Revue Mensuelle Du Cinéma - Janvier 1956

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R E V U E M E N S U E L L E D U CINÉM A • J A N V I E R 1956 ★

Jack Palance l ’inoubliable Attila du S i g n e d u P a ï e n et l a délicieuse Barbara


Rush sont les romantiques interprètes du Technicolor U n i v e u s a t .,'RÏjTTGRF,,
tiré du best-seller de J. Lauritzen The Rose and the Flame.
kl H; ~£~ =' l® !

LA TABLE DES MATIERES


COMPLÈTE
DES CAHIERS DU CINÉMA
N° I à 50

EST
PARUE
.

UN DOCUMENT UNIQUE 1- j V -
: k \
Un indispensable in strum ent de travail
V éritable Encyclopédie
de quatre années de cinéma

'k
C lcssem cn t p a r : A u te u rs - M e tte u rs en scène - C in é a ste s
d i v e r s - Bio- fil mo gr aph ie s - T e c h n i q u e s n o uv e ll e s - C o u l e u r -
S u . e t s de f il m - T é l é v i s io n - Livres d e C i n é m a - C i n é m a s
n û t i o n a u x - Irrdex d e s films.'

1 volume — 6 4 pages — form at 1 8 X 2 6

Prix : 350 francs.

Peur nos abonnés : 250 francs.

En vente aux Cahiers du Cinéma


et dans les librairies spécialisées

...
Cahiers du Cinéma
NOTRE COUVERTURE
JANVIER 1956 TOME X. No 5&

SOMMAIRE
La Rédaction ............. Editorial ................................................................. 3
Les dix meilleurs films de l'année ...................................................... . •.. 6
Roberto Rossellini ___ Dix ans de Cinéma (III) ................................. 9
Max Ophuls ................ L’A rt trouve toujours ses voies ..................... 16
ORDET, de Cari. Th, Dreyer. Jacques AutHberti . . . . . Billet XIV ........................................- • ............... 20
Cet adm irable film qui a
rem porté a u Festival de Ve­
nise le grand Prix (Lion d ’or)
rem porte actuellem ent à Paris
u n très grand succès. (Voir la Les Films
critique de ce film dans ce
numéro page 25.) (F ilm s Eric Rohmer ................. Une.AÎcejste chrétienne (Ordet) ................... ...25
M a rc e a u .)
François T ru ffau t ---- Lola au bûcher (Lola Montes) ..................... ...28
Philippe Demonsablon. Les Questions (Lola Montes) ............................31
Jean-Yves G oûte ........ M ettre en suspense (To Catch a Thief) . . . 32
André Bazin ................. Beauté d’un western (The M an F rom La-
A v e r t is s e m e n t ramie) .......................... ........... .......................... ...33
Vu la nouvelle formule Philippe Dcmonsalbon. La Parole (Blackboard Jungle) ..................... ...36
adoptée de publier des tables Jean Domarchï ........... H um anism e de R ichard Brooks (Blackboard
de m atières complètes, nos Jungle) .................................................................39
lecteurs ne trouveront pas de
Pierre K ast Le Billet de retour de F ernand Cortes
table des m atières sommaire (Raices) ............. • ................................................40
du Tome IX dans ce numéro.
La prochaine paraîtra pour le
num éro 60.

Herman G. Wcinberg. L ettre de New-York .............................................42


J. D. V............................. La Semaine du Cinéma soviétique à Paris. 44
Adriah Scott ............... Historique dt la Liste Noire (II) ................. ...45
Lotte H. Eisner ........... Trois livres sur trois acteurs allem ands . . . 51
Le dossier de presse de Lola Montes ........................................................... ...55
Films sortis à Paris du 16 novembre 1955 au 10 janvier 1956 ........... ...5&

CAHIERS DU CINEMA, revue mensuelle du Cinéma et d u 'l'êlé-clnéma*


146, Champs-Elysées, PARIS (8e) - Elysées 05-38 - Rédacteur* en chef :
André Bazin, Jacques Doniol-Valcroze et Lo D u ^ a .
ATTENTION : Ne manquez Directeur-gérant : L. Keigel,
Ras de prendre page 24,
LE CONSEIL DES DIX. Tous droits réservés -— Copyright by les Editions de l’Etoile.
EDITORIAL

Un grand nombre de lecteurs nous o n t envoyé leurs vœux. Q u’ils


trouvent ici nos remerciements, nos m eilleurs souhaits pour 1956 et l'assu­
rance que leur amical soutien est à là^ fo is notre fierté et notre meilleure
justification à l'égard de ceux qui nous critiquent.

L e bulletin de santé des Cahiers est bon. Dire que nous roulons sur
l'or serait exagéré, mais nous roulons et cela est ressentie!. Près de deux
cents abonnés nouveaux et une augm entation sensible de notre chiffre de
vente nous perm ettent d’augurer de Vavenir avec optimisme. N otons en
passant que nous avons enregistré le m ois dernier nos trois premiers
abonnés soviétiques. A vec les d eu x services que nous faisons à nos amis
Y o u tkevitch et A lexandrov, plus celui que vie n t de nous demander la Voks
(Service des relations culturelles), cela porte à six le nombre des Cahiers
du Cinéma qui prennent chaque m ois le chemin de VU.R.S.S. Cette contri­
bution à la détente internationale est mince mais sym boliquem ent agréable.

N otons aussi que nos frais de fabrication ont considérablement aug­


m enté cette année et que néanmoins nous nous refusons à augmenter notre
p r ix de vente, sachant bien que, pour les jeunes et bien d ’autres, deux

3
cent cinquante francs constituent déjà une petite scfmme. M oralité : abon­
nez-vous. Cela vous coûtera m oins cher, tout en facilitant notre tâche.

N ous avons, durant Vannée 1955, cherché délibérém ent à rendre les
Cahiers plus vivants, moins abstraits : davantage d’articles de réalisateurs,
contacts plus directs avec le cinéma par la série de nos « E n tretien s »,
filmographies, dossiers de presse des films controversés, courrier des lec­
teurs, « Conseil des d ix », « Journal intim e » rédigé à plusieurs, etc...
Enfin vient de paraître une Table des M atières de nos cinquante prem iers
num éros qui constitue un véritable guide à travers la production ciném a­
tographique depuis quatre ans. Cette politique de contact plus étroit avec
le lecteur et le cinéma se poursuivra cette année.

Dans notre éditorial de janvier de Vannée dernière, nOus annoncions


beaucoup de bons films pour Vannée 1955. N ous ne nous étions pas trom pés,
encore que nous étions en avance de quelques titres, puisque le public n’a
pas encore vu M onsieur Arkadin de W elles, Senso de V isconti, Moby D ick
d’H usion, Les H auts de H urlevent de B unuel, Carmen Jones de P rem inger
e t plusieurs films de Rcfssellini. La moisson de Vannée 1955 n ’en est pas
moins restée tellem ent abondante que le p e tit référendum que vous trou-
vrez page 6 a posé à ses auteurs des problèm es véritablem ent cornéliens.

U année dernière nous souhaitions bonne chance à Cinéma 55 qui


naissait et à P o sitif qui s’installait à P aris. La première nommée de ces

4
revues a pris un bon départ et la. seconde, s i sa situation demeure difficile,
a conservé l’esprit m ordant qui fa it son intérêt* L ’une oo'mme l’autre ne
nous ont pas épargné cette année les sarcasmes ni les critiques, suivies en
cela par d ’autres organism es et d’autres critiques.
Comment dire sans vexer personne — et surtout d’aimables et sym pa­
thiques confrères — que nous en avons vu d’autres, que nous savons, nous
aussi, faire notre autocritique et, qu’à la lim ite, les plus objectifs de no's
juges reconnaissent que nous jouons un rôle nécessaire « d’excitant ».
D ’autres sont m oins tendres et leur m épris ne s’embarrasse d’aucune
politesse.
A u x plus nuancés nous répondrons avec Valéry : « T o u t ce que l’on
dit de nous est faux; mais pas plus faux que ce que nous en pensons.
Mais d'un autre faux. »
A u x intraitables, nous répondrons, toujours avec V aléry : « P o u r un
témoin suffisamment éloigné, l'injure ne se fixe pas au point où elle est
adressée : chaque crachat décrit une courbe fermée. »

LA R E D A C T IO N .

Dans notre prochain numéro nous publierons un Entretien avec Howard Hawks,
accompagné d’une Filmographie complète de ce réalisateur. Voici, durant cet entretien,
réunis autour du précieux magnétophone (de gauche à droite) : François Truîfaut,
Howard Hawks, Jacques Rivette, et... Jacques Becker, aimablement transformé
en « interviewer ».

5
La postérité en jugera-t-elle de m êm e?

LES DIX MEILLEURS FILMS


DE L’ANNÉE
L e s voici selon, dix-sept de nos am is et collaborateurs à qui nous aoions c o m m u n iq u é la
liste des /t7ms sorrïs à P a n s entre 1er janvier ef le 31 décem bre 1955.

i H en ri A gel. -— 1. V oyage en Italie; 2. La S tra d a ; 3. Lola M ontes; 4. O rdet ; 5. Lourdes


e: ses m iracles; 6. Le Sel de la terre ; 7. Les M auvaises Rencontres; 8, L e Scheilc b lan c ;
9. La Comtesse aux pieds n u s; 10. C ontinent perd u.

j4Iexancfre ^ s f r a c . — 1. O rdet, V oyage en Italie; 3. Le G rand C o uteau; 4. Lola M ontés;


5, Bronco A p a c h e ; 6. En quatrièm e vitesse; 7. L a Comtesse aux pieds n u s; 8. F enêtre sur
cour; 9. FrencH C ancan; 10. La. Strada. ■ ■

Jacques A u d ib erti. — 1. Lola M ontés; 2. La Mort d ’un cycliste; 3. L a S tra d a ; 4. L es D ia ­


bo liqu es; 5. L e G ran d C o u te a u ;- 6. Le. Dernier P o n t; 7. A l'est d ’E den ; 8. Bronco A p a c h e ;
9. Fem m es d am n é e s; 10. Les Mauvaises -Rencontres.

6
A n d ré Bazin. — 1. O rdet ; 2, L a S tra d a ; 3. V o yag e en Italie; 4. Le G ran d C outeau; 5.
French C an can; 6. Lola M ontés; 7. L ’O r de N aples; 8. Du Rififi chez les hom m es; 9.
L ’H om m e de la plain e; 10. Les Mauvaises R encontres.

Charles Bitsch, —■ 1. O rdet ; 2. V oyage en Italie; 3. La Main au collet; 4. Le Crime


était presque p arfait; 5. Fenêtre sur cour; 6. Les Mauvaises Rencontres; 7. Le G rand C ou­
teau; 8. Johny G uitare; 9. La Comtesse aux pieds n u s; 10. La T erre des Pharaons.

Pierre Braunbcrger. — 1. O rdet ; 2. L e G rand Couteau ; 3. La Strada ; 4. Lola Montés ;


5. Fenêtre sur cour; 6. French C a n ca n ; 7. Les Mauvaises Rencontres; 8. Du Rififi chez les
hom m es ; 9. Le Scheik b lan c ; 10. L e D ern ier Pont.

Claude Chabr'ol. -— I. V oyage en Italie, Fenêtre sur cour. Le G rand Couteau-, 4. O rd e t;


5. Les Mauvaises R encontres; 6. Lola M ontes; 7. Graine d e violence, En quatrièm e vitesse;
9. L a Comtesse aux pieds nus, L a Main au collet.

Philippe D em onsablon. — I. V o yag e en Italie; 2. Le G rand Couteau; 3. O rdet; 4, Johny


G uitare; 5. Fenêtre sur cour; 6. La Comtesse aux pieds n u s; 7. Graine de violence; 8. Lola
M ontés; 9. Les Mauvaises R encontres; 10. Désirs hum ains.

Jacques Doniol-Valcroze. .— 1. O rd e t; 2. V oyage en Italie; 3, Lola M ontés; 4. Les M au­


vaises R encontres; 5. Le G rand C outeau; 6. F ehêtre sur cour; 7. La Comtesse aux pieds nus-;
8. Du Rififi chez les ;hom m es ; 9. French C a n c a n ; 10. Comîcos.
t

Pierre Kasi. — 1. La Mort d 'u n cycliste; 2. R acines; 3. Le G rand C outeau; 4. En q ua­


trièm e vitesse; 5, Lola Montés-, 6. D u Rififi ch ez les h o m m e s; 7. L e Scheik b lan c ; 8. La
S ira d a; 9. L ’O r de N aples; 10. Les Mauvaises R encontres,

A d o K yro u . — [. Elu qu atrièm e vitesse; 2. L e Sel de la terre; 3. D u Rififï chez les


hom m es; 4. Graine de violence; 5. La Mort d 'u n cycliste; 6. Racines; 7. Les Sept Sam ouraï;
8. V era Cruz, L'étrange- créature du lac hoir.

Claude Mauriac. —■ 1. La Comtesse aux pieds n u s; 2, Lola M ontés; 3. Lourdes et ses


m iracles; ............................... 9. Les D iaboliques; 10. La Strada. (Claude Mauriac nous pr.'e de
signaler que son voyage aux U .S .A . l ’a em pêché de voir : Voyage en Italie et certains autres
films q u ’il aurait peut-être portés sur sa liste).

i4/ain Resnais. — (Sans ordre préférentiel). Le Scheik Blatic, Johny Guitare, Fenêtre sur
cour, Prehistoric W om en, L e Sel de la T erre, L a Com tesse aux pieds nus, L ’or de Naples, La
Strada, Les Mauvaises Rencontres, A l’Est d 'E d en .

/ean-/osé Richer. ■—- 1. O rd e t; 2. L e G ra n d C ou teau; 3. Lola M ontés; 4. La S trad a; 5.


Les Mauvaises R encontres; 6. V oyage en Italie; 7. R acines; 8. Fenêtre sur cour; 9, Du Rififi
chez les hom m es; 10. Le Crime était presque parfait.

Jacques R iœ tte . — 1. Voyage en Italie ; 2. O rdet ; 3. L a Main au collet ; 4. Johny G uitare ;


5. Fenêtre sur cour; 6. Les Mauvaises R en co ntres; 7. Bronco A p a c h e; 8. Lola M ontés; 9.
Désirs hum ains; 10. La T erre des Pharaons.

Eric R ohm ar. — 1. V oyage en Italie, O rd e t‘; 3. La M ain au collet. Fenêtre sur cour; 5.
La Comtesse aux pieds n u s; 6. Le G rand C o u teau ; 7. Lola M ontés; 8. U ne Etoile est n é e ;
9. L a S irada; 10. French C ancan.

François Ttiujfaut. — 1. Voyjïge en Italie; 2. Lola M ontés; 3. Le G rand C o uteau ; 4. La


Com tesse aux pieds n u s; 5. Les M auvaises R encontres; 6. Johny G uitare; 7, Fenêtre sur
co u r; 8, Bronco A p a c h e ; 9. A l’est d ’E d e n ; 10. En quatrièm e vitesse.

7
ï

Sur cette image d’Ingrid Bergman dans Stromboli nous entamons le troisième chapitre des
souvenirs de Roberto Rossellini. Rappelons que les deux premières parties de ce texte ont
paru successivement dans nos numéros 50 (Août-Septembre 1955) et 52 [Noûembre 1955) ;
et saisissons /'occasion pour remercier Rossellini de nous avoir confié Vexclusivité de cette
publication.

8
DIX ANS DE CINÉMA
par Roberto Rossellini

III

STROMBOLI, PETITE ILE

Le 2 mars, je retournai en Italie où, le 19, Ingrid vint me rejoindre.


Début avril, nous commençâmes le film à Stromboli et, au même moment, éclata:
le scandale sur notre vie privée-
Qu'y eut-il à l'origine de tout cela ? Pourquoi un scandale si retentissant naquit-il
de simples bruits de divorce eî de mariage, alors que le monde du cinéma, celui du
cinéma américain en particulier, avait depuis longtemps élevé le divorce à la hau­
teur d'une institution tout en lui conférant l'aspect d'une routine quotidienne ?
l'ai déjà dit que, de manière générale, l'atmosphère à Hollywood ne m'était
guère favorable. Ingrid était une actrice, j'étais un metteur en scène : il était normal
que nous entreprenions de faire un film ensemble. Le monde,hollywoodien reçut cette
nouvelle comme une ingulte, une atteinte à son prestige.
Stromboli était une petite île très isolée du reste du monde. Pas de téléphone,
pas d'électricité ; un bateau la relie au continent une fois par semaine ; les nouvelles
de l'extérieur nous parvenaient en retard et nous ne comprimes qu'un scandale venait
d'éclater qu'en voyant arriver des journalistes, des photographes, et même des amis,
sans oublier les « experts » de la firme distributrice du film, « experts * en publicité
et « public relations », tous venus nous donner des conseils au mieux des intérêts
communs.

9
Mnrio Vitale et Ingrid Bergman dans Stromboli de Roberto Rossellini.

C'est à ce moment de m a vie que j'ai eu ]cr surprise de découvrir qu'il existe
dans le monde tant de métiers insoupçonnés, des « spécialistes » aussi précis.
Toute la vague de nouvelles sensationnelles avait sans defute un même but :
celui de nous effrayer. Devant la répétition des informations « sensationnelles », les
« experts » ne nous suggéraient qu'une attitude : nier.
Quand Ingrid et moi offrîmes de suspendre le film, ou même de l'abandonner
purement et simplement pour pouvoir régler calmement la situation après une période
de réflexions, d'éloignement et de liberté, les « experts » ne furent plus du tout
d'accord : avant tout le travail !
Amis et « experts » s'empressaient de nous signaler les graves dangers que ce
scandale présentait pour nos carrières respectives. S'il y eut un calcul, c'est-à-dire si
l'on a désiré forcer les choses — comptant sur nofrè lâcheté ou notre hypocrisie —
en soulignant le danger que nous encourrions, ce fut évidemment un faux calcul.
Pour nous, Européens, et pour moi, qui était dépourvu de toute expérience en la
matière, il était difficile de se représenter ce qu'est le journalisme américain.
Beaucoup de courriéristes américains ne sont que les tuteurs d'un ordre établi,
des miliciens prêts à matraquer ceux qui oseraient briser cet ordre. J'avais été frappé,
lors de mon séjour à Hollywood, en voyant comment la parution d'un certain journal,
une certaine émission de radio pouvaient guspendre le souffle de tout le monde.
Tous les jours, il y avait des battements de cœur à la sortie du journal et la vie

10
s'arrêtait à l'heure de l'émission. A Hollywood, à cette époque, circulait une histoire
qui, pour être inventée, n'en était pas moins révélatrice.
Une commère célèbre, tandis que s'achève son émission hebdomadaire, se voit
« rapporter » par un de ses chiens de chasse, un ultime ragot griffonné en hâte sur
un bout de papier ; elle, déjà gâteuse, cramponnée à ses lunettes, prend une voix
pathétique, qui dissimule bien la joie sadique qu'elle éprouve à donner la primeur
d'une nouvelle consternante, pour lire ce billet : « /anef Smith divorce d'avec son
mari. » Sur cette note désolée se termine l'émission et le chien de chasse, qui peut
enfin parler, explique à la commère qu'elle s'est trompée de couple et qu'au lieu de
Janet Smith, il fallait lire Joe Smith. Peu après en effet, Janet Smith et son mari télé­
phonent, consternés, mais déférents et soumis, priant la commère de démentir ce
bruit fâcheux.
Mais la potineuse, dont l'imagination n'est jamais en défaut, plutôt que de
démentir — ce qui attenterait à son prestige — propose à Janet Smith le marché
suivant où tous doivent trouver leur compte : le mari de Janet ira habiter le Beverly
Hills Hôtel, aux frais de la commère, laquelle dans quelques jours annoncera elle-
même à la radio la réconciliation du couple à grand renfort de publicité ; elle exal­
tera l'amour avec ses tourments et ses paradoxes, la démesure des passions d'artiste,
le lyrisme de leurs sentiments, etc... Janet Smith et son époux n'osent évidemment
pas refuser, il n'y a qu'à s'incliner et espérer... Le même soir, le mari, installé au
Beverly Hills Hôtel, reçoit des coups de téléphone de tous ses amis qui se félicitent
avec lui de ce qu'il a enfin compris avec quelle poule il était marié. L'affaire, tout
naturellement, finit par un divorce que la commère eut le mérite d'avoir annoncé
quand personne encore n'y pensait.

*
*

11
LES SENTIMENTS DE L’APRES-GUERRE

Pour en revenir à Strombolï, ce qu'il m'intéressait de traiter, c'était le thème du


cynisme, sentiment qui représentait le plus grand danger de l'après-guerre, Karin,
spéculant sur l'ingénuité de l'amour d'un soldat, pauvre être primitif, l'épouse dans
le seul but de sortir du camp d'internement ; elle troque les barbelés pour l'île, mais
elle s'y trouve encore plus enfermée ; elle avait rêvé d'autre chose. Femme forte et
décidée, qui est passée à travers les drames et les difficultés de la guerre en se tirant
toujours d'affaires plus ou moins bien, elle est à présent victime de petites choses
stupides : un mari qui est une brute, une petite île sans végétation, doublement
prisonnière du fait qu'elle est enceinte ; être enceinte est pour elle stupide, humiliant,
ignoble et bestial ; elle décide donc de partir ; mais au sommet du volcan, qu'elle
est obligée de contourner pour rejoindre un petit port de l'autre côté de l'île, au
milieu d'une nature hostile, cassée par la fatigue, pliée p a r une terretir primitive,
dans un désespoir animal, inconsciemment elle invoque Dieu. « Mon Dieu » est l'invo­
cation la plus simple, la plus primitive, la plus commune qui puisse sortir de la
bouche d'un être envahi par la douleur. Cela peut être une invocation machinale ou
l'expression ‘d'une vérité très haute. Dans un cas comme dans l'autre, c'est toujours
l'expression d'une mortification profonde qui peut être aussi la première lueur d'une
conversion (1).
Sur ce film, et plus particulièrement sur la fin, beaucoup de gens se sont achar­
nés, et pour des raisons diverses. Toutes concourraient à démontrer que j'étais un
crétin. Le film fut mutilé en Amérique ; je n'ai pas vu ce qu' « ils » en ont fait, mais
il paraît qu'il manque trente-cinq minutes, qu'un commentaire très lyriqiue souligne
l'action etr qu'à lct fin, Karin envisage de retourner auprès de son gentil petit mari
qui l'attend à la maison.
Fini le tournage, en toute hâte j'avais fait un montage pour qu'en Amérique, les
gens du studio puissent se faire une idée et commencer le montage de leur négatif
(je détenais un second négatif). Cette copie, que je n'avais pas eu le temps de per-
fectionnner, fut présentée telle quelle en Europe, et puisqu'il me semblait absurde
de présenter le film dans un montage à ce point hâtif, je dus recourir aux tribunaux
po-ar obtenir ce que, normalement, on nous demande : réfléchir sur le montage et
solliciter des avis, de manière à apporter les modifications nécessaires.
Tout cela me fut refusé ; j'aurais peut-être obtenu satisfaction si j'avais eu la
possibilité de poursuivre la procédure. Je n'obtins gain de cause qu'en ce qui con­
cerne la version présentée en Italie, qui se trouve être légèrement différente de celle
présentée dans le reste de l'Europe, et plus encore de la version américaine.
Sfromboli gagna le « Prix de Home », et tandis qu'une minorité de critiqfues le
défendait, les autres l'attaquaient violemment. Ce que j'avais pressenti lors de la
sortie d'AiJemagne année zéro m'apparut cette fois clairement : la critique réagissait
sur des suggestions politiques qu'elle ne cachait même plus. Un groupe restreint,
politiquement engagé, très épris de cinéma, mais en amateur (il y a trop d' « am a­
teurs » dans la critique cinématographique) a créé, à l'aide d'une certaine termino­
logie, un mouvement critique extérieurement très séduisant, fort suivi en Italie, sur­
tout par les chroniqueurs dépourvus de goût, d'intuition et de sensibilité, qui peuvent
ainsi se cramponner à un vocabulaire passe-partout qui leur tient lieu de jugement

(I) Telle est la construction dram atique du film. Mais il n 'é ta it p a s diftîciJe d e déceler m es
intentions, je dirai même mon vœ u, pour pe u q ue l'on prît la peine de lire le verset de l a Bible
p lac é e n exergue a p rè s le générique de STROMBOLI. « J'ai exau cé ceux qui ne ïne d e m a n ­
daient rien': Je m e suis laissé trouver p a r ceux gui ne me ch erchaient p a s. > (ESSAIE — 65,
CITÉ PAH SAINT PAUL).

12
C'est pourquoi aussi j'attribue à des raisons politiques le revirement d'opinion
dont bénéficient aujourd'hui Home, viiie ouverte et Païsa.
Je crois que ce groupe, par son activisme, en créant une énorme confusion cri­
tique, a contribué dans une large mesure à la crise actuelle du cinéma italien, en
alimentant les divisions entre les cinéastes, en encourageant indirectement les pro­
ducteurs à persévérer dans la production commerciale, ou prétendue telle.

UN PETIT « FAIT VRAI »

Pour illustrer mon propos, je veux raconter ici un petit « fait vrai » qui me semble
significatif : un homme de cinéma très important, qui partage les opinions de ce
groupe critique, et qui recherchait ma collaboration, m'invita à reprendre, en sa
compagnie le chemin des marécages, à l'embouchure du Pô, où j'avais tourné le
dernier sketch de Païsa. C'était novembre, il faisait froid, il pleuvait ; Cigolani, que
sept ans plus tôt j'avais pendu dans Païsa, fut très heureux de me revoir, et un jour,
sur le rivage du Pô en pleine crue, il me dit : « Veux-tu parier que cette année
encore, le Pô va déborder de l'autre côté et que ces îïls àe putains auront les avan­
tages d’une autre inondation ? »
En effet, l'année précédente, le Pô avait rompu les protections sur l’autre rivage,
et les gens qui l'habitaient, après avoir vécu cette tragédie, avaient bénéficié de
toutes sortes d'aides qui avaient pratiquement changé leur vie, tandis que les autres,

Ingrid Bergman dans Strom­


boli de Roberlo Rossellini.

13
sur le rivage où nous étions, n'ayant joui d'aucune aide, continuaient de vivre dans
les mêmes conditions depuis toujours.
Quand je racontai cette histoire à mon ami cinéaste, collaborateur probable, il
s'assombrit à vue d'œil et m'accusa de vouloir faire un film pro-gouvememental.
Les hommes ont aujourd'hui l'habitude d'adopter une opinion politique o u morale
en la choisissant dans l'éventail des « vérités » qui se présentent à eux. Ce choix
n'est pas la résultante d'une conviction très intime, mais le fruit d'un hasard où
entrent le souci de s’embellir et le désir de vivre en paix. Une fois gagnés à une
cause, ils sont^ obligés de la défendre et de l'illustrer toute leur vie ; c'est ainsi que
se forment généralement les mouvements d'opinion publique et que s'e m b rig a d e n t
les mouvements philosophiques, esthétiques et moraux. Tout est sacrifié à la cohé­
rence qui, à ce degré d'obstination maniaque, tue sous elle toute liberté et toute
fantaisie.

