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La doctrine environnementaliste : une dynamique au

croisement du savoir scientifique et profane


Marta Torre-Schaub
Dans Revue juridique de l’environnement 2016/HS16 (n° spécial), pages 219 à 240
Éditions Lavoisier
ISSN 0397-0299
ISBN 9782756205793
© Lavoisier | Téléchargé le 18/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 154.73.166.130)

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MARTA TORRE-SCHAUB - DOCTRINE ENVIRONNEMENTALISTE

LA DOCTRINE ENVIRONNEMENTALISTE :
UNE DYNAMIQUE AU CROISEMENT
DU SAVOIR SCIENTIFIQUE ET PROFANE
Marta TORRE-SCHAUB
Chercheur au CNRS-HDR
ISJPS UMR 8103 Université Paris 1

Résumé La pensée doctrinale sur le droit de l’environnement, s’est formée en


grande partie à partir d’autres disciplines et courants de pensée, comme la doc-
trine scientifique, la doctrine internationaliste et la pensée économique. Son passé
est ainsi composé de différents courants et d’analyses variées, qui ont permis à
la doctrine du droit de l’environnement de se former et s’y alimenter. Cette origine
complexe, riche et marbrée a une influence certaine sur son avenir. Aussi, la nature
multiple du droit de l’environnement –en tant que branche qu’illustre bien des nou-
velles formes de « fabriquer le droit »- fait émerger également une doctrine « alterna-
tive ». On entend par là, des nouveaux modes de faire le droit, l’irrésistible émergence
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de forces créatrices du droit comme l’action très active des ONG’s et des associa-
tions ou l’application très engageante des principes d’information et de participation
du public. Autrement dit, la configuration du droit de l’environnement elle-même,
comme droit novateur et révolutionnaire -associant encore plus que d’autres dis-
ciplines juridiques, la société civile, le droit international, la pensée scientifique-, fait
émerger une doctrine a-juridique ou extérieure au droit. Les expertises « profanes »,
les études provenant des ONG’s à l’appui de causes qu’elles défendent, les déci-
sions issues des assemblées citoyennes et autres forums, pénètrent le droit de l’en-
vironnement et deviennent également de la « doctrine ».
Mots clés : sources du droit, sciences, expertise scientifique, pensée économique,
science profane, fabrique du droit.

Summary Doctrinal thinking on environmental law has largely been shaped


by other disciplines and trends of thought, such as scientific doctrine, inter-
nationalist doctrine, and economic thought. Its past is thus composed of different
currents and varied analyzes, which have allowed the doctrine of environmental law to
form and feed itself. This complex, rich and multiple origin has a certain influence on
its future. Also, the multiple nature of environmental law - as a branch that is well illus-

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trated by new forms of «making the law» - also creates an «alternative» doctrine. New
ways of doing are understood to mean the irresistible emergence of creative forces
of law, such as the very active action of NGOs and associations or the very engaging
application of the principles of information and public participation. In other words,
the doctrine of environmental law itself, as an innovative and revolutionary law - asso-
ciating even more than other legal disciplines, civil society, international law, scientific
thought - Legal or external to the law. The «profane» expertises, studies from NGOs in
support of causes they defend, decisions from citizen assemblies and other forums,
penetrate the law of the environment and also become «doctrine».

INTRODUCTION

Entreprendre une réflexion sur la doctrine en droit de l’environnement revient à la fois


à s’interroger sur sa nature composite et sur son avenir novateur pour le droit en
général. Aussi, une telle introspection pose-t-elle autant la question de son passé,
de son présent et de son devenir.

La pensée doctrinale sur le droit de l’environnement s’est formée en grande partie


à partir d’autres disciplines et courants de pensée, comme la doctrine scientifique,
la doctrine internationaliste ou la théorie économique. Son passé est ainsi composé
de différents courants et d’analyses variées, qui ont permis à la doctrine du droit de
l’environnement de se constituer et de se développer1.

Cette origine complexe, riche et multiple a également une influence certaine sur son
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avenir. Ainsi, la nature multiple du droit de l’environnement – en tant que branche
correspondant à de nouvelles manières de « fabriquer le droit » – fait également émer-
ger une doctrine « alternative ». On entend par là, les apports résultant de l’irrésistible
émergence de forces créatrices du droit comme l’action importante des ONG et des
associations, ou encore l’application étendue des principes d’information et de par-
ticipation du public. Autrement dit, la configuration du droit de l’environnement elle-
même, comme droit novateur et révolutionnaire, fait émerger d’une part, une doctrine
a-juridique alimentant la doctrine juridique et, d’autre part, une doctrine « profane »
extérieure à l’univers académique2. Les expertises « profanes », les études provenant
des ONG à l’appui de causes qu’elles défendent, les décisions issues des assemblées
citoyennes et autres forums, contribuent alors au développement du droit de l’environ-
nement et alimentent la « doctrine » au sens académique du terme.

1 R. L. Schwartz, « Internal and external method in the Study of Law », Law and Philosophy,
1992, 11, p. 179 et s. ; J.-Y. Cherot, Introduction, Actes du Colloque d’Aix du 26 nov. 2006
« Rencontres de théorie du droit », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2007, 2, p. 5-15.
2 A. Serverin, « Points de vue sur le droit et processus de production des connaissances »,
Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2007, 2, p. 73-91.

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Ce processus conduit à revenir sur le rôle et la place de la doctrine dans les débats
sur les sources de droit. Cette question est apparue avec force à la fin du XIXe siècle
à travers les théories pluralistes introduites en France par F. Gény3. Dans les dis-
cussions autour de cette question, A. Esmein, en 1902, a souligné que la doctrine
devait s’articuler aux autres sources du droit, notamment à la jurisprudence. Il souli-
gnait ainsi l’importance de considérer les deux sources étroitement liées, voire, dans
une relation d’enrichissement mutuel4. Ces débats ont connu un renouveau avec
la contribution de P. Jestaz et C. Jamin qui a provoqué de multiples réactions dont
certaines plus critiques que d’autres. Ainsi, le concept de doctrine en lui-même a
fait et fait débat, car certains l’associent à une lecture de la loi et de la jurisprudence,
d’autres à une interprétation de ces sources et d’autres, sans doute plus audacieux,
à une source en elle-même, puisqu’elle enferme la matrice même de la science juri-
dique (qui se distinguerait ainsi du droit)5. De ce fait, que l’on retienne une concep-
tion apparentée à une exégèse ouverte à la jurisprudence (telle qu’évoquée par A.
Esmein) ou une conception plutôt proche d’une science portant sur la nature même
du droit, la doctrine mérite encore et toujours d’être revisitée, que ce soit comme
espace de discussion et de critique au sein de la science juridique elle-même ou
comme élément de création du droit.

La question du rôle de la doctrine dans la création du droit dépend bien évidemment


du concept de doctrine retenu. Ainsi pour P. Jestaz et C. Jamin, la doctrine serait le
produit d’un « corps » de juristes professionnels, indépendants à l’égard du pouvoir
politique et de celui de l’argent, mais excluant également de leur réflexion l’apport
des sciences sociales, en formant une « sorte d’entité informelle », une « commu-
nauté principalement universitaire » qui se reconnaîtrait au travers de rites d’écriture
et de rites institutionnels (soutenance de thèse de doctorat, agrégation, mélanges…).
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S’agissant de certaines branches du droit relativement récentes, qui se caracté-
riseraient soit par le fait d’avoir été formées dans des conditions historiques ou
politiques déterminées, soit par un surnombre de textes législatifs, soit par une juris-
prudence abondante mais « ésotérique », le travail doctrinal d’interprétation et de
systématisation, – voire de véritable impulsion – revêt une importance certaine. C’est
évidemment le cas du droit de l’environnement, dans lequel, la doctrine a joué un

3 F. Geny, Méthodes d’interprétation et sources en droit privé positif, 1e éd, 1899, réimpr.
1954, Paris LGDJ, T.I ; A. Dufour, « La théorie des sources du droit dans l’école de droit histo-
rique », in Droits de l’homme, droit naturel et histoire, Paris, PUF, 1991 ; P. Amselek, « Brèves
réflexions sur la notion de sources du droit », Archives de Philosophie du droit, T. 27, Les
sources du droit, 1982, p. 253 ; J.-L Vullierme, « Les anastomoses du droit (spéculations sur
les sources du droit) », in Archives de philosophie du droit, T. 27, Sources du droit, 1982,
p. 7 et s ; C. Thibierge, « Sources du droit, sources de droit : une cartographie », in Mélanges
en l’honneur de Philippe Jestaz, Libres propos sur les sources du droit, Paris Dalloz 2006,
p. 526 et s.
4 A. Esmein, « La jurisprudence et la doctrine », RTDciv 1902, p. 5 et s.
5 J. Chevallier, « Doctrine juridique et science juridique », Droit et société, 2002, 1, p. 103-120.

