Manuscrit auteur, publié dans "Mémoire et trauma de la grande guerre : Bretagne, Catalogne, Corse, Euskadi, Occitanie,
Gwendal DENIS (Ed.) (2010) 135-187"
RONAN LE COADIC
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La souffrance en chantant
Qu’il me soit permis de dédier ces quelques lignes à mon
grand-père, François Chapalain (Roscoff 1898 — Paimpol
1980). Gazé dans les tranchées, le médecin militaire auquel
il fut présenté refusa de le soigner au prétexte qu’il était
breton et que : « Les postiers bretons1, c’est solide, ça n’a
pas besoin de soins. » Le passage inopiné d’un colonel à
l’infirmerie le sauva : voyant que mon grand-père tentait de
remettre ses bottes pour repartir au front sans avoir été
soigné, il réprimanda le médecin et exigea qu’il lui donne les
mêmes soins qu’aux autres blessés.
La Bretagne a payé un lourd tribut à la Première Guerre mondiale. Les
historiens estiment généralement aujourd’hui à 150 000 le nombre de
Bretons « morts pour la France » lors de ce grand carnage2, soit 22 % des
Bretons mobilisés, chiffre nettement supérieur à la moyenne française :
entre 16 % et 17 % des soldats mobilisés3. Cependant, en dehors des
superbes poèmes de Yann Ber Calloc’h4, des lettres de Loeiz Herrieu5,
1
Les postiers bretons sont des chevaux de trait vigoureux, qui furent beaucoup utilisés
par l’artillerie française.
2
On a longtemps considéré — à la suite d’une déclaration du député du Morbihan Joseph
Cadic en novembre 1927 à l’Assemblée — que 240 000 Bretons avaient été victimes de
la guerre ; ce chiffre a ultérieurement été contesté et ramené à 150 000. Henri GILLES,
dans un article très argumenté au sein du présent ouvrage, propose une autre approche :
135 000 Bretons auraient été tués au cours des années de guerre, ce qui ferait bien d’eux
la principale « chair à canon » de la France ; toutefois, beaucoup d’autres seraient, en
outre, morts des suites de la guerre au cours des années suivantes ; le total de 240 000
morts en 1927 serait donc juste également.
3
Selon CORNETTE Joël, Histoire de la Bretagne et des Bretons, tome II, Paris, Seuil,
2005, p. 418.
4
CALLOC’H Yann Ber, Ar en deulin, À genoux, Éditions Kendalc’h, 1963.
5
L’abondante correspondance de Loeiz Herrieu à son épouse a fait l’objet d’une thèse de
Daniel CARRE, intitulée : Loeiz Herrieu. Un paysan et un militant culturel breton dans la
première guerre mondiale. Analyse détaillée de sa correspondance avec son épouse.
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des notes de guerre
d’Auguste Bocher6 ou des
mémoires
d’Ambroise
Harel7, il semblerait qu’il
reste
assez
peu
de
témoignages
écrits
de
poilus bretons, au point
qu’on a pu parler d’un
« immense
silence
du
peuple des tranchées »8.
Si les soldats bretons
paraissent, dans l’ensemble,
avoir relativement peu écrit,
ils
ont
en
revanche
beaucoup chanté et pas
seulement le Chant du
départ, cet hymne guerrier
datant
de
1794, qui
promettait « la victoire en
chantant » et fut très utilisé
en 1914 pour exalter les
soldats mobilisés9. Les
Figure 1 : « La victoire en chantant »
sur un monument aux morts de 1914-1918
Bretons ont aussi composé
(Villelongue d’Aude)
leurs propres chants, en
breton, où ils n’ont pas seulement appelé la victoire de leurs vœux mais
ont également exprimé une partie de leurs émotions et de leur souffrance,
physique et morale, ce que l’on pourrait qualifier de « trauma » en
langage médical.
Le chant est un mode d’expression traditionnel très présent en Bretagne
où, depuis des siècles, il permet de relater les événements individuels ou
(Thèse de doctorat de celtique menée sous la direction de Yann-Ber Piriou et soutenue à
l’université de Rennes 2 Haute-Bretagne en 1999).
6
DENEZ Gwendal, Notennoù brezel Aogust Bocher, Mouladuriou Hor Yezh, 2000.
7
HAREL Ambroise, Mémoires d’un poilu breton, Rennes, Éditions Ouest-France, 2009.
8
Titre d’un article de Roger Laouenan paru dans ArMen n° 71, en octobre 1995, p. 23-31.
9
Le chansonnier Théodore Botrel, délégué par le ministre de la guerre pour aller soutenir
les troupes sur le front, a même parodié le refrain de la chanson en ces termes :
« La République nous appelle,
Sachons vivre et sachons périr ;
Un Français doit vivre pour elle,
Pour elle un Breton doit mourir. »
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collectifs, souvent dramatiques, qui frappent les esprits. Le patrimoine
chanté en langue bretonne est riche et, si les chansons relatives à la
Première Guerre mondiale ne sont plus guère chantées aujourd’hui,
beaucoup ont été retranscrites. Le corpus analysé dans le présent article
est ainsi composé d’une trentaine de chants en breton dont l’un m’est
parvenu sous forme manuscrite10, un autre a été enregistré en 1979
auprès d’une personne âgée par Yann-Fañch Kemener11 et tous les autres
ont été imprimés sur feuilles volantes12. Je n’ai cherché ici ni à constituer
un corpus exhaustif ni à procéder à un inventaire systématique de ces
textes, car cela aurait largement dépassé les limites de l’exercice. Je me
suis contenté d’y chercher l’expression du trauma (blessures physiques
ou émotions poignantes), voulant simplement montrer la nature de ce qui
était exprimé dans ces
chants et la manière
dont c’était formulé.
Pour ce faire, j’ai
repris
de
larges
extraits des chansons,
que j’ai laissées dans
leur
orthographe
d’origine (quelle que
soit — parfois — leur
maladresse),
et
traduites en français
sans
pouvoir,
malheureusement, en
restituer les rimes.
Après avoir étudié
l’expression
du
trauma
dans
les
chants, nous nous
pencherons sur les
ressources dont les
soldats
bretons
Figure 2 : « Ar Brezel Braz et blavez parzek a pemzek », disposaient
face à
début d’une gwerz anonyme manuscrite, datant de 1915 l’adversité.
10
Chant 1.
Chant 2, collecté à Plounévez-Quintin auprès de Jean Poder le 2 octobre 1979.
12
La liste des textes étudiés est fournie en fin d’article.
11
Expressions du trauma
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La rupture
Le tocsin
La première émotion vive que les Bretons ressentent lors de la Grande
Guerre leur est causée par le tocsin : les chants qui font état de cette
sonnerie de cloches sont extrêmement nombreux et présentent trois
caractéristiques. Ils mentionnent, en premier lieu, un son particulier, soit
par sa nature : « les cloches murmurent d’une voix triste et grêle »13, « la
cloche au son douloureux »14 ou « un son triste et inhumain »15, soit par
l’impression qu’il suscite immédiatement : « un air très alarmant »16,
« dès que la cloche sonna, mon esprit fut inquiet »17 ou « un appel qui
blessait »18. En second lieu, ces chants soulignent que tous, dès qu’ils
entendent le tocsin, comprennent instantanément que la catastrophe
annoncée est la guerre :
Holl hon eus laret ’n eur vouez :
« Brezel, a dra serten19 ! »
Nous avons tous dit d’une seule voix :
« c’est la guerre, c’est sûr ! »
Ceci se traduit, bien sûr, par le fait que chaque personne, sans exception,
est concernée. Une façon d’exprimer cette universalité en chanson
consiste à énumérer les métiers que chacun est amené quitter :
13
Dre ma sone an holl gleier,
An dud ’guitae o farkeier,
En eur laret an eil d’un all :
« Allas, digor eo an tan gwall ! »
Tandis que toutes les cloches sonnaient
Les gens quittaient leurs champs
Se disant l’un à l’autre :
« Hélas, l’incendie est déclaré ! »
An holl a zilez o labour,
Kouls devejer ha micherour ;
Ar skolaer ’n’eus lezet e skol
Hag an aotrone vras an dol20.
Chacun abandonne son travail,
Le journalier comme l’ouvrier ;
L’instituteur a quitté son école
Et les notables leur bureau
Ar cléier a vurmur gant eur vouez trist a moan (chant 31, couplet IV). Toutes les
traductions ont été effectuées par mes soins.
14
Ar c’hloc’h e son gloaz (chant 21, couplet II).
15
Eur zon drist a dinatur (chant 1, couplet V).
16
Enn ton allarmuz meurbet (chant 14, couplet III).
17
Kenkent ma sonas ar c’hloc’h ’voe nec’het ma spered (chant 21, couplet III).
18
Eur c’halvaden hag a rae gloaz (chant 8, couplet III).
19
Chant 21, couplet III.
20
Chant 8, couplets IV et V.
Enfin et surtout, ce que le son du tocsin exprime c’est la fin d’un temps
que les chants dépeignent comme idyllique et insouciant : jusqu’à ce que
les cloches retentissent, en effet, « tous étaient heureux »21…
Troc’het e oa ar foenn, an eost a
velene,
War ar gwez-avalou ar brankou a
blege.
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An holl a oa eürus — « P’en em gavo
ar goan,
A lare an dud koz, ni a harzo
outan ! » —
Ar baotred ’huvree e kalz abadennou,
Nozveziou,
marvailhou,
marteze
eureujou…
Koulskoude, an anken a rene war ar
vro
Pa zeuas ar c’hleier da zon prim trowar-dro.
Tra vantrus ! Tra skrijus, leun a
dristidigez !
Petra ’weler neuze e meur a diegez ?
Priejou o sellet an eil ouz egile ;
Daerou ’n o daoulagad, ’lenvont d’o
bugale22.
Le foin était coupé, le blé blondissait,
Les branches des pommiers ployaient.
Tous étaient heureux — « Quand viendra
l’hiver,
Disaient les vieux, nous lui résisterons ! » —
Les jeunes gens rêvaient à de bons moments,
Des soirées, des prouesses, peut-être des
noces…
Pourtant l’angoisse régna sur le pays
Quand les cloches vinrent à sonner alentour.
Quelle nouvelle accablante, terrible, pleine de
tristesse !