Pour revenir à la sortie de Stiomboîi, contre le noyau de défenseurs et moi-même


s'est constitué un front où cette tendance critique, ceux qui n'avaient pas d'idées
précises, les j usfi ci ers-moral istes, les courriéristes, les journalistes « à sensation » et
les casse-pieds étaient dûment représentés. C'est alors de ce front que fusèrent
contre moi les épithètes de : communiste et clérical, anarchiste et dévot, imbécile
et malin ; mes films furent jugés sublimes ou ignobles, et l'on parla de mon évolution
comme de mon involution. A tous ces jugements sur mon travail est venu s'adjoindre
le chœur d'une certaine presse, et j'ai pu lire toutes sortes de choses plus incroyables
les unes que les autres : par exemple : que Le Miracle était le produit de la parfaite
technique du communiste qui cherche à « diviser pour régner », que le film était
une insulte à la femme italienne ; après les jugements sur l'œuvre, les jugements sur
l'homme. On dit aussi que j'étais « îe chef d'un gang d’importateurs de drogue de la
Chine de Mao Tsé Toung dans le but de détruire le cerveau des hommes de cinéma
américains », ou bien, criblé de dettesr ou encore que je vivais comme un « Seigneur
de la Renaissance ». La collection de jugements, d'attaques ou d'adulations que j'ai
rassemblée, est variée, drôle et très éloquente. Je ne cite ici que les plus ridicules,
préférant oublier les injustices trop graves.

LES LIBERTES DE LA PRESSE

le me souviens que lorsque les alliés ont « libéré », ou « envahi », l'Italie, ils
nous distribuèrent des lires d'occupation sur lesquelles étaient inscrites les quatre
libertés fondamentales qu'ils nous apportaient, parmi quoi la liberté de la presse.
Je défendrai toujours la liberté de la presse, même si j'en ai subi les incon­
vénients.
Si mes expériences peuvent servir, et je crois sincèrement qu'elles le peuvent,
je dois raconter une autre anecdote qui illustre les moeurs d'une certaine presse.
A un certain moment de notre vie, ma femme et moi avons été littéralement
assiégés par les photo-reporters ; pendant quatre mois, Ingrid et mon enfant ne
purent quitter l'appartement. Tout fut tenté pour violer notre intimité. Que voulait-on
de nous ? Une certaine photo. A une heure du matin, une nuit, on sonna à la porte
de l'appartement. La femme de chambre, impressionnée, demanda au travers de la
porte qui était-ce. On lui répondit : Police. Elle ouvrit. Deux types, dont l'un était
muni d'un appareil photo, entrèrent de force. Elle réussit cependant a les repousser
sur le palier et, par le téléphone intérieur, demanda le secours du concierge qui se
précipita dans l'escalier afin de -savoir comment les deux « journalistes » étaient
entrés à son insu. îîs rouèrent de coups le concierge et s'enfuirent comme ils étaient
venus, en escaladant les grilles de l'entrée sur la cour.

14
Pour rompre ce siège, il n'y avait qu'un seul moyen : publier la photo que l'on
convoitait avec tant d'achamement. Je m'y décidais enfin pour avoir la paix, et fis
moi-même la photo dont je fis cadeau à l'agence de Presse qui nous avait le moins
importunée, allant jusqu'à nous faire savoir qu'elle déplorait l'attitude de ses confrè­
res. Le siège fut levé, mais non sans que s'accumulassent de solides rancunes. Un
bruit circula et me revint selon lequel j'avais vendu cette photo, et à un prix très
élevé. Je pensai sur le moment que c'était une invention des agences rivales, frus­
trées dans leur attente,
Trois ans plus tard, je racontai cette mésaventure à des amis parisiens, couple
fort sympathique (lui est administrateur d'un grand quotidien) ; il m'apprit que son
journal avait publié cette photo acquise à un prix exorbitant, l'agence ayant jus­
tifié ce prix incroyable en arguant qu'il avait fallu me payer très cher cette photo !

ROBERTO ROSSELLINI.
ÙÎ suivre)

Tous droits de reproduction rigoureusement réservés. Copyright by Cahiers du


Cinéma, 1955.

S c è n e de tournage de Stromboli. A la fe n être : Ingrid Bergman.

15
Max OPHULS

L’ART TROUVE TOUJOURS SES VOIES

Il y a vingt ans, j'ai vécu à Breslau un moment décisif. Comme Hans Albers,
sut l'écran, donnait du feu à quelqu'un, les gens dans la salle applaudirent, parce
qu'ils entendaient distinctement le frottement de l'allumette sur la boîte. Moi, ça
m'attristàit un peu : je trouvais si beau, jusque-là, qu'au cinéma muet on puisse rêver
un tel craquement, chacun à sa guise. Le film sonore était né.
Les années qui suivirent, le son se perfectionna. On comprit ce qu'Albers disait
et, ce qui intéressait, ce n'était plus seulement le fait qu'il donnât du feu, mais pour­
quoi il en donnait.
Nous avons maintenant franchi une nouvelle étape. A Paris, on lisait même sur
le journal : Une dame s'assied au troisième rang. Arrivée trop tard, elle n'a pu pren­
dre une place qui lui convienne. Elle chuchote à un imposant monsieur assis devant
elle *. « Pouvez-vous ôter voire chapeau, je vous prie ? »_Celui-ci se retourne : « Par-
donnez-moi, chère Madame, mais f appartiens au film. » C'est le relief.
Un très célèbre acteur anglo-américain m'a écrit r « Je commence à; douter de

16
moi. Peut-être ne suis-je pas un acteur à trois dimensions, mais seulement un « plat ».
Cela devient sérieux.
Aujourd'hui le FILM FRANÇAIS publie une statistique. Saison 1353-i954 : Le
cinémascope victorieux à Broadway : 604.500 millions de recettes. Les nouvelles
dimensions 2,55x1, 2,30^1 ainsi que 1,80x1 se sont définitivement imposées. Il n'y
a plus aucune possibilité de retour. Dommage.
Un retour, pourtant, a du bon et en marchant en avant — surtout aujourd'hui où
l'on a si souvent l'impression que la terre n'est plus qu'un tapis roulant sous vos
pieds — on ne sait plus très bien si les pas que l'on tait ont vraiment un sens. Dans
l’histoire du théâtre par exemple, l'invention de la rampe me paraît moins intéres­
sante que la naissance de Schiller, l'orchestre disparaissant est d'une moindre signi-,
fication que Mozart ou Kurt Weill.
Je ne suis pas l'adversaire des nouveautés techniques, mais pas, non plus, leur
porte-drapeau. On demandait à Fritz Kreisler ce qu'il pensait de la télévision. Il
répondit à peu près : « Lorsqu'on inventa le phonographe, j'étais contre le phono­
graphe, lorsqu'on inventa la radio, j'étais contre la radio; parce que je suis un
homme de progrès, je suis maintenant contre la télévision. »
Les anciennes inventions, je les trouve, en revanche, pleines de charme, poéti­
ques. J'aime à Paris dans les cages d'escalier parcimonieusement éclairées les vieux
ascenseurs hydrauliques. Le plus souvent ils sont hors de service et leur existence
a seulement la signification d'un geste courtois, mais, quand ils fonctionnent, il se
passe un beau moment, jusqu'à ce que la chose en question vous arrive en bruissant
du sixième étage. On est obligé de quitter son impatience du jour pour quelques

Martine Carol, Lise et Max Ophüls pendant )e tournage


D e la m a re
de Lola Montés.

17
2
minutes tranquilles, on accepte, comme un cadeau, l'obligation soudaine de méditer
encore une fois ën paix sur ce qu'on racontera à l'ami qu'on va trouver ; on peut
encore une fois ressasser les motifs qui vous amènent chez une amie.
Peut-être fais-je partie de ces gens qui, dans la course contre les victoires de la
machine, ont besoin de temps pour reprendre haleine. Il y a une chose, du moins,
que je sais.
Dans le cinéma, une vie entière est nécessaire pour s'y connaître en noir et
blanc, avoir la machinerie si bien en main qu'on soit avec elle à tu et à toi, qu'on
puisse tout exiger d'elle, sans se laisser imposer par elle. Je crois que la fin de toute
technique est de se laisser surmonter. On devrait la dominer si bien qu'elle serve
seulement à l'expression, qu'elle devienne transparente, qu'au delà de la reproduction
de la réalité, elle soit l'instrument de la pensée, du jeu, de l'enchantement, du rêve.
« Exercices de doigts, exercices de doigts » disait mon professeur de piano à
Saarbrück « longtemps seulement après les exercices de doigts, vient la jnéJodie ».
Je conserve encore le précepte, épinglé en tête de la première Sonate de Beethoven.
Je n'avais pas beaucoup de talent. Ma mère payait Herr Nellius 2 marks 50 l'heure,
mais je crois que pour la connaissance qu'il m 'a donnée du rapport entre les exer­
cices de doigts et la mélodie, ce n'était pas compté trop cher.
Le cinéma me semble sortir tout juste de l'âge des exercices de doigfs. Nous
commençons tout juste à nous approcher de la mélodie, parfois même à entendre
des thèmes, je veux dire : à les voir... et, boum, sur ces entrefaites survient une
nouvelle invention; en arrivent aussitôt deux, trois de suite à court intervalle, con­
formément aux étapes de l'évolution, couleur, relief, écran large... et boum, tout est
à refaire alors qu'on était tout au plaisir, ou aux difficultés du jeu.
Je ne veux rien dire là contre. L'évolution se moque bien des avis. Elle ne se
laisse pas arrêter, c'est dans son caractère ; mais, je vous prie, permettez-moi d'éprou­
ver un peu d'angoisse. Peut-être cela pourrait-il nous servir à tous deux, à l'évolution
et à moi. Devant les « panoramas », je suis timide. Leur absence d'intimité m'effraie.
J'ai vu trop de panoramas où l'humour perdait pied : Napoléon à Leipzig, les jour­
nées du parti à Nuremberg, le passage de la Mer Rouge. Aux grandes choses, on
ne peut assigner de limites. Deux grands-parents juifs avaients consacré tout l'argent
qui leur restait à faire venir d'Europe leur petite-fille. Pour son premier soir à New-
York, ils amènent l'enfant de quatre ans sur la plus haute terrasse de « 'L'Empire
State Building » : « Eh bien, que dis-tu maintenant ? » demande le grand-père avec
.une émotion pleine de fierté. « Je me l'étais imaginé plus grand », répond la petite.
Je voudrais reprendre haleine.
Je voudrais pouvoir regretter que nous, auteurs de films, qui avons dû apprendre
à nous bien conduire avec les firmes, les commandites, les maisons de distribution,
avec toutes sortes d'appareils, les micros, les projecteurs, les objectifs, nous soyons
forcés de nous familiariser encore avec d'autres instruments. Si l'on avait, il y a cin­
quante ans, inventé le cinéma sur grand écran et en couleurs, la crise de production
actuelle nous aurait fait retourner aux petites dimensions et au blanc et noir.
Pourtant, je voudrais un jour trouver sans chercher « comme devant moi dans
la forêt » (so in walde vor mich hin) un thème qui ne se présente pas autrement à
mes yeux qu'en couleurs, à trois dimensions et sur grand écran, où tous ces élé-
ments-là ne s’ordonnent pas seulement en vue d'un jeu formel, mais puissent faire
surgir d'eux une véritable dramaturgie. Peut-être quelque chose de ce genre fleurit-il
en cachette. Cela ne doit pas être de bout en bout bariolé, multiple, à plusieurs
faces : seul un judicieux dosage de tels procédés est capable de nous arracher à la
médiocrité. Une danse peut, portée p ar la musique, accéder du plat aux trois dimen­
sions, comme la lumière sur le prisme se brise et se multiplie. Et quand, dans une
loterie, quelqu'un tire le gros lot, il peut visiblement élargir son standard de vie aussi
vite que son bureau — et l'élargir encore et encore...

18
Lola filoutés de Max Ophüls

Un des producteurs français le plus intelligent, le plus lucide, le plus large


d'idées déjeunait avant-hier avec moi. Il arrivait justement de Londres où on lui avait
fait la démonstration d'un nouveau procédé « Superdimensionel » qui ne laisse rien
échapper. Il discuta avec moi d'une idée pour le nouveau système : il me proposait
une opérette d'Offenbach. Je dis oui. J'aurais dit oui pour Offenbach, même sur
lanterne magique.
Et puis, je ne peux vivre sans le cinéma, comme un mari sans la femme qu'il
aime. Et quand elle arrive à la maison avec un nouveau chapeau qu'il trouve
exagéré, ça peut troubler l'amour, mais ça le menace rarement. Elle a dit si souvent
déjà : « Tu ne Je vois pas comme il faut, ça viendra, attends un peu / » Et d'ailleurs
on peut rectifier le chapeau jusqu'à ce qu'il vous semble joli : « Vois-fu, dît-elle, tu
t'y es déjà habitué ! »
Je dois m'y habituer, pour qu'il ne m'arrive pas la même mésaventure qu'à un
acrobate français que j'ai rencontré en Amérique. Il avait un tout petit restaurant à
Hollywood, ça s'appelait Le Tricolore, et, depuis longtemps, n'exerçait plus son
métier. 11 boitait. « Savez-vous comment c'est arrivé ? me raconta-t-il. J'étais toujours
engagé dans des cirques à une seule piste ; mais à Chicago, je suis entré dans un
établissement à quatre pistes. Je n'y étais pas habitué. Et, comme j'étais, Jà-hauf,
suspendu au /rapèze, je me mis à penser tout à coup : les gens ne me regardent
peut-être pas, ils lorgnent Dieu sait où, peut-être les chameaux sur la piste 1, peut-
être le prestidigitateur au numéro 2 ou la pyramide de chevaux au 3. Et sous moi
étaient vingt clowns qui débitaient leur boniment. Mais moi, pensai-je, je suis pour­
tant une personne et non un numéro... et alors je suis tombé. »
Il n'y était pas habitué depuis assez longtemps. Et quand l'un de nous commet
une maladresse, il n’a pas' la même chance en tombant : il se brise plus que le
pied.
Max OPHULS.
(Traduit de l'allemand par Eric Rohmer).

19
JACQUES AUDIBERTI

BILLET XIV

Coupons en quatre le grand couteau


l'hum anité civilisée laisse pendantes toute sorte de questions. Je ne parle pas des grandes
devinettes métaphysiques, qui tirent tout leur charme de leur insolubilité. le parle des énigmes
familières attachées à notre vie de tous les jours et de toutes les nuits.
Tout compte fait, le mystère ne concerne pas l'inconnu, mais le connu. Le connu toujours
mal connu. Les grandes devinettes métaphysiques elles-mêmes ne tourmenteraient personne si,
dans notre propre nature, elles ne trouvaient leur amorce et leur allusion. Du côté des énigmes
familières constatons, p ar exemple, l'incapacité de la pensée consciente collective, exprimée
p ar le Larousse et p ar les manuels universitaires supérieurs/ à délïnïi clairement, une fois pour
toutes, la lévitation telle qu'on la présente dans les baraques de la foire et dont les ouvrages
les plus sérieux admettent l'apparente réalité. Il s'agit, on le sait, d'une personne en état de
raidissement horizontal s'élevant lentement dans l'espace, sans appuis, pour y demeurer immo­
bile une trentaine de secondes. Eh bien 1 On n'en sait pas davantage, là-dessus, que si ç a se
passait dans les spectacles de variétés de la planète Mars, Vous pouvez toujours dem ander
au présentateur, à propos de cette attraction, qu'il vous dise s'il a un truc, et lequel. Lui-même,
au fond, s'y perd. Ses éventuelles combines d'électricien et ses présumables miroirs n'empêchent
que la chose s'accomplit telle que la décrivent les ouvrages mystiques, tout en éveillant, chez
le spectateur, de profondes résonances en faveur de sa franche plausibilité.

20
D ans u n autre dom aine au cune statistique pénétrante n 'e st p a rv en ue à faire un compte
exact des rapports réels de l'imprimerie et d e la population. Je connais, à Paris, u ne librairie
grandiose, avec portes de cristal qui s'ouvrent à l'œil (électrique), tous les livres q ue vous
voudrez, ra v issan tes commises en blouse quadrillée, m usique am biante, u n e iéerie. On entre
comme d a n s un jardin public. Certains feuillettent u n volume d u doigt, font le tour, sortent.
Là-dedans je n 'ai jam ais vu personne acquérir un livre, jam ais.
Q uant aux kiosques du trottoir, tapissés, sur toutes leurs faces, de publications telles q ue
L'Endive rationnelle. Le Petit Chasseur à Courre ou Le Skieur e n Cham bre, sa n s p arler de
journaux a fghans ou finnois, on peut leur a pp liqu er ce qu e Sainte-Beuve disait de l'œ uv re de
B audelaire, m ystérieux « kiosque » planté à l'extrémité du K am tchaka littéraire. Là non plus
je n'ai jam ais vu personne (sauf, l'avouerai-je, moi) a ch eter a u tre chose, outre les quotidiens,
que Paris-Match, Elle et Les Cahiers du Cinéma.
En gros, bouchers, boulangers et charcutiers, tout gonflés qu'ils sont de fric, ils crèveraient
plutôt que d e p a y e r pour lire. Qui donc lit, finalement ? Les écrivains. N 'aim e lire, en effet,
q u e quiconque, mentalement, écrit ce qu'il lit.

P a r contre les ciném as sont pleins. Aux yeux de cet explorateur intersidéral ou de ce ra p ­
porteur Kisney en quoi chacun de nous peut se transformer, les cinémas, p a s d'histoires ! Les
ciném as, comme le métro, concentrent, sinon le tout venant de l a foule hum aine, du moins un
échantillonnage d é jà fort varié.
Ici, nouvelle perplexité. Nous admettons que, p a r ses subtilités de clan (y compris, a u p re ­
mier chef, l'orthographe) la lecture, pour les soixante pour cent de la France, ne soit qu 'u ne
récréation rebutante dont les règles m al connues prolongent la térule scolaire. Or, les films, du
moins beaucoup, requièrent, de l'usager, autant d e gym nastique intellectuelle et d'expérience
érudite que les livres. Mort d ’un cycliste ou La Strada mettent en branle, d a n s l'esprit, un fré­
nétique billard à flippers, étincelant d'interférences et de réminiscences b ran ch ées sur les
nuan ces et les données de la culture générale.

Une harm onie serait donc possible entre le b on ton à l'éc ran et le ilot d u public. Le grand
Couteau, d e Robert Aldrich, tend à le confirmer. Comblé "de raffinement, c'est sur cette q u e s­
tion même que repose l'argum ent principal du filni d'Aldrich. Il nous fait vivre, en effet, le
conflit entre l'aléatoire et le rentable en m atière d e cinéma. L'enjeu de ce conflit est un acteur,
un artiste, C harles Castle (Jack Palance} un pe u nerveux, certes, m ais de taille, semble-t-il, à se
tirer du dilemme a r t dollar autrem ent qu e p a r le suicide. Le p a la d in de l'a rt sacré, d e l'art
po ur l'art, est un homme de lettres, naturellem ent, a u x allures vaguem ent diaphanes. Quant a u
représentant du dollar coûte a u e coûte, le producteur Hoff (Red Steiger), il vau t à lui seul
q u'on se ru e à voir et à revoir Le g ra n d Couieau.
Le producteur Hoff est lourd, a u physique, comme Aldrich en personne, qu'il caricature
plus ou moins en l'inversant. (De même le trafiquant Rim baud le poète Rimbaud).
Le producteur Hoff produit, sur Charles Castle, et sur nous, un dégoût halluciné mêlé d'une
m onstrueuse attirance. Cette obsession vient d e son impudeur, très organisée, à imposer s a
consistance corporelle (soulignée d 'un a p p are il à sourds et de lunettes a u ssi noires q u e son
complet noir) et de sa structure céréb rale (assortie d e devises larm e à l'œ il et de m enaces de
chantage). Avec ses indices anatom iques déployés, ses tics, ses coups d e gueule, ses fourberies
sincères, s a franchise truquée, le d é b allag e perpétuel de ses rouages, on n e voit plus que lui.
On n'entend plus que lui.
Bien a u d e là d e son emploi dans le scénario l'oncle Hoff représente, à d es proportions
mythologiques, l'industriel pour qui la mythologie, précisém ent, est une mine d'or. Et, avec la
mythologie, la Bible, l'antiquité. C 'est lui le requin borné q u e la libre et géniale av ant-garde
ne cesse de trouver devant elle, partout, derrière un b u re au de directeur aussi bien que dans
un ch an dail d e directrice. A Hollywood s a bouffissure et la fumée d e son. P a rta g a s g raissent et
em pestent le laminoir labyrinthique où les manuscrits originaux perdent leur âm e. « Hoff !
s'écrie Id a Lupino, d a n s le rôle d e l'épouse, un tantinet dinde, d e C harles Castle. Hoff ! qui le

21
con naît? "On connaît Huston ! On connaît Hitchcock! Mais Hoff ! * Entre p a ren th èses .mais
s a n s sortir de mon propos, je me d em and e ce qu e les noms de Huston et de Hitchcock, l'u n
glorieux et l'autre célèbre pour nous, signifient a u juste dans les salles, du côté d e la g a r e
de Lyon, ou ru e des Pyrénées et à Dunkerque et d an s le bassin minier lorrain.
Bref, dans tous les secteurs où l'expression esthétique vise la m asse, Hoff est là pour exiger
les compromis indispensables à la sa u v e g a rd e de l'investissem ent financier.
. Entre autre, c'esj, sur l'ordre de Hoff que, longtemps, les films furent soumis à l'obligation
de s'achever dans le bonheur. Hors du ciném a l'omnipotent Hoif s'assied su r les m em bres du
Conseil municipal de Paris renâclant à ériger de radieux palais. Sous le m asque d'Emile Hen-
riot, détenteur de la rubrique littéraire du Monde (qu'on me pardonne, maïs l'occasion est trop
b elle pour moi d'évoquer un fait personnel), Hoff s'obstine à ne jam ais rendre compte de m es
ouvrages, sous prétexte, je suppose, que, sa n s le moins du m onde aller y voir, il les jug e
bohèm es et adolescents.
Le piquant c'est q u e Hoff lui-même, en tant q u e producteur d e films, n'est p a s san s m ettre
en circulation d'incontestables portions de be au té ou de fécondes rêveries. Car, enfin, si d a n s
le Grand C outeau, Hoff tient à s'attacher, p a r u n contrat d e sept ans, les services d e Jack
Palance (pardon l d e Charles Castle) il n 'e st p a s interdit d e croire q u e c ’est aiin d e tourner,
non p a s Moit d'un Cycliste, La Sirada ou Le g ra n d Couteau mais des vacheries à colt et à
cheval comme Rendez-vous sur l'A m azone (d'un a u tre Castle, prénommé William), ou La terre
des Pharaons de H ow ard Hawks, dont la vulgarité philistïne n'est p a s totalement démontrée.
Dans l'au tre sens, Robert Aldrich, pour a ssu re r le succès de son courageux travail, en
arrive à faire son petit Hoff. P ar exemple, d an s s a nostalqie des films non commerciaux, et
pour éch a p p er à toutes les b asse sses et ignominies dont Hoff est à la fois le symbole et
l'ordonnateur, l'infortuné C harles Castle se tue en s'ouvrant les veines d a n s s a baignoire. Or
cette fin, d 'u n tragique excessif, point tout à fait justifiée p a r les événem ents précédents, cor-
respond aux conclusions optimistes à la Hoff. En général, aucune b a n d e filmée, aucune pièce.

22
Rod Steiger et Jack Palance dans Le Grand Couteau, de Robert Aldricli.

ne sait se terminer. Aucune, en effet, ne peut se terminer sans le sentiment qu'en se terminant
elle prouve qu'elle a eu tort de commencer, puisqu'elle n'est p a s capable de faire .double
emploi av ec le déroulem ent universel illimité. Dans Le g ra n d Couteau comme d an s Cyrano de
Bergerac la moit d u héros propo se u n e fin h eu reuse, ou, si vous prêterez, satisfaisante, a p p u y é e
sur la logique naturelle. Hares sont les films qui, comme les très charm antes Vacances à Venise
(Katherine H ephum a u mouillage) s'a rran g e n t pour se confiner d a n s un laps inclus, d'avance,
entre deux dates.
En ciném a comme en prestidigitation nous n e sau rons jam ais comment, a u juste, l'œ u vre est
faite. La censure officielle, sous ses diverses initiales, n'est que la dernière de toute une série
de censures, celle que l'auteur s'im pose ou qu'il rencontre tant d u côté de ses comm anditaires,
qui se targuent de connaître le public comme leur poche, qu 'a u p rès de ses coopérateurs techni­
ques, ces derniers toujours enclins à considérer la lumière comme leur propriété corporative.

Quant à savoir pour qui l'œ u v re est faite, et ce que chacun en prend, au ta n t voudrait se
dem ander pourquoi le lundi tombe le lundi !

IACQUES AUDIBERTI.

P,S. — Du Pôle Noir au Pôle Sucre. C'est ce q u e j'av a is voulu écrire à propos, respecti­
vement, d 'H alleluyah et des Grandes. M anœ uvres. De Pôle Noir m a m alchance a fait Pôle
N ord!

23
COTATION^
q inutile de se déranger
à voir à la rigueur.
LE CONSEI L DES DI X kk
+# k
à voir
à voir absolum ent
Case vide : abstention
Jacciues
T itre ^ des f i l m s J L es d ix y— y. Henri
Agel
Jean de
Baroncelli
André
Bazin
Pierre
Braunbcrger Doniol-
Valcroze
Simone
Dubretiîfh
Pierre
Kast
Adonis
Kyrou
Jacciues
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François
T ru ffa u t |
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Les carnets du maj'or Thompson . . . . . . • • 9 9 * •

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f:rou-Frou ......................................................... • • 9 e • , ■ -

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La Main au collet ..................................... ★ * ★ * ★ * ★ * ■ ‘■'k k ★ « ■k k ★ ★ ★ ★

Les Sept Samouraï •.......... ........................ ★ * * ★ ~k * * ★ ★ ★ * ★ * * k -k k


Lola Montés .................................................... ★ * * k ★ ★ ★ ★ * ★ * * © - ■* *Ar ★ • ★ ★ * ★ ★ ★

L’Homme de la P l a i n e ................................ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ * ★ r t . ★ ★ * ★ ★ ★ * *

Continent perdu ............................................. ★ * ★ * * ★ ★ ★ flr k * i


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L’Enfant et la licorne ................................ • • * ★ ★ •

Ordet ............... . ............................................. ★ ★ ★ ★ * ★ ★ Tfe ★ * * * k k k k i( k ★ • ★ ★ * ★ ★ ★

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L’ Hom me du K e n t u c k y .................................. • • • • ★ *

Racines ................................................................. * * * k * * * ★ * * ★ * * * ★ ★ * *

Ce que chat v e u t ............................................ • • •


*
La Pantoufle de verre ................................. * ★ • * ★ •

La Pointe Courte .......................................... * ★ ★ * ★ ★ ★ ★ ~k ★ ★ • • *

L’Amant de Lady Chatterley ....................... • • • • * * •


Sachez que :
• Lola Montés a conquis les cœurs de Roberto' Rossellini, Jacques Becker, Jean Cocteau, Preaton Sturges, Alexandre
Astruc, Jacques Tati, Jacques Audiberti, France Roche, Claude Mauriac, J.-P. Vivet, Robert Benayoun, etc...
# Ordet rallie les suffrages de Alexandre Astruc, Nino F ranck, Eric Rohmer, Lotte H. Eisner, Louis Chauvet, Pierre Laro­
che, etc...
% La pointe courte est très bien, défendue par Chris Mar ker, Willy Acher, A.-J. Caullez, J.-L. Tallenay, Jean Quêval.
m FILMS

Ordet de Cari T h. Dreyer

UNE ALCESTE CHRETIENNE


ORDET, film danois de C arl Th. D rey er . Scénario : Cari Ttf. Dreyer, d’après
la pièce de K aj Murik. Images: Henning Bendtsen. Décors : Erik Aaes. Interpré­
tation : Henrik Malberg, Emil Hass Christensen, Preben Lerdorff Rye, Cay Kris-
tiansen, Birgitte Federspiel. Production : Palladium Film, 1955.

