Revolution - Charles D'héricault

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La révolution, 1789-1882; par Charles d' Héricault.

Appendices,
par Emm. de Saint-Albin, Victor Pierre et Arthur Loth.
Héricault, Charles d', 1823-1899.
Paris, D. Dumoulin et Cie, 1883.

https://hdl.handle.net/2027/mdp.39015027219834

Public Domain
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?*OPBKT? Of

ARTES SCIENT1A VERITAS


LA

RÉVOLUTION
1789-1882
TYPOGRAPHIE DE A. PILLET ET D. DUMOULIN
RUE DES GRANDS-AUGUSTINS, 5, A PARIS
PORTRAIT DE LOUIS XVI
d'aMAND - DURAND
'
HÉLIOGRAVURE , D APRES UN PORTRAIT EN PIED

PEINT PAR COLLET ET GRAVÉ PAR BERVIC; DIX- HUITIEME SIECLE

Louis XVI avait pris l'initiative des re'formes nécessaires (Voy. Taine, La Révo

lution, I, p. 180). Le rendre responsable de la Révolution, ce serait mentir


à l'histoire. « Ce n'est pas, a dit M. Guizot, dans telles ou telles fautes de

Louis XVI y fautes de résistance ou fautes de concessions , qu'il faut chercher

le secret de ses infortunes et des nôtres ; ce secret est tout entier dans la situation

radicalement impossible qu'en 1789 on faisait au roi en voulant qu'il se fit l'instru
ment d'une révolution. Une révolution pour tout détruire et tout reconstruire

au gré des pensées et sous le vent des passions des hommes, c'est un suicide

accompli dans le fol espoir d'accomplir soi-même sa restauration. C'est pour avoir

formé ce dessein, ou s'y être laissé entraîner, que la France s'est vue conduite à

rompre violemment avec son roi, avec sa dynastie, avec la royauté elle-même, avec

sa propre histoire, et contrainte d'errer en tous sens, cherchant sa place et son

cours-, comme un astre qui, jeté hors de son orbite, porterait partout sa propre

perturbation.
« Jusqu'au jour où la France s'est ainsi égarée dans ces espaces inconnus où
l'abîme appelle l'abîme, la maison de Bourbon s'est montrée digne et capable de la
haute mission que la Providence assigne aux familles royales; elle a fidèlement,
habilement et heureusement guidé et servi la nation française dans sa carrière de

civilisation et de gloire. » (Guizot, cité par M. R. Quarré de Verneuil, Les Cou


leurs de la France , p. 56.)
LA

RÉVOLUTION
7 89-1882

CHARLES, D'HÉRICAULT

cAePcPEV<leDICES

PAR EMM. DE SAINT-ALBIN, VICTOR PIERRE


ET ARTHUR LOTH

PARIS
LIBRAIRIE DE D. DUMOULIN ET C1E

5, RUE DES GRÀNDS-AUGUST1NS, 5

1 SS3

Droits de reproductionet de traductionréserves.


INTRODUCTION

LA FRANCE
AVANT 1789
LA

FRANCE AVANT 1789

rs la fin du siècle dernier, il s'est

produit dans la société française un


mouvement d'idées dont rien ne per
met encore de prévoir le terme. Jus
que-là on avait bien vu des nations

modifier sur quelques points les con


ditions de leur vie publique, suivant
les besoins du temps et l'état des es

prits; et, dans le cours de sa longue


histoire, la France elle-même n'avait
pas manqué, à maintes reprises, d'approprier à des situations nou
velles son régime civil et politique. Dans de pareilles réformes, inspi
rées par la justice et conduites avec sagesse, il n'y a rien qui ne soit
conforme aux vues de la Providence et à l'ordre naturel des choses.
Mais une nation rompant brusquement avec son passé, faisant à un

moment donné table rase de son gouvernement, de ses lois, de ses

institutions, pour rebâtir à neuf l'édifice social depuis la base jusqu'au


sommet, sans tenir compte d'aucun droit ni d'aucune tradition; une
nation réputée la première de toutes, et venant déclarer à la face du

monde entier qu'elle a fait fausse route depuis douze siècles, qu'elle
4 INTROD lîCTION

s'est trompée constamment sur son génie, sur sa mission, sur ses

devoirs, qu'il n'y a rien de juste ni de légitime dans ce qui a fait sa

grandeur et sa gloire, que tout est à recommencer, et qu'elle n'aura


ni trêve ni repos tant qu'il restera debout un vestige de son histoire:
non, jamais spectacle aussi étrange ne s'était offert aux regards des

hommes *.

Ce spectacle, ce fait étrange et mémorable, on l'a nommé : la

Révolution.
Pour bien apprécier ce grand événement, il est indispensable de

jeter un coup d'œil sur l'état du pays à cette époque. Aucun temps
n'est moins connu *, le peu qu'on en croit généralement savoir n'est
que préjugé. Les coutumes païennes et barbares lentement et difficile

ment réformées, les institutions du moyen âge tombées en désuétude,

ainsi que mainte absurde calomnie de l'ignorance ou de la malice,

sont confondues dans la notion que nous nous sommes faite de l'an

cien régime.

Nous ne nous montrons pas assez fiers du passé de la France.


Avec l'aide de Dieu, malgré les guerres étrangères, les dissensions

intestines et toutes les calamités qui peuvent atteindre et ruiner un

peuple dans le cours de quatorze siècles, nos pères avaient su fonder,

maintenir, agrandir, consolider, la plus vieille, la plus civilisée, la

plus glorieuse et la plus populaire des monarchies d'Europe.


L'ancien régime était une monarchie absolue en droit, — si l'on

peut appliquer ce mot d'absolu à une monarchie chrétienne, où « les

rois sont soumis comme les autres à l'équité des lois» (Bossuet), —

tempérée en fait. Le conseil du roi préparait les lois. Treize parle


ments, cours souveraines pour les deux tiers de la France, en don

naient ou en refusaient l'enregistrement. Dans l'autre tiers, des états

provinciaux, assemblées librement élues, les appliquaient conformément


aux coutumes et aux libertés locales. La chambre des Comptes, les cours

des Aides, les cours des Monnaies, étaient aussi cours souveraines.

A la tête de la nation se trouvait le roi. D'après les idées

i. Mer Freppei.. Discours prononcé à I "inauguration du monument érigé en VJionncur de


Lamoricicre,
LE SERMENT DE LOUIS XVI A SON SACRE
D'APRÈS LE DESSIN ET LA GR AVU R E DE MO RE AU LE JEUNE, DIK-HUI TlÈ.M E SI KCI. E

C'est « la grande représentation de la plus majestueuse cérémonie de l'ancienne France et


de l'ancienne monarchie, étudiée, exprimée, figurée avec une fidélité et tout à la lois Lin
charme qu'aucune représentation de fête, chez aucun peuple, dans aucun temps, n'avait
atteint. C'est le Sacre dans la basilique de Reims, le Sacre antique, mêlant dans ses rites
son décor, ses ordonnances, ses costumes et ses pompes, le moyen âge au dix- huitième
siècle. Voilà le chœur, et, sous le dais pendu à la voûte, voilà Louis, seizième du nom.
Assis dans le premier de ses trois habillements, coiffé de la toque de velours à plumes
blanches, à aigrette de plumes noires de héron, il n'a encore que sa robe de toile d'argent en
forme de soutane. A sa droite, à sa gauche, les pairs laïques du royaume, avec leurs couronnes
de duc ou de comte sur la tète, dans leur manteau long de drap violet doublé et borde

d'hermine, l'épitoge toute d'hermine sous le manteau, en robe longue de drap d'or...
«Un chef-d'œuvre, ce chef-d'œuvre de Moreau, ce grand dessin, dessiné et grave
par lui, qui par l'ordonnance décorative, l'arrangement perspectif, est le plus vivant et le
plus spirituel tableau de la cérémonie officielle, la vision même du Sacre. Il la ut voir,
étudier, admirer chaque partie de la composition... ce coudoiement de manteaux courts,
d'habits brodés, de colliers, de croix en sautoir, d'étoffes à fleurs d'or..., toute cette belle
et grande ligne assise de prélats, d'évêques, de pairs ecclésiastiques, les chasubles d'orfè
vrerie, les chapes d'étoffe d'or, les chaperons et les orfrois brodés d'or, les mitres d'or,
les camails d'hermine, les rochets de dentelles, d'où se lève la ligure du grand maître
des cérémonies appuyé sur son bâton de commandement. Et derrière les prélats, ces loges
en retraite sous une voussure où (la pénombre) met sa douceur sur le visage des femmes,
tandis qu'au-dessus, sous le feu des lustres, des bougies, des torchères, allumant un jour
factice dans le sombre des vieux vitraux, s'étagent toutes les grâces féminines que Moreau
a voulu faire planer sur le Sacre, toute cette coquetterie de grandes dames, toutes ces
petites mines fouettées de lumière, toutes émue,
ces poses de caquetage et de curiosité
tous ces petits échafaudages de coiffures^ de poufs et de plumes...
« Le moment choisi par le dessinateur est le moment d'émotion du Sacre, le moment
du « serment du royaume » , la minute qui suit celle où , après avoir soulevé le roi de
son fauteuil, les deux évêques de Laon et de Beauvais demandent, suivant l'ancienne
formule, aux seigneurs assistants et au peuple, s'ils acceptent Louis XVI pour roi. Le
roi vient de se rasseoir, la tête couverte, dans la majesté presque papale de sa robe
blanche; et devant l'archevêque dressé debout devant lui, comme le témoin de Dieu, sa
main royale posée sur l'Evangile, il lit tout haut en iatin sur le livre que lui tiennent les deux
évêques: Je
promets , etc. » (Edmond et Jules de Goncourt, l'Art du dix-huilième siècle,
II, La formule du serment royal subit plusieurs variations; mais depuis Louis VII
p. 171.)
jusqu'à la Révolution elle fut la suivante : « Je promets, au nom de Jésus-Christ, ces trois
choses au peuple chrétien qui m'est sujet: premièrement, que tout le peuple eh.rétien de
l'Église de Dieu conserve en tout temps, sous mes ordres, la paix véritable; — en second
lieu, que j'interdise iniquité; — en troisième lieu, qu'en tout jugement
toute rapacité et
j'ordonne l'égalité et la » (Quéant, Le Sacre, p. 114.) « On admet que de
miséricorde.
père en fils le roi contracte mariage avec la France, qu'elle n'agit que pour lui, qu'il n'agit
que pour elle, et tous les souvenirs anciens, tous les intérêts présents, viennent autoriser
cette union. L'Église la consacre à Reims par une sorte de huitième sacrement accompagné
de légendes et de miracles; il est l'oint de Dieu. » (Taine, L'Ancien régime, p. i5.)
LA FRANCE AVANT 1789 5

chrétiennes de la vieille France, tout pouvoir légitime venant de

Dieu, nos pères, trop fiers et trop indépendants pour s'humilier


devant un homme, se soumettaient au délégué temporel de l'autorité
divine. « Ce n'était point à l'homme qu'on obéissait, mais à Jésus-
Christ. Simple exécuteur de ses commandements, le souverain régnait
en son nom; sacré comme lui, aussi longtemps qu'il usait de la

puissance pour maintenir l'ordre établi par le Sauveur- Roi, sans auto
rité dès qu'il le violait. Ainsi, la justice et la liberté constituaient le

fondement de la société chrétienne. La soumission du peuple au


prince avait pour condition la soumission du prince "à Dieu et à sa

loi; charte éternelle des droits et des devoirs contre laquelle venait
se briser toute volonté arbitraire et désordonnée1. » L'obéissance était
digne et facile, l'affection et le dévouement naturels avec cette notion
du droit divin : le souverain n'était plus un maître, mais le ministre
de Dieu pour le bien. « Vous serez lieutenant du Roi des deux, qui
est roi de France, » disait Jeanne d'Arc à Charles VII. Le sacre,
consécration ressemblant à celle des évêques, était la marque reli
gieuse de cette délégation du pouvoir. Aussi nos aïeux avaient-ils pour
leur roi « tout à la fois la tendresse qu'on a pour un père et le
respect qu'on ne doit qu'à Dieu 2
».

Ces sentiments, qui peuvent étonner dans notre siècle, s'expliquent


pourtant fort naturellement: la France était l'œuvre du roi. Mariages,
conquêtes, traités, héritages, avaient pendant huit cents ans accru le

territoire et la puissance de la France, constitué peu à peu l'unité


nationale. « Parti du néant, le roi a fait un État compact qui ren
ferme vingt-six millions d'habitants et qui est alors le plus puissant
de l'Europe. Dans tout l'intervalle, il a été le chef de la défense pu
blique, le libérateur du pays contre les étrangers... contre les Anglais
au quinzième siècle, contre les Espagnols au seizième. Au dedans, dès
le douzième siècle, le casque en tète et toujours par les chemins, il
est le grand justicier, il démolit les tours des brigands féodaux, il ré
prime les excès des forts, il protège les opprimés, il abolit les guerres

1. La Mennais. Des progrès de la Révolution , pp. 5 et G.


2. De Tocqueville. L'Ancien régime et la Révolution, p. 176.
f) INTRODUCTION

privées, il établit Tordre et la paix : œuvre immense qui, de Louis le

Gros à saint Louis, de Philippe le Bel à Charles VII et à Louis XI,


de Henri IV à Louis XIII et à Louis XIV, se continue sans s'inter
rompre jusqu'au milieu du dix-septième siècle par l'édit contre les
duels et par les Grands Jours. Cependant toutes les choses utiles exé

cutées par son ordre ou développées sous son patronage, routes, ports,

canaux, asiles, universités, académies, établissements -de piété, de

refuge, d'éducation, de science, d'industrie et de commerce, portent


sa marque et le proclament bienfaiteur public. De tels services appel
lent une récompense proportionnée : on admet que, de père en fils, il
contracte mariage avec la France... et tous les souvenirs anciens, tous
les intérêts présents viennent autoriser cette union. L'Église la consacre
à Reims par une sorte de huitième sacrement accompagné de légendes
et de miracles; il est l'oint de Dieu. Les nobles, par un vieil instinct
de fidélité militaire, se considèrent comme sa garde et viendront
jusqu'au 10 août se faire tuer pour lui dans son escalier; il est leur
général-né. Le peuple, jusqu'en 1789, verra en lui le redresseur des

torts, le gardien du droit, le protecteur des faibles, le grand aumô


nier, l'universel refuge1. »

La nation était divisée en trois ordres : le clergé, la noblesse et le

tiers état.
Le clergé était indépendant de l'État, dont il ne recevait aucun
salaire. Il était forcément devenu riche, par suite de donations pieuses
qui lui avaient été faites pendant des siècles, et dont il ne pouvait
aliéner le capital. Mais il dépensait largement ses revenus, en dons

gratuits à l'État, en améliorations locales, en fondations, en aumônes.

