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Portzamparc (Renaud de), La folie d’Artaud, Paris, vit, sans recul, comme déjà suicidé : « Je suis un homme
L’harmattan, 2011. qui a perdu sa vie et qui cherche par tous les moyens à
lui faire reprendre sa place. Je suis en quelque sorte l’exci-
tateur de ma propre vitalité » 1. Exclu du groupe, il poursuit
Ce livre tente d’aborder la folie d’Antonin Artaud, grand
néanmoins son chemin et en vient à s’intéresser à Hélio-
poète et aussi acteur, metteur en scène, tout aussi célèbre
gabale, tyran androgyne, lubrique, mégalomane et inces-
pour avoir été interné pendant des années, et qui continue
tueux, auquel il s’identifie. Il n’en écrit pas moins l’un de
à susciter de nombreux commentaires et analyses.
ses plus beaux textes, posant aussi, en cette fin des
D’Artaud, on retient, en effet, l’homme de scène hurlant
années trente, les bases d’un théâtre nouveau.
des dernières années, sauvé de l’enfermement à vie par
ses amis poètes et intellectuels, après un long internement En quête d’une renaissance, d’un ordre symbolique
à Ville-Évrard et à Rodez, notamment pendant la dure régénérateur, il se passionne tel un ethnographe pour une
période de la seconde guerre. On sait qu’il dénonça, avec tribu indienne, les Tarahumaras, et leur danse du peyolt.
une grande force et tragiquement, le traitement par élec- Ce rite va être un point de cristallisation de son délire. De
trochocs. On connaît aussi sa présence poétique fulgu- retour à Paris, en 1937, il est en proie à une agitation
rante et sans concessions, qui traversa le surréalisme. On fébrile et s’intéresse de plus en plus à l’ésotérisme. Il
retient aussi le metteur en scène radical proposant un rencontre Cécile Schramme, âgée de dix-neuf ans, lui
théâtre dégagé de toutes complaisances et où le corps déclare son amour et projette de se marier. Son délire
devient l’organe même de l’acteur. « Antonin Artaud fasci- flambe alors, il oscille entre paranoïa et mélancolie, puis
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nait et subjuguait à tel point qu’on l’a vu longtemps comme prévoit la fin du monde. « Les nouvelles révélations de
la victime expiatoire de la folie des autres et d’un monde l’être » est le texte d’un délirant prophétique, sujet à des
qui sombre dans l’apocalypse » (4e de couverture). hallucinations visuelles. Renaud de Portzamparc pose ici
une question centrale sur le plan clinique : ces hallucina-
Psychiatre de formation et psychanalyste, Renaud de tions sont-elles provoquées, telles des visions, ou totale-
Portzamparc nous montre que l’expérience de la folie
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Rejetant Dieu, Artaud commence, en 1945, à rédiger (p. 113). Le délire de négation d’organes, qui n’est pas
les Cahiers de Rodez, sa démarche consistant à trouver véritablement un syndrôme de Cotard, devient un thème
une solution au rejet de la croyance et à échafauder un fécond pour l’écriture et se prolonge avec la création de
système où il peut se construire seul : « Travail de décan- la poésie fécale, quasi-ligature de la métaphore délirante.
tation, de déconstruction du moi, ce qui l’apparenterait à Artaud découvre dans la déjection des mots une parole
une auto-analyse » écrit Portzamparc. « Tous les thèmes sacrée qui a été perdue et est encombrée par des morts.
