Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


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7 juin 2017

Lucrèce, dans jardin…


Après une séance de désherbage en fin d’après-midi au jardin, entre grand vent et soleil, il m’a semblé opportun  de laisser reposer mes avant-bras, excités par un trop fort bain d’orties…

Aussi, sur la chaise longue prendre le premier magazine venu… En l’occurrence le Philosophie magazine de mars dernier et le feuilleter au hasard.

Un extrait du livret central tout d’abord. Et Boèce condamné à mort en 522 pour n’avoir pu résister aux sirènes du pouvoir, et d’accepter de Théodoric, roi des Ostrogoths, le titre de consul et de Magister Officiorum
Le monarque suivra sa victime au tombeau en 526 par suite de dysenterie…

A quelques pages de là, comme en écho au sort tragique du défenseur de l'orthodoxie catholique, Tous les chemins partent de Rome, avec cet extrait, de l’excellent Alain Gigandet, spécialiste de l’épicurisme :


« De la nature, et Lucrèce est plus insistant qu’Epicure sur le désengagement politique. Selon lui, la recherche du pouvoir a pour ressort la peur de la mort ; mais au lieu d’aider l’arriviste à conjurer les dangers, cette peur l’y expose bien plus encore car ‘la foudre frappe de préférence les sommets’. Comme son maître, le poète oppose à l’engagement fiévreux le modèle de la société, pacifiée et frugale, des amis. Axé sur la modération des désirs, et recommandant en général une forme d’abstentionnisme, l’épicurisme s’érige en contre-modèle d’une civilisation de l’ambition et de la compétition triomphante ». 


22 sept. 2016

Lucrèce, Nietzsche et le chrétien…

Lecture par Georges Claisse en introduction de la seconde émission de la magnifique série des NCC consacrée à Lucrèce la semaine dernière. Il s’agit d’un extrait de l’Antéchrist de Nietzsche


« … L’Empire romain que nous connaissons, que l’histoire de la province romaine enseigne toujours davantage à connaître, cette admirable œuvre d’art de grand style, était un commencement, son édifice était calculé pour être démontré par des milliers d’années, — jamais jusqu’à nos jours on n’a construit de cette façon, jamais on n’a même rêvé de construire, en une égale mesure subspecie œterni ! — Cette organisation était assez forte pour supporter de mauvais empereurs : le hasard des personnes ne doit rien avoir à voir en de pareilles choses — premier principe de toute grande architecture. Pourtant elle n’a pas été assez forte contre l’espèce la plus corrompue des corruptions, contre le chrétien… Cette sourde vermine qui s’approchait de chacun au milieu de la nuit et dans le brouillard des jours douteux, qui soutirait à chacun le sérieux pour les choses vraies, l’instinct des réalités, cette bande lâche, féminine et doucereuse, a éloigné, pas à pas, l’ « âme » de cet énorme édifice,— ces natures précieuses, virilement nobles qui voyaient dans la cause de Rome leur propre cause, leur propre sérieux et leur propre fierté. La sournoiserie des cagots, la cachotterie des conventicules, des idées sombres comme l’enfer, le sacrifice des innocents, comme l’union mystique dans la dégustation du sang, avant tout le lieu de la haine lentement avivé, la haine des Tchândâla — c’est cela qui devint maître de Rome, la même espèce de religion qui, dans sa forme préexistante, avait déjà été combattue par Épicure. Qu’on lise Lucrèce pour comprendre ce à quoi Epicure  a fait la guerre, ce n’était point le paganisme, mais le« christianisme », je veux dire la corruption de l’âme par l’idée du péché, de la pénitence et de l’immortalité. — Il combattit les cultes souterrains, tout le christianisme latent, — en ce temps-là nier l’immortalité était déjà une véritable rédemption. — Et Épicure eût été victorieux, tout esprit respectable de l’Empire romain était épicurien : alors parut saint Paul. »

L’invité de l’émission, « Se défier des dieux : crimes et religion », Elisabeth de Fontenay précise sur ce texte de Nietzsche, apposé en introduction de sa préface à la version en prose du De Natura rerum :

