Leur arrivée à la porte de Tianpolang fut annoncée alors qu’ils n’étaient qu’à Riega. Kaja savait qu’il en serait ainsi. Même à marches forcées avec des chariots pour les aider, les armées ne vont jamais aussi vite que le vent des nouvelles. Quand il rencontra le colonel qui dirigeait la place, on lui présenta ce “nouveau roi Riou” comme un de ces aventuriers plus proche du bandit que de la royauté. Il avait utilisé la légende pour rassembler une bande de malandrins qui écumait la région. La population le soutenait plus par peur que par conviction. Pour en avoir déjà combattu, Kaja savait que les choses n’étaient jamais aussi simples. L’homme pouvait très bien être sincère ou vivre dans l’illusion. Le colonel lui montra sur une carte la région que ce renégat écumait. La bande n’avait fait qu’un raid contre la ville. Clébiande était bien défendue et les plus gros dégâts avaient eu lieu dans les faubourgs. Aucun seigneur n’avait été blessé. Par contre, plus loin, les manoirs et les fermes mal fortifiés étaient des cibles pour la bande.
- Et quel est son nom ?
La question de Kaja surprit le colonel qui dut réfléchir avant de répondre :
- Cajobi, euh non ! Cajanobi. On dit de lui qu’il a hérité des qualités du roi Riou, dont, bien évidemment il prétend descendre. Je vous souhaite bonne chasse, commandant. Je peux vous garantir qu’il ne passera pas la porte du Tianpolang.
Kaja salua le colonel. Il le sentait plus désireux de préserver sa tranquillité que de partir sur les chemins pour courir sus à l’ennemi. Il passa la nuit dans le fort avec ses troupes.
Dès l’aube, ils se mirent en route. Dès qu’ils se furent éloignés de la ville, ils prirent la formation de combat. Pour Cajanobi, vaincre l’armée du roi était primordial. Une victoire lui ramènerait des partisans. À l’école militaire, on leur avait raconté l’histoire d’un de ces révoltés. Il n’avait pas été arrêté par les troupes de chasse comme celle que dirigeait Kaja. La révolte alors avait pris de l’ampleur et il avait fallu pacifier toute une région en déplaçant tout un corps d’armée et surtout les buveurs de sang qui avaient fait un massacre. Cajanobi n’avait pas été considéré par l’état-major comme très dangereux. On ne lui avait envoyé qu’une troupe de chasse, charge à Kaja de montrer qu’il était le meilleur en réglant le problème.
Kaja marchait avec les éclaireurs et le guide. C’était un autochtone dévoué à la cause des seigneurs. Le colonel l’avait recommandé. Ils atteignirent le premier lieu de pillage en milieu d’après-midi. Ils examinèrent les ruines déjà froides. Les corps avaient déjà été enterrés. Kaja alla jusqu’à la ferme. Elle était encore debout contrairement au manoir, et habitée. Il interrogea les survivants, cherchant à se faire une idée de son gibier.
Ils s’installèrent dans la grange pour la nuit. Kaja convoqua ses lieutenants pour faire le point.
- Il a plus d’hommes que nous, déclara le plus âgé.
- Des paysans, mal armés, mal entraînés, répliqua le plus jeune.
- Granca a raison, dit Kaja, il ne faut pas sous-estimer l’adversaire. Bien menés, ils font du dégât.
- Oui, mon Commandant, mais le manoir n’avait quasiment pas de défense et vous avez entendu les fermiers, le seigneur Lenka était âgé et n’avait rien prévu. La victoire était facile.
- Peut-être, répondit Granca, mais il faudra voir les autres lieux de pillage. Nous allons nous battre à un contre trois ou quatre et même si ce ne sont que des paysans, la victoire n’est pas assurée. Tu n’as pas encore combattu pour de vrai, comme la majorité de cette troupe. Alors Denbur prépare-toi, le choc pourrait être rude.
Dans les jours qui suivirent, ils rencontrèrent plusieurs familles pillées. L’une d’elles était même de l’ancienne noblesse. C’est ainsi qu’on appelait les nobles de l’époque du roi Riou. Ils n’avaient pas disparu lors de la conquête même si beaucoup de familles avaient tout perdu au profit des seigneurs.
- Des bandits, ce ne sont que des bandits… lui avait dit le vieux noble.
Kaja partageait son opinion. Cajanobi choisissait ses cibles de manière à ne courir aucun risque ou presque. La légende voulait que le nouveau roi Riou parte à la reconquête de son royaume. Ici, nulle notion de territoire libéré, on n’avait affaire qu’à des pilleurs qui devaient avoir un repère quelque part.
Pendant huit jours, Kaja eut l’impression de tourner en rond. Quand ils allaient sur le lieu des attaques, les traces y étaient confuses car trop vieilles. Le pisteur perdait la trace régulièrement. Quand la bande atteignait une route, tout devenait confus.
- Ils doivent se déplacer en petit groupe les uns après les autres, voire suivre plusieurs chemins différents, avait expliqué le pisteur.
Alors que Kaja craignait de rentrer bredouille, la chance lui sourit. Il s’était arrêté dans une auberge avec ses lieutenants pendant que dehors ses hommes faisaient la pause. On leur avait donné la meilleure table. Kaja ne le remarqua pas, tellement la chose lui était familière. Seul le pisteur y fit attention et s’éloigna en direction des lieux d’aisance. Quand Kaja s’y dirigea, il se fit attraper par le bras et tirer en arrière sans violence mais fermement. Il vit, étonné, son pisteur lui faire signe de se taire et de le suivre. Ils avancèrent un peu et se retrouvèrent derrière la petite cour aux odeurs nauséabondes. Ils n’étaient séparés d’elle que par quelques planches disjointes :
- Regardez vers la droite, murmura le pisteur.
Kaja vit un homme appuyé contre le mur leur tournant le dos. Il se tourna vers le pisteur, l’air interrogateur.
- Je suis sûr que c’est un de la bande… J’ai entendu le patron le prévenir de votre arrivée et d’aller se planquer.
Kaja s’interrogea sur la meilleure manière de faire. Soit il l’attrapait et le faisait avouer le lieu du repère. Cela avait l’avantage d’être direct et l’inconvénient de manquer de discrétion. Soit on le pistait jusqu’à son repère, beaucoup plus discret mais aussi plus aléatoire. Il était tout à fait possible de le perdre.
- Mon commandant, continua le pisteur dans un murmure, laissez-moi le suivre et vous, partez ostensiblement, qu’il se croie en sécurité.
Kaja approuva d’un mouvement de tête et rejoignit la grande salle. Là il se comporta comme il avait vu faire d’autres seigneurs sous le regard étonné de ses lieutenants qui ne l’avaient jamais vu comme cela. Ils jouèrent le jeu, mobilisant les regards sur eux. Si bien que quand ils se levèrent pour sortir, ils sentirent le soulagement des présents. Kaja donna les ordres à sa troupe et monta à cheval, imités par ses lieutenants. Ils s’éloignèrent tranquillement suivis par leur détachement rangé comme à la parade. Quand ils furent assez loin, Kaja expliqua le plan aux lieutenants.
- Peut-on lui faire confiance ?
Kaja regarda Granca qui venait de poser la question.
