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Gérard Claisse

Téléphone, communication et sociabilité: des pratiques résidentielles différenciées In: Sociétés contemporaines N°14-15, Juin / Septembre 1993. pp. 165-189. Abstract OtRARD CLAISSI, FRANTZ ROW! Paying attention to the century-old telephone may seem anachronistic, paradoxical or an odd curiosity in the new telecommunication age. Yet, we know very little about residential telephone habits. Who calls whom ? For what purpose ? Beyond the diversity of the calls, can we identify some clear patterns of constrasting uses ? These are the main questions that are adressed here on the basis of a quantitative survey of the telephone calls of individuals. The impact of sociability and social networks on consumption and habits are also analysed. The telephone, subject of this research, appears finally as an axcellent tool for studying society. Résumé À l'heure du développement des nouvelles technologies et services de télécommunications grand public, s' intéresser au téléphone plus que centenaire pourrait paraître relever de l archaïsme, de l'histoire ou du tourisme intellectuel. Et pourtant, nous connaissons finalement peu de choses de l'usage domestique du téléphone. Qui téléphone ? Avec quels correspondants ? Pour quels motifs ? Par delà la diversité des communications, est-il possible d'identifier des pratiques téléphoniques différenciées ? Telles sont les principales questions auxquelles cette contribution s'efforce de répondre, sur la base de l'analyse des résultats d'une enquête quantitative. Les effets de la sociabilité et des réseaux de relations sur la consommation et les usages sont également analysés. Au-delà, l'étude des pratiques téléphoniques, objet de cette recherche, se révèle être un excellent outil, tout à la fois heuristique et déformant, pour l'analyse des sociétés contemporaines. Citer ce document / Cite this document : Claisse Gérard, Rowe Frantz. Téléphone, communication et sociabilité: des pratiques résidentielles différenciées. In: Sociétés contemporaines N°14-15, Juin

Gérard Claisse Frantz Rowe Téléphone, communication et sociabilité: des pratiques résidentielles différenciées In: Sociétés contemporaines N°14-15, Juin / Septembre 1993. pp. 165-189. Abstract OtRARD CLAISSI, FRANTZ ROW! Paying attention to the century-old telephone may seem anachronistic, paradoxical or an odd curiosity in the new telecommunication age. Yet, we know very little about residential telephone habits. Who calls whom ? For what purpose ? Beyond the diversity of the calls, can we identify some clear patterns of constrasting uses ? These are the main questions that are adressed here on the basis of a quantitative survey of the telephone calls of individuals. The impact of sociability and social networks on consumption and habits are also analysed. The telephone, subject of this research, appears finally as an axcellent tool for studying society. Résumé À l'heure du développement des nouvelles technologies et services de télécommunications grand public, s' intéresser au téléphone plus que centenaire pourrait paraître relever de l archaïsme, de l'histoire ou du tourisme intellectuel. Et pourtant, nous connaissons finalement peu de choses de l'usage domestique du téléphone. Qui téléphone ? Avec quels correspondants ? Pour quels motifs ? Par delà la diversité des communications, est-il possible d'identifier des pratiques téléphoniques différenciées ? Telles sont les principales questions auxquelles cette contribution s'efforce de répondre, sur la base de l'analyse des résultats d'une enquête quantitative. Les effets de la sociabilité et des réseaux de relations sur la consommation et les usages sont également analysés. Au-delà, l'étude des pratiques téléphoniques, objet de cette recherche, se révèle être un excellent outil, tout à la fois heuristique et déformant, pour l'analyse des sociétés contemporaines. Citer ce document / Cite this document : Claisse Gérard, Rowe Frantz. Téléphone, communication et sociabilité: des pratiques résidentielles différenciées. In: Sociétés contemporaines N°14-15, Juin / Septembre 1993. pp. 165-189. doi : 10.3406/socco.1993.1133 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/socco_1150-1944_1993_num_14_1_1133 ♦ ♦♦♦♦♦♦ ilABD CLAlfSI FIANT! IOWI ♦♦♦♦♦♦ TÉLÉPHONE, COMMUNICATION ET SOCIABILITÉ : DĚS PRATIQUÉS RÉSIDENTIELLES DIFFÉRENCIÉES télécommunications paraître connaissons Avec RÉSUMÉ est-il questions résultats la téléphoniques, et déformant, consommation possible quels relever d'une s auxquelles Àcorrespondants finalement pour l'heure d'identifier objet enquête de l'analyse etde l grand archaïsme, cette les cette du quantitative. peu des usages développement contribution public, recherche, ?de des pratiques Pour choses sociétés de sont quels s'Les Гintéresser histoire se de téléphoniques également s'efforce effets révèle contemporaines. motifs l'usage des ou deêtre ?au la nouvelles du domestique de Par analysés. sociabilité téléphone un tourisme différenciées répondre, delà laAu-delà, excellent technologies du intellectuel. diversité plus et sur outil, des téléphone. ? Telles que la réseaux tout base l'étude des centenaire àsont Et la communications, de Qui et de fois pourtant, les des l'analyse services relations téléphone principales heuristique pratiques pourrait nous des sur de? Jusqu'à la fin des années 1970, la littérature sur la communication a très souvent fait l'impasse sur les télécommunications. La télévision, le cinéma, la presse, la radio, la publicité occupaient une place de choix alors que les télécommunications étaient à peine évoquées. Début des années 1980, le décor a complètement changé : les nouvelles technologies de communication, comme secteur industriel, comme biens d'équipement, comme technologies d'organisation du travail, comme moyens de communication, sont au centre des débats et des recherches sur la communication, sur la société dite communicationnelle. 1. LE TÉLÉPHONE OUBUÉ Un absent de marque traverse ces années : le téléphone, plus que centenaire, n'a été que trop rarement étudié. À l'exception de l'ouvrage de référence de Ithiel de Sola Pool The Social Impact of the Telephone (1977), de quelques ouvrages en langue française (Bomot, Cordesse, 1981 ; Pinaud, 1985 ; Lauraire, 1987) et des travaux réalisés sous l'impulsion de Гех-Direction Générale des Télécommunications (Périn, 1985 ; Arnal, 1990), peu d'études ambitieuses ont été menées sur les usages domestiques du téléphone ou plus généralement sur les pratiques de communication des individus. La diffusion très tardive du téléphone en France est souvent mise en avant pour expliquer ce long silence des sciences de la communication sur ce système technique de communication interpersonnelle. Pourtant, au-delà de cette raison circonstancielle, Sociétés Contemporaines (1993) n ° 14115 (p. 165-189) G. ClAISSE, F. ROWE ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ ce même mutisme traverse l'ensemble des pays ayant connu une généralisation plus précoce du téléphone. Les raisons de ce manque de curiosité sont donc vraisemblablement à trouver dans le système de représentation dominante de cet outil technique et de manière plus générale de la télécommunication. Le téléphone apparaît et se diffuse presque à l'insu d'une société industrielle tournée vers le développement des technologies lourdes de l'industrie, des biens d'équipement des ménages et des mass médias. Le téléphone, comme technologie de communication interpersonnelle, échappe d'autant plus facilement aux débats « technique et société » qu'il ne semble porter en germe aucun des enjeux et des risques majeurs attribués aux technologies de production, de consommation et de communication de masse. C'est une technologie souple, douce, relationnelle, interactive, sans nuisances, libératrice des contraintes de l'espace et du temps, bon marché, accessible, ... Telle est la représentation dominante du téléphone qui s'imposera à un point tel que lorsqu'un auteur comme I. Illich (1973), pourfendeur de l'idéologie technicienne de la société industrielle, entreprend la définition de ce qu'il appelle « un outil convivial » par opposition à un « monopole radical », le téléphone s'impose à lui comme un archétype idéal. Lorsqu'au début des années 1980, les technologies de communication à distance font une entrée remarquée sur la scène de la prospective, sur fond de crise économique et sociale, le téléphone se trouve de fait disqualifié et rangé au musée de la socio-économie naissante des télécommunications pour cause d'obsolescence. La multiplication des moyens de communication à distance fonde alors les discours sur l'avènement d'une société conviviale, d'une société dite de l'information ou de la communication dont les activités sont rebaptisées au nom du préfixe « télé » et du suffixe « tique ». Ceux qui font de l'évolution technologique le moteur du devenir social, transfèrent ainsi sans précautions les caractéristiques techniques des télécommunications à la société qui les utilise : à technologies de communications interpersonnelles, à distance, instantanées, non polluantes, accessibles, souples, ..., correspond une société conviviale, sans distance, en temps réel, propre, peu hiérarchisée et décentralisée... Cette représentation dominante du téléphone et