Rje HS09 0193

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L’étude d’impact en Tunisie : d’une réelle garantie de

protection de l’environnement à une « simple » formalité


administrative ?
Nada Zidi
Dans Revue juridique de l’environnement 2024/HS1 (N° Hors-série), pages 193 à 200
Éditions Lavoisier
ISSN 0397-0299
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N. ZIDI - L'ÉTUDE D'IMPACT EN TUNISIE

L’ÉTUDE D’IMPACT EN TUNISIE :


D’UNE RÉELLE GARANTIE DE PROTECTION
DE L’ENVIRONNEMENT À UNE « SIMPLE »
FORMALITÉ ADMINISTRATIVE ?

Nada ZIDI
Maître-assistante en droit privé, Directrice du Département de droit privé et des
sciences criminelles à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
de Tunis
Université de Carthage, Tunisie

Résumé La Tunisie s’est dotée de différents mécanismes juridiques protecteurs


de l’environnement. En application du principe de prévention, une étude d’impact
sur l’environnement est exigée avant la réalisation de certains projets pouvant lui
porter atteinte. L’objectif étant d’éviter les sources de pollution plutôt que d’en
réparer les dommages. Elle permet, ainsi, de prendre une longueur d’avance sur les
origines des pollutions en mesurant au préalable les effets des activités humaines
sur l’environnement. De ce fait, elle constitue une condition de la jouissance du droit
à un environnement sain et contribue efficacement à la protection l’environnement.
Toutefois, et dans l’objectif de simplification des procédures administratives relatives
à l’obtention d’autorisations, le régime juridique de l’EIE a subi un changement de
taille, ce qui a causé un fléchissement déplorable de la protection de l’environne-
ment.
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Mots clés : Étude d’impact, projet, prévention, autorisation administrative, régime
juridique, défaillances.

Summary Impact study in Tunisia: from a genuine guarantee of environmen-


tal protection to a "simple" administrative formality? Tunisia has introduced
various legal mechanisms to protect the environment. To apply the precautionary
principle, an environmental impact study is required before implementing certain
projects that are potentially harmful to the environment. The goal is to avoid sources
of contamination rather than repair damage. By measuring in advance the impact of
human activities on the environment, environmental impact studies make it possible
to stay one step ahead of the pollution origin, and thus constitute a prerequisite
for exercise the right to a healthy environment as well as contribute effectively to
environmental protection.
However, in an effort to simplify administrative procedures for obtaining permits,
the legal regime governing of the EIE has undergone a major change, leading to a
significant decline in environmental protection.
Keywords: Impact study, Project, Prevention, Administrative authorization, Legal
regime, Failures.

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N. ZIDI - L'ÉTUDE D'IMPACT EN TUNISIE

L’ascension de l’environnement au rang des valeurs protégées par la Constitution1


constitue sans doute le couronnement d’un long parcours entamé par le législateur
tunisien depuis quelques années. La Constitution du 27 janvier 2014 a intégré, pour
la première fois, la protection de l’environnement d’une manière claire2.

L’intérêt du législateur tunisien pour la protection de l’environnement est amorcé


dès les années quatre-vingt à travers la création d’une Agence Nationale de Protec-
tion de l’Environnement (ANPE)3. En l’absence d’un Code de l’environnement4, la
loi instituant cette agence est considérée comme « une loi-cadre » de la protection
de l’environnement, étant donné qu’elle consacre les principes fondamentaux issus
des Conférences internationales sur l’environnement5.

Sous l’impulsion de la progression du droit international de l’environnement, la


Tunisie s’est dotée de différents mécanismes juridiques protecteurs. En application
du principe de prévention, une étude d’impact sur l’environnement (EIE) est exigée
avant la réalisation de certains projets pouvant lui porter atteinte. De ce fait, elle
constitue une condition de la jouissance du droit à un environnement sain et contri-
bue efficacement à la protection de l’environnement (I.) en dépit d’un fléchissement
déplorable dû à un certain nombre d’insuffisances de son régime juridique (II.).

