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2013 BAKLOUTI Cit Aïn Doura

Fig. 2.

État de conservation des citernes d'aïn ed-Doura au mois de novembre 1997. Vue vers le Sud Sud-est. (Ph. de l'auteur, nov. 1997) La description que nous venons d'énoncer et qui rend compte de l'état de conservation de l'édifice tel qu'il était exploré par le Dr Carton en l'année 1892, est presque conforme à l'état de conservation dans lequel nous l'avons trouvé un siècle plus tard quand nous avons commencé, en l'année 1997, à prendre contact avec le site (Fig. 2) ; sauf que les remblais ont, paraît-il, augmenté de volume 12 et que les structures murales, lézardées en plusieurs endroits, ont cédé à la pression de la terre et des intempéries 13 . Il s'agit en effet d'un réservoir de plan trapézoïdal, orienté Nord Nord-est/Sud Sudouest, occupant, à flanc de coteau, un palier topographique qui, entaillé et aménagé en terrasse, s'étale sur une quarantaine de mètres de large (Fig. 23, P3). Alors que les deux murs qui forment ses côtés nord et est se trouvent en grande partie enfouis dans l'épaisse couche marneuse qui constitue le substratum rocheux en ce lieu, les deux murs formant ses côtés sud et ouest s'élèvent de plus de quatre mètres de hauteur par rapport au niveau du sol actuel. La façade méridionale du réservoir domine majestueusement le palier topographique inférieur sur lequel avaient été élevés les thermes les plus grands de la cité de Thugga 14 , ceux dont les vestiges portent aujourd'hui le même nom que celui donné aux citernes (FiG. 23, P4) Khanoussi. 14 L'aménagement, à flanc de colline, du palier sur lequel devaient s'élever les thermes d'aïn ed-Doura, avait dû certainement nécessiter -comme par ailleurs l'aménagement de tous les autres paliers qui donnent ses caractéristiques à l'urbanisme "en gradins" d'une ville telle que Thuggades travaux d'entaillage et de terrassement gigantesques. L'envergure de ces travaux doit être mesurée à l'échelle de la gravité de la construction à réaliser. Or, si l'on excepte la construction de l'aqueduc d'aïn el-Hammam, nous ne connaissons pas à Dougga de réalisation urbaine plus monumentale et plus étendue que celle de ces thermes : leurs vestiges couvrent aujourd'hui une superficie de 6000 mètres carrés environ, estimation approximative faite à partir du plan du site de Dougga publié dans Khanoussi et Maurin dir., 2002, p. 27, fig. 4. 15 Au sujet de ces thermes, voir Bouhlila, 1987. D'après certaines caractéristiques architecturales, l'on croit pouvoir identifier ces thermes comme des thermae aestivales. Au sujet de la distinction archéologique entre thermes d'été et thermes d'hiver, voir entre autres, Yegül, 1992, p. 43 ;Ginouvès, 1998, p. 100 et suiv. ;Lézine, 1969, p. 21 ;id., 1968, p. 21, où l'éminent architecte précise que ce sont « les latrines semi-circulaires en plein air [rattachées à l'édifice thermal] qui constituent un trait caractéristique des thermes d'été ; dans les thermes d'hiver elles sont toujours closes et couvertes ». 16 Les mesures relevées par le Dr Carton correspondent à celles prises de l'intérieur du monument. 17 Il s'agit d'un blocage alternant un bain de mortier de chaux et une rangée de moellons de calibres irréguliers. 18 On identifie au moins deux carrières antiques sur le revers de l'affleurement calcaire qui délimite au Nord et à l'Ouest, en forme de croissant, le site de Dougga. L'une, la plus développée, se situe au nord-ouest de l'agglomération urbaine, à une centaine de mètres environ au-delà du cirque. Elle est délimitée au Nord par cette falaise abrupte, "kef Dougga", arête calcaire qui protège, sur tout son côté septentrional, le plateau incliné vers le Sud, sur lequel s'était élevée et développée la ville de Thugga. L'autre se situe au niveau de la source d'aïn el-Mizeb, sur le revers de la croute calcaire qui surplombe celle-ci à l'Ouest. C'étaient des carrières exploitées à ciel ouvert, présentant un calcaire à nummulites, caractéristique de la pierre utilisée comme principal matériau de construction des monuments de Thugga. En certains points, on voit encore les traces des coups de pic qui ont servi à détacher de gros blocs quadrangulaires dont certains gisent encore là où ils avaient été coupés, tandis que En haut de la paroi externe du mur périmétral occidental du monument, des moellons arrachés en plusieurs endroits trahissent l'existence d'un conduit de trop plein, encastré dans la paroi même, qui parcourait longitudinalement celle-ci de bout en bout en adoptant un tracé accusant une légère inclinaison du Nord au Sud qui le fait démarquer du tracé bien droit que présentent les dalles de l'arase situées un peu au-dessus (Fig. 6). De forme quadrangulaire (0,15 m x 0,15m), les parois de ce conduit sont intérieurement revêtues d'un mortier de tuileau bien compact. Les moellons de parement qui le dissimulent ne se distinguent en rien, en plusieurs endroits, de ceux de l'ensemble des moellons dont sont parementés les murs du réservoir (0,18 m sur 0,22 m), ce qui veut dire que l'aménagement de ce conduit était prévu dès le début dans la conception architecturale du monument hydraulique. Mais, en d'autres endroits, les moellons d'encastrement présentent des dimensions nettement plus grandes (0,38 m sur 0,22 m) et un équarrissage moins soigné, ce qui laisse supposer des travaux de réparation et de restauration effectués en une périodetardive indéterminée, alors que les citernes étaient encore en fonctionnement.

Figure 2

Figure 23

Figure 6

Trois voûtes en berceau −desquelles n'ont subsisté que les reins au niveau de leurs naissances− couvraient les trois nefs (Figs. 5 et 15). À l'intrados de ces voûtes, on voit encore, en plusieurs endroits et surtout au niveau des angles, des fragments des tubes de terre cuite qui ont servi à leur coffrage et des traces en creux laissées par leurs files. Les tympans qui séparaient leurs extrados gardent encore la couche épaisse du mortier de tuileau qui les revêtait 22 . Le même type de mortier est observé sur les parois internes du réservoir 23 . À 2,5 m environ au-dessous de la clé des trois voûtes qui les couvraient, et comme l'a fait remarquer le Dr Carton 24 , chacune des trois nefs se prolonge à longueur de 3 m environ dans sa partie postérieure, par une voûte en berceau plein cintre, dont l'axe se situe dans la même direction que celui des trois voûtes "supérieures" et dont la ligne de faîte se situe au même niveau que celui marqué par les dalles de l'arasement sur lesquelles prennent naissance celles-ci (Fig. 7). Au-dessus de l'arc de tête de chacune de ces voûtes 25 , et sur toute la largeur du réservoir, s'élevaient les restes d'un mur massif qui atteignent par endroits 1,5 m environ d'épaisseur et dont le mode de construction est en nette discordance avec la maçonnerie de l'édifice hydraulique. Il était fait de blocs de remploi, de dimensions irrégulières, liés par un mortier de terre argileuse très fine 26 . C'est clair qu'il s'agit d'un mur qui n'avait aucun rapport avec les techniques de construction de l'édifice qui nous occupe. Il formait en fait le mur de fond d'une grande habitation tardive (un "houch") que l'on a continué à habiter jusqu'aux années soixante du siècle dernier et dont l'aménagement et la construction, qui ont complètement escamoté toute la partie postérieure du monument d'eau, étaient l'oeuvre, nous dit-on, de l'une de ces nombreuses familles Ouesseltiya qui, forcées de quitter leurs foyers au jebel Ouesslet, étaient venues élire domicile, entre autres localités bien nombreuses, dans les ruines de la cité antique de Thugga 27 . Les décombres de cette maison, qui a été démolie par les services archéologiques du site dans le cadre du programme de transfert à Dougga al-Jadida des familles qui habitaient alors le site (jusqu'aux années soixante du siècle dernier) 28 , se tenaient encore là au commencement de la fouille 29 . Pour mettre au jour 24 Supra,p. 106. 25 Pour les distinguer des trois grandes voûtes qui couvraient les trois nefs, nous appellerons ces voûtes désormais :

Figure 7

Nef occidentale du réservoir d'aïn ed-Doura, avec, au fond, l'une des trois voûtes "inférieures" qui servaient de support au sol du bassin d'arrivée de l'eau. Vue vers le Nord.(Ph. de l'auteur, nov. 1998).