plus généralement de ce que l'on continue à appeler les nouvelles technologies de communication repose donc sur trois mythes structurants. Le mythe de la convivialité : de même que la société industrielle devait produire l'abondance matérielle, la société post-industrielle devrait produire l'abondance communicationnelle. Dans ce paradigme, la (télécommunication devient la main invisible tant recherchée de la régulation économique et sociale, les machines à communiquer permettent de lutter contre l'entropie de nos sociétés, elles libèrent la parole, la relation et favorisent l'épanouissement des individus. Ce mythe est très précisément disséqué dans le récent ouvrage L'utopie de la communication (Fii. Breton, 1992) ; on le retrouve dans la théorie de la richesse du média (Daft, Lengel, 1986), qui suppose que l'efficacité de la communication dépend de son adéquation au média ; le téléphone serait ainsi mieux adapté aux communications ambiguës et affectives. Le mythe de l'ubiquité : vieux rêve de l'humanité que celui de s'affranchir totalement des contraintes de l'espace et du temps. Grâce aux technologies de communication à distance et en temps réel pourrait se mettre en place une société sans 1*6 ♦ ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ TÉLÉPHONE ET SOCIABILITÉ distance et sans délai ; en d'autres termes ce serait l'avènement du village universel de Me Luhan, libéré de la loi d'airain de la proximité physique. La littérature sur la substitution des télécommunications aux transports, sur la déterritorialisation des échanges économiques et sociaux, sur la réalité virtuelle est souvent imprégnée de ce mythe de l'ubiquité. Le mythe de l'indifférenciation, voire de l'ouverture sociale : c'est celui de la technologie douce au service de tous. Technologies à fort niveau d'accessibilité, branchées sur des réseaux ouverts, souples et peu hiérarchisés, elles sont censées favoriser les social telephone' décloisonnement impact is liberating des réseaux » écrit de relation I. de S. Pool et des (1977). structures Cettesociales représentation : « the se développa lorsque le téléphone fut banalisé ; dès lors que la différenciation sociale ne s'opère plus par le branchement au réseau, l'indifférenciation sociale devient la règle. D'où les trois questions que nous adressons au téléphone, seul moyen de communication interpersonnelle (mythe de la convivialité) à distance et en temps réel (mythe de l'ubiquité) et socialement diffusé (mythe de l'indifférenciation sociale) : le téléphone est-il un outil convivial ? permet-il à l'homme de se libérer des contraintes de l'espace et du temps ? est-il socialement neutre ? Pour répondre à ces questions nous nous sommes penchés sur l'analyse des usages et des pratiques de communication téléphonique des individus dans le cadre d'une enquête financée par le programme « Science Technologie et Société » du CNRS. Cette enquête sur l'utilisation domestique du téléphone, réalisée en 1984 sur un échantillon de 298 ménages abonnés, a permis de recueillir les pratiques téléphoniques de 663 individus de plus de 13 ans et de recenser les principales caractéristiques de 7 252 communications téléphoniques à l'aide de trois questionnaires : - un questionnaire « ménage » identifiant les principales caractéristiques socio-économiques du ménage et des individus le composant ; - un carnet de bord téléphonique auto-administré recensant les caractéristiques des communications téléphoniques émises et reçues au domicile sur une période d'une semaine ; - un questionnaire « réseaux de relation » permettant d'identifier les différents correspondants téléphoniques contactés au cours de la semaine et les principaux réseaux de relation des ménages (familial, amical, voisinage, professionnel, ...). L'échantillon fut constitué de ménages résidant dans l'agglomération lyonnaise. Les résultats qui seront présentés ne seront donc représentatifs que des seules pratiques téléphoniques domestiques des citadins. Il est néanmoins comparable aux échantillons enquêtes à Chicago et à Cincinnati (Brandon, 1981 ; Infosino, 1980). L'échantillon enquêté, bien que représentatif de la population urbaine abonnée, est relativement petit. Toutefois, les petits échantillons permettent des investigations fouillées et détaillées pour des financements modestes. À l'aide d'un petit échantillon on recherche plus une caricature expressive du phénomène étudié qu'une parfaite image figurative. Si les données quantitatives présentées dans cette contribution sont évidemment datées, nous pensons que les tendances repérées restent stimulantes pour les raisons suivantes : • les données de base sur l'utilisation domestique du téléphone sont suffisamment rares pour se dispenser de celles disponibles ; 1*7 G. CLAISSÊ, F. ROWE ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ • le changement social n'est pas instantané ; si les comportements sociaux évoluent, de nombreux comportements observés en 1984 restent cependant d'actualité ; - les résultats produits par les enquêtes réalisées à ce jour sont suffisamment sensibles aux méthodologies et protocoles des recueils de données utilisés, pour ne pas faire l'économie d'une diversité des sources d'information (Caisse, Rowe, 1992) ; - la comparaison des résultats obtenus en 1984 et de ceux produits par d'autres enquêtes quelques années plus tard peuvent permettre de repérer quelques évolutions significatives pouvant être précieuses dans le cadre d'un exercice prospectif ; - enfin, compte tenu de l'obsessionnelle confidentialité dont les opérateurs font preuve à l'égard de leurs dernières enquêtes, les résultats de cette étude universitaire font partie du domaine public et peuvent être à ce titre exposés librement. Nous organiserons cette présentation autour des quatre étapes suivantes : - les consommations téléphoniques : qui téléphone ? à quelles différenciations sociales renvoient les disparités de consommation observées ? - les correspondants téléphoniques : avec qui téléphone-t-on ? peut-on identifier différentes sociabilités téléphoniques ? le téléphone permet-il de décloisonner les réseaux de relation des individus ? - le contenu des communications téléphoniques : pourquoi téléphone-t-on ? Au-delà de l'échange convivial les usages du téléphone domestique ne sont-ils pas plutôt fonctionnels ? - les pratiques téléphoniques : peut-on mettre en évidence différents types purs de pratique téléphonique permettant une caricature expressive du comportement de certains groupes sociaux ? a. LES CONSOMMATIONS TÉLÉPHONIQUES En première analyse, les pratiques téléphoniques peuvent être caricaturées par des niveaux de consommation téléphonique différenciés. Qui ne connaît en effet dans son entourage immédiat des boulimiques du téléphone et des réfractaires du combiné ? 2. I. UNE TYPOLOGIE DES CONSOMMATIONS TÉLÉPHONIQUES Dans les lignes qui suivent, seules les consommations téléphoniques des individus seront analysées l. En 1984, la consommation téléphonique moyenne des personnes enquêtées reste encore modérée par rapport à d'autres pays développés. À leur domicile, les individus émettent ou reçoivent en moyenne 9,4 communications téléphoniques, passent environ lhlSmn « au bout du fil » et consacrent un peu plus de 12 F (1984) au téléphone chaque semaine. Cependant, ces valeurs moyennes masquent des dispersions très importantes puisque 50 % des communications, du temps passé et des dépenses consacrées au téléphone sont assurés respectivement par 17 %, 16 % et 8 % des individus. En l'absence de toute information sur le contenu des communications et sur la nature des correspondants, ces dispersions de consommation sont suffisamment 1• L'analyse des pratiques téléphoniques des ménages ne sera pas abordée dans cet article ; un chapitre lui est consacré dans le rapport cité en référence (Qaisse, Vergnaud, Rowe, 1985) p. 86-130. ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ TÉLÉPHONE ET SOCIABILITÉ TABLEAU 1 • TYPOLOGIE DES INDIVIDUS ET CONSOMMATIONS TÉLÉPHONIQUES Typologie des individus Nombre individus Nombre Budget-temps commun, par hebdomadaire semaine Coût (en F) par semaine Célibataires vivant seuls 1 - Célibataire actif 2 - Célibataire inactif 29 39 14 19 Ih48* 2h55* 11 26 Hommes actifs 3- CSP aisée (a) "standardistes" (b) 4 - CSP aisée (autres) 5 - CSP modestes (c) 57 41 79 9 4 4.5 lhOO* 27' 25* 17 4 4 Hommes inactifs 6 - Retraités 7 -Jeunes de 18 ans ou + (étudiants) 8 -Jeunes 13-18 ans (scolaires) 42 38 5 5 26* 38' 11 5 31 3 25' 3 9 - CSP aisée 10 -CSP modeste 45 73 13 11 lh40* Ih35* 14 14 1 1 - Moins de 60 ans CSP aisée (d) 12 -Moins de 60 ans CSP modeste (d) 13 -Plus de 60 ans 14 -Jeunes de 18 ans et + (étudiantes) 15 -Jeunes 13-18 ans (scolaires) 35 21 2h48" 38 32 33 58 14 9 8.5 2h00' lhlO' lh30* 18 14 8 31 4 35* 2 9.4 1Ы5* 12 30 32 13 Femmes actives Femmes inactives TOTAL % de variance expliquée 663 (a) CSP aisée : patrons, professions libérales, cadres supérieurs et moyens (b) Standardiste : personne répondant au moins parfois au téléphone lorsqu'il sonne (c) CSP modeste : ouvriers et employés (d) Profession du conjoint importantes pour penser que de simples indicateurs de niveaux de consommation constituent déjà des outils performants d'analyse des pratiques téléphoniques des individus. Pour mener cette analyse, nous disposions de diverses caractéristiques démographiques et socio-économiques se rapportant soit au ménage soit à l'individu. Nous pouvions ainsi tester la sensibilité de la consommation téléphonique des G. CLAISSE, F. ROWE ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ individus à une cinquantaine de variables plus ou moins élémentaires 2 et construire une typologie d'individus explicative des niveaux de consommation différenciés. Par souci de simplification, nous partirons de cette typologie qui segmente la population en 15 groupes d'individus et constitue le résultat le plus synthétique de l'analyse de la consommation téléphonique (cf. Tableau 1). La typologie obtenue est statistiquement assez puissante puisque nous obtenons un pourcentage de variance expliqué de Tordre de 30 % 3. Statistiquement puissante, cette typologie est aussi heuristique puisqu'elle permet de distinguer deux déterminants premiers de la consommation téléphonique des individus - la taille du ménage et le sexe - et trois déterminants secondaires - l'âge, l'activité et la CSP. 2. 