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Métrodore de Lampsaque

2005, in R. Goulet (ed.), Dictionnaire des Philosophes Antiques, vol. IV, París, CNRS, 2005, p. 508-514

Recorrido crítico por la figura y la obra del filósofo griego Metrodoro de Lámpsaco, discípulo de Anaxágoras, mitógrafo alegorista de Homero. Esquema del capítulo: Fragmentos. Bibliografía. Datos biográficos. Obra y doctrina. ¿Metrodoro como el autor del papiro de Derveni?

DICTIONNAIRE DES PHILOSOPHES ANTIQUES CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE DICTIONNAIRE DES PHILOSOPHES ANTIQUES publié sous la direction de RICHARD GOULET Chercheur au C. N. R. S. IV de Labeo à Ovidius C. N. R. S. ÉDITIONS 15, rue Malebranche, 75005 PARIS 2005 © CNRS Éditions, Paris, 2005 ISBN 2-271-06386-8 508 MÉTRODORE DE CHIOS M 149 « I democritei e l’antiscetticismo di Epicuro (Ratae sententiae XXIII-XXIV). La storia della filosofia come sapere critico », dans Studi in onore di Mario dal Pra, Milano 1984, p. 106-121 ; 22 A. Lebedev, « FÊsiw talanteÊousa. Neglected fragments of Democritus and Metrodorus of Chios, II », dans Proceedings of the First international Congress on Democritus, Xanthi 6-9 October 1983, II. Pref. by L. G. Benakis, Xanthi 1984, p. 13-18. 23 A. J. Carriker, « Some uses of Aristocles and Numenius in Eusebius’ Praeparatio Evangelica », JThS 47, 1996, p. 543-549 ; 21 J.A. Palmer, « A new “testimonium” on Diogenes of Apollonia, with remarks on Melissus’ cosmology », CQ 51, 2001, p. 7-17. RICHARD GOULET. 150 MÉTRODORE DE CYZIQUE RE 19 Ia Académicien inconnu, disciple de Métrodore de Stratonicée (➳M 155. Philod., Acad. hist., col. XXXVI 8-12). Cf. T. Dorandi (édit.), Filodemo : Platone e l’Academia, p. 82. Cf. K. von Fritz, art. « Metrodoros » 19, RE XV 2, 1932, col. 1480. TIZIANO DORANDI. 151 MÉTRODORE DE LAMPSAQUE RE 15 VI/V a Présocratique, disciple d’Anaxagore. Mythographe allégoriste d’Homère. Fragments. 1 DK 61, t. II, p. 49-50, test. 1-6 (il est absent dans 2 R. L. Fowler [édit.], Early Greek mythography, t. I : Texts, Oxford 2000, XLVIII -459 p., qui se borne aux textes des mythographes qui avaient été déjà rassemblés par 3 F. Jacoby, FGrHist, t. I A: Genealogie und Mythographie, Vorrede, Text, Addenda, Konkordanz, Leiden 19572 ; réimpr. 1968). Cf. 4 W. Nestle, « Metrodors Mythendeutung », Philologus 66, 1907, p. 5035 1 0 ; 5 I d . , art. « Metrodoros » 15, R E XV 2, 1932, col. 1476-1477 ; 6 F. Buffière, Les mythes d’Homère et la pensée grecque, Paris 1956, p. 125132 ; 7 N. J. Richardson, « Homeric professors in the age of the Sophists », PCPhS 21, 1975, p. 65-81, notamment p. 68-70 ; 8 R. Janko, « The physicist as hierophant : Aristophanes, Socrates ant the autorship of the Derveni Papyrus », ZPE 118, 1997, p. 61-94, notamment p. 76-79 ; 9 J. Hammerstaedt, « Die Homerallegorese des älteren Metrodor von Lampsakos », ZPE 121, 1998, p. 2832. Données biographiques. Le témoignage le plus ancien sur le mythographe Métrodore de Lampsaque (Nä…ƒ∫{›ƒ∑» π M`¥‹`≤äµ∫») apparaît chez Platon, Ion 530 c (= DK 1), où le rapsode Ion (➳I 18) déclare à Socrate être lui-même celui qui a exprimé les pensées ({§`µ∑ß`§) les plus belles sur Homère, l’emportant à ce sujet sur Métrodore de Lampsaque, ainsi que sur Stésimbrote de Thasos (un rapsode du V e siècle av. J.