La porte du Milmac blanc s'ouvrit à toute volée alors que la bagarre était quasi générale dans l'auberge. Crachtal et tous les employés étaient occupés à protéger le matériel mis à mal. Névtelen était dans le coin où se tenait Schtenkel. C'était le seul endroit calme de l'auberge. Névtelen essayait d'y glisser ce qu'il pouvait récupérer comme mobilier pour le protéger. Il s'arrêta brusquement, deux tabourets levés, regardant bouche bée vers la porte. Son mouvement devint quasi général comme une vague de silence qui courut dans la grande salle de l'auberge. Crachtal lui-même fit silence, passant du hurlement tonitruant à la mutité complète. Tous les regards convergèrent vers la porte. Une créature blanche gigantesque venait d'entrer.
Le temps resta suspendu un instant.
D'autres silhouettes blanches entrèrent à leur tour. Plus petites, elles avaient l'air plus familières. Puis la grande se secoua. Ce fut comme une tempête dans la pièce, la neige vola partout. Quand le nuage retomba, Névtelen découvrit un géant aux poils hirsutes et à la pelisse de loup.
- Qu'essst-ce que vous aaavez à me rrrregarrrder comme ççça ? Vous n'avez jamais vu un chevalier ?
Une des petites silhouettes blanches se secoua et se mit à courir vers le comptoir :
- AUBERRRGISSSTE ! AUBERRRGISSSTE !
Crachtal sembla se réveiller.
- J'arrive, Monseigneur ! J'arrive !
Avec forces courbettes, il s'avança jusqu'au serviteur du chevalier.
- Que puis-je pour votre seigneurie ?
- Donne-nous ta meilleurrre sssuite. Nous avons forrrcccé l'hiverrr pourrr arrrrrriver. Le princcce a besoin de rrrepos.
Crachtal ne le fit pas répéter. L'auberge était vide. Il s'en fallait de plusieurs lunaisons avant que ne reviennent les premiers voyageurs. C'était un miracle que ceux-ci soient arrivés. De mémoire d'hommes, personne n'avait osé voyager au cœur de l'hiver jusqu'à Tichcou.
Crachtal hurla des ordres pour qu'on prépare et qu'on chauffe les chambres. Pendant que Névtelen et les autres serviteurs s'activaient pour remettre en état une partie de la maison, les soldats observaient ceux qui venaient d'arriver et qui continuaient à entrer. Il y avait dans le regard à la fois du défi et de l'admiration. Voir un prince de Flamtimo en plein hiver au Milmac blanc n'était pas commun.
- DU MALCH NOIRRRR ! hurla le géant.
Crachtal se précipita et apporta une jarre neuve ainsi que sa meilleure chope. Le géant but d'un trait la chope et cracha tout à la figure de l'aubergiste :
- TU APPELLES ÇA DU MALCH NOIRRRR !
Dégainant une grande épée, il l'abattit sur l'aubergiste. Le sang gicla loin et fort. L'assistance fit un bond en arrière. Tout le monde contempla les deux moitiés de Crachtal à terre pendant que le sang se répandait sur le sol de terre battu. Michta fut la première à réagir en hurlant. Un soldat la gifla. Le serviteur du prince se précipita vers son maître avec un gobelet finement ciselé :
- Tenez, mon prrrince, voici de la Slimcha de notrrre rrréserrrve.
- Merrrci, Chmint, dit le prince, puis se tournant vers la salle après avoir vidé son verre, il ajouta :
- Je rrréquisssitionne ccce lieu pourrr en fairrre mon lieu, parrr ccces parrroles, moi, Prrrince RRRoi de Flamtimo je rrrevendique mon drrroit. Que cccelui qui est contrrre sss'oppossse maintenant ou se taissse à jamais !
Tout en disant cela, il parcourut l'assemblée en posant sur elle un regard noir, la main se crispant convulsivement sur la poignée de l'épée ensanglantée. Dans le silence abasourdi des présents, une petite voix s'éleva :
- Mais qu'est-ce qu'on va devenir ?
Le géant se tourna vers l'origine du son. Il s'avança provoquant le recul de ceux qui étaient devant lui. Il s'arrêta devant un tas de vêtements de couleurs vives. Du bout de son épée, il releva le visage de Michta. Il la contempla un instant. Se tournant vers son serviteur, il dit :
- Qu'elle sssoit à mon ssserrrviccce, elle et ssses compagnons !
Puis regardant la femme, il lui dit d'une voix qu'il tenta d'adoucir :
- Trrouve moi du malch noirr buvable !
Se redressant, il dit :
- Que sssortent tous ccceux qui ne sssont pas à mon serrrviccce !
Ce fut la bousculade. Bientôt ne resta dans la salle que les serviteurs du prince, Névtelen et Schtenkel qui longeait le mur pour sortir. Il avait presque atteint la porte quand la voix forte du prince claqua :
- TOI ! QUEL EST TON NOM ?
Schtenkel se retourna doucement. Il vit un serviteur le désignant au prince. Le visage lui était connu. Il chercha un instant. Si le nom lui échappa, il se souvint qu'il était de la maison du prince de Flamtimo à qui il devait la vie sauve lors de son procès.
- Schtenkel, prince, dit-il, résigné.
- Alorrrs, tu ne parrrs pas. Tu es à mon serrrviccce !
La discussion s'arrêta là car les deux commandants du fort de Tichcou venaient d'arriver. Ils marquèrent un temps d'arrêt devant la haute stature du prince debout au milieu de la salle, revêtu de peaux de loup et l'épée à la main. Se redressant, ils s'approchèrent du géant. Le plus âgé prit la parole :
- Prince, nos informateurs nous ont rapporté les faits. Dans notre juridiction, il est coupable de trancher les gens en deux...
Le prince-roi partit d'un grand éclat de rire qui déstabilisa les deux officiers. Se tournant vers la dépouille de l'aubergiste que Névtelen commençait à déplacer, il répondit :
- Cccette canaille qui vole le monde depuis sssi longtemps mérrritait vingt fois la mort pourrr ssses forrrfaits. Me ssservir ssson poissson a sssimplement été le derrrnier !
- Peut-être, mais on ne...
- Et qui va me dirrre le contrrrairrre ? Vous ? Je sssuis Prrrince-rrroi et ne dépend que de mon sssuzzzerrrain. Le rrroi Yasss est morrrt et ssson sssucccccesssssseur n'est pas encorrre là. Alorrrs, sssoldats, ne vous avisssez pas de vouloirrr interrrvenirrr ou ccc'est tout le peuple de Flamtimo qui viendrrra ici. Maintenant, RRROMPEZ !
Vu le personnage, ses arguments et cette grande épée qui semblait douée d'une vie propre, ils n'insistèrent pas. Alors qu'ils sortaient, Michta rentrait avec une jarre venant de l'auberge du mont.
- Voilà, Monseigneur, si elle vous va, ils sont prêts à en fournir d'autre, lui dit-elle en lui tendant une chope.
Attrapant la jarre et laissant le gobelet à Michta, le prince-roi la vida d'un trait. Il eut un rôt de satisfaction :
- Ccc'est bien, femme, rrramènesss-en encorrre !
Névtelen n'entendit pas la suite. Il venait de sortir de la pièce, traînant les restes de Crachtal qu'il avait empaquetés comme il pouvait dans la grande cape que l'aubergiste utilisait quand il devait affronter le froid.
Quand se promènent les mots, des histoires prennent corps. Que ce lieu leur serve de repos.
mardi 29 janvier 2013
vendredi 25 janvier 2013
Le feu changea Schtenkel, doucement, très doucement. Il commença par réparer sa bicoque, petit à petit, en expliquant à Névtelen qu'il ne voulait pas qu'on voie son feu toujours allumé. Il ne voulait pas qu'on le prenne pour un sorcier. Il avait commencé par la face visible depuis la rue. Il avait utilisé des branchages en les entrelaçant dans les trous. Profitant du feu, il avait pu faire dégeler la terre et avec cette boue, il avait bouché les fissures. Était-ce l'odeur qui se réveillait avec la chaleur ? Ou bien prenait-il conscience de sa saleté repoussante parce qu'il buvait moins ? Ce que les autres remarquèrent, ce furent les changements dans son habillement. Buvant moins, il lui resta de l'argent qu'il utilisa pour se racheter des habits plus propres. Au Milmac blanc, les uns et les autres prirent conscience qu'il s'était passé quelque chose entre les deux hommes. Schtenkel parlait à Névtelen de temps à autre et il l'appelait : « le chasseur ». Michta regardait cela d'un mauvais œil.
Que savait Schtenkel que les autres ignoraient ? Elle posa la question à Névtelen.
- Qui t'es ?
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Ben oui, qui t'es toi ? T'arrives un jour, comme ça, personne n'te connaît. T'as pas la tête des gens du coin et puis l'vieux Schtenkel qui t'cause alors qui cause à personne.
Névtelen sentit la défiance dans le ton de la voix. On était loin de l'accueil du début. En même temps, il vit que les autres employés du Milmac blanc les regardaient.
- Je suis qu'un pauvre trappeur avec la tête remplie d'images étranges dont je ne sais même pas si je les ai vues ou rêvées...
Il n'eut pas le temps d'aller plus loin dans ses explications, Crachtal entra rouge de colère. Ce fut un sauve-qui-peut général. Nul ne tenait à savoir l'origine de l'ire du patron mais tous en connaissaient les possibles conséquences pour leur dos. La seul chose dont Crachtal n'était pas avare, était le fouet. Névtelen et Michta se retrouvèrent dans son point de mire. L'un parce que les tiburs s'étaient détachés et l'autre parce qu'elle rêvassait avec Névtelen au lieu de trimer pour celui qui la faisait vivre. Névtelen se dépêcha d'aller vers les écuries. Il ne comprenait pas comment les tiburs avaient pu se détacher. En partant, il entendit Michta se défendre face à Crachtal en lui parlant du mauvais œil. Les paroles du patron claquèrent comme un fouet :
- Quand deux traîneurs de poisse se rencontrent, que veux-tu avoir à part de la poisse !
Les relations se dégradèrent petit à petit entre Névtelen et les gens du Milmac blanc. Cela se passa sans véritable crise. Petit à petit, il se retrouva en dehors des réunions, des échanges. Il n'était plus au courant de ce qui se disait, des petits potins de la ville et de l'auberge. Seul Crachtal ne changeait pas. Il était toujours aussi mauvais. Ses cris retentissaient avec la même vigueur dans tout l'établissement.
Avec la mort de Yas et les batailles qui avaient suivi, Tichcou n'était pas très gaie en cet hiver. Si le bois ne manquait pas, les provisions étaient justes. Les troupeaux de tiburs furent mis à contribution plus qu'à l'accoutumée. La neige qui tombait en abondance, rendait la chasse aléatoire. Comme si cela ne suffisait pas, les chasseurs revenaient souvent bredouilles accusant une meute de loups et de loups noirs qui plus est, de décimer le gibier. Les militaires en avaient fait le centre de leurs discussions au comptoir. Le commandant de la place avait tenté de motiver ses hommes pendant une période d'accalmie en leur promettant une récompense s'ils ramenaient une peau de loup et une double récompense si elle était noire. Ils étaient rentrés harassés et les mains vides. Si les traces étaient nombreuses et fraîches, les traques n'avaient rien donné. Quant aux pièges, les seuls animaux à s'être fait capturer avaient été une équipe de chasseurs rentrant en ville...
Crachtal était bien le seul à être moins mécontent qu'à l'accoutumée. Le Milmac blanc connaissait une certaine affluence. Les soldats pouvaient s'y occuper sans attirer les foudres de leurs supérieurs. Quant à ceux-ci, quand ils venaient, ce qui était rare, ils devisaient à une table à part, essayant de percevoir qui, des différents généraux, prendrait le pouvoir. La discussion était toujours animée. Étaient restés des éléments des quatre armées. Avant l'arrivée de Névtelen, l'annonce de la victoire d'Altalanos sur Lujàn avait donné lieu à des bagarres entre les différents protagonistes. Sagement les commandants des deux unités avaient passé un accord. Vu le rapport de force locale, ce fut un fidèle de Lujàn qui prit le commandement conjoint. Il était le plus gradé, le plus écouté et il accepta que son autorité fut secondé efficacement par le colonel fidèle à Altalanos.
On était passé de quatre clans à trois, puis de trois à deux quand les nouvelles d'un rapprochement des Izuus et du général Saraya avait changé la donne. Si au début de l'hiver, un pacte de non agression avait été passé entre les quatre camps, il devint évident à tous que la situation ne tiendrait pas jusqu'au printemps sans bagarre. Dans le fort la séparation devenait palpable. Par petits déménagements successifs, on était arrivé à ce que le côté des casernements au soleil levant soit réservé aux troupes loyales envers Saraya, le couchant accueillant les autres. Au Milmac blanc, ce fut pareil chaque camp avait son côté. Les bagarres y étaient fréquentes mais tacitement sans arme.
La tempête soufflait depuis plusieurs jours quand l'impensable arriva...
Que savait Schtenkel que les autres ignoraient ? Elle posa la question à Névtelen.
- Qui t'es ?
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Ben oui, qui t'es toi ? T'arrives un jour, comme ça, personne n'te connaît. T'as pas la tête des gens du coin et puis l'vieux Schtenkel qui t'cause alors qui cause à personne.
Névtelen sentit la défiance dans le ton de la voix. On était loin de l'accueil du début. En même temps, il vit que les autres employés du Milmac blanc les regardaient.
- Je suis qu'un pauvre trappeur avec la tête remplie d'images étranges dont je ne sais même pas si je les ai vues ou rêvées...
Il n'eut pas le temps d'aller plus loin dans ses explications, Crachtal entra rouge de colère. Ce fut un sauve-qui-peut général. Nul ne tenait à savoir l'origine de l'ire du patron mais tous en connaissaient les possibles conséquences pour leur dos. La seul chose dont Crachtal n'était pas avare, était le fouet. Névtelen et Michta se retrouvèrent dans son point de mire. L'un parce que les tiburs s'étaient détachés et l'autre parce qu'elle rêvassait avec Névtelen au lieu de trimer pour celui qui la faisait vivre. Névtelen se dépêcha d'aller vers les écuries. Il ne comprenait pas comment les tiburs avaient pu se détacher. En partant, il entendit Michta se défendre face à Crachtal en lui parlant du mauvais œil. Les paroles du patron claquèrent comme un fouet :
- Quand deux traîneurs de poisse se rencontrent, que veux-tu avoir à part de la poisse !
Les relations se dégradèrent petit à petit entre Névtelen et les gens du Milmac blanc. Cela se passa sans véritable crise. Petit à petit, il se retrouva en dehors des réunions, des échanges. Il n'était plus au courant de ce qui se disait, des petits potins de la ville et de l'auberge. Seul Crachtal ne changeait pas. Il était toujours aussi mauvais. Ses cris retentissaient avec la même vigueur dans tout l'établissement.
Avec la mort de Yas et les batailles qui avaient suivi, Tichcou n'était pas très gaie en cet hiver. Si le bois ne manquait pas, les provisions étaient justes. Les troupeaux de tiburs furent mis à contribution plus qu'à l'accoutumée. La neige qui tombait en abondance, rendait la chasse aléatoire. Comme si cela ne suffisait pas, les chasseurs revenaient souvent bredouilles accusant une meute de loups et de loups noirs qui plus est, de décimer le gibier. Les militaires en avaient fait le centre de leurs discussions au comptoir. Le commandant de la place avait tenté de motiver ses hommes pendant une période d'accalmie en leur promettant une récompense s'ils ramenaient une peau de loup et une double récompense si elle était noire. Ils étaient rentrés harassés et les mains vides. Si les traces étaient nombreuses et fraîches, les traques n'avaient rien donné. Quant aux pièges, les seuls animaux à s'être fait capturer avaient été une équipe de chasseurs rentrant en ville...
