dimanche 29 octobre 2017

Mathilde Sanchez, une femme libérée

C’est comme ça que je me plais à l’imaginer. Avant de faire de la généalogie, je n’en avais jamais entendu parler. C’est pourtant la sœur cadette de mon arrière-grand-père Pierre Sanchez. Comme lui, elle est née à Béni Saf (Algérie) le 5 juillet 1881. A 19 ans, elle épouse à Oran un camionneur de cinq ans son aîné, Eugène Pointel. 

Ils se marient le 5 décembre 1900 et n’auront qu’un fils, un autre Eugène Pointel né le 30 août 1901.

Le 21 juin 1922, par jugement de divorce du tribunal civil de Tlemcen, le mariage entre Mathilde et Eugène est dissous.

Explications sur ce format particulier : j'ai choisi de participer au Généathème du mois "100 mots pour une vie".  

Sources : Anom (Archives nationales d'outre-mer)
Illustration : Pyjama années 1920 d'Edward Molyneux

samedi 19 août 2017

Prendre le frais avec Philomène

©Mdep – Fonds personnel
Le parfum envoûtant des galants de nuit flottait dans l'air. A cette heure entre chien et loup que j'affectionne tant, tournant le dos à la mer, j'empruntais l'escalier de terre rouge qui grimpe de la rue Bugeaud à la rue Chanzy.

C'est là que battait le coeur de ce coron méditerranéen dont le Gouverneur Chanzy posa la première pierre en 1874 pour abriter les familles des mineurs espagnols logées jusque-là dans des grottes à flanc de falaise. Nous étions le 1er octobre 1905 à Béni-Saf, département d'Oran, Algérie.  

J'avais rendez-vous avec elle mais elle ne le savait pas. Elle, Philomène Lucrèce Torrès, née le 12 novembre 1879 à Nerja, un village blanc d'Andalousie de la province de Malaga, au pied de la Sierra de Almijara. Une de mes arrière-grand-mères maternelles venues vivre et mourir en Oranie, cette terre nourricière accueillante à tant d'ouvriers espagnols chassés par la famine qui sévissait alors de l'autre côté de la Méditerranée.

Je savais qu'à ce moment de la journée, je la trouverais "prenant le frais" avec ses voisines sur le pas de leur maison. Même enceinte "jusqu'aux yeux*" et s'octroyant probablement sa première pause de la journée, elle profiterait des dernières lueurs du jour pour tricoter, crocheter ou même raccommoder parce qu'il faut bien "faire du neuf avec du vieux".

Et bien sûr, ce serait le moment de la tchatche entre copines tout en surveillant du coin de l'oeil la progéniture. Si on me demandait ce que je faisais là, je me présenterais comme une "Française de France" venue prendre son poste d'institutrice à l'école élémentaire en ce jour de rentrée. Mais personne ne fit aucun cas de moi.

J'observais mon arrière-grand-mère toute jolie dans sa robe fleurie, ses cheveux retenus en chignon par un peigne en écaille. Elle berçait avec son pied un landau dans lequel dormait son bébé Juliette, tout en embrassant dès qu'il passait par là un petit Manuel de trois ans. "Aïe, aïe, aïe ven aqui chiquillo que te como !". "Viens ici mon petit que je te mange" disait la maman ogre à son enfant.

Philomène s'était mariée le 20 décembre 1902 à la mairie d'Oran, où elle vivait alors chez son père laitier, avec un maréchal-ferrant de deux ans son aîné, Pierre Sanchez. Lui-même était fils de mineur, né à Béni-Saf alors que le village sortait à peine de terre. Elle avait quitté la ville pour ce gros bourg dont la population avait doublé en vingt ans grâce à l'activité minière de la compagnie Mokta-El-Hadid et au port, et qui atteindrait les neuf mille habitants en 1911 après la découverte de nouveaux gisements de fer.    

Mais déjà, le mari allait rentrer du café où il aurait fait une halte après le boulot pour se "taper l'anisette", jouer à la ronda, et tchatcher avec les copains. Pour peu qu'il se soit gavé de tramousos, de toraicos, de fèves et d'escargots au cumin à la kemia, son Pedro n'aurait plus faim alors que Philomène s'était "décarcassée" tout l'après-midi à préparer le potaje !

J'en profitais pour m'éclipser. Comme dit le proverbe de là-bas : "Toutes les bonnes choses ont une fin, même les figues du couffin"...

(*) Mon grand-père maternel François Sanchez est né le 5 octobre 1905 à Béni-Saf.

Lexique :
Ronda : jeu de cartes traditionnel d'Espagne, joué aussi en Afrique du Nord  
Tchatcher : bavarder avec animation de tout et de rien
Kemia : assortiment d'amuse-gueules accompagnant l'anisette
Tramousos : lupins cuits et passés à la saumure
Toraicos : pois chiches grillés
Potaje : sorte de potée à la viande de porc, aux haricots secs et aux blettes

Sources :
Sur la photo, Philomène pose vers 1938 avec sa belle-fille Irène, ma grand-mère, et ses petites filles Juliette, 6 ans, et Pierrette, 3 ans, ma tante et ma mère.
Etat civil : ANOM
Sur Béni-Saf : Wikipedia, Gallica (BNF) pour la presse (L'Echo d'Oran, L'Echo d'Alger, La Mekerra), et Association des Béni-Safiens
Je recommande la lecture de "L'escalier de Béni-Saf" d'Henriette Georges (Robert Laffont, 1988) 

samedi 18 juin 2016

Oran 1956

©Mdep – Fonds personnel
Une nuit où j'étais une fois de plus aux prises avec mes insomnies, je tombe par hasard sur un texte qui remue quelque chose au plus profond de moi. Et je ne suis pas la seule. En quelques semaines le billet Guérir à Oran est lu 4000 fois et partagé 400 fois sur un réseau social bien connu*. Sur sa page, son auteur, Paul, propose tous les soirs un "live" à 19 heures, heure française, 18 heures, heure algérienne, comme il aime à le rappeler à ses fidèles auditeurs qui le suivent des deux côtés de la Méditerranée.