-C.) ou Glaucon (Glaucon de Rhégium, de la fin du Ve siècle, auteur d’un traité Sur les poètes et les musiciens anciens mentionné par Aristote, Poétique 1461 b ? ou bien plutôt celui de Téos, mentionné aussi par Aristote, Rhétorique 1403 b 26 ? cf. Janko 8, p. 76). Diogène Laërce II 11 (= DK 2), qui suit Favorinus, Histoire variée, fr. 61 Barigazzi, confirme la patrie de notre Métrodore (Lampsaque, sur les bords de l’Hellespont) et il ajoute un M 151 MÉTRODORE DE LAMPSAQUE 509 renseignement important : il fut disciple (zµ‡ƒ§¥∑») d’Anaxagore de Clazomènes (fl. 462 ? ; ➳A 158, p. 184). Le témoignage déclare aussi que Métrodore de Lampsaque aurait développé une interprétation de la poésie d’Homère selon laquelle celle-ci traite de vertu et de justice (a√∑Ÿçµ`«¢`§ |≠µ`§ √|ƒ® aƒ|…ï» ≤`® {§≤`§∑«Õµä»), une interprétation qu’Anaxagore aurait été le premier à soutenir : c’est Métrodore qui, à son tour, se serait intéressé le premier à la façon dont le poète traite de la nature (√ƒË…∑µ «√∑ {c«`§ …∑◊ √∑§ä…∑◊ √|ƒ® …éµ Ÿ «§≤éµ √ƒ`z¥`…|ß`µ). En réalité, ce fut un autre présocratique plus ancien, Théagène de Rhégium (fl. ca 525 a), qui le premier trouva une méthode allégorique pour interpréter les mythes, y voyant l’expression de forces de la nature : la bataille des dieux, telle qu’Homère la décrit, était en réalité à ses yeux la bataille cosmique des éléments et des qualités fondamentales du monde contre leurs opposés – le feu contre l’eau, le froid contre le chaud, le léger contre le lourd – (cf. les très maigres témoignages qui nous en sont parvenus rassemblés dans DK 8, t. I, p. 51 sq. ; Buffière 6, p. 101-105). Par ailleurs, comme le remarque 10 R. Pfeiffer, History of classical scholarship : from the beginnings to the end of the Hellenistic Age, Oxford 1968, réimpr. 1971, p. 35 n. 3, le fait qu’Anaxagore ait été le premier à soutenir que la poésie d’Homère traitait de la vertu et de la justice veut seulement dire qu’il a inauguré la tendance éthique dans la critique homérique, non pas qu’il a expliqué la poésie d’Homère comme une allégorie morale. Il ne faut pas confondre sa critique avec celle que ses disciples ont pu pratiquer. Janko 8, p. 76, rappelle à ce sujet un passage de Georges le Syncelle, Chronique, p. 174, 25 – 175, 2 Mosshammer (= DK 61, 6), selon lequel « les anaxagoréens interprétaient les dieux des mythes : Zeus comme l’intelligence, Athéna comme la technique, d’où l’expression “si les mains disparaissent, plus de sage Athéna” ». Il voit ici la preuve non seulement du fait que les disciples d’Anaxagore pratiquaient l’allégorie mais aussi du fait qu’ils l’appliquaient également à la poésie orphique, puisque le vers cité est attribué ailleurs, avec une variante dans sa deuxième partie, à Orphée (fr. 347 Kern). Métrodore de Lampsaque, le disciple d’Anaxagore, est souvent appelé « l’ancien » par les critiques, afin d’éviter une confusion avec le disciple d’Épicure [➳M 152] (et de toute évidence avec Métrodore de Chios, le disciple de Démocrite [➳M 149]). On ne possède pas d’autre renseignement concernant sa vie. Buffière 6, p. 126, étant donné qu’une partie de la tradition fait mourir Anaxagore à Lampsaque, lorsqu’il fut accusé d’impiété au début de la guerre du Péloponnèse et banni d’Athènes (➳ A 158, p. 185 sq.), suppose que ce fut Métrodore qui lui ménagea cette retraite dans son pays d’origine jusqu’à sa mort. Œuvre et doctrine. Concernant l’œuvre de Métrodore, il faut tout d’abord analyser le témoignage de Tatien, Discours aux Hellènes 21, 3 (= DK 3), qui est marqué de toute évidence par l’hostilité à l’égard des Grecs païens et de la vision qu’ils offrent de la divinité. Au sujet du traité sur Homère de Métrodore de Lampsaque (on ne peut pas être sûr que l’ouvrage avait eu en fait ce titre R|ƒ® ˆQ¥çƒ∑ ), il émet un jugement fort sévère : d’après lui, Métrodore aurait argumenté dans son ouvrage de façon très absurde, en tournant tout en allégorie (≥ß`µ |À碛» {§|ß≥|≤…`§ √cµ…` |•» a≥≥äz∑ƒß`µ ¥|…cz›µ). À partir des passages rassemblés par DK, on a tiré l’idée que non seulement les dieux mais aussi les héros étaient pour Métrodore allégorisés comme des