jeudi 25 novembre 2010

Parce que c'était lui, parce que c'était moi

A Bordeaux, en attendant de retravailler un jour, j'ai repris mes bonnes habitudes : ne pas me scléroser, partir à la découverte de la ville, à pied ou en tram, mon petit numérique dans la poche. Au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux sont organisées des visites guidées un mercredi midi sur deux. J'étais adepte des Midi-Musées de Rennes, mes premiers billets en témoignent pour ceux qui s'en souviennent. Là, de toute évidence,  le public est plus "bourgeois", plus université du temps libre, et ce ne sera pas aussi interactif  que pendant les séances du MBAR, mais bon, ne boudons pas notre plaisir. Et, de fait, cette heure est passée à toute vitesse, à écouter une conférencière très pointue, à découvrir quelques petits tableaux jusque là inconnus, et surtout à entendre parler pour la première fois de la belle amitié qui lia pendant plus de 50 ans Albert Marquet, l'enfant du pays, au bouillonnant Matisse. Marquet, jeune garçon timide, solitaire, affecté d'un pied bot, vit à Bordeaux jusqu'à ses 18 ans entre un père cheminot et une mère brodeuse. Il suit cette dernière à Paris quand elle "monte à la capitale" ouvrir un magasin, et s'inscrit à l'école des beaux-arts où il rencontre un certain Henri Matisse. Très vite, ils vont se détacher de l'enseignement académique de leurs maîtres et partir explorer d'autres styles. A l'atelier Gustave Moreau, au tournant du siècle, ils peignent tous deux le même sujet, et ça donne ces deux tableaux qui feront hurler leurs contemporains : à gauche, une "étude de nu" de Matisse qui se trouve au Bridgestone Museum of Art de Tokyo, et à droite le "nu fauve" de Marquet du Musée des Beaux-Arts de Bordeaux. Puis, leur peinture va prendre des directions différentes, Marquet va devenir un paysagiste post-impressionniste, et Matisse le génial touche à tout que l'on connaît. Marquet va se spécialiser dans les ports, les embouchures, les baies, peignant ce qu'il voit de sa fenêtre à une seule condition,  que l'élément eau soit présent. Pendant la seconde guerre mondiale, il part s'installer en Algérie où il va rencontrer sa femme Marcelle, une romancière pied-noir, et où il peindra 120 fois le port d'Alger ! Jusqu'à sa mort en 1947, lui et Matisse correspondront, le premier peu disert sur sa peinture et le second au  contraire, fournissant à son ami (et aujourd'hui à nous lecteurs) de nombreuses clés pour comprendre son œuvre. Grâce au legs Marquet, le Musée des Beaux-Arts de Bordeaux compte dans ses collections quelques Matisse et surtout la série complète des 26 lithographies-collages intitulée "jazz". On connaissait  l'amitié de Van Gogh et Gauguin, moins celle de Matisse et Marquet, voilà c'est réparé.

     