Comme j'ai eu souvent l'occasion de le mentionner ici et ce, très tôt, mon histoire personnelle est très liée à celle de l'Algérie ou du moins de l'Algérie d'avant 1962, celle des "pieds-noirs". En écoutant les émissions de Paul qui, on l'aura compris, est plus particulièrement attaché à la ville d'Oran, j'ai repensé à cette photo.

Ce jour-là, le 14 mars 1956, il y a donc soixante ans, mes parents sont venus de Rio Salado à Oran acheter la bague de fiançailles de Maman. Oran est alors la cinquième ville de France (après Paris, Lyon, Marseille et Alger). Avec ses 286 000 habitants (recensement de 1955) elle est plus peuplée que Bordeaux aujourd'hui !

C'est un photographe de rue qui a photographié mes parents, pour le plus grand amusement des deux hommes au second plan. Un Oranais de l'époque a reconnu les petits pavés carrés au sol et les palmiers et m'a indiqué l’endroit où selon lui la photo avait été prise. Non loin du Boulevard Galliéni et du Martinez, en face duquel se tenaient plusieurs bijouteries.  

De son côté, cette photo en a rappelé  une autre à Paul, celle d'un jeune Yves Saint-Laurent - né le 1er août 1936 à Oran - en compagnie de sa mère et de sa sœur.

C'est émouvant de replonger dans ce passé. La démarche de Paul est intéressante parce que c'est la première fois à ma connaissance qu'on s'intéresse aux traces que cette histoire, souvent douloureuse pour nos parents, a pu laisser chez nous, les générations suivantes. Que faire de cet héritage ? L'ignorer, le tenir à distance, le cultiver, le chérir ? Je n'ai que ma réponse.

*J'ai décidé de ne plus le mentionner mais chacun le reconnaîtra aisément.

vendredi 17 juin 2016

Merci de votre implication

La réflexion récente d'un de mes amis sur un fameux réseau social m’inspire le billet du jour. Je le cite : "J'ai du mal à comprendre comment dans un pays qui compte plus de trois millions de chômeurs, l’Euro 2016, dont les retombées économiques sont estimées à plus d'un milliard d’euros, a été autorisé à recruter 6 500 bénévoles ! Entre bénévolat et travail dissimulé la frontière est bien mince surtout quand ces volontaires sont affectés aux fans-zones dont le principal objectif est de permettre aux sponsors de vendre boissons et produits dérivés."

Il se trouve que je bosse depuis peu dans une association organisant de grosses manifestations et que dans ce cadre, nous nous appuyons sur toute une armée de "petites mains" pendant l’événement. Actuellement, nous sommes quatre salariés dont deux en CDD (de quatre mois et d'un an) et deux stagiaires "longue durée" (quatre mois également). Je m'étais émue ici il y a quelques années de l'abus qu'on faisait de stagiaires "kleenex" dans les entreprises.

Le législateur s'en est mêlé qui nous a pondu un texte (loi du 10 juillet 2014 entrée en application le 29 octobre 2015), initiative, comme l'enfer, pavée de bonnes intentions... Que dit la loi ? 
Que le nombre de stagiaires dont la convention de stage est en cours pendant une même semaine civile ne peut excéder 15% de l'effectif pour les organismes d'accueil de vingt salariés ou plus, et trois pour ceux inférieurs à vingt. Personnellement, je ne vois rien à redire tant il y a eu d'abus en la matière.

Mais il se trouve que nous organisons une manifestation très prochainement pour laquelle nous attendons 500 000 personnes pendant quatre jours. Nous avons donc fait appel à vingt-cinq intérimaires (payés au Smic) mais le compte n'y était pas. Et c'est là qu'est intervenu un sous-traitant payé pour nous trouver ... des bénévoles ! Dont certains stagiaires qui ne sont plus considérés comme tels puisque la loi ne l'autorise plus. Bien sûr, tout ce petit monde ne peut être rémunéré ni gratifié d'aucune manière pour ne pas attirer les foudres de l'inspection du travail. Il n'a pourtant pas été difficile d'en trouver une soixantaine pour travailler à l’œil... 

Et je ne parle là que de l'organisation, pas des exposants qui ont eux-mêmes leur propres bataillons de "volontaires". Puisque c'est la saison, comme sujet de bac, je proposerais bien à nos lycéens : "Quelle valeur nos sociétés modernes accordent-t-elles au travail de nos jours ?"

dimanche 12 juin 2016

Un si long silence

Bo Bartlet
Eh oui, me revoilà. Aujourd'hui, j'ai rendez-vous avec vous, avec moi, avec ce blog trop longtemps abandonné. Et il me semble que je vous doive quelques explications,
Après une période assez longue passée en tête à tête avec moi-même, j'ai ressenti un besoin urgent de vie sociale. Et je me suis persuadée que celle-ci passait forcément par un job, n'importe quel job. Grave erreur.

Depuis bientôt quatre mois, je travaille dans une association événementielle dans laquelle je suis rentrée à la fois par hasard et par la petite porte. Quatre jours par semaine et quinze minutes de trajet en tram de chez moi, le compromis me paraissait intéressant. Même si le poste ne correspondait pas à mes compétences et que le salaire était inférieur à ce que je touchais au chômage, je pensais avoir fait le bon choix. J'avais oublié que l'absence d'ambiance et le manque d'intérêt pour son travail font qu'on puisse se sentir certes occupé mais aussi très malheureux...

J'ai surtout réalisé que si je n'avais pas un boulot très stressant, il m'ôtait une bonne part d'énergie que j'aurais préféré occuper à autre chose.Quand j'ai dû quitter mon précédent emploi, il y a bientôt deux ans pour des raisons que j'ai expliquées ici, je me suis lancée à fond dans la généalogie. Cette passion dévorante (il m'est arrivé d'y passer huit heures par jour comme un vrai job !) a donné naissance à un nouveau blog dont le succès m'a du reste étonnée.