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rôle d’élaboration et de consolidation indiscutable de ce droit, en forgeant un tissu


conceptuel indispensable pour asseoir sa légitimité.

Cela implique donc de nous attacher à la question des sources pour mieux comprendre
la manière dont la doctrine a une influence sur la création du droit de l’environnement. La
question, telle qu’évoquée par Esmein, – discutant les analyses de Gény en droit civil –,
revenait en réalité à conforter la hiérarchie de sources dans le droit, telle qu’énoncée dans
le Code civil. Selon cette hiérarchie la loi viendrait en premier, suivie de la jurisprudence,
puis, enfin, de la doctrine. Si la primauté de la loi n’était pas remise en cause et la juris-
prudence était acceptée comme soumise à la loi, la doctrine, – entendue comme une
démonstration du fait que la jurisprudence interprétait et appliquait la loi –, demeurait tou-
jours en troisième position dans l’ordre des sources. Ce n’est que, lorsque certains auteurs
se sont risqués à avancer que la doctrine pouvait, dans une certaine mesure, « construire
l’édifice » du droit, en disant en quoi consistait la jurisprudence, que l’ordre de sources
classiques a pu éventuellement faire l’objet d’un « renversement feutré ». Et c’est ainsi que,
dans de nouvelles disciplines apparues au cours du XXe siècle, comme le droit de l’envi-
ronnement, – impliquant de nouveaux besoins en termes à la fois de sources et de métho-
dologie –, la jurisprudence a pu presque « dépasser » le rôle créateur de la loi, entraînant
par là le fait que la doctrine (entendue comme interprétation de la jurisprudence) prenne à
son tour une place plus importante dans l’ordre des sources du droit. En prolongeant le
propos d’Esmein, la doctrine accèderait ainsi à un rôle de premier rang, puisqu’elle syn-
thétiserait la jurisprudence, laquelle aurait transfiguré la loi6. Cette mission de « synthèse »
de la jurisprudence est vue par P. Jestaz et C. Jamin comme une manière « discrète », de
la part d’Esmein, de lui attribuer, – tout en suivant F. Gény, Beudant et Gaudemet – un rôle
plus central dans la création du droit lui-même. Cette mission consisterait notamment à
dégager des principes et à les hiérarchiser pour en tirer de vastes constructions générales.
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S’agissant du droit de l’environnement, la doctrine est nécessairement récente, si on se
place d’un point de vue historique, puisque la naissance « officielle » d’un droit de l’en-
vironnement en France, se situe autour de la loi de 1976 sur la protection de la nature.
Par ailleurs, l’évolution de ce droit nous a montré que, derrière un certain « positivisme
techniciste », se trouve un véritable tissu conceptuel, venant à la fois structurer cette
branche du droit autour de principes régulièrement mis à jour par – précisément – la
doctrine, en assurant la cohérence de ce droit. Mais à vrai dire, la discipline juridique
consacrée à la nature et à l’environnement n’est pas née de cette seule loi (ainsi que l’at-
testent plusieurs études d’historiens du droit7), et le droit de l’environnement ne s’est pas
formé, d’un point de vue doctrinal, par la seule exégèse juridique. Elle intègre une série

6 P. Jestaz et C. Jamin, « Doctrine et jurisprudence : cent ans après », RTDciv, 2002, p. 1-9,
spéc, p. 3 et s.
7 F. Locher et G. Quenet, «L’histoire environnementale : origines, enjeux et perspectives d’un
nouveau chantier», Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2009/4, p. 7-38 ; J.-B.
Fressoz, «L’agir humain sur le climat et la naissance de la climatologie historique XVIIe-XVIIIe
siècle», Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2015/1, p. 48-78

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d’éléments externes, à la fois, à la branche elle-même (comme le droit civil, le droit admi-
nistratif, le droit fiscal, le droit international et communautaire) et au droit, d’une manière
générale8. Le droit de l’environnement propose donc un élargissement, par rapport aux
seules lois qui appartiendraient à son corpus stricto sensu. Il met en évidence plusieurs
ordres sous-jacents et, montre une large ouverture vers d’autres secteurs du droit et
vers d’autres sciences sociales et naturelles.

L’interdisciplinarité occupe ainsi une place importante tant dans la formation du droit
de l’environnement que dans la construction de sa doctrine9. Ce regard « extérieur »
au droit est néanmoins le fruit d’un savoir universitaire, organisé en cercles savants à
l’instar d’une doctrine scientifique et/ou universitaire, tels que P. Jestaz et C. Jamin ont
voulu le décrire pour le droit. Toutefois, avec le développement d’autres institutions et
organismes de recherche en France depuis les années 1970, la doctrine juridique ne
peut plus se limiter aux seuls professeurs d’université mais dépasse ce cadre et, qui
plus est, s’élargit et s’interdisciplinarise10. Ainsi la doctrine juridique et, a fortiori celle de
l’environnement, aurait une texture ouverte, comme le droit lui-même.

Cette doctrine environnementaliste, très élargie par rapport à une conception plus
étroitement juridique de la doctrine, aurait effectivement un rôle majeur dans la création
et le renouvellement du droit de l’environnement. Et c’est grâce à elle – pensons à A.
Kiss ou à M. Prieur, pour n’en citer que deux – que de grands principes structurants
du droit de l’environnement et des concepts essentiels et fondateurs ont vu le jour et
sont venus nourrir et construire véritablement le droit de l’environnement comme la
notion de « patrimoine commun de l’humanité » ou le principe de « non-régression ».

Le droit de l’environnement est étroitement lié à des avancées et aux postulats des
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sciences de la nature, sans lesquels, nombre de questions résolues par le droit
de l’environnement n’auraient pas été posées au législateur à la base11. Certains
secteurs du droit de l’environnement, comme par exemple celui traitant le change-
ment climatique, ont également intégré des postulats et des propositions issus de la
théorie (doctrine) économique. En ce sens, la doctrine juridique environnementaliste
implique des interactions avec des « doctrines » non juridiques12.

8 R.E Doel, « Quelle place pour les sciences de l’environnement physique dans l’histoire
environnementale », Revue d’histoire moderne et contemporaine 2009/4, p. 137-164.
9 Sur le droit en contexte et l’interdisciplinarité, A. Bailleux et F. Ost, « Droit, contexte et interdiscipli-
narité : refondation d’une démarche », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2013/1, p. 25-44.
10 Pensons au CNRS ou l’INRA.
11 Comme le concept «d’irreversibilité», celui de «seuil», « l’intégration des incertitudes » ou
la notion «d’éco-système», pour ne donner que quelques exemples.
12 G. Farjat, « La notion de droit économique », Archives de Philosophie du droit, Droit et
Economie, T. 37, 1992, p. 27-62, spéc. p. 30 citant G. Teubner dans son ouvrage Le droit un
système auto-poïétique. S’il peut y apparaître un décalage chronologique, c’est parce que G.
Farjat, lorsqu’il cite G. Teubner, explique que l’ouvrage était encore sous presse.

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MARTA TORRE-SCHAUB - DOCTRINE ENVIRONNEMENTALISTE

Il ne s’agira pas dans ces pages d’établir une nouvelle liste de sources du droit de l’en-
vironnement ni, encore moins, d’établir un catalogue des apports des doctrines scien-
tifique ou économique à la doctrine juridique. Il s’agira de montrer, dans un premier
temps, les apports des différentes doctrines dans la construction d’un droit de l’en-
vironnement, afin de mieux comprendre de quelle manière le juriste a assimilé ou fait
siens ces différents savoirs. On pourrait ainsi appeler cette phase, « l’étude de la doc-
trine de la doctrine », comme certains auteurs ont pu l’avancer par le passé13. Dans le
cas présent, il s’agit de doctrines a-juridiques, lesquelles sont loin d’être neutres. Elles
portent en elles souvent des valeurs et des positionnements idéologiques et politiques,
dont le juriste s’est forcément emparé et qu’il conviendra d’analyser ici (I).

Caractérisé ainsi, le droit de l’environnement se serait formé à partir d’une multipli-


cité de sources hétérogènes, faisant apparaître ce que certains auteurs appellent
un « paysage atypique de normativité »14. On en serait ainsi venus à reconnaître de
nouveaux acteurs impliqués dans la création du droit, à côté des autres sources for-
melles. Mais cette prolifération de sources extérieures au droit lui-même, oblige égale-
ment à envisager une doctrine extérieure au monde académique, qui viendrait nourrir
les propositions de la société civile – pensée comme ensemble dynamique reconnu
par le droit de l’environnement dont l’objectif principal serait de protéger l’environne-
ment–15. L’analyse des apports d’une doctrine, – qu’on pourrait appeler « profane » –,
aux transformations du droit, devient alors nécessaire. Elle permettra d’appréhender
l’ampleur de ces apports, à la fois, extérieurs au droit et non savants. Pensons par
exemple aux Stratégies de conservation établies par des ONG, qui expliquent en quoi
la protection d’une espèce en particulier est nécessaire ou qui attribuent aux différents
acteurs (États, populations, etc.) un rôle dans la préservation de l’environnement.
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De ce fait, il nous semble que l’étude de cette dynamique, créée au niveau inter-
national et national par différents mouvements de la société civile (ONG, forums
citoyens) en matière environnementale, est devenue indispensable pour comprendre
et évaluer la portée et en mesurer les conséquences possibles sur le droit de l’en-
vironnement (II). Cela nous conduira à une sorte de déconstruction-reconstruction
de la doctrine juridique et de son rôle dans la création du droit de l’environnement.

