Mémoire concernant le Projet de loi no. 28 visant à mettre fin à l’état d’urgence sanitaire et
prévoyant le maintien temporaire de certaines mesures nécessaires pour protéger la population
Par
Louis-Philippe Lampron
Professeur titulaire
Faculté de droit de l’Université Laval
présenté à la Commission de la santé et des services sociaux
Québec, le 6 avril 2022
TABLE DES MATIÈRES
PRÉSENTATION DE L’AUTEUR ___________________________________________ 2
INTRODUCTION _______________________________________________________ 3
1.
JUSTIFICATION DES POUVOIRS MAINTENUS PAR LE PL 28 ________________ 5
2. CORRIGER LES LACUNES : RENFORCEMENT DU RÔLE DE L’ASSEMBLÉE
NATIONALE ET DE L’OBLIGATION DE RENDRE DES COMPTES ________________ 9
2.1 L’article 119 et les modalités de renouvellement du régime juridique exceptionnel de l’état
d’urgence sanitaire __________________________________________________________________9
2.2.
L’article 129 et l’insuffisant « Rapport d’événements » ______________________________11
CONCLUSION ________________________________________________________ 15
1
PRÉSENTATION DE L’AUTEUR
Louis-Philippe Lampron est professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université Laval, où il a
été embauché en 2007. Chercheur régulier au sein du Centre de recherche interdisciplinaire sur la
diversité et la démocratie (CRIDAQ) et du Centre d’études en droit administratif et
constitutionnel de l’Université Laval (CEDAC), le professeur Lampron est également co-porteparole du Groupe d’étude en droits et libertés de la Faculté de droit de l’Université Laval
(GEDEL) et membre du Barreau du Québec depuis 2005.
Ses intérêts de recherche portent, en général, sur la protection des droits humains au Canada et au
niveau international. Au cours des dernières années, le professeur Lampron s’est particulièrement
intéressé aux enjeux juridiques liés à la mise en œuvre des libertés fondamentales et du droit à
l’égalité, sujets à propos desquels il est fréquemment intervenu publiquement et a publié
plusieurs articles de même que les ouvrages Maudites Chartes : 10 ans d’assauts contre la
démocratie des droits et libertés (2022) et La Hiérarchie des droits - convictions religieuses et
droits fondamentaux au Canada (2011).
2
INTRODUCTION*
L’état d’urgence sanitaire, initialement déclaré le 13 décembre 2020 en vertu des pouvoirs
conférés au gouvernement du Québec par le truchement des articles 118 et suivants de la Loi sur
la santé publique, est en vigueur, au Québec, depuis plus de deux ans. Les pouvoirs exceptionnels
conférés par ces dispositions - qui rompent temporairement, au bénéfice du gouvernement,
l’équilibre des pouvoirs entre les branches exécutive, législative et judiciaire de l’État, il convient
de le rappeler – se justifient par la nécessité, lorsqu’une crise de la nature de celle de la COVID19 frappe une population, d’offrir au gouvernement les moyens nécessaires pour protéger
l’ensemble de la population.
Considérant l’importance cruciale de l’équilibre des pouvoirs entre les trois branches du pouvoir
étatique au sein de toute société démocratique digne de ce nom1, le régime juridique exceptionnel
de gestion des affaires de l’État que constitue l’état d’urgence sanitaire ne peut être invoqué (ni
maintenu) à la légère. Ainsi, si la légitimité du basculement en état d’urgence peut tout à fait se
justifier dans le temps court d’une crise de la nature de celle de la COVID-19, il est évident que
cette légitimité est beaucoup plus difficile à justifier, plus de deux ans après le début de cette
même crise.
*
Dans le seul but d’alléger le texte, nous utiliserons le genre masculin dans le présent mémoire.