"voûtes inférieures". 26 Ce mortier de terre, dont l'emploi est attesté dans le passé comme de nos jours, est bien connu par les habitants des lieux. Ceux-ci l'appellent 'torba' et il y'en a parmi eux qui continuent à l'employer dans la construction de leurs habitations rurales.. 27 Voir Poinssot, 1958, p. 16-17. 28 Pour un bref aperçu sur l'historique des travaux de mise en valeur du site archéologique de Dougga depuis la fin du XIX e siècle, voir, à titre indicatif, la synthèse que l'on trouve sur le site web : www.dougga.rnrt.tn 29 Ces décombres occupaient tout le palier qui sépare la partie postérieure des citernes du mur de soutènement d'un la partie postérieure de l'édifice hydraulique -jusque là inconnue-et compléter ainsi le relevé du plan d'ensemble de celui-ci, il fallait donc débarrasser le terrain de ces décombres (après les avoir documenté) et procéder au démontage des structures restantes de la maison en question tout en prenant soin de relever celles-ci et de décrire leur mode de construction. C'était l'objet de notre première campagne de fouille qui s'était déroulée, comme nous l'avons indiqué un peu plus haut, au printemps de l'année 1998. I.2. Plan et composants architecturaux de l'édifice révélés par la fouille I.2.1. Le dégagement de la couche archéologique d'occupation moderne Nous avons donc procédé en premier lieu au déblaiement de la terre et au démontage partiel des structures murales subsistantes appartenant aux pièces qui formaient la maison susmentionnée (maison de la famille Ben Taleb Ali). Seules les vestiges des pièces constituant l'aile méridionale de la maison en question, au nombre de trois, ont été, en fait, concernés par ces travaux (Fig. 3, D La fouille de la grosse couche au sein de laquelle prennent naissance ces structures murales (de 2,5 m environ d'épaisseur) 34 a révélé, avant d'atteindre les structures antiques appartenant à la partie postérieure du monument hydraulique, quatre niveaux archéologiques dont deux unités stratigraphiques construites :

Figure 3

-Un gros niveau supérieur, d'un mètre environ d'épaisseur, est essentiellement représenté par les fondations des structures murales de la maison de la famille Ben Taleb Ali, fondations entreprises dans une terre brune qui parait être le produit d'un remblai charrié et soigneusement damé et terrassé. Ce niveau a livré, mêlé à des tessons de céramique antique et de poterie commune modelée 35 et tournée 36 , un matériel céramique émaillé appartenant à la période islamique moderne (type el-Qallaline) 37 . 34 Vu la déclivité du terrain concerné par la fouille, l'épaisseur de cette couche est relativement plus grande au niveau de l'angle nord-est du réservoir qu'elle ne l'est au niveau de l'angle nord-ouest de celui-ci. 35 Il s'agit de fragments de casseroles, de grands plats, de couscoussiers, de "tajines", de braséros, de fours à pain, etc. 36 Des fragments de bols, de cruches, de jarres, de bassines, etc. 37 Il s'agit de fragments de plats, de bassines, de bols, de casseroles, de tajines à glaçure légère luisante sur fond marron foncé que l'on utilisait généralement pour la cuisine, de théières à glaçure luisante sur fond vert bouteille ou jaune verdâtre sur les deux faces décoré de vert olive et/ou de traits en brun foncé, de lampes à haut pied, etc. Que nos collègues et amis Adnan Louhichi et Fathi Bahri, tout deux directeurs de recherches à l'INP, spécialistes en histoire et archéologie médiévale tunisienne, trouvent ici l'assurance de notre considération pour avoir bien aimablement accepté d'examiner et de dater le matériel céramique de période islamique issu de cette fouille et dont nous présentons ici seulement quelques tessons à titre indicatif. Pour la confirmation de la datation des -Un niveau d'une dizaine de centimètres environ d'épaisseur, qui s'étend sur toute la surface couverte par la fouille, juste au dessous des fondations des structures murales appartenant au niveau supérieur. Il est constitué d'une couche de limon très fin qui, dépourvu pratiquement de tout matériel archéologique, représente selon toute vraisemblance une phase d'abandon. -Au-dessous, et notamment dans la partie orientale du secteur concerné par la fouille, la terre acquit, jusqu'à une vingtaine de centimètres d'épaisseur, une couleur pratiquement noire, riche en petits morceaux de charbon mêlés à des os, des pierres et des tessons de poterie calcinés. L'espace concerné par cette terre cendrée étant assez étendu, nous sommes tentés d'y voir les traces d'un incendie plutôt que les vestiges d'un foyer bien localisé. -Juste après, la terre redevient assez brune et homogène, au sein de laquelle on relève, au niveau de l'angle nord-est du réservoir, à l'extérieur de celuici ( Fig. 3, J, I, K), les assises inférieures de trois murs, de 0,5 m d'élévation au maximum, dont les fondations empiètent sur des structures antiques appartenant à la partie postérieure de l'édifice hydraulique ( Fig. 11) deuxième mur de 0,80 m de largeur, qui prenait appui, à son extrémité ouest, sur la paroi externe de la limite nord du mur périmétral est du réservoir. Le troisième mur, également de 0,80 m de largeur, part de l'angle droit formé par la rencontre des deux premiers murs et se dirige vers le Nord-est. 39 On doit noter que ce mortier de terre est de texture moins fine que celle qui caractérise la terre employée comme liant dans les structures murales du niveau supérieur. d'occupation qui a précédé celle faisant l'objet du premier niveau. Outre une grande quantité de tessons de poterie commune, le matériel céramique recueilli dans ce niveau archéologique, d'un demi-mètre environ d'épaisseur, comprend de la céramique islamique émaillée mêlée à des tessons de sigillée africaine. De par leur facture, leur glaçure et leurs décors, quelques tessons sont datables du haut Moyen-âge islamique tunisien (Pl. I ) 40 , tandis que la plupart sont datables de la période moderne, probablement du XVIII e -début XIX e siècles. Sur une des pièces de monnaie qui se trouve relativement moins corrodée que les autres et que l'on a recueillie dans le mortier de terre servant de liant aux structures murales, on lit le nom du sultan ottoman Mustafa, probablement Mustafa III 41 . Ajoutée à la datation fournie par la céramique émaillée et au niveau d'abandon indiqué ci-dessus, cette pièce constitue un indice qui militerait en faveur de l'appartenance de ce dernier niveau au troisième quart du XVIII e siècle, c'est-à-dire à la période de l'installation de la première génération des Ouesseltiya sur le site 42 ; le niveau supérieur daterait peut-être, lui, de la fin du XIX e -début du XX e siècle 43 .

Figure 11

Fondations de structures murales au niveau de l'angle nord-est du réservoir, appartenant au niveau inférieur de la couche d'occupation moderne. Vue vers le Sud. (Ph. de l'auteur, oct. 1998) Structures murales appartenant au niveau inférieur de la couche d'occupation moderne, empiétant sur la partie orientale du bassin d'arrivée de l'eau. Vue vers l'Ouest.(Ph. de l'auteur, avril 1998)

I.2.2. La découverte du bassin d'arrivée de l'eau

Le dégagement de la couche d'occupation moderne 44 a permis de mettre au jour le composant architectural manquant qui occupe la partie postérieure des citernes d'aïn ed-Doura. Celui-ci consiste en un compartiment qui, disposé perpendiculairement aux trois nefs précitées, s'étend sur toute la largeur du monument 45 . Il épouse, à son côté est, et seulement de l'intérieur, une forme en demi-cercle, de 1,10 m de rayon. Ne présentant aucun lien avec la structure murale qui forme le côté est du compartiment, cette forme semble avoir été le fait d'un réaménagement tardif (Figs. 13 et 14).

