Blogue Axel Evigiran

Blogue Axel Evigiran
La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


Affichage des articles dont le libellé est Religion. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Religion. Afficher tous les articles

22 oct. 2017

L’abbé Meslier, Mémoire contre la religion, d’un curé athée


Lorsqu’on évoque la figure du bon vieux curé d’Etrépigny, Jean Meslier, on songe d’ordinaire à ces mots ailés, pour parler comme Homère : « Je voudrais, et ce sera le dernier et le plus ardent de mes souhaits, je voudrais que le dernier des rois fût étranglé avec les boyaux du dernier prêtre. » Or, si la phrase se trouve peut-être formulée de la sorte dans le mitan de son Mémoire contre la religion[1], dans l’avant-propos de cet étouffe-chrétien pour le meilleur, Meslier indique devoir la formule « à un homme qui n’avait ni science ni étude, mais qui, selon les apparences, ne manquait pas de bon sens pour juger sainement de tous ces détestables tyrannies que je blâme ici… ».  Un quidam qui, en effet, souhaitait « que tous les grands de la terre et que tous les nobles fussent pendus et étranglés avec des boyaux de prêtres ». Vaste entreprise !

La première fois que me vinrent à l’oreille les frasques biographiques ce bien singulier prélat, ce fut en 2006 ou 2007, lors des sessions estivales sur les ondes de l’université populaire de Michel Onfray. Ce nom en fait aujourd’hui sans doute sursauter plus d’un. Peu importe. Et quoi qu’on puisse en penser, pour peu que l’on ait conservé sa capacité de distanciation, on pourra à minima reconnaitre au normand sa propension à se comporter en ouvreur de pistes - certes il débroussaille à grands coups serpe, ce qui ne va pas sans approximations, partis-pris ni erreurs…. Rien d’ailleurs n’oblige à le suivre en ses raisonnements - on n’est jamais contraints à consentir, mais juste invités à mettre en branle les linéaments propres à nourrir le piment de notre esprit critique ;  et surtout lire par soi-même les auteurs abordés.

Bref, cette année-là il était question des Ultras des Lumières. Meslier ouvrait le bal. Mise en bouche en fanfare ! Car si rencontrer un curé ostensiblement athée n’est pas l’ordinaire des jus de messe, en trouver un à cette époque-là, ayant pris la peine 10 années durant (de 1719 à sa mort en 1729), le soir après son office, de noircir des milliers de feuillets pour clamer sa détestation de la religion et de ses représentants, relève du miraculeux. Certes, en ces temps de dévotion inquisitoriale, il s’est trouvé moult paillards et autres débauchés notoires ayant pu revêtir l’habit ecclésial. Ainsi le trop fringuant Urbain Grandier, tentateur aux belles moustaches jeté au milieu d’un couvent de nones prises de Furor Uterinus. Mais on sait comment se termine ce genre d’affaires. Sur le bûcher !  Trente-quatre avant lui, Giordano Bruno en février 1600, pour sa thèse des mondes multiples et sa théorie des réincarnations des âmes, avait été lui aussi mis sur les fagots du Campo De’ Fiori à Rome. C’est dans ce contexte qu’en 1633, apprenant la condamnation de Galilée par l’Inquisition, Descartes décide de renoncer à la publication de son traité du Monde. Si les motifs varient, le supplice demeure. A cette époque, après une accalmie, la chasse aux sorcières ravive ses flammes ; s’y adjoignent cohortes de loups garous[2]. Une affaire similaire à celle des diables de Loudun avait également défrayé la chronique en 1610/11, celle des possessions d’Aix-en-Provence qui s’achèvera par la mort, après moult tortures, de Louis Gaufridi[3], moine bénédictin, rendu coupable de séduction diabolique. A titre d’exemple, Il y aura encore Adrienne d'Heur, orfèvre à Montbéliard, autre victime du Malleus  Maleficarum et qui sera également soumise à la torture avant d’être brûlée vive en 1646. La liste est loin d’être exhaustive. Ceci pour planter le décor.

De quoi donc calmer les ardeurs matérialistes de qui va naître en 1664 dans le creuset des Ardennes, l’année où se donna à Versailles la première version du Tartufe de Molière. Car Meslier, qui ne voulait pas faire de peine à ses parents, fera sienne la prudence, vertu épicurienne s’il en est : « Le plus grand des biens, c’est la prudence. Il faut la mettre au-dessus de la philosophie elle-même, puisqu’elle est faite pour être la source de toutes les vertus »[4]. Une prudence extrême qui lui fera toute sa vie cacher ses sentiments réels à propos de la religion sous les couches d’un paraître acceptable. Pourtant, entre le quotidien du curé plongé au milieu de ses paroissiens et la certitude que « ces inventions-là ne sont que des brides à veaux, comme le disait le sieur de Montaigne », la tension est vive : « Je haïssais grandement toutes ces vaines fonctions de mon ministère, et particulièrement toutes ces idolâtriques et superstitieuses célébrations de la messe (…) Je les ai mille et mille fois maudites dans le cœur lorsque j’étais obligé de les faire ».

Exutoire de l’écriture, assorti du besoin de témoigner qui pousseront Meslier à réaliser plusieurs copies de son manuscrit, brûlot qu’il disséminera aussi bien chez lui qu’entre des mains assermentées :
« Quoiqu’il ne soit ici question que de deux exemplaires du fameux Testament du Curé Meslier, tous les biographes de ce grand penseur s’accordent à raconter qu’après sa mort on en trouva chez lui deux exemplaires, écrits de sa main, tandis qu’un troisième avait été déposé par lui-même de son vivant au greffe de la justice (…) Le Comte de Caylus eut quelque temps entre les mains une de ces trois copies, et bientôt après il y en eut plus de cent dans Paris, que l’on vendait dix louis la pièce ».
Pour toute explication, sur un papier qui enveloppait l’exemplaire laissé à l’attention de ses paroissiens, Meslier nota :
« J’ai vu et reconnu les erreurs, les abus, les vanités, vies folies et les méchancetés des hommes ; je les ai haïs et détestés ; je ne l’ai osé dire pendant ma vie, mais je le dirai au moins en mourant et après ma mort, et c’est afin qu’on a le sache que je fais et écris le présent mémoire, afin qu’il puisse servir de témoignage de vérité à tous ceux qui le verront et qui le liront, si bon leur semble. »
C’est que l’ennemi des idolâtres et autres superstitieux déicoles en a gros sur le cœur. Et peu lui chaut les condamnations post mortem. Il sait les arrières-mondes de pures chimères. Aussi ne craint pas les représailles éventuelles que l’on pourra faire sur sa dépouille : «  … qu’ils fassent de mon corps tout ce qu’ils voudront : qu’ils le déchirent, qu’ils le hachent en pièces, qu’ils le rôtissent ou qu’ils le fricassent, qu’ils le mangent même encore, s’ils veulent (…) : je serai pour lors entièrement hors de leurs prises, rien ne sera plus capable de me faire peur ». Meslier l’affirme sans une once d’ambiguïté : « il n’y a plus aucun bien à espérer ni aucun mal à craindre après la mort ».