N'ayant plus assez de temps à consacrer à mes recherches, la source d'inspiration s'est du même coup tarie. De même, je me suis rendu compte que j'avais de moins en moins de plaisir à aller au yoga, à lire, à écrire ou à téléphoner à mes amis et que sitôt le dîner expédié, je m'affalais comme une larve devant la télé.

C'est une réflexion récente de mon mari qui m'a servi d'aiguillon. Alors que je finissais comme tous les vendredis la grille de mots croisés de Télérama, il me fit remarquer ironiquement : "Ben, l'avantage de ton job, c'est que tu n'uses pas ton cerveau !" Et voilà comment j'ai décidé de me secouer les puces, de me remettre à l'écriture et de me servir de cet espace pour réveiller mes petites cellules grises (merci Hercule Poirot !) assoupies... 

mardi 27 janvier 2015

Nuit et brouillard


Fin 2003, voilà ce que j'écrivais dans mon journal. Je retiendrai de cette année un moment fort : mon voyage en Pologne au mois de mai, et la visite du camp d’Auschwitz Birkenau. Je regrette de ne pas avoir noté mes impressions à chaud mais j’étais en voyage de presse et il m'était difficile de m’isoler. Que dire ? On touche là au plus noir de l’âme humaine.

Ce qui m’a le plus impressionnée c’est la façon méthodique avec laquelle les nazis ont planifié l’extermination de tout un peuple. Voir sur le mur cette immense carte de l’Europe avec en son centre précis ce point, Auschwitz, vers lequel tous les convois devaient converger m’a fait toucher du doigt toute l’horreur de ce génocide programmé de la façon la plus cynique. Je garde aussi le souvenir d’une jeune lycéenne allemande penchée à une fenêtre du bâtiment en face de celui que nous visitions, pleurant à chaudes larmes.

Sans faire de prosélytisme et malgré mes propres réticences au départ, je pense que chacun devrait se rendre une fois dans sa vie à Auschwitz. J’ai lu en rentrant de Pologne tout ce que je trouvais sur le sujet, de façon quasi compulsive : « Inconnu à cette adresse » de Taylor-Kreissmann, le livre de Geneviève de Gaulle-Anthonioz où elle raconte son internement à 20 ans à Ravensbrück, ou bien "L'écriture ou la vie" de l’espagnol Jorge Semprun, écrit dès son retour de Buchenwald. Mais si l'on doit n'en lire qu'un, alors c'est « Si c’est un homme » de Primo Levi. Bouleversant. Indispensable. Inoubliable.

Aujourd'hui, j'ai suivi pendant un moment sur France 2 la retransmission de la cérémonie commémorative du 70e anniversaire de la libération d'Auschwitz Birkenau. On aimerait croire en la formule bien galvaudée depuis, prononcée tout de suite après la guerre, "Plus jamais ça". Oui, on aimerait ...

lundi 4 août 2014

Lettre ouverte à mes (ex) collègues

Cela fait deux ans, presque jour pour jour, que je suis arrivée à S. Je n'y étais jamais venue auparavant, j'ai tout de suite été séduite par la lumière de la ville, son atmosphère, ce côté méridional à laquelle la fille du Sud que je suis ne pouvait qu'être sensible...

Je venais remplacer au pied levé le rédacteur en chef du magazine municipal. Quelques mois plus tard, j'étais de retour. Cette fois, c'était l'hiver, le fleuve sortait de son lit et, à la mairie, la traditionnelle cérémonie des vœux battait son plein. Je me sentais déjà des vôtres, loin d'imaginer que ce serait bientôt le cas. 

A la faveur du départ, cette fois définitif, de mon prédécesseur, je postulais à son remplacement et fus choisie parmi six candidats. Du jury de sélection, il ne reste plus grand monde mais jamais je ne les remercierai assez de m'avoir fait confiance.

Quinze mois, quelques dizaines de communiqués de presse, six magazines municipaux, autant de journaux internes et des tas de réunions après, me voilà sur le point de partir. Au delà de ce que qu'a été mon quotidien et que résume la petite énumération ci-dessus, ce que je retiens par dessus tout c'est l'aventure humaine que j'ai vécue parmi vous.

Je suis arrivée sans rien connaître ou presque d'une collectivité. Avec vous, j'ai découvert combien ce milieu pouvait être passionnant. J'ai rencontré des collègues motivés pour la plupart, pointus dans leur domaine, et surtout soucieux du bien public (et non, les fonctionnaires ne sont pas tout des fainéants !). 

J'ai aussi rencontré des élus qui, là aussi dans leur grande majorité, avaient le sens du devoir qu'implique leur mandat et le respect du travail des agents, même si tout n'était pas rose tous les jours (sans mauvais jeu de mot...). Je pensais qu'ils étaient tous comme ça. Je me trompais.

La vague bleue des dernières élections municipales les a balayés. Bien que contractuelle avec une échéance proche, je ne me suis pas sentie tout de suite menacée. Je pensais naïvement que mon travail plaiderait pour moi. Là aussi, je me trompais. Je me console en me disant que s'ils n'ont pas cherché à me connaître, je n'ai pas perdu grand chose à ne pas les avoir connus davantage.

J'aurais tant voulu que cette belle aventure se poursuive. Même s'il m'est arrivé de m'agacer, de râler, de tempêter, j'ai vraiment eu du plaisir à franchir chaque jour les portes de la mairie. J'emporte dans mes valises un petit bout de S. et dans mon cœur, un peu de chacun de vous... 

Je conclurai ce message par cette phrase de Paulo Coelho : "Rien dans ce monde n'arrive par hasard".

lundi 29 avril 2013

Dos Gardenias para ti (V)

Je m'aperçois que si j'ai un peu raconté la vie de ma grand-mère, j'ai très peu parlé d'elle. Ce n'est pas chose facile que d'évoquer les personnes qui vous sont chères, je vais m'y essayer même si la mémoire est forcément sélective et l'amour, un filtre à l'objectivité...