forces cosmiques, et même qu’il voyait l’Olympe comme une espèce d’organisme, dont chaque organe était représenté par un dieu (cf. infra). Le témoignage 510 MÉTRODORE DE LAMPSAQUE M 151 de Tatien est clair en ce qui concerne l’attribution à Métrodore de l’idée que les dieux étaient des forces de la nature : « Il affirme en effet que ni Héra ni Athéna ni Zeus ne sont réellement ce que supposent les gens qui leur ont consacré des temples et des sanctuaires, mais qu’ils sont des principes de la nature (ŸÕ«|›» {Å Ã√∑«…c«|§») et des arrangements d’éléments («…∑§¤|ß›µ {§`≤∑«¥ç«|§») ». En revanche, on ne peut pas affirmer que tout le développement qui suit concernant les héros se rapporte en propre aux doctrines de Métrodore, comme on l’a fait un peu trop hâtivement à la suite de l’édition de DK (cf. aussi Nestle 4 ; 11 G. Lanata [édit.], Poetica pre-platonica : testimonianze e frammenti, testo, trad. e comm., coll. « Biblioteca di studi superiori » 43, Firenze 1963, p. 244 ; Buffière 6, p. 126 ; Janko 8, p. 77). En fait, ces limites strictes pour le texte concernant Métrodore étaient déjà évidentes pour 12 E. Zeller, Die Philosophie der Griechen, t. I 2 : Allgemeine Einleitung, Vorsokratische Philosophie. Zweite Hälfte, Leipzig 1920 6, réimpr. Hildesheim 1963, p. 1254 n. 4 (cf. aussi 13 B. Hersman, Studies in Greek allegorical interpretation, Chicago 1906, p. 12), et elles ont été reprises récemment par Hammerstaedt 9, p. 30 sqq., pour qui le texte qui suit doit être interprété non pas comme la suite de la référence à Métrodore, mais comme une deductio ad absurdum tirée par Tatien lui-même, comme un commentaire ironique et sarcastique de l’apologiste chrétien qui ne visait pas concrètement Métrodore mais les Grecs païens en général qui n’étaient pas conscients des conséquences ridicules auxquelles leur tendance allégoriste pouvait aboutir. D’après Hammerstaedt 9, le traitement concret que Métrodore donnait des héros, à la différence de son interprétation allégorique des dieux, ne devait pas intéresser ici Tatien, lequel n’en avait probablement même pas connaissance. Le but de l’apologiste était tout simplement de montrer que si on acceptait l’interprétation allégorique de Métrodore selon laquelle les dieux homériques n’étaient que des principes ou des expressions de la nature et des arrangements d’éléments, les hommes homériques, puisqu’ils participaient de la même nature que les dieux, ne devraient pas non plus avoir existé. C’est à cause d’une telle conséquence à ses yeux complètement absurde, puisque les personnages homériques étaient pour lui des figures historiques, que Tatien aurait présenté également comme complètement absurde la caractérisation allégorique des dieux d’Homère proposée par Métrodore. Voici le passage en question de Tatien : « Hector également, et Achille bien sûr, ainsi qu’Agamemnon et en général tous les héros grecs et les barbares avec Hélène et Paris, puisqu’ils sont de la même nature, vous pouvez dire qu’ils ont été introduits par raison d’économie, et non parce qu’aucun des personnages en question a réellement existé ». Que ce développement ne se rapporte pas directement à Métrodore mais qu’il soit bien un raisonnement propre de Tatien semble confirmé, comme le remarque Hammerstaedt 9, p. 30 n. 14, par la phrase finale de l’auteur : « Mais cela nous l’avons avancé seulement aux fins du raisonnement, puisqu’il n’est pas légitime de comparer notre notion de Dieu avec ceux qui se roulent dans la matière et le bourbier ». Hammerstaedt 9, p. 31, considère donc que le passage de Tatien suggère, par le recours à la deductio ad absurdum, que celui-ci n’était pas au courant du fait que Métrodore lui-même avait en fait expliqué de façon