I. L’ÉTUDE D’IMPACT SUR L’ENVIRONNEMENT,


UN VÉRITABLE MÉCANISME DE PROTECTION
DE L’ENVIRONNEMENT

Éviter les sources de pollution plutôt que d’en réparer les dommages est l’essence
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même de l’EIE. Elle permet de prendre une longueur d’avance sur les origines des
pollutions en mesurant au préalable les effets des activités humaines sur l’environ-
nement. Elle constitue de ce fait un véritable mécanisme efficace de protection,
surtout qu’elle est prévue dans plusieurs activités économiques (A.) et que son
contenu obligatoire est fixé par la loi (B.).

1 J. Morand-Deviller, « L’environnement dans les constitutions étrangères », Les nouveaux


cahiers du conseil constitutionnel, n° 43, 2014, p. 83 ; M. Prieur, « L’environnement est entré
dans la constitution », RJE numéro spécial 2005, p. 25.
2 La protection de l’environnement est prévue dans le préambule de la Constitution et dans
l’article 45 : « L’État garantit le droit à un environnement sain et équilibré et la contribution à la
sécurité du climat. Il incombe à l’État de fournir les moyens nécessaires à l’éradication de la
pollution de l’environnement ». Elle a été confirmée par la Constitution du 25 juillet 2022 dans
l’article 47, W. Ferchichi, « L’environnement dans la nouvelle Constitution tunisienne du 27
janvier 2014 », RJE n° 2/2014, p. 215.
3 Loi n° 88-91 du 2 août 1988, JORT 2 août 1988, p. 1102.
4 Un projet de code de l’environnement est préparé par le Ministère chargé de l’environnement,
https://www.environnement.gov.tn/fileadmin/user_upload/2_PCE_FR__V1_3_aout2023.pdf
(version du 3 août 2023).
5 La loi de 1988 a été modifiée à plusieurs reprises pour intégrer les principes issus de la
Conférence de Rio de 1992.
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N. ZIDI - L'ÉTUDE D'IMPACT EN TUNISIE

A. L’ÉLARGISSEMENT DU DOMAINE D’APPLICATION DE L’EIE

La procédure d’étude d’impact sur l’environnement est régie par une pluralité de
textes juridiques. Un régime général et d’autres spéciaux sont prévus à cet effet.

1. Le régime général

C’est l’article 5 de la loi du 2 août 1988, portant création de l’ANPE6, qui impose
l’EIE pour tout projet d’unité industrielle, commerciale, agricole ou autre, qui consti-
tue, de par sa nature d’activité ou à cause des procédés de production ou de
transformation utilisés, un risque de pollution ou de dégradation de l’environnement.
Le décret d’application du 13 mars 1991 relatif aux études d’impact sur l’environ-
nement7 a détaillé les étapes et les procédures pour l’obtention de l’approbation de
l’ANPE. Une modification importante de la loi en 20018 a introduit un changement
de taille sur ce régime. Désormais la réalisation des unités industrielles, agricoles
et commerciales est soumise, soit à l’approbation préalable par l’ANPE de l’étude
d’impact négatif éventuel sur l’environnement, soit à l’engagement du promoteur de
l’unité d’appliquer les prescriptions d’un cahier des charges qui sera approuvé par
arrêté du ministre chargé de l’environnement, selon le type de l’unité, la nature de
son activité et des risques qu’elle présente pour l’environnement.