Les événements envoyés p a r les dieux o n t mille formes diverses ;


ils su rprenn ent mille fois notre a tte n te : ce que nous prévoyions n'arrive
pas, mais l'imprévu, la divinité le réalise.
EURIPIDE.

Ordet est une pièce de l’écrivain da- Molander en avait, douze ans aupara-
nois Kaj Munk dont Dreyer a respecté vant, tourné une première version. Il
fidèlem ent le texte. Le Suédois Gustav ne s’agit donc pas ici d ’un « film d’au-

25
teur ». Et pourtant il me semble diffi­ qu’à la plus exaltante des aventures.
cile d’étudier l'a rt du m etteur en scène Le débat qui s'y livre n ’a point pour
sans suivre, pas à pas, l’intrigue dans thèm e quelque question de théologie
son lent, mais dram atique déroule­ abstraite, mais bien les rapports con­
ment. crets, physiques, de Dieu et de la créa­
Une ferme danoise avec cette pro­ tu re : la prière, la parole de l’homme
preté méticuleuse, ce sens de l’ordre, (Ordet signifie parole) parvient-elle à
du cossu propre aux pays nordiques, Dieu et Dieu lui répond-il 7
cette sobriété, ce dépouillement, m ariés Un a rt si m édité semble être le plus
avec l’aisance, que nous retrouvons inapte à plaider la cause du su rn a tu ­
dans tous les décors de Dreyer. Il y a. rel : je ne dirais pas que Dreyer con­
peu de cinéastes qui sachent aussi bien, tem ple ses personnages avec l'œil du
non pas ta n t trouver dans l'architec­ clinicien, m ais son regard est trop ob­
ture un élément du drame, que faire jectif pour être to u t à fait celui de
reooser sur elle seule tout l ’effet de l’homme, trop volontairem ent estompé
la Stim m ung (traduisez atmosphère, pour se confondre avec celui du créa­
mais atmosphère morale) dont ils veu­ teur. Point de vue « de Sirius », si l’on
lent le baigner. Dreyer revendique l’h é ­ veut dire, par là, to u t extérieur. Aucune
ritage du Kammerspiel de la grande Invite à pénétrer dans les consciences,
époque du cinéma allemand (1). Nous aucun appel au sentim ent : nous
pourrions qualifier son a rt de vérita­ voyons, nous écoutons, et le p arti pris
ble expressionisme, si ce term e n'avait de continuité adopté ici n 'est pas sans
pas été quelque peu galvaudé (2). Dès corroborer cette impression. Mais le
la première image, nous nous trouvons m ystère est peut-être plus grand, parce
en présence d’une volonté de style, qu’on ne nous offre aucune porte pour
d’un parti pris, dont la ligne stricte ne y pénétrer : nous ne saisissons que
souffrira aucun écart : parti pris, di­ l’apparence, to u t en sachant qu’elle
sais-je, dans la conception du décor, n 'est qu'apparence. De même que des
p arti pris d’un certain cadrage, gros rideaux de gaze ne laissent en trer
plan, jadis, dans La Passion de Jeanne dans cette demeure qu’un jour clair,
(L’Arc, plan-m oyen, ici, pour mieux se mais diffus, de même la lumière de
plier aux exigences de l ’écran large sur l’esprit divin ne nous brûlera jam ais
lequel ce film doit être norm alem ent de son plein feu : il faudra son in te r­
projeté, p arti pris dans la direction vention dans le monde matériel, et
d’acteurs, le rythm e des gestes, les a t ­ la plus extraordinaire, le miracle pour
titudes, les intonations qui, à travers nous convaincre, indirectem ent encore,
la prodigieuse invention de détail, nous de sa présence. Nous sommes loin de
renvoient sans cesse à une forme dès ce constant appel vers Dieu que toute
le départ imposée. Le cinéma ne nous chose vivante où inerte, soit p ar sa
a jam ais donné l'exemple d’un art plus finitude même, soit p ar sa beauté, sem ­
volontaire : mais son m érite n'est pas ble lancer, p a r exemple, dans les films
ta n t dans sa rigueur que le fait que de Rossellini. F au t-il assimiler la dis­
celle-ci n ’est jam ais pesante, ne brime tance qui sépare l’univers de l’un de
pas un seul in stan t la liberté du jeu, celui de l'au tre à celle qu’on pourrait
n ’étouffe pas l'émotion du spectateur, m ettre entre le protestantism e lu th é ­
mais au contraire l’avive, la multiplie. rien et le catholicisme ? Cela m ’en ­
Ces paysans ont l'a rt des gestes n o ­ traîn e rait trop loin de mon propos : je
bles et des paroles calmes. Ils traiten t dirai sim plem ent que, chez Dreyer, la
de graves problèmes, et j ’insiste là des­ n atu re dont il nous découvre si ava-
sus, savent y intéresser notre esprit, ricieusem ent les aspects, est toujours
notre cœur, notre chair aussi bien qu’à m uette : to u t au plus daigne-t-elle
la plus pathétique histoire d ’amour, nous adresser un pâle et froid sourire

(1) C f . l’interview de Lotte H. Eisner publié dans les C a h i e r s n° 48 a Micliaël que j ’ai
tourné en 1924 était u n véritable Kaim nerspielfilm ».
(2) Je pense à c e . principe de la nécessité intérieure que le p ein tre K andinsky oppose
à l’impressionisme n aturaliste : a L'artiste qui crée en pleine conscience ne p e u t va s se
contenter de l'objet tel q u ’il se présente, i l cherche nécesairem ent à lui donner une
expression. C’est ce qu'on appelait autrefois idéaliser. Depuis on a d it « styliser »... e t plus
loin : « Dons la question que se pose Van Gogh, il fa u t voir le noyau central de V « inter­
prétation » de la nature, c’est-à-dire de la tendance à représenter la nature non pas com me
u n phénom ène extérieur, mais à faire apparaître en to u t l’élém ent de l’impression intérieure,
récem m ent appelée expression » . (Du s p i r i t u e l d a m s l ’a t v t . — E d . d e B e a u n e , )

26
et dispensateur encore '{comme dans « réelle » sous la bêche du bourreau
les contes d ’Andersen ou les romans sauvait la Passion de la convention
de Jacobsen) de plus d’angoisse que scénique. Les pleurs véritables versés
de réconfort. par Mikkel au m oment où la bière va
Mais retournons au dram e : diffé­ se referm er assum ent ici cette fonc­
rentes thèses s’affrontent. Le libéra­ tion, chose d’a u ta n t plus rem arquable
lisme propre à la religion protestante,' qu’il s'agit d’un robuste et froid p ay ­
l’existence de multiples sectes donnent san nordique. On com pterait les ci­
à leur contour des arêtes plus m ar­ néastes qui aient eu l’audace de faire
quées. Mais je ne trouve là rien d’in ­ pleurer sans tomber dans le grotesque
compréhensible ou de rebutant pour un acteur du sexe fort (4). Le secret
un spectateur catholique ; d'autan t de Dreyer est peut-être dans ce m a- .
plus qu’il ne s’agit pas d’une opposition riage qu’il sait opérer entre deux qua­
de doctrines, encore moins de dogme lités en apparence inconciliables : la
(3). L’éventail est aussi large qu’il est suprême discrétion et l’outrance pro-
possible, de l'athéism e déclaré de Mik­ ore aux m anifestations physiques de
kel Talnê au délire mystique du cadet l’émotion : s’il tem père, ce n ’est pas
Johannès, fou, au sens clinique du te r­ en attén u an t la force propre à ce
me, en to u t cas présenté comme tel. qu’il montre, mais plutôt en en
Au centre l ’optimisme sympathique du assourdissant l’écho. Ces larm es
fermier Morten Borgen, le pessimisme, donc sont, à mes yeux, la plus grande
assez déplaisant il me semble, des sec­ beauté « technique » du film, en même
tateurs du tailleur Peter. Une intrigue temps aue le point culm inant de l ’as­
amoureuse entre Anders le troisième cension morale où il nous convie. La
fils de l’un et Ann, la fille de l’autre, « parole » n ’a pas encore été prononcée,
donne à toute la prem ière partie une tous du pasteur au médecin refusant
saveur quasi hum oristique qui n ’est d'adresser à Dieu cette prière à la ­
pas sans rappeler le to n de ce conte quelle le fou, rendu à la raison, les
boccacien La quatrième alliance de convie, mais les larm es sur l’écran ont
Margueritte que Dreyer réalisa vers les une efficacité plus grande que les mots.
années 20. Beaucoup de pudeur, beau­ La partie est gagnée d ’avance. Une
coup de candeur, mais non moins de goutte encore, précieuse mais de qua­
rouerie. Les choses se raccommodent lité moins rare, est nécessaire' pour
puis brusquement se gâten t au moment faire déborder le vase plein à ras
même où Inger, la femme de Mikkel bords : le sourire confiant de la petite
m eurt en m ettan t au monde un en­ fille qui, elle, n ’a 'jamais douté... et au
fan t mort. La scène de l’accouchement, term e du plus h ale ta n t suspense qu’au ­
étonnante d ’audace, constitue un m or­ cun film ait jam ais proposé, le m iracle
ceau de bravoure d’une qualité, à mon attendu, souhaité p ar le spectateur
goût, un peu trop formelle : l'éclat même le plus voltairièn se produit ;
aigu des ciseaux du chirurgien ra p ­ nouvelle Alceste, Inger revient à la lu ­
pelle l’insistance, tout aussi insolite, mière et nous offre, en gros plan (l’un
avec laquelle on nous m o n trait dans des seuls du film ), l ’extraordinaire vi­
la Passion les instrum ents de supplice. sion d’un visage buriné, hébété, grisâ­
Le développement donné à ce motif, tre et pou rtant radieux...
auquel je suis d’ailleurs personnelle­ Ce n ’est pas, certes, sans quelque
m ent fort sensible, ne me p arait pas raison que nos classiques avaient vou­
— suis-je sévère ? — absolument jus­ lu proscrire de la scène le « merveil­
tifié par la situation. Ce que je loue leux chrétien ». Pourquoi nous, mo­
surtout dans cette dernière partie est dernes, aurions-nous les mêmes pu­
l’a rt avec lequel le cinéma a su m ul­ deurs ? Le cinéma, non parce qu’il peut
tiplier, et sans l’introduction d’effets à m ontrer ce qui lui plaît, mais au con­
lui spéciaux,, la tension dram atique traire ne sait nous proposer que ce
propre à l’acte final d’une pièce de qui est, non p ar son aptitude au fa n ­
théâtre. André Bazin se plaisait à dire tastique, mais bien son réalisme, son
que la présence d’une m otte de terre parti pris d’objectivité semble pouvoir,

(3) L’Eglise catholique elîe-même laisse entière liberté d ’accepter ou de reîuser comme
tel to u t miracle, sauï ceux rapportés p ar l’Evangile.
(4) Qui en effet ? Le même Dreyer dans Tva Manniskor d on t nous n ’avons, hélas ! vu
q u ’une version non sous-titrée, ou bien Cukor dans Adam’s Rïb. Spencer Tracy pleure et
fort bien, mais, on devine, dans u n to u t au tre registre.
l ’exemple le prouve, faire le meilleur tre grec. Voilà une nouvelle sorte de
ménage avec lui. En l’année 1954 deux tragique que notre siècle serait sot de
filins, et des plus grands, Voyage en négliger. En évoquant l’u n e . des plus
Italie et Ordet, auront m ontré que, sur belles pièces d’Euripide, j ’ai voulu si­
le champ clos de l’art, notre religion gnifier qu’entre Olympe capricieux, ré­
n ’est pas moins bien armée que celle com pensant les m ortels de leur déta­
des anciens, que nous avons droit de chement, de leur silence, et un Dieu
mobiliser au secours de nos œuvres atte n tif à nos seules paroles, notre
ses ressources les moins ordinaires. Il seule foi, la distance est, certes, pro­
ne s’agit pas de croire ou de ne point fonde : il importe seulem ent que ces
croire : tous m 'accorderont que l’art deux causes concourent ici comme là
puise dans des motifs purem ent reli­ au même effet : le sublime. Une telle
gieux une inspiration au moins aussi réussite est rare, je veux bien, mais
riche que celle qu’il rencontre ailleurs. assez convaincante, pour qu’en face
La qualité de l’angoisse qu’Ordet nous d’elle cent, mille chromos sulpiciens
fait éprouver n ’est à coup sûr, pas in ­ ne pèsent guère dans la balance.
férieure à celle que dispensait le th éâ­
Eric ROHMER.

LOLA AU BUCHER
LOLA MONTES, film franco-allem and en Cinémascope et en Eastmancolor
de Max Ophuls d’après le roman de Cecil Saint-L aurent « La Vie Extraordinaire
de Lola Montés ». Adaptation : Max Ophuls et Annette W ademant. Dialogues :
Jacques Natànson. Images : Christian Matras. Décors .* Jean d’Eaubonne. Cos­
tum es : Marcel Escoffïer (pour M artine Carol) et Georges Annenkov. Musique :
Georges Auric. Interprétation : M artine Carol, P eter Ustinov, Anton Walbrook,
Ivan Desny, Will Quadflieg, Oscar Werner, Henri Guisol, Lise Delamare, Béatrice
Arnac, Paulette Dubost, Héléna Manson, Jacques Fayet, Daniel Ma«daille.
Co-production : Gamm a Film — Florida film (Paris), Gamm a Film — Union Film
(Munich), 1955.
Amis et connaissances, cinéastes, cri­ Cahiers fut, comme Casque d’Or vic­
tiques ou cinéphiles, de tous les « spé­ time de la plus grave injustice de la
cialistes » dont j ’apprécie le goût, l’in­ critique (française) à l’égard d’un film
tuition et la sensibilité il ne s'en (français) et je suis persuadé que
trouve aucun qui n ’adm ire Lola Mon­ Bazin reviendrait aujourd’hui sur son
tes. Ce n ’esf certes pas u n argument, jugem ent de l’époque comme il l’a
mais une constatation réjouie. fa it pour le fini de Becker. Avec Alain
Si Max Ophuls est le seul m etteur en Resnais nous étions tombés d’accord
scène français incompris et sous-esti­ pour convenir que Jean Gabin n ’avait
mé, c'est que, plus que tou t autre, il j'amais été plus extraordinaire — et
reste imperméable aux modes et aux différent — que dans Le Plaisir. Et
tendances. La iguerre, la bombe atom i­ quel m etteur en scène a m ieux parlé
que, la misère le concernent comme des acteurs que Max Ophuls (1) avec
homme mais non comme artiste. Max ta n t de lucidité et de précision ?
Ophuls est le cinéaste du dix-neuvième Un grand artiste se défend toujours
siècle, la plus grande p artie de son œu­ de « faire de l’a rt ». D’une m anière ou
vre s’étale entre 1815 et 1850, sans doute d’une autre, il s’acharne à nous faire
est-il le seul cinéaste à se sentir plus croire à la nécessité pratique de son
à l'aise en dirigeant un film à costu­ travail, voire à son irresponsabilité.
mes. Conscient de l'indécence qu'il y a à
Le Plaisir, qui n ’eut même pas les « fabriquer de la vie », l’artiste véri­
honneurs d’un compte rendu dans ces table recourt à des subterfuges ; celui

(1) Cahiers d u Cinéma, n D 54 : « Hollywood, petite ile » p a r Max Ophuls.


M a rtin e C a ro l d a n s L o la M o n té s de M ax O p h ü ls

d’Ophuls est de masquer ce qu’il nous M artine C^,rol qui n ’est comme M ari-
m ontre jusqu’au point de le dérober à lyn Monroe qu’une brave fille gentille
notre vue. D’où ces tulles et ces voiles, et aguichante se trouve amenée p ar
ces grilles et grillages, voire même ces les lois occultes du box office et de la
tuyaux de poêle et ces cordages qui politique des producteurs à tenir les
s’interposent entre l’action et l’objec­ rôles qui conviendraient exactem ent à
tif, entre la vie recréée et nous qui, Ingrid Bergman, Gréta G-arbo ou Jo an
oisivement, la contemplons. Le comble Crawford.
de la dérobade dans l’œuvre d’Ophuls Max Ophuls qui a très vite compris
réside bien dans ce silence de Tabula - que M artine Carol n ’avait pas plus de
teü r après Madame de (2). parenté avec Lola Montes que lui-
La même pudeur commande la vi­ même avec le Pape, a adopté le p arti
tesse des mouvements d’appareils, la pris ûe taire de Lola une statue de
brièveté des plans et c'est elle encore p lâtre qui aurait la faculté de souffrir.
qui incite Max Ophuls à ôter de son Lola Montés n ?existe pas ? Qu’à cela
m ontage définitif le saut de Lola et ne tienne ! A-force d ’entasser des pier­
son strip-tease qui eussent créé le m a- res sur cet édifice aérien, Ophuls est
lentendu dans un film, qu’on le veuille arrivé à b âtir une cathédrale entre ciel
ou non, de moraliste. et terre, pour tout dire un Oratorio et
Im aginons un peintre qui, honteux ce n ’est pas p ar hasard que Lola Mon­
d’une m iniature qu’il expose s’efforce­ tes m ’a fait penser à Jeanne au bûcher,
ra it de la dissimuler aux regards des film, qui lui aussi, fera sortir pas mal
visiteurs en l’entourant d’un cadre de de sottise des encriers.
cent cinquante kilos. Dans un récit, quel soit-il, ce qui in­

(2) Ce qui, chez "Louise de Vilmorin n ’é ta it d u ’vme trouvaille astucieuse, devient chez
Max Ophuls, u n p oint essentiel du style de son film : « Je m ’appelle Madame de..., {le nom
est couvert par un b ru it de fiacre). Sur un e table, la place de Danielle Darrieux est réser­
vée m ais u n verre cache son nom et l’on peut lire seulem ent : Madame de...

29
téresse Ophuls est précisément ce qui anglais et Oscar "Werner: allem and (3).
h eu rta it Valéry, c’est dire que de Lie- Pour la version française, la seule qui
l>elei à Lola Montés en passant par nous occupe, tous ces acteurs ont parlé
Lettre d’une Inconnue, La Signora français avec u n accent plus ou moins
di Tutti et Madame de son œuvre est prononcé. Ajoutez à cela un dialogue
riche en marquises sortant à cinq h eu ­ qui sim ultaném ent nous offre parfois
res, peu couvertes, p ar temps d’hiver, deux ou trois conversations, des chu­
pour fuir leur destin, d’héroïnes balza­ chotem ents et des phrases perdues
ciennes, p a r les rues désertes et ennei­ comme dans la vie, vous obtenez une
gées d’une ville de garnison en Alle­ bande sonore dont un cinquième est
m agne du Nord. inaudible lors d ’une première vision.
Balzac n ’arrive point ici p ar hasard. Le même effort de réalisme se retrouve
Comme lui, Max Ophuls « pousse » les dans récriture même des dialogues qui
sentim ents jusqu’à leurs extrêmes con­ nous m ène plus loin encore dans le
séquences physiques : les fièvres et les laconisme que Becker qui revient ainsi
sueurs s’emparent, en fin de compte, de •sur le tapis avec justem ent Casque
la femme désaimêe, qui m eurt à la d ’Or.
m anière d’Ursule Mirouet ou de Ma­ Le dialogue du découpage était bon,
dame de Morfcsauf. celui du film est extraordinaire p ar le
L’homme, ëcnyer, diplomate ou m u­ fait même que les acteurs n ’ont pu le
sicien, m ari ou am ant, est d’abord dire textuellem ent et aussi p a r les
pitoyable, responsable souvent des changem ents sur le plateau (4).
m alheurs qui m inent sa partenaire ai­ Le pire travers de l’acteur moderne
mable, idolâtrée jusque dans la dé­ consiste à m ontrer qu'il possède bien
chéance. O/phuls est charnel, lui aussi, « l’intelligence du .texte », et il fau t
lié à ses héroïnes p ar la complicité avoir entendu Gérard Philipe réciter
amoureuse^ des romantiques les plus des poèmes pour imaginer le plaisir
échevelés. Il est le confident, le m e­ que l'on pou rrait éprouver à étrangler
n eur de jeu ; il conduit la ronde. un comédien.
Il s’agit donc moins ici d’un récit or­ Le double et triple décalage qu’il y
donné que d’un choix de moments cru­ a constam m ent dans Lola, entre la
ciaux, de périodes de crise dans la vie personnalité des acteurs et leur dic­
d’une femme dont le métier est le spec­ tion, entre leur diction et leur texte
tacle, sans autre spécialité bien définie crée l’enchantem ent à la m anière des
que le scandale pour le scandale, en hésitations de M argaritis dans L’A ta-
dépit du scandale. lante. Lola Montés est le premier film
D’autre ont dit et diront encore la « p a rla n t Vigo », le premier film b a­
beauté de ce que l'on voit sur l’écran, fouillé, un film où la beauté d ’un m ot
l ’usage révolutionnaire qui esj> fa it du (le velouté voluptueux dont Walbrook
cinémascope, je ne m ’arrêterai cette p are le m ot audience) prend le pas
fois qu’à la bande sonore qui est bou­ constam m ent sur la signification de la
leversante dans toute l’acception du phrase. Jean Vigo encore me revient
terme. en mémoire p a r le goût qu’il avait, tout
comme Ophuls, du texte versifié.
Lola Montés réalisé en triple version E ntre :
est interprété p ar des acteurs de toutes
nationalités dont P eter Ustinov : russo Ces couteaux de table
anglais, Anton “W albrook : austro- Aux reflets changeants

(3) A travers ces 3 acteurs on reconnaît la voix de Max Ophuls.


(4) Cette phrase du découpage : « Un fauve cent fois plus m eurtrier Que ceux Que vous
venez d'applaudir dans notre ménagerie », devient, prononcée p ar le génial étourdi Peter
U stinov : « Un fauve cent fois plus m eurtrier que ceux dans notre ménagerie. »
Toutes les phrases du m aître à. danser dans le cirque o n t été remplacées au tournage
p ar des p etits cris e t grognements du meilleur effet.
Max Ophuls a délibérém ent retenu dans son m ontage d éfin itif les prises accidentées de
préférences aux autres, réussies. C’est ainsi que le fouet de P eter Ustinov se prend à un
certain m om ent dans les franges d ’u n décor. De même le roi de Bavière, au th é âtre :
a J’allais chez vous, madame... non, ça ne vas pas. » (Il contourne u n décor et reprend :)
a J'allais chez vous madame... pour vous épargner le dérangement. » Cette idée sublim e
du « ça ne va pas » provient à coup s û r d ’u ne défaillance d’Anton Walbrook p e n d an t le
tournage du plan. C’est par cette improvisation constante aux pouvoirs amélioratîfs, tous
dirigés dans le sens d’une vérité plus vraie que Max Ophuls rejo in t Jean Renoir, celui du
Crime de Monsieur Lange et c’est pour to u t cela que la bande sonore de Lola Montés est
la plus audacieuse que je connaisse.

30
Sont inoxydables dernier plan : Lola dans la ménagerie,
Eternellem ent. offre à baiser sa m ain à travers les
et barreaux d’une cage aux fauves ; la
A Raguse caméra recule en travelling arrière,
Robe exquise les spectateurs du cirque, avancent en
On l’a r’fuse dessous de l’écran en sorte que nous,
A l’église, spectateurs du cinéma, nous m ê­
lons à eux ; pour la première fois la.
mon cœur balance. sortie d’une salle se fait p ar l’écran.
Tout le film se place ainsi sous le p a ­
La critique élogieuse d’un film dont tronage de Pirandello comme du reste
on s’est grisé cinq fois en sept jours l’œuvre entière de Max Ophuls.
n ’a pas de raison d’être achevée. Je
term inerai en soulignant la beauté du F rançois T r u f f a u t .

E t toujours à propos de Lola Montes :

LES QUESTIONS
Et pourquoi écouter les réponses quand on p e u t poser encore d'au­
tres auestio7ïs ?
G ertrude S t e in .

U y a deux ans nous vimes Madame de, manière de com prendre les Intentions de
puis le cinémascope, à peu de temps de là. l’au teu r ni de l ’in terp rétatio n q u ’on en peu t
Quelle chance pour Ophuls, écrivais-je alors donner (ainsi récem m ent La Terre des Pha­
dans u n texte qu e je reprends, quelle raons ), mais de lpt m atière même qui com­
chance non de supprim er le panoram ique pose les images : il s’y trouve assez pour
mais d ’en m ultip lier les pouvoirs, quelle taire deux ou trois film s, et l’œuvre
chance d ’agrandir le cadre auto ur d'u n per­ q u ’Ophuls a voulue e t créée, celle-là n'exista
sonnage sans l’em plir de rien d’autre que que si le spectateur s’y p rête totalem ent.
lui. Car ces rideaux s ’interposant, ces cloi­ On lui propose l’essentiel et de quoi se dis­
sons tran sparentes et ju s q u ’à ces objets traire. de quoi s’égarer et il n 'est pas assuré
cachant à demi les visages mais entre auoi que l’essentiel ne soit aussi là. J 'a i rarem ent
se m euvent les corps dans u ne déroute de vu moindre sollicitation du spectateur, et
l’espace, ces grands mouvements elissants les c’est l’a r t des grands romanciers, de Balzac
accom pagnant venant d ’où allan t où, ne surtout, que je retrouve ici.
font que livrer davantage à eux-mêmes les
personnages, les adressent enfin d ’eux- L’a rt d ’OphuIs, comme celui-là, n ’est pas
mêmes à. eux-mêmes. simple d’abord mais il e st aussi sans coquet­
E t to u t cela s’imoose avec trop de force terie: voilà q u i se laisse m al concevoir ou
pour n ’être que travesti symbolique. Dans qui. compris, ne lui est pas volontiers par­
cette m onstrueuse et dérisoire carte d u Ten­ donné. Pour beaucoup l ’ornem ent est plus
dre que figure à nos yeux le spectacle du aimable que la rigueur, que dire lorsque l'ap­
cirque. c ’est la recherche d ’u n personnage parence de l’ornem ent sert à plus de ri­
au i nous est proposée à travers ses existen­ gueur ? Car c’est bien de dépouillement,
ces successives. E t le symbole est dépassé q u ’il fa u t parler ici ; n on de la richesse du
aussitôt nercu. car il n ’existe aue p our et tra it mais de la pureté d ’un e ligne nu e con­
p ar le souvenir de l'héroïne, non par l’expli­ tinue, tendue ; non de lp, guirlande mais
cation q u ’il apporterait à u n récit. T out de l’inflexion h au tain e de l'arc ; non de
nous renvoie à l'héroïne e t il n ’y a pas ici ï’ingénioslté mais de la précision jamais
de récit, re.ct.ion dranvatiaue est absente dém entie de l’idée que l’a u teu r a conçue de
d ’une absence que peu de cinéastes ose­ son œuvre e t q u ’il mène à son achèvement.
raien t concevoir : nous n ’y prenons pas Alors que ta n t de critiques blasés reportent
garde e t nous voici aspirés, entourés, sub ju­ su r u n avenir vague l’adm iration et l ’en­
gués p ar u n univers proprem ent romanes­ thousiasm e q u ’ils refusent a u ciném a d ’au.-
que. jo rd ’hul, le cinéma de dem ain a déjà com­
Il me semble que Lola Montés est à ce mencé ; il s ’appelle Le Carrosse d’Or et La
jo u r u n des rares films qui se paisse voir Co7ntesse aux pieds nus, il s'appelle Lola
de plusieurs m anières n ’ayant entre elles Montés.
axteun p oint com mun. Je ne parle n i de la P h il ip p e dem onsablon .

