Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


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21 déc. 2020

La fin d’un monde : le calendrier maya et le calcul de votre date de naissance

Musée d'anthropologie de Mexico (Photo par Axel)

En cette période de la fin d’un monde, et tandis quelques hurluberlus investissent les pentes du Pech de Bugarach, plutôt que de sombrer dans l’hystérie apocalyptique, ou, tout à rebours,  le dédain blasé, il m’est apparu plus ludique d’évoquer ce fameux calendrier maya au travers d’un petit amusement consistant à calculer et traduire sa date de naissance - ou tout autre événement du choix de chacun - en maya .

Un peu d’histoire est ici nécessaire.

Mais évoquons tout d’abord la notion de temps.

Si, selon les traditions, les civilisations optèrent soit pour une conception du temps linéaire, soit plutôt pour une conception cyclique, puisque de temps il s’agit, encore faut-il s’entendre sur ce que recouvre ce mot fort connoté. Etienne Klein, dans son excellent ouvrage Les tactiques de Chronos, pose les bases de la réflexion : « Le temps est seulement ce qui permet qu'il y ait des durées. Il est cette machine à produire en permanence de nouveaux instants. Il fabrique la succession d'instants et nous ne percevons en réalité que ses effets ».


Palenque (Photo par Axel)

Ainsi, chez les grecs anciens, avec Héraclite, tout coule. Mais alors, s’interroge le physicien « si le temps était un fleuve, quel serait son « lit » ? Par rapport à quoi s'écoulerait-il ? Que seraient ses « berges ? ». Du côté Parménide, a contrario, le mouvement est pensé comme une succession de positions fixes. Auquel cas, conclut E. Klein, « tout devait pouvoir être décrit à partir d'un seul concept d'immobilité. Le devenir n'était donc qu'une illusion relevant du « non être ».

Si dans les civilisations premières, basées sur l’observation de la nature les conceptions cycliques du temps dominent, avec les physiciens nous entrons dans un temps linéaire, irréversible, et respectant le principe de causalité.

Reste le temps psychologique, le temps tel que perçu, mais c’est un autre débat.

Le calendrier dans lequel nous baignons, et qui nous apparaît si familier, en est réalité complexe. C’est qu’il conjugue tout à la fois des notions de cycles et de linéarité. Cyclique il l’est à travers la répétition des semaines, des mois et des saisons. Mais il est aussi inscrit dans la durée, avec une flèche du temps irréversible. Enfin, nous comptons le temps à partir d’un instant zéro choisit arbitrairement.

Ce système de calendrier, en son principe, est comparable à celui des mayas. Dans les grandes lignes les différences sont de deux ordres : d’une part les mayas comptaient de 20 en 20 (au lieu de 10 en 10 pour nous). D’autre part ils avaient deux calendriers imbriqués. Un calendrier profane, dit « vague » et un calendrier cérémoniel.

Aujourd’hui, les études archéologiques et historiques permettent d’affirmer, d’une part, que « l’intérêt des Mayas pour les dates qu’ils inscrivaient sur leurs stèles ne traduisait pas un culte du temps, mais exprimait le souci d’inscrire dans la durée le règne de leurs souverains. » (1); d’autre part qu’ils n’étaient pas astronomes mais astrologues et que « la complexité qui résulte de la combinatoire de multiples cycles est fonctionnelle ; elle permet au devin de choisir entre une multitude d’alternatives, les unes favorables, les autres non, et de contrarier les destins trop adverses ».



Entrons dans le vif du sujet

Les mayas avaient donc deux calendriers dont l’origine est à rechercher chez les Olmèques (base commune de tous les calendriers méso-américains)

Le Tzolkin

Le premier de ces deux calendriers est un calendrier divinatoire et cérémonie, appelé tzolkin. Sa durée est de 260 jours.

S’y combinent 20 noms de jours (imix, ik, etc…) aux chiffres allant de 1 à 13.

Dans ce système, le même jour, ne réapparaît qu’au terme de 13 x20 jours.


La Haab

Le second calendrier, nommé haab, est un cycle solaire dit « vague » qui comprend 360 jours (18 mois de 20 jours) + 5 jours, souvent considérés comme néfastes.


