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LA DOCTRINE ENVIRONNEMENTALISTE :
UNE DYNAMIQUE AU CROISEMENT
DU SAVOIR SCIENTIFIQUE ET PROFANE
Marta TORRE-SCHAUB
Chercheur au CNRS-HDR
ISJPS UMR 8103 Université Paris 1
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trated by new forms of «making the law» - also creates an «alternative» doctrine. New
ways of doing are understood to mean the irresistible emergence of creative forces
of law, such as the very active action of NGOs and associations or the very engaging
application of the principles of information and public participation. In other words,
the doctrine of environmental law itself, as an innovative and revolutionary law - asso-
ciating even more than other legal disciplines, civil society, international law, scientific
thought - Legal or external to the law. The «profane» expertises, studies from NGOs in
support of causes they defend, decisions from citizen assemblies and other forums,
penetrate the law of the environment and also become «doctrine».
INTRODUCTION
Cette origine complexe, riche et multiple a également une influence certaine sur son
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1 R. L. Schwartz, « Internal and external method in the Study of Law », Law and Philosophy,
1992, 11, p. 179 et s. ; J.-Y. Cherot, Introduction, Actes du Colloque d’Aix du 26 nov. 2006
« Rencontres de théorie du droit », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2007, 2, p. 5-15.
2 A. Serverin, « Points de vue sur le droit et processus de production des connaissances »,
Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2007, 2, p. 73-91.
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Ce processus conduit à revenir sur le rôle et la place de la doctrine dans les débats
sur les sources de droit. Cette question est apparue avec force à la fin du XIXe siècle
à travers les théories pluralistes introduites en France par F. Gény3. Dans les dis-
cussions autour de cette question, A. Esmein, en 1902, a souligné que la doctrine
devait s’articuler aux autres sources du droit, notamment à la jurisprudence. Il souli-
gnait ainsi l’importance de considérer les deux sources étroitement liées, voire, dans
une relation d’enrichissement mutuel4. Ces débats ont connu un renouveau avec
la contribution de P. Jestaz et C. Jamin qui a provoqué de multiples réactions dont
certaines plus critiques que d’autres. Ainsi, le concept de doctrine en lui-même a
fait et fait débat, car certains l’associent à une lecture de la loi et de la jurisprudence,
d’autres à une interprétation de ces sources et d’autres, sans doute plus audacieux,
à une source en elle-même, puisqu’elle enferme la matrice même de la science juri-
dique (qui se distinguerait ainsi du droit)5. De ce fait, que l’on retienne une concep-
tion apparentée à une exégèse ouverte à la jurisprudence (telle qu’évoquée par A.
Esmein) ou une conception plutôt proche d’une science portant sur la nature même
du droit, la doctrine mérite encore et toujours d’être revisitée, que ce soit comme
espace de discussion et de critique au sein de la science juridique elle-même ou
comme élément de création du droit.
3 F. Geny, Méthodes d’interprétation et sources en droit privé positif, 1e éd, 1899, réimpr.
1954, Paris LGDJ, T.I ; A. Dufour, « La théorie des sources du droit dans l’école de droit histo-
rique », in Droits de l’homme, droit naturel et histoire, Paris, PUF, 1991 ; P. Amselek, « Brèves
réflexions sur la notion de sources du droit », Archives de Philosophie du droit, T. 27, Les
sources du droit, 1982, p. 253 ; J.-L Vullierme, « Les anastomoses du droit (spéculations sur
les sources du droit) », in Archives de philosophie du droit, T. 27, Sources du droit, 1982,
p. 7 et s ; C. Thibierge, « Sources du droit, sources de droit : une cartographie », in Mélanges
en l’honneur de Philippe Jestaz, Libres propos sur les sources du droit, Paris Dalloz 2006,
p. 526 et s.