2. DEUX DÉTERMINANTS PREMIERS : SEXE ET CÉLIBAT Les célibataires vivant seuls téléphonent en moyenne deux fois plus que les individus appartenant à des ménages de deux personnes ou plus. Deux interprétations complémentaires permettent d'expliquer ce différentiel de consommation : - les célibataires vivant seuls assument intégralement ce qu'il est convenu d'appeler le trafic ménage ou en d'autres termes les relations avec la famille, les amis, les différents prestataires de service, ... ; à ce titre, ils ont une consommation téléphonique assez proche de celle des individus qui assurent le rôle de standardiste à l'intérieur des ménages de deux personnes ou plus ; - le téléphone est sans doute pour les célibataires un moyen leur permettant de compenser leur relatif isolement au sein de leur foyer. Cette consommation téléphonique assez élevée des célibataires vivant seuls est d'autant plus significative qu'elle concerne tout aussi bien les hommes célibataires que les femmes célibataires qui représentent 70 % des personnes vivant seules. La consommation des hommes célibataires est de 3 à 4 fois supérieure à la consommation moyenne des hommes. Le célibataire n'est donc pas seulement un individu vivant seul, c'est aussi un ménage, mais un ménage sans possibilité de relation intra-ménage. À l'exception des personnes vivant seules, les consommations téléphoniques des femmes et des hommes sont fondamentalement différentes. Quel que soit l'indicateur retenu (nombre de communications, budget-temps, coût) les femmes téléphonent toujours deux fois plus que les hommes. Qu'elles soient actives ou inactives, étudiantes ou retraitées, avec ou sans enfants, jeunes ou âgées, la différence est toujours aussi conséquente par rapport à leurs homologues masculins. Trois explications peuvent être avancées. La plus immédiate est celle de la présence plus fréquente des femmes à leur domicile. Certes, les femmes inactives téléphonent encore plus que les femmes actives, cependant les femmes actives téléphonent toujours deux fois plus que les hommes actifs. Deuxième explication, la répartition des rôles à l'intérieur du ménage : dans plus de 55 % d'entre eux, il existe une personne qui va systématiquement répondre lorsque le téléphone sonne ; dans 80 % des cas cette personne est ... une femme. 2. 3. Au plan statistique ces tests de sensibilité ont été conduits à l'aide de l'analyse de variance. En revanche cette typologie explique moins bien les dépenses téléphoniques hebdomadaires des individus, le coût des communications dépendant fortement de la structure spatio-temporelle du trafic (distance, durée, jour, heure). 17О ♦ ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ TÉLÉPHONE ET SOCIABILITÉ Enfin, l'utilisation plus fréquente du combiné par les femmes correspond fondamentalement à leur place souvent centrale dans la gestion de la vie quotidienne et l'entretien des relations familiales et amicales du ménage. De manière quelque peu caricaturale on pourrait dire que les femmes assurent le ministère de la parole et des relations extérieures au sein du ménage. Cette consommation relativement élevée des femmes est bien évidemment ambiguë car elle est tout autant l'expression d'une nouvelle contrainte ménagère (standardiste) qu'un moyen de s'évader provisoirement des contraintes ménagères (passer un moment, discuter) 4. Le célibat et le sexe ont une telle influence sur le niveau de consommation téléphonique qu'il serait vain de rechercher les effets des autres variables sans en avoir auparavant neutralisé les effets. Sous cette condition, l'âge, l'activité et la CSP permettent d'aller plus loin. a. 3. DES DÉTERMINANTS SECONDAIRES: CYCLE ET MODES DE VIE. Les effets de l'âge sont toujours délicats à interpréter car difficiles à démêler d'autres facteurs : situation dans le cycle de vie, position sociale, génération à laquelle appartient l'individu... Cela dit, on constate que les plus jeunes et les plus âgés téléphonent plutôt moins que les autres. Pour les premiers, plusieurs explications peuvent être avancées : une relative fuite du trafic téléphonique vers d'autres lieux (cabines publiques, ...), une relative auto-censure à l'égard du carnet de bord pouvant être épluché à tout moment par les parents, et surtout un espace relationnel moins diversifié que celui de leurs aînés se limitant le plus souvent aux amis, copains de classe. Comme les plus jeunes, les personnes âgées ont sans doute moins de raisons de téléphoner : le cercle des proches est décimé par le temps, le téléphone peut parfois coûter cher pour des revenus modestes, enfin, le combiné est quelquefois avant tout un système d'alarme à n'utiliser qu'en cas d'urgence. On retrouve les effets de l'âge lorsque l'on compare les consommations des actifs et des inactifs. Ainsi les consommations des scolaires, des étudiants et des retraités sont-elles inférieures à la consommation moyenne. Par contre, les femmes au foyer de moins de 60 ans font un usage du téléphone deux fois plus important que la moyenne. Elles cumulent de fait deux des attributs majeurs des consommations téléphoniques élevées : elles sont femmes, et ... célibataires 8 heures par jour et 5 jours par semaine. Le niveau social de l'individu semble également intervenir. Les patrons, les professions libérales, les cadres dialoguent plus souvent que les employés et les ouvriers. La position sociale de l'individu se traduit en effet par un réseau de relations plus ou moins étendu et des formes de sociabilité différentes. Cependant, une analyse en terme de classes sociales ne serait pas suffisante car les ouvrières, par exemple, téléphonent tout autant que les patrons. Célibat, sexe, âge, activité, profession, tels sont les principaux facteurs expliquant les différences de consommation téléphoniques entre les individus. En combinant l'ensemble de ces variables on peut distinguer 15 types d'individus et observer des 4. Pour une approche qualitative des comportements des femmes au téléphone on pourra se référer aux travaux de Ann Moyal (Moyal, A., 1989, 1992) 171 G. CLAISSE, F. «OWE ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ écarts de consommation allant de 1 à 7 en nombre de communications et de 1 à 12 en terme de coût entre les écoliers et les femmes inactives aisées (cf. Tableau 1). Bien évidemment d'autres caractéristiques socio-économiques peuvent permettre de mettre en évidence des niveaux de consommation différenciés. Ainsi téléphone-t-on plutôt plus si Ton a un niveau d'étude élevé, si l'on a des enfants à charge, si l'on a fait l'apprentissage du téléphone chez ses parents, si l'on a plusieurs combinés... Cependant, l'échantillon sur lequel nous travaillons est trop limité pour intégrer l'ensemble de ces variables. On pourrait s'étonner de ne pas voir apparaître, si ce n'est par le biais de la distinction « aisés » (patrons, cadres), « modestes » (ouvriers, employés), le revenu du ménage comme un déterminant majeur. C'est qu'au-delà d'un certain seuil de revenu mensuel (4 000 F 84), la consommation téléphonique d'un individu dépend beaucoup plus de ses ressources relationnelles que de ses ressources financières. a. 4. UN DÉTERMINANT COMPLEXE : IA SOCIABILITÉ. TABLEAU 2 - SOCIABILITÉ ET CONSOMMATION TÉLÉPHONIQUE Types d'individus Sociabilité Plutôt faible TAIRES Plutôt élevée HOMMES Consom. Nombre Moyenne 23 45 13 19 Externe faible 42 3,6 Externe moyenne, interne faible 33 5 Externe moyenne, interne moyenne Externe moyenne, interne élevée 88 29 5 8.5 Externe élevée 27 9,5 Externe faible 48 11 25 80 36 29 10^ 13 17 16 FEMMES Externe moyenne, interne faible Externe moyenne, interne moyenne Externe moyenne, interne élevée Externe élevée Catégories sur-représentées 50 % Ouvriers-Employés 26 % Retraités 33 % Cadres non standardistes 33 % Ouvriers-Employés 3 1 % Cadres standardistes 28 % Retraités 48 % Cadres standardistes 59 %CSP modestes 23 % Retraités 56 % Actives 60 % Actives 64 % Inactives 49 %CSP aisées ♦ ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ TÉLÉPHONE ET SOCIABILITÉ Le niveau de l'activité téléphonique d'un individu dépend également de la taille de son réseau de relations, de la densité des interactions qui s'y déroulent et de la structure de ce réseau. Afin de tester cette hypothèse, nous avons identifié les différents réseaux de relation des ménages enquêtes (famille, amis, voisins, vie associative, collègues de travail) et recueilli quelques informations sur les pratiques de sociabilité (fréquence de rencontre, invitations, loisirs, sorties...) 