Inscription des jours dans les deux calendriers

Un jour est défini à la fois par sa position dans le tzolkin et dans le haab.

Les cycles de tzolkin et du haab se combinent sur le modèle d’une roue dentée imbriquées et il faut attendre 52 années vagues ou 73 cycles cérémoniels pour que la désignation d’un jour dans les deux cycles se répètent : c’est la roue du calendrier. 

(Pour déduire ces deux nombres – 52  et 73 – il faut trouver le plus petit commun multiple, ici 5. 365 / 5 = 73 et 260/5 = 52)



Le compte long

Afin de pouvoir inscrire leur histoire dans la durée les mayas ont inventé le compte long (ils comptent de 20 en 20 et non de 10 en 10). Ainsi le décompte des jours se défini en cinq unités de comptes distinctes, multiples de 20


1 Baktun = 144 000 jours

1 Katun =  7200 jours (soit près de 400 de nos années)

1 Tun =  360 jours

1 Uinal  = 20 jours

1 Kin = 1 jour


Nota : des unités de temps encore supérieures au Baktun ont été découvertes. Ainsi  le pictun qui fait 20 baktuns, soit près de 7885 de nos années. On a même identifié l’alautun, soit 8000 pictuns (unité qui frise l’inconcevable)


Point de départ du grand cycle 

Cette date fameuse, dans le compte long, s’écrit : 13.0.0.0.0 4 ahau 18 cumku.

(4 ahau est le jour de ce point de départ dans le calendrier rituel et 8 cumku, le même jour représenté dans le calendrier « vague »)

La correspondance dans notre calendrier est le 11 août 3114 av. J.-C (date maya : 4 ahau 8 cumuk)

Il est probable que cette date corresponde symboliquement à une nouvelle création du monde ( 13 baktuns = 1872 000 jours, soit 5124,37 années)

Ce point de départ du grand cycle (qui est encore le nôtre jusqu’au 21 ou 233 décembre 2012, selon les comptes), établi au jour mythique du 4 ahau 8 cumku de l’an 3114 av JC correspond à une antiquité très supérieure à toute présence maya et pour l’heure n’est relié à aucun événement.


Exemple du calcul d’une date dans le compte long

9.17.0.0.0 13 ahau 18 cmuku  signifie que depuis le point 0 se sont écoulés 9 baktuns (9 x 144 000 jours) 17 katuns (17x 7200 jours) 0 (le reste) pour atteindre le jour donné, soit le 13 ahau 18 cumku.


Temps linéaire et  temps cyclique

Ainsi se conjugue, dans l’imbrication des deux calendriers maya, le Tzolkin et le Haab, avec cette date mythique de départ du Grand Cycle, à la fois un temps linéaire et un temps cyclique.

Ce grand cycle long de 1872 000 jours ou 5124,3661 années apparaît comme ainsi une sorte de compromis entre temps linéaire (parce assez long) et temps cyclique (parce que durée finie).


Calculer sa date de naissance en maya

Date choisie : 12 mars 1993

Tout d’abord il faut convertir la date choisie en son équivalent en nombre de jours du calendrier julien, en usage jusqu’à l’adoption de notre calendrier actuel.

Facteur corrélation : 01 janvier 2000  = 2 451 545 jours

A ce chiffre, pour atteindre le 12 mars 1993, il faut retrancher le nombre de jours écoulés avant le référentiel du 01 janvier 2000, donc  :

Oter 7 x365 pour arriver au 01 01 1993 puis ajouter 1 jour (année bissextile 1996) et enfin ajouter 71 (le 12 mars est le 71ième jour de l’année).