Il donnait presque partout, et gratuitement, l'instruction primaire.


« Nous entendons répéter chaque jour, même par des lettrés, que
le moyen âge a systématisé l'ignorance, que le clergé abêtissait les

populations pour les dominer, que les nobles ne savaient pas même

signer leur nom et qu'ils s'en faisaient honneur. Les recherches de


M. de Beaurepaire sur l'instruction publique dans le diocèse de

Rouen, Y Histoire des écoles de Montauban du dixième siècle au

1. Taine. V Ancien régime, pp. 14 et 1 5.


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8 INTRODUCTION

seizième, et quelques autres monographies locales, montrent, sans

parler de Du Boulay et de Crévier, ce qu'il en est de ces assertions.


Si les bourgeois et les paysans ne savaient rien, c'est qu'ils ne vou
laient rien apprendre, car l'ancienne France ne comptait pas moins
de 60,000 écoles. Chaque ville avait ses groupes scolaires, comme on
dit à Paris; chaque paroisse rurale avait son pédagogue, son magister,
comme on dit dans le Nord.
« Au dixième siècle, tous les paysans de la Normandie savaient
lire et écrire; sur cette terre classique du plumitif, ils portaient une

escriptoire à leur ceinture, et bon nombre d'entre eux n'étaient pas


étrangers au latin. Avant 1789, il n'existait pas moins de dix-neuf
villes d'universités, où se pressaient de nombreux élèves. Les nobles
pas plus que les vilains n'étaient hostiles au savoir et aux lettres. Ils
se sont associés d'une manière brillante au mouvement poétique du

Midi : témoin Bertrand de Born, Guillaume d'Aquitaine, Bernard de

Ventadour.
« Les premiers chroniqueurs qui aient écrit en français, Villehar-
douin et Joinville, sont sortis de leurs rangs, et il est inexact de pré
tendre qu'ils ont abandonné les magistratures au tiers état, parce
qu'ils étaient complètement étrangers aux études de droit, attendu

qu'en i 337 'es enfants des plus grandes familles suivaient assidûment
ces études à l'université d'Orléans. Quant aux actes qu'ils n'auraient
pas signés, sous prétexte que leur qualité les dispensait d'apprendre
à écrire, ce qui serait, dit-on, constaté dans ces actes par les tabel

lions qui les ont rédigés, ils n'ont jamais existé, et l'on peut mettre
le ban et l'arrière -ban des paléographes au défi de produire une seule
charte où cette formule soit énoncée »

Le clergé était ouvert à tous, alors comme aujourd'hui; dès les

temps barbares, les esclaves lui avaient fourni de nombreuses recrues.


La noblesse était une classe de familles héréditairement vouées au
service de l'État : service militaire, qui était peu rétribué, ou ser
vice judiciaire,, qui ne l'était pas. En temps de paix, elle servait l'État
avec ses revenus; en temps de guerre, avec son capital. Elle dédai-
1. Ch. Louandre. Revue des Deux Mondes du i5 janvier 1877.
LA FRANCK AVANT 178g

gnait les fonctions Lucratives; le commerce lui était en partie interdit :

elle s'était donc appauvrie à la longue et avait été obligée de ven


dre ses terres. Au dix-huitième siècle, les seigneurs n'avaient plus
d'autorité réelle et n'étaient considérés par les intendants que comme

l'agriculture encouragée
D'après une gravure de Muret datée de 1789. — Le maréchal de Vaux recuit à sa table le cultivateur
auquel les cumices agricoles de Tonnerre venaient de décerner une médaille. Ou voit par cette gravure que
les concours agricoles existaient avant la Révolution. « Le règne de Louis XVI, dit M. L. de Lavergne, est
une des plus belles époques de l'agriculture nationale. » (L. de Lavergne, Économie rurale de la France
depuis lySff, 3e édit., p. 3.)

premiers habitants de la localité. A peine avaient-ils conservé, en

certains endroits, une sorte de droit de justice de paix, tous les jours

plus restreint.
« Noblesse oblige », disait-on, et l'honneur était son origine, sa

loi et son but. « Il v avait en elle un sentiment d'affection pour le

royaume de France, pour la terre natale dans toute son étendue, à


INTRODUCTION

des époques où le patriotisme de la bourgeoisie ne s'était pas encore

élevé au-dessus de 1 esprit municipal. » (Aug. Thierry.) Pendant des

siècles, elle avait versé généreusement son sang sur tous les champs
de bataille, elle avait importé dans toutes les cours de l'Europe la

courtoisie, la langue et la civilisation françaises : elle était la gloire de

la France.
Et la noblesse était accessible à tous : chacun pouvait y arriver,
par l'armée, par la magistrature, par l'administration. Le nombre
des offices qui procuraient la noblesse s'élevait à quatre mille à la

veille de 1789.
Sous le nom de tiers état était désignée la plus grande partie de

la nation : bourgeois, artisans, paysans. La plupart des fonctions


administratives et judiciaires étaient achetées ou exercées héréditaire
ment par la bourgeoisie, qui était aussi instruite, aussi riche, plus
mêlée aux affaires, et, par conséquent , plus puissante que la noblesse.

Les artisans formaient des corporations très indépendantes et très

fières de leurs privilèges. Les paysans élisaient leurs officiers munici

paux et discutaient les affaires de leurs paroisses ; ils étaient devenus

propriétaires. Turgot et Necker s'accordent à constater le morcelle

ment de la propriété. «Le nombre des propriétaires, dit M. de Toc-

queville, s'élevait à la moitié, souvent aux deux tiers du nombre


actuel*, ce qui paraîtra bien remarquable, si Ton pense que la popula
tion totale de la France s'est accrue de plus d'un quart depuis ce

temps.)) — ((En général, on se fait des idées très fausses sur la


division de la propriété foncière au moyen âge et dans les derniers

temps de l'ancien régime : elle était relativement très morcelée dès le

treizième siècle. L'affranchissement des communes , les croisades et

l'ordonnance de saint Louis qui autorisait les roturiers à acquérir des


fiefs avaient favorisé ce morcellement par diverses raisons qu'il serait

trop long d'exposer ici. Nous avons fait le travail pour certaines cir

conscriptions de la France du Nord, et nous sommes arrivé à cette

conclusion, qu'étant donnée, par exemple, une paroisse qui comprenait

six cents hectares dans son territoire, deux cents étaient possédés par

trois ou quatre églises ou abbayes, deux cents par six ou huit familles
LA FRANCE AVANT 1789

nobles ou de riches familles bourgeoises, et le dernier tiers par cent

cinquante petits propriétaires. La proportion entre les grands et les

petits propriétaires est encore, sur bien des points, la même aujour
d'hui '. » La population et la richesse étaient en progression constante.

Le commerce maritime avait doublé depuis vingt ans; le produit des


droits de consommation augmentait de deux millions par an.

LOUIS XVI DONNE SES INSTRUCTIONS A LA PEROUSE


D'après le tableau de Monsiau au musée de Versailles, dix-neuvième siècle. — Le 29 juin 1785, avant le
départ des frégates la Boussole et l'Astrolabe pour un voyage de découverte, le Roi donne lui-même ses
dernières instructions a La Pérouse, en présence du maréchal de Castrics, minisire de la marine. —
Louis XVI voulait favoriser les progrès de la géographie, science dans laquelle il excellait, et ceux de notre
marine. Sous les ordres du comte d'Orvilliers, du duc d'Estaing, de Lamot te- Piquet, de Bougainville,
de La Pérouse, etc., nos vaisseaux rivalisaient avec ceux de l'Angleterre et protégeaient nos colonies, alors
nombreuses et prospères. « Par elles, en soixante-dix ans, notre numéraire avait été presque doublé "
(sir Francis d'Ivernois, Tableau des pertes que la Révolution a causées au peuple français, I, p. 200). —
« La seule colonie de Saint-Domingue », que la Révolution nous a fait perdre, 11donnait lieu à un va-et-vient
maritime de près de deux cents millions. » (L. de Lavergne, Economie rurale de la France, p. 4-3l.)

Au point de vue administratif, la France était divisée en trente-


huit provinces, les unes nommées pays d'élection, les autres, pays
d}état.

Les pays d'élection étaient administrés, au nom du pouvoir central,

t. Ch. Louandre. Revue des Deux Mondes du i5 janvier 1877.


INTRODU CTION

par des intendants et leurs subdélégués. Ces intendants, animés de

l'esprit nouveau, avaient depuis longtemps cherché à faire partout


prévaloir leur autorité, au détriment des vieux privilèges et des
anciennes libertés locales. Partisans de la centralisation et du nivelle
ment, ils avaient appliqué et fait pénétrer dans les mœurs la maxime

révolutionnaire : Tous égaux sous un seul maître.


Mais dans les pays d'état, Languedoc, Bretagne, Bourgogne,
Provence, Dauphiné, etc., les assemblées des trois ordres, où parfois
le tiers état comptait autant de membres que le clergé et la noblesse

ensemble, avaient continué de se réunir pour délibérer des affaires


communes, agriculture, commerce, routes, canaux, etc. Elles levaient
les impôts à leur manière et par leurs propres agents.
En 1787, ce dernier régime fut généralisé pour toute la France,
et l'autorité des intendants s'en trouva fort diminuée, presque annulée.

On créa des assemblées provinciales, d'arrondissement et de paroisse,


qui répartirent les impôts, nommèrent les agents des ponts et chaus

sées, et s'attribuèrent jusqu'à la connaissance des procès administratifs.

Ce système d'administration , plus libéral que tout ce que nous

avons eu depuis, fut le dernier appliqué par la monarchie.


Tel fut l'ancien régime. « Ce régime..., la nation ne l'avait point

subi, elle-même l'avait voulu résolument et avec persévérance.... Il


n'était point fondé sur la force ni sur la fraude, mais accepté par la
conscience de tous1.» Constamment modifié, suivant les besoins et

les idées des temps, il avait subsisté quatorze siècles,


— Mais, dira-t-on, n'y avait-il pas d'abus, de privilèges? Le
peuple ne gémissait- il pas dans la misère et dans l'oppression?
N'était-il pas écrasé d'impôts? Et le servage, la dîme, la taille, la
corvée, les odieux droits féodaux, n'existaient- ils pas? Les abus de

l'ancien régime n'ont-ils pas été la cause des terribles représailles de

la Révolution ?

Non, le peuple n'était pas malheureux. Il y avait alors plus de

rcspe:t de la loi, de l'autorité, de la religion, plus d'union dans

les familles, moins de haines sociales, un accroissement continu de

1. Aug. Thierry. Estai sur la formation du tiers ctat, p. 189.


LA FRANCE AVANT 1789 i3

l'expérience du globe aérostatique.


De MM. Charles et Robert de Montgolfier, dite dans le iardiii des Tuileries, sur le bassin, eu face du
château, le 1" décembre 1yS3. D'après la gravure de Sergent, dix-huitième siècle. — C'est à cette époque
que se fondèrent véritablement les sciences modernes. Pour se faire une idée du mouvement intellectuel au
travers duquel vint se jeter la Révolution, il suffit de nommer Buflon, Lagrange, Monge, Laplace, les
Jussicu, les Montgolfier, Joutïroy, Lavoisicr, I.acépède, etc,

population et de richesse, et c'est à ces traits que se reconnaît


le bonheur d'un peuple, plus qu'à la liberté et à l'égalité proclamées
dans sa constitution.
•4 INTRO D UCTION

On aurait donc « bien tort de croire que l'ancien régime fut un

temps de servilisme et de dépendance. Il y régnait beaucoup plus de

liberté que de nos jours... »


(M. de Tocqueville). On avait alors

la liberté communale, la liberté d'association, la liberté de conscience,

L K SOUHAIT ACCOMPLI
D'après une estampe de la collection de M. de Liesville à l'hôtel Carnavalet, dix-huitième siècle. Les
trois ordres, personnifiés par un prêtre, un noble et un paysan, s'embrassent, foulant aux pieds, le clergé
ses bénéfices, la noblesse ses grandeurs, et tous deux ensemble avec le tiers, la haine. — Cette gravure
représente l'union des trois éléments qui ont concouru, avec la royauté, à la formation de l'ancienne France.
L'action de chacun d'eux se trouve parfaitement exprimée au bas des estampes anciennes par cette triple
légende : « Le Clergé : Je prie pour les trois ordres. La Noblesse : Je combats pour les trois ordres. Le
Tiers état (bourgeois et paysans) : Je travaille pour les trois ordres. » — « Le moyen âge avait rencontré
légalité en élevant les classes inférieures». (Ed. Demolins, Les libertés populaires au moyen âge, p. 118.
LA FRANCE AVANT 1780

la liberté de tester, d'enseigner, etc.; toutes libertés qui ont été

supprimées ou restreintes depuis la Révolution.


L'inégalité formée par la distinction des classes était, sous l'ancien

régime, atténuée par la possibilité pour chacun d'arriver à la noblesse

ou d'entrer dans les ordres. Le tiers état avait sa représentation,


souvent plus importante que celle dçs classes privilégiées; la noblesse

L E GRAND A RUS
Gravure de la collection de M. le baron de Vinck d'Orp, à Bruxelles. — Une femme du peuple porte une
religieuse et une dame noble à cheval sur son dos. C'est une des nombreuses gravures par lesquelles on
excitait le peuple contre le clergé et la noblesse. — II y avait en 17S9 deux vices principaux : les privilèges et
l'inégalité devant l'impôt. Supprimer ces privilèges et faire disparaître cette inégalité, telle était la double
opération à exécuter, « et les privilégiés, comme le roi, s'y prêtaient sans résistance ». (Taine, La Révolution,
ï, p. 180.)

et le clergé furent môme en partie exclus par lui des assemblées de

1787, comme exempts de l'impôt de la taille. On n'avait pas seule


ment une sorte d'égalité politique, mais encore l'égalité devant la
ustice, et les princes du sang étaient en bien des cas justiciables des
i6 INTRODUCTION

parlements. L'égalité absolue parmi les hommes n'est qu'une conven


tion contre nature, toujours inefficace.
Des abus, il y en avait, sans doute, non pas persistants, généraux,
mais variables, locaux, passagers. Les droits de l'État, ceux des

parlements, des assemblées, mal définis par suite de réformes préci


pitées, n'étaient pas toujours faciles à établir; dans cette délimitation
incertaine des pouvoirs administratif et judiciaire, il se produisait
parfois des actes arbitraires.