Page du manuscrit de Meslier
Ce gros manuscrit autographe, ramassé sous le titre de Mémoire contre la religion, en réalité se nomme : « Mémoire des pensées et des sentiments de J(ean) M(eslier) Prê(tre)-cu(ré) d’Estrep(igny) et de Bal(aives) Sur une partie des Erreurs et des Abus de la Conduite et du Gouvernement des Hommes, où l’on voit des démonstrations claires et évidentes de la vanité et de la fausseté de toutes les Divinités et de toutes les Religions du Monde pour être adressé à ses Paroissiens après sa mort et pour leur servir de Témoignage de Vérité à eux, at à tous leurs semblables ». Vaste programme !
L’édition intégrale, paru chez Coda en 2007, de ce Mémoire contre le religion est ainsi un véritable  monument philosophique et littéraire. Il est plaisant d’y découvrir, accompagnant l’avant-propos, la première page de l’un des trois manuscrits, ainsi que la reproduction d’une Eau-forte  de Goya, « Le sommeil de la raison produit des monstres ».
L’ouvrage « relève du rococo, certes, mais dans les deux sens du terme : encombré, touffus, profus -, mais aussi le sens esthétique relatif aux premières années du XVIIIe siècle français. La philosophie n’échappe pas à couleur du temps, un livre, même didactique, obéit aux mêmes lois que toute autre œuvre d’art »[5].
Ce Mémoire contre la religion n’est d’ailleurs pas à confondre avec  le Testament de Jean Meslier  ni avec le Bon sens du curé Meslier qui… ne sont pas de Meslier ! (j’y reviendrai).
Ce pavé à l’écriture serrée se décline en huit preuves, elles-mêmes constituées de plusieurs chapitres chacune. Ainsi, la première preuve s’ouvre-t-elle sur De la vanité et de la fausseté des religions, qui ne sont toutes que des inventions humaines. Bases sur lesquelles Meslier enchainera par un court chapitre ou se trouvé évoqué les Raisons pourquoi les politiques se servent des erreurs et des abus des religions. Et ainsi de suite…
C’est en compagnie des grands anciens que le soir Meslier rédige son Mémoire.  Montaigne y a bonne part. Mais on trouve aussi au fil des pages l’influence de La Boétie, Tite-live, Sénèque, La Bruyère ou encore Lucien de Samosate, etc.
Les citations sont parfois tordues ou altérées, restituées partiellement ou de mémoire. Mais démonstration fait mouche ! Ainsi reprend-il et résume, par exemple, un dialogue de Lucien intitulé Le menteur d’inclination, ou l’incrédule : « … je pardonne aux villes qui le font (mentir) pour rendre leur ville plus auguste. Mais de voir, dit-il, des philosophes qui travaillent à la recherche de la vérité, se plaire à conter et à entendre des fables de cette nature comme si c’étaient des vérités infaillibles, c’est, dit-il, ce que je ne puis comprendre et que je trouve tout à fait ridicule et insupportable ; car je viens, continue-t-il, tout présentement de chez ***, où j’ai ouï tant de fadaises que j’ai été contraint de sortir, ne pouvant souffrir ceux qui les débitaient ni ceux qui prenaient plaisir à les entendre ».
Ailleurs, à propos des miracles : « Les miracles, dit fort judicieusement le sieur de Montaigne, sont selon l’ignorance où nous sommes de la Nature, et non pas selon l’être de la Nature même »[6]. Il s’en amuse même. Ainsi à propos des oiseaux : « Il est dit que saint François commandait aux hirondelles, aux cigales et autres oiseaux, et qu’ils lui obéissaient… ».

Goya, Le sommeil de la raison produit des monstres
Entre autres joyeusetés, le curé d’Etrépigny passe au crible les nombreuses contradictions des évangiles. Confronte page à page les quatre écrits canoniques. Il n’est d’ailleurs pas dupe, c’est l’église elle-même qui a déclaré « dans ses conciles quels étaient les livres qui auraient été inspirés par Dieu et quels étaient ceux qui ne l’auraient pas été, recevant les premiers comme authentiques et rejetant les autres comme apocryphes. C’est ce qu’elle  déclaré dans le troisième concile de Carthage sous le pape Cyrille, au canon 47e, vers l’an 397 ».Et, emporté par son élan de s’insurger : « toutes les religions (…) enseignent et obligent de croire comme surnaturel et divin (…) erreur, mensonge, illusion et imposture… »

