FIU
--/^ Francophonie et innovation
à l’université
Nº 1 — 2019
Rédactrices en chef
Cristelle Cavalla, Agnès Tutin & Alice Burrows
Quelle place
pour le français
scientifique dans
un contexte
universitaire ?
Préface
Jean-Paul de Gaudemar
Recteur de l’Agence Universitaire
de la Francophonie
Il y a quelques années, l’Agence universitaire
de la Francophonie (AUF) avait publié,
suite à l’un de ses colloques annuels, une étude
sur l’évolution de la langue utilisée par les
publications en sciences humaines et sociales
dans deux pays européens (France et
Allemagne) et au Québec.
Mais comment trouver la bonne voie pour
infléchir un tel cours ?
Francophonie et innovation à l’université
(FIU) s’inscrit dans cette recherche.
À partir notamment d’une exploitation des
répertoires « Web of Science » et « Scopus »,
il en ressortait une évolution très marquée entre
1980 et 2014 selon laquelle les publications
en anglais seraient passées en moyenne de 30 %
à 80 %. Alors même que leurs objets et leurs
fortes inscriptions sociales pourraient sembler
les protéger d’une telle évolution, les sciences
humaines et sociales se rapprochaient ainsi
des sciences naturelles et médicales où l’on
estime à 98 % le taux de publication en anglais.
Nul doute, hélas, qu’en 2019, ce mouvement
ne s’est pas arrêté comme en témoigne
notamment l’état des revues scientifiques, la
langue utilisée et les exigences correspondantes
pour leurs auteurs.
C’est dire combien la question du français dans
les sciences reste d’actualité. Une vision
fataliste pourrait même considérer que la cause
est entendue et que la bataille du français
dans la transmission de la science est perdue.
Même en Sciences humaines et sociales.
Ce n’est évidemment pas le point de vue
de l’AUF, ne serait-ce que parce que nous
connaissons la vivacité de la science produite
en français.
1
D’abord en soulignant dans son titre le lien entre
francophonie et innovation et la vocation de
l’Université à être le lieu privilégié de l’illustration
de ce lien.
La promotion de la francophonie ne peut plus
être seulement, surtout à l’Université lieu par
excellence d’ouverture à la pluralité des cultures
et des méthodes, la célébration d’une langue
ou la proclamation sous de multiples formes
de l’amour ou de la vénération que nous lui
portons. La force de la francophonie universitaire doit résider dans la pertinence des
solutions qu’elle apporte à de grands enjeux,
académiques ou sociétaux, communs à
toutes les parties du monde. Elle doit donc en
permanence innover et se faire reconnaitre
ainsi à l’extérieur de son propre monde, sur
le plan linguistique notamment.
Ce premier numéro de FIU est une tentative
en ce sens en mêlant plusieurs regards sur
le thème du français dans la science.
Ceux des experts s’adressant à d’autres
experts et mettant notamment en avant des
recherches récentes en didactique comme en
linguistique susceptibles d’aider à comprendre
les vraies raisons de la disparition constatée
du français dans la recherche scientifique mais
en même temps d’en consolider l’usage.
1
Ceux des enseignants, forcément plus concrets
et plus accessible à un public plus large. Ils
mettent en avant des expériences d’une grande
diversité tant dans le domaine concerné que
dans le territoire d’exercice. Ils démontrent ainsi
qu’en tout milieu, francophone ou non,
l’enseignement du français a des vertus allant
au-delà du seul apprentissage d’une langue
ou de sa seule meilleure maîtrise, qu’il peut lui
aussi être considéré comme un élément
du bagage scientifique à acquérir à l’Université,
qu’il peut être un outil de science et de
sa transmission.
Regards des lecteurs enfin qui veulent
aller au-delà d’une bibliographie commentée
en fournissant des sources de réflexion
complémentaires.
Symboliquement et significativement, ce
numéro débute par un tableau de la « disparition du français dans la recherche scientifique »
notamment à travers l’analyse de l’évolution
des revues scientifiques et il se clôture par
la question de la « scientométrie ».
Les deux questions sont évidemment liées
et bouclent en quelque sorte la boucle du déclin
à combattre. Toutes les études démontrent
en effet à quel point le « facteur d’impact » est
essentiel pour comprendre le phénomène.
Ce n’est sans doute pas tant la langue utilisée
par les revues qui pose problème que
ses conséquences sur ce facteur d’impact,
aujourd’hui trois à quatre fois plus important
si un papier est publié en anglais (« lingua
franca » contemporaine) plutôt que dans toute
autre langue.
Comment un chercheur pourrait-il, dans
un tel contexte, résister à la tentation
de publier en anglais s’il veut voir ses travaux
connus et reconnus ?
Voilà un angle d’attaque qui devra être
exploré. Car le calcul du facteur d’impact
n’est pas indépendant du fait que les grands
répertoires utilisés pour « mesurer »
l’impact scientifique d’une publication sont
principalement anglophones.
2
Comment atténuer ce biais sinon en faisant
exister aux côtés de ces répertoires
anglophones d’autres répertoires, francophones
en l’occurrence ? Nos collègues lusophones
ou hispanophones notamment s’y sont risqués
avec un certain succès. Pourquoi les
francophones ne s’y risqueraient-ils pas ?
L’AUF a engagé une telle démarche
en s’appuyant sur des outils existants tant en
France qu’au Québec. Nul doute que si elle
va jusqu’au bout, elle pourra redresser
la situation et redonner au français la place que
la qualité de la production scientifique
francophone mérite.
FIU s’en fera certainement l’écho dans
de futures livraisons.
Enfin, je voudrais remercier celles et ceux qui
ont permis la sortie de ce numéro.
On le doit d’abord aux trois rédactrices
en chef, Cristelle Cavalla, Agnès Tutin et Alice
Burrows, à leur compétence quant aux thèmes
abordés comme à leur engagement auprès
des différents auteurs pour une livraison dans
les délais souhaités.
Mes remerciements vont aussi à tous les
auteurs dont il faut apprécier l’originalité
et la diversité, à l’image de la diversité du monde
francophone.
Mes remerciements vont enfin à nos
partenaires et amis de la Délégation générale
de la langue française et aux langues de France
(DGLFLF) et de France Education International
(FEI) qui se sont joints à l’AUF pour éditer
le premier numéro de cette nouvelle revue
et qui partagent notre volonté de la prolonger.
Nous serons heureux de le faire ensemble,
comme avec tous ceux qui croient à la
pertinence d’une telle entreprise et partagent
la même conviction de la force de la
francophonie universitaire dès lors que loin
de se refermer sur elle-même, elle se déploie
au bénéfice d’innovations profitant à tout
le monde universitaire dans la diversité de ses
modes d’exercice ou de ses dispositifs
linguistiques et culturels.
Préface
Paul de Sinety
Délégué général à la langue française
et aux langues de France
Le titre d’une revue est toujours un manifeste
politique. En choisissant de s’associer à
l’Agence universitaire de la Francophonie pour
créer la revue Francophonie et innovation
à l’université qui succède à l’excellent bulletin
Le français à l’université, la Délégation
générale à la langue française et aux langues
de France (DGLFLF) soutient plusieurs
affirmations.
à l’université rendra compte de l’ambition
avérée des départements de langue,
de linguistique ou de traduction de rencontrer
les réalités techniques, économiques,
culturelles et scientifiques contemporaines.
La francophonie en acte et comme facteur
d’innovation concerne toutefois l’ensemble
des disciplines et l’ensemble des objets
de recherche tant il est vrai que le français
est l’affaire de tous.
Le terme F(f)rancophonie en particulier
témoigne d’un positionnement qui n’est pas
uniquement sur la langue et son enrichissement,
mais montre que l’enjeu porte sur la langue
française en acte et dans les espaces sociaux
de ses locuteurs. Cet intérêt pour les
contextes de la langue française se déduit des
différents articles de la Constitution qui
fondent l’action de la DGLFLF.
Le souhait de se placer sur le plan de l’action
se lit évidemment dans le choix du mot
Innovation qui révèle non tant un fétichisme
de la nouveauté qu’un intérêt pour les
explorations et les expérimentations menées
à l’université et dans le monde de la recherche,
avec la pratique de la langue comme outil
et objet transdisciplinaire. Cette optique élargit
quelque peu les repères du précédent bulletin.
La question de la didactique du français
demeure, transformée au sein de l’université
par sa mise en rapport avec des objectifs
de transmission ou de rédaction scientifique.
La revue Francophonie et Innovation
Nous faisons le pari que la langue française
peut se montrer une langue partenaire
du plurilinguisme et ouverte à la variété des
questions de recherche. Les savoirs qui
se sont constitués dans l’abri de la francophonie
pourront trouver dans cette revue une
reconnaissance ou une visibilité supérieure.
Une approche en termes de justice cognitive
milite pour faire du français l’instrument
de la diversité épistémique et bibliographique.
Espace au service de la recherche et de
l’expérimentation, espace d’observation pour
la conception de politiques linguistiques,
Francophonie et Innovation à l’université est
une revue d’un genre nouveau.
3
Éditorial
Cristelle Cavalla,
Agnès Tutin
& Alice Burrows
Quelle place pour le français scientifique
dans un contexte universitaire ?
L’Agence universitaire de la Francophonie
(AUF), la Délégation générale à la langue
française et aux langues de France (DGLFLF)
et France Éducation international (nouveau
nom du CIEP) le Centre international d’études
pédagogiques (CIEP) s’associent pour
la création d’une nouvelle revue intitulée
Francophonie et innovation à l’université.
Coéditée par l’AUF et la DGLFLF, cette
publication s’inscrit dans le prolongement
du bulletin Le français à l’université,
publié par l’AUF durant plus de 20 ans.
Cette revue s’adresse à la communauté
scientifique francophone (étudiants, doctorants,
enseignants-chercheurs…) et aux
enseignants de langue, notamment de français
langue étrangère en milieu universitaire.
Elle fera appel à des experts, enseignants
et lecteurs sur une thématique donnée pour
diffuser largement des recherches scientifiques
en didactique des langues, sociolinguistique,
linguistique… autour de la francophonie.
Chaque numéro sera placé sous la responsabilité d’une rédactrice ou d’un rédacteur
en chef invité.e.
Le français dans les sciences (registre scientifique et technique), et dans l’enseignement
universitaire est la thématique du premier
numéro. Ses modalités de transmission
et sa valorisation représentent des enjeux
pour la diffusion du français dans les sciences
et dans l’enseignement supérieur. Intitulé
« Quelle place pour le français scientifique
4
dans un contexte universitaire ? », ce numéro
a pour objectif de présenter la diversité
des pratiques du français scientifique, qu’il
s’agisse des sciences naturelles, expérimentales
et techniques ou des sciences humaines
et sociales, les questionnements au sein des
universités en matière de valorisation
et de diffusion, les actions qui contribuent
au développement de la culture scientifique
en français.
L’appel à contributions lancé par l’AUF a reçu
un vif succès mais pas toujours dans
le sens escompté. En effet, nombre d’articles
ne traitaient pas directement de l’enseignement
en français ou du français scientifique.
Cela révèle l’ampleur des chantiers à mener
dans ce domaine : l’étude du français
scientifique en milieu académique est un enjeu
qui reste à explorer selon différentes entrées.
Il en ressort également que la question
de la préparation et de l’intégration des
étudiants allophones à l’entrée à l’université
française ou francophone ne va pas de soi
et mérite d’être prise en compte concrètement
sur le terrain. Rappelons que la question
de l’enseignement et l’apprentissage du français
scientifique — appelé d’abord Français de
spécialité et aujourd’hui « FOU », « Français
sur Objectif Universitaire » — n’est pas nouvelle
et a fait l’objet d’ouvrages dès les années 60
en France avec le VGOS de Phal (1969) et ses
collègues : le Vocabulaire Général d’Orientation
Scientifique (1971) décliné dans différentes
5
disciplines comme la médecine, l’agronomie
ou les sciences politiques. L’esprit de ces
manuels constituait une sorte de transition
entre le Français Fondamental et ses listes
de mots, et l’enseignement contextualisé plus
en vogue aujourd’hui. Ainsi, le mouvement
était lancé et d’autres enseignants et chercheurs
se sont intéressés aux discours scientifiques
et à leur enseignement. Plusieurs spécialistes
du FLE comme Eurin et Henao de Legge (1992),
Tolas (2004), Carras (2014) quelques années
plus tard ont publié des ouvrages autour des
sciences en général ou de disciplines particulières (la médecine, la chimie, l’ingénierie…) —
en particulier, grâce aux Presses Universitaires
de Grenoble encourageant ce domaine du
FLE. Ces publications restent malheureusement
insuffisamment répandues de notre point
de vue, comme on peut l’observer si l’on
consulte la liste des ouvrages en FOS du CIEP
(↘ https://www.ciep.fr/sites/default/files/
repertoire-methodes-fos.pdf). Seuls 8 manuels
sont étiquetés « sciences », dont 4 dans
le domaine de la santé : où sont donc les
sciences ?
Pour répondre à cette demande, ce numéro
vise à recenser les aspects actuellement
privilégiés par les collègues dans différentes
parties du monde et pour toutes les disciplines
académiques. Il nous permettra, nous l’espérons,
de mesurer le chemin parcouru depuis Phal
et celui qui nous reste à tracer pour répondre
au mieux aux attentes actuelles et futures des
apprenants du français scientifique.
Ce premier numéro est divisé en deux grands
volets qui se font écho : les chercheurs
en linguistique et didactique des langues
soulèvent des problématiques qui sont à leur
tour explorées et interrogées par les praticiens,
au sein de dispositifs d’enseignement.
Le premier volet est consacré à la recherche
autour de l’écrit scientifique en français à trois
niveaux : politique et institutionnel, linguistique
6
Éditorial
et enfin didactique. L’usage du français
scientifique en milieu académique renvoie
à des questions macro-structurelles impactant
aussi bien les étudiants que les enseignantschercheurs, questionnant la valeur de cette
langue sur le marché linguistique (Calvet, 2002)
et les moyens mis en œuvre pour son
appropriation. Ainsi, Nicolas Bacaër constate
la relative indifférence dans laquelle les
publications en français dans quelques
sciences dites « dures » tendent à disparaître
et plaide pour une diversité culturelle dans
la recherche scientifique. Du point de vue
des dispositifs didactiques, Chantal Parpette
et Jean-Marc Mangiante reviennent sur
la complexité de la démarche du FOU « qui
touche à la fois à la dimension institutionnelle,
technique et pédagogique de l’université ».
Les auteurs rappellent ainsi la dynamique liant
émergence des formations et décisions
institutionnelles. Ces conclusions font écho
à l’article d’Isabelle Cros et Natalie Kübler,
dont l’enjeu se situe également au plan
institutionnel. Ces auteures tissent le lien entre
les dispositifs de formation FOU et les logiques
de gouvernance régissant l’internationalisation
universitaire, pour constater les effets de
l’absence d’un dispositif de formation disciplinaire reposant sur des approches de corpus.
Ces études soulignent la nécessité d’une
convergence entre linguistes et didacticiens,
afin d’allier une description du français
scientifique à des dispositifs didactiques
efficients. En effet, sur le plan linguistique,
la langue scientifique, au-delà de spécificités
terminologiques évidentes, présente
des particularités syntaxiques, énonciatives
et pragmatiques, qu’il convient de mettre
en évidence (voir par exemple, les travaux
de Kocourek (1991), Flottum, Dahl & Kinn (2006),
Rinck (2010), Grossmann (2010), Tutin &
Grossmann (2014)). La capacité des apprentischercheurs à intégrer la « communauté
de discours » scientifique (Swales 1990) est
largement conditionnée par la maîtrise
de ce discours. L’article de Malika Touati
et Alain Kamber aborde le lexique abstrait
à travers quelques nominalisations déverbales,
un procédé fréquent du discours scientifique
souvent mal maîtrisé par les apprentischercheurs. L’étude, réalisée sur un corpus
scientifique pluridisciplinaire, montre
la complexité de ces constructions aux plans
sémantique et syntaxique. La contribution
de Françoise Boch traite également d’une
construction spécifique du discours scientifique, l’anaphore démonstrative comme
« porte d’entrée dans l’écriture du texte
académique ». La chercheuse montre bien,
à travers l’observation de deux corpus
(apprenants et experts), l’intérêt de ce procédé
linguistique et les difficultés rencontrées
par les apprentis chercheurs. Sylvain Hatier
et Agnès Tutin présentent de leur côté
une base lexicale qui comporte le lexique
transversal du discours scientifique, associée
à des classes sémantiques et accompagnée
d’exemples, pouvant servir de matériel
didactique pour l’enseignement du français
scientifique.
Cette vision de l’instrumentalisation de
l’enseignement / apprentissage (Rabardel, 1995)
— visant l’appropriation personnalisée par
l’enseignant, le chercheur et l’apprenant —
converge avec des propositions didactiques.
Achille Falaise, Olivier Kraif et Hoai Tran
proposent ainsi des applications des corpus
numériques, permettant d’illustrer l’intérêt
de la démarche intégrée, prônée par Cros
et Kübler, mais également par Jean-Paul et
Marie-Françoise Narcy-Combes. Ces derniers
auteurs montrent l’imbrication de l’apprentissage linguistique et disciplinaire en s’appuyant
sur différentes expériences en didactique
des langues. Ils avancent que co-construction
et médiation sont les clés de voûte d’un
apprentissage intégré des langues. Notons
que ces différent.es auteur.es soulignent
l’importance des ressources pour le français
scientifique et académique, indispensables
pour développer à la fois les études linguistiques mais aussi les recherches en didactique.
Les corpus numériques scientifiques
et académiques, encore trop peu nombreux
pour le champ français, restent sous-exploités
par les linguistiques et les didacticiens
et ces articles présentent des perspectives
de développement et d’exploitation
prometteuses.
Le deuxième volet de la revue est consacré
aux expériences concrètes menées sur
le terrain afin d’aider les apprenants à entrer
dans l’écriture scientifique en français.
Les résultats de ces expériences mettent
en évidence trois éléments : la nécessité
de développer des dispositifs contextualisés,
le lien avec le numérique et les approches
projets.
Les enjeux liés au français scientifique
en milieu académique sont fortement
ancrés dans des problématiques plus larges
propres à chaque tradition universitaire.
Ainsi, le développement de dispositifs FOU
et / ou d’apprentissage sur corpus se pose
de manière différente selon les objectifs
politiques et éducatifs des formations.
Les résultats constrastés des dispositifs des
chercheures francophones brésiliennes,
marocaines et argentines mettent en lumière
les particularités de chaque contexte
académique. Heloisa Albuquerque Costa
donne à voir un dispositif de formation
de futurs enseignants de FOU auprès d’étudiants
de l’École Polytechnique de l’Université
de São Paulo qui se préparent au programme
de Double Diplôme dans les Grandes Écoles
d’Ingénieurs en France. Dans une optique
similaire, Najoua Maafi s’interroge sur les
démarches de didactisation à adopter dans
le contexte universitaire marocain. Ces deux
auteures insistent sur la nécessité d’un
renouvellement du positionnement enseignant
dans les démarches FOU et FOS. De son
Quelle place pour le français scientifique dans un contexte universitaire ?
7
côté, Ana-Maria Gentile expose une tradition
didactique proprement argentine : la lectocompréhension. Reposant sur une description
des enjeux propres à l’université argentine,
l’article montre les avantages de cette pratique
et de son introduction au sein de la formation
des traducteurs, en vue d’une médiation
linguistique.
Face à ces difficultés, les dispositifs
présentés explorent deux pistes : la mise
à contribution des outils numériques et l’entrée
dans des approches projets. Dans leur article,
Rui Yan, Gaëlle Karcher et Anne-Cécile Perret
convoquent clairement plusieurs entrées
disciplinaires, la linguistique (description des
constructions verbales scientifiques) et
la linguistique de corpus (utilisation de corpus
numériques) au service de la didactique
des langues à l’université. Une telle vision
de l’enseignement / apprentissage, déjà évoquée
précédemment chez d’autres auteur.es,
constitue une aide pour les apprenants pour
découvrir la langue scientifique et se l’approprier à leur rythme grâce à des outils accessibles
gratuitement en ligne par tous. Malika Bahmad
et Naïma El Bekraoui présentent leur
pratique du français scientifique à l’université
de Kenitra, où le statut délicat du français
comme langue d’enseignement universitaire
pose de réels problèmes aux futurs étudiants
marocains. Les auteures montrent les apports
des outils numériques qui, dans ce cas, amènent
les étudiants à acquérir simultanément des
éléments de langue spécifique — du français
académique — et des outils méthodologiques
pour le travail universitaire. Enfin, les
approches projets constituent une dernière
piste d’exploration en ce qui concerne les
dispositifs didactiques en vue de l’acquisition
du français scientifique. Eve Lejot et Leslie
Molostoff s’appuient sur un corpus constitué
d’écrits académiques et développent,
à l’Université du Luxembourg, des activités pour
les nouveaux entrants étrangers. L’article
8
Éditorial
de Marion Dufour présente une expérimentation de travail interdisciplinaire pour des
étudiants issus de disciplines des sciences
expérimentales et techniques dans une
perspective projet. L’utilisation des outils
numériques et des approches projets,
alliée à l’utilisation de corpus permet d’unir
les efforts des linguistes et des didacticiens,
afin de soutenir l’apprentissage linguistique
des étudiants en milieu académique et
de former à l’écriture scientifique en français.
C’est également aux productions d’étudiants
que s’intéresse Emmanuel Kambaja Musampa.
Il montre que les difficultés linguistiques
propres à la mise en place de l’argumentation
en français, en particulier le maniement
des connecteurs logiques, pénalise les
étudiants dans l’écriture de leur mémoire
de fin d’année.
Pour conclure, nous pouvons admettre que
ce travail nous a permis de découvrir des
contextes qui nous étaient inconnus
et de comprendre combien l’enseignement
des discours scientifiques à l’université est une
question de portée internationale. Le choix
du français constitue un enjeu non négligeable,
sur le plan scientifique et surtout politique
sur la scène internationale des sciences.
Ainsi, rappelons l’importance d’adapter les
dispositifs d’enseignement aux différentes
situations universitaires, car chaque contexte
reste spécifique. Les didacticiens ont bien
montré que les « copier / coller » méthodologiques ne peuvent plus avoir cours. Il nous
paraît aussi essentiel d’insister sur l’intérêt des
outils numériques quand ceux-ci sont pensés
dans le processus didactique et pas seulement
ajoutés pour « être à la mode » ou « faire
plaisir aux jeunes ». Par exemple, les corpus
numériques sont sous-exploités au plan
didactique alors qu’ils recèlent des « mines »
d’éléments linguistiques à exploiter. Nous
sommes donc ravies de constater que
les outils numériques sont de plus en plus
mis à profit pour l’aide à l’apprentissage
du français scientifique.
Enfin, comme indiqué en introduction, nous
déplorons le manque de publications
scientifiques dans ce domaine et la rareté
de manuels pour les enseignants sur le terrain
universitaire. Nous encourageons les acteurs
en présence — enseignants et linguistes —
à tenter de collaborer pour diffuser davantage
leurs réflexions et leurs expérimentations,
en particulier autour des descriptions linguistiques et des outils (numériques). Les attentes
sont croissantes à l’université : dans toutes
les disciplines, des étudiants allophones
du français sont confrontés à des difficultés
linguistiques, alors qu’ils sont attirés par
l’excellence scientifique des recherches
en français.
Merci aux auteur.es des articles de ce premier
numéro qui donnent l’occasion d’aborder ces
questions. Merci à l’AUF et la DGLFLF de nous
avoir offert cette tribune pour nous exprimer
et nous souhaitons longue vie à cette nouvelle
revue !
Bibliographie
Calvet, Louis-Jean. (2002).
Le marché des langues.
Paris : Plon.
Carras, Catherine,
Gewirtz, Océane & Tolas,
Jacqueline (2014). Réussir
ses études d’ingénieur en
français. Grenoble : Presses
universitaires de Grenoble.
Fløttum, Kjersti, Dahl,
Trine & Kinn, TTorodd.
(2006). Academic voices:
Across languages and
disciplines. Amsterdam :
John Benjamins Publishing.
Eurin Balmet, Simone
& Henao De Legge,
Martine. (1992). Pratiques
du français scientifique:
l’enseignement du français
à des fins de communication
scientifique. Paris :
Hachette.
dans le discours scientifique.
Revue d’anthropologie
des connaissances, 4(3),
427-450.
Swales, John. (1990).
Genre analysis : English
in academic and research
settings. Cambridge :
Cambridge University Press.
Tolas, Jacqueline. (2004).
Le français pour les
sciences. Grenoble : Presses
Univ. de Grenoble.
Tutin, Agnès & Grossmann,
Francis. (dir.)(2014). L’écrit
scientifique: du lexique
au discours. Rennes : Presses
universitaires de Rennes.
Grossmann, Francis.
(2010). L’Auteur scientifique.
Revue d’anthropologie
des connaissances, 4(3),
410-426.
Kocourek, Rostislav. (1991).
La langue française de la
technique et de la science.
Vers une linguistique de la
langue savante. Wiesbaden,
Oscar Branstetter.
Phal, André. (1969).
La recherche au CRÉDIF :
la part du lexique commun
dans les vocabulaires
scientifiques et techniques.
Langue française, nº 2,
73-81. En ligne,
↘ www.persee.fr/doc/
lfr_0023-8368_1969_
num_2_1_5423
Rabardel, Pierre. (1995).
Les hommes et les
technologies, approche
cognitive des instruments
contemporains. Paris :
Armand Colin.
Rinck, Fanny. (2010).
L’analyse linguistique des
enjeux de connaissance
Quelle place pour le français scientifique dans un contexte universitaire ?
9
Sommaire
p. 12
Regards d’experts
p. 16
Quelques aspects de la disparition
du français dans la recherche
scientifique
Nicolas Bacaër
p. 78
Un corpus, des usages: des outils
pour exploiter le corpus de textes
scientifiques Scientext , de la
linguistique outillée à la didactique
des langues
Achille Falaise, Olivier Kraif
& Thi Thu Hoai Tran
p. 90
Les nominalisations déverbales
dans l’écrit scientifique
Malika Touati & Alain Kamber
p. 102
Quand contenu et langue sont vus
comme indissociables
Jean-Paul Narcy-Combes
& Marie-Françoise Narcy-Combes
p. 28
Le Français sur Objectif Universitaire :
des dispositifs à la mise en œuvre
didactique
Jean-Marc Mangiante
& Chantal Parpette
p. 44
Du FOU au FLA à l’Université française
ou de la pédagogie universitaire
à l’écrit scientifique spécialisé
Isabelle Cros
& Natalie Kübler
p. 56
L’anaphore démonstrative,
une porte d’entrée dans l’écriture
du texte académique
Françoise Boch
p. 66
Lexique et phraséologie scientifiques
transdisciplinaires en sciences
humaines : de la modélisation
à la création d’une ressource lexicale
Sylvain Hatier & Agnès Tutin
10
Le cas de la filière « Économie
et Gestion » à l’École Nationale
de Commerce et de Gestion
de Casablanca.
Najoua Maafi
p. 130
La valorisation et la diffusion
du français scientifique à l’université :
une étude de cas en contexte argentin
Ana María Gentile
p. 138
Un dispositif de formation pour
enseigner l’écriture académique :
le cas des étudiants chinois au CUEF
de Grenoble
Rui Yan,
Gaëlle Karcher
& Anne-Cécile Perret
p. 146
Fondements théoriques
et ingénierie pédagogique
des manuels Cap Université
Malika Bahmad & Naïma El Bekraoui
p. 114
Regards d’enseignants
p. 154
Sensibiliser des étudiants d’échanges
à la culture et aux écrits académiques
dans un cours hybride
Eve Lejot
& Leslie Molostoff
p. 116
Enseignement du Français sur
Objectif Universitaire à l’École
Polytechnique de l’Université
de São Paulo : Quels enjeux pour
la formation des enseignants ?
Heloisa Albuquerque-Costa
p. 162
Enseigner le français scientifique
en impliquant les étudiants
dans un programme de médiation
scientifique
Marion Dufour
p. 124
Didactisation pour l’enseignement
du français en contexte
universitaire marocain : quelle
démarche adopter ?
p. 168
L’argumentation dans la rédaction
professionnalisante des étudiants
informaticiens
Emmanuel Kambaja Musampa
p. 176
Regards de lecteurs
p. 178
Histoire des langues et histoire des
représentations linguistiques
vu par Cristina Petraș
p. 184
La langue française dans le monde
2015-2018
vu par Haydée Silva
p. 188
Penser la didactique du plurilinguisme
et ses mutations, Idéologies, politiques,
dispositifs
vu par Brahim Errafiq
p. 192
Les Études françaises et les humanités
dans la mondialisation
vu par Olivier-Serge Candau
p. 196
Enseigner la francophonie, enseigner
les francophonies
vu par Ndèye Maty Paye
p. 202
Un regard sur l’enseignement
des langues : des sciences du langage
aux NBIC
vu par Youcef Atrouz
p. 206
Mesurer la science
vu par Abdelkrim Boufarra
p. 210
Actualités des publications
11
Regards
d’experts
p. 16
Quelques aspects de la disparition
du français dans la recherche scientifique
Nicolas Bacaër
Depuis plusieurs décennies, l’anglais
a tendance à se substituer au français et aux
autres langues dans les sciences « dures ».
On aborde ici quelques aspects de ce problème.
On recense d’abord les revues dont le nom
en français a été remplacé par un nom en anglais
ainsi que les revues qui, sans changer
de nom, ont interdit les articles en français.
On s’intéresse ensuite au pourcentage
d’articles publiés en français dans les différentes
sections des Comptes rendus de l’Académie
des sciences entre 1981 et 2018. Puis, on examine
plus particulièrement le nombre d’articles
de chimie en français dans la littérature scientifique. On étudie enfin les réactions des
scientifiques et des institutions francophones
à ces évolutions.
→ français scientifique — sciences en
français — francophonie — FLE
p. 28
Le Français sur Objectif Universitaire :
des dispositifs à la mise en œuvre didactique
Jean-Marc Mangiante
& Chantal Parpette
Enseigner le français sur objectif universitaire
(FOU) s’inscrit dans la démarche du français
sur objectif spécifique (FOS), lequel
se situe fondamentalement à l’interface entre
dimension institutionnelle et dimension
didactique, la première créant les conditions
de faisabilité de la seconde. Le présent
article décrit la construction de cette interface qui allie l’ingénierie de la formation
12
à une compétence spécifique d’élaboration
de séquences pédagogiques. La première
recouvre l’analyse des situations universitaires,
le recueil de données de terrain, la construction globale de programmes linguistiques,
et leur intégration institutionnelle dans
les cursus des universités. La seconde
suppose la maîtrise de certains principes
méthodologiques permettant au concepteur
de programmes FOU de passer du recueil
de données de terrain à la constitution
de séquences d’enseignement-apprentissage
afin d’amener les étudiants allophones
à préparer au mieux leur activité universitaire.
→ français sur objectif universitaire —
ingénierie de formation — principes
méthodologiques — analyse de situations —
discours universitaires
p. 44
Du FOU au FLA à l’Université française
ou de la pédagogie universitaire à l’écrit
scientifique spécialisé
Isabelle Cros
& Natalie Kübler
Cet article aborde la question du « français
pour les sciences » non comme langue
de spécialité, mais sous l’angle du français
sur objectifs universitaires (FOU), en tant
que véhicule du discours scientifique
universitaire. Sous cet aspect, le FOU participe
pleinement à la diffusion de la science
en francophonie. Si la gouvernance à l’Université
française, oscillant entre anglicisation des
filières et promotion du plurilinguisme,
tend à faire reculer le français comme langue
des sciences et techniques en France
même, le développement du FOU est susceptible de donner au français un nouvel
élan en LANSAD. L’analyse de ressources
et dispositifs existants révèle l’évolution
didactique suivie actuellement en FOU,
domaine initialement axé sur la méthodologie
universitaire, en faveur d’une approche
phraséologique et terminologique, que
la linguistique de corpus peut très utilement
soutenir.
→ FOU — FOS — phraséologie scientifique —
approche sur corpus — LANSAD — politique
éducative
p. 56
L’anaphore démonstrative, une porte
d’entrée dans l’écriture du texte académique
Françoise Boch
Inscrite dans le cadre des littéracies académiques, cette contribution porte sur un fait
de langue considéré comme un des emblèmes
des difficultés que rencontrent les apprentischercheurs (mastérisants ou doctorants) dans
leur initiation à l’écrit de recherche : l’anaphore
démonstrative.
À partir de l’analyse d’extraits tirés d’un
corpus d’écrits d’étudiants, cette étude
montre comment ces descriptions linguistiques
peuvent être exploitées en situation
didactique afin de susciter chez les étudiants
des prises de conscience les amenant
à mieux repérer et corriger leurs erreurs, et,
à terme, à développer leurs compétences
rédactionnelles en matière d’écrit scientifique.
→ littéracies académiques — anaphore
démonstrative — compétences rédactionnelles — didactique de l’écrit scientifique
p. 66
Lexique et phraséologie scientifiques
transdisciplinaires en sciences humaines :
de la modélisation à la création d’une
ressource lexicale
Sylvain Hatier & Agnès Tutin
Dans cet article, nous présentons une
ressource du lexique scientifique
transdisciplinaire des sciences humaines,
ce lexique traversant propre au genre
des articles scientifiques, dont la maîtrise
est essentielle pour les apprentis chercheurs.
Nous détaillons les critères utilisés pour
extraire ce lexique à partir des corpus et les
traitements sémantiques effectués, aussi
bien pour les mots simples ou locutions figées
(Ex : hypothèse, analyser, par ailleurs) que
pour les collocations (Ex : faire une hypothèse,
analyse statistique).
→ lexique scientifique transdisciplinaire —
collocations — corpus — discours scientifique
p. 78
Un corpus, des usages: des outils pour
exploiter le corpus de textes scientifiques
Scientext, de la linguistique outillée
à la didactique des langues
Achille Falaise, Olivier Kraif
& Thi Thu Hoai Tran
Les corpus sont aujourd’hui largement utilisés
en linguistique, avec une finalité scientifique,
mais commencent aussi à l’être pour répondre
à d’autres besoins, comme en didactique
des langues, où ils aident par exemple les
apprenants à discerner concrètement
les nuances d’emploi de certaines expressions.
Les corpus actuels, enrichis d’annotations
complexes, ne sont toutefois pas exploitables
directement, mais par le biais de logiciels
(« outils ») adaptés à certaines tâches
et à certains profils d’utilisateurs. Cet article
présente trois outils exploitant le même
corpus de textes scientifiques Scientext,
mais répondant à des finalités variables :
le Lexicoscope et ScienQuest, destinés
à des linguistes mais adoptant des perspectives
différentes, et Dicorpus, destiné à des
apprenants. Ces trois outils se rapprochent
sur le plan des fonctionnalités, mais
se distinguent au niveau ergonomique, sur la
façon dont ces dernières sont présentées.
→ linguistique de corpus — didactique
des langues — ergonomie
13
p. 90
Les nominalisations déverbales dans l’écrit
scientifique
Malika Touati & Alain Kamber
Cette contribution s’intéresse aux
contextes d’utilisation des noms d’action
déverbaux dans les écrits scientifiques
dans la perspective de l’enseignement /
apprentissage du français langue étrangère.
L’analyse de quatre constructions
de schéma Nact + de + GN (sujet passif) porte
principalement sur les catégories
sémantiques des noms sujets passifs, les
modifieurs du nom d’action et les
valeurs aspectuelles de ces nominalisations.
Par le recours à un corpus équilibré
comprenant des thèses de doctorat
en sciences humaines, en sciences
expérimentales et en sciences appliquées,
les auteurs veulent montrer les similitudes
et les différences existant entre leur utilisation
dans les différentes familles de disciplines
pour les rendre accessibles à un public
universitaire allophone de niveau avancé
(B2-C1).
et translanguaging, éducation plurilingue,
pédagogie inversée, appui sur le numérique)
précède la description de formations
hybrides où les apprenants co-construisent
leur savoir. La conclusion fournit des
pistes pédagogiques pour la mise en place
de projets similaires.
→ plurilinguisme — co-construction des
savoirs — numérique — hybridité
→ écrits scientifiques — lexique
transdisciplinaire — Scientext — noms d’action
déverbaux — contextes d’utilisation — français
langue étrangère
p. 102
Quand contenu et langue sont vus comme
indissociables
Jean-Paul Narcy-Combes
& Marie-Françoise Narcy-Combes
L’objectif de cette contribution
est de sensibiliser le lecteur au fait que
l’apprentissage d’une langue ne peut
se faire indépendamment d’un contenu
déterminé ni sans prendre en compte
les environnements culturels de production
et de réception. Le cadre conceptuel
dans lequel l’article se situe (plurilinguisme
14
15
« On peut espérer que
le vieux débat sur
la place des langues
dans les sciences
retrouve une certaine
actualité, conduise
à des changements
d’habitude et permette
la survie du français
dans la recherche
scientifique,
y compris dans les
sciences dites dures. »
16
Regards d’experts
Quelques aspects de la disparition
du français dans la recherche scientifique
Nicolas Bacaër
Unité de modélisation mathématique et
informatique des systèmes complexes,
Institut de recherche pour le développement,
Paris, France
Introduction
Déjà en 1976, un spécialiste américain en bibliométrie qualifiait la science
en France de « provinciale » et incitait les scientifiques à écrire en anglais
plutôt qu’en français (Garfield, 1976). Un ancien premier ministre n’hésita
pas alors à prendre sa plume pour lui répondre (Debré, 1976). Une décennie plus tard, en 1989, les différentes sections des Annales de l’Institut
Pasteur décidaient de changer de nom et d’adopter un nom en anglais. En
même temps, elles annonçaient dans un premier temps qu’elles n’accepteraient plus les articles en français. Devant le tollé provoqué par cette
décision, la direction revenait en arrière en ce qui concerne les articles
en français, mais gardait les titres en anglais (Schwartz, 1989). Les articles
en français finirent néanmoins par disparaître. De nos jours, les instructions aux auteurs indiquent que les articles doivent être en anglais. Cet
épisode, très médiatisé, ne fut que l’un des premiers d’une longue série
de décisions pour substituer l’anglais au français dans les titres de revues
scientifiques françaises ainsi que dans les instructions aux auteurs. Dans
une première partie, on essaiera de recenser ces substitutions. Ce qui
à la fin des années 1980 provoquait encore l’indignation des plus hautes
autorités de l’État semble laisser indifférent la plupart des Français des
années 2000 et 2010 (Debray, 2017).
C’est l’astronome François Arago qui a fondé en 1835 les Comptes
rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences. Pendant
longtemps, cette revue a été l’un des principaux organes de diffusion des
recherches des scientifiques français dans les sciences dites dures, celles
qui forment les différentes sections de l’Académie des sciences. C’était un
moyen rapide de faire connaître ses découvertes. Toutes les publications
ont été rédigées en français jusque vers la fin des années 1980 : c’était
17
d’ailleurs une obligation. Au cours des trois dernières décennies, l’anglais
s’est progressivement substitué au français comme langue de rédaction
des articles, au point qu’on peut se demander si l’on ne se dirige pas vers
la disparition pure et simple de tous les articles en français. L’objectif ici
est d’étudier comment la place du français a évolué dans les différentes
disciplines représentées : les mathématiques, la mécanique, la physique,
la chimie, les géosciences, la paléontologie et la biologie. Ce sera l’objet
de la deuxième partie.
On s’intéressera plus en détail dans une troisième partie au cas de
l’usage du français en chimie, y compris dans les revues étrangères. La
chimie est l’un des domaines où le français est le plus proche de l’extinction au niveau de la recherche (mais non au niveau de la vulgarisation).
Dans la dernière partie, on essaiera de faire un historique des réactions
suscitées par ces évolutions linguistiques.
I
Les changements de noms des revues
et des instructions aux auteurs
L’adoption d’un nom en anglais pour le titre d’une revue peut se faire de
plusieurs façons. Il peut s’agir d’un simple remplacement : la revue existe
toujours après le changement. Mais la revue avec un titre en français peut
aussi fusionner avec d’autres revues pour fonder une nouvelle revue avec
un titre en anglais. Dans certains cas, un titre bilingue devient unilingue
anglais. Un titre en français peut aussi devenir un titre bilingue. On n’a
trouvé aucun cas de revue avec un titre en anglais qui décidait de changer pour un titre en français. On peut trouver une liste assez complète de
revues avec un titre en français sur Wikipedia (« Usage du français dans
les publications scientifiques »). Le changement de titre s’accompagne
en général d’une interdiction des articles en français, si ce n’est immédiatement, du moins après quelques années. L’interdiction est souvent
implicite : les instructions, en anglais, n’évoquent plus la question linguistique. On essaie de récapituler dans le tableau 1 la chronologie de ces
changements. Les indications sur la dernière année avec un article publié
en français proviennent des bases de données « Web of Science », Pascal
et GeoRef ou directement du site de la revue. La liste est probablement
incomplète.
On a inclus ci-dessus le cas de la revue Acta Botanica Gallica, car c’est la
revue d’une société savante française, qui d’ailleurs s’est appelée Bulletin
de la Société botanique de France avant d’adopter un nom latin (puis
anglais).
18
Regards d’experts
Tableau 1
Basculement vers l’anglais
des noms de revues
et dernière année avec
un article en français.
année
ancien titre
nouveau titre
dernière
année avec
un article
en français
1969
Annales d’astronomie /
Bulletin d’astronomie /
Journal des observateurs
Astronomy
and Astrophysics
1984
1987
Nouveau Journal de chimie
New Journal of Chemistry
2002
1989
Annales de l’Institut Pasteur —
immunologie
Research in Immunology (puis,
en 1999, Microbes and Infection)
1988
1989
Annales de l’Institut Pasteur —
virologie
Research in Virology (puis, en
1999, Microbes and Infection)
1991
1989
Annales de l’Institut Pasteur —
microbiologie
Research in Microbiology
1995
1989
Génétique Sélection Evolution
Genetics Selection Evolution
2001
1990
Journal de microscopie
et de spectroscopie
électroniques
Microscopy, Microanalysis,
Microstructures (puis, en 1998,
European Physical Journal —
Applied physics)
1999
1991
Annales de limnologie
Annales de limnologie —
International Journal
of Limnology
2002
1992
Journal de physiologie (Paris)
Journal of Physiology — Paris
(disparu en 2016)
1991
1993
Annales de recherches
vétérinaires
Veterinary Research
2002
1997
La Recherche aérospatiale
Aerospace Science
and Technology
1996
1998
Bulletin de la Société
chimique de France
European Journal of Organic
Chemistry / European
Journal of Inorganic Chemistry
1997
1998
Journal de physique I
European Physical Journal B
1998
1998
Journal de physique II
European Physical Journal D
2005
1998
Journal de physique III
European Physical Journal,
Applied physics
1999
1999
Bulletin de l’Institut Pasteur
Microbes and Infection
1997
1999
Revue générale de thermique
International Journal
of Thermal Sciences
2009
1999
Annales des sciences
forestières
Annals of Forest Science
2006
2000
Journal de chimie physique
et de physico-chimie
biologique
Chemphyschem: a European
journal of chemical physics
and physical chemistry
1999
2001
Annales de zootechnie
Animal Research
2001
2005
Agronomie
Agronomy for sustainable
development
2003
2007
Journal de physique IV
European Physical Journal,
Special topics
2006
Quelques aspects de la disparition du français dans la recherche scientifique
19
Tableau 2
Revues avec un titre
en français qui interdisent
les articles en français.
2008
Annales des
télécommunications
Annals of Telecommunications
2007
2008
Bulletin français de la pêche
et de la pisciculture
Knowledge and Management
of Aquatic Ecosystems
2007
2008
Le Lait
Dairy Science & Technology
2004
2008
Revue européenne de génie
civil
European Journal of Environmental and Civil Engineering
2013
2009
Revue internationale de génie
électrique
European Journal
of Electrical Engineering
2016
2010
Annales de physique
European Physical Journal H
2009
2011
Bulletin de l’Institut royal
des sciences naturelles
de Belgique — entomologie
& biologie
European Journal
of Taxonomy
2010
2014
Revue de métallurgie
Metallurgical Research
& Technology
2017
2016
Acta Botanica Gallica
Botany Letters
2016
2016
Journal international des
sciences de la vigne et du vin
OENO One
2006
2017
Revue de stomatologie,
de chirurgie maxillo-faciale
et de chirurgie orale
Journal of Stomatology,
Oral and Maxillofacial Surgery
2017
2019
Hydrological Sciences
Journal / Journal des
sciences hydrologiques
Hydrological Sciences Journal
2017
revue
dernière année avec un article en français
Biochimie (Société française de biochimie
et biologie moléculaire)
1989
Cahiers de biologie marine
(Station biologique de Roscoff )
2005
Apidologie (INRA)
2006
Revue de micropaléontologie
2013
Cybium (Société française d’ichtyologie)
2015
Annales de chimie — science des matériaux
2016
Archives de pédiatrie
(Société française de pédiatrie)
2018
Il y a aussi des cas où le titre de la revue reste en français, mais où les
instructions actuelles interdisent les articles en français. (voir tableau 2)
On n’a pas abordé ici le cas très fréquent des revues qui n’acceptaient
que des articles en français et qui se sont mises à accepter des articles
en anglais. Actuellement, très peu de revues en sciences « dures » n’acceptent pas d’article en anglais. Celles qui n’acceptent que les articles en
français sont en général des revues de vulgarisation, pas des revues où
sont publiés les articles de recherche originaux.
Notons enfin le cas de la revue Comptes rendus géoscience. C’est
l’une des sections des Comptes rendus de l’Académie des sciences. Pendant plusieurs années, les instructions aux auteurs ont été : « Articles will
be in English » (sic, les articles seront en anglais). Alors qu’il y avait encore
quatre articles en français en 2012 (et plus d’une centaine en 2004), aucun
n’a été publié entre 2013 et 2016. En 2017 et 2018, trois articles historiques
en français ont été publiés. Finalement, début 2019, les instructions aux
auteurs acceptent de nouveau les articles en français, mais ils sont fortement déconseillés. C’est le seul cas que l’on ait trouvé de retour en
arrière en ce qui concerne les instructions aux auteurs. Les motivations
de ce retour n’ont pas été publiées, mais on sait que l’anomalie que présentait cette revue (c’était la seule des sept sections des Comptes rendus
à interdire le français) a été signalée à l’éditeur-en-chef de la revue ainsi
qu’à un secrétaire perpétuel de l’Académie.
Ainsi donc, des dizaines de revues françaises ont interdit les manuscrits en français. Cela peut paraître bien peu en comparaison avec les
centaines de revues scientifiques françaises. Mais même dans les revues
qui ont gardé un titre en français et qui acceptent les manuscrits en français, les articles publiés en français deviennent rares. C’est ce que l’on va
montrer dans la prochaine partie pour un cas emblématique.
II
Les articles en français
dans les Comptes rendus de l’Académie
des sciences
Pour établir ce relevé, on a utilisé la base de données « Web of Science ».
Pour chaque année, on a sélectionné les articles ordinaires, les articles
de synthèse et les textes qui font partie d’actes de conférences, mais
pas les éditoriaux, les corrections ou les notices biographiques (la base
indique ces catégories). Dans la suite, on utilisera simplement le terme
d’article pour regrouper les trois types de textes sélectionnés. Une difficulté vient des restructurations successives des Comptes rendus. Depuis
2002, il existe sept sections : Comptes rendus mathématique, Comptes
20
Regards d’experts
Quelques aspects de la disparition du français dans la recherche scientifique
21
0,6
0,4
0,2
0
1980
2010
2020
0
2013
2014
2015
2016
2017
2018
100
1998
1995
200
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
400
1996
1997
500
1993
1994
600
2000
1991
800
700
1990
300
22
la scission a eu lieu en cours d’année, on a décalé les points un peu avant
et un peu après l’abscisse exacte de l’année en question pour plus de
lisibilité.
Les Comptes rendus biologies (en bleu foncé sur la figure) peuvent
être considérés comme la suite de la série III, sciences de la vie, publiée
de 1981 à 2001 ; on a donc gardé la même couleur. Cependant, on ne sait
pas trop si les Comptes rendus palevol (paléontologie et théorie de l’évolution, en orange sur la figure), publiés depuis 2002, sont issus de la série
III ou de la série II-a, probablement un peu des deux. On a donc rattaché
cette nouvelle branche aux deux autres plus anciennes.
La part du français est passée dans toutes les disciplines d’environ
100 % au début des années 1980 à moins de 10 % en 2018. La biologie
semble avoir été la première à bifurquer vers l’anglais. Ont suivi la chimie,
la physique et les géosciences. Les mathématiques et la paléontologie
ont connu un sort similaire, mais plus lent. On notera l’absence d’article
de physique en français en 2011 et 2012, de même qu’en géosciences de
2013 à 2016. Pourtant, en 2004, près de 80 % des articles de géosciences
étaient encore en français.
0,8
1992
Fig. 2
Documents dans le domaine
de la chimie en français,
indexés dans la base de
données « Web of Science
Core Collection », de 1990
à 2018.
1
1990
Fig. 1
Évolution de 1981 à 2018 de la
fraction d’articles en français
dans les différentes sections
des Comptes rendus de
l’Académie des sciences.
Mathématiques
Physique
Chimie
Géosciences
Biologie
Palevol
Mécanique
II
Le français en chimie
rendus mécanique, Comptes rendus physique, Comptes rendus chimie,
Comptes rendus géoscience, Comptes rendus palevol et Comptes rendus
biologies.
Entre 1981 et 2001, les mathématiques étaient publiées dans les
Comptes rendus de l’Académie des sciences, série I, Mathématique. On
a donc une série complète pour les mathématiques de 1981 à 2018. La
figure 1 montre ainsi en rose la fraction d’articles en français (les autres
articles étant tous en anglais).
Entre 1981 et 1995 ont été publiés les Comptes rendus de l’Académie des sciences, série II (en rouge sur la figure). En 1995, ils se scindent
en deux : d’une part la série II-a (Sciences de la terre et des planètes,
en bleu moyen sur la figure), d’autre part la série II-b (mécanique, physique, chimie, astronomie), pour laquelle on conserve la couleur rouge.
Cette dernière se scinde à son tour en 1998 avec la création d’une série
II-c, chimie (en bleu clair sur la figure), la série II-b ne conservant que
la mécanique, la physique et l’astronomie (toujours en rouge). En 2000,
nouvelle scission : la série II-b garde la mécanique (en violet sur la figure),
la physique et l’astronomie se retrouvent dans la série IV, qui deviendra
Comptes rendus physique (encore en rouge). Sur la figure, ces scissions
sont représentées par des branches qui émergent des courbes. Lorsque
Observons sur la figure 2 le nombre annuel de documents (principalement
des articles) en français, de 1990 à 2018, dans le domaine de la chimie,
recensés dans la base de données « Web of Science Core Collection ».
En 1990, 569 documents en français se trouvaient dans 50 revues
scientifiques, la plupart étrangères (5 seulement avaient un titre en français, 2 un titre bilingue français-anglais). Les trois principaux contributeurs
étaient Analusis, Journal de chimie physique et de physico-chimie biologique et Bulletin de la Société chimique de France. Ces trois revues ont
cessé de paraître entre 1998 et 2000 ou ont été remplacées par des revues
européennes. Ainsi, il ne restait plus en l’an 2000 que 264 documents en
français dans 19 revues, principalement dans Actualité chimique, Annales
de chimie — science des matériaux et Comptes rendus de l’Académie
des sciences, série II-c. La première de ces revues a cessé d’être indexée
par la base de données en 2013, probablement parce qu’il s’agissait plus
d’une revue de vulgarisation des résultats de la recherche que d’une
revue où sont publiés des résultats originaux. En 2018, il n’y avait donc
plus que 20 documents dans 3 revues : 17 articles dans Archéosciences, 2
dans Comptes rendus chimie, un dans une revue roumaine avec un titre
en anglais. On notera que la première de ces revues est une revue interdisciplinaire un peu éloignée du centre de gravité de la chimie.
Regards d’experts
Quelques aspects de la disparition du français dans la recherche scientifique
23
La base de données en question ne couvre certes pas toute la littérature chimique. Ni le Journal de la Société ouest-africaine de chimie ni
le Journal marocain de chimie hétérocyclique n’y sont indexés. On voit
néanmoins que dans une revue traditionnelle comme Comptes rendus
chimie, le français est tout proche de l’extinction.
Pour l’anecdote, ce sont principalement pour des articles originaux
publiés en français dans des revues étrangères (respectivement en 1971
et 1983) que les deux derniers lauréats français du prix Nobel de chimie,
Yves Chauvin et Jean-Pierre Sauvage, ont été récompensés en 2005 et
2016, le délai entre la publication et la récompense étant comme souvent
assez long.
IV
Quelques réactions
24
Tableau 3
Colloques sur le français
dans les sciences
date
lieu
Titre (année de publication des actes
et / ou site www)
06/06/1980
Orsay
Le Français chassé des sciences (1981)
01-03/11/1981
Montréal
L’Avenir du français dans les publications
et les communications scientifiques et
techniques (1983, ↘ http://www.cslf.gouv.
qc.ca/bibliotheque-virtuelle)
02-03/06/1987
Paris
voir ci-dessous
03-04/03/1989
Dakar
Francophonie scientifique :
Le tournant (1989)
09-10/01/1990
Paris
Quelles langues pour la science ? (1990)
19-21/03/1996
Québec
Le Français et les langues scientifiques
de demain (1996, ↘ http://www.cslf.gouv.
qc.ca/bibliotheque-virtuelle)
04-06/11/2007
Dakar
La diversité linguistique dans les sciences
et les techniques (↘ http://www.biennalelf.org/b22/)
14/11/2012
Paris
Communication et mondialisation. Les
limites du tout-anglais (↘ http://www.iscc.
cnrs.fr/spip.php?article1639)
Session : La communication scientifique
à l’épreuve du multilinguisme
15/11/2019
Paris
Sciences en français !