« Il faut rappeler que l’épicurisme, et donc le poème de Lucrèce, s’est construit contre le stoïcisme. C’est-à-dire contre la croyance qu’il y a autre chose dans la nature que des causes. Contre la croyance en la finalité, aux causes finales. Et ça, les stoïciens étaient les grands spécialistes des causes finales, ce qu’on appelle la téléologie. C’est d’abord sur cela que le poème de Lucrèce, qui reprend Epicure, se construit. Maintenant c’est vrai que, à retardement, avec Nietzsche, on peut dire que c’était une énorme machine de guerre contre ce qui va être le christianisme. Et du reste les chrétiens ne s’y sont pas trompés : ils ont toujours fait la guerre à Lucrèce, avec beaucoup de violence. Le cardinal de Poliniac avait écrit un poème de plusieurs milliers de vers, qui s’appelle contre Lucrèce ; le cardinal de Poligniac, connu pour avoir dit à un singe au jardin du roi : ‘ Parles, et je te baptise’. C’est vous dire comme il était borné. C’est donc très intéressant de référer ce matérialisme atomistique de Lucrèce et toute sa manière dont il pourfend la croyance aux dieux ; les croyances en l’immortalité de l’âme, de le référer au christianisme. Mais pas seulement… parce que les croyances sont beaucoup plus larges que le christianisme. 
(…)
« La peur joue en rôle très important dans ce poème. C’est uin poème contre la peur de la mort, contre la peur des dieux. Tout ce que nous faisons pour les honorer ou pour les conjurer ne sert strictement à rien ; en particulier les funérailles somptueuses et surtout les sacrifices. Là il y a quelque chose de très insistant chez Lucrèce, il n’est pas le premier, Empédocle avait déjà fait une critique des sacrifices, mais chez lui c’est véritablement une pensée anti-religieuse qui préside à sa critique des sacrifices. »

Suit la lecture d’un passage fameux de Lucrèce :

« C’est le plus souvent la religion elle-même qui enfanta des actes impies et criminels. C’est ainsi qu’Aulis l’autel de la vierge Trivia fut honteusement souillé du sang d’épigénie par l’élite des chefs grecs, la fleur des guerriers.  
Le funèbre bandeau sur ce front pur se noue ; La laine en bouts égaux se répand sur la joue. Un père est là, debout, morne devant l’autel ; Les prêtres, près de lui, cachent le fer mortel ; La foule pleure, émue à l’aspect du supplice. La victime a compris l’horrible sacrifice ; Elle tombe à genoux, sans couleur et sans voix. 44 Ah ! que lui sert alors d’avoir au roi des rois La première donné le nom sacré de père ? Palpitante d’horreur on l’arrache de terre, Et les bras des guerriers l’emportent à l’autel, Non pour l’accompagner à l’hymen solennel, Mais pour qu’aux égorgeurs par un père livrée, Le jour même où l’attend l’union désirée, Chaste par l’attentat de l’infâme poignard, Elle assure aux vaisseaux l’heureux vent du départ ! 



Une émission à écouter assurément. 



[1] Transcription de la lecture faite lors de l’émission : De la nature (Les Belles Lettres, 2009), traduction d’Alfred Ernout, p. 133-134, Livre II.
[2] Suite du texte, tiré de la traduction (1876, 1899) A. Lefèvre (1834-1904). 

17 juin 2016

Jean Salem - Cinq variations sur la plaisir, la sagesse et la mort

Cinq variations sur la plaisir, la sagesse et la mort

                         Ed Michalon 2007 – Ed originale, encre marine 1999).

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Un livre de chevet assurément.

On se prend à se couler toujours avec volupté dans les méandre de cette magnifique balade érudite, dont les linéaments s'adossent sur les sentences que voici :


« Tant la religion put conseiller de crimes ! » Lucrèce.

« La vie entière du philosophe est une préparation à la mort » Cicéron.

« Mangeons et buvons, car demain nous mourrons ! » Saint Paul.

« Qui sait si vivre n'est pas mourir, et si mourir n'est pas vivre ? » Euripide.

« Il y a une seule chose dont Dieu même est privé, c'est de faire que ce qui a été fait ne l'ait pas été. » Aristote.

Source de méditation ; mine de citations où il fait plaisir à puiser. A conserver absolument à portée de main pour s'y replonger de temps à autre ; y picorer une formule ici, une anecdote là...

Sur la méthode adoptée par Jean Salem : étudier le présent, le passé, puis enfin le destin de ces formules singulières ; « des formules, fussent-elles lapidaires, qui touchent aux crimes de la religion, au lien que la réflexion philosophique doit ou non entretenir avec la mort, à la relative indistinction de la vie et de la mort, ou bien encore à l'irréfragable irréversibilité de ce qui est déjà accompli ».

Des sentences qui mènent bien plus loin que nous penserions, et dont les occurrences, inattendues parfois, se trouvent débusquées au détour de pérégrinations que j'assimilerai volontiers à la quête jubilatoire d'un archéologue de la philosophie ou des lettres ; une plongée dans le dédale des antiques cités du savoir... 
Avec une truelle et un pinceau, soulever et rassembler un à un les fragments de quelques pierres gravées, pour nous restituer les vieilles formules dans leur contexte ; à notre plus grand bonheur.

