Academia.eduAcademia.edu

Quand le Béarn se savait gascon

Au Moyen Âge tous les témoignages indiquent que le Béarn fit partie de la Gascogne politique et ethno-linguistique. Ce n'est qu'à partir du XVIe siècle que le statut souverain du Béarn inventé par Gaston Fébus en 1347 entra dans les mentalités et que les Béarnais se distinguèrent des autres Gascons en dépit d'une langue et d'une culture commune. During the Middle Ages all the testimonies show that the Béarn was a part of the political and ethno-linguistic Gascony. This is only from the 16th century that the sovereign status of Béarn invented by Gaston Fébus from 1347 onwards was acknowledged and the Béarnais were distinguished from the other Gascons despite their common language and culture.

Quand le Béarn se savait gascon Guilhem Pépin Aujourd’hui pour tout le monde, le Béarn est une région historique considérée comme étant bien distincte de la Gascogne. Pourtant, cela ne fut pas toujours le cas et le Béarn appartint longtemps à la Gascogne. A l’origine, le Béarn fut une vicomté fondée au cours du Xe siècle par les ducs de Gascogne pour administrer le diocèse de Lescar, soit grosso modo la partie nord du Béarn actuel. Avec le rattachement au Béarn des vicomtés d’Oloron et de Montaner, puis de la région d’Orthez, les vicomtes prirent de plus en plus d’autonomie vis-à-vis des ducs de Gascogne et de leurs successeurs, les ducs d’Aquitaine. Ils en vinrent même à faire hommage pour le Béarn aux rois d’Aragon en 1154 et en 11701 avant d’avoir une dynastie vicomtale catalane (les Moncade)2. Pourtant le For d’Ossau mentionne toujours le service militaire dû par les Ossalois au vicomte de Béarn quand celui répondait à une convocation du duc d’Aquitaine - comte de Poitiers. La limite de ce service militaire était la Garonne, soit la limite schématique de la Gascogne 3. Dans le For de Morlaàs, le délai de convocation d’une personne accusée de meurtre ou devant payer une caution dépendait selon que cette personne était en Béarn (9 jours), entre les Pyrénées et la Garonne (20 jours) ou en dehors de cet espace (40 jours)4. De même, une lettre de l’évêque et de la communauté de Bazas adressée au roi d’Angleterre – duc de Guienne Edouard Ier en 1290 expliquait que la monnaie de Morlaàs5, frappée sans aucun changement et sans discontinuité de la fin du XIe siècle au début du XVe siècle, était la monnaie utilisée couramment en Bazadais. Cette monnaie ne pouvait être imitée, ou voir sa valeur augmentée ou diminuée sans l’accord de tous les prélats, de tous les barons et de toutes les communautés de la province ecclésiastique d’Auch, soit l’ancienne Novempopulanie6. Divers témoignages médiévaux démontrent sans ambiguïté que le Béarn était considéré comme gascon 7. Suite aux incursions vikings du IXe siècle, les évêchés de Lescar et d’Oloron avaient disparus et furent Le texte de l’hommage de la vicomtesse Marie au roi d’Aragon Alphonse II (1170) précise qu’elle le faisait pour « toute sa terre de Béarn et de Gascogne » ce qui a laissé supposer que le Béarn était alors distingué de la Gascogne. En fait, cette différenciation s’explique par le fait que, contrairement à l’hommage de 1170, l’hommage de 1154 ne concernait que le Béarn et non les autres possessions gasconnes des vicomtes de Béarn. Voir les textes de ces hommages dans Tucoo-Chala (P.), La vicomté de Béarn et le problème de sa souveraineté des origines à 1620, Bordeaux, 1961, pp 147-150, n°5 et 6. 2 La dynastie Moncade a régné en Béarn de 1173 à 1290. 