Crachtal était bien le seul à être moins mécontent qu'à l'accoutumée. Le Milmac blanc connaissait une certaine affluence. Les soldats pouvaient s'y occuper sans attirer les foudres de leurs supérieurs. Quant à ceux-ci, quand ils venaient, ce qui était rare, ils devisaient à une table à part, essayant de percevoir qui, des différents généraux, prendrait le pouvoir. La discussion était toujours animée. Étaient restés des éléments des quatre armées. Avant l'arrivée de Névtelen, l'annonce de la victoire d'Altalanos sur Lujàn avait donné lieu à des bagarres entre les différents protagonistes. Sagement les commandants des deux unités avaient passé un accord. Vu le rapport de force locale, ce fut un fidèle de Lujàn qui prit le commandement conjoint. Il était le plus gradé, le plus écouté et il accepta que son autorité fut secondé efficacement par le colonel fidèle à Altalanos.
On était passé de quatre clans à trois, puis de trois à deux quand les nouvelles d'un rapprochement des Izuus et du général Saraya avait changé la donne. Si au début de l'hiver, un pacte de non agression avait été passé entre les quatre camps, il devint évident à tous que la situation ne tiendrait pas jusqu'au printemps sans bagarre. Dans le fort la séparation devenait palpable. Par petits déménagements successifs, on était arrivé à ce que le côté des casernements au soleil levant soit réservé aux troupes loyales envers Saraya, le couchant accueillant les autres. Au Milmac blanc, ce fut pareil chaque camp avait son côté. Les bagarres y étaient fréquentes mais tacitement sans arme.
La tempête soufflait depuis plusieurs jours quand l'impensable arriva...
mardi 22 janvier 2013
La suite était connue de tous. Schtenkel le savait. Il se renferma dans un mutisme boudeur refusant de répondre aux questions. Comme il se faisait tard, personne n'insista beaucoup. Bientôt la salle se vida. Crachtal regardant Schtenkel affalé sur sa table fit signe à Névtelen :
- Ramène-le chez lui !
Névtelen s'approcha du conteur qui ronflait la tête posée sur ses bras repliés. Il le secoua. Des grognements désapprobateurs du dormeur l'obligèrent à insister. Schtenkel se débattit un peu.
Névtelen insista :
- On ferme ! Il faut y aller !
- Grrrmff !
Névtelen le secoua plus fort. Schtenkel ouvrit un peu les yeux, les referma tentant d'échapper à la poigne de Névtelen. Devant l'insistance, Schtenkel se leva difficilement, titubant à moitié. Névtelen lui passa le bras sous l'épaule. Tout en le soutenant, il se dirigea vers la porte.
- Et dépêche-toi ! Y a pas qu'ça à faire !
Névtelen fit un signe d’acquiescement à Crachtal et ouvrit la porte. Dans la nuit, la neige tombait doucement sans bruit. Ils avancèrent dans la nuit faiblement éclairée par le mauvais fanal que tenait Névtelen. Schtenkel se laissait porter plus qu'il ne marchait. Heureusement, il habitait une masure non loin de là. Quand il poussa la porte délabrée, Névtelen sentit la mort qui rôdait dans ce froid noir qui régnait dans ce lieu. Il pensa que même s'il avait ingurgité beaucoup de malch, Schtenkel allait geler. Ce dernier avait repris un peu de conscience. Il disait :
- T'es mon ami, hein mec ! T'es mon ami !
Névtelen répondait oui par automatisme. Le temps de poser son fardeau sur le grabat, il fit le tour de la baraque. Dans un coin, il y avait quelques pierres qui protégeaient ce qui devait être le foyer. Il prit les quelques morceaux de bois qui traînaient ça et là et démarra un feu. Comme à chacune de ses actions, il vit d'autres moments, d'autres feux plus forts, plus vifs, et surtout plus chauds. À la lumière dansante des flammes naissantes, il allongea correctement Schtenkel qui déjà s'était rendormi. Il le couvrit des quelques fourrures pelées qu'il découvrit en tas. Mal à l'aise, il se sentait incapable de partir en le laissant là, comme ça, prêt à crever de froid. Il soupira et sortit pour aller chercher plus de bois. Il avait laissé le fanal chez Schtenkel. La nuit n'était jamais assez noire pour l'empêcher de se déplacer. Il profita que la neige étouffait le bruit de ses pas pour aller à la grande réserve du fort. Si les soldats disposaient d'une réserve avec eux, la plus grande partie était stockée à l'extérieur. Une corvée faisait la navette tous les jours. Chargé de bois, il reprit la direction de la cabane de Schtenkel. En se retournant pour voir si malgré la nuit noire, il n'y avait pas de témoin, il vit ses traces de pas. Il jura. Profondes et bien marquées en raison du poids qu'il transportait, elles étaient comme une signature. Il décida de faire un détour par la grand rue. C'était plus risqué dans l'immédiat mais plus prudent pour l'avenir. Il dut se cacher une fois. La patrouille faisait son tour. Visible de loin à cause des torches, elle lui permit de changer de route. Quand il arriva chez Schtenkel, il entendit comme un grognement. Il vit alors couché contre Schtenkel qui ronflait un grand snaff. Celui-ci montra les dents. Névtelen lui parla doucement tout en avançant dans la cabane. Posant le bois, il entreprit de préparer le feu pour le reste de la nuit. Le grognement se transforma en un sourd grondement mais le snaff ne bougea pas, seul son regard restait fixé sur lui. Il était grand pour un snaff. Il avait l'avant-train particulièrement développé. A l'état sauvage, ces bêtes nettoyaient la nature des dépouilles qu'ils trouvaient. Quand la nécessité se faisait sentir, en meute, ils pouvaient devenir agressifs. On avait utilisé cette particularité pour en faire des races pour la chasse. Les gens du coin les utilisaient surtout pour défendre les troupeaux. Les jeunes pouvaient se dresser et ils faisaient des compagnons fidèles pour les bergers qui couraient les montagnes. Névtelen s'occupait toujours du feu avec plaisir. Ces flammes dansantes le fascinaient. Il disposa son bois tout en lui parlant pour qu'il dure longtemps. Quand il quitta la cabane, la chaleur commençait à se répandre.
En arrivant au Milmac blanc, tout était plongé dans l'obscurité. Névtelen fit le tour pour passer par la cour. Il se glissa derrière le gardien endormi et rejoignit sa paillasse.
Le lendemain Schtenkel arriva comme d'habitude. Il se posa dans son coin sans rien dire. Névtelen passa et repassa par la salle sans rien remarquer. Crachtal, comme à son habitude, faisait tourner le service à grands coups de gueule. Le Milmac blanc était devenu comme la cantine des militaires. Ceux-ci venaient y dépenser leur solde quand ils la touchaient et vivaient à crédit le reste du temps. C'est Michta qui lui mit la puce à l'oreille :
- T'as vu comme y t'regarde !
Névtelen se tourna dans sa direction, mais ce dernier mangeait le brouet que Michta venait de lui apporter.
- Même qu'y m'a d'mandé d'où tu v'nais.
Névtelen haussa les épaules. Il avait trop à faire pour se poser des questions. L'après-midi passa comme ça. Vers le soir Crachtal lui donna l'ordre de nettoyer le fond de la salle des dégâts faits par une escouade de soldats. Armé d'un balai et d'un seau, il se mit à ramasser tout ce qui traînait.
- T'es pas un peu sorcier ?
Névtelen se retourna brusquement pour regarder qui lui parlait. Il était à côté de la table de Schtenkel. Ce dernier lui avait posé la question à mi-voix sans lever la tête. Névtelen regarda autour d'eux. Vu l'agitation au comptoir, personne ne les regardait. Névtelen répondit de même :
- Non, même pas !
- Mon feu brûle toujours.
Névtelen lui jeta un regard interrogateur.
- Viens après ton service.
Ayant dit cela, Schtenkel se leva et partit. Névtelen continua son travail, sans voir que Michta n'avait rien perdu de la scène.
- Méfie-toi ! lui dit-elle, un peu plus tard quand ils se croisèrent
- De quoi ?
- Y porte l'mauvais œil.
Névtelen lui jeta un regard surpris.
- À cause de ses voyages ? Mais il n'a jamais décidé de ses voyages !
Cette raison ne sembla pas suffire à Michta. Elle avait la même opinion que la majorité des gens. Ce personnage portait malheur. On ne gagnait que des ennuis à rester près de lui. La conversation n'alla pas plus loin.
Le soir venu, Névtelen attendit la noirceur de la nuit pour reprendre la route de la cabane de Schtenkel. Il le trouva assis sur son grabat. Le snaff était couché derrière lui. Il ne bougea même pas quand Névtelen poussa la porte de la bicoque. Une certaine chaleur régnait. Schtenkel fit un geste pour lui montrer le foyer, tout en ajoutant d'une voix pâteuse :
- Regarde ! Je n'ai même pas mis de bois aujourd'hui.
Névtelen regarda le feu qui brûlait doucement. Sans la précision de Schtenkel, il n'aurait pas deviné. Il s'approcha des quelques bûches et reconnut celles de la veille.
- Et tu me dis que t'es pas sorcier !
Névtelen fit un geste d'incompréhension.
- Si tu crois que je n'ai pas vu...
- Vu quoi ?
- Quand t'es arrivé avec ton copain, la bande du grand Slaff a disparu. Y a l'trappeur qu'a retrouvé que les morceaux. Si les loups noirs reviennent, c'est qu'on n'a pas fini d'en voir. Et maintenant t'es là à faire un feu qui chauffe sans bois.
- Oui, et alors ?
- Alors j'vais t'dire c'que j'en pense ! T'es un foutu chasseur de dragon qui veut pas qu'on le sache !
Névtelen resta sans voix. Schtenkel brandit un doigt triomphant :
- Et tu sais pourquoi qu'tu veux pas qu'on l'sache ?
Névtelen fit non de la tête.
- Parce que toi, tu sais comment tu peux en finir avec le dragon !
Névtelen ouvrit la bouche mais ne sut que répondre. Il pensa que quoiqu'il dise, Schtenkel l'utiliserait pour alimenter son discours.
- Ah ! Ah ! Tu dis rien ! Alors j'vais passer un marché avec toi. J'veux la gloire, toi tu t'en fous, sinon tu f'rais pas c'que tu fais. Alors qu'en t'en auras fini avec ce monstre, tu t'tires et moi je reviens avec la gloire !
- Et si je ne veux pas ?
- T'as pas l'choix, mon gars ! J'dis tout aux militaires !
Schtenkel avait dit cela sur un air triomphant, sûr que ses raisonnements d'ivrognes étaient imparables. Névtelen se mit à penser à toute vitesse. Il ne risquait rien à marcher dans son jeu. De plus Schtenkel connaissait la région. Névtelen avait peur de mélanger ses souvenirs tout en marchant vers la grotte du dragon. Tant que ce buveur de malch resterait persuadé de ses délires, il aurait un guide avantageux.
- D'accord, dit Névtelen, et pour sceller notre accord, je te laisse ce feu.
- Alors buvons à notre collaboration, dit Schtenkel en sortant un pot de malch noir.
- Ramène-le chez lui !
Névtelen s'approcha du conteur qui ronflait la tête posée sur ses bras repliés. Il le secoua. Des grognements désapprobateurs du dormeur l'obligèrent à insister. Schtenkel se débattit un peu.
Névtelen insista :
- On ferme ! Il faut y aller !
- Grrrmff !
Névtelen le secoua plus fort. Schtenkel ouvrit un peu les yeux, les referma tentant d'échapper à la poigne de Névtelen. Devant l'insistance, Schtenkel se leva difficilement, titubant à moitié. Névtelen lui passa le bras sous l'épaule. Tout en le soutenant, il se dirigea vers la porte.
- Et dépêche-toi ! Y a pas qu'ça à faire !
Névtelen fit un signe d’acquiescement à Crachtal et ouvrit la porte. Dans la nuit, la neige tombait doucement sans bruit. Ils avancèrent dans la nuit faiblement éclairée par le mauvais fanal que tenait Névtelen. Schtenkel se laissait porter plus qu'il ne marchait. Heureusement, il habitait une masure non loin de là. Quand il poussa la porte délabrée, Névtelen sentit la mort qui rôdait dans ce froid noir qui régnait dans ce lieu. Il pensa que même s'il avait ingurgité beaucoup de malch, Schtenkel allait geler. Ce dernier avait repris un peu de conscience. Il disait :
- T'es mon ami, hein mec ! T'es mon ami !
Névtelen répondait oui par automatisme. Le temps de poser son fardeau sur le grabat, il fit le tour de la baraque. Dans un coin, il y avait quelques pierres qui protégeaient ce qui devait être le foyer. Il prit les quelques morceaux de bois qui traînaient ça et là et démarra un feu. Comme à chacune de ses actions, il vit d'autres moments, d'autres feux plus forts, plus vifs, et surtout plus chauds. À la lumière dansante des flammes naissantes, il allongea correctement Schtenkel qui déjà s'était rendormi. Il le couvrit des quelques fourrures pelées qu'il découvrit en tas. Mal à l'aise, il se sentait incapable de partir en le laissant là, comme ça, prêt à crever de froid. Il soupira et sortit pour aller chercher plus de bois. Il avait laissé le fanal chez Schtenkel. La nuit n'était jamais assez noire pour l'empêcher de se déplacer. Il profita que la neige étouffait le bruit de ses pas pour aller à la grande réserve du fort. Si les soldats disposaient d'une réserve avec eux, la plus grande partie était stockée à l'extérieur. Une corvée faisait la navette tous les jours. Chargé de bois, il reprit la direction de la cabane de Schtenkel. En se retournant pour voir si malgré la nuit noire, il n'y avait pas de témoin, il vit ses traces de pas. Il jura. Profondes et bien marquées en raison du poids qu'il transportait, elles étaient comme une signature. Il décida de faire un détour par la grand rue. C'était plus risqué dans l'immédiat mais plus prudent pour l'avenir. Il dut se cacher une fois. La patrouille faisait son tour. Visible de loin à cause des torches, elle lui permit de changer de route. Quand il arriva chez Schtenkel, il entendit comme un grognement. Il vit alors couché contre Schtenkel qui ronflait un grand snaff. Celui-ci montra les dents. Névtelen lui parla doucement tout en avançant dans la cabane. Posant le bois, il entreprit de préparer le feu pour le reste de la nuit. Le grognement se transforma en un sourd grondement mais le snaff ne bougea pas, seul son regard restait fixé sur lui. Il était grand pour un snaff. Il avait l'avant-train particulièrement développé. A l'état sauvage, ces bêtes nettoyaient la nature des dépouilles qu'ils trouvaient. Quand la nécessité se faisait sentir, en meute, ils pouvaient devenir agressifs. On avait utilisé cette particularité pour en faire des races pour la chasse. Les gens du coin les utilisaient surtout pour défendre les troupeaux. Les jeunes pouvaient se dresser et ils faisaient des compagnons fidèles pour les bergers qui couraient les montagnes. Névtelen s'occupait toujours du feu avec plaisir. Ces flammes dansantes le fascinaient. Il disposa son bois tout en lui parlant pour qu'il dure longtemps. Quand il quitta la cabane, la chaleur commençait à se répandre.
