a u moins dans la première partie de
Die Ratten, dont l'action commence en même temps que le générique avant de repartir sur un
« flash back ». Ce procédé a pour principal avantage de créer l'atmosphère du film, sans
recourir à de vaines et trop minutieuses notations psychologiques. Il suffit au spectateur de
Voir Maria Schell errer dans un paysage d'ombre, de neige et de ruines avant d'échouer
dans un commissariat de police avec un. faux-passeport et une poupée ensanglantée dissimulée
sous son manteau, pour entrer d e plein pied dans le drame. L'habileté de Siodmak, soutenue
par le jeu sans défaillances de Maria Schell et p ar celui, presque aussi étonnant» de Heide-
marie Haiteyer, l'ancienne Fille au Vautour de Steinhoff, durcie, brûlée de passion, mène jus­
q u'au bout, malgré un inepte < happ end », ce mélodrame qui évoque, p ar ses éclairages,
ses décors et le jeu amplifié de ses acteurs, les films allemands de 1930.
Boberi Siodmak a simplement rendu plus fluide, p a r son mode d e récit à l’américaine,
l'univers expressionniste traditionnel. Ce film, où revient comme un Jeif-moiiv l'image d'un
couple de rats grignotant dans un buffet, n'apporte rien de neuf. Mais il contient au moins
deux séquences sensationnelles : l'accouchement clandestin dans un garde-meubles et le
Réveillon de la Saint-Sylvestre vrai bal de cadavres dans une boîte de nuit berlinoise. Et Maria
Schell, égarée, laide, gesticulante, baignée de larmes, pitoyable et terrible, bouleverse les
foules allemandes,

08/15, de Paul May


On ne peut en dire autant du 08/15 de Paul May qui connaît la même vogue que le roman
de Hans Helmut Kirst. La France en a vu seulement la première partie (la révolfe du Caporal
Ash) ; elle évoque la vie de caserne en Allemagne, avant 1939, dans un style assez lourd et.
avec des clichés plus dignes des * gaîtés de l'escadron » que de la satire antimilitariste posi­
tive. Le principe de l'arm ée n'y est, à aucun moment, remis en question. Les sous-officiers, seuls,
sont dénoncés comme bornés et stupides et la révolte — dans les limites du règlement — d'un
caporal amène l'intervention d'un officier intelligent qui punit et récompense chacun selon ses
fautes et ses mérites et rétablit l'ordre. On pouvait attribuer cette confusion à une certaine
pudeur. La deuxième partie de OS/15 ne laisse aucun doute. Les cartes ont été délibérément
faussées. Quelque part sur le front russe, au cours de l'hiver 1942, dans un village où n'est
demeurée qu'une seule indigène au visage vaguement mongol et aux faux sourcils hollywoodiens
(elle se nomme, bien sûr, Natacha !) nous retrouvons la plupart des personnages connus, dont
Asch qui est devenu d'aillleurs singulièrement insignifiant et ne se signale plus p a r aucun
éclat. La vie d e la batterie cantonnée là est m arquée surtout par le trafic du marché noir,
l'ennui et la grossièreté des soldats qui se moquent ouvertement d'un capitaine fanfaron et
va-t-en-guerre. La salle s'am use beaucoup de ces marques « audacieuses » d'indiciplme.
Schulz règne à l'arrière sur la caserne où il était autrefois instructeur et qui est devenue un

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dépôt d'armes el de jeunes recrues; sa femme, toujours folle de son corps,’s'offre en passant
à Vierben, l'ancienne victime de Schulz, venu en mission. Sur le front, où n e se déroulent d'ail­
leurs que de vagues combats, s'opposent le capitaine fanfaron et le capitaine intelligent qui
vit retiré dans s a b araqu e en écoutant sur un vieux phono un. disque d e Lucienne Boyeï
* Parlez-moi d'amour ». Hitler, les drapeaux nazis, le véritable sens de cette guerre engagée à
l'Est, if n'en est jamais question. Cette peinture ne déborde jamais le cadre anecdotique, ne
prend, à aucun moment, parti sur le plan politique ou idéologique. C'est un camouflage en
règle. Commercialement en Allemagne, cela passe le mieux du monde. Une petite note mélo­
dramatique à la fin, avec la trahison de 1' « espionne » russe/ ram ène trop tard le film vers
ün climat plus tendu. La mort de Vierben sous un tank ennemi est accueillie p ar un silence
consterné. Avec lui, c'est la jeunesse allemande qui tombe. On prend bien soin dô montrer
que la faute en incombe a u capitaine fanfaron qui a donné un ordre stupide et le film s'achève
sur la lecture de la dernière letttre de Vierben à sa fiancée qui parlait d e paix el d'espoir.
C'est beaucoup m ieux fcil que la première partie, c'est même quelquefois très bien fai!
(description érotique d'une loge de danseuses en tournée au front, évacuation du village russe
avec le seau qui se balance au bout de la corde du puifs et indique ainsi, san s qu'on nous le
montre, que N atacha a payé « s a trahison », mort de Vierben pourchassé à travers la plaine
neigeuse p ar un tank soviétique qui l'accule à un trou de bombe et s'avance cru-dessus de lui
implacablement). Mais cela relève d'un état d'esprit incontestable. Car l'amertume s'élève
rarement au-dessus du ton courtelinesque. Que 08/15 ait été destiné, dans une certaine mesure,
à préparer les esprits au réarmement et au retour au service militaire, paraît assez évident.