3 Les Fors anciens de Béarn, éd. P. Ourliac et M. Gilles, Paris, 1990, pp 516-519, article n° 7. Cet article est difficile à dater (seconde moitié du XIe siècle- début du XIIe siècle ou fin du XIIe siècle ?) et correspond peutêtre à la reconnaissance de la suzeraineté de Richard Cœur de Lion sur le Béarn par son vicomte en 1187 en même temps que celle du roi d’Aragon. Voir Tucoo-Chala (P.), La vicomté…, op. cit., p 151, n°8. 4 Ibid., p 332-333, article n° 40 et p 370-371, article n° 60. 5 De la seconde moitié du XIe siècle au XIIIe siècle, Morlaàs fut la capitale de la vicomté de Béarn et la monnaie morlanne y fut frappée depuis le règne du vicomte Centulle II le Jeune (fautivement désigné comme Centulle « V » par l’historiographie traditionnelle) au moment où ce dernier était également comte de Bigorre (10791090). La monnaie de Morlaàs fut la seule monnaie médiévale frappée dans la province ecclésiastique d’Auch correspondante à l’ancienne Novempopulanie. 6 Blanchet (J.-A.), Histoire monétaire du Béarn, Paris, 1893, pp 89-90 et document original pp 137-138. 7 La chanson de geste Le Roman de Thèbes (XIIe siècle), éd. F. Mora-Lebrun, Paris, 1995, p 326, vers 4802-4805 était explicite à cet égard : « Garsie est muntez el lierne, qui fu amenez de Biern ; por torneier ne por busoign, ne remest un tiel en Gascoign » (Gassie est monté sur un cheval gris pommelé qui était venu du Béarn ; pour combattre ou attaquer en cas de nécessité, il n’avait pas son pareil en Gascogne). De même l’auteur poitevin du livre V du Codex Calixtinus (av. 1134) qui expliquait que la localité de Borce (vallée d’Aspe) était « sur le versant gascon » des Pyrénées (ouvrage publié sous le nom fautif : Le guide du pèlerin à Saint-Jacques, éd. J. Vielliard, éd. de 1969, pp 6-7). 1 ensuite inclus aux alentours de 977 dans l’évêché de Gascogne qui regroupa alors sous une même autorité tous les évêchés disparus de Gascogne occidentale. L’un de ses titulaires, Arsiu d’Arracq8 (Raca en latin), évêque de Gascogne des alentours de 988 à ceux de 1017, était d’ailleurs probablement béarnais. Quand les évêchés disparus furent rétablis à partir de 1059 et que l’évêché de Gascogne fut par conséquent démantelé, Ramon de Bazas dit « l’Ancien », dernier évêque de Gascogne (v. 1017-1059), devint évêque de Lescar. Mentionnons aussi le fait que le dernier duc-comte de Gascogne autochtone, Sants-Guilhem (1010-1032), mort le 4 octobre 1032, se fit enterrer en la cathédrale de Lescar où une statue en ronde-bosse le représentait assis sur un cheval9. L’identité gasconne des vicomtes de Béarn et de leurs sujets fut aussi soulignée constamment par nombre de documents médiévaux. Ainsi le chroniqueur Orderic Vital (+ v. 1142) rapportait la participation du vicomte de Béarn Gaston IV dit « le Croisé » (1090-1131) à un raid mené contre des musulmans de la région de Valence en Espagne pendant l’hiver 11241125 : « Gaston de Béarn fortifia avec ses Gascons [le château de] Benicadell »10. Guibert de Nogent (+ v. 1125), un chroniqueur écrivant sur la première croisade en Terre Sainte, hésitait sur le pays d’origine de ce même Gaston IV, l’un des participants à cette première croisade : « Je ne me souviens pas exactement si ce Gaston, un homme illustre et très riche, venait de Gascogne (Guasconia) ou du Pays Basque (Basconia) : c’était en tout cas l’un ou l’autre j’en suis certain »11. Le troubadour périgourdin Bertran de Born évoquait le vicomte de Béarn Gaston VI (1173-1214) en ces termes : « le puissant vicomte qui est chef des Gascons et de qui dépendent le Béarn et le Gabardan » 12 . Pierre de Vaux-de-Cernay, chroniqueur de la croisade