Le résultat est : 2 451 545 + 1 + 73 – (7x265) =   2 449 064

[Pour ceux qui préfèrent directement aller au résultat, il existe sur la toile des calculateurs automatiques, où il suffit de saisir la date que l’on souhaite obtenir en calendrier julien – d’un calculateur l’autre il peut y avoir quelques jours d’écart]

Maintenant convertissons notre résultat en maya :

On enlève à ce chiffre une constante de corrélation de 584 283 jours et ce total est divisé par chaque unité de temps maya

2 449 064 – 584 283 =  1 864 761 


Baktun : 144 000 jours

Katun : 7200 jours

Tun : 360 jours

Uinal : 20 jours

Kin : 1


Ici donc 1 864 761 / 144 000 = 12,97

(reste 1 864 761 – 12 x 144 000 = 136 761)

On obtient : 12 baktum


136 761 / 7200 = 19

(reste 136 761 – 18 x 7200 = 7161)

On obtient : 18 katun


7161 / 360 = 19,89

(reste 7161 – 19x360 = 321)

On obtient 19 tun


321 / 20 = 16,05

(reste 321 – 16x20 = 1)

On obtient 16 uinal et 1 kin


D’ou la date 12.18.19.16.1


Chichen Itza (photopar Axel)

Les calculs des jours rituels de l’année solaire s’obtiennent par des divisions par 13 20 et 365



Bon le résultat peut ici également directement s’obtenir via un calculateur, mais il est toujours bon de comprendre le mécanisme, la méthodologie, qui y amène les écarts proviennent des arrondis). 

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(1) Pour ce billet je me suis largement adossé sur deux excellent ouvrages consacrés aux mayas. D’une part, Les Mayas, avec des textes d’Eric Taladoire paru aux éditions Chêne. D’autre part un guide des Belles Lettres intitulé également, avec originalité, Les mayas, et écrit par Claude-François Baudez.

15 juil. 2019

Frédérick Catherwood, Méhémet Ali, Machiavel et les mayas


L’explorateur et illustrateur Frédérick Catherwood (1799 – 1854), est celui-là même qui, avec son comparse et archéologue par goût John Lloyd Stephens, contribua par ses lithographies à faire connaître à un large public les ruines de la civilisation maya….

A cette époque (sommes en 1839), « il était difficile à un américain du nord d’accepter l’idée d’une ‘civilisation indienne’. Pour lui, l’indien était un barbare, à moitié nu, avec qui la guerre était une fatalité… (…) Les noms : Hernan Cortès, Pizarro, Bernal Biaz del Castillo n’évoquaient que pillages. Les noms : Aztèque, Maya, Toltèque et Inca ne se trouvaient dans aucun dictionnaire. Très peu de livres d’histoires les mentionnaient. (…) De cette coiffe d’oubli plaquée sur l’histoire des Amériques, le principal responsable a peut-être été William Robertson (1721 – 1793). L’historien homme d’Eglise écossais, dont on avait vanté The History of the Discovery and settlement of America, avait une idée très arretée de la culture américaine : ‘Ni les Mexicains ni les Péruviens ne peuvent prétendre à figurer parmi les nations qui méritent le nom de « civilisés »’ » (1)



Mais il n’est point l’heure encore d’évoquer les fabuleuses civilisations de la méso-amérique.

Nous somme en 1833, le 07 novembre plus précisément, le jour où Frédérick Catherwood se rendit au Dôme de Jérusalem malgré les menaces, bien décidé  à en croquer l’intérieur. A cette époque entrer en telle mosquée se faisait pour l’infidèle au risque de sa vie.
Son périple l’avait conduit de Grèce, alors considérée comme La Mecque des étudiants en architecture, en Egypte, en tant que membre de l’expédition de Robert Hay de Linplum, dont l’objectif était de remonter le Nil. Nous étions alors en 1824 et la grande expédition durera plus de dix ans.

En 1832 il se trouvait à Tunis et en 1833 il mettait « la dernière main aux préparatifs d’une expédition au Sinaï et en Arabie pétrée » . Il faut dire qu’au fil des ans, Frédérick Catherwood s’était mis « à porter djellaba et turban, à étonner son ami Arundale par ‘ses manières orientales’, à parler couramment l’arabe, l’italien et l’hébreu. »
C’est de la sorte que le 07 novembre 1833, il entra sans façon en habit d’officier égyptien et portant un ‘firman le désignant expressément comme ingénieur  au service de Méhémet Ali. L’affaire manqua de tourner mal mais, par un heureux hasard, fut tiré d’embarras par le gouverneur de Jérusalem en personne. Voici un extrait du témoignage de Catherwood :