Que vit-on alors dans les foyers ?
Des époux qui se regardaient
Les yeux pleins de larmes, ils pleuraient pour
leurs enfants.
Désormais, le temps des calamités et du chagrin fait irruption.
Eur walen euzus ha dispar
A zo kouezet war an douar…
Ar c’hleier a zone dalc’hmat
Hag a rae d’an oll kalonad.
Un fléau atroce et sans pareil
S’est abattu sur notre terre…
Les cloches continuaient à sonner
Et emplissaient tous les cœurs de chagrin.
Gouela dourek ’rae ar merc’hed
Ha loden vras eus ar bôtred,
Dreist-oll ar re ’renke kuitât
Gwreg ha bugale, mamm ha tad23.
Les femmes pleuraient à chaudes larmes
Ainsi que certains hommes,
Surtout ceux qui devaient quitter
Femme et enfants, père et mère.
Ce que le son du tocsin annonce, c’est, en effet, une profonde rupture.
21
Chant 25, couplet II.
Chant 25, couplets I à VI.
23
Chant 8, couplets VII et VIII.
22
La rupture avec le quotidien de paix
La rupture avec le quotidien de paix est d’abord physique, au sens où les
hommes mobilisés doivent se détacher de toutes les personnes qu’ils
aiment : leurs parents, leur fiancée ou leur femme, leurs enfants, leurs
amis…
An dud yaouank renk dilezel
Ho bro ho mestrezet fidèles
Les jeunes gens devront délaisser
Leur pays et leurs fiancées fidèles
Aré demeed ha renko ivé
Kuittat ho groueg ho bugalé24.
Les époux devront également
Quitter leur femme et leurs enfants
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Les chants d’adieu (kimiad), fort nombreux, énumèrent tous ces proches
que les jeunes mobilisés doivent quitter.
[Ad]ieu va bugale kenavo ar retorn
[Ke]navo va fried n’eur bokat d’ho taou
zorn
[Ke]navo marteze vit ar vech diveza
[An] disparti zo trist ret eo din partia
[Ad]ieu va Breiz-Isel va bro muia karet
[Ke]navo va cherent a deoc’h oll
mignonet25.
Adieu mes enfants, au revoir
Adieu mon épouse, j’embrasse vos deux
mains
Adieu peut-être pour la dernière fois
Se séparer est triste mais je dois partir
Adieu ma Basse-Bretagne, mon pays adoré
Adieu mes parents et vous tous mes amis
On remarque que la Basse-Bretagne est volontiers citée au même titre et
dans les mêmes termes que les personnes auxquelles il faut s’arracher.
Keno Breiz-Izel, a garan,
Dreist kement bro ’zo er bed-man,
Da zifenn ac’hanout e c’han26
Adieu Basse-Bretagne que j’aime,
Plus que tout autre pays au monde
Je pars te défendre
C’est d’ailleurs autant pour défendre la Basse-Bretagne que pour
défendre la France que les jeunes Bretons partent à la guerre.
Hret avo monet d’ar brezel
Da zifen Vranç ha Breiz-Izel27
Il faudra partir à la guerre
Défendre la France et la Basse-Bretagne
La séparation avec les proches est douloureuse pour de nombreuses
raisons. D’abord, parce que partir, c’est se priver de leur affection.
Mamou groaguez karantezus
Ho kuittat a zo glac’harus28
24
Chant 3, couplets IX et X.
Chant 6, couplets XLI et XLII.
26
Chant 5, premier couplet.
27
Chant 3, couplet VIII.
28
Chant 3, couplet XI.
25
Mères et femmes aimantes
Vous quitter est affligeant
Mais aussi, bien sûr, parce que partir conduit à laisser ses proches dans la
peine : les jeunes gens qui s’en vont au front souffrent du chagrin qu’ils
causent à leurs parents.
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Keno mamm baour, keno ma zad !
N’ho kosni pebeuz kalonad !
Evidoc’h e c’han d’an argad29
Adieu ma pauvre mère, adieu mon père !
Quel chagrin en votre vieil âge !
C’est pour vous que je pars au combat
Ils semblent gênés de faire couler les larmes des personnes qu’ils
aiment : « Adieu Anne-Marie, cessez de répandre des larmes »30 dit ainsi
un jeune homme à sa fiancée ; « vous qui restez, priez et ne me pleurez
pas »31, dit un autre. Chacun de ces hommes sait que, non seulement son
départ prive ses proches de son affection mais qu’en outre, il les place,
concrètement, en difficulté : ils devront, en effet, se passer de sa force de
travail…
Lezel a ra al labourer
Gant ar re a chomo er gêr
Labour an eost da veza graet
Gant merc’hed, tud koz, krennarded32
Le laboureur laisse
À ceux qui restent
La récolte à accomplir
Femmes, vieillards, adolescents
Quant à eux, les jeunes gens qui partent à la guerre se savent désormais
en situation de profonde incertitude et de risque vital.
[Do]ue da rei deomp graç den em welet en
ein
[M]a n’hor bo ar bonheur da sistroi e bue.
[…]
Nouzon ket evit guir penaos von disparti
Maez ma na sistroan humblamant m’ho
suppli
Da laret eur beden va fried eb dale
Hager memes amser repozo va ene33.
Que Dieu nous donne la grâce de nous
retrouver aux cieux
Si nous n’avons le bonheur de revenir en
vie.
[…]
J’ignore en vérité ce que sera notre
séparation
Si je ne revenais, je vous supplie
humblement
De prier pour moi sans attendre, mon
épouse
Et dès lors mon âme pourra reposer en paix
Face à l’incertitude et aux risques qu’ils encourent, certains soldats
laissent leur chagrin éclater dans leur chant.
29
Chant 5, couplet XIII.
Kenavo Anne Marie cesset da skuil dæro, chant 14, couplet V.
31
Chomit er guer pedit a ne ouelit ket din, chant 6, couplet XLIV.
32
Chant 8, couplets II à X.
33
Chant 6, couplets XLI à XLV.
30
Graet gant eun toer mein-glaz ’tont deuz
kuitat e vro,
Ha ma beuzet e galon en eur mor a zaëro.
Pesort malheur vit eun den dont da guitat e
vro,
Guelet e vuia karet e toul dor ar maro34 !
[Cette chanson a été] composée par un
couvreur qui vient de quitter le pays,
Et dont le cœur est noyé d’une mer de
larmes.
Quel malheur pour un homme que de
quitter son pays
Et de voir son aimée du seuil de la mort !
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D’autres expriment plutôt de l’abattement face ce qu’ils perçoivent
comme une fatalité : ils considèrent que l’époque du bonheur est pour
eux définitivement close.
Contristet ezom nos deiz
Gant ar boan ar gla’har
Trémenet ar blijadur
Ganéomp var an douar35
Nous sommes contristés nuit et jour
Par la peine et le chagrin
Pour nous le temps du plaisir
Est terminé sur cette terre
Cet immense chagrin est causé par un conflit dont les causes paraissent
totalement extérieures.
L’appétit sanguinaire des premiers temps
La propagande gouvernementale ayant été vigoureuse et efficace, il ne
fait de doute pour personne que la guerre est juste et qu’elle vise à
s’opposer à des tyrans. Par conséquent, tuer les Allemands n’est ni un
crime ni un péché mais un devoir moral. Quelques textes révèlent même
un véritable appétit sanguinaire.
34
Rag vel m’o gwelin war ma hent,
Dispont warnê saillin kerkent,
Beteg o dispenn gant ma dent !
Dès que je les verrai sur ma route,
Je m’élancerai sur eux
Jusqu’à les dépecer avec mes dents !
Ya ! diont evel ma vin éru,
En ho c’hreiz me lampo dustu :
Diflao-diflao ! deuz an daou dû !
Oui ! dès qu’ils arriveront,
Je bondirai sur eux :
Avec adresse ! de tous côtés !
M’ar teu an Ankou d’am espern
Pa ven brêvet kik ag eskern !
Me skoio c’hoaz en kreïz ar bern !
Si la Mort m’épargne
Ma chair et mes os seraient-ils brisés,
Je frapperai toujours dans le tas !
Ya, tre ’vin gwestl da chom em za,
Ma na fell ked deze plega,
Dao dê bepred deuz ma goassa36 !
Tant que je pourrai tenir debout,
S’ils ne veulent pas plier
Je les frapperai de toutes mes forces !
Chant 22, couplet II.
Chant 26, couplet IV.
36
Chant 5, couplets VII à X.
35
Plusieurs chants en langue bretonne évoquent la volonté d’en découdre
avec les Allemands mais assez peu — à ma connaissance — sont aussi
violents que celui qui précède. Un autre thème apparaît progressivement
dans les chansons, celui des conditions de vie des soldats.
Les conditions de vie
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Les conditions de vie des soldats
Les chants en breton font peu état des corvées auxquelles les soldats sont
astreints : les longues marches, les sacs à porter, la fatigue qui en
résulte… Certains les mentionnent néanmoins, mais assez rapidement, au
détour d’une phrase, comme ici, à propos d’un déplacement de troupes
vers le front belge.
Eur zac’h pounner woar omp choug
ag eu amzer a fatigue37
Un sac lourd sur le dos et un temps de fatigue
[une longue marche fatigante ?]
De même, le passage suivant décrit brièvement les conditions dans
lesquelles un régiment bat en retraite.
Ret ’voe d’imp donet war-drenv ha kerzet
de ha noz
Hep kaout amzer da zibri na zoken da
repoz ;
War an hent, a vandennou, e welemp ’bep
mare
Tud o tec’het rak an tan ’vit miret o
buhe38.
Il nous fallut nous retirer et marcher nuit et
jour
Sans prendre le temps de manger ni de nous
reposer ;
Sur la route, par bandes, nous voyions de
temps à autre
Des gens qui fuyaient le feu pour préserver
leur vie.
Divers chants, en revanche, décrivent la vie dans les tranchées. Ces abris,
destinés initialement à protéger provisoirement les soldats dans une
guerre qui devait être rapide, ont, comme on le sait, été appelés à durer.
Setu ni ’ta daou vloaz ’zo ’barz hon fozioudifenn,
Hep ma c’hellfemp gout pegouls ’vo fin an
abadenn…
E-kichen da Zant-Hiler ’voemp laket da
balat
Da gaout evidomp ivez kledourien
kempenn-mat39.