Ma grand-mère et moi avons toujours eu des relations privilégiées, j'étais sa première petite-fille et pendant une dizaine d'années, la seule au milieu de trois garçons. L'année de mes 18 ans, j'ai passé un mois avec elle à Alicante, j'ai raconté ici un jour une anecdote qui donne une idée de quel genre de grand-mère elle était. Plus tard, elle est souvent venue me voir à Paris quand j'étais célibataire, un peu moins quand j'ai fondé une famille.

Le principal trait de caractère qui me vient à l'esprit quand je pense à elle, c'est sa drôlerie. Elle est sans doute la personne au monde qui m'a fait le plus rire. Elle racontait tout le temps des blagues, souvent en espagnol, pas toujours très fines mais qu'elle mimait avec tellement de grâce et de malice qu'elles en étaient irrésistibles. Irène n'avait pas fréquenté l'école, elle était presque illettrée, et lisait surtout l'Almanach Vermot.

J'ai gardé une boîte sur le couvercle de laquelle on peut lire en écriture bâton : "les foulare". Moi qui suis une maniaque de l'orthographe, je suis toujours émue quand je tombe par hasard sur cette inscription malhabile, et qui me fait mesurer ma chance d'être instruite. Elle pouvait s'avérer dure aussi. Maman a passé trois ans dans la classe de certificat d'études en attendant l'âge légal (14 ans à l'époque) de quitter l'école.

Son institutrice avait intercédé auprès de ma grand-mère pour qu'elle parte au lycée d'Oran et devienne boursière. Mais Irène n'avait rien voulu savoir. Un jour où adolescente, je lui "demandais des comptes" face à ce qui me semblait une injustice profonde, elle s'écria : "Mais ta mère c'était ma tête, mes bras, j'avais trop besoin d'elle au magasin, je ne pouvais pas la laisser partir !".

Quand j'allais voir ma grand-mère dans sa maison de Bernis, je faisais l'esthéticienne pour elle. Je lui enlevais les points noirs, les poils superflus, lui faisais un "nettoyage de peau" au citron et à l'huile d'olive. Elle se laissait aller, et me murmurait : "Que manos mas dulces..."

Ma grand-mère avait une très jolie voix, cristalline, juste. J'adorais quand elle chantait "Besame, besame mucho" ou "Dos Gardenias para ti". La première fois, quelques années après sa mort, où j'ai entendu la grande chanteuse cubaine Omara Portuando l'interpréter avec le Buena Vista Social Club, je me suis surprise à pleurer toute seule devant ma télé. Aujourd'hui encore, l'écouter me fait le même effet ...

Fin

jeudi 25 avril 2013

Dos Gardenias para ti (IV)

La petite fille, c'est moi !
Après la disparition de François, Irène hésita à rejoindre Raymonde à Paris. Procesa, la sœur si proche et si présente, était morte à 43 ans d’un cancer, suivie de ses parents en 1952 et 1954, Irène avait la quarantaine et plus grand chose ne la retenait dans cette Algérie qui commençait à s'agiter.  Maman, qui avait 18 ans à la mort de son père, a toujours pensé que la famille aurait pu alors repartir d’un bon pied. 

Mais ma grand-mère prit tout le monde de court en se remariant très vite après son veuvage à Antonio, le parrain de Petit Pierre. Par la suite, il deviendrait pour nous, les petits-enfants, "Pépé Antoine". Plus âgé qu’Irène de quatorze ans et somme toute assez ennuyeux, il représentait pour elle la sécurité car il avait de l’argent et des biens. Chose qui ne leur servit pas tellement par la suite : étant sujet espagnol, il ne put prétendre à aucune indemnisation de la part de l'état français après l’indépendance

Ses deux filles mariées et vite mamans, Irène quitta l'Algérie comme tant d'autres au début des années 1960 et s'installa avec Antoine et Petit Pierre dans un petit village du Gard. Cette maison est indissociable de mon enfance. Nous y passions une partie des vacances, et j'ai des souvenirs de noëls où tout le monde chantait. Que de fous rires lorsque nous nous lancions dans des canons sous la direction de mon père !

Quant à mon cousin Francis, il rentrait de son pensionnat avec toujours quelques bonnes blagues à raconter. De temps en temps, on nous expédiait mon frère, mon cousin Jean-Mi et moi à la "remise" où nous inventions toutes sortes de jeux idiots comme tous les enfants de ma génération ont pu en faire, loin des yeux de parents bien contents de ne pas nous avoir dans les pattes.

Les soirs d'été, nous prenions le frais dehors, comme "là-bas". Mes grands-parents avaient également un grand appartement à Alicante, où ils passaient une partie de l'année et où nous allions parfois les retrouver l'été. En 1972, Antoine mourut, et Irène se retrouva une fois de plus seule et maîtresse de sa vie ...  
A suivre ... 

jeudi 18 avril 2013

Dos Gardenias para ti (III)


Pour subvenir à ses besoins et à ceux de son bébé, en l’absence de son mari, Irène s'installa chez sa sœur Procesa et confia Juliette à ses grands-parents paternels jusqu'à ses 6 ans. Ma grand-mère fit alors preuve d’une hardiesse incroyable pour l’époque quand, apprenant un jour qu’une petite épicerie était à vendre, elle prit son courage à deux mains et alla trouver son beau-père dans un café où il faisait une partie de cartes ou de dominos.

En ce temps-là, les femmes n’entraient pas dans ces lieux réservés aux seuls hommes. Mon arrière-grand-père était un homme juste, il l’écouta et lui prêta la somme nécessaire. A partir de ce jour-là, et bien qu’elle travaillât tous les jours par la suite, sa vie changea. Un jour, François finit par rentrer. Son retour tenait du miracle, ma grand-mère ayant dû lui envoyer un mandat à Marseille pour qu’il puisse prendre le bateau. Il était déjà brûlé par l’alcool et la cigarette dont il mourra prématurément en 1953 à l’âge de 48 ans.

Pour l’heure, il était bien là, reprenant sa vie de débauché, sans travailler, se servant dans la caisse de l’épicerie, puis de la librairie. En 1940, ma grand-mère avait en effet acheté sa librairie Hachette et bureau de tabac qui devait la rendre si populaire parmi les Saladéens, puis plus tard les militaires (dont mon père) venus acheter journaux et cigarettes. Irène trouva alors dans son commerce une consolation à ses soucis personnels.