- Probablement pas, c’est un autochtone. Appelle Stor.
Granca se retourna à moitié sur son cheval et fit un signe. Un homme remonta la colonne en courant. Il fit un salut impeccable. Kaja examina d’un œil satisfait l'ordonnancement de son uniforme. Il exigeait le meilleur de ses hommes, il le savait. Cela faisait de sa troupe une unité d’élite. Les meilleurs se disputaient l’honneur d’y servir. Tel était le cas de Stor. On le disait capable d’être plus discret qu’un gersoll, animal pourtant légendaire pour sa discrétion.
- Tu vas laisser ton équipement et retourner à l’auberge et tu vas suivre le pisteur et celui qu’il piste.
- Bien mon Commandant.
Rapidement Stor se retrouva vêtu comme un paysan. Kaja le vit se fondre dans la végétation du bord de la route. Il sourit. La suite de sa mission se présentait sous de meilleurs auspices.
Ils durent attendre deux jours avant de voir réapparaître le pisteur. Il avait suivi l’homme suspect et avait effectivement trouvé le repaire des renégats. Kaja l’interrogea longuement sur la topographie du terrain et sur les forces en présence. Le lendemain Kaja s’enferma avec ses lieutenants. Ils discutèrent de la stratégie tout en s’interrogeant sur l’absence de Stor. Il n’arriva que le jour d’après. Kaja le fit venir et eut un long entretien en présence de Granca et de Denbur. Il présenta la situation assez différemment du pisteur. Les renégats s’étaient constitués un vrai camp retranché. Il fallait suivre un fossé assez long avant d’arriver à une clairière. Stor précisa les points les plus adaptés pour se faire prendre en embuscade. Il avait aussi fait le tour du camp et avait trouvé une voie de repli pour la troupe.
- Donc si on attaque par le fossé, résuma Kaja, on subit une ou plusieurs attaques de ceux qui seront embusqués et eux pourront fuir par cette espèce de toboggan naturel que tu décris...
- Oui, mon commandant, c’est cela.
- En bas du toboggan, c’est comment ?
- Une sorte de marais. Il faut connaître les passages si on veut passer. Je vois mal des hommes lourdement armés traverser par là.
- Et le haut du fossé ?
- Difficile à atteindre sans être vus. J’ai pu le faire, mais je suis seul et la nuit était là. Le terrain est truffé de grottes où je me suis réfugié pour être à l’abri des bayagas.
Kaja laissa Stor partir se reposer. Les lieutenants montraient une mine dépitée.
- Je vois pas comment faire, dit Denbur.
- On va perdre tous les hommes si on s’engage dans ce fossé, ajouta Granca
- Alors on ne va pas y aller, dit Kaja. On va juste leur faire croire qu’on y va. Faites préparer les hommes. On attaquera quand l’étoile de Lex se couchera…
Leur départ fut remarqué. Kaja était certain que Cajanobi allait être prévenu. Ils partaient avec armes et bagages. Les chariots étaient entre le groupe, sous les ordres de Granca et celui de Denbur. Kaja marchait en tête. Ils se dirigèrent vers le repaire des renégats. Des gens les voyaient passer. Si les regards semblaient indifférents, Kaja s’interrogeait sur les liens avec la bande. Ils arrivèrent au soir dans la forêt qui s’étend sur les pentes du fleuve. Bien que raides les berges n’avaient pas encore pris la verticalité des gorges du Tianpolang. Au sud, elles avaient été aménagées en terrasses pour la culture, tandis qu’au nord, on avait laissé prospérer la forêt y traçant seulement quelques chemins pour les charrettes. Avant la nuit complète, ils avaient trouvé les grottes que Stor avait décrites et s’étaient installé pour la nuit. Personne n’avait dormi. Il fallait préparer l’affrontement du lendemain.
Dès que possible les éclaireurs se mirent en route. On voyait à peine où l’on mettait les pieds. Kaja avait préparé ses hommes pour qu’ils soient les meilleurs et ils l’étaient. Têtes brulées, peu respectueux des bonnes manières, ils étaient selon eux meilleurs que les buveurs de sang, ce qui provoquait régulièrement des bagarres dans les tavernes quand ils osaient l’affirmer haut et fort. Quand survint le signal, les groupes se mirent en route. Si sur le chemin des charrettes, le convoi avançait en rangs serrés à trois de front, de part et d’autre, des voltigeurs se déplaçaient le plus silencieusement possible. La colonne dépassa le premier point d’embuscade. Rien ne se passa. L’attaque eut lieu là où Stor l’avait prévu. Le chemin était bordé de hauts talus faits de sable difficiles à escalader. Les premières flèches clouèrent la troupe sur place. Les tirs cessèrent rapidement dans des bruits de feuillage remué et de branches cassées. Sur le chemin, dans la pâle lumière de l’aube, les soldats reprirent leur marche, toujours en rangs serrés formant des blocs. Il y eut une autre tentative d’attaque qui se solda par le même échec des assaillants. Quand ils arrivèrent dans le repaire des renégats, le soleil se levait. Se déplaçant silencieusement, des soldats jaillissaient d’entre les arbres. Sur le chemin, la colonne arriva. Kaja les regarda entrer. Il sourit. À la lumière naissante, on voyait bien que les soldats n’étaient que des fétus de paille. Pour un bloc de neuf silhouettes, il n’y avait qu’un porteur, au centre, protégé par ses compagnons de paille comme par une armure. Tous les autres, comme une meute de loups, avaient escaladé les crêtes et pendant que l’ennemi se focalisait sur la colonne, ils avaient jailli par derrière, égorgeant tous les archers.
Ils inspectèrent le camp désert. Les occupants étaient partis à la hâte laissant tout sur place. Kaja donna des ordres. Un groupe resta pour tout brûler, pendant ce temps, les autres suivirent la piste des fuyards. Les loups de Sink, comme on allait les appeler, se remirent en chasse. En bas du chemin de fuite dans les marais, on entendait des cris et des bruits de combats. Granca était à l’heure. Kaja fut heureux du bon déroulement de son plan. Denbur et les faux soldats attaquaient par le chemin, pendant que lui et les voltigeurs nettoyaient le terrain. Granca avait la partie la plus difficile : diriger la chasse dans les marais.
Les loups de Sink avaient chassé pendant trois jours, semant les morts tout le long de leur route. Depuis la conquête, les rois étaient formels : “Pas de pitié. Faites des exemples”. Il n’y avait pas de prisonnier. Tout rebelle attrapé vivant était torturé et laissé pendu par les pieds le long du chemin. Toute personne prise à l’aider subissait le même sort. Le dernier à être attrapé fut Cajanobi. Pour lui la loi était claire. Il se prenait pour la réincarnation du roi, il fallait détruire sa prétention. Il fut écorché vif sur la place de Clébiande devant la foule. Kaja aurait bien gracié quelques renégats plus poussés dans le mouvement par la misère que par leur croyance, mais les ordres... Il fut content de ne pas avoir à s’occuper de Cajanobi. Lui et sa troupe étaient déjà repartis pour la capitale avant l’exécution, après avoir reçu les félicitations du gouverneur de la ville et du colonel.
À son arrivée, il fut reçu par Jobau, le fils du vice-roi. Il fit son rapport et s’ouvrit à lui de ses difficultés à appliquer des ordres ne favorisant pas la paix.