Tableau 3 → Un certain nombre de colloques ont été organisés sur le
sujet.
L’Académie des sciences a par ailleurs produit deux rapports sur
le sujet (Académie des sciences, 1982, 1998). Quelques académiciens
ont écrit des articles pour encourager les publications en français (Paul
Germain, 1986, 1990, 2000 ; Laurent Lafforgue, 2005). En 2005, plusieurs
scientifiques, parmi lesquels deux lauréats du prix Nobel, le biologiste
François Jacob et le physicien Claude Cohen-Tannoudji, ont écrit une
tribune dans Le Figaro (Jacob et coll., 2005). En 2019, l’Académie songe à
arrêter la publication de Comptes rendus biologies, ce qui pose la question de la survie du français dans la recherche en biologie.
La place du français et de l’anglais dans la recherche a été évoquée
dans différents textes pour la chimie (Donnet, 1995 ; Deslongchamps,
1996), l’écologie (Péroncel-Hugoz, 1992), l’économie (Krabal, 2019), la gestion (Chanlat, 2013, 2014), l’hydrologie (Mahé, 2008), les mathématiques
(Djament, 2013) et la médecine (Hauteville, 2016). En dehors de la France,
quelques textes évoquent la situation en Suisse (Gajo, 2018) ou au Québec
(Demers, 2015). On notera également les analyses du sociologue Yves
Gingras (1989, 2002, 2008) et l’enquête du démographe François Héran
(2013).
En 1991, le Conseil supérieur de la langue française du Québec a
publié un rapport sur « La situation du français dans l’activité scientifique
et technique » (disponible sur ↘ http://www.cslf.gouv.qc.ca/bibliotheque-virtuelle). En 2011, il en a aussi été question lors du cinquantième
anniversaire de l’Agence universitaire de la francophonie à Montréal
(Peiron, 2011). En 2014, ce fut au tour de l’Organisation internationale
de la francophonie de consacrer le dernier chapitre de son rapport
sur La langue française dans le monde au français dans les sciences
(↘ http://observatoire.francophonie.org/wp-content/uploads/2016/03/
LaScienceenFrancais.pdf). Certaines statistiques présentées dans ce
chapitre sont assez éloignées de la réalité. Ainsi, le chapitre n’indique que
10 articles de mathématiques en français pour l’année 2012 dans la base
de données « Web of Science » alors qu’il s’en trouve 157. Il est probable
que l’auteur n’a pas attendu assez longtemps avant d’interroger la base
de données, car il y a un délai de quelques mois entre la publication des
articles et leur indexation.
En 2013, la loi Fioraso a suscité de nombreuses réactions. Cette
loi autorise les cours universitaires en anglais dans certains cas, ce qui
en pratique a conduit à l’interdiction d’enseigner en français dans des
centaines de masters à travers la France (voir le site ↘ http://taughtie.
campusfrance.org/). La question linguistique dans l’enseignement est liée
à celle dans la recherche : certains enseignants, par exemple en physique
à l’École normale supérieure, justifient le choix de l’anglais comme langue
d’enseignement, notamment en master 2, non pas par la possibilité d’attirer des étudiants non francophones, mais plutôt par la préparation des
francophones à une recherche qui se fait quasi-exclusivement en anglais
(Yvan Castin, communication personnelle).
Regards d’experts
Quelques aspects de la disparition du français dans la recherche scientifique
25
Conclusion
Bibliographie
Au vu des statistiques présentées ci-dessus sur la disparition des titres
de revues et des articles en français, on peut s’étonner que ceci continue de nos jours dans une relative indifférence. Alors que des sommes
considérables sont consacrées à la préservation de la biodiversité ou
à « l’urgence climatique », la diversité culturelle et une certaine forme
d’indépendance dans la recherche scientifique semblent oubliées.
Les progrès récents de la traduction automatique rendent pourtant
de moins en moins crédibles les arguments en faveur du « tout anglais »
dans la recherche. De nombreux articles publiés en HTML peuvent d’ores
et déjà être traduits automatiquement par le lecteur avec une assez
bonne qualité vers sa propre langue ou sinon du français vers l’anglais,
car c’est l’une des combinaisons de langues pour laquelle la traduction
automatique fonctionne le mieux. Pour les articles qui comportent des
formules mathématiques, la mise en page est souvent respectée ; c’est le
cas notamment pour les articles publiés par l’éditeur Elsevier. Certains
éditeurs, comme Taylor & Francis, proposent une barre de traduction
automatique (celle de Google Traduction) pour les résumés de tous les
articles. L’auteur peut aussi traduire lui-même son article publié en
français vers l’anglais en s’aidant de la traduction automatique dans un
premier temps pour accélérer le travail, puis déposer la traduction sur un
site d’archives ouvertes tel que HAL.
Il y a par ailleurs des tentatives récentes pour mieux recenser les
articles en français (Maggi, 2017 ; ↘ http://science-francophonie.over-blog.
com/), comme c’est déjà le cas en médecine avec le site www.lissa.fr.
Le fait de publier en français n’empêche pas de recevoir des prix
internationaux. C’est particulièrement évident en mathématiques. C’est
un article en français publié en 2010 qui a valu à Ngô Bao Châu de recevoir la médaille Fields cette année-là. De même, c’est un article en
français publié en 2018 qui a valu à Vincent Lafforgue de recevoir le prix
« Breakthrough », un prix doté de trois millions de dollars américains. On
a vu précédemment que publier en français n’empêchait pas de recevoir,
encore de nos jours, le prix Nobel de chimie.
En janvier 2019 a été lancée l’Initiative d’Helsinki sur le multilinguisme
dans la communication savante. Ainsi, on peut espérer que le vieux débat
sur la place des langues dans les sciences retrouve une certaine actualité,
conduise à des changements d’habitude et permette la survie du français
dans la recherche scientifique, y compris dans les sciences dites dures.
26
Regards d’experts
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Quelques aspects de la disparition du français dans la recherche scientifique
27
« La mise en œuvre
du FOU est une
démarche complexe,
au sens propre
du terme, qui touche
à la fois à la
dimension institutionnelle, technique
et pédagogique
de l’université. »
28
Regards d’experts
Le Français sur Objectif Universitaire :
des dispositifs à la mise en œuvre didactique
Jean-Marc Mangiante
Laboratoire Grammatica
Université d’Artois, France
Chantal Parpette
Laboratoire ICAR
Université de Lyon, France
Introduction
Dans la problématique du Français sur objectif spécifique, les programmes de Français sur objectif universitaire (FOU), destinés aux
étudiants allophones en mobilité dans les établissements d’enseignement supérieur français, figurent en bonne place. Ils concernent en effet
plusieurs dizaines de milliers d’étudiants, même si nombre d’entre eux
ne suivent pas — ou ne relèvent pas — de formation linguistique. Tout
programme de FOS combine étroitement dimension institutionnelle et
dimension didactique, la première créant les conditions de réalisation
de la seconde. Nous verrons donc dans une première partie comment
intégrer un dispositif de formation FOU au sein d’une institution universitaire. Dans un second temps, nous décrirons quelques principes sur
lesquels nous fondons la création des ressources pédagogiques en FOU,
en prenant appui, pour les illustrer, sur des exemples concrets.
29
I
Le FOU un dispositif de formation
1.1. Une ingénierie de la formation linguistique
La mise en place d’un dispositif complet de FOU relève d’une synergie
entre ressources humaines, techniques et organisationnelles, et consiste
à intégrer les programmes de FOU au sein des maquettes de formation
académique.
C’est à cette condition que les besoins des étudiants pourront être
dégagés efficacement et qu’un véritable référentiel de compétences
langagières appliquées au travail universitaire, à l’écrit comme à l’oral,
spécifiques aux différentes disciplines et transversales à ces dernières
au niveau des situations de la vie étudiante, défini en concertation avec
toutes les équipes enseignantes concernées et, ainsi partagé par tous,
pourra être établi, à partir du recueil et de l’analyse des différents discours universitaires.
Les applications didactiques et les ressources pédagogiques seront
plus facilement et logiquement constituées à partir de ce dispositif
cohérent relevant d’une forme d’ingénierie de formation linguistique
spécifique.
Le dispositif FOU consiste d’abord à établir la place du FOU dans
les cursus de formation universitaire et à dégager les conditions d’une
coordination efficace des enseignements : cours de FOU de sensibilisation aux études universitaires avant l’arrivée des étudiants, formation
intensive à l’arrivée, cours intégrés tout au long du cursus... La synergie
nécessaire à la mise en place du dispositif se manifeste par la collaboration entre les enseignants de langue et ceux des différentes disciplines,
par la collaboration des différents services de l’université comme le
service audio-visuel et TICE qui peut assurer la partie technique du
recueil de données universitaires : captation des cours magistraux, montage des enregistrements, numérisation des données, scénarisation des
ressources pédagogiques produites, mise en place d’une banque de données… La mise en œuvre, enfin, nécessite la formation des formateurs
et l’évaluation des enseignements qui peut prendre la forme de crédits
ECTS en FOU. La mutualisation des ressources humaines, matérielles
et pédagogiques et la constitution de réseaux de formateurs s’avèrent
nécessaires à cette mise en œuvre opérationnelle.
La démarche FOU ne relève pas seulement d’une ingénierie de formation
linguistique nécessitant le concours de toute l’institution universitaire.
Les conditions de sa mise en place et le suivi des différentes étapes de
Pour toutes ces situations, la collaboration des différents services universitaires et des collègues des disciplines s’avère nécessaire : des tâches
langagières en situation réelle dans les secrétariats des UFR, à l’infirmerie, au restaurant universitaire… par exemple pourront être effectuées
par les étudiants avec leur enseignant de langue ; la participation à des
cours magistraux et à des rencontres avec d’autres étudiants et des
enseignants des disciplines peuvent aussi compléter ces séquences. Les
cours de FOU intègreront également des extraits authentiques de cours
et des activités de productions à partir du recueil d’énoncés et de corrigés. L’ingénierie didactique ainsi appliquée au FOU revêt l’objectif d’une
tripe intégration des étudiants : sociale, culturelle et linguistique au sein
de l’université.
Regards d’experts
Le Français sur Objectif Universitaire : des dispositifs à la mise en œuvre didactique
1.2. De l’ingénierie de formation à l’ingénierie didactique
30
la conception des contenus de cours, relèvent aussi d’une ingénierie
didactique comparable à la notion définie par Brousseau (1998) qui place
la théorie des situations au cœur d’une démarche d’ingénierie visant
à construire des séquences didactiques cohérentes pour des publics
d’apprenants ciblés. Les situations d’apprentissage sont issues des travaux de recherche sur le terrain de didacticiens qui les reproduisent dans
les séquences pédagogiques afin de placer les apprenants en position de
recherche, de questionnement, de résolution de problèmes, de consultation de ressources documentaires… En FOU, et c’est en cela que le
dispositif global, la synergie et la mutualisation des ressources prennent
tout leur sens, une recherche sur le terrain universitaire des enseignants
de langue-concepteurs permet de dégager les situations universitaires
inhérentes à la vie étudiante qui permettront de construire les séquences
pédagogiques. Les étudiants seront conduits à réagir et à fonctionner dans les mêmes situations reproduites dans le cours de FOU. Trois
catégories de situations sont ainsi dégagées de l’analyse des besoins des
étudiants :
— les situations transversales qui concernent tous les étudiants,
quelles que soient leurs spécialités, relatives à la vie étudiante
comme la recherche du logement avec les formalités administratives
(caution, loyer, contrat, assurance…), les inscriptions dans les différents secrétariats des UFR, la vie sociale, culturelle et sportive, les
relations avec le CROUS pour la restauration, la médecine scolaire… ;
— les situations spécifiques liées à la compréhension des cours, orale
principalement — avec les cours magistraux et les travaux dirigés, la
prise de notes et le travail d’analyse et d’apprentissage du cours à
partir des notes —, mais aussi écrite avec les lectures d’articles ou
d’ouvrages conseillés par les enseignants ;
— les situations liées à l’évaluation des étudiants et à la production
écrite et orale nécessitant la compréhension et la mise en œuvre
des consignes méthodologiques propres à chaque domaine disciplinaire.
31
1.3. Une ingénierie pédagogique : conception de ressources
et mise en place de formations adaptées.
La conception de ressources adaptées aux besoins spécifiques des différents publics d’étudiants relève d’une véritable ingénierie pédagogique
qui s’appuie sur une collecte des données universitaires mises en évidence par l’analyse des situations auxquelles sont confrontés tous les
étudiants. Cette collecte réunit des enregistrements audio ou vidéo
de cours, d’entretiens à caractère administratif, de questionnements
d’enseignants ou d’étudiants. Dans certains cas les entretiens seront
reconstitués ou provoqués.
De même, dans cette perspective, le recours à des corpus académiques écrits (recueil de textes scientifiques, d’extraits de productions
universitaires, mémoires, thèses…) s’avère très utile.
L’exploitation de ces corpus académiques à des fins didactiques a
fait l’objet de plusieurs études relevant de l’analyse des discours universitaires et de leur exploitation pédagogique, sous forme d’applications
de la linguistique de corpus par des spécialistes et leur réception par les
utilisateurs (Cavalla et Hartwell, 2018), ou sous forme d’analyse des énoncés récurrents produits par les experts et les étudiants dans leurs écrits
académiques (Tutin, Rui et Tran, 2018).
Les corpus universitaires ont conduit également à l’élaboration de
manuels de FOU destinés aux étudiants au sein de la série Réussir ses
études de … en français (PUG). Ainsi l’ouvrage de C. Carras, O. Gewirtz
et J. Tolas est consacré aux études de sciences de l’ingénieur (2014),
celui de C. Parpette et J. Stauber aux études d’économie-gestion (2014),
celui de J.-M. Mangiante et F. Raviez aux études littéraires (2015) et celui
de C. Bertrand Gally, C. Bortot et C. Perque (2017) aux études en écoles
de management. Ces manuels réunissent des activités pédagogiques en
FOU à partir de ressources collectées dans les établissements d’enseignement supérieur (extraits de cours, d’articles, d’énoncés et corrigés
d’examens…). La méthodologie du travail universitaire y est présentée,
décrite et mise en application dans les activités proposées.
Le travail de conception de ces ouvrages a nécessité la coopération
des instances universitaires et la collaboration des enseignants des disciplines concernées. La conception de programmes de FOU relève bien
d’une synergie des services académiques et s’intègre à une véritable
ingénierie pédagogique.
Le FOU ne se limite pas à la situation d’intégration des étudiants
internationaux dans les universités françaises, mais concerne aussi la
réussite des étudiants dont tout ou partie des études se déroulent en
français dans leur pays d’origine (Maghreb, Liban…). Des ouvrages contextualisés relevant d’une démarche comparable à celle suivie par ceux de la
collection FOU des PUG ont ainsi été réalisés au Maroc sous la direction
de M. Bahmad, M. Benameur de l’université Ibn Tofail de Kénitra et de
32
Regards d’experts
N. El Bekraoui de l’université de Mohammedia. Il s’agit de Cap Université
pour l’économie, le droit et autres disciplines.
Enfin les données écrites intégrées à cette ingénierie s’étendent
également aux maquettes de formations, plans, énoncés d’examens,
articles scientifiques, corrigés d’examens… et sont traitées, classées et
analysées sur les plans discursif et linguistique en vue de leur exploitation
et de la construction de ressources qui pourront figurer dans une base
de données. Dans l’exemple qui suit, les données recueillies à l’université
d’Artois dans le cadre de travaux de recherche sur les discours universitaires menés au sein du laboratoire Grammatica, sont numérisées et
scénarisées afin d’être utilisées en cours de FOU.
1.4. La spécificité des ressources en FOU
La conception des ressources en FOU doit intégrer leur spécificité et
lever certaines ambiguïtés qui perdurent sur les contenus de formation.
Les cours de FOU sont souvent associés, par exemple, à des cours de
terminologie dans les programmes de Licence ou Master de français
dans les départements de français des universités. Mais la confusion la
plus fréquente consiste à considérer le cours de FOU comme un cours
de méthodologie universitaire permettant aux étudiants d’acquérir des techniques pour faciliter la prise de notes, pour maîtriser le
plan et la logique de la dissertation, du commentaire composé, de la
synthèse de documents… Outre le fait que ces formations pourraient
être assurées dans la langue maternelle des étudiants, l’intime relation
qui unit la langue, les discours écrits et oraux des enseignants et les
consignes méthodologiques, de même que la dimension culturelle que
la méthodologie universitaire et sa relation avec l’agencement des idées
présentées et défendues, ne sont pas mises en évidence par de tels
cours. La méthodologie est imbriquée dans les mécanismes discursifs
et linguistiques à l’œuvre dans les cours universitaires et ne saurait être
extraite de façon autonome pour constituer le contenu d’une formation. C’est au sein d’activités pédagogiques de compréhension orale
et écrite ciblant des données authentiques collectées dans les cours
et d’entraînement à la production que la méthodologie pourra être
acquise efficacement.
Dans l’extrait suivant, présenté dans l’ouvrage sur le FOU de 2011
(p. 114), les énoncés oralographiques du cours de sciences (biochimie ici)
sont exploités à la fois sur les plans linguistique (compréhension orale
de la langue utilisée dans l’extrait de cours) et méthodologique : comment prendre des notes opérationnelles quand l’enseignant parle sur
son diaporama ? Faut-il noter le texte des diapositives ou la parole de
l’enseignant ? Cet exercice montre le lien entre méthodologie et langue,
car la compréhension linguistique peut déterminer l’acte méthodologique ciblé de la prise de notes :
Le Français sur Objectif Universitaire : des dispositifs à la mise en œuvre didactique
33
Extrait de la parole de l’enseignant :
(…) Je vais reprendre / le cours là où on était arrêté la dernière
fois / c’est-à-dire on avait commencé / à étudier /// la classification des acides aminés / et la première classification que je vous
avais présentée c’était en fonction de la nature du groupement
latéral // alors je vous rappelle / que tous les acides aminés ou on
verra ou presque // ont la même formule générale / qui est /// celleci / avec d’un côté / un groupement carboxylique de l’autre côté un
groupement amine et une chaîne latérale qui change évidemment
et on a vu dans la classification que nous avons adoptée pour la
présentation avec nos collègues pour la commencer par présenter
les acides aminés aliphatiques / c’est-à-dire des chaînes linéaires
ou branchées / par opposition évidemment à ce qu’on verra un peu
plus tard à des acides aminés cycliques / et on a commencé à présenter les acides aminés neutres / en voyant donc d’abord / ceux
qui n’ont pas d’autres fonctions / rappelez-vous il y en a cinq / ceux
qui ont une fonction alcool hydroxyle y en a deux / ceux qui ont du
soufre y en a deux et je crois qu’avec vous on n’a pas eu le temps
la dernière fois de voir les acides aminés acides et qu’on va étudier
aujourd’hui / (…)
Tableau 1 → La colonne de gauche comporte les diapositives utilisées
par l’enseignant ; dans la colonne centrale, les étudiants notent les commentaires de l’enseignant sur la diapo ; et dans la dernière, ils établissent
la relation entre les deux énoncés. L’extrait suivant est issu d’une activité
portant sur la production écrite de la dissertation dans les études littéraires (Mangiante et Raviez, 2015). Il s’agit pour les étudiants issus de filières
littéraires, de dégager d’un corrigé de dissertation les éléments méthodologiques et linguistiques, à l’aide d’un tableau afin de préparer leur future
production écrite.
Tableau 1
Extrait de l’activité
proposée aux étudiants,
complétion du tableau.
Données écrites sur
la diapositive
Informations du professeur
Relations entre les deux
données
Sources annexes,
références
Progression issue de
l’énoncé de la dissertation
Classification des acides
aminés
1) Aliphatiques
2) Cycliques
a) Neutres
b) Acides
(-COOH supplémentaire)
Tableau 2
Extrait du tableau
Notions issues du cours
Extrait du corrigé :
« …Tout d’abord la rétrospection du bonheur passe par la question
existentialiste du futur, par le passé qui est synonyme de bonheur et
par le fait que le passé est embelli. En effet la rétrospection découle
de notre interrogation sur le futur. Cette question est essentielle
à notre vie et à notre projection dans l’avenir. Comment imaginer
notre vie future ? Que vais-je faire plus tard ? Comment serai-je
ensuite ? Ces questions ont intéressé Rousseau et Chateaubriand et
c’est pourquoi ils se sont attelés à une rétrospection de leur vie. Par
exemple Chateaubriand dans les Mémoires d’Outre-tombe relate
les faits historiques qui l’ont marqué pour expliquer la situation par
exemple historique dans laquelle il se trouve et il anticipe le futur en
prédisant notre situation politique actuelle. Le passé est également
synonyme de bonheur. En effet, nous avons tous de bons souvenirs.
34
Regards d’experts
Le Français sur Objectif Universitaire : des dispositifs à la mise en œuvre didactique
35
Tableau 2 → Ici la 3e colonne reprend les consignes méthodologiques
données par l’enseignant précédemment et qui ont fait l’objet d’une
première activité de compréhension dans une séance précédente. La
progression issue de l’énoncé de la dissertation est mise en perspective avec les données linguistiques relatives aux connaissances issues du
cours et des différentes sources et références que le corrigé convoque,
et qui constituent également une partie du travail de rédaction des
étudiants. Dans un même ordre d’idées, le FOU n’est pas une reproduction, plus lente ou de niveau plus faible, du cours de la discipline
en français. C’est pourquoi l’intervention de collègues enseignants des
disciplines au sein du cours de FOU doit être préparée soigneusement
avec l’enseignant de langue pour lui conférer des objectifs linguistiques
et méthodologiques. Cette intervention est souhaitable et souvent prévue dans les formations FOU mises en place. C’est le cas à l’université
d’Artois ou à l’International Academy à Lille qui organisent des modules
de FOU en juillet et août pour les étudiants étrangers qui vont intégrer
les établissements supérieurs de l’académie de Lille. Enfin, le FOU ne
saurait se réduire à un cours de grammaire ou de remédiation linguistique comme c’est souvent le cas dans les dispositifs mis en place dans
certaines universités de pays francophones notamment dans les cours
de « langue et communication » assurés en 1re année et où des enseignants, souvent détachés de l’enseignement secondaire (cas du Maroc)
vont appliquer une méthodologie comparable à celle utilisée dans leurs
cours du secondaire pour enseigner la langue aux étudiants. En FOU,
le matériel pédagogique vise au rapprochement avec les situations
langagières réelles, d’où l’appui sur des supports tirés des situations
universitaires telles que les enregistrements de cours, les témoignages
de divers acteurs, les écrits administratifs et pédagogiques, les travaux
d’étudiants, etc.
II
Le FOU : quelques principes
de programmation
36
2.1. Autonomie des discours traités en FOU
Le principe d’autonomie est important dans la mesure où un programme
de langue ne représente que des moments, des parcelles de situations et
d’activités langagières par rapport à l’ensemble de ce qui se passe dans
un cursus en situation réelle. Ceci est particulièrement vrai pour l’écoute
des cours magistraux. Un document sonore dans un matériel pédagogique
dépasse rarement une dizaine de minutes. Or une séance de cours magistral s’étend au minimum sur une heure, voire deux ou trois, et chaque
séance est reliée aux précédentes. Le matériel pédagogique en FOU ne
peut donc travailler que sur des extraits de discours oraux. La sélection de
ces extraits exige une attention particulière, les moments choisis devant
être compréhensibles seuls, sans que l’absence des parties précédentes
crée un manque et porte atteinte à la signification de l’extrait traité. C’est
la raison pour laquelle il est souvent préférable de sélectionner les extraits
de cours magistraux en début de processus, c’est-à-dire selon les cas, en
début de cursus (première année de licence), en début de semestre (première séance du cours), en début de séance ou d’un nouveau chapitre.
C’est ce qui apparaît à travers l’extrait suivant du cours Grands auteurs en
gestion (ch. 2, p.45).
On va travailler sur un auteur, un auteur canadien, c’est le grand 8,
un auteur canadien qui s’appelle Henri Mintzberg. […]
Donc la démarche c’est grand A : le personnage ; grand B : les
apports ; grand C : analyse critique. Donc « y a rien qui change ».
On commence par le grand A : qui est Henry Mintzberg ? Henry
Mintzberg c’est donc un Canadien, de Montréal, anglophone, il est
né en 1939, il a fait des études d’ingénieur, d’ingénieur en mécanique — personne n’est parfait, en fait, je veux dire personne n’a fait
nécessairement des études d’économie et de gestion — et après ses
études en mécanique, il est parti travailler pendant, trois-quatre
ans, je sais plus exactement, il est parti travailler dans les chemins
de fer canadiens, où il faisait de la modélisation de flux ferroviaires.
Donc, bon OK, et après cette expérience de travail, Mintzberg a fait
le choix de retourner aux études et …..
Nous allons maintenant décrire quelques principes servant de boîte à
outils pour l’élaboration de séquences pédagogiques FOU, séquences
constituées à partir des données collectées dans le contexte universitaire. Cette description s’appuie sur des exemples concrets tirés de
Réussir ses études d’économie-gestion en français (Parpette & Stauber,
2014), matériel pédagogique destiné aux étudiants allophones de sciences
économiques et gestion intégrés dans un cursus français. Toutes les citations présentes dans la suite de ces pages renvoient à cet ouvrage.
On n’est pas ici en début de cours — il s’agit de la partie 8 — mais d’une
nouvelle partie qui peut être comprise indépendamment des précédentes. En effet, ce cours semestriel consiste pour l’enseignant à passer
en revue les travaux de différents chercheurs en gestion, pris l’un après
l’autre. Chaque partie — présentant un chercheur et ses travaux — est
construite sur le même modèle que la précédente. Y a rien qui change,
précise l’enseignant en début d’intervention, illustrant ainsi la forme
récurrente dans laquelle s’inscrit chacune des parties successives. Les
différentes parties sont cumulées et n’entretiennent aucune relation de
cohérence qui supposerait d’avoir entendu la ou les parties précédentes
Regards d’experts
Le Français sur Objectif Universitaire : des dispositifs à la mise en œuvre didactique
37
pour comprendre l’extrait traité. Ce principe d’autonomie est essentiel
pour la faisabilité des activités de compréhension.
La même règle prévaut pour les écrits, mais à des degrés divers en
fonction des discours. La même contrainte s’impose pour les polycopiés de cours quand ils existent. En revanche, lorsqu’il s’agit d’articles
de presse — lectures recommandées par les enseignants — il est plus
aisé d’isoler un article. L’intertextualité est évidemment présente dans
la presse écrite, mais elle ne revêt pas le caractère de continuité et de
cohérence qui peut relier les parties d’un cours magistral d’un moment
ou d’une séance à l’autre.
2.2. Création d’ensembles cohérents de ressources
L’approche quantitativement partielle d’un programme FOU que nous
venons d’évoquer peut être compensée par un traitement en réseau des
données collectées. La première procédure de cette mise en relation
réside dans la combinaison entre les données existantes, ou données
directes, et les données sollicitées, ou données indirectes. Rappelons
que les données directes sont celles qui existent sur le terrain (cours,
textes, documents administratifs, etc.) et que le concepteur collecte telles
qu’elles se présentent. Les données indirectes sont des données sollicitées
auprès des acteurs du terrain et qui n’existeraient pas si le concepteur de
FOU n’était pas là pour les provoquer. Ce sont pour l’essentiel des explications fournies lors d’interviews auprès d’enseignants, ou d’étudiants. Elles
permettent de mettre en contexte les données existantes, nécessairement limitées et partielles, intégrées dans le manuel. Ainsi, un extrait de
cours magistral de macro-économie (transcription 1 ci-dessous) peut être
contextualisé, éclairé, par la présentation d’ensemble de l’enseignement
de macro-économie (transcription 2) :
Transcription 1 — Extrait de cours sur le modèle de Solow
Donc il y a trois hypothèses dans le modèle de Solow
Première hypothèse : on part d’une fonction de production, on
part d’une fonction de production avec en principe — vous soulignez
en principe parce que ça c’est la première version du modèle de
Solow en 1956, après vous allez voir que Solow lui-même, il se rend
compte des problèmes de son modèle et il va changer les hypothèses — mais en principe avec deux facteurs de production. Une
fonction de production avec en principe seulement deux facteurs
de production : capital et travail, chut... capital et travail qui sont
parfaitement substituables.
38
comprendre la définition de ces agrégats. Et aussi, comment ils sont
construits d’un point de vue statistique. Parce que les statistiques
sont un peu la base de l’analyse macro-économique. Si on n’a pas
de bonnes statistiques, en fait, on ne peut rien dire sur ce qui se
passe. (…) Et donc, quelle réalité elles recouvrent, pour que quand
on parle par exemple du PIB ou du chômage, les étudiants sachent
comment on a construit ces indicateurs (…).
Donc, ça c’est le premier temps du cours. Le deuxième, enfin les
temps suivants, sont des introductions aux grandes théories macroéconomiques. Donc comment est-ce que des macro-économistes ont
réfléchi aux questions comme la consommation, l’investissement (…).
Les possibilités de mise en réseau des ressources sont multiples, à la
fois par les types de documents qu’elles concernent et par les fonctions
qu’elles remplissent. Citons quelques exemples :
Dans le chapitre Comprendre des cours magistraux (ch. 2 de l’ouvrage
Réussir ses études d’économie-gestion en français cité plus haut), figure
un extrait vidéo de cours d’une dizaine de minutes concernant l’OMC
(Organisation Mondiale du Commerce). Le passage choisi, qui traite des
quatre règles fondamentales du fonctionnement de l’OMC, appartient à
la seconde partie du cours consacré à ce thème. Selon le degré de maîtrise du sujet par les apprenants, la réception de cet extrait de cours peut
être plus ou moins facilitée ou problématique. Il lui a donc été adjoint un
écrit intitulé Du GATT à l’OMC (p. 70-72) qui peut servir d’introducteur, et
la fiche pédagogique de la vidéo commence par cet avertissement « Pour
mieux suivre cet extrait de cours, il est conseillé de lire d’abord le texte
Du GATT à l’OMC ». La mise en relation des documents permet ici, d’une
part, de compenser la difficulté qui peut naître de l’extraction de données
hors de leur contexte initial, et, d’autre part, de s’adapter à des apprenants aux profils différents. D’autres éléments peuvent renforcer cette
combinaison, comme le sujet d’examen donné en fin de semestre, et des
exemples de copies corrigées par l’enseignant. C’est ce que nous allons
voir dans la partie suivante.
2.3. Modélisation
Transcription 2 — Interview d’un enseignant de macro-économie
Donc, c’est un cours qui s’attache à définir les grands agrégats
économiques sur lesquels les étudiants vont travailler en macroéconomie pendant toutes leurs études. Donc il s’agit de leur faire
Ce principe s’attache au traitement des compétences de production, orale
et écrite. Les étudiants sont amenés à produire des discours oraux durant
leur cursus d’économie-gestion, sous forme de présentation publique de
projets, ou plus simplement d’exposés en travaux dirigés, et des discours
écrits au moment des examens (restitution, dissertation, etc.). La capacité
à produire des discours passe par la découverte et la maîtrise des genres
textuels dont ils relèvent, c’est-à-dire par une connaissance claire de
leurs règles de construction. Cette acquisition des règles de construction
des discours se fait souvent par tâtonnements et reste intuitive chez les
étudiants dans la mesure où les enseignants des disciplines ne sont pas
Regards d’experts
Le Français sur Objectif Universitaire : des dispositifs à la mise en œuvre didactique
39
tous en mesure d’expliciter les règles de construction des discours qu’ils
leur demandent de produire. Il s’agit donc pour nous de proposer aux
apprenants une stratégie de formation à la production de discours, à
travers des activités de prise de conscience, puis de reproduction, des
modèles discursifs à l’œuvre dans les productions demandées par les
enseignants. Les chapitres de l’ouvrage consacrés respectivement aux
compétences d’expression écrite et d’expression orale ont été mis en
œuvre sur ce principe. Le premier s’attache à la rédaction d’un examen
qui est une restitution de données, validant le cours de macro-économie.
Les étudiants doivent répondre en une vingtaine de lignes à la question
suivante :
Peut-on affirmer qu’une augmentation du taux de croissance du
PIB dans une économie entraîne systématiquement une diminution du taux de chômage ? (Vous devrez naturellement justifier votre
réponse). (Parpette et Stauber p. 93)
Pour mettre en place la démarche de modélisation, nous avons interrogé
l’enseignante responsable du cours, et mis en place trois étapes de travail
(op. cit. p. 93-105) :
1. Les apprenants écoutent un enregistrement de l’enseignante
qui, à partir du corrigé-type de cette question d’examen, explique la
méthodologie de rédaction attendue. Ils répondent à des questions
de compréhension de son discours.
2. Ils lisent ensuite le commentaire, point par point, d’une copie
d’étudiant réalisé à partir des données vues en 1.
3. À partir du modèle de restitution mis à jour par les deux étapes
précédentes, ils doivent à leur tour évaluer deux autres copies
d’examen, de niveau de réussite différent.
Le chapitre consacré aux prestations orales procède également par la
mise à jour de règles de fonctionnement de ce genre discursif. À partir
de l’exposé vidéo d’un étudiant, diverses activités d’observation et d’analyse sont proposées aux apprenants, destinés à mettre en évidence les
manières d’introduire son sujet, de sélectionner les données par rapport
à la problématique, de conclure, de rédiger le diaporama, de combiner données du diaporama et discours oral, d’intégrer le public dans
son discours. Une partie est également consacrée au langage corporel :
occupation de l’espace, regard, voix. Une fois le modèle ainsi établi, les
apprenants sont amenés à préparer leur propre exposé en suivant un
protocole, étape par étape, de manière à garder clairement à l’esprit les
règles établies.
Le dernier principe méthodologique structurant l’élaboration des
séquences pédagogiques en FOU consiste à combiner les informations
Descriptif écrit (présent sur le livret de l’étudiant)
Objectifs : Ce cours introduit les principales théories macroéconomiques contemporaines expliquant les fluctuations des
variables macro-économiques. Le point de départ est la chute
du consensus keynésien à partir de la fin des années 1960. Une
attention particulière est accordée aux principales théories macroéconomiques qui s’intéressent aux fluctuations dites exogènes,
c’est-à-dire engendrées par des chocs extérieurs aux modèles économiques sous-jacents. Il s’agit de la nouvelle économie classique,
Regards d’experts
Le Français sur Objectif Universitaire : des dispositifs à la mise en œuvre didactique
2.4. Complémentarité entre données abstraites et données concrètes
40
globales données par l’institution avec des informations particulières
rendant compte de la manière dont les premières deviennent du vécu
concret pour les étudiants. Intégrer l’université suppose en effet une
connaissance de l’organisation universitaire. Les données relatives à cette
organisation sont aisément accessibles sur les sites des établissements,
des départements, des diplômes. Elles le sont également à travers le livret
de l’étudiant. Les programmes de FOU comportent souvent quelques
séquences consacrées à la compréhension écrite de ces documents
(pour ce qui nous concerne, la liste des licences proposées, la liste des
cours et options de Licence 1, le calendrier de l’année, par exemple).
Mais, parallèlement à cette information technique, ce qui compte pour
un étudiant est surtout de savoir comment investir cette organisation, comment choisir ses options, c’est essayer de mettre des réalités
d’apprentissage derrière les intitulés. C’est ce que peuvent contribuer
à montrer les témoignages d’étudiants interrogés sur leurs parcours, sur
les choix qu’ils ont opérés pour construire leur cursus. Ainsi, les témoignages apportés par deux étudiants d’économie (p. 34-36) visent-ils à
faire sentir aux apprenants les différents choix possibles en fonction des
goûts et projets de chacun. Les mêmes questions ont été posées aux deux
étudiants (Pourquoi avez-vous choisi les études d’économie ? Quelle spécialité avez-vous choisie en Licence 3 ? Quel Master visez-vous ? Quels
cours suivez-vous ? Lesquels préférez-vous ? Comment travaillez-vous ?),
et il est demandé aux apprenants de comparer leurs réponses, très sensiblement différentes, sur ces différents points. Les apprenants sont ainsi
confrontés aux comportements personnalisés des étudiants face à l’organisation du cursus et aux décisions qu’ils seront eux-mêmes amenés à
prendre.
Remarquons au passage que le nombre important de documents
vidéos dans le matériel évoqué ici, ainsi que dans l’ensemble des ouvrages
de la même collection, tient en grande partie à cette volonté de combiner
les données objectives et le vécu individuel. C’est ainsi que l’on trouve à
la fois le descriptif écrit et la présentation orale de certains cours (p. 44).
Loin d’être redondants, les discours se complètent largement. C’est ce
que montrent les descriptifs croisés, écrit et oral, d’un cours intitulé
Dynamique économique, analyse des fluctuations :
41
de la théorie des cycles réels, de la théorie du déséquilibre et de la
nouvelle économie keynésienne. Ces approches sont étudiées de
manière successive.
Plan de cours :
Introduction
Chapitre 1 : La Nouvelle Économie Classique (NEC)
Chapitre 2 : La Théorie des Cycles Réels (TCR)
Chapitre 3 : La théorie du déséquilibre
Chapitre 4 : La Nouvelle Économie Keynésienne (NEK)
Descriptif oral (réalisé par l’enseignant lors d’une interview)
Donc, c’est un cours qui s’étale sur 36 heures au cours du premier
semestre de la troisième année, qui introduit des courants théoriques — c’est un cours très très essentiellement théorique — et je
présente dans cet enseignement, donc les théories économiques
contemporaines qui visent à expliquer les fluctuations économiques, c’est-à-dire pourquoi l’investissement monte, diminue,
pourquoi la consommation diminue ou augmente, pourquoi le PIB,
le produit intérieur brut, augmente, diminue, à certains certains
points du temps. Le point de départ de l’enseignement, c’est ce que
l’on appelle en économie la remise en cause du consensus keynésien, c’est-à-dire qu’on est en fait à la fin des années 60, début
années 70, les économistes considèrent que l’approche keynésienne
a beaucoup de limites pour répondre aux problèmes économiques
auxquels les économies développées sont confrontées. Et à cette
période-là, c’est essentiellement l’inflation, donc la hausse des prix,
et puis dans les années 70, ça sera à la fois l’inflation et le chômage,
et on va considérer que l’approche keynésienne n’est pas capable
de répondre à ces problèmes-là, et donc de nouveaux courants
économiques vont se développer (…).
Qu’est-ce qu’on étudie traditionnellement dans ce type d’enseignement Dynamique économique, analyse des fluctuations ? On va
étudier, comme premier grand champ, la nouvelle économie classique. Là, on est au début des années 70, et au cœur du problème,
on a ce qu’on appelle en économie l’arbitrage inflation-chômage :
est-ce que si je fais un peu plus d’inflation, je vais réduire le chômage ? On va discuter de ces éléments-là (…)
Le passage de l’écrit à l’oral montre une sorte de répartition des fonctions entre un descriptif écrit abstrait, très synthétique, et un oral où
l’interaction entre deux locuteurs présents oriente le discours vers une
explication plus concrète, plus impliquée, des développements exemplifiés, des simulations d’interrogations, etc. La transcription n’est pas
présentée dans sa totalité ici, elle comporte d’autres considérations
impliquant les étudiants et des précisions sur ce qu’ils doivent maîtriser
42
Regards d’experts
pour comprendre ce cours. La combinaison des deux descriptions contribue à expliciter la signification d’un discours administratif assez complexe,
et difficile à investir par les étudiants allophones.
Conclusion
La mise en œuvre du FOU est une démarche complexe, au sens propre
du terme, qui touche à la fois à la dimension institutionnelle, technique et
pédagogique de l’université. Elle suppose d’explorer les situations universitaires pour en tirer des données qu’il faut ensuite analyser et largement
recomposer pour tenter de créer un espace et des supports d’apprentissage permettant aux étudiants allophones de préparer au mieux leur
contact avec le contexte universitaire. C’est toute une méthodologie
de conception de programme qu’il faut s’approprier pour atteindre cet
objectif.
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études d’économie-gestion
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de Grenoble.
Le Français sur Objectif Universitaire : des dispositifs à la mise en œuvre didactique
43
« L’élaboration de
dispositifs individualisés d’autoformation
par l’apprentissage
basé sur les corpus
pourrait soutenir
la circulation d’une
recherche francophone. »
44
Regards d’experts
Du FOU au FLA à l’Université française
ou de la pédagogie universitaire à l’écrit
scientifique spécialisé
Isabelle Cros
PERL, INALCO, Paris, France
Natalie Kübler
PERL, Université de Paris, France
Introduction
1. Le Pôle d’élaboration
de ressources linguistiques
(en FLE, anglais, espagnol
et allemand), dirigé par
N. Kübler, est un service
partagé de l’Université
de Paris qui conçoit sur
la plateforme d’apprentissage
Moodle, et expérimente
dans une démarche
de recherche-action,
des formations hybrides
en langues. Il vise aussi
à l’accompagnement
des enseignants de / en
langue désireux d’hybrider
leurs enseignements.
Tandis que le pluriel « les sciences » tend à renvoyer, dans son acception
moderne, aux différentes disciplines scientifiques (où prévalent les sciences
exactes), la science — de scientia, le savoir — englobe dans sa quête de
vérité l’ensemble des connaissances opposées à la doxa. L’université étant
un des lieux institutionnels privilégiés du savoir, comment faire du français
un atout pour la Science en formant les étudiants et (futurs) chercheurs,
ayant le français comme langue première ou non, à diffuser leurs travaux en
français ? Cet article vise à analyser les moyens institutionnels, politiques et
didactiques mis en œuvre afin de promouvoir une recherche en français,
susceptible de rayonner dans l’ensemble de la communauté scientifique
francophone. Les corpus en français Scientext, FLEURON ainsi que les formations hybrides du Pôle d’élaboration de ressources linguistiques (PERL) --> 1
illustreront cette évolution pédagogique, du français sur objectif universitaire (FOU) au français langue académique (FLA).
Si la stratégie d’internationalisation des universités françaises semble
de prime abord menacer, dans ses murs mêmes, le français comme
langue des sciences et techniques, par la création de parcours en partie
ou totalement en anglais, le développement du FOU pourrait contrebalancer ce phénomène, d’autant plus si le FOU, initialement axé sur la
méthodologie universitaire dans une perspective généraliste, s’adapte
aux besoins langagiers de chaque discipline, grâce à l’approche basée
sur les données disciplinaires. La linguistique de corpus facilite en effet
le développement de la compétence discursive et plus encore phraséologique (González-Rey, 2008), accompagnant de ce fait l’émergence
d’un nouvel objet d’enseignement-apprentissage : le français scientifique
(trans)disciplinaire.
45
I
Gouvernance : quelle place pour le français
dans l’enseignement supérieur ?
2. En témoignent entre
autres les tests standardisés
comme le test PISA, élaboré
par l’OCDE, ou les évaluations des laboratoires de
recherche par la HCERES.
3. Voir les différents
programmes concernant
l’enseignement supérieur
— mobilité, partenariat,
master conjoint, alliance
de la connaissance, etc.
Disponible en ligne sur
↘ http://www.agenceerasmus.fr/page/
erasmus-plus-enseignementsuperieur (consulté
le 15 juillet 2019).
4. Chiffres publiés en ligne
sur ↘ https://publication.
enseignementsuprecherche.gouv.fr/eesr/
FR/T194/les_etudiants_
etrangers_dans_
l_enseignement_superieur/
(consulté le 15 juillet 2019).
1.1. L’anglicisation des filières scientifiques comme stratégie
d’internationalisation
Depuis quelques décennies, sous l’effet de la mondialisation, une exigence institutionnelle d’internationalisation se fait jour à l’université
française (Chaplier et Joulia, 2019). Elle suit une politique de compétitivité
de l’enseignement supérieur, acteur d’un marché de l’éducation de plus
en plus concurrentiel, où l’efficience des systèmes éducatifs et / ou des
institutions est sans cesse à prouver --> 2.
Les programmes Erasmus+ (soutenus par la mise en place de
l’équivalence des crédits ECTS) et les accords interuniversitaires extraeuropéens sont les instruments privilégiés de cette mobilité exponentielle
des (futurs) chercheurs --> 3. Les 323 900 étudiants étrangers en France
représentaient ainsi en 2016 un étudiant sur huit à l’université, dont 41 %
en doctorat (chiffres du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la
recherche et de l’innovation --> 4). À ceux-là s’ajoutent les mobilités d’enseignants-chercheurs. Ces (futurs) chercheurs constituent donc des relais
potentiels sans pareil pour la circulation de la recherche certes française,
mais surtout en français. Or, pour être plus attractives, en master conjoint
ou non, les universités françaises proposent de plus en plus de cours en
anglais, ce qui a contribué à l’émergence du secteur LANSAD (LANgues
pour Spécialistes d’Autres Disciplines) (Poteaux, 2015), jusqu’à mettre en
place des parcours entièrement en anglais, arguant de l’impact positif
pour l’employabilité dans un monde du travail aux frontières élargies. La
pression exercée par les classements institutionnels des laboratoires de
recherche participe de cette dynamique, les chercheurs étant enjoints
à diffuser leurs recherches en anglais au motif d’accroître leur visibilité
internationale. Ces stratégies d’anglicisation s’inscrivent donc non dans
une démarche épistémologique, mais bien plutôt de concurrence, au
détriment de la science elle-même.
1.2. Pour une diversité linguistique dans la recherche
Nul besoin de se placer sous les auspices de Humboldt ni de Sapir et Whorf
pour souligner le lien consubstantiel entre la culture et la langue, prisme
à travers lequel le locuteur voit et construit le monde, pour souligner
l’importance d’une diffusion de la recherche en différentes langues. Face
à l’homogénéisation linguistique des publications, susceptible d’aboutir à
une standardisation de la recherche elle-même sous le monopole anglophone, des résistances se font jour, prônant une recherche plurilingue et
pluriculturelle :
46
Nombre de collègues, dans tous les pays, sans doute plus dans les
humanités qu’ailleurs, se préoccupent de cette hégémonie de l’anglais au détriment d’autres langues et champs de connaissance, et du
risque de voir s’appauvrir un discours scientifique — et donc une pensée — faute de moyens linguistiques appropriés, celui-ci exigeant une
maîtrise qui ne saurait se limiter à une compétence linguistique ordinaire, fût-elle très bonne. (Robillard, Wharton, Arabyan, Castellotti
et Charaudeau, 2019)
Regards d’experts
D’où l’importance de l’enjeu d’une formation des étudiants et (futurs) chercheurs à la maîtrise des savoir-faire, mais aussi du discours académique
en français, dans leur champ de spécialité, pour défendre une certaine
culture scientifique : autant d’objectifs visés par le FOU.
II
Tout est FOU à l’université : un objet
d’enseignement transversal
5. Sans compter que
« les formats éditoriaux des
revues disciplinaires
ne sont pas les mêmes selon
les traditions culturelles,
et, tel article qui sera
accepté sans difficulté dans
une revue française sera
sans ambages rejeté dans
une revue en langue
anglaise, non sur des critères
de qualité scientifique,
mais de formats éditoriaux
souvent liés à des
traditions philosophiques
et culturelles et à des
conceptions différentes
de la recherche ; ou encore
parce que des épistémologies, des problématiques
pourtant pertinentes sont
inconnues ou méconnues,
ou tout simplement pas
“bankable” » (Robillard,
Wharton, Arabyan,
Castellotti et Charaudeau,
2019).
2.1. Des mesures institutionnelles pour une meilleure
intégration à l’université
Les cours de Français sur objectifs universitaires (FOU) constituent une
(des) réponse(s) institutionnelle(s) pour la bonne intégration de ces
étudiants issus de cultures éducatives et de recherche parfois très différentes (Moore et Sabatier, 2012, p. 90) --> 5, mais aussi plus largement dans
le cadre de la lutte contre l’échec et le décrochage. La réussite universitaire est en effet au cœur des politiques linguistiques et éducatives,
comme le soulignent Duguet, Le Mener et Morlaix (2016) : à la fois internationales (Congrès mondial de l’enseignement supérieur, Paris, 1998) ;
européennes (Processus de Bologne, 1998 ; Traité de Lisbonne, 2009) ;
et nationales avec la réforme des universités en France (Loi relative aux
libertés et responsabilités des universités, 2007 ; Plan réussite en licence,
2007 ; Loi Fioraso, 2013 ; Loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la
réussite des étudiants, dite Loi ORE). Cette volonté politique a participé
au développement de la « pédagogie universitaire ». Apparue dans les
années 1970 dans les domaines scientifiques professionnalisants, telle la
médecine, cette pédagogie forme un champ d’études complexe, où les
activités pédagogiques sont en interrelation avec le contexte institutionnel (politique éducative) et le contexte étudiant (dimension individuelle)
(De Ketele, 2010, §1). Parallèlement aux cours de Méthodologie du travail
universitaire (MTU), dont il est une sorte de pendant en langue étrangère,
la pédagogie universitaire soutient les formations en FOU.
Du FOU au FLA à l’Université française
47
2.2. Autonomisation du concept par rapport au champ du FLE
Depuis l’institutionnalisation du français langue étrangère, le champ s’est
éclaté en plusieurs sous-champs connexes afin de prendre en compte la
diversité des contextes d’enseignement-apprentissage. La multiplication
des sigles en FLE témoigne du morcellement de cette discipline initialement
conçue comme universaliste avec la méthodologie audiovisuelle (Spaëth,
1999, p. 76-77) : FLS (français langue seconde) ; FLSco (français langue de
scolarisation) ; FLI (français langue d’intégration) ; FOS (français sur objectif spécifique) ; FS (français de spécialité)… Parmi cette constellation aux
frontières mal circonscrites — et aboutissant parfois à des catégorisations
réifiantes peu pertinentes (Goï et Huver, 2012) — les cours de FLE « pour
tous » ne pouvant répondre aux besoins spécifiques des étudiants, le FOU
s’est imposé depuis une décennie pour les étudiants allophones comme
objet d’enseignement transversal, dérivé du FOS, qui
intègre fortement la dimension institutionnelle des situations langagières visées, et la dimension cognitive des comportements
attendus de la part d’étudiants insérés dans l’université française.
Dans un contexte où tout passe par le langage, qu’il s’agisse de
l’intégration administrative, de la transmission des connaissances,
ou de la validation des apprentissages, la compétence universitaire
s’inscrit largement dans la compétence linguistique [...] [Le FOU]
travaille au développement de savoir-faire universitaires. (Mangiante
et Parpette, 2012, p. 147)
48
2011, p. 136). Toutefois, s’il aide à s’approprier les savoir-faire universitaires
essentiels, il reste souvent trop généraliste pour répondre aux besoins langagiers réels des (futurs) chercheurs, écueil que l’apprentissage par corpus
peut aider à dépasser (Boulton, 2007).
III
La linguistique de corpus appliquée
à l’enseignement des langues :
pour une articulation entre le FOU
et les disciplines scientifiques
6. La compétence discursive,
liée à la compétence
pragmatique, « permet
à l’utilisateur / apprenant
d’ordonner les phrases
en séquences afin
de produire des ensembles
cohérents » au niveau
de l’organisation transphrastique et de la structure
du discours (CECR, 2001,
p. 96).
3.1. Du genre discursif académique au français langue académique
(FLA)
À travers l’acquisition des méthodologies, le FOU cherche à développer
les compétences discursives en « discours scientifique »,
entendu ici au sens de discours produit dans le cadre de l’activité de
recherche à des fins de construction et de diffusion du savoir. Les
sciences dites dures, les sciences appliquées, les sciences humaines
et sociales sont toutes concernées. Les premières ont sans doute
été davantage investiguées, mais les différences disciplinaires sont
aujourd’hui pointées comme essentielles, de même que la diversité
des genres, qui renvoie à la diversité des activités dans le monde de
la recherche et notamment à la question de savoir comment elles
se situent par rapport à la logique de la découverte et la logique de
l’exposition. (Rinck, 2010, p. 428)
Au-delà de son intérêt à l’université en France, il est aussi utile dans les
formations bilingues et les formations en français dispensées au niveau
supérieur à l’étranger. Comme le spécifient les formations du PERL, dans
son format courant, ces cours de FOU ont pour objectif de « connaître
et développer les compétences linguistiques nécessaires aux usages académiques », de « suivre et comprendre les cours magistraux, maîtriser
les écrits universitaires, présenter un exposé oral » (Fou B2) ainsi que de
« former les étudiants aux exigences des différents exercices académiques
français, tout en poursuivant l’approfondissement de la langue » sur des
thématiques aussi variées que la « société, [les] sciences politiques, [l’]
économie, [la] sociologie, [les] lettres et [les] arts, [l’]environnement » (FOU
C1) (Perl, 2019) : prendre des notes, trouver une problématique, faire un
exposé, rédiger une synthèse, une dissertation, un mémoire… Autrement
dit, le FOU dans sa forme originelle est « principalement procédural [...]
par le fait que son objectif général est le comment (comment prendre des
notes, comment rédiger, comment faire un exposé, comment apprendre
en autonomie, etc.) » (Hilgert, 2009, p. 133), mais il demeure complexe, car
poursuivant des objectifs pluriels dépassant la seule méthodologie. De là
vient le paradoxe du FOU, ce FOS qui « vise un haut niveau de généralité alors
même que la philosophie du FOS est le sur-mesure » (Mourlhon-Dalliès,
En d’autres termes, le discours académique correspond à un hypergenre
répondant à des contraintes de productions discursives spécifiques (faire
une introduction, exposer un dispositif de recherche, citer ses sources…).
