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samedi 19 août 2017

Prendre le frais avec Philomène

©Mdep – Fonds personnel
Le parfum envoûtant des galants de nuit flottait dans l'air. A cette heure entre chien et loup que j'affectionne tant, tournant le dos à la mer, j'empruntais l'escalier de terre rouge qui grimpe de la rue Bugeaud à la rue Chanzy.

C'est là que battait le coeur de ce coron méditerranéen dont le Gouverneur Chanzy posa la première pierre en 1874 pour abriter les familles des mineurs espagnols logées jusque-là dans des grottes à flanc de falaise. Nous étions le 1er octobre 1905 à Béni-Saf, département d'Oran, Algérie.  

J'avais rendez-vous avec elle mais elle ne le savait pas. Elle, Philomène Lucrèce Torrès, née le 12 novembre 1879 à Nerja, un village blanc d'Andalousie de la province de Malaga, au pied de la Sierra de Almijara. Une de mes arrière-grand-mères maternelles venues vivre et mourir en Oranie, cette terre nourricière accueillante à tant d'ouvriers espagnols chassés par la famine qui sévissait alors de l'autre côté de la Méditerranée.

Je savais qu'à ce moment de la journée, je la trouverais "prenant le frais" avec ses voisines sur le pas de leur maison. Même enceinte "jusqu'aux yeux*" et s'octroyant probablement sa première pause de la journée, elle profiterait des dernières lueurs du jour pour tricoter, crocheter ou même raccommoder parce qu'il faut bien "faire du neuf avec du vieux".

Et bien sûr, ce serait le moment de la tchatche entre copines tout en surveillant du coin de l'oeil la progéniture. Si on me demandait ce que je faisais là, je me présenterais comme une "Française de France" venue prendre son poste d'institutrice à l'école élémentaire en ce jour de rentrée. Mais personne ne fit aucun cas de moi.

J'observais mon arrière-grand-mère toute jolie dans sa robe fleurie, ses cheveux retenus en chignon par un peigne en écaille. Elle berçait avec son pied un landau dans lequel dormait son bébé Juliette, tout en embrassant dès qu'il passait par là un petit Manuel de trois ans. "Aïe, aïe, aïe ven aqui chiquillo que te como !". "Viens ici mon petit que je te mange" disait la maman ogre à son enfant.

Philomène s'était mariée le 20 décembre 1902 à la mairie d'Oran, où elle vivait alors chez son père laitier, avec un maréchal-ferrant de deux ans son aîné, Pierre Sanchez. Lui-même était fils de mineur, né à Béni-Saf alors que le village sortait à peine de terre. Elle avait quitté la ville pour ce gros bourg dont la population avait doublé en vingt ans grâce à l'activité minière de la compagnie Mokta-El-Hadid et au port, et qui atteindrait les neuf mille habitants en 1911 après la découverte de nouveaux gisements de fer.    

Mais déjà, le mari allait rentrer du café où il aurait fait une halte après le boulot pour se "taper l'anisette", jouer à la ronda, et tchatcher avec les copains. Pour peu qu'il se soit gavé de tramousos, de toraicos, de fèves et d'escargots au cumin à la kemia, son Pedro n'aurait plus faim alors que Philomène s'était "décarcassée" tout l'après-midi à préparer le potaje !

J'en profitais pour m'éclipser. Comme dit le proverbe de là-bas : "Toutes les bonnes choses ont une fin, même les figues du couffin"...

(*) Mon grand-père maternel François Sanchez est né le 5 octobre 1905 à Béni-Saf.