- Je connais le problème, baron Sink. Ces manières de faire ne sont bonnes ni pour la paix ni pour la prospérité. Les campagnes produisent à peine de quoi payer le tribut et nous nourrir. Mais mon père et les vieux barons refusent de déroger aux traditions.
Les semaines qui suivirent furent très occupées. Son succès lui avait ouvert de nouvelles missions. Le grand pèlerinage approchait. Il fut nommé responsable de la sécurité du Prince.
C’était le temps fort de l’année. On allait rendre hommage au roi. Le Vice-roi et le tribut partaient vers Le Pays. Tisréal était Le Pays. Celui du roi Vergent et des ancêtres des seigneurs. C’est là qu’on rendait hommage à l’arbre sacré. Il était la source du sacré et du pouvoir. Le roi de Tisréal en contrôlait l’accès et par là même, possédait le pouvoir. Gérère faisait le voyage depuis des années pour rendre hommage et montrer sa soumission au roi. La noblesse de Tisréal considérait les seigneurs du royaume de Riou comme inférieurs à elle et le faisait bien sentir. Cette année, le vice-roi voulait que Jobau l’accompagne. Il sentait venir la fatigue de sa vieillesse. Il voulait associer son fils à son pouvoir. Gérère commençait à être inquiet pour sa succession. Les oracles n’étaient plus limpides et leurs paroles ambiguës nourrissaient ses inquiétudes. Le prince Jobau aussi alimentait sa peur. Le vice-roi trouvait son fils trop mou. Ses idées de libéralisation étaient pour Gérère, dangereuses. Elles pouvaient ouvrir la porte à une rébellion plus grave que toutes celles qu’ils avaient connues. D’autres vieux barons rejoignaient son point de vue et tentaient de placer leur rejeton dans la course à la succession. Ces familles, qui avaient des ramifications dans les deux états, intriguaient auprès du roi de Tisréal pour qu’il nomme une autre lignée comme vice-roi.
Le temps du Pèlerinage était loin d’être un temps de paix et de détente. Entre le peuple qui pouvait se révolter et les barons dont il craignait la fronde, Gérère essayait de naviguer au mieux. La famille Sink avait toujours été un fidèle soutien de son pouvoir et il se sentait rassuré que la sécurité de son fils soit entre les mains de Kaja.
Quand se promènent les mots, des histoires prennent corps. Que ce lieu leur serve de repos.
mercredi 29 août 2018
lundi 20 août 2018
Ainsi parla Rma, le fileur de temps...62
Depuis qu'il était jeune, il n'aimait pas qu'on lui parle sur ce ton. Mais comme quand il était jeune, il ne pouvait rien dire. Il se remémora ce temps. Ses premiers souvenirs remontaient à la nursery. Dernier enfant de la famille, il était mal considéré. Il arrivait trop longtemps après sa soeur. Cette dernière était la princesse rendant jaloux tous les autres enfants. L'aîné était un fils. C'est lui qui était l'héritier. Le père mettait toute sa fierté dans cet enfant qui lui ressemblait beaucoup. Les filles serviraient à faire des mariages avantageux pour la famille. Seule la princesse aurait le droit de choisir. Elle le savait. Le père lui cédait tout. La mère, épouse fidèle, remplissait ses devoirs mais n'avait pas son mot à dire.
Kaja soupira. Il n'aurait jamais cru en arriver là. Habitué à se faire oublier des siens, il avait appris à jouer joueur de la séduction avec les autres. Son frère aîné ne voyait en lui qu'un bébé sans intérêt. Pour ses soeurs, il n'était qu'un garçon. Quant à son dernier frère, qui rageait de ne pas être l'aîné, il avait fait du petit dernier un de ses nombreux souffre-douleurs. Tout avait basculé alors qu'il avait enfin l'âge d'apprendre à manier une arme. On disait de lui qu'il était doué. Mais on disait aussi qu'il ne gagnerait jamais ses combats car il lui manquait la rage de vaincre. On lui citait ses aînés. L’héritier était bien sûr celui à imiter. On disait du deuxième qu'il était trop plein de colère pour faire autre chose qu'un soldat. Et immanquablement, on lui parlait des buveurs de sang. Il tentait de discipliner son cheval quand un serviteur était arrivé haletant :
- Vite, ordre du maître, tous les enfants doivent aller dans la grande salle.
Kaja, qui se sentait près de la réussite, fut déçu de devoir interrompre sa leçon. Ces “demoiselles”, comme il appelait ses soeurs, grognèrent leur mécontentement tout en obéissant. Le serviteur les pressa tout le long du chemin. Arrivé dans le hall, Kaja comprit la gravité de la situation. L'intendant avait le visage fermé des très mauvais jours. On les introduisit par ordre de naissance. Kaja entendit ses soeurs pousser de petits cris dès qu'elles étaient entrées. Puis vint son tour. Tout ce cérémonial l'avait inquiété. Il regarda la salle sans comprendre. Elle était sombre, simplement éclairée de bougies. Kaja regarda autour de lui. Sa mère pleurait. Son père avait le visage fermé, Kaïdok son bourreau de frère avait dans les yeux une lueur de joie triomphante qui lui fit peur. C'est alors qu'il comprit que sur la grande table, sous l'étendard, il y avait le corps de son frère. L'héritier venait de mourir...
Ce furent les serviteurs qui lui firent le récit. L'héritier était parti avec l'intendant pour aller voir les fermiers, surtout un qui ne payait pas ses fermages. Le père lui avait confié pour la première fois cette mission : régler la question. C'est en arrivant dans cette ferme, mal tenue, qu'un cochon avait chargé son cheval. Celui-ci s'était cabré, le jetant à terre. Sa tête avait heurté la lourde pierre du seuil qui empêchait les roues des chariots de toucher la maison. Il ne s'était jamais relevé. Il respirait encore en arrivant au château. Il était mort quand le soleil était à son zénith.
Les semaines qui suivirent furent difficiles. La mère s'enfermait pour pleurer. Le père semblait avoir perdu sa raison de vivre. Les “demoiselles” se plaignaient d'être délaissées. Seul Kaïdok semblait vivant dans cette famille. Même les serviteurs faisaient profil bas. Si le maître était juste, Kaïdok ne l'était pas. Il punissait pour des bricoles, faisant fouetter pour la moindre incartade. Le père lui répétait sans grande conviction : “ce n’est pas en tapant tous les jours sur ta vache qu’elle te donne plus de lait”. Kaïdok prit vraiment le pouvoir quand il revint un jour en déclarant qu'il avait réglé le problème des fermages en retard. Le père avait alors écouté le récit plein de suffisance de son fils qui, puisqu'il était maintenant l'héritier, avait rattrapé et puni comme il se doit ces larves humaines qui osaient ne pas obéir et dont le cochon avait souillé l'honneur de la famille Sink.
Kaja l'entendit se vanter en ricanant auprès de ses amis. Il racontait la suite de tortures qu'il leur avait infligées, regrettant d'avoir tué le père trop vite, mais, disait-il, il s'était rattrapé sur les autres...