Séparation qui permet, comme l’énonce brillamment Montesquieu dans son Esprit des Lois, d’éviter l’utilisation
abusive ou arbitraire du pouvoir de l’État à l’encontre des justiciables : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il
faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »
1
3
Dans un contexte où le gouvernement peut mettre fin à l’état d’urgence sanitaire de sa seule
initiative et sans avoir, pour ce faire, à adopter une loi, la légitimité (voire la légalité) du Projet de
loi no. 28 visant à mettre fin à l’état d’urgence sanitaire et prévoyant le maintien temporaire de
certaines mesures nécessaires pour protéger la population [ci-après : le PL 28] repose
nécessairement sur les motifs que le législateur sera en mesure de fournir pour justifier son choix
de légiférer sur la question.
Considérant la nature transitoire du projet de loi proposé, dont l’essentiel des dispositions
doivent prendre fin le 13 décembre 2022, il est certain qu’une partie importante des justifications
du législateur devront porter sur le choix des quelques pouvoirs exceptionnels, adoptés sous
l’égide de l’état d’urgence sanitaire, qu’il a choisi de maintenir en place jusqu’au 31 décembre
2022 au plus tard. De même, le choix du législateur de légiférer pour mettre fin à l’état d’urgence
sanitaire déclenché il y a plus de deux ans pour faire face à l’épidémie de COVID-19 ne peut
faire l’économie des importantes lacunes que cette même expérience a révélées en ce qui
concerne les balises encadrant les pouvoirs de l’exécutifs gouvernemental en la matière.
Considérant l’importance de ces justifications, nos commentaires porteront donc principalement
sur ces deux formes de justifications/corrections attendues de la part du législateur.
4
1. JUSTIFICATION DES POUVOIRS MAINTENUS PAR LE PL 28
D’emblée, il semble que, dans sa mouture actuelle, le PL 28 soit un projet de loi poursuivant un
objectif transitoire : soit d’assurer le maintien de pouvoirs jugés nécessaires à ce stade de la
pandémie et ce, jusqu’au 31 décembre 2022.
S’il s’agit véritablement de l’objectif poursuivi par le législateur, il semble nécessaire de retirer
la portion du titre qui prévoit que cette loi « vise à mettre fin à l’état d’urgence sanitaire »,
qui ne peut qu’entretenir la confusion au sein de la population quant à ce qui est requis pour
mettre fin à ce même régime juridique exceptionnel.
S’agissant ensuite des pouvoirs que le gouvernement propose de conserver, il convient d’abord
de saluer l’amendement qui a été apporté lors du premier jour des consultations concernant le PL
28. En effet, grâce à ce dernier, il est possible d’identifier facilement, par le truchement des 5
arrêtés consolidés désignés, les pouvoirs que le gouvernement souhaite conserver alors que la
version initiale de l’article 2 aurait exigé un travail d’enquêteur des justiciables très peu
compatible avec le principe de la clarté et prévisibilité des normes.
Cette nécessaire identification préalable des pouvoirs visés maintenant clarifiée : le plus difficile
demeure à faire pour le gouvernement, soit de justifier la nécessité de conserver ces mêmes
pouvoirs jusqu’au 31 décembre 2022.
5
Nous n’entendons pas nous livrer ici à une analyse détaillée des pouvoirs qui se trouvent au sein
des arrêtés que le gouvernement souhaite conserver pendant la durée de vie du PL 28 si celui-ci
devait être fait loi, mais il nous semble malgré tout important de faire quelques importantes
précisions tirées de la jurisprudence en matière de droits et libertés de la personne.
Une crise de la nature de celle de la COVID-19, en raison de l’importance et la nature de la
menace qu’elle fait peser sur la sécurité de l’ensemble de la population, implique nécessairement
la mise en place de mesures exceptionnelles – très souvent restrictives des droits et libertés de la
personne – qui n’auraient jamais pu se justifier en temps normal si elles avaient été – par exemple
– contestées en vertu des textes protégeant les droits et libertés de la personne.
