A Bordeaux, en attendant de retravailler un jour, j'ai repris mes bonnes habitudes : ne pas me scléroser, partir à la découverte de la ville, à pied ou en tram, mon petit numérique dans la poche. Au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux sont organisées des visites guidées un mercredi midi sur deux. J'étais adepte des Midi-Musées de Rennes, mes premiers billets en témoignent pour ceux qui s'en souviennent. Là, de toute évidence, le public est plus "bourgeois", plus université du temps libre, et ce ne sera pas aussi interactif que pendant les séances du MBAR, mais bon, ne boudons pas notre plaisir. Et, de fait, cette heure est passée à toute vitesse, à écouter une conférencière très pointue, à découvrir quelques petits tableaux jusque là inconnus, et surtout à entendre parler pour la première fois de la belle amitié qui lia pendant plus de 50 ans Albert Marquet, l'enfant du pays, au bouillonnant Matisse. Marquet, jeune garçon timide, solitaire, affecté d'un pied bot, vit à Bordeaux jusqu'à ses 18 ans entre un père cheminot et une mère brodeuse. Il suit cette dernière à Paris quand elle "monte à la capitale" ouvrir un magasin, et s'inscrit à l'école des beaux-arts où il rencontre un certain Henri Matisse. Très vite, ils vont se détacher de l'enseignement académique de leurs maîtres et partir explorer d'autres styles. A l'atelier Gustave Moreau, au tournant du siècle, ils peignent tous deux le même sujet, et ça donne ces deux tableaux qui feront hurler leurs contemporains : à gauche, une "étude de nu" de Matisse qui se trouve au Bridgestone Museum of Art de Tokyo, et à droite le "nu fauve" de Marquet du Musée des Beaux-Arts de Bordeaux. Puis, leur peinture va prendre des directions différentes, Marquet va devenir un paysagiste post-impressionniste, et Matisse le génial touche à tout que l'on connaît. Marquet va se spécialiser dans les ports, les embouchures, les baies, peignant ce qu'il voit de sa fenêtre à une seule condition, que l'élément eau soit présent. Pendant la seconde guerre mondiale, il part s'installer en Algérie où il va rencontrer sa femme Marcelle, une romancière pied-noir, et où il peindra 120 fois le port d'Alger ! Jusqu'à sa mort en 1947, lui et Matisse correspondront, le premier peu disert sur sa peinture et le second au contraire, fournissant à son ami (et aujourd'hui à nous lecteurs) de nombreuses clés pour comprendre son œuvre. Grâce au legs Marquet, le Musée des Beaux-Arts de Bordeaux compte dans ses collections quelques Matisse et surtout la série complète des 26 lithographies-collages intitulée "jazz". On connaissait l'amitié de Van Gogh et Gauguin, moins celle de Matisse et Marquet, voilà c'est réparé.
L’incertain du temps
Il y a 16 heures