Lexique :
Ronda : jeu de cartes traditionnel d'Espagne, joué aussi en Afrique du Nord  
Tchatcher : bavarder avec animation de tout et de rien
Kemia : assortiment d'amuse-gueules accompagnant l'anisette
Tramousos : lupins cuits et passés à la saumure
Toraicos : pois chiches grillés
Potaje : sorte de potée à la viande de porc, aux haricots secs et aux blettes

Sources :
Sur la photo, Philomène pose vers 1938 avec sa belle-fille Irène, ma grand-mère, et ses petites filles Juliette, 6 ans, et Pierrette, 3 ans, ma tante et ma mère.
Etat civil : ANOM
Sur Béni-Saf : Wikipedia, Gallica (BNF) pour la presse (L'Echo d'Oran, L'Echo d'Alger, La Mekerra), et Association des Béni-Safiens
Je recommande la lecture de "L'escalier de Béni-Saf" d'Henriette Georges (Robert Laffont, 1988) 

samedi 18 juin 2016

Oran 1956

©Mdep – Fonds personnel
Une nuit où j'étais une fois de plus aux prises avec mes insomnies, je tombe par hasard sur un texte qui remue quelque chose au plus profond de moi. Et je ne suis pas la seule. En quelques semaines le billet Guérir à Oran est lu 4000 fois et partagé 400 fois sur un réseau social bien connu*. Sur sa page, son auteur, Paul, propose tous les soirs un "live" à 19 heures, heure française, 18 heures, heure algérienne, comme il aime à le rappeler à ses fidèles auditeurs qui le suivent des deux côtés de la Méditerranée.

Comme j'ai eu souvent l'occasion de le mentionner ici et ce, très tôt, mon histoire personnelle est très liée à celle de l'Algérie ou du moins de l'Algérie d'avant 1962, celle des "pieds-noirs". En écoutant les émissions de Paul qui, on l'aura compris, est plus particulièrement attaché à la ville d'Oran, j'ai repensé à cette photo.

Ce jour-là, le 14 mars 1956, il y a donc soixante ans, mes parents sont venus de Rio Salado à Oran acheter la bague de fiançailles de Maman. Oran est alors la cinquième ville de France (après Paris, Lyon, Marseille et Alger). Avec ses 286 000 habitants (recensement de 1955) elle est plus peuplée que Bordeaux aujourd'hui !

C'est un photographe de rue qui a photographié mes parents, pour le plus grand amusement des deux hommes au second plan. Un Oranais de l'époque a reconnu les petits pavés carrés au sol et les palmiers et m'a indiqué l’endroit où selon lui la photo avait été prise. Non loin du Boulevard Galliéni et du Martinez, en face duquel se tenaient plusieurs bijouteries.  

De son côté, cette photo en a rappelé  une autre à Paul, celle d'un jeune Yves Saint-Laurent - né le 1er août 1936 à Oran - en compagnie de sa mère et de sa sœur.

C'est émouvant de replonger dans ce passé. La démarche de Paul est intéressante parce que c'est la première fois à ma connaissance qu'on s'intéresse aux traces que cette histoire, souvent douloureuse pour nos parents, a pu laisser chez nous, les générations suivantes. Que faire de cet héritage ? L'ignorer, le tenir à distance, le cultiver, le chérir ? Je n'ai que ma réponse.

*J'ai décidé de ne plus le mentionner mais chacun le reconnaîtra aisément.

lundi 29 avril 2013

Dos Gardenias para ti (V)

Je m'aperçois que si j'ai un peu raconté la vie de ma grand-mère, j'ai très peu parlé d'elle. Ce n'est pas chose facile que d'évoquer les personnes qui vous sont chères, je vais m'y essayer même si la mémoire est forcément sélective et l'amour, un filtre à l'objectivité...

Ma grand-mère et moi avons toujours eu des relations privilégiées, j'étais sa première petite-fille et pendant une dizaine d'années, la seule au milieu de trois garçons. L'année de mes 18 ans, j'ai passé un mois avec elle à Alicante, j'ai raconté ici un jour une anecdote qui donne une idée de quel genre de grand-mère elle était. Plus tard, elle est souvent venue me voir à Paris quand j'étais célibataire, un peu moins quand j'ai fondé une famille.

Le principal trait de caractère qui me vient à l'esprit quand je pense à elle, c'est sa drôlerie. Elle est sans doute la personne au monde qui m'a fait le plus rire. Elle racontait tout le temps des blagues, souvent en espagnol, pas toujours très fines mais qu'elle mimait avec tellement de grâce et de malice qu'elles en étaient irrésistibles. Irène n'avait pas fréquenté l'école, elle était presque illettrée, et lisait surtout l'Almanach Vermot.