En arrivant au Milmac blanc, tout était plongé dans l'obscurité. Névtelen fit le tour pour passer par la cour. Il se glissa derrière le gardien endormi et rejoignit sa paillasse.
Le lendemain Schtenkel arriva comme d'habitude. Il se posa dans son coin sans rien dire. Névtelen passa et repassa par la salle sans rien remarquer. Crachtal, comme à son habitude, faisait tourner le service à grands coups de gueule. Le Milmac blanc était devenu comme la cantine des militaires. Ceux-ci venaient y dépenser leur solde quand ils la touchaient et vivaient à crédit le reste du temps. C'est Michta qui lui mit la puce à l'oreille :
- T'as vu comme y t'regarde !
Névtelen se tourna dans sa direction, mais ce dernier mangeait le brouet que Michta venait de lui apporter.
- Même qu'y m'a d'mandé d'où tu v'nais.
Névtelen haussa les épaules. Il avait trop à faire pour se poser des questions. L'après-midi passa comme ça. Vers le soir Crachtal lui donna l'ordre de nettoyer le fond de la salle des dégâts faits par une escouade de soldats. Armé d'un balai et d'un seau, il se mit à ramasser tout ce qui traînait.
- T'es pas un peu sorcier ?
Névtelen se retourna brusquement pour regarder qui lui parlait. Il était à côté de la table de Schtenkel. Ce dernier lui avait posé la question à mi-voix sans lever la tête. Névtelen regarda autour d'eux. Vu l'agitation au comptoir, personne ne les regardait. Névtelen répondit de même :
- Non, même pas !
- Mon feu brûle toujours.
Névtelen lui jeta un regard interrogateur.
- Viens après ton service.
Ayant dit cela, Schtenkel se leva et partit. Névtelen continua son travail, sans voir que Michta n'avait rien perdu de la scène.
- Méfie-toi ! lui dit-elle, un peu plus tard quand ils se croisèrent
- De quoi ?
- Y porte l'mauvais œil.
Névtelen lui jeta un regard surpris.
- À cause de ses voyages ? Mais il n'a jamais décidé de ses voyages !
Cette raison ne sembla pas suffire à Michta. Elle avait la même opinion que la majorité des gens. Ce personnage portait malheur. On ne gagnait que des ennuis à rester près de lui. La conversation n'alla pas plus loin.
Le soir venu, Névtelen attendit la noirceur de la nuit pour reprendre la route de la cabane de Schtenkel. Il le trouva assis sur son grabat. Le snaff était couché derrière lui. Il ne bougea même pas quand Névtelen poussa la porte de la bicoque. Une certaine chaleur régnait. Schtenkel fit un geste pour lui montrer le foyer, tout en ajoutant d'une voix pâteuse :
- Regarde ! Je n'ai même pas mis de bois aujourd'hui.
Névtelen regarda le feu qui brûlait doucement. Sans la précision de Schtenkel, il n'aurait pas deviné. Il s'approcha des quelques bûches et reconnut celles de la veille.
- Et tu me dis que t'es pas sorcier !
Névtelen fit un geste d'incompréhension.
- Si tu crois que je n'ai pas vu...
- Vu quoi ?
- Quand t'es arrivé avec ton copain, la bande du grand Slaff a disparu. Y a l'trappeur qu'a retrouvé que les morceaux. Si les loups noirs reviennent, c'est qu'on n'a pas fini d'en voir. Et maintenant t'es là à faire un feu qui chauffe sans bois.
- Oui, et alors ?
- Alors j'vais t'dire c'que j'en pense ! T'es un foutu chasseur de dragon qui veut pas qu'on le sache !
Névtelen resta sans voix. Schtenkel brandit un doigt triomphant :
- Et tu sais pourquoi qu'tu veux pas qu'on l'sache ?
Névtelen fit non de la tête.
- Parce que toi, tu sais comment tu peux en finir avec le dragon !
Névtelen ouvrit la bouche mais ne sut que répondre. Il pensa que quoiqu'il dise, Schtenkel l'utiliserait pour alimenter son discours.
- Ah ! Ah ! Tu dis rien ! Alors j'vais passer un marché avec toi. J'veux la gloire, toi tu t'en fous, sinon tu f'rais pas c'que tu fais. Alors qu'en t'en auras fini avec ce monstre, tu t'tires et moi je reviens avec la gloire !
- Et si je ne veux pas ?
- T'as pas l'choix, mon gars ! J'dis tout aux militaires !
Schtenkel avait dit cela sur un air triomphant, sûr que ses raisonnements d'ivrognes étaient imparables. Névtelen se mit à penser à toute vitesse. Il ne risquait rien à marcher dans son jeu. De plus Schtenkel connaissait la région. Névtelen avait peur de mélanger ses souvenirs tout en marchant vers la grotte du dragon. Tant que ce buveur de malch resterait persuadé de ses délires, il aurait un guide avantageux.
- D'accord, dit Névtelen, et pour sceller notre accord, je te laisse ce feu.
- Alors buvons à notre collaboration, dit Schtenkel en sortant un pot de malch noir.
vendredi 18 janvier 2013
Schtenkel s'était arrêté de parler après cette déclaration. Il observa son auditoire qui était suspendu à ses lèvres. Tout le monde avait entendu parler de la dernière chasse de Yas, mais personne n'en connaissait le déroulement. La suite précipitée des évènements à cette époque avait occulté les faits. Le désir de sommeil avait été remplacé par celui de savoir. Comme toujours sans que l'on comprenne comment, les gens étaient arrivés. La salle était maintenant pleine. Crachtal se frottait les mains. Une soirée comme celle-là, remboursait toutes celles où ce damné Schtenkel ne buvait rien et faisait plutôt fuir les clients. Il fit signe à Michta de resservir le conteur. Ce n'était pas le moment qu'il s'arrête.
Dès qu'il eut vidé une nouvelle chope de Malch, Schtenkel reprit son récit. Névtelen voyait bien ce litmel qu'il décrivait, les tentes autour et tout l'aréopage de serviteurs. Les tracks piaffaient, les piqueux et autres gardes-chasse se tenaient prêts. Yas parut. Dès qu'il fut en selle, on se dirigea vers la dernière trace vue.
La journée fut une course sans pause. Les loups furent repérés vers le milieu de la matinée. Le roi devint comme fou. Son regard se chargea de fièvre quand il vit une de ces splendides créatures au poil noir que les snaffs avaient levée. Schtenkel dit à Traomtra :
- Je n'aime pas cela ! Il a le regard de Jianme.
Traomtra qui courait à côté de lui, lui répondit :
- Les oracles ont dit que la journée serait bonne.
- Peut-être, gamin, mais demain ?
Il y eut une sonnerie de trompe pour signaler une proie acculée. Quand ils arrivèrent sur place, Yas remontait déjà sur son tracks avec un nouvel épieu. Ils regardèrent la dépouille au sol. La bête était grande mais son pelage était gris.
- Tu vois, gamin, c'est ce que disent les gens d'ici. On ne tue pas un loup noir.
- Légende ! Tu vas voir la suite.
Effectivement, Traomtra vit la suite. Une meute de loups se faisait massacrer par le roi Yas, que des loups gris. À chaque hallali, l'énervement du roi augmentait. Ils l'entendirent hurler :
- Où sont les loups noirs ? Trouvez-les ou je vous fais tous fouetter !
Les pisteurs, piqueux et gardes-chasse s'égaillèrent dans la clarté de la fin de journée. Schtenkel s'immobilisa à l'entrée d'un petit ravin. Il bloqua l'avancée de Traomtra. Par geste, il lui fit signe. Là, devant eux, une louve jouait avec son petit. Une branche craqua derrière eux. La louve tourna la tête vers eux. Schtenkel sursauta. Son regard était rouge comme la braise.
Elle se leva tranquillement et partit sans se presser de l'autre bord. Se retournant et toujours par signes, Schtenkel donna l'ordre de prévenir le roi. Une louve noire aux yeux rouges, il n'avait jamais vu cela.
Ils n'eurent pas longtemps à attendre. La meute des snaffs arriva, suivie du roi et des servants de la chasse. Le roi n'eut qu'une parole :
- Où ?
Schtenkel montra l'autre côté du ravin. Le roi lui fit signe de suivre et éperonna son tracks. La course commença. La nuit tomba sans qu'elle ne s'arrête. La lune, claire, donnait une lumière pâle, mais suffisante. Schtenkel et Traomtra suivaient la piste des cris des snaffs, ainsi que leur forte odeur. Ils arrivèrent dans une clairière. Le roi était là, tournant en tous sens, un regard fiévreux. Le chasseur cherchait sa proie. Les snaffs étaient plus loin. Le roi jurait en maudissant ses bêtes incapables de suivre une piste fraîche.
Arrivé à sa hauteur, Schtenkel se pencha en avant pour reprendre son souffle. Il sentit comme le poids d'un regard. Il leva les yeux. Là-bas, une silhouette noire !
- Majesté ! Là ! hurla-t-il en montrant le lieu.
L'ombre noire se distingua un instant dans la clarté de la lune.
- Sus ! hurla Yas en éperonnant son tracks.
Ils le suivirent. La folle course reprit dans un terrain plus accidenté. Ils étaient à mi-pente quand ils virent la silhouette de Yas se détacher en ombre chinoise sur un rocher en surplomb. Ils continuèrent leur ascension. Arrivés à sa hauteur, ils l'entendirent monologuer :
- Je sais que tu es là. Tu crois que tu vas m'échapper mais je t'aurai.
Traomtra saisit la bride du tracks pendant que Schtenkel s'approchait de Yas. Ce dernier était au bord du gouffre, scrutant en contrebas pour y chercher la trace de sa proie. C'est alors que retentit un cri puissant et étrange. Yas leva les yeux vers le ciel pour en trouver la provenance. Au loin une gigantesque forme passa devant la lune.
- Toi aussi, je t'aurai. Toutes mes armées sont parties à ta recherche. Tu ne m'échapperas pas non-plus. Maudit sois-tu ! hurla-t-il en levant le poing.
Quelques serviteurs arrivèrent en soufflant.
- Majesté, nous avons perdu la chasse. Il vaudrait mieux rentrer. Nous avons des torches, nous pouvons même bivouaquer, Stilman a quelques provisions...
Le roi fit un geste d'impatience tout en scrutant la forêt sombre.
- Là, les yeux rouges ! Mon tracks !
Schtenkel se mit à penser que la louve le faisait exprès. Elle semblait réapparaître à chaque fois qu'on la perdait. Il n'eut pas le temps de pousser plus loin ses réflexions. Ils couraient à flanc de montagne, Traomtra sur les talons. Plus habitués que les serviteurs du roi à ce terrain inégal, ils suivaient tant bien que mal la progression du tracks. Gêné par la pente, il tomba une première fois, puis une deuxième. Yas le força à chaque fois à repartir. La forme noire semblait l'attendre. A la troisième chute, la monture du roi resta au sol. Haletante, épuisée, elle n'en pouvait plus. Quand ils arrivèrent à cet endroit, Schtenkel et Traomtra eurent la vision démentielle d'un homme hurlant sa haine sous la lune pâle. Aussi épuisés que le tracks, ils s'assirent contemplant la scène sans un mot. Après un dernier éclat, Yas s'abattit à terre.
Quand Schtenkel se réveilla, le soleil montait dans le ciel depuis un bon moment. Il se leva. Le tracks était mort. Traomtra dormait dans une position comique, quant à Yas, roulé en boule contre une souche, il était agité de petits soubresauts. Schtenkel regarda autour de lui. Il ne connaissait pas la région. Tout semblait calme. Il pensa à ce qu'il devait faire pour ramener Yas. S'asseyant sur une pierre, il tira de sa musette un peu de galette. Ses muscles lui faisaient mal. C'est alors qu'il massait ses cuisses et ses mollets qu'il la vit. La louve était une fois de plus devant lui, quelques pas en contrebas. Son regard exercé accrocha d'autres silhouettes réparties un peu partout. La meute ! Ils étaient au milieu de la meute ! Son esprit s'affola un moment, puis la raison lui revint. Si les loups avaient voulu attaquer, ils seraient déjà morts. Le pays lui fit de plus en plus peur. Cette région était un piège mortel et de nouveau il était à côté des mâchoires. Un bruit le fit se retourner. Yas était debout, l'épieu à la main, le regard halluciné. Il attaqua la louve qui l'évita en se jouant. De nouveau, il partit à l'assaut. D'un bond de côté ou en arrière, elle esquivait les attaques, entraînant Yas de plus en plus loin. Quand il planta son épieu trop profondément pour le dégager, il prit sa dague et relança un assaut.
Schtenkel suivait à distance l’étrange manège, bientôt rejoint par Traomtra.
- On devrait pas l'aider ? interrogea-t-il.
- Trop de loups, répondit Schtenkel.
- On s'éloigne du camp, ajouta le jeune pisteur.
- On n'a pas le choix. On ne peut pas le laisser.
Yas ne semblait s'apercevoir de rien, tout à sa poursuite. Le soleil était haut dans le ciel quand ils virent trébucher Yas. Il s'étala par terre, se redressa, glissa à nouveau en voulant récupérer sa dague. Tout occupé à surveiller la louve devant lui, il ne vit pas le grand mâle arriver dans son dos et le percuter. Incapable de résister à la poussée, il fit un bond vers l'avant et tomba dans la pente. Schtenkel et Traomtra coururent. Ils s'arrêtèrent avec peine au bord du précipice. Tout en bas une silhouette tordue était immobile.
Après un instant de stupeur, ils pensèrent aux loups. Regardant autour d'eux, ils prirent conscience de leur disparition.
- Je t'avais dit, gamin, on ne chasse pas les loups noirs.
- Qu'est-ce qu'on fait ? On peut pas le laisser en bas comme un chien.
- Tu sais où on est, gamin ? Tu pourrais rentrer ?
- Oui, il faut une bonne journée pour rejoindre quelqu'un.
- Alors va et reviens avec des cordes et tout ce qu'il faut pour le sortir de là. Moi, je vais essayer de descendre.
C'est ainsi que quatre jours plus tard, un tracks chargé d'une civière reprit la route de Tichcou. Le chef des serviteurs avait interdit qu'on envoie des messagers. Il avait fait courir le bruit parmi les courtisans que le roi était déjà reparti pour Tichcou. Tellement désireux de plaire et surtout de plaire plus que les autres, ils étaient repartis vers la ville à toute vitesse, lui laissant les mains libres. Il avait renvoyé meute et servants de chasse pour ne garder que les hauts gardes et quelques serviteurs fidèles. La remontée du corps avait été difficile et longue.
La pluie les rattrapa sur la route de Tichcou.
Dès qu'il eut vidé une nouvelle chope de Malch, Schtenkel reprit son récit. Névtelen voyait bien ce litmel qu'il décrivait, les tentes autour et tout l'aréopage de serviteurs. Les tracks piaffaient, les piqueux et autres gardes-chasse se tenaient prêts. Yas parut. Dès qu'il fut en selle, on se dirigea vers la dernière trace vue.
La journée fut une course sans pause. Les loups furent repérés vers le milieu de la matinée. Le roi devint comme fou. Son regard se chargea de fièvre quand il vit une de ces splendides créatures au poil noir que les snaffs avaient levée. Schtenkel dit à Traomtra :
- Je n'aime pas cela ! Il a le regard de Jianme.