2. Les régimes spéciaux

L’EIE est généralisée dans d’autres domaines :


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- Le Code forestier du 13 avril 19889 impose l’EIE lorsque des travaux et des projets
d’aménagement sont envisagés, et que par l’importance de leurs dimensions ou
leurs incidences sur le milieu naturel, ils peuvent porter atteinte à ce dernier (article
208) ;
- Le Code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme du 28 novembre
199410 impose l’EIE pour les projets d’aménagement, d’équipement et d’implan-
tation d’ouvrages pouvant affecter l’environnement naturel par leur taille ou impact
(article 11) ;
6 Loi n° 88-91, JORT n° 52, 2 août 1988, p. 1102 telle que modifiée par la loi n° 92-115 du
30 novembre 1992 et la loi n° 2001-14 du 30 janvier 2001.
7 JORT n° 21, 26 mars 1991, p. 451, abrogé par le décret du 11 juillet 2005 relatif à l’étude
d’impact sur l’environnement et fixant les catégories d’unités soumises à l’étude d’impact sur
l’environnement et les catégories d’unités soumises aux cahiers des charges, JORT n° 57, 19
juillet 2005, p. 1834.
8 Article 5 nouveau, loi n° 2001-14 du 30 janvier 2001 portant simplification des procédures
administratives relatives aux autorisations délivrées par le ministère de l’environnement et de
l’aménagement du territoire dans les domaines de sa compétence, JORT n° 10, 2 février
2001, p. 214.
9 JORT n° 25, 15 avril 1988, p. 559.
10 JORT n° 96, 6 décembre 1994, p. 1930.
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- Le décret du 9 octobre 2006 relatif aux procédures d’ouverture et d’exploitation


des établissements dangereux, insalubres ou incommodes11 impose l’EIE pour
toute demande d’ouverture d’un établissement de première ou de deuxième caté-
gorie (article 2), ou de troisième catégorie (article 16) ;
- Le décret du 30 novembre 2006 fixe les normes et conditions de création et
d’exploitation des centres de thalassothérapie12 (article 7) ;
- Le décret du 3 janvier 2007 fixe les conditions et modalités de gestion des boues
provenant des ouvrages de traitement des eaux usées, en vue de leur utilisation
dans le domaine agricole13. Les ouvrages d’entreposage et d’exploitation des
boues sont conçus en tenant compte des besoins des périodes d’épandage don-
nées et de façon que leur exploitation n’ait aucun impact négatif sur le voisinage, les
eaux superficielles ou souterraines (article 10) ;
- Le décret du 13 avril 2009 fixe les conditions d’octroi des autorisations pour
l’exercice d’activités de gestion de déchets dangereux et des autorisations pour
l’immersion de déchets ou autres matières en mer14 (articles 4 et 12).

B. LA PERTINENCE DU CONTENU DE L’EIE

Afin que l’EIE soit un véritable instrument de prévention, le législateur tunisien a im-
posé un contenu minimum obligatoire15. Par ailleurs, il a fixé un contenu particulier
pour certaines EIE.

L’aspect le plus simple de l’étude est l’aspect statique « (…) puisqu’il s’agit d’un
constat concret de données existantes »16. Une partie descriptive relative à l’état ini-
tial du site et de son environnement est requise avant la réalisation du projet. « C’est
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la recherche du point zéro (…) »17 qui servira, lors d’un contrôle ultérieur, à comparer
et à déterminer l’impact du projet sur l’environnement. Cette partie de l’étude paraît
simple, mais cela n’enlève en rien son importance. En effet, « elle constitue le socle
autour duquel les autres aspects de l’étude vont s’articuler »18. Pour être aussi
complète et précise que possible, l’étude doit comporter une véritable « analyse »19

11 JORT n° 83, 17 octobre 2006, p. 3591.


12 JORT n° 99, 12 décembre 2006, p. 4219.
13 JORT n° 3, 9 janvier 2007, p. 92.
14 JORT n° 32, 21 avril 2009, p. 1089.
15 L’article 6 du décret du 11 juillet 2005 prévoit que : « le contenu de l’EIE doit refléter l’inci-
dence prévisible de l’unité sur l’environnement et doit comprendre au minimum cinq éléments
(…) ». Notons que le législateur n’a imposé aucun ordre à suivre pour la présentation de ces
éléments. Par conséquent, le non-respect de cet ordre ne peut pas constituer un motif d’irre-
cevabilité du dossier.
16 M. Prieur, Droit de l’environnement, Dalloz, 2001, p. 82.
17 Op. cit., p. 82.
18 M. Karray, Étude d’impact de l’activité industrielle, mémoire pour l’obtention du DEA en
droit de l’environnement et de l’aménagement des espaces, Faculté des sciences juridiques,
politiques et sociales de Tunis, 1998-1999, p. 6.
19 Article 6 du décret du 11 juillet 2005.
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de l’état initial. Il s’agit de « rassembler pour chaque thème environnemental les


données nécessaires et suffisantes à l’évaluation environnementale du projet,
mais aussi, caractériser l’état de chaque composante de l’environnement et les
synthétiser »20.