« Tant la religion put conseiller de crimes ! ». La phrase est de Lucrèce. L’abbé Meslier, filant son chemin dans cette lignée de penseurs matérialistes, aurait pu la faire sienne[7]. Lui qui constatait que « La religion soutient le gouvernement politique, si méchant qu’il puisse être ; et à son tour, le gouvernement politique soutient la religion, si vaine et si fausse qu’elle puisse être ». Où, pour le dire à la manière de Cioran : « On ne tue qu’au nom d’un dieu ou se ses contrefaçons »[8].
L’athéisme est ici radical, à rebours de ce qu’en fera Voltaire, qui s’efforcera d’édulcorer « l’amère potion ». Car Arouet aura vis-à-vis du curé d’Etrépigny la même attitude que les anciens qui, voulant tordre ou combattre les thèses d’auteurs réputés subversifs, contribueront à les installer dans les mémoires pour la postérité. L’art du palimpseste ou du faux !
« Jean Meslier meurt fin juin 1729 (…) Voltaire entend parler de ce trésor par Nicolas Claue Thiriot, un ami d’enfance. Il lui signale l’existence de cet objet philosophique dangereux dans une lettre datée de l’hiver 1735 (…) »[9]. Le temps passe et le manuscrit circule sous le manteau… Pour éteindre l’incendie, et en désamorcer la charge, l’auteur des Lettres philosophiques se résout à faire « paraitre en 1761 un faux défigurant le travail de Meslier (où) il passe sous silence l’athéisme, le matérialisme (…) mais surtout, il falsifie les propos du curé pour le transformer en déiste adepte, comme lui, de la religion naturelle… In cauda venenum, Voltaire conclut ce texte en précisant que l’ouvrage est… ‘le témoignage d’un prêtre mourant qui demande pardon à dieu’ »[10] !
Et pour ceux qui penseraient la version du philosophe normand outrancière, allons y regarder du côté des amis de Jean Meslier : « Voltaire en mutile et falsifie le propos puisqu’il fait, dans sa présentation même, passer le théoricien fondateur de l’athéisme pour un déiste « voltairisé », utilisant exclusivement Meslier comme une arme dans son propre combat contre l’Église et le christianisme, et en excluant méticuleusement les démonstrations athées, matérialistes, communistes et révolutionnaires – c’est-à-dire l’essentiel de ce par quoi Meslier innove ! Comme nous le disions, cette mutilation voltairienne du Mémoire de Meslier est par ailleurs souvent assortie, en un même ouvrage, sous forme de publications qui ont circulé et circulent encore tant en versions livresques que virtuelles du Bon sens du curé Meslier, une œuvre athée d’Holbach au titre fallacieux en fait qui, en conséquence, n’est nullement celle de Meslier. »[11]
Et si l’on confond parfois le livre de Voltaire avec celui de
Meslier, la même méprise peut se produire avec « Le Bon sens »[12], qui est en fait l’œuvre du baron d’Holbach, ce « maitre d’hôtel de la philosophie »[13] l’ayant fait paraitre anonymement en 1772. C’est en 1822 que l’amalgame opère avec le manuscrit de Meslier, année où « la plupart des éditeurs publient Le Bon-Sens en le présentant comme le « testament » du curé Meslier. » Aujourd’hui encore l’erreur persiste chez certains bouquiniste.
En fait, cela ne sera qu’en 1864 à Amsterdam que sera publié le Mémoire contre la religion de Jean Meslier. Il s’agit de la « reproduction du libre-penseur hollandais Rudolf Charles sur base d’une copie non autographe du Mémoire (écrite à partir d’un quatrième manuscrit malheureusement perdu qu’a rédigé Meslier) »[14]
Une dernière source de confusion possible, avec la parution en 1847, « un petit volume in-12° de 244 pages sous le titre Le Bon Sens du curé Meslier. Il fait partie des publications de la « société de Saint-Victor » qui s’est donné pour mission de reconquérir les âmes et de les remettre dans le droit chemin catholique… »[15]. L’auteur en est un certain Collin de Plancy, féru d’occultisme et revenu à l’orthodoxie de la foi catholique. Avec lui, « Meslier devient un curé pris d’un délire temporaire qui revient dans l’orthodoxie avant de mourir : Le Bon Sens et un Testament nouvelle manière sont donc présentés comme les pièces authentiques et seules véritables de cette ultime mise au point qui doit se substituer aux éditions précédentes remplies d’irréligion. »

Sur les animaux, Meslier dénote avec les penseurs de son temps. En accord avec Montaigne, pour qui entre l’homme et l’animal il n’y a pas de différence de nature mais de degré, il dénonce la monstruosité du sort fait aux animaux dans la religion. Le chapitre s’intitule « Folie des hommes d’attribuer à Dieu l’institution des cruels et barbares sacrifices de bêtes innocentes et de croire que ces sortes de sacrifices lui étaient agréable ». Comme souvent chez Meslier, le titre vaut programme. Et de recenser dans les saint Livres, jusqu’à nausée, les appels aux meurtres d’animaux. « Quel carnage ! Que de sang répandu ! Que de bêtes innocentes à écorcher ! », s’écrie-t-il ! Et de chercher dans la chapitre suivant l’ « Origine de ces sortes de sacrifices ». Et pour comprendre l’affreuse mécanique, d’en appeler encore à la sagacité du Sieur de Montaigne, reprenant un passage de l’Apologie de Raymond Sebond, ou il est question de remplir les autels « d’une boucherie non de bêtes innocentes, mais d’hommes aussi ». Et Meslier d’insister : « Quelle folie dans les hommes de croire que les dieux ne pourraient ou ne voudraient s’apaiser que par la mort violente des innocents ? ».
Le curé revient en détail sur le sujet des animaux dans un des chapitres de la huitième preuve. Là encore le titre à lui seul résume tout : « Les pensées, les désirs, les volontés, les sensations du bien ou du mal, ne sont que des modifications internes de la personne ou de l’animal qui pense, qui connaît, ou qui sent du bien ou du mal ; et quoique les hommes et les bêtes ne soient composés que de matière, il ne s’ensuit pas de là que les pensées, que les désirs, ni que les sensations de bien ou de mal dussent être des choses rondes ou carrées, comme les cartésiens se l’imaginent, et c’est en quoi ils se rendent ridicules, comme aussi en ce que sur une si vaine raison, ils prétendent priver les bêtes de connaissance et de sentiment, laquelle opinion et c’est très condamnable et pourquoi ». Le chapitre est long, consistant et argumenté. Le sujet tient à cœur à Meslier qui cible les naïvetés et égarements des cartésiens avec leurs stupide théorie des animaux machines !
On y lit en liminaire que « l’âme n’est pas spirituelle ni immortelle, comme les cartésiens le prétendent et que les superstitieux déicoles voudraient nous le persuader ». Un peu plus loin : « Dans les animaux il n’y a, disent-ils, ni intelligence, ni âme, comme on l’entend ordinairement ; ils mangent sans plaisir, ils crient sans douleur, ils croissent sans le savoir, ils ne désirent rien, ils ne connaissent rien… ». Suit la démonstration ou, sur pas loin de vingt pages, Meslier ruine l’absurde thèse ; le bon sens paysan y ayant sa part : « Dites un peu à des paysans que leurs bestiaux n’ont point de vie ni de sentiments, que leurs vaches et que leurs chevaux, que leurs brebis et moutons ne sont que des machines aveugles et insensibles au bien et au mal, et qu’ils marchent que par ressorts, comme des machines et comme des marionnettes, sans voir et sans savoir où ils vont. Ils se moqueront certainement de vous ». Tout est dit !

Il y aurait tant encore à dire. Mais il faut mesure conserver. A chacun d’aller ensuite son chemin, et ceux qui voudront se perdre dans les méandres de ce Mémoire contre la religion n’auront pas tout à fait perdu leur temps.
A noter enfin que tous les portraits de l’abbé sont fantaisies et purs produits de l’imagination. Aucune représentation attestée ne figure le curé d’Etrépigny. 
Par davantage on n’en retrouvera  la tombe.

ite missa est[16] 





[1] Je n’en suis pas encore arrivé au terme, et ne puis donc être assuré de la formule exacte.
« … jusqu’au milieu du XVIe siècle, il y a peu de sorcellerie en France. En revanche, il y a beaucoup de loups garous. Il faut joindre aux sorciers les loups garous, car ils se ressemblent fort. Quelques fois le loup garou est le diable, quelquefois c’est un véritable loup ensorcelé par Satan ».
[3] L’article Wikipédia relatant cette affaire mérite vraiment le détour :  https://fr.wikipedia.org/wiki/Possessions_d%27Aix-en-Provence