Limité à l'Est, au Nord et à l'Ouest par les murs périmétraux du réservoir, ce compartiment s'ouvre au sud directement sur l'intérieur de l'édifice. Son sol est supporté par les extrados des trois voûtes "inférieures" dont nous avons parlé plus haut (Fig. 15). Il présente un revêtement qui paraît avoir été ménagé initialement en opus signinum, soigneusement tapissé à sa surface. En une phase ultérieure, ce revêtement initial a été superposé d'un pavement en opus tessellatum duquel ne subsiste qu'un petit lambeau en mauvais état de conservation, relevé dans la partie orientale du compartiment (Figs. 14 et 16) 46 . Avec ces deux niveaux, il s'emble qu'on se trouve ici en présence de deux phases d'occupation qu'avait connues ce compartiment au cours de son histoire. 40 Il y'en a pratiquement de toutes les périodes, de l'aghlabide à la hafside. 41 Mustafa était le nom de plusieurs sultans ottomans. Le premier qui l'avait porté, Mustafa I er , avait régné de 1617 à 1618 et de 1623 à 1624 ; Mustafa II gouverna de 1695 à 1703 ; le règne de Mustafa III, relativement le plus long, couvrit la période qui s'étend de l'année 1757 à l'année 1774 ; enfin Mustafa IV ne gouverna que de 1807 à 1808. 42 Voir Poinssot, 1958, p. 16-17.. 43 Étant donné la datation très large que nous fournit la céramique émaillée de cette période, l'on comprendra que les estimations chronologiques que nous émettons ici sont hypothétiques, mais, toutefois, fort plausibles. 44 Outre sa richesse en une poterie qui représente pratiquement toutes les périodes de l'histoire tunisienne, de l'antiquité préromaine à la première moitié du XX e siècle, cette couche de remblai a livré aussi quelques pièces de monnaie dont certaines appartiennent à la période numido-punique. 45 Ce compartiment mesure intérieurement 15 m de longueur (est-ouest) sur 3,5 m de largeur. 46 Fait de tesselles cubiques grossièrement coupées dans du calcaire blanc (de 2 cm d'arête en moyenne), ce pavement revêtait toute la surface couverte par le sol en opus signinum du compartiment en question et était ménagé sur des substructions constituées des deux couches usuelles : d'un rudus de cailloutis pris dans un mortier de chaux et, au-dessus, d'un nucleus en mortier de gros tuileaux. À l'angle nord-ouest de celui-ci, on relève aussi une sorte de crevasse peu profonde 47 d'où part un petit caniveau, de 0,15 m de large et 0,12 m de profondeur, qui se dirige vers l'intérieur du réservoir. Telle qu'elle se présente, cette crevasse pourrait représenter soit une cavité de curage qu'on voit généralement ménagée dans le pavement des citernes et/ou celui des specus 48 , soit qu'elle ait été accidentelement provoquée, au fil du temps, par une chute d'eau à partir d'une certaine hauteur (Fig. 17) ; le caniveau serait peut être le produit d'un aménagement tardif. Nous reviendrons sur ce point lorsque nous traiterons, plus bas, du problème de l'approvisionnement en eau de l'édifice.

Figure 15

Relevé en coupe transversale A-A de Fig. 14. (Relevé de l'auteur ; Dess. M. Témim ; Infographie T. Sassi) Fig. 16. Restes d'un pavement en mosaïque qui revêtait le sol du bassin d'arrivée de l'eau. Vue vers le Nord. (Ph. de l'auteur, oct. 1998) Fig. 17. Angle nord-ouest du bassin d'arrivée de l'eau. Vue vers l'Ouest. (Ph. de l'auteur,

Figure 17

Par ailleurs, la fouille a révélé également la présence d'une porte, large à peu près d'un mètre et demi, qui était ménagée dans la partie ouest du mur périmétral nord du monument hydraulique, mur qui forme en même temps le côté septentrional du compartiment transversal et qui présentait vraisemblablement une façade de 3 m environ d'élévation par rapport au niveau du sol antique (Figs. 14 et 25 oct. 1998) calcaires accolées. À en juger par les encoches que l'on y relève, la porte était constituée de deux battants. Elle empiétait, par deux marches 50 , sur le dallage d'une voie qui délimitait, du côté nord, l'édifice hydraulique et dont nous parlerons ci-après (Figs. 14 et 18) 51 . Tout comme le pavement en mosaïque qui revêtait le sol du compartiment ou la forme en demi-cercle qui dessine, de l'intérieur, le côté est de celuici, cette porte ne semble pas dater de l'état initial de la construction de l'édifice hydraulique. Son aménagement devrait relever d'une phase d'occupation postérieure, celle peut-être qui a vu l'aménagement et du pavement en mosaïque et de la forme en demi-cercle. Nous reviendrons sur cette question quand il s'agira de traiter, dans la troisième partie de cette étude, de l'histoire de l'occupation du monument. Pour l'instant, et bien que nous n'ayons relevé dans l'état actuel de nos recherches aucune trace de l'arrivée d'une conduite qui devait, selon toute vraisemblance, alimenter en eau l'édifice hydraulique, nous n'avons aucun doute quant au rôle que devait initialement jouer ce compartiment : vu sa disposition architecturale dans le plan d'ensemble de l'édifice hydraulique, il devait sans doute assurer le rôle de bassin d'arrivée de l'eau 52 .

De ce bassin, aucune trace n'a subsisté de sa couverture. Mais, celle-ci devait vraisemblablement être assurée par une voûte en berceau ou en demi berceau qui, s'étendant de l'est à l'ouest perpendiculairement aux trois voûtes en berceau qui couvraient les trois nefs, ses retombées devaient s'appuyer, d'un côté, sur le droit du mur périmétral septentrional du monument hydraulique (qui constitue par là même, nous l'avons dit, le côté nord du bassin), et de l'autre côté, sur l'extrados des arcs de tête des trois voûtes longitudinales. Cette technique architecturale était fréquemment usitée lorsqu'il s'agissait de couvrir un compartiment construit en position transversale au sein du plan d'ensemble du monument hydraulique. Nous citons, à titre d'exemples, les citernes de la Malga à Carthage 53 , celles des grands thermes sud à Bulla Regia 54 et celles d'aïn el-Hammam à Dougga même 55 .

I.2.3. Les sondages effectués à l'intérieur du réservoir

Deux sondages ont été effectués à l'intérieur du réservoir, dans le remblai qui emplit celui-ci jusqu'à deux mètres environ au-dessous de l'arase qui marque la naissance des voûtes de couvrement. Le premier, que l'on appellera S1 (Fig. 3, A), est effectué à l'intérieur de l'espace voûté qui occupe la partie antérieure de la nef occidentale, à l'angle nord-ouest de l'édifice hydraulique. Il a pour objectif d'atteindre le sol de celui-ci et d'en déterminer la profondeur d'eau 56 . Le second, que l'on appellera S2 (Fig. 3, B), consiste en une tranchée que nous avons ouverte au pied du mur qui forme le petit côté sud du monument hydraulique. Nous avons cherché par ce sondage à localiser l'orifice du canal d'où partait l'eau emmagasinée dans le réservoir (sans doute vers les grands thermes qui se trouvaient juste en contrebas). 50 Ces marches ont chacune 0,25 m d'hauteur et 0,23 m de foulée 51 Voir infra, p. 125-126. 52 En ce qui concerne le problème d'alimentation en eau de ce réservoir et la connexion présumée de ce bassin avec une conduite venant des citernes d'aïn el-Hammam, voir infra dans la partie consacrée à cette question, p. … 53 Baklouti, 2003, p. 138-9 ;id., 2008a, p. 834-5. 54 Id., 1996, p. 704. 55 Id., 2008b. Voir également à ce propos Carton et Chenel, 1891. 56 Rappelons que le Dr Carton a estimé cette profondeur à 5 m, et ce, sans que le sol du réservoir ne soit atteint par le sondage qu'il y a pratiqué. Voir supra, p. 106.

I.2.3. a. Le sondage S1

Dans ce sondage, qui couvre un espace rectangulaire de 3,5 m de long (est-ouest) sur 3 m de large 57 , le dégagement de la couche superficielle laisse apparaître d'abord l'avant-dernière arase qui ceinture, de l'intérieur comme de l'extérieur, les parois de l'édifice hydraulique 58 et sur les dalles de laquelle prennent naissance les voûtes dont les extrados portent le sol du bassin d'arrivée d'eau 59 . Dans la paroi formant le côté nord du sondage, l'une des dalles de cette arase, arrachée fortuitement, permet la découverte, encastré dans le mur derrière l'alignement des autres dalles, d'un conduit maçonné qui a la même disposition, la même forme et les mêmes dimensions et techniques de construction que celui que nous avons déjà relevé en haut de la paroi externe du mur périmétral occidental 60 . Se plaçant pratiquement au même niveau dans les deux parois formant l'angle nord-ouest du réservoir, les deux conduits n'en constituent en fait qu'un. Il s'agit sans aucun doute d'un conduit de trop plein qui, ménagé, à l'intérieur du réservoir, au niveau de l'avant dernière arase du mur nord de celui-ci 61 , perce, dans toute son épaisseur, le bout septentrional du mur périmétral occidental de l'édifice hydraulique et continue son parcours, de l'extérieur, jusqu'au bout méridional de la paroi externe du mur en question où il se termine par un trou béant (ou une sorte de rainure) grossièrement taillée dans le bloc de pierre qui appartient, à cette hauteur, à la chaîne d'angle ( Fig. 6) 62 . L'eau qui y était acheminée devait, selon toute vraisemblance, se déverser sur le pavé de la rue adjacente avant d'être recueillie par les égouts 63 .