En octobre 1943, malgré sa mauvaise santé, mon grand-père donna un autre enfant à sa femme, ce garçon tant voulu par Irène, et qu'elle appela Pierre. Séparé de 11 et 8 ans de ses grandes sœurs Juliette et Pierrette, et portant le même prénom que son grand-père paternel, il devint pour tous « Petit Pierre » et reçut pour parrain un homme qui devait avoir son importance par la suite, un métayer espagnol, ami de François mais plus sérieux, prénommé Antonio.

A suivre ...

dimanche 14 avril 2013

Dos Gardenias para ti (II)



Irène avait 17 ans, elle était très belle, et c’est comme ça que le beau François la remarqua. Contrairement à ceux d'Irène, ses parents étaient ce qu'on pourrait qualifier de nantis. Eux aussi d'origine espagnole mais d'Andalousie, ils étaient tous les deux nés en Algérie, lui en 1877 et elle en 1879, et faisaient partie de ces colons qui vivaient confortablement dans ce département français d’outre-mer. 

Mon arrière-grand-père était courtier en vin et possédait également à Rio Salado un dépôt de carburant. Maman se souvient que chez eux, on écoutait de la grande musique et des airs d’opéras sur un gramophone. Les quelques photos jaunies de cette époque attestent de leur distinction. Ils avaient trois enfants, Manuel, François et Juliette. Ses parents avaient acheté à leur cadet un garage, où il travaillait quand il rencontra la jolie Irène.

Pour mieux comprendre la portée de cette mésalliance, il faut avoir à l’esprit ce que sa belle-sœur répondit à ses amis qui lui demandaient qui François allait épouser : « une bonniche ». Dans les contes de fées, les fils de rois épousent parfois les bergères mais en général, c’est parce qu’ils en sont tombés fous amoureux. Jusqu’à la fin de sa vie, ce sera d’ailleurs la seule version que ma grand-mère soutiendra.

Pourtant, les années qui suivirent ne semblent guère lui donner raison. Toujours comme dans les contes, ils auraient pu se marier, avoir de beaux enfants et vivre heureux. Mais il faut croire que ce n’était pas leur destin. A peine neuf mois après leur mariage, ma grand-mère accoucha à 19 ans de sa première fille, Juliette. Puis, trois ans plus tard, d'une autre petite fille, Pierrette, ma mère.

Mon grand-père avait déjà depuis longtemps cessé de réparer des voitures préférant les cafés et les parties de cartes avec ses copains de bamboche. Puis, début 1935, ignorant que sa femme était enceinte de ma mère, il partit en Espagne s'engager dans la guerre qui venait de commencer entre franquistes et républicains...

A suivre ...

samedi 13 avril 2013

Dos Gardenias para ti (I)


Ce 13 avril, ma grand-mère Irène aurait eu 100 ans. Mais cela fera 15 ans demain qu'elle nous a quittés. Ma grand-mère était née à Prudon, en Algérie, à l'époque où celle-ci était française. Sa famille avait quitté la province de Valencia en Espagne à la recherche d'un ailleurs plus clément. Je ne sais pas très bien ce que faisait mon arrière-grand-père, je crois qu’il allait là où l’on avait besoin de bras, d’où les fréquents déplacements de sa famille. 

Cinquième de la fratrie, ma grand-mère fut la première à naître sur cette terre d'Afrique du Nord. Il me faut ici raconter une anecdote à propos de sa naissance. Les frères et soeurs de ma grand-mère avaient tous des prénoms espagnols, Evaristo, Alejandro, Procesa et Remedios (qui plus tard, se fera appeler Raymonde). 

Elle-même aurait dû s’appeler Incarnación et ne doit son prénom qu’à l’audace de sa jeune marraine qui, chargée de la déclarer à l’état civil sous ce patronyme peu flatteur, décida au dernier moment de lui donner un prénom en vogue, Irène. Il paraît que mon arrière grand-mère, "l'abuela", connue pour être un vrai dragon, entra dans une colère folle quand elle l’apprit. 

Mais le prénom lui resta. A cette époque, dans les familles pauvres d’Algérie comme d’ailleurs, les enfants travaillaient très jeunes. Je me souviens avoir entendu ma grand-mère raconter qu’à 9 ans, elle lavait les sols (elle disait « le parterre ») chez des riches, dans une salle à manger qui lui paraissait grande comme une salle de bal. Elle eut de nombreux patrons, c’est comme ça qu’elle les désignait, les « patrons », dont certains étaient très gentils avec elle. 

Elle me racontait que l’un d’entre eux, s’étant aperçu de sa maigreur, fit apporter des huîtres à l’office rien que pour elle ! Le dernier employeur qu’elle eut avant de se marier était un dentiste d'Oran pour lequel elle faisait le ménage mais également l’accueil des patients. Dans cette grande et élégante ville, son destin aurait pu être tout autre si sa sœur ne l’avait appelée auprès d’elle lorsqu’elle accoucha de son troisième enfant, à Rio Salado.

A suivre ...

jeudi 11 avril 2013

Un rêve étrange et pénétrant

En général, je n'aime pas que l'on me raconte un rêve. Je parle là des rêves quand on dort, bien sûr. Ceux que le Petit Larousse définit ainsi : "Production psychique survenant pendant le sommeil et pouvant être partiellement mémorisé."

Ma mère adore interpréter les rêves, elle a sur sa table de nuit un petit livre titré "La clé des songes", sorte de lexique associant un mot à une interprétation. Comme par exemple, rêver que l'on perd une dent est censé annoncer une mort. Avant d'écrire ce billet, je me suis promenée sur la toile où les sites sur le sujet sont légion et plus ou moins farfelus.