Par ailleurs, le législateur impose une description détaillée du projet21. Il s’agit de


localiser le projet, de préciser sa nature et son ampleur. Cette partie de l’étude
sera enrichie par « les raisons et les justifications techniques du choix du projet »22.
Il s’agit de la partie justificative du projet. L’objectif étant de convaincre l’autorité
chargée de l’examen du dossier de l’intérêt de son projet23.

Une autre partie de l’étude d’impact comporte un aspect dynamique. Il s’agit,


certes, d’un aspect plus compliqué mais qui est plus précis et plus complet car il
reflète tout l’intérêt de la procédure. Il vise l’objectif préventif, dans la mesure où il
s’agit d’un auto-engagement du promoteur pour l’avenir. Dans ce cadre, le maître
de l’ouvrage doit présenter une analyse des conséquences prévisibles, directes et
indirectes, du projet sur l’environnement24. C’est la partie prévisionnelle de l’étude
qui identifie et évalue les impacts du projet et qui fait de l’EIE un vrai instrument
de prévention et non pas « un simple document plaqué sur la réalité »25. Devront
être pris en considération les conséquences prévisibles du projet dans leur double
dimension temporelle et spatiale.

Enfin, l’EIE comporte une partie prospective relative aux mesures éventuelles que le
promoteur envisage de prendre pour éviter sinon atténuer les effets néfastes de son
projet sur l’environnement ou en compenser les conséquences dommageables.
Tout l’intérêt de la procédure d’EIE réside dans cette partie étant donné que ces
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mesures prévues par le promoteur seront insérées dans l’autorisation administra-
tive, ce qui leur donne un aspect obligatoire, et par conséquent leur non-respect
peut conduire à un retrait de l’autorisation.

Ce contenu sera évalué par l’ANPE, à la lumière duquel elle décidera ou non de
s’opposer au projet, et in fine d’accorder ou non l’autorisation administrative.

20 W. Sifaoui, L’étude d’impact sur l’environnement dans le cadre du développement urbain


durable, thèse de Doctorat en droit, Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de
Tunis, 2015-2016, p. 104.
21 Article 6 du décret du 11 juillet 2005.
22 Cette exigence était prévue par le décret du 13 mars 1991
23 L. Chikhaoui, « L’étude d’impact sur l’environnement », Actualités Juridiques Tunisiennes,
n° 5, 1991, p. 58.
24 Article 6, 3°, décret du 11 juillet 2005.
25 C. Huglo, « Mini ou grande réforme ? Le nouveau décret sur les études d’impact du 25
février 1993 », Gazette du Palais, n° 232-236, 1993, p. 5.
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N. ZIDI - L'ÉTUDE D'IMPACT EN TUNISIE

II. LE FLÉCHISSEMENT DE LA PROTECTION


DE L’ENVIRONNEMENT

La protection de l’environnement ciblée par l’EIE est entravée par un ensemble de


failles qui ont sensiblement rétréci son domaine d’application (A.) à côté d’autres
défaillances « congénitales » (B.).