Si la vie semblait être devenue plus triste pour les autres de la famille, pour Kaja, les choses changeaient peu. Il apprenait le maniement des armes, des chevaux et des mots. Son percepteur était content de lui. Contrairement à Kaïdok, il aimait bien lire et écrire. Son frère maîtrisait mal la lecture et très peu l'écriture. “Des muscles !”, voilà ce qui devait faire la fierté des hommes. L'opinion de son frère laissait Kaja dubitatif. Il préférait se taire. Kaïdok le laissait tranquille. Il avait maintenant toute une baronnie comme souffre-douleur.
Dans le mois où il avait vécu la fête de sa première épée d'adulte, Kaja avait vu s'éteindre son père. Rongé par une fièvre persistante, il n'avait pas supporté l'arrivée des grands froids. Beaucoup de gens pleurèrent sa mort. Ses amis perdaient un être cher. Ses ennemis l'avaient toujours respecté pour son comportement loyal. Et tous les serviteurs pleuraient sur l'accession de Kaïdok au titre de baron. Kaja pleura dans le silence de sa chambre. Kaïdok ne supportait pas ce signe de faiblesse.
Dans l'année qui suivit, la vie de la baronnie fut bouleversée. Kaïdok avait nommé un nouvel intendant à son image, marié ses soeurs, à tort et à travers selon les bruits, y compris la “princesse” qui dut épouser un tyran. Il avait décidé que Kaja devait devenir un homme, un vrai et il l'avait expédié à l'armée. Ne voyant pas d'intérêt à payer pour ce rejeton mal venu, Kaïdok le fit partir avec ce qu'il avait sur le dos.
Kaja qui, avec les autres commandants, écoutait le général, vérifiait qu'il en était toujours à se plaindre. Il se laissa de nouveau aller à évoquer ses souvenirs.
Lors de son arrivée, il avait su être un des seuls à presque passer à travers le bizutage habituel. Il n'avait pu pour éviter les tours de gardes supplémentaires et autres brimades. Un lieutenant avait tout de suite remarqué comment il avait su désamorcer les situations difficiles et très rapidement sa science des armes lui avait valu le respect. Il avait gravi les échelons assez rapidement sachant faire ce qu'il fallait et flatter qui il fallait. De loin, il avait suivi la ruine de la baronnie. Les paysans préféraient fuir. Kaïdok devenait de plus en plus incontrôlable. Les litres d'alcool qu'il ingérait aggravait la situation. Alors qu'il venait de passer capitaine, Kaja fut convoqué par son chef de corps. Sa majesté, elle-même, s'était émue de ce qui arrivait à la baronnie des Sink. Il reçut l'ordre d'y aller et d'y mettre de l'ordre. C'est à la tête de son détachement qu'il était arrivé devant le château de son enfance. Il avait eu du mal à reconnaître les lieux tellement tout était laissé à l'abandon. Personne ne vint les accueillir. Étonné, il mit pied à terre, fit signe à ses hommes de se reposer tout en restant vigilants. Il monta l'escalier d'honneur suivi par par ses lieutenants. La porte à la peinture écaillée était ouverte. Il la poussa faisant grincer les gonds. Le carrelage du hall était couvert de feuilles et de détritus. Kaja regarda vers la grande salle. Là aussi le désordre semblait total. Il poussa la porte. Le manque de lumière lui évoqua le jour de la mort de l'héritier. Il regarda autour de lui avant de découvrir une forme affamée sur la table. Il s'approcha. Un homme ronflait doucement en faisant des bulles de salive. Il avait la tête directement posée sur la table. Les bras pendaient de chaque côté. Ses lieutenants l'avaient suivi. Kaja contempla son frère qu'il n'avait pas revu. Kaïdok avait le teint bouffi et des poches sous les yeux. Bien qu'en habit de baron, il était sale et sentait mauvais. Kaja fut peiné de le voir ainsi. Le baron Sink était tombé bien bas. Il le secoua doucement. Il n'y eut aucune réponse. Il recommença plus fort. Kaïdok grogna cherchant à ne pas être dérangé. Kaja insista. Kaïdok ouvrit les yeux. Il regarda Kaja comme s'il ne le voyait pas, le regard vide. Puis une lueur mauvaise apparut dans ses yeux :
- Ah ! T'es là, chwacek !
Kaja vit ses lieutenants blêmir sous l'insulte. Ils avaient mis immédiatement la main à l'épée. Une telle accusation ne pouvait se laver que dans le sang. Kaja leur fit signe de se calmer.
- Je suis là, sur ordre du roi. Sinon, je ne serais pas venu…
- Alors c'est ça ! T'es venu me voler ce qu’est à moi.
- Je suis venu voir le baron Sink dont l'ancêtre fut frère du premier roi et voir s'il ne dérogeait pas à l'honneur…
- T’sais même pas c’qu’est l'honneur, chwacek.
- Nous ne sommes plus des enfants, Kaïdok, fit Kaja qui de nouveau faisait signe à ses lieutenants de rester tranquilles.
- Alors, on va voir si t'es devenu un homme, hurla Kaïdok en se levant et en attrapant l'épée qui était sur la table.
Kaja évita la première charge, ce qui augmenta la fureur de son frère.
- J’vois qu’t’es toujours qu'un chwacek ! Tu seras jamais un homme…
Kaïdok attaqua à nouveau, obligeant son frère à dégainer pour se défendre. Kaja, bien que moins puissant, était beaucoup plus rapide que Kaïdok. Chaque parade, chaque esquive augmentaient la fureur de Kaïdok. Il était trop imbibé d’alcool pour se battre efficacement. Il prit sa dague et attaqua de plus belle. Kaja dégaina aussi sa dague. Les lieutenants regardaient les deux frères se battre, prêts à intervenir en cas de besoin. Kaja dominait son frère qui commençait à s'essouffler. Il avait maintenant le souffle trop court pour lancer des insultes et se battre. Il marquait des pauses de plus en plus fréquentes sans pour autant perdre sa fureur. Il accusa son frère de tous les malheurs qui frappaient le domaine et qui n’étaient dus qu’à sa mauvaise gestion. Dans un dernier accès de rage, il se précipita frappant comme un fou. Kaja se défendit en reculant. Il fut touché. Le sang coula sur son bras, faisant hurler de joie Kaïdok, qui accentua son attaque. Kaja esquiva une nouvelle fois d’un mouvement tournant. Kaïdok, emporté par son élan, continua tout droit et voulut tourner. Le tapis sous ses pieds glissa. Il chuta lourdement, s’assommant sur le coin d’un coffre. Il resta à terre. Kaja le regarda de longs instants sans bouger, attendant qu’il se relève.
- Il ne bouge plus, mon capitaine, dit un des lieutenants.
Sans lâcher ses armes, Kaja lui fit signe d’aller voir. Le lieutenant s’approcha de Kaïdok avec précaution. Comme il ne donnait aucun signe d'agressivité, le lieutenant le retourna, puis se releva et dit :
- Il est mort !
Kaja s’approcha pour découvrir la dague profondément enfoncée dans l’abdomen de son frère. L’autre lieutenant prit la parole :
- Les dieux ont jugé. Le roi sera satisfait.