Là n'est pas mon propos. Je voulais parler ici d'un rêve récurrent pour ne pas dire le seul rêve dont je me souvienne au réveil, toujours le même avec des variantes. Je me rends quelque part sans problème, et au retour, je ne retrouve pas mon chemin. Si je suis dans un cadre urbain - je rêve souvent de grandes cités dortoirs ou de villes nouvelles - soudain, les rues, les cages d'escalier, les escalators se ressemblent tous. Si je suis à la campagne, une falaise que je n'avais pas vue à l'aller se dresse devant moi et m’empêche d'avancer. Je n'ai pas l'impression de paniquer, non, juste de devoir trouver un autre moyen de rentrer et ce, pendant ce qui me semble durer des heures.

Si je raconte cela aujourd'hui, c'est qu'hier, pour la première fois, je me suis perdue non pas au retour mais à l'aller. J'avais une adresse, une heure de rendez-vous, celui-ci était important pour moi, j'avais préparé à l'avance mon itinéraire mais le moment venu, impossible de m'orienter. Je me suis réveillée avant de savoir si j'étais finalement arrivée à bon port. Cette fois, nul besoin de livre ou de site pour interpréter ce que mon inconscient m'a soufflé. Je suis en passe de changer encore une fois de vie professionnelle - j'y reviendrai - c'est un gros challenge pour moi à ce stade de ma vie, et un rendez-vous à ne manquer sous aucun prétexte...


jeudi 7 février 2013

Epreuves écrites

Ça fait tellement longtemps que je ne suis pas venue ici, je me sens toute empruntée. Je fais d'abord un tour chez les copinautes, selon le joli mot de ma chère Marie-Ange, chez qui tout est si joli .... Je vois que Liwymi n'écrit plus rien, que Mab est toujours là, fidèle au poste avec ses petits riens de tous les jours qui nous la rendent si précieuse. Heure-bleue rouspète toujours un peu, Valérie raconte toujours aussi bien, tiens, Hermione est revenue.

J'adore ce qu'elles écrivent ces deux-là. On a le même âge, des enfants du même âge, on ne se connaît pas pour de vrai, comme on disait quand on était petites mais j'ai l'impression que je les connais depuis toujours. Ce qu’Hermione dit de ce petit garçon frigorifié dans son anorak trop mince croisé un matin glacial d'hiver, oh comme j'aimerais l'avoir écrit ! C'est simple, c'est beau...

Quand je vois tout ce qui se publie de nos jours, nul, mal écrit, bâclé, facile, pourquoi les éditeurs ne se baladent-ils pas plus souvent sur les blogs ? Mais je m'égare. Et toi, me direz-vous ? Qui, moi ? Oui, toi la paresseuse, es-tu atteinte du syndrome de la page blanche ? Non, même pas. Au contraire, j'écris de plus en plus, mon écran est devenu mon horizon, les touches de mon clavier un prolongement de mes doigts.

Mais j'écris sur commande, des articles, des contenus, comme on dit maintenant, du bien calibré, 1500-signes-espaces-compris-hors-titres-et-intertitres, 625 mots, pas un de plus pas un de moins. Une pisse-copie. Parfois à la faveur d'une mission plus intéressante, me voilà parachutée rédactrice-en-chef, dirigeant du bout de mon crayon rouge un orchestre de pigistes, d'infographistes, de photographes.

Ou bien, tâchant de réécrire en bon français des traductions de textes anglais. Bref, écrire est devenu mon gagne-pain (et il faut beaucoup de textes de 1500 signes croyez-moi, pour gagner son pain quotidien ...). Alors, ne m'en voulez pas si le soir, j'ai du mal à venir ici vous lire, vous commenter ... et écrire juste pour vous.   

lundi 10 décembre 2012

Pinterestez-vous ?

Voilà. J'ai une copine qui commence tous ses mails comme ça : voilà, ou variante, alors voilà. Ça m'amuse toujours, je me revois gamine dans la cour de récré quand on formait un cercle autour d'une camarade qui avait une information de la plus haute importance à nous communiquer. Nous prenions des airs de conspiratrices et buvions les paroles de celle par qui la combine, le scoop ou le potin nous parvenait. Alors voilà. Aujourd'hui, je partage avec vous une grande nouvelle, ma dernière trouvaille, mon hobby du moment : Pinterest.

Dans mon précédent billet, je vous disais que je passais beaucoup de temps sur Facebook mais, comme dans la pub, ça c'était avant. Oui, je sais, que celles et ceux qui sont mes "amis" ne me dénoncent pas, j'y suis encore pas mal. Soit. Mais nettement moins depuis que je n'y suis plus maîtresse chez moi. Depuis quelques semaines en effet, ce réseau social de plus en plus intrusif, me guette et relaie en mon nom des publications sans que je ne lui ai rien demandé. Rédhibitoire.

Et c'est là que j'ai découvert Pinterest dont l'esprit de partage n'est pas sans me rappeler la blogosphère. Là, ce ne sont pas des billets d'humeur, des chroniques du quotidien, des compte-rendus d'expositions, non, ce sont des images : coups de cœur pour un artiste, photos de voyages, nouvelles tendances, vous "épinglez" sur votre tableau, non plus en liège mais virtuel, tout ce qui vous plaît. Et vous partagez. Vous piquez aussi chez les autres et réciproquement, en toute convivialité.

En découvrant Pinterest, j'ai pensé à elle qui me demandait toujours pourquoi je ne mettais pas plus de photos de voyages sur mon blog, à elle et ses amis dont l'univers me fait toujours rêver, à elle dont j'ai repris un thème chez moi, à elle chez qui j'ai souvent eu envie de m'arrêter ...
Peut-être d'ailleurs, certains d'entre vous sont-ils déjà sur Pinterest ? C'est un peu le sens de ce billet. Alors voilà, faites-moi le grand plaisir de venir me retrouver là. Et qui sait, peut-être ce soir, aurai-je réussi à vous épingler ?

lundi 8 octobre 2012

Facebook m'a tuer

Chers lecteurs fidèles, cher public de passage,
Je prends la parole, une fois n'est pas coutume, pour me plaindre du traitement dont je suis victime de la part de l'auteure de mes jours. Voici quelques mois, celle-ci avait pourtant célébré en grandes pompes mon cinquième anniversaire, et m'avait même donné pour l'occasion un petit frère alors que je n'en demandais pas tant. Et puis, depuis trois mois, plus rien. Je suis devenu une page blanche, un laissé pour compte, un blog en jachère, mes posts restant inexorablement poste restante ...