A. SIMPLIFICATION DE LA PROCÉDURE D’OBTENTION DE L’EIE


OU RÉTRÉCISSEMENT DU DOMAINE D’APPLICATION DE L’EIE

La loi de 1988 a institué un principe selon lequel toutes les unités polluantes sont
soumises à une étude d’impact préalable26. Néanmoins, la lourdeur de cette procé-
dure, estimée trop contraignante pour les investisseurs, notamment dans la manière
dont elle avait été organisée par le décret du 13 mars 1991, a justifié l’intervention
du législateur pour lui apporter quelques assouplissements par la loi du 30 janvier
2001 portant simplification des procédures administratives relatives aux autorisa-
tions délivrées par le ministère chargé de l’environnement dans les domaines de sa
compétence. Un décret d’application, paru le 11 juillet 2005, a classé les projets
selon qu’ils sont soumis à une EIE ou à un cahier des charges.

Cela a sensiblement limité le domaine d’application de l’EIE. La loi et le décret sous-


traient certaines unités à l’étude d’impact et se contentent de l’engagement du pro-
moteur d’appliquer un cahier de charges dûment approuvé par arrêté du ministre
de l’Environnement. Cette mesure constitue le principal grief, elle est qualifiée de
« contestable »27 et n’a fait que « vider de son sens le principe imposé par la loi »28.
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Cette modification « se situe dans cadre de la politique de l’État visant la mise à ni-
veau de l’administration et la simplification des procédures administratives délivrées
par le ministère de l’Environnement. C’est la raison pour laquelle il a été décidé le
remplacement des autorisations administratives par des cahiers des charges »29.
L’objectif étant de « promouvoir les investissements et l’encouragement de création
de projets prenant en considération l’environnement dans un objectif de dévelop-
pement durable »30. Un système fondé sur « la confiance dans la relation entre
l’État et les différents intervenants »31. En fait, le législateur a essayé de trouver une
justification en cherchant un certain équilibre dans ce système. D’un côté, il a rendu

26 Article 5.
27 W. Ferchichi, La protection de l’environnement en droit tunisien. Études et recherches,
Centre d’Études Juridiques et Judiciaires, 2013, p. 42.
28 Op. cit., p. 42.
29 Rapport de la commission qui a préparé le projet de modification de la loi de 1988, travaux
préparatoires : discussions et adoption par la chambre des députés dans sa séance du 23
janvier 2001.
30 Discours du ministre de l’Environnement devant les députés dans la séance du 23
janvier 2001.
31 Ibid.
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N. ZIDI - L'ÉTUDE D'IMPACT EN TUNISIE

obligatoire l’élaboration des EIE par des bureaux d’études ou des consultants spé-
cialisés dans le domaine, en se basant sur les termes de références sectorielles32
élaborées et fournies par I’ANPE. Certes, le fait de confier la réalisation des EIE à
des techniciens en la matière est une garantie du sérieux de l’étude, toutefois rien
ne prouve que ces bureaux soient agréés par l’État33, ce qui pourrait affecter leur
crédibilité34.

D’un autre côté, le législateur a imposé au maître de l’ouvrage de signer et légaliser


un cahier des charges approuvé par arrêté du ministre chargé de l’environnement,
qui fixe les mesures environnementales que le maître de l’ouvrage ou le pétitionnaire
doit respecter35. Toutefois on note l’absence d’une assistance ou d’un « cadrage
administratif » qui consiste en une concertation avec toutes les parties concernées
à propos des informations à fournir et pour permettre au maître d’ouvrage de bien
préparer l’EIE et lui garantir l’acceptation ultérieure de l’administration.

C’est une technique absente en droit tunisien. Le législateur prévoit des termes de
références (fixés de manière unilatérale par l’administration et nécessitant une mise
à jour) qui doivent être pris en considération par les bureaux d’études qui prépa-
reront l’EIE. En confiant la réalisation des études d’impact au maître d’ouvrage du
projet, la législation ne favorise guère une prise en compte impartiale du diagnostic
et des mesures compensatoires et pose le problème récurrent de l’indépendance
de l’EIE36.

Autant la procédure d’obtention de l’EIE a été simplifiée, autant la protection de


l’environnement a été affaiblie, ce qui rallonge la liste des défaillances du régime
des EIE.
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B. MULTIPLICATION DES DÉFAILLANCES DU RÉGIME DES EIE

La mise en œuvre efficace de l’EIE est essentielle pour faire en sorte que les nou-
veaux projets de développement soient acceptables et durables du point de vue de
l’environnement. Cependant le régime actuel des EIE présente un certain nombre
de failles qui imposent une mise à jour voire une totale refonte.