J'ai gardé une boîte sur le couvercle de laquelle on peut lire en écriture bâton : "les foulare". Moi qui suis une maniaque de l'orthographe, je suis toujours émue quand je tombe par hasard sur cette inscription malhabile, et qui me fait mesurer ma chance d'être instruite. Elle pouvait s'avérer dure aussi. Maman a passé trois ans dans la classe de certificat d'études en attendant l'âge légal (14 ans à l'époque) de quitter l'école.

Son institutrice avait intercédé auprès de ma grand-mère pour qu'elle parte au lycée d'Oran et devienne boursière. Mais Irène n'avait rien voulu savoir. Un jour où adolescente, je lui "demandais des comptes" face à ce qui me semblait une injustice profonde, elle s'écria : "Mais ta mère c'était ma tête, mes bras, j'avais trop besoin d'elle au magasin, je ne pouvais pas la laisser partir !".

Quand j'allais voir ma grand-mère dans sa maison de Bernis, je faisais l'esthéticienne pour elle. Je lui enlevais les points noirs, les poils superflus, lui faisais un "nettoyage de peau" au citron et à l'huile d'olive. Elle se laissait aller, et me murmurait : "Que manos mas dulces..."

Ma grand-mère avait une très jolie voix, cristalline, juste. J'adorais quand elle chantait "Besame, besame mucho" ou "Dos Gardenias para ti". La première fois, quelques années après sa mort, où j'ai entendu la grande chanteuse cubaine Omara Portuando l'interpréter avec le Buena Vista Social Club, je me suis surprise à pleurer toute seule devant ma télé. Aujourd'hui encore, l'écouter me fait le même effet ...

Fin

jeudi 25 avril 2013

Dos Gardenias para ti (IV)

La petite fille, c'est moi !
Après la disparition de François, Irène hésita à rejoindre Raymonde à Paris. Procesa, la sœur si proche et si présente, était morte à 43 ans d’un cancer, suivie de ses parents en 1952 et 1954, Irène avait la quarantaine et plus grand chose ne la retenait dans cette Algérie qui commençait à s'agiter.  Maman, qui avait 18 ans à la mort de son père, a toujours pensé que la famille aurait pu alors repartir d’un bon pied. 

Mais ma grand-mère prit tout le monde de court en se remariant très vite après son veuvage à Antonio, le parrain de Petit Pierre. Par la suite, il deviendrait pour nous, les petits-enfants, "Pépé Antoine". Plus âgé qu’Irène de quatorze ans et somme toute assez ennuyeux, il représentait pour elle la sécurité car il avait de l’argent et des biens. Chose qui ne leur servit pas tellement par la suite : étant sujet espagnol, il ne put prétendre à aucune indemnisation de la part de l'état français après l’indépendance

Ses deux filles mariées et vite mamans, Irène quitta l'Algérie comme tant d'autres au début des années 1960 et s'installa avec Antoine et Petit Pierre dans un petit village du Gard. Cette maison est indissociable de mon enfance. Nous y passions une partie des vacances, et j'ai des souvenirs de noëls où tout le monde chantait. Que de fous rires lorsque nous nous lancions dans des canons sous la direction de mon père !

Quant à mon cousin Francis, il rentrait de son pensionnat avec toujours quelques bonnes blagues à raconter. De temps en temps, on nous expédiait mon frère, mon cousin Jean-Mi et moi à la "remise" où nous inventions toutes sortes de jeux idiots comme tous les enfants de ma génération ont pu en faire, loin des yeux de parents bien contents de ne pas nous avoir dans les pattes.