Le sacrifice d’Iphigénie


« Tant la religion put conseiller de crimes ! »
Lucrèce

Controverse sur la traduction idoine du terme 'Religio'. On mesure l'enjeu idéologique et la parti pris des traducteurs successifs ; de ceux forcés d'employer des périphrases telles 'piété cruelle', ou des synonymes 'fanatisme', 'imposture', voire 'superstition', afin de marquer la différence entre les mauvais cultes d'avec la vrai religion : le catholicisme.

Polybe, « Histoires », IIe siècle av JC a précédé Voltaire et son « Si dieu n'existait pas il faudrait l'inventer ». Voici : « Et je pense que Rome doit sa cohésion à (…) la superstition […] Beaucoup s'étonneront sans doute de cette constatation. Mais à mon avis, les Romains ont pensés à la masse du peuple en faisant cela. Il est vrai que, si l'on pouvait former une cité de sages, une telle solution ne s'imposerait sans doute en rien ; mais puisque la masse est toujours instable, pleine de désirs coupables, d'impulsions irrationnelles, de passions violentes, le seul moyen de contenir les masses réside dans la peur du mystère et dans cette sorte de recours au drame ».

Xénophane : « Si les bœufs, les chevaux et les lions avaient des mains et savaient dessiner, les chevaux forgeraient des dieux chevalins, et les bœufs donneraient aux dieux forme bovine : chacun dessinerait pour son dieu l'apparence imitant la démarche et le corps de chacun ». Une évidence qui apparaît impie... salutaire mise en question, bien avant Feuerbach. Tout n'est que redécouverte...

Qu'aurait dit Lucrèce, demande Bacon, « s'il avait connu le massacre de la saint Barthélemy et la conspiration des poudres ? Il serait devenu sept fois plus épicurien et athée que devant ! »

Luca Giordano, La mort de Sénèque, vers 1684 


« La vie entière du philosophe est une préparation à la mort »
Cicéron

C'est le Phédon que cite ici Cicéron, ou plus exactement encore: le discours que Platon fait tenir à son maître Socrate dans ce dialogue sur la mort.

Les quatre arguments de Socrate en faveur de l'immortalité de l'âme :

Argument des contraires.
Argument de la réminiscence.
Argument tiré de ce que l'âme est incomposée ou simple
Argument de l'âme « pilote en son navire ».

Socrate démontre de trois façon, écrit Damascius (né en 458 apr. JC), la mineure de ce syllogisme catégorique, c'est-à-dire la proposition selon laquelle le philosophe se détache de son corps. Il affirme en effet ceci : 1/ le philosophe méprise le plaisir physique ; 2/ la perception sensible est un obstacle à la connaissance véritable ; 3/ les Idées, les Formes ne peuvent être appréhendées que par la pensée2.

Rijckere, Bernaert - Le Festin des Dieux - 16th century

« Mangeons et buvons car demain nous mourrons »
Paul de Tarse

La phrase remise en son contexte : « Si les morts ne ressuscitent pas, alors mangeons et buvons car demain nous mourrons ». Qu'un mécréant puisse être de bonne moralité […], qu'il puisse être un 'honnête homme', c'est là ce que semble exclure ce passage de Saint Paul, avec son raisonnement si carré et son eschatologie mercantile, si propre, semble-t-il à présenter la vertu comme l'objet d'un simple trafic.
Chez les Grecs, nombres d'épigrammes funéraires présentent quelques consonances avec la devise imputée aux impies. Chez les romains : Horace, Pétronne. Puis dernière source antique avec Athénée (IIIe siècle après J.C), écrivain d'une érudition consommée et presque le plus savant des grecs ; un ouvrage délicieux où l'on trouve des citations de … 1500 ouvrages perdus dans le gros œuvre d'athénée, ainsi que 700 noms d'auteurs fort divers.

Parmi les interprétations irréligieuses (hédonistes) : Ronsard dans les Odes ainsi que dans une série de variations originales sur le motif du carpe diem. Plus tard Touvant :

          « Puisque d'un pas irrévocable,
          […]
             Les lois de la mort sont fatales
        Aussi bien aux maisons royales
        Qu'aux taudis couverts de roseaux.
        Tous nos jours sont sujet aux Parques ;
        Ceux des bergers et des monarques
        Sont coupés des même ciseaux »

(Écho de l'ode Horacienne à Sestius : La pâle mort heurte d'un pas égal les échoppes des pauvres et les tours des rois...)


« Qui sait si vivre n'est pas mourir, et si mourir n'est pas vivre ? »
Euripide

Étant entendu qu'aucune occurrence de ces vers ne paraît pouvoir être retrouvée dans les antérieures à celle d'Euripide, l'idée qui est ici sous-jacente est traditionnellement baptisée « orphique » ou « orphico-Pythagoricienne. Autre source envisageable : Héraclite.