5. Nous avons alors construit un indicateur synthétique de sociabilité apparente (cf. encadré) permettant d'agréger : - des densités ou des niveaux de sociabilité (taille des réseaux, fréquence de rencontre) ; L'INDICATEUR DE SOCIABILITÉ APPARENTE PRINCIPES DE CONSTRUCTION La démarche retenue pour élaborer cet indicateur de sociabilité apparente des individus est la suivante : - élaboration d'un indicateur de sociabilité sectorielle pour chaque réseau de relations (familial, amical, associatif, de voisinage) et chaque pratique de sociabilité (invitations, sorties, loisirs repérés tant au cours de la semaine d'enquête qu'en fréquence moyenne déclarée) identifiés par un questionnaire spécifique « réseaux de relation » ; ces différents indicateurs assez grossiers tiennent compte de la taille de ces réseaux de relation et des fréquences de rencontre entre les enquêtes et les membres de ces réseaux ; - sur la base de ces indicateurs sectoriels, élaboration d'un indice de sociabilité interne (Forsé, 1981) ; la sociabilité interne est définie comme une forme de sociabilité dont le référentiel est le foyer conçu à la fois comme norme sociale et lieu ; les indicateurs sectoriels pris en compte sont donc le réseau de relation familial, les relations de voisinage, les invitations identifiées au cours de la semaine d'enquête, la fréquence moyenne d'invitations ; en attribuant une note à chaque individu pour chacun de ces indicateurs sectoriels et en sommant les notes obtenues on obtient un indice global de sociabilité interne permettant de distinguer les individus à sociabilité interne élevée, moyenne ou faible ; - on procède de la même manière pour évaluer un indice de sociabilité externe ; la sociabilité externe est définie comme la forme de sociabilité qui établit une certaine distance physique et sociale par rapport au foyer ; les indicateurs sectoriels pris en compte sont donc le réseau de relation amical, la vie associative, les sorties (hors domicile) durant la semaine d'enquête ainsi que les fréquences moyennes de sorties déclarées ; on obtient alors un indice agrégé de sociabilité externe permettant de distinguer les individus présentant un niveau de sociabilité externe élevé, moyen ou faible. - en agrégeant par sommation ces deux indices on obtient un indice global de sociabilité apparente permettant de distinguer des niveaux de sociabilité plutôt élevé, moyen ou faible. L'objectif de cette construction relativement grossière et pour partie normative n'est pas d'élaborer une typologie de la sociabilité des individus très fouillée, mais de disposer d'un outil permettant au minimum de différencier les niveaux de sociabilité les plus extrêmes (élevé, faible) et les structures de sociabilité les plus contrastées (interne, externe). S. Pour une analyse détaillée des incidences de la sociabilité sur les pratiques téléphoniques, on se reportera au Chap. 4 du rapport cité en référence (Claisse, 1985, p. 205-250). 173 G. CLAISSE, F. ROWE ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ - des structures de sociabilité en reprenant la distinction de M. Forsé (1981) entre sociabilité interne (famille, voisins, invitations) - le foyer, le domicile est ici le lieu et la norme privilégiés de sociabilité - et la sociabilité externe (amis, vie associative, sorties) - degré d'émancipation et de distanciation par rapport à cette norme. On vérifie ainsi (cf. Tableau 2) qu'il existe une assez bonne corrélation entre les niveaux de consommation téléphonique des individus et leur degré et structure de sociabilité. Cette corrélation est à l'évidence plus nette pour les hommes que pour les femmes. Bien évidemment les formes de sociabilité des individus sont en partie corrélées à leurs caractéristiques socio-économiques classiques. On retrouve à travers la sociabilité des variables telles que l'âge, l'activité, la catégorie socio professionnelle, la position dans le cycle de vie. Il est cependant intéressant de constater que, pour une même catégorie d'individus, les consommations peuvent varier du simple au double selon l'indice de sociabilité apparente (cf. Tableau 3). TABLEAU 3 - SOCIABILnrÉ. TYPOLOGIE DES INDIVIDUS et consommation téléphonique (en nombre de communications) ^чЛуре d individu Sociabilité N. 3 4 5 6 9 10 11 12 13 Externe ou interne faible Externe ou interne élevée 5,2 10.5 4.1 8,2 3,7 6.9 4.7 8,0 12.1 14,2 9.9 13,6 13,7 24,2 11,1 18,6 5.8 1U Légende 3 - Homme 4 - Homme 5 - Homme 6 - Homme actif aisé standardiste actif aisé actif modeste retraité 9 - Femme active aisée 10 - Femme active modeste 1 1 - Femme inactive aisée 12 - Femme inactive modeste 13 - Femme retraitée • En résumé, la consommation téléphonique d'un individu dépendra fondamenta lement des interrelations entre ses différentes ressources et contraintes : - temps disponible et temps de présence au domicile ; - ressources et contraintes relationnelles tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du foyer ; - degré d'implication dans la vie active ; - répartition des rôles à l'intérieur du ménage. 3. LES RÉSEAUX DE RELATIONS TÉLÉPHONIQUES Afin de caractériser les pratiques téléphoniques des individus, il ne suffît pas de maîtriser leurs consommations téléphoniques. Encore convient-il d'identifier les acteurs, les individus avec lesquels ils discutent. 3. 1. AU BOUT DU FIL: LES CORRESPONDANTS Priorité aux correspondants socio-affectifs : 40 % des communications se font avec la famille (dont 6 % entre membres du même ménage), 36 % avec des amis ou 174 ♦ ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ TÉLÉPHONE ET SOCIABILITÉ de simples relations. Les appels avec les administrations, les entreprises, les commerçants, représentent 12 % du total. Puis on trouve les relations professionnelles (8 %), les voisins (2 %) et les associations (2 %). Ainsi 4/5èmc du trafic téléphonique domestique se réalise avec des correspondants socio-affectifs, avec des proches. De là à dire que l'usage domestique du téléphone est fondamentalement relationnel ou convivial, il n'y a qu'un pas qu'il faut s'abstenir de franchir. En effet, seule la prise en compte du contenu des communications téléphoniques devrait permettre de valider ou de réfuter cette hypothèse. Pour plus de 9 communications par semaine, un individu entre en relation avec 6,4 correspondants différents : 2,2 membres de sa famille, 2,4 amis, copains, connaissances ou voisins, et 1,7 autres relations (professionnelles, prestataires de services, associations ...). La fréquence hebdomadaire moyenne de communication par correspondant est de 1,4. Elle est de 1,75 pour les membres de la famille, de 1,5 pour les amis ou relations et de 1,2 pour les autres correspondants. Remarquons ici que si les hommes téléphonent moins que les femmes, c'est aussi parce qu'ils ont des fréquences de communication par correspondant plus faibles : 1,3 contre 1,55. 3. 2. LA SOCIABILITÉ TÉLÉPHONIQUE DES INDIVIDUS Si l'on examine les structures de consommation téléphonique des 15 types d'individus identifiés précédemment en fonction des 3 types de correspondant suivant, relations familiales, relations « amicales » (amis, copains, simples relations, voisins), relations fonctionnelles (commerçants, relations professionnelles, administrations, organismes financiers, ...), on obtient des résultats très significatifs. La sociabilité téléphonique des individus s'organise principalement autour de deux axes (cf. Figure 1). Le premier axe relie les plus jeunes (scolaires, étudiants) caractérisés par une sociabilité téléphonique amicale (65 % des correspondants sont des amis) aux plus âgées (femmes de plus de 60 ans) caractérisées par une sociabilité téléphonique beaucoup plus familiale (50 %). Les individus téléphonant principalement à leurs amis sont tous célibataires, alors que la famille reprend la priorité dès que les individus ont eux-mêmes fondé une famille. Enfin, à statut comparable, la famille occupe plus de place chez les femmes que chez les hommes. Le deuxième axe relie les hommes les plus affairés (cadres supérieurs) dont le trafic est très orienté vers les correspondants fonctionnels, aux femmes les moins « actives » (retraitées, femmes au foyer) dont le trafic est structurellement plus familial. Sur cet axe on différencie assez facilement les hommes des femmes, les actifs des inactifs et les CSP aisées des CSP modestes. De manière synthétique, les principaux déterminants socio-économiques de la sociabilité téléphonique des individus sont les suivants : • pour les sociabilités à distance plutôt amicales, le célibat, la jeunesse et l'absence d'activité professionnelle sont les trois attributs essentiels auxquels il convient d'ajouter le sexe qui hiérarchise les jeunes hommes et les jeunes filles ; • pour les sociabilités téléphoniques plutôt fonctionnelles, le mariage ou le concubinage, le fait d'être de sexe masculin et actif sont les trois critères principaux ; la position sociale ou la catégorie socio-professionnelle permettant une hiérarchie plus fine ; 171 G.CIAISSE, F.ROWE ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ FIGURE I - LA SOCIABILITÉ TÉLÉPHONIQUE 1CEAC 2CETN 3HASS 4 HAS 5HAI 6HRET 7HETU • Célibataire actif - Célibataire inactif - Homme actif aisé standardiste - Homme actif aisé - Homme actif modeste - Homme retraité - Homme étudiant 9 FAS 10 FAI 1 1 FIS 12 Fil 13 FRET 14 FETU 15 FSCO - Femme active aisée - Femme active modeste - Femme inactive aisée - Femme inactive modeste - Femme retraitée - Femme étudiante - Femme scolaire Mode d'emploi - La structure de consommation par types de correspondants de l'individu représenté dans le petit triangle est la suivante : 40 % famille, 40 % amis, 20 % correspondants fonctionnels. - enfin, pour les pratiques plus orientées vers la famille, la vie maritale, le fait d'être femme et inactive sont les trois déterminants primordiaux. La sociabilité téléphonique semble donc assez proche de la sociabilité classique des individus telle qu'elle a été analysée par F. Héran (1988) sur la base de l'enquête « Contacts » de Г IN SEE. Tout au plus peut-on remarquer que la sociabilité téléphonique a tendance à caricaturer la sociabilité face à face. L'analyse du réseau de relation familial nous permettra d'illustrer ce propos. 