LÀ PËlfR (Rossellini)
• Mais le meilleur film que l'on puisse voir actuellement, en Allemagne, est signé Rossel­
lini. Dans un entretien, publié en 1954 p a r les « Cahiers du Cinéma » Rosellini avait déclaré :
< Je vais faire un film en Allemagne avec ma femme, d'après une nouvelle de Stephan
Zweig « la Peur ». Je veux montrer l'importance de l'aveu, de fa coniession : la femme esl
iautive ef ne peut se libérer qu'en avouant. *
< L'importance de l'aveu » est, en effet, le thème principal de la nouvelle de Stephan
Zweig, où l'on voit la femme d'un avocat qui trompe son mari, effrayée par les conséquences
d'un chantage, se refuser constamment à la confession qui la sauverait et se résoudre à un
suicide auquel elle échappe in ex (remis pour apprendre que son mari, lui-même, avait dirigé
le chantage. Par cette épreuve, qu'il n'avait pas l'intention de pousser si loin, il comptait
l'am ener à l'aveu de sa faute.
Or, ce thème, qui répondait exactement aU propos de Rossellini, a été modifié p ar lui sur
un point essentiel. Aux trois quarts du film, Irèiie W agner apprend la vérité de la bouche
même de la femme que son mari utilisait contre elle. Dès lors, le comportement rétrospectif de
l'homme apparaît marqué une intégrale cruauté et l'éclairage intérieur du film est complètement
modifié. Ce n'est plus, comme dans l e ' Voyage en Italie auquel on avait d'abord pensé, la
désunion lent© d'un couple éclatant à la faveur d'une crise grave, mais une vengeance à petit
feu traitée dans l'optique sadique des Dames c?u Bois de Boulogne. La scène finale de La Peur,
scène de réconciliation au bord de la mort, malqré son optimisme apparent, n'apporte aucun
,soulagement. Le couple se ressoudera après qu'Irène ait tenté de s'empoisonner a u curare (le
mari n'est plus avocat : il dirige une importante usine de produits chimiques). Mais Irène n'agit
pas, comme chez Stephan Zweig, p ar peur de voir sa faute révélée; s a faute n 'a plus d'impor­
tance à partir du moment où elle découvre le véritable vïsaqe de son mari. Elle veut mourir
parce qu'elle ne croit plus en lui, qu'elle ne peut plus l'estimer. Et lui-même, semble-t-il,
la sauve parce qu'il sait qu'elle sait. Rien ne dît, rien ne prouve, qu'il n e .l'a u ra it p as laissé
mourir si sa complice occasionnelle n'avait pas flanché. Logiquement, l'enfer conjuqal entrevu
prend tout son sens a partir de la réconciliation de l’homme et de la femme.
La Peur de Rossellini, c'est surtout une sorte d'essai sur la cruauté ; l'on y voit se détruire
-— et de quelle façon implacable — le couple du Voyage en Italie. Des profondeurs du cceur
et de l'âm e de ses personnages, Rossellini fait surgir des monstres. La Peur est un film qui
fait mal, un peu comme le rasoir dans l'œ il du Chien Andalou.
Œuvre étrange et qui suscitera de nombreux commentaires. Œuvre déconcertante pour le
public allemand, m algré la présence connue de l'excellent acteur Mathias Wieman, aux côtés
duquel Ingrid Bergman trouve le meilleur rôle de sa carrière rossellinienne.
H faut la voir marcher à la mort dans le couloir immense d'un laboratoire, a u plafond
duquel le néon s'allume comme une menace glacée. On devine tant de choses alors, dans ses
gestes lents et dans les larm es qui la suffoquent que l'on s e sent, soi-même, envahi p a r la Peur.
JACQUES SICL1ER.

56
LE C O U R R I E R DE S L E C T E U R S
Ouvert et répondu par François Truffaut

Monsieur,

Votre dernière lettre me pousse à vous indiquer pourquoi je n'ai pas renouvelé mon
abonnement aux Cahiers.
Votre revue est déplaisante par d’énormes partis pris — par exemple sur la question
sociale, ou à l'égard de certains réalisateurs (ou tabous ou minus); elle a publié une série
d’article» grotesques sur l’érotisme ; elle s'arrange toujours pour que le lecteur qui n'a pas
encore vu le film ne puisse lire l’article qui lui est consacré. J ’ai accepté to u t cela pen­
dant longtemps, mais ce que je ne pute pardonner c’est que l’on soit conduit par votre
revue à éviter de bons films et à voir des inepties (par exemple Une Etoile est née).
Pour le membre du grand public que je désire être, animateur de ciné-club et profes­
seur de philosophie, le bon cinéma est un art et un plaisir et non pas le moyen de -rassem­
bler en une petite chapelle quelques snobs qui craignent avant to u t d’être suivis.
Et nous avons, je suppose, les uns et les autres, le droit de conserver notre position.
V euillez agréer, M onsieur, m es s a lu ta tio n s distinguées.
■ Gaston BELLE.
Fhilippeville.

Désolé* de perdre un abonné. Toutefois, signalons à M . Belle, s’il veut bien nous
lire encore, qu’un de ses collègues, notre ami Jean Domarchi, professeur d ’histoire du
droit à la Faculté de Dijon, n’a pas craint de retourner voir six fois V « ineptie » qui a
pour titre Une Etoile est née. Si les professeurs de philosophie nous accusent d ’accorder
trop de place à l ’érotisrae, les érotomanes en revanche nous reprochent de consacrer une
trop grande place à la philosophie. D iable, diable ! Mais tous les lecteurs ne sont pas
mécontents commt en témoigne cette lettre de sympathie, reçue parmi tant d ’autres, à
l ’occasion de notre cinquantième numéro :