Postérité spiritualiste de la sentence : entre autres Platon, Clément d'Alexandrie ou encore Origène.

Quant à la postérité sceptique et libertaire il faut aller voir du coté des Pyrrhoniens, de Sextus Empiricus et de Montaigne.


« Il y a une seule chose dont Dieu même est privé, c'est de faire que ce qui a été fait ne l'ait pas été. »
Aristote

N'étant point porté par goût et par compétence au décorticage logique en philosophie, et ne gouttant pas davantage la scolastique, je n'ai rien retenu en note, sauf le passage sur Sénèque, puis celui où Alfred de Musset se trouve vivement ému à la vue de son ancienne amie George Sand. S'écriant la nuit même : « Ce fugitif instant fut toute notre vie : Ne le regrettez pas ! »

Ainsi je laisse le lecteur se faire sa propre promenade au fil de ces monuments éphémères, mais éternels ; là où les mots s'incarnent...

« La mort n’est rien pour nous ». Conférence de Jean Salem from Les Films de l'An 2 on Vimeo.

10 mars 2016

Le Trétrapharmakos d’Epicure, vu par Matrix



Matrix, on le sait, est une machine philosophique
Et Lucrèce le meilleur interprète d’Epicure.

Selon le maître du Jardin le quadruple remède se déclinait de la sorte :

Il n’est rien à craindre des dieux ;
Rien à craindre de la mort ;
La douleur et supportable ;
Et le bonheur atteignable.

Son disciple, évoqué plus haut, poète romain que Jérôme l’Insidieux tenta de faire passer pour fou, jugea bon d’enduire  de miel la coupe de l’amère breuvage .

Sur le premier volet du remède, ce fameux ‘rien à craindre des dieux’ :

« Tu ne peux croire, non plus que le séjour des dieux,
leurs saintes demeures, soit dans une partie du monde.
Subtile en effet, bien éloignée de nos sens,
la nature des dieux est à peine vue par l’esprit.
Comme elle échappe au toucher, à l’emprise de nos mains,
Elle ne peut rien atteindre de ce que nous touchons.
Le toucher en effet manque toujours à l’intangible.
Voilà pourquoi doivent aussi différer des nôtres
Les demeures des dieux, subtiles comme leurs corps.
Plus tard je le prouverai amplement. »

(De la nature, V - 146,155) - Traduction Kany-Turpin)



André Comte-Sponville, Le Miel et l'Absinthe, clapotis autour de Lucrèce, où l'art de la traduction

25 août 2014

André Comte-Sponville, Le Miel et l'Absinthe, clapotis autour de Lucrèce, où l'art de la traduction.


Je lus « Le miel en absinthe » pour la première fois début juillet de cette année. Un joli titre pour un très beau livre. Il s’en dégage une atmosphère très particulière : un sentiment de quiétude nimbée de vague nostalgie : poésie, douceur et érudition paisible… Cette amertume sucrée qu’illustre si bien le titre de l’ouvrage.
L’expérience se déroula sur quelques jours, dans mon jardin, loin du brouhaha frénétique du monde, sous le regard complaisant des oiseaux, avec le ciel d’un bleu limpide, ou gris tenace, selon. Mais toujours dans la chaleur. Je suis de ceux pour qui le lieu du lire importe presque autant que les signes venant, selon l’humeur, se réfléchir sur ma rétine. Où plutôt devrais-je admettre que les sensations du dehors, en ma demeure, se mêlent si bien à la liqueur des mots, qu’au-delà de l’exprimé, de l’argumentation même, elles s’en viennent former une espèce de pâte indéfrichable, dont le moindre affect saura raviver, au détour d’une sente inattendue, la délicate effluve ; éternité sensuelle qui me fait consentir aux rythmes telluriques de cette prose sublime du poète de Chambois, cette mélodie aux accent Lucrétiens :




«  Je veux de ma cabane entendre le bruit de l’eau la nuit
Clapotis, petit roulis,

Cascades minuscules faites par une branche accrochée à une pierre

Floc d’un saut de truite gobant le moustique

Quatre mesures brèves avec les pattes d’une poule d’eau qui s’envole

Et raye la surface de la rivière.

(…)

Je veux me remplir les poumons de l’air dansant
De l’air lourd et pesant
L’air fragile comme du verre
L’air des jours et des nuits
Des saisons
Et des saisons de ma vie.
Moiteurs épaisses des après-midi d’août » (1)



Voila aussi pourquoi je me suis toujours montré hermétique et rebelle aux démonstrations desséchées de tous ces faiseurs de concepts, dont les livres, malgré l’effort, me sont invariablement tombés des mains. Ni élève abreuvé à l’école du doute, ni en quête du savoir ultime, le jargon de ces tisseurs d’oracles, avec leur cohorte de  néologismes, égarés dans les chemins de l’idéal impraticable ne me parlent pas. Ils ne parlent pas aux sens. La plupart d’entre eux ont si mal vécus, qu’ils ne savent rien de l’art de vivre, et n’ont à proposer que leur constructions factices, dénuée de toute sève. Et je ne suis point esprit désincarné…
Mais trêve de détours.
 