13 F. Terré, « La doctrine de la doctrine », in Études offertes au doyen Philippe Simler, 2006,


p. 59-74 ; « M. Boudot, « La doctrine de la doctrine de la doctrine… : une réflexion sur la suite
des points de vue méta… juridiques », RIEJ, 2007, n° 59, p. 35-47.
14 N. de Sadeleer, « L’université confronté au phénomène de régulation : l’exemple du
droit de l’environnement », in B. Jadot et F. Ost (dir), Élaborer la loi aujourd’hui, mission
impossible ?, Publications des Facultés Universitaires Saint-Louis, coll. Travaux et recherches,
1999, p. 159 ; A. Pomade, « Les implications de l’influence normative de la Société civile
en droit de l’environnement sur les théories des sources du droit et de la validité », Revue
interdisciplinaire d’études juridiques, 2010/1, vol. 64, p. 87-122, spéc. p. 95 et s.
15 A. Pomade, art. cit., p. 91.

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MARTA TORRE-SCHAUB - DOCTRINE ENVIRONNEMENTALISTE

I. LA DOCTRINE SAVANTE : ENTRE POUVOIR


SCIENTIFIQUE ET POLITIQUE

Le rôle joué dans la construction d’un droit de l’environnement par la doctrine


externe au droit oblige le juriste à ouvrir les frontières du droit et faire un pas vers les
autres sciences humaines et les sciences de la nature.

En lisant P. Jestaz et C. Jamin, le juriste, en France, aurait souvent, au cours de l’his-


toire, joué de sa « froideur » pour ne pas s’intéresser aux autres sciences comme par
exemple l’économie – intégrée initialement pourtant à la faculté de droit –, alors que les
juristes d’Amérique du Nord et d’autres pays européens auraient joué beaucoup plus
de la pluridisciplinarité. Si pour la plupart des branches du droit, surtout les branches
les plus anciennes comme le droit civil, cette affirmation ne soulève pas de doute,
il n’en va pas de même pour le droit de l’environnement, discipline beaucoup plus
perméable aux autres sciences et savoirs que d’autres. La doctrine juridique environ-
nementaliste s’est ainsi appropriée ces savoirs extérieurs au droit, à tel point que des
nombreux auteurs utilisent des raisonnements, des théories et des hypothèses scien-
tifiques externes au droit pour avancer et appuyer leurs propres pensées et idées.

La doctrine juridique, dans son ensemble, étudie la jurisprudence environnementale en


utilisant une méthode historique et contextuelle – et en prenant comme référence fonda-
mentale le droit positif –. Mais il devient parfois courant chez les environnementalistes d’uti-
liser des procédés extérieurs au droit, – savants ou techniques –, produisant leurs logiques
propres et proposant ainsi une lecture de la jurisprudence plus riche et pluridisciplinaire.

Dans ces « ressorts cachés » du droit environnemental, qui deviennent incontestablement


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de plus en plus apparents, on voit une série de « forces » dans la construction du droit
de l’environnement, conduisant à intégrer dans l’argumentation doctrinale de véritables
raisons scientifiques mais parfois aussi, des raisons morales, idéologiques, économiques
et donc politiques au sens large16. En se référant à cette argumentation tirée d’une littéra-
ture scientifique extérieure au droit, les juristes peuvent vite se trouver plongés dans des
débats idéologiques, voire politiques. L’inverse peut bien sûr également se produire et, ce
qui est en réalité un débat hautement idéologique, économique, voire politique, a pu être
subtilement recouvert par des arguments scientifiques, tirés de l’élaboration doctrinale
réalisée dans des sphères académiques extérieures à l’univers juridique.

Il convient ainsi d’abord de connaître les différentes doctrines externes au droit qui
ont pu être utilisées dans la construction du droit de l’environnement (A) pour évo-
quer ensuite, éclairées par un regard sans doute plus critique, les occasions dans
lesquelles la doctrine juridique s’en est clairement emparée, afin de justifier une prise
de position à la fois scientifique, économique et politique (B).

16 M. Torre-Schaub, Mémoire d’HDR, reprenant la terminologie de G. Ripert, sur les forces


créatrices du droit.

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MARTA TORRE-SCHAUB - DOCTRINE ENVIRONNEMENTALISTE

A. DOCTRINE SCIENTIFIQUE ET DOCTRINE JURIDIQUE


Des auteurs comme François Ost ont conçu le droit de l’environnement comme un média-
teur du rapport homme-nature sur un fond d’expertise scientifique17. À ce titre, explique
cet auteur, le droit de l’environnement est en mesure d’appréhender le savoir scientifique
comme une garantie de fiabilité et d’efficacité. Le droit de l’environnement s’enrichirait dans
l’appréhension de ce rapport et serait en mesure d’instaurer une liaison logique entre les
activités de l’homme et ses effets sur la nature. Cela permettrait, nous dit l’auteur, d’éva-
luer, soupeser, mettre en balance et élaborer un choix correspondant à une appréhension
de la nature au moyen de l’expertise juridique, aboutissant ainsi à un triple résultat : le
renouvellement des problématiques portées par l’expertise scientifique, l’élaboration et la
consécration du droit de l’environnement comme médiateur de rapports homme-nature.

On ne saurait être plus d’accord avec cette analyse des choses. Toutefois, il ne
s’agit pas tant ici de souligner le rôle incontestablement important de l’expertise
scientifique sur le droit de l’environnement, que de voir de quelle manière le savoir
scientifique produit lui-même une « doctrine » qui exerce une influence à la fois sur la
doctrine juridique et sur le contenu du droit lui-même.

Il convient tout d’abord, de faire une distinction entre doctrine scientifique et exper-
tise scientifique car elles ne produisent pas le même savoir et elles n’exercent pas
la même influence sur le droit. De manière analogue, cette distinction est essentielle
car doctrine et expertise scientifiques sont reprises par la doctrine juridique sous
des angles différents. De nombreux experts scientifiques et universitaires formés aux
sciences dures, − notamment en matière climatique18, insistent sur la nécessité de
faire cette différence fondamentale, sans laquelle, la question du savoir scientifique
et de son influence dans la doctrine juridique pourrait être quelque peu brouillée.
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Il est en effet important de noter que la doctrine scientifique universitaire est moins
lue par la doctrine juridique que certains rapports d’expertise scientifique. Ainsi,
concernant le changement climatique, la doctrine juridique est plus familière des
rapports produits par le GIEC dans le cadre de son expertise, que des articles de
doctrine publiés dans des revues scientifiques. Si ce fait n’est pas généralisable à
tous les juristes, car ceux qui s’intéressent aux rapports entre la science et le droit
sont fréquemment conduits à lire la doctrine scientifique, il est assez vrai que, en
règle générale, le juriste est peu enclin à puiser dans la doctrine scientifique univer-
sitaire – à proprement parler – et qu’il lira plus volontiers un rapport savant, rédigé

17 Quel avenir pour le droit de l’environnement ?, dir. F. Ost et S. Gurwirth, Actes du colloque
du CEDRE, Presses des facultés Saint-Louis, Bruxelles, 1996.
18 L’institution du GIEC est véritablement normativisée et produit des avis et des rapports
savants réguliers, ayant une influence certaine sur les différents textes juridiques onusiens
sur le changement climatique, voir O. Leclerc, « Les règles de production des énoncés au
sein du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat », in Expertise et
gouvernance du changement climatique, dir. R. Encinas de Munagorri, LGDJ coll. Droit et
société, 2009, p. 59-92.

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MARTA TORRE-SCHAUB - DOCTRINE ENVIRONNEMENTALISTE

par un groupe d’experts dans une matière ou une autre (pesticides, contaminations
diverses, biodiversité, changement climatique, etc.).