Quant aux privilèges, tout le monde en avait, bourgeois, ouvriers,


cultivateurs, prêtres ou gentilshommes, et non seulement les particu
liers, mais les corporations, les professions, les provinces, les villes,
les villages. Ils disparaissaient peu à peu, en même temps que la
liberté, sous l'influence de la centralisation.
Le plus irritant, cependant, subsistait encore, V exemption d'impôts.
Comment ce privilège, qui semble rejeter sur les plus pauvres toute
la charge des impôts, avait-il pu s'établir? Ce n'est pas ici le lieu
d'étudier cette question; un mot suffira pour en indiquer la solution.
Même avant l'époque de la féodalité, le seigneur avait sur son
domaine tous les droits et tous les devoirs de la souveraineté : il
levait les impôts et les hommes d'armes, jugeait les crimes et les

différends, protégeait la commune, exécutait les travaux d'utilité pu

blique, hôpitaux, églises, routes, ponts, etc. Au roi, il ne devait


que l'hommage et le service en temps de guerre. Plus tard, le sei

gneur, ayant perdu peu à peu sa souveraineté, continua néanmoins


d'être tenu au service militaire : il devait amener avec lui un nombre
déterminé de vassaux et de mercenaires, qu'il équipait et entretenait

à ses frais. Tout le budget de la guerre avait été longtemps fourni


par la noblesse.
Ce privilège avait donc eu sa raison d'être, quoique cette raison
n'existât plus au dix-huitième siècle, et la noblesse, la première,
demandait l'égale répartition de l'impôt. Cependant il ne faut pas
oublier que beaucoup d'emplois actuellement rétribués par l'Etat
étaient alors exercés gratuitement et même achetés par les privilégiés,
ce qui justifiait assez une immunité ; que le clergé et la noblesse
LUTHER DÉCHIRE LES BULLES DU PAPE
Dessin tiré dos cartons exécutés par Chenavari pour un projet de décoration du Panthéon. D'après la
— Luther met en pièces et brûle publiquement a Wittemberg, en
photographie de MM. Broutl cl C'°, à Paris.
i.vjo, les bulles du pape qui condamnent sa doctrine. — « Le pape qu'il s'at;it de renverser est un roi. Celui-ci
par terre, les autres suivraient.... Le cri que Luther avait poussé contre Rome, des milliers de voix l'allaient
pousser contre les rois... Nous voici à la guerre des paysans, nous voici au prologue de la Révolution
française. » (Louis Blanc, Histoire de la Révolution, I, p. 553, 2e édit.
iS INTRODUCTION

n'étaient pas seuls exempts, mais avec eux nombre de bourgeois et

même de paysans; enfin que les privilégies, loin d'être totalement

exempts, payaient la capitation et les vingtièmes, et, par leurs fer

miers, la taille elle-même. Le clergé votait, en outre, des dons

gratuits importants.
Si Ton veut bien considérer encore que l'industrie et le commerce,

et, par conséquent, l'aisance, avaient pris un développement inconnu


jusqu'alors, que le bourgeois achetait des offices et le paysan des

terres, que les finances de l'État se trouvaient dans une excellente

situation avant la guerre d'Amérique, qui nous avait coûté plus de

cinq cents millions, et qu'à la veille même de la Révolution, malgré


cette énorme dépense, le déficit annuel n'était que de cinquante-six
millions, on ne pourra manquer de conclure que le peuple n'était pas
écrasé.
<( Ce que l'on reprochait avec raison aux charges publiques avant

i7<mj, c'était moins leur quotité que l'inégalité de leur répartition...


On a cependant, il faut bien le reconnaître, exploité et exagéré les

griefs fondés que faisaient naître les exemptions d'impôt. Il suffit

pour s'en convaincre de jeter un coup d'œil sur les diverses « tailles »

alors en vigueur.
« L'impôt des trois vingtièmes (76 millions en 1784) atteignait la

noblesse comme les bourgeois. La capitation (41 millions à la même

époque) n'épargnait pas les gentilshommes, elle pesait même plus


lourdement sur cette classe privilégiée que sur le tiers état, puisqu'elle
était fixée « proportionnellement au rang et à la dignité de chacun ».

La taille proprement dite semble au premier coup d'œil n'atteindre


que les roturiers, cependant la taille dite « d'exploitation » portait, de

l'aveu même de Necker, sur les propriétés de « la plupart des

« nobles ». D'autre part, la taille était dans certaines provinces « per


ce sonnellc », c'est-à-dire que l'on distinguait, pour savoir si elle devait
ou non être perçue, si le contribuable était ou non privilégié, quelle
que fut la qualité de sa terre, noble ou roturière; dans d'autres pro
vinces, elle était réelle, c'est-à-dire qu'elle était due par la terre rotu
rière, quel qu'en fut le propriétaire. Il en résultait : i° que, dans les
LA FRANCE AVANT i78<,

pays où la taille était réelle, les bourgeois propriétaires de terres

nobles étaient exempts de la taille; 2° que, dans les mêmes pays, les
nobles propriétaires d'héritages roturiers n'étaient point soustraits à

l'impôt. » (Necker, Traité de l'administration des finances.)


« Le clergé échappait à la taille, au vingtième et à la capitation ;

mais il acquittait en revanche des décimes qui s'élevaient en 1784 à

io,5oo,ooo livres. Encore cela ne doit-il s'entendre que du « clergé

«de France». Le clergé de notre pays se divisait en deux catégories


distinctes : le clergé de France, et le clergé «étranger ou des pays

«conquis», c'est-à-dire de l'Artois, de la Flandre, du Hainaut, du


Cambrésis, de la Franche-Comté, de l'Alsace, de la Lorraine, des

Trois-Évêchés, de la principauté d'Orange et du Roussillon. Tous


les membres du clergé étranger payaient la capitation et l'impôt du
vingtième. » (Necker, ibid.)
« Je ne saurais trop insister sur un point énoncé plus haut : la

dîme et la corvée réelle pouvaient être exigées des nobles aussi bien
que des roturiers1. »

L'égale répartition des impôts entre tous les citoyens semble d'ail
leurs avoir été une préoccupation constante de la monarchie. Sully et

Colbert l'avaient tentée, et Louis XVI fit de grands efforts, notam


ment en 1780 et en 1787, pour l'établir. Cette réforme devait invin
ciblement se réaliser.

Ce qui restait en 1789 des droits féodaux est difficile à résumer.


La plupart, avant d'être abolis, étaient tombés en désuétude, et, de

ces droits odieux qu'on attribue volontiers à l'ancien régime , il y en

a dont on ne retrouve aucune trace, si loin qu'on remonte. En


réalité, sauf les redevances, ils avaient presque entièrement disparu.
Ces redevances de toute sorte étaient une servitude de la terre. On
peut dire d'une façon générale qu'elles avaient été consenties, et que
ce qui paraissait au paysan d'alors une dure exaction avait été consi
déré par ses ancêtres comme une bonne affaire. Si vous cédez une
ferme, ne pouvez-vous exiger une rente? Si vous établissez un marché,
un pont, une route, ne pouvez-vous exiger un péage? Si vous cons-
1. F. Bernard. Charges d'un contribuable avant et depuis iySq, pp. ir et 12.
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INTRO DUCTION

LECTURE DE LA LETTRE DE LOUIS XIV

Très saint père, j'ai toujours beaucoup espéré de l'exaltation de V. S. au pontificat

pour les advantages de l'Église et radvancement de nostre sainte religion. J'en éprouve
maintenant les effets avec bien de la joye dans tout ce que V. B. fait de grand et

d'advantageux pour le bien de l'une et de l'autre, cela redouble mon respect filial
envers V. B., et comme je cherche de le luy faire connoistre par les plus fortes preuves
que j'en puis donner, je suis bien aise aussi de faire sçavoir à V. S. que j'ai donné les
ordres nécessaires affin que les choses contenues dans mon édit du 2e mars 1G82
touchant la déclaration faite par le clergé de France (à quoy les conjonctures passées

m'avoyent obligé) ne soyent pas observées, désirant que nonseulement V. S. soit


informée de mes sentiments, mais aussi que tout le monde connoisse par une marque
particulière la vénération que nous avons pour ses grandes et saintes qualités. Je ne

doute pas que V. B. n'y réponde par toutes les preuves et démonstrations envers moy
de son affection paternelle, et je prie Dieu cependant qu'il conserve V. S. plusieurs
années et aussi heureuses que le souhaite, très saint père, vostre très dévot fils. Louis.
— A Versailles, le 14 de septembre 1G 9 3 .

truisez un moulin, ne pouvez- vous exiger un droit de mouture? Etc.


Personne ne le niera; mais à mesure que la mémoire du bienfait
s'effacera vos exigences paraîtront moins justes, et à la fin, inexpli
cables. Sauf quelques droits purement honorifiques, chaque droit
féodal était la dernière trace d'une fondation , d'une donation ou d'un
affranchissement. Ces droits féodaux étaient beaucoup plus lourds en

Angleterre, en Allemagne, et partout en Europe, qu'en France. Et en

France même, c'étaient précisément les provinces les plus affranchies


qui demandaient des réformes. Là n'est donc pas, non plus, la cause
de la Révolution.
Mais sous le nom de « droits féodaux » , on comprend encore de

nos jours des droits abolis depuis longtemps, et d'autres, tellement


oubliés ou imaginaires qu'en 1789 on n'en fit même pas mention
pour les abolir.
On parle de servage, et le servage n'existait plus depuis le dou

zième siècle.

On parle de lettres de cachet et de Bastille , comme si ces mesures

exceptionnelles avaient été d'un usage fréquent et avaient atteint le

menu peuple.
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INTRODUCTION

Le droit d'aînesse était une coutume propre à la noblesse; si la


Révolution l'a détruit, c'est par mesure politique, et non par amour
du droit naturel. En réalité, dans les pays de droit écrit, nos pères
avaient la liberté de tester, et nous ne l'avons plus; les successions en

ligne directe n'étaient sujettes à aucune taxe, et maintenant le fisc est

toujours cohéritier.
On croit encore vulgairement que, par toute la France, les paysans
devaient passer les nuits de printemps à battre les étangs pour empê
cher les grenouilles de troubler par leurs coassements le sommeil du
seigneur. C'était une prestation dont on n'a pu retrouver de traces

que dans quatre ou cinq petites localités, prestation consentie en

échange de la possession d'une terre.


Je ne parlerai pas de ce qu'on appelle plus particulièrement le droit
du seigneur. Il n'existait pas au dix-huitième siècle; il n'a môme
jamais existé, tel qu'on le comprend. Aucune charte ancienne ne l'af
firme; les lois édictent des peines sévères contre de bien moindres
licences; aucun concile n'en fait mention; les historiens, les poètes, les

satiriques n'y font pas même allusion. C'est une plaisanterie de fort
mauvais goût, et qui a réussi par l'absurde.
C'est encore faire preuve d'une grande ignorance que de s'obstiner
à voir dans la Révolution une réaction contre une longue humiliation
ou une intolérable oppression. Le pouvoir royal était aimé et res

pecté; en dehors des philosophes, personne 'ne songeait à l'attaquer.


L'influence du clergé et de la noblesse était acceptée dans les cam

pagnes, comme celle d'hommes supérieurs par l'éducation et la for

tune; de vieux serviteurs et de vieux tenanciers ne croyaient pas


s'abaisser par quelques marques de déférence pour leurs anciens maî
tres, qui ne pensaient pas déroger en les traitant avec une bienveil
lance toute familière. Dans les villes, cette influence n'existait plus
depuis longtemps, les classes privilégiées vivant avec la bourgeoisie
sur le pied d'égalité. La passion révolutionnaire « a attribué, comme
caractère distinctif, aux six siècles précédents l'antagonisme social

qui ne s'y produisait qu'à titre exceptionnel, et qui ne s'est réellement


propagé que de notre temps... L'harmonie sociale était mieux établie
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INTRODUCTION

à cette époque dans la paroisse, dans l'atelier, et dans la famille...

Si la Révolution française avait réellement soustrait les classes infé

rieures à la prétendue oppression de l'ancien régime, on devrait


constater que l'affection réciproque des maîtres et des serviteurs se

substitue peu à peu à de vieux sentiments d'antagonisme. Or il est

certain, pour les moins clairvoyants, qu'un changement s'est produit

dans le sens opposé... Il y a entre les deux époques cette différence

essentielle que, sous l'ancien régime, chaque patron allait au combat


soutenu par ses clients, ses ouvriers ou ses domestiques, tandis que
désormais il les rencontrerait armés devant lui l. »

N'y avait-il donc rien à blâmer dans la France du dix-huitième


siècle? Au contraire, c'était une époque de décadence morale, dont la
Révolution a été le couronnement. La noblesse s'était éloignée des

camps et de la province, elle avait perdu son légitime ascendant, elle

était devenue libre penseuse et débauchée, et n'avait plus de foi qu'au


mesmérisme et à l'illuminisme. Quelques membres du clergé avaient

do/mé de tristes scandales. Les parlements avaient refusé leur appui à

des édits qui pouvaient remédier au mal. tiers état, emporté par
le mouvement révolutionnaire, écoutait avec complaisance les philoso
phes et les rhéteurs. Des réformes étaient désirables : on a fait une

révolution; on a détruit, au lieu de réparer.

Ces réformes étaient donc moins nombreuses, moins radicales sur


tout qu'on ne se plaît généralement à le croire, et les abus n'étaient

pas si criants qu'ils justifient en rien les erreurs et les crimes de la

Révolution. Il semblait même qu'on fût d'accord sur les nouveaux


principes comme sur leur application. Mais un esprit de mécontente

ment et de révolte avait peu à peu corrompu les classes dirigeantes

et pénétré la nation. Il suffit que le gouvernement fasse lui-même les


réformes demandées pour qu'on n'en veuille plus; la mode est à l'op
position quand même. Les maîtrises et jurandes supprimées sont

redemandées; la libre circulation des grains cause des disettes et

devient prétexte à émeutes; les premières assemblées provinciales ne

peuvent fonctionner; les assemblées de notables ne concluent à rien;


i. Le Pla\. La Réforme sociale, I, p. 27.
LA FRANCE AVANT 178g 27

le parlement tombe en défaveur. L'effervescence générale est telle, que

des réformes successives ne lui suffisent plus : il ne lui faut pas

ASSEMBLÉE DE F 11A N C S M A Ç O N S -
pour la réception d'un maître. Le récipiendaire est couché sur un drap mortuaire, le visage couvert d'un
voile teint de sang; les maîtres présents tournent vers lui la pointe de leur épée. Fac-similé d'une gravure
du dix-huitième siècle. — n 11 importe, dit M. Louis Blanc, à propos des francs-maçons, d'introduire le
lecteur dans la mine que creusaient alors, sous les trônes, sous les autels, des révolutionnaires bien autre
ment profonds et agissants que les encyclopédistes. » (Histoire de la Révolution, t. II, p. 74.) — « La
maçonnerie, a dit M. Henri Martin, est le laboratoire de la Révolution. » {Histoire Je France, t. XVI,
p. 585.) — M. Félix Pyat appelle la franc-maçonnerie « l'F.glise de la Révolution « .

moins qu'un changement radical, mal défini, et dont les conséquences


sont encore moins prévues.
Cet esprit nouveau, l'esprit de La Révolution, antichrétien et anti-

français, avait été soufflé par la renaissance et le protestantisme.