Sans doute suis-je passé un peu au travers de ma première lecture du « De rerum natura ». C’était en août 2008 en les gorges d’Héric. En surplomb de notre trou d’eau, sur une grosse pierre plate. Je pressentais alors, indistinctement, que l’autodidacte que je suis, déstabilisé par la part considérable du poème consacré à cette physique m’apparaissant obsolète, me détournait de l’essentiel et me perdait sur les franges d’une mer dont je ne parvenait qu’à effleurer l’écume des flots, poussière aqueuse fracassée par les siècles sur les brisant de notre modernité.


C’est sans doute pourquoi l’ouvrage d’André Comte-Sponville me marqua de la sorte. Qu’il me fallut, après l’expérience des grands froid, en faire nouvelle lecture en septembre, replié à nouveau en mon havre champêtre, avec pour lecteur inattendu, au dessus de mon épaule dans l’arbre d’à coté, un pic épeiche dont la voix signala la présence plus sûrement que sa calotte rouge cramoisie…  Oui Lucrèce est fidèle à Epicure, mais si radicalement différent du maître du jardin qui se défiait des poètes. Une altérité ajoutant à la quiétude de l’ataraxie un irréductible sentiment de tragique… « Le De rerum (…) est un traité sur la totalité du réel, donc aussi sur l’humanité. La mort d’Iphigénie y a valeur de symbole (…) c’est un résumé de la catastrophe humaine, de la violence dont nous sommes coupables…. La différence (entre Epicure et Lucrèce) ne réside pas dans l’idée de nature, ni dans celle de hasard. Elle tient moins à la vision du monde qu’à la vision de la vie, moins à la conception de la nature ou du hasard qu’à celle de l’homme et de son existence » (2).

Relecture de fin d’été donc, avec sous la main, pour comparer les extraits traduits par André Comte-Sponville, la version de Kany-Turpin. Ainsi en va le plaisir à l’approfondissement de l’œuvre de Lucrèce. J’ai reconnu, un peu plus haut, que ma première pérégrination parmi les vers du poète épicurien m’avait laissé avec la sensation d’être passé à coté des « sources vierges », ces « contrées inexplorées des Muses ». A cela il faut y voir la démarche incertaine de celui s’abîmant dans la contemplation d’une toile de maître, et qui bien que paré de la meilleure volonté du monde, par inculture, s’avère incapable à saisir la subtilité de ce qui s’offre à ses sens. Bien évidement, la sensibilité pourvoit aux premiers émois. Mais faute d’assises culturelles suffisantes, on en reste jeté à la lisière de l’œuvre, à la surface de la représentation. Ne serait-ce qu’à ce titre, le livre d’André Comte-Sponville est décidément bienvenu… Un livre m’ayant incité, par ailleurs, à l’achat de la traduction en prose d’Alfred Ernout du « De rerum », édition préfacé par Elisabeth de Fontenay. Plaisir du temps pour soi, à éprouver cette maxime imparable : « Les contentement véritables sont le doux repos, le loisir philosophique, dans la solitude d’une campagne (…) L’autarcie et la tranquillité de l’âme sont les biens suprêmes » (3). Et tantôt ce furent des bandes d’hirondelles de cheminées, qui tournoyèrent en piaillant, secouant leurs ailes au dessus du plafond mouvant du ciel. Prémisses du départ pour la grande migration… « La vie n’est qu’un accident de la matière inanimée ; le monde, qu’un amas, provisoirement organisé, d’atomes ; et il n’y a ni finalité, ni destin, ni providence » (4). Ainsi donc rien d’autre que la matière, le vide et cette « cause motrice », sans laquelle le système d’Epicure s’effondrerait, cette fameuse déviation, ou déclinaison d’atomes, que Lucrèce nomme Clinamen. Et moi, dans mon hamac à savourer ces pages du « Miel et l’Absinthe » d’où suintent les linéaments d’un ravissement véritable. A les ruminer avec délectation. C’est un exercice que je me suis pris à pratiquer il y a peu, initié à vrai dire avec
l’« Histoire de la Rome antique » de LucienJerphagnon. Car plutôt qu’avaler sans relâche perpétuelles nouveautés, de se forcer à revenir sur d’anciennes, ou c’est peu être encore meilleur, de récentes amitiés, ne présente qu’avantages : être contraint, d’une part, à ralentir le rythme de ses lectures. A moins déplorer cet amoncellement de livres en attente d’être ouverts, d’autre part. Faisons-nous raison, de notre vie jamais ne pourrons lire tout ce que voudrions. Et à goûter les délices du retour sur des œuvres choisies on creuse son sillon plus sûrement qu’à s’égarer dans la frénésie obsessionnelle du toujours plus de neuf : le ressassement et la macération étant une propédeutique indispensable à qui désire quitter les sentiers convenus de la superficialité. « A désirer toujours ce que tu n’avais pas, Poursuivant l’avenir, méprisant le présent, Ta vie s’en est allée, incomplète et sans joie, Et voila que la mort se dresse à ton chevet ! » (5). Pour paraphraser je ne sais plus qui, possiblement Montaigne, il importe moins de beaucoup lire que de bien lire. C’est aisé à imaginer, mais assurément beaucoup plus ardu à mettre en pratique. « Nous consumons notre vie à force d’attendre, et chacun de nous meurt affairé » (6). Aussi acquiesçons sans remords, ni souci de l’utile, au plaisir à retremper nos lèvres dans la tragique potion de ce Romain du premier siècle avant J.C, contemporain de Spartacus, dont toute la biographie tient en trois saillies scélératesses commises par Jérôme de Stridon, séide du crucifié qui s’entoura dans ses prêches à Rome d’un cercle de femmes prises parmi les plus anciennes familles patriciennes : et d'une que Lucrèce fut « jeté dans la folie par un philtre d'amour, après avoir écrit quelques livres dans les intervalles de sa folie ». De deux, en sous-entendant que les vers du matérialiste rendaient si pitoyables, que seules leurs corrections par l’illustre Cicéron ne les sauvèrent de l’oubli. Et de trois, pour faire bonne mesure, et en écho de cette prétendue folie, que Titus Lucretius Carus  « se tua de sa propre main à l'âge de 43 ans ». Passons.
  