D’où l’importance de travailler la compétence discursive --> 6 en FOU. L’analyse de discours permet de mettre en évidence ces caractéristiques
discursives afin d’en acquérir les fondements. Mais si cette compétence
transphrastique (au niveau du texte) est un préalable nécessaire à la rédaction de discours académiques, elle ne suffit pas à la production de l’écrit
au niveau micro de la phrase. En effet, à cet hypergenre est associée une
phraséologie scientifique transdisciplinaire (Cavalla, 2009 ; Tutin et Grossmann, 2014). La phraséologie, « placée à mi-chemin entre le lexique et la
syntaxe […], s’occupe des signes polylexicaux composés d’au moins deux
mots, stables, répétés et souvent figurés » (González-Rey, 2008, p. 5). Elle
correspond donc à l’étude des segments répétés, des concordances, collocations entre plusieurs unités lexicales (par exemple : « démontrer une
hypothèse » ; « (établir / exposer) un protocole de recherche » ; etc.). Ces
Regards d’experts
Du FOU au FLA à l’Université française
49
7. Aucune mention
n’est faite de la compétence
phraséologique ni dans
le CECR (2001) ni dans
le volume compagnon
(2018).
segments figés, ou chunks, constitueraient près de la moitié du discours
d’un locuteur natif (Cavalla, 2009, p. 2). Ce sont ces « prêts-à-parler », si
difficiles à acquérir, notamment pour un locuteur non natif qui font l’objet
de la phraséologie, compétence pourtant souvent négligée en didactique
des langues et des cultures --> 7. Le français langue académique ou FLA (du
calque de l’anglais English for academic purposes) renvoie généralement
à « cette part de la langue à maîtriser pour réaliser l’ensemble des tâches
scolaires et des devoirs à restituer, indépendamment des spécialités et
des disciplines » (Mourlhon-Dalliés, 2011 : 137) : le distinguer du FOU, avec
lequel il est souvent confondu, permet de souligner l’importance de cette
dimension linguistique propre au discours scientifique.
3.2. L’exploitation de corpus en didactique des langues : une tradition
socioconstructiviste modernisée par l’informatique
Bien que relativement mal connue dans le champ didactique en France,
en dépit de l’existence d’importantes recherches dans ce domaine (entre
autres, Boulton et Tyne : 2014 ; Cavalla, 2019), la linguistique de corpus
appliquée à l’enseignement des langues étrangères — dite aussi datadriven learning (DDL) ou apprentissage sur corpus (ASC) — a déjà presque
cinquante ans d’existence : théorisée par Tim Johns à partir d’un corpus
de textes scientifiques authentiques, pour aider des étudiants allophones
dans la rédaction universitaire en anglais, l’ASC est apparue en France
avec l’élaboration du Corpus d’Orléans, base de matériel pédagogique
(Biggs & Dalwood, 1976). Si, depuis, les méthodologies se sont diversifiées
(corpus d’experts, corpus de supports pédagogisés, corpus d’apprenants),
l’ASC reste inchangée dans ses fondements. Elle nécessite toujours la
constitution d’un corpus de textes, « collection de données langagières
[…] sélectionnées et organisées selon des critères linguistiques explicites
pour servir d’échantillon du langage » (Sinclair, 1996, p. 4), corpus brut,
enrichi généralement par étiquetage et lemmatisation. Ce corpus devenu ainsi « pédagogique » (Schaeffer-Lacroix, 2012) rend possible ensuite,
notamment, une recherche d’occurrences par le sens (par exemple :
« clarifier l’énoncé précédent ») ou par la forme (par exemple : emploi de
« à savoir » ou de « c’est-à-dire »), à l’instar de ce que propose Scientext
(2019), regroupant divers corpus de discours scientifiques. À partir de
séries d’illustrations d’un emploi du français en contexte universitaire sur
documents authentiques (Holec, 1990), les apprenants peuvent ainsi, de
façon autonome ou guidée, par l’analyse distributionnelle, identifier des
formes ou des emplois, classifier les éléments linguistiques ou discursifs puis formuler des généralités sur la langue. Des exploitations visant
à l’acquisition spécifique de compétences socio-interactionnelles orales
en contexte académique sont aussi possibles grâce à un corpus comme
FLEURON, fondé sur l’analyse sociolinguistique des interactions verbales
(André, 2019 ; Debaisieux, 2009).
50
Regards d’experts
8. L’ASC a en outre pour
avantage de se fonder non
plus sur une linguistique
structurale idéale (simple
uniquement d’apparence
lors de l’apprentissage
en raison de sa régularité
supposée), mais sur les
usages réels des locuteurs,
suivant une linguistique
variationniste, qui rend à la
langue — fait social et
non simple système — toute
sa complexité intrinsèque.
Cette approche modifie
donc en profondeur
la conception de la languemême, dans une perspective
sociolinguistique (Weinreich,
Labov et Herzog, 1968).
Si l’outil employé pour constituer et traiter le corpus diverge, le processus
cognitif engagé ici s’apparente en réalité à des approches pédagogiques
préexistantes à l’ASC, de l’induction conséquente à l’usage de l’exemplier
en langue à la conceptualisation grammaticale, promue dans l’approche
communicative. L’ASC s’inscrit ici dans une démarche active de construction du savoir, modernisée par le numérique, grâce à l’autonomisation de
l’apprenant par autoformation --> 8 (Ciekanski, 2005).
3.3. Une formation sur mesure à l’écriture de la recherche
Le passage du FOU au FLA — soit de la méthodologie universitaire à l’écriture académique transdisciplinaire, autrement dit du discours à la phrase
— permet par ce tamis linguistique d’affiner progressivement les compétences langagières des (futurs) chercheurs. Toutefois, cette démarche
fait encore l’impasse sur la discipline scientifique dans laquelle s’inscrit la
recherche. Or, dans un nouveau jeu d’enchâssement, cette phraséologie
scientifique se spécifie dans chaque discipline, l’hypergenre académique
se déclinant en autant de sous-genres de discours que de filières, chacune
ayant sa propre terminologie (médecine, sociologie, lettres, géographie,
etc.), voire en autant de sujets de recherche. C’est à ce niveau-là que
l’approche par corpus d’experts peut répondre de manière très fine aux
besoins spécifiques des (futurs) chercheurs.
Ces corpus d’experts constitués de textes authentiques issus de discours spécifiques au domaine visé permettent de mettre en évidence le
lexique propre au champ disciplinaire. En effet, le chercheur doit maîtriser,
en plus du discours académique, une terminologie spécialisée. L’objet
d’apprentissage visé se situe donc à la croisée du FOU (méthodologie et
discours), du FLA (phraséologie scientifique transdisciplinaire) et du FOS
(lexique spécialisé). Or, à ce niveau avancé, les supports pédagogiques
manquent. Une formation linguistique dans ce contexte exigerait, comme
en FOS, une démarche d’analyse des besoins et de collecte des données
suivant ce double critère académique et spécialisé (Hatier, 2016).
Or, impossible pour l’Université de créer des ressources adaptées à
chaque spécialité, ou alors au prix d’un immense travail en amont pour
des effectifs d’apprenants souvent réduits. Ainsi, il semble plus judicieux
de proposer à ces (futurs) chercheurs soit des corpus déjà constitués dans
leur domaine (par exemple : Frantext, en littérature ; Menelas, en médecine),
soit des auto-formations en autodidaxie en contexte institutionnel pour la
prise en mains des outils et des méthodologies de la linguistique de corpus.
Au-delà de la dimension phraséologique, la constitution par l’apprenant de son corpus personnel, à partir d’articles scientifiques associés
à son sujet, permettrait grâce à la recherche des fréquences, des cooccurrentes ou encore des synonymes de dresser lui-même le glossaire
terminologique des notions nécessaires — tout en affinant l’expression par
la recherche des collocations — pour mettre en discours ses recherches.
Du FOU au FLA à l’Université française
51
9. Le format hybride des
formations en langue,
articulant présentiel
et distanciel (Nissen, 2019),
offre une flexibilité et
une personnalisation de
la démarche d’apprentissage
particulièrement adaptées
à l’hétérogénéité des publics
visés et à leurs besoins
spécifiques, tant matériels
que langagiers.
Le projet de recherche-action FLA+ du PERL s’inscrit dans cette perspective afin de mettre en évidence à quelles conditions les corpus d’experts
constitués et exploités par les apprenants dans une démarche réflexive
(Mayaffre, 2005) aident à l’acquisition du français académique dans une
discipline spécialisée. Cette formation hybride (Nissen, 2019) en cours
d’élaboration est conçue pour couvrir l’ensemble du cursus, du niveau
Master au doctorat, à destination d’étudiants et de (futurs) chercheurs
francophones natifs comme allophones. L’objectif est de proposer, de
manière progressive, un accompagnement à l’utilisation des corpus à
l’université, de la simple remédiation en français nécessaire à la réussite
universitaire à l’écriture scientifique en français, à partir d’écrits académiques et scientifiques collectés par leurs soins (correspondance, cours,
compositions d’étudiants, extraits de mémoire ou de thèse, articles ou
résumés d’articles…). Ce projet suit ainsi des objectifs variés, mais complémentaires :
— remédier aux lacunes en langue française à partir d’un diagnostic
et d’un parcours personnalisé facilité par la modularité des formations hybrides --> 9 ;
— et former à la langue académique d’une spécialité donnée grâce
à la découverte des outils de la linguistique de corpus (corpus existants et logiciels de constitution de corpus comme Antconc et
SketchEngin) pour une autonomisation de leurs apprentissages.
Cet objet d’enseignement complexe, désigné dans notre projet PERL
comme FLA+, fait ainsi figure d’extension du FOU et correspond à une
forme enrichie du français académique, intégrant la dimension disciplinaire
du français de spécialité. Il peut être vu comme l’équivalent de l’English
for Specific Academic Purposes (ESAP) « déclinaison des compétences
académiques dans un champ disciplinaire donné, pour le supérieur hors
préoccupations d’intégration au système universitaire » (Mourlhon-Dalliès,
2011, p. 138). De telles formations, arrimées à des recherches-actions, sont
d’ailleurs déjà proposées en anglais (Kübler et Hamilton, 2018).
En somme, c’est une autoformation à géométrie variable que la
linguistique de corpus pourrait ainsi permettre, à la fois à l’écriture universitaire et à la terminologie scientifique de la discipline du chercheur, de
français langue additionnelle comme langue première, tant il est vrai que
le « droit d’entrée » dans la communauté scientifique (Bourdieu, 2001) peut
être difficile à obtenir pour qui n’en maîtrise pas les normes linguistiques.
Conclusion
Par la mise en place de cours de FOU, réponse pédagogique à la politique
éducative axée sur la réussite universitaire, l’Université veille à maintenir une formation en français de qualité pour les nombreux étudiants
étrangers entrants. Mais, si le FOU se limite à viser le développement de
compétences méthodologiques et discursives, il ne suffit pas à former
véritablement à l’écrit scientifique en français, compétence nécessaire
aux (futurs) chercheurs. Seule une approche contextualisée par discipline le permettra, à partir de corpus adaptés au plus près des besoins
langagiers de l’apprenant, suivant une démarche empruntée au FOS et
combinant approche phraséologique et terminologique. Dans cette
optique, l’élaboration de dispositifs individualisés d’autoformation par
l’apprentissage basé sur les corpus pourrait soutenir la circulation d’une
recherche francophone. Au même titre que le dictionnaire ou le livre
de grammaire, outils de référence, les outils de la linguistique de corpus
compléteraient ainsi la panoplie de l’étudiant et apprenant-chercheur,
sans que ce soit nécessairement le signe d’une révolution pédagogique
puisque, si l’outil est modernisé, la démarche, socioconstructiviste, inductive et active, lui est bien antérieure. Mais, compte tenu de la multiplicité
des tâches nécessaires pour intégrer une communauté scientifique, a fortiori dans une langue étrangère, « il faudrait générer une sorte de prise
de conscience de la complexité, qui serait formalisée par une ingénierie
pédagogique à inventer » (Mourlhon-Dalliès, 2011, p. 140). Bonne nouvelle :
la recherche en didactique des langues et des cultures s’est déjà emparée
de la question !
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Du FOU au FLA à l’Université française
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« Les descriptions
linguistiques servent
à élaborer des outils
de prise de conscience
pour les scripteurs
étudiants (et leurs
formateurs). »
L’anaphore démonstrative,
une porte d’entrée dans l’écriture
du texte académique --> 1
Introduction
1. Ce texte est la synthèse
d’un article (Boch & Rinck,
2015) et d’un extrait de
chapitre d’ouvrage (Boch,
Cavalla, Petillon & Rinck,
2015).
56
Regards d’experts
Françoise Boch
Laboratoire Lidilem, Université Grenoble Alpes,
France
Inscrite dans le champ des littéracies académiques, notre contribution
défend l’idée que les descriptions linguistiques servent à élaborer des
outils de prise de conscience pour les scripteurs étudiants (et leurs formateurs). Fondés sur le principe du recours à l’observation de corpus
dans le cadre de l’enseignement des langues (cf. par ex. Bernardini, 2004),
ces outils visent ici spécifiquement à favoriser le repérage de ce qui fonctionne bien ou moins bien dans un texte et à guider ainsi le travail de
révision et de réécriture. En d’autres termes, il s’agit de former des scripteurs attentifs à la matérialité de leurs textes et développer ainsi leurs
compétences rédactionnelles en matière d’écrit scientifique.
Dans les travaux s’inscrivant dans le même courant, les descriptions linguistiques à orientation didactique des pratiques rédactionnelles
estudiantines sont de plus en plus complètes : la dimension énonciative
(construction du statut d’auteur, recours au discours d’autrui, posture d’adhésion / de démarcation par rapport au discours d’autrui) est
particulièrement bien représentée depuis les années 90 (pour un état
des lieux en français, cf par ex Rinck, 2010). La dimension linguistique
(ponctuation, orthographe, lexique, syntaxe, cohésion / cohérence) est
aujourd’hui fortement explorée dans le monde francophone (cf. par ex
les ouvrages collectifs Boch & Frier, 2015, et Niwese et al., 2019) et donne
lieu à des propositions didactiques concrètes.
C’est dans le champ syntaxique que se situe la présente étude : nous
nous attachons ici à la description linguistique d’un phénomène considéré comme un des emblèmes des difficultés que rencontrent les apprentis
chercheurs (mastérisants ou doctorants) dans leur initiation à l’écrit de
recherche (voir par ex. Lundquist et al., 2012) : l’anaphore démonstrative.
57
Dans la visée d’un apprentissage continu de l’écrit, nous ferons donc de
l’anaphore une porte d’entrée à nos observations des textes des étudiants, et proposons d’y voir un lieu stratégique pour l’étudiant et son
formateur dans sa tâche de guidage de la réécriture.
I
L’anaphore démonstrative en ce + N
La question de l’anaphore est centrale dans les travaux qui cherchent
à mettre à profit les apports de la linguistique textuelle pour l’aide à la
rédaction et la didactique de l’écriture, du fait de son rôle dans la cohérence des textes et des difficultés qu’elle pose aux scripteurs comme aux
lecteurs (voir par ex. Reichler-Béguelin, 1988 et Beguelin et al., 2000).
Le cas de l’anaphore démonstrative (c’est-à-dire introduite par un
déterminant démonstratif de type ce, cette, cet, ces) est bien décrit en
linguistique. On distingue classiquement :
— L’anaphore fidèle, qui désigne une coréférence par répétition du
N (Blanche-Benveniste & Chervel, 1966) ; autrement dit, la deuxième
apparition du N est identique à la première et renvoie nécessairement à la première occurrence : N2 = N1.
(1) Il faut pouvoir comparer les objectifs de chacune des deux
activités au départ et les résultats finaux par rapport à ces mêmes
objectifs.
— L’anaphore infidèle, entendue ici comme reprise par synonyme
ou quasi synonyme, hyperonyme ou métonymie. N2 est différent
de N1, mais ils évoquent tous deux le « même objet de pensée »
(Blanche-Benveniste & Chervel, 1966 : 31).
(2) L’album est très utilisé en classe de CP. Ce livre est préféré à
d’autres pour les raisons suivantes (…) (hyperonymie)
— L’anaphore résomptive, qui résume une portion du discours : N2
ne renvoie plus à un N1 clairement identifié, mais à un empan textuel
variable, qui peut aller de quelques lignes comme en (3) au paragraphe.
(3) La lecture d’une histoire à haute voix par l’adulte est un moment
important de la relation maitre-élève, car le professeur offre à l’enfant une situation extrêmement propice à l’extension de son lexique.
C’est une activité qui développe la maîtrise de l’expression orale.
Ce moment de lecture partagée entre l’adulte et l’enfant possède
diverses caractéristiques (…)
Ce sont les cas d’anaphores infidèle et résomptive que nous allons étudier
58
Regards d’experts
2. Les exemples du corpus
proposé ici étant extraits
de mémoires de Master
d’étudiants se destinant
au métier d’enseignant, ils
ne sont fournis qu’à titre
d’illustration de la démarche.
Dans le cas de publics
très éloignés de ce profil,
l’élaboration d’un corpus
ad hoc devient bien
évidemment nécessaire.
Dans tous les cas, il est
probablement préférable
de constituer un corpus
à partir des productions
émanant du groupe d’étudiants à qui est proposée
la formation à l’écriture
universitaire.
ici, car ils sont souvent peu maîtrisés par les étudiants, alors qu’ils représentent un exemple intéressant d’outils linguistiques agissant sur la
cohésion textuelle.
La réflexion métalinguistique autour de ces outils favorise de notre
point de vue une prise de conscience fondamentale concernant l’écriture chez les étudiants : écrire aide à structurer sa pensée et travailler son
raisonnement permet de mieux écrire. L’anaphore démonstrative illustre
en effet à merveille l’articulation entre la dimension linguistique et la
dimension cognitive que met en jeu l’écriture : l’anaphore a une fonction
de liaison entre les phrases ou entre les paragraphes, qui nécessite de la
part du scripteur une bonne compétence linguistique et une conscience
aiguë du déroulement de son raisonnement.
Cette réflexion métalinguistique peut être provoquée chez les étudiants par l’observation d’exemples d’anaphores infidèles et résomptives
produites par leurs pairs et considérées comme inappropriées ou partiellement inappropriées.
1.1. Première étape : l’observation d’extraits de corpus de pairs
Ainsi, suite à une définition rapide des trois cas d’anaphore (telle que présentée ci-dessus), le formateur peut inviter ses étudiants à identifier dans
un corpus d’exemples --> 2 les reprises anaphoriques en ce + N et à analyser
leur degré de pertinence :
(4) À partir de nos observations de classe, nous avons notamment
retenu deux dispositifs : la méthode de lecture « La planète des
Alphas » et les ateliers d’aide à la lecture appelés Club Coup de
Pouce CLE. Nous présenterons dans un premier temps l’état des
lieux théoriques de ces deux procédés. Nous n’omettrons pas
d’inclure dans cette partie les instructions officielles (IO) concernant l’apprentissage de la lecture en Grande Section et au Cours
Préparatoire afin de pouvoir situer ces dispositifs par rapport aux
compétences demandées et attendues.
(5) Le langage dit en « situation », appelé aussi langage « d’action »
ou encore de « communication immédiate » est surtout utilisé par
l’enseignant en classe de petite section de Maternelle. Ce langage
est un repère pour le tout jeune enfant, car il ne maîtrise pas suffisamment le vocabulaire et sa langue maternelle en général. Ce
parlé [sic] fait référence à un langage factuel, car il est ancré dans
une situation partagée par les interlocuteurs qui échangent dans le
moment présent de l’action.
(6) (À propos de la grille EVA) Selon P. Sève, ce tableau a apporté
un regard normatif sur la production d’écrit. Pour que ce modèle
d’évaluation soit efficace, des critères doivent être sélectionnés en
L’anaphore démonstrative
59
relation avec le projet d’écriture, les connaissances des enfants… et
permettre ainsi de clarifier les points d’intervention de l’enseignant.
Cette sélection de critères facilite également l’utilisation de cette
grille qui peut être fastidieuse. Cependant ce modèle « s’intéresse
trop au texte » […].
(7) Questionner les élèves après une lecture répétée de l’histoire a
un impact non négligeable, car cela enrichit leur vocabulaire. Il faut
donc les encourager à formuler des essais qui font appel au nouveau vocabulaire. Ce genre de question semble alors plus efficace
qu’une simple écoute de l’histoire qui laisse l’enfant en position
passive.
(8) C’est sur la base du langage en situation que l’on acquiert un
langage d’évocation, il permet d’anticiper des faits ou bien de revenir sur certains évènements déjà passés. Ce processus du langage
commence à s’installer dès l’âge de 3 ans.
L’observation de ce corpus peut être orientée de manière à déclencher
des débats d’ordre métalinguistique portant sur les thématiques suivantes :
— Les limites de la typologie
Les exemples (4), (5) et (6) relèvent plutôt de l’anaphore infidèle tandis que (7) à (10) illustrent plutôt des cas d’anaphore résomptive ;
cela dit, certains exemples se laissent mal identifier, révélant ainsi
la porosité entre les catégories d’anaphore (et au-delà, les limites
de toute typologie). En (5) par exemple, N2 (ce langage) peut-il être
considéré comme une reprise hyperonymique de N1 (Le langage
dit en « situation », appelé aussi langage « d’action » ou encore de
« communication immédiate »), ou a-t-on affaire à une anaphore
fidèle tronquée ? Par ailleurs, que faire des reprises nominalisées en
N2, comme en (6) ? L’anaphore cette sélection de critères est-elle
infidèle, si l’on considère qu’elle reprend simplement des critères
doivent être sélectionnés, ou résomptive, si la reprise s’étend à ce
qui suit (en relation avec le projet de l’écriture, les connaissances
des enfants…) ? Les réponses à ces questions sont bien entendu
moins importantes que la discussion qu’elles provoquent, l’objectif
étant de mettre à distance les phénomènes linguistiques pour en
faire des objets d’analyse et par là aiguiser le regard métalinguistique
des étudiants.
— Éviter la répétition à tout prix ?
Dans les écrits d’étudiants, on a le sentiment que les anaphores infidèles sont parfois liées à la volonté de ne pas répéter N1. Les exemples
(4), (5) et (6) illustrent cette contrainte stylistique, sans doute héritée
60
Regards d’experts
3. ↘ http://www.crisco.
unicaen.fr/des/
4. Ce que les linguistes
appelleraient une prédication
nouvelle par topicalisation
(cf. par exemple Combettes,
1986).
5. Le corpus est extrait
de la plateforme Scientext,
accessible gratuitement
en ligne (↘ https://scientext.
hypotheses.org/). Pour des
comparaisons quantitatives
d’expressions utilisées par
des étudiants de Master
et par des experts, cf. Boch
& Rinck, 2015.
de l’enseignement secondaire, que semblent s’imposer les étudiants. Or, on peut attirer leur attention sur la pertinence d’une telle
contrainte dans ces exemples (et plus généralement dans l’écrit de
recherche, où la redondance est la règle), dans lesquels la recherche
d’une anaphore s’apparente à une recherche gratuite de synonymes
engendrant ainsi des maladresses qu’une simple répétition aurait pu
éviter. L’exemple (6) est, de ce point de vue, caricatural : si on peut
considérer que tableau est repris de manière pertinente par modèle
d’évaluation, en ce que cette anaphore intègre l’idée du regard normatif qu’il [le tableau] apporte à l’évaluation, le terme tableau est
ensuite repris par grille, puis encore par modèle (anaphore fidèle
tronquée ?) en l’espace de quelques lignes, et cette chaîne anaphorique représente plus un frein qu’une aide à la compréhension du
lecteur.
Plus ennuyeux (car nous basculons de la maladresse à la nonpertinence), en (5), ce parlé (« ce parler » ?) ne peut constituer une
reprise anaphorique pertinente de langage en situation (mais peutêtre l’auteur ignore-t-il le sens de parler en linguistique et a-t-il
trouvé le terme pertinent au regard du caractère oral des échanges
spontanés qu’implique la notion de langage en situation ?). Enfin, en
(4), procédés apparaît entre deux occurrences identiques (dispositifs), mais n’est pas à même, à nos yeux, de requalifier le référent
de dispositif dans ce contexte. L’hypothèse d’une simple recherche
de synonyme plutôt que d’une anaphore infidèle est ici renforcée
par le fait qu’on trouve procédé comme synonyme de dispositif
dans le dictionnaire de synonymes en ligne Crisco de l’Université
de Caen --> 3, dont on peut supposer qu’il est bien utilisé par les étudiants. Cela dit, le terme même de dispositif semble peu approprié
dans la mesure où il renvoie d’une part à méthode de lecture (qui
peut être considérée comme un outil pédagogique, un manuel) et
d’autre part à atelier d’aide à la lecture (qui est un véritable dispositif didactique).
La discussion peut ainsi porter sur la difficulté de choisir une
anaphore hyperonyme lorsque les deux N1 ne se situent pas tout
à fait sur le même plan sémantique, et, au-delà, sur le rôle même
de l’anaphore, qui ne doit pas être considérée comme une reprise
synonymique visant à éviter la répétition, mais comme une plus-value
au plan de la cohésion textuelle et de la progression thématique.
— De l’intérêt de l’anaphore résomptive en tête de phrase
Les exemples (7) et (8) illustrent des cas où l’anaphore résomptive se
situe en tête de phrase. On peut interroger les étudiants sur l’intérêt d’une telle structure, et les amener à considérer que l’anaphore
revêt ici une double fonction : elle assure à la fois la continuité du
raisonnement (via la reprise de l’objet de discours), mais aussi sa
L’anaphore démonstrative
61
6. Rappelons que les
exemples fournis ici
s’adressent en priorité
à un public familiarisé avec
les concepts de linguistique
ou de didactique.
Il est évident que pour
un public éloigné de ces
disciplines, le formateur
devra sélectionner (par
exemple sur la plateforme
Scientext) des écrits
d’experts ancrés dans des
disciplines voisines de son
groupe d’apprenants.
7. Cf. les travaux de Jacques
& Tutin (2018) et les
statistiques présentées
sur la page ↘ https://
scientext.hypotheses.org/
lexique-transdisciplinaire-v1
8. Extraits tirés d’un corpus
d’articles (Sciences
du langage et Sciences de
l’éducation) disponibles
sur ↘ https://scientext.
hypotheses.org/corpus
à partir de la requête
« Ce + N + prep »
9. À titre d’exemple,
ce point de vue est utilisé
37 fois dans un corpus
d’articles (Sciences
du Langage et Sciences de
l’éducation) et seulement
3 fois dans un corpus
de mémoires de master
d’un nombre de mots
équivalent (cf. Boch & Rinck,
2015).
progression (via la sélection d’un attribut de cet objet de discours) ;
du fait de sa place en tête de phrase, l’anaphore résomptive entraîne
le développement d’une idée nouvelle --> 4.
On remarquera en (7) le groupe nominal genre de questions, qui peut
sembler a priori un peu maladroit pour un lecteur expert, alors que la
gêne est moindre avec type de questions. La fréquence de cette dernière expression (très proche sémantiquement de la première) dans un
corpus d’articles rédigés par des experts --> 5 montre à quel point l’écriture
de recherche est partiellement routinisée. Cette prise de conscience
peut permettre de relativiser son propre regard de lecteur-évaluateur
intransigeant face à des expressions qui ne reflètent parfois qu’une
simple méconnaissance des pratiques du moment de la communauté
de référence.
Patron syntaxique Ce + N + Prep + N + Verbe
Ce type de mise en activité est
Ce cas de figure est
Ce point de vue implique
Cet ensemble de propositions est
Ces modèles de référence sont
Cette diversité de manifestations confirme
Cette vue d’ensemble souligne
Ce changement de perspective permet
Ce problème de représentativité est
Cet aperçu des résultats invite
Cette prise de conscience représente
Ces éléments de preuve sont
Cet ensemble de contraintes limite
Cette vision des choses a
2.2. Deuxième étape : produire des anaphores résomptives via
un lexique précis
Pour lutter contre l’approximation fréquente dans le choix du nom de
l’expression anaphorique, une façon de travailler consiste à soumettre
aux étudiants des extraits de productions d’experts dont on masquera
l’anaphore résomptive. L’objectif est de demander aux étudiants (qui
peuvent réfléchir en binôme) de produire des anaphores résomptives
plausibles. L’exemple (9) illustre un cas d’anaphore résomptive relativement simple à inférer --> 6 :
(9) Dans les ressources lexicales, les collocations verbales sont
représentées sous une configuration syntaxique privilégiée, généralement la construction standard à la voix active. Bien entendu, les
collocations verbales apparaissent généralement dans d’autres
constructions comme le passif (elle était paralysée de / par la
peur), les constructions pronominales (se ronger d’angoisse,
l’inquiétude s’accroît...), les phrases relatives (la peur qu’il ressentait), ... Par ailleurs, le verbe peut lui-même apparaître dans
une construction complexe à auxiliaire ou pseudo-auxiliaire
comme dans la peur devait commencer à le paralyser.
…… → doivent être modélisées dans les entrées lexicales, en particulier dans la perspective d’un traitement automatique. (HDR, Sciences
du Langage).
On peut imaginer que les étudiants produiront des formulations telles
que Ces différentes constructions ; Ces variantes syntaxiques, ou encore
Toutes ces formes linguistiques, toutes recevables à nos yeux (l’anaphore
résomptive (ci-après AR) produite par l’auteur est Ces variations
diverses). En revanche, on n’admettra pas des AR de type Ces différentes
collocations qui ne manqueront pas spontanément d’émerger. C’est alors
62
Tableau 1
Anaphores résomptives
en Ce + N + Prep + Nom
Regards d’experts
10. Par « lexique transdisciplinaire » (ou « lexique
épistémique »), on entend
ici le lexique conceptuel
caractéristique de l’écrit
de recherche (principe,
méthode, hypothèse, problématique, résultats, etc.),
transversal aux disciplines
(Tutin, 2007).
11. Pour des scripteurs plus
avancés (par exemple en
formation doctorale), l’étape
suivante peut consister
à comprendre l’intérêt
d’ajouter un modifieur
(adjectif, complément
du nom par exemple) à l’AR
(cf. pour ce développement
Boch et al., 2015).
que la discussion devient intéressante, en ce qu’elle permet de prendre
conscience de l’effort de rigueur auquel doit se soumettre le scripteur
pour construire son raisonnement dans son texte.
Ce travail peut être complété par un aperçu d’AR de type Ce + Nom
+ prep + Nom, à priori très exploitées par les experts --> 7 ; le tableau 1 en
fournit quelques exemples --> 8.
L’observation de ces exemples peut déclencher ici encore une discussion productive sur la faible représentativité dans leurs écrits de ce
patron linguistique pourtant très exploité chez les experts --> 9. Au-delà du
caractère routinier de ce lexique transdisciplinaire --> 10 dans l’écrit scientifique, nécessairement encore méconnu des apprentis chercheurs,
on peut supposer que les étudiants n’ont pas encore acquis la maturité intellectuelle qui nous semble requise par la sélection de ce type
d’anaphore. Identifier qu’il est question de « point de vue », de « prise
de conscience », de « vision des choses » ou encore de « changement
de perspective » implique un décentrage et un recul important par rapport à la réflexion théorique dont ils doivent rendre compte alors qu’ils
découvrent à peine le foisonnement du champ. Circonscrire un « point
de vue » par exemple suppose en effet d’avoir conscience qu’il en existe
plusieurs --> 11.
L’anaphore démonstrative
63
Si l’anaphore résomptive est souvent considérée comme occupant une
place centrale en linguistique du texte (Lundquist et al., 2012), elle reste
encore sous-exploitée par les étudiants, qui la connaissent mal. L’entrée
par l’observation de corpus comparés (apprenants et experts), dont nous
avons donné ici une brève illustration, nous semble particulièrement
favorable à la nécessaire double prise de conscience de son fonctionnement et de sa valeur ajoutée dans un texte.
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Écrire et faire écrire dans
l’enseignement postobligatoire. Enjeux, modèles
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64
Regards d’experts
L’anaphore démonstrative
65
« Le discours scientifique, en particulier
dans les articles
de recherche, se
caractérise par un
ensemble de propriétés
linguistiques, sur
les plans syntaxique,
textuel et lexical,
étroitement liées
à des fonctions
rhétoriques spécifiques. »
66
Regards d’experts
Lexique et phraséologie scientifiques
transdisciplinaires en sciences humaines :
de la modélisation à la création d’une
ressource lexicale --> 1
Sylvain Hatier & Agnès Tutin
Laboratoire LIDILEM, Université Grenoble Alpes,
France
Introduction
1. Cet article reprend
en partie et en les résumant
trois chapitres de l’ouvrage
Lexique transversal
et formules discursives
des sciences humaine
(Jacques et Tutin 2018) :
« Introduction. Le lexique
scientifique transdisciplinaire » (Tutin & Jacques),
« Chapitre 1. Identification
et analyse linguistique des
noms du LST » (Hatier),
« Chapitre 3. Les expressions
polylexicales transdisciplinaires dans les articles
de recherche en sciences
humaines : retour d’expérience » (Tutin), ainsi
que l’article de synthèse
de Hatier et al. (2016).
« French cross-disciplinary
scientific lexicon: extraction
and linguistic analysis ».
La maîtrise de l’écriture scientifique, en particulier pour les apprentis
chercheurs que sont les mastérisants et les doctorants, passe en grande
partie par le vocabulaire et la phraséologie scientifiques. Pour acquérir les codes de l’écrit scientifique, l’apprenant doit en effet recourir de
manière adaptée aux lexèmes qui renvoient à la structuration textuelle,
à l’argumentation, au raisonnement. Cela paraît encore plus important
dans les écrits de sciences humaines et sociales où l’écriture occupe
une place essentielle. Cet article présente une ressource du lexique et
de la phraséologie scientifique transdisciplinaires, ce vocabulaire propre
au genre textuel scientifique et qui traverse les disciplines des sciences
humaines. Cette ressource pourra être exploitée pour des applications
didactiques, mais aussi linguistiques ou en traitement automatique des
langues.
Après avoir défini ce qu’est le lexique scientifique transdisciplinaire
(désormais LST), nous expliquons comment il a été extrait à partir d’un
corpus d’articles scientifiques et modélisé au plan linguistique. Nous présentons la ressource constituée et la base de données qui permet de le
consulter.
67
I
Le lexique et la phraséologie transdisciplinaires
2. Cette question intéresse
énormément les études
en anglais dans le cadre
de l’English for Academic
Purposes. Parmi les très
nombreux travaux, nous
pouvons citer parmi les plus
connus : l’Academic Wordlist
de A. Coxhead (2000),
et pour les ressources
phraséologiques, l’Academic
formulas list (Simpson-Vlach
& Ellis 2010) et l’Academic
Collocation List (Ackermann
& Chen 2013).
Fig. 1
Les différents types
de lexiques dans un extrait
d’article de linguistique --> 3
La fonction de notre analyseur est d’identifier des relations de dépendances entre mots et d’extraire d’un corpus des syntagmes (verbaux, nominaux, adjectivaux). Le résultat de l’analyse se présente sous la forme
d’un réseau de dépendance, dans lequel chaque syntagme extrait est
relié à sa tête et à son expansion syntaxiques (figure 1). Ces relations de
dépendance permettent d’effectuer automatiquement des regroupements distributionnels : par exemple la liste de tous les compléments de
tel verbe ou la liste des adjectifs modifieurs de tel nom, qui constituent
des amorces de classes sémantiques. À titre d’illustration, l’analyse du réseau présenté sur la figure 1 suggère un regroupement des noms alluvion,
sable et lave qui sont tous les trois arguments des verbes disparaître sous
et creuser dans.
3. Bourigault D., Fabre C.,
« Approche linguistique
pour l’analyse syntaxique de
corpus », Cahiers de grammaire, 25, p. 131-151, 2000.
Des travaux antérieurs se sont déjà intéressés à la question de ce lexique
stable des sciences, souvent dans une perspective didactique. Parmi les
études pionnières, on se doit de citer les travaux de Phal et ses collègues
sur le Vocabulaire Général d’Orientation Scientifique (VGOS) (Phal 1971),
dans la lignée des études sur le français fondamental. Ce lexique de base
de la science s’intéressait principalement aux sciences « dures » et portait principalement sur des manuels du second cycle de lycée. Outre qu’il
ne comporte pas de traitement sémantique, ce lexique ne correspond
qu’en partie aux champs sémantiques qui nous intéressent, car du fait du
genre textuel traité — des manuels et non des articles scientifiques — il
comporte peu d’éléments liés à l’argumentation. Parmi les travaux plus
récents pour le français, on peut citer les travaux de Drouin (2007) qui a
proposé une extraction en français (et en anglais, par alignement) du LST
à partir d’un corpus de thèses de 2,3 millions de mots dans 9 disciplines
des sciences humaines et sciences « dures ». Utilisant des mesures de
spécificité (avec Le Monde comme corpus de contraste) et de répartition
(50 % des tranches), il a extrait 1 113 mots du LST sous forme lemmatisée
des quatre grandes catégories ouvertes (Nom, Adjectif, Verbe, Adverbe).
Drouin et son équipe ont aussi proposé un traitement des acceptions,
associées aux correspondances en anglais, à la granularité assez fine, mais
sans regroupement dans des classes sémantiques --> 4.
En ce qui concerne la phraséologie, les études paraissent moins
nombreuses. Le premier inventaire phraséologique d’envergure pour le
français est à notre connaissance celui de Pecman (2004), qui a exploité un
corpus bilingue de sciences dures (chimie, physique et biologie) permettant d’extraire et de modéliser 2 000 unités phraséologiques, en utilisant
un étiquetage notionnel autour de quatre grandes sphères abstraites :
la scientificité, l’universalité, mais aussi la modalité et la discursivité,
Regards d’experts
Lexique et phraséologie scientifiques transdisciplinaires en sciences humaines
1.1. Une définition
Le discours scientifique, en particulier dans les articles de recherche, se
caractérise par un ensemble de propriétés linguistiques, sur les plans syntaxique, textuel et lexical, étroitement liées à des fonctions rhétoriques
spécifiques. Mais c’est souvent sur le plan lexical que les caractéristiques
les plus saillantes apparaissent. À côté du lexique de spécialité, renvoyant
aux domaines de la connaissance, par exemple morphologie, arbre syntaxique, registre de langue, perfectif, en sciences du langage, on voit
apparaître un lexique transversal largement partagé par les disciplines.
Ces unités lexicales ne désignent pas véritablement des éléments disciplinaires, mais elles renvoient à la démarche et aux activités scientifiques,
au raisonnement et à l’écriture scientifiques. Ces éléments du lexique
sont donc « transdisciplinaires » en ce qu’ils traversent les disciplines et
correspondent donc au lexique stable du genre textuel, par opposition
au lexique disciplinaire propre à une sphère scientifique particulière.
Nous retrouverons ainsi dans la plupart des disciplines — des sciences
humaines aux sciences les plus « dures » — des lexèmes comme hypothèse, analyser, résultats, mais aussi des expressions comme dans un
premier temps, pour conclure, qui sont étroitement liées à la démarche
scientifique et à l’écriture scientifique.
À titre d’exemple, nous présentons dans la figure 1 un extrait d’article
annoté comportant les mots du LST et les termes disciplinaires (soulignés).
Les autres types de mots ne sont pas traités.
À côté des mots simples, il convient d’intégrer dans ce lexique la
phraséologie, qu’il s’agisse d’expressions complètement figées comme
point de vue ou prendre en compte, mais aussi les collocations comme
résultats encourageants, analyse approfondie ou jouer un rôle, qui
correspondent à des associations lexicales binaires privilégiées.
1.2. Travaux antérieurs pour le français --> 2
68
4. Ce lexique est consultable sur ↘ http://olst.ling.
umontreal.ca/lexitrans/
69
qui intègrent des aspects discursifs et rhétoriques. Les notions, par
exemple |EXPÉRIMENTATION| ou |RÉSULTAT|, servent à organiser le classement phraséologique, sous forme de schémas collocationnels. Cette
démarche originale n’a toutefois donné lieu qu’à des inventaires partiels
et la liste complète des unités phraséologiques n’a malheureusement pas
été publiée. À la suite de ses travaux sur les mots simples (voir plus haut),
à partir du même corpus, Drouin (2007) a également proposé un traitement des collocations de type Verbe-Nom, en exploitant des mesures
statistiques, mais ce premier inventaire n’a pas encore fait l’objet d’un
traitement sémantique.
Les études sur le lexique scientifique transdisciplinaire ont donc
connu un réel engouement dans les dernières années, mais pour le français, un inventaire systématique des mots simples et de la phraséologie,
intégrant des traitements sémantiques restait à faire.
comme pour Phal (1971) et Drouin (2007) ont été proposés dans un premier temps. Pour s’assurer que le lexique était à la fois fréquent, mais
aussi spécifique de ce genre et transdisciplinaire, plusieurs seuils statistiques ont été introduits. Les mesures employées ont permis d’extraire :
(a) les mots spécifiques (ayant un ratio supérieur au corpus de contraste),
(b) répartis dans au moins 4 des 10 disciplines et dans 40 des 100 sections du texte, (c) n’appartenant pas à des expressions figées, en excluant
par exemple œuvre dans mise en œuvre. Comme cette première liste
comportait quelques éléments non pertinents et quelques erreurs d’étiquetage automatique, une méthode de filtrage manuel à l’aide d’experts
du domaine a été mise en place pour sélectionner, grâce à des exemples,
les éléments pertinents. La base lexicale constituée comporte ainsi 1599
mots simples et locutions comme point de vue.
2.2. Modélisation sémantique du lexique
II
Extraire et modéliser le Lexique Scientifique
Transdisciplinaire
5. ↘ http://www.atilf.fr/
ressources/termith
6. Ce travail est collectif
et de nombreux collègues
et stagiaires du LIDILEM
y ont contribué. Nous
remercions ici particulièrement les collègues Magdalena
Augustyn, Rui Yan, Hoai Tran,
Marie-Paule Jacques et les
stagiaires Justine Revol,
Camille Schaeffer, Manina
Sue, Myriam Gafsi.
Un remerciement tout
particulier aussi aux
collègues de l’ATILF Evelyne
Jacquey, Laurence Kister
et Mario Marcon, qui ont
grandement participé
à la réflexion sur ce lexique.
7. Anthropologie, Économie,
Géographie, Histoire,
Linguistique, Psychologie,
Sciences de l’éducation,
Sciences de l’information,
Sciences politiques,
Sociologie
70
2.1. Constitution du LST
Dans le cadre du projet ANR TermITH --> 5, le LIDILEM --> 6 a été chargé d’élaborer une liste du lexique scientifique transdisciplinaire pour faciliter
l’indexation des textes de sciences humaines. Dans ce cadre, une liste
des mots simples et locutions figées du LST (verbes, noms, adjectifs et
adverbes) a été extraite et modélisée. En outre, un ensemble de collocations a été extrait et traité.
La méthode d’élaboration du LST — dans les étapes d’extraction,
sélection et modélisation — a été largement fondée sur des ressources
textuelles qui se devaient d’être caractéristiques du genre. À cette fin, un
corpus représentatif des écrits de sciences humaines a été constitué,
le corpus Transdisciplinaire TermITH, tout d’abord dans le cadre du travail de thèse de Tran (2014), puis complété dans un deuxième temps par
Hatier dans sa thèse (2016). Ce corpus comporte 500 articles répartis
dans 10 disciplines de sciences humaines --> 7, tirés de revues de référence.
Le corpus a été annoté sur le plan structurel et analysé syntaxiquement.
Pour élaborer ce LST, deux grandes étapes ont été suivies. Il fallait tout
d’abord extraire la nomenclature du lexique en décidant quelles unités
lexicales y seraient intégrées. Une fois ce lexique constitué ; un traitement
syntaxique et sémantique a été proposé.
L’extraction du lexique a été effectuée par Hatier (2016) dans le
cadre de sa thèse. Pour sélectionner ce lexique, des critères statistiques,
Regards d’experts
Comme il a été rappelé plus haut, une simple liste des formes était de peu
d’intérêt pour les applications envisagées. Un ensemble de traitements
linguistiques, s’appuyant sur le corpus d’articles, a alors été effectué.
Nous avons tout d’abord repéré les acceptions lorsqu’un mot polysémique apparaissait dans le corpus. Par exemple, le mot position reçoit
dans notre genre textuel deux acceptions très différenciées selon qu’il
renvoie à la position spatiale comme dans (1) ou à la notion de positionnement ou point de vue, comme en (2) :
(1) La tâche consiste à compléter l’orthographe lacunaire de mots
comportant une lettre muette en position finale et insérés dans des
phrases présentées à la fois par écrit et oralement. (article de psychologie)
(2) Mais Ran Hirschl, conformément à la position critique qu’il tient
sur cette expression exemplaire d’une judiciarisation, avance une
explication en trois points pour analyser l’accroissement voulu du
pouvoir judiciaire israélien… (article, sociologie).
Étant donné les applications envisagées pour le LST (traitement automatique et didactique), nous ne souhaitions pas une granularité trop fine de
nos acceptions, contrairement au traitement effectué par Drouin (2007).
Ainsi, 1871 acceptions ont été dégagées, les verbes étant de loin la catégorie la plus complexe à traiter. En outre, une classification sémantique des
acceptions a été effectuée en proposant d’intégrer les mots du lexique
dans de grandes classes sémantiques et des sous-classes, à partir de
propriétés distributionnelles communes. Par exemple, l’adjectif strict et
l’adverbe strictement recevront tous deux les mêmes étiquettes sémantiques (’modalité’) et la même sous-classe (’restriction’). Ces classes
sémantiques ont été élaborées à partir de critères rigoureux, en partie à
l’aide de techniques de TAL. Enfin, les acceptions sont accompagnées de
Lexique et phraséologie scientifiques transdisciplinaires en sciences humaines
71
8. Disponible
à l’adresse suivante
↘ http://lst.demarre-shs.fr/
gloses, souvent tirées du Dictionnaire Électronique des Mots (Dubois &
Dubois-Charlier 2010) ou des Verbes Français (Dubois & Dubois-Charlier
1997), parfois complétées par d’autres sources, et illustrées par des
exemples.
Le tableau 1 présente quelques exemples de lexies traitées sur le plan
sémantique. La liste complète est disponible sur la page du LST --> 8.
Comme pour les mots simples, un traitement sémantique est aussi proposé. Nous indiquons tout d’abord les éléments constitutifs de la collocation
(et le lien vers les mots simples du LST) et la forme canonique la plus fréquente pour la collocation. Nous mentionnons également, lorsque cela
était pertinent, les fonctions lexicales standard de la Lexicologie Explicative et Combinatoire (Mel’čuk et al. 1995). Les fonctions lexicales les plus
fréquentes sont les suivantes : Magn pour l’intensification (absence totale,
nombre important), Opern pour les constructions à verbe support (faire
une comparaison, jouer un rôle), CausFunc pour les causatifs (donner la
priorité, donner la possibilité). Le tableau 2 présente un exemple de traitement pour faire une hypothèse.
La base de collocations contient un peu plus de 1 500 collocations.
2.3. Les collocations du LST
La combinatoire lexicale occupe une place de premier plan dans le discours scientifique, comme cela a été relevé par de nombreux auteurs,
par exemple Gledhill (2000) ou Pecman (2004). Par ailleurs, la perspective
phraséologique, en particulier à travers les collocations, donne à voir la
dimension syntagmatique du lexique, indispensable à l’analyse sémantique des unités lexicales. Si l’on reprend l’exemple de position, observé
ci-dessus, on s’aperçoit ainsi que les cooccurrences privilégiées de ce
mot permettent de sélectionner facilement les acceptions : position finale
ou position initiale pour le sens spatial, adopter une position ou position
épistémologique pour le sens de posture.
Pour traiter les collocations du LST, que nous définirons ici brièvement comme des associations lexicales binaires privilégiées, comme faire
une hypothèse ou résultats encourageants, nous avons suivi une méthodologie analogue à celle des mots simples. Nous sommes partis d’une
extraction à partir du même corpus TermITH transdisciplinaire en exploitant les méthodes du traitement automatique des langues. Nous avons
ainsi recouru à une méthode déjà éprouvée (Evert 2007 ; Seretan 2011) qui
exploite des mesures d’association reliant des mots entretenant des relations syntaxiques. Pour constituer la base des collocations, nous avons
sélectionné les mots simples du LST, par exemple, hypothèse, en recherchant tous les cooccurrents privilégiés fréquents (au moins 7 occurrences
dans 3 disciplines) entretenant une relation syntaxique avec ce mot. Pour
hypothèse, cela permet de repérer par exemple, entre autres, les collocations suivantes : faire l’hypothèse, contrairement à l’hypothèse, hypothèse
alternative, partir d’une hypothèse, l’hypothèse suppose.
Plusieurs patrons syntaxiques de collocations sont employés :
— N – N : hypothèse de travail, formulation d’une hypothèse ;
— N – A : hypothèse valide, mutation profonde, immense majorité ;
— N – V : (les) hypothèses confirment, (le) changement intervient ;
— V – N : faire une hypothèse, jouer un rôle ;
— V – PREP – N : s’appuyer sur une hypothèse, aboutir à un résultat ;
— V – ADV : assumer pleinement, exclure totalement, modifier profondément ;
— ADV – A : totalement absent, significativement différent ;
— PREP – N : grâce à l’analyse, selon l’approche.
72
Regards d’experts
Tableau 1
Exemples de traitement
du LST
Tableau 2
Traitement de la collocation
faire une hypothèse
Acception
Lemme
Partie
du discours
Classe
sémantique
Sous-classe
sémantique
Glose
conclusion-1
conclusion
Nom
communication_support
section
Section
qui termine
un article,
un ouvrage.
conclusion-2
conclusion
Nom
relation
implication
Déduction,
conséquence
strict
strict
Adjectif
modalité
restriction
Limité
position-1
position
Nom
espace
localisation
Place, situation.
position-2
position
Nom
objetscientifique
positionnement
Posture d’une
personne,
manière dont
une chose est
posée.
strictement
strictement
Adverbe
modalité
restriction
Rigoureusement
Lemme de la base
figure
Lemme du collocatif
faire
Acception de la base
hypothèse
Acception du collocatif
_
Forme de base
faire une hypothèse
Structure de la collocation
V-OBJ→N
Fonction lexicale
Oper1
Lexique et phraséologie scientifiques transdisciplinaires en sciences humaines
73
III
Une base du LST en ligne
9. Disponible sur
↘ http://lst.demarre-shs.fr/
74
Fig. 2
Consultation du mot
hypothèse
Afin de permettre l’exploration et l’utilisation des ressources du LST
(lexique et collocations), nous avons développé un site web qui permet
d’interroger l’ensemble des données lexicales et de diffuser les ressources
lexicales. Ce site --> 9 autorise donc la consultation des mots simples du LST
ainsi que des collocations. La base est présentée à travers trois pages
principales : la consultation des entrées lexicales, celle des collocations et
la présentation de la classification sémantique. Le site est appelé à s’étoffer, en particulier dans la perspective d’une exploitation didactique.
À chaque entrée du lexique sont associés une courte glose, des
exemples d’utilisation en contexte, des statistiques sur les occurrences
ainsi que les informations sur les propriétés sémantiques de l’élément en
question, telles que sa classe et sa sous-classe sémantiques, comme vu
plus haut. Des liens vers les collocations intégrant l’entrée consultée sont
également présentés et permettent d’afficher ces mêmes propriétés pour
chaque collocation.
L’image en figure 2 présente, pour l’exemple du mot hypothèse,
l’interface de présentation d’une entrée lexicale.
En plus des pages listant les mots et collocations du LST, le site
permet d’explorer la classification sémantique du lexique en présentant
l’ensemble des classes et sous-classes sémantiques pour les quatre catégories pleines que sont les adjectifs, adverbes, noms et verbes.
Pour chacune de ces classes et sous-classes, l’utilisateur a accès
à une définition et un test d’appartenance convenant à l’ensemble des
membres du groupe, appelés co-hyponymes, tel que l’illustre la figure 3.
Les informations sur les classes (’collectif_partitif’ et ’communication_expression’) et les sous-classes (’partie’, ’mention’) sont accessibles
via des info-bulles. En cliquant sur un membre, l’utilisateur peut revenir
à la présentation particulière de chaque entrée lexicale (exemples, propriétés sémantiques, statistiques, collocations). En outre, l’utilisateur peut
avoir accès à des informations sur les collocations, à partir d’une liste
alphabétique, ou à partir d’un mot de la collocation. Il est ainsi possible
d’afficher les collocations intégrant le mot hypothèse comme indiqué
dans la figure 4 et d’en visualiser des exemples (fig. 5).
Le développement de cette interface a ainsi pour objectif de permettre une consultation plus pratique de la ressource, et ce faisant, une
compréhension plus avancée de sa structuration. Elle est amenée à évoluer dans le futur et nous espérons qu’elle pourra être facilement utilisée
dans des applications d’aide à la rédaction scientifique.
Regards d’experts
Fig. 3
Consultation des classes
du LST
Fig. 4
Les collocations du mot
hypothèse dans la base LST
Fig. 5
Exemples pour la collocation
faire une hypothèse
Lexique et phraséologie scientifiques transdisciplinaires en sciences humaines
75
Pour conclure
Bibliographie
Cet article présente une expérimentation d’élaboration du lexique et
de la phraséologie transdisciplinaire des sciences humaines et sociales,
réalisée dans le cadre du projet TermITH (pour une présentation plus
détaillée, voir Jacques & Tutin, 2018). Les ressources constituées à partir
d’une approche de linguistique de corpus intègrent un lexique de mots
simples et de locutions (noms, verbes, adjectifs et adverbes), accompagnés d’informations sémantiques. La base lexicale comporte également
un ensemble de collocations, reliées aux mots simples et locutions.
Ces données lexicales sont illustrées par des exemples tirés du corpus
d’étude. Enfin, ces ressources lexicales sont accessibles sur une plateforme web qui permet d’interroger la base, qui est amenée à évoluer, en
particulier dans une perspective d’aide à la rédaction.
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Tran, Thi Thu Hoai (2014).
Développement d’une aide
à l’écrit scientifique.