INTRO DUCTION

Longtemps contenu, il avait enfin débordé triomphant dans la philo


sophie du dix-huitième siècle, grâce au relâchement des mœurs et à

l'indifférence religieuse. Voltaire avait pris pour mot d'ordre : « Ecra


sons l'infâme ! » Rousseau avait proclamé le droit absolu de libre
examen, la souveraineté du peuple, l'infaillibilité et la perfectibilité de

l'homme. Diderot, pensionnaire de l'impératrice de Russie, avait osé

dire qu'il fallait « étrangler le dernier roi avec le boyau du dernier

prêtre». — «Institutions, opinions, mœurs, la société et l'homme


lui-même, tout parut à refaire, et la raison humaine se chargea de

l'entreprise. »
(Guizot. )

L'œuvre des philosophes fut complétée par les économistes. Les


premiers n'avaient troublé que les idées; ceux-ci, parvenus au pouvoir
avec Turgot et Necker, sans souci des faits, des traditions, des

nécessités actuelles, de l'organisation antérieure du pays, appliquent


leurs théories. Un système est réputé bon dès qu'il est nouveau. La
France n'est plus qu'un vaste champ d'expériences, où sont tentées

toutes les utopies : il faut qu'elle soit libre et heureuse malgré elle,
et par procédé breveté avant l'essai. Toute résistance des hommes ou

des choses est brisée : les obstacles sont emportés par le torrent. Les
esprits sont troublés, fascinés, délirants ; une ère nouvelle semble s'ou

vrir. Est-ce le bonheur, tel qu'aucun peuple ne l'a encore réalisé sur
cette terre? Est-ce un effroyable cataclysme, qui couvrira la France
de deuils et de ruines? Personne ne doute, personne n'hésite : le roi,
les ministres, le clergé, la noblesse, les parlements, et derrière eux
la nation tout entière, courent et se précipitent tête baissée dans

l'abîme.
La catastrophe qui a terminé le règne de Louis XVI ne permet

guère à l'esprit de s'arrêter sur les quinze premières années de ce

règne. Ce fut cependant une époque de grande prospérité publique.


L'agriculture n'avait pas été seulement un objet de préoccupations
constantes pour le gouvernement, elle avait été favorisée de dix années
de bonnes récoltes; « le règne de Louis XVI est une des plus belles

époques de l'agriculture nationale1». L'industrie s'était développée très


4-3

l. L. de Layeugne. Economie rurale de la France depuis 3e edit., p.


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sucji ap liGLi sp orgi )a op •glV
INTRODUCTION

rapidement sous un régime mêlé de liberté croissante et de protection;


le commerce avait été facilité à l'intérieur par la suppression des

douanes provinciales, et avait trouvé à l'étranger des débouchés nou


veaux. <( La seule colonie de Saint-Domingue, aujourd'hui perdue,
1 »
donnait lieu à un va-et-vient maritime de près de 200 millions.
Une certaine autonomie, répandue un peu partout, contre-balançait
encore les essais de centralisation.

Aux biens de la paix était venue s'ajouter la gloire militaire, la

seule pourtant que Louis XVI n'ambitionnât pas. Notre marine avait
repris le premier rang en Europe : elle avait, par ses victoires, assuré

l'indépendance des États-Unis et humilié l'Angleterre.


C'est vers cette époque aussi que se fondèrent véritablement les

sciences modernes. Pour se faire une idée du mouvement intellectuel


au travers duquel vint se jeter la barbarie révolutionnaire, il suffit de

se rappeler le nom de quelques contemporains : Buffon, Lagrange,


Monge, Laplace, les Jussieu, les Montgolfier, le marquis de Jouffroy,
Lavoisier, Lacépède.
Dans les lettres et dans les arts, la philosophie athée, la démora
lisation des classes élevées de la société, l'admiration factice d'une
nature de convention, nous avaient fait perdre beaucoup de notre
ancienne splendeur; mais nous étions encore l'oracle du monde civi
lisé. Tous les hommes de. 89, dont les erreurs ne doivent pas faire
oublier les qualités brillantes, s'étaient formés sous l'ancien régime.

Cependant les finances de l'État obérées par la guerre d'Amérique


étaient en déficit constant. La situation s'était aggravée encore par
l'incapacité de plusieurs ministres et la mauvaise volonté des parle
ments. Mais Louis XVI, économe par caractère, prenait plaisir aux
sacrifices personnels et aux réformes dans sa maison; la noblesse et

le clergé proposaient de renoncer à leurs immunités, et l'opinion


publique pensait que la généralisation de l'impôt et le vote du budge:
par les États généraux suffiraient à faire cesser toute difficulté finan
cière.

Le règne de Louis XVI avait donc été un règne heureux et glo-


1. !.. dis Lavergne, Economie rurale de la France depuis ijSq* 3e edit., p. 3.
LE PARTAGE DE LA POLOGNE
— La couronne tombe de lu
D'après une gravure du dix-huitième siècle, intitulée le Gâteau des rois.
tête du roi de Pologne. L'impératrice de Russie, le roi de Prusse et l'empereur d'Autriche désignent
sur une carte de Pologne les portions de territoire qu'ils veulent joindre à leurs Etats. — C'est par la
complicité de la royauté dégénérée de Louis XV avec l'esprit de révolution, que la France, dépouillée
de La « magistrature qu'elle avait exercée sur l'Europe » , laissa se consommer la plus inique viola
tion du droit des peuples. Le partage de la Pologne fut une consécration formidable de la politique
de force substituée a la politique chrétienne.
32 INTRODUCTION

rieux*, la Révolution ne répondait à aucun besoin matériel pressant :

elle était toute dans les idées.

Louis XVI, petit-fils de Louis XV, monté sur le trône à l'âge de

vingt ans, était un prince de mœurs irréprochables, pénétré du senti


ment de ses devoirs, aimant la paix et toujours inquiet du bonheur
de son peuple, laborieux, très instruit, à la fois économe et généreux,

d'un courage calme qui alla jusqu'à l'héroïsme, et d'une bonté qui
trop souvent fut de la faiblesse. Défiant de lui-même, il revenait faci
lement sur ses meilleures résolutions : celui que la Révolution nom
mait le tyran n'osait pas être roi.
La reine Marie-Antoinette, princesse de la maison d'Autriche,
avait un caractère plus ferme, qui lui suscita bien des ennemis à la
cour même. On lui attribuait justement une grande influence sur les

conseils du roi. Mais elle savait aussi séduire par sa grâce et son

enjouement. Belle, adulée, reine à dix-huit ans, elle avait aimé les

jeux, la danse, et détesté l'étiquette. Cette légèreté, bien naturelle à

son âge, et la vivacité de ses amitiés, servirent de prétexte à d'infâmes


calomnies. Si l'on ne craignit pas d'appeler Louis XVI le tyran,
pourquoi eût-on hésité à traiter Marie-Antoinette de Messaline?
L'injure préparait l'assassinat.
La cour était très divisée. Des frères du roi, l'un, le comte de

Provence, depuis Louis XVIII, ne répugnait pas aux idées nouvelles ;

l'autre, le comte d'Artois, depuis Charles X, y était opposé. Le duc


d'Orléans s'était fait le patron des révolutionnaires exaltés. La
duchesse de Polignac jouissait d'une grande influence auprès de la

reine, et leurs ennemis communs disaient un peu de tout : « C'est la


faute des Polignac », comme, plus tard, « de l'Autrichienne ».

Des soixante-deux ministres de Louis XVI, deux méritent surtout


d'être cités : Turgot et Necker. Turgot, habile administrateur, avait

supprimé trente-deux espèces d'impositions et diminué de 112 mil


lions la dette de l'État. Necker, financier génevois, avait créé les
assemblées provinciales pour la répartition et la levée des impôts.
Tous deux, malheureusement imbus des doctrines économistes,
avaient recherché passionnément la popularité : ils avaient affaibli
LE COMPLIMENT DU JOUR DE L'AN

d'après la gravure coloriée de debucourt, D 1X - II U I T I È M E SIÈCLE

Cette composition « dédiée aux pères montre le petit-fils en matelot, soufflé


et poussé par sa mère, récitant sa leçon aux grands -parents, en regardant du
coin de l'œil le polichinelle des étrennes à demi glissé de l'armoire». (Edmond et

Jules de Goncourt, L'Art du dix-huitième siècle, II, p. 257.)

« L'esprit de l'éducation est partout le même;... aux yeux des parents, il


n'y a qu'une vie intelligente et raisonnable, celle du monde, même pour les enfants,

et l'on ne s'occupe d'eux que pour les y conduire ou les y préparer... Faire germer
des bons mots, des fadeurs, des petits vers dans un cerveau de huit ans, quel triomphe
de la culture mondaine! » (Taine, L'Ancien régime, p. 177.)
LA FRANCE AVANT 1789 33

l'autorité royale et achevé de troubler les esprits. « Un roi moins


bon, a dit Bailly, des ministres plus habiles, et il n'y aurait pas eu

de révolution. »

Louis XVI, voyant chaque jour, malgré les réformes dont lui-
même avait pris l'initiative, grandir les embarras du trésor et de

l'administration, se laissa facilement persuader de consulter la nation


en convoquant les Etats généraux. Les États généraux étaient une
assemblée composée des députés des trois ordres, clergé, noblesse et

tiers état; ils délibéraient par chambres séparées , chaque ordre n'ayant
qu'une voix. Cette institution semblait être tombée en désuétude :

aucune convocation n'avait eu lieu depuis l'an 16 14.

La date de la réunion fut fixée au 4 mai 1789.

On accorda aussitôt toute licence à la presse ; on l'invita même


à éclairer le pays par la discussion. En même temps on laissa
se fonder les premiers clubs, importation anglaise, qui devait jouer
un rôle funeste dans toutes nos révolutions. Ces mesures ne firent
qu'accroître le trouble et l'exaltation. La France fut aussitôt inondée
de brochures politiques : un amateur, dans les trois derniers mois
de 1788, en recueillit 2,5oo et sa collection était encore incomplète.
La plus célèbre fut celle de l'abbé Sieyès :
Qu'est-ce que le tiers état ?
tout; qua-t-il été jusqu'à présent dans V ordre politique? rien; que

demande-t-il à devenir? quelque chose. Le langage passionné de Sieyès,

philosophe ordinairement nuageux, produisit la plus vive excitation;


il concluait, en réalité, à ce que le tiers état devînt tout.

La première question agitée par la presse et les clubs fut celle du

nombre de la représentation du tiers état. Contrairement aux anciens

usages, on demanda qu'il eut à lui seul autant de députés que les
deux autres ordres ensemble. Malgré l'avis contraire du parlement de
Paris et de l'assemblée des notables, Louis XVI accorda généreuse
ment le doublement du tiers; concession inutile, si le vote par ordre

était maintenu comme par le passé; concession dangereuse, le tiers,


ainsi doublé, devant être tenté de substituer au vote par ordre, où il
n'avait qu'une voix sur trois, le vote par tète, où la majorité lui
était assurée. C'était une première faute.
5
34 INTRODUCTION

La noblesse de Bretagne, protestant contre cette innovation, refusa


de nommer ses députés : l'ordre de la noblesse fut ainsi privé de

vingt-trois représentants.
Le nombre des députés, d'abord fixé à 1,000, fut porté à 1,200.
L'élection se fit par le suffrage universel, à deux degrés. Tout
contribuable âgé de vingt-cinq ans fut électeur et éligible. Chaque
collège électoral dut, en outre, formuler ses vœux, doléances et pro
jets de réforme; ces mandats écrits s'appelaient cahiers.
Le clergé eut députés, dont 49 éveques seulement et 2 1 5 curés,
291
qui, issus du tiers état, devaient incliner à épouser ses querelles. La
plupart de ces prélats étaient estimés pour leurs vertus et leurs
talents : Duleau , La Luzerne, Boisgelin, Juigné, etc. D'autres étaient
ou devinrent célèbres à différents titres : le cardinal de Rohan, les
deux Talleyrand, Gobel , etc. Étaient encore députés du clergé :

l'éloquent abbé Maury, antagoniste de Mirabeau; l'abbé Grégoire,


l'apostat; dom Gerle, qui siégea en costume de chartreux, Lefranc de

Pompignan, etc.

La noblesse ne comptait que 270 députés. Parmi eux on remar

quait des descendants des plus vieilles familles de France : des Mont

morency, des La Rochefoucauld, des Clermont-Tonnerre ; des mem

bres des parlements : Duport, d'Eprémesnil ; des officiers distingués :

La Fayette, illustré par la guerre d'Amérique, Custine, Biron, Vau-


dreuil, La Tour-Maubourg, etc. Le duc d'Orléans, les Lameth, Ca-
zalès, le vicomte de Mirabeau, Beauharnais, le prince de Broglie,
Lally-Tollendal, Puisaye, Lepelletier de Saint- Fargeau , Bouffiers, etc.,
figuraient aussi parmi les membres de la noblesse.