« Le Miel et l’absinthe » sensibilise aussi à l’importance cruciale de la traduction, chose dont jusqu’alors je n’avais saisi véritablement l’enjeu. Les problèmes qu’elle suscite, mais aussi les opportunités qu’elle offre à diverses sensibilités de s’exprimer. Et me plait beaucoup àconfronter les extraits de la version d’André Comte-Sponville à celle du GF Flammarion de Kany-Turpin. S’y trouvent à l’œuvre deux sensibilités distinctes - et complémentaires ; deux approches. La traduction de l’auteur du « Miel et l’Absinthe » est plus fluide et plus directement compréhensible à l’homme de la rue que je suis. Restituée en vers, elle n’en est pas moins poétique que la version devenue classique, plus heurtée, voire par endroits pour moi plus obscure. Dire laquelle des deux m’apparaît plus fidèle à l’original en latin n’est évidemment pas de ma compétence. Mais j’aime tout autant les deux : et elles sont à vrai dire appelées à se côtoyer. Je ne suis d’ailleurs pas loin de penser qu’une traduction entière du livre de Lucrèce par André Comte-Sponville permettrait à plus d’un lecteur craintif à oser se risquer dans un tel monument.
  


Pour finir, voici quelques notes de lecture tirées du chapitre intitulé, « L’histoire », où André Comte-Sponville déroule avec pédagogie le synoptique du « De rerum » :  

« Celui-ci se compose de six chants, que la plupart des commentateurs s’accordent à regrouper deux par deux, en fonction de leur objet propre, ce qui structure l’ensemble en trois parties successives. Chacune d’entre elles commence (donc aux chants I, III et V) par un éloge d’Epicure. (…)
Les deux premiers livres portent sur les atomes et le vide. (…) Lucrèce y expose sa conception de la nature comme cause (Cause de quoi ? De tout, puisqu’il n’y a rien d’autre). (…) Livre I : les principes – Livre II : les mouvements, les forces. Ils correspondent àpeu près à la lettre à Hérodote d’Epicure.
Les deux livres suivants portent sur l’homme. Ils ne recouvrent que très partiellement la lettre à Ménécée. Le livre III traite de l’union, ou plutôt de l’unité, de l’âme et du corps. (…) Le livre IV porte sur la perception et l’imagination. (…)
Les deux derniers livres portent sur le monde (il en existe une infinité), et spécialement sur le nôtre. Ils décrivent ou expliquent ce qu’un spinoziste pourrait appeler la Nature naturée, c’est-à-dire considérée comme effet (…). Il y est moins question de la nature des choses, que des choses de la nature. Disons que c’est une espèce de physique appliquée. A quoi ? Essentiellement à ce qu’on appellerait aujourd’hui l’astrophysique, les sciences de la terre, les sciences du vivant et l’anthropologie (surtout pour le livre V), enfin à la météorologie, à la sismologie et à la médecine (surtout pour le livre VI).
Le livre V retrace l’histoire de ce monde, le nôtre, qui correspond plutôt à ce que les physiciens aujourd’hui appellent l’univers. (…) Cela passe par son fonctionnement – le mouvement des astres, l’alternance du jour et de la nuit, les éclipses… -, de même que par l’histoire des vivants, et, spécialement, des humains. Ce chant V, le plus long du poème, recouvre par là, lui aussi, une petite partie de la lettre à Hérodote.
Le livre VI prolonge cette cosmologie, en traitant de ce qu’Epicure, dans sa lettre à Pythoclès, appelait « les météores », c’est-à-dire tous les phénomènes qui se déroulent dans le ciel (le tonnerre, la foudre, les nuages, les arc-en-ciel…) mais aussi sur terre, voire sous terre, dès lors qu’ils passent pour particulièrement mystérieux ou inquiétants (tremblements de terre, volcans, aimants, épidémies…). Le but de Lucrèce, à chaque fois, est de montrer qu’il n’y a rien, dans ces phénomènes, de surnaturel, de magique, ni même d’intrinsèquement mystérieux. » (7)