Lexique et phraséologie scientifiques transdisciplinaires en sciences humaines
77
« [les outils]
fournissent un accès
privilégié au
français scientifique,
dans la mesure où
ils permettent aux
utilisateurs, quels
que soient leurs
profils, linguistes ou
apprenants, de saisir
rapidement les usages
récurrents qui
caractérisent ces
textes, en les
contextualisant
au sein de productions
authentiques. »
78
Regards d’experts
Un corpus, des usages : des outils pour
exploiter le corpus de textes scientifiques
Scientext, de la linguistique outillée
à la didactique des langues
Achille Falaise
LLF, CNRS, Université de Paris, France
Olivier Kraif
LIDILEM, Université Grenoble Alpes, France
Thi Thu Hoai Tran
Grammatica, Université d'Artois, France
Introduction
Depuis plus d’une vingtaine d’années, les corpus sont devenus un élément
essentiel de la recherche en linguistique. Pour les langues bien dotées en
ressources linguistiques, tel le français, des corpus spécialisés couvrent
de nombreux genres textuels, et chacun comporte souvent plusieurs
millions de mots. Ils sont aussi de plus en plus enrichis d’annotations linguistiques au niveau des mots (forme canonique, partie du discours...)
et des relations entre mots (relations syntaxiques). Ces corpus peuvent
se révéler intéressants pour observer les usages en contexte, pour des
applications lexicographiques, terminologiques, voire didactiques.
Les linguistes utilisent ces ressources dans une démarche scientifique afin de confronter les théories à l’usage concret de la langue en
général, mais aussi en faisant ressortir des contrastes entre types d’usages
de la langue. L’écrit scientifique se caractérise ainsi par une phraséologie
spécifique, en faisant par exemple fortement usage des tournures passives. Les corpus permettent de le prouver, de le quantifier précisément,
mais aussi de montrer qu’au sein de ce type d’écrit, la situation n’est pas
homogène : les habilitations à diriger des recherches, écrites par des
chercheurs confirmés, recourent ainsi beaucoup plus à la première personne que les thèses de doctorat, écrites par des chercheurs débutants.
Dans le cas des textes scientifiques, les apprenants peuvent aussi
bénéficier de l’utilisation de corpus, en particulier lorsqu’ils sont euxmêmes amenés à rédiger des textes de ce type (rapport de stage, mémoire
de master, etc.). Ils sont en effet confrontés à des spécificités strictement linguistiques qui ne rentrent pas dans le cadre terminologique.
Par exemple, Chambers (2010:12) évoque l’usage du verbe connaître, qui
correspond le plus souvent, dans le corpus scientifique qu’elle utilise,
79
1. ↘ http://phraseotext.
univ-grenoble-alpes.fr/
lexicoscope
2. ↘ http://corpora.
aiakide.net
3. ↘ http://dicorpus.
aiakide.net
En effet, comme l’ont montré Fløttum & al. (2006) et, de manière plus
précise grâce au corpus Scientext, Grossmann & Tutin (2010), l’écrit scientifique ne constitue pas un genre textuel homogène : le lexique et les
formes discursives varient sensiblement suivant les disciplines (même en
mettant de côté le vocabulaire technique propre à chaque discipline),
le type de texte, et la position de l’énoncé dans le texte (et donc dans le
raisonnement).
Outre des annotations d’ordre structural, ce corpus comporte des
annotations morpho-syntaxiques. Chaque phrase est ainsi décomposée
en lexèmes (mots, ou expressions figées). Pour chacun de ces lexèmes,
sont précisées des annotations morphologiques : la forme (c’est-à-dire
le mot effectivement trouvé dans le texte), la forme canonique ou lemme
(c’est-à-dire le mot non fléchi, tel qu’on le trouverait dans un dictionnaire), la partie du discours (catégorie syntaxique : nom, verbe, etc.) et
des traits flexionnels (genre, nombre, participe passé / présent, etc.).
Par exemple, la forme hypothèses est analysée comme suit :
— forme : hypothèses ;
— lemme : hypothèse (forme canonique, sans -s) ;
— partie du discours : nom ;
— flexion : féminin, pluriel.
à l’acception de « subir / faire l’expérience de... », comme dans la phrase
« La conception de produits connaît des transformations sociotechniques importantes, […] » (ibid.). Ces usages du français scientifique,
souvent assez peu décrits, requièrent une exploration des corpus.
Le problème se pose alors de rendre accessible, au-delà du cercle
des spécialistes, cette masse d’information numérique. En effet, dans
tous les cas, la complexité des données rend impossible leur exploitation à l’état brut. La réalisation d’outils adaptés à ces besoins et à ces
publics divers constitue donc un enjeu important. Nous allons traiter ici
le cas du corpus de textes scientifiques Scientext (Tutin & Grossmann,
2012), publié à partir de 2008, et qui a depuis été intégré dans plusieurs
outils qui répondent à des utilisations différentes de ce corpus de textes
scientifiques, et nous verrons dans cet article les choix effectués pour
adapter chaque outil à ces besoins.
Dans un premier temps, nous allons présenter le corpus Scientext,
puis deux outils destinés à un public de linguistes, mais dans des perspectives légèrement différentes : le Lexicoscope --> 1 (Kraif, 2016) et
ScienQuest --> 2 (Falaise, Tutin & Kraif, 2011). Nous terminerons avec un troisième outil, Dicorpus --> 3 (Tran & Falaise, 2018), qui vise un public différent :
les étudiants de Français Langue Étrangère (FLE).
Au-delà de la dimension morphologique, le corpus comporte aussi des
annotations syntaxiques en dépendances, c’est-à-dire les types de relations syntaxiques qui lient les lexèmes. Cela permet de dépasser le niveau
de la séquence de mots, pour effectuer des recherches sur les relations
syntaxiques entre mots. Cette analyse est effectuée grâce à l’analyseur
Syntex (Bourigault, 2007), et un exemple complet d’analyse est donné en
figure 1.
L’ensemble de ces informations constitue une masse de données
complexe, et l’élaboration d’outils adaptés aux différents besoins et publics
constitue donc un enjeu important.
I
Le corpus Scientext
4. CÉDIL : Colloque
international des Étudiants
chercheurs en Didactique
des Langues et en
Linguistique.
80
Le projet Scientext a permis de collecter quatre corpus de textes académiques et scientifiques :
1. un corpus de 205 textes scientifiques en français (5,6 millions de
mots),
2. un corpus de 7 564 articles de biologie et de médecine en anglais
(42,9 millions de mots),
3. un corpus de 272 textes argumentatifs d’apprenants de l’anglais
(1,1 million de mots),
4. un corpus de 570 évaluations de communications en français du
colloque CÉDIL --> 4.
II
Les outils
Ici, nous allons traiter du premier de ces corpus (textes scientifiques en
français). Chaque texte de ce corpus comporte des méta-données indiquant sa discipline (linguistique, psychologie, sciences de l’éducation,
traitement automatique des langues, biologie, médecine, électronique
et mécanique), et le type de texte (article, communication, mémoire
de thèse et d’habilitation à diriger des recherches). Chaque texte est
en outre découpé en parties textuelles (développement, introduction,
conclusion, résumé, notes, titres, remerciements et annexes).
Les trois outils que nous allons décrire ont en commun d’être des outils
en ligne, accessibles depuis un navigateur Web, destinés à des utilisateurs
non-spécialistes, et se veulent simples à utiliser et conviviaux pour leur
public. Ils peuvent être utilisés pour fournir des données dans l’élaboration de contenus pédagogiques (dans l’approche dite « indirecte », cf.
Chambers 2010) ou pour être consultés par les apprenants eux-mêmes
dans le cadre d’une activité, dans une approche dite « directe » (ibid.). En
cela, ils tentent de répondre aux exigences suivantes :
Regards d’experts
Un corpus, des usages : des outils pour exploiter le corpus de textes scientifiques Scientext
81
5. ↘ http://phraseotext.
univ-grenoble-alpes.fr/
lexicoscope/
— Absence de technicité. Le logiciel doit être utilisable sans
connaissance préalable d’un langage de requête spécifique ou d’un
langage de balisage comme XML.
— Rapidité et facilité d’emploi. Le système doit être rapide et
simple d’emploi. L’utilisateur ne doit pas avoir à parcourir de documentation, en tout cas pour une utilisation standard. L’usager sera
guidé dans sa démarche tout au long du processus.
— Progressivité. Il est important de prévoir et d’accompagner la
progression de l’utilisateur, au fur et à mesure de sa familiarisation
avec l’outil, et de le guider vers une utilisation plus avancée. Ainsi le
formalisme de requête syntaxique, TQL (Treebank Query Language),
est réservé à un mode de requête avancé, tant dans ScienQuest que
dans le Lexicoscope, bien que les requêtes générées soient présentées aux utilisateurs afin qu’ils s’y familiarisent peu à peu.
Il n’est pas question ici de détailler chaque outil de manière exhaustive,
mais plutôt de pointer, en les contextualisant, quelques-unes de leurs
similarités et de leurs différences. Pour ce faire, on décrira deux fonctionnalités présentes dans ces trois outils : l’interface de recherche et la
visualisation de concordances.
Fig. 1
Analyse morphosyntaxique
avec Syntex de l’énoncé
L’hémicorps gauche est
systématiquement préféré
au droit.
(4)
SUJ
(2)
est
être [V] (VCONJSp)
AUX
(6)
hémicorps
hémicorps [N] (Nominc)
préféré
préférer [V] (PpaMS)
ADV
PREP
(1)
L’
le [D] (Det?)
(3)
gauche
gauche [A] (Adj?)
(5)
systématiquement
systématiquement [R] (Adv)
(7)
au
à [O] (Prep)
NOMPREP
(8)
droit
droit [N] (NomMS)
Fig. 2
Cooccurrences verbales
de hypothèse (relation
d’objet direct).
2.1. Le Lexicoscope
Le Lexicoscope --> 5 se destine à un public de linguistes, plutôt dans une
perspective d’étude de la combinatoire lexicale ; la notion de cooccurrence, c’est-à-dire l’étude de « l’attraction » entre deux mots ou
expressions, y est donc centrale. Par exemple, pour le corpus Scientext,
on pourra extraire la liste des cooccurrents verbaux suivants du lemme
hypothèse, assortis de leurs fréquences (fig. 2).
L’outil permet de consulter une large collection de corpus monolingues et multilingues (corpus parallèles), dont le corpus Scientext. Il est
possible de choisir de travailler sur le corpus Scientext entier, ou bien sur
un sous-corpus constitué d’une seule discipline. On peut ainsi étudier les
différences entre les disciplines en comparant des résultats obtenus sur
chaque sous-corpus.
L’interface de recherche (fig. 3) développe une idée originale : partir
d’une requête exprimée en langage (presque) naturel et intuitif, par
exemple faire hypothèse, et proposer les requêtes formelles correspondantes. Ces dernières ne sont pas affichées dans le langage de requête
TQL, utilisé en interne, mais sous forme graphique (un petit arbre syntaxique), et sous forme d’exemple, et ordonnées suivant leur fréquence
de réalisation dans le corpus. Ainsi, sans connaître le langage de requête
ni la manière dont le corpus est annoté, l’utilisateur peut néanmoins,
progressivement, trouver une requête formelle qui correspond à ce qu’il
82
Regards d’experts
Fig. 3
Interface de recherche
pour la requête « faire
hypothèse ».
Un corpus, des usages : des outils pour exploiter le corpus de textes scientifiques Scientext
83
2.2. ScienQuest
ScienQuest --> 6 a été conçu au départ comme une interface dédiée au corpus Scientext. Il s’est depuis enrichi de plusieurs corpus, dont certains
relèvent d’autres genres textuels.
Comme le Lexicoscope, ScienQuest se destine à un public de linguistes, mais dans une perspective plus phraséologique, centrée autour
des concordances, et contrastive. À ce titre, le corpus Scientext, tel qu’il
est présenté dans ScienQuest, est pré-partitionné suivant les structures
textuelles du corpus (discipline, genre textuel, partie textuelle). Une page
permet de composer un sous-corpus en fonction de ces critères, ou bien
individuellement au niveau des textes.
Contrairement au Lexicoscope, ScienQuest utilise un formulaire de
recherche plus classique (fig. 6). En pratique, il s’avère un peu plus difficile
à utiliser au premier abord, en particulier lorsqu’il s’agit de spécifier une
relation syntaxique, mais en contrepartie, il est aussi un peu plus polyvalent.
Le formulaire dissimule autant que possible la complexité du langage,
et en particulier les codes utilisés pour noter les catégories et les relations
syntaxiques. On peut noter que, comme le Lexicoscope, ScienQuest permet de passer du formulaire de recherche à la requête correspondante
dans le langage TQL. Là aussi, il s’agit de permettre à l’utilisateur de passer
progressivement du formulaire simplifié au langage de requête formel, si
celui-ci a besoin d’effectuer une requête complexe qu’il n’est pas possible de composer avec le formulaire. Ainsi, un utilisateur, même avancé,
peut commencer à composer sa requête dans le formulaire, et passer au
langage formel seulement lorsqu’il a épuisé les possibilités de ce dernier,
pour compléter sa requête.
84
Regards d’experts
300
250
que_CONJQUE
0
je_PRON
50
être_VERB
100
suivant_ADJ
150
homogénéité_NOUN
200
le_DET
Fig. 4
Lexicogramme pour
la requête faire hypothèse,
où le verbe faire a pour
complément d’objet direct
le nom hypothèse.
Ce graphique indique que
le pivot faire hypothèse
est très souvent associé
avec on, pouvoir et le. Cette
attraction peut s’interpréter
par la forte récurrence
de la routine on peut faire
l’hypothèse dont on voit
des exemples dans
la concordance ci-dessous
(fig. 5).
pouvoir_VERB
recherche. Ce n’est pas nécessairement la fin de son parcours : il peut
ensuite, s’il le souhaite, passer en mode avancé, et raffiner sa recherche
en utilisant le langage TQL, ce qui permet ainsi d’introduire progressivement ce langage auprès de l’utilisateur.
Cette approche est particulièrement efficace dans le cas de
recherches portant sur les cooccurrences, où les requêtes ciblent souvent des lemmes reliés par des relations syntaxiques. Il y a donc de fortes
chances pour que, parmi les requêtes formelles proposées à l’utilisateur
sur ce modèle, l’une d’entre elles corresponde à ce qu’il recherche.
Les résultats correspondants à la requête peuvent ensuite être visualisés, sous forme de lexicogramme (fig. 4) ou de concordancier (fig. 5).
Dans le concordancier, la colonne centrale contient le pivot (correspondant par défaut au premier mot de la requête), et ses contextes
gauche et droit. En tête de page, la requête est affichée dans le langage
TQL, ce qui permet à l’utilisateur de se familiariser avec celui-ci. Il s’agit, à
nouveau, de familiariser et de guider progressivement l’utilisateur vers le
langage formel.
on_PRON
6. ↘ http://corpora.
aiakide.net
Fig. 5
Concordances pour
la requête faire hypothèse,
où le verbe faire a pour
complément d’objet direct
le nom hypothèse.
Fig. 6
Interface de recherche
pour la requête où le verbe
faire a pour complément
d’objet direct le nom
hypothèse.
Un corpus, des usages : des outils pour exploiter le corpus de textes scientifiques Scientext
85
7. ↘ http://dicorpus.
aiakide.net
Les résultats de la requête sont affichables sous forme de statistiques
simples (fréquences relatives), en fonction du partitionnement du corpus
(fig. 7), et sous forme de concordances (fig. 8).
Fig. 7
Fréquences relatives pour
la requête où le verbe faire
a pour complément d’objet
direct le nom hypothèse.
2.3. Dicorpus
Le corpus Scientext présente deux caractéristiques intéressantes pour la
didactique du français académique. D’une part, il est représentatif du type
de réalisation idéalement attendu des apprenants (textes académiques de
locuteurs natifs). D’autre part, comme la phraséologie du discours académique n’est pas homogène, mais varie en fonction de la discipline, du
sous-genre, ou encore des parties textuelles, le partitionnement du corpus Scientext permet de prendre en compte ces différences.
Contrairement au Lexicoscope et à ScienQuest, Dicorpus --> 7 est spécifiquement destiné à un public d’apprenants du français, en particulier
pour l’aide à la rédaction en français académique, à laquelle les étudiants
sont confrontés, par exemple pour l’écriture d’un mémoire de stage.
Dicorpus ne permet pas d’effectuer une recherche libre dans le corpus,
mais de consulter des exemples authentiques d’une liste d’expressions,
sélectionnées par un enseignant. Il comporte ainsi des fonctionnalités
similaires aux outils destinés aux linguistes, mais plus limitées et beaucoup
plus guidées, avec une présentation adaptée à un public d’apprenants.
Techniquement, Dicorpus est basé sur ScienQuest, et historiquement, découle de travaux visant à utiliser les corpus, et en particulier
Scientext, pour la didactique du FLE. L’interface de ScienQuest s’avérant
trop complexe, et proposant des choix trop nombreux et peu pertinents
pour des apprenants, il a été proposé de créer une version de cette interface adaptée à ce public.
Afin de constituer une base Dicorpus, l’enseignant effectue des
recherches dans ScienQuest, qu’il sauvegarde. Ces recherches sauvegardées, et organisées par sens et par expression par l’enseignant,
constituent la liste des expressions dont l’apprenant va pouvoir consulter
les occurrences en corpus.
Pour l’apprenant, l’interface de recherche dans le corpus se présente donc, non pas sous forme de champs de saisie libres, mais sous
forme d’un catalogue d’expressions (fig. 8), organisées en rubriques par
l’enseignant. Cette présentation s’avère beaucoup plus facile à exploiter
par les apprenants.
L’affichage des résultats sous forme de concordancier (fig. 8), avec
une colonne centrale pour l’expression recherchée, et quelques mots de
contexte gauche et droit, s’est avéré déroutant pour les apprenants. C’est
pourquoi, dans Dicorpus, les résultats sont affichés sous forme d’extraits
relativement longs, sans colonnes (fig. 10).
Comme nous l’avons déjà souligné, les textes scientifiques ne
constituent pas un genre homogène. Ce point est particulièrement
86
Regards d’experts
Fig. 8
Concordances pour
la requête où le verbe faire
a pour complément d’objet
direct le nom hypothèse.
Dans les concordances,
tous les mots de la requête
occupent la colonne
centrale des concordances,
et les structures textuelles
auxquelles appartiennent
les résultats sont indiquées.
Fig. 9
Recherche de l’expression
à ce propos.
Fig. 10
Résultats pour l’expression
à ce propos.
Un corpus, des usages : des outils pour exploiter le corpus de textes scientifiques Scientext
87
important pour des apprenants, qui vont avoir beaucoup plus de facilité
à comprendre des exemples relevant de leur propre discipline. Dicorpus
permet ainsi aux étudiants d’intervenir sur le corpus dans lequel ils effectuent leurs recherches, afin de filtrer les résultats en fonction de leur
discipline, et de la partie textuelle qu’ils sont en train de rédiger (fig. 11).
Dicorpus a notamment été testé auprès d’étudiants allophones au
sein de la formation du Diplôme Universitaire Français Langue Étrangère
pour la Préparation aux Études Supérieures, à l’Université d’Artois, pendant
trois années consécutives de 2016 à 2019. À titre d’illustration, Dicorpus a
ainsi été utilisé dans le cadre d’exercices portant sur l’expression de la
reformulation à l’aide d’expressions telles que au total, en définitive et en
fin de compte, afin de permettre aux étudiants d’observer sur corpus les
nuances entre ces trois expressions, difficiles à distinguer à partir du seul
dictionnaire. Cette observation sur corpus se concluait par des exercices
lacunaires tels qu’illustré dans la figure 12.
Fig. 11
Filtrage en fonction
de la discipline
et de la partie textuelle.
Fig. 12
Exemple d’exercice.
Conclusion
L’utilisation des corpus peut s’avérer complexe, et des outils spécialisés,
adaptés à des tâches particulières, mais aussi à un public particulier, sont
nécessaires. Nous avons présenté dans cet article trois outils qui adoptent
trois approches différentes pour explorer un corpus d’écrits scientifiques. Certaines fonctionnalités, comme la recherche et la visualisation
de concordances, reviennent de manière récurrente dans ces outils, mais
sous une forme qui varie en fonction de la tâche et du public. D’autres
fonctionnalités sont spécifiques à un besoin précis.
Ces outils sont régulièrement testés avec des utilisateurs dans le
cadre de conférences, de tutoriels, de formations, et d’expérimentations,
ce qui permet à leurs concepteurs de les faire évoluer pour répondre au
mieux aux besoins de leurs publics. Ils peuvent ainsi diverger dans leur
approche pour mieux s’adapter à la variété des besoins, mais toujours
avec le souci de guider les utilisateurs vers une utilisation plus experte des
corpus.
Nous pensons qu’ils fournissent un accès privilégié au français
scientifique, dans la mesure où ils permettent aux utilisateurs, quels que
soient leurs profils, linguistes ou apprenants, de saisir rapidement les
usages récurrents qui caractérisent ces textes, en les contextualisant au
sein de productions authentiques.
88
Regards d’experts
Bibliographie
Bourigault, Didier. (2007).
Un analyseur syntaxique
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Un corpus, des usages : des outils pour exploiter le corpus de textes scientifiques Scientext
89
« Les nominalisations,
très présentes
dans les écrits
académiques,permettent
une expression
concise et précise
favorisant l’économie
de langage. »
Les nominalisations déverbales dans l’écrit
scientifique
Introduction
Abréviations utilisées
AQ
AR
GN
Nact
PP
SA
SP
adjectif qualificatif
adjectif relationnel
groupe nominal
nom
participe passé
sujet actif
sujet passif
1. La recherche complète
est présentée dans :
Touati, Malika (2018).
La nominalisation dans
l’écrit scientifique
académique : état des lieux
et pistes didactiques
en FLE (Mémoire de Master
non publié). Université
de Neuchâtel.
90
Regards d’experts
Malika Touati & Alain Kamber
Université de Neuchâtel, Suisse
Depuis l’article fondateur de Tutin (2007a), de nombreux travaux sur le
lexique scientifique transdisciplinaire (LST) ont été menés en France (voir
l’état des lieux dressé par Tutin & Jacques, 2018). La présente étude partage
cet intérêt pour le LST et porte plus spécifiquement sur les nominalisations déverbales issues de la conversion de phrases verbales passives en
syntagmes nominaux étendus de schéma Nact + de + GN (SP), dont la
tête nominale est un nom d’action et le GN le sujet passif (les données
ont été analysées par le chercheur > l’analyse des données) --> 1. Le choix
de cette thématique pour l’enseignement / apprentissage du français
langue étrangère (FLE) de niveau avancé (B2-C1) à l’université se justifie
essentiellement par deux aspects : d’une part, les nominalisations, très
présentes dans les écrits académiques (cf. Kocourek, 1991), permettent
une expression concise et précise favorisant l’économie de langage (cf.
Parpette, 2001) ; d’autre part, ce sujet n’est généralement pas abordé
dans le cadre de l’enseignement du FLE, bien qu’il soit étroitement lié aux
besoins linguistiques des étudiants étrangers pour la rédaction de leurs
travaux académiques.
Après un cadrage théorique succinct (section 1), nous présenterons les aspects méthodologiques de cette recherche (section 2), avant
d’exposer les résultats concrets de l’analyse (section 3) et de terminer par
une brève discussion (section 4).
91
I
Nominalisation et noms d’action déverbaux
2. Tous les exemples cités
proviennent de notre
corpus de travail.
3. ↘ https://scientext.
hypotheses.org/corpusdes-ecrits-scientifiquesfrancais
« La nominalisation est un procédé de formation d’un nom à partir d’une
unité lexicale non nominale » (Knittel, 2015, p. 3). Le mot résultant reçoit
les propriétés morphosyntaxiques et les spécifications (genre et nombre)
propres à la catégorie nominale et il admet une « combinatoire nominale »
(détermination, modification adjectivale, etc.). Les noms d’action déverbaux
sont construits par deux procédés, la suffixation et la « conversion verbonominale » (Huyghe, 2014, p. 184). Alors que les suffixes nominalisateurs
sont nombreux et variés (-ade/noyade, -age/ancrage, -ance/reconnaissance, -erie/tricherie, -tion/qualification, -ment/prélèvement,
-ure/ligature, etc.), la conversion verbo-nominale, elle, concerne les
noms comme travail, étude, choix, entrée, achat, etc. Comme le relève
Huyghe (2014), la question du sens de la conversion du verbe vers le nom
n’est souvent évidente que pour les noms construits par suffixation.
Un nom d’action déverbal a la capacité de conserver la structure
argumentale propre au verbe dont il dérive et de construire ainsi « des
relations d’ordre syntaxique » (Magri-Mourgues, 2015, p. 154). Le complément du nom peut renvoyer au complément direct du verbe de base si
celui-ci est transitif (Ex. 1) ou au sujet s’il est intransitif (Ibid.) (Ex. 2) --> 2 :
(1) Cet agrégat a été étudié dans l’état réduit par spectroscopie
RPE, ce qui a conduit à l’observation d’un signal quasi axial. /… on a
observé un signal quasi axial… (complément direct)
(2) Aujourd’hui, nous assistons également à l’émergence de nouvelles
applications dans la bande de fréquence aux alentours des
60 GHz. /… de nouvelles applications émergent… (sujet)
Enfin, les noms d’action déverbaux se caractérisent par leur hétérogénéité sémantique. Ainsi, un même nom d’action déverbal peut dénoter
un « procès », un « évènement » ou un « résultat ». De plus, certains
noms peuvent admettre deux interprétations, très rarement trois (Flaux &
Van de Velde, 2000, p. 105-106).
5. Le nombre de mots par
domaine est donc équilibré,
mais pas celui par discipline,
en raison du nombre
inégal de textes collectés
par discipline.
6. Les adjectifs qualifiants
peuvent prendre une valeur
descriptive ou évaluative ;
certains peuvent être
antéposés ou postposés
au nom, alors que d’autres
n’ont qu’une seule place
(Riegel, Pellat & Rioul, 2016,
p. 345). Les adjectifs
relationnels, eux, sont
construits sur une base
nominale (Noailly, 1999,
p. 22). Leurs propriétés
syntaxiques sont semblables
à celles d’un complément
du nom : toujours immédiatement postposés au nom,
ils sont peu compatibles avec
les adverbes de gradation
et d’intensité (Ibid.). Enfin,
les participes passés à valeur
adjectivale sont toujours
postposés au nom.
chacun deux disciplines : les sciences humaines (linguistique et psychologie), les sciences expérimentales (biologie et médecine) et les sciences
appliquées (électronique et mécanique). L’écrit scientifique retenu est la
thèse de doctorat --> 4, dont le rôle est essentiel dans la construction, l’évaluation et la diffusion des savoirs scientifiques.
Notre démarche se voulant transversale, nous avons constitué ce corpus de telle sorte qu’il soit équilibré en nombre de mots pour permettre
une étude comparative des constructions entre les trois domaines. Chacun de ces domaines compte environ 480 000 mots (tableau 1). Le corpus
complet contient un total de 1 444 700 mots répartis sur 20 textes --> 5.
2.2. Étapes de la recherche
La recherche des constructions à tête nominale déverbale s’est effectuée
en plusieurs étapes. Dans un premier temps, une liste de noms d’action a été constituée à partir du Dictionnaire de fréquence du français
(2013) pour avoir une base de travail qui soit la plus large possible. Parmi
ces noms, nous avons retenu ceux dérivés de verbes transitifs directs,
comme analyse < analyser, construction < construire, etc. Ensuite, nous
avons procédé à une recherche par lemme de chacun de ces noms dans
le corpus de travail dans le but d’obtenir toutes ses occurrences (singulier
et pluriel). La sélection des noms d’action déverbaux transdisciplinaires
se fonde sur l’association des deux critères de fréquence et de répartition (cf. Tran, 2014) : ainsi, 68 noms, apparaissant au moins 45 fois dans
l’ensemble du corpus de travail et au moins 10 fois dans chacun des trois
sous-corpus, ont pu être déterminés. Une recherche combinée Nact
[lemme] + de [lemme] avec chacun de ces 68 noms d’action transdisciplinaires, puis un traitement manuel ont ensuite permis de sélectionner
les constructions conformes au schéma Nact + de + GN (SP).
III
Résultats
Le corpus constitué pour ce travail à partir de Scientext --> 3 se caractérise à
la fois par une diversité disciplinaire et une homogénéité de genre textuel.
Il comporte trois sous-corpus relevant de trois domaines distincts, avec
Nous présentons ci-après les résultats relatifs aux 4 constructions dont
les noms têtes sont les noms d’action déverbaux traitement, mesure,
représentation et analyse (tableau 2). Pour chaque construction, nous
commençons par nous intéresser au sujet actif (SA) et à dégager les catégories sémantiques des noms sujets passif (SP). Nous analysons ensuite
les modifieurs du nom d’action, et particulièrement les adjectifs épithètes
qualifiants (AQ) et relationnels (AR), ainsi que les participes passés à valeur
adjectivale (PP) --> 6. Enfin, nous déterminons les valeurs aspectuelles de ces
nominalisations par l’examen des contextes d’utilisation.
Regards d’experts
Les nominalisations déverbales dans l’écrit scientifique
II
Aspects méthodologiques
2.1. Constitution du corpus de travail
92
4. Toutes les parties
de thèses ont été intégrées :
introduction, développement, conclusion, résumé,
notes de bas de page,
remerciements, annexes,
avant-propos et mots-clés.
93
Tableau 1
Constitution du corpus
de travail
Domaines
Disciplines
Nombre de textes
(thèses)
Nombre de mots
Lettres et sciences
humaines
Linguistique /
psychologie
6
479 849
Sciences
expérimentales
Biologie /
médecine
7
482 112
Sciences
appliquées
Électronique /
mécanique
7
482 739
20
1 444 700
Total
Tableau 2
Synthèse de l’analyse
des quatre constructions
traitement + de + GN (SP) ;
mesure + de + GN (SP) ;
représentation + de +
GN (SP) et analyse + de +
GN (SP)
Sous-corpus
Sujet passif
Concret
29 %
Abstrait 71 %
— Processus 38 %
— Macromolécules
29 %
— Forme 9 %
Épithètes 85 %
29 AR
Résultat
100 %
Sciences
appliquées
(46 occurrences)
Concret 26 %
Abstrait 74 %
— Phénomènes
physiques 30 %
— Paramètres 24 %
— Forme 22 %
Épithètes 37 %
5 AQ
7 AR
4 PP
Résultat
100 %
Analyse + de + GN (SP)
Catégories
sémantiques les plus
fréquentes du SP
Modifieurs
Valeur
aspectuelle
Sciences
humaines
(112 occurrences)
Abstrait
100 %
— Documents 23 %
— Information 20 %
— Éléments
grammaticaux 20 %
Épithètes 13 %
2 AQ
11 AR
2 PP
Procès 63 %
Résultat
37 %
Sciences
expérimentales
(70 occurrences)
Concret 42 %
Abstrait 58 %
— Constituants
du corps vivant 31 %
— Produits 19 %
— Image concrète 14 %
Épithètes
20 %
5 AQ
8 AR
Procès 41 %
Résultat
59 %
Sciences
appliquées
(21 occurrences)
Abstrait
100 %
— Paramètres 38 %
— Entités quantifiables
24 %
— Processus 14 %
3 AR
1 PP
Résultat
62 %
Traitement + de + GN (SP)
Sciences
humaines
(123 occurrences)
Concret 1 %
Abstrait 99 %
— Éléments
linguistiques 29 %
— Données 20 %
— Langage 18 %
Épithètes 37 %
27 AQ
18 AR
1 PP
Procès 65 %
Résultat
35 %
Sciences
expérimentales
(70 occurrences)
Concret 86 %
Abstrait 14 %
— Maladie 46 %
— Constituants
du corps vivant 30 %
— Données 10 %
Épithètes 9 %
1 AQ
5 AR
Procès 15 %
Résultat
85 %
Sciences
appliquées
(230 occurrences)
Concret 78 %
Abstrait 22 %
— Phénomènes 65 %
— Observables 12 %
— Données 11 %
Épithètes 5 %
5 AQ
3 AR
Procès 89 %
Résultat 11 %
3.1. Traitement + de + GN (SP)
Mesure + de + GN (SP)
Sciences
humaines
(46 occurrences)
Abstrait
100 %
— Aptitudes 41 %
— Grandeurs 24 %
— Caractéristiques
17 %
Épithètes 13 %
6 AQ
Procès 4 %
Résultat
96 %
Sciences
expérimentales
(61 occurrences)
Abstrait
100 %
— Grandeurs 48 %
— Activités cellulaires
44 %
— Paramètres 4 %
Épithètes 17 %
5 AQ
3 AR
Procès 80 %
Résultat
20 %
Sciences
appliquées
(148 occurrences)
Concret 4 %
Abstrait 96 %
— Grandeurs 78 %
— Résultat d’un fait
12 %
— Paramètre 7 %
Épithètes 9 %
6 AQ
7 AR
Procès 2 %
Résultat
98 %
— Phrase et
constituants 40 %
— Propriétés
linguistiques 26 %
— Données 12 %
— Forme 6 %
Épithètes 33 %
8 AQ
47 AR
Procès 22 %
Résultat 78 %
Représentation + de + GN (SP)
Sciences
humaines
(167 occurrences)
94
Sciences
expérimentales
(34 occurrences)
Regards d’experts
Concret 5 %
Abstrait 95 %
Cette construction présente des similitudes et des différences dans les
trois sous-corpus. Ainsi, en sciences expérimentales, traitement désigne
l’action empirique d’un chercheur, dont l’objet est presque toujours
concret, renvoyant aux « constituants du corps vivant » (cellules, peau
murine, macrophages, peau de souris) ou aux maladies (tumeurs, lymphomes). En sciences appliquées, le chercheur exerce l’action sur un
objet abstrait (congestion(s), couplage vibronique, échange(s), évènements). En sciences humaines enfin, le SA n’est pas toujours un chercheur,
mais peut aussi être simplement un individu ou un groupe d’individus,
et le SP est toujours abstrait, désignant des « éléments linguistiques »,
des « données », ou des noms du « champ lexical du langage ». La catégorie sémantique des SP commune aux trois sous-corpus est celle
des « données ». Elle est plus fréquente en sciences humaines (20 %)
qu’en sciences appliquées (11 %) et en sciences expérimentales (10 %).
En sciences humaines, ces données sont des informations, items, etc. ;
en sciences appliquées, ce sont des mesures, informations, etc. ; et en
sciences expérimentales, des informations, spectres, etc.
Le sous-corpus des sciences humaines se caractérise par un usage
fréquent du substantif traitement avec un adjectif. Il s’agit, dans la plupart
Les nominalisations déverbales dans l’écrit scientifique
95
2. Sur les relations
syntagmatiques internes
entre lexique scientifique
transdisciplinaire
et lexiques disciplinaires,
voir Jacquey, Kister, Marcon
& Barreaux (2018).
des cas, d’un adjectif servant à indiquer le « procédé » du traitement
(automatique, statistique) --> 7. En sciences expérimentales, par contre, le
nom d’action traitement n’est que rarement accompagné d’un adjectif
spécifiant l’action, car il n’exprime qu’un seul sens : celui de « soigner ».
En sciences appliquées enfin, les adjectifs modifieurs de traitement ne
sont pas nombreux, mais peuvent dénoter un moyen. Globalement, ce
sont des AQ avec une valeur évaluative qui apparaissent dans les trois
sous-corpus (efficace, adéquat, exact), tandis que les AR qui expriment
une relation sémantique « partie / tout » entre leur référent et le SP
sont utilisés uniquement en sciences humaines (séquentiel, sériel) et en
sciences appliquées (séquentiel).
Cette nominalisation se trouve majoritairement au singulier dans les
trois sous-corpus. Elle a principalement une valeur processive dans les
sous-corpus des sciences humaines et des sciences appliquées, alors
que la valeur résultative domine en sciences expérimentales.
Les emplois prototypiques de la construction dans les trois sous-corpus
peuvent être illustrés par les exemples suivants :
— Sciences humaines
(3) Le logiciel retenu n’est pas en soi un outil conçu pour le traitement de banques de données.
— Sciences expérimentales
(4) Il a été montré que le traitement des cellules avec la méthylcyclodextrine, une drogue qui extrait le cholestérol membranaire,
induit une inhibition de l’infection par le VHC.
— Sciences appliquées
(5) Notre objectif a alors été de déterminer quel modèle de base
nous allions définir pour le traitement des congestions.
Les exemples prototypiques de ces divers emplois sont :
— Sciences humaines
(6) La mesure de la stratégie LM est en effet supérieure à celle de la
stratégie LG pour l’ensemble des corpus.
— Sciences expérimentales
(7) Dans nos expériences, nous pourrons utiliser des VHCcc luciférase, qui permettent une quantification très sensible des niveaux
d’infection par la mesure de l’activité de la luciférase.
— Sciences appliquées
(8) Les mesures d’épaisseur de l’épiderme des 12 sites dorsaux des 8
souris du groupe contrôle ont permis de définir des plages de valeurs
d’épaisseurs saines tenant compte des variations inter-individuelles.
3.3. Représentation + de + GN (SP)
Le nom d’action mesure exprime une action empirique et s’emploie avec
un nom SP abstrait dans les trois sous-corpus. La catégorie sémantique des
noms SP commune aux trois sous-corpus est celle des noms désignant un
« facteur quantifiable » par une unité de mesure : puissance, vitesse, différence de temps, distance, etc. en sciences appliquées ; épaisseur, densité,
fluorescence, concentration, etc. en sciences expérimentales ; fréquence
de cooccurrence, taille de lettres, temps de réaction, amplitude de la
succion non-nutritive, etc. en sciences humaines. Cette catégorie est plus
représentée en sciences appliquées (78 %) qu’en sciences expérimentales
(44 %) et en sciences humaines (24 %), ce qui s’explique sans doute par
le fait que l’action de mesurer joue un rôle central dans les pratiques de
recherche dans ce domaine.
Le substantif mesure n’a que rarement besoin d’un adjectif. Globalement, il admet des AQ ayant une fonction descriptive objective
Le déverbal représentation est employé exclusivement pour exprimer une
action empirique en sciences expérimentales et en sciences appliquées.
En sciences humaines, en revanche, le SA est dans la plupart des cas un
individu (enfant, apprenant, adulte, jeune) ou un groupe d’individus.
Les noms SP privilégiés par ce nom d’action sont abstraits dans
l’ensemble des sous-corpus. En sciences humaines, ils désignent la
« phrase » et des « propriétés linguistiques », en sciences appliquées, un
« phénomène » ou un « paramètre », en sciences expérimentales enfin,
majoritairement un « processus », une « forme » ou une « catégorie ».
Parmi les catégories sémantiques du nom SP, l’acception « forme »
est commune aux trois sous-corpus. Elle est plus fréquente en sciences
appliquées (structure, modèle, template, etc.) qu’en sciences humaines
(structures, forme, constructions, etc.) et en sciences expérimentales
(organisation (structurale et fonctionnelle), distribution des interneurones striataux).
Le substantif représentation a une forte attirance pour les adjectifs
épithètes en sciences expérimentales (85 %), comparativement aux sciences
appliquées (37 %) et aux sciences humaines (33 %). Parmi les adjectifs, ce
sont les relationnels désignant un moyen qui sont les plus utilisés, et ce dans
les trois sous-corpus. On note qu’en sciences expérimentales et en sciences
Regards d’experts
Les nominalisations déverbales dans l’écrit scientifique
3.2. Mesure + de + GN (SP)
96
(instantanée) ou appréciative (précise). Les AR, quant à eux sont utilisés en sciences expérimentales et en sciences appliquées, où ils servent
à préciser une propriété du SP (une mesure quantitative de la réparation des dommages : « une mesure de la quantité de la réparation des
dommages »), ou à mettre en relation l’action avec un paramètre (instantanée : « à un instant donné »).
En sciences expérimentales, cette construction décrit la plupart du
temps un procès en cours, alors qu’elle exprime dans la majorité des cas
un résultat dans les deux autres sous-corpus.
97
— Sciences expérimentales
(13) Nous avons réalisé l’analyse de nos résultats pour la longueur
d’onde 700 nm.
(14) L’analyse des microséquences obtenues pour ces spots nous a
conduits à l’identification de 54 protéines spécifiques d’Armadillidium
vulgare infectés ou non par Wolbachia.
— Sciences appliquées
(15) Cette analyse de l’erreur sur l’estimation du premier trajet met
en valeur le rôle important des paramètres.
appliquées, représentation n’accepte que les adjectifs graphique et schématique, alors qu’en sciences humaines ces adjectifs sont variés (lexicale,
phonologique, schématique, syllabique, etc.).
En sciences expérimentales et en sciences appliquées, cette nominalisation est monosémique, désignant le résultat de l’action. En sciences
humaines toutefois, elle exprime dans certains cas (22 %) un procès en cours.
Les exemples suivants illustrent les emplois prototypiques :
— Sciences humaines
(9) Nous proposons un appariement de structures issues du corpus
français qui s’appuient sur la représentation conceptuelle du sens de
l’information en LS.
— Sciences expérimentales
(10) Figure 18 — Représentation schématique de la distribution des
interneurones striataux GABAergiques co-exprimant la parvalbumine ou la somatostatine.
— Sciences appliquées
(11) La représentation du domaine dans le plan de la vitesse complexe
(w) n’est pas connue du fait des parois courbes.
3.4. Analyse + de + GN (SP)
Le nom d’action analyse implique toujours un chercheur comme SA dans
cette construction. L’analyse est effectuée sur des objets abstraits comme
des « informations », des « éléments grammaticaux », etc. en sciences
humaines, et des « paramètres », des propriétés, des « entités », des
« processus », etc. en sciences appliquées. En sciences expérimentales
en revanche, le SP peut être abstrait (« état », « résultat », « données »,
« maladie ») ou concret (« constituants du corps vivant »).
Le substantif analyse est quelquefois accompagné d’un adjectif
modifieur, avec une préférence pour les AR désignant le type de procédé (théorique), la méthode (distributionnelle) ou le moyen (manuelle)
utilisé pour effectuer l’analyse. On trouve également des AR spécifiant la
technique adoptée en sciences expérimentales (colorimétrique, électrophorétique) et en sciences appliquées (spectrale).
Quant à la valeur aspectuelle, on constate qu’analyse a tendance à
désigner un procès en cours dans le sous-corpus des sciences humaines,
alors que le terme exprime plus souvent le résultat de ce procès dans les
deux autres sous-corpus.
Les exemples suivants illustrent les usages prototypiques de cette
construction dans les trois sous-corpus :
— Sciences humaines
Nous reprenons ici le thème de l’alliance présenté lors de l’analyse
du corpus anglais dans le second chapitre.
98
Regards d’experts
IV
Discussion
La recherche présentée ici montre qu’il y a des différences parfois importantes dans l’utilisation des noms d’action déverbaux dans les écrits
académiques selon le domaine concerné. Il apparaît clairement que
les termes analysés acquièrent des nuances différentes en fonction du
contexte et de la communauté qui les utilise (cf. Jorge-Botana, León,
Olmos & Escudero, 2011, p. 229). Faut-il pour autant parler de polysémie ?
Toujours est-il que l’élément langagier permet de mettre en lumière les
pratiques inhérentes à chaque famille de disciplines. Dans cette perspective, il semble, au vu de l’analyse, que le critère « valeur aspectuelle » (et
donc l’opposition entre « procès » et « résultat ») se montre particulièrement efficace et révélateur.
Si les critères « sujet passif » et « modifieurs privilégiés » contribuent
eux aussi à inscrire les constructions dans les trois champs de recherche,
ils ne permettent toutefois guère de tracer des lignes de démarcation
claires — et moins encore des frontières hermétiques — entre les utilisations spécifiques des constructions comprenant un nom déverbal dans
les trois familles disciplinaires. Au contraire, si l’on peut dans certains cas
observer des écarts entre domaines scientifiques, la situation générale
apparaît quelque peu confuse en fin de compte, et « les lignes bougent ».
Ce tableau complexe nous renforce dans notre conviction de la
nécessité d’analyser les phénomènes individuellement pour fournir une
description qui soit la plus exacte possible de leur fonctionnement dans
chaque famille de disciplines (cf. à ce propos Hatier 2018, dont l’étude porte
spécifiquement sur les sciences humaines et sociales). La présentation
d’exemples prototypiques de leur utilisation dans chaque sous-corpus,
notamment, nous semble essentielle pour fournir aux apprenants des
informations fiables et adaptées à leur cursus personnel.
Les nominalisations déverbales dans l’écrit scientifique
99
En guise de conclusion
Bibliographie
Par l’analyse détaillée des contextes d’utilisation de ces constructions, ce
type de recherche permet de donner à un public universitaire allophone
de niveau avancé (B2-C1) des clés pour l’apprentissage d’un lexique de
genre, qui n’intègre pas la terminologie du domaine et qui renvoie aux
concepts mis en œuvre dans l’activité scientifique (Tutin, 2007), d’un
lexique transdisciplinaire que tout chercheur, indépendamment de sa discipline, devrait maîtriser pour argumenter, raisonner, se positionner, bref :
rédiger des écrits scientifiques (Cavalla, 2010). Aussi indispensables soientils pour comprendre le fonctionnement du lexique transversal, de tels
résultats ne constituent cependant que la première étape du processus,
la seconde, plus délicate encore, consistant à transposer didactiquement
ces éléments.
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101
« La co-construction
des savoirs
et la collaboration,
accompagnée d’une
médiation (incluant
observation
et auto-observation)
permettant ainsi
de prendre conscience
ou d’observer les
comportements et les
effets de contexte. »
102
Regards d’experts
Quand contenu et langue sont vus comme
indissociables
Jean-Paul Narcy-Combes
DILTEC, Sorbonne nouvelle, France
Marie-Françoise Narcy-Combes
CRINI, Université de Nantes, France
Introduction
Problématique de l’article
Nos recherches ont confirmé qu’il n’était pas possible de dissocier
l’apprentissage langagier de celui des disciplines, ni de le faire en dehors
de tout contexte culturel. L’objectif de cet article est de présenter nos
conceptions sur l’apprentissage intégré des langues et des contenus disciplinaires dans un contexte de plurilinguisme, en nous appuyant sur des
expériences que la bibliographie resitue. Nous remercions les collègues
avec qui nous avons collaboré de nous l’avoir permis.
Notre positionnement théorique sera d’abord explicité, des applications seront ensuite décrites et leurs résultats permettront de renforcer
notre position initiale.
103
I
Positionnement théorique
1.1. Le plurilinguisme
Dans dans notre compréhension des phénomènes, quelles que soient
les langues, le langage est traité semblablement au niveau conceptuel et
processuel, avec des séparations entre les zones qui gèrent les formes
et le lexique au début des apprentissages. On peut penser que le contenu conceptuel nécessite peut-être une réorganisation permanente pour
permettre l’accommodation des concepts ou de leurs organisations
puisque les contextes culturels les voient différemment.
Le développement de chaque langue n’est ni linéaire, ni stable, ni
totalement prévisible. Sans trop entrer dans le débat théorique, nous postulerons que le concept d’activation partielle d’une autre langue que celle
attendue avec adaptation plus ou moins adéquate au fonctionnement de
cette langue est un phénomène fréquent, plus ou moins volontaire (on
parle de translanguaging). Pour nous donc, toute production langagière
est translangagière, avec intercompréhension et co-activation des codes
disponibles, sans désactivation réelle d’aucun de ces codes, et la multicompétence langagière n’est pas dissociable des contenus véhiculés dans
les contextes.
1.2. L’enseignement
104
de (co-)construction des connaissances reflètent le fait que le savoir
résulte d’une réflexion et d’un travail coordonnés entre humains, outils
et environnement et non d’une transmission. Il convient donc d’inverser la pédagogie : l’enseignant devient un médiateur qui accompagne le
travail de construction que les apprenants font individuellement ou collaborativement. L’écrit joue un rôle structurant et le médiateur s’assure
que les apprenants ont eu les moyens de mettre CALP en place (voir
ci-dessus).
1.3. Réflexions sur l’écrit
Pour que l’écrit puisse jouer son rôle structurant nous nous sommes interrogés sur la possibilité d’introduire des étapes entre la créativité (qui peut
être conscientisée en langue source) et la production en langue cible.
Des expériences sur l’emploi du copier-coller dans le développement des compétences de production écrite nous ont permis de
déterminer trois niveaux de techniques :
(1) copier des phrases, voire des paragraphes entiers,
(2) éliminer les éléments des phrases / paragraphes peu utiles (ce
qui nécessite une compréhension plus fine),
(3) se détacher des formulations initiales et sortir du copier-coller
intégral ce qui implique une compréhension et une de maîtrise de
l’écriture plus grandes.
À la lumière des approches psycholinguistiques et de la réflexion sur
le translanguaging (voir plus haut), nous avons postulé que le scripteur
peut débuter par une écriture en deux étapes apparemment successives
mais de plus en plus imbriquées. Initialement, il devrait avoir recours aux
matériaux à sa disposition, en particulier aux codes disponibles dans son
répertoire, ainsi qu’à d’autres supports et à sa pratique de l’écriture déjà
en place.
Cette position explique notre adhésion au concept d’éducation plurilingue qui est la mise en place de dispositifs permettant des apprentissages
disciplinaires et linguistiques par le recours total ou partiel à plusieurs
langues dans le cadre de disciplines dites non linguistiques. L’école doit
accompagner les apprenants dans la transformation de leur répertoire
langagier, efficace dans la communication quotidienne et la socialisation
première (Basic intercommunication skills ou BICS) en un répertoire qui
permet le développement des fonctions cognitivo-langagières liées à la
construction des savoirs (Cognitive academic language proficiency ou
CALP) dont ont besoin les apprenants dans leurs langues de scolarisation
(Cummins,1994). Travailler des concepts en deux langues est bénéfique,
mais il importe qu’une des deux langues soit familière initialement à
l’élève pour que le translanguaging soutienne l’effort cognitif. De plus,
un curriculum intégré offre les meilleures conditions pour développer
une sensibilité métalinguistique qui renforce l’acquisition des différentes
langues. Néanmoins une approche globale implique un grand degré de
coordination entre tous les enseignants. Les technologies de l’information et de la communication (TIC) permettent une littératie multimodale
plus riche qu’auparavant. Les construits de connaissance distribuée et
Trois séries d’expériences ont été menées en Bulgarie, Tunisie et au Maroc.
Les enseignants ont accompagné les apprenants dans un cheminement qui
Regards d’experts
Quand contenu et langue sont vus comme indissociables
Un dispositif fondé sur une approche par des tâches qui font sens dans la
réalité sociale est susceptible de favoriser le développement à condition :
— d’articuler les activités de compréhension et de production écrite,
en assurant le traitement cognitif des ressources ;
— de concilier plusieurs modes de production : translangagiers d’une
part, avec appui sur le copier coller (voir ci-dessus), et par règles et
par blocs lexicalisés dans la langue cible d’autre part ;
— de recourir aux TIC : traducteurs automatiques, dictionnaires
contextuels, correcteurs, conjugueurs et dictionnaires connus par
les apprenants, mais également le copier coller créatif avec une
réflexion sur le plagiat.
105
leur était propre, avec les outils dont ils disposaient, pour que leurs productions écrites en français soient plus proches des normes académiques afin
d’atteindre leurs objectifs professionnels. Le jeu des reprises de la langue,
la réutilisation du contenu des ressources dans les écrits, la réflexion
métacognitive, et l’implication des apprenants dans les expériences permettent de conclure qu’un travail qui s’appuie leurs répertoires langagier
et méthodologique favorise le développement de la production écrite et
la structuration des savoirs. Les résultats confirment que ceux-ci développent un système de contrôle souple qui permet de manipuler leurs
propres ressources langagières et les aide à la rédaction et à la révision
de manière à atteindre une complexité et une correction plus grandes de
leur expression écrite.
Tableau 1
Master 2 — Sorbonne nouvelle
Cours à distance, sciences du langage,
ressources données (articles), monolingue
Master 2 — franco-allemand
Cours à distance, sciences du langage,
ressources plurilingues données. Tandems.
Rencontres dans chacun des sites
Master 1 — U Mohammedia
Cours hybride, sciences du langage
et français, ressources données, monolingue.
Travail théorique à distance. Travail
d’exploitation en présence.
Master 1 — ENS Tétouan
Cours hybride, sciences du langage et français,
ressources données, monolingue. Travail
théorique à distance. Travail d’exploitation
en présence et début de mise en pratique.
Cours de biologie en français à l’école
primaire au Maroc
Présentiel individualisé parfois hybride.
Biologie en français. Ressources données
(translanguaging). Construction du cours
par les élèves.
1.4. Conséquences sur la mise en place des projets
Pour mettre en place les projets qui vont suivre, nous nous sommes
appuyés sur les points suivants :
— En fonction du contexte d’apprentissage, le dispositif s’appuie
sur les TIC qui donnent accès à des sources multiples et facilitent la
résolution d’un grand nombre de problèmes de terrain.
— Les tâches tiennent compte de la relation entre discours, contenu,
culture et permettent de répondre à la pluralité des individus, des
contextes et des activités sociales tout en laissant les apprenants
(co-)construire le savoir avec une médiation enseignante active.
— Les projets sont appuyés sur le concept d’éducation plurilingue
avec adoption d’un curriculum intégré.
Nous avons cherché à vérifier que les mélanges et changements de codes
pour répondre à des besoins langagiers ou être plus créatifs contribuent
également aux développements des identités plurilingues et pluriculturelles des individus. Les formations que nous avons expérimentées étaient
en didactique des langues et français, à de rares exceptions près (dont un
module de biologie en français). Nous allons les aborder synthétiquement
ici, la bibliographie permettra d’approfondir la réflexion.
2.2. Construction des savoirs
Les divers dispositifs sont présentés dans le tableau 1. Ils pouvaient être
totalement à distance, ou hybrides : soit avec un panachage régulier ou
bien une partie à distance et une partie en séminaire en présentiel.