4 A. Esmein, « La jurisprudence et la doctrine », RTDciv 1902, p. 5 et s.
5 J. Chevallier, « Doctrine juridique et science juridique », Droit et société, 2002, 1, p. 103-120.
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Cela implique donc de nous attacher à la question des sources pour mieux comprendre
la manière dont la doctrine a une influence sur la création du droit de l’environnement. La
question, telle qu’évoquée par Esmein, – discutant les analyses de Gény en droit civil –,
revenait en réalité à conforter la hiérarchie de sources dans le droit, telle qu’énoncée dans
le Code civil. Selon cette hiérarchie la loi viendrait en premier, suivie de la jurisprudence,
puis, enfin, de la doctrine. Si la primauté de la loi n’était pas remise en cause et la juris-
prudence était acceptée comme soumise à la loi, la doctrine, – entendue comme une
démonstration du fait que la jurisprudence interprétait et appliquait la loi –, demeurait tou-
jours en troisième position dans l’ordre des sources. Ce n’est que, lorsque certains auteurs
se sont risqués à avancer que la doctrine pouvait, dans une certaine mesure, « construire
l’édifice » du droit, en disant en quoi consistait la jurisprudence, que l’ordre de sources
classiques a pu éventuellement faire l’objet d’un « renversement feutré ». Et c’est ainsi que,
dans de nouvelles disciplines apparues au cours du XXe siècle, comme le droit de l’envi-
ronnement, – impliquant de nouveaux besoins en termes à la fois de sources et de métho-
dologie –, la jurisprudence a pu presque « dépasser » le rôle créateur de la loi, entraînant
par là le fait que la doctrine (entendue comme interprétation de la jurisprudence) prenne à
son tour une place plus importante dans l’ordre des sources du droit. En prolongeant le
propos d’Esmein, la doctrine accèderait ainsi à un rôle de premier rang, puisqu’elle syn-
thétiserait la jurisprudence, laquelle aurait transfiguré la loi6. Cette mission de « synthèse »
de la jurisprudence est vue par P. Jestaz et C. Jamin comme une manière « discrète », de
la part d’Esmein, de lui attribuer, – tout en suivant F. Gény, Beudant et Gaudemet – un rôle
plus central dans la création du droit lui-même. Cette mission consisterait notamment à
dégager des principes et à les hiérarchiser pour en tirer de vastes constructions générales.
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6 P. Jestaz et C. Jamin, « Doctrine et jurisprudence : cent ans après », RTDciv, 2002, p. 1-9,
spéc, p. 3 et s.
7 F. Locher et G. Quenet, «L’histoire environnementale : origines, enjeux et perspectives d’un
nouveau chantier», Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2009/4, p. 7-38 ; J.-B.
Fressoz, «L’agir humain sur le climat et la naissance de la climatologie historique XVIIe-XVIIIe
siècle», Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2015/1, p. 48-78
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d’éléments externes, à la fois, à la branche elle-même (comme le droit civil, le droit admi-
nistratif, le droit fiscal, le droit international et communautaire) et au droit, d’une manière
générale8. Le droit de l’environnement propose donc un élargissement, par rapport aux
seules lois qui appartiendraient à son corpus stricto sensu. Il met en évidence plusieurs
ordres sous-jacents et, montre une large ouverture vers d’autres secteurs du droit et
vers d’autres sciences sociales et naturelles.
L’interdisciplinarité occupe ainsi une place importante tant dans la formation du droit
de l’environnement que dans la construction de sa doctrine9. Ce regard « extérieur »
au droit est néanmoins le fruit d’un savoir universitaire, organisé en cercles savants à
l’instar d’une doctrine scientifique et/ou universitaire, tels que P. Jestaz et C. Jamin ont
voulu le décrire pour le droit. Toutefois, avec le développement d’autres institutions et
organismes de recherche en France depuis les années 1970, la doctrine juridique ne
peut plus se limiter aux seuls professeurs d’université mais dépasse ce cadre et, qui
plus est, s’élargit et s’interdisciplinarise10. Ainsi la doctrine juridique et, a fortiori celle de
l’environnement, aurait une texture ouverte, comme le droit lui-même.
Cette doctrine environnementaliste, très élargie par rapport à une conception plus
étroitement juridique de la doctrine, aurait effectivement un rôle majeur dans la création
et le renouvellement du droit de l’environnement. Et c’est grâce à elle – pensons à A.
Kiss ou à M. Prieur, pour n’en citer que deux – que de grands principes structurants
du droit de l’environnement et des concepts essentiels et fondateurs ont vu le jour et
sont venus nourrir et construire véritablement le droit de l’environnement comme la
notion de « patrimoine commun de l’humanité » ou le principe de « non-régression ».
Le droit de l’environnement est étroitement lié à des avancées et aux postulats des
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8 R.E Doel, « Quelle place pour les sciences de l’environnement physique dans l’histoire
environnementale », Revue d’histoire moderne et contemporaine 2009/4, p. 137-164.
9 Sur le droit en contexte et l’interdisciplinarité, A. Bailleux et F. Ost, « Droit, contexte et interdiscipli-
narité : refondation d’une démarche », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2013/1, p. 25-44.
10 Pensons au CNRS ou l’INRA.
11 Comme le concept «d’irreversibilité», celui de «seuil», « l’intégration des incertitudes » ou
la notion «d’éco-système», pour ne donner que quelques exemples.