« Si tout ce que l’on voit sur terre et dans le ciel

Plonge tant de mortels dans un effroi stupide,

Les font s’humilier dans la crainte des dieux,

S’abaissant jusqu’au sol, c’est que leur ignorance

Des causes les contraint à tout confier aux dieux,

Comme à des souverains qui règnent sur le monde.

Ce qu’ils ne peuvent pas expliquer par ses causes,

Ils en voient la raison dans la force des dieux… » (8)


Notes :
(1) Michel Onfray, Le recours aux forêts. La tentation de Démocrite, Galilée 2009.
(2) André Comte-Sponville, Le Miel et l’absinthe, Hermann éditeurs, P 72.
(3) Christophe Girerd, Sagesse libertine, Grasset, p 271.
(4) André Comte-Sponville, op citée, p 135.
(5) Lucrèce, « De la nature », III, 957-959, traduction par André Comte-Sponville, op citée, p 44. Par commodité je n’ai pas reproduit les retours à la ligne, repérables ici par les majuscules.
(6) Epicure, Sentences vaticanes, 14.
(7) André Comte-Sponville, op citée, p 189 – 193.
(8) Lucrèce, de la nature, VI, 50-57, traduction d’André Comte-Sponville, op citée, p 195.


21 août 2014

Balade autour du Suave, mari magno... de Lucrèce ( De la nature) - Un commentaire de Julie Giovacchini...


Lucrèce, philosophe-poète latin du Ier siècle av. J.-C, dont on sait peu de choses sur la vie, auteur du « De rerum natura », un long et magnifique poème passionné qui décrit le monde selon les principes d'Épicure.
Calomnié en ces termes  par Jérôme de Stridon (dit saint Jérôme 340 à 420), qui ne supportait sans doute pas les thèses épicuriennes :

« Le poète Titus Lucretius nait. Rendu fou par un philtre d'amour, il rédigea dans ses moments de lucidité quelques livres que Cicéron corrigea par la suite. Il se donna la mort dans sa quarante-quatrième année

Pour en savoir plus : Introduction autour de Lucrèce et de l'Epicurisme (par Jacques Poucet) 






Début du second chant de cette oeuvre sublime, un passage célèbre et controversé :

« Il est doux, quand la vaste mer est soulevée par les vents, d'assister du rivage à la détresse d'autrui ; non qu'on trouve si grand plaisir à regarder souffrir ; mais on se plaît à voir quels maux vous épargnent. Il est doux aussi d'assister aux grandes luttes de la guerre, de suivre les batailles rangées dans les plaines, sans prendre sa part du danger. Mais la plus grande douceur est d'occuper les hauts lieux fortifiés par la pensée des sages, ces régions sereines d'où s'aperçoit au loin le reste des hommes, qui errent çà et là en cherchant au  hasard le chemin de la vie, qui luttent de génie ou se disputent la gloire de la naissance, qui s'épuisent en efforts de jour et de nuit pour s'élever au faîte des richesses ou s'emparer du pouvoir.
O misérables esprits des hommes, ô cœurs aveugles ! Dans quelles ténèbres, parmi quels dangers, se consume ce peu d'instants qu'est la vie ! Comment ne pas entendre le cri de la nature, qui ne réclame rien d'autre qu'un corps exempt de douleur, un esprit heureux, libre d'inquiétude et de crainte?
Au corps, nous voyons qu'il est peu de besoins. Tout ce qui lui épargne la douleur est aussi capable de lui procurer maintes délices. La nature n'en demande pas davantage : s'il n'y a point dans nos demeures des statues d'or, Ephèbes tenant dans leur main droite des flambeaux allumés pour l'orgie nocturne ; si notre maison ne brille pas d'argent et n'éclate pas d'or ; si les cithares ne résonnent pas entre les lambris dorés des grandes salles, du moins nous suffit-il, amis étendus sur un tendre gazon, au bord d'une eau courante, à l'ombre d'un grand arbre, de pouvoir à peu de frais réjouir notre corps, surtout quand le temps sourit et que la saison émaille de fleurs l'herbe verte des prairies  Et puis, la brulure des fièvres ne délivre pas plus vite notre corps, que nous nous agitions sur des tapis brodés, sur la pourpre Ecarlate, ou qu'il nous faille coucher sur un lit plébéien ».