Dans les mois qui suivirent, Kaja reçut le titre de baron. Il changea profondément l’organisation de son domaine, limogeant l’intendant et nommant un autochtone comme l’avait fait son père. Ne dépendant pas financièrement de ses terres, il fit proclamer des conditions de fermage qui firent revenir des paysans sur ses terres. En quelques mois, après les premières récoltes, il pouvait envisager de rénover son château. Cela prendrait du temps. Il n’était pas pressé. Son destin était ailleurs. Le roi l’avait nommé commandant. C’est ainsi qu’il se trouva en charge de surveiller les déplacements pour la fête annuelle dans les hautes terres.
- … et j’espère que vous avez bien compris !
La voix du général le ramena à la réalité. Pour Kaja, il était un homme du passé. Le monde changeait mais sans lui. L’époque de la conquête était loin. Le roi Vergent était une légende et son général, devenu vice-roi de ce royaume, reposait au grand mausolée dans la capitale. Le roi d’aujourd’hui, qui portait encore officiellement le titre de vice-roi, rêvait de s’émanciper de la tutelle de son voisin. Le tribut qu’il devait payer, lui devenait chaque année plus difficile à supporter. Il était de l’âge du père de Kaja et l’avait bien connu. De plus en plus, le vice-roi Gérère se reposait sur son fils, Jobau. C’était un homme qui n’avait pas l’envergure des conquérants. Il voulait faire plaisir et surtout ne pas contrarier son père. - On ne peut pas laisser s’installer le désordre. Vous allez me calmer ça !
Kaja soupira. Il n’aimait pas cela. Pourtant il allait sortir avec ses soldats et rétablir l’ordre. Encore un de ces illuminés qui se prenait pour la réincarnation du roi Riou. Avant chaque fête, il y en avait un qui apparaissait parfois accompagné d’une cheveux blancs… Kaja distribua ses ordres. Il fallait rejoindre Clébiande et là, attraper le rebelle ou l’éliminer. Il ne doutait pas d’y arriver. Après cette mission la grande migration pour la fête dans la haute vallée commencerait. Il recevrait d’autres ordres. La mission serait de surveiller pour éviter que le peuple exalté par la fête ne se révolte. Il fallait à la fois se montrer et rester discret.
Tout en préparant sa mission, il pensa qu’il allait encore faire des jaloux. Le général lui avait confié ce rôle de chasseur sur demande du roi. Gérère avait apprécié la manière qu’il avait employée lors de sa dernière mission dans les grandes plaines de l’est. Il avait été reçu par sa majesté qui devant toute la cour l’avait félicité et avait rappelé combien la famille royale comptait sur la famille Sink. Il était revenu à la capitale avec le meneur prisonnier sans faire un bain de sang qui aurait compromis les récoltes. Depuis, il était malgré lui devenu l’incarnation de ceux qui souhaitaient vivre en paix, et la bête noire de ceux qui, comme Kaïdok, pensait que la violence réglait tout.
Dans la soirée son aide de camp frappa à sa porte pour lui indiquer que tout était prêt.
- Bien, Sexler, nous partirons dès le coucher de l’étoile de Lex. Prévenez les hommes. Nous irons à marches forcées.
Kaja soupira. Il n'aurait jamais cru en arriver là. Habitué à se faire oublier des siens, il avait appris à jouer joueur de la séduction avec les autres. Son frère aîné ne voyait en lui qu'un bébé sans intérêt. Pour ses soeurs, il n'était qu'un garçon. Quant à son dernier frère, qui rageait de ne pas être l'aîné, il avait fait du petit dernier un de ses nombreux souffre-douleurs. Tout avait basculé alors qu'il avait enfin l'âge d'apprendre à manier une arme. On disait de lui qu'il était doué. Mais on disait aussi qu'il ne gagnerait jamais ses combats car il lui manquait la rage de vaincre. On lui citait ses aînés. L’héritier était bien sûr celui à imiter. On disait du deuxième qu'il était trop plein de colère pour faire autre chose qu'un soldat. Et immanquablement, on lui parlait des buveurs de sang. Il tentait de discipliner son cheval quand un serviteur était arrivé haletant :
- Vite, ordre du maître, tous les enfants doivent aller dans la grande salle.
Kaja, qui se sentait près de la réussite, fut déçu de devoir interrompre sa leçon. Ces “demoiselles”, comme il appelait ses soeurs, grognèrent leur mécontentement tout en obéissant. Le serviteur les pressa tout le long du chemin. Arrivé dans le hall, Kaja comprit la gravité de la situation. L'intendant avait le visage fermé des très mauvais jours. On les introduisit par ordre de naissance. Kaja entendit ses soeurs pousser de petits cris dès qu'elles étaient entrées. Puis vint son tour. Tout ce cérémonial l'avait inquiété. Il regarda la salle sans comprendre. Elle était sombre, simplement éclairée de bougies. Kaja regarda autour de lui. Sa mère pleurait. Son père avait le visage fermé, Kaïdok son bourreau de frère avait dans les yeux une lueur de joie triomphante qui lui fit peur. C'est alors qu'il comprit que sur la grande table, sous l'étendard, il y avait le corps de son frère. L'héritier venait de mourir...
Ce furent les serviteurs qui lui firent le récit. L'héritier était parti avec l'intendant pour aller voir les fermiers, surtout un qui ne payait pas ses fermages. Le père lui avait confié pour la première fois cette mission : régler la question. C'est en arrivant dans cette ferme, mal tenue, qu'un cochon avait chargé son cheval. Celui-ci s'était cabré, le jetant à terre. Sa tête avait heurté la lourde pierre du seuil qui empêchait les roues des chariots de toucher la maison. Il ne s'était jamais relevé. Il respirait encore en arrivant au château. Il était mort quand le soleil était à son zénith.
Les semaines qui suivirent furent difficiles. La mère s'enfermait pour pleurer. Le père semblait avoir perdu sa raison de vivre. Les “demoiselles” se plaignaient d'être délaissées. Seul Kaïdok semblait vivant dans cette famille. Même les serviteurs faisaient profil bas. Si le maître était juste, Kaïdok ne l'était pas. Il punissait pour des bricoles, faisant fouetter pour la moindre incartade. Le père lui répétait sans grande conviction : “ce n’est pas en tapant tous les jours sur ta vache qu’elle te donne plus de lait”. Kaïdok prit vraiment le pouvoir quand il revint un jour en déclarant qu'il avait réglé le problème des fermages en retard. Le père avait alors écouté le récit plein de suffisance de son fils qui, puisqu'il était maintenant l'héritier, avait rattrapé et puni comme il se doit ces larves humaines qui osaient ne pas obéir et dont le cochon avait souillé l'honneur de la famille Sink.
Kaja l'entendit se vanter en ricanant auprès de ses amis. Il racontait la suite de tortures qu'il leur avait infligées, regrettant d'avoir tué le père trop vite, mais, disait-il, il s'était rattrapé sur les autres...
Si la vie semblait être devenue plus triste pour les autres de la famille, pour Kaja, les choses changeaient peu. Il apprenait le maniement des armes, des chevaux et des mots. Son percepteur était content de lui. Contrairement à Kaïdok, il aimait bien lire et écrire. Son frère maîtrisait mal la lecture et très peu l'écriture. “Des muscles !”, voilà ce qui devait faire la fierté des hommes. L'opinion de son frère laissait Kaja dubitatif. Il préférait se taire. Kaïdok le laissait tranquille. Il avait maintenant toute une baronnie comme souffre-douleur.