Le tiers état élut 684 députés, parmi lesquels 76 propriétaires


ruraux seulement, et près de 200 avocats. Les plus célèbres furent
d'abord l'abbé Sieyès, rendu populaire par sa brochure, et le comte
de Mirabeau, orateur éloquent, mais homme méprisable. Mauvais fils,
mauvais époux, ambitieux et perdu de dettes, Mirabeau avait passé
une partie de sa vie en prison et avait même été condamné à mort
pour séduction. Ses désordres publics l'avaient fait repousser par la
noblesse; il n'en fallut pas davantage pour assurer son succès auprès
LA FRANCE AVANT 178g

PORTRAIT DE TURGOT (ANNE-ROBERT-J ACQUEs)



Tableau de Ducreux, dix-huitième siècle ; d'après la photographie de MM. Braun et Cie, à Paris.
« sans tenir un
Turgot, ministre de Louis XVI, fut, comme Necker, un théoricien appliquant un système,
compte suffisant des traditions ni des mœurs.... Selon un mot du président de Brosses, il y avait en lui
ayant la Résolution, pp. 325
moins de ministère que d'encyclopédie ». ( Rocquain, L'esprit révolutionnaire
l'ouvrier,
et 3î6. ) Turgot supprima les corporations ouvrières au lieu d'en corriger les abus. « Depuis lors,
sans traditions et sans appui, n'étant plus fortifié par l'esprit de corps, ni protégé par les lois qui réglaient
forces, de l'envie qui le ronge,
son salaire et sa peine, est devenu la proie des cupidités qui exploitent ses
et des ambitieux qui excitent ses colères.... Il pouvait être jadis malheureux et digne, est devenu
il_

misérable. (Monsabré, Conférences de 1880.


»

du tiers. Parmi les autres, on peut citer ditlerents titres Bailly,


à

membre des trois académies; Maximilien de Robespierre, mauvais


36 INTRODUCTION

avocat, plus inconnu que méprisé; Mounier, Barnave, Petion, Boissy


d'Anglas, Lanjuinais, Volney, le docteur Guillotin, Brillât-Savarin, etc.

De ces hommes choisis librement par la France entière, la plupart

voulaient sincèrement des réformes sages, qui devaient amener,


croyaient-ils, une rénovation sociale et le bonheur universel. Mais la

plupart aussi se laissèrent entraîner par le mouvement révolutionnaire


bien loin du but idéal qu'ils avaient rêvé, et, à la vue des désordres

et des crimes dont ils furent instigateurs ou complices, ils durent s'ap

pliquer ce mot d'un des leurs : « J'entrai honnête homme dans cette

assemblée, j'en suis sorti criminel. »


(Mounier.)
Ils n'avaient
pourtant reçu aucun mandat pour une révolution.
Le rapport du comité de constitution a formulé ainsi (séance du

27 juillet 1789) le résultat du dépouillement des cahiers, expression


formelle de la volonté de huit millions d'électeurs :

PRINCIPES AVOUÉS ET UNANIMEMENT RECONNUS1

Article ier. — Le gouvernement français est un gouvernement


monarchique.
Art. 2. — La personne du roi est inviolable et sacrée.
Art. 3. — La couronne est héréditaire de mâle en mâle.
Art. 4.
— Le roi est dépositaire du pouvoir exécutif.
Art. 5. — Les agents de l'autorité sont responsables.

Art. G. — La sanction royale est nécessaire pour la promulgation


des lois.

Art. 7.
— La nation fait la loi avec la sanction royale.
Art. 8. — Le consentement national est nécessaire à l'emprunt et

à l'impôt.
Art. 9.
— L'impôt ne peut être accordé que d'une tenue d'Etats
généraux à l'autre.
Art. 10. — La propriété sera sacrée.
Art. 11. — La liberté individuelle sera sacrée.
Le clergé offrait, en outre, le sacrifice de ses privilèges devant

1. Résultat du dépouillement des cahiers. (Réimpression du Moniteur, I, p. 2i5. )


UNE

SCÈNE DU « MARIAGE DE FIGARO »

D'APRÈS UNE GRAVURE DE BÉGUINET, DIX-HUITIEME SIECLE

La comtesse se jette à genoux en même temps que Suzanne et implore de son


mari le pardon de Figaro. (Acte V, scène ix.)
Un des plus graves indices de l'époque fut cette comédie du Mariage de Figaro,
« où Beaumarchais jetait à pleines mains la moquerie, enveloppant dans la satire
contre les seigneurs le gouvernement, les lois, la morale(, tout ce qui fait la société...
Cent représentations accoutumèrent le peuple à persifler, puis à maudire, ce qu'il avait
appris à bénir et à respecter ». (Laurentie, Histoire de France, VI, p. 336.)

Par le Mariage de Figaro, dit M. Louis Blanc, Beaumarchais « a complété son


œuvre révolutionnaire ». {Histoire de la Révolution, I, p. 456.)

« Le Mariage de Figaro, dit Napoléon Ier (un jour qu'il lisait Beaumarchais),
c'est déjà la Révolution en action. »
UNE SCÈNE DU « MARIAGE DE FIGARO ,
LA FRANCE AVANT 1789 3?

l'impôt. Il demandait qu'on instituât des conciles et des synodes pour


le rétablissement de la discipline ecclésiastique, qu'on obligeât les pré

lats à la résidence, qu'on abolît la pluralité des bénéfices, etc.

La noblesse proposait de même la renonciation de tous ses privi


lèges pécuniaires et autres *. Elle voulait seulement rester noblesse et

conserver ses titres. A son avis, la noblesse ne devait pouvoir être ni


achetée ni obtenue de droit avec un emploi ; tous les grades de la

DAME CONDUITE EN TRAINEAU


D'après une gravure du dix-huitième siècle.

magistrature et de l'armée étant accessibles à tous, elle était la récom


pense naturelle de longs et honorables services. Ses cahiers deman
daient encore une déclaration des droits de l'homme , l'abolition de la
traite et de l'esclavage, l'abolition des lettres de cachet et de la Bas
tille (question d'un intérêt tout personnel pour les gentilshommes),
le respect de la liberté individuelle dans l'enrôlement des troupes
de terre et de mer, la liberté de religion, la liberté du travail, du
commerce et de l'industrie, la liberté de la presse, la création du jury,
l'extension de l'enseignement en rapport avec la profession probable
des enfants, etc. Elle sollicitait pour les pauvres des ateliers, des tra-

1. De Tocqueville. L'Ancien régime et la Révolution, pp. 38y et suiv.


38 INTRODUCTION

vaux publics, des caisses de secours, des hospices, etc., et exprimait -

le vœu <c que les outils du pauvre ne pussent jamais être saisis, et

que seul, en France, le journalier fût affranchi de l'impôt ». (M. Louis


Blanc. )

Les cahiers du tiers état ne contenaient rien de plus que ceux des
deux premiers ordres, mais ils insistaient davantage sur la question
du vote par tête. L'entente semblait donc facile et probable. Les désirs
du roi et les idées de son ministère concordaient avec les vœux de la
nation.

Avant même l'ouverture des États généraux, les modifications poli


tiques, financières et sociales propres à donner définitivement à l'an

cien régime la forme des sociétés modernes pouvaient donc être

considérées comme adoptées d'un commun accord. Ce fut le tiers

état, regardé souvent à tort comme le promoteur des « principes


de 89», qui s'opposa à leur application, et, au lieu de réformes, fit
une révolution.

Emm. DE SAINT-ALBIN.
LA RÉVOLUTION
1789
- 1882
LA

RÉVOLUTION FRANÇAISE
4 MAI I789 l8 BRUMAIRE AN VIII

PREMIÈRE PARTIE

LA POLITIQUE
LE PRINCIPE

La Révolution se divise, à la fin du

dix-huitième siècle, en deux périodes


distinctes : 4 mai 1789 au 22 sep
du
tembre 17Q2, elle anéantit l'autorité, au
profit de la liberté, afin d'arriver au pou
voir; du 22 septembre 1792 au 18 bru
maire an VIII, elle supprime la liberté,

au profit de l'autorité, afin de garder


ce pouvoir.
Quel principe invoquait- elle pour
expliquer comment la liberté, qui devait
être tout, de 89 à 92, ne devait plus
Collection de M. de Liesville, à l'hôtel Carnavalet • .s i \ i r j î '
~r>> ^
rien être, de 92 a la fin de la Révolu

tion ? Le même principe dans les deux cas : la souveraineté du peuple.


Mais on était bien forcé de constater que ce peuple, qui était, en

principe, souverain, infaillible et bon, se montrait mobile, ignorant,


passionné, facile à duper, ou servile ou mutin, aussi prêt à se rétracter
6
LA RÉVOLUTION

qu'à affirmer des inepties. L'expérience journalière démontrait donc la


nicessité de faire agir une sagesse supérieure à celle du peuple.

Les révolutionnaires furent ainsi conduits à chercher d'abord un

principe directeur de la souveraineté; ensuite des juges pour décider

les cas où l'opinion était générale ou particulière; enfin une agglomé

ration qui pût jouer le rôle de peuple avec promptitude.

Ce principe, c'est ce qu'on appela aie bien du peuple»; ces juges


furent les hommes qui se nommèrent « les amis du peuple » ; cette

agglomération fut la populace, parce qu'elle appuyait les amis du


peuple dans leur action pour le bien du peuple. La croyance à cette

théorie constitua « la vertu », et les gens qui se soumirent aux exploi

teurs de la politique nouvelle furent « les vertueux ».

On voit comment, posant en principe la souveraineté du peuple,

les despotes les plus effrontés purent se proclamer les vertueux repré
sentants d'un peuple libre.
Mais, avant d'en venir là, cette hypothèse de la souveraineté du

peuple libre et bon produisit un premier effet : elle imprégna tout le

dix-huitième siècle; elle pénétra jusqu'au fond de Pâme même des repré

sentants de l'autorité; elle les désarma; elle les laissa faibles, irrésolus,
nous le verrons, en face des premiers révolutionnaires.

CHAPITRE I

LE GOUVERNEMENT

S I . — LE GOUVERNEMENT LEGAL.

L'ère de la légende : les Etals généraux. — Les États généraux


furent ouverts, le 4 mai 1789, par une procession où l'ancienne
société se montra dans son éclat éblouissant et austère. On vit se

dérouler, comme dans une gloire féerique, le tableau vivant de la


civilisation chrétienne et monarchique : dernier reflet d'une splendeur
qui allait disparaître pour jamais.
A
OUVERTURE DES ÉTATS GÉNÉRAUX VERSAILLES

5
LE MAI 1789

D'APRES LE TABLEAU D'AUGUSTE COUDER AU PALAIS DE VERSAILLES, DIX-NEUVIEME SIECLE

A
la

le
Dans fond, Louis XVI assis sur son trône domine toute rassemblée. gauche du roi, la reine et les princesses

le

à
du sang; sa droite, les princes, et, plus bas, les députés du clergé. De l'autre côté, sur premier plan, les députés du
la

le
tiers, parmi lesquels on distingue Mirabeau debout auprès de l'abbé Sieyès, et, sur second plan, les députés de noblesse.

le
Au milieu, devant banc des ministres, Necker prononce un discours.

:
la

Les députés étaient au nombre d'environ douze cents trois cents du clergé, trois cents de noblesse, six cents du

«
tiers état. La grosse majorité se compose d'avocats inconnus et de gens de loi d'ordre subalterne... Point d'anciens
»

ministres, ni de maréchaux de France; pas un seul intendant, sauf Malouet...; peine cent cinquante propriétaires.
la
la

le

«
La Révolution, dit la .nation s'écria roi en fois .liste

I,
(Taine, pp. 164 et i55.) Qu'aurait voyant pour première
, 1

si
»
des députés, j'eusse ainsi composé les notables de mon conseil (Bûchez et Roux, Histoire parlementaire de la

Révolution, IV, p. 39.)


«

Les députés avaient de leurs électeurs un mandat nettement déterminé sur les points essentiels. Tous les cahiers
reçu

:
»

le

la
généraux se résument par ces mots concilier liberté nouvelle avec catholicisme et l'ancienne royauté. (Edgar

La

p.
I,
Quinet, Révolution, 186.)
à

Dans cette on entendit Mirabeau dire ses voisins en montrant le tant de

«.
première séance, roi, que splendeur
5

:
2
1
.

environnait Voilà la victime de


)

». (Louis Blanc, Histoire la Révolution, II, p.


I

I
44

Le peuple, si amoureux des fêtes et qui accourait, avec un enthou


siasme attendri, pour voir passer le service de la Bouche du roi, ou

le cortège des chevaliers du Saint-Esprit, se montra peu sensible aux

curiosités brillantes de cette procession des États généraux. C'est que

l'enthousiasme n'était plus au passe, mais tout entier à l'avenir. Le

passé, on croyait qu'il n'avait plus rien à donner. L'avenir ouvrait


des horizons sans bornes et sans nuages ; il promettait tout et on le

croyait sur parole.


Combien, à ces Etats généraux, la vieille France avait-elle envoyé

d'hommes qui fussent vraiment révolutionnaires ? Ils étaient dix. Ils


parvinrent à être trente. On se rappelle l'apostrophe : « Silence aux

trente voix ! » Dix ou trente partisans de révolte ou de bouleverse

ment, sur douze cents qui réclamaient plus ou moins sincèrement


des réformes. Les dix l'emportèrent. Comment cela se fit-il ? Les
enthousiastes de 89 disaient, avec conviction, que cela était dû aux

prestiges de la liberté. C'est la légende qui commence. L'affaire

s'explique sans prestiges; les faits suffisent. En voici quelques-uns.


Nous avons dit que l'opinion croyait à la souveraineté populaire.
Tout le monde était attendri sur le sort du peuple. Ce mot et cette

idée donnaient toute audace et brisaient toute_ résistance. La disette

sévissait, la misère était grande, les premiers souffles de la Révolu


tion avaient paralysé l'industrie, diminué le commerce, épouvanté

l'argent. Le peuple souffrait donc : comment n'en pas avoir pitié?


comment ne pas se sentir désarmé? Le peuple saccageait, incendiait
et assassinait : comment ne pas trembler un peu ?

Les principes nouveaux avaient été posés dès les premiers jours.
Le peuple était le maître; on l'avait dit à la tribune. « Apprenez,
disait dès le 28 mai 89 le député Bouche, que nous délibérons ici
devant nos maîtres. »

Ces maîtres, ce peuple souverain, c'était la foule hurlante, avinée,


stipendiée, qui peuplait les tribunes de l'assemblée, envahissait la

salle, assiégeait les portes, en insultant, en maltraitant les députés.


Elle était déjà puissante, et telle motion qui avait été rejetée par
vingt-huit bureaux sur trente passait le lendemain en séance publique,
LE
REPAS DES MOISSONNEURS

J
D'APRÈS UNE GRAVURE DE AN INET, DIX-HUITIEME SIECLE

Les vivres sont distribués aux moissonneurs en présence du seigneur et de sa famille.

Sous l'ancien dit M. les châtelains de second ordre, qui résidaient en province, n'étaient ni durs ni même
régime, Taine,

le
n'ai trouvé en eux les ruraux les déclamateurs

je
indifférents pour villageois. «J'ai eu beau lire, point tyrans que dépeignent

»
de la Révolution. (Taine, L'Ancien Régime, p. 42.)