Revenons à la description de la stratigraphie révélée par le sondage. La couche superficielle, constituée de terre brune, pauvre en matériel archéologique, descend jusqu'à un mètre environ au-dessous du niveau des dalles de l'arase susmentionnée. Après l'avoir complètement décapé, apparaît un lit de petites pierres étalées à sec en guise de pavement qui est aménagé sur une couche d'une vingtaine de centimètres d'épaisseur où l'on relève, au sein d'une terre argileuse peu compacte, une forte concentration de déjections animales solides. Il ne fait aucun doute que la formation de cette couche date d'une période pendant laquelle le réservoir, à l'instar de plusieurs autres réservoirs et monuments antiques à Dougga ainsi que dans la plupart des sites archéologiques de la Tunisie antique, avait servi d'écurie ou d'étable 64 . Bénéficiant de l'abri que lui assurait la petite voûte (qui est encore, de nos jours en bon état de conservation), cet espace, d'une dizaine de m 2 de superficie, avait peut-être servi, en dernier lieu, d'un logis ou d'une cuisine de fortune pour des bergers. En témoignent, outre le caractère rudimentaire du pavement dont nous venons de parler, les traces d'une fumée onctueuse qui colle en grande partie sur la paroi de l'intrados de la voûte.

Immédiatement au-dessous de la couche de fumier est soigneusement ménagé un sol en mortier de chaux, mêlé à des particules de charbon, qui couvre également toute la surface concernée par le sondage. Il s'étale sur une couche de terre argileuse qui comprend, entre autres, de la céramique islamique émaillée datant des XVIII e et XIX e siècles. Étant relativement de bien meilleure facture, ce sol devait probablement servir de pavement à une pièce d'habitation qui aurait, elle aussi, profité de la couverture voûtée offerte par le petit enclos où nous avons effectué le sondage. Cet aménagement aurait peut-être appartenu à la période d'installation des premières générations des Ousseltyia dans les ruines de Thugga.

Plus bas, et jusqu'à 5 m environ de profondeur à partir de l'arase mise à découvert par la fouille, on continue à recueillir, au sein d'une terre beige claire à texture friable, de la poterie commune et de la céramique de période islamique moderne appartenant au même type que celle recueillie précédemment sauf qu'elle se trouve mêlée à des tessons de sigillée africaine et à des fragments de tubes de coffrage qui attestent l'état d'abandon de l'édifice en tant que monument d'eau.

Au-delà de 5 m de profondeur, la terre devient de plus en plus boueuse et l'eau commence petit à petit à investir les niveaux les plus profonds du sondage jusqu'à ce que nous ayons atteint le sol bétonné du réservoir. Celui-ci se situe à 6,25 m de profondeur mesurée à partir de l'arase qui marque la naissance des voûtes inférieures (Fig. 19). Cela donne au réservoir une contenance maximale de 2.627,469 mètres cubes 65 , ôté le volume occupé par les piles des arcades ainsi que celui occupé par les murs médians servant de piédroits aux voûtes "inférieures" 66 .

Figure 19

156 n. 66 et 158 n. 76 100 Des travaux de restauration engagés par les services archéologiques du site, sous la direction de notre collègue Mustapha Khanoussi, nous ont empêchés alors de sonder le côté sud. Ce n'était donc que pendant notre troisième campagne de fouille que celui-ci a bénéficié de nos travaux de fouille. 101 Les dimensions varient entre 0,46 m et 1 m pour la longueur, entre 0,36 m et 0,56 m pour la largeur et entre 0,10 m et 0,25 m pour l'épaisseur. Pour les rues de Dougga, voir

I.2.3. b. Le sondage S2

La couche superficielle dégagée dans S2, de 0,80 m d'épaisseur, est de même constitution et texture que celle dégagée dans S1 67 . En apparaît également au-dessous une sorte de sol, d'une dizaine de centimètres d'épaisseur, constitué d'une terre argilo-sableuse riche en gravillons et en petits morceaux de chaux. Ce sol s'étale sur une couche de fumier consolidé ayant la même constitution et épaisseur que la couche de même texture relevée dans S1 et qui, toutes deux, datent certainement de la même période. Puis, la terre acquit une texture friable, de couleur beige claire, très riche en moellons et en tubes de coffrage avec un matériel céramique comprenant 65 On se trouve probablement ici en présence de la couche d'effondrement de la couverture voûtée du monument. Au-delà de 4,5 m profondeur, et comme dans S1, la terre devient de plus en plus boueuse et l'eau commence petit à petit à monter en surface et à rendre le creusement fort malaisé. Nous avons cependant continué à creuser jusqu'à 5,5 m environ de profondeur dans la partie de la tranchée située dans les nefs orientale et centrale du réservoir sans que le moindre indice de l'orifice du canal d'évacuation n'apparaisse. Face aux risques que pourraient encourir les ouvriers en creusant davantage (avec des moyens assez limités) et sachant, par le sondage S1, que le sol du réservoir n'est plus qu'à un mètre, nous avons préféré nous arrêter là, nous contentant d'avoir la présomption que la bouche de l'emissarium que nous cherchons à mettre au jour devrait se situer à l'angle sud-ouest de l'édifice hydraulique, au bas du mur périmétral méridional. C'est ainsi donc que la fouille a permis, par la découverte du bassin d'arrivée de l'eau et par le fait que nous ayons réussi, grâce au sondage S1, à atteindre le sol du réservoir, de compléter le plan de l'édifice hydraulique dans son ensemble et d'en relever les dimensions exactes, de l'intérieur comme de l'extérieur, tel que celui-ci était conçu dans son état initial 68 . Reste à savoir, cependant, comment était-il approvisionné en eau. C'est à quoi nous allons essayer de répondre dans la partie qui suit.

I.2.4. Le problème de l'approvisionnement en eau du réservoir. À la date de l'achèvement des trois campagnes de fouille indiquées ci-dessus, le problème de l'alimentation en eau du réservoir d'aïn ed-Doura restait, à vrai dire, encore posé. On a toujours supposé, sans le prouver, qu'une conduite, dotée de puits-regards, reliait les citernes d'aïn ed-Doura aux citernes d'aïn el-Hammam situées à 220 m environ en amont, vers le Nord Nord-ouest 69 . Ces dernières, qui tenaient lieu de castellum aquae, étaient approvisionnées au moyen d'un aqueduc long d'à peu près une dizaine de kilomètres par la source d'aïn el-Hammam qui se situe à 8 km environ à vol d'oiseau au sud-ouest de Dougga, dans le massif montagneux de Fej al Hdoum-Bou khobza 70 Supra,p. 117. 92 Ibid. 93 C'est qu'au fond de cette dépression, qui se trouve aujourd'hui gagnée par l'oliveraie et les labours qui remplissent tout l'espace qui s'étend des citernes et thermes d'aïn ed-Doura jusqu'au temple de Caelestis, on relève les vestiges de structures et constructions antiques qui appartenaient à la belle époque romaine. L'on gagnera certainement à avoir, au moyen d'une prospection systématique et par quelques sondages, une idée précise sur les ruines qui affleurent ça et là au fond de cette dépression et de savoir si celle-ci était traversée, de quelque façon, par la conduite dont nous parlons ici. Voir Saint-Amans, 2004, p. 221 ;Poinssot, 1961, p. 257-260. ayant certainement à desservir plusieurs monuments publics et, peut-être aussi, quelques maisons de riches thuggenses, elle ait été vraisemblablement constituée dès lors de tubes de plomb (Fig. 20-a) 94 , de terre cuite ( Fig. 20-b) 95 ou de ces "tuyaux en pierres" formés par l'assemblage linéaire de pierres taillées, soigneusement évidées en guise de conduit cylindrique (Fig. 20-c) 96 , soit donc l'une ou l'autre de ces suppositions, l'on comprendra que ce n'est pas facile, dans l'état actuel de la mise en valeur du site et notamment avec ce que la ville avait enduré depuis qu'elle était tombée en ruine, de pouvoir poursuivre le parcours de la conduite et apporter une réponse archéologique satisfaisante à la relation qui, selon toute vraisemblance, devait exister entre les citernes d'aïn el-Hammam et celle d'aïn ed-Doura. 94 Au cours des divers travaux de mise en valeur du site entrepris ces dernières années par les services archéologiques, on a découvert dans plusieurs maisons de la ville antique, encastrés dans les murs de celles-ci ou discrètement placés sous les pavements qui revêtaient leurs sols, des tubes en plomb qui les desservaient en eau publique. On comprendra que, du fait de la valeur du matériau dont ils étaient fabriqués, les tubes qui assuraient la liaison dans la rue entre les édifices et le réseau édilitaire, ne pouvaient résister à la cupidité des profiteurs des antiquités. Aussi, n'est-il pas étonnant de ne pas pouvoir les retrouver. 95 Outre les nombreux fragments de ces tubes que l'on rencontre épars parmi les ruines de l'ancienne ville, de belles pièces en sont conservées aujourd'hui dans les réserves du site. 96 Carton, 1896, p. 561. De nombreuses pierres ainsi faites se rencontrent encore un peu partout à travers les ruines de la ville, soit isolées de leur contexte, soit, le plus souvent, se tenant verticalement ou horizontalement au pied d'une paroi, les unes ayant fait partie d'une gouttière, les autres ayant appartenu à un caniveau, à un conduit ou à un dispositif analogue. Par ailleurs, de telles pierres se rencontrent en assez grand nombre dans la plupart des cités antiques de Tunisie. Leur rapport avec l'eau est plus que probable ; on en faisait usage même dans la construction des ponts-aqueduc disposés en siphon renversé tel que cela est attesté, par exemple, pour le pont-siphon de l'oued el-Maleh appartenant à l'aqueduc d'aïn el-Hammam (Au sujet de ce pont-aqueduc, voir en dernier lieu Baklouti, 2008b, p. 160 fig. 16a, 161 n. 98, et 162 fig. 16b-d).