Traomtra qui courait à côté de lui, lui répondit :
- Les oracles ont dit que la journée serait bonne.
- Peut-être, gamin, mais demain ?
Il y eut une sonnerie de trompe pour signaler une proie acculée. Quand ils arrivèrent sur place, Yas remontait déjà sur son tracks avec un nouvel épieu. Ils regardèrent la dépouille au sol. La bête était grande mais son pelage était gris.
- Tu vois, gamin, c'est ce que disent les gens d'ici. On ne tue pas un loup noir.
- Légende ! Tu vas voir la suite.
Effectivement, Traomtra vit la suite. Une meute de loups se faisait massacrer par le roi Yas, que des loups gris. À chaque hallali, l'énervement du roi augmentait. Ils l'entendirent hurler :
- Où sont les loups noirs ? Trouvez-les ou je vous fais tous fouetter !
Les pisteurs, piqueux et gardes-chasse s'égaillèrent dans la clarté de la fin de journée. Schtenkel s'immobilisa à l'entrée d'un petit ravin. Il bloqua l'avancée de Traomtra. Par geste, il lui fit signe. Là, devant eux, une louve jouait avec son petit. Une branche craqua derrière eux. La louve tourna la tête vers eux. Schtenkel sursauta. Son regard était rouge comme la braise.
Elle se leva tranquillement et partit sans se presser de l'autre bord. Se retournant et toujours par signes, Schtenkel donna l'ordre de prévenir le roi. Une louve noire aux yeux rouges, il n'avait jamais vu cela.
Ils n'eurent pas longtemps à attendre. La meute des snaffs arriva, suivie du roi et des servants de la chasse. Le roi n'eut qu'une parole :
- Où ?
Schtenkel montra l'autre côté du ravin. Le roi lui fit signe de suivre et éperonna son tracks. La course commença. La nuit tomba sans qu'elle ne s'arrête. La lune, claire, donnait une lumière pâle, mais suffisante. Schtenkel et Traomtra suivaient la piste des cris des snaffs, ainsi que leur forte odeur. Ils arrivèrent dans une clairière. Le roi était là, tournant en tous sens, un regard fiévreux. Le chasseur cherchait sa proie. Les snaffs étaient plus loin. Le roi jurait en maudissant ses bêtes incapables de suivre une piste fraîche.
Arrivé à sa hauteur, Schtenkel se pencha en avant pour reprendre son souffle. Il sentit comme le poids d'un regard. Il leva les yeux. Là-bas, une silhouette noire !
- Majesté ! Là ! hurla-t-il en montrant le lieu.
L'ombre noire se distingua un instant dans la clarté de la lune.
- Sus ! hurla Yas en éperonnant son tracks.
Ils le suivirent. La folle course reprit dans un terrain plus accidenté. Ils étaient à mi-pente quand ils virent la silhouette de Yas se détacher en ombre chinoise sur un rocher en surplomb. Ils continuèrent leur ascension. Arrivés à sa hauteur, ils l'entendirent monologuer :
- Je sais que tu es là. Tu crois que tu vas m'échapper mais je t'aurai.
Traomtra saisit la bride du tracks pendant que Schtenkel s'approchait de Yas. Ce dernier était au bord du gouffre, scrutant en contrebas pour y chercher la trace de sa proie. C'est alors que retentit un cri puissant et étrange. Yas leva les yeux vers le ciel pour en trouver la provenance. Au loin une gigantesque forme passa devant la lune.
- Toi aussi, je t'aurai. Toutes mes armées sont parties à ta recherche. Tu ne m'échapperas pas non-plus. Maudit sois-tu ! hurla-t-il en levant le poing.
Quelques serviteurs arrivèrent en soufflant.
- Majesté, nous avons perdu la chasse. Il vaudrait mieux rentrer. Nous avons des torches, nous pouvons même bivouaquer, Stilman a quelques provisions...
Le roi fit un geste d'impatience tout en scrutant la forêt sombre.
- Là, les yeux rouges ! Mon tracks !
Schtenkel se mit à penser que la louve le faisait exprès. Elle semblait réapparaître à chaque fois qu'on la perdait. Il n'eut pas le temps de pousser plus loin ses réflexions. Ils couraient à flanc de montagne, Traomtra sur les talons. Plus habitués que les serviteurs du roi à ce terrain inégal, ils suivaient tant bien que mal la progression du tracks. Gêné par la pente, il tomba une première fois, puis une deuxième. Yas le força à chaque fois à repartir. La forme noire semblait l'attendre. A la troisième chute, la monture du roi resta au sol. Haletante, épuisée, elle n'en pouvait plus. Quand ils arrivèrent à cet endroit, Schtenkel et Traomtra eurent la vision démentielle d'un homme hurlant sa haine sous la lune pâle. Aussi épuisés que le tracks, ils s'assirent contemplant la scène sans un mot. Après un dernier éclat, Yas s'abattit à terre.
Quand Schtenkel se réveilla, le soleil montait dans le ciel depuis un bon moment. Il se leva. Le tracks était mort. Traomtra dormait dans une position comique, quant à Yas, roulé en boule contre une souche, il était agité de petits soubresauts. Schtenkel regarda autour de lui. Il ne connaissait pas la région. Tout semblait calme. Il pensa à ce qu'il devait faire pour ramener Yas. S'asseyant sur une pierre, il tira de sa musette un peu de galette. Ses muscles lui faisaient mal. C'est alors qu'il massait ses cuisses et ses mollets qu'il la vit. La louve était une fois de plus devant lui, quelques pas en contrebas. Son regard exercé accrocha d'autres silhouettes réparties un peu partout. La meute ! Ils étaient au milieu de la meute ! Son esprit s'affola un moment, puis la raison lui revint. Si les loups avaient voulu attaquer, ils seraient déjà morts. Le pays lui fit de plus en plus peur. Cette région était un piège mortel et de nouveau il était à côté des mâchoires. Un bruit le fit se retourner. Yas était debout, l'épieu à la main, le regard halluciné. Il attaqua la louve qui l'évita en se jouant. De nouveau, il partit à l'assaut. D'un bond de côté ou en arrière, elle esquivait les attaques, entraînant Yas de plus en plus loin. Quand il planta son épieu trop profondément pour le dégager, il prit sa dague et relança un assaut.
Schtenkel suivait à distance l’étrange manège, bientôt rejoint par Traomtra.
- On devrait pas l'aider ? interrogea-t-il.
- Trop de loups, répondit Schtenkel.
- On s'éloigne du camp, ajouta le jeune pisteur.
- On n'a pas le choix. On ne peut pas le laisser.
Yas ne semblait s'apercevoir de rien, tout à sa poursuite. Le soleil était haut dans le ciel quand ils virent trébucher Yas. Il s'étala par terre, se redressa, glissa à nouveau en voulant récupérer sa dague. Tout occupé à surveiller la louve devant lui, il ne vit pas le grand mâle arriver dans son dos et le percuter. Incapable de résister à la poussée, il fit un bond vers l'avant et tomba dans la pente. Schtenkel et Traomtra coururent. Ils s'arrêtèrent avec peine au bord du précipice. Tout en bas une silhouette tordue était immobile.
Après un instant de stupeur, ils pensèrent aux loups. Regardant autour d'eux, ils prirent conscience de leur disparition.
- Je t'avais dit, gamin, on ne chasse pas les loups noirs.
- Qu'est-ce qu'on fait ? On peut pas le laisser en bas comme un chien.
- Tu sais où on est, gamin ? Tu pourrais rentrer ?
- Oui, il faut une bonne journée pour rejoindre quelqu'un.
- Alors va et reviens avec des cordes et tout ce qu'il faut pour le sortir de là. Moi, je vais essayer de descendre.
C'est ainsi que quatre jours plus tard, un tracks chargé d'une civière reprit la route de Tichcou. Le chef des serviteurs avait interdit qu'on envoie des messagers. Il avait fait courir le bruit parmi les courtisans que le roi était déjà reparti pour Tichcou. Tellement désireux de plaire et surtout de plaire plus que les autres, ils étaient repartis vers la ville à toute vitesse, lui laissant les mains libres. Il avait renvoyé meute et servants de chasse pour ne garder que les hauts gardes et quelques serviteurs fidèles. La remontée du corps avait été difficile et longue.
La pluie les rattrapa sur la route de Tichcou.
mardi 15 janvier 2013
Névtelen se renfonça dans un coin obscur et se mit à écouter ce que racontait Schtenkel.
Le roi Yas était arrivé avec le premier corps de son armée. Cela faisait déjà beaucoup de monde. Tichcou n'était pas assez grande pour loger tout ce monde. Yas avait fait venir Schtenkel pour avoir le maximum de renseignements sur la région. Il était là depuis quelques jours quand il décida d'envoyer des patrouilles en territoire ennemi. Il rentrait d'une campagne victorieuse dans le nord de son royaume. De nouveaux territoires étaient passés sous son contrôle. En attendant le gros des troupes, le roi passa son temps à préparer l'attaque de la vallée et à chasser. Dans Tichcou, les habitants étaient affolés de toutes ses troupes qui ne cessaient d'arriver. Heureusement l'intendance suivait. Si Schtenkel savait cela, il avait rapidement compris que pour lui, l'arrivée des différents corps d'armée se traduisait par une quasi-détention. On lui avait dit qu'il était attaché à la maison du roi comme pisteur comme Torétaro avant lui, que c'était un grand honneur et qu'il avait intérêt à remercier le roi pour sa grande bonté. Schtenkel s'était exécuté sur ce point. Il l'avait fait après l'audience du petit matin. Le roi Yas tenait à rendre la justice dès son lever. La sentence la plus courante était la mort, plus ou moins rapide, plus ou moins douloureuse, suivie de près par le knout. Après cela il y avait le repas que le roi partageait avec ses généraux pour fixer la stratégie ou pour régler les différents problèmes de gouvernance. Quand le soleil était assez haut, le roi partait chasser. Ses pisteurs l'accompagnaient toujours. Schtenkel ne leur arrivait pas à la cheville, mais lui connaissait la topographie du lieu.
Un matin, le roi les réunit avant le départ :
- J'en ai plus qu'assez de chasser des ruminants, trouvez-moi des bêtes dignes de mon courage ! De l'or à celui qui trouve une piste, le fouet aux autres.
Ainsi motivés les pisteurs s'égaillèrent dans la nature. Schtenkel faisait équipe avec un jeune pisteur prometteur, Traomtra. Il avait connu Torétaro et avait dit à Schtenkel entre quatre yeux qu'il ne croyait pas un instant à son histoire.
- Des loups, il faut trouver des loups. Ça plaira au roi.
- Cela ne va pas être facile en cette saison, répondit Schtenkel, ils remontent pour suivre les troupeaux de clachs.
- T'as une autre idée ?
Schtenkel ne trouva pas de réponse. Ils se mirent en route, ils avaient cinq jours pour leur mission.
Traomtra courait vite, pas Schtenkel. Traomta était endurant, pas Schtenkel. Traomta savait faire à manger, pas Schtenkel. Il aurait pu continuer la liste longtemps. Schtenkel n'avait qu'un atout, le dragon lui avait laissé la vie. Il était le seul à avoir survécu à une rencontre avec le monstre. En cela il était unique. Il avait conduit Traomtra vers la vallée du dragon. Ils étaient remontés en face parcourant la région de collines boisées à la recherche de traces de gibier intéressant. Traomtra devenait sombre au fur et à mesure que les jours passaient car ils ne trouvaient rien. Le quatrième jour arriva. Le soleil était voilé de nuage. Schtenkel lui dit :
- Tu verras, on s'y fait. C'est la première fois que c'est difficile.
- Les gens de mon peuple ne se font pas fouetter. Mieux vaut mourir !
- Tu es jeune Traomtra. Tu as le temps de changer. Regarde ce qui m'est arrivé. Jeune engagé, je rêvais de gloire et de conquêtes. Je me suis retrouvé dans une unité de second ordre sous les ordres d'un lieutenant qui en voulait au monde entier. Quand il est arrivé ici, il a connu la folie et il est mort d'avoir voulu chasser le dragon. Yas ne fera peut-être pas mieux. Tous ceux que j'ai vu s'attaquer au dragon sont morts. Seuls les guerriers blancs semblent pouvoir l'approcher. Mais ils sont à son service.
- J'entends tous les récits, Schtenkel. Mais un dragon est-ce aussi impressionnant que cela ? Toute bête a ses faiblesses, celle-là comme une autre.
- Je l'ai rencontré, Traomtra, je lui ai parlé et il m'a parlé. Il attend de moi quelque chose, sinon je serais déjà mort.
Subitement Schtenkel leva la tête.
- Regarde ! dit-il en pointant son doigt vers le ciel.
Traomtra leva les yeux. Sa bouche s'ouvrit toute seule. Il jura. Une grande ombre rouge passa en rasant la canopée.
- Tu as de la chance, petit, dit Schtenkel. Il y a longtemps que je ne l'avais pas vu.
- Mais... mais... il est énorme !
Schtenkel se mit à rire.
- C'est autre chose que des histoires, ça ! Hein, mon gars !
- Il va se poser, dit Traomtra. Je suis sûr qu'il va se poser !
Attrapant ses affaires, il se mit à suivre le dragon au pas de course. Schtenkel le suivit à distance. Il le rattrapa quelques temps plus tard. Traomtra était arrêté et avait l'air dépité. Il scrutait le ciel en tous sens.
- Je l'ai perdu, dit-il avec de la désolation dans la voix.
- Viens, dit Schtenkel, il est temps de rentrer. Sinon ce sera pire à notre arrivée.
Le jeune pisteur se laissa faire quand Schtenkel le prit par le bras. Ils descendaient vers une rivière qui rejoindrait la rivière de Tichcou. En se dépêchant, ils seraient à l'heure pour voir le roi.
- Alors petit homme à la doublure d'or, tu as trouvé un nouveau compagnon qui lit la terre.
Les deux hommes s'arrêtèrent tétanisés. Ils se retournèrent doucement. Des yeux d'or les scrutaient. Les genoux de Traomtra se mirent à trembler. Ils sursautèrent quand la tête du grand saurien fit un mouvement rapide pour arriver à leur hauteur.
- Tu es encore là où il ne faut pas, petit homme à la doublure d'or. Tous ces petits hommes qui lisent la terre, que cherchent-ils ?
Schtenkel hypnotisé par ce regard, se mit à répondre comme un automate :
- Le roi Yas est venu pour te tuer, lui et toute son armée. En attendant ce jour, il chasse.
- Et que chasse le roi qui veut chasser les dragons ?
- Les clachs ne lui suffisent pas. Il veut plus de gloire. Il veut tuer ceux qui peuvent tuer.
Traomtra regardait alternativement le dragon et Schtenkel, incapable de croire ce qu'il voyait.
- Que dis-tu, petit homme qui lit la terre ? Quel est le désir de ce roi tueur ?
Traomtra fit l'erreur de regarder dans l’œil du dragon. La suite lui échappa. C'est Schtenkel qui lui raconta comment il avait raconté leur mission et leur recherche de loups. Le dragon avait écouté le jeune homme sans l'interrompre et lui avait dit :
- Bien, petit homme qui lit la terre. Quand tu passeras le val, tu verras un de ces arbres sur lequel tu es déjà monté. Regarde au pied et tu verras de quoi t'éviter le fouet.