Cette distinction ayant été faite, il n’en reste pas moins vrai que les experts scientifiques
produisant des rapports utilisés ensuite par la doctrine juridique, n’en sont pas moins
eux-mêmes des scientifiques ayant reçu une formation universitaire. Mais, la casquette
d’expert les conduit à adopter une position plus proche du décideur politique (car les
expertises scientifiques ont cette vocation) que ne le feraient des universitaires, dans la
mesure où, la doctrine scientifique se trouve davantage prise dans les dynamiques du
monde académique. Certes, les choses ne sont pas aussi tranchées dans la réalité.
Les experts scientifiques produisant des rapports, s’ils produisent ces textes à l’usage
du décideur, n’en sont pas moins conscients du fait de l’importance de leur indépen-
dance et leur autonomie. Réciproquement, les universitaires scientifiques, restent de
moins en moins enfermés dans leur univers, puisque d’une part, leurs publications
sont généralement en anglais – et donc traversent les frontières à grande vitesse – et,
d’autre part, ces publications alimentent à leur tour les experts – comme le prouvent
les rapports d’expertise issus du GIEC – . En effet, il ne fait pas de doute que les
rapports de synthèse du GIEC font le point sur l’analyse de la littérature scientifique
et fournissent ainsi un « socle commun » fondé sur le processus de relecture critique
de la production issue de la communauté scientifique (le Peer to Peer system). Mais,
dans la mesure où les rapports d’experts sont des rapports de synthèse, ayant fait
quasiment l’unanimité (avec mention des experts dissonants minoritaires), certains
scientifiques faisant partie de « la doctrine scientifique » ont pu être conduits à penser
que les rapports d’expertise n’allaient pas assez loin en pointant les dangers, de sorte
que le décideur ne se sentait pas à son tour totalement « obligé » d’agir. Si la réalité
a prouvé que, bien au contraire, c’est grâce aux rapports d’expertise – même parfois
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plus modérés que ne le voudraient les scientifiques académiques – que le législateur a
fait son travail en prenant le problème au sérieux, il demeure néanmoins des points où
il peut y avoir une scission entre la littérature doctrinale scientifique et l’expertise scien-
tifique19. Ainsi par exemple, la question des incertitudes concernant le changement
climatique a pu donner lieu à certaines crispations entre les deux communautés20. Il a
en effet été considéré par la doctrine universitaire scientifique que les incertitudes reflé-
tées dans les rapports du GIEC amoindrissaient les incertitudes mises au jour par les
controverses au sein de la communauté scientifique et on est ainsi allés jusqu’à consi-
dérer que les rapports du GIEC ne publiaient que des controverses « médiatisées »21.

19 Comme en témoigne la lettre ouverte envoyée en avril 2010 par six cents scientifiques
français demandant l’organisation d’un débat scientifique approfondi. Suite à cet appel,
l’Académie des sciences a organisé en octobre 2010 un débat à huis clos et a produit un
rapport sur les sciences du climat françaises, détaillant les points de débats scientifiques et
les conclusions importantes.
20 V. Masson-Delmotte, « Quelles sont les incertitudes qui font débat ? », in E. Zaccai et al,
Controverses climatiques, sciences et politique, Presses de Sciences Po, 2012, p. 39-57.
21 V. Masson-Delmotte, art. cit., p. 43

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MARTA TORRE-SCHAUB - DOCTRINE ENVIRONNEMENTALISTE

À l’inverse, l’expression de « climato-sceptique » elle-même a une forte connotation


négative dans la doctrine juridique, mais est assumée d’une manière très différente
à l’intérieur de la communauté des chercheurs scientifiques, dans laquelle elle n’est
pas forcément négative, dans la mesure où elle reflète une diversité d’acteurs et de
prises de position vis-à-vis de la compréhension du système climatique22.

Ces crispations ont pu ainsi alimenter un débat au sein de la doctrine juridique, entre
des auteurs considérant les textes issus des négociations onusiennes et fondés sur
les rapports du GIEC comme de grandes avancées et des auteurs qui, plus attentifs
à la littérature scientifique, ont critiqué la trop faible ambition de ces textes.

La question des interrelations entre la doctrine juridique et la doctrine scientifique


demeure ainsi problématique. L’expertise scientifique constitue la base principale de
la doctrine juridique, la doctrine scientifique peut parfois être mobilisée pour alimen-
ter le débat dans la doctrine juridique. Mais l’expertise scientifique elle-même peut
être vue comme un « filtre » de la doctrine scientifique, dans la mesure où, on l’a vu,
ces expertises sont élaborées en grande partie sur la base d’études scientifiques
publiées dans des revues académiques prestigieuses.

Les rapports entre doctrine et expertise scientifiques, d’une part, et doctrine juri-
dique, d’autre part, font ainsi apparaître des débats doctrinaux, tant au sein de la
doctrine scientifique (par exemple dans le domaine du changement climatique) que
de la doctrine juridique. Mais on peut penser que la mise au jour d’une menace glo-
bale par la science dans le domaine climatique a conduit à une forme d’« adhésion »
dans la doctrine juridique au besoin d’une réponse juridique à cette menace. En ce
sens, la science a contribué à la formation d’une forme d’« idéologie » commune
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(au sens positif du terme) à la doctrine juridique en faveur d’une intervention sur la
question du changement climatique.

Il est ainsi généralement reconnu que le juriste (que ce soit le créateur de textes de
droit positif et/ou la doctrine juridique) s’est emparé de la question climatique car il
devenait indispensable de prendre position face à ce problème planétaire grave et
irréversible. Les textes issus des négociations onusiennes étaient eux-mêmes forte-
ment influencés par les rapports d’expertise issus du GIEC, lesquels montraient qu’il
fallait agir sans tarder et qu’il devenait urgent de stabiliser les GES à une température
en dessous de 2 °C à l’époque23. Nul ne met en doute que la situation très préoc-
cupante au niveau international a mis en route un « déferlement normatif » conduit

22 V. Masson-Delmotte, art. cit., p. 46 et s.


23 J. Jouzel, « La pluridisciplinarité au cœur du problème », in Dossier Droit et climat, M. Torre-
Schaub (dir), Cahiers de droit, sciences et technologies, 2009, n° 2, p. 19-29 et « Expertise
scientifique et négociations internationales », in M. Torre-Schaub (dir.), Bilan et Perspectives
de l’Accord de Paris (Cop 21) : regards croisés, Paris éd. IRJS coll. Bibliothèque de l’Institut
A. Tunc, Lextenso, à paraître 2017, p. 102-110.

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MARTA TORRE-SCHAUB - DOCTRINE ENVIRONNEMENTALISTE

par une stratégie normative impulsée par ces rapports alarmants qui ont ainsi incité
le triple mouvement normatif de : prévenir, atténuer et continuer le développement
dans la durabilité. La doctrine juridique n’a quasiment jamais contesté ce tryptique
normatif et, bien au contraire, l’a toujours porté, chaque fois en allant plus loin, de
sorte que le législateur, souvent trop timide dans ce domaine, s’est senti obligé
à en faire toujours un peu plus. Ceci atteste des rapports à la fois scientifiques
mais néanmoins idéologiques entre l’expertise scientifique et la doctrine juridique.
L’idéologie – au meilleur sens du terme – est devenue dans ce contexte précis syno-
nyme d’engagement militant de la part à la fois des scientifiques et des juristes qui
ont pris ainsi la relève.

Mais l’idéologie, en tant qu’élément saillant des rapports qu’entretient la doctrine


juridique avec les savoirs extérieurs au droit, peut être aussi le symbole d’un mar-
queur encore plus politique, voire, lobbistique et montrer l’influence plus contro-
versée que certaines doctrines extérieures au droit peuvent avoir sur la doctrine
juridique et le droit de l’environnement lui-même.

B. DOCTRINE ET IDÉOLOGIE

Le professeur O. Houck avait écrit en 2003 dans la revue Science que la promesse
d’intégrer la science objective dans la loi environnementale et ses politiques avait
été pervertie par le système politique24. Pour lui, la science, les lois et politiques de
l’environnement formaient un mariage rock and roll25. Il estimait que la régulation
basée sur des données scientifiques destinées à dessiner un système de protection
de la santé humaine et de la planète avait été détériorée par le processus politique
menant à la création d’une régulation basée exclusivement sur les meilleures tech-
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nologies disponibles. Pour lui, la régulation environnementale, telle qu’elle avait été
promise dans un premier temps grâce à un consensus trouvé entre la communauté
scientifique et politique, avait trahi cette promesse. La régulation environnementale,
alors qu’elle devait être destinée à protéger la santé et l’environnement des « récep-
teurs » des pollutions, se concentrait plutôt sur la prise en compte des prouesses
technologiques et des analyses de coûts pour les « pollueurs ». Il soulignait qu’il fal-
lait en réalité proposer des normes basées sur les « droits » et les « devoirs » de ceux
qui généraient la pollution plutôt que sur ceux qui subissaient la pollution26. Cette
affirmation obligerait le législateur à imposer une certaine internalisation des coûts
pour le générateur de pollution, conformément à ce que le marché impose. Le poids
des coûts devrait tomber sur les pollueurs dans la mesure où ils utilisent indûment
un espace commun, un espace tantôt privé tantôt public, qui ne leur appartient pas

24 O. Houck, « Tales from a Troubled Marriage: Science and Law in Environmental Policy »,
Sciences, 2003, n° 302, p. 1926.
25 O. Houck, art. cit., p. 1927 et s.
26 O. Houck, « Tales from a Troubled Marriage: Science and Law in Environmental Policy »,
Sciences, 2003, n° 302, p. 1926.