[4] Lettre à Ménécée
[5] Michel Onfray, Les ultras des Lumières, Grasset 2007.
[6] Meslier indique : Essais, p79. Je complète par la note de bas de page des éditions Coda : Livre I – XXIII : De la coutume et de ne changer aisément une loi reçue. Meslier ajoute le mot même.
[7] Il se trouve d’ailleurs reproduite par Meslier à plusieurs reprises, par exemple dans le chapitre XXIII (p126)
[8] Précis de décomposition
[9] Michel Onfray, Les ultras des Lumières, Grasset 2007.
[10] Les ultras des Lumières (op citée)
[12] Le titre exact est à l’origine : « Le Bon-Sens ou Idées naturelles opposées aux idées surnaturelles »
[13] « Ami de Diderot et de d'Alembert, le baron d'Holbach est surnommé le « maître d'hôtel de la philosophie » car il reçoit les plus grands philosophes des Lumières dans son Salon »   http://classes.bnf.fr/essentiels/grand/ess_1292.htm
[16] Aller vous-en, la messe est dite

28 avr. 2017

Des livres de chevet…. Théologie portative du baron d’Holbach

Etre livre de chevet ou pas…


Voilà une question de tempérament.
Dans la première hypothèse, autant varier les plaisirs. Et, selon l
’humeur, pouvoir changer de voilure.
Dictionnaires variés, recueils d’aphorismes, de poèmes ou de nouvelles, journaux, carnets et autres fragments sont des candidats de prédilection à cet office. Surtout lorsque, une fois alité, bon coussin dans le dos ou pas, on a plutôt tendance à piquer du nez… Il y a du bon dans la somnolence. Car mieux vaut savourer une page ou un paragraphe d’un auteur choisi, que d’enfiler à la file une volée d’aphorismes ou de vers sans même en déguster la saveur.
D’ailleurs avoir un ou plusieurs livres de chevet ne signifie pas forcément un compagnonnage privilégié avec l’œuvre ou l’auteur choisi ; à ce compte-là on voyagerait plutôt avec Montaigne. Non, c’est juste que le format du livre convient à l’usage auquel on le destine.
Certains s’avalent assez vite. D’autres s’oublient et se perdent sous la poussière des mois – parfois exhumés bien des années plus tard – sinon oubliés, relégués dans les limbes…




Mais aujourd’hui, à cette heure encore tiède, histoire d’occuper cet esprit de vacances qui m’inonde, prémisse aux départs véritables pour des ailleurs ensoleillés, me prend l’envie de livrer de maigres passages de la « Théologie portative » de D’Hollach – je n’en suis encore, après plus d’un an de flirt, qu’à la lettre « C ». Mais allons !  

__________________________________

Livres de chevet

Amour divin
C’est l’attachement sincère que tout bon chrétien, sous peine d’être damné,  doit avoir pour un être inconnu que les théologiens ont rendu le plus méchant qu’ils ont pu, pour exercer sa foi. L’amour de Dieu est une dette ; nous lui devons surtout beaucoup pour nous avoir  donné de la théologie et des docteurs pour nous apprendre à penser.

Auto da fé
… Lorsque la sainte Inquisition n’a rien de mieux à brûler, elle se divertit à cuire les œuvres impies de Galilée, de Descartes et de tous les philosophes qui se donnent des airs d’être plus raisonnables que les savants Inquisiteurs. L’on sait que Dom Juan IV, roi de Portugal, peu favorable au saint tribunal, fut excommunié après sa mort pour apprendre à vivre ; …

Calamités
… Jamais les peuples  ne sont plus dévots que quand ils ont bien peur ou quand ils sont bien malheureux…

Christianisme
Système religieux attribué à Jésus-Christ, mais réellement inventé par Platon et saint Paul, perfectionné par les pères…

___________________________________________________


On mesure la délicieuse charge subversive d’un tel livre, lorsqu’il fut publié en 1768, et diffusé sous le manteau.  
L’ami de Diderot publiera en outre - et entre autres -  375 articles pour l’Encyclopédie.

7 janv. 2017

L'impossible dialogue. Sciences et religions, par Yves Gingras



C’est une roborative Conversation Scientifique  de septembre dernier qui m’aura presque convaincu de me procurer le dernier essai en date d’Yves Gingras, professeur de l’histoire des sciences à Montréal, « L’impossible dialogue. Sciences et religions ».

Un livre utile, sinon salutaire dans le contexte du « retour en force, depuis les années 1980-1990, de la question des relations entre science et religion et des appels au « dialogue » entre ces deux domaines pourtant si éloignés par leurs objets et leur méthodes ».

Or, que l’on songe à Galilée ou à Darwin, c’est plutôt le mot de conflit qui vient à l’esprit pour qualifier les relations entre sciences et religions. D’où vient donc cette fautive inflexion récente ? Quel est le socle de cette incitation au dialogue, alors que, pour prendre un exemple, « à la question ‘’d’où vient l’homme ?’‘, la science répond que les connaissances les plus récentes situent son origine en Afrique et que ses ancêtres ont évolués à partir d’espèces animales plus anciennes encore. Si d’aventure le croyant répond que les « méthodes » de sa religion lui indiquent plutôt que c’est Dieu qui a créé l’homme directement et qu’il est impossible qu’il soit issu d’une espèce inférieure, y-a-t-il encore « dialogue » ? On peut en douter, car le scientifique répondra qu’une telle croyance est incompatible avec les connaissances actuelles. »

C’est sur cette interrogation à la fois sociologique et historique qu’Yves Gingras s’est adossé pour analyser « les rapports historiques entre les sciences et les institutions religieuses dans le monde occidental depuis le XVIIe siècle. (…et) retracer le divorce entre la religion et la science, de même que les nombreux conflits qui ont jalonné ce processus ».

Pour des motifs sur lesquels je ne m’étendrai pas ici, j’ai tiré de cet essai plusieurs pleines pages de notes de lectures. Je n’en reprends ici qu’un fort mince extrait pour susciter l’envie de lire l’ouvrage in extenso… J’ai choisi le passage concernant l’atomisme et la pluralité des mondes, thèse pour laquelle, rapellons-le, Giordano Bruno, sera brûle le 17 février 1600 sur le Campo de’Fiori.