J'ai mené ma petite enquête car enfin, je la voyais bien du coin de mon écran continuer à taper sur le clavier de son ordinateur voire même à tapoter de manière compulsive sur le modèle réduit qu'elle tient en permanence dans sa main. Pourquoi continuait-elle à écrire partout sauf chez moi ?

A force de me dévisser la tête et d'aller voir dans les coins de ce truc qu'on appelle Windows - et qui porte bien son nom -, j'ai fini par repérer mon rival. Cet impudent se nomme Facebook et claironne partout qu'il fédère désormais un milliard d'individus dans le monde, ce qui le placerait en 3è position des pays les plus peuplés de la planète s'il en était un, de pays.

Tout ce qu'elle gardait pour moi auparavant, ses sautes d'humeur, ses coups de cœur et ses coups de gueule, ses chroniques d'ici et d'ailleurs, elle préfère maintenant les confier à son "mur". Elle montre ses photos, partage ses trouvailles, rebondit sur son "fil d'actualité", se met en scène dans son "journal", change son "profil" comme de tenue ... et parle en direct ou en différé à des "amis" qu'elle avait perdus de vue pendant des années, ce qui ne semblait pas l'empêcher de vivre jusque là.

Mais voilà, elle est toute contente aujourd'hui de les avoir retrouvés par la magie de ce machin qui prétend créer du lien entre des gens qui sont à des milliers de kilomètres les uns des autres. Oui, je suis amer et je sens que je ne peux pas lutter. Il me reste l'espoir qu'un jour elle finisse par se fatiguer et me revienne ... Et encore, j'ai de la chance, elle ne s'est pas mise à gazouiller !

mercredi 27 juin 2012

Prête-moi ta plume

Récemment, j'ai déjeuné avec une blogueuse gastronomique. J'ai rencontré Anne lors d'un petit-déjeuner thématique organisé par mon association de communicants et j'avais bien aimé son "pitch" comme on dit dans les milieux branchouilles. En clair, il s'agit d'expliquer brièvement et de façon percutante l'objectif de son projet. Le sien était : "Répondre à la question existentielle que se posent toutes les mamans : qu'est-ce que je vais bien pouvoir leur faire à manger ?"

Pendant notre déjeuner, elle m'en a dit un peu plus. Quand ses enfants étaient petits, ils avaient un problème alimentaire et c'était un véritable casse-tête pour elle de cuisiner pour eux. Alors elle a commencé par fréquenter les forums de parents connaissant les mêmes difficultés, et de fil en aiguille, elle s'est mise à proposer ses propres recettes. Son blog, commencé en 2005, reçoit aujourd'hui 17000 visites par jour !

Quand je pense que "A mesure" en totalise 18000 depuis sa création ... (soupir). Il a été élu par ELLE meilleur blog dans la catégorie cuisine en 2008 mais cette reconnaissance ne lui est pas monté à la tête. Ça m'intéresse toujours de connaître la genèse d'un blog. Je ne crois pas avoir eu l'occasion de raconter ce qui m'a conduite à commencer le mien. Fin 2006, je mettais un terme à l'aventure de ma "petite entreprise" créée dix ans plus tôt. Elle m'avait permis de gagner correctement ma vie et de m'occuper de mes enfants en travaillant de chez moi.

Et puis, la crise (déjà !) avait mis un frein à mes activités. Il devenait de plus en plus dur de fidéliser des clients, j'étais fatiguée de batailler seule, et mes enfants devenus de grands ados avaient un peu moins besoin de ma présence rassurante au quotidien. J'avais alors rencontré un conseiller d'une de ces boîtes privées qui vous accompagnent dans votre "évolution professionnelle".

Sans aucun tact, il m'avait assené : "Madame, vous cumulez trois handicaps, vous travaillez dans un secteur sinistré (sic), la communication, vous avez été indépendante pendant dix ans ce qui va affoler les recruteurs, et - me portant l'estocade - vous avez plus de 45 ans". Puis, disséquant mon CV, il avait ajouté : "Vous dites que vous avez des qualités rédactionnelles avérées, prouvez-le, je ne sais pas moi, écrivez un blog !".

Et voilà comment, un jour de mars 2007, un peu vexée et pour répondre à un goujat qui m'avait défiée, je me suis lancée. Et pour vous, comment tout cela a-t-il commencé ?    

mardi 19 juin 2012

Bernis, son clocher, ses platanes, son député FN

Quand ma grand-mère a quitté l'Algérie en 1962 au moment de l'indépendance, son deuxième mari et elle ont acheté une maison à Bernis dans le Gard. C'était une maison biscornue, au cœur de ce village comme il en existe tant dans le midi de la France, de ceux qui ont l'air de tout le temps faire la sieste à l'ombre des platanes.

J'ai des souvenirs d'enfance et d'adolescence liés à cette maison qui, l'été, parvenait à rester fraîche grâce à l'épaisseur de ses murs. J'entends encore mon grand-père nous crier "La porte !" quand on avait le malheur de la laisser ouverte car il avait une sainte horreur des mouches. Le soir, nous "prenions le frais" sur le pas de la porte. Pour ma grand-mère, ma mère et ma tante, c'était encore un peu "comme là-bas" ...

En 1974, mon frère et moi avions trouvé dans la poche d'une veste de ma grand-mère tous les bulletins de vote des candidats à la présidentielle pour lesquels elle n'avait visiblement pas voté. Parmi eux, ceux d'un certain Jean-Marie Le Pen. C'est avec un certain soulagement que ma jeune conscience politique avait pris note que, contrairement à ses voisines, ma grand-mère ne s'en laissait pas conter par cet affreux borgne raciste et démagogue.