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MARTA TORRE-SCHAUB - DOCTRINE ENVIRONNEMENTALISTE

totalement. Dans cette conception du droit de l’environnement, la population serait


un récepteur des pollutions qu’elle n’a pas générées et les pollueurs s’alloueraient
des droits à polluer, comme s’il s’agissait des véritables droits de propriété sur ces
espaces qui ne leur appartiennent pas forcément.

La question des rapports entre l’environnement et le marché est ainsi devenue pro-
gressivement un sujet d’actualité dans le milieu doctrinal nord-américain, surtout
chez les économistes de l’environnement27. La littérature vantant les vertus du mar-
ché comme meilleur outil pour la protection de l’environnement devenait foisonnante
dans ce secteur intellectuel. Cette problématique, à l’origine de nombreuses légis-
lations environnementales, s’est ainsi trouvée au cœur des débats doctrinaux, qui
ont vite dépassé les cercles des économistes pour venir habiter également l’espace
juridique. Ce débat, éminemment idéologique, ne se posait pas forcément dans les
mêmes termes dans le contexte juridique américain et en Europe.

De leur côté, les environnementalistes en France, d’une manière générale, s’inté-


ressaient peu encore au début des années 2000, au croisement des savoirs éco-
nomiques et des savoirs juridiques. Malgré ce désintérêt général sur la question,
certains auteurs se sont penchés sur ces problématiques en y imprimant une vision
plus européenne et en donnant un point de vue plus modéré que les études améri-
caines, assez militantes sur la question des mécanismes de flexibilité économique28.

27 J.-C. Hourcade et E. Fortin, « Impact économique des politiques climatiques : Des contro-
verses aux enjeux de coordination », Économie Internationale, n° 82, La Documentation
Française, 2000, p. 45-74 ; J.-C. Hourcade, « L’économie des régimes climatiques : l’im-
possible coordination ? », Revue d’Économie Politique, 113, 4, 2003, p. 1-18 ; « Les coûts
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des politiques climatiques en 2010 et au-delà : pour calmer les peurs d’un catastrophisme
inversé », Annales des Mines, Responsabilité et environnement, janvier, 2003, p. 37-47.
28 Du côté français, notamment, G. Martin, « Le recours aux instruments économiques
dans la mise en œuvre des politiques de protection de l’environnement », in Les politiques
communautaires de protection des consommateurs et de l’environnement : convergences et
divergences, Story Scientia, Collection Droit et consommation, 1995, p. 169 et s. ; G. Martin,
« L’Ordre concurrentiel et la protection de l’environnement », in L’Ordre concurrentiel, éd.
Frison Roche, Paris, 2003, p. 471 ; Également F.-G. Trébulle, « L’environnement en droit
des affaires », Aspects actuels du droit des affaires : Mélanges en l’honneur d’Yves Guyon,
Dalloz, 2003, p. 1035 ; G. Parléani, « Marché et environnement », Droit de l’environnement
n° 126, mars 2005, p. 52 ; L. Lanoy, « Le changement climatique et les permis d’émission
négociables : analyse des dernières avancées et perspectives pour les entreprises », Droit
de l’environnement n° 96, mars 2002, p. 65 ; C. London, « Protection de l’environnement :
les instruments économiques et fiscaux », Droit de l’environnement n° 93, novembre 2001,
p. 251 ; T. Chaumeil et M. J.H. Smith, « Réflexions sur le statut juridique des quotas d’émis-
sion de gaz à effet de serre », BDEI n° 2/2003, p. 9 ; M. Moliner, « Pollution atmosphérique :
analyse du droit d’émission négociable sous l’angle du droit privé », Gaz. Pal., 12-14 octobre
2003, p. 18 ; M. Moliner-Dubost, « Le système français d’échange de quotas d’émission de
gaz à effet de serre », AJDA 2004, p. 1132 ; V. Mansuy, « L’allocation des quotas d’émission
de gaz à effet de serre », Environnement 2004, Ét. 15 ; B. Le Bars, « La nature juridique des
quotas d’émission de gaz à effet de serre après l’ordonnance du 15 avril 2004 – réflexions

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MARTA TORRE-SCHAUB - DOCTRINE ENVIRONNEMENTALISTE

Il était ainsi intéressant de comparer les travaux des auteurs comme R. Stewart,
défenseur des mécanismes de marché pour réguler le droit de l’environnement, aux
travaux français, plus ancrés dans la réalité économique et juridique françaises et
européennes et plus pondérés29. Cette comparaison entre doctrines juridiques, de
part et d’autre de l’Atlantique, est d’autant plus intéressante que chacun a essayé
d’ancrer l’origine des mécanismes économiques de régulation de l’environnement
dans son « univers propre référentiel » : les nord-américains faisaient appel aux théo-
ries de la propriété de J. Locke et à la Tragedy of the communs de G. Hardy, tandis
que du côté français on évoquait plus volontiers les théories des « autorisations

sur l’adaptabilité du droit des biens », JCP G 2004.I.148 ; P. Thieffry, « Droits d’émission et
éco-fiscalité : les nouveaux instruments de lutte contre les changements climatiques à géo-
métrie variable », LPA, 1er avril 2004, n° 66 p. 4 et 2 avril 2004, n° 67, p. 6 ; S. Giulj, « Les
quotas d’émission de gaz à effet de serre : la problématique de la nature juridique des quo-
tas et ses implications en matière comptable et fiscale », Bull. Joly Bourse, 2004, p. 22,
paragraphe 3 ; C. Mistral, « Le régime juridique des droits d’émission de gaz à effet de serre
en France », LPA, 22 juillet 2004, n° 146, p. 13 ; M. Pâques, « La directive 2003/87/CE et
le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté
européenne », RTD eur. 2004, p. 249 ; M. Torre-Schaub, « La naissance d’un nouveau mar-
ché : le système britannique de commerce d’allocations d’émissions de gaz à effet de serre
(Uk Trading Allowances Scheme) », RIDE t. XVIII, 2-2004, p. 227 ; R. Peylet, « Un marché
de nouveaux biens meubles, les quotas d’émission de gaz à effet de serre », RJEP/CJEG
n° 621, juin 2005, p. 213 ; M. Teller, « Les marchés financiers, régulateurs de la politique envi-
ronnementale », Bull. Joly Bourse, 2005 n° 3, p. 211, paragraphe 75 ; P. Thieffry, « Le marché
de quotas d’émissions de gaz à effet de serre : un an déjà… et après ? », Petites affiches,
30 mars 2006, n° 64, p. 4 ; P. Thieffry, « La « titrisation » des quotas d’émission de gaz à effet
de serre », BDEI 2007, n° 10 ; Y. Jégouzo, « Les autorisations administratives vont-elles deve-
nir des biens meubles ? », AJDA 2004, p. 945 ; Th. Revet, « Les quotas d’émission de gaz
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à effet de serre (ou l’atmosphère à la corbeille ?) », D. 2005, p. 2632 ; S. Rousseaux, « Les
quotas d’émission de gaz à effet de serre : une nouvelle catégorie de ressources rares », Gaz.
Pal., 19 janvier 2006, n° 19, p. 38 ; P. Hubert et P. Bechmann, « Les techniques de marché :
les quotas d’émission de gaz à effet de serre », Environnement 2006, Ét. 14 ; M.-A. Hermitte,
« La nature juridique des quotas de gaz à effet de serre. Une histoire intellectuelle », Annales
de la Régulation, vol. 1, 2006, LGDJ, p. 541 ; P. Herbel et P. Kromarek, « Un exemple d’ins-
trument économique de protection de l’environnement : la réduction des émissions de gaz
à effet de serre », D. 2007, p. 963 ; M. Bazex, « Les instruments de marché comme moyen
d’exécution de la politique de l’environnement : l’exemple du système des quotas d’émission
de gaz à effet de serre », in Mélanges M. Prieur, Dalloz, 2007, p. 1191 ; B. Le Baut-Ferrarese,
« La nature des droits négociables à polluer ou à produire plus « vert » au regard du droit
communautaire des aides d’État », Environnement 2009, Ét. 3 ; D. Robine, « La régulation du
marché des quotas d’émission de gaz à effet de serre », Petites affiches, 16 décembre 2010,
n° 250, p. 22 ; Du côté américain, notamment, J. R. Nash et R. L. Revesz, « Markets and
geography: designing marketable permit schemes to control local and regional pollutants »,
Ecology Law Quaterly, 2001, vol. 28, p. 569-661 ; R. Stewart et J. Wiener, Reconstructing
Climate Policy, Beyond Kyoto, Washington D.C., The AEI Press, 2003.
29 M. Torre-Schaub, « Marché unique et environnement : quelle intégration ? », Revue
Internationale de droit économique, 2006, n° 3, p. 317-338 ; G. Martin, « Environnement et
concurrence : l’approche en droit de l’environnement », in Droit de l’environnement et droit
de la concurrence, La lettre de la concurrence, 2006.

