D'Auguste Verpillot à Gilbert Savile, l'innommable amour pour un homme. Deux romans contemporains, Monsieur Auguste (1859) de Joseph Méry et Le Comte Kostia (1863), du futur académicien Victor Cherbuliez, évoquent, sans les nommer,...
moreD'Auguste Verpillot à Gilbert Savile, l'innommable amour pour un homme.
Deux romans contemporains, Monsieur Auguste (1859) de Joseph Méry et Le Comte Kostia (1863), du futur académicien Victor Cherbuliez, évoquent, sans les nommer, des sentiments d'amour d'un homme pour un autre.
Dans le roman de Cherbuliez, Gilbert Savile, un brillant historien de l'Antiquité de vingt-neuf ans, est embauché comme secrétaire par le comte Kostia Leminof, un aristocrate russe richissime qui a perdu sa femme et sa fille. Le comte vit dans un château isolé près de Bâle avec son fils de seize ans, Stéphane, dont la sœur jumelle est décédée. Gilbert est décrit comme « une sensitive », un « étrange personnage » qui a des « penchants » et des « passions » qui ne sont jamais détaillés. Il n'a jamais aimé une femme de sa vie et porte, tout au long du roman, un regard admiratif sur une série d'hommes. Le secrétaire s'éprend ainsi du jeune et éphèbe fils du comte dont il admire maintes fois le corps : « un cou d'une parfaite blancheur, ses longs cheveux soyeux retombant mollement sur ses épaules, les contours purs et délicats de son beau visage, sa bouche fine aux coins légèrement relevés » (p.101-102). À travers le récit, ce que ressent Gilbert pour Stéphane est évoqué comme un : « secret malaise » (p.72) et des « secrètes appréhensions » (p. 73). Les jalousies du comte obligent les deux jeunes gens à se rencontrer en secret et Gilbert risque sa vie sur les toits du château pour rejoindre celui auquel il déclare : « Je vous aime parce que je vous aime, je n'en sais pas d'autre explication » (p. 286). Le roman de Cherbuliez est perçu comme un modèle de roman homosexuel par Adrien Juvigny qui l'évoque ainsi dans plusieurs lettres à Paul Bourget en décembre 1870 et janvier 1871 .
Dans Monsieur Auguste, le héros éponyme, Auguste Verpillot, est un historien éminent de l'Antiquité de vingt-huit ans. Dès le début du roman on comprend qu'il est différent : il ne désire pas danser avec des femmes et ne veut pas se marier, car : « je suis l'ennemi né du mariage. C'est un état contre nature ». Il est décrit par Rose la domestique comme une femme (p. 18), topos répété à travers tout le roman (p. 47-8, 94, 108 116, 211). Auguste est amoureux de son ami Octave, qui lui est amoureux de Louise, et Louise est amoureuse de l'élégant Auguste. Afin de contrarier le mariage de l'homme qu'il désire, Auguste feint de vouloir se marier avec Louise.
Le dénouement des deux romans déjoue les amours : le jeune Stéphane est en fait sa sœur jumelle, obligée par son père de prendre le rôle du frère décédé et la vraie nature d'Auguste est dévoilée au père de Louise qui convainc sa fille de se marier avec Octave.
Nous voulons comprendre si ces dénouements, qui en fin de compte nient les amours des héros, justifient la franchise avec laquelle ces sentiments d'amour entre hommes sont évoqués. Certes il faut attendre l'apparition du mot « homosexualité » pour donner un nom scientifique à cet amour, mais ces deux romans montrent qu'il est possible d'en parler bien avant sans tomber sous les emprises de la censure.