Ressources
Dans les cours de Master, le contenu scientifique à structurer était
proposé dans des articles scientifiques en français (et d’autres langues
parfois), sur une plateforme ou par envoi aux adresses mail. Dans certaines formations, les étudiants recherchaient coopérativement les
ressources. D’autres types de ressources peuvent être proposées sous
des formes diverses en fonction du contexte, des disciplines et des
apprenants. Par exemple, dans l’école primaire marocaine, les apprenants
partent d’un cours en arabe et de documents écrits et visuels (photos,
tableaux) en français, pour, en quatre étapes, apprendre à se servir des
outils à leur disposition développer de nouvelles stratégies pour une
Regards d’experts
Quand contenu et langue sont vus comme indissociables
II
Applications
2.1. Dispositifs
106
Dans l’ensemble, le travail était organisé par les tuteurs qui gèraient la
plateforme et les utilisateurs, et assuraient la médiation pédagogique, les
aspects techniques et l’évaluation. Le travail pouvait se faire en binôme, en
petits groupes, en collaboration apprenants / apprenants ou apprenant /
tuteur, en se rappelant que les apprenants les plus jeunes ont besoin de
plus d’encadrement.
107
utilisation raisonnée du centre de ressources, des données en ligne et
des outils numériques à savoir les traducteurs, les dictionnaires en ligne,
les logiciels de correction, etc…
Traitement des ressources et tâches
Dans les cours de Master, les étudiants recherchaient les données
sur chaque thème dans les articles pour construire leurs connaissances.
La collaboration (forum) permettait de s’organiser collaborativement, de
partager et compléter l’information, d’échanger questions et réponses
sur les problèmes rencontrés. L’enseignant y participait.
Les tâches comportaient des synthèses personnelles de deux pages (une
par thème) qui reflètaient l’état de la compréhension du thème et permettait un suivi personnalisé. Selon le calendrier, les étudiants envoyaient
leurs synthèses à l’enseignant qui fournissait une rétroaction. Un échange
personnel avait lieu spontanément par mail.
L’analyse d’un dispositif (un modèle de grille était fourni) complètait
le travail. D’autres types de tâches, qui souvent peuvent prendre la forme
de webquests, peuvent être suggérées en fonction des disciplines et des
tâches.
La préparation est collaborative, mais la tâche reste individuelle. Les
lectures et la participation à des débats sur forum permettent de moduler l’évaluation.
Dans le module franco-allemand les négociations se faisaient à
distance (forums, chat, Moodle, Skype) et les échanges étaient soumis
aux tuteurs (via Moodle). Chaque tandem avait le choix de la langue, des
modalités de rédaction de la synthèse, de la fréquence / modalité des
rencontres avec le partenaire. La seule consigne était de rédiger la synthèse.
Dans le cours de biologie pour le primaire, qui s’adresse un public
très différent, il y a quatre séquences de 5 modules où les ressources sont
gérées différemment.
— Séquence 1: réorganiser.
Les modules sont présentés en arabe pour assurer leur compréhension. Afin de monter la leçon en français, les apprenants sont
amenés à chercher des documents équivalents en français proposés
en désordre dans un dossier (il n’y a pas encore de production en
français, mais un travail de reconnaissance qui peut être collaboratif).
— Séquence 2 : reconstituer.
Plusieurs documents en arabe sont proposés qui se rapportent
à différents cours. Selon des instructions précises, les apprenants sont appelés à repérer, à trier et former un dossier relatif à
chacune des leçons à partir de documents en français. Progressivement, les apprenants passent de l’importation globale de ce qui
108
Regards d’experts
semble pertinent à la suppression des éléments secondaires et au
ré-agencement des phrases en incluant quelques éléments qui leur
sont propres de façon à obtenir un écrit cohérent.
— Séquence 3 : produire avec outils.
Nous partons toujours de documents en arabe. Les apprenants rédigent une leçon en français en utilisant les outils numériques d’aide
à l’écrit en cherchant des données dans des documents équivalents
en français mis à leur disposition dans une banque de données ou
un cahier d’activités.
— Séquence 4 : créer.
À partir d’un corpus d’illustrations et d’images mis à leur disposition et d’instructions sur la séquence qu’ils doivent contruire, les
apprenants sont amenés à produire en reformulant, paraphrasant,
enchaînant des structures pour aboutir à la séquence de biologie
attendue (recours aux TIC qui permettent d’importer des textes et
d’en rédiger un condensé en copiant / collant et adaptant les éléments les plus pertinents à partir des corpus de textes-ressources).
Les apprenants rédigent donc.
2.3. Mise en pratique / application des savoirs
Dans Fantognon (2015), l’analyse de représentations et l’observation de
pratiques d’enseignants de français langue d’enseignement soulignent
un décalage entre le discours des enseignants qui reflètent les apports
de la formation conséquente qu’ils ont reçues et leurs comportements
pédagogiques qui n’ont pas nécessairement changé. Des séances d’observation des pratiques suivies d’entretiens d’autoconfrontation ont
permis de développer la conscience du décalage entre les discours et les
pratiques après un apprentissage.
Un travail de construction personnelle et réflexive du savoir nécessite que le dispositif permette à l’individu de revenir sur ses pratiques.
Cela peut se réaliser à l’oral ou à l’écrit, de façon individuelle ou collective, sous forme d’entretiens (d’autoconfrontation) ou de journal réflexif,
mais surtout de tâches ou de projets correspondant aux objectifs de la
formation disciplinaire.
Dans une formation en master de didactique des langues, des
synthèses ont permis de construire le savoir et de révéler les points à
approfondir ensemble. Les étudiants en binômes ont ensuite élaboré
une formation en langue (dispositif, scénario pédagogique, ressources,
évaluation) qu’ils ont présentée en 10 minutes à partir d’un diaporama, complété par un dossier. Quatre stagiaires sur 30 n’ont pu sortir
du cadre auxquels ils avaient initialement été formés. La créativité des
autres était souvent bridée par leur manque d’information sur les potentialités des outils numériques dans la création et la réalisation de tâches
Quand contenu et langue sont vus comme indissociables
109
prise en charge par les étudiants), et fournisseur de savoir (dans le choix
des documents).
Dans un contexte international, cela impose une négociation préalable très précise selon les cultures d’enseignement, en particulier au
niveau de l’évaluation.
par les apprenants. Une partie du temps a donc consisté à découvrir ces
potentialités et à prendre conscience des effets que le contexte avait sur
leur créativité.
Dans le cours de biologie en français à l’école primaire marocaine, le dispositif doit conduire à l’élaboration d’un manuel de biologie
SVT pour permettre aux apprenants du primaire de passer de l’arabe
standard au français scolaire normé. L’expérimentation a pour objectif l’appropriation, « la conceptualisation », puis la production d’écrits
disciplinaires en français et la compréhension de la façon dont les TIC
répondent aux besoins langagiers des apprenants. La pédagogie est
inversée et l’approche est translangagière. Comme les outils TIC qui
simplifieraient le travail ne sont pas toujours disponibles, des cahiers
d’activité permettent de compenser ce problème mais limitent quelque
peu la créativité individuelle.
Les apprenants apprécient le travail par réalisation de projets qui change
le mode de relation avec les tuteurs. Pour eux, les TIC ne sont pas un
obstacle à l’établissement de relations authentiques et elles facilitent
l’accès aux informations, aux langues différentes, à l’établissement de
rapports plus « visuels », même si, parfois, elles ont dû faire l’objet d’un
apprentissage spécifique.
La collaboration entre pairs était effective dans tous les cas mais
jouait sans doute un rôle plus grand dans les projets qui suscitaient un
besoin de négociation pour réaliser les tâches. Les apprenants sont sensibles à la double dimension formative des projets disciplinaires.
Les limites observées concernent tout d’abord l’utilisation des
forums qui doivent avoir un fonctionnement efficace. Le travail en tandem ou en groupe est enrichissant mais complexe. Il génère parfois des
tensions au niveau de l’évaluation : harmonisation et objectivité semblent
difficiles à réaliser.
2.4. Travail sur la langue
Les écrits collaboratifs jouent un très grand rôle dans la sensibilisation de
chacun aux problèmes de langue. Les problèmes soulevés sont souvent
individuels et des micro tâches d’entraînement peuvent être proposées.
Dans le cadre de formations scolaires comme le cours de biologie
dans le primaire, où il est difficile de mettre en place un centre de ressources, chaque module est accompagné par un cahier proposant des
activités d’entraînement. Il a pour objet d’exercer les élèves à la pratique
raisonnée et méthodique de la langue pour répondre à leurs problèmes
langagiers en fonction des bilans effectués à la fin de chaque séquence.
En ce qui concerne la langue de la métaréflexion, initialement, on ne
peut qu’accepter des échanges en première langue de scolarisation pour
éviter des situations de blocage et de décontextualisation.
Dans nos modules, la participation des apprenants était remarquable et le
taux d’abandon très limité. Les tuteurs ont noté la richesse des échanges
et le fort engagement des participants, moins évident sur les forums
avec le Maroc qui consistaient en échanges de mails sur une liste, ce qui
confirme que l’organisation matérielle et technologique est cruciale.
L’espace virtuel est un milieu qui favorise le débat sur diverses
questions (académiques, pédagogiques, culturelles, techniques, personnelles, ...), et l’asynchronie joue un rôle positif au niveau de la construction
des connaissances en réduisant la pression communicative des échanges
en présence.
Les TIC permettent l’accès aux ressources, et un enrichissement
collectif, tout en favorisant le développement personnel de chacun.
L’enseignant est tour à tour médiateur, organisateur (pour les contenus, le calendrier, l’animation), régulateur (de la situation d’apprentissage
Les expériences ont pu être menées à terme à la satisfaction de tous.
Les résistances sont venues des problèmes interpersonnels et interculturels que suscitent toute interaction, collaboration ou échange, et, sur un
autre plan, de l’investissement accru que réclament ces organisations
à la fois des étudiants et des enseignants. Si les étudiants s’investissent
davantage, le travail de suivi est exigeant.
Des résultats remarquables, supérieurs aux résultats en présentiel,
ont été obtenus au niveau du savoir. Introduire le plurilinguisme et le
transnational impose une coordination complexe et lourde difficilement
applicable avec de grands effectifs.
Il n’y a pas eu de problèmes sérieux de retours sur la langue : les
étudiants avaient un niveau avancé et le géraient entre eux dans le projet
Siegen — Paris. Il est néanmoins nécessaire de prendre en compte et
de valider la cohésion et la cohérence des discours scientifiques et
académiques (c’est le rôle du tuteur dans ses retours). En ce qui concerne
l’expérience dans le primaire marocain, le travail sur la langue se fait de
façon peu menaçante dans la mesure où les élèves travaillent en petits
groupes.
Regards d’experts
Quand contenu et langue sont vus comme indissociables
2.5. Résultats et analyse
110
Discussion et conclusion
111
Ces expériences confirment l’efficacité de ce type de travail, sa pertinence
et son attractivité, mais également la complexité de son fonctionnement :
Remplacer la transmission des savoirs savants par une re/construction de ces savoirs a, dans nos expériences, accéléré le processus et
motivé les étudiants qui étaient toujours impliqués individuellement.
La co-construction des savoirs et la collaboration, accompagnée d’une
médiation (incluant observation et auto-observation) permettent ainsi de
prendre conscience ou d’observer les comportements et les effets de
contexte.
Acquérir un savoir savant, ou observer, permettent initialement de
modifier le discours, encore faut-il produire du discours (ce qui dans nos
expériences était le but des synthèses). Modifier les pratiques nécessite
de pratiquer, pour le faire l’autoconfrontation est plus porteuse que les
commentaires d’observation de pairs ou de tuteurs (en partie pour des
raisons de face).
Nos expériences confirment que pratique et observation jouent un rôle
majeur dans la formation et permettent de voir que :
— l’accès aux ressources varie en fonction du contexte, du public et
des objectifs (les ressources peuvent être mises à disposition intégralement d’un côté ou au contraire devoir être recherchées).
— Le traitement de ces ressources peut être individuel, collaboratif,
ou coopératif.
— L’écrit joue un rôle structurant, mais sans nécessairement exiger
une réelle rédaction en langue cible initialement (glisser / déposer,
etc…, mais également rédaction en langue initiale).
— Si le travail est collaboratif ou coopératif, une tâche individuelle
permet de relever les problèmes de chacun.
Un travail en équipe pluridisciplinaire est nécessaire pour que des projets
intégrés répondent aux attentes de toutes les parties, mais comment nier
que de tels projets répondent aux attentes des institutions tout en motivant les apprenants ?
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La valorisation et la diffusion du français
scientifique à l’université : une étude de cas
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Enseigner le français scientifique
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un programme de médiation scientifique
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français scientifique — Argentine
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linguistique — approche collaborative —
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d’apprentissage multimédia — Wiki
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Un dispositif de formation pour enseigner
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Fondements théoriques et ingénierie
pédagogique des manuels Cap Université
Malika Bahmad & Naïma El Bekraoui
p. 168
L’argumentation dans la rédaction
professionnalisante des étudiants
informaticiens
Emmanuel Kambaja Musampa
→ argumentation — connecteur — français
de spécialité
115
« Pour donner des
cours de FOU, les
enseignants modifient
leurs pratiques
pédagogiques et
deviennent concepteurs
de programmes, car
tout est à concevoir
contrairement au
travail habituel. »
116
Regards d’enseignants
Enseignement du Français sur Objectif
Universitaire à l’École Polytechnique
de l’Université de São Paulo : Quels enjeux
pour la formation des enseignants ?
Heloisa Albuquerque-Costa
Université de São Paulo, Brésil
Résumé
L’objectif de cet article est de discuter des
enjeux auxquels les enseignants de français
sont confrontés lors de leur attribution pour
assurer des modules Français sur Objectif
Universitaire (FOU) aux étudiants de l’École
Polytechnique de l’Université de São Paulo
qui se préparent au programme de Double
Diplôme dans les Grandes Écoles d’Ingénierie
en France. Un programme d’enseignement
et apprentissage du FOU demande de la part
de l’enseignant un solide savoir-faire quant
à la démarche méthodologique d’un cours
sur objectif spécifique, une logique qui n’est pas
présente dans les formations d’enseignants
dans la Licence ès Lettres étrangères dans
le contexte brésilien. Il s’agit donc d’un travail
d’ingénierie de formation qui comporte trois
dimensions : la première est institutionnelle
la deuxième est méthodologique et la troisième
est de programmation, c’est-à-dire le moment
où les programmes d’enseignement sont
définis et proposés aux étudiants.
117
Cet article a pour objectif de discuter des
enjeux auxquels les enseignants de français
sont confrontés lors de leur formation
en didactique pour enseigner le Français sur
Objectif Universitaire (dorénavant FOU) aux
étudiants d’Ingénierie de l’École Polytechnique
de l’Université de São Paulo (dorénavant
Poli-USP). Le FOU aux futurs ingénieurs s’insère
dans le cadre de leur préparation linguistique,
socioculturelle et académique pour candidater
aux programmes de double diplôme dans
les Grandes Écoles de France à Paris, Nantes,
Lille, Lyon et Marseille --> 1 et aussi aux
programmes d’échanges en études intégrées
dans d’autres Institutions d’Enseignement
Supérieur en France (dorénavant IES). Cette
préparation aux études en France a lieu
avant leur départ et les étudiants sont amenés
à travailler des situations de communication
de la vie quotidienne, mais aussi celles qui sont
liées au quotidien de la vie universitaire.
En général, les étudiants sont issus de différentes
filières — Génie Naval, Génie Civil, Génie
Mécanique, entre autres — et sont mis ensemble
dans les cours de français. Notons que
le programme d’enseignement porte sur des
sujets transversaux à toutes les filières
comme par exemple la présentation d’un calcul
mathématique ou les aspects descriptifs
des matières du cursus de la Poli-USP comparés
au plan d’études de l’IES où ils iront étudier.
Dans le cas des sujets disciplinaires spécifiques
à chaque filière, les étudiants travaillent
surtout à partir de documents oraux et écrits
ou de situations de communication comme
par exemple la préparation et la présentation
d’exposés. Dans cette activité chaque
étudiant choisit un sujet lié à son cursus
de spécialisation.
Dans ce contexte, la formation des
enseignants pour assurer des cours de FOU
à la Poli-USP requiert de comprendre
toutes les étapes de la démarche du Français
sur Objectif Spécifique (dorénavant FOS)
118
Regards d’enseignants
dans un premier temps, jusqu’à l’élaboration
du programme et des activités de FOU dans
un deuxième temps. Ceci devient important
une fois que les étudiants de la Licence
ès Lettres Français à l’Université de São Paulo,
les futurs enseignants de ces cours, n’ont
pas de matière spécifique pendant leur
formation sur la démarche FOS dont le FOU
est une déclinaison (Mangiante, Parpette,
2011).
Les participants à la formation en
didactique du FOU sont des étudiants inscrits
dans le cursus de la Licence ès Lettres
Français, des étudiants / moniteurs du Centre
de Langues de l’Université (CL-USP)
et / ou des étudiants de master ou doctorat
qui font leurs recherches dans ce domaine.
Un point à préciser est que nous avons
toujours un turnover de ce groupe parce
que les personnes restent dans l’équipe durant
deux ou trois semestres maximum, ce qui
cause un impact sur le programme de formation
à l’enseignement du français et du FOU.
La programmation est axée à la fois sur des
aspects généraux de la didactique pour
les former au métier d’enseignant et sur un volet
de formation continue, dans la mesure
où l’objectif principal est de travailler avec eux
pour la maîtrise de la démarche méthodologique
du FOU. Les activités propres au métier
d’enseignant sont la préparation de cours,
la sélection et l’élaboration des activités orales
ou écrites à partir de documents authentiques
(didactisation), l´élaboration des évaluations
et d’autres actions sur la conception d’unités
didactiques en FOU portant sur les besoins
des étudiants et les situations types du monde
universitaire (Mangiante et Parpette, 2011).
Ainsi, la problématique que nous
voulons traiter dans cet article se réfère aux
enjeux qui recouvrent le travail de formation
des étudiants / enseignants particulièrement
lié à la démarche méthodologique du FOU
pour le contexte de la Poli-USP.
Premièrement, nous décrivons les aspects
principaux de la dimension institutionnelle qui
recouvrent nos actions à Poli-USP, point
non négligeable dans la mesure où il y a des
caractéristiques spécifiques de la mobilité
académique en ingénierie que nous devons
prendre en compte. Ensuite, nous présenterons
les axes de la formation des enseignants au
FOU conçus spécifiquement pour ce contexte.
Ces éléments nous conduiront à expliciter
les trois dimensions de la formation au FOU
à l’Université de São Paulo.
1. Dimension institutionnelle du FOU
à la Poli-USP
Dans l’école Poli-USP, c’est le Service
des Relations Internationales qui s’occupe des
accords internationaux et du traitement
des dossiers de candidature des étudiants.
Les étudiants doivent faire spécifiquement
attention à la certification en français que les
IES exigent, au calendrier du dépôt des
candidatures et aussi aux étapes du processus
de sélection, y compris le jour de passation
des entretiens pour le double diplôme devant
un jury de professeurs français des Grandes
Écoles.
Le projet d’internationalisation vers
la France à la Poli-USP débute dès que
les étudiants commencent la première année,
ce qui les encourage à apprendre le français
très tôt au cours de leurs études. Leur
profil « idéal » pour étudier en France doit
être d’excellence, c’est-à-dire avoir de très
bonnes notes en ingénierie et attester du
niveau B2 en français ainsi que de quelques
compétences spécifiques attendues en milieu
universitaire français comme la présentation
des exposés et des raisonnements
mathématiques.
Du point de vue institutionnel, l’appui
aux actions en français est très favorable
à la réalisation des cours de FOU. Pourtant,
dans le cadre d’une préparation linguistique
avant le départ et loin du terrain, nous
identifions quelques limites qui déterminent
la conception des programmes. Pour les
surmonter, il serait important de réaliser une
collecte de données en France dans les IES
pour obtenir des informations sur les besoins
et les situations de communication orales
et écrites auxquelles les étudiants seraient
confrontés.
Étant donné que nos actions ont lieu
avant la mobilité et pas en contexte français,
il est fondamental de pouvoir identifier
et analyser les besoins des étudiants au moyen
d’entretiens réalisés avec ceux qui sont
revenus des programmes d’échange. Leurs
témoignages sur les expériences vécues
nous donnent des pistes pour l’élaboration des
activités en FOU. Cependant, ceci n’est
qu’une partie du travail complexe de collecte
de données lequel devrait être complété
par d’autres informations que seules les IES
d’accueil partenaires des accords internationaux
pourraient fournir. Il s’agirait des contenus
disciplinaires, des évaluations, des modalités
de travaux à rendre dans chaque discipline,
qui pourraient être obtenus par des entretiens
avec des responsables, professeurs des
IES françaises en Ingénierie. Ces données
s’avèrent nécessaires pour la conception d’un
programme de FOU visant à mieux préparer
les étudiants à la mobilité. En outre, il faut
considérer que la demande en FOU
à la Poli-USP se concrétise auprès de ceux
qui sont en phase d’acquisition du B1 ou l’ont
déjà acquis selon le Cadre Européen
Commun de Référence pour les Langues
(CECRL).
C’est pour assurer le module de FOU
intitulé « Français sur Objectif Universitaire aux
étudiants d’ingénierie de la Poli-USP » que
les enseignants de français suivent la formation
au FOU. Dans ce contexte, quel programme
de formation aux enseignants proposons-nous
à l’USP ?
Enseignement du Français sur Objectif Universitaire
119
2. Formation des enseignants de français
aux démarches FOU : volet transversal
et disciplinaire
La formation des étudiants de la Licence
ès Lettres Français s’adresse majoritairement
à de futurs enseignants du FOU (dorénavant
FOU-enseignants) débutants. L’objectif principal
est de les rendre capables de réfléchir
à la démarche et de la comprendre dans
un contexte spécifique pour qu’ils
puissent s’impliquer davantage dans le travail
d’élaboration d’activités. L’attention
du groupe est d’abord portée sur la pratique
réflexive (Perrenoud, 2010), principe de base
de l’enseignant dans l’enseignement. Créer
cette habitude est nécessaire pour qu’ils
puissent mieux comprendre ce qui est fait, pour
élaborer des plans de cours par rapport
aux objectifs définis, pour choisir des modalités
de travail adéquates à chaque activité, pour
soulever des questions méthodologiques liées
à la didactisation de documents oraux
ou écrits parmi d’autres tâches demandées
dans ce type de formation. Le traitement
des thématiques universitaires plus transversales
à toutes les étudiantes et tous les étudiants
en mobilité est ensuite abordé. Ces thématiques
portent sur des aspects de la vie quotidienne
sur le campus et se rapprochent de ce qu’ils
connaissent en Français Général et d’autres
thématiques plus disciplinaires liées
au discours universitaire et aux spécificités
de chaque filière en ingénierie. En effet,
en nous appuyant sur les publications en FOU,
nous reprenons ce que Mangiante et Parpette
(2012) expliquent à propos de l’enseignement
du Français Général et du FOU :
La formation linguistique des étudiants
allophones en vue d’une intégration
dans l’université française ne peut
s’appuyer sur les seules formations
en français général dont les apprentissages
de communication « pour tous », aussi
120
Regards d’enseignants
diversifiés soient-ils, ne répondent pas
aux savoir-faire langagiers déterminants
à l’université, à savoir la réception orale
des cours, et l’écriture des travaux
de validation (p. 147).
Le travail développé avec le groupe FOUenseignants mobilise donc des savoirs déjà
acquis et des connaissances nouvelles en
termes méthodologiques pour mieux identifier
et traiter les situations de communications
de la vie universitaire auxquelles les étudiants
sont confrontés lors de leur insertion dans
les IES françaises.
L’enseignant doit alors être capable
de comprendre toutes les étapes
de la démarche, d’élaborer des activités et
de définir les modalités de travail visant
le développement de compétences
langagières et méthodologiques spécifiques
du milieu universitaire. On fait référence
ici à un agir d’enseignement à partir duquel
il est important de bien définir les objectifs,
le temps disponible pour les atteindre
et les compétences à développer.
En ce qui concerne la démarche
du FOU, les enseignants-FOU sont amenés
à réaliser les cinq étapes (relevant du FOS)
à partir des études de cas qui leur sont
proposés : (1) identification et (2) analyse des
besoins, (3) collecte et (4) analyse de données
et (5) didactisation des documents. L’élaboration
des activités est l’étape finale et concerne
la formulation des objectifs, des consignes, des
tâches à accomplir et des modalités de travail
à réaliser.
Pour la conception du programme de
FOU dans les séances de formations didactiques,
l’idée de Contrat d’Apprentissage (CA) est
prise en compte. L’objectif de ce CA est de
discuter chaque point afin de comprendre
le travail de l’enseignant dans la définition des
contenus transversaux à visée FOU et d’autres
disciplinaires. Les CA contiennent les points
suivants : objectif général de l’unité didactique,
objectifs communicatifs en contexte
universitaire, compétence grammaticale,
compétence lexicale, compétence
socioculturelle.
Étant donné que l’un des objectifs
de la formation est d’élaborer des activités pour
le « Français sur Objectif Universitaire aux
étudiants d’ingénierie de la Poli-USP », il s’avère
important d’amener les enseignants
à travailler sur des contenus propres au milieu
universitaire comme par exemple : le plan
d’études de mobilité académique, les structures
de l’enseignement supérieur au Brésil
et en France, les services / bâtiments présents
sur le campus, les témoignages des étudiants
rentrés des séjours d’études dans les Grandes
Écoles, les interactions orales en milieu
universitaire. Selon Mangiante et Parpette (2012),
les étudiants doivent bien connaître le système
d’enseignement où ils vont étudier.
Nombre d’années des diplômes,
conditions d’accès, semestrialisation,
combinaison entre majeure et mineures,
différentes sessions d’examens,
etc., toutes ces données structurent
le déroulement des études et doivent
être connues précisément des étudiants.
Ces informations peuvent être traitées
à travers les données figurant sur les
sites universitaires, combinées à des
interviews de responsables de diplômes.
(p. 151).
Tableau 1 → À titre d’exemple, une unité
didactique portant sur ces sujets peut être
conçue avec les objectifs et supports
de cours.
Pour une unité didactique portant sur le volet
disciplinaire des filières d’ingénierie, il faut
prendre en compte le discours scientifique
et le lexique liés à un tel discours. Des situations
spécifiques du milieu universitaire peuvent
faire partie du programme de formation :
la compréhension des énoncés d’examens
et diaporamas de cours, la compréhension
orale des cours magistraux, l’entraînement
à la prise de notes et les restitutions de cours,
la présentation des exposés ou encore
la production écrite de genres académiques
spécifiques comme le rapport de stage,
l’une des productions écrites demandées
aux étudiants d’ingénierie.
À titre d’exemple, nous pouvons élaborer
une unité didactique d’un programme FOUdisciplinaire sur le sujet « Présenter un exposé
dans le domaine d’une filière en ingénierie ».
Une telle réflexion conduit les étudiants vers
un travail méthodologique qui commence
par le choix du sujet, sa contextualisation
et la formulation de la problématique traitée.
Ceci peut paraître évident, mais dans
l’expérience du FOU à la Poli-USP cela pose
des problèmes aux étudiants dans la mesure
où il s’agit de leur première conception
de séquence didactique en FOU. Le choix
les modalités de travail ainsi que les types
d’activités à réaliser doivent favoriser
la participation des étudiants.
Une unité didactique à cette fin pourrait
avoir les objectifs communicatifs listés dans
le tableau 2.
Pour donner des cours de FOU, les enseignants
modifient leurs pratiques pédagogiques
et deviennent concepteurs de programmes,
car tout est à concevoir contrairement
au travail habituel qu’ils réalisent avec les
manuels de Français Général dans lesquels
les activités sont prêtes à l’emploi.
La première action à accomplir est
le travail en partenariat entre l’université
de départ, l’USP, et l’IES d’accueil en précisant
les objectifs à atteindre en termes d’intégration
universitaire des étudiants en échange. Cette
collaboration implique tout un travail visant
à rendre possible la collecte de données des
documents oraux et écrits.
Pour conclure, rappelons que la formation
des enseignants à la didactique du FOU
Enseignement du Français sur Objectif Universitaire
121
Tableau 1
Unité didactique FOU
transversal
Unité didactique — FOU transversal
Objectif général
Objectifs communicatifs
Supports de cours
Communiquer en contexte
universitaire
— Présenter des projets
personnels, d’études
et professionnels
— Justifier un plan de mobilité
académique
— Demander des informations
auprès des responsables
de services sur le campus
— Descriptifs des cours
— Site des universités
— Audio des étudiants rentrés
— Dépliants – bibliothèque,
Service de Relations
Internationales, etc.
s’insère dans un cadre large d’ingénierie
de formation qui comporte trois dimensions :
la première est institutionnelle (l’identification
des types de mobilités académiques),
la deuxième est méthodologique (la réalisation
des étapes de la démarche FOS / FOU)
et la troisième est de programmation c’est-à-dire
le moment où les programmes d’enseignement
sont définis et proposés aux étudiants. Ces
trois dimensions à sont à prendre en compte
de façon égale et font émerger des questions
propres à chaque contexte.
Bibliographie
Mangiante, Jean-Marc
& Parpette, Chantal (dir.)
(2010). Faire des études
supérieures en langue
française, Le Français dans
le monde, Recherches
et Applications, nº47. Paris :
CLE International.
Mangiante, Jean-Marc
& Parpette, Chantal (2011).
Le Français sur objectif
universitaire. Grenoble :
PUG.
Mangiante, Jean-Marc
& Parpette, Chantal (2012).
Le Français sur Objectif
Universitaire : de la maîtrise
linguistique aux compétences
universitaires. Synergies
Algérie, 15, 147-166.
Perrenoud, Philippe (2010).
Développer la pratique
réflexive dans le métier
d’enseignant. Paris : ESF
éditeur.
Tableau 2
Unité didactique FOU
disciplinaire
Unité didactique — FOU disciplinaire
Objectif général
Objectifs communicatifs
Supports de cours
Présenter un exposé
en ingénierie
— Justifier le choix du sujet
— Faire la contextualisation
de la thématique
— Présenter une problématique
— Présenter le plan d’exposé
— Choisir les aspects à traiter
– développement
— Sites internet
— Recherche documentaire
— Recherche lexicale sur le
sujet à traiter dans l’exposé
de chaque filière
Notes
1. La Poli-USP a d’autres
accords signés comme
par exemple avec le Groupe
Paristech qui regroupe
10 écoles de la région
parisienne qui reçoivent
des étudiants en ingénierie,
physique, mathématiques
et chimie et aussi avec les
réseaux INSA et Télécom.
2. Depuis 2016, c’est
seulement ce module qui
est proposé aux étudiants
de la Poli. Avant 2016, il y
avait des cours du niveau A1
et A2, mais dû à une
décision du rectorat de
l’USP, ces cours ne sont
plus offerts.
122
Regards d’enseignants
Enseignement du Français sur Objectif Universitaire
123
« Nous avons vu
à quel point le
contexte national et
international impose
à l’université
marocaine de se
renouveler, et conditionne le choix
de nouveaux principes
d’enseignement. »
124
Regards d’enseignants
Didactisation pour l’enseignement du français
en contexte universitaire marocain : quelle
démarche adopter ? Le cas de la filière
« Économie et Gestion » à l’École Nationale
de Commerce et de Gestion de Casablanca.
Najoua Maafi
LAMSO, ENCG, Casablanca, Université Hassan II,
Maroc
Résumé
Les différentes investigations entretenues dans
cette recherche-action nous ont permis
de brosser les pistes d’un véritable dispositif
d’accompagnement linguistique en faveur
des étudiants de l’École Nationale de Commerce
et de Gestion de Casablanca. La démarche
FOS / FOU (Français sur Objectif Spécifique /
Français Sur Objectif Universitaire) intégrée
dans un cours de TEC (Techniques d’Expression
et de Communication) semble prometteuse.
Par ailleurs, sa mise en œuvre implique des
choix méthodologiques bien déterminés.
125
Introduction
Le défi que doit relever l’enseignement
universitaire marocain, confronté à bien des
enjeux, le pousse à réfléchir à des modèles
pédagogiques performants, en vue de
se mettre en harmonie avec les exigences
du contexte socio-économique, mais aussi
de faire face à un deuxième impératif : assurer
l’accès à un enseignement supérieur
de qualité à un nombre important d’étudiants,
en tenant compte de leurs principales attentes
et en cherchant à les doter de compétences
et de qualifications opérationnelles.
Ce souci d’adaptation amène l’université
marocaine, en général, et l’université Hassan II
Casablanca en particulier, à concevoir
de nouvelles ingénieries pédagogiques offrant
des programmes d’enseignement compétitifs
et ciblant « l’introduction de la culture
de l’excellence ».
Notre recherche propose une réflexion sur
les enjeux et les limites d’une application
concrète de la démarche FOS / FOU (Français
sur Objectif Spécifique / Français Sur
Objectif Universitaire) dans un cours de TEC
(Techniques d’Expression et de Communication)
mis à la disposition d’apprenants LANSAD,
en l’occurrence, la filière « Économie
et Gestion ».
1.
Contexte de la recherche
Au cœur de l’Université Hassan II de Casablanca,
et depuis son entrée en exercice en 2007,
l’École Nationale de Commerce et de Gestion
de Casablanca (ENCG-C) ouvre sa porte
aux bacheliers de filières scientifiques,
économiques ou techniques par voie
de concours. La formation au sein de l’École
garantit la préparation et la délivrance
du « Diplôme des Écoles Nationales de
Commerce et de Gestion » dans l’une des
options de commerce ou de gestion.
126
Regards d’enseignants
2. L’enseignement des « Techniques
d’Expression et de Communication »
à l’ENCG-C
Cette École à accès régulé vise surtout
l’efficacité, l’ouverture sur le monde socioéconomique et l’accès au marché du travail ;
ceci passe en partie par la consolidation
des programmes d’enseignement y compris
celui de l’élément de module « Techniques
d’Expression et de Communication » (TEC).
La maîtrise des techniques dispensées à travers
cet enseignement est cruciale pour l’acquisition
des savoirs disciplinaires nécessaires
à la réussite des pratiques professionnelles
auxquelles seront confrontés les lauréats
de l’École.
[…]. Dans cet objectif, l’UH2MC
cherchera à renforcer l’apprentissage
des langues vivantes pour les futurs
diplômés en portant une attention
particulière aux enseignements des
termes techniques pour les scientifiques,
des Techniques d’Expression et de
Communication ainsi que le français, […]
(Université Hassan II Mohammedia
Casablanca [UH2MC], 2011-2014, p.23)
Les contenus et les activités sont proposés
à titre indicatif et dans un ordre qui peut être
modifié au cours de leur mise en œuvre.
Ainsi, le premier semestre (TEC1 / 30 heures) est
axé sur les concepts et pratiques de la communication aussi bien que sur la prise de parole
en public. Le deuxième semestre (TEC2 / 30
heures) vise plutôt la consolidation des capacités
méthodologiques habituellement mobilisées
dans le domaine des sciences et techniques
(prise de notes, résumé…), et consiste en outre
à saisir les enjeux des relations interpersonnelles
en situation professionnelle.
3. Analyse des besoins auprès des
enseignants
Pour analyser les besoins de nos étudiants,
nous avons procédé à une enquête. Le choix
de l’échantillon du travail a porté sur
les étudiants de première année inscrits dans
la filière « Économie et Gestion ». Nous
avons ainsi procédé à une analyse qualitative
portant sur les représentations des
enseignants de spécialité à l’ENCG-C sur
le cours de TEC, sur le développement, pour
le public-cible, de compétences langagières
et méthodologiques singulières.
Les résultats de notre enquête montrent
que nos étudiants progressent d’un semestre
à l’autre en termes de compétences générales.
Le premier semestre constitue une phase
d’initiation aux enseignements qui tendront
vers l’affermissement des « aspects techniques »
pendant le deuxième semestre. La langue
française est en fait considérée comme un
« outil » facilitant l’accès à ces enseignements
au niveau de l’oral ainsi qu’à l’écrit. De surcroît,
la compréhension des termes spécialisés
est décisive pour l’assimilation de certains
mécanismes exploités dans les cours
de spécialité.
En réalité, les lacunes langagières se manifestent
particulièrement chez les étudiants ayant
suivi des cursus scientifiques ou techniques
au niveau du baccalauréat et devant
assimiler des contenus liés à la spécialité.
Cette incompétence langagière est
générée dans certains cas par le « sentiment
d’indifférence » et le « manque de motivation »
pour les études en général. À cela s’ajoute
« le manque de concentration » qui entrave
la compréhension « des consignes » sur
lesquelles portent les contrôles et les examens.
Par ailleurs, les enseignants, pour guider
les apprenants à enrichir les savoirs acquis
en classe les incitent au début de chaque
semestre à lire des documents supplémentaires
liés à leurs matières disciplinaires. Néanmoins,
ces « bibliographies indicatives » ne sont
consultées que par une minorité. Les sites
web sont aussi d’une grande importance
dans le processus d’apprentissage surtout
lorsqu’ils émanent d’une voie officielle (sites
ministériels).
Généralement, les étudiants de première
année de l’ENCG-C sont plus performants
à l’oral qu’ils jugent plus facile. Les difficultés
les plus souvent évoquées sont celles
de l’écrit, doublées par des difficultés d’ordre
stratégique qui résident en fait dans l’absence
d’« une intelligence stratégique d’apprentissage » chez les apprenants. Ces derniers,
majoritairement entravés par la phobie
des examens et de l’évaluation, ne cherchent
en aucun à développer des stratégies
de compréhension nécessaires à l’assimilation
« intelligente » des contenus, et se trouvent
souvent obligés d’apprendre par cœur au lieu
de comprendre.
Nous observons donc un hiatus entre le cours
de TEC et la filière « Économie et Gestion ».
Ce cours se limite à des activités de communication non forcément liées aux profils
de compétences exigés, et ne répond nullement
aux besoins institutionnels et professionnels
prescrits dans le projet de développement
de l’université. L’ambiguïté du cadre méthodologique et didactique adopté ne permet pas
de déterminer les compétences pertinentes
à développer à travers cet enseignement,
et manque en sus de moyens susceptibles
d’évaluer ces compétences.
Au bout du compte, il convient de souligner
les limites du cours de TEC dispensé
à l’ENCG-C qui se traduisent par l’absence
d’un modèle formel pour cet enseignement.
Un programme de cours TEC se doit d’être
alors conçu en fonction d’un référentiel
de compétences spécifiques à notre publiccible, visant une panoplie d’objectifs
à atteindre à la fin du cursus. Nous préconisons,
dans ce sens, l’adoption d’une démarche
didactique méthodique adaptée à notre
Didactisation pour l’enseignement du français en contexte universitaire marocain
127
contexte. Ainsi, la démarche FOS / FOU
pourrait-elle nous servir dans nos pratiques
de classe au sein de l’ENCG-C.
Conclusion
Nous avons vu à quel point le contexte
national et international impose à l’université
marocaine de se renouveler, et conditionne
le choix de nouveaux principes d’enseignement.
Notre intervention face à une telle situation
prône la mise en place d’un dispositif
qui permet d’accompagner les apprenants,
notamment sur le plan méthodologique
et langagier. La mise en place d’un tel type
d’enseignement devrait s’inscrire dans
la logique actuellement prônée en didactique
du FLE, précisément de la démarche FOS /
FOU développée à travers de nombreux écrits
de (Mangiante et Parpette, 2004, 2006),
et inspirée par les besoins de l’enseignement
universitaire Marocain (Amargui, 2006 ;
El bekraoui, Bahmad, 2009). Le dispositif
d’accompagnement linguistique que
nous envisageons se veut un processus
cumulatif et un programme intégral
destiné aux étudiants de la filière « Économie
et Gestion » dès leur insertion à l’ENCG-C.
Par ailleurs, sa mise en œuvre exige
une réflexion sur de nouvelles stratégies,
de nouvelles ressources techniques et
humaines capables d’atteindre les objectifs
escomptés.
Bibliographie
Amargui, Lahcen. (2006).
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aujourd’hui. Former au
français dans le Maghreb,
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[UH2MC]. (2011-2014).
128
Regards d’enseignants
Didactisation pour l’enseignement du français en contexte universitaire marocain
129
« Le français en tant
que langue étrangère
constitue le capital
linguistique de la
plupart des universités argentines,
mettant en évidence
symboliquement une
résistance à l´hypercentralité de la
langue anglaise
et une manifestation
de la richesse
du plurilinguisme.»
130
Regards d’enseignants
La valorisation et la diffusion du français
scientifique à l’université : une étude de cas
en contexte argentin
Ana María Gentile
Université nationale de La Plata, Argentine
Résumé
Nul ne saurait nier l’influence française
dans le Río de la Plata comme partout d’ailleurs
en Amérique latine, notamment aux XIXe et
XXe siècles. Les arts, les idées révolutionnaires,
les institutions éducatives, pour n’en citer que
trois exemples, sont des aspects de la culture
argentine qui se sont nourris des modèles
et des pratiques importées et adaptées à notre
contexte. Or, qu’en est-il de la culture
scientifique ? Peut-on affirmer sans hésitations
que la francophilie des premiers temps s’est
aussi répandue dans le domaine des sciences ?
Si oui, dans quel domaine scientifique
plus précisément ? Et partant, qu’en est-il
de la langue véhiculée par cette diffusion,
en l’occurrence le français ? En dépit du recul
de la langue française dans l’enseignement
secondaire en Argentine et malgré la prédominance de l’anglais comme langue de la
science et de la technique, la place du français
scientifique en contexte universitaire n’est pas
du tout à négliger. C’est ce que l’on essayera
d’analyser par une étude de cas : les pratiques
d’enseignement du français scientifique
au sein de l’Université nationale de La Plata
(désormais UNLP), notamment à la Faculté
des Humanités et des Sciences de l’Éducation
(désormais FaHCE).
131
Introduction
Les pratiques du français scientifique
en contexte argentin, en particulier dans
le cadre des filières à la FaHCE, ont pour
publics deux univers d’étudiants : d’une part
ceux dont la formation a lieu au sein
des différentes filières (histoire, géographie,
lettres, philosophie, sociologie, mais aussi
psychologie, éducation physique, didactique
en mathématiques, en physique, en
chimie, …) ; d’autre part, les futurs traducteurs
généralistes qui, dans le cadre de la formation
en traduction français / espagnol, suivent
deux années des cours de traduction
scientifique et technique.
De telles pratiques ont lieu très tôt par
rapport à d’autres universités argentines
et même latino-américaines. En effet,
c’est dans les années 40 que les premiers cours
de lecture en français y sont prévus
dans le but de développer chez l’étudiant
une compétence de lecture lui permettant
d’avoir accès à la bibliographie et aux sources
d’information de sa spécialité en langue
française, notamment dans les filières de lettres,
d’histoire, de géographie et de philosophie.
Quant aux filières de traduction professionnelle,
elles sont créées dans les années 60 dans
le but de former des traducteurs assermentés.
Dix ans après, la professionnalisation croissante
du traducteur face aux progrès scientifiques
et techniques, à la circulation plus poussée
des ouvrages littéraires et aux échanges entre
les nations, a eu comme conséquence
la naissance à la FaHCE des cursus de traduction
scientifique et technique, d’introduction
à l’interprétation et de traduction littéraire.
Cette présence du français scientifique
embrasse donc deux univers dont les
caractéristiques et les besoins représentent
un enjeu d’enseignement spécifique
qui nous invite à des réflexions théoriques
et pratiques incontournables.
132
Regards d’enseignants
1. Des objectifs spécifiques de lecture
aux objectifs universitaires : le cas des
débutants issus des différentes filières
1.1. La lecture comme porte d’entrée
à la pensée scientifique en français : quel
enseignement ? Quelle évaluation ?
À la nouveauté de la création des cursus
de lecture-compréhension des années 40
à la FaHCE succèdent dans les années 70
deux évènements : d’une part l’apparition
en Amérique Latine de la notion de français
instrumental, dont la portée est présentée
en détail pour la première fois par Alvarez
(1978). Il s’agit d’un enseignement visant
surtout à la lecture des textes de spécialité,
à la communication scientifique (aussi bien
dans les sciences dures que dans les sciences
humaines) et technique et à la mise en pratique
d’une approche globale de la lecture.
D’autre part, l’initiative politique française
de créer au sein du Ministère des Affaires
étrangères les programmes prioritaires (Eurien
Balmet et Henao de Legge, 1992) qui conduit
par la suite à la mise en place de l’Opération
Français fonctionnel, un programme
de formation destiné aux enseignants
de Français langue étrangère (FLE) assurant
des cours de lecture de textes de spécialité
au sein des universités. C’est dans les années 80
que des spécialistes tels que Denis Lehman,
Odille Challe, Sophie Moirand, Jean Claude
Béacco et Alain Souchon visitent nos universités
et animent des séminaires qui ont laissé
une forte empreinte dans la formation
de nombreux enseignants argentins (c’est
le cas des universités de Buenos Aires,
Comahue, San Luis, Mendoza, Tucumán
et La Plata, entre autres). Ce programme met
en place également des bourses de formation
au sein du Centre international d’études
pédagogiques (CIEP) de Sèvres, ce qui est
aussi l’occasion de visiter les centres
de documentation (dont notamment le CREDIF)
et de recevoir des cours ciblés sur la lecture,
l’analyse du discours et l’approche globale,
dont les limites font l’objet de nos réflexions
ci-après.
À l’heure actuelle, l’objectif fondamental des
cours destinés aux différentes filières
de la FaHCE continue d’être l’accès à la bibliographie de spécialité. Ces cours sont très
nombreux (200 étudiants en moyenne par an,
répartis aux deux semestres de l’année
académique, auxquels s’ajoute le cours intensif
d’été depuis trois ans) malgré la concurrence
des choix de langue dont l’anglais, l’allemand,
le portugais et l’italien. En effet, l’apprentissage du français scientifique intéresse
notamment les étudiants des filières d’histoire,
de géographie, de philosophie, de sociologie,
de lettres, de sciences de l’éducation
et de psychologie. Interrogés sur les raisons
de leur choix, outre la curiosité et la beauté
de la langue, ils évoquent la valorisation
du français en tant que vecteur de connaissances produites par des théoriciens lus
dans les filières. Immédiatement émergent,
selon les spécialités, les noms de Le Goff
ou Duby, Vidal de la Blache, Descartes,
Bourdieu, Ricœur, Foucault, Deleuze, Derrida,
Lacan, autant de penseurs qui sont étudiés
en espagnol par le biais de traductions, mais
qui font souvent l’objet d’analyses poussées
publiées surtout dans des revues scientifiques
en ligne. C’est à ce type de documents
que l’on a recours pour exploiter le texte
scientifique. À partir donc d’une systématisation autour de la notion de genres discursifs
et académiques, les cours s’étalent sur
un semestre (environ 75 heures), voire un an
(150 heures) pour certaines filières. La problématique commune des cursus présente
des caractéristiques générales liées au profil
de l’apprenant et au contexte d’acquisition,
à savoir :
— L’apprenant de lecture-compréhension
acquiert dans nos cours une seule compétence :
la compréhension d’un texte écrit rédigé
en langue française ;
— Pour évaluer cette compétence
de lecture, l’enseignant fait appel, entre autres,
à la production en LM de réponses à des
questions ou à un résumé sur le contenu
du texte ;
— L’objectif d’acquisition de l’apprenant
de lecture-compréhension est d’avoir accès
à la bibliographie spécifique en LE.
— Les étudiants des cours de lecturecompréhension ont été rarement en contact
avec la langue française, situation d’autant plus
grave que l’enseignement du français au niveau
secondaire a subi un recul important dans
la province de Buenos Aires. Le cours assuré
est donc très souvent le premier contact avec
la langue française. Par contre, les étudiants
possèdent une compétence en LM
et en connaissances thématiques de leur
spécialité leur permettant de comprendre
des textes de spécialité ;
— Du point de vue de l’interaction, nous
pouvons caractériser notre apprenant comme
un alloglote qui est en même temps
l’expert, en l’occurrence un expert du domaine
concerné (Arditty, 2004).
— L’hétérogénéité de profils d’apprenant
vu le nombre de formations assurées à notre
faculté, à laquelle s’ajoute le temps réduit
consacré à la matière sont autant de facteurs
qui limitent le processus d’enseignementapprentissage et obligent à élaborer des
stratégies didactiques efficaces.
D’où la nécessité de partir d’un cadre
théorique cohérent, susceptible d’étayer
les pratiques enseignantes de la culture
scientifique en français. Dans cette quête
de réponses innovantes du point de vue
linguistique et textuel autour du double jeu
de la langue comme système et de la langue
La valorisation et la diffusion du français scientifique à l’université
133
comme parole, c’est-à-dire dans les textes,
nous trouvons dans l’approche de
l’interactionnisme socio-discursif de Jean-Paul
Bronckart (1996) une aide essentielle, d’autant
plus qu’elle est nourrie des perspectives
de Vygotsky (1982) et de Piaget (1936) vis-à-vis
de la psychologie du développement.
Or, du point de vue du processus
d’enseignement-apprentissage de la lecture
du texte scientifique en français destiné
à un public débutant, notre approche se heurte
au paradoxe suivant : comment peut-on
évaluer la compréhension si ce n’est que par
l’intermédiaire de la langue maternelle?
Et dans cette interface, à laquelle s’ajoutent
les représentations des étudiants et leurs
propres pratiques, émergent inévitablement des
principes qui sous-tendent la problématique
de la traduction.
1.2 L’appel à la traduction comme stratégie
d’intervention didactique
Longtemps bannie des pratiques enseignantes,
la traduction est revendiquée aujourd’hui
comme une stratégie de mise en rapport
de deux systèmes linguistiques à laquelle
s’ajoute la dimension discursive et interculturelle
présente dans tout texte. En dépit du caractère
objectif du texte scientifique, la dimension
énonciative devient centrale dans les pratiques
de lecture et d’analyse de la mise en texte
du locuteur scientifique, a fortiori lorsqu’il
s’agit de textes en sciences humaines. C’est
dans cette construction du sens que les
rapports entre compréhension et traduction
du texte scientifique, notamment au cours des
premières lectures de nos étudiants, posent
des problèmes.
Notre objectif dans ces cours n’est pas
de former des traducteurs : nous sommes
bien convaincue que le processus de traduction
est assez complexe pour l’enseigner
sans compter avec quelques compétences
indispensables telles que la connaissance
134
Regards d’enseignants
suffisante de la langue source et de la langue
cible, les connaissances extralinguistiques
ou la possibilité de faire des inférences
logico-textuelles, enfin, tout ce qu’Antoine
Berman a appelé la « compétence traductrice »
(Berman, 1989). Nous ne demandons pas une
traduction intégrale d’un texte comme produit
final, mais un résumé en langue espagnole
avec l’objectif d’évaluer la compréhension
d’un texte en LE.
Les productions de l’étudiant ressemblent
plutôt à ce que Lederer et Seleskovitch (1984)
appellent transcodage, soit le passage des
mots d’une langue à l’autre sans le recours
au sens. Nous faisons appel plutôt à la traduction
pédagogique (Lavault, 1984) en tant que concept
didactique d’intervention (Cuq et Gruca, 2017).
Celle-ci devient de la sorte une aide à une
analyse contrastive des langues en contact,
non pas cantonnée au lexique ou à la syntaxe,
mais ouverte à la dimension discursive
et interculturelle présente dans tout rapport
entre langues-cultures, d’autant plus qu’elle
est fondée sur l’interprétation des messages
sans s’attacher à leur structure formelle.
Des réflexions sur cette problématique ont fait
l’objet de nos travaux antérieurs (Gentile,
2006, 2008 et 2016).
Le système linguistique français est
enseigné aux débutants (la plupart d’entre eux
n’ont pas appris le français au niveau secondaire)
sur la base des caractéristiques des langues
de spécialité, notamment du type de discours
explicatif. Un premier module d’enseignement /
apprentissage comporte également les types
de discours narratif et descriptif, fréquents
surtout en histoire et en géographie
respectivement. Un deuxième module envisage
l’analyse du texte argumentatif et, ce qui
est incontournable à l’heure actuelle, les textes
multimodaux : c’est le cas en effet
des interfaces entre l’écrit et le visuel où des
schémas, des tableaux, des images, des
graphiques statistiques coexistent souvent
dans la construction du sens dans les cultures
scientifiques.
Il faut finalement remarquer que les cours
de français scientifique visant à une seule
compétence, celle de la compréhension écrite,
s’avèrent efficaces pour un objectif concret
limité à 150 heures maximum. En revanche,
ce sont les cours de Français sur objectif
universitaire (FOU) qui font l’objet aujourd’hui
d’une demande de plus en plus urgente.
2. Les pratiques du français scientifique
dans la formation des traducteurs :
de la médiation linguistique à la formation
professionnelle
Assurés au cours d’un an dans la formation
du traducteur des années 70, les cursus
de traduction scientifique et technique sont
aujourd’hui étalés tout au long de deux années
académiques. Comprenant une charge horaire
de six heures hebdomadaires par an, de tels
cursus, suivis par un nombre restreint
d’étudiants, permettent à l’enseignant le temps
de la pratique, mais aussi de la théorie visant
à la recherche.
2.1. Le français scientifique, entre la théorie
et la pratique
L’enseignement / apprentissage du français
scientifique fait l’objet de nos recherches
dans les équipes constituées au sein de l’Unité
de recherche en Traductologie de la FaHCE,
tant du point de vue didactique que traductologique. La problématique de la formation
des traducteurs scientifiques et techniques pose
des questions sur les profils de l’étudiant
et de l’enseignant, sur la place de la terminologie
et de la théorie de la traduction, ainsi que
sur les méthodes d’évaluation et de correction
à l’œuvre dans ce type de discours.
Ainsi, le français scientifique et technique
invite à des analyses concernant le statut
du terme, les caractéristiques de la langue
et les questions des néologismes, des emprunts
faits à l’anglais et du rôle des dictionnaires
et des glossaires dans cet enseignement.
Les questions théoriques concernant le statut
de la science aujourd’hui font l’objet des
cursus ciblés sur l’épistémologie ou philosophie
des sciences. Tenant compte du marché
de travail, les pratiques de traduction portent
avant tout sur des documents qui circulent
normalement et que le futur traducteur est
censé maîtriser : des brevets d’invention, des
modes d’emploi, des notices pharmaceutiques
et des brochures liées à des produits industriels
issus notamment du savoir-faire en pétrole,
en aéronautique et en architecture, pour
n’en citer que trois exemples qui caractérisent
la culture technique en langue française.