12 G. Farjat, « La notion de droit économique », Archives de Philosophie du droit, Droit et
Economie, T. 37, 1992, p. 27-62, spéc. p. 30 citant G. Teubner dans son ouvrage Le droit un
système auto-poïétique. S’il peut y apparaître un décalage chronologique, c’est parce que G.
Farjat, lorsqu’il cite G. Teubner, explique que l’ouvrage était encore sous presse.
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Il ne s’agira pas dans ces pages d’établir une nouvelle liste de sources du droit de l’en-
vironnement ni, encore moins, d’établir un catalogue des apports des doctrines scien-
tifique ou économique à la doctrine juridique. Il s’agira de montrer, dans un premier
temps, les apports des différentes doctrines dans la construction d’un droit de l’en-
vironnement, afin de mieux comprendre de quelle manière le juriste a assimilé ou fait
siens ces différents savoirs. On pourrait ainsi appeler cette phase, « l’étude de la doc-
trine de la doctrine », comme certains auteurs ont pu l’avancer par le passé13. Dans le
cas présent, il s’agit de doctrines a-juridiques, lesquelles sont loin d’être neutres. Elles
portent en elles souvent des valeurs et des positionnements idéologiques et politiques,
dont le juriste s’est forcément emparé et qu’il conviendra d’analyser ici (I).
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Il convient ainsi d’abord de connaître les différentes doctrines externes au droit qui
ont pu être utilisées dans la construction du droit de l’environnement (A) pour évo-
quer ensuite, éclairées par un regard sans doute plus critique, les occasions dans
lesquelles la doctrine juridique s’en est clairement emparée, afin de justifier une prise
de position à la fois scientifique, économique et politique (B).
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On ne saurait être plus d’accord avec cette analyse des choses. Toutefois, il ne
s’agit pas tant ici de souligner le rôle incontestablement important de l’expertise
scientifique sur le droit de l’environnement, que de voir de quelle manière le savoir
scientifique produit lui-même une « doctrine » qui exerce une influence à la fois sur la
doctrine juridique et sur le contenu du droit lui-même.
Il convient tout d’abord, de faire une distinction entre doctrine scientifique et exper-
tise scientifique car elles ne produisent pas le même savoir et elles n’exercent pas
la même influence sur le droit. De manière analogue, cette distinction est essentielle
car doctrine et expertise scientifiques sont reprises par la doctrine juridique sous
des angles différents. De nombreux experts scientifiques et universitaires formés aux
sciences dures, − notamment en matière climatique18, insistent sur la nécessité de
faire cette différence fondamentale, sans laquelle, la question du savoir scientifique
et de son influence dans la doctrine juridique pourrait être quelque peu brouillée.
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17 Quel avenir pour le droit de l’environnement ?, dir. F. Ost et S. Gurwirth, Actes du colloque
du CEDRE, Presses des facultés Saint-Louis, Bruxelles, 1996.
18 L’institution du GIEC est véritablement normativisée et produit des avis et des rapports
savants réguliers, ayant une influence certaine sur les différents textes juridiques onusiens
sur le changement climatique, voir O. Leclerc, « Les règles de production des énoncés au
sein du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat », in Expertise et
gouvernance du changement climatique, dir. R. Encinas de Munagorri, LGDJ coll. Droit et
société, 2009, p. 59-92.
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par un groupe d’experts dans une matière ou une autre (pesticides, contaminations
diverses, biodiversité, changement climatique, etc.).
Cette distinction ayant été faite, il n’en reste pas moins vrai que les experts scientifiques
produisant des rapports utilisés ensuite par la doctrine juridique, n’en sont pas moins
eux-mêmes des scientifiques ayant reçu une formation universitaire. Mais, la casquette
d’expert les conduit à adopter une position plus proche du décideur politique (car les
expertises scientifiques ont cette vocation) que ne le feraient des universitaires, dans la
mesure où, la doctrine scientifique se trouve davantage prise dans les dynamiques du
monde académique. Certes, les choses ne sont pas aussi tranchées dans la réalité.