Pour se faire une idée de la pensée de l’auteur on peut aussi écouter l’émission d’Etienne Klein, ou visionner encore la vidéo  d’une conférence donnée par Yves Gingras autour de selon libre, le 22 septembre dernier





Des atomes inquiétants pour l’Eglise

Le regain d’intérêt, au début du XVIIe siècle, pour l’ancienne doctrine des atomes inquiété les philosophes et théologiens catholiques capables de tirer les conséquences logiques d’une doctrine qui tend nettement vers un matérialisme athée. (…) Le renouveau de l’atomisme s’inscrit dans un mouvement intellectuel contre la scolastique dominante sur les théories d’Aristote. (…) Selon la théorie aristotélicienne de la matière, les atomes indivisibles et le vide n’existent pas et toute matière est composée de qualités premières (la substance) et secondes (les ‘accidents’). Ce double aspect de la matière permet, entre autre, aux théologiens catholiques d’expliquer rationnellement le miracle de la transsubstantiation, dogme fondamental de l’Eglise romaine. (…) Le miracle transforme donc la substance même du pain et du vin mais laisse leurs ‘accidents’ inchangés. Du point de vue atomiste, cela est impossible. (…) Galilée se dit aussi atomiste dans son essai de 1623, Il Saggiatore (…) La théorie de Galilée qui reprend celle de Démocrite, lui parait donc ‘contraire à l’opinion commune des théologiens’ et en ‘contradiction avec les vérités des Sacrés Conciles’ (…) A la même époque, la faculté de théologie de la Sorbonne fait interdire, avec l’appui du parlement de Paris, la discussion publique de 14  thèses contraires à la philosophie d’Aristote, incluant la promotion de l’atomisme. (…)
Avec les travaux de Pierre Gassendi, qui propose une interprétation acceptable de l’atomisme pour les catholiques – un peu comme Thomas d’Aquin avait christianisé Aristote - , et la diffusion de la philosophie de Descartes au milieu du siècle, la question du conflit entre l’atomisme et la théologie est très discutée parmi les philosophes. (…) Et même si Descartes affirme clairement ne pas croire aux atomes et que la matière est divisible à l’infini, il reste que sa notion de ‘corpuscules’ est plus souvent assimilée aux thèses atomistes et à la négation de la réalité des ‘accidents’ (…) L’hostilité envers l’atomisme se traduira finalement en 1673 par un décret de l’Inquisition ordonnant aux inquisiteurs locaux de n’accorder aucune imprimatur aux ouvrages soutenant cette doctrine ; (…) Si l’atomisme fini tout de même par s’imposer en chimie et en physique au début du XXe siècle, la question de la nature des substances reste problématique sur le plan théologique. Encore en 1950, dans son encyclique Humani generis, Pie XII se sent obligé de rappeler que trop d’erreurs ‘s’insinuent dans l’esprit de plusieurs de nos fils, qu’abuse un zèle imprudent des âmes ou une fausse science’. Parmi ces vérités réitérées, on trouve la notion scolastique de substance, qui demeure nécessaire…

Pluralité des mondes


Les thèses atomistes et la cosmologie copernicienne suggéraient toutes deux, pour des raisons différentes, l’existence d’une multitude de mondes habités. (…) Les atomistes des XVIIe et XVIIIe siècles, en arguant que l’espace était infini et notre monde n’étant que le fruit de collisions fortuites entre atomes éternels et en nombre infini, il devait nécessairement exister d’autres mondes habités (…) Malgré l’incertitude théologique sur la pluralité des mondes, les autorités religieuses préfèrent éviter la controverse en contrôlant les publications. Ainsi, les entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle (1657-1757), parus en 1686, sont rapidement dénoncés.


The execution of Giordano Bruno on February 17, 1600


22 sept. 2016

Lucrèce, Nietzsche et le chrétien…

Lecture par Georges Claisse en introduction de la seconde émission de la magnifique série des NCC consacrée à Lucrèce la semaine dernière. Il s’agit d’un extrait de l’Antéchrist de Nietzsche


« … L’Empire romain que nous connaissons, que l’histoire de la province romaine enseigne toujours davantage à connaître, cette admirable œuvre d’art de grand style, était un commencement, son édifice était calculé pour être démontré par des milliers d’années, — jamais jusqu’à nos jours on n’a construit de cette façon, jamais on n’a même rêvé de construire, en une égale mesure subspecie œterni ! — Cette organisation était assez forte pour supporter de mauvais empereurs : le hasard des personnes ne doit rien avoir à voir en de pareilles choses — premier principe de toute grande architecture. Pourtant elle n’a pas été assez forte contre l’espèce la plus corrompue des corruptions, contre le chrétien… Cette sourde vermine qui s’approchait de chacun au milieu de la nuit et dans le brouillard des jours douteux, qui soutirait à chacun le sérieux pour les choses vraies, l’instinct des réalités, cette bande lâche, féminine et doucereuse, a éloigné, pas à pas, l’ « âme » de cet énorme édifice,— ces natures précieuses, virilement nobles qui voyaient dans la cause de Rome leur propre cause, leur propre sérieux et leur propre fierté. La sournoiserie des cagots, la cachotterie des conventicules, des idées sombres comme l’enfer, le sacrifice des innocents, comme l’union mystique dans la dégustation du sang, avant tout le lieu de la haine lentement avivé, la haine des Tchândâla — c’est cela qui devint maître de Rome, la même espèce de religion qui, dans sa forme préexistante, avait déjà été combattue par Épicure. Qu’on lise Lucrèce pour comprendre ce à quoi Epicure  a fait la guerre, ce n’était point le paganisme, mais le« christianisme », je veux dire la corruption de l’âme par l’idée du péché, de la pénitence et de l’immortalité. — Il combattit les cultes souterrains, tout le christianisme latent, — en ce temps-là nier l’immortalité était déjà une véritable rédemption. — Et Épicure eût été victorieux, tout esprit respectable de l’Empire romain était épicurien : alors parut saint Paul. »

L’invité de l’émission, « Se défier des dieux : crimes et religion », Elisabeth de Fontenay précise sur ce texte de Nietzsche, apposé en introduction de sa préface à la version en prose du De Natura rerum :

« Il faut rappeler que l’épicurisme, et donc le poème de Lucrèce, s’est construit contre le stoïcisme. C’est-à-dire contre la croyance qu’il y a autre chose dans la nature que des causes. Contre la croyance en la finalité, aux causes finales. Et ça, les stoïciens étaient les grands spécialistes des causes finales, ce qu’on appelle la téléologie. C’est d’abord sur cela que le poème de Lucrèce, qui reprend Epicure, se construit. Maintenant c’est vrai que, à retardement, avec Nietzsche, on peut dire que c’était une énorme machine de guerre contre ce qui va être le christianisme. Et du reste les chrétiens ne s’y sont pas trompés : ils ont toujours fait la guerre à Lucrèce, avec beaucoup de violence. Le cardinal de Poliniac avait écrit un poème de plusieurs milliers de vers, qui s’appelle contre Lucrèce ; le cardinal de Poligniac, connu pour avoir dit à un singe au jardin du roi : ‘ Parles, et je te baptise’. C’est vous dire comme il était borné. C’est donc très intéressant de référer ce matérialisme atomistique de Lucrèce et toute sa manière dont il pourfend la croyance aux dieux ; les croyances en l’immortalité de l’âme, de le référer au christianisme. Mais pas seulement… parce que les croyances sont beaucoup plus larges que le christianisme. 
(…)
« La peur joue en rôle très important dans ce poème. C’est uin poème contre la peur de la mort, contre la peur des dieux. Tout ce que nous faisons pour les honorer ou pour les conjurer ne sert strictement à rien ; en particulier les funérailles somptueuses et surtout les sacrifices. Là il y a quelque chose de très insistant chez Lucrèce, il n’est pas le premier, Empédocle avait déjà fait une critique des sacrifices, mais chez lui c’est véritablement une pensée anti-religieuse qui préside à sa critique des sacrifices. »