albigeoise désignait ce dernier comme « Gaston de Béarn, un certain noble de Gascogne »13 puis il mentionnait sa visite auprès du comte de Toulouse Raimon VI à Penne d’Agenais en 1212 : « là [à Penne d’Agenais], vint à lui [Raimon VI] un certain noble, le seigneur le plus important de la Gascogne : Gaston de Béarn »14. Dans sa propre chronique, le roi d’Aragon Jaume / Jaime I (1213-1276) rapportait les dires du vicomte de Béarn Guilhem II (1224-1229) datant de 1227 qui affirmaient : « je possède la richesse du Béarn en Gascogne »15. A la fin du XIIIe siècle, le troubadour gascon Bazadais Amanèu de Sescas mentionnait ainsi Guilhelma de Béarn, fille du vicomte de Béarn Gaston VII (1229-1290) : Arracq est l’un des lieux-dits d’Arthez-de-Béarn. Marca (P. De), Histoire de Béarn, t. I, Pau, 1894, rééd. Princi Néguer, 2000, p. 323 : « Après son décès, il fut enseveli dans l’église St-Julian de Lascar, au devant de la sacristie, et sa statue à cheval fut taillée et relevée en bosse dans la muraille, comme portent les vieux papiers, ne nous restant maintenant autre chose que les masures de cette église, qui a été ruinée et démolie pendant les troubles avenus sur le fait de la religion [la destruction de la cathédrale par les protestants de l’armée de Montgomery] l’an 1569 ». 10 The Ecclesiastical History of Orderic Vitalis, Vol. VI, Books XI, XII and XIII, éd. M. Chibnall, Oxford, 1978, Livre XIII, pp 400-401. Le château de Benicadell appelé aussi Carbonera ou Peña Cadiella se trouvait dans la commune actuelle d’Otos (située à 90km au sud de Valence). 11 In Guibert de Nogent, Geste de Dieu par les Francs : histoire de la première croisade, traduction française par Monique-Cécile Garand, Turnhout, éd. Brepols, 1998, p 243 et version originale dans Recueil des historiens des croisades. Historiens occidentaux, t. IV, Paris, 1879, p 228. 12 Gouiran (G.), L’amour et la guerre. L’œuvre de Bertran de Born, t. I, Aix-en-Provence, 1985, p 188-189, vers 17-18. Le Gabardan était une vicomté landaise autour de la ville de Gabarret (nord-est du département des Landes). 13 Petri Vallium Sarnaii Monachi, Hystoria Albigensis, éd. P. Guébin et E. Lyon, t. I, Paris, 1926, année 1211, p 253 [254] : « et Gasto de Bearno, quidam nobilis Vaschonie ». 14 Ibid., t. II, Paris, 1930, p 37 : « … venit ibi ad eum nobilis quidam, princeps Vasconie, Gasto de Bearno… ». 15 « Crònica del rei Jaume I el Conqueridor », in Les quatre grans cròniques, éd. F. Soldevila, Barcelone, 1971, pp 20-21, chapitre 33 : « que he la riquesa de Bearn en Gascunya ». Pour le contexte et la traduction anglaise de ce passage voir J. Shideler, A Medieval Catalan noble family. The Montcadas, 1000-1230, Berkeley, Los Angeles and London, 1983, p 155. Le vicomte Guilhem II de Moncade était le neveu du vicomte de Béarn Gaston VI de Moncade (+ 1214) et le père du vicomte Gaston VII. 8 9 « Sur l’autre Guilhelma16, la plus noble, je vous dirai : la fille de seigneur Gaston, avec ses belles manières, a atteint la plus haute qualité de notre pays, la Gascogne, et la contrée en est fort illuminée car sa personne attractive y fut née et éduquée » 17 . Guilhem Anelier, le chroniqueur toulousain de la guerre civile navarraise, rapportait qu’en 1276 Eustache de Beaumarchais, le gouverneur du royaume de Navarre nommé par le roi de France « passa par la Gascogne, par la terre du seigneur Gaston [VII de Béarn], et vint à Sauveterre [de Béarn], où l’honorèrent les Gascons »18. Plus loin dans ce texte, le vicomte Gaston VII de Béarn est appelé « seigneur des Gascons »19. D’ailleurs on trouve dans le