Figure 20

Figure 16

Figs. 20 a-c. Éléments de conduits destinés à la distribution de l'eau à l'intérieur de la ville de Thugga : a : en plomb ; b : en terre cuite ; c : en pierre taillée évidée. (Ph. de l'auteur).

-Reste la considération d'ordre historique. Celle-ci est essentiellement nourrie par la relation contemporanéité entre, d'un côté, la construction de l'ensemble aqueduc citernes d'aïn el-Hammam, et, d'un autre côté, la construction de l'ensemble citernes-thermes d'aïn ed-Doura. Car on sait combien la relation est généralement étroite entre la construction des aqueducs et celle des thermes 97 : on ne construisait pas de thermes de l'envergure de ceux, à Dougga, d'aïn ed-Doura, si l'on n'avait pas les moyens de leur assurer une alimentation en eau pérenne et abondante 98 . On sait que le couple aqueduc-thermes constitue, par excellence, dans le domaine de l'urbanisme africo-romain, le symbole emblématique de la romanité 99 . Aussi, cette argumentation d'ordre historique doit-elle être tenue en bonne considération. C'est ce dont traite la troisième et dernière partie de la présente étude, partie que nous consacrons à la datation de la construction de notre réservoir et à l'histoire qu'il avait parcourue. Pour l'instant, voyons quels sont les structures et espaces qui entouraient immédiatement notre monument et qui nous sont révélés par la fouille.

II. STRUCTURES ET ESPACES ANTIQUES LIMITROPHES

Comme nous l'avons indiqué au début de la présente étude, le programme que nous avons établi pour les travaux de la deuxième campagne de fouille a porté sur la mise au jour des structures et espaces qui délimitaient l'édifice hydraulique au niveau de ses côtés nord, est et ouest. Pour cela, nous avons ouvert respectivement deux tranchées et un sondage dans l'épaisse couche de remblais qui flanque les trois côtés susmentionnés 100 .

II.1. Deux rues dallées limitaient au Nord et à l'Ouest le réservoir

Une tranchée de 2 m de large, que nous avons ouverte tout au long de la paroi externe du mur périmétral nord du monument dans l'épaisse couche de remblais charriés et terrassés qui occupe de ce côté-là le secteur septentrional du champ de fouille (Fig. 3, I. J), et un sondage de 2,5 m de long (Est-Ouest) sur 2 m de large que nous avons effectué dans les remblais qui se sont accumulés au fil des siècles au pied de la paroi externe de son mur périmétral occidental (Fig. 3, L), ont abouti à la découverte, de part et d'autre, de deux rues dallées en bonne et due forme, que nous appellerons respectivement R1 et R2.

II.1.1. Le dallage de la rue septentrionale (R1)

Orienté Sud Sud-est/Nord Nord-ouest, le dallage de R1 (Fig. 14, R1) est composé de grandes dalles taillées dans le calcaire local, qui ne présentent pratiquement aucune différence avec celles dont sont pavées presque toutes les rues de la ville antique (Fig. 21) 101 . D'aspect généralement lisse, leur surface est toutefois piquetée de points qu'on dirait faits au poinçon, afin de parer au risque de glissement. Les dimensions limitées de la tranchée que nous avons ouverte n'ont pas permis de mesurer la largeur de cette rue ; elle devait se situer, comme pour la plupart 97 Pour la datation de la construction de l'aqueduc de Zaghouan-Carthage par exemple, l'on se réfère encore à la date indiquée par l'inscription qui consacre l'achèvement des travaux de construction des thermes d'Antonin, soit le milieu du II e siècle ap. J.-C. Voir à ce propos Rakob, 1974, p. 41-89. 98 Cela ne veut absolument pas dire que tous les thermes publics, sans exception, nécessitaient une adduction d'eau à partir d'une source pérenne. Généralement, les petits thermes, ceux consacrés à un certain quartier de la ville, voire même aux habitants d'une certaine insula, tels les thermes des cyclopes à Dougga par exemple, se contentaient d'une alimentation en eau à partir d'un réservoir à régime pluvial. Voir , p. 56-7. 99 Voir Fabre et alii, 2009Baklouti, 2008b, p. Poinssot, 1958, p. 19. des rues de la ville, aux environs de quatre ou cinq mètres au maximum et devait s'étendre, d'Est en Ouest, sur la partie méridionale du palier de 13 m de large qui vient juste au-dessus de celui au sein duquel est ménagé le monument hydraulique (Fig. 23). On doit par ailleurs relever, dans la partie orientale de la tranchée qui a permis la découverte de cette rue, un pan de mur tardif qui s'installe, d'Est en Ouest, à même le dallage de celle-ci. Large de 0,55 m et conservé jusqu'à 1 m environ d'élévation et 1,70 m de longueur, il est construit en guise d'opus africanum où les pierres sont liées avec un mortier de terre. On y reviendra dans la partie consacrée ci-dessous à l'histoire du monument 102 .

Figure 14

Plan d'ensemble du monument à son état initial. (Relevé de l'auteur ; Dess. M. Témim ; Infographie T. Sassi)

Figure 21

Rue dallée (R1) limitant le monument au Nord. Vue vers l'Ouest. (Ph. de l'auteur, oct. 1998) Rue dallée (R2) limitant le monument hydraulique à l'Ouest. (Ph.de l'auteur, Profil schématique représentant les quatre paliers topographiques (P1, P2, P3, P4) aménagés pour la construction des citernes d'aïn ed-Doura. (relevé de l'auteur/infographie T. Sassi)

II.1.2. Le dallage de la rue occidentale (R2)

Le sondage qui a abouti à la découverte de R2 et que l'on appellera S3 (Fig. 14, R2 = S3), a nécessité le dégagement d'une grosse couche de remblais, de près de deux mètres d'épaisseur, où l'on a relevé, notamment dans la moitié est du sondage, une forte concentration de moellons mêlés à des morceaux de mortier de tuileau, de chaux, de maçonnerie de blocage et des fragments de tubes de coffrage. La texture de la terre qui constitue ces remblais et le matériel archéologique recueilli en son sein, dont notamment le matériel céramique, permettent cependant d'y distinguer deux niveaux : un niveau supérieur de 0,90 m d'épaisseur, relevant de la période islamique moderne 103 , et un niveau inférieur, de 0,70 m d'épaisseur, datant de l'Antiquité 104 . Entre les deux niveaux s'interpose une petite couche d'une dizaine de centimètres d'épaisseur relativement dépourvue de pierraille et de matériel céramique datable 105 (couche d'abandon ?).

Le dallage de R2 est constitué de grandes dalles semblables à celles du dallage de R1, avec une légère orientation vers le Sud-ouest (Fig. 22). Et comme pour R1, les dimensions limitées du sondage et surtout le caractère privé du terrain dans lequel nous avons effectué celui-ci, nous ont empêché de mesurer la largeur de cette rue et de s'assurer de l'existence, fort probable, d'un égout d'évacuation des eaux en son sein.