Les experts scientifiques produisant des rapports, s’ils produisent ces textes à l’usage
du décideur, n’en sont pas moins conscients du fait de l’importance de leur indépen-
dance et leur autonomie. Réciproquement, les universitaires scientifiques, restent de
moins en moins enfermés dans leur univers, puisque d’une part, leurs publications
sont généralement en anglais – et donc traversent les frontières à grande vitesse – et,
d’autre part, ces publications alimentent à leur tour les experts – comme le prouvent
les rapports d’expertise issus du GIEC – . En effet, il ne fait pas de doute que les
rapports de synthèse du GIEC font le point sur l’analyse de la littérature scientifique
et fournissent ainsi un « socle commun » fondé sur le processus de relecture critique
de la production issue de la communauté scientifique (le Peer to Peer system). Mais,
dans la mesure où les rapports d’experts sont des rapports de synthèse, ayant fait
quasiment l’unanimité (avec mention des experts dissonants minoritaires), certains
scientifiques faisant partie de « la doctrine scientifique » ont pu être conduits à penser
que les rapports d’expertise n’allaient pas assez loin en pointant les dangers, de sorte
que le décideur ne se sentait pas à son tour totalement « obligé » d’agir. Si la réalité
a prouvé que, bien au contraire, c’est grâce aux rapports d’expertise – même parfois
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19 Comme en témoigne la lettre ouverte envoyée en avril 2010 par six cents scientifiques
français demandant l’organisation d’un débat scientifique approfondi. Suite à cet appel,
l’Académie des sciences a organisé en octobre 2010 un débat à huis clos et a produit un
rapport sur les sciences du climat françaises, détaillant les points de débats scientifiques et
les conclusions importantes.
20 V. Masson-Delmotte, « Quelles sont les incertitudes qui font débat ? », in E. Zaccai et al,
Controverses climatiques, sciences et politique, Presses de Sciences Po, 2012, p. 39-57.
21 V. Masson-Delmotte, art. cit., p. 43
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Ces crispations ont pu ainsi alimenter un débat au sein de la doctrine juridique, entre
des auteurs considérant les textes issus des négociations onusiennes et fondés sur
les rapports du GIEC comme de grandes avancées et des auteurs qui, plus attentifs
à la littérature scientifique, ont critiqué la trop faible ambition de ces textes.
Les rapports entre doctrine et expertise scientifiques, d’une part, et doctrine juri-
dique, d’autre part, font ainsi apparaître des débats doctrinaux, tant au sein de la
doctrine scientifique (par exemple dans le domaine du changement climatique) que
de la doctrine juridique. Mais on peut penser que la mise au jour d’une menace glo-
bale par la science dans le domaine climatique a conduit à une forme d’« adhésion »
dans la doctrine juridique au besoin d’une réponse juridique à cette menace. En ce
sens, la science a contribué à la formation d’une forme d’« idéologie » commune
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Il est ainsi généralement reconnu que le juriste (que ce soit le créateur de textes de
droit positif et/ou la doctrine juridique) s’est emparé de la question climatique car il
devenait indispensable de prendre position face à ce problème planétaire grave et
irréversible. Les textes issus des négociations onusiennes étaient eux-mêmes forte-
ment influencés par les rapports d’expertise issus du GIEC, lesquels montraient qu’il
fallait agir sans tarder et qu’il devenait urgent de stabiliser les GES à une température
en dessous de 2 °C à l’époque23. Nul ne met en doute que la situation très préoc-
cupante au niveau international a mis en route un « déferlement normatif » conduit
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par une stratégie normative impulsée par ces rapports alarmants qui ont ainsi incité
le triple mouvement normatif de : prévenir, atténuer et continuer le développement
dans la durabilité. La doctrine juridique n’a quasiment jamais contesté ce tryptique
normatif et, bien au contraire, l’a toujours porté, chaque fois en allant plus loin, de
sorte que le législateur, souvent trop timide dans ce domaine, s’est senti obligé
à en faire toujours un peu plus. Ceci atteste des rapports à la fois scientifiques
mais néanmoins idéologiques entre l’expertise scientifique et la doctrine juridique.
L’idéologie – au meilleur sens du terme – est devenue dans ce contexte précis syno-
nyme d’engagement militant de la part à la fois des scientifiques et des juristes qui
ont pris ainsi la relève.
B. DOCTRINE ET IDÉOLOGIE
Le professeur O. Houck avait écrit en 2003 dans la revue Science que la promesse
d’intégrer la science objective dans la loi environnementale et ses politiques avait
été pervertie par le système politique24. Pour lui, la science, les lois et politiques de
l’environnement formaient un mariage rock and roll25. Il estimait que la régulation
basée sur des données scientifiques destinées à dessiner un système de protection
de la santé humaine et de la planète avait été détériorée par le processus politique
menant à la création d’une régulation basée exclusivement sur les meilleures tech-
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24 O. Houck, « Tales from a Troubled Marriage: Science and Law in Environmental Policy »,
Sciences, 2003, n° 302, p. 1926.
25 O. Houck, art. cit., p. 1927 et s.
26 O. Houck, « Tales from a Troubled Marriage: Science and Law in Environmental Policy »,
Sciences, 2003, n° 302, p. 1926.