Dans le mois où il avait vécu la fête de sa première épée d'adulte, Kaja avait vu s'éteindre son père. Rongé par une fièvre persistante, il n'avait pas supporté l'arrivée des grands froids. Beaucoup de gens pleurèrent sa mort. Ses amis perdaient un être cher. Ses ennemis l'avaient toujours respecté pour son comportement loyal. Et tous les serviteurs pleuraient sur l'accession de Kaïdok au titre de baron. Kaja pleura dans le silence de sa chambre. Kaïdok ne supportait pas ce signe de faiblesse.
Dans l'année qui suivit, la vie de la baronnie fut bouleversée. Kaïdok avait nommé un nouvel intendant à son image, marié ses soeurs, à tort et à travers selon les bruits, y compris la “princesse” qui dut épouser un tyran. Il avait décidé que Kaja devait devenir un homme, un vrai et il l'avait expédié à l'armée. Ne voyant pas d'intérêt à payer pour ce rejeton mal venu, Kaïdok le fit partir avec ce qu'il avait sur le dos.
Kaja qui, avec les autres commandants, écoutait le général, vérifiait qu'il en était toujours à se plaindre. Il se laissa de nouveau aller à évoquer ses souvenirs.
Lors de son arrivée, il avait su être un des seuls à presque passer à travers le bizutage habituel. Il n'avait pu pour éviter les tours de gardes supplémentaires et autres brimades. Un lieutenant avait tout de suite remarqué comment il avait su désamorcer les situations difficiles et très rapidement sa science des armes lui avait valu le respect. Il avait gravi les échelons assez rapidement sachant faire ce qu'il fallait et flatter qui il fallait. De loin, il avait suivi la ruine de la baronnie. Les paysans préféraient fuir. Kaïdok devenait de plus en plus incontrôlable. Les litres d'alcool qu'il ingérait aggravait la situation. Alors qu'il venait de passer capitaine, Kaja fut convoqué par son chef de corps. Sa majesté, elle-même, s'était émue de ce qui arrivait à la baronnie des Sink. Il reçut l'ordre d'y aller et d'y mettre de l'ordre. C'est à la tête de son détachement qu'il était arrivé devant le château de son enfance. Il avait eu du mal à reconnaître les lieux tellement tout était laissé à l'abandon. Personne ne vint les accueillir. Étonné, il mit pied à terre, fit signe à ses hommes de se reposer tout en restant vigilants. Il monta l'escalier d'honneur suivi par par ses lieutenants. La porte à la peinture écaillée était ouverte. Il la poussa faisant grincer les gonds. Le carrelage du hall était couvert de feuilles et de détritus. Kaja regarda vers la grande salle. Là aussi le désordre semblait total. Il poussa la porte. Le manque de lumière lui évoqua le jour de la mort de l'héritier. Il regarda autour de lui avant de découvrir une forme affamée sur la table. Il s'approcha. Un homme ronflait doucement en faisant des bulles de salive. Il avait la tête directement posée sur la table. Les bras pendaient de chaque côté. Ses lieutenants l'avaient suivi. Kaja contempla son frère qu'il n'avait pas revu. Kaïdok avait le teint bouffi et des poches sous les yeux. Bien qu'en habit de baron, il était sale et sentait mauvais. Kaja fut peiné de le voir ainsi. Le baron Sink était tombé bien bas. Il le secoua doucement. Il n'y eut aucune réponse. Il recommença plus fort. Kaïdok grogna cherchant à ne pas être dérangé. Kaja insista. Kaïdok ouvrit les yeux. Il regarda Kaja comme s'il ne le voyait pas, le regard vide. Puis une lueur mauvaise apparut dans ses yeux :
- Ah ! T'es là, chwacek !
Kaja vit ses lieutenants blêmir sous l'insulte. Ils avaient mis immédiatement la main à l'épée. Une telle accusation ne pouvait se laver que dans le sang. Kaja leur fit signe de se calmer.
- Je suis là, sur ordre du roi. Sinon, je ne serais pas venu…
- Alors c'est ça ! T'es venu me voler ce qu’est à moi.
- Je suis venu voir le baron Sink dont l'ancêtre fut frère du premier roi et voir s'il ne dérogeait pas à l'honneur…
- T’sais même pas c’qu’est l'honneur, chwacek.
- Nous ne sommes plus des enfants, Kaïdok, fit Kaja qui de nouveau faisait signe à ses lieutenants de rester tranquilles.
- Alors, on va voir si t'es devenu un homme, hurla Kaïdok en se levant et en attrapant l'épée qui était sur la table.
Kaja évita la première charge, ce qui augmenta la fureur de son frère.
- J’vois qu’t’es toujours qu'un chwacek ! Tu seras jamais un homme…
Kaïdok attaqua à nouveau, obligeant son frère à dégainer pour se défendre. Kaja, bien que moins puissant, était beaucoup plus rapide que Kaïdok. Chaque parade, chaque esquive augmentaient la fureur de Kaïdok. Il était trop imbibé d’alcool pour se battre efficacement. Il prit sa dague et attaqua de plus belle. Kaja dégaina aussi sa dague. Les lieutenants regardaient les deux frères se battre, prêts à intervenir en cas de besoin. Kaja dominait son frère qui commençait à s'essouffler. Il avait maintenant le souffle trop court pour lancer des insultes et se battre. Il marquait des pauses de plus en plus fréquentes sans pour autant perdre sa fureur. Il accusa son frère de tous les malheurs qui frappaient le domaine et qui n’étaient dus qu’à sa mauvaise gestion. Dans un dernier accès de rage, il se précipita frappant comme un fou. Kaja se défendit en reculant. Il fut touché. Le sang coula sur son bras, faisant hurler de joie Kaïdok, qui accentua son attaque. Kaja esquiva une nouvelle fois d’un mouvement tournant. Kaïdok, emporté par son élan, continua tout droit et voulut tourner. Le tapis sous ses pieds glissa. Il chuta lourdement, s’assommant sur le coin d’un coffre. Il resta à terre. Kaja le regarda de longs instants sans bouger, attendant qu’il se relève.
- Il ne bouge plus, mon capitaine, dit un des lieutenants.
Sans lâcher ses armes, Kaja lui fit signe d’aller voir. Le lieutenant s’approcha de Kaïdok avec précaution. Comme il ne donnait aucun signe d'agressivité, le lieutenant le retourna, puis se releva et dit :
- Il est mort !
Kaja s’approcha pour découvrir la dague profondément enfoncée dans l’abdomen de son frère. L’autre lieutenant prit la parole :
- Les dieux ont jugé. Le roi sera satisfait.
Dans les mois qui suivirent, Kaja reçut le titre de baron. Il changea profondément l’organisation de son domaine, limogeant l’intendant et nommant un autochtone comme l’avait fait son père. Ne dépendant pas financièrement de ses terres, il fit proclamer des conditions de fermage qui firent revenir des paysans sur ses terres. En quelques mois, après les premières récoltes, il pouvait envisager de rénover son château. Cela prendrait du temps. Il n’était pas pressé. Son destin était ailleurs. Le roi l’avait nommé commandant. C’est ainsi qu’il se trouva en charge de surveiller les déplacements pour la fête annuelle dans les hautes terres.