Figure 22

Vu la dénivellation de près de cinq mètres qui sépare le palier auquel appartient R1 de celui, juste en contrebas, auquel appartient R2 (Fig. 23), il est fort probable que s'il y avait une communication entre les deux rues, celle-ci devait être assurée par un escalier qui devait se situer à leur intersection, au niveau de l'angle nord-ouest du réservoir. Là, un gros cactus profondément enraciné dans une grosse couche de remblai sur un terrain qui relevait, à la date du déroulement de nos travaux de fouille, du domaine privé, nous a empêché d'y voir plus clair.

II.2. Un bassin-fontaine et un espace pavé en petit appareil limitaient le réservoir à l'Est.

Les travaux qui ont concerné le dégagement de l'épaisse couche archéologique d'occupation moderne au niveau de l'angle nord-est de l'édifice hydraulique (jusqu'à 2,50 m environ de profondeur) et l'ouverture d'une tranchée, large de deux mètres et demi, le long du mur périmétral oriental de celui-ci, au pied de sa paroi externe (Fig. 3, K, M), ont permis de découvrir un petit bassin-fontaine donnant, au Sud, sur un espace pavé en petit appareil (Fig. 14). 103 Cette période est attestée, au sein de cette couche, par de la céramique islamique émaillée de type el-Qallaline, mêlée, outre à de la poterie commune en grand nombre, à un tas de céramiques appartenant, dans le désordre, à toutes les périodes qu'avait connues l'antiquité tunisienne (de la vernissée noire jusqu'à la sigillée africaine, en passant par l'arétine et la paroi fine). Il s'agit probablement d'un remblai que l'on avait accumulé lors des travaux d'épierrement, de terrassement et de nivellement qui ont concerné, entre autres secteurs, le terrain qui, couvrant une superficie de plusieurs milliers de mètres carrés, s'étend grosso modo entre le complexe thermal d'aïn ed-Doura et le sanctuaire de Caelestis, et qui se trouve aujourd'hui aménagé en oliveraie. Ces travaux ont été effectués aux dépens des ruines encore visibles dans ce secteur de l'ancienne ville et les données fournies par l'étude du matériel céramique permettent de les attribuer aux premières générations des émigrants Ouesseltiya (deuxième moitié XVIII e -première moitié XIX e siècles). 104 En effet, et jusqu'à l'apparition du dallage de la rue, aucune présence de céramique islamique émaillée n'est attestée au sein de cette couche. On n'y relève que de la céramique antique où prédomine la sigillée africaine tardive, mêlée, toujours au sein d'une forte concentration de moellons, de morceaux de mortier de tuileau, de mortier de chaux et de blocage, à de la poterie commune. Il s'agit manifestement ici d'une couche de remblais qui a suivi de peu, dans l'Antiquité, la date d'abandon du monument hydraulique et sa tombée progressive en ruine. En témoignent surtout les morceaux de mortier de tuileau et de blocage et le caractère relativement homogène de la pierraille constituée notamment de moellons équarris identiques à ceux employés dans le revêtement des parois de l'édifice hydraulique et qui sont encore en place.

II.2.1. Le bassin-fontaine

Bien que sensiblement affecté par les fondations des structures murales appartenant à la couche archéologique d'occupation moderne que nous avons décrite ci-dessus 106 , le bassinfontaine mis au jour par la fouille est encore relativement en assez bon état de conservation. Orienté vers le Sud et adossé, au niveau de son angle nord-ouest, aux blocs de pierre qui font partie de la chaîne d'angle nord-est des citernes, il occupe une aire de 12 m 2 environ. Il est constitué d'un bassin semi-circulaire, de 4 m de diamètre (mesure prise de l'extérieur), auquel est accolé, au Nord, en bordure de la voie dallée R1, un petit "réservoir" rectangulaire dont la longueur est égale au diamètre du bassin et la largeur est de 0,77 m (Figs. 11,14 et 24). Ayant intérieurement 1,10m de rayon, le bassin est ceint d'un muret qui n'est conservé qu'à une trentaine de centimètres de hauteur et qui est construit de petits moellons disposés en assises dont, la première, celle qui constitue la base, déborde de 0,20 m par rapport à celles qui viennent au-dessus. Aucune trace n'a subsisté du matériau qui revêtait son sol et ses parois. Un petit sondage que l'on appellera S4 et que nous avons pratiqué dans le remplissage qui constitue son fond, a permis de distinguer, de haut en bas, les trois couches suivantes : Étant contenus dans une couche bien scellée, les tessons de céramique datable les plus récents qui ont été recueillis dans le sondage appartiennent à la première moitié du III e siècle 107 . Aussi, la construction de ce bassin-fontaine daterait-elle de cette période.

Du "réservoir" accolé au bassin, ne subsiste que le sol qui est pavé en opus signinum, soigneusement lissé à sa surface. Deux blocs de pierre superposés, appartenant a la chaine d'angle nord-est des citernes, formaient son côté ouest. Au Sud, il paraît n'avoir été limité que par le mur diamétral du bassin. Au Nord et à l'Est, des rainures creusées dans le sol ainsi que, verticalement, dans la paroi des deux blocs de pierre susmentionnés, laissent penser qu'il était fermé, de ces deux côtés au moins, par des dalles calcaires de 0,12 cm d'épaisseur, disposées en balustrades. Ainsi, étant vraisemblablement dépourvu de couverture, ce "réservoir" devait peut-être avoir servi, lui aussi, de bassin et l'on se trouverait ainsi en présence d'un dispositif qui serait constitué, en fait, de deux petits vaisseaux accolés, l'un, de forme rectangulaire, donnant directement, au Nord, sur R1, l'autre, de forme semi-circulaire, donnant, au Sud, sur un espace aménagé en pavés.

Disposé légèrement en biais par rapport à l'axe transversal du monumental réservoir auquel il est latéralement adossé, ce petit ouvrage hydraulique ne paraît pas en avoir été d'une construction contemporaine. On verra, dans la partie consacrée à l'histoire du monument, qu'il en était d'une construction un peu postérieure 108 .

II.2.2. L'espace pavé avec du petit appareil

L'espace auquel donnait au Sud le bassin en demi-cercle, est pavé avec de petits moellons bien agencés (pavement de pavés) 109 que la tranchée que nous avons ouverte au pied de la paroi orientale du réservoir a mis au jour sur une longueur de 12,50 m et une largeur de 3 m environ. Cet espace, qu'une végétation exubérante de cactus et d'arbrisseaux nous a empêché de déterminer la fonction (petite rue ou bien petite place publique ?), accuse une pente, du Nord vers le Sud, de 6 cm par mètre (6%) (Figs. 14 et 25). Un sondage de 1,5 m de côté que nous avons effectué dans ce pavement, au pied de la paroi du réservoir, et que l'on appellera S5, a montré que les pavés reposent sur un radier d'une vingtaine de centimètres d'épaisseur, constitué d'un mélange de chaux, de sable et de graviers (Fig. 26). Juste au-dessous, et toujours dans une terre de constitution sableuse, on relève une deuxième couche, de même épaisseur que la précédente, riche en éclats de pierres mêlés à de gros morceaux de chaux vive et à de rares tessons de céramique. Aménagée sur un lit de sable fin de 8 cm dépaisseur, cette couche devait tenir lieu de statumen au pavement. Tout juste après, on atteint le sol vierge constitué de ce même substrat argilo-marneux, de couleur vert jaunâtre, que nous avons rencontré dans S4.

Figure 26

Le matériel archéologique datable que nous avons recueilli dans ce sondage, ne comporte que des tessons de sigillée africaine en nombre relativement réduit. Cela atteste, tout au moins, l'appartenance de cet aménagement à l'époque africo-romaine. Comme dans S4, les tessons les plus récents appartiennent dans l'ensemble à la première moitié du III e siècle, quelques uns débordent cependant de peu le milieu de celui-ci (Pl. II,n° 5) 110 . Ainsi, l'on peut dire grosso modo que l'aménagement de cet espace et la construction du bassin-fontaine ont, tout deux, fait l'objet d'un même programme d'aménagement urbanistique ; l'édification du bassin ayant vraisemblablement devancé de peu l'aménagement de l'espace pavé en petit appareil.

II.3. Structures et espaces limitant le réservoir du côté sud : le sondage S6

Le réservoir d'aïn ed-Doura surplombe majestueusement, au Sud, l'aile occidentale des thermes de même nom, de laquelle il n'est séparé que par un espace libre de 6,5 m de large (Fig. 23). Disposé en sorte de couloir entre le mur sud de celui-ci et le mur périmétral nord de l'aile occidentale des thermes, cet espace a toute l'air, à première vue, d'avoir été aménagé, à l'instar de R1 et R2, en une rue qui aurait donné à l'Ouest sur R2 et à l'Est sur l'espace pavé en petit appareil que nous venons de décrire. Partant de cette présupposition, nous y avons effectué un sondage de 4 m sur 3 m, que l'on appellera S6 (Fig. 27 et 3, N).