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La question des rapports entre l’environnement et le marché est ainsi devenue pro-
gressivement un sujet d’actualité dans le milieu doctrinal nord-américain, surtout
chez les économistes de l’environnement27. La littérature vantant les vertus du mar-
ché comme meilleur outil pour la protection de l’environnement devenait foisonnante
dans ce secteur intellectuel. Cette problématique, à l’origine de nombreuses légis-
lations environnementales, s’est ainsi trouvée au cœur des débats doctrinaux, qui
ont vite dépassé les cercles des économistes pour venir habiter également l’espace
juridique. Ce débat, éminemment idéologique, ne se posait pas forcément dans les
mêmes termes dans le contexte juridique américain et en Europe.
27 J.-C. Hourcade et E. Fortin, « Impact économique des politiques climatiques : Des contro-
verses aux enjeux de coordination », Économie Internationale, n° 82, La Documentation
Française, 2000, p. 45-74 ; J.-C. Hourcade, « L’économie des régimes climatiques : l’im-
possible coordination ? », Revue d’Économie Politique, 113, 4, 2003, p. 1-18 ; « Les coûts
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Il était ainsi intéressant de comparer les travaux des auteurs comme R. Stewart,
défenseur des mécanismes de marché pour réguler le droit de l’environnement, aux
travaux français, plus ancrés dans la réalité économique et juridique françaises et
européennes et plus pondérés29. Cette comparaison entre doctrines juridiques, de
part et d’autre de l’Atlantique, est d’autant plus intéressante que chacun a essayé
d’ancrer l’origine des mécanismes économiques de régulation de l’environnement
dans son « univers propre référentiel » : les nord-américains faisaient appel aux théo-
ries de la propriété de J. Locke et à la Tragedy of the communs de G. Hardy, tandis
que du côté français on évoquait plus volontiers les théories des « autorisations
sur l’adaptabilité du droit des biens », JCP G 2004.I.148 ; P. Thieffry, « Droits d’émission et
éco-fiscalité : les nouveaux instruments de lutte contre les changements climatiques à géo-
métrie variable », LPA, 1er avril 2004, n° 66 p. 4 et 2 avril 2004, n° 67, p. 6 ; S. Giulj, « Les
quotas d’émission de gaz à effet de serre : la problématique de la nature juridique des quo-
tas et ses implications en matière comptable et fiscale », Bull. Joly Bourse, 2004, p. 22,
paragraphe 3 ; C. Mistral, « Le régime juridique des droits d’émission de gaz à effet de serre
en France », LPA, 22 juillet 2004, n° 146, p. 13 ; M. Pâques, « La directive 2003/87/CE et
le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté
européenne », RTD eur. 2004, p. 249 ; M. Torre-Schaub, « La naissance d’un nouveau mar-
ché : le système britannique de commerce d’allocations d’émissions de gaz à effet de serre
(Uk Trading Allowances Scheme) », RIDE t. XVIII, 2-2004, p. 227 ; R. Peylet, « Un marché
de nouveaux biens meubles, les quotas d’émission de gaz à effet de serre », RJEP/CJEG
n° 621, juin 2005, p. 213 ; M. Teller, « Les marchés financiers, régulateurs de la politique envi-
ronnementale », Bull. Joly Bourse, 2005 n° 3, p. 211, paragraphe 75 ; P. Thieffry, « Le marché
de quotas d’émissions de gaz à effet de serre : un an déjà… et après ? », Petites affiches,
30 mars 2006, n° 64, p. 4 ; P. Thieffry, « La « titrisation » des quotas d’émission de gaz à effet
de serre », BDEI 2007, n° 10 ; Y. Jégouzo, « Les autorisations administratives vont-elles deve-
nir des biens meubles ? », AJDA 2004, p. 945 ; Th. Revet, « Les quotas d’émission de gaz
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C’est dans ce contexte intellectuel assez novateur, fortement inspiré par des auteurs
américains, que la conciliation entre les forces économiques et celles de l’environ-
nement est devenue un sujet attractif pour la doctrine juridique. Cette doctrine qui
s’était intéressée jusqu’alors davantage aux textes eux-mêmes, qu’aux débats plus
théoriques et doctrinaux venant d’autres disciplines plus habituées à l’opposition
plus idéologique « État versus marché », s’est emparée du sujet, et a entrepris un
travail abondant et enrichissant, en le « juridicisant ».
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publics et biens communs, les autres sur les théories de jeux, la théorie des stocks,
les théories des externalités ou sur les coûts de la protection de l’environnement,
théories fondées sur différentes théories du marché. Que l’on soit clair, nous ne par-
lons pas ici des analyses économiques du droit (dans le sens de l’école de Chicago),
mais de la doctrine économique autour de l’environnement et de son influence sur la
doctrine juridique et sur le droit lui-même.