E terra magnum alterius spectare laborem;
Non quia vexari quemquamst jucunda voluptas, 
Sed quibus ipse malis careas quia cernere suavest.
Suave etiam belli certamina magna tueri
Per campos instructa tua sine parte pericli; 
Sed nihil dulcius est, bene quam munita tenere 
Edita doctrina sapientum templa serena, 
Despicere unde queas alios passimque videre
Errare atque viam palantis quaerere vitae, 
Certare ingenio, contendere nobilitate,
Noctes atque dies niti praestante labore
ad summas emergere opes rerumque potiri. 
O miseras hominum mentes, o pectora caeca!
Qualibus in tenebris vitae quantisque periclis 
Degitur hoc aevi quod cumquest.
Nonne videre nil aliud sibi naturam latrare, nisi ut qui 
Corpore seiunctus dolor absit, mensque fruatur 
Jucundo sensu cura semota metuque?


Commentaire de ce passage :

(Extrait de l'émission "Les nouveaux Chemins de la connaissance du 22 Mars 2010, Le jardin d'Epicure, avec pour invité de Raphael Enthoven, la philosophe Julie Giovacchini)


JG : Les épicuriens étaient tout sauf des philosophes égoïstes, puisque leur premier projet était d’amener avec eux  sur le bord tous ceux qui sont perdus dans la tempête. Il ne s’agit pas de se complaire au spectacle du malheur d’autrui. Il s’agit de faire prendre conscience à autrui du malheur dans lequel il est plongé, qu’il ne voit même pas qu’il ne ressent même plus, tellement ça lui semble un état habituel et normal. Et de lui montrer qu’il existe justement un refuge possible. […] Il y a un sectateur de l’épicurisme, Diogène d’Oenanda qui était visiblement quelqu’un d’assez fortuné a pris la responsabilité de faire édifier un mur gigantesque sur lequel il a fait gravé ce qui lui semblait l’essentiel de la doctrine épicurienne. Dans quel but ? Dans le but d’édifier les passants en espérant que le personnes qui passeraient devant son mur pour lire ce texte se trouveraient frappés par la vérité de la doctrine…

RE : l’anti-mur des lamentations 
JG : Exactement… et éprouverait tout de suite le désir d’embrasser la doctrine d’Épicure […] Lucrèce veux montrer que l’humanité est plongé dans le malheur mais ce n’est pas irrémédiable. Il y a des refuges. Et le meilleur refuge c’est la pratique philosophie.

RE : Mais qu’est-ce qui distingue ce refuge d’une citadelle, ou d’une tour d’ivoire, dans laquelle on enferme bien volontiers le philosophe en disant que le philosophe ne ce soucie pas des turpitude de la terre et qu’il a la tête dans les étoiles, qu’est-ce qui le distingue du philosophe Platonicien qui se vante de s’occuper des étoile et de laisser les autres assaisonner les plats ?

JG : Mais la citadelle Epicurienne est ouverte. Il n’y a pas écrit sur fronton « que nul n’entre ici s’il n’est géomètre »

RE : Ca c’est chez Platon

JG : Tout le monde est invité. Et justement Épicure a eu a cœur de construire une philosophie que lui même qualifiait de facile. Les principes de la philosophie sont faciles. Faciles à apprendre, faciles à mémoriser. On est justement aux antipodes d’une doctrine élitiste. Epicure a voulu proposer une philosophie vulgaire au sens noble du terme. Et la lettre à Ménécée commence bien de cette façon là : « que nul ne tarde à philosopher » . Il ne s’agit pas d’attendre  d’avoir gravi les échelons de la vieillesse pour se sentir digne de philosopher , il ne s’agit pas non plus de dire je laisse ça au jeune, tout le monde est invité dans la citadelle épicurienne. Il suffit de retenir le Tetrapharmakon*.


* Quadruple remède :
La mort n’est rien pour nous. Les dieux ne sont pas à craindre. Le bonheur est atteignable. La douleur est supportable.  


(Livre au format téléchargeable en PDF)

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