Suit la lecture d’un passage fameux de Lucrèce :

« C’est le plus souvent la religion elle-même qui enfanta des actes impies et criminels. C’est ainsi qu’Aulis l’autel de la vierge Trivia fut honteusement souillé du sang d’épigénie par l’élite des chefs grecs, la fleur des guerriers.  
Le funèbre bandeau sur ce front pur se noue ; La laine en bouts égaux se répand sur la joue. Un père est là, debout, morne devant l’autel ; Les prêtres, près de lui, cachent le fer mortel ; La foule pleure, émue à l’aspect du supplice. La victime a compris l’horrible sacrifice ; Elle tombe à genoux, sans couleur et sans voix. 44 Ah ! que lui sert alors d’avoir au roi des rois La première donné le nom sacré de père ? Palpitante d’horreur on l’arrache de terre, Et les bras des guerriers l’emportent à l’autel, Non pour l’accompagner à l’hymen solennel, Mais pour qu’aux égorgeurs par un père livrée, Le jour même où l’attend l’union désirée, Chaste par l’attentat de l’infâme poignard, Elle assure aux vaisseaux l’heureux vent du départ ! 



Une émission à écouter assurément. 



[1] Transcription de la lecture faite lors de l’émission : De la nature (Les Belles Lettres, 2009), traduction d’Alfred Ernout, p. 133-134, Livre II.
[2] Suite du texte, tiré de la traduction (1876, 1899) A. Lefèvre (1834-1904). 

20 août 2014

Voyage en terres étrangères : Les sept fonctions de la religion, par Jared Diamond (« Le monde jusqu’à hier »)

Voyage en terres étrangères 

Les sept fonctions de la religion, par Jared Diamond
(« Le monde jusqu’à hier »)

_________________________________________________

Billet initial du 5 juillet 2014
(Billet initial supprimé de la plateforme Overblog, infestée désormais de publicité)

_________________________________________________


Tiré du chapitre 9 du "Monde jusqu'à hier" :
« Ce que les anguilles électriques nous apprennent sur l’évolution de la religion »




Tentative d’une définition

Tenter une définition de la religion n’est aisé ; il en existe presque autant que de spécialistes. Dans cette jungle inextricable, Jared Diamond en recense 16 dans un tableau ; parmi ces dernières celle de Durkheim ou de Marx pour qui « la religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit des conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple ». 

Longtemps, explique Diamond, il proposait lui-même à ses étudiants la définition suivante : « La religion est la croyance en un agent surnaturel posé en postulat et dont nos sens ne peuvent donner de preuve de l’existence, mais qui est invoqué pour expliquer les choses dont nos sens nous donnent bien la preuve ». 
Mais il se rendit compte plus tard de la faiblesse de celle-ci car elle « omettait un deuxième attribut des religions : ce sont aussi des mouvements sociaux agrégeant des êtres qui s’identifient comme partageant des croyances auxquelles ils adhèrent profondément ». 
Ce n’est pas tout. « Un troisième attribut de toutes les religions est que leurs adeptes font de coûteux et douloureux sacrifices pour manifester de façon convaincante aux autres personnes leur adhésion au groupe ».
En outre, ces croyances impliquent des règles de conduite (lois, codes moraux, obligations, tabous, etc.). 
Et pour finir, dans la plupart des religions se manifeste la récompense pour les vertueux (éternité bienheureuse, etc.) et des châtiments pour les mauvais ou ceux qui ne respectent pas les règles (malédictions, enfer, etc.)  

En résumé, explique l’auteur, « la religion suppose une constellation de cinq ensembles d’attributs qui varient en puissance selon les religions du monde (religions traditionnelles y compris). Cette constellation peut nous servir à comprendre les différences entre la religion et plusieurs systèmes apparentés qui partagent de ses attribut, mais pas tous. La patriotisme et la fierté ethnique », par exemple, s’ils sont des mouvements sociaux distinguant « leurs adeptes des gens extérieurs, exigent des sacrifices, (ils) n’enseignent pas la croyance en des agents surnaturels ». 



La recherche des explications causales

Dans ce paragraphe, Jared Diamond analyse les processus probables ayant conduits à la religion.
Ce qui le conduit à écrire, après quelques développements, que « ce que nous qualifions à présent de religion est apparu en dérivation de la complexité croissante du cerveau humain dans sa démarche d’identification des explications causales et d’élaboration de prédictions. Pendant longtemps il n’y aurait pas eu de distinction reconnue entre le naturel et le surnaturel, ou entre le religieux et le reste de la vie. » Et l’auteur d’émettre une hypothèse sur le fait de savoir quand la ‘religion’ aurait émergée au cours de l’évolution humaine : « très progressivement, à mesure que notre cerveau se complexifiait », notant au passage que nos ancêtres néandertaliens, il plus de 40.000 ans, ensevelissaient leurs morts après les avoir ornés de pigments ocres. « Il semble raisonnable, conclut-il, de supposer que nos ancêtres ont eu des croyances religieuses pendant les 60.000 ans et plus des Homo sapiens au comportement moderne, et peut-être pendant plus longtemps encore ».  

Croyances surnaturelles
 
Dans un tableau JD expose quelques exemples de croyances surnaturelles propres à des religions particulières. Il est intéressant de noter à quel point les croyances issues d’autres cultures, et en particulier celle tirées de sociétés traditionnelles, nous apparaissent puériles, tandis que celles des sociétés dans lesquelles nous baignons constituent une sorte de point aveugle de la raison.
En la matière, pour ramener les choses à leur incongruité, tout semble question de formulation :
« Une femme qui n’avait pas été fécondée par un homme tomba enceinte et donna naissance à un enfant mâle dont le corps après la mort fut transporté à un endroit appelé paradis souvent représenté comme étant au ciel ».