allégorique les héros d’Homère, ce dont nous sommes informés par d’autres sources (cf. infra). En M 151 MÉTRODORE DE LAMPSAQUE 511 revanche, en ce qui concerne les dieux, le témoignage de Tatien reste, comme le remarque Hammerstaedt 9, p. 32, le plus important et le plus sûr pour nous. Concernant les héros, Hésychius, Lexicon ` 299, rapporte sur Agamemnon : « Métrodore dit de façon allégorique qu’Agamemnon est l’éther » (= DK 4 = p. 246, 7 Lanata). Ce témoignage semble confirmé et complété par un fragment de Philodème de Gadara, que l’on a supposé appartenir au deuxième livre du traité Sur la poésie de l’épicurien (= PHerc 1676 fr. 2, 20 sqq. + PHerc 1081b fr. 12, 1 sqq. = Tractatus tertius, col. II-III Sbordone). Dans le passage en question, Philodème est en train de critiquer les allégoristes d’Homère tels que Cratès (de Mallos ➳C 203), et il en mentionne aussi d’autres encore pires en comparaison de ceux-là : « Certains vont même jusqu’à délirer ouvertement (Ÿ%`&µ|ƒ%Ë&» ¥`ßµ∑µ…`§), par exemple ceux qui déclarent qu’Homère composa ses deux poèmes comme traitant des parties du cosmos et des lois et des mœurs des hommes (√|ƒß …| ≤∫«¥%∑& … ¥|ƒ&˵ ≤`® √|ƒ%®& µ∫¥%›µ& ≤`%® }&¢§«%¥&˵ …Ë%µ& √`%ƒ&' aµ%¢ƒ‡&√∑%§»&), et qu’Agamemnon était l’éther, Achille, le soleil, Hélène, la terre, Alexandre, l’air, Hector, la lune, et qu’ainsi les autres <héros> ont été nommés analogiquement. Et <ils déclarent que>, parmi les dieux, Déméter était le foie, Dionysos, la rate, Apollon, la bile… ». Même si le nom de Métrodore n’y est pas mentionné, le fait qu’on retrouve dans ce passage l’identification assez bizarre d’Agamemnon avec l’éther qu’Hésychius lui attribue nommément, amène à supposer que notre allégoriste devrait se trouver directement concerné par la critique de Philodème, qui représenterait de la sorte un témoignage très important concernant Métrodore, un témoignage hostile comme celui de Tatien, mais cette fois-ci du côté païen. Qui plus est, on est allé jusqu’à affirmer que cette critique de Philodème sur les allégories les plus extravagantes viserait globalement Métrodore, autrement dit que celui-ci non seulement faisait intervenir les héros dans ses allégories mais qu’il présentait aussi une interprétation allégorique des dieux où ceux-ci représentaient les différents organes du corps humain. Or, comme l’a bien remarqué Hammerstaedt 9, p. 29, cela serait en contradiction avec le témoignage de Tatien, selon lequel Métrodore interprétait les dieux comme des expressions de la nature et des arrangements d’éléments. Il faudrait donc ne pas attribuer ce développement à Métrodore. En revanche, d’après Hammerstaedt 9, on pourrait accepter en général comme appartenant à Métrodore l’interprétation globale des poèmes homériques comme la description des parties du cosmos et des lois et mœurs des hommes dont parle Philodème (cf. supra, le témoignage de Favorinus), ainsi que l’interprétation des héros comme représentant eux aussi des phénomènes naturels (cf. Hésychius). Par conséquent, de ce point de vue, Philodème, lorsqu’il fait référence aux allégoristes d’Homère qui tombent dans le pur délire, ne vise nullement un seul auteur concret mais un ensemble de doctrines différentes dont il pouvait avoir connaissance. Fulgence, Mythologiae I 15, p. 25, 1-18 Helm, attribue à Anaximène de Lampsaque (➳A 167?) une interprétation du mythe d’Apollon et des neuf Muses comme allégorie des dix organes de la parole, un passage que Jacoby 3, t. I A, p. 160 sq., rangea plutôt parmi les fragments d’Anaximène de Milet [➳A 168?] (FGrHist 9 F 4 ; cf. t. I a : Kommentar, Nachträge, p. 480 ; Fowler 2, p. 39). Pour sa part Janko 8, p. 78, en partant du passage de 512 MÉTRODORE DE LAMPSAQUE M 