Figure 27

Après avoir enlevé la couche superficielle de près d'un mètre, on entame une couche constituée de terre cendrée comprenant, en grand nombre, de petits fragments de charbon et de chaux ainsi qu'un certain nombre de pierres de taille dont trois, bien taillées, présentent des traces de feu. Implantées en triangle, celles-ci évoquent la disposition d'une mançaba (ou zahhafa), foyer rustique bien connu en Tunisie et que l'on attribue généralement à la période islamique 111 . L'appartenance de ce dispositif culinaire à cette période est, en effet, confirmée par la présence dans cette couche de 0,50 m environ d'épaisseur, de tessons de céramique émaillée présentant, sur fond soit totalement jaune verdâtre soit mi-jaune mi-vert olive, un décor simple en vert et brun 112 . Une sorte de sol, épais de 0,07 m environ et aménagé en mortier de chaux à prédominance de sable, marque la fin de cette couche qui représente une phase d'occupation moderne comprise, paraît-il, entre la deuxième moitié du XVIII e et la première moitié du XX e siècle. À une vingtaine de centimètres plus bas, commence à apparaître, du côté de la paroi nord du sondage, le blocage de fondations du mur périmétral méridional du réservoir, blocage constitué essentiellement de grands éclats de pierres noyés dans un bain de mortier de chaux et de sable tellement homogène et compacte qu'on dirait du béton. On entame sans doute ici la tranchée de fondations du mur en question telle que celle-ci se présente de l'extérieur de l'édifice 113 . Une 110 Hayes, 1972, fig. 9, forme 33.5. 111 Mais ce type de foyer est également attesté dans plusieurs villes de l'Antiquité tunisienne, telles que, par exemple, Bulla Regia, pour la période romaine, ou Kerkouane, pour la période punique. Voir Beschaouch et alii, 1977, p. 54-63 ;Fantar, 1985, p. 153-6. 112 Ces tessons sont pratiquement de même type que ceux recueillis dans le premier niveau de la couche d'occupation moderne dans le secteur septentrional du champ de fouille (niveau des fondations des structures murales de la maison Ben Taleb Ali). Voir supra, p. 113. 113 Au niveau de l'élévation du mur dans lequel elle se trouve au sein du sondage, il est évident que cette tranchée ne peut exister, d'ailleurs, que de l'extérieur de celui-ci car l'on comprend que, du côté de sa paroi interne, le mur arase qu'on a mise au jour dans la paroi du mur, à une trentaine de centimètres au dessus du niveau d'apparition de la tranchée, devait certainement servir d'assise de réglage 114 . Le caractère vigoureux et massif du blocage de fondations se justifie, rappelons-le, d'une part par la nature argilo-marneuse du terrain dans lequel sont implantées les substructions des structures murales du monument hydraulique et, d'autre part, par la pression exercée par la masse d'eau retenue par l'édifice hydraulique et qui devait être de ce côté-là (côté aval), particulièrement, la plus forte.

Dans le reste du sondage, au-dessous du sol susmentionné, nous continuons à vider une couche constituée de terre légère, de couleur beige, qui descend, en biais, jusqu'à 3 m de profondeur où l'on atteint -occupant toute la surface du fond du sondage -le blocage de fondation du mur méridional du réservoir. Sa texture, la forme en cul de sac que son profil dessine sur les parois du sondage et le caractère hétérogène du matériel qui y a été relevé 115 , donnent à la terre dont est constituée cette couche l'aspect d'un remplissage qui aurait été utilisée pour combler une descend, on l'a vu, jusqu'à plus de six mètres de profondeur avant d'entamer ses fondations. 114 Sachant que l'on n'aura désormais affaire qu'à la couche dure et compacte du blocage de fondations, nous avons décidé d'arrêter ce sondage à la profondeur indiquée ci-dessus. Le sol antique contemporain de la période pendant laquelle les citernes étaient en fonctionnement a été, selon toute vraisemblance, irréversiblement affecté par la phase d'occupation relevant de la période islamique.

III. L'HISTOIRE DU MONUMENT

III.1. Le sondage S7 et la datation de la construction du monument

Parmi les sondages que nous avons entrepris, il en est un par lequel nous avons particulièrement cherché à dater la construction des citernes d'aïn ed-Doura : c'est un sondage que nous avons effectué dans le dallage de R1 au pied de la paroi extérieure du mur périmétral nord de l'édifice hydraulique. Nous l'appellerons S7 (Fig. 28 a-b).

Figure 28

Cette arase est formée de blocs taillés de 0,23 m d'hauteur et, en moyenne, 0,60 m de longueur. 115 Le matériel relevé dans cette couche est constitué de pierraille (moellons plus ou moins équarris et blocs taillés), de petits fragments de charbon et de chaux, d'os d'animaux, d'un élément de meule et de fragments de vases en poterie commune modelée et tournée (brasero, marmites, passoires, cruchons, jarres, etc.) mêlés, en désordre, à des tessons de céramique antique (vernissée noire, arétine, sigillée africaine) et islamique émaillée appartenant au Haut Moyen Âge tunisien.Fig. 27. Les citernes d'aïn ed-Doura à Dougga : sondage S6. (Relevé de l'auteur ; dess M. Temim)fosse que l'on a vraisemblablement creusée pendant une période qui se situerait, d'après l'étude du matériel céramique qui y est recueillie 116 , entre le XVII e -XVIII e et le XIX e siècle 117 . Le creusement de cette fosse s'était fait aux dépens de la tranchée de fondations du mur méridional du réservoir et, peut-être aussi, aux dépens d'un pavement de pierre qui aurait revêtu le sol antique de ce côtélà et auquel appartenaient vraisemblablement quelques pierres ménagées en dalles que nous avons relevées au sein du sondage. La fosse aurait été vraisemblablement comblée ultérieurement par les installateurs du foyer rustique attesté par la couche archéologique supérieure.

Ce sondage a concerné une petite aire, de deux mètres carrés environ (1,45 x 1,25 m), couverte par six dalles que nous avons numérotées pour les remettre à leurs places après les avoir enlevées. Deux couches, totalisant une soixantaine de centimètres d'épaisseur, ont été révélées par le sondage avant d'atteindre le sol vierge constitué du même substratum argilo-marneux que nous avons rencontré dans S4 et S5 118 . Elles se présentent comme suit :

-une couche supérieure, de près d'un demi-mètre d'épaisseur (0,47 m), est constituée d'une terre chargée de cailloutis 119 et de sable, avec la présence, en très faible proportion, de nodules de chaux et de petits morceaux de charbon. Il s'agit fort probablement d'une couche de substruction servant de statumen aux dalles du dallage de la rue.