37
Chant 14, couplet XI.
Chant 21, couplet XVIII.
39
Chant 21, couplet XXV.
38
Voici deux ans que nous sommes dans nos
tranchées
Sans savoir quand cela prendra fin
Près de Saint-Hilaire nous avions été mis à
bêcher
Pour nous créer, nous aussi, des abris bien
aménagés
Les tranchées sont dépeintes comme des sortes de terriers, indignes
d’êtres humains.
Deuz a noz pas hallomp kousquet
Evel ar brohet é c’hom loget
Evel ar logot ac ar goët
Garenno en douar a meun gret40
La nuit, quand nous pouvons dormir,
Nous sommes logés comme des blaireaux,
Des souris ou des taupes
Nous avons creusé des boyaux sous la terre
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La vie y est pénible.
Euzus ha trist eo ar brezel
Evit bugale Breiz-Izel,
D’a re ’zo pell ’zo er fosiou
O c’houzanv a bep sort poaniou.
La guerre est atrocement triste
Pour les enfants de Basse-Bretagne,
Ceux qui sont depuis longtemps dans les tranchées
À endurer tant de peines
Dindan an erc’h, ar skorn, ar glao
Hag an mindrailh nan eo ket brao ;
Hanter-veuet e-barz an dour,
An eil d’egile ’ro sikour41.
Sous la neige, la glace, la pluie
Et la mitraille, c’est terrible ;
À moitié noyés dans les fondrières
L’un secourt l’autre
Plusieurs chansons évoquent les rudes conditions météorologiques que
les soldats doivent endurer.
Goude vijê war ma chouk ma c’hapoten
klêret,
Goude vijê ma c’hepi war ma fenn riellet,
Dre ar grizil ag ar skorn, hag ar seiz sort
amzer,
Kement-se n’eo c’hoaz netra e kever ma
mizer42.
Que le manteau qui couvre mon dos soit
glacé
Que ma tête sous mon képi soit couverte de
givre
Que je demeure sous la grêle et la glace, et
par tous les temps,
Tout cela n’est rien à l’aune de mon
malheur
Et quand les soldats ont la chance d’obtenir quelques jours de
permission, revenir au front s’enterrer dans les tranchées est source d’une
angoisse que seul le vin paraît en mesure d’apaiser.
Neuze, war an hent en-dro, ganen eur
c’hamarad,
Evit trec’hi an anken, ’ever eur chopinad,
Eur banne eus ar gwin ruz hanvet ganeomp
« Pinard »…
Hennez a zo eu louzou ’zo mad ous ar
« C’hafard »43 !
40
Chant 1, couplet XII.
Chant 8, couplets XVIII et XIX.
42
Chant 22, couplet XVI.
43
Chant 19, couplet VIII.
41
Sur la route du retour [au front], avec un
camarade,
Pour vaincre l’angoisse, on boit un coup
Un verre de ce vin rouge que nous
appelons « Pinard »…
C’est un bon remède contre le cafard !
Un cas particulier de conditions de vie, spécialement pénible, est celui
des prisonniers de guerre.
Les conditions de vie des prisonniers
Les prisonniers sont assez peu mentionnés dans les chansons. Mais
quand ils le sont, c’est pour déplorer leur misérable sort.
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
Allas evit enno ar Franç oa revinet
Collet ganti siouas e guela soudardet
Kasset d’an Allemagn evel prisonierien
Tretet
vel
esclavet
e
bro
n’adver’sourien44
Hélas, la France était là ruinée
Elle avait perdu ses meilleurs soldats
Emmenés prisonniers en Allemagne
Traités comme des chiens au pays des
adversaires
Un prisonnier originaire de Scrignac, petite commune du centre de la
Bretagne, décrit en détail ses conditions de détention en Allemagne.
Cousquet vijomp var ar pri gant o zammou
pillou,
Ha éguis da benn vélé é vijé o boutou.
Nous dormions à même le sol sur des bouts
de chiffon
Avec des chaussures en guise d’oreiller.
[…]
[…]
Deus ar mintin pa zavomp gant ar boan
izili,
A hachomp bétec an nos a nep tam da zibi,
Gant eur banahic dour tom da houelhi o
bouellou,
E rancquomp monet neuzé da gleuza
tranchéou.
Le matin, nous nous levions les membres
endoloris,
Et nous restions jusqu’au soir sans rien
manger,
Avec une simple goutte d’eau chaude pour
laver nos boyaux,
Nous devions aller creuser des tranchées.
[…]
[…]
Deus an nos pa zigouéomp ébars ar
varaquenn,
Prest a vijomp da sempli é n’eur vonet
d’ar souben,
Péhini a vijé gréat, ia gant béttarabez,
Mesket gant eun tam brenn hag ar peil
patatez45.
La nuit, quand nous arrivions au
baraquement
Nous étions prêts à nous évanouir en allant
à la soupe,
Laquelle était faite de betteraves,
Mélangées de son et d’épluchures de
patates.
Quant aux soldats qui sont au combat, ils évoluent dans un étrange
environnement…
44
45
Chant 6, couplet XIX.
Chant 15, couplets VII, IX et XVI.
Des paysages désolés
Entre les tranchées des deux camps s’étend un champ de bataille qui n’a
plus de « champ » que le nom.
Sétu nim war ar blénen
Elec’h neuz quet eur iéodenn
Neuz met touillou a barennou
Gret gant ann obusiou46
Nous voici sur la plaine
Où ne reste plus un brin d’herbe
Seulement des barres et des trous
Faits par les obus
Cela ne manque pas de perturber ces hommes qui, pour la plupart, sont
des paysans.
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
En pévar horn ann dachen
Né wélomp né met douar guen47
Au quatre coins du champ de bataille
Nous ne voyons que de la terre blanche
Le pire, toutefois, ce ne sont, bien sûr, ni les conditions de vie des soldats
ni l’environnement dans lequel ils sont cantonnés, ce sont les risques
qu’ils encourent à chaque instant par leur exposition à la violence.
La mort qui rode
Exposition à la violence
Ces jeunes gens savaient dès leur départ qu’ils risquaient leur vie, ou de
graves blessures.
O buhe’ tout ’golliaint ket
Met ’barzh an dañjer ’maint bepred48 !
Tous ne perdront pas la vie
Mais tous sont en danger
Il semble qu’ils soient confrontés à la violence de façon très rapide. Le
chant ci-dessous évoque des soldats qui viennent directement de Lorient
sur le front où, après avoir quitté leur « gourbit » à vingt-trois heures, ils
arrivent en première ligne à quatre heures du matin, sous le feu des
canons, et partent à l’assaut dès treize heures.
Eur pennadik goude ze ni oe bet ambarket
Trezek kêrik ar Mênil da vel’t ar
Brusianed,
Da uneg eur deuz an noz oam aët deuz ar
gourbi,
Da beder eur ar mintin en tranche oamp
arri.
Peu après, nous voici embarqués
Pour aller voir les Prussiens près de la ville
du Mesnil
À onze heures du soir nous avons quitté le
gourbit
À quatre heures du matin, nous sommes
arrivés dans les tranchées
Da beder eur ar mintin oa ket hoaz sklaer
À quatre heures du matin, le jour n’était
46
Chant 1, couplet X.
Chant 1, couplet XIII.
48
Chant 2, dernier couplet.
47
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
an de,
Pa grogaz trouz fuzuliou ha soixant’ quinz
goude.
Pa grogaz ar ganonik soixant’ quinz’ da
c’hoari,
Ha d’un eur goude kreiste oe dao d’emp
attaki.
pas encore clair
Quand le bruit des fusils et des obus de
soixante-quinze commença à retentir.
Quand le canon de soixante-quinze
commença à tonner
Et à une heure de l’après-midi, il nous
fallut attaquer.
Kommanset oa an attak, deut oamp war ar
blenen,
Evit reseo blessuriou hag evit souffr
anken ;
Hon zac’h ganimp war hon chouk,
baïonnette au canon,
Mont a remp tammou arog hed ha hed
gant ar front49.
Une fois lancée l’attaque, nous sommes
allés sur la plaine
Recevoir des blessures et souffrir de mille
maux
Sac au dos, baïonnette au canon
Nous allions peu à peu de l’avant, tout au
long du front.
De nombreuses métaphores sont employées dans les chants pour évoquer
les manifestations de la violence. Toutes évoquent le monde rural breton,
univers de référence de ces jeunes soldats. Les balles sont ainsi
comparées à de la grêle ou à des abeilles.
Zillet we d’em ével grisil
En meur gombat difficil
Ar plomb am dir a gua ouarn
Evel gouënn tal oa squouarn50
Le plomb, l’acier et le fer
S’insinuent comme de la grêle
En de nombreux combats difficiles
Tels des abeilles près de mon oreille
Les boulets tombent en pluie.
Eno, eur wech all c’hoaz, ar Boch a arsailhas ;
Eur glao a vouliji warnomp holl a gouezas51…
Là, une fois encore, le Boche attaqua ;
Une pluie de boulets tomba sur nous…
Le ciel illuminé par les obus évoque une étrange marée.
‘Kreiz noz, etre ar c’houec’h hag ar seiz
warn-ugent,
Obuziou a bep seurt a voe taolet kement
Ma seblante an oabl beza sklêrijennet
Gant eul lano iskis a dan hag a luc’hed52.
Les avions ressemblent à des oiseaux.
49
Chant 22, couplets VI et VII.
Chant 1, couplet XI.
51
Chant 28, couplet VII
52
Chant 28, couplet III.
50
Au milieu de la nuit, entre le vingt-six et le
vingt-sept,
Tant d’obus de toute sorte furent tirés
Que le ciel semblait illuminé
D’une étrange marée de feu et d’éclairs.
Da zeiz eur ’n abardaez setu ni holl en hent,
Leun a galon. Tremen a reomp eur pont ;
kerkent
Eur c’harr-nij alaman ’n deus gwelet
ac’hanomp
Eus barr an nenv buan, hag e tiskenn
warnomp.
Tak, tak, tak ! al labous, izel kenan breman,
A vindrailh ac’hanomp. Tenna ’reer warnan…
Siouaz, an torfetour a gemer uhelder
Dic’hloaz, gwella ma c’hell e kemer hent ar
gêr53.
