Charles-Ange Laisant, Auguste Comte
et l’unité de la Mathématique
MLIKA Hamdi
Charles-Ange Laisant (1841-1920) est vraiment inconnu en France. Il est très difficile de trouver des travaux sur ses idées en tant que mathématicien-enseignant ou en tant que philosophe des mathématiques, ni non plus sur la nature de ses rapports avec les scientifiques et mathématiciens de son époque (Sophus Lie, Cantor, Hadamard, Borel, Painlevé, Koenigs, Picard, Poincaré, Couturat, Russell, et bien d’autres) eu égard à leurs conceptions de la Mathématique.
Mon travail ici ne cherchera pas à combler ce vide. Loin de là, je voudrais tout simplement présenter les idées de Charles-Ange Laisant sous un horizon bien déterminé. En d’autres termes, je voudrais analyser l’influence de la conception que se faisait Auguste Comte (1798-1857) de l’unité des mathématiques et de leur statut dans le système des sciences positives sur la pensée de Laisant. Mon exposé est surtout une hypothèse de travail (qui sera contestée sympathiquement par plusieurs, j’en suis sûr) à travers laquelle j’essaierai de pointer vers le chemin le plus simple et le plus court mais sûrement le plus riche de significations philosophiques (à mon avis !) pour atteindre la pensée épistémologique de ce mathématicien français au sujet de l’unité de la science mathématique en tant qu’elle se déploie en pleine continuité avec celle de l’illustre Auguste Comte.
Laisant le polytechnicien, fidèle en cela à un autre polytechnicien, veut étudier la Mathématique et expliciter l’unité fondamentale de son esprit paradigmatique, en tant qu’elle s’insère dans une perspective positiviste, humaniste et sociale. Ici, l’objectif est double : il s’agit de saisir la Mathématique dans son ouverture, en tant que science aussi expérimentale que les autres sciences, sur la philosophie, et réaliser cette ouverture dans des termes pédagogiquement décisifs, en l’occurrence aboutir, via l’analyse de ses rapports étroits avec la philosophie, à mettre en place un système qui va de pair avec un enseignement de ses théories qui soit à la hauteur de ses mérites, de ses services et surtout de ses vrais contenus. Rappelons-nous ces mots de Comte : « Tous ceux, écrit-il dans son Traité élémentaire de géométrie analytique à deux ou trois dimensions
Ed. Carilian-Goeury et V. Dalmont, 1843, Avertissement au lecteur, p. vi. Cité par Kremer-Marietti (2007) p. 18., qui savent combien je me suis activement occupé, pendant un quart de siècle à régénérer l’ensemble de l’enseignement mathématique en connexité spontanée avec l’élaboration générale à laquelle j’ai consacré ma vie ».
La pensée de Laisant sur la Mathématique veut être une pensée positiviste dans le sens où elle veut être tout d’abord une pensée sociologiquement utile, pratique et étroitement liée au bonheur des hommes, élèves et citoyens. Universelle et basée sur ce qu’il y a de plus général dans la méthode mathématique elle-même, son approche n’est pas métaphysique ou théorique pure : elle poursuit un but concret ; celui d’expliciter le mode d’acquisition des procédés mathématiques et de mettre à nu le moyen le plus efficace pour les enseigner aux élèves et étudiants dans les diverses institutions éducatives et scientifiques. « On comprend dès lors, écrit Kremer-Marietti, pourquoi l’enseignement (serait-ce celui des mathématiques) doit suivre la voie de filiation historique concrète, plutôt que la régularité abstraite, selon la théorie comtienne de l’éducation ; en effet, cette conception originale permet encore le balancement du concret à l’abstrait et de l’abstrait au concret, que Comte ne cesse de garder en vue et dont il fait la caractéristique du positivisme».
Angèle Kremer-Marietti (2007), p. 17
Etant son contemporain, Laisant nous démontre, de façon efficace, comment Comte a eu le génie de comprendre l’expérience mathématique comme « la perception d’un rapport fondamental entre l’abstrait et le concret » : c’est ainsi que les mathématiques constituent pour lui le terrain solide pour fonder philosophiquement une méthode universelle au sujet des sciences, et éliminer par conséquent la Métaphysique qui cessera de jouer son rôle traditionnel d’une philosophie première qui détient en son sein les causes et les principes premiers de la connaissance humaine. Laisant témoigne, d’une façon pour ainsi dire appliquée, de cette influence qu’a exercée sur son entourage l’esprit antimétaphysique, humaniste et sociologique de Comte. « Entre l’analyse philosophique et l’analyse mathématique, écrit Ducassé, il ne s’établit pas seulement des échanges didactiques et des filiations doctrinales, mais encore une connexion intuitive et une continuité d’esprit méthodologique ».
Ducassé (1939) p. 58 Cette citation de Ducassé, résume de façon complète et parfaite, à mon avis, l’idée maîtresse qui unit les deux hommes, Comte et Laisant : l’unité de la Mathématique dans l’esprit du positivisme.