2.2. La lecture pour la traduction :
de la compréhension à la ré-énonciation
Le processus d’enseignement-apprentissage
de la lecture-compréhension dans
le cadre de la formation des traducteurs diffère
donc considérablement par rapport
au cas des débutants issus des autres filières
de la faculté. Tout d’abord, de par son
objectif : l’étudiant qui lit un texte scientifique
ou technique le fait en ayant conscience
de la finalité de cette lecture : la traduction,
c’est-à-dire la ré-énonciation dans
une autre langue, normalement l’espagnol
en l’occurrence. Sur la base d’une énonciation
originale, le processus de ré-énonciation
exige de l’étudiant la reconstruction
du contexte d’énonciation et du sens qu’acquiert
la langue en situation de communication.
Partant, la recherche terminologique, l’analyse
du discours et l’aide technologique
(mémoires de traduction, glossaires numérisés,
textes parallèles susceptibles de traiter
les mêmes sujets sous un format similaire, mais
rédigés dans les deux langues de travail
concernées, …) deviennent autant d’outils
qui comblent les lacunes thématiques
La valorisation et la diffusion du français scientifique à l’université
135
des étudiants. Les connaissances linguistiques
s’avèrent donc nécessaires, mais insuffisantes
au moment de reconnaître un genre textuel
spécifique du domaine scientifique
ou technique. C’est au cours de ce processus
d’enseignement-apprentissage de la traduction
que l’étudiant devient conscient des formules
prototypiques d’une langue dans le domaine
de la science, ainsi que du poids des traditions
rhétoriques issues de différences culturelles,
voire historiques des langues en contact.
De telles traditions laissent entrevoir que
les questions culturelles marquent également
les discours scientifiques, notamment
en sciences humaines et sociales, et peuvent
entraîner en quelque sorte des impasses
à l’épreuve de la traduction. C’est le cas
notamment des faux amis conceptuels
(dont les notions de démocratie, de gauche,
de droite), de modes d’organisation d’un
discours argumentatif, de certains marqueurs
discursifs (ainsi, en effet, car) ou des
métaphores conceptuelles. Démythifier
le vocabulaire scientifique, considéré a priori
comme purement dénotatif, objectif, uniforme
et complet est une des tâches de l’enseignant
pendant le processus d’enseignementapprentissage d’un tel discours.
En guise de conclusion
Cette courte présentation de la valorisation
et de la diffusion du français au sein d’une
université argentine n’a eu d’autre but que
de réagir positivement face à la question
« Le français, un atout pour les sciences ? ».
Certes, la réponse en est « oui, sans doute ! ».
Tout d’abord parce que le français, en dépit
de son recul vis-à-vis de la présence centrale
de l’anglais, continue d’être une langue
véhiculant des recherches, des analyses,
des questionnements et des réflexions dont
font preuve par exemple les portails comme
Persée et Cairn International, consultés
habituellement par la communauté académique
136
Regards d’enseignants
de la FaHCE. Ensuite, parce que les cadres
théoriques francophones établissent des
dialogues permanents avec les équipes
de recherche argentines moyennant des
conventions, des visites et des travaux
en coopération visibles dans la présence
de professeurs et d’étudiants. Finalement,
parce que le français en tant que langue
étrangère constitue le capital linguistique
de la plupart des universités argentines,
mettant en évidence symboliquement une
résistance à l´hypercentralité de la langue
anglaise et une manifestation de la richesse
du plurilinguisme.
Bibliographie
Alvarez, Gerardo. (1978).
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la lecture en français langue
étrangère. Le Français dans
le Monde, nº 141, nov.-déc.
Arditty, Joseph. (2004).
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Dirk. (2012 / 13). « La
médiation linguistique à
l’université : propositions
pour un changement
La valorisation et la diffusion du français scientifique à l’université
137
« L’introduction
des outils
numériques associée
à l’enseignement
des constructions
verbales scientifiques
apporte des résultats
satisfaisants. »
138
Regards d’enseignants
Un dispositif de formation pour enseigner
l’écriture académique : le cas des étudiants
chinois au CUEF de Grenoble
Rui Yan
LIDILEM, Université Grenoble Alpes, France
Gaëlle Karcher
CUEF, Université Grenoble Alpes, France
Anne-Cécile Perret
CUEF, Université Grenoble Alpes, France
Résumé
Cette étude se situant dans la perspective
didactique vise à présenter un dispositif
de formation intégrant les constructions
verbales scientifiques figées ou semifigées ainsi que les outils numériques comme
aide à la rédaction académique. Ce dispositif
réalisé auprès des étudiants chinois
au CUEF de Grenoble permet de sensibiliser
les étudiants, d’une part, aux constructions
verbales scientifiques et au genre du discours
académique et d’autre part, à l’apport
des corpus pour la rédaction académique.
139
Introduction
L’écriture académique constitue un enjeu
primordial pour la réussite des études dans
les universités françaises. Ce genre de discours,
qui présente un grand nombre de traits
caractéristiques sur les plans linguistique,
rhétorique et argumentatif, nécessite
un apprentissage et un accompagnement
pédagogique spécifique. En effet,
force est de constater que face à ce discours
spécialisé codifié, les étudiants allophones
sont confrontés à des difficultés, notamment
liées au manque de connaissances sur
le fonctionnement du discours et à la nonmaîtrise des formes discursives, souvent
d’ordre phraséologique (Cavalla, 2018).
De même que Cavalla (2010), nous pensons
que l’enseignement de la phraséologie
transdisciplinaire (les collocations, les locutions,
les constructions verbales, etc.) peut aider
efficacement l’écriture académique.
Dans cet article, nous souhaitons présenter
un dispositif de formation visant à enseigner
les constructions verbales scientifiques
— des unités de type figé ou semi-figé qui transcendent les disciplines. Ces éléments « prêts
à écrire » (Tutin, 2014) qui remplissent
des fonctions rhétoriques importantes sont
au cœur de l’énonciation et de l’argumentation
du discours (Yan et coll., 2018) : Nous nous
demandons si (poser une question), on insiste
sur le fait que (souligner un point de vue),
il en résulte que (apporter des résultats
scientifiques). Le dispositif réalisé au CUEF
(Centre Universitaire d’Études Françaises)
de Grenoble montre comment enseigner
les constructions verbales scientifiques dans
la classe de FOU à l’aide des outils numériques.
Nous présenterons dans un premier temps
notre public au CUEF et le contexte
d’enseignement. Ensuite, nous expliquerons
notre approche didactique avant de présenter
les séances didactiques mises en place.
140
Regards d’enseignants
1. Contexte d’enseignement et justification
du sujet
Notre public est un groupe de 23 étudiants
chinois --> 1 (de niveau B1 acquis) inscrits
en diplôme universitaire « Lettres, Langue
Française, Communication » (LLFC)
au CUEF de Grenoble. La formation de ce DU
vise à les préparer aux études de Master.
Pendant un an d’études, ils doivent suivre
des cours de FOU dans lesquels nous
intervenons afin de les accompagner dans
la rédaction d’un dossier argumentatif
« Savoirs Culturels » --> 2, une composante
essentielle de l’évaluation. Il faut
souligner que ces étudiants chinois, après
des années de scolarisation dans le système
éducatif chinois, n’ont pas les acquis
correspondant aux objectifs académiques
« à la française » (Omer, 2014) et leurs difficultés
rédactionnelles relèvent de plusieurs
niveaux. La première, d’ordre méthodologique,
concerne la structure et la présentation
formelle. Par exemple, comment construire
l’introduction et la conclusion ? La deuxième,
d’ordre discursif, est liée au fonctionnement
du discours académique, c’est-à-dire,
les connaissances sur les différentes fonctions
rhétoriques (justifier un choix, établir
la relation de cause à effet, présenter ses
arguments). Enfin, si l’on considère leur
état d’interlangue très imparfait, la dernière
difficulté d’ordre linguistique (Cavalla, 2010)
est associée à la non-maîtrise de la phraséologie
transdisciplinaire (Tutin, 2014). S’ajoute
également le manque d’outils appropriés
parce que les étudiants chinois utilisent
souvent des dictionnaires électroniques sinofrançais qui proposent des traductions
des mots isolés en chinois sans prendre
en compte le contexte pour une tâche
de production écrite en français. En complément
des cours de FOU centrés sur la méthodologie
de la rédaction académique dans le cadre
de la formation, nous nous focalisons sur
les aspects discursifs et linguistiques. Face
aux difficultés des étudiants chinois,
notre dispositif de formation se compose
de deux ressources :
(1) Des activités intégrant les constructions
verbales basées sur le corpus Scientext
(2) Des outils numériques d’aide
à l’écrit en complément des dictionnaires
2. Un dispositif de formation pour aider
l’écriture académique
Nous adoptons l’approche Data-Driven
Learning (DDL) (Johns, 1993) ou apprentissage
guidé par les données. De nombreuses
études empiriques (Chambers, 2010 ; Boulton
et coll., 2013 ; Cobb & Boulton, 2015)
soulignent l’intérêt d’utiliser des corpus
en classe de langue. En effet, les corpus
fournissent le matériel authentique
pour découvrir la langue ; et d’autre part,
favorisent la réflexion métalinguistique
et l’autonomie de l’apprenant (Cavalla & Loiseau,
2014). Notre étude est basée sur le corpus
(spécialisé du discours académique) Scientext
(Tutin & Grossmann, 2014) permettant
de créer des activités didactiques à partir
de concordances pré-sélectionnées
et de faire découvrir comment interroger
le corpus. Le dispositif se composait
de quatre séances de trois heures durant
lesquelles les étudiants ont été amenés
à découvrir des constructions verbales ayant
des fonctions importantes dans l’écrit
scientifique et à s’approprier l’utilisation des
outils numériques. Fig. 1 → Les quatre
séances ont été programmées en vue de les
accompagner dans la rédaction du dossier.
Le découpage des séances par champs
sémantiques permet de regrouper les
constructions verbales ayant des fonctions
similaires, et par conséquent de « situer
l’apprenant à un moment de son écriture »
(Cavalla & Loiseau, 2014, p. 172). Chaque séance
suit une progression classique allant
de la découverte au réemploi des constructions
verbales scientifiques. Au début de chaque
séance, les étudiants ont été amenés
à travailler en binôme sur des extraits. L’exemple
suivant illustre un exercice du repérage
de la construction <il serait ADJ de V>.
Consigne
Dans les extraits suivants, observez
en binôme comment l’auteur dresse des
perspectives d’avenir ? Soulignez les
éléments linguistiques qui indiquent cette
perspective. Trouvez des synonymes.
Ce travail, à visée purement exploratoire,
nécessite d’être étendu. D’une part il serait
intéressant de comparer expérimentalement
ce type de résultat avec des enfants
mono-lingues anglais et des enfants bilingues
sur du matériel anglais.
Après avoir repéré la forme, nous avons
demandé dans un deuxième temps de cerner
le sens ou la fonction liée à cette construction.
Par exemple, il serait intéressant de comparer
sert à introduire un nouveau topique. Deux
ou trois extraits sont proposés par champs
sémantiques, ce qui permet aux étudiants
de recenser une variété d’expression. Après
la phase « découverte », nous avons proposé
de travailler sur les associations lexicales,
les fonctions rhétoriques ou la variation
syntaxique. Ces différents aspects aident
à la mémorisation des éléments phraséologiques
(Yan et coll., 2018). Fig. 2 → Cet exemple est
un exercice sur la variation syntaxique
de la construction nous posons une question.
Les exemples dans le tableau sont des lignes
de concordance sélectionnées du corpus
Scientext. Nous avons guidé les étudiants pour
observer que l’expression poser une question
peut également apparaître dans une relative,
une construction pronominale passive et une
construction impersonnelle. La maîtrise
Un dispositif de formation pour enseigner l’écriture académique
141
Fig. 1
L’organisation des quatre
séances en vue d’aider
à la rédaction du dossier
« Savoirs culturels »
Fig. 2
Consigne : Observez en
binôme les éléments avant
et après le nom « question »
et relevez les structures.
Séance 1
— présentation du sujet et formulation de la problématique
— ex : nous nous intéressons à, il semble légitime
de s’interroger sur
Séance 2
— présentation et manipulation des outils numériques
— ex: Ngram Viewer, Linguee, Tradoolt, Lextutor, Scienquest,
Dicorpus
Séance 3
— construction des arguments et prise de position
— ex : on s’accord avec, on remet en question l’idée
Séance 4
— présentation du bilan et de la perspective
— ex : on peut conclure que, il serait pertinent d’étudier
La première
question
que nous posons ici est celle
de l’évolution des pratiques
de communication…
Par ailleurs se pose la
question
de la représentation des
données recueillies au sein
des corpus…
En nous interrogeant sur
la pertinence de…, nous
poserons deux
questions
principales : quels processus
(stratégies) de manipulation
lexicale sont les plus
importants dans le cas du
scamto ?
Il se pose cependant une
question
liée à l’estimation de…
de l’alternance syntaxique amène les étudiants
progressivement vers une palette plus large
de constructions verbales scientifiques.
Enfin, vers la fin de la séance, des exercices
de classement (classement des constructions
selon leur fonction rhétorique) ou de réemploi ont été proposés pour que les étudiants
puissent récapituler les éléments étudiés
et se les approprier. Après chaque séance, les
étudiants devaient intégrer les constructions
étudiées dans leur dossier.
Il faut souligner que la deuxième séance (dans
la salle informatique équipée) est consacrée
à l’initiation aux outils numériques (Cavalla,
2018). Contrairement à ce que nous pensions,
les étudiants ne connaissaient aucun des outils
proposés. Nous avons donc commencé par
la présentation des outils plus faciles à manipuler
tels que Ngram Viewer --> 3 (vérification
de la fréquence des mots ou des expressions
dans un corpus), Linguee --> 4 et Tradooit --> 5
(recherche de traduction dans des concordanciers bilingues). Ensuite, les étudiants
ont été invités à découvrir Lextutor --> 6 (un petit
corpus général) pour faire des requêtes
sur des mots isolés. Enfin, il leur a été demandé
de le comparer aux outils Scienquest --> 7 (outil
d’exploitation du corpus Scientext) et Dicorpus --> 8
(outil d’exploitation du corpus Scientext conçu
pour les apprenants) afin de montrer qu’un
corpus spécialisé comme Scienquest est plus
adapté pour l’aide à la rédaction de l’écrit
académique. La figure 3 illustre la requête
’il+être+adj. +de+étudier’ en mode
de recherche libre dans Scienquest.
ces phrases ? ») guident les étudiants dans
l’observation des lignes de concordances.
Ces questions favorisent la réflexion
métalinguistique des étudiants qui découvrent
que cette forme préfabriquée est liée
à une liste limitée d’adjectifs et que ces adjectifs
expriment soit la nécessité (important,
nécessaire, capital, indispensable), soit
la possibilité (possible, impossible) permettant
souvent d’introduire un thème d’analyse.
Conclusion
À l’issue des séances, un questionnaire a été
distribué pour connaître leur avis et leur
acquis. 18 étudiants ont trouvé que les outils
sont bien utiles et pensent pouvoir s’en servir
dans leur rédaction. Néanmoins, 5 étudiants
estiment qu’ils n’arrivent pas à bien les
manipuler ou que ces outils sont difficiles,
ce qui peut être attribuable au manque de temps.
Concernant les constructions étudiées,
la correction des dossiers nous permet
de voir que les étudiants ont fait des efforts
pour les intégrer malgré des erreurs (ex : nous
s’accorde avec). De manière générale,
l’introduction des outils numériques associée
à l’enseignement des constructions verbales
scientifiques apporte des résultats
satisfaisants.
Après avoir formulé la requête et obtenu les
résultats de la recherche, les étudiants
devaient observer et analyser les résultats
de la recherche. Des questions posées
(« Quels sont les adjectifs qui apparaissent
dans ces phrases ? », « Connaissez-vous
d’autres adjectifs qui peuvent apparaître dans
142
Regards d’enseignants
Un dispositif de formation pour enseigner l’écriture académique
143
Fig. 3
Requête « il+être+adj.+
de+étudier » en mode
de recherche libre dans
Scienquest.
Bibliographie
Boulton, Alex, Canut,
Emmanuelle, Guerin,
Emmanuelle, Parisse,
Christophe, & Tyne, Henry.
(2013). Corpus et
appropriation de L1 et L2.
Linx. Revue des linguistes de
l’université Paris X Nanterre,
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Cavalla, Cristelle. (2010).
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en FLE. Dans O. Galatanu,
M. Pierrard, D. V. Raemdonk
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Enseigner les structures
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comme corpus pour
l’enseignement. Dans
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L’Écrit scientifique :
du lexique au discours.
Autour de Scientext.
Rennes : Presse universitaire
de Rennes, 163-180.
Cavalla, Cristelle. (2018).
Exemple d’enseignement
de la phraséologie transdisciplinaire à l’aide
de corpus numériques
en FLE. La lettre de l’AIRDF,
Association internationale
de recherche en didactique
du français, La didactique
du lexique, 43-47.
Notes
1. Les étudiants sélectionnés
venant de différentes
universités chinoises ont
validé leur deuxième année
de Benke (de niveau bac+4)
de français.
2. Ce dossier d’une
douzaine de pages traitant
un sujet de société suit
une structure courante
(l’introduction,
le développement
et la conclusion).
144
Regards d’enseignants
3. ↘ https://books.google.
com/ngrams
4. ↘ https://www.linguee.fr
5. ↘ https://www.tradooit.
com
6. ↘ https://lextutor.ca/
conc/fr/
7. ↘ https://corpora.aiakide.
net/scientext20
8. En fonction des mots
à enseigner, l’enseignant
crée sa propre base
d’exemples en sélectionnant
les exemples du corpus
Scientext. L’étudiant peut
accéder aux exemples
sélectionnés soit par
la forme soit par le sens
des mots. L’interface
ne permet donc pas de faire
des requêtes libres.
Linguistics. Cambridge :
Cambridge University Press.
Omer, Danielle. (2014).
Les écrits en français
académique des étudiants
natifs et non natifs : penser
la variation. Le Français
Aujourd’hui, Armand Colin /
Dunod ; Association
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de français ; Association
française des enseignants
de français (AFEF), Pratiques
de l’écrit en formation, 1-9.
↘ https://journals.
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(consulté le 15 mai, 2019).
Johns, Tim. (1991). Should
you be persuaded : Two
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concordancing. English
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Tutin, Agnès. (2014).
La phraséologie transdisciplinaire des écrits
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Dans A. Tutin & F.
Grossmann (dir.), L’écrit
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au discours. Autour
de Scientext. Rennes :
Presse universitaire
de Rennes, 27-44.
Tutin, Agnès & Grossmann,
Francis. (dirs..)(2014). L’Écrit
scientifique : du lexique
au discours. Autour
de Scientext. Rennes : Presse
universitaire de Rennes.
Chambers, Angela. (2010).
L’apprentissage de l’écriture
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Revue française de
linguistique appliquée,
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des routines langagières en
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of English Corpus
Yan, Rui, Tutin, Agnès
& Tran, Thi Thu Hoai. (2018).
Routines verbales pour les
Français Langue Étrangères :
des corpus d’experts aux
corpus d’apprenants. Lidil,
58. Disponible en ligne sur
Un dispositif de formation pour enseigner l’écriture académique
145
« Les plateformes
numériques permettront
de concevoir des
apprentissages situés
qui offrent aux
apprenants plusieurs
possibilités de
développer leurs
compétences, de coconstruire des
connaissances et
d’acquérir la culture
universitaire. »
146
Regards d’enseignants
Fondements théoriques et ingénierie
pédagogique des manuels Cap Université --> 1
Malika Bahmad
Laboratoire Langage et Société — URAC56
Université Ibn Tofaïl, Maroc
Naïma El Bekraoui
Laboratoire Enseignement, langues et cultures
Université Hassan II — Casablanca, Maroc
Résumé
Dans cette contribution, nous souhaitons
discuter la faisabilité et la pertinence
d’inscrire l’enseignement / apprentissage
du français académique, dans une approche
didactique actionnelle permettant aux
étudiants, à travers la réalisation de tâches,
d’interagir et de construire du sens,
à des degrés divers. Nous y présenterons
le contexte et la complexité inhérente
à l’élaboration d’un programme de formation
universitaire, à travers les manuels Cap
Université qui visent à outiller les étudiants
LANSAD --> 2 de compétences langagières et
discursives universitaires. Nous y discuterons
deux hypothèses. (1) L’acculturation
des étudiants au discours de leur spécialité
leur assurerait la sécurité linguistique
nécessaire à leur intégration et à leur réussite
à l’université. (2) L’approche actionnelle,
les activités d’« interaction » et les tâches
signifiantes préconisées par les manuels
Cap Université permettraient l’acquisition
du discours de spécialité par la « coconstruction » des connaissances à laquelle
l’étudiant prendrait part.
147
Introduction
En application des recommandations
des droits de l’Homme, de la Constitution
Nationale, de la Charte Nationale
et du Conseil Supérieur de l’Enseignement,
les différentes réformes pédagogiques
marocaines accordent une place importante
à l’apprentissage des langues. Cependant,
malgré plusieurs aménagements et de grands
efforts, on déplore sans cesse la baisse
du niveau linguistique, notamment en français,
des étudiants qui se trouvent à leur arrivée
à l’université en situation d’échec.
Le Maroc connait depuis le lancement
du processus d’arabisation en 1986 un
bilinguisme scolaire soustractif arabe-français --> 3.
Cette fracture linguistique, lourde de
conséquences, constitue un réel facteur
d’abandon et de décrochage pour des
étudiants aux prises avec un nouveau contexte
éducatif et une nouvelle langue d’enseignement.
Découragés, un nombre important de
bacheliers scientifiques fuient les facultés des
sciences et s’inscrivent dans des filières
de lettres, de sciences humaines ou de sciences
sociales et juridiques dont la langue
d’enseignement est l’arabe. L’aménagement
linguistique marocain continue à souffrir
de nombreux dysfonctionnements,
non seulement par rapport aux langues
d’enseignement, mais également au niveau
des langues enseignées où les orientations
didactiques et les pratiques pédagogiques sont
encore ancrées dans les méthodologies
traditionnelles et transmissives. Ainsi, à mesure
que l’exigence des langues augmente sur
le marché du travail, les chances d’embauche
d’un nombre croissant de diplômés
universitaires diminuent en raison de leurs
carences linguistiques.
Les résultats du test de positionnement,
planifié dans le cadre du Programme d’Urgence
2009-2012 pour diagnostiquer le profil
d’entrée des étudiants nouvellement inscrits
148
Regards d’enseignants
à l’Université marocaine, témoignent
de l’échec de la politique éducative au Maroc.
Un total de 14191 étudiants a bénéficié
du test de positionnement, qui représente
45 % des nouveaux inscrits dans neuf universités.
Cet effectif concerne les trois établissements
à accès ouvert (sans concours) : facultés des
sciences (FS), facultés des sciences juridiques
économiques et sociales (FJES), facultés
des lettres et des sciences humaines (FLSH).
Sur l’ensemble des étudiants qui ont passé
le test de positionnement au niveau national,
42 % ont le niveau A1. Ce pourcentage varie
entre 40 % et 46 % : 40 % en SJES, 46 % en LSH,
44 % en FS. Les résultats les plus mauvais
sont enregistrés dans les FLSH.
Ces résultats soulignent les conséquences
du manque d’articulation entre les cycles
secondaire et universitaire. L’absence
de cohérence dans l’aménagement linguistique
adopté au Maroc, présente des limites aussi
bien en termes d’espace dans les curricula
qu’en termes de capacité d’apprentissage.
Comment combler ce déficit linguistique
en français au niveau de l’Université ? Comment
permettre aux étudiants d’accéder au savoir,
à la science et à la technologie dans une langue
d’enseignement qu’ils ne maîtrisent pas ?
Comment leur permettre de s’appuyer sur
leurs acquis et leurs connaissances antérieures
pour favoriser leur réussite universitaire et
leur insertion socioprofessionnelle ? Telles sont
les questions auxquelles cette contribution
tentera de répondre.
1.
L’acculturation à la langue de spécialité
Les disciplines non linguistiques (DNL)
et linguistiques représentent des contextes
naturels et authentiques où la langue
n’est pas enseignée pour elle-même, mais
elle sert de langue d’enseignement aux
contenus disciplinaires. Ainsi, dans ces situations
d’apprentissage, l’étudiant est davantage
confronté au français de spécialité qu’au
français général. C’est une langue d’interaction
disciplinaire qui présente des spécificités par
rapport au français général. Les communautés
scientifiques constituent des sphères
d’échanges disciplinaires, et ont développé
des codes de communication qui façonnent
leurs discours et en font un genre particulier.
L’étudiant doit se conformer aux normes
de ce genre discursif pour intégrer ces sphères
et pour être accepté comme membre
à part entière. Sa socialisation a lieu quand
il adopte le code de communication de
ses pairs (Gardner et Lambert, 1972, in Bogaards,
1991 : p. 53). L’appartenance au groupe
passe ainsi par une « socialisation langagière »
(Atkinson, 2002). D’un autre côté, c’est
à travers l’exposition à la langue, dans un
contexte de sécurité linguistique et affective,
que les individus apprennent progressivement
la langue (Krashen, 1984). Il s’agit donc,
pour l’immersion linguistique, de réunir et de
reproduire les conditions naturelles
de l’acquisition de la langue. L’enseignement
immersif vise des compétences transversales
et procédurales qui dépassent la simple
maîtrise du code linguistique. Il intègre des
savoirs, des savoir-faire, des savoir-être
et des savoir-apprendre. Ces compétences
sont de nature « située ». Elles s’appuient
sur plusieurs ressources pour être activées,
c’est-à-dire « qu’elles ne se définissent /
configurent de manière précise que lorsqu’elles
ont à être activées dans une situation —
à chaque fois différente — et pour une tâche
donnée — elle aussi jamais totalement
identique. » (Conseil de l’Europe, 2007 : p. 43).
L’enseignement immersif inscrit
l’apprentissage des langues dans une approche
communicative et pragmatique qui leur
confère un caractère utilitaire et fonctionnel.
Il est question d’apprendre à manipuler les
langues en compréhension et en production,
à l’oral et à l’écrit, dans des situations concrètes
de la vie quotidienne. Fondées sur cette
conception de l’apprentissage, les tâches
proposées aux étudiants doivent avoir du sens
pour susciter leur motivation et favoriser
leur intégration universitaire.
Ce positionnement épistémologique
s’appuie sur la théorie de l’apprentissage
situé de Lave et Wenger (1991) combinée au
positionnement socioconstructiviste qui
souligne l’importance des interactions sociales
dans l’acquisition des langues (Vygotski,
1934-1997). Ce choix nous conduit à adopter
deux approches :
— l’approche par les tâches (NarcyCombes, 2009) qui met l’accent sur
l’implication des apprenants et leur
participation à la co-construction des
connaissances,
— l’approche du FOS et du FOU de
Mangiante et Parpette (2004 et 2011) selon
laquelle la formation est envisagée sous
ce prisme du rapport entre les discours
scientifiques et les savoirs disciplinaires.
Elle vise une acculturation contextualisée
au discours de spécialité. Cette approche
pragmatique s’inscrit dans le champ
théorique de l’acquisition des langues et
des littératies universitaires (Bahmad & El
Bekraoui, 2016) qui mettent l’accent sur
l’ancrage institutionnel et disciplinaire
des pratiques du français à l’université.
Ainsi, une équipe d’enseignants-chercheurs
a conçu des manuels dédiés aux étudiants
entrants et aux disciplines universitaires
spécifiques (les sciences, les sciences juridiques,
économiques et sociales, les lettres
et les sciences humaines) : Cap Université.
Ces derniers sont le fruit d’une réflexion
autour de ce double ancrage théorique où
les formes linguistiques ne sont pas envisagées
en dehors de contextes naturels de communication et où le sens se construit à travers
des échanges. L’apprentissage de la langue
préconisé par ces manuels s’inscrit dans
une perspective communicative et actionnelle
qui se manifeste à travers :
Fondements théoriques et ingénierie pédagogique des manuels Cap Université
149
— la centration sur l’apprenant ;
— l’utilisation des documents authentiques ;
— la maîtrise d’une compétence
de communication : les manuels proposent
des activités pour améliorer les
compétences langagières, socioculturelles
et pragmatiques de l’apprenant ;
— la notion de progression ;
— la réalisation des tâches ;
— la mise en place de grilles d’évaluation
et de grilles d’auto-évaluation.
Une démarche ingénierique a été adoptée pour
déterminer les contenus des manuels.
L’analyse des discours spécifiques à trois
domaines (sciences, droit-économie, lettres
et sciences humaines) a permis de définir :
— les situations de communication, les
thèmes et les compétences langagières ;
— les schémas discursifs, les structures
linguistiques récurrentes ;
— les aspects culturels ;
— les activités d’enseignement.
La prise en compte de ces éléments a donné
lieu à l’élaboration de référentiels
de compétences qui ont constitué la base
de la conception et de la rédaction
des différents manuels Cap Université.
2.
Les contenus des manuels Cap Université
2.1. Les savoir-faire universitaires
Les savoir-faire académiques sont présents
dans les différents manuels, car ils sont
transversaux à différents champs disciplinaires.
À titre d’exemple, la prise de notes constitue
un type d’activité assez complexe faisant appel
à l’écoute active, à la compétence
écrite ; à la capacité à distinguer l’essentiel
du secondaire et à celle de pouvoir reformuler
et synthétiser l’information à travers
l’abréviation, la nominalisation, la reprise, etc.
de l’altérité. Elle est traitée, dans la page « Ici
et ailleurs ». Cette page présente des regards
croisés sur un thème et incite les étudiants
à échanger, à débattre et à argumenter. Dans
le manuel B1, les thématiques permettent
une ouverture sur d’autres cultures, d’autres
civilisations. Dans le manuel B2, les étudiants
sont sensibilisés, entre autres, aux discussions
formelles et informelles, à l’implicite culturel
et au ton du discours.
2.3. Les aspects linguistiques
La démarche préconisée dans l’enseignement
des aspects linguistiques est inductive.
Le traitement d’un point de grammaire se
déroule selon les étapes suivantes :
— l’observation du corpus-repérage :
les étudiants sont invités à finaliser leur
compréhension du support déclencheur
à partir d’une mini-tâche pour relever
le point de langue traité.
— le guidage : les questions posées
par l’enseignant permettent de conduire
progressivement les apprenants vers
la formulation de la règle.
— la conceptualisation : les apprenants
sont amenés à induire et à formuler une
règle de fonctionnement de la langue.
— le réemploi ou la systématisation :
les apprenants s’exercent sur la règle
de manière explicite et commencent
progressivement à élargir la règle à
d’autres contextes plus généraux qui sont
réalisés lors de l’étape de production.
— la production : la phase de réinvestissement des acquis. L’enseignant invite
l’étudiant à accomplir une tâche dans
laquelle il sera amené à mobiliser ses
acquis.
2.2. La dimension interculturelle
3. L’approche actionnelle et pédagogie
de projet dans les manuels Cap Université
La dimension interculturelle permet une
ouverture sur les autres cultures et le respect
Les doubles pages « Je m’entraîne », faisant
suite aux pages « paroles de spécialiste »,
150
Regards d’enseignants
présentent à l’étudiant des micro-tâches
(exercices de grammaire, de lexique
et de phonétique) et des tâches qui l’incitent
à mobiliser ses savoirs et savoir-faire.
L’apprenant est donc appelé à réaliser
une tâche communicative. Cette tâche
est évaluée à différents niveaux : le niveau
linguistique suppose l’utilisation du lexique
de la thématique, l’expression objective
de l’opinion et la modalisation. Sur le plan
sociolinguistique, l’étudiant est appelé
à respecter le registre de langue adéquat.
Au niveau pragmatique, l’étudiant est appelé
à respecter la structure discursive
d’un genre discursif : descriptif, explicatif,
argumentatif, etc.
Dans un dossier, le support sert
de travail à un certain nombre d’activités
langagières : compréhension et expression
orales et écrites, travail sur les outils
linguistiques (lexique, grammaire, phonétique).
Un tel dossier se termine par la réalisation
de tâches qui représentent un niveau d’intégration assez élevé.
Chaque dossier propose la réalisation
d’un projet. Les projets sont entamés
en classe et continués hors classe. À titre
d’exemple : la diffusion d’articles dans un blog.
Il s’agit d’un projet qui suppose un travail
collectif effectué par le groupe-classe
et qui débouche sur une réalisation concrète
et sociale.
Conclusion
Les manuels Cap Université ont été conçus
pour remédier aux difficultés qui font
écran et empêchent les étudiants de percevoir
les régularités discursives en usage dans
la communauté scientifique et pour réduire
de facto le taux d’échec et de décrochage.
L’analyse du discours en amont de l’élaboration
de ces manuels a montré que la singularité
et la spécificité du français académique
résident au niveau de l’organisation textuelle
(oral / écrit), fondée sur des schémas discursifs
et des raisonnements logiques. Ainsi, les
manuels proposent aux étudiants des microtâches et des macro-tâches pour leur
apprendre à repérer, dans un genre discursif
précis, les particularités normées et ritualisées
de cohérence textuelle. Ils ciblent d’un
côté l’autonomie de l’apprenant et, d’un autre
côté, des activités d’apprentissage par
micro-tâches. Nous n’avons pas pu nous
positionner par rapport à la perspective
actionnelle dans sa version la plus extrême
et qui est la pédagogie de projet parce
que cela demande un volume horaire assez
important, des groupes réduits et la formation
des enseignants à une démarche qui exige
un investissement énorme, un changement
radical dans la conception du cours et
de la notion de classe de langue. La mesure
des limites imposées par le contexte nous
amène à rechercher de nouveaux paradigmes.
Des solutions sont envisagées à travers
les TICE. Sans vouloir déshumaniser l’activité
éducative, nous estimons que les TICE
offrent une réelle opportunité pour mettre
en place un environnement pédagogique
hybride ajusté à la fois aux apprenants et aux
paramètres du terrain. Les plateformes
numériques permettront de concevoir
des apprentissages situés qui offrent
aux apprenants, par la réalisation de tâches
concrètes, signifiantes et sociales, plusieurs
possibilités de développer leurs compétences,
de co-construire des connaissances
et d’acquérir la culture universitaire.
Fondements théoriques et ingénierie pédagogique des manuels Cap Université
151
Notes
Bibliographie
1. Fondements théoriques
et ingénierie pédagogique
des manuels Cap Université,
in L’enseignement —
apprentissage du français
au Maroc au XXIe siècle Vers
de nouveaux enjeux ?,
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Atkinson, Dwight. (2002).
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Modern Language Journal,
86, 525-545.
Bahmad, Malika &
El Bekraoui, Naïma. (2019).
Fondements théoriques
et ingénierie pédagogique
des manuels Cap Université.
L’enseignement — apprentissage du français au
Maroc au XXIe siècle Vers
de nouveaux enjeux ?,
109-134. Paris : L’Harmatan.
2. Formation en langues
pour les spécialistes
d’autres disciplines
3. Les disciplines
scientifiques et techniques
s’enseignent en arabe
au cycle secondaire, ces
mêmes enseignements
sont dispensés en français
à l’université, créant
ainsi un véritable hiatus
entre les deux cycles.
Mangiante, Jean-Marc
& Parpette, Chantal. (2004).
Le français sur objectif
spécifique : de l’analyse des
besoins à l’élaboration
d’un cours. Paris : Hachette.
Narcy-Combes, Jean-Paul.
(2009). Le tutorat,
les micro-tâches et les
macro-tâches dans
l’enseignement des langues.
Séminaire organisé
à l’Université Ibn-Tofail.
Vygotski, Lev. (1934). Pensée
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Bahmad, Malika &
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universitaire. Langues,
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revues.imist.ma/?
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Bogaards, Paul. (1991).
Aptitude et affectivité dans
l’apprentissage des langues
étrangères. Paris : CrédifHatier, collection LAL.
Conseil de l’Europe. (2007).
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des politiques linguistiques
éducatives en Europe :
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Krashen, Stephen. (1984).
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and what it has taught us.
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Lave, Jean & Wenger,
Étienne. (1991). Situated
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peripheral participation.
Cambridge : Cambridge
University Press.
Mangiante, Jean-Marc
& Parpette, Chantal. (2011).
Le français sur objectif
universitaire. Grenoble : PUG.
152
Regards d’enseignants
Fondements théoriques et ingénierie pédagogique des manuels Cap Université
153
« Après une phase
pilote et deux
semestres de fonctionnement, notre
objectif est
d’améliorer la version
actuelle de notre
plateforme en renforçant les apports
en activités méthodologiques liés
aux suivis des cours
et à la passation
des examens. »
154
Regards d’enseignants
Sensibiliser des étudiants
d’échanges à la culture
et aux écrits académiques
dans un cours hybride
Eve Lejot
Université du Luxembourg
Leslie Molostoff
Université du Luxembourg
Résumé
Six Centres de Langues d’une région transfrontalière, proposent un cours hybride
commun. Ce cours en français et en allemand
a pour objectif de développer les compétences
linguistiques et interculturelles des étudiants
dans le cadre de leur mobilité. Un module
tandem offre la possibilité aux étudiants des
universités de ce consortium de Centres
de Langues d’entrer en contact en ligne avant
de se rencontrer lors d’un atelier commun.
Ce tandem apporte une dimension sociale
et réflexive au parcours en ligne. Dans cet
article, la mise en regard de la notion de culture
académique avec des dispositifs tandems
existants en milieu universitaire permet
de repenser les activités du cours hybride
à réaliser en binômes afin de travailler
plus précisément sur les compétences
en production écrite en contexte universitaire
ainsi que sur des interrogations relatives
au bon déroulement d’un semestre dans une
nouvelle culture académique.
155
La mobilité étudiante est devenue une part
intégrante des cursus des nouvelles générations
d’étudiants et nos dispositifs d’accompagnement
linguistique et interculturel évoluent avec
ces mouvements. Ce constat a été à l’origine
de l’élaboration d’un cours hybride commun
aux six Centres de Langues des Universités
de la Grande Région : Lorraine, Sarrebruck,
Trèves, Kaiserslautern, Liège et Luxembourg.
La mise en place de dispositifs hybrides
montre des résultats encourageants pour des
apprentissages de langue académique
(Meihua, 2013 ; Shang, 2007). Un cours hybride
augmente la fréquence des interactions
étudiants-étudiants et étudiants-enseignants
(Meihua, 2013), motive les étudiants à devenir
des apprenants autonomes et améliore
leurs compétences de productions écrites
académiques. L’échange d’au moins quatre
e-mails dans la langue cible entre pairs
augmente également la performance à l’écrit
et la justesse grammaticale (Shang, 2007).
Afin de préparer, culturellement
et linguistiquement, nos étudiants candidats
à un échange universitaire dans une
des universités de la Grande Région, nous
avons mis en place un parcours en ligne
bilingue français-allemand, hébergé sur
la plateforme Moodle et divisé en cinq étapes :
« Préparation avantle départ », « L’arrivée »,
« La vie sur place », « Les études »
et « La validation des études ». Tout au long
de ce parcours, les étudiants réalisent
individuellement diverses activités.
L’objectif de ce dispositif est de développer
les compétences linguistiques ainsi que les
compétences interculturelles des étudiants.
Les thématiques des étapes 4 (« Les études »)
et 5 (« La validation ») traitent particulièrement
des activités de Français sur Objectifs
Universitaires (FOU). Elles sont à réaliser
individuellement sur la plateforme avec des
systèmes d’autocorrection et de correction
156
Regards d’enseignants
par l’enseignant tuteur. En parallèle, les
étudiants réalisent en binôme, et à distance,
des tâches collaboratives. Les binômes
sont constitués de manière à avoir un étudiant
germanophone d’une université allemande
avec un étudiant francophone d’une université
francophone. Idéalement, chaque étudiant
a comme projet de partir dans l’université
de son partenaire. Les activités que nous
proposons consistent principalement en des
échanges de « bons plans » sur les villes
respectives des étudiants. Ainsi, nous leur
demandons d’échanger sur leurs lieux « coup
de cœur », sur les activités à faire par temps
de pluie, comment rencontrer de nouvelles
personnes ou encore en réalisant des jeux
de rôle. Une activité obligatoire consiste à faire
connaissance via l’envoi de photographies.
En guise de preuve de réalisation, nous
leur demandons de publier, à notre intention,
sur la plateforme, quelques lignes sur
les informations échangées dans le cadre
de chacune de ces activités.
Les premiers étudiants ayant suivi
ce cours hybride ont exprimé un regret quant
à un manque de contenu académique --> 1
sur les activités proposées en tandem. Or, ces
termes restent assez vagues lorsqu’ils sont
mentionnés par les étudiants. Ils souhaitent
peut-être plus d’informations sur le travail
universitaire, comme le décrit Stauber (2009 :
38) dans le retour d’une enquête effectuée
auprès d’étudiants étrangers en plein processus
d’intégration académique : « s’inscrire
à l’université, aux cours dans les départements,
lire un emploi du temps, s’inscrire
à la bibliothèque, chercher un ouvrage, trouver
les salles informatiques, les restaurants
universitaires, assister à un cours, pratiquer
un sport sur le campus » ; ou bien voudraientils plus de contenus sur le suivi des études
à proprement parler comme le décrivent
Mangiante et Parpette (2011 : 123), à savoir être
formés à la compréhension des discours
universitaires oraux et également à la production
d’écrits ?
Mangiante et Parpette définissent ceci
comme « la méthodologie universitaire » (2011 :
33). Ne pas être familier avec ces règles et la
« fragilité linguistique » de certains étudiants
peuvent être la cause d’échecs universitaires
(Mangiante & Parpette, 2011 : 123).
Après une phase pilote et deux semestres
de fonctionnement, notre objectif est
d’améliorer la version actuelle de notre plateforme en renforçant les apports et activités
méthodologiques liés aux suivis des cours
et à la passation des examens. Nous allons
nous interroger ici sur la façon de renforcer
notre accompagnement des étudiants
dans l’acquisition d’une nouvelle méthodologie
universitaire, notamment pour les écrits
académiques, en prenant en compte
les problématiques liées au format de notre
cours et de ces composantes.
1.
Un cours et un tandem hybrides
Nos activités sont issues d’une réflexion
menée par des étudiants dans le cadre d’un
cours portant sur la mise en place de projets
interculturels à l’université de Lorraine. Elles
se succèdent au sein du parcours de manière
à retracer chronologiquement la préparation
des étudiants à leurs différentes mobilités.
Progressivement, les étudiants découvrent
les aspects liés à leur mobilité à travers
des documents authentiques (vidéos, documents
officiels, sites internet, etc.), vérifient leur
compréhension grâce à des questionnaires,
tests, glisser-déposer, exercices lacunaires,
mots mêlés, mots croisés, exercices
d’appariement, jeux de piste en ligne, puis
produisent généralement un document écrit
sous forme de rédaction / réflexion, e-mail,
lettre, journal (to-do-list), ou en contribuant
à une base de données. Les productions
que nous leur demandons de rédiger font
partie intégrante de la vie universitaire
d’un étudiant. Écrire un mail à un assistant
administratif, écrire une to-do-list pour gérer
son temps, ou encore savoir écrire une
argumentation, sont autant d’écrits auxquels
sera confronté un étudiant.
Un module tandem est également proposé
pour travailler en partenariat avec un étudiant
de leur future université d’accueil. Ensemble,
ils doivent réaliser, tantôt en allemand, tantôt
en français, une série d’activités portant sur
les aspects culturels de l’échange. Les profils
langagiers et les filières d’études de ces
derniers sont hétérogènes.
Outre le parcours en ligne et les activités
en tandem, le dispositif comprend deux ateliers
de deux jours durant lesquels les étudiants
(toutes universités confondues) se retrouvent.
Le premier a lieu à la fin du semestre du cours
en ligne, juste avant le départ en mobilité
des étudiants, le second à la fin du semestre
d’échange. Le premier atelier est donc
l’occasion pour les étudiants de faire le point
sur les connaissances qu’ils ont acquises dans
le cadre du parcours individuel en ligne
et de finaliser la préparation de leur départ.
C’est également le moment où ils peuvent
rencontrer leur partenaire tandem et réaliser
avec celui-ci plusieurs activités, toujours
autour de l’échange académique. Les étudiants
travaillent sur leurs représentations
de l’échange, sur ce qu’ils peuvent ou doivent
mettre en œuvre pour que celui-ci soit
une réussite, ils réfléchissent également à ce
qu’ils en attendent puis collaborent sur
le développement d’un concept d’université
européenne. Les participants ont émis
des avis positifs sur cette première rencontre,
notamment pour son caractère interculturel
(six nationalités étaient représentées), mais ont
regretté l’absence d’activités « pratiques »
de préparation à l’échange à réaliser en tandem.
Ils auraient souhaité, par exemple, avoir plus
de temps pour discuter avec leurs partenaires
respectifs des calendriers académiques ou de
Sensibiliser des étudiants d’échanges à la culture et aux écrits académiques
157
diverses démarches aussi bien administratives
(inscription à l’université, choix des cours,
inscription aux examens, etc.) que logistiques
(recherche d’appartement, obtention
d’une carte de transport, rythme de vie, etc.)
et que cela soit intégré au programme des
deux journées. On observe ici que les étudiants
sont capables de juger des « manques »
et de nommer des besoins. Cependant, parmi
ces derniers, la préparation au suivi des cours
et / ou à la passation des examens ne ressort
jamais. Est-ce parce qu’ils n’en ont pas
la nécessité, ou ne savent-ils simplement pas
identifier ce besoin concrètement ? Dans
l’enquête menée par Julie Stauber (2008),
identifier ses besoins et les définir avec
les termes adéquats pour qu’ils soient compris
par l’équipe enseignante et les étudiants
de la même façon ne va pas de soi pour les
étudiants. Le deuxième atelier donne
l’opportunité aux étudiants de faire un bilan
sur l’ensemble de leur expérience
(préparation et échange) à titre individuel,
mais aussi en complément du premier
atelier.
2. Théories culture académique et lien
avec notre plateforme
La culture académique est naturellement au
centre de la réflexion autour des compétences
à développer par les étudiants en mobilité.
À ce sujet, Aline Gohard-Radenkovic (2002)
a emprunté en les nuançant des catégories
issues de l’ethnographie anglo-saxonne,
décrivant notamment les « codes cachés »
dans les écrits académiques et les rituels
de passation d’examens ; elle a par ailleurs
eu recours aux catégories anthropologiques
des cultures professionnelles proposées
par Gauthey & Ratiu (1989), Gauthey & Xardel
(1991), et Tixier (1992). Son objectif était
« d’identifier les difficultés d’ordre linguistique,
académique et socioculturel, qu’ils pouvaient
rencontrer pendant leur séjour d’études
158
Regards d’enseignants
à l’étranger, avant d’élaborer un nouveau
programme de langue » (2002 : 10). Une microenquête constituée de 11 entretiens conduits
auprès d’étudiants lui a permis d’établir
des points de convergences et de divergences
entre les cultures des universités dont ils
étaient issus et l’Université de Fribourg.
Ces catégories se divisent en deux groupes :
« 1. La perception du “métier” d’étudiant :
les compétences et comportements attendus
dans la culture universitaire d’accueil »
et « 2. La perception de la distance hiérarchique
et de l’autorité ; des relations avec les différents
acteurs de la culture universitaire d’accueil ».
La « perception du métier » se décline en :
— Les pratiques d’apprentissage.
— La prise de parole.
— L’écrit académique.
— Les pratiques d’évaluation et rites
de passation.
— La gestion du temps et du projet
d’études.
— L’autonomie.
La « perception de la distance hiérarchique
et de l’autorité » se décline quant à elle en :
— La distance hiérarchique, le rapport
à l’autorité, le public et le privé
— Les lieux de convivialité et la constitu
tion des réseaux sociaux. (Gohard-Raden
kovic, 2002)
Nous allons maintenant voir quelles sont les
catégories que nous abordons dans notre
cours en ligne et, par défaut, celles qui ne sont
actuellement pas traitées.
Notre cours comprend plusieurs activités
correspondant aux critères des catégories
suivantes : « la pratique d’apprentissage »
(compréhension de dialogues en luxembourgeois, contribution à une base de données
d’expressions francophones), « l’écrit
académique » (prise de notes, rédaction
d’une argumentation, différenciation d’écrits
académiques, citer des travaux dans les
écrits académiques), « les pratiques d’évaluation
et rites de passation » (recherche sur
les modalités d’évaluation, appropriation
du système de notes), « l’autonomie »
(recherche de cours, élaboration du learning
agreement), « la distance hiérarchique »
(rédaction d’un e-mail officiel, manipulation
des registres de langues, introduction
à la subjectivité dans les discours) et « les lieux
de convivialité et la constitution des réseaux
sociaux » (organisation d’activités à faire après
les cours, découverte d’une association
étudiante).
Les activités qui ne s’insèrent pas dans
ces catégories d’analyse correspondent dans
les faits aux démarches privées (recherche
d’appartement, obtention d’assurances, etc.),
à la découverte du lieu cible (repérage des
lieux, réalisation d’une recette), et à la maîtrise
de l’environnement universitaire (familiarisation
avec le Centre de Langues et la bibliothèque).
Par ailleurs, nous constatons que nous ne
proposons pas d’activités pour les catégories
de « prise de parole » et de « gestion du temps
et du projet d’études ». Cette dernière
implique la gestion des différentes modalités
d’examen et la capacité de l’étudiant
à planifier l’avancée et l’organisation de son
travail personnel. La « prise de parole »
regroupe les codes et normes qui régissent
les échanges oraux avec les professeurs, mais
également avec les autres étudiants. Les
étudiants germanophones sont, par exemple,
souvent surpris par les interruptions entre les
interlocuteurs au sein d’une même discussion.
Ces deux catégories rassemblent des
compétences qui ne sont pas explicitement
enseignées dans la mesure où elles viennent
directement de pratiques sociétales qu’il est
difficile d’expliquer sans échanges d’expériences
entre pairs ou sans en faire l’expérience soimême au cœur d’une autre culture.
Ces dernières catégories n’ont donc pas
été traitées dans le cadre d’un apprentissage
autonome sur la plateforme, mais une
sensibilisation pourrait être faite grâce au travail
entre pairs. En effet, notre programme
de tandem permettrait de mettre en miroir les
cultures académiques respectives des deux
étudiants appairés. L’association du feedback
entre pairs pratiqué dans certains cours
de FOU (Lejot, 2017) et du tandem en contexte
universitaire (Cappellini & Rivens, 2013)
offre aux étudiants l’opportunité d’endosser,
soit le rôle de l’expert, soit celui du novice
en toute sécurité linguistique. Se corriger entre
pairs donne non seulement l’opportunité
aux étudiants d’améliorer leurs écrits grâce
aux commentaires de leurs camarades,
mais développe aussi des facultés à identifier
ce qui est attendu dans un texte par le lecteur.
De plus, chaque étudiant relisant l’autre
dans sa langue maternelle a un statut d’expert
qui le met en confiance face au processus
d’écriture (Lejot, 2017). Le cadre rassurant
du tandem est un avantage certain (Eschenauer,
2013 : 96), et la sensibilisation interculturelle
en est un autre. Les rencontres tandem
facilitent l’intégration sociale et culturelle dans
un pays cible (Stanciu & Bagiag, 2015) et
engagent les partenaires de niveaux débutants
dans les langues cibles à être attentifs
aux modes de communication verbaux et non
verbaux et à leurs dimensions culturelles
(Santos, 2012).
Conclusion et perspectives
Plusieurs universités se sont déjà penchées
sur la question de « l’intégration académique »
d’étudiants en échange ou en contexte
multilingue par le tandem. Ainsi, les universités
de Médecine et Pharmacie Iuliu Hațieganu
de Cluj-Napoca en Roumanie et Matej Bel
de Banská Bystrica en Slovaquie --> 2 ont, par
exemple, mis en place un module tandem
permettant aux étudiants de leurs universités
Sensibiliser des étudiants d’échanges à la culture et aux écrits académiques
159
de s’associer à un étudiant francophone,
alors en échange dans ces universités. L’objectif
de cet échange tandem est que chacun
des étudiants, slovaque ou roumain d’un côté
et français de l’autre, acquiert au contact
de son partenaire les spécificités du monde
médical, notamment pour communiquer avec
le personnel médical et les patients (Stanciu
et Bagiag, 2005), et soit guidé dans ses cours
de médecine. La découverte du pays
de l’autre et / ou la découverte de nouvelles
stratégies d’apprentissage ont été les
principaux moteurs de motivation des étudiants.
La motivation liée à l’orientation instrumentale
et FOS a en revanche été finalement
peu valorisée par ces derniers. Par ailleurs,
l’université libre de Bruxelles et celle
de la Vrije Universiteit Brussel --> 3, dans
leur programme tandem, imposent à leurs
étudiants de participer à différentes
manifestations sociales, mais également
de suivre un cours dans la discipline de leurs
partenaires au sein de leurs universités.
Bien que ces deux dispositifs de tandem
poursuivent des objectifs similaires aux nôtres,
le fait qu’ils se déroulent en présentiel ne nous
permet pas de reprendre leur fonctionnement
tel quel. Nous pourrions néanmoins
en proposer de similaires lors des ateliers. Mais
pour l’essentiel de notre cours, nous devons
nous orienter vers des tâches à effectuer
en e-tandem, c’est-à-dire à distance.
Suite à nos constats sur le manque
de « contenu académique » et la nécessité
de reconfiguration des activités tandem,
nous travaillons actuellement à la mise en place
de plusieurs activités permettant de compléter
celles existantes sur notre plateforme sur
les écrits académiques. Les nouvelles activités
que nous proposons s’intègrent à la liste
des activités tandems.