délirants sont dépliés, décortiqués, ressassés, dans une Dans cette germination complexe, les glossolalies, frag-
perspective de dépassement, de transformation, de répé- ments de langage inventé, jouent un rôle de passage. Par
tition inlassable comme les tours infinis de spirale d’une cette tentative d’arrimer les méandres de sa pensée, son
analyse pour mettre à nu les identifications du moi qui ne écriture en vient de plus en plus à toucher la limite du
sont que des leurres » (p. 93). Artaud en vient à produire langage. Là encore on peut se demander si ces produc-
des néologismes et triture la langue, ce qui va se prolonger tions sont hallucinatoires ou non. Est-ce un langage schi-
avec les glossolalies. Est-ce provoqué ou subi ? demande zophrénique ? Il s’agit, en tout cas, pour Artaud, de trouver
encore Portzamparc. S’agit-il d’un automatisme mental ou une langue de l’origine qui vienne suppléer à l’échec du
d’une plongée dans un onirisme interminable qui induit un refoulement primordial. Confronté à une fuite du vide, du
état hypnoïde, Artaud semblant se mettre dans cet état fait de ne pas avoir constitué un oubli originaire, il peut,
quasi-naturellement ? L’auteur pose ici, selon nous, l’inter- avec les glossolalies, « se laisser bercer dans un bain
rogation clinique fondamentale concernant Artaud, celle sonore neutre, une plage de repos » (p. 132). La poésie
de la structure : d’un côté, il ne fait pas de doute qu’il faille retrouvée à partir de là – Artaud écrira ses plus grands
situer Artaud dans la structure psychotique ; d’un autre textes à la fin de sa vie – se révèle, d’un côté, traitement
côté, son écriture paraît témoigner d’un « automatisme de la persécution, d’un autre côté délire imaginatif, vision-
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onirique débridé », qui, certes, loin de la névrose, pose la naire et fantastique. L’auteur s’appuie sur ces deux voies,
question d’une pharmaco-psychose, tant la drogue, parti- et spécifiquement sur le triomphe qu’opère la seconde,
culièrement l’opium, était essentielle à sa survie : « On sait pour montrer que le délire d’Artaud est d’ordre paraphré-
qu’il a tenté de multiples cures de désintoxication et, à nique. Selon Portzamparc, l’énoncé délirant primaire est
chaque sevrage, une bouffée d’angoisse l’envahissait que la naissance d’Artaud est un accident. Le délire vise
avec un délire compensateur de grandeur et d’espérance à y suppléer, en passant par plusieurs phases, particuliè-
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messianique » (p. 95). Renaud de Portzamparc amène rement pendant les années d’internement à Rodez. Ces
très bien cette question cruciale à propos d’Artaud et, phases renvoient à l’échelle des délires que Lacan
heureusement, ne tranche pas, car ce serait alors faire évoquait dans son séminaire sur les psychoses
virer sa lecture à un savoir psychiatrique catégorisant : (1955-56) : au début délire paranoïde schizophrénique, le
nous avons, en effet, à accepter, et c’est cela aussi la sujet Artaud va construire un délire de persécution, qui lui
castration pour le clinicien, que les éléments que nous permet aussi de faire tenir son image spéculaire, puis
avons concernant Artaud ne nous permettent pas de tran- trouve une porte de sortie dans le délire paraphrénique.
cher définitivement, comme nous devons parfois La paraphrénie, tout en permettant une étonnante conser-
l’accepter dans la clinique. Freud avait une expression vation intellectuelle, se déploie dans l’imagination telle une
pour cela : ce sont les cas qui ne répondent pas aux féerie cosmique, qui, chez Artaud, est nourrie par son
attentes de la théorie, et ils ont le mérite d’empêcher la intérêt de toujours pour l’ésotérisme. Elle donne accès à
psychanalyse de se renfermer sur un savoir clos. l’espace poétique final sur lequel l’auteur conclut.
Quand il commence à écrire les Cahiers, Artaud vient C’est alors le temps de la poésie des grands textes,
de subir, pour la deuxième fois, une série d’électrochocs Artaud le Momo, Ci-gît, Suppôts et supplications, etc., qui
qui ont eu un effet de tarissement du délire. Il a à trouver scelle le destin d’Artaud en tant que poète majeur. Belle
une porte de sortie car le vide le guette à nouveau : « il boucle pour un sujet qui a traversé des années d’enfer-
n’a pas de drogue mais il peut se remettre dans un état mement, même si seule la postérité en profite, car lui est
délirant par auto-hypnose, de façon expérimentale, en resté profondément marqué, à la fin de sa vie, par une
suspendant la pensée consciente, ce que les surréalistes souffrance terrible dont les cris hantent encore les esprits.