Ainsi et, pour donner un autre exemple très précis de la tournure idéologique qu’a pu
prendre le croisement entre la doctrine économique et la doctrine juridique, le débat
sur le changement climatique et la temporalité du problème a donné lieu à des disso-
nances entre les deux doctrines. En effet, la question intergénérationnelle liée à celle
de la réduction du stock carbone causant l’effet de serre, à l’origine du changement
climatique, s’est traduite, dans la doctrine économique, par une discussion sur une
analyse coûts-bénéfices. Le changement climatique aurait un coût, lutter contre le
changement climatique, également. Le calcul économique est destiné, aux dires de la
doctrine économique, à éclairer la décision publique, en chiffrant les différents coûts
en jeu, en fonction de l’objectif choisi par la société. Sur la base de cette analyse, ont
été construits de nombreux modèles dits d’évaluation intégrée (MEI) couplant modèle
économique et modèle climatique. Mais, le carbone a également un coût social, car la
trop grande concentration de carbone dans l’atmosphère est considérée comme une
des causes principales du changement climatique, changement qui, lui-même, pro-
voque des maux et des dommages supplémentaires. C’est sans doute dans ce lien
nécessaire qui doit être fait entre, d’un côté, l’analyse pure coûts/bénéfices – portée
assez majoritairement par la doctrine économique des environnementalistes – et, les
conséquences néfastes pour la société en général du changement climatique, que le
juriste a été conduit à s’exprimer, en considérant souvent que la manière de régler le
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À côté de ces doctrines – multiples mais émanant toutes d’un savoir universitaire – le
monde de la recherche est amené depuis quelques années à côtoyer fréquemment le
monde professionnel. Les universités et autres institutions académiques ont longtemps
été considérées comme des institutions autonomes par rapport à leur contexte socio-éco-
nomique, ne devant pas se préoccuper de la concurrence ou des pressions extérieures.
La donne a évidemment changé et des liens étroits se sont noués entre le politique,
l’économique et la science. On attend de la recherche qu’elle produise des bénéfices
sociaux. Les universités et les organismes de recherche sont soumis à des pressions
croissantes concernant la valorisation des résultats de leurs recherches. Il se produit ainsi
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une interrelation, – souvent souhaitée, parfois forcée –, entre les deux types de savoirs :
universitaires et hors universités ou organismes de recherche, que l’on pourrait appeler
« profane ». Ces circulations de savoirs donnent lieu à un enrichissement certain de part
et d’autre, qui s’inscrit cependant dans un contexte sociétal et environnemental parti-
culier. Ainsi certains évènements bien circonscrits dans un temps spécifique, suscitent
une doctrine profane abondante qui vient à son tour alimenter la doctrine juridique. Nous
pensons ici par exemple aux événements crées autour des conférences des parties dans
les négociations climatiques onusiennes, où les différentes ONG et fondations philan-
thropiques pour l’environnement fleurissent et « communiquent » en produisant un savoir
qu’elles entendent exporter au-delà de leurs forums. Ces « productions profanes » sont
réalisées avec l’intention d’influencer le législateur, mais également l’opinion publique,
puis, évidemment, l’universitaire. Il convient ainsi de s’interroger sur les apports des
savoirs « profanes » à la fois sur le droit lui-même et sur le savoir autour du droit.
32 M. Bettati et P.-M Dupuy (dir), Les ONG et le droit international, Economica, coll Droit
International, 1986, p. 250 et s. ; E. de Romain, « Recommandations des ONG », in
L’application renforcée du droit international de l’environnement, Ed. Frison-Roche, 1999,
p. 188 ; G. Breton-Le Goff, L’influence des organisations non-gouvernementales (ONG)
sur la négociation de quelques instruments internationaux, éd. Yvon Blais, Bruylant, coll.
Mondialisation et Droit international, 2001, p. 124 et s.
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Autrement dit, ce que nous voudrions aborder ici est la question de l’apport épisté-
mique des citoyens, – organisés autour d’associations ou autres acteurs reconnus
de la société civile –, à la formation du droit de l’environnement. Cela confirmerait
l’hypothèse d’un changement de paradigme dans la création du droit, conduisant à
passer d’une dynamique top-down à une dynamique Botton up.