151 Philodème concernant les dieux-organes, ainsi que de l’idée que ce passage fait référence à Métrodore de Lampsaque, considère qu’il faudrait en réalité rapporter également à celui-ci le passage de Fulgence. Comme le remarque Buffière 6, p. 127-129, l’interprétation allégorique de Métrodore concernant les héros doit être rapprochée de la physique de son maître Anaxagore, avec la terre au centre du monde, soutenue en équilibre par l’air : « Cette terre étroitement enlacée par l’air, au centre de l’univers, Métrodore la retrouvait dans Hélène, enlevée par Alexandre : Hélène, centre de la poésie homérique, Hélène, entre les bras de son ravisseur » (p. 127 s q . ; cf. Nestle 4, p. 508 ; Id. 5, col. 1476 ). Ensuite, « l’éther enflammant le soleil et les étoiles, les entraînant dans sa course autour de la terre, c’est Agamemnon, animateur de la grande expédition aux rivages troyens, chef de tous ces héros qui gravitent autour d’Hélène et dont le plus brillant est Achille » (p. 128 ; cf. Nestle 4, p. 507 sq.). Le couple Achille-Hector répondrait donc dans ce système allégorique au couple soleil-lune. Voici, d’après Buffière 6, les raisons qui auraient guidé Métrodore : « Les deux héros, par leur vaillance, éclipsent tous leurs compagnons, l’un au camp des Grecs, l’autre au camp des Troyens : tout comme le soleil et la lune règnent au firmament, l’un pendant le jour, l’autre pendant la nuit… Peut-être aussi Métrodore faisait-il état de la poursuite d’Hector par Achille, autour d’Ilion, image de la poursuite des deux astres dans le ciel [cf. Il. XXII 135] ; Hector tué par Achille pouvait rappeler encore que le soleil, quand il apparaît, éteint l’éclat plus faible de la lune » (ibid. ; cf. Nestle 4, p. 505 sq.). L’originalité de ce système de Métrodore, comme le remarque Buffière 6, aurait été d’avoir donné une signification cosmique non pas aux dieux mais aux héros de l’Iliade : « l’éther, c’est Agamemnon et non pas Zeus ; le soleil c’est Achille et non pas Apollon ; la terre, c’est Hélène et non pas Héra ou Athéna » (p. 129). Buffière 6 tente d’expliquer les raisons pour lesquelles ce système fut très peu suivi par les commentateurs postérieurs, qui ont suivi, comme tout l’allégorisme classique, la direction indiquée par Théagène de Rhégium, où ce sont les dieux et non pas les héros qui sont transformés en forces cosmiques : « La raison en est double, semble-t-il : du point de vue apologétique, il importait de laver les dieux des reproches d’immoralité lancés par les philosophes ; la même nécessité ne jouait pas pour les héros, personnages humains et par conséquent faillibles… Par ailleurs, du point de vue scientifique, il était plus normal de retrouver les forces ou éléments de la nature sous la figure des grands dieux cosmiques, que de les incarner dans un Agamemnon ou un Alexandre. Aussi bien ces derniers avaient pour l’ensemble des Grecs une réalité historique et il était difficile de les dissoudre en allégories » (p. 129). En ce qui concerne les dieux, la reconstitution du système de Métrodore dépend, de toute évidence, des témoignages que l’on accepte comme faisant référence à celui-ci. Si on se borne au témoignage le plus sûr et précis de Tatien, on peut seulement affirmer que les dieux, comme Héra, Athéna et Zeus, étaient pour lui des principes de la nature (ŸÕ«|›» {Å Ã√∑«…c«|§») et des arrangements d’éléments («…∑§¤|ß›µ {§`≤∑«¥ç«|§»). Quant aux divinités principales, on pourrait aussi ajouter le passage de Georges le Syncelle (cf. supra) selon lequel les anaxagoréens interprétaient Zeus comme l’intelligence, Athéna M 151 MÉTRODORE DE LAMPSAQUE 513 comme la technique, d’où l’expression “si les mains disparaissent, plus de sage Athéna”. Ceux qui ont voulu mettre à contribution pour cette reconstitution le passage de Philodème concernant les dieux-organes : Déméter-foie, Dionysos-rate et Apollon-bile, ont fait appel (cf. Nestle 5, col. 1476) à la comparaison chère au V e siècle av. J.