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MARTA TORRE-SCHAUB - DOCTRINE ENVIRONNEMENTALISTE

administratives » et le droit des biens. Sur la base de ces références théoriques


propres à chacun, la question de la régulation économique de l’environnement a été
introduite dans le débat juridique et a alimenté un débat passionnant et controversé.

Dans le même temps, des sociologues-politistes comme P. Lascoumes, soutenaient


l’idée que les politiques publiques de l’environnement ne pouvaient se laisser enfer-
mer dans l’alternative caricaturale que constituaient les logiques contradictoires de
préservation de la nature et de développement économique. Pour dépasser cette
caricature, il proposait de choisir une approche rationnelle du processus qui conduit
à la prise de décision en matière environnementale30. La recherche d’un juste milieu
entre les alternatives de régulation offertes par le « tout marché » et les partisans
d’une régulation classique et centralisée devenait ainsi un challenge pour la doctrine
environnementaliste juridique avec un élargissement aux SHS.

C’est dans ce contexte intellectuel assez novateur, fortement inspiré par des auteurs
américains, que la conciliation entre les forces économiques et celles de l’environ-
nement est devenue un sujet attractif pour la doctrine juridique. Cette doctrine qui
s’était intéressée jusqu’alors davantage aux textes eux-mêmes, qu’aux débats plus
théoriques et doctrinaux venant d’autres disciplines plus habituées à l’opposition
plus idéologique « État versus marché », s’est emparée du sujet, et a entrepris un
travail abondant et enrichissant, en le « juridicisant ».

Dans le cas du changement climatique, une bonne partie de la doctrine économique


sentait qu’elle devait livrer une sorte de « boîte à outils » qui devait intégrer la gravité du
problème posé et la faisabilité de la solution proposée. Il était ainsi demandé à l’éco-
nomiste, selon sa doctrine, de réfléchir aux conséquences que l’activité économique
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pourrait avoir sur l’augmentation des GES, dans le cas du changement climatique31.
Cette réflexion le conduisit finalement à élaborer un ensemble de propositions, destiné
à alimenter les choix du décideur ou du législateur. C’est en ce sens que la doctrine
économique sur un problème environnemental devenait cruciale pour le juriste, car il
reprendra souvent ces arguments soit pour les porter ensuite dans un message plus ou
moins clair devant le législateur ou le décideur, soit pour les critiquer ou les réfuter (tout
en sachant que peu de juristes possèdent une formation solide en économie et que
cette critique ou acceptation des théories économiques se fondera plus sur l’idéologie
de chacun que sur une véritable connaissance du fond de la question).

Au sein même de cette doctrine économique environnementaliste, les écoles varient


et proposent des solutions très variées, fondées les unes sur la théorie des biens

30 P. Lascoumes, L’Eco-pouvoir, Environnement et politique, Paris, La Découverte, 1994.


31 K. Schubert, « Penser le changement climatique : la boîte à outils de l’économiste »,
La Découverte, Regards croisés sur l’économie, 2009/2 n° 6, p. 62-71 ; O. Godard, « Les
controverses climatiques en France. La logique du trouble », in E. Zaccai et al. Controverses
climatiques, sciences et politiques, Presses de Sciences Po, Académique, 2012, p. 117-140.

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MARTA TORRE-SCHAUB - DOCTRINE ENVIRONNEMENTALISTE

publics et biens communs, les autres sur les théories de jeux, la théorie des stocks,
les théories des externalités ou sur les coûts de la protection de l’environnement,
théories fondées sur différentes théories du marché. Que l’on soit clair, nous ne par-
lons pas ici des analyses économiques du droit (dans le sens de l’école de Chicago),
mais de la doctrine économique autour de l’environnement et de son influence sur la
doctrine juridique et sur le droit lui-même.

Ainsi et, pour donner un autre exemple très précis de la tournure idéologique qu’a pu
prendre le croisement entre la doctrine économique et la doctrine juridique, le débat
sur le changement climatique et la temporalité du problème a donné lieu à des disso-
nances entre les deux doctrines. En effet, la question intergénérationnelle liée à celle
de la réduction du stock carbone causant l’effet de serre, à l’origine du changement
climatique, s’est traduite, dans la doctrine économique, par une discussion sur une
analyse coûts-bénéfices. Le changement climatique aurait un coût, lutter contre le
changement climatique, également. Le calcul économique est destiné, aux dires de la
doctrine économique, à éclairer la décision publique, en chiffrant les différents coûts
en jeu, en fonction de l’objectif choisi par la société. Sur la base de cette analyse, ont
été construits de nombreux modèles dits d’évaluation intégrée (MEI) couplant modèle
économique et modèle climatique. Mais, le carbone a également un coût social, car la
trop grande concentration de carbone dans l’atmosphère est considérée comme une
des causes principales du changement climatique, changement qui, lui-même, pro-
voque des maux et des dommages supplémentaires. C’est sans doute dans ce lien
nécessaire qui doit être fait entre, d’un côté, l’analyse pure coûts/bénéfices – portée
assez majoritairement par la doctrine économique des environnementalistes – et, les
conséquences néfastes pour la société en général du changement climatique, que le
juriste a été conduit à s’exprimer, en considérant souvent que la manière de régler le
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changement climatique se trouvait moins du seul côté de mécanismes marchands,
que quelque part entre le tout marché et le tout État.

On peut ainsi dire, au final, que la doctrine universitaire juridique environnementaliste


s’est enrichie de l’apport fait par d’autres doctrines extérieures au droit. Qu’elles aient
pu être accusées d’être influencées par des idéologies, comme le libéralisme porté par
l’économie, ou qu’elles aient été source d’inspiration pour le politique, ces doctrines
externes au droit, sont incontestablement une véritable source pour le juriste et le droit.

À côté de ces doctrines – multiples mais émanant toutes d’un savoir universitaire – le
monde de la recherche est amené depuis quelques années à côtoyer fréquemment le
monde professionnel. Les universités et autres institutions académiques ont longtemps
été considérées comme des institutions autonomes par rapport à leur contexte socio-éco-
nomique, ne devant pas se préoccuper de la concurrence ou des pressions extérieures.
La donne a évidemment changé et des liens étroits se sont noués entre le politique,
l’économique et la science. On attend de la recherche qu’elle produise des bénéfices
sociaux. Les universités et les organismes de recherche sont soumis à des pressions
croissantes concernant la valorisation des résultats de leurs recherches. Il se produit ainsi

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MARTA TORRE-SCHAUB - DOCTRINE ENVIRONNEMENTALISTE

une interrelation, – souvent souhaitée, parfois forcée –, entre les deux types de savoirs :
universitaires et hors universités ou organismes de recherche, que l’on pourrait appeler
« profane ». Ces circulations de savoirs donnent lieu à un enrichissement certain de part
et d’autre, qui s’inscrit cependant dans un contexte sociétal et environnemental parti-
culier. Ainsi certains évènements bien circonscrits dans un temps spécifique, suscitent
une doctrine profane abondante qui vient à son tour alimenter la doctrine juridique. Nous
pensons ici par exemple aux événements crées autour des conférences des parties dans
les négociations climatiques onusiennes, où les différentes ONG et fondations philan-
thropiques pour l’environnement fleurissent et « communiquent » en produisant un savoir
qu’elles entendent exporter au-delà de leurs forums. Ces « productions profanes » sont
réalisées avec l’intention d’influencer le législateur, mais également l’opinion publique,
puis, évidemment, l’universitaire. Il convient ainsi de s’interroger sur les apports des
savoirs « profanes » à la fois sur le droit lui-même et sur le savoir autour du droit.

II. SAVOIRS PROFANES : QUELS APPORTS ÉPISTÉ-


MOLOGIQUES AU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT
La société civile a été de longue date reconnue par le droit de l’environnement comme
source créatrice du droit. De nombreux exemples permettent d’illustrer cette affirmation.
Cela a été particulièrement remarqué lors de la Conférence de Rio de Janeiro en 1992,
où la société civile a exprimé son intention d’intervenir dans le cadre de l’élaboration et
de l’application du droit de l’environnement32. Ces différentes expressions d’une volonté
d’intervention ont été entendues et accueillies en France par le législateur, témoignant
d’un bouleversement du processus classique de construction de la norme juridique.
Le législateur a effectivement attribué à la société civile deux fonctions d’élaboration et
d’application du droit de l’environnement, qu’il détermine et encadre et qui se résume-
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raient à la fonction de participation à l’élaboration de normes environnementales et à une
fonction d’application du droit. La première est fondée sur le droit d’accès à l’information
(énoncé à l’article L. 110-1-4 C. env.) et la seconde sur le droit d’accès à la justice et sur
l’obligation de mise en œuvre du droit. Cette dernière, à son tour, vise à contrôler l’appli-
cation du droit de l’environnement et à faire sanctionner sa non-application.