Si l’on s’inscrit dans un débat classique de science politique sur la compétence politique
des citoyens ordinaires et si on s’inspire des réflexions récentes de la sociologie des
sciences autour de la notion de « démocratie technique », différents travaux de sociolo-
gie politique ont abordé cette question de manière globale et théorique. Sur un terrain
plus empirique, nombreux travaux ethnographiques montrent également un déplace-
ment des savoirs à l’œuvre en matière environnementale et urbanistique. Ces travaux
ont pour but essentiel de définir la nature et le statut des savoirs citoyens, en lien avec
les questions de légitimité et de pouvoir, dans les différentes dispositions législatives34.
Il ressort ainsi de ces travaux que loin d’être limités au savoir d’usage pour lequel ils
sont sollicités, les citoyens et les groupements collectifs (associations, ONG, etc.),
peuvent aussi mobiliser un savoir à la fois technique et militant. Certains auteurs
voient là, une « démocratisation » de l’accès au savoir et au pouvoir35. Ce pou-
voir, cependant, reste souvent limité, car, outre les inégalités sociales à l’œuvre en
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33 M. Callon, P. Lascoumes, Y. Barthe, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie
technique, Seuil, coll. La couleur des idées, 2001, p. 58 et s. ; H. Collins et R. Evans, « The Third Wave
os Science Studies: Studies of expertise and Experience », Social Studies of Science, n° 2, p. 235-296.
34 H. Nez, « Nature et légitimité des avoirs citoyens dans l’urbanisme participatif. Une
enquête ethnographique à Paris », Sociologie, 2011, n° 4, vol. 2, p. 387-404.
35 G. Busquet, C. Carriou, A. Flamand et H. Nez, « La démocratie participative à Paris sous
le premier mandat de Delanoë (2001-2008) : une nouvelle ère démocratique ? », in M.-H
Bacqué, Y. Sintomer, A. Flamand et H. Nez (dir.), La démocratie participative inachevée, Paris,
Adels :Yves Michel « Société civile », p. 137-155 ; M. Torre-Schaub, « Participation, justice
environnementale et citoyenneté écologique : vers un changement de paradigme dans les
modes de création de la norme », L’observateur des Nations Unies, 34-1, 2013, p. 147-167,
également M. Torre-Schaub, « L’apport du principe de développement durable au droit com-
munautaire : gouvernance et citoyenneté écologique », Revue de l’Union Européenne, n° 555,
février 2012, p. 84-92 et M. Torre-Schaub, « La démocratie environnementale et les droits éco-
nomiques et sociaux », in C. Krolik et S. Nadeaud (dir.), L’environnement au service des droits
économiques et sociaux, Les cahiers de l’OMIJ, Limoges, PULIM, 2015, p. 103-116.
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Il n’en demeure pas moins que l’existence de ce savoir citoyen « profane » a une
influence grandissante à la fois dans la fabrique du droit lui-même, dans son applica-
tion et, incontestablement, dans la palette des formes de critique et d’interprétation
de la norme.
Autrement dit, le savoir citoyen profane peut être considéré comme une « doctrine »,
à côté de la doctrine savante et universitaire, dans la mesure où elle a un « public »
qui la lit et s’y intéresse, où elle possède une capacité « d’influence » sur le droit
lui-même et sur le décideur politique, et, enfin, dans la mesure où elle exerce un
rôle « d’inspiration » à la fois pour la création du droit et dans la mise en œuvre des
politiques publiques.
Il ne s’agit nullement d’opposer ces savoirs citoyens aux savoirs plus académiques
ou officiels, mais il est évident qu’ils renferment souvent des significations politiques
distinctes en incluant de savoirs sociaux différents.
Ces savoirs citoyens doivent être pris au sens large en y incluant un ensemble
de connaissances, d’expériences et de techniques que mobilisent les acteurs
de la société civile qui ne disposent pas forcément d’un statut de professionnel.
Cependant, nous ne nous intéresserons ici qu’aux savoirs citoyens constituant une
« doctrine profane ». Autrement dit, ceux des savoirs qui contribuent à nourrir véri-
tablement le débat environnemental et qui possèdent une « force de proposition »
doctrinale pour faire avancer le droit de l’environnement.
Il convient également de prendre note du fait que cette doctrine n’est pas homo-
gène. Il existe en réalité, à l’intérieur de ce savoir profane, une palette très variée de
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En effet, le savoir issu, par exemple, d’un panel citoyen au niveau local, n’est pas
comparable au savoir produit par une association qui opère à échelle régionale, ou
encore à celui provenant de la production de textes et rapports d’une association
au niveau national (comme Sherpa par exemple qui se trouve à l’origine-même,
souvent, des initiatives législatives comme dans le cas du projet de loi sur le «devoir
de vigilance des sociétés-mères»). Ces savoirs seront également très différents et
seront « entendus » d’une autre oreille s’ils ont été produits par une ONG de niveau
international possédant une capacité médiatique ou de communication à grande
échelle36. Il est évident que cette dernière aura plus de chances de participer à des
négociations internationales sur l’environnement, au cours desquelles elle pourra
produire des documents ou faire avancer des concepts ou des principes qui auront
une influence certaine sur le droit.