Concernant la méthode d’énumération positive des projets soumis à la procédure


de l’EIE, selon laquelle l’étude n’est obligatoire que si l’ouvrage figure sur la liste,
cela limite sérieusement son domaine d’application et ne permet pas de prendre
32 Article 1er du décret du 11 juillet 2005.
33 En effet, l’article 2, alinéa 2, du décret du 11 juillet 2005 n’exige pas cet agrément « [l]’étude
d’impact sur l’environnement doit être élaborée par des bureaux d’études ou des experts en
la matière ».
34 W. Sifaoui, thèse précitée, p. 146.
35 Article 3 du décret du 11 juillet 2005.
36 J. Bétaille, « La procédure de l’étude d’impact après la loi portant engagement national
pour l’environnement : des insuffisances récurrentes », RJE numéro spécial 2010, p. 250.
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N. ZIDI - L'ÉTUDE D'IMPACT EN TUNISIE

en considération l’apparition de nouvelles catégories qui pourraient être soumises


à cette procédure37.

D’un autre côté, il existe en droit tunisien une multitude de textes qui protègent l’en-
vironnement des différentes activités humaines. Ils réglementent à cet effet l’impact
de ces activités38 sur l’environnement sans pour autant exiger une EIE. D’autres
textes se contentent de mentionner le décret du 11 juillet 2005 uniquement dans
leurs visas sans que cela se traduise dans leur contenu39. Quant aux textes qui
relèvent des régimes spéciaux de l’EIE, ils apportent des précisions qui pourraient
enrichir le régime général et combler ses lacunes40.

Au final, c’est le régime de contrôle qui souffre le plus des défaillances. Le contrôle
administratif a posteriori s’opère dans la phase de réalisation du projet et de son
fonctionnement et est réalisé soit par l’administration sectorielle qui délivre les au-
torisations soit par l’administration chargée de la protection de l’environnement soit
par des organismes spécialisés en la matière créés exclusivement pour accomplir
la tâche du contrôle a posteriori. Ce contrôle souffre de plusieurs problèmes d’ordre
financier, logistique et organisationnel et c’est d’ailleurs une des raisons qui justifie
le remplacement de l’EIE par des cahiers des charges.

Pour ce qui est du contrôle exercé par les citoyens qui doivent, normalement,
être informés et associés à la procédure d’EIE pour qu’ils puissent y participer
activement, aucun texte ne fait allusion au droit d’accès libre à l’étude d’impact,
à l’exception du décret du 9 octobre 2006 relatif aux procédures d’ouverture et
d’exploitation des établissements dangereux, insalubres ou incommodes (article 6)
qui prévoit une enquête publique.
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Notons, enfin, la défaillance relative au recours contentieux. En effet, aucun recours
contre une décision administrative pour absence ou insuffisance d’une EIE n’est
prévu.

En plus des problèmes d’ordre juridique, l’EIE est souvent entravée par le manque
de ressources humaines et financières. Surmonter ces obstacles nécessitera des
engagements politiques à long terme et un développement institutionnel.

À l’avenir, il convient de mettre en avant le potentiel de l’EIE pour aider à réaliser


un développement durable, en reconnaissant les caractéristiques qui permettent
d’atteindre cet objectif. Une refonte est vivement souhaitée !

37 Contrairement au droit français qui applique la méthode négative en ne citant que les unités
dispensées de la procédure d’EIE, M. Prieur, Droit de l’environnement, op. cit., p. 76.
38 À titre d’exemple : la loi n° 2007-34 du 4 juin 2007 sur la qualité de l’air, JORT n° 45, 5 juin
2007, p. 1853 ainsi que plusieurs autres textes cités par W. Ferchichi, op. cit., p. 44.
39 Ibid.
40 Idem.
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