-C. de l’État avec l’organisme humain (cf. 14 F. Dümmler, Prolegomena zu Platons Staat und der platonischen und aristotelischen Staatslehre, Programm zur Rektoratsfeier der Universität Basel, Basel 1891, p. 11, qui renvoie à Aristote, Politique I 1, 1253 a 20 sqq.) ; ou bien aux comparaisons géographico-ethnologiques qui ont recours aux membres d’un corps, comme par exemple on trouve comparé dans l’écrit hippocratique R|ƒ® ~x{∑¥c{›µ le Péloponnèse avec la tête, l’Ionie avec le diaphragme (ŸƒÄµ|») du monde (cf. 15 W. H. Roscher, Über Alter, Ursprung und Bedeutung der Hippokratischen Schrift Von der Siebenzahl : ein Beitrag zur Geschichte der ältesten griechischen Philosophie und Prosaliteratur, coll. ASAW 28, 5, Leipzig 1911, p. 6, 107 sqq.). Dans la comparaison d’Apollon avec la bile, on a vu le dieu de la peste, étant donné que la physiologie contemporaine y envisageait la cause des maladies aiguës (cf. Nestle 4, p. 508 sq. ; Id. 5, col. 1476). Buffière 6, p. 130 sq., rappelle à ce sujet le passage de l’Iliade I 50-53 et 60, où il est question de la peste provoquée par la flèche aiguë d’Apollon. En partant de l’idée que selon les théories médicales de l’école d’Anaxagore la peste, maladie « aiguë », avait pour cause un excès de bile, dont les flots se répandaient dans l’organisme, il imagine que Métrodore devait considérer qu’Homère avait voulu signifier en parlant des flèches d’Apollon ce débordement de bile. En ce qui concerne le rapport de Déméter avec le foie et celui de Dionysos avec la rate, Nestle 4, p. 510, et Id. 5, col. 1476, rappelle que ces deux organes occupaient par exemple une position dominante dans le système artériel de Diogène d’Apollonie (➳D 139, cf. DK 64 B 6). Buffière 6, p. 131 n. 25, indique une piste d’interprétation : « le nom grec du foie (ì√`ƒ) peut désigner une terre fertile…, et Déméter désigne aussi la terre nourricière. Pour Dionysos, ne faudrait-il pas entendre que Métrodore expliquait la folie bachique, le délire, par un engorgement ou un “remplissage” de la rate, ce qu’Homère aurait traduit de façon imagée en faisant plonger dans l’onde Dionysos poursuivi par Lycurgue ? (Il., VI, 132 sq.) ». Indépendamment du fait qu’on accepte ou non la partie concernant les dieuxorganes dans ce système, la conclusion générale que Buffière 6, p. 132 sq., présente sur l’état d’esprit et le but qui poussèrent Métrodore à créer ses allégories nous paraît très juste : « Métrodore est un rationaliste : ce n’est pas pour défendre les dieux traditionnels qu’il en fait des allégories, c’est pour montrer que sous des apparences divines se cachent des réalités qui n’ont rien de divin. C’est la science substituée à la religion… Métrodore cherche l’explication scientifique des mythes, comme le feront, vingt-cinq siècles plus tard, Max Müller ou Adabert Kuhn ; et sa solution est déjà comme une ébauche de la leur : il ramène la légende des héros à des phénomènes solaires ou cosmologiques ». Cette interprétation présente bien un Métrodore qui ne serait pas si absurde que voulait le présenter Tatien (cf. supra), dont le jugement fut tellement efficace qu’il fut considéré comme justifié par Nestle 4, p. 510, et Id. 5, col. 1477. Plus récemment, Janko 8, p. 75, place aussi Métrodore sour la rubrique des « lunatics », ce qui semble aussi dériver de la même tradition hostile ancienne, dans ce cas peut-être plutôt d’un Philodème. Métrodore comme l’auteur du Papyrus de Derveni ? En 1962 fut trouvé à Derveni le