Comte est mort en 1857, seize ans après la naissance de Laisant. Ils sont donc contemporains, et cette étude va porter avant tout sur la manière avec laquelle les idées de Comte ont été reçues dans l’entourage des mathématiciens et des scientifiques du milieu du XIXème siècle et du début du XXème. Laisant est un témoin exceptionnel de cette réception. En effet, il représente un témoignage intéressant et presque rare de l’influence bien vivante et bien éveillée des idées de Comte sur le milieu intellectuel et mathématique de l’époque en question.
Quelques épistémologues et historiens des sciences sont arrivés à relativiser l’importance de cette influence remarquable et très remarquée des idées de Comte dans le domaine de la philosophie des mathématiques. Peut-être devrons-nous nous tourner vers Laisant pour écarter l’élément de surprise de voir Comte absent en tant que philosophe des mathématiques et manquer d’exercer une influence soutenue sur les ouvrages d’épistémologie de façon générale.
Ce que je chercherai ici ce n’est pas une explicitation des traits distinctifs de la conception comtienne de la Mathématique à travers le livre de Laisant. Je chercherai plutôt à scruter les divers aspects de la méthode avec laquelle ce dernier adhère ouvertement aux thèses proprement comtiennes dans ce domaine, et comment il va donner, à l’occasion de cette adhésion, une actualité de nature pratique et théorique à la fois, à l’idée de l’unité de la science mathématique. Pour réaliser cette tâche je me baserai presque uniquement sur son livre La Mathématique Philosophie. Enseignement, dans sa deuxième édition, revue et corrigée, publié en 1907 chez Gauthier-Villars, première édition étant publiée en 1898.
Dans ce livre, l’influence philosophique de Comte est omniprésente, où son auteur développe ses thèses au sujet des mathématiques sous un horizon philosophique « positiviste » loin de tout esprit métaphysique et idéaliste.
Je regrette que le nom de Laisant ne soit que très rarement cité dans les ouvrages qui traitent de la philosophie comtienne des mathématiques. La vraie surprise c’est en vérité de constater comment une telle citation si utile est regrettablement absente de la Postface écrite par Jean Dhombres : « L’exercice de la philosophie des mathématiques », publié dans Les premiers Cours de philosophie positive, p.469-488, texte de Comte réédité par Yann Clément-Colas en 2007. Or, voici ce qu’écrit Laisant dès 1889 comme pour répondre à Monsieur Jean Dhombres: « Il a été tellement écrit sur le sujet que je traite, depuis la tentative si remarquable d’Auguste Comte dans sa philosophie positive, que l’on pourrait, avec quelques recherches patientes, et sans rien dire que d’utile, produire plusieurs gros volumes. »
Laisant (1907), p. 9
La particularité du livre de Laisant c’est de n’être ni un livre pour les profanes ni un livre pour les savants : c’est un livre qui couvre en vérité cet espace intermédiaire entre la philosophie et les mathématiques d’où sont tirés les modèles les plus utiles pour l’épistémologie et pour l’enseignement des sciences loin des travaux purement scientistes et simplement techniques.
Nous pouvons le classer comme pour ainsi dire une reprise du projet comtien d’un ouvrage de philosophie des mathématiques de jeunesse que Comte n’a jamais pu terminer, et dont les extraits sont publiés dans Ecrits de jeunesse
Textes établis et présentés par Paulo E. Berrêdo Carneiro et Pierre Arnaud, Mouton, Paris 1970.. Laisant reprend en quelque sorte ce projet du jeune Comte où l’on voit insister sur l’importance des mathématiques mais aussi on cherche à tenir garde de toute confusion entre l’universalité de leur méthode et leur omniprésence en tant que science spéciale. Mais il ne faut pas trop insister sur l’idée que Comte se méfiait de l’esprit des mathématiques et de ce que certains comme Mme Annie Petit appelle « l’impérialisme » des mathématiques
Comte et les mathématiques, dans Les Philosophes et les Mathématiques, éd Barbin Evelyne, Maurice Caveing.
Ellipses, 1996.. Comte se méfiait non pas de la Mathématique mais d’une certaine conception erronée de son activité et de son domaine. Comte est conscient de l’importance des mathématiques non seulement dans les sciences mais surtout dans la constitution de l’esprit positif qui est, pour lui, le but ultime recherché.
« L’expérience humaine, écrit Pierre Ducassé, fournit à l’esprit humain cette idée d’une connaissance homogène et stable. C’est sur ce terrain que l’instinct scientifique se révèle à lui-même et qu’il cultive ses aptitudes universelles. Historiquement et philosophiquement, l’esprit positif ne devient conscient de sa nature et de son unité qu’à travers l’espace et le nombre….et (en sachant) utiliser les résonances spéculatives de la pensée mathématique.
Ducassé (1939), p.54-55 »
Cette attitude, nous la retrouvons chez Laisant. S’opposer et se méfier de la conception (qui est il est vrai assez répandu parmi les spécialistes eux-mêmes) qui tire la Mathématique, surtout la géométrie, vers sa dimension spéculative et abstraite au détriment de ses rapports profonds et étroits avec le réel et l’observation via l’application de ses théories sur les phénomènes naturels. Sur ce plan, nous constatons que Laisant reprend les idées de Comte à la lettre.