Le droit de l’environnement présente ainsi l’originalité d’être élaboré avec l’interven-


tion d’autres participants que les États ou les législateurs nationaux. Ces savoirs
ont pu être qualifiés successivement de véritable « source » du droit, « d’expertise »
citoyenne ou de savoir « profane ». Quelle que soit leur qualification, il nous semble
qu’il s’agit bien d’une doctrine (A) dont il convient d’examiner l’apport, à la fois pour
la doctrine juridique et pour le droit de l’environnement (B).

32 M. Bettati et P.-M Dupuy (dir), Les ONG et le droit international, Economica, coll Droit
International, 1986, p. 250 et s. ; E. de Romain, « Recommandations des ONG », in
L’application renforcée du droit international de l’environnement, Ed. Frison-Roche, 1999,
p. 188 ; G. Breton-Le Goff, L’influence des organisations non-gouvernementales (ONG)
sur la négociation de quelques instruments internationaux, éd. Yvon Blais, Bruylant, coll.
Mondialisation et Droit international, 2001, p. 124 et s.

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MARTA TORRE-SCHAUB - DOCTRINE ENVIRONNEMENTALISTE

A. LE SAVOIR CITOYEN COMME « DOCTRINE PROFANE »


Plus encore que la discussion autour de la question de savoir si oui et dans quelle mesure
la société civile contribue à la création du droit de l’environnement – ce qui nous obligerait
à aborder à nouveau la question de sources du droit –, ce qui nous intéresse ici est la
notion de « savoirs citoyens » elle-même, notion qui reste dans un large flou conceptuel33.

Autrement dit, ce que nous voudrions aborder ici est la question de l’apport épisté-
mique des citoyens, – organisés autour d’associations ou autres acteurs reconnus
de la société civile –, à la formation du droit de l’environnement. Cela confirmerait
l’hypothèse d’un changement de paradigme dans la création du droit, conduisant à
passer d’une dynamique top-down à une dynamique Botton up.

Si l’on s’inscrit dans un débat classique de science politique sur la compétence politique
des citoyens ordinaires et si on s’inspire des réflexions récentes de la sociologie des
sciences autour de la notion de « démocratie technique », différents travaux de sociolo-
gie politique ont abordé cette question de manière globale et théorique. Sur un terrain
plus empirique, nombreux travaux ethnographiques montrent également un déplace-
ment des savoirs à l’œuvre en matière environnementale et urbanistique. Ces travaux
ont pour but essentiel de définir la nature et le statut des savoirs citoyens, en lien avec
les questions de légitimité et de pouvoir, dans les différentes dispositions législatives34.

Il ressort ainsi de ces travaux que loin d’être limités au savoir d’usage pour lequel ils
sont sollicités, les citoyens et les groupements collectifs (associations, ONG, etc.),
peuvent aussi mobiliser un savoir à la fois technique et militant. Certains auteurs
voient là, une « démocratisation » de l’accès au savoir et au pouvoir35. Ce pou-
voir, cependant, reste souvent limité, car, outre les inégalités sociales à l’œuvre en
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matière d’accès aux dispositifs, il existe aussi des limites dans les capacités des
citoyens à puiser parmi un panel diversifié de savoirs.

33 M. Callon, P. Lascoumes, Y. Barthe, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie
technique, Seuil, coll. La couleur des idées, 2001, p. 58 et s. ; H. Collins et R. Evans, « The Third Wave
os Science Studies: Studies of expertise and Experience », Social Studies of Science, n° 2, p. 235-296.
34 H. Nez, « Nature et légitimité des avoirs citoyens dans l’urbanisme participatif. Une
enquête ethnographique à Paris », Sociologie, 2011, n° 4, vol. 2, p. 387-404.
35 G. Busquet, C. Carriou, A. Flamand et H. Nez, « La démocratie participative à Paris sous
le premier mandat de Delanoë (2001-2008) : une nouvelle ère démocratique ? », in M.-H
Bacqué, Y. Sintomer, A. Flamand et H. Nez (dir.), La démocratie participative inachevée, Paris,
Adels :Yves Michel « Société civile », p. 137-155 ; M. Torre-Schaub, « Participation, justice
environnementale et citoyenneté écologique : vers un changement de paradigme dans les
modes de création de la norme », L’observateur des Nations Unies, 34-1, 2013, p. 147-167,
également M. Torre-Schaub, « L’apport du principe de développement durable au droit com-
munautaire : gouvernance et citoyenneté écologique », Revue de l’Union Européenne, n° 555,
février 2012, p. 84-92 et M. Torre-Schaub, « La démocratie environnementale et les droits éco-
nomiques et sociaux », in C. Krolik et S. Nadeaud (dir.), L’environnement au service des droits
économiques et sociaux, Les cahiers de l’OMIJ, Limoges, PULIM, 2015, p. 103-116.

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MARTA TORRE-SCHAUB - DOCTRINE ENVIRONNEMENTALISTE

Il n’en demeure pas moins que l’existence de ce savoir citoyen « profane » a une
influence grandissante à la fois dans la fabrique du droit lui-même, dans son applica-
tion et, incontestablement, dans la palette des formes de critique et d’interprétation
de la norme.

Autrement dit, le savoir citoyen profane peut être considéré comme une « doctrine »,
à côté de la doctrine savante et universitaire, dans la mesure où elle a un « public »
qui la lit et s’y intéresse, où elle possède une capacité « d’influence » sur le droit
lui-même et sur le décideur politique, et, enfin, dans la mesure où elle exerce un
rôle « d’inspiration » à la fois pour la création du droit et dans la mise en œuvre des
politiques publiques.

Il ne s’agit nullement d’opposer ces savoirs citoyens aux savoirs plus académiques
ou officiels, mais il est évident qu’ils renferment souvent des significations politiques
distinctes en incluant de savoirs sociaux différents.

Ces savoirs citoyens doivent être pris au sens large en y incluant un ensemble
de connaissances, d’expériences et de techniques que mobilisent les acteurs
de la société civile qui ne disposent pas forcément d’un statut de professionnel.
Cependant, nous ne nous intéresserons ici qu’aux savoirs citoyens constituant une
« doctrine profane ». Autrement dit, ceux des savoirs qui contribuent à nourrir véri-
tablement le débat environnemental et qui possèdent une « force de proposition »
doctrinale pour faire avancer le droit de l’environnement.

Il convient également de prendre note du fait que cette doctrine n’est pas homo-
gène. Il existe en réalité, à l’intérieur de ce savoir profane, une palette très variée de
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connaissances que ce soit au niveau matériel, au niveau des personnes composant
les groupes ou au niveau des groupes eux-mêmes.

En effet, le savoir issu, par exemple, d’un panel citoyen au niveau local, n’est pas
comparable au savoir produit par une association qui opère à échelle régionale, ou
encore à celui provenant de la production de textes et rapports d’une association
au niveau national (comme Sherpa par exemple qui se trouve à l’origine-même,
souvent, des initiatives législatives comme dans le cas du projet de loi sur le «devoir
de vigilance des sociétés-mères»). Ces savoirs seront également très différents et
seront « entendus » d’une autre oreille s’ils ont été produits par une ONG de niveau
international possédant une capacité médiatique ou de communication à grande
échelle36. Il est évident que cette dernière aura plus de chances de participer à des
négociations internationales sur l’environnement, au cours desquelles elle pourra
produire des documents ou faire avancer des concepts ou des principes qui auront
une influence certaine sur le droit.

36 Comme Oxfam, qui regroupe les plus grandes ONGs en matière environnementale dans
une sorte de coalition.

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MARTA TORRE-SCHAUB - DOCTRINE ENVIRONNEMENTALISTE

C’est plutôt à ce niveau international de savoir citoyen qu’il faut se situer pour par-
ler de doctrine profane. Il convient toutefois de souligner le fait que, dans ce genre
d’organisation non gouvernementale, ceux qui produisent des documents ou ceux
qui exercent une véritable force de proposition dans le cadre, par exemple, des
négociations onusiennes, sont de véritables « professionnels », ayant reçu sou-
vent une formation juridique ou économique de haut niveau. Ce ne sont donc
pas des citoyens « ordinaires » sans bagage dans le domaine environnemental.
De la même manière, cette doctrine revêt, à côté de son caractère professionnel,
un caractère « militant » qui englobe à la fois une grande capacité de « communi-
quer » les propositions textuelles devant les institutions et un réseau important qui
pourrait être qualifié de « lobby » environnemental. Cela étant dit, ces précisions
ne préjugent pas du contenu savant des propositions textuelles ou conceptuelles
que cette doctrine véhicule.