À sept heures du soir, nous voici tous
en route
Pleins de courage. Nous traversons un
pont ; aussitôt
Un avion allemand nous a vus
Du haut du ciel, il fond sur nous.
Tac, tac, tac ! L’oiseau, très bas à
présent,
Nous mitraille. Nous lui tirons dessus…
Hélas, le criminel reprend de l’altitude
Indemne, il s’en retourne à la maison.
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
La mitraille et les obus provoquent évidemment de nombreuses et graves
blessures.
Blessures et mutilations
Pour parler de leurs propres blessures, les soldats bretons font preuve
d’une extrême pudeur.
Nemet e dibenn miz Du e oa bet gwallgrogad,
Hag evit ar vech kentan, ’voen gloazet en
argad54.
Fin Novembre, il y eut une violente
bataille
Et pour la première fois, je fus blessé au
combat.
Tout au plus signalent-ils dans leurs chansons qu’ils ont été blessés et,
éventuellement, soignés.
Ar seized a viz Ebrel e oan me bet blesset,
Ha kaset d’an hospital evit beza soignet55.
Le sept avril je fus blessé
Et emmené à l’hôpital pour être soigné
En revanche, ils expriment leur horreur et leur pitié lorsqu’ils voient leurs
camarades souffrir de leurs blessures.
Pa oa echu ar gombat, oa goleït ar
blenen,
Red d’an dud paour chom enno, faut a
vrankarderien.
Me ho ped, o va Doue, dont da gemer
true,
Klêvet an dud o krial, o c’houll forz d’o
bue56.
53
Chant 28, couplet V.
Chant 21, couplet XXVI.
55
Chant 22, couplet XIX.
56
Chant 22, couplets X et XI.
54
Quand le combat s’acheva, la plaine était
couverte,
Les malheureux devaient rester là, faute de
brancardiers
Je vous prie, Mon Dieu, de prendre pitié
En entendant ces gens qui hurlent et
demandent de l’aide
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
Figure 3 : Plaque trilingue
(français, breton, flamand)
au cimetière de Boezinge,
dans la ville belge d’Ypres,
commémorant la première
utilisation de gaz
asphyxiant par les
Allemands
57
Chacun sait, en outre, que les soldats qui reviendront grièvement blessés
du front éprouveront de vives difficultés à travailler.
Gwalleur ’n eus ar zoudard tizet
Gant bouledou ’n Alamaned,
Dreist-oll pa ve gloazet da vat
Ha harzet outan labourat58.
Le soldat atteint par les balles allemandes
Est malheureux
Surtout s’il est gravement blessé
Et qu’il ne pourra plus travailler
Bien d’autres, cependant, ne reviendront jamais…
Exposition au risque de mourir
En temps de guerre, les jeunes appelés qui partent au front se doutent
bien qu’ils risquent leur vie.
Sellit ma mamm, sellit ma zad,
Petra ’peus grêt ’fagañ ur mab
P’emañ ’hont bremañ d’ho kuitaat,
P’emañ ’hont bremañ d’an arme,
Matrezen ’deuy ket ken d’ar ger59 !
57
Regardez ma mère, regardez, mon père,
Ce que vous avez fait en élevant un fils
Puisqu’il va maintenant vous quitter
Puisqu’il va maintenant à l’armée
Et qu’il ne reviendra peut-être jamais
Voici le texte de cette plaque, en breton : Ar c’hentañ argad alaman gant aezhennoù
mougus zo bet kaset war-raok d’an 22 a viz Ebrel 1915 da 5 eur d’abardaez, a-enep da
soudarded ar 87vet D.I.T hag ar 45vet D.I war dalbenn ar brezel Steenstrate Langemark St
Juliaan et en français : « Sur le front Steenstrate Langemark St. Julien la 87me D.I.T et la
45me D.I française ont subi le 22 avril 1915 à 17 heures la première attaque allemande par
les gaz asphyxiants ».
58
Chant 8, couplet XX.
59
Chant 2, couplets IV, V et VI.
Mais ce doute reste théorique jusqu’à ce que ces hommes soient
confrontés à l’ennemi et amenés à le combattre. Alors, très vite, la mort
s’abat sur eux ou près d’eux.
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
Ben an dri var uguent a viz eost creski re
on glac’har
Egant nerz on hanoniou krena re an
douar
Eben naveur heur deuz an noz oemp aru
do zicour
E Montjumont oemp en contact egant an
adversour
Var dro dek heur deuz an noz oa lancet
ar gombad
Kouël a re tan ar chouarn en o mesk ni
breizad
Yudal re ar boulejo no mesk ni bretoned
A kouël re dan douar kalz a gamaradet60
Le vingt-trois août, notre tourment
grandissait
La terre tremblait de la violence de nos
canons
À vingt et une heures, nous arrivions en
renfort
Nous entrions en contact avec l’adversaire à
Montjumont
Vers vingt-deux heures le combat était
déclenché
Le feu et le fer s’abattaient sur nous, Bretons
Les boulets hurlaient près de nous, Bretons
Et beaucoup de camarades tombaient à terre
La menace de mort est d’autant plus angoissante que les soldats se
trouvent en situation d’impuissance face au danger. Tel est le cas, en
particulier, des prisonniers de guerre qui sont pris sous les tirs d’artillerie
de leur propre camp.
Goudé béza gréat ganin trégont miz a
brizon,
Ma halon a oa carguet a zezolation,
Pa teuer d’am désigna gant ar
gouarnamant,
Da vonet da labourat d’indan ar
bombardamant61
[…]
Plaçet vijomp créis an tan an danger o
bué62.
[…]
Guélet a réomp bemdé an aréoplanet
Péré a sonjé dézo a oamp prussianet,
Téléphoni a rachont bétec an artillirie,
Péhini a réa déomp donet da non sispersi.
Aben eur pennad da houdé obusiou deus
ar France,
A gouéza diouzomp a neubeut a zistance,
60
Chant 14, couplets XII et XIII.
Chant 15, couplet IV.
62
Chant 15, couplet XI.
61
Après avoir accompli trente mois de prison,
Mon cœur était empli de désolation,
Quand je fus désigné par le gouvernement
[allemand],
Pour
aller
travailler
sous
les
bombardements
[…]
Nous fûmes placés au cœur du feu, en
danger de mort.
[…]
Nous voyions chaque jour les aéroplanes
Qui pensaient que nous étions prussiens,
Ils téléphonaient à l’artillerie,
Qui nous ferait nous disperser.
Peu après des obus de France,
Sont tombés à peu de distance de nous,
Nous sommes alors partis chacun de son
Monet a rachom neuzé pébini deuz i
gosté,
Evi a non zavétéi buhana ma helché63.
côté,
Pour nous sauver aussi vite que possible
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
Tel est également le cas des soldats qui doivent reculer devant un
adversaire plus puissant, après avoir vu de nombreux camarades périr à
leurs côtés.
Neuzen a man Tourteron ak ar gombat
sanglant
Mump kolet rezervisted var dro pevar
hant
An dra ze zo bet evidomp ia ive our goel
gol
A ret dimp hoaz cedi a dachen gant a
tigret dirol64.
Vient alors Tourteron et le combat sanglant
Où nous avons perdu environ quatre cents
réservistes
Ce fut une perte terrible
Et en plus nous avons dû céder du terrain
face à ces tigres déchaînés
Quant aux soldats qui sont cernés de toute part par des troupes ennemies,
ils se sentent particulièrement vulnérables.
Ben nao heur ar memeuz de cernet oemp
adarrre
Dont a re dir a c’hou’arn demeuz an
daou goste
Keno kazi velt eur cercl an dro d’imp
d’aint formet
Mimp ni woa welt eur lapouz dastumet
neur gaouet65
À neuf heures le même jour nous étions
encore encerclés
L’acier et le fer venaient des deux côtés
Ils avaient formé une sorte de cercle autour
de nous
Nous étions comme l’oiseau pris dans la
cage
Enfin, tous les malheureux qui sont soumis à une puissance de feu
largement supérieure à la leur éprouvent la sensation de se faire
littéralement écraser sur place.
Sonj am bo eus an de-se, ’voe kollus
evidomp :
Koll tost da bevar-c’hant den, en dro-se a
rankjomp ;
Gwall-flastret omp bet eno gant nerz ar
c’hanoliou
Pa n’hellemp e neb doare diwall diouz o
zaoliou66.
63
Chant 15, couplets XIII et XIV.
Chant 18, couplet V.
65
Chant 14, couplet XVIII.
66
Chant 21, couplet XVII.
64
Je me souviendrai toujours de ce jour
fatal :
Nous dûmes perdre près de quatre cents
hommes ;
Nous fûmes complètement écrasés là par la
puissance des canons
Dont nous ne pouvions en aucune façon
éviter les ravages.
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
Figure 4 : Le carré breton du cimetière militaire d’Albert, dans le département de la
Somme, regroupe une partie des corps des soldats bretons du dix-neuvième régiment
d’infanterie : ceux qui sont morts des suites de leurs blessures après avoir été soignés
dans les hôpitaux de la ville
Au bout de plusieurs années au cœur du conflit, certains soldats peuvent
paraître fatalistes.
Ya, setu tremen tri bloaz, pa zeuan da gompren,
Emomp ’barz an « trancheou », o c’houzanv
poan, anken ;
Kalz a draou, er mare-ze, kalz a draou ’m eus
gwelet,
Risklet mil gwech va buhez, ha bet diou wech
gloazet.
A bep seurd am eus gwelet, kouls eo du hag ha
gwenn,
Gwelet ’m eus meur a vignon o chom war an
dachen ;
War an dachen a vrezel, pa vez kriz ar
c’hrogad,
Lakat a ra da ruzia an douar gant ar gwad.
Neuze ar zoudard yaouank ’kreiz tan ar
c’hanolio
’Renk dilezel tad ha mamm ’vit monet d’ar
maro67…
67
Chant 20, couplets XII à XIV.
Voici trois ans, quand j’y pense,
Que nous sommes dans les tranchées
à endurer peine et angoisse ;
J’ai vu beaucoup de choses,
Risqué mille fois ma vie, été deux fois
blessé.
J’ai vraiment tout vu,
J’ai vu de nombreux amis rester à
terre ;
Sur le champ de bataille, quand le
combat est intense,
Le sang rougit la terre.