«
A part quelques faits isolés, nous avons vainement cherché dans la Normandie les traces de cet antagonisme qui, suivant des

la
auteurs modernes, régnait entre les différentes classes de société du moyen âge. Les rapports des seigneurs avec leurs hommes
à

n'y sont point entachés de ce caractère de violence et d'arbitraire avec lequel on se plaît trop souvent les décrire. De bonne heure

a
il

:
le

la
à
le
les paysans sont rendus liberté dès xie siècle, servage disparu de nos campagnes. partir de cette époque, subsiste
la

le
à
la

bien encore redevances et services mais nombre est attaché de terre.

;
quelques quelques personnels plus grand jouissance
Dans tous les cas, les obligations, tant réelles que personnelles, sont nettement définies par les chartes et coutumes. Le paysan les

il
le
sans sait sont de la terre nourrit sa famille sait aussi sur

;
l'aide et
il,

acquitte répugnance qu'elles prix qui qu'il peut compter

»
1

de son et l'état

(
la protection seigneur. Léopold Delisle, Étude sur la condition de la classe agricole de agriculture, en Nor

«
mandie, au moyen âge.) Les savants qui ont étudié l'ancienne condition des paysans européens, sans se laisser égarer par les

la
»

à
I,

passions politiques de notre temps, sont tous arrivés même conclusion. (F. Le Play, La Réforme sociale, p. 47.)
RÉVOLUTION FRANÇAISE 45

à plusieurs centaines de voix de majorité : « les maîtres » étaient là.


Et quand les plus vaillants résistaient, on avait contre eux des moyens

irrésistibles. «Monsieur, écrivait-on, si vous ne votez pas dans le

sens du peuple, votre château sera brûlé, votre femme et vos enfants

pendus. »

On employait les mêmes moyens pour violenter le roi. Louis XVI ,

effrayé des usurpations, se demandait-il si la sensibilité était bien le

meilleur conseil qu'un roi pût suivre pour faire le bonheur du peuple,
et prenait-il une résolution virile, Mirabeau, Robespierre et les autres

criaient que la tyrannie relevait la tête , qu'on voulait assassiner les

députés et le peuple. Ils répondaient par un coup de violence

effroyable à cette timide tentative de défense sociale.


C'est ainsi que la prise de la Bastille répondit, le 14 juillet 1789,
au renvoi de Necker; que l'invasion du palais de Versailles, le

6 octobre, punit le roi et la reine d'avoir assisté au repas des gardes


du corps.

Nous ne voulons pas faire le récit des faits de la Révolution. Il


nous faut pourtant dire quelques mots de la prise de la Bastille,
parce qu'elle nous offre le parfait modèle de la légende révolution
naire. Elle fournit les doses exactes des divers ingrédients dont se

forment l'esprit et les documents de la Révolution : dose de crédule


badauderie, de maladif enthousiasme, de mensonge emphatique, de

fourberie effrontée; dose de réalité aussi, car il y eut de la réalité, et


ce fut la destruction d'un monument unique dans son art, le saccage
de documents d'une importance considérable, la tête du gouverneur

Launay sur une fourche, les poignets coupés des vétérans.


Les révolutionnaires disent qu'il y eut une autre réalité : « la

suppression de l'antre de la tyrannie ». Voyons donc.


Cet antre, quand on le vida, renfermait sept prisonniers : trois fous
et quatre faux monnayeurs. La Bastille n'était plus, en fait, depuis
des années, qu'une sorte de maison d'arrêt de police correctionnelle;
en droit, les lettres de cachet, que ce monument symbolisait aux

yeux des Parisiens, allaient disparaître du consentement universel et

sans qu'il fût besoin de tant de bruit.


LA RÉVOLUTION

La citadelle du despotisme était-elle plus forte que Vautre de la

tyrannie n'était féroce? La Bastille était indéfendable; la Bastille ne

fut pas défendue, la Bastille ne fut pas prise. Voilà la réponse.


Il y avait pour garnison quatre-vingt-deux invalides, corrompus
par la populace au milieu de laquelle ils vivaient, et qui voulaient se

rendre dès la première minute de l'attaque; un gouverneur épouvanté,


comme tous les représentants de l'autorité, par le mot de « souveraineté

du peuple » ; trente-deux Suisses qu'on y avait amenés en voyant les

mouvements tumultueux du 12 et du i3 juillet. Il y avait quinze


canons, à quatre pieds des embrasures (et de fait on tira un seul coup
de l'un de ces canons), plus douze vieux fusils de rempart, dont un
seul était en état de service.

Il vint plusieurs milliers de « guerriers » pour assaillir ce véné

rable monument d'architecture, et cinquante mille curieux ou curieuses.


Les communs , situés hors du château, furent la seule chose que prit
le glorieux peuple, et ils étaient vides, déserts, sans aucun défenseur.

Les plus hardis des assaillants, apprenant que tout était aussi vide

derrière le premier des deux ponts-levis, l'escaladèrent. Persuadés que


le gouverneur était dans les plus pacifiques dispositions, ils se préci

pitèrent pour scier les chaînes du second pont-levis. Là derrière, il


y avait des soldats qui prièrent « très honnêtement » le peuple de se

retirer. Le peuple répondit par des coups de fusil. Le vénérable fusil


de rempart se mit de la partie. Le peuple s'enfuit. Les plus vaillants
s'arrêtèrent derrière une maison, et là, bien abrités, ils se mirent à

une fusillade, à une canonnade endiablées, qui, de derrière cette

maison , tiraient à l'aveuglette et n'atteignaient que les curieux. Le


gouverneur, obéissant à une quatrième sommation du gouvernement
révolutionnaire (le Bureau des Électeurs) installé à l'hôtel de ville,
se rendit sur capitulation. On sait comment elle fut respectée.

Les vainqueurs, d'après leurs propres calculs, n'eurent pas plus


de cent tués ou blessés. Des contemporains moins fanfarons disent

quarante, parmi lesquels les trois quarts furent étouffés en fuyant,


écrasés sous un pont, exterminés par un de leurs Canons qui éclata,
et surtout atteints par les balles égarées de leurs frères.
A
LES DÉPUTÉS DU TIERS ÉTAT LA PORTE DE LA SALLE DES LE 23 JUIN
SÉANCES, I/89

la
"
la

Tableau de M. Mélingue, gravé d'après photographie de MM. Goupil et C'°, dix-neuvième siècle. — On avait commencé par faire entrer dans salle

la

le
à

clergé et noblesse pour leur assurer leurs places d'honneur; les députés des communes attendirent longtemps une autre porte par un temps de pluie.
(Laurentie,
p.

Le murmure courait dans leurs rangs. Histoire de France, VI, 371.) Le procédé, pour une simple question d'étiquette, causa de dange

» à
la
à

reux froissements; l'effet ne tarda point se faire sentir. Dans séance de ce jour, Louis XVI faisait lire l'Assemblée une importante Déclaration par

«
).

I,

».
p.

laquelle on pouvait dire que tous les besoins réels étaient satisfaits (Taine, La Révolution, 181 Après cette lecture, Mirabeau s'écria Ce que vous

si

le
le

venez d'entendre pourrait être salut de l'État, les présents du despotisme n'étaient pas toujours
dangereux. Et tiers suivit Mirabeau.
48 LA RÉVOLUTION

Malouet l'a dit : la prise de la Bastille fut le commencement de la


Terreur. Cela est vrai ; et c'est encore une légende que cette joie par
faite signalée par beaucoup d'historiens comme la conséquence de ce

glorieux événement.
La terreur règne en province comme à Paris. Le 3i juillet, Lally-
Tollendal, un des pères candides de la Révolution, monte à la
tribune. Il parle de ce gentilhomme coupé en morceaux devant sa

femme enceinte qui en meurt; de cet autre qui était paralytique et

qu'on jette dans un bûcher jusqu'à ce que les pieds et les poignets

soient brûlés; de cet autre qu'on pend dans un puits tandis qu'un
simulacre populaire d'assemblée délibérante discute la question de

savoir s'il ne vaut pas mieux le faire mourir autrement; de cet autre
qu'on enterre dans un fumier, pendant qu'on lui arrache, au son des

chansons, les cheveux et les sourcils; et de cent autres dont la plu


part sont les plus libéraux, les plus charitables, les plus réformateurs
du pays. La Révolution donnait son secret et sa leçon dès ses

premiers actes. Elle commençait son repas de Saturne.


La légende du 6 octobre est moins fanfaronne que celle de la

prise de la Bastille. Il est difficile de nier que les courtisanes de tous


les étages, du plus bas surtout, y aient joué le principal rôle. On les
voit dirigeant les huit mille drôlesses qui arrivent à Versailles dans la
journée du 5, et se partageant la double besogne révolutionnaire. Les
unes vont envahir l'Assemblée, en dirigent les débats et lui arrachent
les décrets qui leur plaisent. Les autres vont corrompre les soldats
qui gardent le palais. A la nuit, la garde nationale parisienne arrive.
On sait le reste, l'assassinat des gardes du corps, la fuite de la reine

à demi nue, les coups de poignard qui la cherchent vainement dans


son lit.
L'histoire a gardé deux phrases pour caractériser cette affaire du
6 octobre : ces premiers soldats de la Révolution crient qu'ils sont
venus à Versailles pour « jouer aux quilles avec la tête de l'abbé

Maury » ; leurs femmes, pour « faire une bonne fricassée avec le

foie de la reine ».

La royauté revint à Paris sous l'escorte de cette armée de joueurs


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5o LA RÉVOLUTION

de quilles et de mangeuses de foie. En avant du cortège royal, on


aperçoit les têtes coupées des gardes du roi. C'est le butin de ia

journée.
A partir du 6 octobre, le roi n'est plus qu'un otage. Ce n'est pas
encore l'anéantissement de l'autorité, c'est l'autorité gardée à vue

par ce que les révolutionnaires nomment la liberté.


La Révolution avait voulu avoir sous la main le gouvernement
naissant comme le pouvoir déclinant. L'assemblée des États géné
raux, après s'être, contre tout droit, proclamée constituante, était
venue, elle aussi, à Paris. Le 19 octobre, elle avait tenu une pre
mière séance à l'archevêché.
La France ainsi que la royauté étaient les otages des Parisiens. La
loi de l'avenir allait s'élaborer sous l'œil d'émeutiers vigilants. La
révolte devenait la cour d'appel et de cassation du nouveau régime
politique.
Le régime parlementaire : la Constituante. —■Avec les États géné
raux avait commencé une ère nouvelle, l'ère des constitutions. Ère
loquace, qui féminise les nations portées au bavardage, et qui conges
tionne, si je puis dire, le cerveau des peuples, en remplaçant la
réflexion par une improvisation continue. Grand signe, d'ailleurs, de

la victoire prochaine de la Révolution, puisque les constitutions, dans


les sociétés malades, tiennent lieu de principes, comme les protesta

tions, dans les mauvaises compagnies, tiennent lieu de probité.


Les États généraux, après avoir, dans la nuit du 4 août, rompu
définitivement avec l'ancien régime, avaient proclamé, le 12 août 1789,
une constitution embryonnaire, connue sous le titre de Déclaration
des droits de l'homme. Amplifier cette déclaration, ce fut le travail de

la Constituante. On appelait cela fonder la liberté. Mais il ne s'agis


sait que de la liberté révolutionnaire, qui a toujours été l'école prépa
ratoire de la tyrannie.

Quels étaient ces fondateurs de la liberté? Le ier juillet 1791,


deux cent soixante -dix députés déclarèrent que, ne pouvant parvenir
à parler ni à voter librement, ils cesseraient désormais de parler et

de voter. Douze jours après, un appel nominal constate que, en


RÉVOLUTION FRANÇAISE 5i

dehors de ces deux cent soixante- dix esclaves muets, cent trente-

deux autres, plus lestes, ont rompu leurs chaînes et ont pris la

fuite. Le grand nombre, qui n'ose protester ou n'a pas voulu fuir,
obéit aux menaces, aux coups même, en votant silencieusement ou

en déclamant avec emphase. Le reste, honnêtes gens ambitieux, théo


riciens crédules, rhéteurs corrompus, constitue l'élite de la bourgeoisie

révolutionnaire qui travaille le code de cette liberté, de façon à mettre

la bourgeoisie aux places de l'aristocratie , le clergé aux gages des

philosophes et la royauté sous la tutelle des émeutiers.

C'est tout l'esprit de la fameuse constitution de gj. Aussi la bour

geoisie révoltée se crut-elle désormais maîtresse des destinées de la

France, quand, le i3 septembre de cette année-là, elle eut extorqué

à Louis XVI le serment d'obéir à cette constitution.

Elle croyait n'avoir à redouter que la royauté, le clergé, la

noblesse; aussi avait-elle proclamé la liberté de la presse, la liberté


des clubs, le respect pieux dû au peuple des tribunes et des places

publiques. Mais la démocratie devait utiliser toutes ces libertés contre


les libéraux, comme ceux-ci avaient employé la liberté contre le roi.
La constitution de 91 enlevait au roi jusqu'à son nom. La royauté
est devenue le pouvoir exécutif, le second des pouvoirs de l'Etat,
entre le pouvoir législatif qui la domine et doit la surveiller, et le

pouvoir judiciaire qui doit la redouter.


Le roi n'a aucune part à la confection des lois. Il est chargé de

les faire exécuter, quelque folles ou odieuses qu'elles soient. Il peut


bien légalement s'y refuser pour un temps, mais en fait ce refus
est impraticable, sous peine de déchéance, comme on le vit au
10 août 92. Le roi a perdu le droit de faire guerre ou paix, de faire

grâce, d'accorder des pensions. Il choisit ses ministres, mais ils sont
sans autorité.

Il peut nommer à certaines places, bien déterminées, dans l'admi


nistration comme dans l'armée, mais le parlement s'est réservé et a

délégué à ses comités tant d'attributions que la volonté royale est

toujours annulée.
La personne royale a suivi la fortune du principe. Tandis que la
LA RÉVOLUTION

bourgeoisie constituante faisait de la royauté le «pouvoir exécutif», le

peuple faisait du roi monsieur Veto.