« … Autour de moi, 200 personnes semblaient s’enhardir mutuellement, prêtes à se ruer toutes à la fois sur nous. Un bref instant aurait suffi pour nous mettre en morceaux. Mais un incident est survenu qui a transformé le massacre probable en triomphe : l’apparition soudaine du gouverneur sur les marches de l’estrade. Quelqu’un s’est précipité vers lui et tumultueusement réclamé le châtiment de l’incroyant qui profanait l’enceinte sacrée. Le gouverneur s’est alors approché. Nous avions souvent fumé ensemble. Nous nous connaissions bien. (….) et ne pouvant imaginer que je me sois aventuré si loin sans l’autorisation du pacha, il s’est mis aussitôt à calmer la foule… ».


C’est ainsi que durant six semaines Catherwood put à loisir dessiner les intérieurs de la fameuse mosquée, croquis qui seront hélas tous perdus en 1847. Mais c’est une autre histoire. Pour l’heure, il jouissait d’un blanc-seing qu’il comptait bien mettre à profit. Ce qu’il fit, jusqu’au jour où la rumeur de la visite prochaine d’Ibrahim Pacha à Jérusalem se répandit. Et notre aventurier jugea bon de décamper.

Mais qui était donc cet Ibrabim pacha, de son nom Méhémet Ali ?

L’anecdote que je vais ici rapporter se trouve narrée dans le délicieux livre d’un archéologue américain, Victor W.von Hagen (1908 – 1985). Son titre, A la recherche des Mayas raconte par le détail l’épopée de l’archéologie américaine, et cela, on l’aura compris, au travers des figures hautes en couleurs des pionniers Frédérick Catherwood et John Stephens, « juriste par profession, voyageur par goût, archéologue par vocation ».

Mais présentons en tout premier lieu brièvement Méhémet Ali :

« … né en 1769 en Albanie, il avait fait son éducation dans un régiment turc. Entre deux massacres, il avait appris les rudiments du beau langage et des bons usages. Il s’esseya au commerce du tabac de Latakiech, puis le sultan l’envoya comme lieutenant à la tête de 300 soldats albanais pour soutenir l’expédition égyptienne du général Bonaparte. Méhémet Ali fit preuve d’une grande fourberie. Il aida Napoléon contre les Britanniques, puis les Britanniques contre Napoléon. Lorsque Lord Nelson eut annihilé la flotte française, il resta en Egypte et ne songea plus qu’à consolider sa propre position. Dans le chaos qui suivit les guerres napoléoniennes, il soutint les Mamelouks contre les Turcs, puis opposa les factions entre-elles et enfin invita leurs chefs en son palais pour les mettre d’accord, ce qu’il fit en les faisant tous massacrer » .

D’où l’anecdote. Le consul français en poste en Egypte lui ayant fait remettre un exemplaire du Prince de Machiavel. Le pacha s’empressa de le faire traduire, à raison de dix pages par jour.

« Au quatrième jour, Méhémet Ali dit à son traducteur : ‘Dans les dix premières pages je n’ai rien découvert de grand ou de nouveau (…) J’ai attendu. Les dix suivantes ne valent guère mieux. Les dix dernières ne contenaient que banalités. Je n’ai rien à apprendre de Machiavel. Pour la ruse, je m’y connais mieux que lui. Tu peux t’arrêter de traduire’ ».

De Frédérick Catherwood il n’existe qu’une seule représentation connue, une miniature indistincte ou on le voit campé devant une ruine du site maya de Tulum.



 The figure depicted in this detail view of a lithograph made from one of Catherwood's drawings is presumed to be a possible representation of Catherwood himself. No other portraits of Catherwood are known


30 juin 2017

Uxmal, sous la pluie...