cartulaire municipal d’Orthez, alors capitale du Béarn, un texte de 1308 dont un passage précise : « la ville d’Orthez de la terre de Béarn en Gascogne »20. Le chroniqueur catalan Ramon Muntaner mentionnait dans sa chronique écrite entre 1325 et 1328 « un lieu qui a nom Oloron, qui est en Gascogne »21. Dans l’introduction du Tractatus utilis super totum officium misse écrit en 1339 par frère Bernat de Parentis (Parentinis) de l’ordre des Dominicains, il est précisé qu’il était du « couvent d’Orthez de Gascogne ».22 Même après la déclaration de souveraineté du Béarn par Gaston Fébus (le 25 septembre 1347) le grand chroniqueur Jean Froissart (v 1337- v 1404) appelait encore les Béarnais dans ses Chroniques « les Béarnais gascons »23. Suite à son voyage en Béarn auprès de Gaston Fébus en 1388, Froissart évoquait le « Béarn, en la HauteGascogne »24. En 1365, la chancellerie du roi de Navarre Charles II expliquait que l’un de ses messagers s’était déplacé « de Navarre à Bordeaux, et en Béarn et en d’autres régions de Gascogne plusieurs fois »25. Une lettre de la communauté d’Agen (1363) au roi d’Angleterre Édouard III énumèrant les qualités de leur ville ainsi que sa bonne situation géographique afin d’acceuillir la cour d’appel d’Aquitaine, place le Béarn en Gascogne : « les terres de Gascogne, c’est-à-dire le Béarn, le Marsan, l’Armagnac, le Fézensac »26. En 1382 et en 1393, le mercenaire Bertran d’Orthez, au service des rois de Naples, était dit originaire « d’Orthez en Gascogne ».27 Enfin, Arnaut Esquerrier, archiviste officiel du comte de Foix-vicomte de 16 Il avait évoqué auparavant une autre personne nommée Guilhelma. Sansone (G. E.), Testi didattico-cortesi di Provenza, Bari, 1977, testo IV, p 254, vers 613-622. 18 Guilhem Anelier, Histoire de la guerre de Navarre en 1276 et 1277, éd. Francisque-Michel, Paris, 1856, p 98, vers 1460-1461 : « E passet per Gascoynna, per la terra En Gasto, E venc a Sauba Terra, on l’ondreguon el Gasco ». 19 Ibid., p 261, vers 4034 : « seynne dels Gascos ». 20 Le Martinet d’Orthez, éd. J.-P. Barraqué, Biarritz, éd. Atlantica, 1999, p 104. Lettre d’Eudes de Calumpna attestant que deux Orthésiens ont fait un pèlerinage à Rome pour expier deux meurtres : ville Orthesii terre de Bearn in Vasconia. 21 Ramon Muntaner « Crònica », in Les quatre grans cròniques, op. cit., p 817, chap. CLXVI et Ramon Muntaner, Crònica II, éd. Marina Gustà, Barcelone, 1979, p 23. Muntaner rapportait ici les négociations tenus à Oloron entre le roi d’Angleterre Edouard I er et le roi d’Aragon Alfons/Alfonso III pour la libération du prince de Salerne, fils du roi Charles d’Anjou (11 juillet – 28 juillet 1287). 22 Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France. Départements tome XXXVIII, éd. H. Loriquet, Paris, 1904, p. 180, manuscrit C 119, fol. 12v : fratrem B. de Parentinis, ordinis Predicatorum, provincie Tholosane et conventus Orthesii de Vasconia. 23 Œuvres de Froissart, Chroniques, éd. K. de Lettenhove, t. XI, Bruxelles, 1873, pp 149 et 160. 24 Dans son poème Le Dit dou Florin, voir Jean Froissart, « Dist » et Débats », éd. A. Fourrier, Genève, 1979, p 180, vers 169 : « De Berne en la Haulte Gascongne » et Tucoo-Chala (P.), Gaston Fébus, un grand prince d’Occident au XIVe siècle, Pau, 1976, p 124. 25 In Archivo general de Navarra (1349-1387). II. Documentacion real de Carlos II (1364-1365), éd. T. Ruiz San Pedro, Fuentes documentales medievales del Pais Vasco 92, Saint-Sébastien, 1999, p 291, n°1295 : le messager Sancho López de Uriz se déplaça « … de Nauarre a Bourdeaux, et en Bearn et en aultres parties de Gascoigne plusiers foys ». 