Le maintien de ces mesures, surtout lorsque la crise perdure dans le temps, pose d’importants
défis aux titulaires de la puissance publique qui doivent alors faire preuve d’une transparence
encore plus grande que celle qu’ils s’imposent habituellement pour expliquer et justifier
l’imposition (ou le maintien) de ces mêmes mesures.
Bien que la jurisprudence canadienne et québécoise ne permette pas d’établir clairement
l’étendue de la marge de manœuvre additionnelle que les tribunaux pourraient accorder au
gouvernement du Québec pour justifier les nombreuses restrictions aux droits fondamentaux
qu’ont entrainé les tout aussi nombreux décrets adoptés pour lutter contre la COVID-19 depuis le
13 mars 2020, un fait est très clair : cette marge de manœuvre additionnelle a très clairement été
reconnue par la jurisprudence canadienne2 et augmente les chances de succès de l’État s’il tente
2
On trouve un nombre très restreint d’arrêts au sein desquels la justification d’une atteinte à des droits fondamentaux
protégés par les chartes (canadienne ou québécoise) a été évaluée en contexte de crise, mais le ratio de la Cour
6
de justifier, devant une cour de justice, la nature « raisonnable » (au sens des dispositions
justificatives des charte canadienne et québécoise3)
Pour autant, cette marge de manœuvre accrue n’a jamais été illimitée et, surtout, décroit au fil du
temps que dure une crise. Autrement formulé : si la grande incertitude dans laquelle les
gouvernements travaillaient au tout début de la crise pouvait aisément justifier, au sens juridique
du terme, des mesures qui étaient finalement inefficaces (ou à propos desquelles les
gouvernements n’avaient pas de données solides permettant d’évaluer leur efficacité avant de les
adopter), les deux ans qui se sont écoulés depuis le début de la crise de la COVID-19 ont fait
diminuer de manière importante le droit « au bénéfice du doute » en faveur des gouvernements
dans l’état actuel des choses.
suprême du Canada dans l’arrêt Terre-Neuve (Conseil du Trésor) c. N.A.P.E., [2004] 3 R.C.S. 381 sur cette question
est très éclairant et montre bien qu’une situation de «crise» (il était question d’une crise financière dans cet arrêt, qui
a permis de justifier une atteinte au droit à l’égalité entre les sexes découlant d’une décision de reporter le début
d’une entente de rattrapage salarial en faveur des employées des hôpitaux de Terre-Neuve) permet d’atténuer de
manière très importante le fardeau de la preuve de l’État en ce qui concerne la justification d’une atteinte aux droits
fondamentaux. Dans le même sens, rappelons également cet énoncé de principe fréquemment invoqué par la Cour
suprême depuis l’enchâssement de la Charte canadienne dans la Constitution du Canada qui montre bien la portée
qu’une crise sanitaire aurait nécessairement sur le processus de justification des atteintes aux droits fondamentaux: «
Il n’est pas facile de sauver une atteinte à l’art. 7 par application de l’article premier. Dans le Renvoi sur la Motor
Vehicle Act (C.-B.), précité, j’écris à la p. 518: L’article premier peut, pour des motifs de commodité administrative,
venir sauver ce qui constituerait par ailleurs une violation de l’art. 7, mais seulement dans les circonstances qui
résultent de conditions exceptionnelles comme les désastres naturels, le déclenchement d’hostilités, les épidémies et
ainsi de suite.
Deux raisons expliquent ceci. D’abord, les intérêts protégés par l’art. 7 — la vie, la liberté et la sécurité de la
personne — revêtent une grande importance et, généralement, des exigences sociales concurrentes ne pourront
prendre le pas sur eux. Ensuite, le non-respect des principes de justice fondamentale — et, en particulier, du droit à
une audience équitable — sera rarement reconnu comme une limite raisonnable dont la justification puisse se
démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.» : Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des
Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, par. 99.