En souvenir d’un périple mexicain, un extrait de l’incontournable livre décorée des planches de Frederick Catherwood , « Les cités perdues des Mayas » : 

Uxmal, vue de la pyramide (photo par Axel)

« A New York, Stephens avait fait la connaissance d’un Hispano-Américain du nom de Simon Peón, descendant direct des Montejos, propriétaires du Yucatan depuis le XVIIe siècle, qui l’avait invité à venir le visiter s’il passait par Mérida, ajoutant qu’il possédait toute une ancienne cité, Uxmal, qui devrait lui être du plus grand intérêt. Stephens se rendit donc immédiatement à la résidence princière des Peón pour apprendre que don Simon se trouvait précisément dans son hacienda d’Uxmal, distante de 80 km environ. Catherwood, malgré sa fièvre, et lui se mirent en route sur-le-champ. Arrivés à l’hacienda, Frederick étant trop faible pour continuer, l’Américain le confia aux soins de leur généreux hôte et s’en alla visiter seul la cité fantôme. Une merveilleuse surprise l’attendait : Uxmal, loin d’être  étouffée par une exubérante forêt tropicale, se dressait, encore superbe, sur un plateau ou ne poussaient que des buissons…. »

Pyramide d'Uxmal (photo by Axel) 
Uxmal, quadrilatère des nonnes (photo by Axel)
Vue d'Uxmal, photo by Axel
Uxmal sous la pluie.... (photo par Axel)
Quadrilatère des nonnes (photo by Axel)
Uxmal, vue depuis le palais du Gouverneur (photo par Axel)
Uxmal, palais du Gouverneur (photo by Axel)
Vue d'Uxmal depuis le palais du Gouverneur (photo by Axel)
Uxmal, détail (photo par Axel)

Et, retour à l'Hacienda...

Hacienda d'Uxmal (photo par Axel)
" Stephens et Catherwood dégagèrent et mesurèrent une grande partie des monuments : ce travail permit alors d'établir un plan précis du site. Frederick se mit ensuite à dessiner un par un les bâtiments, accordant une attention toute particulière au palais du Gouverneur."

12 mai 2016

El Zócalo : les fresques de Diego Rivera au Palacio National

Par une après-midi déjà bien entamée, direction El Zócalo, fameuse place située au cœur du centre historique de Mexico, là où fut décapitée la civilisation aztèque par un certain Hernán Cortés et sa clique. Il faut dire que la Plaza de la Constitución dans sa démesure a oblitéré l’ancienne place du marché (tiangui) qui jouxtait la cité des dieux (teocalli) de l’ancienne ville de Tenochtitlan qui compta au temps de sa prospérité, dit-on, plus de 200.000 têtes. Il ne reste aujourd’hui de ces splendeurs passées que les décombres du Templo Mayor, la pyramide principale haute de 45 mètres qui dominait alors le centre cérémoniel de la défunte capitale. De son ventre furent exhumées moult merveilles, pour la plupart exposées désormais au Musée national d’anthropologie où se trouve également une reconstitution du sanctuaire. 

Mais ce n’est point le sujet sur lequel je voulait m’étendre ici.

Dans le musée anthropologique de Mexico... (photo par Axel)
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Entrons donc sous le portique de sécurité du Palacio National, tandis que dans la rue un vendeur à la sauvette soudoie un policier pour s’assurer de sa tranquillité, chose banale, nous confirme consterné notre guide, Horacio.

Fresque de Diego Rivera au Palacio National
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Une fois dans la place, ayant volté sur notre gauche, dos à la fontaine trônant au centre du monumental patio cerné d’arcades baroques, nous voici donc face à l’escalier central pour y admirer les monumentales fresques murales de Diego Rivera, dont je n’avais jusqu’alors, comble de mon inculture, jamais entendu parler. Ni de lui, ni de Frida Kahlo (n’étant point aficionado forcené du grand écran - un film sorti en 2002, « Frida », relate son existence).
Ainsi, vierge de tout préjugé, mon sentiment face à la première composition de celui qui se liera d’amitié avec Modigliani lors de son passage à Paris, la plus monumentale d’entre toutes et qui représente l’histoire du Mexique de 1521 à 1930, fut celle d’un énorme ensemble un peu kitch, entre art naïf et réalisme, aux couleurs flashy, mêlant messages gros comme des autobus au fracas des armes. Jugement mitigé donc, que corrigea la vue des autres fresques de l’étage, bien plus dans mon goût, avec ces oiseaux, ces parures, ces scènes chatoyantes et tribales, moins marquées semble-t-il par l’idéologie, où de manière plus subtile. Fourmillement de détails et d’histoires composées en plans successifs, ne laissant pas un seul espace blanc, dont paradoxalement il se dégage une espèce de sérénité paisible. Motifs qui finirent par me plaire tout à fait - et même un peu plus que cela - et dont aujourd’hui, je regrette de ne pas en avoir tiré davantage de clichés, ni accordé l’attention que méritait tel chef d’œuvre - ce que n’aurait pu manquer tout homme de véritable culture.