3. 3. UN EXEMPLE: LE RÉSEAU DE RELATION TÉLÉPHONIQUE FAMILIAL L'image de la famille renvoyée par l'utilisation du téléphone est celle d'une triple réduction des relations familiales qui concerne le lien de parenté, le sexe et la localisation des correspondants familiaux. Lorsque l'on passe du réseau familial potentiel (ensemble des personnes rencontrées au moins une fois par an) au réseau téléphonique familial effectif, on passe de la famille élargie à la famille restreinte. La famille directe ou famille « ménage » (parents, enfants, collatéraux directs) qui représente 64 % du réseau familial compte 17* ♦ ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ TÉLÉPHONE ET SOCIABILITÉ pour 80 % du trafic téléphonique familial. À la différence de la sociabilité face à face où le poids des collatéraux directs (frères et sœurs) est primordial, la sociabilité téléphonique familiale est pour l'essentiel tournée vers les ascendants et descendants directs. La communication téléphonique opère par ailleurs une réduction « sexiste » du réseau familial. Alors que les rencontres avec la famille impliquent souvent l'ensemble des membres du ménage, 75 % des communications téléphoniques familiales sont réalisées entre femmes : la mère ou la belle-mère pour les parents, la fille ou la belle-fille pour les enfants. Enfin, on téléphonera d'autant plus facilement à un membre de sa famille que celui-ci réside à proximité et ceci quel que soit le lien de parenté. La proximité téléphonique entre deux individus de la même famille dépendra donc de leur proximité généalogique, de leur proximité « physiologique » (le sexe) et de leur proximité géographique. Il y a fondamentalement un modèle masculin et un modèle féminin des relations téléphoniques familiales. La « famille téléphonique » des hommes est limitée à leur propre famille et plus encore à leur mère, leur(s) fils, leur(s) frères. La famille téléphonique des femmes est beaucoup plus large et diversifiée : si elles privilégient les relations avec leur propre famille (mère, fille, sœur), elles s'occupent souvent des relations avec la belle-famille (belle-mère, belle-sœur). Des analyses similaires des différents réseaux de relations téléphoniques des individus (amical, professionnel, associatif, voisinage, ...) ont été menées. Toutes conduisent à la même conclusion : le téléphone, contrairement à une idée couramment admise, n'opère aucun décloisonnement des structures de sociabilité. Bien au contraire, la communication à distance est fondamentalement une communication entre proches dans toutes les acceptions, affective, métrique, sociologique, démographique et économique de ce terme. 4. LES COMMUNICATIONS TÉLÉPHONIQUES L'examen méticuleux du contenu des communications téléphoniques devrait permettre d'enrichir l'analyse des pratiques téléphoniques. Du coup de fil à son percepteur à la discussion amoureuse, il y a, lorsque le percepteur n'est pas en même temps l'ami(e) le plus intime, deux processus d'interaction que l'on désigne par le même vocable : la communication téléphonique. Il est temps de sortir de cette fiction réductrice afin d'identifier et d'évaluer les différents motifs de communication téléphonique et de réaliser une typologie des communications téléphoniques. 4. I. AU CŒUR DES COMMUNICATIONS: LES MOTIFS Certaines études (Singer, 1981 ; Field Research Corporation, 1989), sur la base d'approches principalement qualitatives, mettent l'accent sur le caractère principalement relationnel de l 'usage domestique du téléphone. Toutefois, s'il est clair que les correspondants sont essentiellement socio-affectifs, le contenu, les motifs d'appel sont-ils plutôt relationnels ou fonctionnels ? Dès lors que l'on prend acte de l'infinie diversité des communications téléphoniques, l'identification du contenu des communications est une entreprise très délicate. A défaut de pouvoir analyser le contenu réel, nous avons proposé une grille 177 G. ClAISSE, F. ROWE ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ de motifs de communication dans le carnet de bord rempli par l'enquêté. Bénéficiant des enseignements d'une enquête réalisée en France par la Direction Générale des Télécommunications en 1980 (Curien, Périn, 1983) et d'une pré-enquête réalisée auprès d'une vingtaine de personnes sur les motifs de leurs communications, nous avons opté pour la définition suivante du motif : une action à réaliser dans un but donné. La combinaison des 16 actions et des 1 1 buts retenus offrait donc 176 motifs possibles à l'enquêté {cf. Tableau 4). Sur 6 225 communications réussies enregistrées, 90 % des buts et 96 % des actions sont connues de façon précise 6. Les trois actions TABLEAU 4 - MOTIFS DES COMMUNICATIONS TÉLÉPHONIQUES N* 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 N* 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 •. ACTION Appeler en cas d'urgence Passer ou répondre à une annonce Demander de rendre un service Prendre un rendez-vous, annoncer une visite Confirmer un rendez-vous, une visite Modifier un rendez-vous, une visite Annuler un rendez-vous, une visite Réserver, commander Organiser une activité S'entretenir d'un problème Résoudre un problème Renseigner, informer, se renseigner, s'informer Prévenir d'un changement d'emploi du temps Passer un moment avec quelqu'un Prendre, donner, échanger des nouvelles Autre action BUT Activité, affaires professionnelles Vie associative, syndicale ou politique Problème de santé Achat, vente, location Scolarité, études Mariage, naissance, décès Invitation, visite Loisirs, distraction, sorties Problèmes personnels ou affectifs Intendance familale, affaires ménagères, vie quotidienne de votre ménage Autre but ou autre domaine En% 1.0 0,8 73 11,5 6,9 2.7 2.0 1.3 7.0 9,7 3,0 13,8 2,6 5.4 20,7 2,3 En% 12,1 3,6 9,5 4Д 3.2 1,2 10,2 12,5 12,8 11.7 10,7 Le pourcentage en apparence assez élevé de non-réponse sur les buts correspond principalement à des communications dont l'action définissait en même temps le but : échanger des nouvelles, passer un moment avec quelqu'un. 17* ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ TÉLÉPHONE ET SOCIABILITÉ ÉLABORATION D'UNE GRILLE DE MOTIFS L'élaboration d'une grille de motifs des communications téléphoniques est le fait d'un arbitrage entre la nécessité de réduire la complexité du contenu des communications interpersonnelles, afin de pouvoir les caractériser à l'aide d'informations relativement simples, sans pour autant trop en déformer le sens. De la qualité de la grille de motifs dépendra en grande partie la qualité de l'analyse des pratiques téléphoniques que l'on pourra réaliser. Pour élaborer cette grille nous sommes partis d'une représentation simple du téléphone résidentiel : un outil de communication interpersonnelle de la vie quotidienne. Dès lors il semblait logique d'organiser les motifs des communications téléphoniques autour d'une problématique de la communication interpersonnelle et d'une problématique de la vie quotidienne. Une pré-enquête centrée sur les motifs de communication auprès d'une vingtaine d'individus a été réalisée pour construire la grille définitive. Chaque individu devait ainsi décrire chaque communication sur une fiche en indiquant le plus précisément possible : le ou les motifs de l'appel, le contenu de la conversation, la nature du correspondant contacté. Il était alors demandé à l'enquêté de résumer cette communication ainsi décrite en une phrase de 2 lignes maximum. L'analyse des phrases-résumés permet de dresser les deux constats suivants : - les résumés privilégient deux informations, le motif de l'appel et la nature du correspondant au détriment du contenu de la conversation ; - les phrases sont le plus souvent construites autour de la syntaxe suivante ; un verbe, désignant une action poursuivie, suivi de la proposition avec permettant de désigner le correspondant, suivie d'une proposition finale, de type pour, désignant un but à atteindre ou une activité à réaliser. Par exemple, j'ai pris rendez-vous avec un ami pour aller au cinéma. Cette syntaxe s'avère assez stimulante puisqu'elle permet d'une part de retrouver les différentes déclinaisons du verbe communiquer (discuter, informer, gérer, organiser, ...) et d'autre part d'articuler