31
METTRE EN SUSPENSE
TO CATCH A THIEF (LA MAIN AU COLLET), film américain en Vista vision
et en Technicolor d’A lfred H itc h c o c k . Scénario : Michael H a y e s , d'après le
rom an de David Dodge. Images : Robert Burks. Décors : Sam Corner et A rthur
Krams. Costumes : Edith Head. Musique : Lyn Murray. Interprétation : Grâce
Kelly, Cary Grant, Charles Vanel, Jessie Royce Landis, Brigitte Auber, René
Blancard, John Williams, Jean Martinelli, Georgette Anys, Roland Lesaffre, Jean
Hebey. Production : Param ount, 1955.

« ...Mais où est la patte d’Hitchcock ? ■»


(L’Aurore) P.C.

Le m alentendu ne semble pas près familier, illustré cette fois de la plus


de se dissiper. Son origine est simple : littérale façon.
il y a mille et trois façons d ’aim er To Voici rentrée. P etit dépaysem ent :
catch a th ief ou n ’importe quel autre on passe par la Lorraine avec une qui­
film d’Alfred Hitchcock ; m ais une che, dont la pâte est légère, car la
condition : adm ettre la conscience du grosse cuisinière a des doigts de fée.
créateur en n ia n t la fortuité des im a­ Le sinistre m arché de Dial M for Mur-
ges et des mots. der devient ainsi propos de table ; on ne
La main au collet est considéré par vous traite plus d’ass'assin, mais de vo­
son auteur comme « a private joke ». leur, si l’on obtient un résultat sem­
Il vaut mieux prendre l’expression à la blable: l’inspecteur d’Assurances (frère
lettre et ne pas extrapoler : ce film jum eau de celui de Scotland Yard)
est une -plaisanterie intime. confie au m onte-en-l’air le relevé dé­
Construit comme un menu, parce que taillé des bijoux de ses clients. Les
tourné dans un pays gastronomique buts sont les mêmes : vivre agréable­
par un gourmand, il reprend systém a­ m ent de belles choses m al acquises.
tiquem ent les situations, les images et Le plat de Résistance est une belle
les thèmes musicaux des œuvres qui dinde farcie sur canapé, un m ets qu’il
l’ont précédé. Hitchcock aime ce genre fau t savoir découper ; c’est ainsi que
de récapitulation : il tourna ainsi Sa­ J o h n Robinagrobis devient Conrad
boteur (Cinquième colonne) qui était Bum s, car il est, dans la vie d’un
de la première à la dernière image un homme, des circonstances qui récla­
pot-pourri de ses films anglais. To m ent le pseudonyme : sans changer de
catch a thief est u n pot-pourri de ses peau, on change de patronym e. Mais la
films américains : s’il est meilleur (plus dinde reconnaît les gens au morceau
subtil et plus « profond »), c'est que qu’ils choisissent : pour éviter d’être
les œuvres illustrées sont meilleures prise, elle se donne. Mauvais calcul :
(plus subtiles et plus « profondes »). elle se retrouve bientôt sans plume et
Le générique nous présente la carte: sans croupion.
le menu sera à la française. La salade, niçoise, est policière et
vinaigrée, accompagnée de poulet
Pour commencer, hors-d'œuvre pro­ froid (la dinde n ’était pas très chaude,
vençaux variés : Corniche, Nice, Vence, non plus).
Cannes, Monte-Carlo. Ils exposent le
sujet du film : le Roi des Chats, re­ Pour le dessert, le traiteur a bien
traité, va se trouver obligé de rem on­ fait les choses : splendide pièce m ontée
ter sur les toits à la poursùite d'un du XVIII0, royalem ent ornée et p ré­
usurpateur ; nul ne lui fa it confiance : sentée. Démontée, la pièce se tra n s ­
un Chat est un Chat, et Robie un fri­ forme en salon féodal pour partouzes :
pon. Ce n ’est pas en m ettan t une per­ qui s’en étonnera ?
ruque que l’on change la pointure de Nous prendrons le café sur le toit,
ses souliers (une image le soulignera ); dans une atm osphère de rêve. L’iden­
et on reconnaîtra facilement, à travers tité de l’imposteur nous sejra enfin
la légèreté touristique du ton, le thème révélée, et ce ne sera surprise que pour

32
G râ c e K elly e t J o h n W illia m s d a n s T o C a tch <i T h ie f
d ’A lfred H itc h c o c k

ceux qui n ’ont pas le sens de la symé­ fre), de Speïïbound (séquence onirique
trie. Tout le repas est au Champagne: du toit), de / Confess (la scène du ci­
le whisky n ’a la préférence que des m etière). Aux sourds, je rappellerai
Américaines pétrolifères en goguette. les thèmes musicaux de Speîlbound,
Faudrait-il absolument m ettre du Strangers on a train, M. and Mrs. Sm ith
suspense pour que se reconnaisse la dont To catch a thief offre quelques
p atte ? Aux aveugles, je signalerai, variations plaisantes.
entre autres, les rappels de Rébecca Ce film est bien un récapitulatif
(la cigarette, dans l'œ u f), d’Under Ca- d'une intelligence et d’une habileté qui
pricorn (l'œuf, sous la cigarette), de risquent d’échapper à beaucoup. Le fa ­
Notorious (la course folle en voiture, meux amomètre,, il est vrai, ne mesure
avec les gros plans de mains qui se pas l ’intelligence.
crispent), de Saboteur (le coupable re­
tenu par la m ain au bord du gouf­ Jean-Yves GOUTE.

BEAUTÉ D’UN WESTERN


THE MAN FROM LARAMIE (L’HOMME DE LA PLAINE), film américain en
Cinémascope et en Technicolor d ’ANTHONï M an n . Scénario : Philip Yordan et Frank
Burt, d’après le rom an de Thomas T. Flynn. Images : Charles Lang. Décors :
Jam es Crowe. Musique : George Duning. Interprétation : James Stewart, Arthur
Kennedy, Donald Crisp, Cathy O’Donnell, Alex Nicol, Aline Mae Mahon, Wallace
Ford, Production ; Columbia, 1955.
Le genre western échappe pratique- c’est à peu près au petit bonheur. On
m ent en France à la critique. Je veux peut être assuré pour n ’importe quel
dire que si Von en parle dans la presse western de trouver régulièrement les

33

3
trois ou quatre types de critiques de tiques. Il y avait notam m ent dans Je
circonstance du genre : «'Mais où sont suis un aventurier une histoire d’av a­
les Indiens d’antan » ; ou : « Quelques lanche fort gênante à mon goût. Mais
'b agarres bien enlevées et une attaque c’est évidemment qu’il n'hésite pas,
d’indiens assez spectaculaire, font heu- quand il s ’est mis en situation de choi­
reusement oublier la puérilité conven­ sir, entre sa mise en scène et son
tionnelle du scénario » ; ou encore, et scénario. D’où vient que je ne sois pas
naturellem ent : « Mais le cadre troublé par les flottem ents de l’adap ­
traditionnel n’est ici qu'un prétexte tatio n dans L’homme de la plaine.
dont le réalisateur a su se dégager D’abord sans doute de ce qu’ils n 'im ­
pour nous offrir bien davantage qu’un pliquent pas réellem ent des invraisem ­
western... » Il est flagrant que la cri- blances, m ais seulement des obscuri­
tique dérape sur le western et ne tés. Nous ne discernons pas très bien
trouve à s’y agripper intellectuellement qui est le -traître, ni même s’il y en a
qu’a u ta n t que l’auteur a jeté sous ses un. Jam es Stewart, venu en ce pays
roues le sable de la psychologie ou de venger son frère tué par les Indiens
La thèse morale. En fait le vrai wes­ grâce aux carabines autom atiques qui
tern est en effet quasiment incritica- leur on t été vendues par un salopard
ble. Ses qualités ou ses faiblesses se du coin, se heu rte à l’autorité quasi-
constatent et ne se dém ontrent pas totale du propriétaire du pays : il faut
Elles résident moins dans la présence trois jours de m arche à cheval pour
des ingrédients qui font le western traverser ses domaines. Mais cet hom ­
que dans la nouveauté subtile qui ré­ me tout puissant a peur de quelque
sulte de leur dosage. L’analyse, alors, chose. De la faiblesse mauvaise de son
ne donne rien qu’une énum ération gros­ fils, d'abord — que ne contrôle pas
sière à quoi échappe l’essentiel que assez un régisseur peut-être trop am ­
seul le goût révèle. Mais allez donc bitieux — et d’un homme qu’il voit en
critiquer un goût ! Au dem eurant l’ap­ rêve venir détruire le patrim oine si
préciation de sa grossièreté ou de sa durem ent assemblé. Finalem ent il com­
finesse suppose l’am our et la fam ilia­ prendra que l’usurpateur de ses son ­
rité. La valeur d’un western a quelque ges n ’est point le vengeur venu de
chose de commun avec la dégustation Laramie m ais le régisseur dont il avait
des vins. L’am ateur seul distingue le fa it son fils adoptif. Aux yeux de tous
corps et le bouquet, le degré et le les protagonistes du film ce person­
fruité et toutes ces nuances mêlées où nage est le traître promis au ch â ti­
le profane ne discerne en gros que le m ent final. E t peut-être Test-il en ef­
Bourgogne et le Bordeaux. Mais quit­ fet. Mais pour le spectateur seul té ­
tons ces comparaisons gastronomiques. moin de certaines scènes et qui en sait
Il serait peut-être plus juste de dire davantage que Jam es Stewart, le plus
que les qualités essentielles du wes­ coupable p a ra ît être le fils innocenté
tern relèvent du lyrisme, et que l’im ­ indûm ent p a r sa m ort prém aturée. Le
po rtan t n ’est pas, pour la mise en personnage du régisseur si coupable
scène, qu’elle chante fort m ais qu’elle qu’il soit ne l’est pas ta n t que le croient
chante juste. Ainsi voit-on louer gé­ ceux qui le condam nent. Il n ’est pas
néralem ent des westerns en fonction en tous cas sans circonstances a tté ­
de leur am pleur spectaculaire ou de la nuantes. L’âpreté et l’égoïsme p a tria r­
seule adresse avec laquelle le réalisa­ cal de son p atro n lui sont une ex­
teur a su redonner du piquant à un cuse. Apprenti sorcier de la catastro ­
thèm e classique. Ce ne sont pas tou- phe, il n ’a pas voulu tout le m al auquel
j ours là qualités négligeables, mais il s’est condam né p ar sa première
combien moins décisives que la vibra­ faute. Ainsi l ’emploi classique du tra î­
tion de la moindre scène, le timbre de tre n ’est-il ici qu’apparem m ent res­
son chant. pecté et de façon paradoxale puisque
Cette justesse musicale, Anthony seulem ent à l ’usage des protagonistes.
M ann la possède au plus h au t point. Mais on a n aturellem ent compris que
Tous les.w esterns que nous avons vus ces ambiguïtés ne doivent rien à la
de lui étaient remarquables et notam ­ psychologie, elles naissent des in terfé­
m ent L'Appât, le mieux construit évi­ rences des situations et des personna­
dem m ent quant au scénario. Il m ’ar­ ges. Leur subtilité est objective et es­
rive je Ta voue d’être un peu irrité par thétique. Elle est engendrée non par
la désinvolture dont témoigne quel­ une psychologie particulière attribuée
quefois Anthony Mann pour la vrai­ à priori aux personnages m ais p a r l’in ­
semblance de ses articulations dram a­ telligence du récit. Rien de commun

34
par conséquent entre la richesse de ce pressionniste où viennent s’inscrire les
scénario et celle des « sur-westerns » trajectoires hum aines. Chez Anthony
du genre High Noon. Ici les données du Mann c’est un milieu. L’air même ne ,
problème restent rigoureusement -pu- s’y sépare pas de la terre et de l ’eau.
res. Au départ, Anthony Mann ne dis­ Comme Cézanné qui le voulait peindre,
pose de rien d'autre que des thèmes Anthony M ann veut nous faire sentir
et des emplois traditionnels, l’espace aérien non comme un conte­
n lui arrive même de m aintenir l’un n a n t géométrique, un vide de l’horizon
d’eux quand le scénario ne le justifie à l’horizon, mais comme la qualité
plus guère. Le vieux trappeur, un concrète de l ’espace. Q uant sa ca­
chercheur d’or malheureux, barbu et m éra panoramique, elle respire.
philosophe dont la mule constitue la D’où l’usage si remarquable du Ci­
seule richesse est un personnage clas­ némascope dont le form at n ’est jamais
sique auquel L'Appât avait justem ent utilisé comme un cadre nouveau. Sim­
consacré un rôle im portant. Nous le plement, ainsi que le poisson dans un
retrouvons ici mais réduit à un usage plus grand aquarium, le cow-boy est
épisodique et décoratif. Il fournit no­ plus à l’aise dans le grand écran. S’il
tam m ent à Anthony M ann l’occasion traverse le cham p notre plaisir est
d’un plan admirable lorsque la caméra double puisque nous le voyons deux fois
le découvre seul au milieu du pay­ plus longtemps.
sage. Contempler est en effet pour An­
C’est que pour le réalisateur de Naked thony M ann le but ultime de la mise ’
Spur l’homme ne se sépare guère de en scène western (1). Non qu’il n ’ait
la nature. Certes et depuis les origi­ de goût pour l’action et sa violence,
nes, le paysage est une donnée fonda­ sa cruauté même. Il sait au contraire
m entale du western, mais c’est juste­ la faire éclater avec une soudaineté
m ent à l’usage qu’il en fa it que se éblouissante, m ais nous sentons bien
reconnaît la vocation du vrai m etteur qu’elle déchire la paix et qu’elle as­
en scène de western. Pour Anthony pire à y retourner (2) de même que les
M ann le paysage est toujours dépouil­ grands contemplatifs font les meilleurs
lé de son pittoresque dramatique. J a ­ hommes d’actions parce qu’ils en m e­
mais de ces rochers impressionnants surent tout ensemble la vanité dans
surplom bant des déserts, n i de ces la nécessité. Anthony M ann regarde
contrastes écrasants destinés à ajouter ses héros lutter et souffrir avec te n ­
leurs effets à ceux de la mise en dresse et sympathie, il trouve que leur
scène ou du scénario. Si les paysages violence est belle parce qu’elle est
que semble affectionner Anthony Mann humaine, mais elle ne l’intéresse nul­
sont parfois grandioses ou sauvages, lem ent pour ses conséquences dram a­
ils restent à la mesure de la sensibi­ tiques. Il y a dans L’hom m e de la
lité et de l ’action humaine. L’herbe plaine une longue bagarre sans vain­
s’y mêle au rocher, l'arbre à la pous­ queur.
sière, la neige au pâturage et les n u a ­ Ainsi ém ane de cet admirable film
ges au bleu du ciel. Cette miscibilité une sagesse plus profonde que celle
des éléments et des couleurs est com­ qui procède des seules données orga­
me le gage de la tendresse secrète niques du genre. Une sorte de sérénité
que garderait la nature pour l’homme virile et tendre qui vaut bien à coup
jusqu’en ses plus rudes épreuves sai­ sûr les leçons m orales plus explicites
sonnières. de ces films auxquels la critique ré­
Dans la plupart des westerns et serve ses faveurs parce qu’ils sont
même des meilleurs, ceux de Ford par « mieux qu’un western ».
exemple, le paysage est un cadre ex­ André BAZIN.
(1) Ce n ’é ta it hélas Que le seul aspect atta c h a n t de Stratégie Air command. Cet arti­
cle parle d ’Anthony Mann auteur* de western et je n ’en infère pas personnellem ent u n
ta le n t égal en d ’au tres domaines. Glenn Miller Story m ’a paru sinistre. Je n ’y vois rien que
de norm al. Les mêmes qualités se retournaient alors contre le sujet. Mais je n e veux -pas
engager à ce propos u n d ébat critique qui so rtirait de mon sujet.
(2) Il se passe de moins en moins de choses dans les westerns d ’A nthony Mann qui
semble s'être donné pour idéal de tourner u n film où le héros n ’a u ra it d ’au tre occupation
que de se prom ener à cheval p en d an t cent v ingt m inutes. J ’en donnerai pour preuve ce
com m entaire indigné de Jack M offitt dans « T h e H o l l y w o o d R e p o r t e r » concernant le
dernier western d ’A nthony Mann qui vient de sortir en Amérique : « La seule émotion
éveillée par T he L ast F rontier est de la pitié vour les acteurs... L'industrie d u cinéma au
lieu de chercher de nouveaux visages ferait m ieux de chercher de nouveaux cerveaux... Il
s'agit d ’u n western sans action (sauf à l’ultim e m inute) et un draine psychologique sans
mobiles ».

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LA P A R O L E
BLACKBOARD JUNGLE (GRAINE DE VIOLENCE), îilm am€r?caai cre
B r o o k s . Scénario et dialogues : Richard. Brooks, d’après, un rom an
R ic h a rd
d’Eyan Hunter. Images : Russel Harlan. Montage : Ferres Webster. Musique :
enregistrements de Bill Haley, S tan K enton et Bix Bejderbecke. Interprétation :
Gleen Ford, Anne Francis, M argaret Hayes, Louis Caihern, Sidney Poitier, Vic-
Morrow, Dan Terranova, R afaël Campos, Paul Mazurski, Richard Kiley, Emil
Meyer, John Hoyt, W arner Anderson, Basil Ruysdael. Production: Pandro S. B er-
m an - M.G.M. 1955.

C’est attaquer sottem ent BlacJcboard 1° D’abord et péremptoirement, a r ­


Jungle que de m ettre en doute l’exac­ gum ent de la politique des auteurs :
titude de l’inform ation qui s’y trouve celui qui construit son scénario avan t
rapportée ; dans les grandes villes des de le m ettre en scène et écrit ses d ia ­
Etats-Unis, le problème de la jeunesse logues av an t de diriger les acteurs qui
délinquante se pose à ce point et l ’avis les disent, celui-là crée selon ses in ­
.autorisé de Domarchi ne laisse aucun tentions — il crée ainsi parce que tel
doute là-dessous. Mais. Richard Brooks est son propos. Point im portant q u ’il
n ’a pas voulu em prunter au jo u rn a­ fallait rappeler;
lisme ses méthodes, on ne fait pas un 2° Ici le propos de R ichard Brooks
reportage d’après un scénario et nous est de restreindre son étude à celle
ne verrons pas ici les fillettes se pros­ des rapports en tre élèves et profes­
titu a n t à douze ans ni les sordides réu­ seur et ceci rie restreint aucunem ent
nions de « clubs », largem ent attestées l’étendue des vues qu’il peut donner
par la littérature américaine des vingt sur le problème dont il traite: car c’est
^dernières années (James T. Farrell, à l ’essentiel qu’ainsi -il le ram ène.
! i Nelson Algren, Irving Shulman) et dont Pourquoi l’essentiel ? Comprenons q u ’à
^ ( Gîrls in the Night, film de Jack. Ar­ l’égard de ce problème comme de b eau ­
nold, donnait des évocations d'ailleurs coup d ’autres il est deux attitudes en
fort atténuées. Et' Brooks n ’a pas fait tous points opposées. L’une abstraite ac­
davantage une enquête sur la jeunesse corde sa confiance à l’analyse des cau­
délinquante, au sens où précisément ses et ne s'occupe en fait de l’hom m e
Von entend que la police en fait : en qu’à travers une entité appelée h u m a -'
rassem blant des faitis, en co nfro ntant nité ; l'autre se refuse à faire aussi
des témoignages, en désignant des res­ bon m arché de l'homme vivant en qui
ponsables. Avant de dire en quoi il a elle voit l'individu irremplaçable : elle
fa it mieux que cela, il est bon de com­ n ’en offrira pas les souffrances à la
prendre pourquoi il a fait le film de réalisation de quelque schéma précon­
cette m anière et non autrem ent. çu. Le S am aritain de l’Evangile, s’il
La construction du film va nous y eût été marxiste, ne se serait guère
aider, qui ne nous donne à connaître arrêté auprès du blessé que pour re ­
qu’une partie de la vie des élèves : cueillir son récit, et serait aussitôt re ­
celle dont l’école est le th éâtre ou ses parti, n ’ayant plus de cesse que n ’écla­
alentours immédiats, et plus exacte­ ten t les contradictions d’une société
m ent celle où leur professeur se trouve où peuvent être perpétrés des actes de
impliqué. Rien sur le milieu familial, brigandage. Ainsi dans le cas de Black-
social et pourtant ils o nt bien des pa­ board Jugle, le plus im portant est-il de
rents, logent quelque part, se réunis­ savoir p ar quels enchaînem ents des
sent, se distraient — m ais sitôt form u­ enfants en sont arrivés au point que
lée cette remarque, nous devons ad ­ nous voyons, ou de savoir, à p artir de
m ettre aussi que nous ne saurions les là, quel salut leur est offert, à eux
mieux connaître. Je dédaigne les mo­ précisément, immédiatement, et pas
tifs secondaires qui ren draient compte seulement à ceux qui viendront plus
de ce choix (encore qu’ils ne soient pas tard ? Et la seule personne qui puisse
dénués de raison — p a r exemple éviter opérer leur salut est celle qui les co n ­
la dispersion entre plusieurs actions n aît en ta n t qu’individus promis à un
parallèles, resserrer l ’intrigue, etc.) ; avenir : leur éducateur. De fa it les
j'en vois en effet de plus intéressants. deux attitudes dont je parlais plus

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G le n n F o rd et S id n e y P o itie rs d a n s B la c k b o a r d Ju n g le
d e R ic h a r d B ro o k s

h a u t sont fort bien représentées ici : tence, celle justem ent des déterm ina­
il y a Louis C alhem qui à tout mom ent tions sociales et économiques ; il suf­
souligne les contradictions, et rien n ’en fit, leur comportement à l’école ne
résulte. Et il y a Glenn Ford dont l’a t­ m ontre que trop qu’ils ont en tous
titude amène à, se produire des événe­ points réglé leur conduite sur celle de
m ents surprenants. La science enfle leurs aînés (2). Et si la vie de Glenn
mais c’est la charité qui édifie (X). Ford est suivie de l’école à son foyer,
c’est que son existence au contraire est
3° Cette place primordiale que tien t dans la continuité, c’est que ce rôle
ici l’école, elle la doit à l’événement d’agent (Bazin dirait : de catalyseur)
singulier dont elle est le théâtre, et auquel il se voue délibérément n ’est
dont tout le film est la narration. C'est pas de ceux auxquels on se prête à
là et non ailleurs que les élèves vont demi.
se réaliser, aller au bout d’eux-mêmes,
chacun selon ce qu’il est. Eux qui Bien entendu, Richard Brooks a un
d’abord ne se distinguent les uns des parti-pris et c’est bien qu’il en ait un.
autres que p a r des détails, de surface, Il croît à la générosité sans penser
à peine de comportement, de carica­ qu’elle soit sans faiblesse, il croit à la
ture presque, ils vont différer de plus grandeur dont l’homme est susceptible
en pins, devenir de plus en plus indivi­ sans en concevoir d ’ivresse et surtout
dus — et non seulement à nos yeux il croit à la force du sacrifice, il croit
parce que nous les connaissons davan­ à la prim auté des forces spirituelles.
tage, mais surtout par le fait de leur C’était un bel acte de îoi que dédier
propre évolution. Le film ne veut re­ Battle Circus à, l ’indéfectible esprit
tenir d’eux que cette évolution. Ail­ hum ain « to the indomitable hum an
leurs est là p art morte de leur exis­ spirit ». E t si cette générosité ne con­

(1) II y a aussi, pour compléter la parabole d u Sam aritain, celui Q u i passe et ne veut
rien voir : le proviseur pour qui il n ’V a pas de problèmes de discipline. Du reste, il a raison
bien à son insu : le problème est ailleurs.
(2) Ainsi le censeur je tte sur les jam bes de Miss Hammond u n regard qui en d it long,
et l’in s ta n t d’après quelqu’u n te n te ra de la violer, m ais u n autre, u n élève.
n a ît pas l ’inquiétude, c’est que précisé­ l ’habitude de nous priver ; nous en
m ent elle n ’est pas attachée au profit avons oublié les effets salutaires, puis
(cette hypocrisie des « relations h u ­ nous en avons oublié les règles. Le
m aines », l ’une des plus viles escroque­ siècle dernier aura vu se produire une
ries de notre siècle : comment se faire transform ation presque générale du
des amis et réussir dans .la vie) mais langage, dont le style des grands épis-
vouée au sacrifice le plus total. Car en­ toliers et la conversation des paysans
fin le défi ni l'am our-propre n ’inspire nous font m esurer l ’étendue : il suffit
l ’action de Glenn Ford, ni la recherche de les com parer à notre langage des
du triomphe, m ais la vocation du sa­ villes. Strictem ent utilitaire, celui-ci
crifice : et le sacrifice en arrivera à est allé au bout de son rôle de signifi­
un point tel qu'il révélera dans la vé­ cation. Les choses s’y sont effacées,
rité ceux qui y assistent, de sorte qu’à les mots eux-mêmes s’u san t au con­
ce m om ent les m échants se séparent tact des uns des autres et la conversa­
d’entre les justes. tion qui ne se veut ni abstraite n i
affectée en est réduite à utiliser des
lambeaux de phrases, des fragm ents de
langage ; puis elle reprend d ’instinct
ses acquisitions à la poésie, rythm e et
assonances. Brooks est sensible à ce
dialogue monocorde et très subtil à la
fois, auquel il est vrai que la langue
américaine se prête mieux qu’une
Et si nous parlions de mise en autre.
scène ? N’attendez pas de moi que Mais ta n t de soin et d’attention ne
j ’isole à votre intention quelque prin­ sont pas simple jeu d ’auteur. Et leur
cipe spécifique et vous dise : voici la façon de p arler n ’est pas davantage un
mise en scène. Il n ’y a pas de mise en jeu pour ses personnages : n i ruse ni
scène à l’é ta t pur, il y a seulement cer­ déguisement, elle trad u it plutôt leur
tains auteurs avec quelque chose à ex­ empêchement. Ceux-là parlent parce
prim er et qui l’expriment : Anthony qu’ils n ’ont vraim ent rien à dire, parce
M ann p a r les actes les moins prémédi­ qu'il n fy a pas d’interlocuteur et que
tés de ses personnages, Nicholas Ray se taire les obligerait à le reconnaître.
par un décalage entre leurs actes, leurs Et dans Blackboard Jwigle l’effort de
paroles et leurs pensées. (Les paroles Glenn Pord ten d à rendre à la parole
cherchant à déguiser des pensées déjà sa fonction véritable : établir le con­
trahies p a r les 'actes), Richard Brooks tact entre les individus. II fa u t pour
par les paroles des personnages au ser­ cela les aider à trouver le chem in de
vice de leurs actes et pourquoi pas, la sincérité, et la scène est adm irable
e’esf très intéressant la parole et c’est où le Porto-Bicain parle devant le m a­
aussi très im portant. gnétophone ; il fa u t susciter en eux
le désir de surm onter la solitude où
C’es singulièrem ent im portant dans les tient enfermés l'oubli de la parole,
l’ceuvre de Richard Brooks. Dans son et la scène est admirable où les Noirs
art poétique, je verrais un chapitre répètent autour du piano — pas n ’im ­
capital consacré à l’a rt du discours, un porte qeul ch an t — : « let m y peovle
chapitre très personnel car ses person­ go », ch an t d ’exil et de supplication.
nages ne p arlent pas comme ceux de Car enfin la révélation de la parole
Renoir ni de Mankiewicz, pour ne ci­ complète celle du sacrifice et si j ’ai fait
ter que ceux qui ne se reposent pas sur jusqu’ici des allusions peu voilées à la
d'autres du soin de les faire parler. tradition chrétienne, c'est qu ’il s ’agit
Ce qui me frappe dans tous les dialo­ bien d’un drame chrétien — il ne
gues de Brooks, c’est d'abord un emploi s’agit de rien de moins que restituer
particulier du langage; dédaignant à la la parole dans la splendeur du Verbe,
fois l’idée et l’objet concret, pour ne re­ de celui-là qui s’est fa it ch air et a h a ­
tenir délibérément que le mot, comme bité parm i nous.
s’il s’y accrochait. La conversation est
une nécessité dont nous ayons pris Philippe DEMONSABLON.