Alors le jeune soldat, au milieu du feu
des canons
Doit quitter père et mère pour aller à
la mort…
Il semble que l’omniprésence de la mort change le rapport de ces
hommes à la vie.
Omniprésence de la mort
Certains soldats sont les témoins de véritables hécatombes. Des
centaines, voire des milliers d’hommes, meurent sous leurs yeux : ils
assistent à l’horreur.
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
Vel oa karget ar c’hiri gant ar c’horfou maro,
Ha gant goad ho mignoned arrozet holl ar
vro68 !
Les charrettes étaient pleines de
cadavres
Et tout le pays arrosé du sang de nos
amis !
La mort est partout. Soit en direct, lors des affrontements, soit par
l’omniprésence des sépultures, souvenirs de récents combats.
Rag gwelet e rajomp sklêr dre lec’h
omp tremenet
Nag a vue a gristen ’zo bet sakrifiet69
Car nous voyions clairement partout où nous
sommes passés
Combien de vies chrétiennes ont été sacrifiées
Où qu’ils aillent, les soldats retrouvent des signes de mort.
Eur boquet fleur ageur groaz
Azé répoz eun hine hoaz70
Un bouquet de fleurs et une croix
Ici encore repose une âme.
Figure 5 :
Plaque en
langue
bretonne au
cimetière
militaire de
Maissin
(commune
belge de
Paliseul, en
région
wallonne)
71
68
Chant 22, couplet XIV.
Chant 9, couplet II.
70
Chant 1, couplet XIII.
71
Sans en restituer les rimes ni les allitérations, on peut ainsi traduire le court poème qui
est gravé sur cette plaque : « Le meilleur orateur est, sans conteste, la mort. Car sa voix
est profonde ! Écoute homme courageux. Elle parle de Bretons plein d’amour. Ami,
allons souvent rendre visite à ces tombes. »
69
S’il est évidemment toujours terrible d’assister à un carnage, il est encore
plus poignant d’y perdre des amis ou des proches.
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
Deuils de guerre
Au cours de la guerre, les jeunes soldats mobilisés font connaissance
avec de nombreuses personnes qu’ils n’auraient vraisemblablement pas
connues par ailleurs. Dans ce contexte exceptionnel, il leur arrive de se
lier d’amitié avec leurs compagnons d’armes. Quand ces camarades sont
fauchés par la mort, leur peine est grande.
Maez, siouaz ! me a velê, dour leiz ma
daoulaged,
E chomè war an dachenn kalz a
gamaraded.
E chomè war an dachenn kalz a
gamaraded,
Lod outê a oa blesset, lod all a oa
lac’het72 !
Mais hélas ! je voyais, des larmes plein les
yeux,
Que beaucoup de mes camarades restaient
à terre.
Que beaucoup de mes camarades restaient
à terre,
Les uns blessés, les autres morts !
La mort d’un officier, quand il est apprécié de ses hommes, les ébranle.
Kollus, siouaz, ec’h eo bet an taol d’hon
reijmant,
P’hon eus e-kreiz ar c’hrogad kollet eur
c’hommandant…
Moarvat e vo aotreet d’in laret e hano :
Penn ar c’houec’hvet batailhon, ar
c’hommandant Jubo.
En eur gerzet en hon penn kavas eur maro
kaer.
Eun den mat ’oa anezan. Enor d’hon
ofiser73 !
Ce coup, hélas, fut fatal à notre régiment,
Nous avons perdu notre commandant au
cœur de la bataille…
Qu’il me soit permis d’indiquer son nom :
Le chef du sixième bataillon, le
commandant Jubo.
En marchant à notre tête, il trouva une belle
mort.
C’était un homme bien. Honneur à notre
officier !
Il arrive, en outre, que des personnes proches se retrouvent au sein d’un
même régiment : des amis, des gens originaires de la même commune ou
du même « pays ». La mort de ces proches bouleverse les soldats qui y
assistent.
Enant zo bet our gombad dimeuz ar re
hoazan
Chomet ’zo var ar blenen ia kalz deuz on
nezan74.
72
Chant 22, couplet VIII.
Chant 21, couplets XXXII et XXXIII.
74
Chant 18, couplet IV.
73
Là s’est tenu l’un des pires combats
Beaucoup de nos plus proches sont restés sur
la plaine.
Le pire, bien sûr, est de perdre un frère ou un membre de sa famille au
cours des combats.
Lac’het o deus ma breur enan,
Kaera korff-den ’oa en taol-man ;
Met me ’werzo ker anezan75 !
Ils ont tué mon frère aîné,
Le plus bel homme qu’il y avait par ici ;
Mais je le ferai payer cher !
Les chants en langue bretonne relatifs à la Première Guerre mondiale
n’évoquent pas seulement les souffrances des soldats bretons et de leurs
camarades, combattants ou prisonniers.
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
La souffrance des autres
Souffrance des adversaires
Les chants évoquent quelquefois la souffrance des adversaires, mais sans
faire preuve de compassion. Mentionner la souffrance de l’ennemi vise,
dans certains cas, à établir un parallèle, afin de montrer que les Bretons
(et les Français) ne sont pas les seuls à souffrir.
Kalz diwim zo er souffranz
Mez ive ar Brussianet
Kals vras diontet ha zo kouet76
Beaucoup d’entre nous sont dans la souffrance
Mais les Prussiens aussi
Beaucoup d’entre eux sont tombés.
Dans d’autres cas, il s’agit de se réjouir de l’efficacité des armées
françaises, qui laisse présager une victoire prochaine.
Kouezan ’raent evel kelien e-kreiz ar
plênennou,
Pe o klask en em guzat evel lern er
c’hoajou77
Ils tombaient comme des mouches au milieu
des plaines,
Ou en cherchant comme des renards à se cacher
dans les bois.
Les souffrances des civils sont également mentionnées dans certains
chants.
Souffrance des civils
Les massacres commis par les troupes adverses constituent un thème
d’apitoiement.
Treitourien milliguet tud kruel a barbar
C’hui heus laket ar Franç e koan hag e
glac’har
Cetu an tyrantet Digouet e Sant Mihiel
Dre laec’h ma tremenont an dred kri a cruel
75
Chant 5, couplet V.
Chant 1, couplet XV.
77
Chant 21, couplet XXI.
76
Traîtres maudits, gens cruels et barbares
Vous avez mis la France en deuil et
chagrin
Voici que les tyrans sont à Saint-Mihiel
Partout où ils passent, ces gens féroces
E lakeont e tan agoad antiéraman
Biskoas no oa guelet eun affer ker sanglan
Evel o deveus groet an dud fall ar monstrou
Diskaret ar c’haeriou a devet ilizou
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
Ar guer gaer eus a Reims bombardet nos a
de
Massakret merzeriet an dud eus ar c’hontre
[…]
Eb kaout compassion e vassakront allas
An oll bars e Belgik e Franç bian a bras78.
Mettent tout à feu et à sang
Jamais on ne vit circonstance si sanglante
Que ce qu’ont fait ces mauvaises gens,
ces monstres
Ils ont détruit les villes et brûlé les églises
Bombardé nuit et jour la belle ville de
Reims
Martyrisé les populations alentour
[…]
Ils massacrent hélas sans compassion
Tout le monde, petits et grands, en
France et en Belgique
Beaucoup plus exceptionnelle, une chanson salue le rôle des femmes de
Basse-Bretagne qui, restées seules à la tête des exploitations, sont
amenées à assumer des tâches particulièrement lourdes, tout en vivant
dans l’angoisse de perdre leurs époux. On sait combien, en effet, la
Première Guerre mondiale a durablement renforcé partout — et pas
seulement en Bretagne — le rôle social des femmes. Cependant, il est
surprenant de constater qu’un soldat, qui vient de décrire sa guerre et les
combats auxquels il a participé, loin d’être obnubilé par ses propres
mérites et souffrances, consacre les vingt couplets finaux (soit le tiers) de
sa chanson à la gloire des femmes bretonnes, aux souffrances que la
guerre leur cause et à leurs responsabilités nouvelles.
Groagué Breiz-Izel merhet a courag
Kals a paon à peus pet o telhen o
ménag
Bed a peus poan gorf bed à peus glahar
Gant dairo o daoulagad peus glébiet an
douar79
Les épouses de Basse-Bretagne sont des
femmes de courage
Vous avez consacré beaucoup d’efforts à tenir
vos fermes
Vous avez eu de la peine, vous avez eu du
chagrin
Avec les larmes de vos yeux, vous avez
trempé le sol.
Outre le sort des adversaires, des civils et des femmes, c’est le monde
entier que cette guerre fait souffrir.
Souffrance du monde entier
Jamais notre planète n’a connu tel fléau.
78
79
Chant 6, couplets XX à XXIII.
Chant 31, couplets XLIII et XLIV.
Honmon zo eur blanéden eur voalen a gasti
Sort biscoaz var an douar neuz bet parez
dezi80
Voici une destinée, une calamité
implacable
Qui sur cette terre n’a jamais eu sa
pareille.
Les astres peuvent en témoigner.
Baoue ma e krouet an eol er firmamant
N’eus ket bet didanan eur bresel ker
sanglant
Na kement a vizer a zesolation
Glac’har tristidigues melconi ran galon81
Depuis que le soleil a été créé au
firmament
Il ne s’est produit de guerre si sanglante
Ni tant de misère et de désolation,
Chagrin, tristesse, mélancolie, cœur brisé
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
Il faut donc renvoyer le mal d’où il vient.
O bresel ankenius a karguet a ganvou
O bresel glac’harus a karguet a zaelou
O bresel hirvoudus ra viot condaonnet
Tolet maez er broyou ar re deus-hi
lakaet82
Ô guerre angoissante et chargée de deuils
Ô guerre affligeante et chargée de larmes
Ô guerre pénible, soyez condamnée
Et rejetée dans les pays qui vous ont
provoquée
Après les souffrances immédiatement causées par la guerre, que nous
avons regroupées sous l’appellation de « trauma », il convient de faire
brièvement état des souffrances consécutives à la guerre, ce qu’on
pourrait appeler le traumatisme.
Les suites de la guerre
Ménages brisés
Une chanson bilingue (breton et français) évoque le retour d’un soldat,
qui avait été fait prisonnier en Allemagne, dans un foyer où l’un de ses
enfants ne le reconnaît plus et où sa femme, le croyant mort, s’est
remariée.