- … et j’espère que vous avez bien compris !
La voix du général le ramena à la réalité. Pour Kaja, il était un homme du passé. Le monde changeait mais sans lui. L’époque de la conquête était loin. Le roi Vergent était une légende et son général, devenu vice-roi de ce royaume, reposait au grand mausolée dans la capitale. Le roi d’aujourd’hui, qui portait encore officiellement le titre de vice-roi, rêvait de s’émanciper de la tutelle de son voisin. Le tribut qu’il devait payer, lui devenait chaque année plus difficile à supporter. Il était de l’âge du père de Kaja et l’avait bien connu. De plus en plus, le vice-roi Gérère se reposait sur son fils, Jobau. C’était un homme qui n’avait pas l’envergure des conquérants. Il voulait faire plaisir et surtout ne pas contrarier son père. - On ne peut pas laisser s’installer le désordre. Vous allez me calmer ça !
Kaja soupira. Il n’aimait pas cela. Pourtant il allait sortir avec ses soldats et rétablir l’ordre. Encore un de ces illuminés qui se prenait pour la réincarnation du roi Riou. Avant chaque fête, il y en avait un qui apparaissait parfois accompagné d’une cheveux blancs… Kaja distribua ses ordres. Il fallait rejoindre Clébiande et là, attraper le rebelle ou l’éliminer. Il ne doutait pas d’y arriver. Après cette mission la grande migration pour la fête dans la haute vallée commencerait. Il recevrait d’autres ordres. La mission serait de surveiller pour éviter que le peuple exalté par la fête ne se révolte. Il fallait à la fois se montrer et rester discret.
Tout en préparant sa mission, il pensa qu’il allait encore faire des jaloux. Le général lui avait confié ce rôle de chasseur sur demande du roi. Gérère avait apprécié la manière qu’il avait employée lors de sa dernière mission dans les grandes plaines de l’est. Il avait été reçu par sa majesté qui devant toute la cour l’avait félicité et avait rappelé combien la famille royale comptait sur la famille Sink. Il était revenu à la capitale avec le meneur prisonnier sans faire un bain de sang qui aurait compromis les récoltes. Depuis, il était malgré lui devenu l’incarnation de ceux qui souhaitaient vivre en paix, et la bête noire de ceux qui, comme Kaïdok, pensait que la violence réglait tout.
Dans la soirée son aide de camp frappa à sa porte pour lui indiquer que tout était prêt.
- Bien, Sexler, nous partirons dès le coucher de l’étoile de Lex. Prévenez les hommes. Nous irons à marches forcées.
vendredi 10 août 2018
Ainsi parla Rma, le fileur de temps...61
Gochan, la mère supérieure, accueillit les nouvelles arrivées comme à son habitude. C’est-à-dire mal. Elle dit à la sœur guide combien elle en avait marre que la grande prêtresse lui envoie tous ses rebuts.
- Ya même pas une vraie révoltée là-dedans !
- Elles sont toutes rebelles à l’autorité !
- C’est pas de la révolte, c’est de l’inconfort !
Les autres gardaient la tête baissée, seule Riak regardait ce qu’il se passait avec des flammes de colère dans les yeux. Gochan la vit, la regarda un instant et reprit sur le même ton, son échange avec la sœur guide.
- Si tu n’as rien de plus, tu peux repartir, conclut-elle.
- Il me reste une missive à vous délivrer, dit la sœur guide en lui tendant un papier plié et scellé.
Elle salua Gochan et sortit à reculons comme le voulait le protocole.
Gochan déplia la missive et commença à la lire. Elle s’interrompit un instant, regarda les silhouettes prosternées et déclara :
- Vous n’allez pas rester là, plantées, à prendre racine. Filez chez l’économe qu’elle s’occupe de vous !
Une gardienne leur fit signe de partir pendant que la mère supérieure reprenait sa lecture. Elles atteignaient la porte quand une des gardiennes retint Riak par le bras :
- Pas toi !
Les autres ne demandèrent pas leur reste et filèrent.
La gardienne fit signe à Riak de la suivre. Elle la fit rentrer dans une petite pièce.
- Attends là !
Riak découvrit une bibliothèque. Il y avait des parchemins et des rouleaux partout sur des rayonnages. Elle s’en approcha, les observa sans oser les toucher. Elle regardait ceux qui étaient étalés sur la table. Elle en vit un qui attira son attention. Une enluminure montrait une jeune femme aux longs cheveux blancs flottant au vent, galopant sur un grand cheval immaculé. La princesse ! Au bord du parchemin, on avait peint un arc-en-ciel. Elle avança la main pour le toucher.
- Ah ! Tu es là !
La voix fit sursauter Riak et elle retira vivement sa main. Gochan venait d’entrer.
- La grande prêtresse m’écrit que tu es une cheveux blancs et que je dois te protéger. Mais elle doute que tu sois faite pour la prière et le service du temple...
- Je ne suis qu’une paysanne qu’on a enlevée de sa terre.
Gochan se mit à rire. Riak avait dit ces paroles sur un ton de colère contenue.
- Tu es bien plus révoltée que toutes celles qu’on a envoyées toutes ces années. On va voir ce qu’on va faire de toi. On a quelques champs, peut-être y seras-tu utile ? À moins que tu ne sois douée pour autre chose…
Gochan regarda Riak plus attentivement :
- Il y a autre chose, n’est-ce pas !
Riak sursauta en entendant cela. Elle se posait la question du comment dire. Comment dire qu’il y avait son groupe qui la suivait ? Elle se lança :
- Je ne suis pas venue seule…
Gochan fronça un peu les sourcils, attendant la suite.
- Durant le voyage certaines personnes sont restées avec moi et m’ont accompagnée, aidée, soutenue. Ils doivent être sur ma piste.
- Ils sont combien ?
- Quatre, une novice, une servante, un jeune essarteur et un homme du lac de Sursu.
- Avec toi cela fait cinq…
Gochan avait pris un air songeur comme si elle pensait à autre chose. Puis elle ajouta :
- Et bien, on va attendre de voir s’ils ne se sont pas perdus dans les canyons.
Elle prit une clochette, l’agita, provoquant l’irruption d’une servante en habit noir. Gochan lui donna des ordres pour Riak.
L’arrivée d’une cheveux blancs mit le petit monde de Nairav en émoi. Les rumeurs se mirent à circuler. La plus insistante émettait l’hypothèse que Riak venait prendre la suite de Gochan.
Nairav était construit sur un large piton rocheux au milieu du canyon. On y arrivait soit par un sentier sinueux parfois composé de passerelles courant le long de la paroi verticale, soit par un ascenseur fait de cordes.
Riak avait suivi la soeur guide sur l'étroite corniche. Elle avait vu les autres femmes trembler de peur en regardant où elles devaient passer. Riak avait surtout examiné le monastère. Elle n'avait pas vu un temple, elle avait vu une place forte avec ses remparts et ses défenses. Bien sûr, les constructions actuelles n'avaient aucune valeur guerrière. On reconnaissait les habitations, le temple et les différentes dépendances. La base racontait une autre histoire. Les pierres parlaient de guerre et de violences.