Ayant dit cela, le grand saurien releva la tête et s'envola dans un déchaînement de vent.
Les deux hommes s'entreregardèrent un instant et prirent leurs jambes à leur cou. Ils ne s'arrêtèrent de courir que bien longtemps après. Le dragon leur avait laissé la vie sauve. C'était à peine croyable. Après un repos, ils discutèrent pour savoir s'il fallait raconter. Sans bien comprendre pourquoi, il leurs sembla préférable de ne rien dire. Brusquement Traomtra se figea.
- Là, dit-il en désignant un arbre. On est dans le val et c'est un litmel.
Il courut au pied du tronc et chercha. Il fit signe à Schtenkel :
- Regarde des traces de loups... Elles sont de belle taille et vu leur nombre, ça doit être une meute. Yas va être content...
Ils repartirent heureux, même s'ils arrivaient en retard, le fouet ne serait pas pour eux.
Loin au-dessus de leur tête, planait une grande silhouette rouge.
A leur arrivée à Tichcou, ils furent pris dans le tourbillon des troupes se déplaçant. Le gros de l'armée arrivait en convoi. Il était midi, la majorité des unités avaient fait la pause repas. Cela leur permit d'avancer plus vite. Ils furent quand même obligés de se justifier pour passer. Traomtra sortait son collier. Lors de leur départ il avait noué le silmal donné par l'officier ordonnance de Yas. Il s'agissait d'une cordelette nouée de manière codée. On pouvait, pour celui qui en connaissait le langage, lire la mission et les ordres donnés. Certains avaient tenté de le copier ou de le falsifier sans succès. Il ne suffisait pas de savoir faire les nœuds il fallait aussi savoir comment et où les placer sur la corde. L'armée était ainsi contrôlée par une unité d'élite fait du peuple Olayeboyou que la peau irisée de vert mettait à part. La culture du nœud venait de chez eux. Yas les avait embrigadé au début de son règne. Avec son abondante chevelure, il était apparu comme un dieu à leurs yeux. Depuis ils lui fournissaient les hommes nécessaires. Persuadés qu'ils agissaient pour le compte de l'avatar de leur dieu, ils étaient incorruptibles. Malheur à celui qui essayait de les tromper. Yas leur avait délégué son droit de justice et les Olayeboyou étaient aussi expéditifs que lui. L'officier regarda les deux pisteurs d'un œil soupçonneux :
- Vous êtes en retard, leur dit-il en nouant le silmal d'une certaine manière.
Traomtra ne dit rien pourtant Schtenkel sentit son énervement. Tous les deux savaient que l'olayeboyou signalait ce fait. Ils commençaient à penser que même avec la nouvelle d'une meute de loups, ils n'allaient pas éviter le fouet. Ils n'arrivèrent qu'à la nuit tombante devant le campement du roi. Les hauts gardes étaient en faction. Véritables géants, ils avaient la charge de la protection de la tente du roi et de tout ce qui gravitait autour.
Quand Traomtra donna le silmal, il vit la contrariété se peindre sur les traits de l'olayeboyou.
- Le roi a donné l'ordre de vous punir.
- Mais on a trouvé des traces de loups ! hurla Traomtra.
Le contrôleur arrêta son mouvement vers les hauts gardes, se retournant vers Traomtra, il demanda :
- Dis-tu vrai ? Sinon ce n'est pas le fouet, c'est la mort !
- Il dit vrai, dit Schtenkel. Je les ai vues aussi. De grands loups, les gens d'ici parlent même de loups noirs.
Le contrôleur fit un autre signe. Un serviteur s'approcha.
- Conduis-les au roi. Qu'ils fassent leur rapport !
En disant cela, il donna un silmal d'accès pour la suite. Le serviteur s'engagea entre deux tentures, Schtenkel et Traomtra le suivirent, la crainte au cœur.
On les fit attendre dans une antichambre. Le roi était avec ses généraux. Ils voyaient entrer et sortir les personnages les plus importants du royaume. L'arrivée du gros des troupes précipitaient le mouvement. Même s'ils étaient mal placés, ils comprenaient que le roi Yas allait régler ce problème de dragon avant de repartir s'occuper de ses affaires.
Quand Schtenkel vit Traomtra sauter sur ses pieds, il mit quelques secondes à comprendre. Lui aussi se raidit dans la position la plus parfaite possible. Devant eux sortaient les quatre grands généraux et on entendait la voix du roi. Ils étaient dans la plus parfaite immobilité, les yeux détaillant le plafond de la tente, quand ils sentirent une présence devant eux. Un ordre claqua. Ils mirent genou à terre devant le roi.
- Des loups ? m'a-ton dit.
- Oui, Majesté, répondit Traomtra sans lever la tête.
- Relève-toi et explique.
Traomtra commença par les empreintes larges et puissantes pour finir par la région et la direction de leur déplacement.
Tournant vers son chambellan un regard chargé de fièvre chasseresse, le roi dit :
- Les loups bougent vite. Qu'on envoie ces hommes et d'autres pisteurs. Je partirai en chasse demain.
Un général se rapprocha :
- Mais l'assaut, majesté ?
- Allons, Saraya, ne me dites pas que vous ne pouvez pas vous occuper de cette bourgade. Quant à vous Stramts avec votre corps d'armée vous arriverez bien jusqu'à la caverne du dragon.
Se détournant, le roi partit, les généraux sur les talons.
Schtenkel et Traomtra échangèrent un regard. Ils n'eurent pas le temps d'échanger leurs impressions. Les ordres tombaient. Bientôt équipés de torche, montés sur des tracks, ils reprirent le chemin qu'ils venaient de parcourir, accompagnés d'autres pisteurs et de serviteurs de la chasse royale.
Ils n'eurent droit qu'à quelques trop courtes heures de sommeil. C'est ainsi qu'ils apprirent que les autres patrouilles n'avaient rien trouvé. Au pied du litmel les traces les attendaient.
Le maître de chasse siffla entre ses dents :
- Le roi va être content.
Quand vint le jour, tous les pisteurs partirent chercher une piste plus fraîche. Ce fut encore le binôme Schtenkel Traomtra qui la découvrit. Quand ils revinrent au camp de base, ils étaient sur un nuage. D'autres pisteurs confirmèrent la présence de la meute dans la région. Quand le roi arriva, il ne cacha pas sa satisfaction.
- Demain, nous partirons en chasse, dit-il. Malheurs aux loups et au dragon !
Le roi Yas était arrivé avec le premier corps de son armée. Cela faisait déjà beaucoup de monde. Tichcou n'était pas assez grande pour loger tout ce monde. Yas avait fait venir Schtenkel pour avoir le maximum de renseignements sur la région. Il était là depuis quelques jours quand il décida d'envoyer des patrouilles en territoire ennemi. Il rentrait d'une campagne victorieuse dans le nord de son royaume. De nouveaux territoires étaient passés sous son contrôle. En attendant le gros des troupes, le roi passa son temps à préparer l'attaque de la vallée et à chasser. Dans Tichcou, les habitants étaient affolés de toutes ses troupes qui ne cessaient d'arriver. Heureusement l'intendance suivait. Si Schtenkel savait cela, il avait rapidement compris que pour lui, l'arrivée des différents corps d'armée se traduisait par une quasi-détention. On lui avait dit qu'il était attaché à la maison du roi comme pisteur comme Torétaro avant lui, que c'était un grand honneur et qu'il avait intérêt à remercier le roi pour sa grande bonté. Schtenkel s'était exécuté sur ce point. Il l'avait fait après l'audience du petit matin. Le roi Yas tenait à rendre la justice dès son lever. La sentence la plus courante était la mort, plus ou moins rapide, plus ou moins douloureuse, suivie de près par le knout. Après cela il y avait le repas que le roi partageait avec ses généraux pour fixer la stratégie ou pour régler les différents problèmes de gouvernance. Quand le soleil était assez haut, le roi partait chasser. Ses pisteurs l'accompagnaient toujours. Schtenkel ne leur arrivait pas à la cheville, mais lui connaissait la topographie du lieu.
Un matin, le roi les réunit avant le départ :
- J'en ai plus qu'assez de chasser des ruminants, trouvez-moi des bêtes dignes de mon courage ! De l'or à celui qui trouve une piste, le fouet aux autres.
Ainsi motivés les pisteurs s'égaillèrent dans la nature. Schtenkel faisait équipe avec un jeune pisteur prometteur, Traomtra. Il avait connu Torétaro et avait dit à Schtenkel entre quatre yeux qu'il ne croyait pas un instant à son histoire.
- Des loups, il faut trouver des loups. Ça plaira au roi.
- Cela ne va pas être facile en cette saison, répondit Schtenkel, ils remontent pour suivre les troupeaux de clachs.
- T'as une autre idée ?
Schtenkel ne trouva pas de réponse. Ils se mirent en route, ils avaient cinq jours pour leur mission.
Traomtra courait vite, pas Schtenkel. Traomta était endurant, pas Schtenkel. Traomta savait faire à manger, pas Schtenkel. Il aurait pu continuer la liste longtemps. Schtenkel n'avait qu'un atout, le dragon lui avait laissé la vie. Il était le seul à avoir survécu à une rencontre avec le monstre. En cela il était unique. Il avait conduit Traomtra vers la vallée du dragon. Ils étaient remontés en face parcourant la région de collines boisées à la recherche de traces de gibier intéressant. Traomtra devenait sombre au fur et à mesure que les jours passaient car ils ne trouvaient rien. Le quatrième jour arriva. Le soleil était voilé de nuage. Schtenkel lui dit :
- Tu verras, on s'y fait. C'est la première fois que c'est difficile.
- Les gens de mon peuple ne se font pas fouetter. Mieux vaut mourir !
- Tu es jeune Traomtra. Tu as le temps de changer. Regarde ce qui m'est arrivé. Jeune engagé, je rêvais de gloire et de conquêtes. Je me suis retrouvé dans une unité de second ordre sous les ordres d'un lieutenant qui en voulait au monde entier. Quand il est arrivé ici, il a connu la folie et il est mort d'avoir voulu chasser le dragon. Yas ne fera peut-être pas mieux. Tous ceux que j'ai vu s'attaquer au dragon sont morts. Seuls les guerriers blancs semblent pouvoir l'approcher. Mais ils sont à son service.
- J'entends tous les récits, Schtenkel. Mais un dragon est-ce aussi impressionnant que cela ? Toute bête a ses faiblesses, celle-là comme une autre.
- Je l'ai rencontré, Traomtra, je lui ai parlé et il m'a parlé. Il attend de moi quelque chose, sinon je serais déjà mort.
Subitement Schtenkel leva la tête.
- Regarde ! dit-il en pointant son doigt vers le ciel.
Traomtra leva les yeux. Sa bouche s'ouvrit toute seule. Il jura. Une grande ombre rouge passa en rasant la canopée.
- Tu as de la chance, petit, dit Schtenkel. Il y a longtemps que je ne l'avais pas vu.
- Mais... mais... il est énorme !
Schtenkel se mit à rire.
- C'est autre chose que des histoires, ça ! Hein, mon gars !
- Il va se poser, dit Traomtra. Je suis sûr qu'il va se poser !
Attrapant ses affaires, il se mit à suivre le dragon au pas de course. Schtenkel le suivit à distance. Il le rattrapa quelques temps plus tard. Traomtra était arrêté et avait l'air dépité. Il scrutait le ciel en tous sens.
- Je l'ai perdu, dit-il avec de la désolation dans la voix.
- Viens, dit Schtenkel, il est temps de rentrer. Sinon ce sera pire à notre arrivée.
Le jeune pisteur se laissa faire quand Schtenkel le prit par le bras. Ils descendaient vers une rivière qui rejoindrait la rivière de Tichcou. En se dépêchant, ils seraient à l'heure pour voir le roi.
- Alors petit homme à la doublure d'or, tu as trouvé un nouveau compagnon qui lit la terre.
Les deux hommes s'arrêtèrent tétanisés. Ils se retournèrent doucement. Des yeux d'or les scrutaient. Les genoux de Traomtra se mirent à trembler. Ils sursautèrent quand la tête du grand saurien fit un mouvement rapide pour arriver à leur hauteur.
- Tu es encore là où il ne faut pas, petit homme à la doublure d'or. Tous ces petits hommes qui lisent la terre, que cherchent-ils ?
Schtenkel hypnotisé par ce regard, se mit à répondre comme un automate :
- Le roi Yas est venu pour te tuer, lui et toute son armée. En attendant ce jour, il chasse.
- Et que chasse le roi qui veut chasser les dragons ?
- Les clachs ne lui suffisent pas. Il veut plus de gloire. Il veut tuer ceux qui peuvent tuer.
Traomtra regardait alternativement le dragon et Schtenkel, incapable de croire ce qu'il voyait.
- Que dis-tu, petit homme qui lit la terre ? Quel est le désir de ce roi tueur ?
Traomtra fit l'erreur de regarder dans l’œil du dragon. La suite lui échappa. C'est Schtenkel qui lui raconta comment il avait raconté leur mission et leur recherche de loups. Le dragon avait écouté le jeune homme sans l'interrompre et lui avait dit :
- Bien, petit homme qui lit la terre. Quand tu passeras le val, tu verras un de ces arbres sur lequel tu es déjà monté. Regarde au pied et tu verras de quoi t'éviter le fouet.
Ayant dit cela, le grand saurien releva la tête et s'envola dans un déchaînement de vent.
Les deux hommes s'entreregardèrent un instant et prirent leurs jambes à leur cou. Ils ne s'arrêtèrent de courir que bien longtemps après. Le dragon leur avait laissé la vie sauve. C'était à peine croyable. Après un repos, ils discutèrent pour savoir s'il fallait raconter. Sans bien comprendre pourquoi, il leurs sembla préférable de ne rien dire. Brusquement Traomtra se figea.
- Là, dit-il en désignant un arbre. On est dans le val et c'est un litmel.
Il courut au pied du tronc et chercha. Il fit signe à Schtenkel :
- Regarde des traces de loups... Elles sont de belle taille et vu leur nombre, ça doit être une meute. Yas va être content...
Ils repartirent heureux, même s'ils arrivaient en retard, le fouet ne serait pas pour eux.
Loin au-dessus de leur tête, planait une grande silhouette rouge.
A leur arrivée à Tichcou, ils furent pris dans le tourbillon des troupes se déplaçant. Le gros de l'armée arrivait en convoi. Il était midi, la majorité des unités avaient fait la pause repas. Cela leur permit d'avancer plus vite. Ils furent quand même obligés de se justifier pour passer. Traomtra sortait son collier. Lors de leur départ il avait noué le silmal donné par l'officier ordonnance de Yas. Il s'agissait d'une cordelette nouée de manière codée. On pouvait, pour celui qui en connaissait le langage, lire la mission et les ordres donnés. Certains avaient tenté de le copier ou de le falsifier sans succès. Il ne suffisait pas de savoir faire les nœuds il fallait aussi savoir comment et où les placer sur la corde. L'armée était ainsi contrôlée par une unité d'élite fait du peuple Olayeboyou que la peau irisée de vert mettait à part. La culture du nœud venait de chez eux. Yas les avait embrigadé au début de son règne. Avec son abondante chevelure, il était apparu comme un dieu à leurs yeux. Depuis ils lui fournissaient les hommes nécessaires. Persuadés qu'ils agissaient pour le compte de l'avatar de leur dieu, ils étaient incorruptibles. Malheur à celui qui essayait de les tromper. Yas leur avait délégué son droit de justice et les Olayeboyou étaient aussi expéditifs que lui. L'officier regarda les deux pisteurs d'un œil soupçonneux :
- Vous êtes en retard, leur dit-il en nouant le silmal d'une certaine manière.