Ses voisines, je ne les aimais pas beaucoup. Certaines venaient du même village d'Algérie qu'elle, d'autres étaient là depuis toujours mais ensemble, elles formaient une sacrée bande de commères. A l'époque, il y avait eu un énorme scandale quand la mère d'une de mes copines du village s'était enfuie avec un Arabe. Je ne sais pas ce qui choquait le plus ces cancanières, que cette mère de quatre enfants ait pu les abandonner ou qu'elle ait jeté l'opprobre sur la communauté pour un moins que rien d'arabe. Racisme ordinaire.

Ma mère et ses frères ont vendu la maison de Bernis à la mort de ma grand-mère en 1998. Je n'y suis jamais retournée. A seulement une dizaine de kilomètres de Nîmes, la commune a poussé comme un champignon pour atteindre 3000 habitants aujourd'hui. Dimanche, la moitié d'entre eux a permis à l'avocat parachuté Gilbert Collard d'entrer à l'assemblée nationale sous l'étiquette hypocrite de Rassemblement Bleu Marine, et d'y porter les "valeurs" nauséabondes du FN. Bernis, je ne te dis pas merci.             

mardi 12 juin 2012

Lieux de mémoire

Récemment, Un carnet dans ma valise a franchi le cap des 1000 pages vues. Débuts timides mais encourageants pour ce nouveau blog commencé voici trois mois. Petit rappel pour ceux qui auraient raté le début, j'ai eu l'idée de cette compilation de souvenirs de voyages à mon retour d'une aventure peu ordinaire. 

Fin février, j'ai accompagné un voyage de presse au Tchad dans des circonstances exceptionnelles et j'ai réalisé que si je n'en faisais pas le récit tout de suite, là, à chaud, moi-même j'aurais des doutes plus tard sur la véracité de certaines anecdotes.

Poussant ma réflexion un peu plus loin, j'ai pensé à tous ces voyages que j'avais été amenée à faire depuis une trentaine d'années, certains à titre personnel, d'autres dans un cadre professionnel, et pour lesquels j'avais pris des notes dans ces fameux petits carnets que je mettais dans ma valise avant de partir (il m'est arrivé d'en acheter sur place comme au Sri Lanka où j'ai écrit sur du papier fait en bouse d'éléphant séchée !). Et cela a donné ce blog.

La démarche peut paraître déconcertante et l'est assurément si j'en juge par le peu de commentaires que je reçois. C'est toujours un peu frustrant de savoir que les visiteurs passent, lisent, en pensent forcément quelque chose mais ne s'expriment pas. Je sais aussi d'expérience qu'un blog doit trouver son public et que plus il est "pointu" plus cela prend du temps. Il se peut aussi qu'il ne présente pas ou peu d'intérêt.

Personnellement, il m'arrive aussi d'en lire et de ne pas commenter tout simplement parce que ça ne me parle pas et que je ne vois rien à en dire. C'est aussi une leçon d'humilité que de choisir ce mode d'expression même si d'aucuns y verraient plutôt du nombrilisme. Depuis peu, j'ai découvert les statistiques de fréquentation du blog.

C'est amusant de lire la provenance des visiteurs et les mots-clés qui les ont conduits à cette page. Ainsi, sur le Carnet, j'ai eu 109 "clics" russes ce qui me plonge dans un abîme de perplexité. Je n'écris pas en cyrillique et nulle part, je n'y évoque la Russie ! Plus sérieusement, ce qui m'intéresse dans cet exercice, c'est de noter l'évolution  géopolitique d'un pays.

Ainsi, en relisant mon carnet syrien de 1995, ai-je été frappée de voir que la plupart des germes de l'horreur de la situation actuelle en Syrie étaient déjà là en filigrane. Au fond, peu importe qu'un blog soit lu ou pas, commenté ou non, l'essentiel n'est-il pas qu'il conserve une part de notre mémoire collective ?    

mardi 29 mai 2012

Ne manquez pas le prochain épisode (II)

Comme je l'écrivais dans mon précédent billet, je pense que le moment où il est devenu très chic de suivre une série télé a coïncidé avec l'arrivée de Friends. Même Télérama était dithyrambique, c'est dire. Je n'étais pas vraiment dans la cible selon les publicitaires, puisque déjà jeune maman, mais cette histoire de 6 colocs trentenaires de Manhattan m'était plutôt sympathique même si les rires en boîte me tapaient un peu sur le système.

Pendant quoi, 10 ans ? - nous avons vécu en symbiose avec Phoebe la foldingue, Rachel la fille à papa immature, Monica la-première-de-la-classe (qui annonçait déjà Bree van de Kamp), Ross le bonnet de nuit, Chandler le roi des vannes vaseuses et Joey, le neuneu si drôle. Curieux phénomène que cette série qui a fédéré les générations à tel point que ma fille en connaît aujourd'hui les répliques par cœur.

Puis, il y eut les dimanches soirs en famille devant Urgences à ne rater sous aucun prétexte. J'ai néanmoins lâché au bout de quelques saisons, les personnages principaux abandonnant le Cook County les uns après les autres, il me semble me souvenir que je suis restée fidèle jusqu’au départ de John Carter. J'ai néanmoins eu l'immense plaisir de retrouver depuis une vieille amie perdue de vue quelque 10 ans plus tôt.

Toujours à Chicago, Carol Hattaway a perdu ses cheveux frisés et ses improbables bonnets, et a troqué sa blouse rose d'infirmière contre des Louboutin et des tailleurs-pantalons. Elle est devenue Alicia Florris une avocate quadra à la classe folle qui ne veut plus être juste une "Good Wife" (son mari, un procureur à l'éthique douteuse est l'ex-Mister Big de Sex and the City mais je m'égare...).

La grande affaire de cette décennie, c'est bien sûr Desperate Housewives dont le dernier épisode vient d'être diffusé. Comme dans la chanson, nous avons toutes en nous quelque chose de Bree, Lynette, Susan et Gaby. Il va falloir maintenant apprendre à vivre sans elles. Heureusement, nous avons Mad Men, encore un OVNI du Paf, qui en plus a le mérite de nous ramener à ces années 60 de notre enfance. Ainsi, de Delphine Nadal à Don Draper, on peut dire que la boucle est bouclée ...