Riak se souvenait de ses impressions premières tout en découvrant le logement qu'on lui donnait. Sa chevelure blanche lui donnait droit à deux pièces pour elle seule. Les autres femmes avaient rejoint les dortoirs. Elle en avait vite fait le tour et s'était mise à la fenêtre pour essayer d'apercevoir ceux qui devaient suivre.
Avec le temps, l'inquiétude envahit Riak. Les autres n'arrivaient pas. Elle envisageait toutes sortes de scénarios. La nuit commença à tomber sans qu'ils soient là. L'appel à l'office du soir retentit. On vint la chercher. Elle découvrit les rites à Nairav, beaucoup plus décontractée qu’en présence de la mère des novices.
À la fin de la cérémonie, Gochan présenta les nouvelles arrivées. Elle expliqua à celles qui se réjouissaient trop vite que Riak n’était pas venue pour prendre sa place. Elle allait ajouter quelque chose quand une gardienne fit irruption dans le temple :
- Des bayagas ! Y a des bayagas dehors !
Après un premier mouvement de panique vite maîtrisé, les gens calquèrent leur conduite sur celle de la mère supérieure. Gochan, en présentant Nairav aux pèlerins présents, avait expliqué que grâce au diadème, on ne voyait jamais de bayagas. Ce qui permettait aux femmes désireuses de prier pour leur fécondité, durant la nuit dans la cour près du diadème, de pouvoir le faire. Tout le monde se retrouva sur la muraille. Riak reconnut les lueurs changeantes des bayagas en bas dans le canyon. Cela se rapprochait. Une gardienne cria :
- Des voyageurs ! Les bayagas en ont après des voyageurs !
Riak découvrit des silhouettes se découpant sur le fond lumineux de la danse des bayagas. Et puis, elle découvrit une silhouette blanche, ce qui la mit en joie.
- Ils arrivent ! Ils arrivent !
Autour d’elle, elle découvrit des regards d’incompréhension. Personne ne comprenait qu’elle soit en joie de la catastrophe qui approchait. Riak se tourna vers Gochan :
- Ce sont mes amis qui approchent. Ils ne risquent rien et nous non plus. Si on allume un fanal, les bayagas pourront partir.
Gochan regarda Riak d’un air incrédule mais donna l’ordre d’allumer une lanterne et les bayagas se fondirent dans la nuit.
Dans le petit monde de Nairav, l’arrivée de Riak et de l’homme peint en blanc déstabilisa la routine. Gochan elle-même était perplexe. Pour elle, Riak était un signe des dieux. Elle était l’annonce du retour du roi. Gochan voyait mal Jirzérou devenir roi, il était trop âgé. Restait Narch. Elle donna des ordres pour qu’on les éduque. Elle avait fait réunir deux cellules de deux pièces pour accueillir le groupe de Riak.
Les jours passèrent et Riak découvrait la lecture et l’écriture. Narch l’accompagnait et s’imprégnait aussi de savoirs. Gochan passait régulièrement voir les progrès des jeunes. Elle semblait toujours préoccupée. Elle avait décidé que Bemba et Mitaou suivraient le rythme du temple, tout en restant au service de Riak. Pour Jirzérou, la décision de le garder dans le temple sans l’envoyer avec les servants au pied du piton, avait choqué les unes et les autres. Cet homme couvert de blanc, qui idolâtrait Riak ouvertement en lieu et place de la Dame Blanche, n’avait pas sa place dans un temple dédié à la dame blanche.
Un jour, elle convoqua Riak. Celle-ci se rendit chez la mère supérieure en s’interrogeant sur les raisons de la convocation.
- Cela fait une lunaison que vous êtes ici. Demain est une fête à Nairav. Nous célébrons la découverte du diadème. Vous aurez un rôle à jouer. Après l’office du soir, soyez aux places qu’on vous désignera. Puisse la Dame Blanche nous éclairer.
Riak avait rapporté les paroles de Gochan sans pouvoir en dire plus. Chacun avait réagi à sa manière. Mitaou avait exprimé sa peur, Bemba trouvait curieux les rites de Nairav. Narch était tellement heureux de ce qui lui arrivait, qu'il était prêt à faire tout ce qu'on lui demandait. Jirzérou voyait une occasion de rendre hommage à la Bébénalki.
Le lendemain, alors que la nuit était tombée, ils se retrouvèrent dans la grande cour du temple. Chacun fut guidé par une soeur. Riak s'aperçut qu'ils avaient été placés aux sommets d'une étoile dessinée au sol en pavé de couleur. Au centre, on voyait un labyrinthe dont le coeur était occupé par l’écrin du diadème. Gochan s'était positionnée au sommet de la branche de l'étoile la plus proche du grand escalier qui desservait ses appartements.
Dès que la lune apparut, le chant commença. Lent et envoûtant, il toucha Riak au plus profond de son être. Elle ferma les yeux. Revinrent des images de bayagas, dansant et virevoltant. Elle se revit dans la grotte quand l'ombre noire s'approchait. Des cris retentirent. Riak ouvrit les yeux.
L'étoile de Lex venait de se lever. Les bayagas envahissaient la cour, semant la panique parmi les présents. Gochan ne comprenait pas. Le diadème avait toujours fait office de protection. Elle eut un éclair de compréhension. Riak les attirait. Serait-elle l'incarnation du malheur dont parlaient les textes ? Elle n'en continua pas moins le chant. La Dame Blanche les avait toujours protégés, elle devait continuer.
Jirzérou hurla :
- N’ayez pas peur ! Elle est la Bébénalki.
Seules les soeurs de Nairav continuèrent à chanter prenant exemple sur leur mère supérieure. Toutes les autres se précipitèrent vers un abri. Les ombres lumineuses s’immiscèrent entre Riak et Jirzérou, se dirigeant vers le diadème. Ils commencèrent une danse autour qui semblait suivre le rythme du chant. Bientôt ce fut un maelstrom autour du pilier central. La voix de Riak s'éleva. Son chant clair et vif vint en contrepoint de celui des soeurs de Nairav. D'un coup, les bayagas s’immobilisèrent. Une vibration les traversa. Lentement ils se fondirent en une seule formation. Les couleurs variaient en continu, donnant l'impression d'un arc-en-ciel devenu fou. Toute la cour semblait remplie de ce nuage lumineux. Près du diadème qu'on devinait encore, forme immobile au centre du tourbillon, une forme noire apparut. Elle se précisait, aspirant l'ensemble de la lumière. Quand le chant des soeurs de Nairav prit fin, dans la cour redevenue noire, simplement éclairée par la lune, le diadème luisait doucement. À l'opposé, l'ombre noire était devenue dense. Sous les yeux de Gochan, un guerrier aussi noir que la plus noire des nuits apparut. Il avança vers Riak, dans un bruit d’armure en mouvement. Arrivé devant elle, il dégaina son arme, noire comme la mort. Riak se retrouva la dague à la main. Les deux armes se touchèrent dans une gerbe d'étincelles. Riak le regarda droit dans les yeux. Elle vit des puits sans fond. Elle hurla comme dans la grotte :
- Bar Loka !
Il y eut une explosion de lumière, aveuglant tous ceux qui regardaient. Quand la vision leur revint, la place était vide dans la nuit et, seule une épée blanche plantée dans le sol brillait sous les rayons de la lune.
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