Les soirs d'été, nous prenions le frais dehors, comme "là-bas". Mes grands-parents avaient également un grand appartement à Alicante, où ils passaient une partie de l'année et où nous allions parfois les retrouver l'été. En 1972, Antoine mourut, et Irène se retrouva une fois de plus seule et maîtresse de sa vie ...  
A suivre ... 

jeudi 18 avril 2013

Dos Gardenias para ti (III)


Pour subvenir à ses besoins et à ceux de son bébé, en l’absence de son mari, Irène s'installa chez sa sœur Procesa et confia Juliette à ses grands-parents paternels jusqu'à ses 6 ans. Ma grand-mère fit alors preuve d’une hardiesse incroyable pour l’époque quand, apprenant un jour qu’une petite épicerie était à vendre, elle prit son courage à deux mains et alla trouver son beau-père dans un café où il faisait une partie de cartes ou de dominos.

En ce temps-là, les femmes n’entraient pas dans ces lieux réservés aux seuls hommes. Mon arrière-grand-père était un homme juste, il l’écouta et lui prêta la somme nécessaire. A partir de ce jour-là, et bien qu’elle travaillât tous les jours par la suite, sa vie changea. Un jour, François finit par rentrer. Son retour tenait du miracle, ma grand-mère ayant dû lui envoyer un mandat à Marseille pour qu’il puisse prendre le bateau. Il était déjà brûlé par l’alcool et la cigarette dont il mourra prématurément en 1953 à l’âge de 48 ans.

Pour l’heure, il était bien là, reprenant sa vie de débauché, sans travailler, se servant dans la caisse de l’épicerie, puis de la librairie. En 1940, ma grand-mère avait en effet acheté sa librairie Hachette et bureau de tabac qui devait la rendre si populaire parmi les Saladéens, puis plus tard les militaires (dont mon père) venus acheter journaux et cigarettes. Irène trouva alors dans son commerce une consolation à ses soucis personnels.

En octobre 1943, malgré sa mauvaise santé, mon grand-père donna un autre enfant à sa femme, ce garçon tant voulu par Irène, et qu'elle appela Pierre. Séparé de 11 et 8 ans de ses grandes sœurs Juliette et Pierrette, et portant le même prénom que son grand-père paternel, il devint pour tous « Petit Pierre » et reçut pour parrain un homme qui devait avoir son importance par la suite, un métayer espagnol, ami de François mais plus sérieux, prénommé Antonio.

A suivre ...

dimanche 14 avril 2013

Dos Gardenias para ti (II)



Irène avait 17 ans, elle était très belle, et c’est comme ça que le beau François la remarqua. Contrairement à ceux d'Irène, ses parents étaient ce qu'on pourrait qualifier de nantis. Eux aussi d'origine espagnole mais d'Andalousie, ils étaient tous les deux nés en Algérie, lui en 1877 et elle en 1879, et faisaient partie de ces colons qui vivaient confortablement dans ce département français d’outre-mer. 

Mon arrière-grand-père était courtier en vin et possédait également à Rio Salado un dépôt de carburant. Maman se souvient que chez eux, on écoutait de la grande musique et des airs d’opéras sur un gramophone. Les quelques photos jaunies de cette époque attestent de leur distinction. Ils avaient trois enfants, Manuel, François et Juliette. Ses parents avaient acheté à leur cadet un garage, où il travaillait quand il rencontra la jolie Irène.

Pour mieux comprendre la portée de cette mésalliance, il faut avoir à l’esprit ce que sa belle-sœur répondit à ses amis qui lui demandaient qui François allait épouser : « une bonniche ». Dans les contes de fées, les fils de rois épousent parfois les bergères mais en général, c’est parce qu’ils en sont tombés fous amoureux. Jusqu’à la fin de sa vie, ce sera d’ailleurs la seule version que ma grand-mère soutiendra.

Pourtant, les années qui suivirent ne semblent guère lui donner raison. Toujours comme dans les contes, ils auraient pu se marier, avoir de beaux enfants et vivre heureux. Mais il faut croire que ce n’était pas leur destin. A peine neuf mois après leur mariage, ma grand-mère accoucha à 19 ans de sa première fille, Juliette. Puis, trois ans plus tard, d'une autre petite fille, Pierrette, ma mère.