Parmi les croyances surnaturelles, certaines impliquent des oiseaux, ce que je ne pouvais ne pas relever. Ainsi cette dernière :
« Certains groupes Néo-Guinéens des basses terres croient que le beau chant fluté d’un petit oiseau, connu sous le nom se séricorne fauve, annonce que quelqu’un vient tout juste de mourir, mais », ajoute Diamond, le problème est que « cet oiseau compte au nombre des espèces les plus communes et des plus fréquents chanteurs des forêts de la région ». Et l’auteur de conclure : « mes amis néoguinéens sont aussi convaincus des mauvais présages de ce volatile que les Européens sont effrayés par les chats noirs ». 

D’un point de vue général, souligne encore l’auteur avec perspicacité, « le facteur psychologique qui sous-tend de telles croyances est que nous nous souvenons des coups tirés au but et oublions les échecs, de sorte que la plus légère preuve suggérée par le souvenir de réussites vient confirmer les moindres superstitions que nous entretenons ». En effet, qui n’a jamais été troublé par un augure paraissant confirmée par les faits, tout s’empressant dans le même temps d’oublier la pronostics a posteriori erronés ou farfelus ?  

Pour conclure ce paragraphe JD souligne que si elles sont irrationnelles, « les croyances religieuses surnaturelles (sont) plausibles et satisfaisante d’un point de vue émotionnelles », ce pourquoi elles demeurent « digne de foi en dépit même de leur caractère invraisemblable ».
Ne l’oublions pas, et cela a été dit tout a long de l’histoire, les dieux et déesses, s’ils se comportent comme des êtres humains (ils peuvent être jaloux, rancuniers, etc.), « leurs pouvoirs qui surpassent ceux des humains sont des projections des fantasmes de puissance propres à ces derniers ». 



Les sept fonctions explicative de la religion

1) L’explication

En premier lieu Diamond identifie une fonction originelle du fait religieux, fonction qui dans nos sociétés occidentales modernes a reculée face à la poussée de la science : l’explication (enfin pas tout à fait partout si l’on en croit par exemple la prégnance du Dessein intelligent aux Etats-Unis). 
Ainsi, « les peuples traditionnels préscientifiques bricolent des explications pour tout ce qu’ils découvrent, sans avoir assurément la capacité prophétique de faire la distinction entre les explications que les savants considèrent aujourd’hui naturelles et scientifiques et celles que ces derniers jugent surnaturelles et religieuses. Pour ces peuples, ce sont toutes des explications et ils ne discriminent pas celles qui sont ensuite perçues comme religieuses des autres... ».

« Aujourd’hui, pour de nombreux chercheurs, le dernier bastion de l’explication religieuse est celui de Dieu comme Cause première » (par exemple Trinh Xuan Thuan et son principe anthropique fort). Ceci dit, à ceux qui à la question « Pourquoi quelque chose plutôt que rien ? » répondent : Dieu, on pourrait leur objecter avec Diamond, que « ‘Dieu’ ne consiste qu’à mettre un nom sur son absence de réponse », ou avec André Comte-Sponville qu’il « s’agit de constater que les explications (d’ordre surnaturelle) que les religions prétendent apporter ont en commun… de n’expliquer rien, sinon par de l’inexplicable ! »


2) Apaiser l’anxiété

« La deuxième fonction de la religion - un adjuvant pour apaiser l’anxiété de l’espèce humaine face à des problèmes et des dangers qui échappent à son contrôle - fut probablement très forte dans les toutes premières sociétés ». D’où le recours aux prières, aux oracles, et aux shamans, par exemple. 
« Si cette fonction de la religion aurait diminué, explique l’auteur, alors que les sociétés renforçaient leur contrôle sur le cours de l’existence humaine, que les gouvernements étatiques gagnaient en puissance », force est de constater qu’aujourd’hui cet aspect du phénomène religieux et le recours que ce soient aux rebouteux des campagnes, aux liseurs de bonne aventure des villes et autres Irma New-age,  a encore de beaux jours devant lui. 


3) Apporter un réconfort

Autre fonction de la religion : « apporter un réconfort en niant la réalité de la mort ». Mais pas seulement, car la religion offre diverses formes de réconfort, comme « expliquer une souffrance en déclarant qu’elle n’est pas un événement dépourvu de signification ni dû au hasard, mais qu’elle un sens plus profond... »
Il y a d’ailleurs une certaine forme de continuité sur ce point entres les croyances des sociétés traditionnelles et les monothéismes des sociétés modernes : « Les chasseurs-cueilleurs croient souvent en une survie après la mort sous la forme d’esprits. Mais cette fonction s’est largement répandue avec l’essor des religions qui méprisent le monde terrestre et affirment qu’il y a une vie après la mort, plus importante et durable que la vie terrestre dont le seul but est justement de préparer le salut dans l’au-delà. »
Et Diamond de préciser : « Si le rejet du monde est puissant dans le christianisme, l’islam et quelques courants du bouddhisme, il caractérise également certaines philosophies séculières (c’est-à-dire non religieuses), comme le platonisme ».

Un autre aspect intéressant de la réflexion de l’auteur sur ce sujet, est le motif pour lequel les sociétés complexes mettent davantage l’accent sur l’au-delà et le réconfort que les sociétés de chasseurs-cueilleurs ; un constat pouvant apparaitre contre-intuitif, mais attesté par les preuves archéologiques tant qu’ethnographiques - coïncidant avec néolithisation : « avec la transition à l’agriculture, le nombre moyen d’heures de travail quotidien augmenta, la nutrition se dégrada, les maladies infectieuses et l’usure physique s’accrurent et l’espérance de vie se réduisit. Ces conditions de vie s’aggravèrent encore pour les prolétariats urbains pendant la Révolution industrielle ». 
Et Diamond de conclure : « l’infortune tend à rendre les gens plus croyants » De fait, « les couches sociales, les régions et les pays pauvres tendent à être plus religieux que les riches : ils davantage besoin de soutien moral ».
Cependant, « que la religion ne montre néanmoins aucun signe d’extinction peut tenir à notre persistante quête de ‘sens’ ».