M essieurs,

Je ne crois pas vain de vous adresser une lettre de sympathie à l’occasion de la sortie
de votre cinquantième numéro. J ’ai suivi les CaMers depuis leur naissance et je leur dois
d’avair peu à peu connu plus profondément la vie et les* tendances du cinéma, et, ce qui|
compte à mes yeux cent fois plus, la vie et les recherches des hommes d u cinéma. Je n ’in­
sisterai pas trop sur l’enrichissement général, et le regain de confiance, qu’apportent les
entretiens publiés d’hommes et d’artistes comme Renoir ou Rossellini.
Bravo donc, votre dynamisme ne se dément pas, votre matière est- toujours aussi
copieuse et riche, la revue n’û pas l’air de souffler n i de prendre de graisse, c’est excellent.
Il est un des points du petit journal intime à propos duquel je voudrais bien répondre
à Henri Agel (à propos de la présentation de Jeanne au Bûcher).
Oui, le ciné-club pourrit son homme, à moins qu’il ne le dessèche. J'avoue qu’un cer­
tain pseudo-intellectualisme, u n peu de snobisme, et beaucoup de psittacisme, m ’ont rendu
passablement sceptique quant aux possibilités de réaction d’une part importante du public
des ciné-clubs. Des gens trop adultes ayant très mal digéré et très vite toute sorte de no|ur-
rlture, et n'ayant pas souvent éprouvé, soit j eunesse, soit raidissement ■ ou dédain, _les
sentiments, idées, ou passion dont on les invite à débattre. Surtout ce Voyage en Italie /
Je l ’ai vu en V. O. Eh bien J je n'aurais pu en discuter dès la fin du film. Comprendre est
■une chose, on peut évidemment saisir aussi parfaitem ent que possible le cheminement de
cette crise. Mais il fau t surtout en éprouver en soi le remuement, que le ciœur ait le tempsj
Je défie quiconque n’a pas vécu profondément Tin semblable débat de trouver la force de
dire que c’est ça, que c’est vrai, que ce drame Interne qui tord, fibre par fibre, le corps et
l ’esprit de cet homme et de cette femme, c’est, sous le voile d’une pudeur muette, une
bouleversante et enrichîssïmte image de la vie, de notre vie.
Cela déconcerte, ce n'est plus du jeu, n i un problème à résoudre, il fau t être subtil et
en même temps plein de sang et de sève pour adhérer à une telle œuvre. A vingt ans, sauf
exception, on ne peut. H fau t avoir soutenu des luttes plus langues. A vingt ans ou à cin­
quante il fau t de la sincérité pour l’admettre, de la générosité pour y croire, et pas le cuir

57
trop dur, pas le cœur blasé. H fa u t aller vers le Jilm, y entrer avec une douceur brûlante,
non attendre à la porte. Alors, oui, c’est beau, c’est étemel.
E t que de rencontres, dans un tel film, qu’on ne sent pas toujours immédiatement, et
de symboles dont l ’homme n ’est pas toujours conscient dans l'immédiat, même si quelque
chose le solliciter et le trouble? D'une manière plus ample, plus largement orchestrée que
dans La Strada, une œuvre vivante et pleine de promesse se tisse et s’ébauche
Je suis jeune, moi-même, 27 ans. Il est vrai que la vie m ’a déjà comblé de ses atten­
tions, en bonheur comme en disgrâce, et cela m ’autorise sans regrets à m'exprimer comme
j ’ai fait. Rossellini, Renoir, ce sont pour moi plus que des amis, on peu t les appeler des
maîtres de vie, ils ont l’œil clair, le cœur Intelligent.
Je m’excuse de cette digression et vous renouvelle ma sympathie.
Daniel BRICON, PARIS.

Erotisme oa philosophie 7 L ’un n*exclut pas l ’autre, comme le prouve en une harmo­
nieuse synthèse Patrice H ovald quî dédie à notre rédacteur en chef affectionné cette décla­
ration... de sympathie aux beaux yeux d e notre chère comtesse :

POUR LES YEUX D’AVA,..

A J.-D.V.
..........Je t ’aime Ava, et ne me Tetlens pas de te le dire. Que m ’importe, peu m’importe
l ’histoire à laquelle tu es mêlée car ce qui seul me subjugue est le déplacement de ton corps
dans le cercle magique (qui est rectangle) de la cînëgraphie, est le mouvement le moindre qui
éveille de 10- torpeur dont l’éducation Fa accablée, la juanesque démarche qui ne permet ni
trêve à mon cœur, ni repos à mon corps et me livre à. l’incessante entreprise 'de vouloln
posséder cq qui ne le sera, Jamais et désirer en moi-même accomplir ce qui se dérobera
toujours,..

Je te hais, Ava, et ne me lasse point de te le dîr^, sachant que c’est ce qui rend ton
visage de bonheur translucide, connaissant aussi que c’est ce qui me contente.

C’est ainsi que Je te veux, Ava — et d ’oser te le dire, me différencie — dans la. n u it que
J’ai désirée pour mieux te voir, éteignant une à une les lampes aux clartés tlèdes qui brû­
laient depuis mon enfance, m’enfonçant toujours plus loin dans le trouble obscur qui Inonde
de sueur, glace l’&me pour une fois dévastée du critique qui ne fait face qu’à sa désespé­
rance, les ongles rentrés dans la paume enfiévrée de mains vides, triom phateur amer des
fantômes de ta n t de films, penché sur toi jusque à la perte des sens sans jamais rencontrer
ce qu’il souhaite le plus au monde, ce soir : la splendeur, immobile sur l’écran, immobile
enfin, pour sa seul© contemplation, la splendeur, Ava, de tes yeux.
Patrice G. HQVALD.