E t encore à p ro p o s d e B lack b o a rd J u n g le vo id i :

38
HUMANISME DE RICHARD BROOKS
Blackboard Jungle est moins simple q u ’il Quel est en effet le propos de Brooks ?
n ’y p araît e t il fau t, je pense, pour le juger D’opposer au m ythe de surhomme, de super-
correctem ent se défier de ses premières im­ m an des comic-strips, la réalité d u citoyen
pressions. S’agit-il essentiellement d ’u n do­ am éricain tran q u ille e t résolu. Pour illus­
cum ent, d ’u n réquisitoire ? Sûrem ent pas. trer son propos n o tre a u te u r a-t-il véritable­
Si Brooks est dépourvu de to ute « objecti­ m ent forcé la dose, tablé sur le scandale que
vité », il se refuse aussi à plaider u ne cause, provoquerait u ne description volontairement
à donner raison aux uns et to rt aux autres. outrée ? J e ne le pense pas et aussi bien les
Quelques-uns de ses personnages ont sa pré­ études d u Dr Frédéric W erthan sur l’in­
férence sans que, pour au tan t, il condamne fluence des « crime comic-books « sur la
les autres sans retour. Je ne suis même pas Jeunesse am éricaine ( L e s T e m p s m o d e r n e s
certain que West, l’irréductible West ne n° 118) l’enquête publiée très récem ment
trouve pas à u n certain m om ent grâce à ses p ar C o m b a t m ’in c lin e n t à adm ettre que
yeux et aux nôtres. Avec tous s’étab lit u n Brooks a d it la vérité. Je tiens d’autre p art
courant de sym pathie, d ’entente, quelquefois d 'u n de mes am is professeur à la Sorbonne
durable, quelquefois fugace, qui provient de qui fit u n séjour à l’Université d ’Urbana
ce que Brooks donne à tous une chance de (Illinois) que tous les clétails d u film sont
gagner n o tre estime. Je viens de parler d ’ab­ rigoureusem ent exacts, l'apport de Brooks
sence d ’ « objectivité ». Il ne s ’agit pas en s’é ta n t borné à concentrer dans une seule
effet du regard froid du clinicien ou du classe des incidents signalés dans différen­
n atu raliste qui décrit u n milieu, mais ûe tes écoles du même genre (et pas seulem ent
l’illustration d ’un thèm e par lequel Brooks des quartiers pauvres ! ), Agencement par­
est obsédé. Oe thèm e est celui de l'accepta­ faitem ent légitime si l’on songe que le de­
tion tran qu ille d ’u n devoir, de l’accomplis­ voir de l’artiste est de synthétiser et de
sem ent quotidien d’une tâche généralement comprimer dans u n trim estre un e succession
rebutante et sans gloire. Cette acceptation d ’événements étalée su r u ne année scolaire.
et cet accomplissement exigent la forme la De plus, par-delà le m ythe du super-man
plus h a u te d u courage : celui k de cinq d o n t la version la plus commune est celle
heures du m a tin » dont p arlait Napoléon, H du gangster, du tou-gh guy inexorable et
s ’agit donc, on le voit, d’u n genre « moral », féroce, Brooks a voulu stigm atiser l’expres­
et la description sans complaisance du m i­ sion politique de ce mythe. A l ’idéal frêne-
lieu n ’est là que pour conférer au film toute tiq ue de violence fondé sur u n e supériorité
l'efficacité désirable. Q u’on ne s’étonne donc raciale s’oppose celui de la noblesse et de la
pas si chacun des film s de Brooks retrace correction, du courage quotidien e t de la
une vie exemplaire. Le journaliste de DeaûU- fratern ité virile. Il s’agît donc d 'u n film
ne U.S.A., le médecin de B a ttis Circus, le ser­ antifasciste e t n o n anticom m uniste car la
gent de Talce the high groiind, le professeur technique révolutionnaire des communistes
de Blackboard ju n g le illu stren t tous à leur (à laquelle Brooks est très certainem ent hos­
m anière cette persévérance dans le renonce­ tile p uisqu’il est dém ocrate et idéaliste) ne
ment, cette perm anence dans le sacrifice repose pas sur le p o stu lat d ’une supériorité
bien plus malaisée d ’accès que l’exploit d'un raciale et biologique ni sur l’exaltation de
jour : l’héroïsme, c?i,es Brooks, est un e crëa- la force comme telle.
tion continue. Cet idéalisme, sans doute, On voit donc combien Brooks se rattache
notre a u teu r ne l ’a pas inventé. II appar­ à u ne trad itio n to u jo u rs vivante. Par-delà
tie n t à u ne tradition, à une constante de la Hawks d ont il est le fils spirituel (surtout
vie am éricaine to u t aussi tenace que la cons­ le Hawks de Only angels have w ings)>
ta n te opposée : on la trouve en politique Brooks p eu t se réclam er d-e Capra (le Capra
chez Lincoln, chez Roosevelt, chez Kefauver, de Mr. S m ith goes to W ashington} et d u
en littératu re chez Dos Passas, et elle pro­ G riffith d ’intolérance. C’est égalem ent de
cède to u t com m e la constante opposée (la Hawks q u ’il se rapproche par son sens de
glorification de la réussite matérielle) de la fratern ité virile e t c’est encore à Hawks
l ’esprit' p ro testan t qui a marqué de manière q u ’il d o it u n style direct, ennem i de l'eflet
indélébile la m entalité américaine. C’est que et des prouesses de caméra inutiles. Un m ot
le protestantism e am éricain est u n janus me vient aux lèvres pour qualifier son a rt :
bifrons : il justifie à la fois la puissance que celui d ’honnêteté, privé bien enten du de
confère l’argen t (la réussite ici-bas é ta n t le l'acceptation péjorative qu'on lui accole vo­
signe de l’élective divine) et le désintéresse­ lontiers. Brooks n e ruse pas avec les diffi­
m e n t du sacrifice (par l'im portance excep­ cultés, il les affron te comme ses héros
tionnelle q u ’il accorde à la responsabilité posém ent e t tran q u illem en t. Brooks est
im m édiate de l'hom m e devant Dieu). D’où assurém ent ce que G œ the a u ra it appelé une
l’in té rê t des film s de Brooks et leur au th en ­ « belle âme » e t u n tel com plim ent n ’est
ticité : ail manichéisme de pacotille des pas p ar les tem ps q u i courent si facile à
films de Cayatte répond u ne éth iqu e de décerner.
l’hom m e agissant qui correspond à la vo­
lonté d ’affirm er u n certain hum anism e (1). J ean D o m a r c h i,

(1) H um anism e et esprit p ro testan t peuvent paraître an tith é tiq u e s. Je note cependant
chez Brooks u n souci û.'éducation (et même de prédiction) q u i perm et de concilier ces
deux attitu d e s contraires : il s ’agit to u t à la fois de racheter des âmes perdues et d ’accé­
der par une morale en action à la dignité d ’homme.

39
LE BILLET DE RETOUR DE FERNAND CORTEZ
, RAICES (RACINES), film mexicain de B e n it o A l a z r a k i . Scénario ; Manuel
Barbachano Ponce, Benito Alazraki, Carlos V e lo , M aria Elena Lazo, J.-M. G arcia
Ascot, Fernando Espejo, d’après quatre récits de Francisco Rojas Gonzales.
Images : Ramon Munoz, Hans Beimler, W alter Reuter. Musique : Silvestre Revuel-
tas, Rodolfo Halfter, Blas Galindo, Pablo L. Moncayo. Interprétation : Beatriz
Flores, Ju an de la Cxuz, Conchita Montes, Eduardo Urruchua, Juan Cano et
Rafaël Ramirez pour « L e s V a c h e s » ; Olimptia Alazraki, le docteur Gonzales
Juan Hernandea et Angel L ara pour « N o t r e D a m e Miguel Angel Negron, Antonia
Hernandez et Mario Herrera pour « L e B o r g n e Alicia del Lago, Carlos Robles
Gilt Teodulo Gonzalez et Laura Holt pour « L a P o u l i c h e ». Production : M anuel
Barbachano Ponce — Teleproducciones S.A., 1955.

Les quatre courts films réunis dans s'en expliqueront au jour du jugement,
Racines ont un sujet commun : l'héri­ entre d’autres de leurs exploits. Je sais
tage indien. Réalisés, on le voit, avec que le Mexique contemporain tient avec
une grande modestie de moyens m até­ passion à l'héritage aztèque, qui de­
riels, tournés sans acteurs de profes­ vient un juste et glorieux motif de
sion, entièrem ent en extérieurs, les fierté nationale. Peinture, poésie, arch i­
chapitres de Racines ne seraient tecture retrouvent les chemins de Tart
qu’une entreprise sympathique, mon­ aztèque. Mais le Mexique est loin, le
tra n t des dons évidents, un goût loua­ Français casanier, et la projection de
ble pour la cruauté, et même, dans le Raices est comme une surprise, comme
chapitre intitulé « La Pouliche », pour une résurgence de l ’âme indienne.
le délire érotique, s’ils n ’étaient vus
entièrem ent p ar l'œil même des In ­ Non que le film s’adonne à la cul­
diens. Ce qui change tout, et fa it de ture des bons sentiments, ou s’a b a n ­
ce film artisanal, insolite déjà dans donne aux plaisirs du réquisitoire. Je
une production commercialisée, une ne suis même pas sûr que ce qu’on
des œuvres les plus im portantes sans nomme « le contenu » ait semblé aux
doute de la saison. auteurs la chose la plus Im portante.
Le règne de l’homme blanc touche Ils ont raconté, selon la méthode du
à sa fin ; les journaux nous en di­ plus simple réalisme, quatre histoires
sent chaque jour assez sur la question. tragiques, sensibles ou burlesques de la
Mais s’il existe bien des films hindous, vie de paysans indiens — et de la
chinois, japonais, voire turcs ou k u r­ superposition dans leurs esprits de
l'héritage indien et de la mythologie
des, dont les qualités sont diverses et chrétienne.
quelquefois éclatantes, s’ils sont le
fruit de cultures sauvent plus subtiles La nouvelle du Borgne, d ’une grande
et raffinées que les nôtres, on ne les brutalité, est à cet égard une des clefs
voit guère s’attaquer aux problèmes du film. On y voit un jeune borgne
de la présence du blanc, et les natio­ traîné par sa mère au pèlerinage des
nalités qui s’expriment ont été peut- rois-mages à Tizimin, pour obtenir sa
être battues, conquises ou colonisées, guérison. Eisenstein et beaucoup de
jam ais détruites. films mexicains nous avaient déjà m on­
On sait que Fernand Cortez et ses tré la persistance des dieux aztèques
compagnons ont radicalem ent détruit derrière les visages des dieux et dées­
une nation, effacé une civilisation qui, ses chrétiens. La superposition des deux
si l ’on s’en réfère simplement au rem ar­ magies est plus claire ici. Je ne suis
quable petit livre de vulgarisation de pas de ceux qui trouvent trop facile
Soustelle (1), était une des plus im por­ l’exercice de la cruauté, et j ’aime évi­
tantes de l'histoire du monde. La mo­ dem m ent la construction du Borgne,
narchie espagnole et l'église catholique qui fera sans doute frém ir les salles.

(1) Jacques Soustelle. Vie quotidienne des Aztèques. H achette 1954.

40
Mais je ne pense pas que la force la sont, de plus, pour 1’ « am ateur », un
plus grande du film soit justem ent là, des plus extraordinaires fragm ents éro­
où elle est si évidente. tiques que le cinéma lui ait fourni.
Les Vaches, histoire d'un homme et Mais enfin, pourquoi aussi le ca­
de sa femme pendant une famine, ou cher. Toutes ces raisons sont, je crois,
La Pouliche, récit du délire amoureux décisives, et le charme, la séduction
d’un archéologue, sont, sur le mode de l ’âme sont une chose. Nous avons
sensible, ou sur le mode burlesque, en tous aimé et défendu des films sou­
réalité beaucoup plus puissantes. La di­ vent pour beaucoup moins. Comme on
gnité extraordinaire de l’indien et la dit dans les journaux, allez voir, ne
poésie du récit touchent beaucoup. manquez pas, passionnément, etc. Il
Peut-être sommes-nous trop habitués y a pourtant une « autre » chose. Je
au double cliché du m échant sidi et ne suis pas extrêm em ent sensible au
du bon nègre, cet en fant rieur et le mythe de la star, — et pourtant, sou­
choc devient-il, p ar voie de conséquen­ vent, quand la cam éra grossit un vi­
ce, plus sensible. Il s’y ajoute une mise sage, il serait fou de nier le choc émo­
en scène plus éclatante, des images, tionnel du spectateur. Le visage de
qui, pour être moins brutales, surpren­ Racines, c’est celui d’Alicia del Lago,
nen t plus profondément. La quête jeune Indienne héroïne de la Pouli­
amoureuse sénile de l ’archéologue, ou che. Je cherche dans m a mémoire de­
la bataille érotique au bord de la mer puis quand je n ’en ai vu d ’aussi beau.

, Pierre KAST.

n e in ts de B e n ito À laz^aki : AVicia del L ag o et C a rlo s R o b le s Gjl


d a n s l’é p iso d e « L a P o u lic h e ».

41
LETTRE DE NEW-YORK

par Herman G. W einberg

NEW-YORK, JANVIER 1956.

Les élém ents d e b a s e qui faisaient jad is l a condition sine gucr non d'u n b on îilm sem blent
n e plus av o ir cours. Il n e fait au cu n doute que les récents succès en sont dépourvus sous tous
les rap po rts — ph o tographie im aginative, c'est-à-dire utilisation de la c am é ra comme a p p are il
c réa te u r et non p a s de p u re et sim ple reproduction; composition originale et p u issan te plutôt
q u 'entassem ent d a n s le i scope », * v ista », etc... d e tout ce qui, p a r h a sa rd , se trouve d a n s
le cham p de la cam éra ; gros plans, considérés m aintenant comme su ran n és p a rce qu'il est
im possible de le s < c ad rer » su r les écrans g a rg an tu esq u es au x rap po rts disproportionnés ;
insistance a rb itra ire à filmer tout en couleurs sous le faux prétexte q u 'u n film en couleurs est
m eilleur qu'u n film en noir et b lan c et qu'ainsi le spectateur en a d a v a n ta g e pour son argent.
O ù est l'artiste d u iilm en couleurs qui ré alise ra la p h ra se de B raque : « Forme et couleur ne
se m êlenf p a s , eiles sont sim ultanées », ce qui revient à dire que le véritable emploi de la
couleur n e se trouve p a s d a n s les * formes colorées », m ais d a n s les « couleurs form ées » ?
C ela devient pour l'artiste un problèm e d'équilibre et de proportion, d e * poids et m esures ».
Même d a n s Les Portes de VEnfer, d 'une g ra n d e b e au té picturale, l'em ploi d e la couleur res-
sortissait plus a u bon goût q u 'à l'im agination créatrice.
Q uand Hitchcock m ontrait autrefois une im age rouge a p rè s u n coup de pistolet (d an s un
film p a r ailleurs en noir et blanc, SpeJJbound), c'était un emploi im aginatif et créatif de la cou­
leur. Stroheim, d ès 1923, tentait originalem ent le m êm e effet d a n s Les H apaces, q u a n d il faisait
d o rer à la m ain l'énorm e enseigne de l a dent de p lâ tre de McTeague, ainsi q u e les pièces d'or
d e Trina, le can ari jaune, les m ontants du lit d e cuivre, la c ag e à oiseaux, la vaisselle d'or,
etc... im ages d e la soif d e l'or qui s'infiltrait d a n s le film et détruisait finalem ent les pro tago ­
nistes. Il av ait égalem ent tourné des séquences en couleurs d a n s La V eu v e Joyeuse (pour le
couronnement) et La M arche Wupfiale (pour l a procession du Corps du Christ). Mais les exem ­
p les isolés d'Hitchcock et de Stroheim n'ont jam ais influencé qui q u e ce soit. Nous continuons
à voir des films colorés d an s lesquels, excepté un occasionnel film japonais, l'im agination ne
d é p a s se gu è re le p lan de la carte-postale ou du chromo pour calen d riers dits « artistiques ».
Et l'id é e d e m élan g er d es séquences en couleurs et d es séquences en noir et blan c d a n s le même
film p a sse ra it sa n s doute aujourd'hui pour une folie aux yeux de la plu p art d es producteurs.
John Huston d a n s m aints p a ssa g e s de son Mouiin Bouge, en particulier d a n s la séq u ence d'ou­
verture, réussit p resq u e à rejoindre la p h ra se de Braque : * Le peintre n 'e ssa y e pa s d e restituer
une anecdote ; m ais de retrouver l'essence d'un fait pictural » ; s'in sp irant de Toulouse-Lautrec
et s'a ss u ra n t la collaboration d 'u n artiste-opérateur, O sw ald Morris, Huston p arv in t a u plus
heureu x des résultats. Mais com bien d e fois le‘s cinéastes se sont-ils inspirés de tels artistes ?
L a p lu p a rt d u temps, le cinéaste ignore l'artiste.
L' t essence d'un /ait p ictural » de B raque trouve accidentellem ent u n écho d a n s 1' < essence
d e réalité » d e V on S tem berg qui lui a toujours fait préférer le studio aux soi-disant « lieux
au then tiqu es ». La g ra n d e tradition du travail en studio d es M urnau, Long, Pabst, Stroheim,
S tem berg, Clair.., était le m oyen idéal d'em ployer la couleur, p a rce q u e celle-ci a u rait été con­
trôlée p a r eux a u ta n t qu'ils contrôlaient la photographie ou les cad ra g es. Nous ne verrons
m alheureusem ent ja m a is comment M urnau et Eisenstein au raient utilisé la couleur (Eïsenstein
faisait d es e ssa is de couleur à l'époque de s a mort), m ais nous verrons bientôt comment l'utilise
S tem b erg (dans Jet Pilot) et, d e nouveau, Huston (dans Moby Dicfr, où u n e « p atin e » spéciale

42
a été ap pliq uée sur les couleurs natu relles p our les harm oniser avec l’atm osphère violente et
p assio n née de l'histoire). A vant de quitter ce sujet, je v oudrais m entionner l'emploi exquis de
la couleur (si efficacement intégrée à la forme) d a n s p lu siuis p a ssa g e s du dernier iilra de
Poudovkine (La Moisson) ; je pense surtout a u gros p la n de la m oissonneuse fauchant le blé et
à la p rairie sem ée de fleurs se b a la n ç a n t fébrilem ent a v an t la tempête.
Toute cette longue introduction p our en. a rriver a u fait qu'Hitchcock a tiré g ran d parti des *5
extérieurs autom naux dans les bois du Vermont a v ec The Trouble with Harry. Le roux et l'or S
des feuilles d'autom ne sont fort b e a u x et. du vert d es v allées somnolentes, ém ane un lyrisme C
tranquille. Une a utre bonne raison d'em plo yer la couleur est q u e le h éro s peint d e s tab le au x [
atroces. Le film entier est une sim ple farce sur u n cad a v re, curieux m élange de mort et de
sexualité.
A une ép oq u e où faire ici un film en noir et b lanc risq u e d e vous valoir l'étiquette de
« d éclassé social *, William W y ler o sa filmer ainsi The Desperate Hours, s a théorie étant que
cette histoire n 'av ait p a s besoin de la couleur. C 'est exact ; m ais il y a encore au tre chose à
dire. Un groupe de gan gsters é v ad é s terrorise une resp ectab le famille de classe m oyenne durant
q u e lq u e s h eures, parce qu'ils y cherchent refuge contre la police et, à la fin, ils sont ab attus :
voilà )e scénario. Alors quoi ? Y avait-il besoin d e W yler p our c ela ? Où sont les histoires telles,
q u e Dodsworth, Les Plus Belles A n n é e s de notre Vie, La Vipère, etc..., histoires aux résonances
sociales, q u e W yler pouvait autrefois porter à l'écran. Pourquoi lui faire p e rd re son tem ps sur
un sujet au ssi b a n a l?
Q uoique l'on ne fasse p a s p e rd re son tem ps à un ré alisa te u r d e second ordre su r un film
d e second ordre, surtout si celui-ci est un succès commercial, force nous est de reconnaître que
The D eep Blue Sea d'A natole Litvak est, comme le dirait Som erset M augham , d ‘ « un ennui
fracassant ». A dapté d'une pièce de Terrence Hattigan (qui s'im agine, avec cette pièce et The
Man w ho lo ve d R ed H eads, pren d re l a su ite d 'O sca r W ilde e n e sq uissan t des comédies de
m œ urs), c'est un a u tre exem ple d ' * opéra-savon i- si p o p ulaire chez nous. A la fin, on s'atten d
p re sq u e à entendre l'annonceur d isant : « Beiournera-i-eJ/e à son mari ? Ou reviendra-f-eJie à
son aman} ? Ne m a nq u ez pa s d'écouter la sem aine prochaine les déchirem ents d u cœ ur d 'une
femm e tiraillée entre la passion et Je d e v o ir/ Ce p ro gram m e vous a été offert p a r ies PaiJJeffes
d e Savon... gui redonnent à vos sous-vêtem ents l'éclat de la blancheur, aussi saies soienf-iJs / »
Q ue des personnalités comme Sir A lexander Korda, Vivien Leigh et Emlyn Williams se prêtent
à u n e telle m asca rad e est navran t. Une fois même, A natole Litvak sig n a un bon film, M ayerling,
m ais il y a longtemps de cela. Au fait, c'est évidem m ent « en couleurs ».
William Dieterle- av ait une bonne occasion avec M agic Fire, film su r W agner, d'em ployer
intelligem m ent l a couleur en racon tan t l'histoire turbulente et b a ro q u e de l'un des personnages
les p lu s colorés du monde. W agner vivait d a n s u n m onde frivole, tap a g e u r, luxueux, brillant
milieu de la Musique et d e l'Art qui c aractérisa la fin du XIXe siècle en Europe. Louis II de
Bavière, M eyerbeer, Franz Liszt, H an s et C osim a von Bulow, révolutions, effervescence politique, )
etc... Si M agic Fire est loin de d épeindre entièrem ent ceci, c'est tout de m ême une esquisse \
a ssez intelligente d es vicissitudes d e W ag n er atten dan t la reconnaissance de son génie et la ^
gloire. Sans doute ce film m anque de réelle passion, s a n s doute le » feu m agique » n e /
l'em b ra se à aucun moment si bien q u e nous n e sentons g uère la stature gigantesque d e y
W agner, artiste et homme de génie. Mais à quoi vous attendiez-vous ? Q uoique Magic Fire \
ne soit p a s de la classe de Life of Emile Zola, Life of Louis P asteur ou Dr. Ehrlich's Magic J
Builet, on peut lui prédire une bonne c arrière comm erciale. Il a u rait fallu un scénario réellem ent f
g ra n d et un m etteur en scène génial pour un pareil sujet ; ne bénéficiant ni d e l'un ni de l'a u ­
tre, cette vie d e W agner a du moins le m érite d 'être honnête et, com parativem ent aux au tres
b iog rap h ies filmées d e compositeurs, du bon trav ail. Un Stroheim, un Sternberg ou un Orson-
W elles a u rait mieux su faire rev ivre cette période décodante.
Le talentueux Joseph L. Manbïewicz et Fred Zinnem an ont tourné leurs dernières œ uvres,
G uys a n d DoiJs et OM ahoma, en couleurs. G uys a n d Dolis, production Sam Goldw yn en Cinéma-
Scope, est un film m usical su r les semi-bas-fonds de New-York, le m onde des joueurs à la
m anque et de leurs petites am ies, une sorte d 'O p é ra d e Quaf'Sous local, san s l'am ertum e du
film de Pabst. Certaines tentatives d e stylisation d u décor et de l a mise en scène sont intéres­
santes. Ce B roadw ay féerique, né d e l'im agination fa n ta sq u e de Damon Runyon, dont les his­
toires furent le point de dép art de cette œ uvre, risqu e d 'a v o ir plus d e sens pour les Am éricains
q u e pour les Européens, de m êm e q u e les d ialo gu es qui, éta n t p resq u e uniquem ent en argot,
sont difficilement traduisibles d a n s u n e lan g u e é tran gère. Un s a v a n t m élan g e de gangstérism e,
d e religion et de sexe a ssu re à G uys a n d DolJs de récu p érer ici son énorm e devis ($ 5.000.000).
OJdahomü, production Mike Todd, utilise pour l a prem ière f o is o n no u veau procédé d 'é cra n larg e,
le Todd-AO. Le Todâ-AO n 'est p a s u n g ran d p ro g rès p a r rap p o rt a u Cinem aScope : c'est énorme.