papyrus orphique célèbre, qui a été daté entre 340 et 320 a. Il nous a transmis des fragments d’un poème théogonique attribué à Orphée et qui peut être daté d’environ 500 a, ainsi que les fragments d’un commentaire, postérieur de toute évidence au poème, qui a pour but d’expliquer la vraie signification des 514 MÉTRODORE DE LAMPSAQUE M 151 vers de celui-ci, car, selon le commentateur, Orphée aurait donné à son texte un sens occulte ou allégorique, bien au-delà du sens apparent (cf. 16 A. Bernabé, De Tales a Demócrito: fragmentos presocráticos, 2ª ed. ampliada, introd., trad. y notas, coll. « Biblioteca temática » 8241, Madrid 2001 ; réimpr. 2003, p. 341373 ; 17 Id. (édit.), Orphicorum et Orphicis similium testimonia et fragmenta. Poetae Epici Graeci. Pars II. Fasc. 1, coll. BT, München/Leipzig 2004, p. 2-12). Étant donné que les deux caractéristiques fondamentales qui se combinent dans ce commentaire sont l’allégorie et la philosophie provenant d’Anaxagore, Métrodore de Lampsaque, qui réunissait les deux conditions, en a été suggéré à maintes reprises comme l’auteur possible, bien qu’il ait été aussi finalement d’ordinaire rejeté : Cf. Pfeiffer 10, p. 237 ; 18 M. L. West, The Orphic poems, Oxford 1983, p. 82 ; 19 A. A. Long, « Stoic readings of Homer », dans R. Lamberton & J. J. Keaney (édit.), Homer’s ancient readers : the hermeneutics of Greek epic’s earliest exegetes, Princeton 1992, p. 41-66, notamment p. 65 n. 53 ; 20 T . M. S. Baxter, The Cratylus : Plato’s critique of naming, coll. « Philosophia antiqua » 58, Leiden 1992, p. 127-139 ; 21 D. Sider, « Heraclitus in the Derveni papyrus », dans A. Laks & G. W. Most (édit.), Studies on the Derveni papyrus, Oxford 1997, p. 129-148, notamment p. 137 sq. ; Janko 8, p. 76-79. Janko 8, considère qu’il n’est pas possible que l’auteur de l’allégorie des dieux comme des organes que l’on trouve chez Philodème soit le même que celui qui compare dans le papyrus de Derveni les dieux olympiques avec des éléments et des forces cosmiques (cf. col. XIV s q q .). N’est-ce pas une raison de plus pour ne pas l’identifier avec Métrodore (cf. Hammerstaedt 9) ? PEDRO PABLO FUENTES GONZÁLEZ. 152 MÉTRODORE DE LAMPSAQUE RE 16 IV/III a Philosophe épicurien de la première génération, mort avant Épicure (➳E 36). Témoignages et fragments. A. Körte, Metrodori Epicurei fragmenta, Lipsiae 1890. C f . 2 M. Erler, « Metrodor », GGP, Antike 4, 1, 1994, p. 216-222 ; 3 E. Spinelli, « Metrodoro contro i dialettici ? », CronErc 16, 1986, p. 29-43 ; 4 A. Tepedino Guerra, « Metrodoro contro i dialettici », CronErc 22, 1992, p. 119-122 ; 5 A. Blanchard, « Épicure, Sentence Vaticane 14 : Épicure ou Métrodore ? », REG 104, 1991, p. 394-409 ; 6 A. Tepedino Guerra, Il pensiero di Metrodoro di Lampsaco, dans L. Franchi dell’Orto (édit.), Ercolano 1738-1988 : 250 anni di ricerca archeologica, Roma 1993, p. 313-320. Biographie. Diogène Laërce (X 22-24) consacre une brève biographie à Métrodore. Originaire de Lampsaque, Métrodore serait né en 331/0. Il aurait connu Épicure lors de son séjour à Lampsaque et serait devenu son disciple fidèle. Métrodore avait une sœur, Batis (➳B 23), épouse d’Idoménée (➳I 14) et deux frères, Mentoridès et Timocratès. Ce dernier avait déserté l’école d’Épicure et attaqué violemment son ancien maître. Métrodore eut pour compagne la courtisane Léontion (➳L 43), qui lui donna un fils, nommé Épicure (➳E 34), et une fille du nom d’Apia. Métrodore mourut sept ans avant Épicure, dans sa 53 e année, en 278/7 (D. L. X 23). Épicure consacra à la mémoire de son disciple le 20 e jour du mois (D. L. X 18), et dans son testament recommanda les deux enfants de Métrodore à ses exécuteurs testamentaires (D. L. X 19-21), ainsi qu’à