Sur la notion élémentaire d’un espace géométrique corporel qu’on voit déjà en œuvre chez lui dans sa jeunesse, voici ce que Comte a écrit:
« (…) première imphilosophie, qui les met dans une fausse direction en faisant concevoir comme une chose réelle, absolue, existante par elle-même, ce qui n’est qu’un moyen heureusement imaginé par l’esprit humain pour perfectionner, ou plutôt pour créer, la science de l’étendue. Partant de là, ils vous définissent la surface, la ligne et le point, comme des choses toutes simples, qui ont une existence à part, au lieu de les présenter comme des parties d’un ensemble que l’imagination parvient peu à peu à le considérer isolément. Cette entrée en matière empêche beaucoup d’esprits justes d’entendre jamais sainement la géométrie, elle engendre un grand nombre d’idées fausses et ensuite elle fait que l’esprit a une peine infinie à passer de l’étendue géométrique à l’étendue réelle, telle qu’elle se présente dans toutes les applications, parce qu’on s’est habitué à se représenter ces deux étendues comme totalement distinctes, et presque hétérogènes, tandis qu’au fond, il n’y a pas la moindre différence. On sent combien il importe à la science et aux géomètres de rectifier ces notions premières. »
Comte : Essais sur quelques points de philosophie des mathématiques, Texte de janvier 1820 ? T 1, p. 529.
Cette conception d’une géométrie étroitement liée à l’observation, nous la retrouvons chez Laisant. Elle exprime avant tout l’intention de se soustraire à « l’influence de l’esprit métaphysique qui a si longtemps dominé, même dans les études géométriques ».
Comte (2007) : Dixième Leçon : Vue générale de la géométrie, p. 235
Dans ce contexte, Laisant écrit : « L’erreur fondamentale qu’ils (les géomètres de l’antiquité) commirent, et qui est encore très généralement commise de nos jours, consistait dans la méconnaissance de l’élément expérimental qui est à la base de la Géométrie. Ils croyaient, comme beaucoup de savants n’ont cessé de le croire, que la Science est d’autant plus pure qu’elle se rapproche plus complètement d’une suite d’opérations empruntées à la logique abstraite, sans aucune considération du monde extérieur ».
Laisant (1907), p.77
La façon avec laquelle Laisant réagit aux idées développées par Comte sur la Mathématique, surtout sur la Géométrie, nous aide à comprendre la conception de Comte mais aussi à voir sur quelles thèses concernant la Mathématique et sa philosophie « l’illustre fondateur de la Philosophie positive »
Laisant (1907), p. 15, comme il l’appelle, a été toujours d’actualité. C’est ce que je vais tenter ici en me concentrant plus particulièrement sur la question de l’unité de la science mathématique chez Comte à travers les points suivants : la définition de la Mathématique en général empruntée à Comte, et plus particulièrement la thèse selon laquelle la Géométrie a une base expérimentale.
Laisant est avant tout un mathématicien. Toute son activité politique ne m’intéresse pas ici, bien qu’elle soit en mesure de nous éclairer partiellement sur certains points de son activité sur le plan de la politique pédagogique à laquelle il adhère.
Outre qu’il soit le co-fondateur en 1864 avec Lemoine, d’une Revue de mathématiques baptisée « L’intermédiaire des mathématiciens », Laisant est un grand mathématicien. Longtemps répétiteur à l’Ecole polytechnique, il a écrit de nombreux ouvrages en mathématiques comme : Introduction à la Méthode des Quaternions (1881), Théorie et applications des equipollences (1887) et de nombreux travaux publiés dans le Bulletin de la S.M.F, exemple : « Sur la numération factorielle, application aux permutations, (Bulletin de la S.M.F, tome 16, p176-183, 1988)
Ces publications sont consultables sur le site de NUMDAM, où il s’agit d’un programme visant à numériser des documents mathématiques anciens. http://www.numdam.org.
Mais le livre sur lequel je vais me baser pour mon exposé a une valeur exceptionnelle car c’est avant tout un livre de philosophie des mathématiques. Le livre possède également une extension pédagogique. En effet, Laisant y expose ses idées sur la forme et le domaine des différentes branches des mathématiques, et y analyse différentes questions relatives à leur enseignement au sein du système français de l’époque. En lisant le livre, nous remarquons que les références à Auguste Comte sont abondantes.
D’abord comment situer philosophiquement la pensée de Laisant sur la Mathématique ?
A l’instar de Comte, Laisant considère cette science par rapport à son but épistémologique et son efficacité sociale : la description de ses détails et de ses outils, aussi importante qu’elle puisse paraitre, ne suffit pas. Il faut une démarche d’ordre général, en l’occurrence philosophique, sinon l’activité mathématique et la formation du mathématicien seraient toutes deux incomplètes.
Laisant reprend l’idée comtienne des rapports d’interaction entre philosophie et science mathématique : La philosophie n’est pas une méditation extérieure à la Mathématique mais c’est une expérience de pensée qui habite cette dernière. Il s’agit de dégager les aspects de la méthode philosophique en tant qu’elle est inhérente aux progrès des inventions mathématiques et sur certains cas leur moteur.