80
Eun derves ebars on atack
Un Breton de notre pays
Ag a so bet sur goal blesset
Entre les mains de l’ennemi
Au cours de notre attaque
Un Breton de notre pays
Blessé grièvement se retrouva
Entre les mains de l’ennemi
[…]
[…]
Neuze kapiten i régiment
Du secteur où il était,
A gassas an trista kelou,
Alors le capitaine de son régiment
Du secteur où il était,
Envoya la pire nouvelle,
Chant 14, couplet I.
Chant 6, couplet II.
82
Chant 6, couplet V.
81
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
83
À sa femme à son foyer.
À sa femme à son foyer.
[…]
[…]
Neuse e voa kannet an interramant,
Des services et libéra,
Ag eben eur pennad goude
La femme se remaria.
Alors les obsèques furent célébrées,
Des services et libera,
Et quelque temps plus tard
La femme se remaria.
[…]
[…]
Pa voa erru tost d’ar guer
Il était très ennuyé
Gant an dud o konta dezan
Que sa femme était remariée.
En arrivant près de la maison
Il était très ennuyé
D’entendre les gens lui dire
Que sa femme était remariée.
Trubuliet e voa gant kement-se,
Il pensait à son temps passé,
Sonjal a re en i amser tremenet
Ce qui le fait pleurer.
Il en était troublé,
Il pensait à son temps passé,
Il pensait à son passé
Ce qui le fait pleurer.
[…]
[…]
Pa voa digoret desan an hor
Et la chandelle allumée,
Certennamant e voa anavezet,
Des larmes se versent dans le foyer.
Quand la porte lui fut ouverte
Et la chandelle allumée,
Il fut bien sûr reconnu,
Des larmes se versent dans le foyer.
O velet an den malevrus-ze,
Oui, avec un bras perdu,
Ar bianna deus i vugale
Certes ne le reconnaît plus.
Voyant ce malheureux,
Oui, avec un bras perdu,
Le plus petit des enfants
Certes ne le reconnaît plus.
Pesini neus nimet tri bloas,
Le deuxième a cinq ans,
Ak a kommansing krial
Avec leur pauvre maman.
Il n’a que trois ans,
Le deuxième a cinq ans,
Et ils commencent à pleurer
Avec leur pauvre maman.
Ar plarhig a skulias deilou
Vers le ciel elle se dressa :
Deis dirok a voan trubuliet
Mais jamais j’eus tant de tracas.
La jeune femme versa des larmes
Vers le ciel elle se dressa :
Hier j’étais troublée
Mais jamais j’eus tant de tracas.
Eur blaves anter es oun bet intanvez,
Maintenant j’ai deux maris,
Mes kridi a ran an eil dioute
Qu’il faut bien qu’il s’enfuye83.
J’ai été veuve un an et demi,
Maintenant j’ai deux maris,
Mais le deuxième, je crois
Qu’il faut bien qu’il s’enfuie
Chant 7, couplets III à X et XXV à XXIX.
D’autre part, beaucoup de chansons font état de quelque chose que l’on
pourrait peut-être analyser en termes de syndrome du survivant.
Syndrome du survivant
Plusieurs chants, en effet, évoquent le souvenir obsessionnel des êtres
chers que le soldat a perdus au front alors que, lui, en est revenu vivant.
Neo quet possubl zalver ar béd
O véfet lazet ma hamaret
Ma niz, ma breur a ma mével
Glac’har eo din bétég mervel84
Il n’est pas possible, sauveur du monde,
Que mes camarades soient morts
Mon neveu, mon frère et mon valet de ferme
J’en souffrirai jusqu’à la mort
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
D’autres chants évoquent une forme de sentiment de culpabilité par
rapport à ces morts à qui l’on doit tant.
Kemeret bepred kourach, ni ho ped tad ha
mamm
Evel ma re ho pugel ebars ’n i rejimant.
Kuitaet ’n evoa ar gêr gant kalz eus ar
c’hlac’har
Roet en eus e vuhe ’vit gonid ar Victoar.
[…]
Rag an dén ’n amzer bresant gant kleve ’r
marw skoet
Ve rentet dean asistans gwelan ma ve gallet.
Ar zoudard war an dachenn ’n eus asistans
ebed
Nemez ar glao, an avel hag ’n amzer
deborded.
Astennet war an douar, sesiset gant eur
boan
’Bars an touez an mintrailh hag eur
vombardaman.
Gardez toujours courage, nous vous en
prions, père et mère
Comme le faisait votre enfant en son
régiment.
Il a quitté la maison avec beaucoup de
chagrin
Il a donné sa vie pour gagner la Victoire.
[…]
Car à présent on donne assistance autant
que possible
À celui qui est frappé du glaive de la
mort.
Mais le soldat sur le champ de bataille
n’a d’autre assistance
Que la pluie, le vent et le temps déchaîné.
Allongé sur la terre, saisi par la douleur
Au milieu de la mitraille et des
bombardements
[…]
[…]
’N eus manket d’imp an netra, gras d’hon
martolodo
Meur a hini zo kollet bars an touez ar
minio85.
84
85
Chant 1, couplet XIV.
Chant 9, couplets XX et XXI.
Rien ne nous manque, grâce à nos marins
Nombreux ont péri sur les mines.
Les chants en langue bretonne à propos de la Première Guerre mondiale,
pour peu qu’on y prête attention, donnent donc à connaître une large
palette des souffrances que la guerre a occasionnées. Si on laisse de côté
le traumatisme d’après-guerre et qu’on revient aux années de guerre, on
peut se demander, face à une telle avalanche de maux et de souffrances,
sur quelles ressources les soldats ont pu s’appuyer pour affronter
l’adversité. Les textes des chansons fournissent quelques éléments de
réponse à cette question.
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
Les ressources
Outre le patriotisme, voire le nationalisme exacerbé, largement diffusé
par la propagande gouvernementale, les soldats bretons semblent, selon
les chansons, puiser leur force à trois sources : la religion, l’amour et le
chant.
La religion
La prière, en premier lieu, paraît être d’un grand secours pour beaucoup
d’entre eux, qui s’adressent parfois à Dieu.
Prières à Dieu
Neuze e peden Doue da zont d’am frealzi
Ha da rei d’in nerz-kalon ’vit gallout
gouzanvi,
’Vit herzel ouz va anken ha va foaniou
kalet
Da bere, noz koulz ha dez, siouaz, ez oun
sujet86.
Alors je priais Dieu de venir me
réconforter
Et de me donner le courage d’endurer,
De me protéger de l’angoisse et des
terribles peines
Qui me tourmentent, hélas, de nuit comme
de jour.
Les soldats bretons prient toutefois plus volontiers la Vierge Marie.
Prières à la Vierge
En ces temps de violence et de combats virils, peut-être trouvent-ils
davantage de réconfort à invoquer une mère qu’un père ?
Pédi a réent neuzé gerc’hez vad ar zikour.
Da zonet d’am délivra digant va énébour87
Je priais alors Notre-Dame de Bon Secours.
De venir me délivrer de mon ennemi
D’autant que la Vierge que les Bretons prient est très proche d’eux : c’est
à « Notre-Dame de ma paroisse » qu’ils demandent du courage.
86
87
Chant 20, couplet XVII.
Chant 15, couplet XV.
Itron Varia ma varouz miret ho pretonniz
Roet d’imp nerz a courach dirag on
ennemiet
Ar mar teuan var ma ch’iz me no
hankouaïnket88.
Notre-Dame de ma paroisse, protégez vos
Bretons
Donnez-nous force et courage face à nos
ennemis
Et si je reviens, je ne vous oublierai pas.
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
Placer son espérance entre les mains de la Vierge locale, c’est assurer son
salut dans l’autre monde… et peut-être aussi en ce bas monde !
Ha ma teuan da gouezan war dachen an
argad,
Ma ene a erbedan d’Itron Varia
Louargat ;
Patronez ma farroz eo, mamm an dud
enkrezet,
An neb a bed anezi ne vo ket dilezet.
Si je viens à tomber sur le champ de
bataille,
Je recommande mon âme à Notre-Dame de
Louargat ;
C’est la patronne de ma paroisse, la
protectrice des gens en peine,
Qui la prie ne sera jamais abandonné.
Gant-se, pôtred ma farroz, ’veldoun ’n em
frealzet :
Gant hou Patronez, hon Mamm, ni a vo
diwallet !
Ha, pa vo fin d’ar brezel, d’ar walen a
gastiz,
Ec’h efomp da Louargat, d’he fedi ’n hec’h
iliz89.
Alors, gars de ma paroisse, comme moi
consolez-vous :
Avec votre sainte-patronne, notre Mère,
nous serons protégés !
Et quand il en sera fini de la guerre, de
cette calamité,
Nous irons à Louargat la prier en son
église.
Outre le recours à la prière, la religion offre également un cadre
conceptuel à ses fidèles.
Métaphores christiques
La religion fournit, en effet, une représentation du monde — et en
particulier de la guerre — qui est d’une grande utilité pour ces jeunes
hommes. Elle justifie les violences qu’ils commettent et leur donne foi en
la victoire à venir. Les soldats bretons, en effet, ne doutent nullement que
Dieu se trouve à leurs côtés et comparent volontiers la mort de leurs
camarades à la crucifixion de Jésus.
Evel Jezus war ar Groaz e oa krusifiet
Evel e holl vugale an eve e oad skuilhet.
Ar zoudard war an dachenn o raes eur
memez feson
Evit difenn hon Bro-Frans ec’h e marwet
evitomp90.
88
Chant 14, couplet VI.
Chant 21, couplets XXXXV et XXXXVI
90
Chant 9, couplets XVII et suivants.
89
Comme Jésus sur la croix fut crucifié
Comme le sang de ses apôtres fut versé.
Le soldat sur le champ de bataille
En défendant la France est mort pour
nous.
Les prisonniers également comparent leur calvaire à celui de Jésus.
Eno henvel d’éoc’h Jésus pa oa cruçifiet
Cals diouzomp a gouéza, gant an naouenn
semplet91.
Là, tel Jésus lorsqu’il fut crucifié,
Beaucoup
d’entre
nous
tombent
d’inanition.