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A la vérité et pour conclure sur mes impressions d’alors, ce dont mon ignorance m’a préservé fut aussi la source de mon inconséquence. Mais c’est là fatalité. Et il m’aura fallu, de retour de voyage, tomber sur une émission sur le Mexique des années 30 pour apprendre les relations du peintre et de sa compagne avec le surréalisme, sa tête de pont ayant été transplantée en 1938 au Mexique, missionné par le Ministère des Affaires Etrangères, sans doute davantage pour satisfaire son goût d’exotisme que par soucis prosélyte.


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Diego Rivera (1886 - 1957), anticlérical et athée déclaré, clairement engagé à gauche appartiendra au sérail des peintres officiels du gouvernement postrévolutionnaire mexicain. Et c’est lorsque revenu d’Europe en 1921 qu’il tentera, avec le succès que l’on connait, de faire renaitre une peinture typiquement mexicaine : « Pour cela, il va cherchant son inspiration dans le monde qui l'entoure, son monde, sa vie quotidienne, l'histoire de son pays, ses coutumes comme ce goût prononcé
pour le morbide et la mort... Il reprend la technique, chère aux précolombiens, de la fresque (et de préférence monumentale), faite à la détrempe. Tout de suite, son style est remarqué. En 1922, il réalise la fresque de l'amphithéâtre « Bolivar » de l'Ecole Nationale Préparatoire, puis l'Ecole d'Agriculture de Chapingo, puis des ministères : Santé, Education et finalement le Palais Présidentiel ( « Histoire du Mexique : de la Conquête à 1930 », 1929-35 et 1945). » (1)


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Un mot enfin de Frida Kahlo (juillet 1907 - juillet 1954) tempétueuse descendante de Mathilde Calderón, au sang indien et d’un photographe d’origine allemande.
Jeune militante, inscrite au Parti Communiste Mexicain en 1928, elle rencontrera alors Diego Rivera avec lequel elle se mariera l’année suivante. Relations tumultueuses autant que passionnées qui se solderont par un divorce en 1939. Entre temps elle aura eu une liaison avec Léon Trotski, hébergé chez Frida à Coyoacán et à qui elle offrira pour son anniversaire une toile intitulée « Autoportrait dédié à Léon Trotski ». Quant à son époux, volage invétéré, il l’avait déjà trompé en 1934 avec, entre autres, sa propre sœur, Cristina. Episode qui laissera à « la boiteuse » une profonde blessure, traduite dans le tableau « Quelques Piqûres » (« Unos Cuantos Piquetitos ») qui évoque un meurtre perpétré par jalousie sur une femme.

« Frida l’estropiée », célèbre pour ses autoportraits au front barré de sourcils noirs, sera aussi qui refusera de se faire enrôler dans le mouvement surréaliste : « On me prenait pour une surréaliste. Ce n’est pas juste. Je n’ai jamais peint de rêves. Ce que j’ai représenté était ma réalité. » (2)


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Pour finir sur une balade fort bien documentée autour des fameuses fresques du Palais National de Mexico, je renvoie - et incite chacun à y jeter un œil, voire les deux - au très beau billet intitulé « Diego Rivera, murales del Palacio Nacional » sur le blog à plusieurs voix « La part manquante », dont la philosophie, selon leurs propres dires, s’énonce de la manière suivante : « Se donner la possibilité d’être au monde par un regard débarrassé des préjugés, grâce à une oreille résistante à la mélodie obsédante des médias “mainstream”, un esprit affranchi de nos servitudes modernes que sont la publicité et la religion de la consommation. »




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(1) voir l’excellent site viva mexico - http://www.vivamexico.info/Index1/DiegoRivera.html

(2) Le journal de Frida Kahlo, préfacé par Carlos Fuentes, éditions du Chêne, 1995

18 juil. 2015

Histoire romantique des tortues marines de la plage du Grand Bahia Principle de Tulum

Billet initial du 14 septembre 2012
(Billet initial supprimé de la plateforme overblog, infestée désormais de publicité)

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Sur le haut de la plage, et parfois même entre les parasols au beau milieu des grappes de touristes affalés sur leurs transats, se trouvent plantées de singulières installations : trois ou quatre piquets reliés entre eux par une ficelle et agrémentés d’une petite pancarte, couverte d’inscriptions manuscrites.