Il n’y a pas opposition entre la philosophie et la science. Dès son jeune âge, Comte a éprouvé la nécessité de mettre au jour cette vérité : philosophie et science mathématique sont étroitement liées. Les deux ont besoin l’un de l’autre. D’abord, la philosophie pour fonder les sciences sur des bases solides, réformer d’une façon convenable leur enseignement, et surtout pour les placer dans leurs justes dimensions, ensuite, la science pour donner rigueur et méthode à la pensée dans ses tâches d’unification et de systématisation. La science mathématique a besoin d’une vue d’ensemble et c’est à la philosophie que va revenir la tâche de lui donner cette possibilité entant qu’elle s’inspire elle aussi de la science mathématique.
« Prolonger, écrit Ducassé, en méthode philosophique le commerce réciproque de l’empirisme et de la science, c’est essayer une transposition universelle de ce que la géométrie suggère sans relâche….Une telle activité pensante ….trouve dans l’expérience du mathématicien une confirmation permanente et un type de référence : modèle et illustration de la Méthode philosophique universelle. »
Op.Cit, p.55.
Pour Laisant, comme pour Comte, la philosophie n’est pas coupée des mathématiques. Une philosophie des mathématiques est indispensable. Sa structure exerce un impact important sur la façon avec laquelle non seulement il faut comprendre les mathématiques mais comment il faut les enseigner aussi. La philosophie des mathématiques n’est pas une discipline spéculative, mais essentiellement pratique. Parmi ses objectifs directs nous trouvons celui de réformer l’enseignement. Outre qu’elle entretient avec elle des relations étroites, elle y a trouvé un terrain solide pour ses idées et ses concepts.
La philosophie devient donc inséparable des sciences et par conséquent des mathématiques, et peut contribuer largement à rendre accessibles leurs parties les plus complexes. Mais son rôle est beaucoup plus positif que la simple vulgarisation scientifique. La philosophie s’intègre au cœur même des parties hautement spécialisées des mathématiques abstraites et joue un rôle décisif dans leur systématisation et unification. Loin de développer un simple travail de vulgarisation en dehors de la Mathématique elle-même, elle exige que le philosophe soit bien formé dans ses procédures techniques de calcul et de démonstration, car la pensée mathématique est difficilement transmissible dans les termes des langues naturelles courantes
« …mieux vaut à mon avis écrire une ligne de calcul qu’une page d’explication, lorsque cette ligne suffit à rendre la pensée. » p.1.. Grâce à Comte, nous nous trouvons donc devant un fait épistémologique irréversible que cette citation de Laisant résume avec excellence : « Les philosophes se sont solidement établis sur le terrain mathématique».
Ibidem, Préface IV.
Notons donc que la philosophie de la mathématique est intiment liée à son enseignement : elle a par-delà sa valeur théorique reconnue, une motivation pédagogique indéniable. L’un des objectifs de Laisant consiste donc à indiquer vers quel modèle l’enseignement des mathématiques doit tendre pour être socialement efficace et utile dans la société. Pour un mathématicien doublé d’un homme politique, l’enseignement est une institution sociale importante à ses yeux, et il est exclus d’introduire des théories mathématiques (« nébuleuses » selon ses propres termes) qui obnubileraient la pensée des élèves (et des citoyens). L’enseignement doit avoir des contenus simples, clairs, ne conduisant à aucune forme de scepticisme. Cette démarche peut être épistémologiquement intéressante car elle permet de sauvegarder les bases sociales de la connaissance, et de résister à tous les dangers qui voudraient déstabiliser son idéal d’objectivité scientifique en nous faisant douter et de la science et de la Mathématique.
Outre l’insistance sur la valeur pédagogique de la philosophie de la Mathématique, Laisant reprend à Comte une autre idée importante à savoir celle qui rattache cette valeur à l’unité de la Mathématique d’abord, et à l’unité de la Science ensuite. Comme l’a bien écrit Angèle Kremer-Marietti, « l’unité de la science peut donc procéder d’intentions différente et prendre diverses formes. »
Kremer-Marietti (2003) p. 189. Il s’agit de saisir le sens bien particulier de cette revendication d’unité et d’unification chez Comte telle qu’elle est employée par Laisant. Ce projet d’une unité de la science prend chez Comte les couleurs d’une unité humaniste et sociologique et implique avant tout que « l’univers doit être étudié, non pour lui-même, mais pour l’homme, ou plutôt pour l’humanité. »
Comte (1851) “Discours préliminaire sur l’ensemble du positivisme”, dans Système de politique positive, Paris, T 1, p. 36 L’unification des sciences par la méthode universelle qui ne s’inspire de la Mathématique que parce que cette dernière exprime les traits intrinsèques de l’esprit positiviste, possède néanmoins une extension sociale et morale profonde.
L’unité des mathématiques vient au service de cette unité de la science. D’un autre côté, elle doit déboucher concrètement sur une réforme continue de l’enseignement des sciences dont le modèle proposé par Laisant dans la deuxième partie de son livre en est un vif exemple.
La thèse de l’unité de la science est une thèse importante: elle s’exprime bien dans le choix du terme « Mathématique » pour désigner l’ensemble des chapitres des sciences mathématiques. Il n’y a pas contradiction cependant entre la nécessité de la spécialisation et l’unité fondamentale de la mathématique.