4 et 5) Organisation et obéissance

Ces aspects du phénomène religieux coïncide avec la complexification et l’agrandissement des société humaines :
« Les sociétés très peuplées ont de fortes chances de vaincre les petites sociétés ; elles exigent des bureaucrates à temps complet parce que 20 personnes peuvent s’assoir autour d’un feu de camp et parvenir à un consensus alors que 20.000 ne le peuvent pas ; et il faut nourrir de tels dirigeants et bureaucrates. Mais comment un chef ou un monarque parvient-il à obtenir que ls paysans tolèrent ce qui est fondamentalement un vol de leur nourriture par des classes de parasites sociaux ? ».
C’est toute le sujet de la collusion entre pouvoir et religion, un phénomène fort bien identifié en son temps par le bon curé Meslier :
 « Ainsi, quoiqu’il semble que la religion et la politique dussent être si contraires et si opposées l’une à l’autre dans leurs principes et dans leurs maximes, elles ne laissent pas néanmoins que de s’accorder assez bien ensemble lorsqu’elles ont une fois fait alliance et qu’elles ont contracté amitié ensemble, car on peut dire qu’elles s’entendent pour lors comme deux coupeurs de bourse : la religion soutient le gouvernement politique, si méchant qu’il puisse être ; et à son tour, le gouvernement politique soutient la religion, si vaine et si fausse qu’elle puisse être » (Mémoire contre la religion).
Et au pourfendeur d’illusions de préciser sa pensée, avec une verve ne cédant rien à la lucidité : 
« ... tout ce que vos prêtres et vos docteurs vous prêchent avec tant d’éloquence touchant la grandeur, l’excellence et la sainteté des mystères qu’ils vous font adorer, tout ce qu’ils vous racontent avec tant de gravité de la certitude de leurs prétendus miracles, et tout ce qu’ils vous débitent avec tant de zèle et tant d’assurance touchant la grandeur des récompenses du ciel et touchant les effroyables châtiments de l’Enfer - ne sont, dans le fond, que des illusions, des erreurs, des mensonges, des fictions et des impostures inventées premièrement à des fins et rusés politiques, continuées par des séducteurs et des imposteurs, ensuite reçues et crues aveuglément des peuples ignorants et grossiers, puis enfin maintenues par l’autorité des grands et des souverains de la Terre (...) afin de tenir par là le commun des hommes en bride et faire d’eux tout ce qu’ils voudraient ».

Mais revenons à Diamond et à ce constat : 
« Au cours des siècles récents du monde judéo-chrétien, cette tendance s’est bien sûr inversée et la religion est bien moins qu’auparavant la servante de l’Etat. » Cependant, ajoute l’auteur, « la fusion de la religion et de l’Etat persiste dans certains pays musulmans, en Israël et (il y a peu de temps encore) au Japon et en Italie. Même le gouvernement des Etats-Unis invoque Dieu sur sa monnaie... ». Ajoutons qu’en France, la laïcité n’empêche nullement l’imprégnation persistante des valeurs judéo-chrétiennes à tous les niveaux de la société. Pour s’en persuader il n’est qu’à regarder la composition des divers conseils d’éthiques auxquels nos politiques puisent leur inspiration, truffés de prélats et de leurs séides.  

6) Codes de conduite à l’égard des inconnus.

En bref, sur cet aspect notons que « les raisons pour lesquelles les athées, ainsi que de nombreux croyants, ne tuent plus leurs ennemis découlent des valeurs instillées par la société et de la crainte de la main puissante de la loi plutôt que de la colère de Dieu. Mais, à partir de l’essor des chefferies jusqu’à celui récent des Etats séculiers, la religion à justifié les codes de comportements ».
Diamond ajoute prudent : « selon le point de vue de chacun ces rôles ont été jugés positifs (promotion de l’harmonie sociale) ou négatifs (exploitation des masses par des élites oppressives). »
Notons que l’harmonie sociale d’une société donnée peut fort bien s’accommoder du ravage des contrées éprises d’autres fétiches, voire encourager le massacre et l’éradication totale de populations impies. (cf. les Albigeois ; voire également les croisades, où L’Eglise, cherchant à détourner la violence des chevaliers en mal de rapine sur le sol d’Occident et limiter les guerres privées, va en quelque sorte exporter le mal en Terre-Sainte, donnant aux belliqueux gens d’armes de ‘nobles’ motifs. C’est la création de la « Militia Christi », ordre qui rapidement « devient  une confrérie de chevaliers prêts au combat contre les adversaires de la chrétienté ; elle devient l’instrument de la guerre sainte. Le meurtre est justifié, voire sacralisé ! » (Les templiers, Alain Demurger)  - On pourra lire aussi sur ce sujet l’essai d’Ami Maalouf, Les croisades vues par les arabes. )



7) Justifier la guerre

« Les dix commandements ne s’appliquent qu’à votre propre comportement à l’égard de concitoyens dans une chefferie ou un Etat ».    
En découle, selon une logique bien connue : « Tu ne tueras point (les croyants en ton propre dieu) et Tu dois tuer (les croyants en un autre dieu) ». L’essentiel est dit.

Et juste s’il fallait y insister :
« L’Ancien Testament est émaillé d’exhortations à se montrer cruel à l’encontre des païens. Le Deutéronome 20 : 10-18, par exemple, explique l’obligation pour les Hébreux de pratiquer le génocide : quand votre armée s’approche d’un cité lointaine, vous devez asservir tous les habitants s’ils se rendent, mais s’ils résistent, tuer tous les hommes, asservir les femmes et les enfants, voler leur bétail et tout ce qui se trouve dans la ville. Mais, si c’est une cité des Cananéens, des Hittites, ou de tout autre de ces peuples adorateurs des faux dieux, alors le vrai Dieu commande que soit massacré tout ce qui respire dans la cité. »

Pour conclure

De ces sept fonctions qui caractérisent la religion, « deux fonctions existaient déjà et étaient à leur apogée à l’époque de l’émergence des humains intelligents, 50.000 ans avant notre ère, et ont connus un déclin régulier dans les récents millénaires : l’explication surnaturelle (en déclin rapide) et l’apaisement ritualisé de l’anxiété face aux dangers incontrôlables (en léger déclin). Les cinq autres fonctions étaient absentes (pour quatre d’entre elles) ou faible (la cinquième) chez es premiers humains intelligents ; elles atteignirent un pic dans les chefferies et les Etats émergents (pour trois d’entre elles), et ont connu un déclin plus ou moins net depuis lors ».

Serait-ce pour autant le crépuscule des religions ? Le monde tel qu’il va semble y apporter démenti. Selon Diamond l’avenir du fait religieux dépendra de ce que sera le monde des les années à venir : « Si les niveaux de vie s’élèvent dans le monde, alors les fonctions 1 et 4-7 continueront à décliner, mais il est probable que les fonctions 2 et 3 perdureront ». Mais si, est c’est le constat du réel aujourd’hui, « le monde reste embourbé dans la pauvreté ou si (pis encore) l’économie mondiale, les niveaux de vie et la paix se dégradent, alors il se peut que toutes les fonctions de la religion, peut-être même l’explication surnaturelle, connaissent une résurgence ». 

Quant au dernier mot de Jared Diamond sur ce chapitre : « il faut attendre et voir ». Je ne suis pas enclin à telle retenue  - et partagerai plutôt le constat de Mike Davis dans Le pire des mondes possibles, sous-titré, de l’explosion urbaine au bidonville global.


________________________________________________________