Mon grand-père avait déjà depuis longtemps cessé de réparer des voitures préférant les cafés et les parties de cartes avec ses copains de bamboche. Puis, début 1935, ignorant que sa femme était enceinte de ma mère, il partit en Espagne s'engager dans la guerre qui venait de commencer entre franquistes et républicains...

A suivre ...

samedi 13 avril 2013

Dos Gardenias para ti (I)


Ce 13 avril, ma grand-mère Irène aurait eu 100 ans. Mais cela fera 15 ans demain qu'elle nous a quittés. Ma grand-mère était née à Prudon, en Algérie, à l'époque où celle-ci était française. Sa famille avait quitté la province de Valencia en Espagne à la recherche d'un ailleurs plus clément. Je ne sais pas très bien ce que faisait mon arrière-grand-père, je crois qu’il allait là où l’on avait besoin de bras, d’où les fréquents déplacements de sa famille. 

Cinquième de la fratrie, ma grand-mère fut la première à naître sur cette terre d'Afrique du Nord. Il me faut ici raconter une anecdote à propos de sa naissance. Les frères et soeurs de ma grand-mère avaient tous des prénoms espagnols, Evaristo, Alejandro, Procesa et Remedios (qui plus tard, se fera appeler Raymonde). 

Elle-même aurait dû s’appeler Incarnación et ne doit son prénom qu’à l’audace de sa jeune marraine qui, chargée de la déclarer à l’état civil sous ce patronyme peu flatteur, décida au dernier moment de lui donner un prénom en vogue, Irène. Il paraît que mon arrière grand-mère, "l'abuela", connue pour être un vrai dragon, entra dans une colère folle quand elle l’apprit. 

Mais le prénom lui resta. A cette époque, dans les familles pauvres d’Algérie comme d’ailleurs, les enfants travaillaient très jeunes. Je me souviens avoir entendu ma grand-mère raconter qu’à 9 ans, elle lavait les sols (elle disait « le parterre ») chez des riches, dans une salle à manger qui lui paraissait grande comme une salle de bal. Elle eut de nombreux patrons, c’est comme ça qu’elle les désignait, les « patrons », dont certains étaient très gentils avec elle. 

Elle me racontait que l’un d’entre eux, s’étant aperçu de sa maigreur, fit apporter des huîtres à l’office rien que pour elle ! Le dernier employeur qu’elle eut avant de se marier était un dentiste d'Oran pour lequel elle faisait le ménage mais également l’accueil des patients. Dans cette grande et élégante ville, son destin aurait pu être tout autre si sa sœur ne l’avait appelée auprès d’elle lorsqu’elle accoucha de son troisième enfant, à Rio Salado.

A suivre ...

mercredi 15 février 2012

Nostalgérie (3)

Une fois n'est pas coutume, je vais emprunter les mots d'une autre pour raconter ma propre histoire. Josette C. est de la même génération que ma mère et a vécu sa jeunesse dans le même village d'Algérie qu'elle. Pendant un récent séjour chez mes parents, j'ai lu son livre de souvenirs et j'ai recopié - non sans une certaine nostalgie - les passages où elle parlait de ma famille.

Ainsi, à propos de la librairie que tenait ma grand-mère Irène : "Souvent durant ma promenade, mes pas me portaient vers la librairie de Madame Sanchez située sur le Boulevard National. Sa boutique était le palais des mirages de mon adolescence. Avant la rentrée des classes, nous allions avec quelques camarades contempler les trésors qui s'y trouvaient : les plumiers en bois à compartiments au couvercle orné de paysages, les premiers stylo-billes "Bic", les taille-crayons de différentes formes qui récupéraient les copeaux, les ardoises magiques qui s’effaçaient sans éponge, et enfin les cahiers Gallia ou Clairefontaine qui nous accompagnaient toute l'année scolaire avec au verso, les tables de multiplication. Nous prenions plaisir à caresser la première page avant de la noircir ou la bleuir avec les fameuses plumes Gauloise ou Sergent Major".