-une couche inférieure, d'une quinzaine de centimètres d'épaisseur, est formée de terre de couleur plutôt brune claire dans laquelle on relève la présence, en assez forte densité, de petits morceaux de chaux et de charbon, avec la présence de tuileaux en faible proportion. Ces matériaux peuvent être des composants d'un résidu de mortier qui avait servi de liant et/ ou de revêtement à la structure murale qui forme le côté sud du sondage et qui fait partie du mur périmétral septentrional du réservoir. Cela est d'autant plus vraisemblable que l'on se trouve ici au pied de la paroi externe de ce mur. Il est important de noter, à l'occasion, qu'à seulement une quinzaine de centimètres au-dessous des dalles que nous avons enlevées, celui-ci marque un retrait de 0,45 m de large par rapport à un soubassement mural qui vient juste au-dessous. En parfaite liaison avec le mur qu'il porte 120 , ce soubassement présente une technique et des matériaux de construction absolument identiques à ceux employés dans le reste des structures murales de l'édifice. Comme nous pouvons le constater à partir du relevé représenté par fig. 28 b, coupe BB, les dalles qui délimitent le sondage de ce côtélà -comme d'ailleurs toutes les dalles qui se situent à la limite sud de la rue R1-reposent, par leurs bordures méridionales, directement sur la face supérieure du soubassement marquée par le retrait et viennent s'insèrer juste au-dessous de la couche de mortier de tuileau qui revêtait la paroi externe du mur porté par lui. La partie de la paroi du mur supérieur occupée par l'épaisseur des dalles, une bande de 0,20 m environ de large, n'a jamais été concernée, nous l'avons bien vérifié, par le revêtement 121 . Doit on conclure que l'aménagement du dallage de la rue R1 et la construction du mur dont nous parlons et, de là, celle de tout l'édifice hydraulique, sont contemporains l'un à l'autre et conçus d'un seul trait dans le cadre d'un vaste programme d'aménagement urbain qui aurait concerné tout le secteur périphérique sud-ouest de la ville de Thugga ? 122 Ce n'est pas osé que de le penser ; l'étude 120 Ce mur, de 1 m d'épaisseur environ, constituait, avec près de 3 m de hauteur à partir du niveau du sol antique marqué par le dallage de R1, la façade septentrionale des citernes d'aïn ed-Doura. 121 En effet, les moellons soigneusement équarris qui en constituent le parement au niveau de cette bande ne portent aucune trace de mortier de tuileau ni d'aucun autre type d'enduit. 122 Ce programme, qui avait concerné la construction de l'aqueduc et des citernes d'aïn el-Hammam, avait fort probablement concerné aussi la construction des thermes d'aïn ed-Doura. Ce n'était vraisemblablement qu'à partir de la réalisation de ce programme, dans le dernier quart du II e siècle ap. J.-C., que le secteur périphérique sud-ouest de la ville avait commencé à être gagné par l'urbanisme. Au sujet de l'évolution urbaine de la cité de Thugga, voir Khanoussi, 2003. de la céramique nous a bien apporté un éclairage là-dessus. En effet, le matériel céramique datable recueilli dans S7 et qui est constitué exclusivement de sigillée africaine (neuf tessons de formes variées) (Pl. II,(1)(2)(3)(4)(5)(6)(7)(8)(9), se situe dans une fourchette chronologique qui va du milieu du II e au début du III e siècle. Aussi, et jusqu'à preuve du contraire, est-il convenable de placer les travaux d'aménagement urbain de ce secteur de la ville dans les limites de cette période. Cette datation est d'autant plus opportune qu'elle doit être mise en parallèle avec des faits politiques et urbanistiques bien remarquables qu'avait connus la cité de Thugga dans la deuxième moitié du II e siècle.

En 168, on le sait, Marc Aurèle honore les Thuggenses de la civitas par l'octroi du droit latin. Ce fait, bien mémorable, traduit sans aucun doute le grand rapprochement sociopolitique entre les deux communautés dont était alors composée, depuis Auguste au moins, la ville de Thugga : le pagus et la civitas 123 . Mais, d'un autre côté, il devait certainement inciter les autorités de la civitas 124 à aller encore de l'avant dans des réalisations urbanistiques à la romaine pour exprimer davantage leur aspiration à une bien meilleure romanisation et pour que leur cité mérite, par conséquent, d'un bien meilleur traitement juridique de la part de l'Urbs. C'est dans ce contexte que l'on doit placer la réalisation colossale que représentait alors la construction de l'aqueduc d'aïn el-Hammam (par la Civitas Aurelia Thugga), aqueduc qu'une inscription dédicatoire datée des années 184-187 125 en célébrait l'achèvement et en marquait la mise en fonctionnement 126 .

Dans la partie que nous avons consacrée ci-dessus au problème de l'alimentation en eau du réservoir, nous avons bien souligné la relation de cause à effet qui devait essentiellement exister entre la construction de cet aqueduc et celle des thermes d'aïn ed-Doura auxquels notre réservoir devait être organiquement rattaché. En effet, dans sa thèse de doctorat de 3 ème cycle qui traite de l'étude stylistique des mosaïques des thermes d'aïn el-Hammam, Mohamed Bouhlila aboutit à la conclusion que la construction de ces thermes peut être datée de la fin du II e ou, au plus tard, du début du III e siècle 127 . Nous constatons que la datation fournie par le matériel céramique issu du sondage S7 que nous avons effectué, corrobore les résultats auxquels a abouti notre collègue 128 ; elle est également en parfaite concordance avec la date que fournit l'inscription dédicatoire de l'aqueduc. Aussi doit-on aboutir à la conclusion bien évidente que ce qui caractérise la seconde moitié du II e siècle à Thugga, du point de vue infrastructure et parure urbaines, c'était, justement, ce gigantesque programme de réalisations hydrauliques qui frappent par leur nombre, leur monumentalité et leur cohérence et qui avaient suscité, à n'en pas douter, une mobilisation financière énorme de la part des Thuggenses de la Civitas. En effet, outre la construction de l'Aqua Moccolitana 129 et ses dépendances (dont principalement le château d'eau que constituaient les citernes dite d'aïn el-Hammam), ces réalisations avaient certainement concerné la construction du complexe thermal d'aïn ed-Doura dont font partie les citernes qui nous occupent dans la présente étude 130 , constructions entreprises dans un secteur périphérique de la ville, qui, semble-t-il, n'a pas été encore gagné par l'urbanisme 131 .

III.2. Principaux jalons historiques du réservoir

Il n'est pas facile de situer avec précision la date d'abandon des citernes d'aïn ed-Doura. Mais, selon toute logique, la durée de fonctionnement de celles-ci devrait être liée à celle des thermes qu'elles desservaient. Et il ressort de l'étude de Mohamed Bouhlila que la date d'abandon de ceux-ci se situerait au début du V e siècle, et ce, après qu'ils eussent connu des travaux "d'embellissement" pendant l'éphémère renaissance valentinienne (dernier quart du IV e siècle) 132 . On sait, par ailleurs, que dès cette époque qui était principalement marquée par l'invasion vandale et pendant laquelle presque toutes les cités d'Afrique romaine étaient gagnées par les troubles, l'insécurité et la faiblesse du pouvoir central, la ville de Thugga commença à être désertée par la fleur de sa population parmi les plus riches et les plus entreprenants 133 . « L'on a commencé, en effet », écrit M. Khanoussi « à vivre la période de ce que l'on pourrait appeler la ruralisation des cités antiques du nord-ouest du pays. Ce phénomène… s'est caractérisé par la transformation progressive des villes en de simples bourgs ruraux avant de devenir pour de longs siècles de pauvres hameaux ou d'être purement et simplement désertées » 134 .

Mais, durant les deux siècles qu'elles ont vécus, ces citernes devaient certainement connaître, à l'instar des thermes auxquels elles étaient rattachées, de nombreux travaux d'entretien et de restauration 135 . L'état de ruine dans lequel elles se trouvent aujourd'hui ne nous permet pas de nous étendre là-dessus. Mais nous savons qu'après la phase d'abandon qu'elles avaient connue, leur état de délabrement le plus avancé date, en fait, d'une période relativement récente. En effet, les deux sondages que nous y avons effectués, S1 et S2, montrent que l'effondrement de leurs voûtes date plutôt d'une période islamique relativement tardive et que, jusqu'à plus de 5,5 m de profondeur, alors qu'on n'est à moins d'un mètre de leur sol, on continue à recueillir de la céramique émaillée de type el-Qallaline (postérieure au XVI e siècle) 136 . C'est dire que, pendant le Haut Moyen Âge -période qui est bien attestée par le matériel céramique que nous a fourni notamment le sondage S6 (céramique aghlabide-fatimide) 137 -, notre bâtiment, bien qu'abandonné, se trouvait encore, pour l'essentiel, en très bon état de conservation, exception faite de sa partie postérieure constituée par le bassin d'arrivée d'eau qui a certainement souffert de quelques empiètements.

En effet, le pavement en mosaïque du sol de celui-ci, la forme en demi-cercle que présente, de l'intérieur, son côté oriental et la porte ménagée dans le mur formant son côté septentrional 138 dateraient, on l'a vu, d'une phase d'occupation postérieure alors que le réservoir a probablement cessé d'assurer sa fonction en tant que monument d'eau desservant les thermes situés en contrebas. Et si, faute de données archéologiques suffisantes, nous ne sommes pas en mesure de déterminer exactement le nouvel usage que l'on a fait de ce compartiment (chapelle ?), nous sommes cependant tentés d'attribuer cette phase d'occupation aux V e -VII e siècles.

Il en est de même, par ailleurs, pour le pan de mur construit en opus africanum que nous avons relevé dans la partie orientale du bassin 139 , flanquant, de l'extérieur, le mur septentrional de celui-ci. Ce mur, dont les éléments étaient cimentés avec un mortier de terre, s'installe, lui aussi, sur le dallage de R1 et paraît avoir appartenu à une construction encore plus tardive (VII e -VIII e siècle ?) qui a pris en compte et le bassin d'arrivée de l'eau (du réservoir) et le petit bassin-fontaine.