Pour une grande part de nos lecteurs parisiens, notre ami Jean Cheray n'est pas un
inconnu. Chaque mardi soîr, il apparaît tour à tour à nos yeux comme A pollon conduisant
en un chœur harmonieux de jeunes muses turbulentes, ou l'em pereur romain quî, d ’un geste
d u pouce, sauve ou perd sans appel tes rétiaîres ou les mirmillons. C ’est en vaîn q u 'au
Pâm asse, un hardi spectateur peut croire avoir raison de notre débateur. T rêve de gau­
drioles t laîssons-îe remettre sur la bonne voie — et nous avec —- la locomotive de
Désirs Humains, électrique pour les uns, Diesel pour les autres.

Cher D on iol-Val cro ze,


J ’ai reçu la visite d*un client américain, touriste de passage &. Paris; de son m étier con­
ducteur de rapides au « Chicago and Delaware Railway a; cet aimable et soucieux chemineau,
a absolument tenu & me fournir des précisions rectificatives formelles au su jet de la. contro­
verse « technlco-ferrovlalre », née à propos du film de F ritz Lang Human Desire. dans les

58
s Cahiers » (sa lecture favorite m’a-t-il affirmé, toujours en bonne place près de e& feuille de
route, et; qu’il lit et relit à chaque signal rouge). C© descendant de trappeurs français, gagné
aux transports modernes, m'afflrjua que la locomotive objet du litige de vo$ rédacteurs, est
en réalité, ni absolument une loco-êlectrique (pas de caténaire en effet) comme signalait le
juvénile premier « critique » dans sa crédulité profane ni entièrement une machine « Diesel
comme avait rectifié dans vos colonnes u n a petit copain » avide (et fort) d'exactitude. En,
fait, il s’agit d’un engin mixte — de plus en plus répandu aux U.S.A. sur les lignes non*
électrifiées où il remplace avantageusement la traction-vapeur —- à savoir u n e locomotive
* Diesel-Electrique » (groupe Diesel, entraînant des moteurs électriques; véritable petite usine
roulante).
Connaissant votre souci de vérité et d'exactitude, j ’ai cru devoir vous communiquer cette
précision — que vous pourrez contrôler comme Je l’ai fait — qui m et u n point' final à unr
problème qui avait cruellement divisé les cinéphiles, éprouvé l ’amour-pTopre des différentes
fractions de vos Jeunes collaborateurs et semé le doute dans pas mal d’esprits faibles et;
indécis.
Je suis sûr que c’est avec soulagement qu& vous porterez cette Information concluante à
la connaissance de vos lecteurs qui ne sauraient être plus longtemps détournés de leurs habi­
tuelles exégèses métaphysiques.
Heureux d’avoir ainsi apporté incidemment m a modeste contribution, croyea à mon habi­
tuelle et meilleure cordialité. .
je an I,, CHE&A.Y, Studio Parnasse,

P uisqu’on noua y iïivite, un peu de métaphysique pour terminer.

Monsieur le Rédacteur en Ohet,


Je voudrais vous dire, en ta n t que fidèle lecteur des y Cahiers » e t admirateur* de
rçeuvre hitchcocisiienne, la. satisfaction et aussi la déception que J’ai éprouvées en lisant
la lettrç signée J. M. que vous avez publiée dans votre numéro 50.
Satisfaction, parce quft, mon sens, cette lettre ouvre enfin le vrai débat sur Hitchcock
en le plaçant d’entrée de jeu sur son véritable terrain, qui est celui de la théologie. Décep­
tion, à cause d’une curieuse infidélité &. son. propos dont témoigne votre correspondant, et
que je me retiens difficilement de rapprocher de son appartenance à la Société de Jésus.
RT. J. ML, écrit très justem ent Que la' position de Hitchcock est aux antipodes du puri­
tanisme..., mais c ’est pour ensuite la rapprocher de celle, supposée» d’un Bovrdaloue, en lui
accolant avec constance l ’épithète de « morale ». Au passage, votre correspondant semble
reprendre à son compte la confusion habituelle entre puritanisme et jansénisme, ce qui
nous ramène à de* querelles que l’on espérait dépassées. A utant il me semble absurde de
parler d ’un puritanism e de Hitchcock, au tan t il me parait légitim e et nécessaire d’évoquer
à son propos la théologie. Binon peut-être de Port-Royal et de Pascal (encore que l’Entretien
avec M. de Sacy...), du moins de Saint-Cyran, de Jansênius, et, pour aller to u t de stuite
a.u fonji des choses, de saint Augustin lui-même,
ÏSn effet il me semble que l’attitude de Hltch en face de ses héros ne relève pas pitfc
d ’une éthique du MaJ, (comme celle de Fritz Ijang) que d’une sociologie du crime (comme
celle de Hawks dans SçaYjace) (1), mais bien d’une métaphysique du péché, métaphysique
qui, dans quelque perspective que l’on se place, renvoie à une dialectique de la grâce. Car
le péché suppose la grâce to u t autan t que la grâce suppose le péché, et cette affirmation
irréprochablement orthodoxe contient peut-être, dépouillée de tous ses aspects polémiques,
l’essentiel de la, théologie janséniste dans sa fidélité rigoureuse an christianisme, comme le
dém ontrait récemment M. Orcibal dans ses conférences à l’Ecole des Hautes Etudes.
Il me semble que Hitchcock n’est pas -un « moraliste prodigieux » pour cette bonne raison
qu’il n ’est pas moraliste, et surtout pas moraliste de la tradition classique française, toute
nourrie de casuistique, mais métaphysicien (2).
Son humour même est métaphysique : c'est l ’humour, anglais au sens noble, d’un John
Donne ou d’un Marvell. C’est trop peu dire qu’il ne méprise pas ses héros : il ne les con­
damne même pas, parce qu’il voit en eux les porteurs d*un péché dont ils sont responsables
avant même d’en assumer explicitement la culpabilité, et parce que le crime qu’ils commet­
tent, ou qu'ils sont supposés commettre, n’est jamais que la résurgence ou le pâle reflet
de la Faute originelle.
On n ’a pas assez remarqué, par exemple, que le véritable coupable de Rear Win&ow, celui
dont Hitchcock se réserve de nous montrer le châtim ent final, n ’est pas le « criminel » mais
bien le témoin, le « voyeur », pavce que c’est lui qui commet le vrai péché : le péetLé de
connaissance. On pourrait retrouver dans ce film extraordinaire une illustration point par