chacune de ces actions à un domaine de la vie quotidienne des individus (vie professionnelle, vie sociale, vie affective, vie pratique, ...). Ainsi, en demandant à l'enquêté d'identifier le motif principal de sa communication téléphonique à l'aide d'une action et d'un but, on dispose d'une grille suffisamment simple pour l'enquêté, puisqu'elle correspond aune syntaxe assez intuitive, suffisamment complexe puisqu'elle permet de distinguer 176 motifs (16 actions x 1 1 buts) et d'emblée problématique puisqu'elle est organisée autour de différentes formes élémentaires du verbe communiquer rattachées aux différentes sphères de la vie quotidienne d'un individu. les plus souvent citées sont : échanger des nouvelles, se renseigner ou s'informer, prendre un rendez-vous ou annoncer une visite. Les trois buts ou domaines privilégiés concernent les problèmes personnels ou affectifs, les loisirs, distractions ou sorties, les activités ou affaires professionnelles. Sur la base de ces premiers résultats, il convenait de réaliser une agrégation des actions et des buts pour obtenir une classification synthétique des motifs de communication téléphonique. Cette agrégation fut conduite sur la base de l'interprétation des résultats d'une analyse factorielle des correspondances simples 179 G. CLAISSE, F. ROWE ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ entre les actions et les buts et en projetant sur le graphe obtenu différentes variables illustratives, notamment les caractéristiques spatio-temporelles des communications téléphoniques. Nous avons pu ainsi distinguer 3 types d'action correspondant à trois déclinaisons du verbe communiquer : discuter (27 % du trafic par agrégation des actions n* 14, 15), informer (35 % du trafic, actions n* 2, 3, 10, 11, 12), gérer (39 % du trafic, actions n' 4, 5, 6, 7, 8, 9, 13). Les buts ont été organisés autour de trois catégories corres pondant à trois dimensions de la vie quotidienne d'un individu : la vie active (18 %, buts n* 1, 5), la vie sociale (33 %, buts n* 2, 6, 7, 8), la vie privée (49 %, buts n* 3, 4, 9, 10). En combinant ces trois types d'action et ces trois catégories de but, on dispose de neuf motifs d'appel que nous avons réduit à huit compte tenu du poids très faible des discussions relatives à la vie active (environ 1 %). Comme le montre le Tableau n 5, le trafic téléphonique est principalement organisé autour de 4 motifs représentant 7 1 % des communications téléphoniques : les discussions relatives à la vie privée, la gestion de la vie sociale, l'échange d'informations relatives soit à la vie privée, soit à la vie active. TABLEAU S - AGRÉGATION DES MOTIFS DE COMMUNICATION (en %) \. But n. Vie active Vie sociale Vie privée Total par action Discussion - 5 22 27 Information 10 7 18 35 8 21 9 38 18 33 49 100 Action Gestion Toul par but 4. 2. LES MYTHES DE LA CONVIVIALITÉ ET DE L'UBIQUITÉ L'analyse de la communication téléphonique comme expression d'un besoin de communiquer, identifié par un motif, entre deux individus dont la relation est clairement spécifiée par la nature du correspondant permet de repérer deux types purs de communication téléphonique : la communication fonctionnelle et la communication relationnelle. Cette distinction reprend largement celle qu'établit A. Moles (1988) entre communication froide et chaude, entre communication fonctionnelle et charismatique : « la communication fonctionnelle est celle dont la valeur se mesure à l'efficacité (...), la communication chaude est celle visant à la spontanéité, au face à face, à recréer la présence humaine dans sa prégnance et sa chaleur, dans ses errances et ses connotations. » Entre ces deux types purs, on peut distinguer deux catégories mixtes : les communications plutôt relationnelles mais pour ISO ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ TÉLÉPHONE ET SOCIABILITÉ partie fonctionnelles et les communications plutôt fonctionnelles mais pour partie relationnelles. Pour mettre en œuvre ces catégories, le principe retenu a été d'affecter à chaque type d'action, de correspondant et de but un qualificatif (fonctionnel, relationnel ou mixte) permettant en agrégeant les qualificatifs obtenus de classer chaque communication dans l'un des quatres types retenus. Ce traitement assez rustique des données peut laisser penser qu'il ouvre la porte à n'importe quelle manipulation sous couvert d'un habillage statistique. Il n'en est rien tant la mise en œuvre de cette classification s'avère simple, sur la base des principes suivants : - les communications se rapportant à la gestion d'activité peuvent être classées systématiquement dans la catégorie « fonctionnelle » indépendamment du correspondant et du but ; - les communications dont l'action est la discussion peuvent de la même manière être rattachées presque systématiquement à la catégorie « relationnelle » ; - les communications dont l'action est « l'échange d'information » se classent le plus souvent assez facilement dans l'une ou l'autre des catégories dans la mesure où les buts et les correspondants qui leur sont associés sont soit simultanément relationnels, soit simultanément fonctionnels . La typologie du trafic téléphonique ainsi obtenue est des plus stimulantes car dès lors l'image du téléphone n'est plus celle de la convivialité mais celle de l'outil pratique qu'il avait d'ailleurs à ses débuts (cf. Tableau 6). Il ne faut donc pas confondre les usages, plutôt fonctionnels, avec les correspondants de nature plutôt relationnels (amis et famille). Ainsi s'évanouit le mythe de la société de communication où l'échange est gratuit et spontané. Un tiers du trafic seulement est strictement relationnel. Le téléphone reste avant tout, même dans ses usages domestiques, un outil de gestion de la vie quotidienne. TABLEAU 6 - TYPOLOGIE DU TRAFIC TÉLÉPHONIQUE (en %) Trafic relationnel 33,5 Trafic relationnel/fonctionnel 10,0 Trafic fonctionnel/relationnel 1 1 ,0 Trafic fonctionnel 45,5 En même temps que tombe le mythe du téléphone convivial, tombe celui de l'ubiquité, du téléphone libérateur des contraintes spatio-temporelles. Avec les moyens de communication, les distances seraient abolies et les relations instantanément établies. En fait on s'aperçoit que le téléphone permet essentiellement 7. Ces principes permettent déjà de classer 80 % des communications téléphoniques enregistrées. Si arbitraire il y a, il porte donc sur les 20 % de communications dites mixtes qui ne posaient la plupart du temps pas de problèmes majeurs pour définir leur caractère plutôt relationnel ou plutôt fonctionnel. 1S1 G. CLAISSE, F. ROWE ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ de gérer des contraintes spatio-temporelles plus qu'il n'en libère. La communication à distance, sensée libérer l'individu des contraintes liées à l'éloignement, est fondamentalement une communication de proximité : 80 % du trafic téléphonique de notre échantillon est réalisé à l'intérieur de la circonscription téléphonique de Lyon. La communication en temps réel, présentée comme permettant à l'homme de s'affranchir des contraintes temporelles, est principalement une communication brève : 60 % des communications sont d'une durée inférieure à 5 mn. Une analyse plus approfondie des relations entre les communications téléphoniques et la mobilité des individus nous a permis de constater que près des 2/3 de leurs communications téléphoniques avaient une relation étroite avec leur mobilité quotidienne, qu'elles remplacent, induisent ou organisent leurs déplacements (Claisse, Rowe, 1992). L'espace-temps n'est pas gommé par le développement des télécommunications. Si le téléphone permet parfois une meilleure maîtrise de l'espace et du temps, il permet le plus souvent de gérer de nouvelles contraintes spatio-temporelles liées à l'encombrement de l'espace et du temps, à l'éloignement, à l'urgence, ... S. LES PRATIQUES TÉLÉPHONIQUES Ayant examiné qui téléphone, pourquoi et avec qui, nous disposons de l'ensemble des éléments permettant de brosser une image des pratiques téléphoniques. Une analyse fouillée de ces pratiques a été menée en fonction des appels émis et reçus, des correspondants contactés, des actions entreprises, des buts poursuivis, des motifs, des heures, des lieux, des durées d'appel. Nous nous contenterons dans le cadre de cet article d'en présenter les résultats les plus synthétiques en utilisant la représentation graphique de l 'analyse factorielle des correspondances entre la typologie des individus (15 types, cf. Tableau 1) et la typologie des communications téléphoniques que nous venons de présenter (4 types, cf. Tableau 6). Nous proposons au lecteur de prendre connaissance du mode d'emploi du graphique 2 et de suivre pas à pas les commentaires ci-dessous. S. 1. LES STRUCTURES DE CONSOMMATION TÉLÉPHONIQUE Organisée autour d'un triangle permettant de distinguer des pratiques plutôt fonctionnelles, des pratiques plutôt relationnelles ou plutôt mixtes, la Figure 2 fait remarquablement ressortir les principaux déterminants socio-économiques des structures de consommation. Le sexe joue un rôle déterminant dans la structure des communications. Les pratiques féminines sont toujours plus relationnelles, laissant une plus grande part à la conversation, l'échange de nouvelles avec la famille ou les amis. Certes leurs communications fonctionnelles représentent