« Au fond, écrit Laisant, il n’y a pas des sciences mathématiques : l’Algèbre, la Géométrie, etc.,…Toutes s’entraident, toutes s’appuient mutuellement et sur certaines points se confondent. Il y a une vaste science, la Mathématique, que personne ne peut se flatter de connaître, parce que ses conquêtes sont infinies par nature. »
Ibidem p. 3
La division du travail scientifique, même si elle s’impose dans les temps modernes, est déplorable. Entre le métier du philosophe (considérée comme une science positive et se confondant en quelque sorte avec la sociologie qui a pour tâche de « coordonner toutes les coordinations ») et celui du mathématicien, il y a une belle continuité, ce qui est prouvé dans le passé depuis Leibniz jusqu’à Comte. Laisant insiste sur ce fait épistémologique majeur : les mathématiques et la philosophie entretiennent des relations privilégiées, et cette situation est irrévocable et bénéficie aux deux disciplines.
« J’ai cru pendant longtemps, écrit Laisant, que Leibniz, Descartes, Pascal ; que d’Alembert, Diderot, Condorcet, au XVIII è siècle ; qu’Auguste Comte, parmi nos contemporains, avaient été des philosophes. Quelques-uns de ceux-là, cependant, ont laissé une trace assez brillante derrière eux, au point de vue mathématique ; et je doute qu’il y en ait eu un seul, parmi les noms que je viens de citer, pour regarder la Mathématiques comme une science inférieure…De là m’est venue cette double conviction : qu’il n’est pas nécessaire d’ignorer la Mathématique pour bien raisonner sur les idées générales, ni de mépriser les idées générales pour être un mathématicien. »
Ibidem p. 4 C’est bien Laisant qui parle, et à travers ses mots retentit bien vivante la pensée de Comte. Sur ce niveau, Laisant va jusqu’à citer cette belle phrase de Leibniz : « Sans les mathématiques, on ne pénètre point au fond de la philosophie ; sans la philosophie, on ne pénètre point au fond des mathématiques ; sans les deux on ne pénètre au fond de rien. »
Sur la question du clivage appliqué/pure, Laisant développe une théorie intéressante des rapports entre les mathématiques pures et les mathématiques appliquées basée sur celle de Comte qui met l’accent sur le caractère arbitraire de cette division:
« La vérité, écrit Laisant, c’est que sans la mathématique pure l’application sera impossible, et, sans l’intervention de la mathématique appliquée, la mathématique pure ne peut donner de résultats exacts que dans le monde des abstractions. »
Ibidem p.8
À la base de cette théorie, nous trouvons l’idée selon laquelle la science mathématique est une science expérimentale. D’où sans doute la réhabilitation de la méthode d’analogie dans le raisonnement mathématique. Dhombres, dans un article publié dans la Revue philosophique 2007/4 a démontré comment, sans perdre de son actualité, cette méthode devenait problématique pour Comte. Mais tel n’est pas là notre propos. Il faut noter que la conception de la nature et de l’origine de la Mathématique chez Comte explique comment elle est avant tout basée sur la mesure indirecte des grandeurs, ce qui explique comment cette méthode de l’analogie est devenue importante. La Mathématique est dans un double rapport avec l’observation et le réel : elle y trouve son origine par son caractère expérimental et physique, et son utilité par les possibilités de son applicabilité aux phénomènes.
« J’estime, écrit Laisant, que, sans la présence du monde extérieur, aucune connaissance mathématique n’aurait jamais pu pénétrer dans le cerveau de l’homme…Ce qui distingue la Mathématique des autres sciences, c’est qu’elle emprunte à l’expérience, au monde extérieur, un minimum de notions. Et, une fois cette première base établie, par la seule puissance de la logique, elle édifie sur ces fondations un monument d’une incomparable splendeur… »
Ibidem p. 12-13.
Laisant s’appuie presque entièrement sur la définition d’Auguste Comte de la Mathématique, et il est très instructif de voir comment il donne à cette définition un développement philosophique critique et rationnel très intéressant :
« Mais Auguste Comte, ajoute-t-il, fait très justement remarquer que le nombre des cas où l’on peut directement évaluer une grandeur ….est extrêmement rare ; d’un autre côté, la science mathématique, si elle se bornait à la recherche des mesures par des procédés mécaniques pour ainsi dire, serait loin de présenter le caractère qui lui appartient en réalité. Pour l’illustre fondateur de la philosophie positive, c’est donc essentiellement « la mesure indirecte des grandeurs qui caractérise la Mathématique. Il est certain que cette idée fondamentale entraîne, comme conséquence, l’étude des propriétés des grandeurs, des liens qui les rattachent les unes aux autres, des méthodes par lesquelles nous pouvons arriver à des évaluations de mesures qu’un examen superficiel nous ferait proclamer impossibles, et qui seraient vraiment impossible par voie directe ».
Ibidem p. 14-15
Cette définition, même s’il la juge comme basée sur une idée fondamentale, n’est ni parfaite ni complète. Personne ne dit que les idées de Comte sont parfaites et complètes. Mais sur l’idée de mesure indirecte, Comte nous met déjà sur la voie d’une unité rationnelle ou d’une structure à perfectionner et à compléter par d’autres notions comme celle d’ordre, par exemple. C’est dans le troisième cours : Considérations philosophiques sur l’ensemble de la science mathématiques,
Comte (2007), p. 97-124. que Comte développe la définition des mathématiques citée et utilisée par Laisant.