s’entraînaient à faire dans l’écriture automatique » (p. 95). Le Clézio pouvait dire, à la lecture de l’Héliogabale
On sait qu’Artaud, alors âgé d’une vingtaine d’années, d’Artaud : « voici le livre le plus violent de la littérature
avait commencé une analyse avec René Allendy, analyse contemporaine, je veux dire d’une violence belle et régé-
qu’il avait rapidement arrêtée, confronté, selon Portzam- nératrice » (4e de couverture).
parc – et on est très tenté de le suivre sur ce point –, à Il y a de quoi, à la lecture de cette ouvrage, enseigner
une carence du refoulement originaire le concernant. le psychologue à plus d’un titre, tant l’histoire d’Artaud
Les thèmes des Cahiers introduisent une rupture d’avec impressionne : enseignement sur la clinique de la folie ;
une filiation impossible et construisent petit à petit une enseignement sur l’articulation entre création et
paternité délirante. Le Christ, la Vierge et Jésus-Christ psychose ; enseignement, enfin, sur les ressources de
composent une nouvelle Trinité, tandis qu’Artaud, en tant l’être dans sa capacité de dépassement de la souffrance.
qu’il est son propre père-mère, s’auto-engendre et met au
monde ses « filles de cœur », au nombre de six, et dont Pierrick BRIENT
deux possèdent les prénoms de ses grand-mères. Pour
Portzamparc, ces filles ont à voir avec les quatre enfants Berthon (Salomé), Chatelain (Sabine), Ottavi (Marie-
morts à la naissance dans sa propre fratrie, véritables Noëlle), Wathelet (Olivier), Ethnologie des gens heureux,
fantômes qui commémorent la déréliction d’un deuil éditions de La maison des sciences de l’homme, 2009.
maternel inaccompli.
Renaud de Portzamparc se penche, ensuite, sur un Le bonheur, objet de connaissance ? Nos collègues
thème récurrent du délire d’Artaud, celui de la négation anthropologues prennent la question à bras le corps. Dans
d’organes : « Artaud bute sur l’absence d’un savoir incons- une introduction dense et vigoureuse, Salomé Berthon,
cient qui lui permettrait d’identifier son espace interne » Sabine Chatelain, Marie-Noelle Ottavi et Olivier Wathelet
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s’interrogent sur l’absence d’études, sur ce sujet, dans leur Aude Mottiaux traite des pratiques sportives. Elles
domaine, alors que d’autres disciplines des sciences permettent d’éprouver des plaisirs et des douleurs. Ces
humaines et sociales (psychologie, sociologie, investissements dans la durée permettent de conjuguer la
économie...) s’en sont saisi et en débattent. C’est une invi- sensation d’exister et la qualité de « se sentir bien ». C’est
tation à ouvrir de nouvelles perspectives, à « penser de là, une forme d’espace de transgression, où on observe
nouvelle façon d’anciennes thématiques » et à ouvrir à la un effacement des symboles de genre, une minimisation
question du bien public « en posant la question : quel rôle de signes traduisant l’appartenance de l’individu à telle
social une anthropologie du bonheur peut-elle jouer au catégorie socioprofessionnelle (p. 61). Le principe réside
sein du monde contemporain ? » (p. 15). dans l’égalité dans l’effort. La sociabilité solitaire et soli-
Le bonheur constitue une forme ambigüe qui montre, daire, qui se développe, permet l’enchantement. La soli-
entre fictions et performances, l’extension pragmatique de darité et le partage se conjuguent au cœur de la course.
cette croyance. On peut juger du bénéfice d’un champ de Les sentiments d’appartenance se forgent à une commu-
recherche aux idées inédites qu’il apporte. Ce sont les nauté de destins. Alors que la douleur accompagne le
individus eux-mêmes qui le construisent, le définissent et plaisir de courir, elle légitime les concessions admises. La
lui donnent une existence à travers leur perception de différence physique symbolise une différence sociale, pour
l’être heureux et du rendre heureux. Les éléments objec- ces passionnés sportifs, dans la construction de leur
tifs semblent se définir par la notion du bien-être : l’école, bonheur quotidien. « Être bien » devient une méthode
le travail, le retour à la terre, le sport, la musique, les active de réenchantement des modes de sociabilité et de
vacances, les associations volontaires, le tourisme. Les partage.