vendredi 19 novembre 2010

A consommer avec modération

Aujourd'hui, un conseil prud'homal a donné raison à un employeur qui avait licencié pour faute grave trois de ses salariés pour avoir dénigré leur hiérarchie sur Fb. C'est la première décision du genre en France et sans parler encore de jurisprudence - d'autant que dans cette affaire un recours en appel a été déposé - la liberté de s'exprimer via un réseau social vient de prendre un sacré coup dans l'aile. Personnellement, je suis devenue assez accro à Fb mais je me croyais bien protégée par mes critères de confidentialité. Seuls mes "amis" Fb sont en effet censés avoir accès à mes messages et à mes photos mais comme le disait si justement un avocat  interviewé au journal de 13 heures, il ne s'agit plus d'envoyer une lettre ou un courriel à une seule personne mais de s'adresser à celle-ci au milieu de tout un groupe. Et de conclure : méfiez-vous de vos amis ! D'ailleurs dans l'affaire en question, c'est un des collègues qui s'est fait délateur allant jusqu'à imprimer le dialogue pour l'apporter à sa Direction. J'ignore si c'était par loyauté pour son entreprise ou parce qu'il guignait le poste du collègue mouchardé mais ce n'est pas joli, joli. Pour élargir le débat, je me suis posée récemment la question de l'usage de Fb comme moyen de communication privilégié dès lors qu'on touche à l'intime. Ainsi, ces dernières semaines, j'ai appris la rupture de deux de mes amis qui ont choisi, chacun de son côté, de passer du statut de "en couple" à celui de "célibataire" sur leur profil. J'avoue que cela m'a fait un choc. Quant aux plus jeunes de mes "amis" (en fait mes neveux ou les enfants de mes amis dans la "vraie" vie), j'essaie de les mettre en garde quant aux traces qu'ils laissent sur leur "mur".  Traces souvent indélébiles. J'ai fait une expérience aussi, celle de me "googler" moi-même pour voir ce qu'un employeur potentiel apprendrait de moi en 2010 grâce au web. Dans l'ensemble, je n'ai pas eu de trop mauvaises surprises car je suis assez vigilante mais je me suis aperçue que des sites sur lesquels j'avais supprimé mon profil continuaient à diffuser des pages me concernant. Néanmoins je persiste à penser qu'Internet est un outil fabuleux, notamment quand je tchatte sur Sk*** avec mes amis restés en Inde ou mon fils à Londres, ou comme aide à la recherche d'emploi, et malgré ses défauts, Fb continue à me convenir. J'aime cette possibilité d'entretenir des contacts qui autrement s'étioleraient, j'aime l'instantanéité dans la communication qu'il offre, j'aime les petites perles du net qu'on peut y partager, et le contre pouvoir qu'il peut opposer à la pensée unique. Mais à l'ère du Web 2.0, je reste plus que jamais sur mes gardes.
L'illustration vient d'ici

lundi 15 novembre 2010

Ne les oublions pas


A la bibliothèque de mon quartier, j'ai découvert un magazine pas comme les autres. Son titre est déjà une promesse, "Le festin", et tout son contenu sur papier glacé, une ode au bien vivre, bien manger et bien boire, des bords de la Garonne aux confins de Pyrénées. Pour son vingtième anniversaire, la rédaction a suivi quelques chefs régionaux chez eux, dans leurs cuisines ou chez des proches. C'est ainsi que, grâce à Jean-Marie Amat, nous nous sommes invités à la table de Jean-Paul Kauffmann dans les Landes, au cœur de l'été, le temps d'un déjeuner à la campagne. On l'avait un peu perdu de vue, Jean-Paul Kauffmann, il a su se faire discret, publiant un livre de temps en temps, fuyant les journalistes, son ancienne famille, et la vie parisienne pour vivre désormais une retraite paisible. Dans un petit livre dont je recommande la lecture, "La maison du retour", il raconte comment il s'est reconstruit en même temps qu'il rendait à la vie une vieille demeure endormie depuis la Libération. Curieusement, j'ai été touchée de le voir heureux sur ces images, assis à un bout d'une lourde table en bois dressée sous les tilleuls, en maître de maison entouré de sa famille et de ses amis, bon vivant, aimant la bonne chère et les bons vins. Les jeunes générations ne l'ont pas connu, beaucoup d'entre nous  l'ont sûrement oublié mais pourtant, rappelez-vous, c'était au milieu des années 80. Sur nos écrans de télévision, quatre visages nous regardaient jour après jour. Les otages du Liban, les premiers à avoir été médiatisés : Carton, Fontaine, Kauffmann et Seurat. Je ne me souviens pas des détails, juste du chiffre effarant qui chaque jour venait nous rappeler leur odieuse situation d'otage, celui du nombre de jours depuis le début de leur captivité. Le passage du 1000ème frappait l'imagination et venait nous bousculer dans notre quotidien. Jean-Paul Kauffmann est resté trois ans otage au Liban, il a réapparu le 4 mai 1988 avec ses compagnons d'infortune, Marcel Carton et Marcel Fontaine, sur l'aéroport de Villacoublay, fêtés en héros. Michel Seurat, lui, n'est jamais revenu. Et puis, aussi horrible que cela puisse paraître, les enlèvements d'otages se sont banalisés, le Liban a été remplacé par l'Irak ou l'Afghanistan, et nous nous sommes habitués à voir sur nos écrans ou sur les banderoles géantes des mairies des visages si familiers qu'on finit par les oublier. Pour une Ingrid Betancourt ou une Florence Aubenas peut-être plus emblématiques que d'autres, qui se souvient aujourd'hui de Philippe Rochot, Georges Hansen, Aurel Cornéa, Jean-Louis Normandin, Roger Auque, ou Maryse Burgot ? Qui se souviendra demain de Stéphane Taponier et Hervé Ghesquière ? Non, ne les oublions pas.