La situation se résume en deux incidents. Le 18 avril 1791,
Louis XVI veut aller se promener à Saint-Cloud ; la garde nationale
s'y oppose : le corps du roi est esclave. Le jour de Pâques qui suivit,
Louis XVI fut forcé d'assister à Saint-Germain-l'Auxerrois à la messe
du curé schismatiquc : l'àme du roi était esclave comme son corps. La
constitution avait garanti à tous le droit d'aller et de venir et la liberté
de conscience, excepté au représentant de l'autorité. L'autorité était
la seule serve qui restât désormais sur la terre de la France régénérée.
Toutefois cette défiance contre la royauté était plutôt factice que
réelle; c'était une fiction légale de la Révolution. Elle était surtout
plus parisienne que française. A Paris même et jusqu'à la fin de juin
1791, la haine et le mépris pour l'autorité présentaient un caractère
curieux. Il y avait quelque chose qui rappelait le sauvage injuriant
son fétiche parce qu'il ne le guérit pas, mais l'injuriant à genoux.
L'opinion, chez les théoriciens les plus hardis, pourvu qu'ils eussent
gardé quelque patriotisme réfléchi, en était restée aux appréhensions
de Jean-Jacques : on n'avait pas d'exemple d'une république de vingt-
cinq millions d'habitants. La forme républicaine , pour les rares

Français qui la croyaient théoriquement plus parfaite que la formule

monarchique , ne semblait donc être applicable qu'aux petites agglo


mérations d'hommes, et c'était la croyance générale que le caractère

français, léger, mobile, sensé et fier, était tout particulièrement réfrac

tai re à la vertu républicaine.


Après la fuite de Varennes, les impressions changèrent. Les démo
crates, ayant vu que les affaires' avaient marché sans trop de trouble,

pendant quelques jours, en l'absence du roi, en conclurent qu'ils


n'avaient plus besoin de royauté.
Les Parisiens perdirent donc même bientôt ce dernier sentiment
qu'ils avaient pour la royauté, le sentiment qu'on a pour une bête

enchaînée qui garde la maison; et je dis bête, car désormais ce fut

uniquement dans l'ordre animal qu'on trouva les objets de compa


raison pour désigner le roi : Louis XVI fut surtout le cochon, la reine
RÉVOLUTION FRANÇAISE 53

la louve, et le pauvre petit prince, charmant et doux, fut le louve*-

teau, que Simon devait être bientôt chargî de domestiquer.

PUISE DE LA BASTILLE, LE 14 JUILLET I


~
8 q
D'après une gravure do Duplessis-Bertaux , dix-huitieme siècle. — « La Bastille n'a pas été pri e de
vive force, disait Klie, l'un des combattants; elle s'est rcnJue avant même d'être attaquée. « (Marmontel,
Œuvres, IV, p. 3 17. ) Elle a capitulé g sur la promesse qu'il ne serait fait de mal à personne». (Taine, La
Révolution, I, p. 57.) — M. de Launay, gouverneur de la Bastille, le major de Losme, de Flesselles, prévôt
des marchands, etc., furent égorgés parles vainqueurs et leurs tètes promenées au bout d'une pique.

Dans cette guerre faite à l'autorité, le principe avait-il été sauvé?


Si son représentant royal était rendu ridicule ou impuissant, au moins
ses représentants législatifs avaient-ils gagné en dignité ce que l'autre
avait perdu, ce qu'ils lui avaient enlevé? Non. Le peuple français,
LA RÉVOLUTION

naturellement expert à saisir les ridicules et porté à détester la lâcheté,

avait un mépris tantôt sourd, tantôt violent, pour le régime parle

mentaire, régime, à ses yeux, ridicule puisqu'il était surtout bavard,

régime faible puisqu'il subissait les volontés de la plus vile populace.

L'éducation de la liberté : la Législative. — L'Assemblée légis


lative se réunit, le Tr octobre 179 1, à la salle du Manège où était

morte, la veille, la Constituante.


Elle se composait de sept cent quarante-cinq membres, nommés
d'après une combinaison subtile et par le suffrage à deux degrés.

Tout constituant était exclu, de plein droit, de cette première

législature. Quoique ces utopistes eussent fort bien fait son affaire, la

Révolution les trouvait trop imbus encore du bon sens, de la vigueur

chrétienne et morale de l'ancienne France pour ne pas les redouter


un peu. Il lui fallait maintenant une couche inférieure de la nation.

En effet, un contemporain, grave et perspicace observateur, nous


peint les législateurs en trois traits de plume : « Ce sont des hommes

sortis du néant, vides d'idées, ivres de prétentions! » C'est là l'en

semble, car il y eut de généreuses et intelligentes exceptions.


Les constituants furent les pères nourriciers de la liberté; les

législateurs en sont les tuteurs. Ils n'ont guère d'obstacles à prévoir;


chaque loi de la Constituante a eu pour premier but de leur faciliter

la besogne. Seuls, quelques intérêts lésés résistent, et moins qu'on l'a


dit. Il y a, d'ailleurs, une ample compensation dans l'indicible
crédulité et bonne volonté de la masse.

L'Assemblée n'a pas directement le pouvoir exécutif, nous l'avons


vu, mais ce pouvoir est représenté par un prince prêt à accepter tout
ce qui n'est pas folie effrontée ou crime évident. Il est incapable, du
reste, de résister là même où il lui est ordonné ou permis de le faire.

La Législative n'eut pas, non plus, absolument le pouvoir admi

nistratif. Celui-ci est aux mains de six ministres. Toutefois, outre que,

légalement, ces administrateurs sont soumis aux vingt-deux comités


de l'Assemblée, en fait ils sont aussi impuissants que le Roi.
La Législative est donc maîtresse presque absolue, et elle n'a

d'inspiration à recevoir que de la Révolution.


R KVO LUTIO N F R AN CA ISE

Brissot, le porte-parole et le définiteur des maîtres es arts révolu


tionnaires, se charge de nous exposer le fond de la théorie sociale
des Législateurs : « Le riche n'est qu'un usurpateur du patrimoine
du pauvre... L'homme a droit sur tout ce qui peut satisfaire ses

LES PREMIÈRES VICTIMES DE LA RÉVOLUTION


Fac-similé de croquis exécutés, d\iprès nature, par Girodet. Bibliothèque
tete du marquis de Launay, au bout d'une fourche; à droite, celle de Foulon,
nationale. A gauche li -
au bout d'une pique
la bouche remplie de foin, un œil sortant de l'orbite; au milieu, le cœur de
Berthier, dont les artères et
les veines sont arrachées.

besoins . Homme de la nature, suis son vœu... c'est ton seul


maître,
ton seul guide. »

Cette théorie portait ses fruits naturels les châteaux


: brûlent et les
propriétaires on les pend après qu'on les a pillés ; ceux qui peuvent
échapper se sauvent. Je prends un fait entre mille pareils. Mnic Guillin
habite avec son mari, vieux marin retraité, et neuf femmes de sa
famille ou de son service. On vient au milieu de ces dix femmes,
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c'sioo8jnoq 'auoiuoqnjsj oq çi jliau c.G c oqo ouuopjo op jojqpjpo oun
oioj oipuuojos uo jnouuoq(] sop siupjos sossms op xnoiAiiuoiuq^ c onb
xnop suu \i ijuau nquj joSoissu suup uiop s|i
luuAUJudnu S(ouu|\[
iuotuio(s •spjudiuo
ouq uoiunpj spjOAJOOpcp no op '•sonbiiuuiq suouiuqoA no -psuuf
m 'sois op spqonuqpp no so]tipp.iouïtp 4 iso(s puioirau op ojiuj un sjnoD
op oi8o|opqi 30 JOAO]p(p ouoo uonujqiiDnjp u nnpj op oiuSop •onbqoqiuo
orj pSaop u psnjoj Atp 'ojjojo \\ v.u sud njnoA jojpjd un itioituos onb
UOS JtlOUUOq OllUUOO US ODUOIOSUOO in| •lUDTUSipjOHïï
l?q UOUn[OAp|J UA lUOLUUIOpiAO JOLILlOpJO U U] OAUlîJSTSpq Op
JOJDOdsOJ
ÉVOLUTION FRANÇAISE

-s7
R

ces honnêtes gens qui ne veulent pas mentir, de vénérer ces gens
austères qui sacrifient tout leur conscience? Non. Le 26 mai 1792,

à
un décret de l'Assemblée ordonne déportation de tout non

la
prêtre

MEURTHK DE y. DE FLESSELLE5, LE 14 JUILLET 1789


D'après une gravure de lhiplessis-Rertaux, dix-huitième siècle. — M. de Desselles, prévôt des marchands
faussement accusé d'intelligences avec gouverneur de la Bastille, seul aller se justifier au Palais-Royal.
le

Déjà était au bas de l'escalier de l'hôtel de ville, lorsqu'un jeune homme s'avance, le pistolet au poing
il

Traître, lui dit-il, tu n'iras pas plus loin!... Le magistrat chancelle et tombe. La foule se précipite sur
«

son corps,
le

déchire; enfin ou lui tranche


le

perce, tète et on
la

la

porte au bout d'une pique avec celle de


de ,11111 iv.
I.

assermenté, quand, dans un canton, vingt coquins demanderont.


la

Les coquins sont nombreux. une amnistie de lin


la

de 01 vide
a
:

les prisons; les tribunaux nouveaux ne sont pas encore installés, les
anciens ne fonctionnent plus; on ne remet plus personne en prison;
8
5S LA REVOLUTION

d'ailleurs les geôles seraient insuffisantes, c'est par centaines de mille


que les voleurs et les assassins se nombrent.
Les trois dernières années ont été fertiles; pourtant il y a disette,

car tout est au gaspillage, et des armées de pillards, qui comptent


jusqu'à vingt-cinq mille hommes, se forment pour empêcher la circu

lation des grains, pour taxer les denrées au gré des bandits. Les

paysans hésitent à ensemencer désormais leurs terres.

Au milieu de ce carnaval sanglant, la paresse, le saccage, l'ivro


gnerie occupent suffisamment l'ouvrier, et le butin l'enrichit assez

pour qu'il ne songe plus à travailler. On met à feu les forets de

l'État*, on partage les biens des communes, des couvents, quelque


peu déjà ceux des particuliers.
Les anciennes taxes sont abolies, les nouvelles fonctionnent mal
encore; les rôles ne sont pas faits; d'ailleurs chacun sait qu'on est en

Làge d'or et que tous les impôts doivent être abolis de par la liberté.
On espéra naïvement les remplacer par des dons patriotiques. Les
dons patriotiques ont donné 36o,ooo francs! En juin 90, Fretteau
déclare à la tribune qu'au lieu de trente-six millions mensuels, l'Etat
n'en reçoit que neuf. En (jr, le trésor n'est pas plus riche; il perçoit
onze millions au lieu de quarante-huit qui sont dus. L'organisation
financière est si bien entendue que le contribuable n'a pas payé un
sol de l'impôt foncier et mobilier, qui se monte à trois cents millions.
Ainsi du reste. Il y a bien les confiscations et les assignats; les assi

gnats perdent déjà 40 et 5o pour 100.

Que vont inventer la Révolution et la Législative pour ramener

quelque peu d'ordre et d'argent dans cet empire fondé d'après les

règles les plus sûres du Contrat social? Elles inventent, le 3o mai


1792, de forcer le roi à renvoyer la petite garde que la constitution
lui accorde pour l'honorer et le défendre.

Cette fois, est-ce assez, et l'autorité est-elle bien telle que les

réformateurs la souhaitent? Elle était une serve à la fin de la Consti


tuante; à la fin de la Législative, elle est un monstre. Du moins
paraît-elle enlever à ceux qui la représentent ces protections que la
civilisation accorde à tout être humain. Même au foyer domestique,
R K V0 L U T I O N F R A N ÇAIS H

Louis XVI n'avait plus de droit. Lu reine était obligée de tenir les

fenêtres fermées, pour ne pas entendre les effroyables chansons que,


chaque jour, dès l'heure la plus matinale, on venait chanter contre

elle, sous ces fenêtres. De ces fenêtres fermées il fallait, de plus, que
sa fille, sa sœur, toutes les femmes de son entourage se tinssent

éloignées. La Révolution avait conseillé à quelques-uns de ses favoris


de venir se déshabiller dans les Tuileries; et c'était un devoir civique

pour ces régénérés tout nus de s'approcher du palais et de donner


des représentations obscènes. Se plaindre! A qui? Empêcher! Com
ment? N'avait-on pas la liberté, l'idéal du gouvernement!
Eh bien, on trouvait encore le roi trop puissant! Cela est

presque incroyable, mais cela est. Il faut surtout le séparer de sa

femme, par le divorce ou par l'assassinat. Il faut, en tout cas, lui


escamoter ce qui lui reste du pouvoir.
Louis XVI montre, le 20 juin 92, une passivité de courage supé
rieure en énergie à l'intrépidité des plus vaillants hommes de guerre,
mais il ne sait prendre aucune décision pour échapper à la crise

suprême. Il a juré de respecter la constitution, faite contre lui; tout


le monde la viole, et toujours contre lui, et il s'obstine à la respecter.

Le peuple l'injurie, menace sa vie après son pouvoir, insulte son


honneur; il persiste à aimer le peuple. Il craint toujours uniquement
la guerre civile. De tous ses devoirs royaux, il a surtout retenu
celui-ci : un roi chrétien ne doit pas verser le sang de ses sujets.

Hélas! pourquoi ne s'est-il pas dit que pour épargner le sang de

quelques vils jacobins, pour ne pas risquer la vie de quelques hon


nêtes gens, il allait faire couler à flots le sang le plus pur de France,
donner aux maximes impies, aux utopies folles et anarchiques la

puissance légale, de telle sorte que la France en souffrirait pendant


bien des générations et peut-être en mourrait !

Le 10 août 1792 arriva. La chronique fanfaronne de cette illustre


journée est peut-être plus ridicule encore et plus facile à remettre à

hauteur de vérité que la légende de la prise de la Bastille. Mais ce

n'est pas la mission de ce livre.