Traomtra ne dit rien pourtant Schtenkel sentit son énervement. Tous les deux savaient que l'olayeboyou signalait ce fait. Ils commençaient à penser que même avec la nouvelle d'une meute de loups, ils n'allaient pas éviter le fouet. Ils n'arrivèrent qu'à la nuit tombante devant le campement du roi. Les hauts gardes étaient en faction. Véritables géants, ils avaient la charge de la protection de la tente du roi et de tout ce qui gravitait autour.
Quand Traomtra donna le silmal, il vit la contrariété se peindre sur les traits de l'olayeboyou.
- Le roi a donné l'ordre de vous punir.
- Mais on a trouvé des traces de loups ! hurla Traomtra.
Le contrôleur arrêta son mouvement vers les hauts gardes, se retournant vers Traomtra, il demanda :
- Dis-tu vrai ? Sinon ce n'est pas le fouet, c'est la mort !
- Il dit vrai, dit Schtenkel. Je les ai vues aussi. De grands loups, les gens d'ici parlent même de loups noirs.
Le contrôleur fit un autre signe. Un serviteur s'approcha.
- Conduis-les au roi. Qu'ils fassent leur rapport !
En disant cela, il donna un silmal d'accès pour la suite. Le serviteur s'engagea entre deux tentures, Schtenkel et Traomtra le suivirent, la crainte au cœur.
On les fit attendre dans une antichambre. Le roi était avec ses généraux. Ils voyaient entrer et sortir les personnages les plus importants du royaume. L'arrivée du gros des troupes précipitaient le mouvement. Même s'ils étaient mal placés, ils comprenaient que le roi Yas allait régler ce problème de dragon avant de repartir s'occuper de ses affaires.
Quand Schtenkel vit Traomtra sauter sur ses pieds, il mit quelques secondes à comprendre. Lui aussi se raidit dans la position la plus parfaite possible. Devant eux sortaient les quatre grands généraux et on entendait la voix du roi. Ils étaient dans la plus parfaite immobilité, les yeux détaillant le plafond de la tente, quand ils sentirent une présence devant eux. Un ordre claqua. Ils mirent genou à terre devant le roi.
- Des loups ? m'a-ton dit.
- Oui, Majesté, répondit Traomtra sans lever la tête.
- Relève-toi et explique.
Traomtra commença par les empreintes larges et puissantes pour finir par la région et la direction de leur déplacement.
Tournant vers son chambellan un regard chargé de fièvre chasseresse, le roi dit :
- Les loups bougent vite. Qu'on envoie ces hommes et d'autres pisteurs. Je partirai en chasse demain.
Un général se rapprocha :
- Mais l'assaut, majesté ?
- Allons, Saraya, ne me dites pas que vous ne pouvez pas vous occuper de cette bourgade. Quant à vous Stramts avec votre corps d'armée vous arriverez bien jusqu'à la caverne du dragon.
Se détournant, le roi partit, les généraux sur les talons.
Schtenkel et Traomtra échangèrent un regard. Ils n'eurent pas le temps d'échanger leurs impressions. Les ordres tombaient. Bientôt équipés de torche, montés sur des tracks, ils reprirent le chemin qu'ils venaient de parcourir, accompagnés d'autres pisteurs et de serviteurs de la chasse royale.
Ils n'eurent droit qu'à quelques trop courtes heures de sommeil. C'est ainsi qu'ils apprirent que les autres patrouilles n'avaient rien trouvé. Au pied du litmel les traces les attendaient.
Le maître de chasse siffla entre ses dents :
- Le roi va être content.
Quand vint le jour, tous les pisteurs partirent chercher une piste plus fraîche. Ce fut encore le binôme Schtenkel Traomtra qui la découvrit. Quand ils revinrent au camp de base, ils étaient sur un nuage. D'autres pisteurs confirmèrent la présence de la meute dans la région. Quand le roi arriva, il ne cacha pas sa satisfaction.
- Demain, nous partirons en chasse, dit-il. Malheurs aux loups et au dragon !
vendredi 11 janvier 2013
Les jours succédèrent aux jours. Crachtal, le patron du Milmac Blanc était mauvais. Névtelen ne trouvait pas d'autre mot pour le désigner. Il trichait sur tout, la qualité de ce qu'il servait, la taille de ses chopes, les sommes qu'il demandait, les sentiments qu'il montrait aux autres. Si devant témoin, il parlait presque correctement aux servantes, il les maltraitait en privé. Névtelen était comme les autres, traité avec autant de mépris et de violence, à un détail près. Il avait une crise importante de douleurs. Plié en deux, alors que son ventre était secoué de spasmes, il s'était mis à vomir. Les crises se rapprochèrent tellement qu'il eut un sursaut plus violent qui lui fit perdre conscience. À son réveil, il eut la vision furtive mais nette d'un regard inquiet dans les yeux de Crachtal. Névtelen eut cette intuition. L'homme avait peur de la maladie et des malades. Trop fatigué, il avait fermé les paupières. Quand il s'était réveillé, il s'était retrouvé dans la soupente qui lui servait de chambre. Faible, mais tenant debout, il était descendu jusqu'à la cuisine. Michta l'avait vu. Petite bonne femme couverte de haillons, elle servait chez Crachtal depuis deux saisons. Elle servait à tout, avait remarqué Névtelen. Il avait surpris le patron plusieurs fois passant sur elle ses pulsions qu'elles soient de rage ou de sexe. Michta ne disait rien jamais. Cela aussi, il l'avait remarqué. Il fut étonné quand il la vit s'approcher avec une écuelle de bouillon chaud. Elle la posa devant lui :
- Mange ! T'as besoin de forces.
- Explique- moi.
- Y a rien à expliquer. On t'a monté dans ta piaule. C'est tout.
- Ça, je sais. Mais pourquoi il m'a gardé ?
- Ah ça ! dit-elle en haussant les épaules. J'pense que c'est parc'que tu calmes le gros tibur. Sinon t'aurais viré comme l'vieux.
Névtelen en trempant sa galette dans le bouillon revit la scène. Crachtal avait jeté dehors, au sens littéral du mot un vieux serveur que tout le monde appelait « l'vieux » parce qu'il était malade et qu'il n'allait pas assez vite. Le pauvre s'était relevé avec peine. Névtelen l'avait croisé alors qu'il ramenait les tiburs du pâturage. Le patron lui avait confié ce rôle quand il s'était aperçu que son mâle, énorme bête dont il était très fier et qui lui rapportait beaucoup à chaque saillie, avait peur de Névtelen au point de se comporter comme un bébé.
Névtelen voulut demander des précisions à Michta, mais elle était déjà repartie en salle. Le Milmac blanc travaillait essentiellement avec les soldats qui tenaient garnison non loin de là. Les jours de soldes, Crachtal devenait fou. Il lui fallait vider le plus de poches possibles. Il faisait mettre en perce les jarres préparées depuis peu et qui contenaient ce breuvage qu'il osait nommer malch noir. Si le goût en était redoutable, elle saoulait vite et bien, ce que demandaient les soldats.
Depuis ce jour, Névtelen trimait avec les bêtes.
C'est à l'occasion d'un jour de solde qu'il entendit parler d'un personnage qui aurait approché le dragon plusieurs fois et en serait revenu, vivant. Il avait mauvaise réputation puisque toutes ses expéditions s'étaient terminées par la mort des guidés. Son rôle était d'approvisionner le bar avec les jarres de malch noir. Il traînait un récipient avec difficultés quand il repéra cet homme à qui il manquait une main se diriger vers une alcôve proche de la cuisine. Les soldats s'écartaient devant lui, en lui jetant des regards inquiets comme quand on rencontre un objet de mauvais présage. Il posa la question à Michta qui faisait des allers-retours dans la salle pour le service.
- Ah ! Lui ! Evite. C'est Schtenkel. Y porte l'mauvais œil.
Elle avait dit cela sans s'arrêter. Elle s'éloignait déjà. Névtelen n'eut pas le temps de poser une autre question. Solmia qui avait entendu l'échange, et qui attendait que Crachtal servent les pots de malch, se tourna vers Névtelen.
- C'est lui qu'a guidé les Flamtimo vers l'antre du dragon. Et ils sont morts, toujours, tous !
- Il sait où est l'antre du dragon ?
- Ouais, mais y porte malheur, c'mec !
- Tu vas te bouger ou t'attend qu'je te botte le cul ! hurla Crachtal en s'approchant. Elle est où la deuxième jarre ?
Névtelen repartit en se dépêchant. A son retour, Crachtal était parti dans les réserves. La lumière baissait déjà. La salle se remplissait de pénombre. Névtelen pensa qu'il faudrait allumer les chandelles bientôt. Comme c'était son rôle, il prit sa queue de rat, son stock de chandelles. Se dirigeant vers la première, il passa devant le coin où était affalé Schtenkel. Névtelen se dérouta pour aller s’asseoir près de lui.
- T'as déjà été voir le dragon ?
Il vit Schtenkel lever les paupières.
- T'es un guerrier blanc ?
Névtelen se rembrunit :
- Non, enfin je ne crois pas. Il faut que je rencontre le dragon.
- Écoute, blanc-bec, y tue tous ceux qui l'approchent.
- Oui, mais toi t'es vivant.
- Parlons-en, dit Schtenkel avec violence. Il m'a bouffé une main, m'a laissé une vie de paria. J'en suis à mendier pour pouvoir boire un coup. Tire-toi maintenant.
Névtelen n'insista pas d'autant plus que Crachtal arrivait dans la salle. Il vit le regard noir du tavernier se tourner vers lui mais ce fut sur Michta que tomba la colère. Quand il put revenir dans la salle, Schtenkel avait disparu.
Dans les jours qui suivirent, l'hiver prit de l'ampleur. La neige s'accumula. Les trappeurs des environs vinrent se réfugier et Tichcou prit son rythme de ville coupée du monde. Une histoire étrange commença à circuler. On avait retrouvé la bande du grand Slaff.
- J'te dis que ces restes, c'est tout c'qui y a. J'ai r'connu les armes. Z'avait les mêmes quand y m'ont attaqué.
Le trappeur qui parlait ainsi, monopolisait l'attention. Tout le monde s'était interrogé et réjoui de la disparition des attaques de la bande du grand Slaff. Certains l'avaient dit en cheville avec les acheteurs de peaux. Ces derniers étaient partis peu après l'arrivée de Talmek et Névtelen. Si Névtelen avait fait le lien, dans Tichcou personne n'avait compris. Maintenant l'explication arrivait. La bande du grand Slaff était tombée sur plus forte qu'elle.
- Et moi, j'te dis qu'des loups noirs y en a plus depuis des générations.
- Ouais, mais t'as pas vu, c'que j'ai vu. Les os sont en miettes et les mâchoires qu'ont fait ça sont les plus grandes que j'ai jamais vues. L'père d'mon père y racontait qu'les loups noirs z'étaient les seuls à pouvoir faire ça.
Crachtal était ravi de cette histoire qui remplissait sa salle. Chacun y allait de son idée et de son interprétation. De vieilles légendes revenaient dans les mémoires alimentant les longues soirées.
Névtelen rangeait dans la réserve quand il entendit la voix de Schtenkel qui se mêlait à la conversation.
- Moi, je les ai vus !
Le trappeur conteur se tourna vers lui, avec un petit air mauvais, dépité de se faire voler la vedette :
- Toi, tu les as vus ?
- Ouais, comme j'te vois et ça m'a pas fait plus plaisir !
Le trappeur aurait bien voulu avoir une de ces réponses qui ferment la bouche aux impudents, mais sa langue trop pâteuse refusa de s'agiter.
- C'tait la saison dernière avant les grandes pluies et l'invasion des volpics.
La voix de Schtenkel était grave et l'heure propice au frisson. Les consommateurs vinrent faire cercle autour de sa table. Sans qu'un mot ne soit échangé, un pot de malch noir frais arriva. Il but une grande lampée et reprit :
- C'est encore un de ces jours maudits où on a vu arriver des étrangers. Mais là, c'tait pas n'importe qui. C'tait le roi Yas en personne avec toute son armée. Y avait des bruits qui couraient d'puis un moment qu'il en avait marre d'ce dragon. Mais y a pas qu'moi qui pensait pas qui viendrait lui-même. Ça a été l'branle-bas quand il est arrivé. Ici, zont tous perdu la tête. Moi, j'me suis dit qu'valait mieux que je m'tire ailleurs, mais j'ai pas eu le temps. Y a ses sbires qui m'sont tombés dessus et j'me suis retrouvé d'vant l'roi avant que j'ai pu dire ouf. Y a fallu que j'raconte encore une fois mes voyages. Ben y f'sait soif et j'avais même pas un p'tit verre à boire.
Crachtal n'attendit pas et entreprit de remplir la chope que Schtenkel vidait aussi vite. Névtelen écoutait aussi. Schtenkel était trop content d'avoir des spectateurs. Il en rajoutait. Au son de cette voix chargée de malch, Névtelen revit des images. Schtenkel parlait de lieux qu'il avait connus.
- Mange ! T'as besoin de forces.
- Explique- moi.
- Y a rien à expliquer. On t'a monté dans ta piaule. C'est tout.
- Ça, je sais. Mais pourquoi il m'a gardé ?
- Ah ça ! dit-elle en haussant les épaules. J'pense que c'est parc'que tu calmes le gros tibur. Sinon t'aurais viré comme l'vieux.
Névtelen en trempant sa galette dans le bouillon revit la scène. Crachtal avait jeté dehors, au sens littéral du mot un vieux serveur que tout le monde appelait « l'vieux » parce qu'il était malade et qu'il n'allait pas assez vite. Le pauvre s'était relevé avec peine. Névtelen l'avait croisé alors qu'il ramenait les tiburs du pâturage. Le patron lui avait confié ce rôle quand il s'était aperçu que son mâle, énorme bête dont il était très fier et qui lui rapportait beaucoup à chaque saillie, avait peur de Névtelen au point de se comporter comme un bébé.
Névtelen voulut demander des précisions à Michta, mais elle était déjà repartie en salle. Le Milmac blanc travaillait essentiellement avec les soldats qui tenaient garnison non loin de là. Les jours de soldes, Crachtal devenait fou. Il lui fallait vider le plus de poches possibles. Il faisait mettre en perce les jarres préparées depuis peu et qui contenaient ce breuvage qu'il osait nommer malch noir. Si le goût en était redoutable, elle saoulait vite et bien, ce que demandaient les soldats.
Depuis ce jour, Névtelen trimait avec les bêtes.
C'est à l'occasion d'un jour de solde qu'il entendit parler d'un personnage qui aurait approché le dragon plusieurs fois et en serait revenu, vivant. Il avait mauvaise réputation puisque toutes ses expéditions s'étaient terminées par la mort des guidés. Son rôle était d'approvisionner le bar avec les jarres de malch noir. Il traînait un récipient avec difficultés quand il repéra cet homme à qui il manquait une main se diriger vers une alcôve proche de la cuisine. Les soldats s'écartaient devant lui, en lui jetant des regards inquiets comme quand on rencontre un objet de mauvais présage. Il posa la question à Michta qui faisait des allers-retours dans la salle pour le service.