lundi 8 novembre 2010

Ecrire pour vivre

Écrire une biographie ne doit pas être un exercice facile. Comment trouver la bonne distance avec le "sujet" choisi, comment ne pas tomber dans l'hagiographie, comment faire le tri parmi toutes les sources disponibles et n'en retenir que l'essentiel ? Je viens de terminer "La Vie d'Irène Némirovsky" d'O. Philipponnat et P. Lienhardt, lecture laborieuse que j'ai failli abandonner maintes fois. Commencée en Inde, lâchée pour des romans autrement passionnants ("L'Ombre du Vent" de Carlos Luis Zafon pour n'en citer qu'un), j'y suis revenue à mon retour en France, désireuse de ne pas être trop absorbée par un livre vu tout ce qu'il me restait à faire. Ses biographes auraient dû titrer leur livre "Vie et œuvres d'Irène Némirovsky" tant ils ont consacré une part importante aux commentaires de textes (ce qui a contribué selon moi à le rendre indigeste) et à la description des personnages nés de l'imagination de cette auteure ô combien féconde. Entre 1929, date de la parution de son premier roman, David Golder, et 1940, elle publiera neuf romans et un nombre impressionnant de nouvelles, et lorsqu'elle sera arrêtée puis déportée en 1942, elle aura encore trois romans sous le boisseau qui ne paraîtront qu'après sa mort. Je l'ai découverte comme beaucoup lorsqu'en 2005 est parue sa "Suite française". On connaît l'histoire, abandonné sous forme de carnets le 13 juillet 1942, au moment de son arrestation par deux gendarmes français, son manuscrit sera déchiffré et dactylographié par sa fille Denise, plus de 60 ans après. Succès immédiat qui permettra à ma génération et aux suivantes de découvrir un écrivain à la plume acérée et terriblement moderne. En fait, il est une chose qui m'a frappée dans la vie d'Irène Némirovski c'est son rapport au métier d'écrivain. Car écrire pour elle est vite devenu une nécessité, un gagne-pain. Au début de la guerre, son mari, Michel Epstein, est un employé de banque zélé qui, parce qu'il est juif, va être remercié par ses employeurs. Du jour au lendemain, Irène se retrouve soutien de famille et va écrire de façon effrénée des livres, des nouvelles, souvent sous forme de feuilletons dans les journaux de l'époque (y compris dans "Gringoire" aux forts relents d'antisémitisme) et des articles comme critique littéraire. Elle assure elle-même la promotion et l'après-vente de ses œuvres, à la fois agent auprès de ses éditeurs, d'abord Bernard Grasset puis Albin Michel, et attachée de presse auprès des journalistes. Au plus fort de l'occupation allemande - où elle et son mari choisissent de rester en zone occupée - elle sollicite avec une confondante inconscience un ausweiss à la Kreiskommandatur d'Autun afin de se rendre à Paris faire valoir ses droits auprès de son éditeur ! Erreur fatale, elle est conduite d'abord au camp de Pithiviers puis se retrouve dans un wagon à bétail à destination d'Auschwitz-Birkenau où elle ne vivra pas plus d'un mois. Pas une seconde elle n'avait songé à quitter la France, le "plus beau pays du monde", simplement parce que de son travail d'écrivain dépendait sa survie, celle de son mari et de leurs deux petites filles.