(1) Et moins encore, faut-il le dire, d'une mythologie du Fatum, comme celles de Huston
ou du Becker de Touchez vas au Grisbi, ou de divers moindres seigneurs, tous rapetasseurs
de tragédies antiques. Hitch. a trop profondément le sens — chrétien — de la destinée, pour
se laisser prendre, comme u n Grec superstitieux, au mythe du Destin.
(2) ce aui expliquerait peut-être l ’indifférence avec laquelle il accueillit, dans divers
interviews, les questions délibérément morales de ses admirateurs. Ces questions passaient,
non pas au-dessus de lui, comme on l’a cru parfois, mais au-dessous de son œuvre.

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point du récit de la Genèse, en particulier dans cette analyse du couple, caractérisé non par
Térotisme (qui dit érotisme dit satisfaction), mais par l'insatisfaction sur tous les plans, y
compris celui de l ’érotisme. Les deux amants sont enfermés dans u n bonheur dont ils ne
savent pas jouir (le Paradis Terrestre), et auquel ils cherchent des dérivatifs significatifs
(elle, dans la coquetterie, lui. dans la gourmandise) avant de trouver la véritable tentation,
la tentation biblique, FArbre de la Connaissance. Tout y est, Jusqu’à l ’image de la chute, que
Hitch nous m ontre en la prenant impitoyablement au pied de la lettre, Jusquau rôl© perver-
tisseur de la Femme, éludé avec subtilité jusqu’au moment où il éclate : et c’est à ce
moment seulement que la tentation devient irrésistible. Alors les deux amants sont unis,
non pas dans l’amour, qui n ’existe que pour les aveugles (« Si Dieu existe, c’est lui q u ’il
fau t aimer, et non pas ses créatures »), mais dans la complicité dérisoire du Péché. Alors ils
semblent s’embrasser, ils s'embrassent en effet s à- la surface de l ’être », mais au plus
profond de l’être ils n ’étreignent que leur déchéance, leur misère et leur néant, « Alors, ils
virent qu'ils étaient nus. »
D’une façon plus enveloppée peut-être mais to u t aussi claire, des fUms comme Rehecca
ou Suspicion nous renvoient de la faute terrestre au péché originel en nous m ontrant la
culpabilité de l’homme strictem ent coexlstensive à la curiosité de la femme. Ce n ’est pas,
je pense, un paradoxe, de dire que Laurence Olivier ne serait pas rétrospectivement coupable
du meurtre de Rebecca si Joan Fontaine ne s’obstinait à vouloir percer le mystère de sa
mort. Et quest-ce que l ’intrigue de Suspicion, sinon un g démonstration implacable de la
liaison entre le soupçon e t le crime, entre la connaissance et la Faute, au point que le renon­
cement à l’une abolit jusqu’à l’existence probable de l ’autre ? .
On pourrait sans doute Invoquer au tan t d’exemples qu’il existe de films de Hitchcook,
car la logique et l’obstination dans son propos sont bien les caractéristiques essentielles de
ce cinéaste. Souvenons-nous seulement que les criminels de Rove sont entraînés au crime
non par l ’appât du gain mais par la tentation d’une théorie, et que les dernières Images
nous m ontrent l'intellectuel — le vrai responsable — enfin convaincu que toute théorie
vient de Satan.
Comment dès lors distinguer, parmi les victimes et les bourreaux, des coupables et des
Innocents ? Le crime n'est jamais parfait parce qu’il est toujours réversible (c’est la leçon
explicite de Dial M. foY Âîurder), e t il n ’est réversible que parce q u ’il est universel. Les
assassins chez Hitch ont presque toujours, u n charme que rien ne dément. Quoi q u ’ils
fassent, ils sont « sympathiques », constate le public, et c’est justice, puisqu’ils ne sont pas
plus réellement coupables que les prétendus Innocents, Qu’on se souvienne de cette image
ae Strangers on a Train, la plus atroce et la plus belle peut-être de toute notre cinémathèque
imaginaire : à quelques Instants de commettre son « crlmç », l’assassin s’offre le luxe g ratu it
de faire éclater avec sa cigarette le ballon de baudruche d’un enfant. E t cet enfant privé
brutalement de sa joie enfantine tCume vers lui (vers nous) u n visage où ne s’expriment
ni la colère ni même la surprise : comme s'il savait bien q u ’il a mérité cette mauvaise
plaisanterie. Et en effet, cet « innnocent » n ’avait-il pas. une seconde auparavant, brandi
vers son « bourreau » l’arme dérisoire et symboliquement agressive d’un pistoîet-pour-rtre ?
Allons, il n’y a pas de coupables parce qu’il n ’y a pas d ’innocents, c'est ce que nous enseigne
dans u n raccourci foudroyant une Image que le sens commun (j’en al fait l ’enquête)
s’accorde à juger <r invraisemblable ».
H me semble que cette « moralité » qui au sens vulgaire du terme n’en est pas u n e se
rattache à la plus pure et la plus rigoureuse tradition de la métaphysique chrétienne (1).
Tradition qui n ’est pas, certes, celle, abâtardie, pervertie, moralisante, du puritanisme e t du
protestantisme tout entier, pas non plus celle de la casuistique mondaine des jésuites fra n ­
çais du XVII* siècle justem ent fustigée par Pascal, mais qui n ’est celle du jansénisme <iue
par u n hasard de l’histoire religieus'e. Cette tradition est celle de Saint Thomas comme de
Saint Augustin. Elle enseigne qu’on ne ruse pas avec le Péché, que la dialectique de la
chute et de la grâce ne s’ouvre que sur l’horizon sans échappatoire du Jugement Dernier,
celui qui apparaît à la dernière image de tous les films de Hitchcock, et vers lequel ses héros
s’avancent avec le sourire. Et pourrons-nous jamais savoir si ce sourire exprime la résignation
à lEnfer, ou la certitude du Pardon ?
Inutile, je pense, d’insister sur les leçons que notre monde moderne pourrait tirer d ’une
réflexion sur ces thèmes, ici encore l’actualité terrifiante de Hitchcock ne fait que refléter
l’actualité plus terrifiante encore du christianisme.
Il y aurait beaucoup plus à dire sur tous ces sujets. Mais il nie semble que l’exégèse de
l’œuvre de Hitchcock ne fait que commencer, et les Cahiers du Cinéma y contribuent avec
une juste passion. Je vous serais plus que reconnaissant de bien vouloir insérer cette lettre,
malgré son caractère agressivement partisan, parce qu’il me semble que ces choses doivent
être dites, et que votre revue est la seule où l’on puisse le dire.
Veuillez croire, Monsieur le Rédacteur en chef, à mes sentiments les plus respectueux.
Gérard GENETTE, Paris.