Tout d’abord, nous proposons d’intégrer
les principes de la relecture entre pairs
160
Regards d’enseignants
en formulant une consigne de rédaction
d’un écrit académique et en mettant
à la disposition des étudiants une grille de
feedback (Lejot, 2017). Afin de les aider
dans la formulation de leur écrit académique
respectif, les étudiants sont initiés à l’aide
d’un document PDF et d’une activité en ligne
à l’exploration de Scientext --> 4 pour le français
et d’une base de données allemande KOLAS. --> 5
Les étudiants s’approprient ainsi l’usage
des collocations en contexte et les comparent.
Ensuite, les partenaires se donnent un
feedback réciproque en utilisant la grille qui
leur est remise. Pour conclure, les étudiants
engagent une discussion sur les ressemblances
et divergences entre les différents écrits
académiques. Des pistes de réflexion sur
les particularités de l’argumentation
et de la cohérence textuelle comme les ont
analysées Deroey, Huemer et Lejot (2019)
pourraient leur être données.
Les étudiants de notre cours ont fait
remarquer l’absence de glossaires bilingues
pour le langage académique et de spécialité.
Notre deuxième proposition est de les faire
travailler en tandem à l’élaboration de ces
glossaires, construits sur un mode collaboratif
et alimentés au fil des semestres. Les étudiants
peuvent choisir une thématique (les examens,
les termes administratifs, le vocabulaire
de la notation, les types de cours, la terminologie
d’une discipline particulière, etc.), choisir des
termes dans les deux langues puis donner une
définition et un équivalent dans la langue cible.
La gestion de cette activité peut par ailleurs
se faire facilement via la fonction glossaire
de la plateforme Moodle.
Enfin, une troisième proposition consiste
à demander aux étudiants de chercher dans
les plaquettes de leur cursus les types
d’évaluations auxquels ils vont être soumis.
En tandem, chaque étudiant peut partager
ce qu’il a trouvé, apporter à son binôme des
explications et se renseigner au sein de son
université auprès d’un pair du même cursus
que son partenaire tandem sur les types
d’examens de fin d’année. L’étudiant qui doit
rechercher des informations pour son
partenaire peut même, comme le proposent
l’université libre de Bruxelles et celle
de la Vrije Universiteit Brussel, suivre un cours
dans la discipline de son partenaire au sein
de son université.
Nous travaillons donc actuellement
à ces améliorations autant sur les parcours
francophones que germanophones,
et nous considérons la possibilité de créer
des partenariats et donc des parcours
hispanophones et anglophones.
Notes
1. Terme utilisé par les
étudiants dans les
questionnaires que nous leur
avons remis à la fin du cours.
2. Le projet Tandem,
bilinguisme et construction
des savoirs disciplinaires :
une approche du FLE / FOS
en contact avec les langues
de l’Europe Centrale
et Orientale, cofinancé par
l’Agence Universitaire de la
Francophonie (2012-2014) :
↘ http://www.qr.ro/tandem/
index.php?controller=staticPage&action=read&page
=projetPresentation,
consulté le 04/09/2019
3. Tandems intégrés,
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be/?page_id=1112, consulté
le 04/09/2019
4. ↘ https://corpora.aiakide.
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setCorpus&corpus=sqCorpus_sctextsfr__sctexts-fr&view=texts,
consulté le 04/09/2019
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et culture. Paris : Liaison.
Sensibiliser des étudiants d’échanges à la culture et aux écrits académiques
161
« Il semble en effet
que les divers rôles
endossés par les
apprenants dans les
différents modules
ainsi que l’important
travail de doublemédiation réalisé tout
au long du programme
aient facilité
la mémorisation, la
conceptualisation
et l’appropriation
de termes scientifiques
en français. »
162
Regards d’enseignants
Enseigner le français scientifique
en impliquant les étudiants dans
un programme de médiation
scientifique
Marion Dufour
Docteure en sciences du langage de l’université
Paris 5, Chargée de cours de français
scientifique à Imperial College London
Résumé
Cet article présente un programme
de français scientifique basé sur la pédagogie
du projet qui allie médiation langagière
et médiation scientifique. Il a été conçu pour
des étudiants en sciences de niveau B2
en français et mis en œuvre à l’université
Imperial College London en 2018. Il vise
à développer des compétences en français
en contexte scientifique tout en sensibilisant
les apprenants à l’atout que constitue le travail
scientifique en équipe interdisciplinaire
pour comprendre des phénomènes complexes.
Vingt-six étudiants de licence de différentes
disciplines (mathématiques, physique, biologie,
aéronautique, ingénierie civile, biochimie,
chimie, et ingénierie chimique) ont été répartis
dans des groupes de travail interdisciplinaires
afin d’enquêter et de partager des connaissances sur certains défis mondiaux actuels
tels que le réchauffement climatique,
l’épuisement des ressources, la pollution
plastique, etc.
163
Introduction
Imperial College London est une université
londonienne qui regroupe notamment
une faculté d’ingénierie, de médecine
et de sciences naturelles. Au sein du Centre
de langues, cultures, et communication
de l’université, l’offre de langues a été créée
pour inciter les étudiants à s’ouvrir à d’autres
domaines des sciences, se socialiser
dans un nouvel environnement socioculturel
et socioéducatif, développer un profil
international et être en contact avec le réel.
Compte tenu de ces objectifs, j’ai eu l’idée
d’un programme alliant médiation linguistique
et médiation scientifique qui viserait non
seulement le développement de compétences
en français scientifique, mais aussi la
sensibilisation à l’atout que constitue le travail
scientifique en équipe interdisciplinaire pour
comprendre des phénomènes complexes.
Ce programme pilote de français scientifique
basé sur la pédagogie du projet (Ellis, 1997)
a concerné vingt-six étudiants de niveau
B2 en français. Il a été mis en œuvre en 2018
à côté d’un cours de traduction de textes
scientifiques dispensé de longue date dans
une approche textuelle. Il s’agissait de proposer
un autre dispositif de médiation dans une
approche communicative et actionnelle.
Le dispositif s’appuyait sur Confluence wiki
Software qui a permis de transformer le cours
en espace collaboratif d’enseignement
apprentissage multimédia. Il s’est structuré
en quatre modules — qui se déroulaient
sur dix-huit séances en présentiel - que
je présente ci-après.
1. Sensibiliser les étudiants à un défi global
actuel et aux bienfaits du travail scientifique
en équipe interdisciplinaire
Le premier module se composait de quatre
séances d’une heure en présentiel. Il avait
pour objectif de sensibiliser les étudiants aux
164
Regards d’enseignants
défis climatiques et énergétiques actuels
et de les impliquer dans un travail interdisciplinaire. L’entrée en matière s’est faite
par l’affichage sur les murs de la classe de
deux articles en anglais publiés dans le journal
des étudiants d’Imperial College London :
Felix (nº1676 de novembre 2017 et nº1693
de mai 2018), qui dénonçaient l’immobilisme
de l’université face aux défis climatiques,
notamment au regard de sa consommation
d’énergie et de son niveau d’émission de CO₂.
Ces articles ont suscité de vives réactions
chez les étudiants : certains ont été choqués
que leur université si bien classée ne soit
pas un modèle en matière de consommation
d’énergie, d’autres que l’on puisse laisser
le journal de l’université ternir l’image de leur
institution, d’autres encore qu’on mette
en cause l’université sur un réchauffement qu’ils
estimaient non avéré. La lecture en français
des conclusions du rapport du GIEC publiés
dans un article du Monde en octobre 2018 --> 1,
et surtout l’analyse commentée toujours
en français des neuf graphiques contenus dans
l’appel alarmant lancé par 15000 scientifiques
à l’occasion de l’ouverture de la COP23 publié
dans BioScience en décembre 2017 --> 2 ont
constitué une prise de conscience pour nombre
d’entre eux. Elles ont été aussi l’occasion
de s’interroger sur le rôle de la science et des
scientifiques dans la société.
Bien que spécialisés en sciences, les
étudiants se disaient peu concernés
par ces problèmes, car impuissants devant
la complexité des phénomènes en jeu.
La lecture d’un extrait du Manifeste étudiant
pour un réveil écologique --> 3 lancé par des
étudiants de Polytechnique, HEC, l’ENS, l’Agro
etc. en octobre 2018 a été décisive pour faire
évoluer leur point de vue et les motiver
à passer à l’action, ce qu’ils ont fait en rédigeant
à leur tour, un manifeste en français qui
incitait les autres étudiants à consommer
responsable.
Afin de maintenir leur motivation (Dörnyei,
2001), je leur ai proposé d’approfondir
la compréhension d’un défi actuel tels que
l’épuisement des ressources, le réchauffement
climatique ou la pollution plastique. J’ai
aussi donné la possibilité aux étudiants peu
intéressés par les problématiques
environnementales, de suggérer d’autres
sujets comme celui des origines de la vie
et de l’univers. Un étudiant est ainsi venu
ajouter à la liste le défi que constitue
la modélisation du repliement des protéines.
Il ne restait plus qu’à s’organiser et à concevoir
une méthode de travail. C’est de la lecture
discutée de l’interview de John Hennessy
— ancien président de l’université de Stanford
(Californie) — publiée dans le journal Le Monde
en mars 2016 --> 4, qu’est venue la réponse.
Il y parle de l’atout de l’interdisciplinarité pour
s’atteler aux problèmes les plus complexes.
C’est ainsi que les étudiants ont accepté
de se répartir les cinq défis et de constituer
sept groupes --> 5 de travail interdisciplinaire
qui permettraient à chaque participant
de mettre en avant ses connaissances scientifiques et compétences en français et de
s’ouvrir à d’autres disciplines des sciences
par le dialogue. Toujours dans l’optique
de maintenir leur motivation, le travail de groupe
a été orienté vers deux macro-tâches (écrite
et orale) : un poster scientifique interdisciplinaire
et une conférence de vulgarisation scientifique, dernière tâche que je ne développerai
pas ici. Les modules deux et trois décrits
dans les sections suivantes consistaient en des
phases de préparation à la macro-tâcheposter, et reposaient sur la coopération et
l’entraide des membres des différents groupes.
2.
Réaliser une collecte de données : états
des lieux, causes, conséquences et solutions
Le second module, composé de cinq séances,
était conçu suivant une suite d’opérations logicodiscursives, positionnant les apprenants dans
des rôles d’experts. La première opération
consistait à effectuer un état des lieux de leur
défi, puis à collecter des données concernant
les causes, les conséquences et les solutions
développées dans leur domaine des sciences
respectif. Il s’agissait enfin de croiser
ces données et de tirer des conclusions sous
la forme de préconisations. Ce module
présentait aussi le défi de travailler en équipes
inter-disciplinaires, et de se familiariser avec
le logiciel Confluence Wiki qui offrait à chaque
groupe un espace collaboratif dédié à son
défi, visible des autres groupes et auquel
j'avais également accès.
Afin d’initier les travaux, j’ai distribué
à chaque groupe une série de deux ou trois
articles en français issus de revues scientifiques
spécialisées en relation avec leur défi --> 6.
Certains étudiants ont été surpris que ces
articles aient été rédigés en français, persuadés
que l’anglais était la langue de publication
scientifique par excellence. Les étudiants qui
s’étaient emparés d’un article avaient
la mission de le lire à la maison, de lister les
termes scientifiques du domaine et de retenir
la source de l’article, en vue de l’élaboration
d’un glossaire et d’une bibliographie.
Les autres étudiants étaient chargés de faire
le même travail à partir d’autres documents
et supports scientifiques collectés librement :
articles et vidéos de vulgarisation scientifique,
conférences en ligne, sites internet,
en français dans la mesure du possible.
À chacune des séances, les étudiants devaient
partager en français de vive voix le contenu
des documents explorés hors classe avec
les autres membres du groupe et les intégrer
au sein des différentes rubriques du wiki
créées : comptes rendus, glossaire, bibliographie,
illustrations, posters, etc, sous la forme
de résumés, de commentaires, de notes, etc.
Les données étaient donc prélevées dans
un format et restituées sous un autre. Comme
en contexte professionnel, « chaque document
Enseigner le français scientifique en impliquant les étudiants
165
s’inscri[vai]t dans un chaînage d’échanges,
de reformulations, d’interrogations. » (MourlhonDallies, 2008, p.92). L’activité de médiation
principale était donc assurée par les étudiants
eux-mêmes qui s’occupaient de la transmission
des connaissances en français aux autres
membres du groupe des documents écrits
ou audiovisuels collectés en français ou en
anglais. Plus qu’un processus de médiation,
il s’agissait donc d’un processus de remédiation (ou double médiation) qui « intervient
au moment où le discours est formulé dans
une autre langue que la langue première »
(Patchareerat, 2018, p.7).
3.
Conception et réalisation des posters
Le troisième module, composé de cinq
séances, a consisté en la conception
et la réalisation de posters. Ce module s’est
ouvert sur un travail de récapitulation visant
à répondre, pour chacun des groupes,
à quatre questions : 1) Dans quel but fait-on
ce poster 2) Comment a-t-on procédé
jusqu’ici ? 3) Que sait-on du défi ? 4) Quel
message veut-on véhiculer ? S’en est suivi
un cours de méthodologie sur l’élaboration
du poster scientifique.
Dans la phase de conception du poster
qui a succédé, les étudiants ont endossé
des rôles de rédacteurs ou, plus souvent,
de chefs de rubrique de revue scientifique.
J’assurais le rôle de rédacteur en chef.
Les feedbacks des étudiants sur le cours
montrent que ce module a été ressenti
comme le plus bénéfique au développement
de leurs compétences en français scientifique
aussi bien à l’écrit qu’à l’oral. En effet,
le travail de réalisation d’un poster depuis
sa planification, en passant par sa coordination
et jusqu’à son évaluation finale, nécessite
de nombreuses négociations (Filiettaz, 2005).
Les étudiants doivent se mettre d’accord
en premier lieu sur le message à faire passer
et élaborer un scénario. Ils doivent ensuite
166
Regards d’enseignants
convenir d’un story-board (une structure
de blocs textuels et graphiques), puis
sélectionner les documents graphiques
en relation avec les textes qu’il leur
faudra rédiger de manière claire et concise,
ce qui nécessite un gros travail de négociation
et d’écriture, une capacité de synthèse
et de reformulation en préservant les motsclés. Enfin, ils doivent réfléchir à la formulation
de titres et des sous-titres accrocheurs et
explicites afin de capter l’attention du public.
Quant à la phase de réalisation du poster,
elle consiste à mettre en page les documents,
travailler à leur agencement en veillant
à la lisibilité et compréhension de chaque
élément, et à la cohérence de l’ensemble.
Tout au long de ce module et du précédent,
j’ai assuré le suivi des groupes et de leur
travail, autant en face à face que par l’intermédiaire du wiki au moyen duquel je les
encourageais, sollicitais, les accompagnais
vers la réussite des projets. De cette manière,
je pouvais activement maintenir la motivation
générée au premier module. Une fois réalisés,
les posters ont été imprimés au format A0
et exposés dans un des couloirs du centre
de langues à la vue de tous.
Ce programme de médiation scientifique
a ainsi permis aux étudiants de mieux
comprendre les défis qui agitent le monde
scientifique actuel, et de contribuer à les
faire connaître.
Conclusion
En conclusion, le dispositif pédagogique mis
en œuvre comportait de nombreux avantages
pour l’enseignement du français scientifique :
d’abord, celui de valoriser les apprenants
et de les placer véritablement au cœur
du dispositif d’apprentissage en s’appuyant
sur leurs connaissances et compétences
tant langagières que scientifiques, et en les
impliquant pleinement dans le processus
de production des connaissances ; ensuite,
celui d’instaurer un cadre propice pour
maintenir leur motivation et développer leurs
compétences en français scientifique.
Il semble en effet que les divers rôles endossés
par les apprenants dans les différents modules
ainsi que l’important travail de double-médiation
réalisé tout au long du programme aient
facilité la mémorisation, la conceptualisation
et l’appropriation de termes scientifiques
en français.
Enfin, un dernier avantage de ce dispositif
est qu'il donne la possibilité à l’enseignant
de langue d’intervenir dans des domaines
scientifiques dont il n’est pas spécialiste.
Si l’enseignant de langue prescrit les tâches
aux apprenants essentiellement en début
de séance par le biais de consignes dans le but
de cadrer l’action des groupes, ce sont
ensuite les apprenants qui prennent la maîtrise
de la parole et font évoluer le cours de l’action.
L’enseignant joue donc essentiellement un
rôle de médiateur et de facilitateur de l’action
des apprenants, déployant toute son expertise
pour maintenir leur niveau de motivation
initiale et œuvrer, séance après séance, à leur
autonomisation.
Notes
Bibliographie
1. Le Monde avec AFP.
(2018). Ce qu’il faut retenir
du rapport du GIEC
sur la hausse globale des
températures. Disponible
en ligne sur le site
du Monde : ↘ https://www.
lemonde.fr/climat/article/
2018/10/08/ce-qu-il-fautretenir-du-rapport-dugiec-sur-la-hausse-globaledes-temperatures_
5366333_1652612.html
Dörnyei, Zoltán. (2001).
Motivational strategies
in the language classroom.
Cambridge : Cambridge
University Press.
2. Ripple, W. J., Wolf,
C., Newsome T. M., Galetti,
M., Alamgir, M., Crist,
E., Mahmoud, M. I., Laurance,
W. F., 15364 scientist
signatories from 184
countries « World Sientists »
Warning to Humanity :
A second Notice, BioScience,
Volume 67, Issue 12,
December 2017, Pages
1026–1028. Disponible
en ligne sur le site de
BioScience ↘ https://doi.
org/10.1093/biosci/bix125
3. Disponible en ligne sur
↘ https://pour-un-reveilecologique.fr/
4. Belot Laure & Davidenkoff
Emmanuel. (2016). John
Hennessy : «Le défi majeur
est d’apprendre à apprendre
tout au long de la vie».
Disponible sur le site
du Monde : ↘ https://www.
lemonde.fr/campus/
article/2016/03/03/
john-hennessy-noussommes-bien-incapablesd-enseigner-aux-jeunesce-qu-ils-devront-savoirdans-dixans_4875624_
4401467.html
Ellis, Rod. (2003).
Task-based language
learning and teaching. New
York : Oxford University
Press.
Filliettaz, Laurent. (2005).
Négociation et prise
de décision dans le travail
collectif. Une approche
discursive. Négociations,
3, 27-43.
Mourlhon-Dallies,
Florence. (2008), Enseigner
une langue à des fins
professionnelles. Paris :
Didier.
Patchareerat, Yanaprasart.
(2018). Enjeux de la double
médiation du plurilinguisme
dans le milieu académique
multilingue. Internationalisation ou diversité dans
l’enseignement supérieur ?
Recherches en didactique
des langues et des cultures,
Les cahiers de l’Acedle
15-2, 1-25.
5. Certains groupes
travaillaient sur les mêmes
défis.
6. J’avais fait cette
recherche d’articles
scientifiques dans la phase
de planification du cours.
Enseigner le français scientifique en impliquant les étudiants
167
« Étant donné
que les enseignants
du français de
spécialité dans
les universités
congolaises ne sont
pas formés en ce
domaine de langue
de spécialité, leur
formation continue
est la clé du
succès. »
168
Regards d’enseignants
L’argumentation dans la rédaction
professionnalisante des étudiants
informaticiens
Emmanuel Kambaja Musampa
Université de Mbujimayi,
République Démocratique du Congo
Résumé
Cette contribution étudie deux aspects
de l’argumentation scientifique : l’emploi
des connecteurs et la construction
de l’argumentation. Les connecteurs et, ainsi,
car et alors sont très utilisés. La description,
la définition, le modèle, les faits sont les
arguments les plus usités. Les rédacteurs ont
oublié de construire l’argumentation
visant à défendre toutes leurs hypothèses.
Ainsi, avons-nous proposé quelques
directives didactiques.
169
1.
Introduction
Au Congo (RDC), l’enseignement du français
scientifique intervient uniquement au début
du cursus de l’étudiant informaticien.
En deuxième année, l’étudiant prend un cours
d’initiation à la recherche scientifique.
Le curriculum ne prévoit pas l’enseignement
de la rédaction scientifique. Mais, à la troisième
année, il doit rédiger un mémoire, visant
à construire une argumentation à propos
d’une problématique de recherche spécifique.
Nous analyserons les performances
et les difficultés des étudiants dans le domaine
de l’argumentation. Notre recherche porte
sur 5 mémoires d’étudiants en Informatique,
dont 3 de l’année académique 2013-2014
(E1, E2, E3) et deux des années académiques
2011-2012 (E4) et 2010-2011 (E5). Ces
mémoires sont rédigés à la fin de la troisième
année universitaire, pour l’obtention du grade
de Gradué en informatique (l’équivalent
de la Licence). Pour ces mémoires, la thèse
générale à défendre est la suivante :
l’informatique est une discipline particulière
au service de l’amélioration de la qualité
des activités professionnelles d’une communauté bien identifiée. Ces mémoires relèvent
de l’argumentation puisqu’ils sont des textes
au cours desquels le rédacteur problématise,
prouve, justifie, élucide des points.
Il doit construire une argumentation logique
et cohérente pour que les évaluateurs
trouvent vrais, plausibles ou crédibles ses
résultats.
Nous qualifions cette rédaction de
« professionnalisante » puisqu’elle est destinée
à préparer le rédacteur à devenir professionnel
(Baudet et Rey, 2012).
Nos enquêtés attestent un niveau
équivalent au niveau C1 du cadre européen
commun de référence pour les langues
(2001, 25). En RDC, le français a le statut
de « langue officielle » et il s’agit de la langue
d’enseignement.
170
Regards d’enseignants
Notre approche
Pour étudier la pratique argumentative, nous
utilisons une grille référentielle considérant
deux aspects :
— La présence des connecteurs
— Les types d’arguments
Cette approche est pragmatique
puisqu’argumenter, c’est construire des actes
de langage. De toute évidence, l’argumentation
est un support de communication.
Son rédacteur « a pour intention de modifier
l’environnement cognitif de ses interlocuteurs »
(Sperber et Wilson, 1989, 76). Pour l’identification
des arguments, nous empruntons notre
cadre de référence à Bellenger (1999), Perelman
et Olbrechts-Tyteca (2008) et (Doury 2004).
2.
Tableau 1
Fréquence des connecteurs
Connecteur
Fréquence
et
13,64 %
ainsi
10,24 %
car
7,96 %
alors
7,96 %
d’où
6,82 %
cependant
5,7 %
si
4,56 %
Analyse et discussion des résultats
Notre analyse porte sur l’emploi des connecteurs et la construction de l’argumentation.
2.1. L’emploi des connecteurs
Nous proposons de (a) identifier les connecteurs
les plus employés, (b) ressortir les instructions
d’interprétation que les scripteurs donnent
au lecteur pour lui permettre de comprendre
l’argument et (c) évaluer cet emploi pour voir
s’il est adapté au contexte.
34 connecteurs ont été employés pour
un total de 88 occurrences.
Les connecteurs les plus employés sont :
et, ainsi, car et alors. Ils véhiculent des
instructions inférentielles (injonctions
à effectuer) sur des opérations que l’interprète
doit effectuer pour traiter un énoncé
en discours (Luscher 1994, 187).
(1) nous avons :
— l’énoncé « un abonné fait une
réservation » qui se traduit par une
relation de type un à plusieurs et,
— l’énoncé « une réservation concerne
un ouvrage » se traduit par une relation
du type plusieurs à plusieurs.
(2) La Gestion de la Relation client
comprend deux aspects : CRM analytique
et CRM opérationnel. Et elle considère les
données sur les clients comme précieuse
richesse.
(3) Ainsi les tables de notre base des
données se présentent de la manière
suivante.
(4) L’hypothèse est une proposition
admise comme donnée du problème que
l’étudiant dépouillera dans sa dissertation
avec des arguments logiques, cohérents.
Ainsi l’hypothèse n’étant qu’une
proposition, pensons que l’informatisation du suivi de paiement des frais
académiques permettrait la facilitation
et la simplification des tâches
à l’utilisateur.
(5) En effet, un auteur peut écrire
plusieurs ouvrages et un ouvrage peut
être écrit par plusieurs auteurs.
(6) On doit utiliser ici des algorithmes
d’apprentissage non supervisés, car nous
ignorons les critères de partitionnement.
(7) Après avoir appliqué ces règles
à notre MCD précédent, nous déduisons
alors le MLDR suivant :
Dans (1), et donne l’instruction suivante :
considérer que nous avons deux énoncés,
le précédent et le suivant. Dans (2), et donne
l’instruction : ne pas séparer le contenu
qui suit de celui qui précède.
Le connecteur ainsi nous donne
l’instruction : considérer ce qui comme
découlant de ce qui précède dans (3).
Le connecteur ainsi offre un cas de lien
implicite. Dans (4), le rédacteur voudrait faire
L’argumentation dans la rédaction professionnalisante des étudiants informaticiens
171
le lien entre la définition d’une hypothèse
et l’hypothèse qu’il élabore. Cette hypothèse
n’est pas explicitement formulée. Il écrirait :
« Ainsi, nous émettons alors l’hypothèse que
l’informatisation du suivi de paiement
permettrait… ». Ainsi relie un contenu explicite
à un contenu implicite, qui découle
du premier.
Le connecteur en effet connaît aussi
un emploi incorrect dans (5). L’instruction
que ce connecteur donne est injustifiable,
à savoir : considérer ce contenu comme
confirmant et justifiant le contenu qui précède.
Cependant, les deux contenus ne sont pas
cohérents. Le contenu précédent porte sur
la traduction de la relation « un auteur écrit
un ouvrage ». Tandis que le deuxième porte
sur la relation « un auteur peut écrire
plusieurs ouvrages et un ouvrage peut être
écrit par plusieurs auteurs ». Il fallait
un connecteur qui instruirait l’interprète que
cette proposition véhicule une nouvelle
idée.
Dans (6) car donne l’instruction :
considérer que le contenu suivant exprime
la raison, le mobile du contenu précédent.
Dans (7), alors donne l’instruction :
interprétez ce contenu comme exprimant
la conséquence logique de l’acte illocutoire
précédent.
Étant donné que cette étude ne porte
pas exclusivement sur l’emploi des connecteurs,
étudions aussi l’emploi des arguments.
2.2. La dimension argumentative des
mémoires
Pour influencer les lecteurs, l’étudiant
informaticien recourt aux arguments. Comme
annoncé ci-dessus, nous empruntons
notre cadre de référence à Bellenger (1999)
et Perelman et Olbrechts-Tyteca (2008).
L’évaluation des arguments, se fera au moyen
d’une grille d’évaluation des compétences
articulée en 5 critères :
172
Regards d’enseignants
— Cohérence entre l’argument
et l’hypothèse à défendre.
— Rigueur, objectivité et caractère
méthodique de l’analyse des données.
— Cohérence entre arguments.
— Progression dans l’argumentation.
— Variété des arguments
Tableau 2
Les arguments les plus
employés par les étudiants
Classes d’arguments
Les arguments
Fréquence
Recours aux faits
Les faits
11 %
Voix ? explicative
Définition
19,5 %
Narration
8%
Description
22 %
Modèle
20,3 %
La structure argumentative est la même dans
tous ces mémoires : le rédacteur commence
par une analyse de l’existant, et procède
ensuite à l’implémentation de son application.
2.2.1. Les arguments employés dans les
mémoires
Nous présentons dans le tableau 2 les
arguments utilisés par les étudiants.
Pour convaincre les lecteurs, les rédacteurs
des mémoires ont eu abondamment recours
à la description. À titre d’illustration cet extrait
du mémoire E3 (op.cit, 46) :
« Pour notre travail, nous utiliserons une
BD de gestion des comptes clients
qui est composé de trois tables qui sont :
T_Abonés, T_Appel, T_Consommation
et T_Temps que nous allons intégrer dans
Sql Server Business intelligent ».
Un autre argument utilisé abondamment
est le modèle. La résolution des problèmes
scientifiques passe par la démarche
de modélisation qui comprend l’élaboration
de nouvelles représentations conceptuelles
à partir des représentations préexistantes
(Sanchez 2008, 96). E4 (2012, 24-30) présente
un modèle dénommé modèle physique
de traitement (MPT) sous forme d’arborescence
comprenant les différents programmes
et sous-programmes. Cet argument est
omniprésent dans les 5 mémoires.
L’argument par la définition est le troisième
argument parmi les plus employés. Définir
est l’une des initiatives primordiales de l’art
d’expliquer (Bellenger op.cit, 36). Ainsi
les définitions abondent dans les 5 mémoires
analysés. A titre d’illustration, citons E1
(2014, 38) : « la modélisation conceptuelle
de données est une représentation
graphique des informations du système.
Elle a pour but de décrire les données
et les traitements qui construiront notre base
de données ». Cet argument ainsi formulé
révèle la projection de l’ethos du spécialiste
du rédacteur. Il proclame ainsi son
appartenance identitaire à la communauté
à laquelle il entend s’intégrer, et par
laquelle il demande à être reconnu (Amossy
citée par Mayeur 2018, 7).
Les deux derniers arguments les plus
employés sont l’argument par les faits
et l’argument par la narration. Ces arguments
expliquent aux lecteurs la solution que
l’on propose à leur approbation. Nous passons
outre les autres arguments moins utilisés.
2.2.2. L’évaluation de l’emploi des arguments
Certains rédacteurs n’ont pas argumenté
pour défendre toutes leurs hypothèses.
Par exemple, l’étudiante E5 (op. cit. 2) avait
pour hypothèse que l’informatisation
de la bibliothèque universitaire permettrait
une gestion rationnelle, rapide et efficace
des ouvrages et des abonnés. Cependant,
tous les arguments employés dans le mémoire
s’attachent uniquement à prouver que
l’application implémentée fonctionnera bien.
Cette faiblesse argumentative est commune
aux 5 rédacteurs dont nous étudions
les mémoires.
Toutefois, les rédacteurs fondent
leurs arguments sur une analyse des données
rigoureuse, objective et méthodique.
Ces arguments sont, généralement, variés.
Toutefois, certains rédacteurs empilent les
L’argumentation dans la rédaction professionnalisante des étudiants informaticiens
173
définitions, parfois sans lien. A titre d’exemple,
avant d’élaborer un modèle conceptuel
de données (mcd), E1 (op. cit, 38) met
des définitions les unes à côté des autres. Elle
définit successivement la modélisation,
l’entité, la propriété ou attribut, l’identifiant,
la relation ou association, la cardinalité.
4.
Propositions didactiques
Pour améliorer les compétences des
étudiants, nous proposons l’enseignement
de l’argumentation scientifique dans
le cours de Français de spécialité. Nous
préconisions le recours aux projets
pour réussir cet enseignement pratique.
L’enseignant organisera ses classes
autour d’un projet expliqué et donné
aux apprenants avant la séance de rédaction.
Puis les étudiants, produiront des textes.
Nous recommandons des ateliers pour
aider les étudiants à reconnaître un texte
argumentatif, analyser les caractéristiques
d’une situation d’argumentation, classer
les arguments et les développer (Dolz,
et Pasquier 1994, p. 166).
Étant donné que les enseignants
du français de spécialité dans les universités
congolaises ne sont pas formés en ce
domaine de langue de spécialité, leur formation
continue est la clé du succès.
Conclusion
Nous voulions déceler, dans cette étude,
les performances et les lacunes des étudiants
dans les mémoires de licence. Cette
étude a porté sur l’emploi des connecteurs
et des arguments. Nous avons identifié
des performances et des faiblesses dans
la production de textes argumentatifs.
Nous considérons que les performances
sont des atouts sur lesquels devait
reposer un enseignement systématique
de l’argumentation scientifique,
174
Regards d’enseignants
au cours de français de spécialité. Nous
avons présenté quelques grandes lignes d’un
pareil enseignement. Enfin, nous avons
proposé aussi l’organisation de la formation
continue pour les enseignants du cours
de français de spécialité dans cette filière
d’étude.
Bibliographie
Beadet, Céline & Rey,
Véronique. (2012). De l’écrit
universitaire à l’écrit
professionnel : comment
favoriser le passage
de l’écriture heuristique
et scientifique à l’écriture
professionnelle ?. Scripta,
Belo Horizonte, 16 (30),
169-193.
Bellenger, Lionnel. (1999).
L’argumentation. Principes
et méthodes (4e édition).
Paris : Les Editions ESF.
Conseil de l’Europe. (2001).
Cadre européen commun
de référence pour
les langues : Apprendre,
Enseigner, Évaluer.
Disponible en ligne sur
↘ www.coe.int/lang-CECR
(consulté le 22 avril 2019).
Perelman, Chaïm.
& Oblbrechts-Tyteca,
Lucie. (2008). Traité
de l’argumentation
(6e édition). Bruxelles :
Editions de l’Université
de Bruxelles.
Sanchez, Eric. (2008).
Quelles relations
entre modélisation
et investigation scientifique
dans l’enseignement
des sciences de la terre ?
Éducation et didactique,
vol. 2, nº 2, pp. 95-120.
Sperber, Dan. & Wilson,
Deirdre. (1989). La
pertinence. Communication
et cognition. (traduit de
l’Anglais Abel Gerschenfeld
et Dan Sperber). Paris :
Les éditions de minuit.
Doury, Marianne. (2004).
La classification des
arguments dans les discours
ordinaires. Langages,
nº 154, 59-73.
Dloz, Joaquim & Paquier,
Auguste. (1994). Enseignement
de l’argumentation et retour
sur le texte. Repères,
recherches en didactique
du français langue
maternelle, nº 10, 163-179.
Luscher, Jean-Marc.
(1994). Les marques
de connexion : des guides
pour l’interprétation.
Dans Moeshler, Jacques,
Reboul, Anne, Luschre,
Jean-Marc. & Jayez, Jacques.
Langage et pertinence.
Nancy : Presses universitaires
de Nancy.
Mayeur, Ingrid. (2018).
Quelle dimension
argumentative dans les
carnets de recherche
en sciences humaines ?
Argumentation et Analyse
du Discours, nº 20,
pp. 1-18.
L’argumentation dans la rédaction professionnalisante des étudiants informaticiens
175
Regards
de lecteurs
p. 178
Histoire des langues et histoire des
représentations linguistiques
COLOMBAT, Bernard, COMBETTES, Bernard,
RABY, Valérie & SIOUFFI, Gilles (dir.)
— vu par Cristina Petraș
p. 206
Mesurer la science
LARIVIÈRE,Vincent & SUGIMOTO Cassidy R.
— vu par Abdelkrim Boufarra
p. 184
La langue française dans le monde
2015-2018
FALL, Youma, WOLFF, Alexandre,
QUÉMÉNER, Francine, AUBERTIN, Lola,
HOCINE, Amel, LAHOUIOU, Mériem,
LEGER-SAINT-CYR, Mélanie, DUCLOS,
Dayana & coll.
— vu par Haydée Silva
p. 188
Penser la didactique du plurilinguisme
et ses mutations, Idéologies, politiques,
dispositifs
SUZUKI, Elli, POTOLIA, Anthippi
& CAMBRONE-LASNES, Stella
— vu par Brahim Errafiq
p. 192
Les Études françaises et les humanités
dans la mondialisation
FRAISSE, Emmanuel (dir.)
— vu par Olivier-Serge Candau
p. 196
Enseigner la francophonie, enseigner
les francophonies
CHNANE-DAVIN, Fatima, LALLEMENT,
Fabienne & SPAËTH, Valérie (coord.)
— vu par Ndèye Maty Paye
p. 202
Un regard sur l’enseignement
des langues : des sciences du langage
aux NBIC
MARTINEZ, Pierre
— vu par Youcef Atrouz
176
177
COLOMBAT, Bernard, COMBETTES, Bernard,
RABY, Valérie & SIOUFFI, Gilles (dir.).
Histoire des langues et histoire des
représentations linguistiques.
Paris : Honoré Champion (coll. Bibliothèque
de grammaire et de linguistique). 2018. 562 p.
Histoire des langues et histoire
des représentations linguistiques
Cristina Petraș
Université Alexandru Ioan Cuza de Iaşi
Constituant les actes du colloque du même
nom, organisé en 2016 à l’Université ParisSorbonne (aujourd’hui Sorbonne Université)
et à l’Institut national des langues et civilisations
orientales, le volume Histoire des langues
et histoire des représentations linguistiques
réunit vingt-cinq textes qui proposent
une large gamme d’approches, d’articulations
entre l’histoire des langues et l’histoire
de leurs représentations, disciplines dont les
interactions — évidentes et nécessaires —
ne sont que rarement prises en compte
de façon programmatique.
Les axes différents par lesquels les auteurs
des articles se sont rapportés à la thématique
du colloque a donné lieu, dans la perspective
des éditeurs du volume, à trois sections :
« théories et représentations de l’histoire des
langues et de la linguistique », « perspectives
croisées sur les usages linguistiques et leurs
analyses » et « normalisation, prescription,
standardisation ». Sans totalement rejeter
le bien-fondé de cette tripartition proposée
par les éditeurs, nous proposerons une lecture
qui s’organise légèrement différemment par
rapport aux sections retenues dans le volume.
Une série d’articles choisissent clairement
de mener des analyses sur différents types
d’actions réciproques entre usage linguistique
(tel qu’il se présente à travers différents
corpus analysés par les auteurs des articles
eux-mêmes ou exploités par d’autres auteurs
178
Regards de lecteurs
179
que citent les premiers) et représentations
des usages, et ceci à travers différents faits
de langue : Jean-Marie Fournier montre à quel
point la détermination nominale en français
offre une excellente illustration du rapport
entre grammaticalisation et grammatisation
pour la période XVIe-XVIIIe siècles (processus
« parallèles et partiellement contemporains »),
les différences de traitement entre les
grammaires de différentes époques, notamment
pour ce qui est du partitif, étant liées
à l’émergence elle-même tardive de ces
éléments. L’analyse de corpus en diachronie,
ainsi que de grammaires d’usage conduit
Bérengère Bouard et Julie Glikman à conclure
sur l’idée que la manière dont se présente
l’accord de tout devant l’adjectif (l’une
des « bizarreries » du français) combine des
éléments hérités de l’ancienne langue
et d’autres découlant de l’action de la règle
instituée. Pour ce qui est du choix d’une
norme par rapport à l’utilisation prépositionnelle
de la série dedans, dessus, dessous, dehors,
Odile Leclercq soutient que, si on ne peut
pas affirmer clairement que le discours
métalinguistique a complètement conduit
à la disparition des emplois prépositionnels
(processus commencé avant l’apparition
des remarques du XVIIe siècle), par contre,
celui-ci a contribué à l’établissement d’une
norme qui influence plutôt l’usage littéraire.
La comparaison que mène Nathalie Fournier
du traitement des marqueurs indéfinis
personne, rien, aucun, nul, pas un dans deux
grammaires (Maupas, 1607 ; Damourette
et Pichon, 1930) permet de relier les descriptions
fournies aux représentations des auteurs
par rapport à la langue, à son évolution.
Un versant important est constitué des études
qui traitent les différentes théories qui ont
traversé la réflexion linguistique en histoire
des langues (voir la première section
du volume). Malgré les avancées théoriques
qu’elle a permises, la reconstruction
180
Regards de lecteurs
interne pratiquée en linguistique indoeuropéenne est remise en question car des
difficultés surgissent dans la reconstitution
d’un proto-indo-européen idéal (voir l’article
de Georges-Jean Pinault). Aux inconvénients
d’une approche qui s’appuie exclusivement
sur la construction rétrospective, telle
que pratiquée dans une tradition philologique,
Michel Banniard oppose, dans l’interprétation
des textes du Ve-VIe siècles, les méthodes
de la sociolinguistique diachronique, qui,
sans rejeter les acquis de la première, remet
le texte dans un contexte sociolinguistique
et prend en compte le discours des témoins
de l’époque. Dans une même discussion
sur l’établissement de parentés, Daniel Droixhe
s’arrête sur l’hypothèse de la parenté entre
perse et langues germaniques, qui est pourtant
remise en cause, notamment par les
savants autour de la Bible polyglotte de Londres
du XVIIe siècle. Ce qui apparaît comme
particulier chez Pānini, selon Małgorzata
·
Sulich-Cowley, c’est le fait que des changements
phonétiques, que sous-tendent la loi
de Bartholomae et celle appelée RUKI, sont
décrits de manière très précise malgré
l’approche essentiellement synchronique.
La description et la reconstruction interne
constituent des défis de taille dans le cas
des langues qui n’ont pas de tradition écrite.
C’est le cas de la langue khalingi rai du Népal
oriental, prise en compte par Aimée Lahaussois.
Cette auteure propose une analyse comparée
de deux descriptions de la morphologie
de la langue citée.
D’autres études prennent de façon explicite
comme objet les conceptions de certains
linguistes : Jean-Jacques Briu identifie chez
Heymann Steinthal une conception
de la langue et de la linguistique influencée
par Humboldt, dans laquelle l’approche
linguistique est rapportée plus à la psychologie
qu’à la philosophie ; Jean-Michel Fortis
établit un rapport entre la conception de Joan
Bybee sur la grammaticalisation et celle
du néogrammairien Hermann Paul.
Une approche des corrélations entre
histoire de la langue et histoire de la linguistique
en Italie à des époques différentes est
proposée par Claudia Stancati.
Le rapport entre français et dialectes
d’un point de vue historique est interrogé par
Gilles Guilhem Couffignal, l’histoire d’un
dialecte comme l’occitan (façonnée par les
représentations linguistiques des romanistes)
contribuant à la manière dont on envisage
la langue française. Danielle Trudeau montre
que dans De Latinitate falso suspecta, Henri
Estienne propose une réflexion sur la langue
à partir d’une approche comparatiste.
Se servant des méthodes de la stylistique
comparée et de la traductologie, Estienne vise
à déceler les mécanismes qui sous-tendent
la communication dans les différentes langues
— grec, latin, français.
Certaines études portent clairement
sur des faits de changement qui sont repris
et réinterrogés. Celle de Michael L. Mazzola
reprend la discussion de l’action du francique
pour ce qui est du phénomène de la syncope
dans le changement produit dans le passage
du latin au français (la thèse de Meyer-Lübke).
La prise en compte de la dynamique du latin
vient fournir une hypothèse alternative
au changement : il existait déjà dans le latin parlé
par la population gallo-romane une évolution
dans le sens de la syncope. Ivaylo Burov
soutient que, pour rendre compte des trois
aboutissements du groupe /kt/ dans
les langues romanes, il faut mobiliser tant
les éléments acoustiques, que la perception
et le rôle des auditeurs.
Faire une histoire des représentations
linguistiques dans les grammaires pose souvent
des problèmes méthodologiques. Comme
le montre Gerda Haßler, l’interrogation sur
le traitement que les grammairiens du XVIIe
et du XVIIIe siècles donnent de l’aspect fait
intervenir une application rétrospective
de la notion d’aspectualité. On remarque, d’une
part, une analyse des temps du passé selon
la tradition latine, d’autre part, l’impossibilité
d’appliquer la notion d’aspect à la description
de l’imparfait, vu la variation de ses
emplois. Selon Laurent Vallance, bien avant
les grammairiens français, Castelvetro (1563)
établit des corrélations entre temps simples
et temps composés en italien, anticipant
Benveniste par la valeur de perfectivité
rattachée aux formes composées.
Les questions épistémologiques
et méthodologiques occupent une place
centrale dans certaines démarches.
Nathalie Fournier, par exemple, souligne que
le linguiste qui travaille sur l’histoire
de la langue n’a qu’un accès second, mitigé
aux faits de langue anciens par l’intermédiaire
des corpus — de nature écrite —, ainsi que
par les ouvrages métalinguistiques (grammaires,
dictionnaires). La répétition de che / que
en ancien italien et en ancien français offre
à Benedetta Fordred l’occasion de mettre
en avant le nécessaire parallélisme entre
description et interprétation.
Les articles regroupés dans la troisième
section du volume sont orientés vers les débats
autour de la « normalisation, prescription,
standardisation » des langues. Mireille Huchon
montre à quel point dans les écrits du milieu
du XVIe siècle l’illustration du français s’appuie
sur une « représentation rhétorique ».
Deux études sont consacrées à la codification
du catalan. Narcís Iglésias remarque chez
le linguiste Fabra, dans le discours normatif
du prologue au Diccionari ortográfic (1917),
des choix orthographiques qui exploitent
la méthode historico-comparative
de la linguistique romane pour une langue
(le catalan) n’ayant pas connu les mêmes
évolutions que les autres langues romanes.
L’étude de Francesc Feliu s’arrête sur
un autre élément ayant servi à la codification
Histoire des langues et histoire des représentations linguistiques
181
du catalan. La « langue ancienne » a été prise
comme modèle de codification dans un but
de différenciation par rapport au castillan
et d’enrichissement du répertoire linguistique.
La question du choix de la variété à être
promue comme langue écrite littéraire et langue
nationale donne lieu pour le grec, selon Rea
Delveroudi, à un véritable schisme entre deux
linguistes, et donc entre les tenants de deux
positions contraires, durant la période
1880-1910 : Georgios Chatzidakis soutient
comme langue nationale la variété écrite
(la katharévousa), qui n’a rien à voir, selon lui,
avec les dialectes anciens. Tout au contraire,
Jean Psichari milite pour la promotion à ce titre
de la langue commune démotique. Selon
Delveroudi, il n’y a pas que des raisons idéologiques qui sous-tendent ces différences.
Il s’agit d’un soubassement théorique différent,
ainsi que de formations dans des traditions
intellectuelles différentes des deux linguistes.
Deux articles traitent du rapport entre
français de France et français hors de France
en diachronie. Sophie Piron et Wim Remysen
étudient les éditions québécoises du XIXe siècle
de la grammaire de Lhomond (XVIIIe siècle)
et remarquent qu’il existe dans les premières,
somme toute, peu d’éléments illustrant les
changements produits dans la langue et encore
moins de particularités québécoises. Ces
ouvrages ne se constituent pas pour autant
en pourvoyeurs du discours sur la correction
de la langue au Québec. Comme il ressort
de l’étude de Michel Berré et Cendrine PaganiNaudet, s’arrêter sur la partie consacrée
aux régionalismes (flandricismes) dans
la grammaire de Laurent Chiflet revient
à s’interroger sur l’origine des particularités
(voir l’emploi du conditionnel avec si, qui
résulterait d’une interférence avec l’usage
des Flamands, mais qui est utilisé aussi en
français populaire de France et du Canada)
et partant sur l’histoire de l’extension
ou l’histoire tout court du français.
182
Regards de lecteurs
Pour conclure ces quelques considérations,
on ne peut que remarquer la richesse
des approches, des objets, des interrogations,
des méthodes que proposent les études
réunies dans le volume, autour d’une thématique (en linguistique historique) qui soulève
des défis de taille pour le linguiste. Nous
relevons, pour finir, une série d’interrogations
qui traversent d’ailleurs la réflexion linguistique
en général : le rapport entre type de données
et théorisation (voir, par exemple, chez
Leclercq, la préoccupation de diversification
des données) ; les limites de la reconstruction
historique ; la pertinence des catégories
construites par les linguistes ; le poids qu’ont
dans la description des faits de langue en
diachronie, les changements produits dans
l’usage et ce qui peut être relié aux évolutions
théoriques proprement dites.
Grammaire et syntaxe
françoise (Reprod. en
fac-sim.), Maupas, Charles,
(Genève), 1618
Histoire des langues et histoire des représentations linguistiques
183
FALL, Youma, WOLFF, Alexandre,
QUÉMÉNER, Francine, AUBERTIN, Lola,
HOCINE, Amel, LAHOUIOU, Mériem,
LEGER-SAINT-CYR, Mélanie, DUCLOS,
Dayana et coll.
La langue française dans le monde 20152018. Paris : Gallimard / Organisation
internationale de la Francophonie. 2018.
366 p.
La langue française dans le monde 2015-2018
Haydée Silva
Université nationale autonome de Mexico
Depuis 2006, l’Organisation internationale
de la Francophonie dresse tous les quatre ans,
grâce à l’effort soutenu d’une équipe
nombreuse et dynamique, un état des lieux
de la langue française. Les lecteurs découvriront
dans cette quatrième édition de La langue
française dans le monde un panorama divisé
en quatre parties de longueur inégale :
« Les francophones dans le monde » (p.20-101),
« Apprendre et enseigner le français » (p.102287), « Le français pour le développement »
(p.288-331), « Le français sur les ondes et sur
la toile » (p.332-363).
La première partie commence par quatre
témoignages d’experts qui, depuis la France,
l’Afrique du Sud, les États-Unis ou la Belgique,
offrent un diagnostic et une vision prospective
de la langue française dans le monde.
S’ensuivent sept autres chapitres qui abordent
tour à tour, de manière claire et documentée,
l’usage quotidien du français ; les usages
et l’avenir du français dans l’espace francophone
du Sud (« le Sud » désignant ici l’Afrique
francophone, le Maghreb et le Liban) ; les
langues en usage dans la culture, les médias
et Internet ; le français à l’école ; le défi
de la variété, suite aux mutations de la langue
française au contact d’autres langues ; l’idée
que se font du français ses locuteurs, avec
des exemples spécifiques issus de la Guinée,
le Bénin, la Suisse et la France ; et, finalement,
un état des lieux et les évolutions à prévoir.
184
Regards de lecteurs
185
Dans ce dernier chapitre, les auteurs avancent,
chiffres et tableaux à l’appui, que « la dynamique
favorable à la francophonie constatée
[en 2014] se confirme » (p.87), tout en rappelant
la diversité de « la galaxie francophone »,
représentée par près de 300 millions
de locuteurs. On notera d’une part que
le « centre de gravité de la francophonie
continue de se déplacer vers le Sud » (p.89)
et d’autre part la forte stabilité des
pourcentages de la population francophone
dans la plupart des territoires pris
en compte. Cette première partie se clôt sur
six pages de tableaux permettant de saisir
pays par pays, et en un coup d’œil, l’estimation
du nombre de francophones en 2018.
La deuxième partie, consacrée
à l’apprentissage et à l’enseignement du français,
occupe la moitié de l’ouvrage. Ayant esquissé
un état des lieux et identifié des tendances
générales sous différentes latitudes, les
auteurs offrent cinq présentations régionales
(Amérique et Caraïbe, Afrique subsaharienne
et océan Indien, Afrique du Nord et MoyenOrient, Asie-Océanie, Europe). Suivre
l’évolution d’une langue sur 106 territoires
et 95 pays n’est pas tâche aisée, d’autant
plus que les sources d’information ne sont pas
toujours rigoureusement fiables et que
la situation évolue en permanence. Dans le cas
du Mexique, par exemple, les auteurs citent
toujours le Centre d’enseignement de langues
étrangères de l’Université nationale autonome
du Mexique devenu depuis 2017 l’École
nationale de langues, linguistique et traduction.
Le lecteur intéressé par un pays ou un ensemble
de pays en particulier doit donc être
conscient que cette méta-étude n’a pas
pour but de saisir en finesse la richesse
et la complexité des réalités francophones
à travers le monde, mais seulement d’en
donner un bref aperçu ; il devra donc veiller
à compléter et / ou à réajuster l’information
qui l’intéresse, selon les critères d’étude
186
Regards de lecteurs
qu’il aura choisis. Cependant, il est fort utile
de disposer des éléments de comparaison
synchroniques et diachroniques que
proposent les éditions successives de ce bilan
à l’échelle mondiale.
Le troisième et dernier chapitre
d’« Apprendre et enseigner le français » est
consacré aux réseaux et outils pour la diffusion
du français, la formation et la certification :
établissements scolaires français à l’étranger ;
réseau international d’enseignants ; Alliances
et Instituts français ; expertise francophone
pour la formation ; Francophonie institutionnelle ;
outils de formation à l’enseignement ; outils
pour la diffusion, la formation et la certification ;
Agence universitaire de la Francophonie.
De nombreux acteurs de la Francophonie
s’y trouvent recensés, mais certaines absences
sont notoires : le Centre de la Francophonie
des Amériques, par exemple, présent depuis
2008 sur le continent américain et promoteur
actif de nombreuses initiatives en faveur
de la langue française, n’est pas mentionné,
malgré son effectif de près de 40 000 membres.
Les deux dernières parties (« Le français pour
le développement » et « Le français
sur les ondes et sur la Toile ») sont beaucoup
plus courtes. La première d’entre elles
inclut 13 chapitres d’une à quatre pages chacun.
Elle explore les liens entre langue
française et économie avant de discuter la valeur
économique du français ainsi que le rôle
de la langue française dans les industries
de la culture. Elle s’intéresse également aux
rapports entre maîtrise de la langue française
et employabilité, de manière générale puis
dans quelques pays en particulier (Arménie,
Bulgarie, Cambodge, Kenya, Liban, Madagascar,
Nigeria, Roumanie et Vietnam).
La dernière et quatrième partie, composée
de trois chapitres, examine rapidement les
usages médiatiques et numériques du français
et la présence de la langue française dans
le cyberespace. Elle répertorie ensuite les
principaux médias francophones, qu’il s’agisse
de médias à vocation internationale,
de médias francophones qui s’exportent,
d’autres références accessibles aux
francophones, de médias non francophones
« qui jouent la carte du français » ou d’agences
et portails de presse.
Nous voudrions apporter deux bémols
à cette lecture : l’un d’ordre épistémique, l’autre
méthodologique. Ainsi, alors que l’ouverture
du livre insiste par la voix de Bernard Cerquiglini
sur « la vigueur d’une langue-monde »
(p.22-23) — exprimée par la multiplication des
« francophonismes » ainsi que la féminisation
des noms de métiers, titres et fonctions —,
dans l’ouvrage, les trois témoignages de femmes
sont ceux d’artistes, alors que les experts
et les entrepreneurs sont tous des hommes.
Par ailleurs, il n’y a que trois femmes
parmi les onze membres du Comité scientifique
de l’Observatoire de la langue française qui
accompagne le travail de collecte et d’analyse
des données. Les savoirs sur la francophonie
semblent encore se décliner majoritairement
au masculin ! Du point de vue méthodologique,
face au nombre impressionnant de thèmes
abordés et de données fournies, il serait
souhaitable d’ajouter à la fin de la prochaine
édition, après le glossaire, une indispensable
bibliographie dont on ne peut que regretter
aujourd’hui l’absence, tout comme un index
de noms et de pays.