43
concave, q u elq u e chose dan s le g e n re du C m ira m a sa n s le s coutures racco rd an t les trois
écrans. On pourront se dem ander ce qui a été fait d a n s ce format collossal ? Pas grand-chose.
Il y a quelques ra re s vues im pressionnantes, m ais cette histoire d e ÏO k la h o m a du XIXe siècle
(avant qu'il soit adm is comme Etat dans l'Union d es Etats-Unis) m anque de p a n ac h e, bien q ue
Zinnem an fasse de gros efforts d a n s ce sens.
Il me reste à vous p a rle r d e The Big Knife, production indépendante d e Robert Aldrich,
a d ap té e de la pièce de Clifford O dets ; ce film inhabituellem ent courageux dépeint l ’asp h y x ie
hollyw oodienne et son m essage est si pertinent q u e The Big Knite surgit insolem m ent a u milieu
de toutes les au tres inepties am éricaines.
H.-G. WEINBERG.

LA sem a in e ; d u c i n é m a

SOVIÉTIQUE A PA RIS

Dans le * lournal Intime * d e notre num éro de novem bre, nous évoquions la sem aine du
ciném a français à Moscou et annonçions la sem aine soviétique à Paris, qui a eu lieu du
30 novem bre a u S décem bre. Le program m e a u e nous avions publié a été légèrem ent modifié
a u dernier moment. Finalement ont été présentés sept films de long m étrage. Un film historique :
Scander-Beg d e Youtkevitch; une comédie hum oristique : Trois hom m es sur un radeau de Kala-
tozov ; une comédie dram atique : La C igale de Sam sonov ; u n film d e ballet : Roméo et Juliette
d 'A m stam ; trois films « contem porains » avec conflits sociaux : La leçon de la vie de Raizman,
Roman inachevé d'Ermler et Salfanat de Pronine.
Sur le p la n de la réussite technique ou psychologique, Scander-Beg et La C igale nous parais*
sent les deux meilleurs d e la sélection. Nous n e reviendrons p as sur ces deu x csuvres dont
nous avons p arlé à l'occasion des festivals d e C annes (1954) et de Venise (1955). Sur un au tre
p la n ce sont les films « contem porains » qui furent les plus intéressants. Parm i eux Roman
inachevé d'Ermler domine p a r l'élab oratio n de la forme et la finesse de l'émotion. La leçon de
la vie n'est p a s exem pte d e q uelques lourdeurs ; Sa/fanaf, prem ière coproduction avec la Kir-
ghisie a pour principal mérite d e nous ré v éler les p a y s a g e s rustiques et industriels du Centre-
Asie. Nos lecteurs connaissent d é jà Roméo ef Julieffe, toujours à l'affiche à Paris ; nous e sp é ­
rons q u 'ils verront bientôt Trois hommes sur un radeau, savoureuse com édie satiriq u e pleine do
v erv e et de mouvement.
On p eut conclure en se félicitant d u succès d e cette sem aine qui a attiré Un nom breux
public qui a p u constater p a r lui-même les p ro g rès et les caractéristiques d e la production sovié­
tique : emploi généralisé d e la couleur et qualité de cette couleur, développem ent d e la d écen­
tralisation et des coproductions avec les R épubliques d e l'Union et les petits p a y s amis, a ssou ­
plissem ent dans la p art didactique des films, p lu s g ra n d e liberté d a n s le choix des thèm es et
ap paritio n d'un jeune réalisateur de talent : Samsonov.
Des dessins anim és et d'excellents docum entaires figuraient a u program m e dont cette éton­
n a n te C h asse a u tigre q ue nous avions d é jà ad m iré e à Venise.
J. D.-V.

44
HISTORIQUE DE LA LISTE

NOIRE
p ar A drian Scott

2. - La ceinture de chasteté (1)

Inévitablem ent, les conditions d e vie d es artistes se reflètent d a n s leurs œ u v res. Il au rait
été étonnant qu'il en fût autrem ent pour le cinéaste libéral. Mais av ant d'exam iner les tendances
actuellem ent contenues d a n s les films, j'aim erais évoquer les tendances telles qu 'elles exis­
taient avan t q u e la Commission des Activités antiam éricaines com m ençât se s sévices ; il
se ra ainsi plus facile de montrer ce qui est en reg ard d e ce qui était.

CE QUI ETAIT

Le g ra n d raz de m arée politique et social dans la conscience du peu p le am éricain, aux


alentours des a n n ée s 1935, q u a n d des concepts progressistes em brasaient des millions d'indi­
vidus, trouva à s'exprim er d a n s les films hollyw oodiens. S'il est vrai qu'H ollyw ood n 'a jam ais
été un barom ètre bien sérieux de la conscience nationale, et q u e le gros de s a production
a p eu à voir a v ec les réalités d e la v ie am éricaine, la période du New D eal nous donne
bon nom bre de films re m a rq u ab le s.
Parm i ces films : l e m ouchard, 'Révolte à Z)uWin, Rue sa ns issue, Les Hauts de Hurlevent,
La ville gronde, L 'E xtravagant Mr. Deeds, Young Mr. Lincoln, La vie d e Louis Pasteur, La vie
d'Emile Zola, Juarez, Des souris et des homm es, et bien d 'autres.
Pendant l a guerre, la p lu p art des hommes responsables de ces œ u vres prirent du
service. Ceux qui restèrent continuèrent à explorer d e s cham ps no u veaux et im portants, tandis

(1) Voir le d éb u t de cette étude (La Chasse aux Sorcières) dan s notre num éro 54
(Noël 1955).

45
que de jeunes talents, écrivains et m etteurs en scène, apportèrent durant cette période, une
im portante contribution à l'œ u v re ciném atographique lihérale.
Cette contribution com prend les films : Tous les biens de la terre. Les R aisins de fa
Colère, Citizen Kane, Q u'elle éfaït v ette m a va llée /, Le iong V oyage, Héros d'occasion.
G ouverneur m algré lui, Ox-bow incident et Vivre fibre.
C ertains films de g uerre entrent d a n s cette catégorie : A m edai for Benny, Tftis is the
arm y, Plus an e st d e fo u s e t Casablanca. D ans ces films, u n e apologie d e s v a le u rs dém ocra­
tiques était souvent com binée avec l'irrespect et la satire ; ils contrastaient violem ment avec
la notion du ciném a froide et san s hum our prônée p a r le Dr G œ bbels.
Q uand vint la fin d e la guerre, l a même tradition fut m aintenue avec d e s films tels q ue
La fille du fermier. Les plus belles a n n ée s de notre vie* Le m ur invisible et W ilson. Tous ces
filins reflètent, à d es d egrés divers, qu elques asp ects d es valeurs hum aines, dém ocratiques et
antifascistes qui étaient le cœ ur m êm e de l'A m érique entière pendant le N ew D eai et la
guerre contre le fascisme. Nombre d 'e n tre eux contenaient les élém ents d 'un e vigoureuse
critique sociale.
Les sujets d e * controverse s — q u e ce, soit la corruption politique, les p réju g és raciaux,
la violation d es libertés civiques, les luttes des travailleurs ou la n atu re du fascism e —
ne furent q u 'à peine effleurés, m ais les cinéastes libéraux ne les fu yaient nullement.
T’ouvre ici une p arenth èse. Tous les films ci-dessus furent conçus ou réalisés p a r des gens
actuellem ent em ployables, l'a i exclu de cette liste les œ uvres des écrivains, ré alisa te u rs et
producteurs m aintenant officiellement mis à l'index p a r la liste noire. P a r « officiellement »,
j'entends ces hommes et femmes dénoncés dev an t la Commission p a r d es m ouchards, à tort
ou à raison, comme communistes, et qui n'ont p a s eux-mêmes m ouchardé d ev an t cette com­
mission.
jetons un coup d'œ il sur la contribution de ces proscrits, du ran t l a m êm e époque. Nous y
trouvons entre au tres : L a vipère. Ils étaient trois, Trente secondes sv r Tokyo, Nos vig n es ont
des taisons tendres, Kitty Foyle, Mr. Smith a u Sénat, Le défunt récalcitrant. La justice des
hommes. Convoi vers la Russie, Sahara, Destination Tokyo, La cité sa n s voile, Ville conquise.
Les /ils du Dragon et La fla m m e sacrée,
Une chose frap p e d a n s le contenu d e ces films, c'est l a ressem b lance qu'il p résen te
su r le plan dém ocratique et antifasciste, avec celui des films préalablem ent cités. Le raison­
nem ent de la Commission fut simple et logique : puisque les prétendus communistes p ro p a ­
geaient des idées pernicieuses dans leurs films, la m ême accusation devait être portée
'-ontre le lib éral mifitant — et ses idées. Il a p p a ra îtra qu'il n 'est question ici q u e d e la
crèm e de la production hollyw oodienne. Le film tout venant, avec ses situations salaces, sa
fascination du crime, s a tendance à l a violence immotivée, est toujours là ; le principe de
la liste noire n 'a rien avili su r ce p lan : la chose était déjà faite.
M ais de là à conclure, comme je l'ai entendu faire, qu'il n 'y a p a s eu d e changem ent
a p préciable d a n s le contenu d es films, c'est u n e a u tre affaire. Mais dira-t-on q u 'u n e littéra­
ture se m aintient parce q u e les rom ans policiers et pornographiques sont en plein essor ? En
décrivant ce qui était, je me suis confiné d a n s < le m eilleur » d ’Hollywood — p a rce q ue
j'affirm e q u e ce m eilleur n'existe plus.
Tous les films q u e j'ai cités d aten t d 'a v an t 1947, d 'a v a n t la Liste Noire ; tous furent
d e s succès comm erciaux ; la plupart d'entre eux reçurent un bon accueil de l a critique et
du public ; et chacun d'eu x — qu'il soit l'œ uv re d e communistes ou d e non-communistes, d e
dém ocrates ou d e républicains — réfléchissait et exaltait l'esprit de Libéralisme.
Voilà ce qui était. Q uant à ce gui est, u n exam en p ré a la b le des œ u vres récentes d 'artistes
célèbres (et actuellem ent em ployables), le m ontrera magnifiquement.

CE QUI EST

John Ford ré a lisa jad is une série de films sociaux san s ég ale d a n s le ciném a am éricain
(Le m ouchard. Les ra isin s de ia colère, Young Mr. Lincoln et d 'autres). Dans ces dernières
années, cependant, les thèm es d e ses films n e se distinguent plus d e la m asse des productions
d'Hollywood. Dans L'hom m e tranquille (1951), il offre d es stéréotypes d e la bizarrerie, d e
l'hum eur c h an g e an te et d e l a violence irlandaises, aux lieux et p laces de l a profonde
compassion, et d e l'orgueil, qu'il exprimait, d a n s Le m ouchard, en vers la lutte p o u r l'in d ép en ­
d a n ce de l'Irlande. Son plus récent film. C e n 'est q u v rt a u revoir est un tribut p lein d e senti­
m entalism e à W est Point et à l a noble carrière d'officier d e l'arm ée am éricaine.

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Les œ uvres en g ag ées d e William Dieterlé — e n q ag é es dans la fabrication d 'u n monde
m eilleur — , telles que Pasteur et Zola, n'ont p a s d e pen dan t d a n s s a production depuis
1947. Son dernier film est La Piste d es éléphants, dont les p lan te u rs blancs d e C eylan sont
les protagonistes. Leur sécurité est m enacée p a rce qu'ils se sont appropriés des terres où
a v aien t coutum e d e p a sse r les élép h ants !
Depuis 1947, William W yler, tenu p a r b eau co u p pour le m eilleur ré alisa te u r d'Hollywood,
a produit et dirigé L'héritière, Un am our désesp éré, Histoire cJe d étectives et Vacances Romaines.
Ces œ u vres sont encore parm i le s p lu s m arq u a n tes de la production am éricaine. Ce sont
encore des œ uvres d'hum aniste, et la volonté de q u alité de W yler y est évidente, mais ce sont
des tém oignages bien limités de ses capicités.

COMPARAISONS

Com parez La vipère (1941) à Un am our d ésesp éré (1950). Le prem ier de ces films est
tiré d'un e pièce, le second d'un rom an, l'un et l'au tre riches d 'u n contexte social puissam m ent
et originalem ent traité. La théorie des < Petits re n ard s » su r la suprém atie de l'arg e n t p a r
rapport aux valeurs m orales était fidèlem ent rendue, et p renait m ême une nouvelle force d ans
sa transposition à l'écran. La théorie d e Sister C arrie su r la p a u v reté considérée comme un
crim e contre l ’espiït hum ain était édulcorée et escam otée d an s le film. La désintégration
m orale d e Hursiwood devenu clochard, élém ent pou rtan t ultra-ciném atographique n'était p u re­
ment et simplement p a s traité.
Com parez Eue sans issue (1937) et Histoire de détectives (1951). flue sans issue présentait
la délinquance juvénile comme un problèm e social réclam an t u n e solution sociale. Détective
s tory traite de l a brutalité policière d u point d e v ue particulier d'u n inspecteur de police,
sa n s aucune allusion à s a responsabilité sociale d a n s la m anière dont il u se d e son autorité.
D ans L'Hérifière et d a n s Vacances 'Romaines, W yler s'in téresse aux jeunes femmes trop
sévèrem ent élev ées et émotionnellem ent frustrées. L'un de ces films est un dram e, l'autre une
comédie ; ni l'un ni l'au tre ne cherche à p a s s e r du particulier a u général. On est loin de
la riche m atière hum aine et sociale d es PJus b e lle s a nn ées de notre vie, des Hauts de Hurle-
vent ou d e Dodswoith..
N unnaly Johnson écrivit l'a d a p tatio n et les d ialogues des Raisins de la colère. Cela classe
son homme. Il est devenu ces dernières a n n ée s scénariste-producteur-m etteur en scène, p a n acée
hollyw oodienne de l'in d ép end an ce créatrice : il a fait une com édie lég ère (How (o b e very, very
popular}, un film policier a v ec deux caractères d e femmes attach an ts (La veuve noire), et un
feuilleton sur la gu erre froide officieuse à Berlin (Les gens de la nuit) !
D udley Nichols, qui écrivit les scénarios des m eilleurs films d e John Ford : Le m ouchard,
JîévoJfe à Dublin, La chevauchée fantastique et Le Jong vo yag e, a, ces derniers temps,
im aginé un e histoire m oyenâgeuse autour d 'u n p erso n n ag e de comic-strip : Prince Vaillant.
■Nichols n 'a p a s démenti l'inform ation selon laqu elle il venait d 'ê tre en g ag é pour écrire un
rem ake super-colossal de N aissance d 'u n e nation, projet contre leq u el se sont violemment élevées
les organisations noires et autres.
Peu nombreux, s'ils existent, parm i les films de ces gens et de leurs collègues depuis
1947, sont ceux qui meltent en scène les v a le u rs dém ocratiques et antifascistes, qui illuminèrent
leurs œ uv res pen dan t l'ère rooseveltienne. Ils n'ont lie n fait qui ait l a résonance hum aine d'un
Tom Joad luttant pour que vive s a famille, et s'identifiant, d a n s son combat, a v ec tous les tra ­
v ailleu rs ; d'un Gypo, m ouchard politique, trah issan t ses com pagnons de lutte ; d'un Al Stephen-
son, sergent démobilisé, risquant de p erd re s a p lace à l a b an q u e p our avoir accordé u n crédit
sa n s g aran tie accessoire à un soldat démobilisé.
Et nulle p art on n e peut trouver un thèm e antifasciste — d a n s des années qui suivent une
g u erre m ondiale contre le fascism e ; d es an nées, il est vrai, qui ont vu la naissance du
Mac Carthysm e.
Leurs travaux récents se caractérisent p a r l'ab sen c e d es thèm es qui, façonnés p a r leur
talent, le s élevèrent à l a qualité d ’artistes. Le talen t reste, m ais le s idées su r lesquelles il
s 'a p p u y a it ont été corrodées ou interdites.
On fit a p rès la guerre une série de films sur le problèm e noir qui présentent u n caractère
particulier. Ces films, conçus au moment où la Liste Noire commençait ses rav ag es, furent réali­
sés d uran t une période de deu x ans. Certes, ils contenaient une p a rt de chauvinism e b lanc
subtilem ent déguisé» mais ils donnaient des g a g e s à la force n a issa n te du m ouvement antiraciste

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et pou v aient montrer le chemin à des films plus convaincants su r ce sujet. Deux d 'e n tre eux :
}e suis un nègre et L'Intrus furent écrits p a r d es écrivains p lu s tard mis à l'index. Tous étaien t
réalisés p a r d es blancs pour le compte d 'u ne industrie b lan che comme lys -— ce qui peut
expliquer les déformations qu'ils contiennent.
V ers 1951, q u an d la Liste Noire se généralisa, cette série d isp arut définitivement. Hollywood
l'a v a it tout bohnem ent effacée, et toute tentative pour approfondir le problèm e noir ne faisait
q u 'au g m en ter l'irritation et le zèle des chasseurs de sorcières.
Il v a sa n s dire q u e le contenu des films hollyw oodiens ne fut p a s ch an g é du jour a u le n ­
dem ain, d ès le premier a ssa u t Mac C arthyste en 1947 : c ar u n e résistance opiniâtre à l'inquisition
re ta r d a la m ise en pratiq ue g énéralisée de la Liste jVdire p e n d an t p rè s d e q u atre ans.
P end an t cette période transitoire, une petite minorité de cinéastes réussit à m aintenir q u e l­
q ues élém ents hum anistes dans leurs o uv rag es (Born Y esterday, La Flèche brisée et d 'a u tre s
films). M ais en 1951, la p lu p art d es libéraux écartés, la Liste Noire incrim inant p lu s de c en t
artistes de prem ier plan, les idées libérales d isparurent définitivement.
A vec la détériorisalion des thèm es dém ocratiques et hum anistes, un vide se forma q u e
com blèrent d 'autres thèmes, accordés a u x im pératifs du Comité d es Activités anfiam éricaines et
a u x consignes de la g u erre froide.

Films anticom m unistes

En 1947, la Commission des Activités antiam éricaines d e m a n d a brutalem ent au x p rod u c­


teurs sym pathisants pourquoi ils ne faisaient p a s d e films anticommunistes. La réponse fut qu 'ils
a llaien t en faire, et ils en firent.
La p lu p art d'en tre eux furent des histoires d 'espion n age ou de gangsters, d an s lesq u els
les vieilles formules étaient rajeunies et où les communistes rem plaçaient les voleurs de bijoux,
racketters, kidn ap p ers et assassins. Les tentatives pour traiter le communïme comme une p hilo ­
sophie politique ou un program m e économique furent q u a si inexistants.
La théorie d e Léo Mac Carey, d a n s M y son John, selon laq u elle la lecture et la désaffection
pour les compétitions sportives contribuaient à former, chez un jeune Américain, un terrain p ro ­
pice a u développem ent des idées communistes, fut m al reçue p a r les critiques, qui d a n s
l'ensem ble préfèrent la lecture a u football.
Aucun d es films anticommunistes ne séduisit entièrem ent les critiques, qui a p p la u d iren t
souvent à leurs intentions politiques, mens les ju gèren t à regret creux, décousus ou incohérents.
Aucun ne fut jam ais classé parm i les * dix m eilleurs films d e l'a n n é e » p a r Film Daily. P re sq u e
tous furent des échecs commerciaux, et aucun ne figura parm i les vingt m eilleures recettes
pu bliées p a r le journal corporatif Famé.

Brutalité

Ces dernières années, la protestation du public contre la b rutalité d a n s les films hol­
lyw oodiens est devenue un tollé international. Le sén ateu r K efauver, l'Eglïse Catholique, les
groupem ents ciném atographiques d'Europe et d'A sie, les organisations féminines et d es m em bres
influents d e l'industrie elle-même, ont fait front commun contre la brutalité immotivée qui e n vahit
les écrans.
Pourtant, le fait qu'il y ait plus de brutalité d a n s les films aujourd'hui que l'a n n é e d ern ière
ou qu'il y a huit ans, n'est p a s la question fondam entale. Plus im portante q u e l a q uan tité d e
brutalité sont la n atu re de cette brutalité et s a raison profonde.
Il y a v a it des élém ents brutaux d a n s nom bre des films d'H ollyw oad les plus app réciés. Le
vigilantism e et le m eurtre a p p ara issa ie n t d a n s Les raisins de la colère. Les peons étaient s a u v a ­
gem ent m assacrés d a n s /uarez. Dans La Vipère, une femme laissait son m ari mourir. Pourtant,
à m a connaissance, il n 'v eu guère de protestation contre la brutalité d e c e s 1 films. Ils éta ien t
ap p réciés p a rc e q u'ils opposaient d es va le u rs hum ain es aux forces b ru tales : ils traitaien t d e
la brutalité dans le seu l but d e renforcer ces va le u rs hum aines.
La persécution du juif d a n s Le m ur invisible é ta it évoquée d a n s un conteste d e colère rai-
sonnée contre la persécution. Lost w e ek -en d p résen tait la dég rad atio n d e Valcoolique com m e
u n élém ent de lutte contre l'alcoolism e, comme un problèm e qui devait être résolu. Ox-bow
incident n e m én ageait p a s les lyncheurs qu'il mettait en scène.
Le changem ent significatif dans la présentation de la brutalité peut être o bservé d a n s d eu x

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films récents : G raine d e violence el L'équipée sa u v a g e qui trailent l'u n et l'a u tre d'u n angois­
sa n t problèm e social : la délinquance juvénile. D ans les deux, l a cruauté d e s jeu n es est
exprim ée d e façon vigoureuse et dram atique, m ais elle était dirigée contre leu rs antagonistes
qui se m ontraient, soit absolum ent m inables, soit incapab les d e re le v er le défi p a r des m esures
d e v é rita b le hum anism e. C e s deux iilms s e term inaient d an s le désespoir, donnant comme seu le
lu eu r q u e certains p o uvaient « se réformer ».
Ni l'un, ni l'a u tre n e p résentait ou n'éclairait le problèm e en term es sociaux. Tous deux
supposaient à tort q u e l'on pouvait faire des films sociaux sa n s se lan c e r d a n s l a critique
sociale. C 'est l à la clé de leu r échec en tant q u e films et e n tan t qu'instrum ents d e combat
contre l a d élinq u an ce juvévénile.
La critique sociale est sur la Liste Noire. Les libéraux encore em ployables d a n s les studios
n'ont p a s le droit d e faire de la critique sociale d a n s leu rs films : ils n'ont m êm e p a s le droit
d 'e n faire pour eux-mêmes !
Le dilem m e qui déchire l a vie privée et la vie politique du libéral, déchire tout au tan t
s a vie artistique. Ainsi, dev an t mettre en film un sujet social, le libéral se soum et a u x interdits
d e s a p ro p re censvae. 11 s'em pêche de traiter vraim ent son sujet. 11 a u n e excuse : le ferait-il, ■
que le studio exigerait d es modifications ou arrêterait définitivem ent le tournage.
Ce n'est p a s q u e ce g e n re de restrictions soit absolum ent nouveau. Le lib éral les connaît
bien : elles ont toujours existé d a n s les studios. De nom breux thèm es étaient v e rio te n , et ceu x
qui étaient perm is étaient soumis à la surveillance ou a u veto d e ceux q u i tiennent les cordons
d e la bourse. Mais autrefois, le libéral a v a it q u and même l a possibilité de s'exprim er.
D 'ailleurs, les films qui illustraient ses convictions dém ocratiques a v aien t du succès. 11
ialllait bien : ils n'eu ren t p a s été tournés san s cela.

L'homme d'affaires

En 1947, u n certain nom bre d e * témoins de sym pathie » d ev an t la Commission d e s A cti­


vités Antiam éricaines' s'afflig ea de ce q u e l'homme d 'affaires était d ev en u à l'é c ra n u n e bien
triste chose. Les m em bres d e la Commission le cœ ur sur la m ain, a p p ro u vèren t e t proclam èrent
q ue l a présentation, su r un. écran, d 'u n homme d'affaires sous u n jo u r p e u sy m p ath iqu e était
nettem ent un élém ent subversif.
La répo n se n e se fit p a s attendre : on mit en chantiers plusieurs productions, dont Am erican
■Romance, à l a gloire du chevalier d'industrie. Peu ap rès, l'industrie ciném atographique mit
d'elle-m êm e à l'index des films tels que La V ipère et Les plus b elles a nn ées de notre vie.
Ces d erniers tem ps, d 'a u tre part, l a m ême industrie ciném atographique se re p ro ch a de
n'av o ir p a s assez exalté l'hom m e d'affaires. Dans La Tour d e s Ambitieux, le vice-président qui
g a g n e en fin d e compte le fauteuil présidentiel d'une fabrique de m eubles est celu i q u i se
considère a u service d e l'acheteur. La théorie d u film est q u e le m onde des affaires finit p a r
récom penser les id éalistes en fustigeant les vils profiteurs.
D ans l a com édie Sabrina, un industriel d 'asp ect froid et réb arb atif, encore q u e trav ailleu r
infatigable, s e ré v èle no » seulem ent un hom m e a u re m arq u ab le sex-appeal, m ais u n e natu re
aim ante, com préhensive et d 'u n idéalism e convaincu d a n s toutes ses affaires. L'expansion de sa
com pagnie à Porto-Rico est, explique-t-il, une bénédiction d u ciel puisqu'elle v a lui perm ettre
d'em ployer les indigènes et d e donner des chaussures à leu rs enfants.
L'industriel ô combien sophistiqué S de Les Fem m es m ènent le m onde choisit comme Direc­
teur g é n éra l celui qu'il ju ge le plus qualifié : non p a s celui qui est heureux en m én age, non p a s
celui q u i p réten d l'être, m ais celui qui a la force d e caractère d e répudier l'ép ou se qui est un
han dicap à son avancem ent. .Pafferns, qui était à l'origine u n e pièce pour la télévision, ex altant
l ’héroïsm e du businessm an brutal, a été acheté p a r Hollywood. Son a u te u r a d a n s la poche
droite un contrat à lo n g terme. La grosse industrie détruit les é p a v e s hum aines qui courent vers
la bestialité, affirm e ce lélédram e, et elle porte aux sommets du développem ent hum ain ceux
qui lutteront sa n s re lâ c h e pour son salut. A utant qu'il m e souvienne, l'industriel proclam e :
« Ceife C om pagnie est m a religion. » En tous cas, le sens Y est.

Le soidaf

Le traitem ent de la chose militaire d a n s les films récents a plus d'u n point commun av ec
celui d u m onde d es affaires. La glorification des arm es en tant qu'institutions, et celle d e leurs
officiers en tant qu'individus est devenue u n e fin e n soi. Les tributs av o u és e l s a n s restriction

49

4
riüx Armés et Sètvïcès dè l'Arinée U.S., cru coûts de l'atihéë dërrtière dbmprènnéftt Üé n'èsi
qü'urt au /evoir (West Point), Sfrategic A it Comnîctnd, Anriapolis Sioiy (Là Marine), Bcrtfle C ty
(Lès Marines), et Tfle Êterilàl JSea.
t e s Pôrifs de Tùkô-Ri, Tarif q u 'il y a u ra d ès hommes et O u rag an s u t îe Caine, p résen ten t
une apologie plus complexe. Les Ponîs de ïofcoBi suggèrent q u e de servir d an s u n e g u e rre
p eu prjsée des populations civiles qui la comprennent mal a son petit calé héroïque et cheva*
Ïéïésqtle, et qtiiè lit liiozt d a ns ùüe telle g ü errë est tôut particulièrem ent glorîeüse.
Tant qu'il y a m à d es hom m es (Infanterie) et Ouragan sur le Caine (Marins) montrent des
hommes de trôiipe à la inérci d'officiers sadiques, sur un fond d'absolution générale en raison
des événements. Le premier suggère que les meilleurs biffins peuvent mépriser l'officier parfois
inbrtiàqiié, tout en aimant I’arniée plus que leur propre vie. Dans Ouragan sur le Gainé, rùbso-
’lülion est poussée si loin que l'officier paranoïaque d bieri mérité de là pctttie.