Témoignage encore plus précieux à mes yeux, Josette évoque mon arrière-grand-mère, l'abuela (prononcer l'aouéla), que je n'ai pas connue, une maîtresse femme selon la légende familiale. "Maman avait acheté au village des étoffes chez Madame Navarro et Monsieur Elbaz, négociants en tissus [...]. Habituellement, une fois les tissus choisis, notre couturière, Tia Remedios, venait à la maison pour confectionner nos tenues mais l'âge faisant, elle fut remplacée par une autre personne qui était très habile pour coudre et faire les finitions des vêtements, mais nettement moins douée pour la coupe et l'essayage."

Plus loin, elle parle d'un de mes "oncles" (en fait un cousin  par alliance de Maman) en ces termes : "En cours de chemin, je récupérais mon amie Lydia Diaz, puis nous partions pour l'école. En passant devant l'atelier de ferronnerie de son père, une gerbe d'étincelles jaillissait de la forge, éclairant par là-même son frère aîné Albert d'une auréole irréelle et magique."

Voilà, ce sont des petites tranches de vie, d'une vie simple aujourd'hui disparue mais quelle chance pour moi d'en avoir eu un petit aperçu. Merci infiniment Josette pour cet inestimable cadeau.

Sur la photo, ma grand-mère, ma mère et mon oncle dans la fameuse librairie qui faisait aussi office de bureau de tabac et "dépôt Hachette".

vendredi 30 janvier 2009

A l'ombre des jeunes filles en fleurs

La lecture récente du dernier Jonathan Coe (pas son meilleur d'après moi mais bien quand même), m'a donné l'envie de "raconter une photo". J'ai choisi celle-ci. Qu'y voit-on ? Quatre jeunes filles aux champs. Deux d'entre elles ont piqué des fleurs dans leurs cheveux. Pas d'autre indication de l'endroit où a pu être pris le cliché. D'après leurs vêtements, on situe la période autour des années 40 ou 50, ce qui peut être corroboré par le noir et blanc de la photo et le grain du papier (c'est plus facile pour moi qui ai l'original sous les yeux).

Elles ont toutes des manches longues mais retroussées et trois d'entre elles ont la tête recouverte d'un foulard ou d'un chapeau. On peut donc en déduire que la photo a été prise au début des beaux jours. Elles semblent très proches les unes les autres à la manière dont chacune passe son bras autour des épaules de sa voisine. A part celle de droite, toutes posent pour le photographe. Qui est-il justement ? Une cinquième amie, le fiancé de l'une d'elles ? Vais-je lever le voile ou non ? J'ai certaines clés mais pas toutes. Allez, j'arrête ce suspense...

Parmi ces quatre filles en fleurs, il y a ma mère. C'est la troisième en partant de la gauche et la plus jeune. Elle doit avoir 15 ou 16 ans. A sa gauche, celle qui arbore crânement un petit chapeau à la Trénet, c'est sa soeur aînée, ma tante et marraine, Juliette. La brune au foulard c'est Constance, leur cousine germaine et de l'autre côté, sa belle-soeur Maria. Pour ce qui est du photographe, je n'ai pas éclairci le mystère mais je pencherais pour Camélia, la soeur de Constance, les quatre cousines étant inséparables.

A peu près du même âge et élevées comme des soeurs, comme aime à le rappeler Maman. Toutes nées dans les années 30 en Algérie, département d'Oran. Toutes sauf Maria. Curieux destin que celui de Maria. Elle était Russe. C'est le frère de Constance et de Camélia qui l'avait ramenée "dans ses bagages" à la fin de la guerre où il avait été fait prisonnier.

Elle avait à peine 16 ans quand elle est arrivée dans ce pays qu'elle ne devait probablement même pas situer sur une carte. Elle était magnifique et il en était fou. C'est la seule à ne plus être de ce monde, elle est morte l'an dernier. Je pourrais raconter leur histoire, à chacune, du moins ce que j'en sais. Mais je préfère les garder comme ça, pour l'éternité, à ce jour et à cette heure d'un printemps algérien où tout était encore possible...