Nous n’avons pas voulu faire de coupes dans cette fort brillante démonstration, qui
semble mettie vn point final à ce chapitre de l ’exégèse hitchcockienne.

(1) Ici iencore on pourrait voir une des raisons pour lesquelles Hitch se défend d’apporter
u h « message >;■. Ce n ’est à proprement parler qu’u n message : c’est le message divin. Et
toute œuvre humaine ne fait qu’illustrer, vulgariser ou travestir ce message. Hitch peut bien
dire quil ne songe qu’à raconter des « histoires ». Oui, mais chaque histoire paraphrase
l ’Histoîre, la tragédie humaine, qui est une divine comédie.

60
FILMS SORTIS A PARIS DU 14 SEPTEMBRE AU 21 OCTOBRE 1955

(33 film s)

7 FILMS FRANÇAIS
Chantage, film de Guy Lefranc, avec Raymond Pellegrin, Magali Noël, Léo Genn, Georges
Chamarat, Michel Etcheverry. Noël Roquevert. — Derniers sursauts -— on l’espère — d ’un
genre épuisé. Pourquoi ce préam bule hypocrite? Q uand on raconte un e histoire de chantage,
on raconte une histoire de chantage ; il n ’y a pas besoin de s’excuser avant.
Chiens perdus sans colliers, film de Jean Delannoy, avec Jea n Gabin Jacques Moulières,
A nne Doat, Serge Lecointe, Jimmy Urbain, Dora Doll. — L ’enfance délinquante, ses pro­
blèmes que ne sait pas très bien comment résoudre un juge bon enfant et sans illusion.
Les Mauvaises Rencontrer, film d'A lexandre Astruc, avec A nouk Aimée, Jean-Claude
Pascal, Claude Dauphin, Philippe Lemaire, Yves Robert, Gaby Sylvia. — V oir la critique de
Jacques Rivette dans ce numéro, page 45.
Les Nuits de Monimartre, film en Cinépanoramic et en Eastmancolor de Pierre Franchi,
avec Jean-Marc Thibault, Geneviève Kervine, Louis Seigner, Jacqueline Porel, Bernard Lajar-
rige, D inan. — Ciel! que tout cela est faible et sans intérêt 1 Le Cinépanoramic qui est un
bon procédé sem ble voué aux mauvais films.
Je suis un sentimental, film de John Berry, avec Eddie Constantine, Bella Darvi, Paul
Frankeur, Olivier Hussenot, Cosetta Greco, Aimé Clariond. — Agréable, amusant et anti­
flic, ce qui est sympathique. John Berry déborde de vie, presque trop. U n peu plus de rigueur
ne nuirait pas au fil dramatique de ses récits.
Les H om m es en blanc, film de Ralph H abib, avec Raymond Pellegrin, Jeanne Moreau,
Jean Chevrier, Fernand Le doux, Jean Debucourt, Robert Porte, Mary Marquet, Bernard Dheran,
Christian Marquant, Olivier Hussenot. — Le best-seller <le Cesbron devenu film ou comment
un jeune docteur parisien devient médecin de campagne. ^
Les Aristocrates, film de Denys d e la Patellière, avec Pierre Fresnay, Brigitte Auber,
Jacques Dacquime, François Guérin, A lain Quercy, Georges Descrières, Maurice Ronet,
Yolande Laffon. — Un a aristocrate » et ses enfants, a. Les Célibataires » de Montherlant, ç»
c’était la noblesse.