3
Article 1 de la Charte canadienne et article 9.1 de la Charte québécoise, lesquelles impliquent, lorsque des
restrictions aux droits et libertés découlent de normes publiques d’application générale, la mise en œuvre du test de
l’arrêt Oakes [1986] 1 R.C.S. 103, très perméable au contexte socio-politique dans le cadre duquel cette même norme
a été adoptée.
7
Cette diminution de la marge de manœuvre dont bénéficiera l’État, dans l’éventualité où certains
des pouvoirs maintenus par le truchement d’une éventuelle adoption du PL 28, variera également
en défaveur du gouvernement plus l’atteinte au droit fondamental dont il est question sera
considérée comme « importante » ou « grave ».
À cet égard, nous invitons donc les parlementaires à porter une attention toute particulière
aux pouvoirs prévus à l’article 4 du PL 28 (qui implique une restriction importante au droit à la
vie privée, sans que l’objectif poursuivi par ce même pouvoir ne ressorte clairement du projet de
loi, ni des notes explicatives) et au décret 2022-030 du 31 mars 20224, qui autorise des pouvoirs
de contournement de conventions collectives susceptibles d’entrer en tension avec des activités,
dont la négociation collective des conditions de travail, qui sont au cœur des dispositions qui
protègent la liberté d’association au Canada5.
4
[en ligne : https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/sante-services-sociaux/publications-adm/loisreglements/AM-2022-030.pdf?1648760032].
5
Articles 2d) de la Charte canadienne et 3 de la Charte québécoise. Sur l’importance du principe de négociation
collective des conditions de travail sous l’égide de ces dispositions, voir notamment les arrêts : Association de la
police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 3 et Saskatchewan Federation of Labour
c. Saskatchewan, [2015], 1 R.C.S. 245.
8
2.
CORRIGER LES LACUNES : RENFORCEMENT DU RÔLE DE L’ASSEMBLÉE
NATIONALE ET DE L’OBLIGATION DE RENDRE DES COMPTES
Le choix de légiférer spécifiquement sur la question de l’état d’urgence sanitaire déclaré pour
lutter contre la pandémie de COVID-19 devrait permettre de corriger deux lacunes importantes
liées aux articles 119 et 129 de la Loi sur la santé publique.
2.1 L’article 119 et les modalités de renouvellement du régime juridique
exceptionnel de l’état d’urgence sanitaire
Lorsqu’elle a frappé, en février-mars 2020, la crise de la COVID-19 a pris de court tous les
gouvernements et États du monde. Au tout début de la crise, alors qu’on ne connaissait rien de ce
virus qui menaçait la vie et la sécurité de l’ensemble de la population, le basculement dans un
régime d’« état d’urgence sanitaire » se justifiait tant au plan de la légitimité que de la légalité.
Pour ce faire, le gouvernement a eu recours à l’article 119 de la Loi sur la santé publique qui
prévoit ce qui suit :
« L’état d’urgence sanitaire déclaré par le gouvernement vaut pour une période maximale de
10 jours à l’expiration de laquelle il peut être renouvelé pour d’autres périodes maximales de
10 jours ou, avec l’assentiment de l’Assemblée nationale, pour des périodes maximales de 30
jours.
Si le gouvernement ne peut se réunir en temps utile, le ministre peut déclarer l’état d’urgence
sanitaire pour une période maximale de 48 heures. »
9
Bien que cela soit expressément autorisé par la lettre de l’article 119, tel que cela a été confirmé
par la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Bricka6, le renouvellement unilatéral de l’état
d’urgence sanitaire par le gouvernement, sans qu’un débat n’ait à être tenu à l’Assemblée
Nationale nous semble clairement incompatible avec la nature exorbitante des pouvoirs qui y sont
justement dévolus en faveur de l’exécutif gouvernemental et les distinctions importantes qu’il
convient de faire entre l’exercice de tels pouvoirs exceptionnels sur le temps court et le temps
long d’une crise (étant entendu que leur légitimité peut très certainement se défendre à court
terme, mais beaucoup moins à moyen et long terme).