de 50 à 60 % de leur trafic ; mais il convient de noter que ces communications fonctionnelles sont très souvent orientées vers des tâches d'intérêt collectif pour le ménage : organisation de loisirs, invitations, scolarité ou sortie des enfants... La dimension fonctionnelle domine chez les hommes (60 à 75 % du trafic) ; de plus le trafic fonctionnel des hommes est un trafic personnel, correspondant principalement à la gestion de leurs activités professionnelles ou scolaires. isa ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ TÉLÉPHONE ET SOCIABILITÉ FIGURE 2 - UNE CARTOGRAPHIE DES PRATIQUES TÉLÉPHONIQUES tCEM •4% Pratiques téléphoniques RELA refo fore FONC -Relationnel -Relat. fonction. - Fonction, relat - Fonctionnel Célibataires 1 ŒAC - Actif 2CEIN -Inactif Hommes 3 hass - Actif aisé standardiste 4 has -Actif aisé s haï -Actif modeste 6HRET -Retraité 7HETU- Étufiant 8 Hsco - Scolaire Femmes 9 fas - Active aisée 10FAI - Active modeste и Fis - Inactive aisée 12 Fil -Inactive modeste 13 FRET -Retraitée и fétu -Étudiante 15 fsco -Scolaire Mode d'emploi Afin de découvrir les spécificités des pratiques téléphoniques selon l'âge, ... , procéder de la manière suivante : Prendre un crayon et relier les points dans l'ordre indiqué ci-dessous. Vous obtiendrez ainsi un ensemble d'individus. Dès lors que vous aurez représenté, par exemple l'ensemble des hommes en reliant les numéros 3-7-6-5-3 dans cet ordre, et l'ensemble des femmes en reliant les numéros 9-10-12-14-9, prendre connaissance des commentaires dans le texte. Vous pourrez alors effacer les traits et continuer avec la variable suivante et ainsi de suite. lèie variable 2*n» variable 3*™ variable 4*™ variable 5èn* variable : Hommes (3-7-6-5-3) - Femmes (9-10-12-14-9) : Actifs (3-5-10-9-4-3) - Inactifs (6-1 1-2-12-13-6) : Aisés (3-9-1 1) - Modestes (5-10-12) puis relier 2 à 2 les points 3-5, 9-10 et 1 1-12 : Jeunes (8-7-14-15-8) - Adultes (3-11-2-12-13-5-3) : Cyde de vie Hommes (8-7-3-6) - Cycle de vie Femmes (15-14-9-13) Cette représentation graphique est le résultat d'une analyse factorielle des correspondances entre la typologie des individus et la typologie du trafic téléphonique. 1S3 G. CLAISSE, F. ROWE ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ De même enjoignant entre eux les actifs d'une part et les inactifs d'autre part, on constate que les structures de communication de ces deux groupes sont nettement séparées ; fonctionnelles pour les actifs, plus relationnelles pour les inactifs. Les structures de communication sont nettement différentes tant chez les hommes que chez les femmes entre actifs et inactifs. La moindre disponibilité au domicile des actifs, les contraintes pesant sur leur emploi du temps expliquent la faiblesse relative de leurs communications relationnelles. Troisièmement, les cadres, les professions libérales ont un trafic toujours plus fonctionnel que les ouvriers ou les employés ; la même remarque est valable pour les femmes actives et les femmes inactives (rattachées à la CSP d'appartenance de leur conjoint). On retrouve ici le degré d'implication dans la vie professionnelle, les contraintes pesant sur les budgets-temps ainsi que les formes de sociabilité des individus. Si la différence est moins nette entre les femmes actives cadres et employées, c'est sans doute que leur statut de femme doublement active (activité professionnelle et ménagère) est plus important que leur seul statut professionnel. Les effets de l'âge et du cycle de vie sur les comportements sont toujours difficiles à interpréter à l'aide d'une photographie. Cependant essayons de parcourir l'évolution des structures de communication de l'adolescence à la retraite. Les plus jeunes, étudiants et scolaires, se distinguent par des pratiques mixtes tout à la fois relationnelles et fonctionnelles. Ainsi chez les garçons de 13 à 18 ans, le trafic mixte représente plus des 2/3 de leurs conversations. Chez eux il n 'y a pas en effet de barrière tranchée entre relation de travail et relation amicale. Dès la vie d'étudiants, les jeunes gens se rapprochent du comportement fonctionnel des hommes d'âge mûr et les étudiantes des usages plus relationnels des femmes. Une fois actifs, les cadres masculins utilisent le téléphone pour gérer leurs activités tandis que les femmes auront des appels plus diversifiés. A la retraite, leurs pratiques se rapprochent et deviendront plus relationnelles. Cette analyse tient un peu de la caricature comme si les déterminants socio-économiques déterminaient à coup sûr des usages. D'autre déterminants secondaires du niveau de consommation jouent aussi un rôle important comme la sociabilité. Ainsi les individus caractérisés par une sociabilité externe faible téléphonent peu, principalement à leur famille pour échanger des informations relatives à la vie privée. En revanche, ceux qui ont une sociabilité externe forte, téléphonent beaucoup plus ; leurs communications sont des plus diversifiées et s'articulent principalement autour de la gestion d'activités communes avec leurs amis ; leur trafic est alors beaucoup plus fonctionnel que celui des premiers. On constate ainsi que le téléphone n'échappe pas à un processus de codification sociale de son usage, de sorte qu'il devient un excellent outil de lecture de certaines structures socio-économiques. 5. 2. CINQ PRATIQUES CONTRASTÉES Sur la base de l'analyse des consommations et des structures de communication, on peut distinguer cinq pratiques contrastées caricaturant chacune le comportement d'un ou plusieurs types d'individus. S. â. 1. LE TÉLÉPHONE CONTREPOIDS OU LE TÉLÉPHONE DES CÉLIBATAIRES Actifs ou inactifs, les célibataires ont des pratiques téléphoniques à la fois proches et éloignées. L'image du téléphone contrepoids rend assez bien compte de ces 1*4 ♦ ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ TÉLÉPHONE ET SOCIABILITÉ similitudes et différences car contrepoids signifie, à la fois, compensation à leur relatif isolement et recherche d'un équilibre. L'importance de leur consommation téléphonique et le poids prépondérant des conversations avec les amis rapprochent les célibataires actifs et inactifs. En revanche ce contrepoids ne joue pas dans le même sens. Pour les célibataires actifs, le téléphone est un moyen de gérer leur temps libre, leur vie sociale, de préparer des loisirs ; le téléphone est un contrepoids générateur de relations face à face. Pour les seconds, le téléphone est avant tout un moyen de consommer du temps libre, de discuter, de passer un moment, sur des problèmes relatifs à la vie privée ; le téléphone est alors un contrepoids à l'isolement, substitut de relation face à face. S. a. 2. LE TÉLÉPHONE OUTIL OU LE TÉLÉPHONE DES HOMMES ACTIFS Les hommes actifs ont une consommation téléphonique assez faible et un usage essentiellement fonctionnel du combiné. Ils passent peu de temps au téléphone, celui-ci étant en général utilisé pour gagner du temps ou gérer des contraintes de temps liées à leur activité professionnelle. Ils ont un trafic très personnalisé, ne participant que rarement à des communications d'intérêt collectif. Comme tout outil, le téléphone des hommes actifs peut servir plus ou moins. Les cadres s'en servent plus souvent que les employés ou les ouvriers. Les premiers gèrent principalement leur vie active, les seconds gèrent plutôt leur vie privée. S. a. 3. LE TÉLÉPHONE MIXTE OU LE TÉLÉPHONE DES JEUNES Les jeunes ont des pratiques téléphoniques à certains égards surprenantes : ils téléphonent peu, parlent tout autant de loisirs que de problèmes scolaires et bavardent plutôt moins que leurs aînés. Les biais induits par le carnet de bord soumis au contrôle familial ne sont sans doute pas neutres. Cependant leurs communications ressemblent au moins sur deux points à la représentation intuitive que l'on peut en avoir : leurs conversations sont plus longues que la moyenne, elles ont lieu principalement avec leurs copains. Ce qui caractérise le mieux le contenu du trafic téléphonique des plus jeunes c'est la mixité : des communications garçons-filles beaucoup plus fréquentes que chez leurs aînés, peu de discussions, mais des communications longues, des conversations portant tout aussi bien sur la vie active que sur la vie sociale, des communications au double contenu fonctionnel et relationnel, des copains tout à la fois amis et relations « professionnelles ». Derrière le téléphone mixte se cache souvent le téléphone évasion qui permet d'échapper provisoirement à la sphère familiale ou de préparer, de discuter de loisirs, de sorties qui sont autant d'évasions passées et à venir. S. 2. 4. LE TÉLÉPHONE «CORDON OMBILICAL» OU LE TÉLÉPHONE DES FEMMES INACTIVES Les pratiques des femmes inactives sont caractérisées par un usage assez intense et relationnel du combiné ; elles téléphonent surtout à leur famille ; leurs conversations portent le plus souvent sur l'échange de nouvelles et d'informations relatives à la vie privée. L'image du cordon ombilical correspond assez bien à leur usage dominant du téléphone. Le combiné est un lien qui les unit à leurs enfants ou à leurs parents selon leur âge ; il leur permet de maintenir une certaine proximité affective. Leur usage du téléphone tourne souvent autour de leur vie privée ; d'où its G. CLAISSE, F. ROWE ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ une pratique assez nombriliste mais pas pour autant narcissique car elles prennent en charge assez souvent des communications d'intérêt collectif comme standardiste et secrétaire de la cellule familiale. 