Ce sont là des nids de tortues marines. 

Dans notre imaginaire teinté de romantisme, nous  pensions ces créatures antédiluviennes se rendre en des lieux égarés loin du fracas de la civilisation pour se délivrer du fruit de leurs amours. Mais d’évidence c’est là une seconde naïveté de notre part, les fidèles reptiles venant sans l’ombre d’un doute nidifier dans cette zone nommée Playa Aventuras, la seconde en importance au Mexique, bien avant que le premier hôtel ne vienne planter ses banderilles en terres mexicaines. 
 
Traces laissées par les tortues (photo par Axel)
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Situation ambiguë de l’observateur à qui l’on a passé au poignet un bracelet « all inclusive ». Contradiction qu’il faut bien assumer, et que l’on surmonte d’autant mieux au soleil, un verre de pina colada en main.
C’est pourquoi assortir un complexe hôtelier, placé en pareil endroit, d’une fondation écologique soulage au fond tout le monde. Personne n’est dupe : c’est là le supplément d’âme d’un capitalisme qu’il est convenu d’appeler éco-responsable. Mais convenons-en : cela a au moins le mérite d’exister.
En l’occurrence, l’officine locale, dénommée Eco-bahia assure différentes missions, dont la protection d’une zone d’environ 1,5km de la plage de ponte qui s’étend bien au-delà de ce périmètre, pour ce dont nous avons pu nous rendre compte.


Ici deux espèces de tortues viennent déposer leurs œufs. D’une part la tortue Cacouanne (Caretta caretta), encore dénommée grièche (taille moyenne 1,10 m pour 105 kg) et, d’autre part, plus commune sur le site, la tortue verte (Chelonya mydas) dont le nom provient d’un régime alimentaire à base d’algues teintant sa graisse de ladite couleur (taille moyenne 1,2 m pour 130 kg – certains individus pouvant atteindre 300 kg et 1,5m de taille).
Tortue verte, le long des côtes de Tulum (photo par Axel)
[Pour image en grand format, cliquer sur la légende]

Lors de la saison de ponte, c’est nuit venue qu’il est possible d’assister à ce singulier cérémoniel et apercevoir les femelles s’extraire pesamment de l’eau, puis, après avoir laissé une trace faisant songer à une grosse empreinte de pneu de tracteur, s’exténuer à creuser le sable sur toute leur hauteur avant de forer de leurs pattes arrières un puit pour y déposer leurs œufs.
C’est de la sorte qu’un soir, alors que nous revenions par la plage d’un restaurant éloigné de nos quartiers, cherchant par principe et par jeu la trace du passage de l’une de ces tortues, animés par une espèce d’incrédulité somme toute irrationnelle - du moins en ce qui me concerne, ce genre de rencontre se situant dans mon esprit au-delà du concevable -, nous aperçûmes un attroupement de quelques personnes juste sur le sortir vers notre logement.  
Un bénévole de la fondation supervisait les opérations, s’assurant de la quiétude de la pondeuse qui, visiblement, était indifférente à ces étranges mammifères postés avec révérence à moins de deux mètres de sa carapace. Un clair de demi-lune éclairait faiblement la scène.
Et ce fut le choc d’une vision saisissante, entrecoupée par la course des nuages. Car c’était là un instant magique, suspendu aux efforts de la bête, efforts si considérables dictés par l’instinct le plus impérieux, et qui lui faisait entamer le sable, le rejetant ensuite par pelleté sur nos pieds. Parfois nous percevions son souffle rauque, saccadé, et nous nous sentions humble, en profonde empathie avec cette manifestation la plus abrupte du vouloir aveugle de la vie. Ce sentiment de sourde admiration qui nous étreignait alors se résume parfaitement par cette phrase, pourtant si banale en ses contours, mais si lourde de sens et que j’entendis de la bouche de mon voisin : « La nature est quand même bien faite » ! Il avait raison. Du point de vue de la tortue, il avait parfaitement raison.