Bien que nous soyons très sensibles à l’idée qu’une éventuelle refonte du cadre juridique
applicable à tous les mécanismes prévoyant actuellement, au sein de la législation québécoise, la
mise en place d’états d’urgence similaires à celui prévu aux articles 118 et suivants de la Loi sur
la santé publique, il nous semble indispensable, à courte échéance, de prévoir, dans le PL 28
des balises spécifiques qui s’appliqueraient dans l’éventualité – que nous ne souhaitons bien
sur pas mais qui ne peut être écartée dans l’état actuel de la pandémie – ou il devienne
nécessaire de basculer, une fois encore, en état d’urgence sanitaire pour lutter contre la
COVID-19.
Dans de telles circonstances, et considérant l’approche crépusculaire7 des dispositions du PL 28
(dont l’article 3 prévoit expressément qu’il n’est pas possible d’ajouter des pouvoirs à ceux sont
prévus au sein des 5 arrêtés visés par l’article 2), il serait souhaitable de prévoir un mécanisme
similaire à celui qu’on retrouve au sein de la Loi sur les mesures d’urgence, au fédéral, et qui
6
7
Bricka c. Procureur général du Québec, 2022 QCCA 85.
Pour reprendre l’expression utilisée par mon collègue Patrick Taillon, de l’Université Laval.
10
exigent un débat à la Chambre des communes dans les sept jours d’une déclaration d’état
d’urgence. Ce mécanisme, qu’on pourrait limiter spécifiquement à la gestion de la crise de la
COVID-19 si l’on souhaite remettre à plus tard la réflexion sur le cadre général applicable aux
déclarations d’état d’urgence, devrait aussi s’appliquer en cas de prolongation de cet éventuel
retour en état d’urgence sanitaire.
Une telle mesure serait, à notre sens, de nature à envoyer un signal fort à la population que le
gouvernement reconnait la nature exceptionnelle des pouvoirs associés à une déclaration d’état
d’urgence sanitaire, qui exige minimalement que ce même gouvernement puisse justifier le
recours à ce véritable bazooka en matière démocratique dans l’enceinte au sein de laquelle des
débats de cette importance doivent être tenus.
2.2. L’article 129 et l’insuffisant « Rapport d’événements »
Une crise de la nature de celle de la COVID-19 a permis d’expérimenter, à la dure, les règles
applicables en la matière et ce, tant pour le gouvernement, les parlementaires en général ou les
juristes dont je fais partie. Pour reprendre une expression utilisée par certains membres du
gouvernement au début de la pandémie : l’avion de la lutte contre la COVID-19 s’est largement
construit alors qu’on était déjà en train de voler.
Le choix proposé de légiférer concernant la prolongation temporaire de certaines des mesures
exceptionnelles qui ont été adoptées pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire constitue à
notre avis une occasion unique d’assurer que le post-mortem dont l’ensemble de la population a
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un urgent besoin - en particulier dans le contexte où la lettre de l’article 119 a permis au
gouvernement de maintenir, à sa seule discrétion, l’état d’urgence sanitaire en vigueur pendant
une durée ininterrompue de plus de deux ans – pour améliorer le cadre normatif applicable (et les
rôles de chaque acteurs institutionnels responsables des décisions lors de crises similaires) à la
gestion d’une crise de la nature de celle de la COVID-19.
L’article 129 de la Loi sur la santé publique, à cet égard, est nettement insuffisant :
« Le ministre doit déposer à l’Assemblée nationale, dans les trois mois qui suivent la fin de
l’état d’urgence sanitaire ou, si elle ne siège pas, dans les 15 jours de la reprise de ses
travaux, un rapport d’événement.