5. 2. S. LE TÉLÉPHONE POLYVALENT OU LE TÉLÉPHONE DES FEMMES ACTIVES Les femmes actives ont les pratiques téléphoniques les plus diversifiées : les téléphones outil, contrepoids, mixte, cordon ombilical coexistent dans leur usage. On retrouve fondamentalement le comportement de personnes doublement actives (activités ménagères, activités professionnelles). La double activité des femmes actives se traduit par une double activité téléphonique (vie active-vie privée, gestion-discussion, relationnelle-fonctionnelle) qui produit les pratiques les plus diversifiées. Indépendamment de leur consommation beaucoup plus faible, les hommes retraités ont des pratiques assez proches des femmes actives. L'explication est pour eux diamétralement opposée. C'est leur double inactivité professionnelle et ménagère qui est la cause de leur pratique en apparence diversifiée. Outil polyvalent comme la parole, le téléphone n'est donc ni consommé, ni utilisé de la même manière par les individus. Les pratiques téléphoniques sont souvent un miroir, certes déformant, mais tout à fait symbolique de certaines structures sociales. Dès lors que l'on passe de la taxe de base à la communication comme unité de mesure et du ménage à l'individu comme unité d'observation, des recettes par ligne aux pratiques téléphoniques comme objet d'analyse, le mythe de l'indifférenciation sociale ne résiste pas à l'épreuve des faits. 6. TÉLÉPHONE, COMMUNICATION ET SOCIÉTÉ Au terme de cette promenade au cœur des pratiques téléphoniques domestiques, un bilan rapide des limites et intérêts d'une telle étude peut être présenté. Les limites sont pour la plupart liées à la méthode d'enquête et à la population étudiée. Premièrement, l'échantillon est de taille relativement modeste. Dès lors que l'on souhaite étudier l'incidence de variables socio-économiques relativement fines sur l'activité téléphonique des individus, on se heurte assez rapidement à des difficultés de décorrélations des variables. Deuxièmement, cette enquête ne permet pas de tester l'effet de la localisation résidentielle (urbain, péri-urbain, rural) sur les pratiques téléphoniques, effet dont on sait par ailleurs qu'il est très important. Enfin, le recensement des communications téléphoniques fait l'impasse sur les communications privées émises et reçues au travail. Au-delà de la production de données et de catégories permettant de mesurer et de conceptualiser l'activité téléphonique des individus, l'intérêt principal de cette étude pour les scientifiques de la communication mais aussi vraisemblablement pour quiconque doit penser aux fonctions et aux évolutions des fonctions de la télécommunication dans la société réside dans la formulation d'une nouvelle problématique ou représentation du téléphone. L'analyse quantitative des pratiques téléphoniques domestiques des citadins révèle en effet une autre image du téléphone : - un outil de gestion de la vie quotidienne plutôt que l'outil de la convivialité ; - un outil de gestion de nouvelles contraintes spatio-temporelles plutôt que l'outil de l'ubiquité ; ♦ ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ TÉLÉPHONE ET SOCIABILITÉ - un outil de gestion socialement différencié plutôt que l'outil de l'indifférenciation ou de l'ouverture sociale. Dès lors que l'on glisse d'une problématique du téléphone comme moyen de communication socialement neutre à une problématique du téléphone comme outil de gestion socialement différencié, l'avenir de la communication interpersonnelle dans une société où se multiplient les technologies de communication est posé en de nouveaux termes. Le système de communication de nos sociétés développées est d'ores et déjà marqué par la place croissante des communications à distance (Caisse, 1983). La communication écrite (courrier) est devenue obsolète et tombe en désuétude. Selon nos estimations, 28 % des communications téléphoniques urbaines remplacent des rencontres face à face et 3 % seulement induisent des rencontres imprévues (Claisse, Rowe, 1993). Ainsi le téléphone bouleverse, c'est-à-dire mutile et enrichit la communication interpersonnelle. Avec le développement des nouveaux systèmes de communication grand public d'autres changements sont en cours. La communication électronique se développe de plus en plus sur l'échange d'informations. Les acteurs du schéma classique de la communication, l'émetteur et le récepteur, se transforment progressivement en producteurs et consommateurs d'informations. L'information devient ainsi une marchandise. « Le temps de l'information bon marché est paradoxalement en train de s'achever au moment (ou peut-être à cause de cela) où elle se démultiplie et devient plus accessible » (Wolton, 1980). À force de diffuser de l'information dans tous les sens ne risque-t-on pas de perdre le sens de la communication ? De telles enquêtes permettent d'alimenter une prospective sur les consommations et pratiques téléphoniques des individus. Il suffit pour cela de relier les comportements téléphoniques observés à un moment donné aux grandes évolutions des indicateurs socio-démographiques et aux transformations des modes et styles de vie qui modulent les ressources et contraintes de communication des individus. L'augmentation du nombre de personnes vivant seules et des familles mono-parentales, le vieillissement démographique de la population et les changements de mode de vie des personnes âgées, l'évolution de la répartition des rôles à l'intérieur des ménages entre les hommes et les femmes, le développement des contraintes liées à l'éloignement et à Г urgence, . . . , seront autant de facteurs qui pèseront sur les consommations et pratiques téléphoniques. On peut sans trop prendre de risque affirmer que, dans les dix ans qui viennent, la consommation téléphonique des français augmentera sous l'effet de ces tendances socio-démographiques. On peut aussi raisonnablement penser que les pratiques téléphoniques des individus seront de plus en plus imprégnées par la gestion de leur vie quotidienne, c'est-à-dire par des communications fonctionnelles ; cela signifie vraisemblablement une diminution de la durée moyenne des communications téléphoniques domestiques. Le développement des services téléphoniques (transfert d'appel, appel en instance, répondeur, ...), de la téléphonie mobile et du téléphone personnel vont d'ailleurs dans ce sens. De sorte que va resurgir très vite un des déterminants majeurs de l'économie de la consommation, relativement peu présent dans le champ de la socio-économie de la téléphonie traditionnelle depuis le milieu des années 1970 : celui de la solvabilité des ménages ou des individus. 1*7 G. CLAISSE, F. ROWE ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ Dans le processus de globalisation des opérateurs caractérisé à la fois par Г internationalisation des services et la concentration du secteur, la connaissance des facteurs économiques, sociologiques et culturels de contingence se révélera stratégique. D'où l'intérêt d'analyses comparatives internationales permettant de repérer ces facteurs. Il n'est donc guère étonnant de constater que le téléphone, ce grand absent de la socio-économie des télécommunications qui représente toujours l'essentiel des recettes des opérateurs, suscite depuis la fin des années 1980 l'intérêt tant des opérateurs que des scientifiques. En témoignent les sessions spécialisées sur la sociologie du téléphone montées lors des symposiums organisés par l'International Telecommunications Society à Cannes (juin 92) et par l'International Institute of Communications à Montréal (septembre 92). Ces colloques reflétant les préoccupations stratégiques actuelles des opérateurs s'inscrivent dans la continuité du symposium sur la sociologie du téléphone organisé à Stuttgart en 1989 par la Freie Universitât de Berlin (Lange, 1989), des sessions consacrées à ce même thème dans le cadre de la 40e conférence de l'International Communication Association à Dublin en 1990, et du séminaire international organisé par Telecom Australia et le CIRCIT (Center for International Research on Communication and Information Technologies) en 1991 intitulé « Research on Domestic Telephone Use » (Moyal, 1992). Cet intérêt se manifeste également par la réalisation au cours des deux dernières années de trois enquêtes lourdes sur les pratiques téléphoniques, réalisées sur la base de protocoles et de méthodologies relativement proches, par Temple University (Dordick) pour le compte de Bell Atlantic, par la Freie Universitât de Berlin (Lange) pour le compte de la Bundespost et par la Direction de la Stratégie de France Télécom. GÉRARD CLAISSE Laboratoire d'Économie des Transports - ENTPE/Lyon П/CNRS Rue M. Audin - 69518 VAUXEN VELIN CEDEX FRANTZROWE ENST - Dépt Économie et Management - Télécom Pans 46 rue Banault - 75634 PARIS CEDEX 13 REFERENCES MBUOORAHIIQUU ARNAL, N. Téléphone : équipement des ménages et pratiques individuelles. Enquête Loisirs et Communication, dpaf/sbft F3/90.342/N.A., France Télécom, Juil. 1990. bornot, F., cordesse, A. Le téléphone dans tous ses états. Paris, Éditions Actes Sud, 1981. BRANDON, B. (ed). 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