36 Comme Oxfam, qui regroupe les plus grandes ONGs en matière environnementale dans
une sorte de coalition.
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C’est plutôt à ce niveau international de savoir citoyen qu’il faut se situer pour par-
ler de doctrine profane. Il convient toutefois de souligner le fait que, dans ce genre
d’organisation non gouvernementale, ceux qui produisent des documents ou ceux
qui exercent une véritable force de proposition dans le cadre, par exemple, des
négociations onusiennes, sont de véritables « professionnels », ayant reçu sou-
vent une formation juridique ou économique de haut niveau. Ce ne sont donc
pas des citoyens « ordinaires » sans bagage dans le domaine environnemental.
De la même manière, cette doctrine revêt, à côté de son caractère professionnel,
un caractère « militant » qui englobe à la fois une grande capacité de « communi-
quer » les propositions textuelles devant les institutions et un réseau important qui
pourrait être qualifié de « lobby » environnemental. Cela étant dit, ces précisions
ne préjugent pas du contenu savant des propositions textuelles ou conceptuelles
que cette doctrine véhicule.
37 E. Morena, (Le rôle de fondations philanthropiques), The price of Climate Action, ed.
Palgrave Macmillan, London, 2016.
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Ces propositions, reprises dans l’Accord de Paris, ont exercé une influence sur le
droit du changement climatique. Mais ces publications, qui se sont succédées et
multipliées entre 2011 et 2015, ont également influencé la doctrine juridique en la
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Mais en réalité, plus qu’une influence de ces documents sur la doctrine juridique,
il serait plus pertinent de dire qu’il existe une influence réciproque. Cette influence
jouerait ainsi dans les deux sens. D’abord, parce que ces documents ont été pro-
duits – dans le cadre de ces fondations – à la fois par des « profanes » et par des
universitaires, invités à faire partie de ce cercle de penseurs. Ensuite, parce que ces
textes, à leur tour, ont permis à la doctrine juridique de mieux connaître les dessous
des négociations et l’esprit de l’Accord, tel qu’il se préparait déjà depuis 2011. Ces
influences réciproques constituent ainsi un exemple important de l’ouverture de la
doctrine juridique vers d’autres doctrines non-universitaires et vice-versa.
38 Sur le rôle controversé de ces fondations, E. Morena, The Prize for Climate Action,
Philanthropique Foundations in the International Climate Change Debate, London, Palgrave
Mcmillan, 2017.
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Mais ce concept, tel que construit et soutenu par les ONG, possède une dimension
politique et juridique incontestable. Sur le plan politique, il témoigne d’une dénoncia-
tion grandissante de la part de la société civile d’un « déficit de démocratie » dans le
cadre des négociations onusiennes sur le changement climatique et dans le contenu
lui-même de textes issus de ces négociations. Sur le plan strictement juridique, le
terme de justice climatique proposé par les ONG, s’il reste flou quant à son contenu
décliné en obligations juridiques concrètes, il n’en revendique pas moins des appli-
cations plus justes dans la répartition de charges et d’obligations des États face
au changement climatique39. Autrement dit, du point de vue juridique, le concept
de justice climatique, porté par la société civile, pourrait bouleverser ou du moins
alimenter le débat juridique autour du principe de « responsabilités communes mais
différenciées » posé à la Convention-cadre des Nations Unies de 1992 sur le chan-
gement climatique.
***
La boucle semble ainsi bouclée, nous permettant de conclure sur deux notes. La
première tient au caractère fructueux de la doctrine profane par rapport à la doctrine
universitaire. Ces liens d’enrichissement mutuel en disent long sur les bienfaits de
cette collaboration. De ce fait, le cloisonnement de l’une par rapport à l’autre ne ferait
39 Sur la notion de Justice climatique, voir A. Michelot (dir.), La justice climatique / Climate
Justice, Bruylant, LGDJ, 2016 ; M. Torre-Schaub, «Justice et justiciabilité climatique après
l’Accord de Paris», in M. Torre-Schaub (dir.), Bilan et Perspectives de l’Accord de Paris,
Regards croisés, éd. de l’IRJS, Lexisnexis, Paris, 2017.
40 Avis sur la Justice Climatique, CESE juin 2016, porté par A. Michelot et J. Jouzel.
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