15 FILMS AMERICAINS
Rtm for Coüer (/I l’ombre des potences}, film en Technicolor et en VistaVision de Nicholas
Ray, avec James Cagney, Viveca Lindfors, John Derek, — Voir la critique de Philippe
Demonsablon, page 4 /.
Chicago Syndicale {Meurtres à responsabilité limitée), film de Fred F . Sears, avec Dennis
O ’ Keefe, A b be Lane, Paul Stewart, X avier Cugat et son orchestre. —• Très faible film poli­
cier. Sans intérêt.
Bad day ai hlacfc R odz {Un H om m e est passé), film en CinémaScope et en Eastmancolor
très intéressant dont toutes les clés sont anthnacarthystes. La mise en scène est inégale et
de John Sturges, avec Spencer Tracy, R obert Ryan, A nn Francis, W akter Brennan. — Film
Spencer Tracy un peu monolythique, mais on suit ce récit avec passion et l’emploi du Cinéma­
Scope est plusieurs fois remarquable.
20.000 Leagues under the Sea {20,000 Iieu.es sous les mers), film en CinémaScope et en
Technicolor de W alt Disney, avec James Mason, Kirk Douglas, Paul Lukas, Peter Lorre. —
Un des plus beaux rêves d e notre enfance, une admirable histoire. IWalt Disney s’en est
assez bien tiré.
T he Priuafe War oj Major Benson (La Guerre privée du Major Benson), fiïirk en T echni­
color de Jerry Hopper, avec Charlton Heston, Julie Adams, fWilliam Demarest. — U n « dur *
met au pas les enfants de troupe. T out cela est mollement raconté.
Daddy Long Legs {Papa longue® jambes), film en CinémaScope et en Technicolor de Jean
Negulesco, avec Fred Astaire, Leslie Caron, Terry Moore, T helm a Rïtter. — « Remake »
assez faible d ’un e historiette qui a vieilli. Les ballets de Roland Petit sont bons et l’exquise
présence de Leslie Caron perm et de tenir le coup.
T h e Sea Chase (Le Renard des Océans), film en CinémaScope et en Technicolor de John
Farro'W, avec J o h n W ayne, Lana T urner, D avid Farrar. — Politiquement assez ambigu. L a mise
en scène de Farrow est bonne.
Captain Lightjoot {Capitaine Mystère), film en CinémaScope et en Technicolor de Douglas
Sirk, avec Rock Hudson, Barbar Rush, Jefï Morrow, Kathleen Ryan, Finlay Currie. — One
charmante vieille histoire d ’amour et d ’aventure en Irlande. Poétique et bien fait.

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. Martÿ, film, de D elbert M ann, avec Ernest Borgnine, Betsy Blair, Esther Minciotti, A ugusta
Ciollu —« V oit la critique de ce film dans notre numéro 50.
Misteii Roberis {Permission jusqu?à l'aube), Hlm en CinémaScope et en Eastmancolor de
ohn Ford et Mervyn Le Roy, avec Henry Fonda, James Cagney, (William Powell, Jack
i ,emmon, Betsy Palm er, W ard Bond, Phil Catey. •— L 'équipage d ’u n cargo am éricain pen­
dant la dernière guerre. Chacun a sa petite histoire. C’est du Ford moyen, solide m ais assez
terne.
Three Houtfs ta Kill {Trois heures pour tuer), film en Technicolor de Alfred W erker, avec
D ana Andrews, Donna Reed, Dianne Foster. — iWestern. La vieille histoire de l’hom m e qui
revient pour démasquer l’assassin qüi l ’a laissé accuser.
Underwater [La Venus des Mers chaudes), film en Superscope et en Technicolor d e John
Sturgeg, avec Jane Russell, G ilbert Roland, Lori Nelson, Richard Egan. D eux couples
cherchent un trésor dans l’êpave d ’un e vieille càravellfe. Jané Russell -est une chaude V énüà.
Slrcdegic  ir Com mand, film en Technicolor et én VistaVision de Anthony M ann , avec
James Stewart, June Allyson, Frank Lovejôÿ. —< Il est curieux que très Souvent, à u n certain
mom ent de sa carrière hollÿwoodiennfe, uti très bon metteur en ècène *—1- comme A nthony
Mann, par exemple — soit am ené à faire u n film dé propagande pour l’aviation. C e n ’était
pas u n sujet poür A. Mann. Quoi q u ’il en soit, la Vistavissûn (telle qu elle est pro jetée aU
Paramount) est absolument sensationnelle.
Easl t>f E dsn (A l’Est d ’Eden), film en CinémaScope de EUa Kazan, avec Julie Harris,
Tames Dean, R aymond Massey, Burl Jves, Richard Davaîüs, A lbert Dekker. —* U n des m eil­
leurs scénarios q u ’ait utilisé iKazan èt sans doute le meilleur film de KaZàn. V oir la critique
dans notre prochain numéro.
Siïver Lode (Qüofre étrangeis cavaliers), film en Technicolor dé A lan Dwan, avec Johti
Payne, Lizabeth JScott, Dan Duryea, Harry Carey, A lan Haie. —■- Encore une histoire d ’hom m e
accusé à tort. Grâce à A lan Dwan, c’est u n excellent film.
3 FILMS ITALIENS
La Sc&icco Bianco {Courtier du cceur), film de Federico Fellini, avec Alberto Sôïdi, Bru-
nella Bovo, Giulietta Masiiia, Leopold Tïieste. — Le deüxime film de Fellini, A ttachant et
talentueux. V oir la critique dans notre prochain miméïo,
A ngela {Àngela a-t-elle^ tttêP), film de É . Anton, avec Rossano Brazfci, Dennis 0 ‘iCeefè,
Mara Lane, A rnoldo Foa, Enzo Fiermônte. — L ’amour peut conduire au crime. O n le savait.
Angela hoUB le prouve une fois dê plus sans nous captiver potiï aatant.
Am otîr et Passion de V erdi, film italien en Ferrànîacolor de Rafaôllo Matarazzo, avec
Pierre Cressoy, Anna-Maria Feirero, Gaby A ndré, Tito Gobbï, — Il y a de la belle m usique.
2 FILMS ANGLAIS
T h e Constant H ushand {Un Mari [presque] fidèle), film en Eastmancolor de Sidney Gïl-
liatt, avec Rex Harrison, Margaret Leighton, îCay Kendall, Nicole Maurey» — O ù e st le
GilliaU de / aee à darft Sirünger. Ici la situation de dépatt est drôle... et après tout se gâte
Tremble in ihe Glen {R êvolie dans la vallée), film en Technicolor de H erbert W ilcox,
avec Orâon W elles, Matgàtet Loekwood, Forrest Tuckerv Victor McLaglen, John McCaHum. —
L ’arrivée d ’Orson iWelles gème lé trouble dans un village écossais. Le spectateur reste calm e.
3 FILMS ALLEMANDS
Am iral Canaris {L’A m iral Canaris), film de Alfred W eidmatin, avec O.Ë. Hasse, Barbara
R untting, A drien Hoveïi, Martin Held. Etonnante épopée. Assea discrètement ïfiîs en
scène.
D er Leizte A k f {La Pin de Hitler), film de G .W .P a b sï, avec A lbin Skoda, W illy K rause,
HefXïian Erhardt. — V oir la critiqué dé Jacques Sielief dans notre prochain numéro.
L e Tzarepitch, fitm en Agîacolor d e A rthur Maria Rabenaldt, avec Luîs Mariant», Sonja
Ziem ann, Ivan Petrovitch, Maria Sebaîdt, Hans Ritcher. — D ’aptes Un roman d e Lïlis Mariatiû, s
Sans commentaire.
1 É1LM AUTRICHfEN
Sym phonie eines leb&ns (La Sym phonie d ’une nie), film de Hans Ëertram, aVec H arry
Baur, Hetmy Porten, Gisela tJhlen et les Petits Chanteurs de V ienne. —■ L a vie d ’un musicien.
Le dernier film de Harry Baitr. C 'était un acieur.
2 FILMS ÊSPACNÔLS
Comicos (Les Comédiens)v film de J-A, Bardem, avec Christian Galve, Fernando Rejr,
Emma Penella, Rosario Garcia Ortega, Carlos Casaravîlîa. — Voir critique dans ce num érd.
page 50.
L a Fvtgitif d'Anûers, film de Miguel Iglesias, avec Howard Vérnon, A nùuk Ferjac, José
Marco. — Flics et gangsters se disputent un diamant.