26 Archives Historiques de la Gironde, t. 34, Bordeaux, 1899, p. 181, n° LXXVIII : « terras Vasconie, videlicet Bearnii, Marsanii, Armaniaci, Fensenciaci ». 27 Durrieu (P.), Les Gascons en Italie, Auch, 1885, p 138, n.2 : « Bertherandus de Orthes in Gasconia », donation de 1382 confirmée par le roi Ladislas de Durazzo le 18 juillet 1393, Archives de Naples, Registre Angevin n°363, fol. 131v°. 17 Béarn Gaston IV et auteur d’une chronique écrite entre 1445 et 1461, rapportait ainsi la bataille de Mesplède (25 août 1442) qui avait opposée, après la prise de Dax par l’armée du roi de France28, une troupe française qui était entrée en Béarn à des Béarnais qui s’y étaient opposés : « Lorsque Dax capitula, Blanchefort [le capitaine de la troupe française] et ses gens entrèrent en Béarn ; les Béarnais s’opposèrent à eux et à Mesplède eut lieu la bataille où périrent les Béarnais […]. C’est là que s’accomplit la prophétie de la grande bataille qui devait se faire en Gascogne »29. Il est aisé de comprendre qu’Esquerrier place donc encore le Béarn en Gascogne. Pour le pèlerin allemand Arnold von Harff (1499), la Gascogne s’étendait de Sauveterre-de-Béarn à la rive gauche de la Garonne à Toulouse30. L’itinéraire de Bruges (en Flandre) datant du XVe siècle faisait également débuter la Gascogne à Sauveterre-deBéarn31. Le Béarn ne commença en fait à être différencié du reste de la Gascogne qu’à partir du XVIe siècle32. En effet, le statut souverain du Béarn, inventé en 1347 par le vicomte Gaston Fébus (1343-1391) avait mis du temps pour s’installer dans les esprits 33 et l’annexion des autres régions gasconnes au domaine royal français souligna la situation particulière du Béarn. Ce ne fut pas d’un processus de différenciation culturelle que vint la distinction Gascogne / Béarn qui s’opéra alors, mais d’un processus politique. D’ailleurs au niveau linguistique et culturel, la distinction entre le béarnais et le gascon ne fut jamais claire 34 puisqu’il existe en fait plusieurs types de béarnais qui ne sont pas distincts de leurs voisins gascons. La souveraineté de fait du Béarn consacra malgré tout l’expression « langue béarnaise » (lengoa bernesa) employée par Arnaut de Salette en 1571 dans sa traduction en gascon béarnais des Psaumes Les troupes françaises menaient alors dans les Landes une offensive contre l’Aquitaine anglo-gasconne, ce qui explique ce siège et cette prise de Dax. Le comte de Foix-vicomte de Béarn, Marsan et Gabardan Gaston IV (Gaston XI en tant que vicomte de Béarn) (1436-1472) luttait avec ses troupes au sein de l’armée française, alors que beaucoup de Béarnais gardaient encore une attitude de neutralité bienveillante en faveur des Gascons du parti « anglais ». 29 Chroniques romanes des comtes de Foix composées au XV e siècle par Arnaud Esquerrier et Miégeville, éd. F. Pasquier et H. Courteault, Foix-Toulouse-Paris-Pau, 1895, pp. 69-70 (en languedocien du Pays de Foix) : « Quand Dax se rendec, Blanquafort et sas gens entren en Bearn ; los Bearnes se leven contra lor et à Mespleda foc la batalha oun los Bearnes morin […]. Aquy se complic la professia de la gran batalha, que se devia fer en Gascogna ». 30 Harff, A. von, The Pilgrimage of Arnold von Harff, traduction anglaise par M. Letts, Londres, 1946, p. 264. 31 « Itinéraire de Bruges », in Le Livre de la description des pays de Gilles le Bouvier dit Berry, éd. E. T. Hamy, Paris, 1908, Appendice IV, p. 208. 