Comte insiste sur l’importance de la science positive pour « perfectionner » l’activité de chaque science, y compris la science mathématique.
La mathématique a besoin de l’élaboration d’un projet philosophique portant sur son unité et ses orientations: ce besoin vient du cœur même de ses derniers développements et perfectionnements, et non pas d’une philosophie première ou d’un tribunal extérieur. Ce besoin obéit aussi à un principe fondamental qui est l’unité de toute science : « coordonner en un système unique les diverses parties de la science afin de préparer de nouveaux progrès». La visée de Comte n’est pas spéculative mais pragmatique. Une vision de l’ensemble permet incontestablement des résultats positifs sur le plan des acquis de la science.
Nous nous trouvons dans une situation ambigüe car la Mathématique est une science ancienne et certaine mais on est loin d’être d’accord sur sa définition. Qu’est-ce que la Mathématique ? Quel est son sujet d’étude ? Voici la réponse de Comte :
« (….) L’impossibilité de déterminer, en les mesurant directement, la plupart des grandeurs que nous désirons connaître. C’est ce fait général qui nécessite la formation de la science mathématique…Car renonçant, dans presque tous les cas, à la mesure immédiate des grandeurs, l’esprit humain a dû chercher à les déterminer indirectement, et c’est ainsi qu’il a été conduit à la création des mathématiques. »
Comte (2007), p. 100-101.
« Tel est, ajoute-t-il, l’objet précis de la science mathématique envisagée dans son ensemble…cette indétermination indirecte des grandeurs… »
Ibidem, p. 101.
Il faut noter que la philosophie de la Mathématique n’est pas aux yeux de Comte et de Laisant l’équivalent d’une sorte d’épistémologie « régionale » des mathématiques selon le modèle promulgué par Jean Dhombres. À travers l’étude de l’activité mathématique, non seulement nous comprenons comment fonctionne, à des degrés différents, les diverses sciences particulières, mais nous accédons surtout à la méthode universel que l’esprit emploie partout.
« La science mathématique, écrit Comte, ne fait…que pousser au plus haut degré possible, tant sous le rapport de la quantité que sous celui de la qualité, sur les sujets véritablement de son ressort, le même genre de recherches que poursuit, à des degrés plus ou au moins inférieurs, chaque science réelle, dans sa sphère respective. C’est donc par l’étude des mathématiques, et seulement par elle, que l’on peut se faire une idée juste et approfondie de ce que c’est qu’une science. C’est là uniquement qu’on doit chercher à connaître avec précision la méthode générale que l’esprit humain emploie…… »
Ibidem, p.105-106.
La mathématique est pour Comte « cette perception du rapport fondamental entre le concret et l’abstrait ». La division « fonctionnelle » de la science mathématique en deux parties ne met pas en cause l’unité de cette science. Il y a chez lui une harmonie « originelle » du concret et de l’abstrait dans la démarche mathématique. Dans cette harmonie Comte « retrouve l’harmonie de la logique des images et de la logique des signes, illustrée la première par la géométrie, et la seconde par le calcul algébrique, et dont l’alliance promue par Descartes s’avère être une rencontre fructueuse pour les deux sciences».
Angèle Kremer-Marietti (2007), p. 16. Comte met au clair ce problème dans ces termes :
« La division fondamentale de la science mathématique générale en deux grandes sciences, la mathématique abstraite et la mathématique concrète. Cette analyse peut être observée dans toute question mathématique complète….les deux grandes sections de la science mathématique, quand on les compare en masse, doivent être regardées comme exactement équivalentes en étendue et en difficulté… La mathématique concrète a un caractère philosophique essentiellement expérimental, physique, phénoménal ; tandis que celui de la mathématique abstraite est purement logique, rationnel….La partie concrète de toute question mathématique est nécessairement fondée sur la considération du monde extérieur, et ne saurait jamais, quelle qu’y puisse être la part du raisonnement, se résoudre par une simple suite de combinaisons intellectuelles. La partie abstraite, au contraire,…ne peut consister que dans une série de déductions rationnelles plus ou moins prolongée».
Comte (2007) pp. 107-108-109-110.
Quel est l’objet que poursuit la science mathématique ? Quel est l’intérêt qu’elle présente pour l’humanité ? Quelle est la nature de l’abstraction en tant qu’elle est une caractéristique typique des mathématiques ? Quel est son rôle et comment définir sa fonction ? La réponse que donne Laisant à cette série de questions tient compte d’un double standard : (1) l’origine « naturelle » de la science mathématique et (2) son efficacité sociale.