B. LES APPORTS DU SAVOIR « PROFANE » À LA DOCTRINE


SAVANTE ET AU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT
Deux exemples illustrent bien ce rôle grandissant de la doctrine profane dans la
production du droit de l’environnement : le premier tient à l’impulsion d’un « chan-
gement » ou création d’un momentum autour des négociations climatiques (1). Le
deuxième tient à l’émergence du concept de « Justice climatique » (2). Les deux ont
notablement influencé le droit et la doctrine, ce qui a permis d’ouvrir une discussion
véritablement académique autour de ces thèmes.

1. Le « Momentum for the Change Mouvement » dans les négociations


climatiques
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L’essor d’une nécessité de lancer une nouvelle dynamique dans les négociations
internationales sur le changement climatique, impliquant un vrai « changement »
dans la manière de conclure les textes, est venu de la société civile, organisée en
fondations philanthropiques – organismes très répandus aux États-Unis et, d’une
manière générale, dans le monde anglo-saxon.

Ces fondations, – à capital privé, à vocation philanthropique et possédant de fonds


très généreusement donnés par leurs fondateurs –, sont devenues des acteurs très
importants dans la construction d’un droit international du changement climatique.
Étudiées par des sociologues et des politistes, leur rôle dans l’influence des États
Parties – pays leaders dans les négociations internationales onusiennes – a été clai-
rement établi37.

Ces fondations possèdent un pouvoir certain, à la fois économique, politique et


social, et ont montré une grande capacité de rassemblement autour de la néces-

37 E. Morena, (Le rôle de fondations philanthropiques), The price of Climate Action, ed.
Palgrave Macmillan, London, 2016.

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MARTA TORRE-SCHAUB - DOCTRINE ENVIRONNEMENTALISTE

sité d’un changement dans le tournant des négociations internationales climatiques.


Cette nécessité avait été constatée à la fois par les ONG elles-mêmes, les fonda-
tions et, par la doctrine universitaire, notamment après l’échec de la conférence des
parties de Stockholm 2011. À cet effet et, d’une manière assez systématique, ces
fondations ont organisé de Think tanks d’élite, réunissant de grands spécialistes
de renommée mondiale des négociations climatiques ainsi que des spécialistes du
changement climatique, dans le but de se mettre autour d’une table et de faire de
propositions concrètes aux différents États et aux Nations Unies pour faire avancer
le processus de négociation d’un nouvel Accord sur le climat. Cet Accord est effec-
tivement arrivé lors de la COP 21 à Paris en 2015.

Autour de ces Think tanks se réunissaient des personnalités de différentes nationali-


tés, à rayonnement international qui ont, par la suite, joué un rôle très important dans
la réussite de l’Accord de Paris.

Ces fondations, regroupées en consortiums, ont produit des documents de grande


ampleur qui se sont trouvés ensuite repris dans l’Accord de Paris. Ces documents,
prônant pour un changement de tactique et proposant un Accord d’une autre nature
que celui du Protocole de Kyoto, ont joué un rôle essentiel dans l’aboutissement de
l’Accord de Paris. Ces fondations, proposaient, par exemple, la mise à l’écart des véri-
tables obligations contraignantes, ainsi qu’un rôle plus discret pour l’État, en propo-
sant que ce soit le secteur des entreprises privées qui prenne un rôle plus important38.

Ces propositions, reprises dans l’Accord de Paris, ont exercé une influence sur le
droit du changement climatique. Mais ces publications, qui se sont succédées et
multipliées entre 2011 et 2015, ont également influencé la doctrine juridique en la
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matière. En effet, l’Accord de Paris a pu être interprété, contextualisé et décrypté
grâce à ce matériel, qui avait bien préparé le terrain depuis 2011.

Mais en réalité, plus qu’une influence de ces documents sur la doctrine juridique,
il serait plus pertinent de dire qu’il existe une influence réciproque. Cette influence
jouerait ainsi dans les deux sens. D’abord, parce que ces documents ont été pro-
duits – dans le cadre de ces fondations – à la fois par des « profanes » et par des
universitaires, invités à faire partie de ce cercle de penseurs. Ensuite, parce que ces
textes, à leur tour, ont permis à la doctrine juridique de mieux connaître les dessous
des négociations et l’esprit de l’Accord, tel qu’il se préparait déjà depuis 2011. Ces
influences réciproques constituent ainsi un exemple important de l’ouverture de la
doctrine juridique vers d’autres doctrines non-universitaires et vice-versa.

38 Sur le rôle controversé de ces fondations, E. Morena, The Prize for Climate Action,
Philanthropique Foundations in the International Climate Change Debate, London, Palgrave
Mcmillan, 2017.

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MARTA TORRE-SCHAUB - DOCTRINE ENVIRONNEMENTALISTE

2. La notion de justice climatique


S’agissant de la « justice climatique », le terme apparaît sur l’arène internationale
porté par la société civile au cours de différentes rencontres onusiennes. Tel qu’il a
émergé dans les années 1990, il contient une charge éthique et morale importante,
évoquant un besoin d’équité entre les différents États et les différentes populations
atteintes par le changement climatique.

Mais ce concept, tel que construit et soutenu par les ONG, possède une dimension
politique et juridique incontestable. Sur le plan politique, il témoigne d’une dénoncia-
tion grandissante de la part de la société civile d’un « déficit de démocratie » dans le
cadre des négociations onusiennes sur le changement climatique et dans le contenu
lui-même de textes issus de ces négociations. Sur le plan strictement juridique, le
terme de justice climatique proposé par les ONG, s’il reste flou quant à son contenu
décliné en obligations juridiques concrètes, il n’en revendique pas moins des appli-
cations plus justes dans la répartition de charges et d’obligations des États face
au changement climatique39. Autrement dit, du point de vue juridique, le concept
de justice climatique, porté par la société civile, pourrait bouleverser ou du moins
alimenter le débat juridique autour du principe de « responsabilités communes mais
différenciées » posé à la Convention-cadre des Nations Unies de 1992 sur le chan-
gement climatique.

Le concept de justice climatique est désormais présent dans le texte de l’Accord de


Paris et témoigne de l’influence grandissante de la doctrine issue de la société civile.
Cependant, son contenu précis et sa portée, ne sont pas stabilisés. Ses contours sont
ainsi en train de s’élaborer dans un croisement de dynamiques diverses permettant à
la doctrine profane et à la doctrine savante universitaire de dialoguer sur le sujet.
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L’influence à la fois politique et juridique de cette notion est évidente puisqu’elle a
même été portée devant le Conseil Économique, Social et Environnemental en France
par deux universitaires, faisant partie de ce qu’on pourrait appeler la doctrine savante,
tout en restant à l’écoute de nouveaux apports de la doctrine citoyenne ou profane40.

***

La boucle semble ainsi bouclée, nous permettant de conclure sur deux notes. La
première tient au caractère fructueux de la doctrine profane par rapport à la doctrine
universitaire. Ces liens d’enrichissement mutuel en disent long sur les bienfaits de
cette collaboration. De ce fait, le cloisonnement de l’une par rapport à l’autre ne ferait

39 Sur la notion de Justice climatique, voir A. Michelot (dir.), La justice climatique / Climate
Justice, Bruylant, LGDJ, 2016 ; M. Torre-Schaub, «Justice et justiciabilité climatique après
l’Accord de Paris», in M. Torre-Schaub (dir.), Bilan et Perspectives de l’Accord de Paris,
Regards croisés, éd. de l’IRJS, Lexisnexis, Paris, 2017.
40 Avis sur la Justice Climatique, CESE juin 2016, porté par A. Michelot et J. Jouzel.

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que porter tort à une évolution aujourd’hui imparable du droit de l’environnement,


allant dans le sens d’une plus grande écoute des demandes de la société civile. La
deuxième note tient plus au caractère finalement auto-poïétique du savoir juridique
lui-même ou du mécanisme d’autoproduction ou retro alimentation de notre droit.
De la même manière que la doctrine savante se nourrit d’un savoir juridique déjà
existant, que ce soit au niveau du droit positif, des décisions jurisprudentielles ou
de la théorie du droit, elle-même issue du savoir académique, la doctrine profane
est également hybride. Elle se nourrit d’un savoir associatif et militant. Mais elle n’en
provient pas moins, également, d’un savoir juridique académique, très présent parmi
les membres des ONG qui composent cette « doctrine profane ».

Au final, il semble inévitable de poser la question de la pertinence d’une nette sépara-


tion entre les différentes doctrines. Il nous semble que la réponse doit aller dans le sens
de la reconnaissance d’une circulation des savoirs et, dès lors, de l’ouverture des fron-
tières et du tissage de passages entre les différentes « cultures » environnementalistes.
Nul ne peut ignorer l’existence de passerelles et de communications de plus en plus
certaines et robustes. Les limites entre les deux savoirs, « savants » et « profanes »
sont, de ce fait, de plus en plus brouillées, pour le meilleur et pour le pire.
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