- Ah ! Lui ! Evite. C'est Schtenkel. Y porte l'mauvais œil.
Elle avait dit cela sans s'arrêter. Elle s'éloignait déjà. Névtelen n'eut pas le temps de poser une autre question. Solmia qui avait entendu l'échange, et qui attendait que Crachtal servent les pots de malch, se tourna vers Névtelen.
- C'est lui qu'a guidé les Flamtimo vers l'antre du dragon. Et ils sont morts, toujours, tous !
- Il sait où est l'antre du dragon ?
- Ouais, mais y porte malheur, c'mec !
- Tu vas te bouger ou t'attend qu'je te botte le cul ! hurla Crachtal en s'approchant. Elle est où la deuxième jarre ?
Névtelen repartit en se dépêchant. A son retour, Crachtal était parti dans les réserves. La lumière baissait déjà. La salle se remplissait de pénombre. Névtelen pensa qu'il faudrait allumer les chandelles bientôt. Comme c'était son rôle, il prit sa queue de rat, son stock de chandelles. Se dirigeant vers la première, il passa devant le coin où était affalé Schtenkel. Névtelen se dérouta pour aller s’asseoir près de lui.
- T'as déjà été voir le dragon ?
Il vit Schtenkel lever les paupières.
- T'es un guerrier blanc ?
Névtelen se rembrunit :
- Non, enfin je ne crois pas. Il faut que je rencontre le dragon.
- Écoute, blanc-bec, y tue tous ceux qui l'approchent.
- Oui, mais toi t'es vivant.
- Parlons-en, dit Schtenkel avec violence. Il m'a bouffé une main, m'a laissé une vie de paria. J'en suis à mendier pour pouvoir boire un coup. Tire-toi maintenant.
Névtelen n'insista pas d'autant plus que Crachtal arrivait dans la salle. Il vit le regard noir du tavernier se tourner vers lui mais ce fut sur Michta que tomba la colère. Quand il put revenir dans la salle, Schtenkel avait disparu.
Dans les jours qui suivirent, l'hiver prit de l'ampleur. La neige s'accumula. Les trappeurs des environs vinrent se réfugier et Tichcou prit son rythme de ville coupée du monde. Une histoire étrange commença à circuler. On avait retrouvé la bande du grand Slaff.
- J'te dis que ces restes, c'est tout c'qui y a. J'ai r'connu les armes. Z'avait les mêmes quand y m'ont attaqué.
Le trappeur qui parlait ainsi, monopolisait l'attention. Tout le monde s'était interrogé et réjoui de la disparition des attaques de la bande du grand Slaff. Certains l'avaient dit en cheville avec les acheteurs de peaux. Ces derniers étaient partis peu après l'arrivée de Talmek et Névtelen. Si Névtelen avait fait le lien, dans Tichcou personne n'avait compris. Maintenant l'explication arrivait. La bande du grand Slaff était tombée sur plus forte qu'elle.
- Et moi, j'te dis qu'des loups noirs y en a plus depuis des générations.
- Ouais, mais t'as pas vu, c'que j'ai vu. Les os sont en miettes et les mâchoires qu'ont fait ça sont les plus grandes que j'ai jamais vues. L'père d'mon père y racontait qu'les loups noirs z'étaient les seuls à pouvoir faire ça.
Crachtal était ravi de cette histoire qui remplissait sa salle. Chacun y allait de son idée et de son interprétation. De vieilles légendes revenaient dans les mémoires alimentant les longues soirées.
Névtelen rangeait dans la réserve quand il entendit la voix de Schtenkel qui se mêlait à la conversation.
- Moi, je les ai vus !
Le trappeur conteur se tourna vers lui, avec un petit air mauvais, dépité de se faire voler la vedette :
- Toi, tu les as vus ?
- Ouais, comme j'te vois et ça m'a pas fait plus plaisir !
Le trappeur aurait bien voulu avoir une de ces réponses qui ferment la bouche aux impudents, mais sa langue trop pâteuse refusa de s'agiter.
- C'tait la saison dernière avant les grandes pluies et l'invasion des volpics.
La voix de Schtenkel était grave et l'heure propice au frisson. Les consommateurs vinrent faire cercle autour de sa table. Sans qu'un mot ne soit échangé, un pot de malch noir frais arriva. Il but une grande lampée et reprit :
- C'est encore un de ces jours maudits où on a vu arriver des étrangers. Mais là, c'tait pas n'importe qui. C'tait le roi Yas en personne avec toute son armée. Y avait des bruits qui couraient d'puis un moment qu'il en avait marre d'ce dragon. Mais y a pas qu'moi qui pensait pas qui viendrait lui-même. Ça a été l'branle-bas quand il est arrivé. Ici, zont tous perdu la tête. Moi, j'me suis dit qu'valait mieux que je m'tire ailleurs, mais j'ai pas eu le temps. Y a ses sbires qui m'sont tombés dessus et j'me suis retrouvé d'vant l'roi avant que j'ai pu dire ouf. Y a fallu que j'raconte encore une fois mes voyages. Ben y f'sait soif et j'avais même pas un p'tit verre à boire.
Crachtal n'attendit pas et entreprit de remplir la chope que Schtenkel vidait aussi vite. Névtelen écoutait aussi. Schtenkel était trop content d'avoir des spectateurs. Il en rajoutait. Au son de cette voix chargée de malch, Névtelen revit des images. Schtenkel parlait de lieux qu'il avait connus.
mardi 8 janvier 2013
Leur arrivée à Tichcou passa inaperçu. La nuit était tombée. La neige tombait encore. Les rues étaient désertes. Talmek trouva un bouge non loin de la rivière. Dans la salle, quelques tristes bougies dispersaient l'obscurité d'une clarté fumeuse. Assis à des tables chargées de crasse, divers loqueteux s'alcoolisaient. Talmek et Névtelen n'avaient pas meilleur aspect après tout ce temps passé dans les bois. Avant d'entrer, Talmek avait mis son grand coutelas bien en évidence. Le tenancier leur jeta un regard torve.
- On s'est d'jà vu, demanda-t-il en regardant Talmek et en posant deux pots de malch noir sur le comptoir.
- Ouaip ! J'suis d'jà passé y'a une saison, répondit-il en récupérant sa chope.
Névtelen regardait autour de lui comme s'il découvrait tout cela.
- Y boit pas ? demanda le tavernier.
- J'chais pas. J'l'ai récupéré dans les bois. Il a plus toute sa tête.
Baissant la voix et se penchant vers Talmek, il lui demanda :
- L'est dangereux ?
- Nan ! L'est devenu un peu simplet. Ça d'vait être un ouvrier forgeron ou un truc comme ça. L'a un marteau. Faut que j'trouve où l'laisser. Y m'encombre.
Névtelen semblait ne rien entendre et détaillait ce qui l'entourait.
- J'vois qu't'as des peaux ! Y'en a qu'en cherchent en ville !
- Un bon prix ?
- Faut discuter !
- Reste une piaule ?
- Ouaip, mais on paye d'avance.
Talmek sortit quelques pièces de métal de sa ceinture et les mit sur le comptoir.
- J'vous donne celle là-bas, près des écuries. C'est la plus sûre.
Talmek salua et toujours avec son pot à la main, il fit signe à Névtelen de le suivre. Celui-ci était chargé des peaux et de diverses sacoches. Arrivés dans la chambre, ils déposèrent leurs affaires le long du mur des écuries. Talmek en fit le tour pour voir si elle fermait bien de partout.
- On m'a déjà volé des peaux, alors je me méfie. Demain j'irai voir les acheteurs et le forgeron, puis on verra. Maintenant, allons manger.
Le lendemain Névtelen resta à l'auberge pour garder les peaux. Assis près de la porte de la chambre, il semblait rêvasser en se balançant sur son siège. Des images lui passaient constamment devant les yeux venant se sur-imprimer avec ce qu'il voyait. Quand ce n'était pas des images, c'étaient des sons, ou des odeurs. Il voyait quand même les mimiques des habitués qui demandaient qui il était. Le tavernier avait dit à voix plus ou moins basse que Névtelen était un demeuré trouvé par un trappeur. Il n'avait pas réagi laissant les gens se lasser de jeter des regards en biais vers lui. Il préférait écouter ce qui se disait. Il entendit parler des bandes qui écumaient la région et qui rendaient les chemins difficiles. Il entendit les plaintes des uns et des autres sur le temps, les difficultés actuelles, sur la guerre entre Altalanos et Saraya. Par contre il n'entendit pas parler du dragon, ni de la région plus haut dans les montagnes. Des souvenirs passaient en vrac dans son esprit. Ils faisaient référence à une ville dont personne ne semblait s'occuper à Tichcou.
Talmek était rentré à la nuit. Il avait été vers le comptoir. Névtelen n'avait pas changé le rythme de son balancement. Il semblait toujours aussi absent. Il écouta pourtant.
Talmek était de mauvaise humeur, il engagea la conversation avec le tavernier et quelques autres.
- Donne-moi du malch !
- T'as pas l'air de bonne humeur, dit le tavernier en le servant.
- Y sont pas honnêtes de proposer des prix comme ça. J'croyais qui manquait de fourrures.
Un autre intervint.
- Y manque des fourrures mais ceux qu'essayent de descendre dans la vallée s'font attaquer. Y a que l'gros mec qu'est à l'auberge du mont noir qui semble voyager comme y veut. À croire qu'il est de connivence avec la bande.
- Ouais, mais y a pas d'preuves, dit un troisième. En attendant soit tu lui vends, soit tu crèves de faim.
S'en suivit une discussion sur la bande du grand Slaff, du nom du lieutenant rebelle qui avait déserté avec ses hommes lors de la mort de Yas. À la description qu'ils en firent, Névtelen reconnut leur attaquant. Il eut un sourire intérieur. On ne risquait plus grand chose à descendre dans la vallée. Talmek semblait avoir suivi le même raisonnement car il annonçait qu'il allait sûrement pas rester ici pour se faire plumer par l'gros. La conversation dévia sur lui. Talmek demandait aux uns et aux autres à qui il pourrait laisser Névtelen qu'était fort, qui travaillait sans rouspéter mais qui avait une tête probablement un peu vide.
- Y vient d'où ?
- J'sais pas, répondit Talmek. J'l'ai récupéré dans la montagne. Il a dû se faire attaquer et zont dû le laisser pour mort.
Personne ne demanda qui étaient les « zont ». Il y avait beaucoup trop d'agressions depuis la disparition de Yas.
- Y connaît les bêtes ? demanda le tavernier.
- Ouais, s'est toujours bien occupé de Mon gros.
- Tu d'vrais aller voir au Milmac blanc. Y a le Michto qu'est mort des fièvres y a queques temps.
Après la conversation dévia sur des histoires de trappeurs. Quand Talmek vint chercher Névetlen pour aller se coucher, il était passablement éméché. Une fois la porte fermée, Névtelen lui posa des questions sur sa journée. Talmek lui raconta la rencontre avec le forgeron. Celui-ci n'avait aucune envie de prendre qui que ce soit. Talmek avait continué ses recherches sans trouver de point de chute pour Névtelen. Il conclut la discussion en s’effondrant sur sa paillasse :
- Bon, on va dormir et demain, fra jour !
Névtelen resta un moment allongé sur le dos les yeux ouverts. Les pensées bouillonnaient dans sa tête. Était-il sur le bon chemin, au bon endroit, au bon moment ?
Quand Talmek reprit la route avec son macoca et ses peaux, Névtelen était casé. Le patron du Milmac blanc avait effectivement besoin de bras. Talmek avait présenté Névtelen comme un rescapé d'une attaque en montagne devenu un peu simplet depuis. L’œil du tavernier s'était allumé. Lui avait très bien compris que Névtelen ne comprenait pas tout. Il en avait déduit que les gages de son futur employé seraient à la hauteur de sa compréhension. Talmek avait poussé dans le même sens en demandant un dédommagement pour tous ces jours à le traîner en montagne. Le tavernier avait eu un sourire complice et avait proposé des vivres. Pendant la négociation, Névtelen avait eu l'air absent ou plus intéressé par les mouches que par les hommes qui discutaient de son avenir. Il s'était retrouvé nourri, logé et chargé de tout ce que les autres ne voulaient pas faire. Névtelen avait dit à Talmek avant ces évènements :
- Quoi de plus discret qu'un demeuré ? Il me faut une place comme cela pour me donner le temps.
Ils s'étaient fait leurs adieux aux portes de Tichcou.
- On s'est d'jà vu, demanda-t-il en regardant Talmek et en posant deux pots de malch noir sur le comptoir.
- Ouaip ! J'suis d'jà passé y'a une saison, répondit-il en récupérant sa chope.
Névtelen regardait autour de lui comme s'il découvrait tout cela.
- Y boit pas ? demanda le tavernier.
- J'chais pas. J'l'ai récupéré dans les bois. Il a plus toute sa tête.
Baissant la voix et se penchant vers Talmek, il lui demanda :
- L'est dangereux ?
- Nan ! L'est devenu un peu simplet. Ça d'vait être un ouvrier forgeron ou un truc comme ça. L'a un marteau. Faut que j'trouve où l'laisser. Y m'encombre.
Névtelen semblait ne rien entendre et détaillait ce qui l'entourait.
- J'vois qu't'as des peaux ! Y'en a qu'en cherchent en ville !
- Un bon prix ?
- Faut discuter !
- Reste une piaule ?
- Ouaip, mais on paye d'avance.
Talmek sortit quelques pièces de métal de sa ceinture et les mit sur le comptoir.
- J'vous donne celle là-bas, près des écuries. C'est la plus sûre.
Talmek salua et toujours avec son pot à la main, il fit signe à Névtelen de le suivre. Celui-ci était chargé des peaux et de diverses sacoches. Arrivés dans la chambre, ils déposèrent leurs affaires le long du mur des écuries. Talmek en fit le tour pour voir si elle fermait bien de partout.
- On m'a déjà volé des peaux, alors je me méfie. Demain j'irai voir les acheteurs et le forgeron, puis on verra. Maintenant, allons manger.
Le lendemain Névtelen resta à l'auberge pour garder les peaux. Assis près de la porte de la chambre, il semblait rêvasser en se balançant sur son siège. Des images lui passaient constamment devant les yeux venant se sur-imprimer avec ce qu'il voyait. Quand ce n'était pas des images, c'étaient des sons, ou des odeurs. Il voyait quand même les mimiques des habitués qui demandaient qui il était. Le tavernier avait dit à voix plus ou moins basse que Névtelen était un demeuré trouvé par un trappeur. Il n'avait pas réagi laissant les gens se lasser de jeter des regards en biais vers lui. Il préférait écouter ce qui se disait. Il entendit parler des bandes qui écumaient la région et qui rendaient les chemins difficiles. Il entendit les plaintes des uns et des autres sur le temps, les difficultés actuelles, sur la guerre entre Altalanos et Saraya. Par contre il n'entendit pas parler du dragon, ni de la région plus haut dans les montagnes. Des souvenirs passaient en vrac dans son esprit. Ils faisaient référence à une ville dont personne ne semblait s'occuper à Tichcou.
Talmek était rentré à la nuit. Il avait été vers le comptoir. Névtelen n'avait pas changé le rythme de son balancement. Il semblait toujours aussi absent. Il écouta pourtant.
Talmek était de mauvaise humeur, il engagea la conversation avec le tavernier et quelques autres.
- Donne-moi du malch !