Conclusion
HUit ans ont p créée d'èpilis q u e lëë fbirceë dé là réaction, sous l'éteridtird d è la C o m m isio n
des A ctivités Anüam éricaines, ont ap p o sé lé prem ier ftditi sur l a Liste Waife d'HollyWood. îl
p a raît bien évidetit m aintenant que ce nom, et ceux qui le suivirent — ceux qüi refusèrent
d'obéir a u x ultim atum s d e l a Commission — 1 n'étaient qu'üne m ddeste é ta p e , èt iion le b ü t
final.
C'était lé lib éral encore èriiployabie q u e là Commission, en définitive, voulait atfeîndrë ; ef
son objectif était bel et bien la disparition d es idées libérale^ d es édrans.
Succès total p our la Commission ! E n acceptant lâ ligne politique, lé ciftédstë libéiral àJèSt
vu contraint d 'a cc ep te r l a ligne culturelle. Il a é té *■ trompé », c 'est bien vrai, m ais p a s p a r se s
collègues de g au ch e ; p a r ses p rop res employeurs, qui lui prom irent q u 'u n e fois l'ép uration
term inée, une fois qu'il serait d é b a rra ssé des petits aiiiis qui pouvaient le circonvenir ou 1©
corrompre, il pourrait faire à n o u v e au de gran ds b eau x films dém ocratiques.
Ce n 'était p a s vrai. En m êm e tem ps que les hommes et les femmes a v ec qui il a v a it tra ­
vaillé, ses propres idées étaient b a la y é e s des studios.
Dans ce dom aine, il est intéressant de noter le tôle du m ouchard depuis q u e l a Coinmis-
sion, d'un geste larg e et généreux < lib éra » ses moutons d e la m enace inquisitrice. L'exem ple
d'E lia Kazan est caractéristique, p a rc e qu'il est peut-être le plus talentueux de l a b a n d e.
A vant de devenir m ouchard, Kazrin dirigea q uelques excellents films libéraux : Boom erang,
Le ly s de Brooklyn et Le m ur invisible. Depuis son âuto-criiiqlie, Kazan-]e-purillé donna, Ouir&
quelques-uns de ses am is, les films suivants : Viva Z apafa (thèm e : le pouvoir corrompt les
révolutionnaires), Sur /es Ouais (thèm e : le courageux m ouchard libère les dé b ard e u rs g ré g aires
dé la tyrannie d 'u n syndicat corrompu) et A l'est d'Eden (thème : le bien est le m al, le m al est
le bien, d a n s ce m onde san s espoir et sa n s signification).
M ais la M ouche est un anim al d'u n g en re spécial et il est perm is d e se foutre éperdum ent
de sa d ésagrégation artistique, Ce qui est important, c'est l'av en ir du lib éral — l'A m éricain
propre qui désire faire des films am éricains propres, le cinéaste qui a g a rd é son travail e t
perdu son patrim oine dém ocratique. Q u elle chance a-t-il d e le retrouver, ce p atrim o in n e? Èt d e
l’exprim er d a n s son art
Depuis q u elqu e temps, un vent sa lu ta ire et frdis souffle su r n ô tre p a y s. L a tem pête zrïaccdr-
thyste a été définitivement endiguée, et dans s a lutte pour sa u v e g a rd e r ses libertés civiques,
le p eu p le am éricain,vient de rem porter quelques victoires sinon décisives, du moins significati­
ves. Et surtout, la perspective d'un è p aix finale se dessine plus nettem ent que jam ais depuis les
débuts d e la g uerre froide.
. Cette transform ation du clim at politique corftmence seulem ent à se faire Sentir à Hollywood.
On n'en trouve encore aucun reflet d a n s la production actuelle. Huit anâ d 'a ssa u ts réaction­
naires ont p a ra ly sé le lib éral d'HoIlywood, Il est encore prisonnier d e ses craintes et dB se s
doutes ; ses alliés ont été décim és et iî se sent iso lé . dans u n e ville hostile.
Mais cela ne veut p a s dire q u e le libéral d'HoIlywood est endormi à jam ais. Ün grdnd
réveil dém ocratique d a n s le p a y s suffirait à le réveiller lui au ssi. Maïs cela n e suffirait p a s
à lui faire reprend re la lutte pour son idéal hum aniste. Le libéral ne retro u vera son initiative —
d 'ariiste et d e citoyen — q u e si, d e lui-mêiné, il com bat ce qui l'a v a it acculé d a n s l'im p asse :
la Liste Noire, celle qui em prisonna des hommes en même temps q u e ses p ro p res idées.
ADRIAN SCOÎTi
(Traduit de l'a n g la is et a d a p té p ü r f.Y.G.)


TROIS LIVRES
SUR TROIS ACTEURS ALLEMANDS

pax Lotte H. Eisner

Voici d ë v an t iüôl trois livrés stir trois àcieütâ célèbres d u cïiiémti è n A llem agne : P aul
W egener, W errier Krciüss et Emil Jânniïigs ( 1 ).

' PA Ü t WËË&KEft-

Est^ce q u e d es trois livres celui sur P au l W egener est le plus vivant, p a rce q u e son au te u r
Kai M ollir, ami de W egener et com pagnon d e ses tournées d e théâtre d ê longue date, n kâ p a s
seulem ent réuni a v ec am our et intelligence tout ce qui a êlê écrit el dit su r ce gran d acteur,
mort en septem bre 1948 m ais lui laisse égalem ent largem ent la p a r o le 1? Ainsi u ne Sorte d'auto-
biographie, d e s lettres, d es notes d e son journal en Flandre^, a u Chili, u n essa i su r ses collec­
tions chinoises — (car W egener était un colleâliohneur avisé, lucide, j'a i p u m 'en ren d re compté
lors d 'u n e visite chez s a v e u v e E lisabeth qui vit parm i des sta tu e s d e Ë uddhas souriants, des
poteries précieuses, des arm oires et b ah uts' italiens et des sculptures nègres) — nous complètent
l'im age d è Cet hbmrtie Cültivé et extrabrdiüüirë.
Puissant m asq u e a siatiq u e, son v ïsaq e n ous reste inoubliable surtout d a n s le deuxièm e
Golem. Il lut un d es ra re s acteurs allem ands qui ne se soit jam ais plié d ev an t les nazis qu'il
m éprisait et qui, eux, n'o sèren t p a s toucher à cet homme dirait et fier. W egener. en plein nazism e,
a qui on d em and ait q u e l rôle il désirait jouer p our son 70e an niversaire, répondit : « N a th an
Le Sag e » !
« Jé rite suis p a s a llé d u film », écrit-il èri 1928, Üanâ tin article au to bio grap h iqu e p a rla n t
d e s a n n ée s 1913-1914 « en q u alité d 'acteu r ; c'était le problèm e d e cê hoüvel d ît qui m'inté­
ressait en g é n é r a l J'inventai l'histoire de l'Efudianf de P rag u e p a rce q u e j'y e us l a possibilité
d e jouer a v ec moi-même ». (W egener raconte au tre p art que, tout en se ra p p elan t le * double >
d e E.-T.-A. Hoffmann, il se souvenait égalem ent de photos de tru q u ag e s où il y a v a it u n p e r­
so n n ag e jo uant au x cartes a v ec lui-même, un étudiant se b a tta n t en duel a v ec lui-même).
Le film a tort, dit W egener, dan s s a célèbre conférence d u lundi d e P â q u e s 1916 (que
M ôller nous communique) d 'e ssa y e r d'imiter les procédés et sujets de la pantom im e, d es pièces
de théâtre, du rom an illustré. « Il y a d es possibilités filmiques qui résultent de la technique
d e l'im ag e c h an g e an te ; il faut des sujets dont le charm e se trouve surtout d a n s les effets
optiques. 11 est plus im portant d e se rend re compte que Je film consiste en im ag es changeantes
que de photo grap hier le comportement d'un acteur. » ïi faut, précise cet a u te u r (qui, d ès son
rôle d a n s l'Eiudianf d e P ra g u e , e n 1913, a compris ce qu'il ne fallait p a s faire), d e s gestes
extrêm èm ent p on dérés. Un v isaq e plein d'expression, un œ il qüi p arle, et un c ertain naturel, un
équilibre* d e la tran sparence, de l à sobriété d an s la mimique. * Sur l'éc ran il faut être encorë
plus discret q u e d a n s les « K am m èrspiele *> d e Ma* Reinhardt. Tous les gestes vides et affectés
deviennent su r l'é c ra n énormes» aussitôt contorsions » — ceci est dit* souvenons-nous en, trois

(1) KM Molter : P aul .W egener. Sein Lèbërt und s t î n t Kôliêh. (S a Vie fet ses rôtes), Rôwohlt
Vertag, Hàïiibùrg, Î054. — Wolfgang Qbèîz 5 Werrier Krâiiss. Hblfmâriti üftd Cànt.pe Vérlùg, Hàftibùrgj
1S54. —• Emil Jannings i T heater. Film. Das Leben ühd Itih (La Viè et Mot), Deutsche Buchgêrii'eJn-»
schaît, Berlin und D arm stadt, 1952.

51
a n s a v an t C aiigari et l a m êm e an n ée o ù dans les iilms de Slellan Rye, H om unculus s'a g ite ,
le v isa g e et les m aina crispés ! (On com prend q u e W egener, m algré les décors expressio nn istes
d u Golem, dus à Poelzig, insiste toujours sur ce q u e ce film n 'é ta it p a s u ne oeuvre e x p re s­
sionniste).
« A sta N ielsen », continue W eg ener, * a cette connaissance unique d e so n corps, ce g e s te
sim ple, puissant, le jeu m erveilleux d e s e s yeux et d e s a bouche, u n e intelligence lu cid e q u i
lui fait trouver le caractère d e son rôle et le moment décisif p ou r son jeu, »
W eg en er désire, comm e il dit, u n e « action M nétique ». 11 fa a i créer p ou r le film p a r Je
film ; le v rai a u te u r du film doit être la caméra. (Phrases qui nous sem blent au jo u rd 'h u i n a tu ­
relles, m ais il fau t s e souvenir q u e c es choses sont dites en 1916 et q u e W eg en er, à c a u s e
de la guerre, n 'a p a s p u contem pler le s chefs-d'œ uvres d 'u n Griffith.) < l e s possibilités d e
c h an g e r continuellem ent d e points d e v u e pour le spectateur, les nom breux tru q u a g e s p a r
division d e l'im age, a v ec l'a id e du miroir, etc., bref la technique d u iiîm doit être p lu s
significative q u e le contenu. » Ainsi il précise q u e p o u r le Golem d e 1914 (la Bioscope n e
voulant p a s tourner un film à costum es, il fallait q u 'u n antiq uaire juif contem porain jo u é
p a r Henrik G aleen trouve e n creu san t un puits, une figure curieuse, ce Golem du m o y en
â g e dont p a rle Henri Heine), tout é ta it orienté vers ce glissement, v e rs cet ench aîn em en t
entre les im ag es d 'u n m onde d e fa n ta isie d es siècles p a ssé s et d e l a vie actuelle.
Comme le G olem d e 1914, Je M ariage d e R übezahl m êle c es deux m ondes, e t le fantôm e
d es m ontagnes silésiennes, d u « B iesengebirge », d even u intendant d 'u n e g ra n d e p ro p riété ,
effraye les g e n s p a r se s sorcelleries : un poisson q u a n d on le découpe, s e ran im e et n a g e
d an s l'air. Dans Je Yogi, W eg ener joue c e m agicien qui se rend invisible; d es p o rtes s e ferm e n t
p a r d e s m ains m ystérieuses comme d a n s N osfeiatu ou Siegfried. Mieux encore, ta n t d e lu stre s
av an t L'Homme Invisible, des traces d e pieds se forment d a n s le sab le, des gouttes d e s a n g
tombent.
Cinq ans a v a n t les films d'E g gelin g et d e Richter, W eg en er désirant u n e < ly riq u e kiné-
tique où l'on renonce m ême à l'im ag e d e s faits comme tels » su g gère de faire d e s films a v e c
d es lignes qui se courbent et se tran sfo rm en t; il voudrait un film c au x su rfaces m obiles, su r
lesquelles se jouent d e s incidents qui sont d 'u n e p a rt encore rattach és à la n atu re, d 'a u tre p a rt,
d é jà a u d e là d es lignes et formes ré elles ». Il propose de tourner des films fa n ta stiq u es à l'a id e
'd e m arionnettes, des films d e plan tes, révélées p a r le microscope, < afin d e p a rv e n ir à cette
forêt en ch antée q u 'e st l'optique lyrique, q u 'e st la kinétique ».
Il donne l'exem ple étonnant d 'u n film qu'il faudrait tourner : sur u n e su rfa ce v id e p o u ssen t
soudain d e puissants lys, ils s'ouvrent, d e s feuilles se déroulent, s e transform ent e n flam m es ;
u ne fumée lourde y p la n e , se ch an g e en n uag e, de ce n u a g e tom bent d e s gouttes d e p lu ie
cristallines, elles tom bent d e plus en plus dense, u n e m er se forme, puis tout n 'e st q u 'u n e m er
miroitante. De cette m er surgissent d e s formes étranges, des p lan te s d 'e a u curieuses, e lle s
s'étalen t su r tout l'éc ran , se c h an g en t e n fleurs d e g lace sur u n e m er figée. Puis d e s n o y a u x
se forment, des cellules qui s'ouvrent e n nouvelles surfaces, elles étincellent d a n s u n m o u v e­
m ent d e plus e n plus accéléré. S oudain ces cellules se brisent, rayonnent, p u is s'estom pent
comme les fusées d 'u n feu d'artifice.
Et W egen er nous p a r le d 'u n e g ra n d e * fantaisie sym phonique », ou l'o n utilise ra d e la
v a p e u r artificielle, d es flocons d e n e ig e , des étincelles électriques, et tout c ela dix a n s a v a n t
les fantaisies d e lum ières d e M etropclis !
A dm irable allocution où, tel u n p rophète, il montre à ceux q u i m éprisent le film et le la is ­
sent d an s les m ains des spéculateu rs et des m archands d e soupe, ce q u e p e u t d e v en ir le
cinéma.

' \ W iR N E R KRAUSS

Autre aspect, le livre q u e W olfg ang Gcelz, auteu r dram atiq ue (2) a écrit s u r W e m e r
Krauss, et où il tâ c h e d e ré v éler sous le s m asques d e ce Protée fascin an t (qui, h é la s, s 'e s t
laissé pren d re a u je u et, p our jo u er 5 rôles différents d a n s le Juif Süss, a comprom is son art,
en p a ctisa n t a v ec les officiels n a 2 is), so n être égalem ent com plexe et ch atoy ant.

(2) Goetz a écrit en 1925 un drame : « Neldliard von Gneisenau », qui fut présen té en 1932 au
Deutsches T heater à Berlin et où Krauss jouait le rûle de Gneisenau, général de Frêdéric-Giirllaume III
à l'époque de la guerre contre' Napoléon. Ce général, sorte de Souvarov prussien, avait le co u ra g e
de s ’opposer aux adulateurs d’un- roi faible..

52
Tandis que so n am i Janninqs sacrifie le th éâ tre a u Iilra, indique Gcetz, K rauss voit d an s le
ciném a « la v ach e q u e l'o n trait ». K rauss a dit une a utre fois que le film n 'e st p a s un art,
p uisque si l'on, tourne parfo is u n e scène cinquante (ois, soixante lois, cent fols, o n p e u t p a rie r
m ille contre un, q u e m ême le dilettante le plus pro fan e réussira a u moins une fois à atteindre
u n comportement im pressionnant.
Est-ce vraim ent l'opinion d e cet hom me po sséd é p a r ses rôles ? Et qui même, q u a n d on
p a rle a v ec lui d e q uelqu'un, se transform e im m édiatem ent en cette personne dont on pa rle , le
devient sa n s s e m aquiller, a v e c toutes se s m anies et tics ? Gcetz nous raconte d 'a u tre p a rt que
Krauss, qui n'aim e p a s qu'on lui a d re s se l a p aro le p e n d an t l'entr'acle a u th éâtre, p a rce q u 'il
est tellem ent concentré su r son jeu, e st encore plus inaccessible su r le p late au , comme
* enferm é d a n s u n cercle m agique ».
Gcetz raconte l'histoire d e C aligari comme Krauss me l'a raconté lui-même : que, a y a n t
ap po rté p o ur c e film * un c u ta w a y et u n p an talo n ray é », il s'est rendu com pte en entrant
d a n s le studio et en v oy ant les décors expressionnistes, qu'il fallait tout a u tre chose. Ainsi c'est
lui qui a u ra it d em andé à -un, assista n t régisseur de se procurer d a n s l a bo utiq ue d'un, fripier
une pèlerine, u n cylindre, p a ssé d e m ode, u n e canne. Il a u rait voulu q u e l'on se fa rd e p lu s
crûment, d 'u n e m anière aussi grotesque q u e les clowns a u cirque. Q u'y a-t-il d 'auth entiq ue d an s
ces souvenirs ? Et q u e d ire d es esqu isses d e costumes, de ce C aligari m i-épouvantail, mi-chauve-
souris q u 'a créé W alter E eim an n ?
Reinhardt, raconte W alter Gcetz, m éprisait, selon Krauss, a u fond le ciném a, b ien qu'il en
eût tenté l ’expérience (3). C ela l'ag açait, surtout q u e K rauss venait en re ta rd au x répétitions,
lorsqu'il a v ait tourné, d è s sept h e u res du matin, chez O sw ald a u studio. Reïnhardl p a rla it alors
d e « Flim » a u lie u d e * Film », e n fa u ssa n t délibérem m ent ce mot. C ar » flim m era » v e u t dire
scintiller, v a cille r et ainsi il faisait allusion aux prem iers films qui trem blotaient.
Ce livre devient intéressant comme document d e l'époque et surtout q u a n d on sait lire entre
les lignes. L'apologie des arm ées hitlériennes évidemment reste assez boiteuse. Est-ce q u e ce
livre serait d ev enu p lu s hum ain, si Krauss, comme le fait W egener d a n s le livre de Kai Môller.
a v a it pris la p aro le lui-même ? Ce n'est p a s sû r — Gcetz nous confie q u e cet artiste, qui est
si étonnam m ent p e rsp ica ce p o u r interpréter les caractères de ses rôles, lit très peu. Est-ce plutôt
un intuitif ? Il vit, Gcetz nous le confirme, q u a n d il incarne un rôle, d a n s une autosuggestion
perm anente. Aurait-il bu nous ré v éler plus de lui-même q u e le fait son. b io g rap he ?

EMIL JA NNINGS

Voici q uelq u 'u n q u i e st b a v a rd à profusion : c'est Emil Jannings d an s u n e auto b io g rap hie
authentique, intitulée « L a Vie e t Moi (Tel S a c h a Guitry il a u rait p u l'a p p e le r m ieux encore
« Moi et la Vie ». Un b on point cep end an t' pour cet acîeu r habile qui, b ien q u e « m i-arien »
ait su su r d 'a u tre s p lan s s 'a d a p te r a v ec com plaisance a u x exigences du Dr Goebbels : a y a n t
voulu faire pub lier son au tob iog rap hie e n 1939, il l 'a retiré d e l'im primerie p a rc e q u e du
m anuscrit étaient supprim ées tous les noms « non-ariens * tels Max Reinhardt, Sternberg ;
Lubitsch, Stiller, O sw ald, et m êm e B asserm ann qui avait émigré a v ec s a femme juive).
Jannings précise q u 'il croyait, a u début, q u e le ciném a était un am usem ent de foire ; il
n 'y a lla it p a s, m ais enviait les collègues qui y g ag naien t de l'argent. D 'ailleurs n'est-il p a s
caractéristique q u 'il d ira p lu s ta r d à P a u l W eg ener, q u e celui-ci « n 'a rriv e rait p a s p a rc e q u 'il
n e téléphonait p a s ch aq u e jour, comme lui, Jannings, une h eu re a v ec la Bourse et u n e autre
a v ec la presse, afin d e soigner son porte-m onnaie et s a publicité ?
Pourtant, lorsqu'il comm ence à tourner, le film le captive bientôt et à tel point qu'il
d éla isse com plètem ent l e th éâ tre. Les qros p la n s surtout l'intéressent, il trouve q u 'a v ec le s
d étails visibles (et il e n u se 0 le rôle devient plus complexe, plus riche q u e su r la scène.
A l'o pp o sé d e Krauss, il se jette sur des livres d'histoiore, s e documente, a v an t d e créer un
rôle d a n s un film à costum es. Bien q u e l a vitalité robuste de Lubitsch s e rencontre a v ec son

(3) Il avait tourné juste avant la guerre : Die Iiisel tîer Seelîgen (L’Ile des B ienheureux), petit
'burlesque dont j'a i p u voir un fragm ent dans des archives allemandes, et où des acteurs du Deutsches
T heater jouaient leur propre rôle et ceux de dieux grecs. L 'autre film s'ap pelait Venezlanische Lîcbes-
na.chte (Nuits d'am our vénitiennes) e t 5lit tourné en extérieurs tn Halle.

SB
altitude bien terre à terre, il üb dit p a s beau cou p d e bien d 'u n film tel q u e La F em m e du P ha­
raon (1920). i C ’était p lu s d s costumes que d e cœ ur. ? — « le jouais un p h a ra o n de pacotille, »
« C'étqit u n alb u m d'im ages. *
D 'autre p a rt, il s'e st rendu compte d e ce q u i distinguait, en 1914, O skar M esster d e s
au tres m etteurs e n scèn e allem and s d e cette époque : M esster, précise-t-il, ré p était p lu sieu rs
fois a v a n t çle tourner, corrigeai! les niçuveipenls, la mimique de ses acteurs. Et, d qn s spfi studio
sem b lab le à çeyx des ph o tographes, il sa v a it ejfpérii^enter longuem ent nqur d es effets
d'écîq irages,
Q u e Jannings, qui pourtant aim ait beaucoup Stiller, n e comprit p a s îe g ra n d M urnau,
comment s !e n étonner ? Nous voyons d a n s son livre deux photos très significatives. Sur l'u n e
M urnau m aquille a v ec acharnem en t le buste d 'u n Jannings, mi-pitre, mi-grognon, afin d e le
transform er en ce p u issan t déirçon du débu t de Faust. Sur l'a u tre Jannings, affublé d e s v ê te ­
m ents élégant^ du p o r te r d ev enu millionnaire, fait le cabotin d e v an t un Mu^naq déd aign eux ,
tTèg g rp n d çeigneip:, poy^ s'excuser d 'être venu en re ta rd pour une p rise de v u e d 1* Qernier d e s
ffom m eç,
Détail aucunem ent étonnant égalem ent que Jannings nous racqnte : la fin bu rlesq u e d e ce
film que M urnau a été forcé d 'ajou ter à . s a tragédie, est du cru de lan n in g s. Il n'aim ait p a s
rep résen ter q uelq ue chose de « tout à fait négatif », c'était pour lui d e < l'abstraction
p oussée à outrance ». lannings veut q u e les spectateurs a p rè s le cauch em ar p u issen t re p ren d re
haleine, satisfaits. Ainsi < j'e^igeqi q u e le m anuscrit soit transformé et je l'em p o rtai m alg ré
i'éjnqtïan d es scéngristes, On y rqflqcha u n e fin sciejnment d a n s le ge n re conte d e fées... et
* Le public m e d o n na raison I »
Et Jannings d e noter en p a rla n t du Dernier des Hommes, d e Tartuffe et de F a m t ; « C e
sont trois films dont je vois au jo u rd ’hui le défaut principal : ils se concentrent trop sur l'actfcft
intérieure et négligent l'intensité du mouyernerjî dram atique. »
P arc e que Içj TJ.F.A. trouvait q u e ce n o ta it g uère suffisant d'exprim ^f Jes cargcjère^ de
f a u s t sa n s piqtp, toujgurs selon Jannings, elje dpm qnda a u po ète d es Tisserands, G e rh a rd
Hçniptmgnn, d'intercaler des vers comme sousrttires. (Vers où H auptinann te n ta en v ain d 'in û t 0 1
le « Uf/qugf », la prem ière version du « Fqysf » du jeune Goethe, en,çore tout à fait ad o nn é a u
< Sfurrn und Drang » ; ces vers i n h a b i l e s et pesan ts furent d es scories; dont on a v a it alo urdi
ce film, q u e je goûtais très peu, à sq prem ière présentation, à c au se d e s sous-titres qui
em pêchèrent le fluide lum ineux d e cette œ u v re d'évoluer).
Curieux q u e Jannings ait voulu tourner -a u x U.S.A. The W ay of a li Flesh a v ec Stiller,
m etteur e n scène aussi sensible q u e Murnau. D'ailleurs Jannings nous av o u e honnêtem ent q u e
lo m etteur en scèn e qu'on lui av ait donné g u lieu de Stiller, Fleming, lui dit b ien souvent,
q u a n d il cabotinaif trop sur le p late au , < Tao much ». (Trop appuyé.)
« Too much » — c'est ce q u e l'on est tenté de dire souvent en lisan t ce liv re au x affirm a­
tions assez fates. C ependant d an s s a m anière réaliste Jannings noua docum ente as^ea b ien su r
des petits incidents d e tous les jours à l'apoque du film primitif, d u film classique et m êm e
su r certaines m éthodes di} fournage au x U.S.A, J1 est a ssez réticent en ce q u i concerne l'ép o q u e
nazie — « puisque couleur et âm e a p p artienn ent à l ra rt d ram atique, a u plaisir de jouer, ils com ­
m andèrent à m a têie de ne p a s rum iner d es phoses qui ne me re g ard a ie n t p a s ». Et voilà q u 'il
trouve un compromis a v ec le nazism e pour jouer le p ère du roi Frédéric d a n s Le vieux et le
jeu ne roi et Traum ulus ou, avec Veit H arlan, Der Herischer. et bien d ’a u tre s films ju sq u 'e n
1842. II m eurt en 1950.

Trois livres, trois acteurs, trois caractères bien différents. Trois livres qui complètent notre
ççnnqissançe sur le théâtre et le cinéma en Allemagne.
LOTTE H. EISNER.

54
LE DOSSIER DE PRESSE DE LOLA MONTES

A relire, imprimé, ce dossier de presse, en forme de débat


rftdiophonique, imaginé par Charles Bjtsph, il ne nous échappe
pas qu’il pourra choquer certains de ses participants involon­
taires dont les citations sont détachées de" leur contexte, frag­
mentées et parfois privées dp (eurs ponctuations originelles. Nous
nous en excusons d'avance auprès d’eux et les; prions de ne pas
se formaliser de notre tentative de donner à cette rubrique une
forme plus vivante çtue celle des habituelles revues de presse.

« C’est en tout cas mon plu$ joli cadeau de Noël. ■?


M artine CAROL.