Il reste que cet ouvrage scientifique
constitue sans aucun doute une référence
incontournable pour toute personne
s’intéressant à la situation actuelle et future
de la langue française. Il est à noter enfin
qu’une synthèse des résultats est disponible
en ligne.
La langue française dans le monde 2015-2018
187
SUZUKI, Elli, POTOLIA, Anthippi
& CAMBRONE-LASNES, Stella.
Penser la didactique du plurilinguisme
et ses mutations, Idéologies, politiques,
dispositifs. Presses universitaires
de Rennes. 2018. 293 p.
Penser la didactique du plurilinguisme
et ses mutations, Idéologies, politiques,
dispositifs
Brahim Errafiq
Université Ibnou Zohr d’Agadir
Cet ouvrage collectif, préfacé par Geneviève
Zarate et postfacé par Valérie Spaëth, contient
vingt contributions dédiées à la didactique
du plurilinguisme à travers ses mutations qui
permettent de (re)penser le paradigme
d’une didactique du plurilinguisme et du pluriculturalisme et d’alimenter les débats
relatifs aux objets et aux ancrages disciplinaires
d’une didactique du plurilinguisme
et du pluriculturalisme en contexte mondialisé.
Les auteurs du collectif remettent en cause
les présupposés du Conseil de l’Europe
formulés dans le Cadre européen commun
de référence pour les langues (CECRL)
en 2001 qui représente désormais une référence
à dépasser. « La pluralité linguistique
et culturelle » est abordée comme une idéologie
car elle se calque sur des principes vertueux
que la réalité des politiques dénie. Le point
de départ de cet ouvrage est mobilisateur
et militant : la mondialisation est abordée non
sous l’angle de l’uniformisation qui en serait
le produit irréductible, mais comme une donnée
sur laquelle ont prise les dispositifs
éducatifs et les évolutions didactiques. Il relève
de l’évidence qu’une tension se fait jour
entre les préconisations européennes et les
politiques linguistiques et éducatives nationales
ou locales avec leurs contextes particuliers.
La question qui se pose est de savoir comment
aller au-delà de l’uniformisation dictée par
la mondialisation et soutenue par les politiques,
188
Regards de lecteurs
189
pour répondre aux enjeux du plurilinguisme
et du pluriculturalisme. Depuis la publication
du CECRL en 2001, la préservation
de « la diversité linguistique et culturelle »
est devenue un mot d’ordre sans que l’on
se préoccupe de l’inégalité entre les langues,
ni de la hiérarchisation des langues
et des cultures établie dans certains contextes
politiques et éducatifs. Cette idéologie
d’une pluralité linguistique et culturelle
harmonieuse se trouve ainsi de plus en plus
confrontée aux politiques nationales et / ou
locales menées sur le terrain et aux rapports
de pouvoir entre les langues.
La première partie de l’ouvrage intitulée
« Politiques linguistiques et éducatives
à l’épreuve de la mondialisation » s’intéresse
aux politiques linguistiques et éducatives
dans différents pays européens et à la question
des idéologies à l’œuvre telles que celles-ci
se manifestent au travers des politiques
éducatives mais aussi au travers des systèmes
éducatifs, des définitions, et des statuts
accordés au plurilinguisme et au pluriculturalisme en contexte mondialisé. La place
et le rôle de l’anglais dans l’enseignement
y sont étudiés avec une attention particulière.
Les rapports de force entre les langues
— qui mènent à la fragilisation de certaines
et à l’hégémonie grandissante d’autres —
font l’objet de plusieurs publications. Chrystelle
Burban démontre que la prépondérance
de l’anglais fragilise les rapports entre les langues
en présence et suscite une rupture
de l’équilibre maintenu jusqu’alors, comme
c’est le cas dans les communautés autonomes
en Espagne entre catalan (langue dominée
à l’échelle nationale) et castillan (langue
dominante). L’auteure souligne la manière dont
le plurilinguisme serait instrumentalisé afin
de servir les intérêts de l’idéologie dominante
de l’Etat espagnol. Mélanie Béchart souligne
la même réalité en Islande où la diversité des
langues étrangères proposées dans les
190
Regards de lecteurs
établissements scolaires est également
menacée par l’enseignement de l’anglais
(idéologie uniciste) : la place de l’anglais
qui s’impose comme seconde langue obligatoire
reste prédominante. Dans le même ordre
d’idées, Elena Baranova dresse quant à elle,
un constat assez proche pour le cas
de la Slovaquie où l’anglais, imposé comme
langue étrangère obligatoire, prend le pas
sur les autres langues proposées qui ne sont
qu’optionnelles alors que la Slovaquie est
un état naturellement bilingue.
La deuxième partie de l’ouvrage intitulée
« Dispositifs éducatifs et interactions (socio-)
didactiques dans une perspective
plurilingue et pluriculturelle » s’inscrit dans
cette dynamique plurielle d’un monde
linguistiquement et culturellement diversifié
où le discours institutionnel de différents
acteurs politiques qui prône de plus en plus
une prise en compte de la diversité
linguistique et culturelle dissimule un discours
monolingue inscrivant l’anglais comme seule
langue utile et indispensable. Les contributions
mettent en exergue les efforts déjà
réalisés par les acteurs éducatifs et les limites
sous-jacentes dans la conception
de méthodes de classes bilangues et d’éducation
au plurilinguisme. Elles interrogent, par
ailleurs, la relation « langue et culture »,
les modalités de la formation des enseignants
de langues en milieu scolaire ou en formation
d’adultes et l’évaluation des nouveaux
dispositifs
Les auteurs traduisent la promotion
d’une éducation au plurilinguisme par la mise
en place de priorités éducatives
et de nouveaux dispositifs pédagogiques
exposés de différentes manières, à partir
d’approches méthodologiques variées
s’appuyant sur des études de terrain auprès
d’enseignants et d’apprenants d’horizons
divers. Brigitte Schadlich aborde les dispositifs
bilangues comme une nouvelle approche
de la didactique du plurilinguisme et du pluriculturalisme. L’auteure ne manque pas
d’identifier la problématique de l’évaluation
de ces dispositifs qui ne peut être efficace
que si ces derniers se focalisent sur des
compétences plurilingues et pluriculturelles
intégrées qui tiennent compte du profil
hétérogène des apprenants. La contribution
de Rong Zhang-Fernandez interroge l’impact
de l’idéologie sur l’écriture chinoise dans
la perspective d’une didactique de cette
écriture pour développer chez les apprenants
une attitude réflexive et une méthodologie
spécifique. Après avoir exposé le cadre
théorique de sa réflexion en traçant l’évolution
de la notion d’idéologie et la relation entre
la langue et l’idéologie, l’auteure s’interroge
sur les rapports entre l’écriture et l’idéologie
dominante dans la Chine ancienne et actuelle
pour cerner leurs incidences sur l’enseignement
et l’apprentissage de l’écriture chinoise.
Les contributions de la troisième partie
intitulée « Espaces dématérialisés
et (r)évolutions pédagogiques » dessinent
en filigrane la nature évolutionniste (et non
révolutionnaire) des technologies éducatives
— à façonner conceptuellement et
à habiter méthodologiquement par l’homme —
au moment où l’immatériel, le virtuel,
le didacticiel nous envahissent de plus en plus.
La didactique des langues ne saurait échapper
à cette mutation tourbillonnante : enrichie
par le regard de la dialectique du plurilinguisme
— presque en même temps que l’ouverture
à Internet — elle confirme une fois de plus les
rapports intrinsèques entre les mutations
et mobilités géopolitiques, socio-historiques,
conceptuelles et technologiques dont elles
constituent le terreau. Grégory Miras
et Jean-Paul Narcy-Combes démontrent que
les dispositifs et outils dématérialisés
ne constituent pas une simple mode mais
répondent à des besoins étroitement liés
à la société humaine qui a permis leur
émergence. Dans un deuxième temps, ils font
néanmoins entrevoir la prise de distance
et la réflexivité conceptuelle et méthodologique
que nécessite l’utilisation des dispositifs
et outils en question dans le domaine plus
particulier de l’enseignement-apprentissage
des langues. Pour parvenir à mettre en place
de tels dispositifs, Monica Vlad souligne
qu’un travail préalable sur les représentations
des acteurs (enseignants-tuteurs-apprenants)
s’impose. L’auteure nous fait part des résultats
d’une enquête auprès des acteurs d’un projet
de travail collaboratif à distance en français
langue véhiculaire de spécialité. Elle a montré
l’écart au niveau des représentations
des uns et des autres (enseignants et étudiants)
concernant l’apport du projet en question
en français langue étrangère et en contenus
disciplinaires.
Au terme de cette partie, force est de constater
que s’intéresser aux dispositifs et aux outils
dématérialisés va bien au-delà d’une simple
présence en ligne visant à contrer, dans
un contexte de mondialisation, l’omniprésence
de l’anglais lingua franca. Il faut tout de même
reconnaître que l’irruption d’une médiasphère
du numérique depuis plus de 20 ans est une
réalité incontournable. Ainsi Anthippi Potolia
et Louise Ouvrand soulignent dans leur
introduction à cette dernière partie de l’ouvrage
que la médiasphère en question — plus
que l’emprise des machines sur l’homme,
plus encore que le monopole de l’anglais
sur les « petites langues » —, amène à réfléchir
et plaider pour une posture raisonnée
plaçant en son épicentre l’être humain
(enseignant, apprenant, didacticien) comme
vivant, réfléchissant et apprenant au quotidien
avec les technologies éducatives (p.191).
Penser la didactique du plurilinguisme et ses mutations, Idéologies, politiques, dispositifs
191
FRAISSE, Emmanuel (dir.).
Les Études françaises et les humanités dans
la mondialisation.
Paris : L’Harmattan. 2018. 236 p.
Les Études françaises et les humanités dans
la mondialisation
Olivier-Serge Candau
Université des Antilles
Cet ouvrage nous propose un ensemble
de communications présentées par des
d’intervenants de français langue étrangère
et des responsables de l’enseignement
supérieur lors d’un colloque organisé par
l’université Sorbonne Paris Cité en 2017.
L’ouvrage explore les interactions entre les
études françaises (place dans le système
universitaire et contenus d’enseignement)
et les humanités (études littéraires
traversées par une certaine idée du savoir,
de la culture et de l’homme, cf Jean-Louis
Chiss [p. 170] et Gérard Boismenu [p. 177]). Face
au défi lancé aux études littéraires (baisse
des effectifs des enseignants et des étudiants,
reconfiguration du dispositif institutionnel,
des contenus d’enseignement, et transformation
des représentations de la discipline),
les contributions présentent clairement deux
grands domaines d’étude (le champ de savoir
des études littéraires et la politique éducative
menée à l’échelle de l’établissement et du
territoire) pour interroger plus particulièrement :
— la place du français parmi les langues
enseignées dans l’enseignement supérieur
au plan mondial. Le recul de l’enseignement
du français au Portugal s’explique tout d’abord
pour Marie-Manuelle Da Silva par le manque
d’attraction d’une langue qui peine à être
reconnue comme fonctionnelle. Bengt Novén
décrit de façon identique le manque d’intérêt
croissant des étudiants pour le français qui
192
Regards de lecteurs
193
s’inscrit dans un désintérêt global pour les
langues étrangères dans une société danoise
pourtant en demande. Gilles Siouffi constate
la même insuffisance en matière d’enseignement
des langues dans le système éducatif français.
Une diversification de l’offre de formation
dans la filière des Lettres s’impose alors, comme
l’expose Francis Marcoin, à travers l’exemple
de l’université d’Artois. Gérard Boismenu montre
qu’il existe une solution au Canada
notamment, qui exige de l’université qu’elle
offre un parcours de formation suffisamment
à l’écoute des attentes sociétales de flexibilité,
sans jamais sacrifier l’expertise des contenus
d’enseignement ;
— la crise des humanités. On ne doit justement
pas négliger, comme le rappelle Jean-Louis
Chiss, la difficulté à se saisir de ces disciplines
savantes et scolaires que recoupent les
humanités dont la fluctuation des dénominations
traduit sans conteste la grande plasticité.
L’unité des études littéraires françaises peine
à émerger entre le rejet des écoles
(structuralisme, cultural studies, retour au texte)
et la tentation de l’infini (pluralité des
interprétations du texte). La crise des humanités
ne serait pas pour Emmanuel Fraisse
seulement épistémologique, mais aussi sociale.
Elle s’expliquerait par la démocratisation
de la scolarisation dans un contexte de mondialisation où les connaissances scientifiques
s’exporteraient rapidement à une échelle
toujours plus étendue, développant ainsi des
centres d’intérêt concurrents. Pour Lisbeth
Verstraete-Hanseen, cette crise des humanités
procède de trois facteurs : épistémologique
(quel objet d’étude et quelles méthodes
pour l’appréhender ?), social (quelle place pour
son enseignement dans la société ?)
et professionnel (quelles fonctions offrir aux
praticiens formés aux humanités ?). Pour
dépasser ce conflit, deux pistes s’imposent :
renouveler l’enseignement de la philologie
(par l’ancrage des phénomènes littéraires
194
Regards de lecteurs
et culturels dans leurs réalités socioculturelles,
historiques et culturelles) et s’ouvrir
à la francophonie (en refusant une approche
strictement instrumentale de la langue) ;
— la légitimité et l’utilité des études
littéraires et françaises. Mortimer Martin Guiney
dénonce les travers d’un fléchissement
de l’offre de formation soumis à l’influence
de la dynamique du marché, particulièrement
sensible d’un État américain à un autre.
Chen Wei offre une vision plus optimiste
de la diffusion du français en Chine pleinement
reconnu comme un facteur de prospérité
économique. Fiona Horne insiste à son tour
sur le rôle de l’enseignement du français
en Afrique du sud dans l’ouverture aux espaces
francophones.
Les études françaises (qu’elles soient culturelles,
linguistiques ou littéraires) trouveront leur
avenir dans une reconnaissance enrichie des
humanités, dès lors qu’elles seront pensées
comme un moyen de mieux connaître
l’homme.
L’intérêt de cet ouvrage est incontestable
notamment en ce qui concerne les points
suivants :
— la richesse du débat (les articles
de Jean-Louis Chiss et d’Emmanuel
Fraisse plus particulièrement, mettent
au jour les enjeux épistémologiques
du titre du colloque et mettent en tension
les différentes acceptions possibles
des termes d’« études françaises »
et d’« humanités ») ;
— la diversité des territoires et des
approches retenues (théoriques
et empiriques) ;
— les pistes concrètes de mise en œuvre
(avec les propositions de Fiona Horne
et de Lisbeth Verstraete-Hansen).
nullement en cause l’intelligence du propos :
— l’absence d’une première définition,
dès l’introduction, des termes du titre ;
il faudra attendre patiemment la lecture
de chaque article pour se saisir au fil
de la lecture du sens retenu ;
— l’adhésion qu’emportent plus ou moins
certains articles. Nous regrettons que
certains ne posent pas de définition claire
du concept d’humanité, sans doute
comme le soulignent les auteurs pour
mieux faire émerger du terrain le sens
retenu. C’est ôter du débat ce qui
est justement matière à discussion ;
— la réduction du sujet parfois à une
seule dimension (« les études françaises »)
au détriment de l’articulation attendue
avec les « humanités dans la mondialisation ».
L’ouvrage tire très clairement sa richesse
de ce qui en constituait au départ sa limite.
La complexité du sujet a donné lieu
à des articles particulièrement contrastés.
À n’en pas douter, l’éclatement des propositions,
les différentes approches de la thématique,
et les choix de traitement qui ne sont pas
toujours les nôtres, font assurément toute
la richesse d’un ouvrage dont nous appelons
sans conteste à la lecture.
On émettra cependant quelques réserves,
tout à fait mineures, et qui ne remettent
Les Études françaises et les humanités dans la mondialisation
195
CHNANE-DAVIN, Fatima, LALLEMENT,
Fabienne, SPAËTH, Valérie (coord.).
Enseigner la francophonie, enseigner
les francophonies.
Le Français dans le monde : recherches
et applications, juillet 2018, nº 64. 201 p.
Le Français dans le monde : recherches
et applications, Enseigner la francophonie,
enseigner les francophonies
Ndèye Maty Paye
Université de Gambie
Cet ouvrage conduit une réflexion sur
qu’est la F(f)rancophonie, pourquoi et comment
l’enseigner ? Il pose la F(f)rancophonie non
plus comme un objet linguistique et politique
mais plutôt comme un objet didactique,
de recherche, à intégrer dans les programmes
scolaires et universitaires. La présentation
générale (p. 9-11) revient sur les acceptions
partagées ou controversées de la francophonie.
Avec f minuscule, elle désigne l’espace
regroupant les locuteurs francophones et avec
F majuscule, elle renvoie au dispositif
institutionnel qui régit les relations entre
les pays. Le livre se divise en trois axes
thématiques :
(1) Approches théoriques et méthodologiques, p. 13-70
(2) Quels enseignements pour quels
contextes ?, p. 71-136
(3) Former à la francophonie ?, p. 137-201
Approches théoriques et méthodologiques
Jean-Pierre Cuq (p. 14-27), dans « La francophonie peut-elle être un objet didactique ? »
voit en la francophonie un objet didactique
autonome avec sa propre méthodologie
et pédagogie. C’est une discipline spécifique,
qui mobilise un noyau de savoirs savants
et mérite une organisation. Valérie Spaëth
(p. 28-41), dans « Pour enseigner l’histoire
de la notion de francophonie », affirme que
l’enseignement de l’histoire de la francophonie
196
Regards de lecteurs
197
ne doit pas se faire de façon sélective mais
doit suivre la complexité des enchaînements
historiques, selon une généalogie des cadres
de pensée. L’histoire officielle commence
à la période coloniale avec l’inventeur du mot,
Onésime Reclus. Ce dernier la définit
comme un projet politique et une ambition
de déterritorialisation (expansion des
colonies dans la mondialisation). Léopold
Sedar Senghor, à la période postcoloniale,
ressuscite le mot. Il en est le réinventeur.
La francophonie devient alors un projet
intellectuel favorisant la reterritorialisation
au 20e siècle. La didactique de la francophonie ne saurait faire l’économie de ces deux
régimes. Fabienne Lallement (p. 42-54),
dans « Enseigner la Francophonie ? Enseigner
les francophonies… Un essai d’analyse
d’une injonction complexe », s’interroge sur
les contenus à enseigner et à intégrer dans
les programmes nationaux. Si les professeurs
de français du primaire et du secondaire
sont désarmés par une absence d’outils pédagogiques et didactiques, les universitaires
se réfugient souvent dans l’enseignement
canonique des modules de littératures
francophones dans les masters. En octobre
2015, l’Organisation internationale
de la Francophonie et ses institutions lèvent
l’obstacle grâce à un appel d’offres
destiné à fournir un matériel pédagogique
pour tous les niveaux qui donne la priorité
à l’enseignement de la langue française tout
en valorisant des contenus historiques,
politiques, géographiques, idéologiques,
littéraires. Fatima Chnane-Davin (p. 55-70),
dans « quels savoirs pour enseigner
la Francophonie et les francophonies », fait
des propositions pour l’enseignement
de F(f)rancophonie comme un objet didactique
apte à transformer les politiques linguistiques,
les curriculums et la formation initiale
et continue des professeurs. Ce projet inscrit
l’apprenant au cœur de son apprentissage
198
Regards de lecteurs
(approche actionnelle selon le Cadre européen
commun de référence pour les langues
de 2001), dans une démarche interculturelle
(altérité : moi et l’autre) et pluridisciplinaire.
Le choix des contenus alterne alors entre
des approches anthropologiques (modes
de vie et pensée dans l’espace francophone)
et savantes (humanités : langue, littérature,
arts, cinéma, chanson).
Quels enseignements pour quels contextes ?
Les six articles de la deuxième partie
de l’ouvrage, mettent en exergue la francophonie
en contexte (Argentine, Japon, Portugal,
Tunisie, France, Sénégal). Lia Varela (p. 72-81),
dans « La francophonie en Argentine : réalités,
représentations, objet d’enseignement ? »,
rend compte de la présence francophone
dans un pays hispanique comme l’Argentine.
La langue française y est la deuxième langue
étrangère enseignée. Elle jouit d’une
représentation positive (valeurs esthétique,
symbolique, pratique…) chez les anciens
et nouveaux immigrés, les opérateurs
socioéconomiques et les élèves. Malgré des
difficultés liées à la crise financière
et à la globalisation (hégémonie de l’anglais),
la francophonie reprend ses lettres
de noblesse et sa vitalité dans le système
scolaire et universitaire grâce à la nouvelle
politique linguistique et éducative. Celle-ci
exhorte justement au plurilinguisme
et à l’interculturel. L’exportation des produits
agricoles, la coopération scientifique
et universitaire, accentue cette tendance
ascendante. En 2015, 15 751 personnes étaient
inscrites l’Alliance Française pour y apprendre
le français. Sachiko Komatsu (p. 82-89), dans
« La francophonie comme élément culturel
de l’enseignement du français : quels enjeux
et quel impact au Japon ? », révèle
qu’un enseignement de la francophonie dans
la filière français langue étrangère (FLE)
au Japon peut être observé depuis les années
1990, mais se limite à l’étude de la littérature
francophone (surtout maghrébine, créole,
africaine…). Le contenu et la connaissance
de la francophonie restent centrés sur la France
d’après l’analyse des manuels de FLE.
Pour combler cette lacune, l’auteur partage
ses pratiques de classe. Il fait voyager ses
élèves grâce à des documents authentiques
utilisés comme élément déclencheur de leur
ouverture. José Domingues de Almeida
(p. 90-97), dans « Élargir les repères. Étude
de cas sur la présence francophone dans
un manuel de FLE au Portugal : Magie des
mots », précise que le manuel de FLE est une
chance pour valoriser la vision francophone.
Dans sa contribution, il partage les mécanismes
de cette intégration selon la démarche
interculturelle à l’œuvre à l’occasion de la
révision du manuel de FLE, Magie des Mots,
méthode en usage dans le troisième cycle
élémentaire. Son expertise permet alors
de marquer la pluralité des espaces francophones dans le manuel, d’éviter un centrage
unique sur la France et de confronter
l’apprenant à sa propre réalité. Les procédés
pour parler de la francophonie sont variés :
affichage des différentes nationalités, des
ethnies, du parler des jeunes, du langage SMS,
de l’argot, des particularités lexicales. Nadja
Maillard-De La Corte Gomez (p. 98-110),
dans « Enseigner le français en contexte
universitaire à des étudiants non francophones
en mobilité : quelle place pour les littératures
francophones », examine l’intérêt pour les
littératures francophones en classe de FLE
en observant les représentations et les pratiques
de cinq enseignantes issues de trois centres
de langues (entretiens et questionnaires,
analyse des descriptifs de formation en ligne).
Les situations sont contrastées d’un centre
à l’autre. La littérature francophone est
facultative dans certains centres. Ces derniers
évoquent la possibilité d’introduire des extraits
littéraires sans mention d’un support
particulier à partir du niveau B1. Lorsqu’elle
est intégrée dans d’autres centres plus
volontaristes, la littérature francophone jouit
d’une représentation positive et est perçue
« comme forme noble de la langue française
et de la culture » (p. 101). Dans ce dernier cas,
même si les enseignant.e.s sont volontaires,
le corpus littéraire francophone proposé
aux étudiants étrangers est restreint. Il révèle
aussi une nécessité d’envisager une didactique
de la littérature francophone en classe
de FLE, pour sensibiliser à l’altérité. Samir
Marzouki (p. 111-119), dans « Pourquoi
enseigne-t-on si peu la littérature tunisienne
francophone en Tunisie », explique les raisons
de ce désintérêt : l’appréciation négative,
le niveau faible des étudiants, un corpus non
référencé, désorganisé et peu critique,
une culture médiatique polémiste. Ce constat
alarmant entraîne une méconnaissance
de cette littérature francophone tunisienne
au sein du système éducatif national.
Ousseynou Thiam (p. 120-135), dans « Enseigner
la francophonie en didactique du français
langue seconde au Sénégal », rappelle
l’importance de la langue française au Sénégal
qui est une langue officielle, une langue
de scolarisation à visée économique et politique
permettant une reconnaissance sociale.
Ce contexte de français langue seconde est
porté par les orientations du système
éducatif national en matière de francophonie
(Loi LOEN n˚ 91-92). Cette loi favorise
la promotion des valeurs sénégalaises au sein
de l’espace francophone, l’affirmation
du peuple sénégalais comme appartenant
à la communauté francophone, la familiarisation
avec les grandes œuvres francophones,
l’enseignement de la francophonie aux
apprenants. Toutefois, les textes officiels sont
éloignés de la pratique réelle. La francophonie
n’est pas encore enseignée dans les écoles
sénégalaises. Elle est même confondue
à certains égards à la didactique du français
Enseigner la francophonie, enseigner les francophonies
199
langue seconde. La contribution se termine
par une liste des savoirs, les méthodes et les
outils à acquérir pour enseigner la francophonie
au Sénégal.
Former à la francophonie ? p. 137-201
Patrick Chardenet, p. 138-149, dans
« La francophonie, objet de recherche
et d’enseignement : formations et circulation
des notions », montre que les définitions
de F(f)rancophonies au fil des années,
se stabilisent. Sur Internet, le fait francophone
est bien représenté, bien indexé avec
des millions de résultats (dont les documents
académiques grâce aux différents moteurs
de recherche généralistes ou scientifiques).
Toutefois, la circulation de ces deux notions
dans le cercle universitaire, bien qu’apparente,
reste faible. Leurs présences sont confondues
avec la littérature francophone et la gestion
linguistique. L’auteur nous pousse ainsi
à mener une réflexion sur la circulation
de la F(f)rancophonie en tant que discipline
académique indépendante. Olivier Garro
(p. 150-165), dans « Évolution de l’enseignement
des francophonies à l’université de Lyon 3 »
met en lumière, la genèse et la trajectoire
de l’Institut international pour La Francophonie
de Lyon 3 (2IF, ex IFRAMOND). Institut renommé
internationalement au plan scientifique, c’est
aussi un instrument efficace pour la promotion
et la diffusion de la Francophonie. Son offre
de formation est variée et actuelle. Les parcours
proposés sont en connexion, d’une part
avec la Francophonie, et d’autre part avec
la diplomatie, le développement durable,
l’économie et la mondialisation. Des chercheurs
prolifiques, une revue internationale (déjà
six numéros) et l’accueil d’étudiants de diverses
origines font le succès de cet institut.
Céline Mezange (p. 166-173), dans « Quand
le numérique s’invite en classe de FLE »,
nous montre que l’usage du numérique peut
faciliter l’enseignement de la variation
200
Regards de lecteurs
linguistique en francophonie dans une classe
de FLE. Ainsi une réflexion collaborative
lui permet de mettre en place un site internet
(tenseignes-tu.com), plus tard des ateliers
de sensibilisation sur l’intégration de la diversité
linguistique et culturelle dans la classe
de français langue étrangère à partir des
documents authentiques accessibles en ligne.
Arnaud Pannier, p. 175-188, dans « Nouveau
projet, nouveaux besoins de formation.
Comment inscrire le projet francophone dans
un parcours académique de formation ? »,
souligne comment l’analyse des discours
officiels (corpus : Sommet OIF d’Antananarivo,
2016) dévoile la commande politique à prendre
en compte : la diplomatie universitaire,
le numérique et la diversité des espaces
francophones. Jean-Louis Chiss (p. 189-192),
dans « De la langue française et du plurilinguisme » fait un sage rappel. L’effervescence
de la didactique de la F(f)rancophonie
devrait par ricochet être attentive à la diversité
linguistique et culturelle des espaces
francophone et promouvoir une gestion
ad hoc des langues. Cette promotion
d’un plurilinguisme pour tous est une alternative
idéologique qui appartient à l’altermondialisation. En varia, l’expérience malgache
clôt le livre avec la contribution de Daphné
Bloch : « Des pratiques culturelles
de transmission au collège à Madagascar »
(p. 194-201). Nous découvrons d’après les
observations réalisées à Tananarive et Majunga,
que le modèle d’enseignement malgache,
hostile à toute innovation pédagogique,
est marqué par une communication verticale
entre le maître et l’élève. Dans cette relation
pédagogique, l’élève manifeste rarement
son incompréhension (par respect culturel,
l’enseignant est représenté comme une figure
paternelle). Toutefois, le passage du français
vers le malgache dans le transfert des savoirs
permet d’observer à Manjuga un changement
de schéma et une implication réelle des
apprenants.
Ce numéro 64 de Recherches et Applications
est digne d’intérêt tant par la richesse des
informations qui renseignent sur les contextes
de la didactique de la francophonie que
par l’approche théorique et méthodologique
de ce champ. Sa lecture serait une
recommandation pour les spécialistes et pour
tout personne férue de langue française
voulant se documenter, prolonger sa réflexion
et même voyager à travers les aires
francophones, (France, Argentine, Japon,
Portugal, Tunisie, Sénégal, Madagascar).
Enseigner la francophonie, enseigner les francophonies
201
LARIVIÈRE,Vincent & SUGIMOTO Cassidy R.
Mesurer la science (Sophie Chisogne trad.).
Les Presses de l’Université de Montréal. 2018.
169 p.
Mesurer la science
Abdelkrim Boufarra
Université Mohamed Ier de Oujda
La science entre poids et mesure !
La recherche scientifique, cette activité sociale
hautement complexe, peut-elle être
soumise à la « mesure », à la « quantification »
et au « calcul » ? Telle est la question centrale
qui constitue la problématique principale
de ce livre qui se veut ouvrage de vulgarisation,
mais qui soulève des questions complexes.
La scientométrie est le mot inventé pour
désigner la mesure de la science. Il s’agit
de trouver le moyen de « quantifier »
les activités de recherche qui reposent sur
un nombre incalculable « d’heures de travail
en laboratoire et en bibliothèque, de rencontres
avec des étudiants et des collaborateurs
et d’interactions, officielles ou non, avec
d’autres chercheurs ou avec le public.
[Car évidemment] de telles activités sont
difficiles, voire impossibles à quantifier
directement » (p. 9).
La scientométrie permet de transformer
ces différentes activités sous la forme
d’indicateurs quantifiables et mesurables.
Cette mesure de l’activité de recherche
concerne trois aspects distincts : les intrants,
les extrants et les impacts. Les intrants
sont ces indicateurs quantifiant les éléments
d’entrée qui tiennent compte des ressources
et autres investissements alimentant les activités
scientifiques (financement accordé
à la recherche et personnel scientifique).
202
Regards de lecteurs
203
Les extrants sont les indicateurs qui qualifient
les éléments de sortie de cette activité
(publications et brevets). Les impacts évaluent
les répercussions des travaux de recherche
sur la communauté savante et la société
en général.
On peut reprocher à cette discipline
de promouvoir la culture de la publication selon
la fameuse formule « Publish or perish »,
de dénaturer la science et d’en fausser les
objectifs. On lui reproche également d’amplifier
des phénomènes d’ordre économique
en faveur des oligopoles qui contrôlent
la collecte et le stockage des données chiffrées
et des métadonnées d’une grande valeur
académique. L’on comprend très vite les
implications aux facettes multiples de cette
discipline qui ne se contente pas seulement
de « mesurer » la science, mais permet
aussi, et surtout, de rappeler une évidence
qui semble occultée par les prouesses
technologiques de ce XXIe siècle : l’homme
est un être social et un être savant.
Le livre se répartit en quatre chapitres
et se présente sous forme de questions
pertinentes et bien ciblées : Pourquoi mesurer
la recherche ? À qui s’adresse ce livre ?
Pourquoi mener cette recherche ? La scientométrie nous permet de mieux comprendre
les modes de production et de diffusion
des connaissances savantes ainsi que leur
évolution au fil du temps. Elle permet
aussi de compléter d’autres approches
méthodologiques, comme la bibliométrie.
Les origines de la scientométrie remontent
aux différentes activités de documentation :
les bibliographies, les enquêtes sur la main
d’œuvre, les bottins de chercheurs qui
« s’étalent dans le temps et dans l’espace »
(p.17). Mais cette discipline moderne
a connu un essor particulier dès le XXe siècle
en Europe et en Amérique du Nord avec
la consolidation de quelques champs
204
Regards de lecteurs
de recherche tels que la statistique, le sondage
et la bibliothéconomie. Il s’agissait de réfléchir
à des méthodes bibliométriques qui serviraient
à « compter » les documents cités par
les chercheurs, aussi bien dans des livres que
dans des périodiques. La bibliométrie est
le passage vers une méthode plus développée,
celle de la scientométrie. Le début des
années 1960 fut une étape marquante dans
le développement de cette discipline
avec le physicien et historien des sciences,
le britannique Derek de Sola Price (1922-1983)
qui cherchait à améliorer la gestion des
collections et la recherche documentaire
pour la rendre plus facile d’accès aux
bibliothécaires et aux chercheurs. Il insistait
énormément sur l’importance de la science
d’un point de vue quantitatif, sans négliger,
pour autant, son aspect qualitatif. Son
livre majeur Little Science, Big Science, paru
en 1963, partait de l’idée d’évaluer le volume,
la vitesse de circulation et l’interaction
de l’information scientifique ainsi que les
caractéristiques et implications politiques
et sociales du champ scientifique. Mais
c’est le chimiste hongrois Tibor Braun (1932-)
qui a consacré ce terme de « scientométrie »,
en 1978, avec le lancement d’une revue
qui porte le même nom. Curieusement,
cette période coïncide avec la mise au point
des index de citations, indispensables
à la recherche scientifique et à la visibilité
des chercheurs dans les sciences naturelles
et médicales, dans un premier temps,
et dans les sciences humaines et sociales
par la suite. L’autre grand essor qu’a connu
cette discipline date de la fin des années
1990 avec la croissance du Web et la multiplication des réseaux sociaux, privés
et professionnels, qui ont intensifé la recherche
scientifique et ont poussé à sa quantification.
C’est ainsi que la notion d’indicateurs
fait son apparition pour signifier la recherche
de variables observables et quantifier
les variables inobservables. Ce sera le nombre
d’articles ou de citations d’une part
et, d’autre part, la production et l’impact des
travaux scientifiques. Autrement dit, il s’agit
d’étudier les sources qui offrent les données
complètes sur les citations. Ce n’est pas
un hasard si ces sources sont toutes américaines
et en langue anglaise : le Web of Science
(WoS), Scopus et Google Scholar. À titre indicatif,
le WoS conserve 55 millions de documents
datant de l’année 1900 jusqu’au mois
de décembre 2016, il comptabilise 1,1 milliard
de citations avec une nette présence des
chercheurs américains dans cette indexation,
l’anglais étant, en effet, la langue de 95 %
des articles indexés par le WoS.
Cette scientométrie, en lien étroit avec
la bibliométrie, nous renvoie sur un autre plan
à la notion d’autorat avec le portrait
de cet auteur qui cherche à se faire connaître
et à ce que ses recherches soient indexées,
quitte à s’autociter ! Une asymétrie observée
par le statisticien, mathématicien et chimiste
américain Alfred James Lotka (1880-1949)
se confirme de nos jours : 20 % des chercheurs
publient 80 % de documents (ce qui signifie
que les 20 % restants se répartissent entre
80 % des chercheurs). Il en est de même pour
les citations où c’est encore la règle des 80-20
selon la loi de Pareto du nom de l’économiste
italien Vilfredo Pareto (1848-1923).
davantage que le goût de la science » (p.154).
Ce livre dépasse largement son ambition
de présentation simplifiée des notions
et des concepts de la scientométrie et finit
par proposer un travail d’une grande
érudition scientifique.
Nous recommandons vivement la lecture
de ce livre à toute la communauté scientifique,
individuelle et collective, à tous les bibliothécaires des centres de recherche, universitaires
ou autres, et à toute personne désireuse
de comprendre ce monde qui fonctionne
à un rythme effréné et où les données sont
une ressource à la base de toute démarche
quelle que soit sa nature et ses implications.
Enfin, on ne se lasse pas de comprendre
combien la quantité des informations
concernant des métadonnées qui circulent
dans ce monde de l’information avec ses
technologies et ses différents repères
a une valeur politique. En particulier, eu égard
à l’hégémonie de l’anglais dans le domaine
des données, nous comprenons grâce
à ce livre l’importance du défi devant lequel
les francophones sont placés.
Il y a l’auteur (ou les auteurs) et il y a
le document (ou les documents). Ces derniers
ont une durée de vie que la scientométrie
cherche aussi à mesurer et à estimer selon les
disciplines et les spécialités. La scientométrie
s’inscrit également la relation étroite entre
la recherche et son financement par les gouvernements ou les grandes entreprises. Elle apporte
aussi des éléments quantifiables à l’évaluation
de la Recherche par les pairs. Cette quantification de la recherche « pourrait avoir incité
les chercheurs à cultiver le goût du classement
Mesurer la science
205
MARTINEZ, Pierre.
Un regard sur l’enseignement des langues :
des sciences du langage aux NBIC.
Paris : Editions des archives contemporaines.
2018. 156 p.
Un regard sur l’enseignement des langues :
des sciences du langage aux NBIC
Youcef Atrouz
Université de Annaba
L’histoire de la didactique des langues (DDL)
a toujours été marquée par des moments phares
de définition de la méthodologie, de mise
au jour d’approches nouvelles comme à
l’occasion de certaines publications telles que
L’élaboration du français fondamental
de Georges Gougenheim (et son équipe),
du Dictionnaire de didactique des langues
de Robert Galisson et Daniel Coste, des
Repères sociolinguistiques pour l’enseignement
des langues de Louise Dabène et tout
récemment du Guide pour la recherche
en didactique des langues et des cultures
codirigé par Philippe Blanchet et Patrick
Chardenet. Un regard sur l’enseignement des
langues. Des sciences du langage aux NBIC
de Pierre Martinez fait déjà / fera certainement
partie de ces moments forts de la DDL.
En effet, ce livre (se) propose comme un regard
sur le futur, une « pause » instable, dérangée
et dérangeante, un lieu de questionnements,
d’interrogations et de remises en cause.
Jusqu’à sa dernière page, ce livre pose des
questions lancinantes face auxquelles
nous sommes requis d’ouvrir grands les yeux
pour tâcher de leur trouver des réponses
urgentes et efficaces.
Parmi ces questions, j’en retiendrai
essentiellement deux : pourquoi la DDL
en particulier, et l’École d’une manière
générale, doivent-elles prendre en considération
l’ensemble des technosciences que sont
206
207
les nanotechnologies, les biotechnologies,
l’informatique et les sciences cognitives
(NBIC) ? Comment la DDL pourra-t-elle
innover grâce à ces innovations ?
Pour y répondre, le livre qui s’ouvre
sur un préambule « accrocheur », propose
6 parties excellemment construites
et soigneusement présentées de sorte qu’elles
peuvent être envisagées comme un tout
cohérent ou comme des entités autonomes.
Il est couronné, enfin, par un post-scriptum
ouvert qui, à travers une « fable », nous plonge
dans un futur (très proche) des langues
auquel nous devons se préparer, et relance,
jusqu’à bout de souffle de ses mots (voir
le tout dernier paragraphe du livre), des
questions de fond qui nous invitent à réfléchir
sur une architecture d’une didactique
pensée autrement.
Dans sa première partie intitulée Fondations,
Martinez pose comme déclic le « brouillage
contemporain » (p. 8) face auquel la DDL doit
agir. Il est clair que les technosciences offrent
à toutes et à tous une panoplie sans limites
de savoirs et de partages censés être bien
gérés.
Afin de mettre de l’ordre dans ce qui
semble être une accumulation de savoirs,
de connaissances et de nouveautés
(et d’innovations aussi !), la DDL, en sa qualité
de domaine scientifique qui se veut impliqué
(p. 12), doit osciller « en permanence entre deux
polarités, le système et l’apprenant »
(p. 16). Cette oscillation engendre un grand
nombre de concepts clés qui s’imposent
aux didacticiens-praticiens comme le silence,
le capital humain, l’écologie des langues,
l’éthique, la complexité et bien d’autres.
Il est important de noter que cette deuxième
partie intitulée Concepts les développent
minutieusement tout en laissant le soin
aux autres parties d’en élaborer beaucoup
d’autres.
208
Regards de lecteurs
Ces fondations et ces concepts sont
à contextualiser. Leur contextualisation est
abordée dans la troisième partie joliment
intitulée Hommes et milieux. Selon l’auteur, cette
contextualisation, qui se définit comme
étant une « parfaite articulation de l’apprenant
et son environnement » (p. 69), trouve
sa véritable solution dans le post-modernisme.
À ce niveau de la réflexion, la question la plus
légitime que le lecteur doit se poser est
la suivante : est-ce que la DDL devrait avoir
à craindre de l’innovation ? La réponse est
très réconfortante (et moins consensuelle
qu’on le pense !) : la DDL n’a rien à redouter
pour la simple raison qu’elle-même est une
innovation, une médiation, une action fortement
liée au terrain qui la valide, la modifie
ou, carrément, l’anéantit (p. 83). Je dois signaler
que cette quatrième partie est traversée par
un certain nombre de concepts fondamentaux
auxquels se rapporte le projet d’innovation :
représentations, transfert, mobilité,
interlangue, métier d’enseignant, autonomie,
curriculum, etc.
Placé au cœur de la cinquième partie qui
porte le titre de Technosciences et futur des
langues, le curriculum dont la construction
sera (très) possible avec le numérique (p. 123)
se présente comme un projet qui permet
« une vision stratégique et globale de l’action »
(p. 93) et constitue l’une des réponses
à cette question incontournable ainsi formulée
par Pierre Martinez (p. 103) : « en quoi
les technosciences sont-elles susceptibles
de contribuer à l’innovation et à la transformation de notre domaine, la didactique
des langues ? »
Afin de trouver des réponses à toutes ces
interrogations (et à d’autres !) et mettre fin
à cette « expérience de l’inefficacité humaine »,
le didacticien-praticien doit aller vers une
didactique réticulaire (c’est le titre de cette
dernière partie) qui se présente comme
une didactique multimodale, hypercubique,
qui répond aux exigences du futur, qui
dépasse l’éclectisme, qui permet la coexistence
des différentes approches didactiques, qui
opère en réseau et surtout qui place les NBIC
au centre du dispositif de formation pour
mieux le servir (p. 140). Ainsi, une telle didactique
aura toutes ses chances de déployer d’infinies
possibilités (p. 142).
Selon l’auteur, cette didactique réticulaire
tournera autour de trois polarités. Primo,
la définition des finalités de l’apprentissage.
Secundo, l’exploitation des ressources
technoscientifiques et tertio, une représentation
de l’individu en formation (p. 141). Une
telle didactique doit pouvoir et savoir faire
fonctionner, dans un « projet éducatif
supérieur, axiologique, une combinatoire
d’éléments interagissant en réseau » (p. 142).
Ce livre que j’ai beaucoup apprécié
(pré)dit le changement, le (re)situe, le (re)définit
et (re)suscite la réflexion sur nos pratiques
de didacticien-praticien. Il est une invitation
à imaginer l’avenir de la DDL qui doit se libérer
des servitudes naturelles de notre condition
en repoussant et même en effaçant totalement
ces limites haïssables qui la bloquent et faisant
avec ces innovations qui se « précipitent »
sur nous.
Vivement le prochain livre de Pierre Martinez !
Il est certain que les NBIC sont capables
de permettre à la DDL de mieux connaître
l’apprenant pour mieux l’aider à progresser
et à réussir (p. 119) en anticipant ses futurs
échecs, ses erreurs ou ses insuffisances
(p. 120).
Un regard sur l’enseignement des langues : des sciences du langage aux NBIC
209
Actualité des
publications
des français africains
Oreste FLOQUET (dir.)
Rome : Sapienza Università
Editrice, 12/2018, 207 p.
Les approches interculturelles en éducation :
entre théorie et pratique
Abdeljalil Akkari
& Myriam Radhouane
Presses de l’université
de Laval, 2019, 304 p.
À partir d’une perspective
internationale et comparative, l’ouvrage présente,
dans un premier temps,
les fondements théoriques
et conceptuels de la prise
en compte de la diversité
culturelle à l’école. Il s’attèle
ensuite à l’analyse des
approches interculturelles
et des débats qu’elles
suscitent dans des pays aussi
divers que les États-Unis,
le Canada, le Brésil, la Suisse
et la France. Pour chaque
contexte national, l’ouvrage
aborde aussi bien les racines
historiques des approches
interculturelles que les initiatives concrètes impulsées
par les politiques éducatives
dans les écoles et les classes.
Enfin, l’ouvrage expose
les discussions entourant
le traitement de la diversité
linguistique ou religieuse
à l’école, la mise en œuvre
de l’éducation à la
citoyenneté mondiale
et la place déterminante
des enseignants dans les
approches interculturelles.
Aspects linguistiques
et sociolinguistiques
Environ 30 % des
francophones vivent en
Afrique subsaharienne.
En 2060, ils seront
probablement 85 %. Les
auteurs s’interrogent
sur les statuts, les spécificités
et l’évolution des français
africains, amenés à jouer
un rôle de plus en plus
important au sein de la
francophonie, en différents
contextes.
Pour consulter le document :
http://bit.ly/2lRAgdI
Bernadette Plumelle
France Éducation international
Les deux derniers chapitres
font écho aux débats
les plus récents sur le rôle
économique des grands
opérateurs informatiques
et l’exploitation / valorisation
des données numériques
(algorithmes et big data)
et expose avec brio les
risques liés à l’emprise du
numérique sur la vie sociale.
Les effets du numérique
sur l’éducation : regards sur
une saga contemporaine
Georges-Louis Baron
& Christian Depover (dir.)
Villeneuve d’Ascq : Presses
universitaires du
Septentrion, 2019, 284 p.
Culture numérique
Dominique Cardon
Paris : Presses de Sciences
Po, 2019, 428 p.
L’auteur, sociologue des
médias et des technologies
de l’information et de
la communication, offre une
analyse complète des
ruptures que le numérique
a induit en s’appuyant
sur la sociologie, la science
politique, l’économie,
ou encore les sciences de
l’information et de la
communication. Un premier
chapitre retrace la
confrontation de différentes
cultures autour de
la conception informatique
suivi d’un panorama des
innovations informatiques
associées à une culture
du partage et de l’ouverture.
D. Cardon insiste sur
l’impact du nouvel espace
public numérique sur
les pratiques démocratiques.
« Qu’est-ce que le
numérique a apporté à
l’éducation ? », La question
est posée d’emblée par
les auteurs qui l’abordent
sous un angle spécifique,
celui de l’analyse des effets
exercés sur les apprentissages, sur le fonctionnement
des écoles et sur les milieux
professionnels. G.-L. Baron
et C. Depover proposent,
dans une première partie,
un cadre d’analyse et
des repères historiques.
Ils passent en revue les
travaux de recherche qui
se sont penchés sur cette
question et analysent selon
différents angles l’impact
du numérique sur les
systèmes éducatifs : curricula,
compétences des élèves,
méthodes d’enseignementapprentissage, fonctions
cognitives et comportements
sociaux. Des spécialistes
reconnus présentent ensuite
des synthèses thématiques
concernant aussi bien
l’éducation formelle que
l’éducation informelle,
le milieu scolaire que
l’entreprise, les pays
développés ou les pays
du Sud.
Français d’Afrique.
En Afrique. Hors d’Afrique
Langue française, nº 202,
juin 2019, 124 p.
Ce numéro propose un état
des lieux de la recherche
sur le français d’Afrique et
donne un aperçu de
recherches contemporaines
innovantes qui ouvrent
des pistes nouvelles et
décloisonnées. Le numéro
comprend sept articles.
Les trois premiers
présentent des enjeux
épistémologiques
et méthodologiques
généraux. Les articles
suivants s’inscrivent
dans une perspective
sociolinguistique discursive
et interactionnelle, et
dé-spatialisent l’objet
« français d’Afrique ». Dans
la dernière contribution,
l’auteure, norvégienne,
s’intéresse plus précisément
au « français mis en récits
par des migrants congolais
en Norvège ». La
présentation du numéro,
par les coordinatrices,
est disponible en accès libre
sur le portail Cairn.
Français langue ardente :
actes du XIVe congrès
mondial de la FIPF. Volume
IV : le français à l’ère
du numérique
Cynthia Eid, Annick
Englebert & Geneviève
Geron (dir.)
Paris : FIPF : Fédération
internationale des
professeurs de français,
2018, 281 p.
L’avenir du français et de sa
diffusion dans le monde
dépend en partie de la prise
en main des technologies
du numérique (réseaux
sociaux, applications mobiles,
tablettes, etc.) par les
enseignants ainsi que de
leur utilisation efficace
et créative dans l’enseignement / apprentissage du
français. Comment évaluer
le potentiel des technologies
émergentes ? Comment
mettre en place des
approches didactiques
intégrant le numérique ?
Comment estimer la plusvalue effective de dispositifs
de formation intégrant le
digital ? Ce volume, qui
rassemble des communications issues de quinze pays,
couvre un large éventail de
ces problématiques.
Interculturalité,
circulation et globalisation :
nouveaux contextes
et nouvelles pratiques
Dominique Tiana
Razafindratsimba & Lolona
N. Razafindralambo (sous la
direction de)
Paris : L’Harmattan, 2018,
480 p.
L’ouvrage fait suite au
congrès de l’Association
internationale pour la
recherche interculturelle
(ARIC) qui a eu lieu en 2017
à Madagascar. Il réunit des
contributions diverses
par les thèmes abordés
et par leur localisation
géographique. Avec la
globalisation, l’intensification
des circulations (personnes,
biens, idées, nouvelles
technologies, capitaux, etc.)
redéfinit l’altérité et
demande de constants
ajustements et adaptations
de la part des individus
et des groupes sociaux.
Les textes ici rassemblés
s’inscrivent dans une même
perspective, l’interculturalité,
et permettent de comparer
les travaux et les expériences
de praticiens et de
chercheurs qui mettent
au jour les mécanismes
de ces ajustements et de ces
adaptations des relations
interculturelles dans les
sociétés contemporaines.
Lectures de la littérature
et appropriation des
langues et cultures
Chiara Bemporad & Thérèse
Jeanneret (coordinatrices)
Le français dans le monde :
recherches et applications,
nº 65, janvier 2019, 201 p.
Ce numéro aborde le rôle
de la littérature dans le
développement langagier
des lecteurs-apprenants
dans les différentes
langues qu’ils pratiquent
et apprennent. Y sont
présentés de multiples
exemples des confrontations
d’adultes ou d’enfants avec
le fait littéraire, le « plaisir
du texte » et la réflexion sur
celui-ci. Dans l’ensemble,
la lecture de la littérature
passe par des activités
de production pour
témoigner de l’effet du
littéraire sur la personne
apprenante. Parmi les douze
contributions de ce numéro,
cinq construisent des objets
d’enseignement qui
impliquent une production
écrite, ou orale. D’autres
contributions pensent
des modes d’accession
à la lecture littéraire en
réfléchissant à la compétence littéraire ou en
imaginant des dispositifs
didactiques.
Rapport 2018 sur l’état
de la Francophonie
numérique
Université Bordeaux
Montaigne, Institut du droit
de l’espace et des
télécommunications
(coord.)
Paris : Organisation
internationale de la
Francophonie, octobre
2018, 315 p.
Réalisé par un collectif
d’auteurs représentant la
diversité de l’espace
francophone, ce rapport a
été coordonné par la Chaire
UNESCO « Pratiques
émergentes en technologies
et communication pour
le développement »
de l’Université Bordeaux
Montaigne. Il dresse un état
de la situation du
numérique dans l’espace
francophone durant la
période 2017-2018 en
regroupant des statistiques
et avis qualitatifs récents, et
en valorisant les exemples
de bonnes pratiques.
Il comporte un chapitre
préliminaire traitant de la
question fondamentale des
infrastructures donnant
accès au numérique, ainsi
que des études présentées
dans le cadre des axes
stratégiques d’intervention
de la Stratégie de la
Francophonie numérique.
Pour le consulter :
http://bit.ly/2lxev2X
Repenser l’étude des
langues à l’université :
le défi des humanités
numériques ?
A. Burrows, R. Cetro,
N. Kübler & G. Miras (coord.)
Études de linguistique
appliquée, nº 193,
janvier-mars 2019, 134 p.
L’entrée massive du
numérique à l’université
apparaît comme un
« potentiel accélérateur
de pratiques ». Ce numéro
apporte une réflexion
théorique, des études de
cas ou des retours
d’expériences mettant en
lumière les rapports entre
l’étude des langues
à l’université et les
perspectives ouvertes par
les humanités numériques.
Dans un premier temps, des
dispositifs numériques
universitaires sont à l’étude:
projet de FOAD, dispositif
de formation à distance,
création d’un test de
positionnement. Les articles
suivants se focalisent sur
les effets de dispositifs
d’enseignementapprentissage des langues
sur les apprenants. Les deux
derniers textes dessinent
les perspectives croisées
entre l’introduction
de dispositifs numériques
et l’internationalisation des
études linguistiques.
211
Colophon
Direction de la publication
Jean-Paul de Gaudemar
Coordonnateurs
Muriel Cordier &
Jean-Christophe Bonnissent
Design éditorial
The Shelf Company
Achevé d’imprimer
en octobre 2019
sur les presses de l’imprimerie Stipa
à Montreuil.
Les titres et les textes sont composés en
caractères Aperçu dessinés par The Entente,
les citations en caractères Boulder Mono
par Formist.
Imprimé en France
Dépôt légal
octobre 2019
Numéro ISSN
en attente
« Ce numéro a pour
objectif de présenter
la diversité des
pratiques du français
scientifique, les
questionnements au sein
des universités en
matière de valorisation
et de diffusion, les
actions qui contribuent
au développement
de la culture scientifique en français. »
Cristelle Cavalla, Agnès Tutin
& Alice Burrows
AUF — Agence Universitaire de la Francophonie,
DGLFLF — Délégation générale à la langue française et aux langues de France,
France Éducation International