32 Le capitaine catholique Jean d’Antras de Samazan, originaire de l’actuel département du Gers, distinguait continuellement les Béarnais des Gascons dans son récit des guerres de religion en Gascogne (écrit vers 15901600). En effet, les Béarnais venaient alors d’une principauté indépendante du royaume de France qui admettait officiellement le protestantisme comme religion. Voir Mémoires de Jean d’Antras de Samazan, seigneur de Cornac, éd. J. Carsalade-du-Pont et Ph. Tamizey de Larroque, Sauveterre-de-Guyenne, 1880, passim. 33 Pourtant les textes béarnais contemporains établissaient déjà une distinction entre le Béarn et la Gascogne. En fait, il ne faut pas s’y tromper : la Gascogne en question était la Gascogne dite « anglaise » ce qui signalait que l’on indiquait ici le duché d’Aquitaine ou de Guienne uni avec l’Angleterre et non la Gascogne « humaine », culturelle et linguistique. Voir Tucoo-Chala (P.), « Aux frontières du Béarn, de la Navarre et de la Gascogne (XIIe – XVIe siècles) », Bulletin de la société de Borda, 1962, pp 235-250. 34 En 1562, dans une affaire de succession intéressant la Maison de Foix, un arrêt du Parlement de Paris du 22 mai mentionne des « pièces vieilles et antiennes estans en langaige byernois et gascon » qui ont été traduites en « langaige vulgaire françois ». Plus loin, les mêmes documents sont en « langaige gascon et byernois ». Archives Nationales. Parlement de Paris X1a 1602, f° 285 v°, copie de M. Henri Courteault publiée par les Reclams de Biarn e Gascougne, 1er juin 1910, pp 118-119. De même, le Béarnais Nicolas de Bordenave, pasteur (‘ministre’) de Nay de 1565 à 1601, attesté comme historiographe du roi de Navarre en 1577-1578, indiquait dans son Histoire de Béarn et de Navarre, terminée après 1591, que Jeanne d’Albret avait fait venir en Béarn en 1563 Jean-Raymond Merlin, un ministre de l’église calviniste de Genève, ainsi que « plusieurs autres savans personnages, la plus part de la langue gasconne et béarnoise, pour prescher au peuple en son langage », in Bordenave (N.), Histoire de Béarn et de Navarre, éd. P. Raymond, Paris, 1873 p 116. 28 de David35 et permit le développement d’un nationalisme béarnais36 renforcé à la suite de la proclamation du protestantisme en tant que religion officielle (1571). Le rétablissement de la religion catholique couplé avec son union forcée à la France (1620) transforma le Béarn en une province du royaume de France. Cette intégration à la France transmua le nationalisme béarnais en un simple particularisme provincial comme tant d’autres. 35 Los Psalmes de David metuts en rima bernesa, par Arnaud de Salette, éd. Darrigrand (R.), Orthez, 1983, p XLI. Cet ouvrage publié en 1583 était en fait terminé en 1571. 36 Il n’y a qu’à lire la déclaration de Pè de Colom, un représentant des Etats du Béarn, contre le projet d’annexion du Béarn par la France (février 1617) : « Et voici cette petite nation de Béarn, cette poignée de gens, pygmées en puissance, vermisseaux de terre, Sybarites [= gens mous] en leur démarche, vous regardent [Français] d’un visage assuré, vous font la nique et se maintiennent en terre souveraine séparés de votre royaume florissant, lèvent la crête, élèvent leurs sourcils, haussent de leurs corps et sortent des flancs de leur mère avec cette devise sur leur front : De la liberté ou la mort », in Tucoo-Chala (P.), La vicomté de Béarn et le problème de…, op. cit., p 131. Après avoir mené sans rencontrer de résistance une expédition militaire en Béarn, le roi Louis XIII fit enregistrer un édit proclamant l’unité du Béarn à la France (20 octobre 1620) faisant suite à l’édit rétablissant complètement le culte catholique (16 octobre 1620).