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Comment Deleuze conduit à Dostoïevski par Chestov et ce qui s'ensuit comme scolie.

Dostoïevski transcendental Comment Deleuze conduit à Dostoïevski par Chestov Deleuze a rappelé plusieurs fois que selon Chestov la véritable Critique de la Raison pure se trouve dans Le Souterrain de Dostoïevski. Cependant la véritable Critique de la Raison pure, c’est peu. Car dans Le Souterrain nous lisons une explication de la modalité d’impossibilité : Impossibilité ! donc muraille de pierre. Mais quelle est cette muraille ? Ce sont les lois naturelles, évidemment, les résultats des sciences exactes, les mathématiques. Si l’on vous démontre, par exemple, que vous descendez du singe, inutile de faire la grimace ! vous devez l’accepter. Si l’on vous prouve qu’une seule goutte de votre propre graisse doit vous être plus chère que cent mille de vos semblables, et que c’est à cela qu’aboutissent toutes les vertus, toutes les obligations et autres fantaisies et préjugés, il n’y a rien à faire, vous devez l’accepter, car deux fois deux font quatre, c’est du ressort des mathématiques. Essayez un peu de discuter ! Suit une protestation plaintive : « Mais que m’importent, mon Dieu ! les lois de la nature et l’arithmétique, si, pour une raison ou pour une autre, ces lois et ce ‘deux fois deux : quatre’ ne me plaisent pas ». Cette protestation est habituellement comprise comme déclaration d’irrationalisme. Descartes pensait qu’un athée ne saurait être géomètre parce que dans « 2 + 2 = 4 » l’évidence même demande la garantie de la bonté divine ; Dostoïevski déclare que « 2 2 = 4 » ne lui plait pas. C’est le passage de l’idiot comme simple particulier pensant à l’idiot comme simple d’esprit Différence & Répétition, pp.60-61.. Toutefois dans Le Souterrain de Dostoïevski l’explication de la modalité d’impossibilité vient après une énumération des termes transcendentaux. Dans un relevé à l’envers le Beau, le Bien, et le Vrai ont été passés en revue pour finir par l’Existence, alors que Kant est confiné aux transcendentaux des fresques de Raphaël au Vatican. Or cette précession des transcendentaux en totalité sur les modalités change tout. Si Dostoïevski s’était contenté d’invoquer les résultats des sciences exactes, i.e. les mathématiques et les lois naturelles de la physique, en y ajoutant même la loi de la jungle où Malthus inspire Darwin, alors nous serions seulement dans la Science unifiée selon W.V.O. Quine où, de fonction de délégation en fonction de délégation, comme l’a souligné Denis Vernant, il n’est finalement question que de l’ensemble vide = . Mais ce n’est pas ce que nous dit Dostoïevski. Son « deux fois deux font quatre » est la partie pour le tout d’un calcul où « une seule goutte de votre propre graisse doit vous être plus chère que cent mille de vos semblables ». Et ici Dostoïevski surenchérit doublement sur un apophtegme classique de Hume : « It is not contrary to reason to prefer the destruction of the whole world to the scratching of my finger ». D’abord il est passé de cent mille semblables au monde entier. Mais surtout il est arrivé invalidement à « Il est impliqué par la raison de préférer une seule goutte de ma graisse à cent mille de mes semblables ». Mais depuis, en 1926, est paru l’article « La Vérité et la Probabilité » de F.P. Ramsey qui offre une alternative comme la suivante : Soit une tasse de thé, une tasse de café, un verre de vodka, ainsi classés par ordre de préférence décroissant. Alors, entre une tasse de café et un mug où il y a une chance sur deux de trouver de trouver de la vodka et une chance sur deux de trouver du thé, où va ton choix ? La cible véritable de Dostoïevski n’est donc pas la science unifiée de Quine augmentée d’une caricature d’utilitarisme. C’est la philosophie analytique en totalité, apte à sa prononcer sur la constellation des transcendentaux en entier.