En face, les adversaires semblent venus tout droit de l’enfer.
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Adversaires assocés au diable
Les Allemands sont des monstres infernaux.
Setu franchisset ar Meuz ag on Frontierou
Gant ar monstret milliguet deuz eur an
iferniou
Pere l’ec’h ma tremenet rent met tano a
lac’ho92
Voici que la Meuse et nos frontières sont
franchies
Par les monstres maudits venus des enfers
Qui ne font qu’incendier et tuer partout où
ils passent
Ils ont donné leur parole à Satan.
Enebourien kriz, n’ho herder,
Da zatan ho deuz roet ho ger93
Les ennemis cruels, dans leur précipitation,
Ont donné leur parole à satan
À moins qu’ils ne soient eux-mêmes des diables…
Setu eta ar Boch kri mestr da dremen ar
« Meuz »,
Gwir ziaoul eus an ifern, d’ober dre-oll e
reuz94
Voici que le Boche cruel a réussi à traverser
la Meuse
Vrai diable de l’enfer, pour semer partout le
malheur
À la ressource de la religion, les chants montrent qu’il faut en ajouter une
autre, l’amour.
L’amour
Dans la souffrance et l’adversité, penser aux êtres chers est d’un profond
réconfort pour les soldats.
Pa vezimp barz er c’hasern
Ive en tranchéou
Ho kennersit ac’hanomp
É creis on oll boanniou95
Quand nous serons dans la caserne
Ou dans les tranchées
Vous nous réconforterez
Au milieu de toutes nos peines
Ces êtres chers sont associés au pays où ils vivent.
91
Chant 11, couplet XIII.
Chant 14, couplet XVI.
93
Chant 27, couplet IV.
94
Chant 21, couplet XV.
95
Chant 26, couplet X.
92
L’amour de la Bretagne
Songer à la Bretagne — et plus précisément au « pays béni »96 de BasseBretagne —, revient à se remémorer en bloc un ensemble de souvenirs et
d’émotions : c’est un puissant stimulant pour ceux qui souffrent, tel ce
prisonnier.
An daélou am daoulagad, a gant an naon
enduet,
Eno teué da sonj d’in deuz ma bro biniguet,
Péhini é moa quittaet aboué a bell amzer,
Evit donet d’an Allemagne da ober eur
merzer97.
Les larmes aux yeux, rembruni par la
faim,
Je pensais à mon pays béni,
Quitté depuis si longtemps
Pour venir en Allemagne souffrir le
martyr.
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
De retour de permission, les soldats cultivent le souvenir du pays.
Ni a zonjo adarre en deiziou tremenet
E-barz hor bro Breiz karet, e-touez hor
mignoned !
Ya, ar zonj-ze a chom doun e goueled hor
c’halon,
Pell goude m’emomp distro eus ar
« Bermision »98.
Nous penserons encore aux jours passés
En notre Bretagne aimée, parmi nos amis !
Oui, cette pensée reste au plus profond de
notre cœur,
Bien longtemps après notre retour de
permission.
Tous espèrent revenir un jour et chanter la Basse-Bretagne.
Gras dimp-ni digant Doue da vont da
Vreiz-Izel
’Vit he c’hanan asambles, pa vo fin
d’ar brezel99 !
Que Dieu nous accorde la grâce de rentrer en
Basse-Bretagne
Pour la chanter ensemble, quand la guerre sera
finie !
C’est là que leurs parents attendent les soldats.
L’amour des parents
Dans les longs moments d’attente entre les combats, penser à leurs
parents apaise ces jeunes hommes.
Hag ar soudard, er foz, a helle ’hed
an noz
Sonjal e Breiz-Izel, en e dud, ’n e
Zent koz100.
96
Et le soldat, dans la tranchée, pouvait toute la
nuit
Penser à la Basse-Bretagne, à ses parents, à ses
vieux Saints
Ma bro binniguet, « Mon pays béni », chant 22, couplet XIX.
Chant 15, couplets VII à IX et XVI.
98
Chant 19, couplet IX.
99
Chant 41, couplet XLIV.
100
Chant 28, couplet II.
97
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
Et quand les affres de la mort se font de plus en plus pressantes, l’amour
des parents et de tous les êtres chers constitue la dernière lueur d’espoir.
Goustad, eun abardaez, dre eur vouez
enkrezus,
E zremm dislivet-oll, d’in ’laras truezus
Skriva al lizer-man d’e dud e Breiz-Izel :
« Gouzout a ran ervat ’moun o vont da
vervel…
Lentement, un soir, d’une voix inquiétante
Son visage livide, il me demanda dans son
état pitoyable
D’écrire cette lettre à ses parents de BasseBretagne :
« Je sais bien que je suis sur le point de
mourir…
« Pa gouskin er vered e-touez beziou
estren,
« Laket war va gourvez etre pevar
planken,
« Deut eun deiz, mar gallit… O ya, deut
em c’henver !
« Bet asur ’vin kouezet oc’h ober va
dever.
« Quand je reposerai au cimetière parmi des
tombes étrangères,
« Allongé entre quatre planches,
« Venez un jour, si vous pouvez… Oh oui,
venez auprès de moi !
« Soyez assurés que je suis tombé en
accomplissant mon devoir
« O va mamm, o va c’hoar, dalc’hit sonj
ac’hanoun !
« D’ar zul, en oferen, pedit holl evidoun.
« Kenavo, tad, breudeur, ha c’houi,
muia-karet !
« Mirit mat ar walen am boa ’n ho piz
laket101… »
« Oh ma mère, oh ma sœur, souvenez-vous
de moi !
« Le dimanche, à la messe, priez toutes pour
moi.
« Adieu, père, frères, et vous ma bienaimée !
« Gardez bien l’anneau que j’avais passé à
votre doigt… »
Penser à sa bien-aimée peut également être une ressource dans la peine.
L’amour de la fiancée ou de l’épouse
Les soldats bretons, comme les autres, pensent sûrement beaucoup à leur
épouse, leur fiancée ou leur promise mais ils les mentionnent
relativement peu dans les chansons de guerre (en dehors des chants de
séparation) et en des termes qui peuvent peut-être surprendre. Ainsi, au
lieu que son souvenir le réconforte, un soldat est amer de penser à sa
femme, parce qu’il souffre trop de la séparation.
Vel ma oamp-ni daou bried hag an em
garê mad,
Bepred tê d’in da zonjal, hag a ienè ma
goad.
Pa vijè ma groeg er ger kousket douz ’n
hi guele,
Me vijè war eun tamm pri kousket barz
an tranche102.
101
Chant 32, couplets XII à XVI.
Comme nous étions deux époux qui
s’aimaient beaucoup,
Sans arrêt me venait la pensée, qui me
glaçait le sang,
Que tandis que ma femme dormait à la
maison dans son lit,
Je couchais dans la boue au fond de ma
tranchée.
Un autre soldat trouve dans la pureté de sa fiancée une source de hargne
pour combattre les ennemis menaçants.
Ar sonj ouzit, aelik-douez,
A raïo din skeï didrûe103 !
Penser à toi, ange divin,
Me fera frapper sans pitié !
Outre le recours à la religion ou le fait de cultiver la pensée des êtres
aimés, la pratique du chant peut également constituer un atout précieux.
Le chant
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
Chanter permet, en effet, de consoler ceux qui sont tristes.
Pa voemp savet
lakjomp da gana,
Daerou en hon
c’hoant da ouela ;
Nemet klaskemp
glac’haret
’Oa o vont da
karet104.
’barz an tren ’n em
daoulagad, muioc’h
frealzi hon c’herent
zilezel mibien muia-
Une fois montés dans le train, nous nous
mîmes à chanter,
Les larmes aux yeux, nous avions plutôt
envie de pleurer ;
Mais nous voulions consoler nos parents
affligés
De devoir laisser partir leurs garçons chéris.
Composer des chansons permet, en outre, de distraire son esprit de la
douleur.
‘Vit kavout berr an amzer pa vezen e
« faktion »,
Em eus laket va spered da zevel eun tamm
son ;
’Vit argas ar gwall-zonjou diwar-dro va
spered,
O veza e oan ganto noz-ha-de ankeniet105.
Pour passer le temps quand j’étais en
faction,
J’ai mis mon esprit à composer une
chanson ;
Pour chasser les mauvaises pensées
Qui me gardaient nuit et jour angoissé.
Enfin, chanter sert sans doute également à se donner du courage, même si
les Bretons ne semblent pas en manquer…
Le courage
Le courage constitue, manifestement, la principale ressource intérieure
des Bretons et ils en sont fiers. C’est même un véritable leitmotiv de leurs
chants.
102
Chant 22, couplet XV.
Chant 5, couplet XIV.
104
Chant 20, couplet VII.
105
Chant 20, couplet XVI.
103
Bretoned courachus soudardet Breiz-Izel
Martolodet vaillant o vont d’an
Dardanel106
Bretons courageux, soldats de BasseBretagne
Marins vaillants allant aux Dardanelles
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
Si les Bretons sont courageux, c’est d’abord parce que, partout présents
en première ligne, ils ne reculent pas.
Dre holl, ’hed an talben, ho kaver c’houi,
Breiziz,
Gwazed n’int ket boazet da zont war o
c’hiz.
Koulz e difenn Verdun hag en asailh ar
Somm
N’eus ket par d’eoc’h da roi d’ar Voched
kaout tomm ;
Er rusta tachennou, pa vez spontus ar
c’hrog,
Piou nemet ar Vreiziz a vez en a-raok107 ?
Partout, le long du front, on vous trouve,
vous, Bretons,
Hommes qui ne reculez pas.
Pour la défense de Verdun ou la bataille de
la Somme
Vous n’avez pas votre pareil pour donner
chaud aux Boches ;
Sur les pires champs de bataille, quand le
combat est terrible,
Qui est en première ligne, sinon les
Bretons ?
Non seulement ils ne reculent pas mais en plus ils attaquent, au grand
étonnement, parfois, de leurs compagnons d’armes.