auteurs mentionnent, également, les éléments subjectifs L’engagement bénévole est abordé par Stéphanie
du bonheur émotionnel ou conceptuel (la sensation, Vermeersch. Le plaisir a sa place dans une conception
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l’apprentissage, l’interaction sociale). socio-psychologique de l’engagement associatif. L’inté-
Treize chapitres ont été regroupés en deux parties. La gration des pratiques et des motivations individuelles
première « réunit les contributions de chercheurs ayant fonde les acteurs comme sujets. Le plaisir apparaît comme
essentiellement abordé la notion de bonheur au travers un contre-don de l’acte bénévole. La dichotomie des moti-
de la manière dont les individus lui donnent consistance » ; vations est une grille de lecture insuffisante : les individus
estiment qu’ils bénéficient des résultats de leurs actions.
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sensations visuelles, gustatives et olfactives des vins (le l’argent, l’honneur, le travail, ainsi qu’aux loisirs. La rela-
nez, la jambe, la bouche). L’amateur de vin enrichit les tivité de la nouveauté du bonheur en soi se heurte à la
pratiques de considérations diverses (les invités, la saison, sécularisation et à la montée en puissance d’une classe
la température, le lieu). Il fait des efforts pour aligner sa sociale (la bourgeoisie). L’hédonisme de l’âge d’or, notam-
perception sur celles des experts. Sans réflexivité, peut-on ment pour la classe moyenne américaine, se heurte à
éprouver du bonheur ? L’apprentissage s’accorde avec la l’angoisse et à la mort. Il recule au profit d’une préoccu-
sensation. L’évaluation est fondée sur un jugement de pation limitée aux sphères d’une sociabilité restreinte. Sa
conformité à une typicité établie. forme, moins collective qu’individuelle s’accompagne de
Neil Thin nous propose de porter attention à l’appren- l’idée d’un bonheur à défendre, auquel on peut parvenir
tissage du bonheur, par les enfants, en milieu scolaire. grâce aux conquêtes scientifiques. Ce comportement,
L’apprentissage est mental. Il forme le sens du langage et rejetant l’ennui et la grisaille, cherche la jouissance, dans
les interactions avec les autres. Il fait acquérir l’incorpora- une quête sans objet et sans réelle satisfaction. Pour
tion (la mimique du corps). L’auteur suggère que l’adulte conclure, bien que le bonheur calme soit recherché, le
se souvienne du bonheur enfantin à l’école. sujet craint de ne pas devoir s’en satisfaire (p. 178).
Monique Jeudi-Ballini offre l’air du bonheur chez les Pour terminer, Marie-Noëlle Ottavi présente « Sentir et
peuples Sulka (Papouasie), quoique leur vie affective ne penser le bonheur ». L’acte de perception est vécu comme
suscite aucune réaction de bonheur. Pas de verbalisation, s’organisant sur deux niveaux, qui sont la sphère senso-
mais, par contre, des chants qui évoquent l’exil, le rielle, où nous sommes capables de quantifier la sensa-
manque, la perte, la souffrance. La malveillance chasse tion, et la sphère hédonique qui renvoie à la capacité de
la honte. Le courroux neutralise les sources de l’adversité, qualifier la sensation en termes de plaisir et ou de déplaisir.
afin d’établir cet état d’équilibre, de non-malheur. Les Le plaisir aide, donc, à donner du sens aux perceptions,
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groupes sulka méprisent telles ethnies, alors qu’ils en mais il va se créer par un lien entre les individus. Notre
glorifient d’autres. Les raisons de se sentir heureux sont attention est portée sur le plaisir comme acte de sensa-
autant de raisons de ne pas montrer qu’on l’est (p. 154). tion, plus que sur la satisfaction ressentie que nous avons
Le rire suscite l’imitation ironique. Parvenir à s’acquitter de le partager, « créant des conditions d’un bien-être défini
des obligations rituelles procure du soulagement et le par soi et en rapport à autrui » (p. 204). Le bonheur parait
pouvoir de retrouver le sommeil. Tout comportement
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