Sont réunis dans notre dossier : France Roche de France-Soir, Jean de


Baroncelli du Monde, André Bazin du Parisien Libéré, Louis Chauvefr- du Figaro,
Jacques Doniol-Valcroze de France-Observateur, Max Favalelli de Paris-Presse-
l’Intransigeant, Glande Mauriac du Figaro Littéraire, Jean Nobéçourt de Radio -
Cinéma, Jean Thévenot des Lettres Françaises, François Truffaut de 4 rts Speqr
tacles et Jean-Pierre Vivet de VJ$xpres§.
Charles Bitsch m ènera les débats.

F. TRUFFAUT. — L'année cinématographique qui s’aphève aur^ été la plus


riche et la plus stim ulante depuis 1946. Ouverte pur L$ Strada, elle se term ine '
eij apothéose grâce à Lola, Montés, de Max Ophuls.
C. MAURIAC. — Ce poème surréaliste a coûté entre six cei>ts et sept centp
millions...
J, p £ BARONCELLI. -t- Bref, cent ans après sa mort, et pous forjne de fan^
tome, Lola Montés, alias Marie Dolores, comtesse de Lansîeld, continue de jeter
J’argerçt par les fenêtres.
A. BAZIN. — J ’admire, quant à moi, Ma?î Ophuls d’avoir — gur le sujet lp
Rjuç çonventionuel et dans des conditions de production qui imposent d ’prdinaire
le pire académisme — d'avoir, dis-je, osé et su faire un film d’avant-garde.
J.rp. VIVET. — Digne des plus délirantes réalisations allemandes du temps
de ^expressionnisme,
M. FAVALELLI, — Cette énorme pâtisserie viennoise fade et sans goût, ce
Cabiria du CinémaScope !
F. ROCHE. — Justem ent, le lyrisme, la prodigalité de Max Ophuls ont crevé
le m ur du goût. Son film est un chef-d'œuvre de l’art baroque.
J. DONIOL-VALCROZE. — Baroque et « délirant ». Et ici le m alentendu com­
mence car pour beaucoup de gens ces deux adjectifs sont péjoratifs. Rien n ’est
po u rtan t plus flatteur que la référence à une aussi im portante tradition artisti­
que que le baroquisme et rien n 'est plus légitime à l'écran que l’intention d'oni-
rismé.
J. THEVENOT. — En tout cas, le film que je viens de voir n'est pas un bon
film. Une lourdeur de style germanique y préside.,.
J. NOBEÇOURT. — Climat de rêve, de dépaysement surréaliste ou évolue
M artine Caïol,

55
A. BAZIN. — Hélas ! M artine Carol n ’a absolument rien de la femme fatale,
quoique Max Ophuls soit parvenu à la rendre pathétique, au moins dans les
scènes du cirque.
M. FAVALELLI. — La véritable vedette de ce film (une vedette terriblem ent
envahissante et qui ne se fait jam ais oublier) est bel et bien une caméra, espiègle
comme pas deux, et qui ne tient jam ais en place.
C. MAURIAC. ■— Ces Images délirantes sont orchestrées avec une m aîtrise
qui ne se dém ent pas.
J.-P. VIVET. — De la première à 2a dernière scène, Max Ophuls fa it preuve
d’une virtuosité technique folle.
J. DE BARONCELLI. — Cette perfection formelle mise à part, rien n ’accroche
l’intérêt, rien n ’émeut, rien ne passionne...
L. CHAUVET. — Le brio technique n ’est pas tout. Que la cam éra bouge c’est
très bien; mais que ce soit de préférence autour d’une action non ésotérique et
non futile.
F. TRUFFAUT. — Il s’agit moins ici d ’une histoire à suivre que d ’un p ortrait
de femme à contempler.
M. FAVALELLI. — Je m ’attendais à une tigresse, je trouve une chatte qui
ronronne. Le portrait est fait au pastel.
J. DONIOL-VALCROZE. — Dans l ’espace de trois jours j ’ai vu deux fois Lola
Montés et, la seconde plus encore que la première, j ’en suis sorti ébloui, captivé,
fasciné, pantois d’admiration, empli de la plus vive adm iration pour son auteur.
F. ROCHE. —. On en sort... comme on sort des fêtes foraines. II en est qui
n ’aim ent pas être bousculés.
J. THEVENOT. ■— Pour une m inute plaisante, il faut compter environ vingt
m inutes pesantes. Ça ne fa it pas le compte.
L. CHAUVET. — Mais ici l'on nous promène à travers un insoluble chaos.
L'on pousse le mépris de la méthode jusqu’à démembrer les épisodes successifs :
on n ’en retrace pas les grandes lignes, on les évoque indirectem ent p ar leurs
détails secondaires.
A. BAZIN. — De ce curieux système de récit, je dirais volontiers qu’il est
syncopé, m ettan t le rythm e sur le temps faible.
F. TRUFFAUT. — Ce qui intéresse Ophuls, manifestem ent, ce sont moins les
moments forts de l’intrigue que ce qui se passe entre.
J. DONIOL-VALCROZE. — Paradoxe qui Illustre le style particulier de l’en­
treprise, aussi particulier que celui de Citizen Kane ou des Ambersons d’Orson
Welles.
F. TRUFFAUT. — La construction du récit qui bouscule fort ingénieusement
la chronologie fait penser justem ent à Citizen Kane.
J. DONIOL-VALCROZE. — Comme jadis Welles, pour évoquer les visages de
Charlie Foster Kane ou du jeune M innaîer Amberson, Ophuls, pour faire jaillir
du passé la figure de Lola, a plongé dans le tourbillon de la m atière romanesque
sans se soucier des structures conventionnelles du récit cinématographique.
F. ROCHE. — L’histoire commence, s’arrête, reprend, ne finit pas. Elle a la
logique des cauchem ars ou peut-être de ces souvenirs des malades qui vont
mourir.
J.-P. VIVET. — Les évocations du passé tum ultueux de Lola Montés p re n ­
n en t elles-mêmes une allure onirique.
F. TRUFFAUT. — Le texte, que nous saisissons p ar bribes, est d’un savant
laconisme.
J. DONIOL-VALCROZE. — Comme chez Welles, c'est le règne de l’informulé,
des phrases Inachevées, chuchotées, murmurées, des hésitations, des bafouillages
volontaires : Ophuls y ajoute le mélange des langues et un roi sourd.
F. MAURIAC. — Moyen qu’a choisi Max Ophuls parm i beaucoup d ’autres
pour désorienter le spectateur et lui faire perdre pied au sein de la réalité la plus
quotidienne.

56
L. CHAUVET- — L’a rt n ’est véritable que s’il ém eut à la fois les initiés et.
le grand public. Dans ce film encore les deux conditions ne semblent pas
réunies.
J. DONIOL-VALCROZE. — Si un problème de « communication » avec le
public se pose à. propos de ce film» c’est vraim ent le « devoir » de la critique
d’essayer de jeter un pont entre cet auteur et son audience.
F. TRUFFAUT. — Si le public boude Lola Montés, c'est qu’on ne l ’a guère
entraîné à voir des films réellement originaux et poétiques.
J. NOBECOURT. =— Qu’on aime le cinéma comme a rt'o u qu’on y cherche le
divertissement, il n ’est pas possible de se refu ser.à subir les prestiges d ’une si
éblouissante maîtrise.
J. DE BARONCELLI. — Ou l ’intérêt faiblit, languit même désespérément,
c’est lorsque nous abordons aux séquences qui traiten t de la vie même de
l’héroïne.
J. NOBECOURT. — Tous les épisodes ne sont pas de qualité égale. Ophuls
paraît m al à son aise dans les histoires d ’amour trop paisibles,
J.-P. VIVET. — Il y a même un épisode franchem ent m auvais : le voyage de
Lola et de Franz Liszt. Mais ces défauts s’étalent avec un tel sans-gêne qu’ils
ajoutent souvent encore à l’extravagance du film.
J. DE BARON CELLI. — Les scènes du cirque sont étonnantes. Max Ophuls
les a mises en scène avec une sorte de raffinem ent cruel, de démesure diaboli­
que... Ce cirque, c’est véritablem ent l’enfer.
F. ROCHE. — Une m aquette de l’enfer, qui aurait été abandonnée pour ra i­
sons techniques.
L. CHAUVET. — Une sorte de chapiteau métaphysique, passablem ent lugu­
bre.
J. THEVENOT. — Tout ce joli monde se m eut dans un univers aux couleurs
incertaines, rarem en t dignes du procédé utilisé.
C. MAURIAC. — Cordes, lustres, girandoles... s’interposent avec une conti­
nuité surprenante entre acteurs et spectateurs. Ecriture d'où n aît un style. Le
découpage en quelque sorte vertical réalisé grâce à ce recours systématique à ce
qui pend, se balance, divise, sépare, permet à Max Ophuls des cadrages adm ira­
bles.
F. TRUFFAUT. — L’utilisation de la couleur n ’est pas moins admirable.
Enfin un film qui ne prétend pas nous offrir des couleurs « naturelles ».
F. ROCHE. — Il a pressé là-dessus des tubes de couleurs. Les siennes :
appuyées à gros coups de pouce.
J. NOBECOURT. Quelle somptuosité au total dans la fermeté dont ce
m aître d’équipage tie n t en m ains sa m eute de techniciens et d’artistes.
M. FAVALELLI. — J ’avais beaucoup aimé La Ronde. Beaucoup aimé Le
Plaisir et Madame de... Et j'aim e encore beaucoup M. Max Ophuls.

Concluons avec les cinéastes par les extraits de la lettre publiée dans le
FiGARO du 5 janvier.
« ... Lola Montés constitue une entreprise neuve, audacieuse et nécessaire, un
film très im portant et qui arrive au m om ent où le cinéma a le plus urgent besoin
de changer d ’air...
... Nous pensons que Lola Montés est, av an t tout, un acte de respect à l’égard
du public si souvent m altraité p ar des spectacles de niveau trop bas qui altèrent
son goût et sa sensibilité...
... Défendre Lola Montés, c’est défendre le ciném a en général puisque toute
sérieuse tentative de renouvellement est un bien pour le cinéma et pour le
public. » A l e x a n d r e A s t r u c , J a c q u e s B e c k e r , C k r i s t i a n - J a q u e , J e a n C o c te a u ,
P i e r r e K a s t, R o b e rto R o s s e llin i, J a c q u e s T a ti.

57
FÏMS SORTIS Fi. PARIS DU 16 NOVEMBRE 1955
AU 10 JANVIER 1956

(43 filins)

16 FILMS AMERICAINS

7 error on a Train (Cinq heures d e terreur), film de T e d T etzlaff, avec G len n Ford, A n n e
V ern o n, M aurice D enh am . — F ilm policier assez indifférent.
Blackboard Jungle [Graine de violence), film de R ichard Brooks, avec G lenn Fo rd , A n n e
Francis, Louis C alhern, John Hoyt, M argaret Hayes. — V oir la critique d a n s ce n u m éro p. 36.
T h e B ig K n ife (Le G rand Couteau), Hlm de R obert A ldrîch, avec Jack Palan ce, Shelley
W in ters, Ida L upino, W en d ell Corey. —* V oir la critique de ce film dans notre n u m éro 53.
T h e M an fro m Laramia (L ’H o m m e def la plaine), film en C iném aScope et en T echnicolor
de A n th o n y Marin, avec Jam es Stew art, A rth u r K ennedy, D onald Crisp, C athy O ’D onnell,
AJejc Nîcol, A line M cM ahpn, W ïillace Ford, ■— V o ir lq critique de ce film dans ce nu m éro
page 33.
T h e B js C om bo (Association crim inelle), film de Joseph Lew is, ayec Cornet W ilde, R ich ard
Conte, Brian Donlevy, Jean W allace, R obert M ïddleton. — Sur -un th èm e classique : lutte
contre le a syndicat d u crim e », u n scénario astucieux de P h ilip Y ordan et u ne photo adm irable
de John A lton. . . . . . . .
T o çaich a T h ie f (La m ain au collet), film en V jstavision et, en T echnicolor 4e A lfred
Hitchcock, avec Cary G rant, G râce ÎCelly, C harles V an el, Jessie Royce L an d îs, Brigitte A u b e r,
R en é B lancard. — Voir la critique d e ce film dans ce num éro page 32.
T h e Glass S lip p er (La P an to u fle do üerre), film en Eastznancolor d e C harles W alters,
avec Leslie C aron, M ichael W ild în g , K e e n a n W y n n , Eisa L anchester, Barry Jcfnes. Ce
divertissem ent dansé (hélas très peu!) p e 'v a u t p as L jU, qui d é jà tvétait pas le P érou.
Taies o f R o h in H o o d (Les Notiveattx E xploits d e R ob in des Bois), film de Jam es T in ljn g ,
avec R obert Clarke, M ary H atcher, P aul C avanagh. — lî aurait pu en rester aux anciens.
F oxjire (La Muraille d ’or), film en T echnicolor de Joseph P evney, gvec Jan e R usse), Jeff-
C handler, M ara Corday, D an D uryea. — C om plications entre un ap ache-ingénieur des m ines
et sa fem m e am éricaine. D 'u n b est seller sans jtjtérêj, Pevney, avec sa fraîch eu r çoutum ière,
a fait u n film attachant.
McConriel siory (Le T ig re du cîef), film en CifténriaScope et en Eastm ancolor ç\e Q ordon
Douglas, avec À lan L ad d, Ju p e AUyson, Jaipes W hitrfiore, F r^ n k Faylen- — L® Yje d ’un
aviateur. Film techn iq u em en t satisfaisant. A lan L add se dégèle p e n d an t les vingt p rem ières
jninutes cju fiJïfc,
Five against £he Hotise (On n e jo ue pas avec le crime), film d e P h il K arlson, avec G uy
M adîson, K îm Novak, B rian K eith, A lvy Moore, W illiam C onrad. — T rois étu d ian ts jo u en t
aux cam brioleurs. Scénario et m ise en scène faibles. Mais il y a îCim N ovak f
Th& A m erica no (R en dez-vo us sur l’A m a zo n e), film en T echnicolor de W illiam C astle,
avec G lenn F ord, F ra n k Lovejoy, C ésar Rom ero, U rsula T h îess, A b b e L ane.' — U n cow-boy
contre u n b an d it. Film d 'a v e n tu re a u rabais,
T h e Yirgirt Q u e e n (Lei S eigneur d e l'aventura), film en CinéfnaScope pt en T ech n jco lo r d e
H en ry Koster, avec Bette Davis, R ich ard T o d d, Joan Collins, Jay R obinson, H e rb ert M arshall,
— Scénario assez ab racad abran t, P a u v re reine vierge! Bette Davis d em eu re étonnante.
T h e K erttuckjan (L’f/o m m e du K e n tu c \y)^ film en C iném aScope et en T echnicolor d e Q uit
Lancaster, avec B urt L ancaster, D ianne Foster, D iana L ynn, Tohn M çlntire, — D u dan g er
pour u n acteur d e se p ren d re p o u r u n m etteu r en scène. C e film était difficile à rater. P o u r­
tant il Test.
T h e L a d y a n d the T ra m p (La Belle ef le Cloçhqndj, filpi en Ç in ém a3 ç°P e et en T e c h n i­
color de W alt Disney. ■— C h arm ant pour les enfants. T oujours cette ennuyeuse perfectiorj.. O p
préférerait voir M elody et les autres essais plus audacieux d e Disney.

58
C hief Crazy H orse {Le G rand C /je/), film en Çiném aScope et en T echnicolor de George
S herm an, avec V ictor M ature, Susan Bail, Jo h n Lund, R ay D anton. — U n sujet intéressant :
la résist^nçe des InçJîepS % péiiétTOtiqn. blanche, Q e belles fo nt p en ser aux A ffqm etirs
d ’A n tho n y M ann.

l F liM PA N Q IS

Qrçfet, filin Ç arl TH, D rp y eïf avec M s ) W s > E m il Has* Ç h n^en ser); P re b e n
L erdoff Rye, Ç^y $>ristian^ep( Birgitte Feçlerspiej, V oir çn-itjque de çç film P?ge 25,

13 FILMS FRANÇAIS

Pas de pitié p oup les caves, film d ’H e n ry L epage, avec Dora Doll, Colette R ipert, Michel
A rd an , Jacques D ynam , Jean Tissier, R obert Berri. O n a envie d e d ire : pas d e pitié
pour L epag è... mais nous aim ons bien D ora Doll.

T ç n t qu'il ÿ aura des f e m m f S , film d ’E d m o n d T . Gréville, avec P jg rre D e ssilles, Mireille


P errey, Evelyne lyer, C laude Njpot, Noël K oq ^eyert, RaymoncJ Bussières. — ...il y aura des
films. Ce fimi a eu un prix. M oralité : ta n t q u 'il y a^iïa çles films i\ y a\).ra des prix.

Frou-Frctq, film en C iném a Scppç: et en E asfm ançolor d ’A ugusto G eninq, avec Dpnv Robin,
G ino Çervi, Ph ilipp e Lenqaire, Jean W 3 II, Louis d e F u nès, M ejnati, Isabe^Le F ia. Un jupa^i
qui nè nous troubler^ pas l ’â m e, À 14 fefraiq.

L a M ôm e Pigaîte, film d ’A lfred R ode, avec C laudine D upuis, D any Carrel, J e a n G aven,
PVliHpBS P o ra Qojl, I ^ b e r t Berri, {iLnçgre Qpr& Doll q u i nou§ pm pêçhe de dire
tpyt le flial que npyg pensons dp çç pale Kïélq,

L a M adeïon, film de Jean Boyer, avec L ine R e n a u d , Jean R ichard, R oger P ierre, Pierre
kerrçuey, JMpël R oquevert, Je^R Ç a n ^ p t, G e 9 ïg e 6 Ç h a ^ g f a t, ^ g jle sjOurU, c ç # tfiMt ce q u ’elle
g^it faire,

Un M issionnaire, film en Eaetm apcqlor M aurice Clpche, 3 Vec Yve§ Maseard, Chartes
V an el, Jacques Berthîer, A lb ert P réjean , R en é B lancard, Jean L anier. — Les bonnes intentions
pe_ suffjpent p^s,

L ’A m a n t de L a d y C hattsrîey, film d e M arc A llég ret, avec D anielle D arrieux, Erno Crisa,
L éo G enn, je a n M urât, G érard Sêty, Jacqueline Noël. — Les b o n n es intentions ne suffisent
p as {2a édition). V quloir faire u n film distingué, d e b o n gpût et « digne $ avec l ’im pétueux
torrenj: de Law rence, c ’était folie.

L es carnets d u Major T ho m pso n , film de P ie s Ion Sturges, avec Jack B uchanan, M artine
Carol, Noël-Noël, Totti T ru m a n T aylor, G eneviève Brum el, A n d ré L uguet, P aulette Dubost.
— Les bonnes intentions ne suffisent (3® édition}, U p excellent sketch (la fiancée anglaise)
n e com pense pas l’enn u i et la facilité noeSienne d u reste. P reston Sturges a fait le m axim um
p o u f sayvej- ce pensum . Héfôs { il p ^ J a it de trop bas.

O n d ém énage 7e colonel, film de M aurice L abro, avec Yves D eniaud, Jacques D ynam ,
D ora DoÏÏ, Noël R oquevert, A rm a n d B ernard, A lice Tissot, G inette Pigeon. — P arti sans
laisser d ’adresse.

Les Hussards j filrft d ’Alex joffé, avec B ernard Blier, Bourvil, G îovanna Ralli, D e Funès,
Carlo Ç arnpanini. — L e m eilleur film français cojpiqy.e d e l’ann ée 55, Nous en reparlerons.

L(>la M aniés, film eu ÇinérnaSçope et en Eastn^ancolor de Ti/lp-X QpHul.s, ayep. ^ a f t in e


Carol, Peter Üstinov, Béatrice À rnac, A n to n W albrook, H enri Guisol, ^ Vpif la critiqua d e
ce film page 28.

L a Pointe CQHrte, film d 'A g n è s V a rd a, ftveç_ Sylvia PhU ippe NpUpt et les hf»hif
tan t d e la « Pointe C ourte », près d e Sète. — V oir la critique d e ce film dans notre n u m éro 53.

Papa, M am an, m a F a m m ç et m oi, film, d e Jean rP au l L e C hanojs, avec R obert L am oureux,


G ab y Morlay, F grnand L edoux, Nicole C ourçel, Louiç d e F u n ès. — Suite du précédent. T o ur
jours habile. U n p eu m oins.

59
1 FILM MEXICAIN

R a ices {Racines), film d e Benito A laztaki, avec Beatrice Flores, Ju a n d e la Cruz, Ju a n


H e m an d e z. — V oir la critique d e ce film pag e 40.

1 FILM RUSSE

A r e n a Sm eltfjfh (L /A rè n e de9 audacieux), film e n Sovcolor d e S. Gouriv et J. Oserav. —


U n e représentation dans u n grand cirque soviétique. D ocum entairem ent très intéressant.

7 FJLMS ITALIENS

C onfinante P erduto [Continent perdu), film en C iném aScope et en T echnicolor d e


L eo n ard o Ëonzi, Mario C raveri, E nrico G ras, Francesco A . L avagnino, G iorgi M oser. — Belle
utilisation d u Ciném aScope, Beau et pittoresque p ériple. C ertain es scènes nuisent à l ’im p re s­
sion d ’authenticité et le com m entaire est souvent g ênant,

A ttila , jlêatt d e D ieu, film en T echnicolor d e P ie tro Francisci, avec A n th o n y Q u in n ,


S op h ia Loren, H en ri V id al, C laude L aydu, Irène P a p a s, — Sous les pas d ’A ttila, d écidém en t
les films poussent l N ous préférions L e S ig n e d u pdien.

Casa R icordi (La M aison du souvenir}, film en T echnicolor d e C arm iné G allone, avec
D anièle D elorm e, M icheline Presle, M arta T o ren , M arcello M astroianni, Fosco G iachetti,
Gabriel!e F erzetti et les voix de T ito G obbi et M ario d e l M onaco, — L ’histoire d ’u n e m aison
d 'édition s m usicales. Confus.

L a G ronda Bagarra d e D on Camiîlo, film de C arm in é G allone, avec F ern an d el, G ino Cervi,
C laude Sylvain, G aston Rey, L eda G loria, U m b erto Spadaro . — L ’entreprise C am illo étan t
sans lim ité et sans intérêt elle restera ici sans com m entaire.

Jours d ’am our, film en Ferraniacolor d e Giuseppe; d e Santis, avec M arina V lady , M a r­
cello M astroianni, L ucien Gallas. ■— C et excellent, ce c h arm an t film qui a connu u n g ra n d
succès en Italie, a été sorti en France à la sauvette et avec p eu de publicité. Ce qui est d om ­
m ag e car p e u d e gens l o n t vu. A n e p a s m an q u e r si possible.

D u e N o tti con Cleopatfa (D eux nuits avec C U opâtre), film en F erraniacolor d e M aria
Mattoli, avec S o p hia Loren, A lb erto Sordi, E t tore M anni, P a u l M uller. — D rôlet. M ais quel
intérêt ?

R ïg oleïto {L'Esclave d u roi), film en Ferraniacolor d e Flavio C alzavara, avec A ld o Silvani,


Ja n e t V idor, G érard^L andry, avec les voix d e T ito G obbi et M ario del M onaco. — U n opéra..,
com iq u e... involontairem ent.

1 FILM JAPONAIS

Les S e p t Samourcn, film d e A kira K u ro saw a, avec T aka9hi S h im u ra, Y oshio Inaba, Seiji
M iyaguchî. — Sobre et violent. U n bon film jap on ais d e série.

3 FILMS ANGLAIS

T h e Prisoner (LrE m prisonné), film d e P eter G lenville, avec A lec G uinness, Jack H aw k in s,
W ilfrid Law son, K en n eth Griffith. — E voque u n e fam eu se histoire d e cardinal em prisonné.
P o u r u n prem ier film P e ter Glenville ne s’en tire p a s m al. Mise e n scène un p eu m olle m ais
m alg ré tout prom etteuse,

T o u c h a nd Go (Ce qire chat vaut), film en T echnicolor d e M ichaël T ru m a n , avec Jack


Ha"wkins, M argaret Johnston, June T h o rn b u rn . A g ré ab le petite co m édie anglaise.

T h e D e e p B lue Sea (L 'A u tr e H o m m e ), film e n C iném aScope et en T echnicolor d ’A n ato le


L itvak, avec V ivien L etgh, K en neth M ore, Eric P o rtm an , E m lyn "William, M oira L ister. —
U n e pièce discutable d e T erence R attigan, m ais u n e m ise en scène intelligente de L itvak.
V iv ien L eig h est excellente.

60
AU SOMMAIRE DE NOS PROCHAINS NUMÉROS

JACQUES BECKER Vacances en novembre (scénario inédit).


ROBERT BRESSON et JEAN COCTEAU : Les Dames du Bois de Boulogne
(dialogue).
GIULIO CESARE CASTELLO : Notes sur Visconti.
DOMINIQUE DELOUCHE : En travaillant avec Fellini.
JACQUES DONIOL=VALCROZE et JACQUES RIVETTE : Entretien avec
Jean Cocteau.
CARL DREYER : Réflexions sur mon métier.
LOTTE H. BISNER : Notes sur Stroheim.
PAUL GUTII : Après « Les Dames ».
FEREYDOUN HOVEYDA : Grandeur et décadence du Sérail.
PIERRE KAST et FRANCE ROCHE : Entretien avec Preston Stuvgcs.
jEAN=JACQUE'S KLM : Orphée et le Livre des Morts Thibétains.
FRITZ LANG Mon expérience américaine.
ANDRE MARTIN : Un cinéma de la personne (Federico Fellini).
ALBERTO MORAVIA Le métier de scénariste.
MAX OPHULS : L ’Art trouve toujours ses voies ; Le dernier jour de tournage.
JEAN RENOIR Le Cœur à l’aise.
JACQUES RIVETTE et FRANÇOIS TRUFFAUT Entretien avec Howard
Hawks ; Entretien avec Max Ophuls ; Entretien avec Eric Von Stroheim.
EMMANUEL ROBLES : En travaillant avec Luis Bunuel.
ROBERTO ROSSELLINI : Dix ans de Cinéma (suite).
ADRIAN SCOTT : Historique de la « Liste Noire ».
MARY SÉATON : Eisenstem.
JOSE F VON STERNBERG : Plus de lumière.
FRANÇOIS TRUFFAUT ; La Politique des Auteurs.

ET DES TEXTES D’ALEXANDRE ASTRUC, JEAN COCTEAU, FE ­


DERICO FELLINI, ABEL GANCE, ROGER LEENHARDT, JACQUES
MANUEL, FAUSTO MONTESANTI ET GEORGES SADOUL.

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D ire cteu r-g é ra n t : L, KEIGEL

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Abonnement 6 numéros : Abonnement numéros :
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Etranger ................................... 1.S 0 0 Frs Etranger ................ ............... . 3 -6 0 0 Frs
î a r i / s spéciaux î>our étudiants et ciné-clubg
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Adresser lettres, chèque ou m andat aux CAHIERS DU CiNËMA,
146, Champs-Elysées, PAKIS-Sfl (ELY 05-38).
Chèques postaux : 7890-76 PARIS
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