Hon martoloded Breiz, gwell c’hoaz ’vit ar
zouaved,
A red a-dreuz d’an tan, souezi ar Veljed,
Gleb, goloet a fank, dihelc’het o youc’hal :
« Dao atao ! Boul-c’hurun ! Er-maez,
banden chatal ! »108
Nos marins bretons, mieux encore que
les zouaves,
Courent à travers le feu, à la surprise des
Belges,
Trempés, couverts de boue, hurlant à
perdre haleine :
« En avant ! Tonnerre ! Hors d’ici, sales
bêtes ! »
Même face aux mitrailleuses, ils gardent courage.
Maez dre drouz ar mitrailleus’ ni gourajê
bepred109
Mais au bruit des mitrailleuses nous
gardions courage
En outre, les Bretons sont durs au mal : ils sont capables de combattre
énergiquement plusieurs jours et nuits d’affilée sans manger ni se
reposer.
Gant dudi, laouen-bras, e kerzomp da
repoz
Goude beza stourmet kalonek deiz ha noz
E-pad tri devez leun hag e-pad teir
nozvez,
106
Chant 6, couplet XXXI
Chant 29, couplet II.
108
Chant 32, couplet VIII.
109
Chant 22, couplet IV.
107
Avec joie et soulagement nous allons nous
reposer
Après avoir combattu courageusement nuit et
jour
Pendant trois jours et trois nuits consécutifs
Gant skuizder, heb dibri, met gant kalon
ivez110.
Malgré la fatigue, sans manger, mais avec
courage.
Les ennemis apprennent ainsi à leurs dépens ce qu’est le courage des
Bretons.
« Menez Itron Varia ». Eno e
talc’hjomp penn,
Ha soudarded Gwilherm, a verniou
gourvezet,
A zeskas petra eo stourm ouz ar
Vretoned111
« Mont Notre-Dame ». Là nous résistions,
Et les soldats de Guillaume, étendus en grand
nombre
Apprirent ce que c’est que de se battre contre
des Bretons
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
La France n’a donc qu’à se féliciter de pouvoir compter sur les
« vaillantes populations bretonnes »112 .
Elec’h ma ’n emgann Bretoned
A red puill gwad an Allmanted
[…]
Gras d’ar Franz eman Breiz-Izel
O rei d’ei ar gwella skoazell113.
Où se battent des Bretons
Le sang des Allemands coule à flot
[…]
Quelle chance pour la France que la Basse-Bretagne
Lui donne son meilleur appui
À tel point que, selon la chanson qui suit, véritable hymne au courage des
Bretons, la guerre aurait pu être achevée bien plus rapidement s’il s’était
trouvé davantage de combattants de la trempe des Bretons !
Ar Vretoned zo evel lionet var dachen
ar brezel
Ia kentoh evit cedi a gonzantant mervel
Ar breïzad zo ou den a fe ak a religion
A devet ket kalz a aouën rag a mar[…]
Les Bretons sont comme des lions sur le
champ de bataille
Plutôt que de céder, ils préfèrent mourir
Le Breton est homme de foi et de religion
Qui n’a pas tellement peur de… [la mort ?]
Gouelte a ve hanou kalz a ne barz in
citation
Evit recompenç deuz a dra se ou
décoration
A pozet ave a insign evar ou estomak
Evit dizkouel heint bet kourajus a na
deuzket spontet.
On voit le nom de beaucoup de Bretons sur les
citations
Pour les récompenser on leur donne des
décorations
On pose un insigne sur leur cœur
Pour montrer qu’ils ont été courageux, qu’ils
n’ont pas eu peur.
A neur zont da finiza enor da Vretonet
Pour finir cette chanson, rendons gloire aux
110
Chant 28, couplet VIII.
Chant 28, couplet VI.
112
« Souvent, lorsque la patrie était aux abois et qu’elle désespérait presque, il s’est
trouvé des poitrines et des têtes bretonnes plus dures que le fer de l’étranger », écrivait
déjà Michelet dans son Histoire de France… (Tome II, Paris, 1880, Librairie
internationale A. Lacroix & cie, éditeurs, p. 86).
113
Chant 16, couplets XVI et XVII.
111
Bizkoaz neuz bet capaploch zoudardet
var a bed
Ebarz tout attaquou ma heint bet
expozet
Neuz forç var pezorte ennemi a deuz
bet triomphet.
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
In pevar horn ar park brezel a deuz bet
kombatet
[…] tout ar bataillon a deveuz bet
vainkret
Var ar miniou ar hoajou ive var ar
blenen
[…] ar mor du Nord tre da AlsaceLorraine.
Mar vije bet ar broiou all evel on bro
Breiz-Izel
Ouzpenn vit bla zo mar ma hredet vije
fin ar brezel
Mar vije bet ar broiou all ia evelti
peuplet
[…] bet daou vilion ouspen a
zoudardet114.
114
Chant 18, couplets XII à XVI.
Bretons
Il n’y a jamais eu de meilleurs soldats sur la
terre
Dans toutes les attaques auxquelles ils ont été
exposés
Contre n’importe quel ennemi ils ont toujours
triomphé.
Aux quatre coins du champ de bataille ils ont
combattu
[illisible] ils ont vaincu tout le bataillon
Sur les montagnes, dans les bois et aussi dans
les plaines
[illisible] de la mer du Nord jusqu’en AlsaceLorraine.
Si les autres pays avaient été comme la BasseBretagne
Il y a plus d’un an que la guerre serait finie
Oui, si les autres pays avaient été peuplés
comme elle
[illisible] deux millions de soldats en plus.
Conclusion
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
N’étant ni historien ni spécialiste de littérature orale, je suis bien
conscient des limites du présent article. J’espère néanmoins avoir
contribué à faire mieux connaître une expression originale du trauma de
la Première Guerre mondiale : le chant breton. Alors que la Grande
Guerre a puissamment accéléré les mutations en cours depuis la fin du
e
XIX siècle et fait « franchir au processus d’intégration nationale un
immense pas en avant »115, le chant en langue bretonne, vecteur
traditionnel d’expression populaire, donne une vision riche et pleine
d’émotion de ce conflit tragique et de ses plus modestes acteurs.
Ronan LE COADIC
Maître de conférences HDR
Université européenne de Bretagne
Membre du CRBC (ÉA 4451), site de l’Université Rennes 2
Responsable de la composante Ermine
[email protected]
www.sociologie-bretagne.net
Crédit photographique
Figure 1 : cliché de Dominique Pipet publié sur le site internet
www.flickr.com
Figure 2 : collection personnelle.
Figures 3, 4 et 5 : extraits de l’émission Red an amzer, mémoire 14-18,
France 3, novembre 2008.
115
WEBER Eugen, La fin des terroirs. La modernisation de la France rurale, 1870-1914,
Paris, Fayard, 1983, p. 677.
Sources
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
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L’Armistice en Bretagne – Zon an trec’h !
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Autre
référen
ce
110
8
910
A
912
BMR.
R.
1089
B. 68
BMR.
R.
1089
B. 68
775
BL.
XXI
110
1
BL.
XXII
113
6
BL.
XXII
112
8
BMR.
R.
1089
B. 133
110
8
BL.
XXII
OLLIVIER Joseph, Catalogue bibliographique de la chanson populaire bretonne sur
feuilles volantes (Léon-Tréguier-Cornouaille), Quimper, Librairie Le Goaziou, 1942.
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
14
Chanson gret gant eur caporal deus an 248e
War sujet ar Brezel 1914 a 1915
15
Chanson composet gant eur prisonnier Var
sujet eur passage cruel deus i amzer a brison
Prime
l
Cla
ude
16
Gwerz Brezel 1914 – Ar Vretoned d’an tan
Jouan
Pier
re
17
D’ar Vretoned vad !
18
Zon var sujet dar Vretoned ar Brezel Parzek,
Pemzek a Houezek
Jouan
Pier
re
19
Ar "bermision"
Rivoa
l
Ya
nn
Loe
iz
1918
20
Gwerz nevez savet gant eur zoudard yaouank
diwar-benn e vuhez
Rivoa
l
Ya
nn
1918
21
Gwerz neve savet gant eur zoudard eus an
248vet rejimant Diwar-benn ar brezel
Gwar
eger
F.
22
Zon ar Brezel
Jouan
Pier
re
23
Son ar brezel
Le
Borg
ne
Fra
nço
is
24
Kimiad soudarded yaouank ar bloaveziou
pemzek ha c’houezek
Picar
d
Y.
25
Kimiad soudard va bro
Picar
d
Ivo
nig
26
Kimmiad tri gonscrit yaouank eus ar barrés
Cléden, classe 1918
Gloag
uen ?
Yv
on
?
27
Frans renevezet gant ar brezel vraz 1914-1915
Anon
yme
28
Stourmad ar C.I.D./22 27 mae — kenta a
vezeven, 1918
29
Salud da Vrezelerien Breiz
Bulat
Ar
zouda
rd
koz
Eosti
g
Kerin
ek
1915*
Kersau
x, en
Scrign
ac
1914*
Carnoë
t
1916*
Landel
eau
1914
Ar
Fouilh
ez
1914
1915*
1918
Feuill
e
volant
e
Feuill
e
volant
e
Feuill
e
volant
e
Coupu
re de
presse
Feuill
e
volant
e
Feuill
e
volant
e
Feuill
e
volant
e
Feuill
e
volant
e
Feuill
e
volant
e
Feuill
e
volant
e
Feuill
e
volant
e
Feuill
e
volant
e
Feuill
e
volant
e
Feuill
e
volant
e
Feuill
e
volant
e
Feuill
e
volant
e
377
656
F 206
103
7
103
8
BMR
R.
1089 B
235
BMR
R.
1089 B
235
BL.
XXV
N° 290
3
H 102
BL
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399
hal-00862501, version 1 - 16 Sep 2013
30
Reket ar soudardet en tranchéou
Gloag
uen
Yv
es
31
Chanson a brézel 1914-1919
Guya
der
Jea
nLou
is
32
Martoloded Breiz e Dixmud Eus a Wengolo
da Here 1914
Picar
d
Yv
oni
g
33
Dellou mad da zoudarded Breïz Brezel 19141915
34
Son var zujet an aour Brezel 1914-1915
1919*
Plouar
et
1915
SaintPol-deLéon
Pôtr
Mont
roule
z
1915*
1915
Feuill
e
volant
e
Feuill
e
volant
e
Feuill
e
volant
e
Feuill
e
volant
e
Feuill
e
volant
e
* date probable
Bibliot
hèque
Quimp
er
BL
XXIII
n° 223
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