Mais nous n’en avions pas fini de nos surprises.
Peu de jours après, en plein midi, nous vîmes courir muni d’un seau le préposé diurne à la tranquillité des tortues. Ce qui ne manqua point d’alerter la vigie à mes côtés, qui aussitôt m’exhorta d’abandonner ma lecture estivale pour me ruer sus au nid équipé de mon appareil photo. Quoi de plus incongru, à une heure sans ombre ; lorsque les iguanes se figent. Et pourtant je m’exécutai. Assez vite pour apercevoir l’ébullition sous le sable.
Les minuscules tortues par grappes jaillissaient nerveuses, tendues vers un seul but, animées de cette force implacable de la nature, cette tension pour la vie consciente de la voracité de la mort. Et nous regardions dans toutes les langues de la plage ce merveilleux spectacle, tandis que le bénévole collectait ces naufragées de la coquille au fur et à mesure qu’elles se tournaient vers la mer des caraïbes. Cela dura un bon moment, jusqu’à ce que les dernières rescapées paraissent au jour, et que soit creusé par main humaine le puit de ponte, afin de s’assurer de ne qu’il ne demeura pas d’infortunées prisonnières sous le sable.
Si les tortues à peines extirpées de l’œuf sont ainsi collectées, c’est tout d’abord pour leur éviter la prédation diurne, entre autre des frégates et des iguanes. C’est aussi pour les préserver de la gène occasionnée par les touristes, pas toujours d’une délicatesse et d’un tempérament exemplaires. Enfin, ce passage par la nurserie permet à la fondation le recueil des données scientifiques, avant de relâcher leurs pensionnaires nuitamment.   
Deux rescapée au fond du nid (Photo par Axel)
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Les choses hélas ne passent pas toujours de manière aussi idylliques que celles que je viens de décrire, et souvent les œufs ne sont pas fécondés, ou il y a peu de survivants (avons assisté à une éclosion ou il n’y avait, sur tout un nid,  que deux tortues viables). 
Quoi qu’il en soit, les données sont globalement encourageantes, avec plus de mille nids pour cette saison 2012 (données à comparer à celles des années précédentes – voir site de la fondation).

Iguane - prédateurs de tortues (photo par Axel)
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Frégate - prédateurs de tortues (Photo par Axel)
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Et si je devais résumer le sentiment qui dominait alors, parmi les quelques privilégiés qui eurent le courage ou la curiosité d’assister à cette éclosion, je dirai que c’était une sorte d’empathie, mêlée d’un attendrissement émerveillé, état d’esprit pouvant apparaître un peu mièvre à qui n’a jamais fait ce genre singulier d’expérience.


Sur le sente des tortues marines (photo par Axel)
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En guise de conclusion, pour qui aurait l’idée de s’échouer en ces rivages, il est à noter que si les tortues marines viennent pondre sur la plage du Grand Bahia Principle, c’est qu’à quelques criques de là, à environ 45 mn de marche au sud, passant par un amoncellement de caillasse que notre chêne parlant préféré effleura de son pied souple sans moindre difficulté, il est possible de nager en leur compagnie, par peu de profondeur.


Tortues dans les eaux de Tulum (photo par Axel)
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Un tuba et des lunettes y suffisent, pour peu de venir assez tôt, ceci pour éviter qu’une horde de pingouin ne vienne transformer un paradis en piscine municipale.
En ce qui nous concerne, levés avec le jour, ce fut stupeur - et incrédulité encore - de découvrir, d’un coup, juste sous nos brasses, ces massives carapaces muées en danseuses ! A les toucher presque… le cou étiré parfois pour reprendre une goulée d’air.

Avec en prime un pélican qui faillit m’estourbir, alors que de retour vers le rivage je perçais un banc de poissons minuscules.

Pélican brun d'Amérique (Photo par Axel)