« Sans le secours de l’abstraction, écrit Laisant, aucune étude mathématique n’est possible, aucun objet ne tombe dans le domaine des grandeurs, aucun des phénomènes de la nature ne peut être abordé….Par l’abstraction, … à la réalité des choses nous substituons des êtres de raison, crées par notre cerveau, sur lesquels les raisonnements et les procédés mathématiques pourront librement s’exercer. »
Laisant (1907) p. 16
« Le véritable esprit mathématique, précise Laisant, conduit donc, à l’encontre d’un préjugé maintenu par l’ignorance, à une méfiance perpétuelle de l’absolu. Très à l’aise, au milieu des plus profondes et difficiles recherches, tant qu’il raisonne sur les abstractions pures, le mathématicien sait à merveille que ces abstractions ne répondent pas et ne peuvent répondre aux faits ; et c’est avec des précautions infinies qu’il entreprendra de transporter dans la réalité des choses les résultats de ses raisonnements ou de ses calculs».
Ibidem, p. 16
Selon Laisant, l’étude mathématique complète se compose de trois opérations. En nous plaçant au point de vue mathématique pure, dans l’étude des phénomènes, il pense qu’il y a trois étapes distinctes :
(1) La mise en équation c’est-à-dire le passage du concret à l’abstrait.
(2) La résolution des équations qui opèrent des transformations utiles : « Les nombres, les formules, les symboles de toute espèce, écrit Laisant, ne représentent ici plus rien, en dehors des êtres logiques créés par le cerveau de l’homme. C’est sans doute ce qui a fait reprocher souvent à la Mathématique de fausser l’esprit en le poussant dans la voie de l’absolu ;…Il faut bien remarquer que ce travail de déductions opérées sur des abstractions n’a pas, par lui-même, aucune vertu créatrice spéciale».
Ibidem, p. 17
En ce qui concerne la nature du calcul, les choses sont claires pour Laisant, comme il l’explique dans ces termes:
« Le calcul, insiste-t-il, transforme, mais il ne rend jamais que ce qui lui a été confié ; c’est un fait inhérent à sa nature, et il n’en est pas moins précieux pour cela, car il permet de mettre en évidence des relations et des propriétés qui, sans son aide, seraient restées enveloppées d’une sorte de mystère. Mais ce serait une erreur profonde que de vouloir lui attribuer des vertus qu’il ne peut posséder à aucun titre».
Ibidem, p. 17
(3) Retour de l’abstrait au concret : il s’agit ici de la partie des mathématiques qui a pour objet d’effectuer le retour de l’abstrait au concret ou si l’on veut de l’application qu’il explique de la manière suivante : « Cette dernière opération, écrit-il, n’appartient plus, à proprement parler, à la science mathématique ; elle relève au contraire de la science spéciale à laquelle se rattache le phénomène étudié».
Ibidem, p. 18.
Cette analyse de l’expérience mathématique eu égard à son mode d’opération et à son rapport à l’abstrait (la raison) et au concret (la nature) va diviser méthodologiquement la Mathématique en deux grandes branches : Les mathématiques abstraites et les mathématiques concrètes. Mais étant donné l’analyse faite au sujet de la nature de l’abstraction en mathématiques, cette division correspond, en vérité, à la division entre mathématiques pures et mathématiques appliquées. Elle est arbitraire, puisque Comte aussi bien que Laisant insistent sur l’unité de la Mathématique. Non seulement la Mathématique est une science unifiée, mais c’est sa méthode universelle qui unifie aussi l’ensemble de l’expérience scientifique du monde en tant que cette expérience générale est inhérente aux sciences particulières dans leurs domaines respectifs.
Sur cette base, il devient normal que Laisant rejette, en total accord avec Comte, toute forme d’opposition entre le calcul (l’analyse) et la géométrie, ou bien entre les méthodes analytiques et les méthodes synthétiques. Ce rejet dépend essentiellement donc de son idée sur l’unité de la Mathématique, car « le passage des figures aux équations, c’est-à-dire des conceptions géométriques aux conceptions analytiques, est assimilé par Comte au passage de la logique des images à la logique des signes, deux langages et deux logiques dont l’alliance doit être permanente, comme doit réversible le chemin de l’une à l’autre ».
Kremer-Marietti (2007) p. 16-17 « La science du calcul, insiste Laisant, et la Géométrie pure se prêtent un mutuel appui ; nulle des deux n’est supérieure ni inférieure à l’autre…..On a peine à comprendre comment des hommes de grande valeur ont pu tenter d’établir une sorte de préséance, de hiérarchie au profit de l’un ou de l’autre de ces deux grands moyens généraux, qui progressent surtout par leur aide réciproque ».
Ibidem, p. 83-84
Il est incontestable que tous deux insistent donc sur la nature physique de la Mathématique dépassant ainsi tous les clivages possibles de type pure/appliqué, abstrait/concret, théorique/expérimental, etc. ces clivages conceptuels sont pour ainsi dire complètement dissouts les uns dans les autres selon les réquisits de la méthode universelle.
« Même dans l’étude de la Mathématique pure, écrit Laisant, il sera nécessaire néanmoins d’emprunter quelque chose au monde extérieur, pour nous rendre un compte exact de la genèse des abstractions. »
Ibidem p.19.
Laisant va plus loin encore et décide de donner à l’expérience, dans un sens subtilement différent de celui qu’on trouve chez les empiristes, le pouvoir de contrôler et de vérifier les résultats fournis par la science mathématique :
« Il est seulement utile d’insister ici, ajoute Laisant, sur la nécessité particulière de contrôler par l’expérience, plus attentivement que jamais, les précieux résultats que fournit la Science mathématique, sous peine de commettre de graves erreurs. »
Ibidem p. 21.