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JACQUES DONIOL-VALCUOZE

LE§ PORTEE
DU BAPTISTÈRE
roman

E d itio n s D cnoël, 19, ru e A m é lie - P a r is (V IIe)


U n volume, format 12X19, 192 pages ; 450 fr.
10 ex. sur pur fil Lafum a Navarre : I .350 fr.

ÂU SOMMAIRE DE NOS PROCHAINS NUMÉROS


ANDRE BAZIN : Evolution du Western.
JACQUES BECKER : Vacances en novembre (scénario inédit).
ROBERT BRESSON et JEAN COCTEAU : Les Dames du Dois de Boulogne.
CLAUDE CHABROL : Evolution du film policier.
JEAN D0MARCH1 : Evolution de la Comédie Musicale.
JACQUES DONIOL-VALCROZE e t JACQUES RIV E TT E : E n tr e tie n a v ec J e a n C octeau.
LOTTE H. EISNER : N otes s u r S tro h e im .
PAUL GUTH : Après « Les Dames ».
FEREYDOUN HOVEYDA : Grandeur et décadence du Sérial.
RIERRE KAST e t FRANCE ROCHE : E n tr e tie n avec P re sto il S tu rg es.
JEAN-JACQUES K1M ; Orphée et le Livre des Morts TMbétains,
F R IT Z LAN G : Mon expérience américaine.
ANDRE M A R T IN : Alexeff ou le cinéma non-euclldlen.
PIERRE M l CHAUT : Méthode et illustration, du schéma animé.
M AX OPHULS : Mon Expérience Cinémascopique.
JEAN RENOIR : Le C œ u r à Taise.
JACQUES R IVE TT E et FRANÇOIS T R U F F A U T : Entretien avec Howard Hawks; Entretien
avec Max Ophuls; Entretien avec Eric Von Stroheim.
EMMANUEL ROBLES : En travaillant avec Luis Bunuel.
ERIC RQHMER : Redécouvrir l’Amérique,
ROBERTO ROSSELLINI : D ix a n s d e C iném a.
MARY SEATON : E isenstein.
FRANÇOIS TRUFFAUT : La Politique des Auteurs.
E t des textes de : Alexandre Astruc, Michelangelo Antonioni, Claude Autant-Lara,
Marcel Camé, Renato Castellani, René Clair, René Clément. Clouzot, je an Cocteau, Federico
Fellini, Roger Leenhardt, Marcel L’Herbier, Josept Von Sternberg, Jacques Tati.,., etc.

LE 20 DECEMBRE NOTRE NUMERO SPECIAL : SITUATION DU CINEMA AMERICAIN

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V<^ A ^V dM Â & l %flf)AM/Z/\fi>$, 4Wi&?hClfX ^C C & tvî,


^ îW v C Ü ifify. d-C C&4 W +$a & \4 •

Secrétaire de Production - Scrîpf-.Gir/. - Assistant metteur en scène -


Caméram an - Scénariste dialoguiste - Journaliste de Cinéma, etc...

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43 RUE L A F FI T TE • P A R I S - 9 *
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CAHIERS OU C IN É M A
Revue mensuelle du cinéma
— et du télé-cinéma —
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b DONIOL-VALCROZE et LO DUCA
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1819-1955

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de 1955 souscrit des contrats d ’assu­
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