- T'as pas l'air de bonne humeur, dit le tavernier en le servant.
- Y sont pas honnêtes de proposer des prix comme ça. J'croyais qui manquait de fourrures.
Un autre intervint.
- Y manque des fourrures mais ceux qu'essayent de descendre dans la vallée s'font attaquer. Y a que l'gros mec qu'est à l'auberge du mont noir qui semble voyager comme y veut. À croire qu'il est de connivence avec la bande.
- Ouais, mais y a pas d'preuves, dit un troisième. En attendant soit tu lui vends, soit tu crèves de faim.
S'en suivit une discussion sur la bande du grand Slaff, du nom du lieutenant rebelle qui avait déserté avec ses hommes lors de la mort de Yas. À la description qu'ils en firent, Névtelen reconnut leur attaquant. Il eut un sourire intérieur. On ne risquait plus grand chose à descendre dans la vallée. Talmek semblait avoir suivi le même raisonnement car il annonçait qu'il allait sûrement pas rester ici pour se faire plumer par l'gros. La conversation dévia sur lui. Talmek demandait aux uns et aux autres à qui il pourrait laisser Névtelen qu'était fort, qui travaillait sans rouspéter mais qui avait une tête probablement un peu vide.
- Y vient d'où ?
- J'sais pas, répondit Talmek. J'l'ai récupéré dans la montagne. Il a dû se faire attaquer et zont dû le laisser pour mort.
Personne ne demanda qui étaient les « zont ». Il y avait beaucoup trop d'agressions depuis la disparition de Yas.
- Y connaît les bêtes ? demanda le tavernier.
- Ouais, s'est toujours bien occupé de Mon gros.
- Tu d'vrais aller voir au Milmac blanc. Y a le Michto qu'est mort des fièvres y a queques temps.
Après la conversation dévia sur des histoires de trappeurs. Quand Talmek vint chercher Névetlen pour aller se coucher, il était passablement éméché. Une fois la porte fermée, Névtelen lui posa des questions sur sa journée. Talmek lui raconta la rencontre avec le forgeron. Celui-ci n'avait aucune envie de prendre qui que ce soit. Talmek avait continué ses recherches sans trouver de point de chute pour Névtelen. Il conclut la discussion en s’effondrant sur sa paillasse :
- Bon, on va dormir et demain, fra jour !
Névtelen resta un moment allongé sur le dos les yeux ouverts. Les pensées bouillonnaient dans sa tête. Était-il sur le bon chemin, au bon endroit, au bon moment ?
Quand Talmek reprit la route avec son macoca et ses peaux, Névtelen était casé. Le patron du Milmac blanc avait effectivement besoin de bras. Talmek avait présenté Névtelen comme un rescapé d'une attaque en montagne devenu un peu simplet depuis. L’œil du tavernier s'était allumé. Lui avait très bien compris que Névtelen ne comprenait pas tout. Il en avait déduit que les gages de son futur employé seraient à la hauteur de sa compréhension. Talmek avait poussé dans le même sens en demandant un dédommagement pour tous ces jours à le traîner en montagne. Le tavernier avait eu un sourire complice et avait proposé des vivres. Pendant la négociation, Névtelen avait eu l'air absent ou plus intéressé par les mouches que par les hommes qui discutaient de son avenir. Il s'était retrouvé nourri, logé et chargé de tout ce que les autres ne voulaient pas faire. Névtelen avait dit à Talmek avant ces évènements :
- Quoi de plus discret qu'un demeuré ? Il me faut une place comme cela pour me donner le temps.
Ils s'étaient fait leurs adieux aux portes de Tichcou.
vendredi 4 janvier 2013
Névtelen, Puissanmarto, Tandrag,
Brtanef se pencha contre le tronc et vomit une nouvelle fois.
- T'as un estomac de mauviette, lui dit
l'homme qui marchait avec lui.
Névtelen était en colère contre ce
mec et ce qu'il disait, contre La Tchaulvêté, contre le gouverneur
de Maskusa, contre la voix aux yeux noirs, contre Quiloma, contre La
Solvette et contre... lui aussi et peut-être surtout contre lui.
Les images des derniers jours
défilaient dans sa tête pendant que les spasmes s'espaçaient.
Talmek s'était arrêté un peu plus loin. Il commençait les
préparatifs de l'abri pour la nuit. Névtelen l'avait rencontré
dans la montagne. Il chassait tout ce qui portait fourrure et en
faisait le commerce. L'hiver était une saison propice pour certaines
peaux plus rares plus chères.
Névtelen était parti de Felmazik avec
autour du cou une petite fiole contenant un liquide épais et brun.
Les filles lui avaient fait des adieux émouvants. Maester aussi,
était ému. Il lui avait donné ses gages et un peu plus. Quant à
La Tchaulvêté, elle lui avait remis le flacon en lui donnant la
manière de s'en servir. Il fallait tout boire d'un coup mais au
moment opportun quand vie et mort seraient possibles. Il était parti
depuis dix jours quand une avalanche le rata de peu. Il crut le
moment arrivé. C'est en tremblant un peu qu'il avait débouché le
flacon et but le contenu. Le goût en était épouvantable. Malgré
les hauts de cœur, il avait tout avalé et essayé de boire un peu
pour faire descendre le remède. Quelques minutes plus tard, il avait
les entrailles en feu et l'impression que sa tête allait exploser.
Il était tombé sans pouvoir se retenir et le monde avait changé
devant ses yeux. Des images se télescopaient, s’emmêlaient, se
répondaient. Un moment, il avait même vu une tête de loup énorme,
noire avec des crocs plus grands que son bras, puis des yeux rouges,
d'autres noirs, puis encore des yeux. Ceux-là étaient comme de l'or
avec une fente au milieu. Des voix, des sons, des odeurs, des
sensations avaient déboulé dans son esprit, en vrac. Il ne savait
pas, il ne savait plus quand, qui, où il était. Névtelen devenait
Brtanef, puis Tandrag. Puissanmarto se sur-imprimait et tout se
diluait dans un brouillard coloré que perçait un dragon portant un
arbre. Le feu s'invitait et dansait ses sarabandes jaunes et rouges
pendant que dans sa tête résonnait le son des barres de métal
frappées en cadence...
- Oh ! L'ami ! Oh ! Tu
m'entends...
On l'avait giflé une fois, une autre
fois. Névtelen avait senti ses yeux s'ouvrir. Le paysage reprenait
un peu de réalité sans devenir complètement consistant, puis son
estomac avait eu son premier spasme.
L'homme s'était écarté pour le
laisser vomir en paix.
- Vas-y, vide-toi, vide ces saloperies
que t'as mangées. !
Névtelen ne l'entendit plus. La
dernière sensation fut la neige sur son visage.
Talmek regarda l'homme étendu par
terre. « Foutu hasard ! » pensa-t-il. L'option de
laisser Névtelen là où il était l'avait effleuré. Après tout,
il ne le connaissait pas, ne lui devait rien. D'accord, il avait le
visage un peu rond et les yeux bridés comme lui, mais est-ce que
cela suffisait ? Il fallait qu'il réussisse sa saison. La
dernière avait été mauvaise. Il fit un abri de branches, de neige
et y installa Névtelen. « Il va se remettre ! Je vais lui
faire un feu et ce sera bien ». Alors qu'il se retournait pour
chercher des branches, il les vit, toute une meute de loups noirs.
Deux pensées contradictoires lui emplirent l'esprit : le prix
des peaux et le danger de la meute. Les pires histoires couraient sur
ces loups. Rares étaient ceux qui avaient survécu à leurs
attaques. Il prit sa lance et se prépara au combat. Avec le gros
arbre dans le dos, il avait peut-être une petite chance surtout s'il
laissait un passage vers le malade. Il commença à bouger doucement.
C'est alors qu'un grand mâle approcha. Il portait une proie dans la
gueule. Il la posa à distance respectueuse de Talmek et se recula,
rejoignant le cercle des autres. Talmek chercha l'alfa des yeux. Il
ne comprenait pas. Le loup avait déposé un chenvien devant lui, une
belle bête avec une belle peau. En regardant chaque loup, il en
trouva une aux yeux rouges. Il sursauta. La meute de RRling, il avait
devant lui la meute de RRling. Il tomba à genoux à terre et se mit
à pleurer. Il y a bien longtemps, bien des saisons, un marabout lui
avait prédit qu'il vivrait les légendes avant sa mort. Si Talmek
avait oublié bien des choses, il se souvenait toujours de la légende
de RRling aux yeux rouges et comment elle servait les dieux et les
rois. Il regarda Névtelen d'un œil nouveau. Si RRling était là,
c'est que le dieu ou le roi avaient appelé. Il avança doucement et
prit le chenvien. Il sentit que la nuque avait été brisée mais
qu'il n'avait pas saigné. La peau n'en serait que plus belle. Il
sursauta au mouvement de la meute. D'un parfait ensemble, les loups
s'étaient couchés.
Il fallut plusieurs jours à Névtelen
pour sortir de son brouillard et reprendre pied avec la réalité.
Talmek l'entendait parler plusieurs langues. Certaines fois, il
comprenait des mots, d'autres fois, cela ne ressemblait à rien. Le
seul mot dont il était sûr était « Tichcou ». Il
décida qu'ils iraient par là. Les loups lui ramenaient une proie
par jour. Il prenait la peau et ce dont il avait besoin. Le reste
disparaissait dans une gueule sans laisser de trace.
Les premiers jours de marche furent
difficiles. Névtelen s'arrêtait souvent pour vomir. Il avait
toujours ces spasmes douloureux. Talmek n'insistait pas et montait le
campement.
Un matin, Talmek vit que son compagnon
avait meilleure mine. Il mangea mieux.
- Je m'appelle Talmek, dit-il en se
désignant.
Névtelen lui jeta un regard lointain.
Dans son esprit les images défilaient encore très vite. Cet effet
kaléidoscopique le rendait instable. Il articula avec peine devant
choisir chaque mot dans la langue qui convenait.
- Mon... histoire... kva... est...
trop... longue.
Talmek le regarda bizarrement. Pourtant
Névtelen pensait avoir dit ce qu'il fallait. Il essaya de reprendre
la parole :
- Smil...tals...neige...bilka...
Il s'arrêta. Les mots ne sortaient pas
correctement. Il leva les bras en signe d'impuissance. Talmek
n'ajouta rien. Ils mangèrent en silence. Les journées se passaient
à marcher. Talmek avait récupéré un macoca. Il ne savait plus où,
mais la bête l'accompagnait depuis bien des saisons. Les loups s'en
tenaient à distance, heureusement. Il répondait au nom de « mon
gros ». Il portait les affaires et les peaux. Le soir, Talmek
l'entravait et le laissait trouver sa nourriture.
Petit à petit, Névtelen avait
récupéré. Si le monde en lui s'était stabilisé, il gardait une
impossibilité de se repérer dans le temps. Des choses lui étaient
arrivées mais il ne savait plus quand. Il avait forgé une arme
noire, mais était-ce avant ou après la fuite devant les armées de
Yas ? Il voyait aussi Abci et ses ronronnements mais en même
temps, il voyait RRling aux yeux rouges. La confusion régnait trop
dans sa tête. Il se maudissait d'avoir fait confiance à La Solvêté,
non, à La Tchaulvette. Ce n'était pas cela non plus. Il ne savait
pas bien, les deux figures féminines se superposaient, s'emmêlaient.
Où était la vérité ? Et ce rêve qui semblait tourner en
boucle devant ses yeux, que devait-il en penser ?
Les jours passèrent ainsi doucement.
Les deux hommes ne parlaient guère. Ils avançaient vers la vallée
de Tichcou. Talmek avait droit à une peau par jour amenée par les
loups noirs. Il en restait toujours étonné. Grâce à Névtelen,
Talmek retrouvait des souvenirs. Le nom de Sioultac ne lui était pas
inconnu. Le dragon faisait écho aux vieilles légendes d'un pays
qu'il avait quitté il y a si longtemps qu'il en avait presque oublié
l'existence. Si le nom de Quiloma ne lui disait rien, les histoires
de princes dixièmes, neuvièmes ou majeurs, réveillaient des échos
venus de son enfance.
La neige était de bonne qualité
depuis la dernière chute. L'hiver était bien installé. Ils
avançaient maintenant régulièrement. Névtelen avait moins de
crise.
- Je pense que nous arriverons à la
vallée de Tichcou dans deux mains de jours, dit Talmek.
Névtelen ne se souvenait pas de
Tichcou. Seul le nom lui était connu. Pourtant, il sentait que son
destin se lierait là-bas.
- Tu as déjà été à Tichcou ?
demanda-t-il à Talmek.
- Oui. La région est riche en peaux,
mais je préfère descendre vers la plaine pour vendre. Les prix sont
meilleurs.
- Parle-moi de Tichcou.
- C'est une bourgade sans charme. Elle
a eu son heure de gloire quand Yas est venu pour chasser le dragon.
Cela a entraîné sa mort. Depuis elle s'est rendormie dans son
ronronnement habituel m'a-t-on dit. La seule chose amusante est le
passage des chevaliers de Flamtimo. Plusieurs fois dans l'été, ils
préparent une expédition vers la grotte du dragon. Ils veulent la
gloire et l'immortalité.
- Schamlt !
Talmek se tourna vers Névtelen devant
ce mot étrange qu'il ne comprenait pas. Il le vit sur ses gardes, le
marteau à la main. Interloqué, il regarda autour de lui.
- C'est bien de vous promener par là.
On manquait de compagnie.
Talmek se tourna vers la voix qui
venait de retentir. Il vit un homme debout sur le côté du chemin.
Il avait une épée à la main. D'autres hommes se déployaient
autour d'eux.
- On n'a pas d'argent, dit Talmek en
mettant la main sur son grand couteau.
- Rassure-toi, mon gars, on se
contentera de ta bestiole et de ce qu'elle porte. Dis à ton copain
de poser son truc, pose ton coutelas et on vous laisse la vie.
- Je crois que tu ne sais pas à qui tu
as affaire. Laisse-nous passer. Ça t'évitera la mort, fanfaronna
Talmek.
L'homme partit d'un grand rire.
- On a fait les guerres de Yas et tu
crois qu'on aurait peur de deux gugusses comme vous !
D'un geste de la main, il fit signe aux
autres :
- Allez qu'on en finisse.
Si Talmek se mit en position de
défense, Névtelen était parti à l'attaque en courant et en
hurlant. Il vécut à nouveau cette accélération de son temps par
rapport à celui des autres. Des images d'autres combats vinrent se
superposer à ce qu'il vivait. Il avait déjà abattu trois hommes
avant que la meute n'attaque.
Talmek regardait en tous sens,
cherchant d'où viendrait l'attaque. Le seul homme qui s'approcha de
lui fut mis hors de combat par les loups noirs. Pendant qu'un premier
broyait le poignet qui tenait l'arme, un deuxième déchirait un
tendon d'Achille. L'homme commença à hurler quand un dernier loup
lui sauta à la gorge.
Le silence revint aussi vite qu'il
avait été rompu.
Névtelen revint vers Talmek et le
macoca.
- Str... ne reviendrons plus...
kaltirquen... poursuivi par les loups noirs.
Talmek regarda Névtelen avec d'autres
yeux. Il le pensait faible et sans défense. Il le découvrait plus
dangereux que les soudards de Yas.
- Serais-tu un guerrier blanc ? Un
de ces guerriers de légendes ?
- Je ne sais, Talmek. Je ne sais.
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