Or, derrière cette thèse nous trouvons l’idée de l’importance d’une réflexion philosophique adéquate sur la science mathématique qui nous met à l’abri d’une certaine utilisation non utile de ses merveilleux services. Laisant reprend à son propre compte la phrase de Kant qui dit qu’une « science naturelle n’est une science qu’autant qu’elle est mathématique ». Quelles que soient les divergences de nature doctrinale entre Comte-Laisant d’un côté, et Kant de l’autre, il reste néanmoins vrai que cette formule de Kant exprime bel et bien l’essence de la pensée « positiviste » de Comte. C’est la méthode selon laquelle l’esprit mathématique élabore le passage du concret vers l’abstrait et vice versa qui est fondatrice de la méthode universelle que Comte veut à tout prix élaborer pour l’ensemble de la science positive.
« Sans le secours de la Mathématique, écrit Laisant, aucune étude des faits où figurent des quantités n’est rationnelle ni complète ; c’est le plus merveilleux instrument créé par le génie de l’homme pour aider à la découverte de la vérité. Pourvu qu’on en fasse un emploi judicieux, pourvu qu’on ne lui demande pas d’autres services que ceux dont elle est capable, la Mathématique vient apporter son concours à toutes les autres sciences. Ajoutons qu’en elle-même, et au point de vue du développement de l’esprit, l’étude mathématique est un admirable exercice de gymnastique logique ; on y apprend à raisonner juste, à effectuer les rapprochements nécessaires entre les idées et les signes, à faire le départ entre l’absolu et le relatif, entre le concret et l’abstrait».
Laisant (1907), p. 22
L’examen de l’origine des mathématiques nous impose la nécessité de ne pas séparer totalement cette science de la réalité physique. Mais il faut éviter aussi de tomber dans le piège de l’utilitarisme qui peut nous empêcher de donner à toute science sa juste valeur, car « mesurer une science à son utilité est presque un crime intellectuel ».
Ibidem p. 121. Mais, « C’est le besoin, que ce sont les nécessités du milieu ambiant qui ont provoqué la création de la Mathématique, et déterminé les abstractions sans lesquelles cette science eût été impossible. »
Ibidem p.120-121.
« Que le mathématicien lui-même, ajoute Laisant, abandonne momentanément ses recherches purement abstraites pour mettre à la disposition de ses contemporains un ensemble de vérités dont on peut dès à présent tirer des applications concrètes, en le faisant, il complète sa tâche et montre une fois de plus que la science, si elle constitue primitivement une satisfaction de l’esprit, n’a pas oublié son origine première et conserve son utilité ».
Ibidem p. 121-122
Pour sa part, Comte considère la géométrie comme une partie de la physique : il critique l’idée assez répandue chez ses contemporains d’un espace géométrique incorporel, pure création de l’esprit. L’espace géométrique et l’espace des corps réels ne sont pas deux choses hétérogènes. Il ne considère pas l’étendue séparément des corps, et d’ailleurs la science à ses yeux n’a pas du tout besoin de cette notion d’un espace géométrique dépourvu de sa matérialité. Un espace pure dénué de toute trace matérielle ne serait, selon ses propres termes, qu’une « rêverie métaphysique » source de « questions creuses, inintelligibles, absurdes et ridicules. »
C’est dans cet esprit-là que Laisant nous dit que les géométries non euclidiennes doivent « être regardées comme un exercice de l’esprit », et qu’en « ce qui concerne l’étude de l’étendue, de ses propriétés et de sa mesure, la conception euclidienne sera toujours d’un usage universel, comme répondant mieux que toute autre à la notion naturelle de l’espace telle qu’elle se présente à nous par l’observation de la nature ».
Ibidem, p. 78
C’est dans ces termes que Laisant exprime en toute clarté son adhésion à l’idée de Comte sur la nature physique de l’espace géométrique indéfini.
Bibliographie
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Comte Auguste (1968-1970) Œuvre en 12 tomes, éd. Anthropos, Paris.
_______(1970) Ecrits de Jeunesse, Mouton, Paris.
_______(2007) Premiers Cours de Philosophie positive, édité par Yann Clément-Colas, PUF.
Ducassé, Pierre (1939) : Méthode et intuition chez Auguste Comte, Librairie Félix Alcan, Paris.
Dhombres, Jean (2007) : Postface, dans Auguste Comte : Premiers Cours de philosophie positive, Eds Yann Clément-Colas, PUF 2007.
Gouhier, Henri (1970) : La jeunesse d’Auguste Comte et la formation du positivisme, I II III, Paris Vrin.
Kremer-Marietti, Angèle (2003) « De l’unité de la science à la science unifiée : De Comte à Neurath », dans Petit (2003), p. 189-203.
_____(2007) Le Concept de science positive : Ses tenants et ses aboutissants dans les structures anthropologiques du positivisme, L’harmattan.
Laisant Charles-Ange (1907) La Mathématique. Philosophie. Enseignement, Gauthier-Villars.
Petit, Annie Ed (2003) Auguste Comte Trajectoires positivistes 1798-1998, L’harmattan 2003.
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