Ce rapport doit préciser la nature et, si elle est déterminée, la cause de la menace à la santé
de la population qui a donné lieu à la déclaration d’état d’urgence sanitaire, la durée
d’application de la déclaration, ainsi que les mesures d’intervention mises en oeuvre et les
pouvoirs exercés en vertu de l’article 123. »
Au-delà de la problématique des délais, qui font en sorte qu’il est tout à fait possible que la
prochaine campagne électorale se fasse sans que les justiciables n’aient eu accès au « rapport
d’événement » prescrit par la loi, l’insuffisance manifeste de cette disposition découle
principalement du minimalisme de ce qui est requis du gouvernement en matière de reddition de
compte : obligation qui pourrait tout à fait être respectée par un document qui n’inclurait qu’un
collage des nombreux décrets ayant été adoptés depuis le 13 mars 2020.
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La nature exorbitante des pouvoirs conférés à l’exécutif gouvernemental par les articles 118 et
suivants de la Loi sur la santé publique et l’importance de l’équilibre entre les trois branches du
pouvoir étatique au sein de tout état démocratique exige un très haut degré de transparence de la
part des membres du gouvernement dans le contexte actuel, et le PL 28 constitue la parfaite
occasion de s’engager à se livrer à cet exercice démocratique important.
Il nous semble donc essentiel que le PL 28 prévoie des dispositions détaillant la nature de la
reddition de compte à laquelle le gouvernement devra être tenu une fois que l’adoption de
ce même projet de loi aura provoqué la levée de l’état d’urgence déclaré le 13 mars 2022.
Cette obligation de reddition de compte devrait inclure, notamment :
-
un examen approfondi des balises encadrant les responsabilités respectives de tous les
acteurs qui ont joué un rôle dans le processus décisionnel qui a mené à l’adoption des
nombreux décrets qui ont été adoptés pour lutter contre la pandémie de COVID-19
(incluant le Premier Ministre, le Ministre de la Santé et des Services sociaux, le
Directeur de la Santé publique, l’INSPQ et les membres de la « cellule de crise » mise
sur pied par le gouvernement), la nature des interactions entre ces mêmes acteurs et,
lorsqu’applicable, les garanties d’indépendance pertinentes;
-
Le détail des contrats accordés de gré à gré en vertu des pouvoirs d’urgence autorisés
par les articles 118 et suivantes de la Loi sur la santé publique et les raisons justifiant
le lien entre l’octroi de ces contrats et l’objectif de protéger la santé de la population
du Québec; &
13
-
La nature des données sur lesquelles le gouvernement s’est fondé pour adopter chacun
des décrets visant à lutter contre la pandémie de COVID-19, en particulier lorsque ces
derniers impliquaient des restrictions aux droits et libertés de la personne protégées
par les chartes canadienne et québécoise.
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CONCLUSION
À ce stade de la pandémie de COVID-19 et dans le contexte du maintien continu, pendant plus de
deux années, du régime juridique exceptionnel que constitue l’état d’urgence sanitaire autorisé
par les articles 118 et suivants de la Loi sur la santé publique, le choix de légiférer pour
maintenir, temporairement, certains des pouvoirs auxquels le gouvernement a eu recours pour
lutter contre la pandémie de COVID-19 ne peut se justifier qu’à deux conditions.
La première, et sans doute la plus complexe, exige que le gouvernement dispose des données et
arguments nécessaires pour convaincre de la nécessité du maintien de l’ensemble de ces mêmes
pouvoirs dans l’état actuel de la pandémie au Québec et non pas « au cas où » la pandémie de
COVID-19 devait connaitre une nouvelle aggravation au cours de la prochaine année;
La deuxième exige à notre avis de reconnaitre, par des ajustements législatifs consacrés à la
pandémie de COVID-19, la nature exceptionnelle de l’état d’urgence sanitaire en renforçant de
manière importante les obligations législatives à être respectées par le gouvernement en ce qui a
trait : 1) à tout éventuel re-basculement en état d’urgence sanitaire – lequel devrait minimalement
passer par un débat à l’Assemblée Nationale; et 2) aux obligations de reddition de compte, qui ne
peuvent se limiter au cadre largement insuffisant prévu par l’article 129 de la Loi sur la santé
publique.
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