Le Roi Très Chrétien, le descendant des princes qui avaient pétri


Go LA RÉVOLUTION

la civilisation française de justice et de piété, posa la vieille royauté

française dans le plus glorieux des tombeaux. Il l'ensevelit dans la

justice et la piété. « Otez ce veto, » lui cria un ouvrier au moment


où, après avoir quitté les Tuileries, le 10 août, il mettait le pied
dans ce passage des Feuillants qui le conduisait à l'Assemblée, et par

là à la guillotine, « ôtez ce veto et tout s'arrangera. » Ce veto, c'était

la royauté qui protestait contre la persécution religieuse et la jacquerie

légalisée.
Il n'ôta pas le veto, mais il ôta le fusil des mains des derniers

défenseurs de la royauté. Le bataillon de cent hommes qui, le

10 août, à dix heures du matin, mit en fuite l'immense armée des


révolutionnaires, déposa les armes sur l'ordre du roi. Cette petite
troupe fut égorgée, comme fut égorgé tout ce qui, de la Bastille à

Quiberon , déposa les armes devant la Révolution, aussi disposée à

écraser ceux qui s'inclinent qu'à s'agenouiller devant l'homme,


Bouille ou Barras, Bonaparte ou Napoléon, qui lui montre le reflet
de l'acier.
Le règne de la liberté : le Gouvernement intérimaire ; les débuts
de la Convention. — Le 12 août, l'Assemblée législative avait voté
la loi électorale de la future Convention. Elle ne s'était pas mise en

grands frais d'invention; elle avait décidé qu'on suivrait les règles
établies précédemment; elle s'était bornée à détruire tout cens élec

toral. Les électeurs devaient se réunir le 2 septembre. Ce fut le

premier jour des fameux massacres. Il faut retenir cette coïncidence.

Dès le 11 août, les paysans des environs de Paris avaient été

organisés pour faire la chasse à l'homme. Dans la ville, toutes les

maisons sont visitées. La nuit, les rues doivent être éclairées a

giorno, pour qu'un royaliste n'ait aucune chance de se cacher. On en

envoie, par charretées, des milliers dans les prisons. Le 17, on


établit un tribunal extraordinaire pour juger « les crimes commis le

10 août ». Les crimes, on sait ce que cela veut dire : les criminels
sont ceux qui défendaient la loi.

Avec la royauté et au moment où on annonce la conquête défini


tive de la liberté illimitée, s'en va la dernière ombre de liberté réelle.
R ÉVO L U TI0 N F R A N Ç A I S I ■;

On guillotine la liberté de la presse, car du Rosoi, qu'on supplicia


le 24 août, n'a commis d'autre crime que d'être un journaliste
d'opposition. On guillotine en môme temps M. de La Porte, parce
qu'il est intendant de la liste civile, et que la liste civile a eu à sa

solde beaucoup des révolutionnaires vainqueurs. Les huit mille et les

vingt mille qui ont signé des protestations constitutionnelles, et tous

ceux qui, de près ou de loin, ont eu des relations avec la monarchie,

LE DÉLIRE PATRIOTIQUE
Fac-similé d'une estampe allégorique sur TabanJon des privilèges le 4 aoùl 17N1).Collection de M. de
Liesville à l'hôtel Carnavalet, dix-huitième siècle. — Quatre hommes brisent à coups de lléau des mitres, des
crosses, des armures, etc., attributs du clergé et de la noblesse. — Dans la nuit du \. août « rassemblée
offre le spectacle d'une troupe de gens ivres qui, dans un magasin de meubles précieux, cassent et brisent à
Penvi tout ce qui sj trouve sous leurs mains». (De Ferrières, Mémoires, I. p. 1S0.) « Ce qui aurait
demandé une année dj soins et de méditations, dit un étranger compétent, fut proposé, délibéré et voté par
acclamation générale. » (Taine, La Révolution, l, p. i5o.)

apprennent que le tribunal extraordinaire est créé spécialement pour


les surveiller.

C'est au milieu de cet effroi, quand la Révolution a bien inculqué


à la presse l'idée de ses nouveaux devoirs, à l'émeute la conviction

de ses droits absolus, quand elle a débarrassé ses plus chers enfants

de la crainte de toute révélation, et lâché à toute volée l'espionnage


et la délation; quand elle eut envoyé en province, comme commis
saires extraordinaires et tout-pijissants , les plus insolents communalistes
62

et les plus vils dantonistes; c'est alors qu'eurent lieu l'organisation des

élections primaires et le choix des électeurs.

Quel était le régime sous lequel se préparaient ainsi les destinées


de la France nouvelle, l'avènement de la république et l'intronisation
de la Révolution dans l'humanité ? On n'a pas assez étudié ce

gouvernement de quarante et un jours ( 10 août, 21 septembre). Ce


fut presque l'idéal du gouvernement révolutionnaire.
Le 10 août, la Législative avait, par deux cent quatre-vingts voix
seulement, confié les pouvoirs les plus extraordinaires à un conseil

exécutif, composé de six ministres et d'un secrétaire. Mais comme ,

de ces ministres, Danton, étant le plus populaire, était le plus puis


sant, c'est lui qui, en réalité, jouit de ce pouvoir extraordinaire; et

comme il était l'allié de la commune insurrectionnelle, issue de l'émeute,

c'est à la commune de Paris qu'il remit ce pouvoir.


Sentant sa force, et toute lière du succès qu'elle venait de remporter

sur Louis XVI, cette commune pensa qu'il était temps de montrer les

aptitudes gouvernementales de la Révolution : elle affirma la liberté de


conscience en égorgeant les prêtres ; la liberté électorale en chargeant

l'étranger Marat de représenter la démocratie française; la liberté

politique en envoyant le valet Tallien annoncer aux législateurs


qu'elle les mettait en tutelle.

Les chefs de la commune ne demandaient pas mieux que de

voir durer cet admirable gouvernement. Mais il fallait un nom qui


recouvrit d'une apparence de formes cette débauche de souveraineté

populaire.
C'était aux souvenirs de Rome et de la Grèce qu'on demandait
conseil. Dictature, triumvirat, tribunat : voilà ce qui se présentait
pour remplacer la monarchie. Cela ne résonnait pas mal, et Marat,
Robespierre et Danton s'arrangeaient fort bien de ces haches romaines.

Les révolutionnaires parisiens eussent accepté, avec joie, cet atroce

triumvirat; et bien des conventionnels nous diront qu'on chercha,


dès leur arrivée à Paris, dans le courant de septembre, à les y
amener. Mais la France n'était pas encore assez corrompue par la
Révolution; elle fut épouvantée. Ce fut surtout pour fuir le despo
RÉVOLUTION FRANÇAISE 63

tismc de la commune de Paris que la France accepta la républi


que. On choisissait cette nouveauté, au lieu du mal connu.
A vrai dire, le pays parut se laisser choir dans le nouveau gou
vernement. La république ne fut pas même directement proclamée.
Le 20 septembre 92, un certain nombre de nouveaux élus se

réunirent aux Tuileries. Ils décidèrent que, la loi reconnaissant une


existence légale à la Convention dès l'heure où elle compterait
deux cents membres, et un appel nominal ayant constaté la présence
ou l'élection non contestée de trois cent soixante et onze membres, la
Convention existait.
Le lendemain 21, on se rendit à la salle du Manège, d'où la

Législative, après avoir décrété le divorce, s'en alla sans que ses

successeurs voulussent lui voter le moindre remerciement. Puis on


déclara la royauté abolie. Le 22, Billaud-Varennes, celui-là même qui
devait gouverner la France au nom des principes du 2 septembre,
demanda qu'on mît en tête des actes : « An Ier de la république ».
Ce fut tout. La République entrait en rampant.
En même temps qu'elle avait ce Billaud pour parrain, elle eut une
noble marraine : la victoire, à cet avènement du nouveau régime,
envoyait les échos de la bataille de Valmy, la première de ces lières
caresses qu'elie allait prodiguer et qui seules devaient rendre la
Révolution durable en la confondant, bien peu justement, avec le

patriotisme.
La Convention avait décidé qu'on ne vérifierait pas les pouvoirs
de ses membres; il lui suffisait qu'ils parussent dévoués à la Révolu
tion pour être légitimes. Elle en agit de même avec la bataille de

Valmy ; elle accepta comme le bien de la république une victoire


remportée par des soldats qui ne la connaissaient pas et par un
général qui la détestait.
En dehors de ce reflet glorieux, la Révolution ne donnait pas à

la république une brillante dot. Le ministre de l'intérieur, Roland,


envoya le 23 son rapport sur l'état de la France. Il dit : « L'agri
culture, l'industrie, le commerce, sont dans la pire des situations; les
routes, en mauvais état; les services hospitaliers soutirent; l'anarchie
LA RÉVOLUTION

domine et il n'y a plus de paix intérieure, ni respect des propriétés,


ni obéissance aux lois »

Cambon , rapporteur du comité des finances , annonce qu'on a créé

en deux ans 2 milliards 700 millions d'assignats ; combien en reste-t-il

au trésor? 24 millions. Pendant ce temps les dépenses augmentent et

les impôts ne rentrent pas ; les départements les consomment avant


qu'ils n'arrivent aux mains de l'Etat.
Si l'on veut se rappeler le dernier bilan que nous avons dressé du
gouvernement révolutionnaire, on voit quel progrès correspondait à

chaque pas que la Révolution faisait en avant.


La Convention se composait, au début, de sept cent quarante-neut
membres. Elle se divisa immédiatement en trois groupes, dont elle
garda toujours le dessin, même après le 3r mai 1793, quand l'un
des groupes ne fut plus représenté que par des sièges : à droite du
siège du président, dans le haut, la Montagne; à gauche dans le
haut, la Gironde; dessous, au centre, à droite et à gauche, selon les

affinités électives, la Plaine.


La Gironde et la Montagne représentaient l'état-major de deux
camps ennemis, et la Plaine c'était l'armée parlementaire. Il est

difficile de donner exactement le chiffre de ces divers groupes. La


Montagne, au moment même de son triomphe absolu, ne comptait
pas plus de cent membres, et, parmi les membres de la Plaine, il
n'y en avait qu'un tiers qui fut affilié aux jacobins.
La Montagne se divisait, à son tour, en deux groupes, chacun
fort discipliné, au fond très ennemis l'un de l'autre, comme il parut
plus tard, mais absolument unis tant qu'il s'agit de courir à l'ennemi
et au pouvoir : les cordeliers ou orléanistes, et les jacobins ou
démocrates. Les montagnards n'étaient républicains que par aventure
et par les facilités que la forme républicaine offre au désordre, au

développement de la tyrannie démocratique. La monarchie ne les


révoltait pas, pourvu qu'elle tyrannisât leurs ennemis. Au fond, leur
idéal c'était la dictature exercée, comme ils disaient, par un ami du

peuple et pour les amis du peuple.


Les girondins étaient non pas des philosophes, mais des poliliques ;

!
RÉVOLUTION FRANÇAISE 05

non pas des humanitaires, mais des libéralistes. Eux seuls tenaient

réellement à la république. Mais ils ne craignaient pas qu'elle fût

aristocratique pourvu que, bâtie sur des bases bourgeoises et parle

mentaires, elle lût aisément despotique et persécutrice. La sonorité

des mots, la mâle apparence des pensées, la chaleur du sang, le

libertinage du cerveau et des sens, les préjugés du siècle et les décla

mations de collège, c'est-à-dire la haine du catholicisme, l'ambition

MARCHE DES FEMMES SUR VERSAILLES, LE 5 OCTOBRE I 7 8 9


Fac-similé d'une gravure du temps. — Réunies au nombre de sept à huit mille, elbs partent sous la
conduite de l'huissier Maillard. « Joyeuses ou furibondes, presque toutes en délire, elles arrêtent des
voitures et les chargent de leur artillerie, les unes tenant en main la mèche, d'autres montées sur los
canons qu'elles ont pris ou sur les chevaux qu'elles y ont attelés... lî Iles s'étaient, pour la plupart, armées
de longs bâtons, de fourches, de lances, de fusils et même de pistolets. » ( Réimpression du Moniteur
universel, 1F, 26. )

molle et vaniteuse et l'amour de La rhétorique dirigeaient leurs

convictions. Combien étaient-ils Quarante. Mais si l'on veut regarder


?

comme affiliés à la Gironde ceux qui furent proscrits, guillotinés ou

emprisonnés après le 3i mai, on arrive à en trouver environ cent

cinquante.
La Plaine renfermait les indécis comme les indépendants, les

excentriques comme les observateurs de bonne foi, et les impartiaux

comme les patriotes sages ; c'étaient les débris de tous les gouverne
9
66 LA REVOLUTION

ments précédents. Elle ne comptait aucun royaliste affiché (car les


réunions électorales avaient impitoyablement chassé tous les électeurs

qui avaient reçu de leurs mandataires Tordre de voter le retour de la

monarchie), mais beaucoup de royalistes mitigés, des constitutionnels


surtout.
En somme, ces crapauds du marais étaient les révolutionnaires
dépassés; les girondins, les révolutionnaires stationnaires ; et les

montagnards, les révolutionnaires en marche.

Logiquement, ces derniers devaient l'emporter, puisqu'on était en

Révolution, et que l'essence de la Révolution est de ne jamais s'ar

rêter. Cela était logique , mais cela paraissait impossible , au début de

la Convention.
Les girondins avaient pour eux le talent, la fièvre républicaine, la
passion sournoise de la tyrannie, l'opinion générale, la gloire. Com
ment furent-ils vaincus si vite et si honteusement ?

Les historiens en ont donné dix raisons; la principale, nous

venons de l'indiquer : les girondins étaient condamnés par leur


situation même. La Gironde ne pouvait échapper à cette loi des

temps révolutionnaires qui condamne les partis intermédiaires à dispa

raître promptement, au milieu des coups et des injures. Ils tendent


la main à ceux qui montent à l'assaut, et on les jette en bas des
murailles quand la ville est gagnée.
Dès la fin de septembre, quand ils étaient tellement les maîtres

qu'ils ne daignaient pas frapper leurs adversaires, ils montrèrent quel


devait être leur gouvernement. Discours merveilleux, rapports lucides,
menaces retentissantes, on avait tout cela, mais rien de pratique. Ils
tombent dans tous les pièges, succombent à toutes les ruses, semblent

croire à toutes les affirmations hypocrites, qu'ils connaissent aussi

bien que les pires démagogues : ils sont les esclaves de la liberté

révolutionnaire, dont ils ont expérimenté les effets et dirigé les coups
depuis plus de deux années.
Ils avaient toujours contre les montagnards une attaque puissante
et irrésistible : les massacres de septembre, dont ils avaient été les

partisans, mais non les exécuteurs. Cette attaque, ils la perdirent en


RÉVOLUTION FRANÇAISE

se laissant jouer et violenter par la Montagne, au point de lui accorder


la condamnation de Louis XVI.
Cet assassinat était de même nature que les massacres de sep

tembre, inique comme eux, illégal comme eux, n'ayant pas d'autre
excuse et ayant le même prétexte qu'eux. Comme les septembriseurs,
les conventionnels se firent à la fois accusateurs et juges, et maint
d'entre eux proclama qu'il voulait bien être bourreau. Comme ces

massacreurs, les conventionnels n'avaient ni mission, ni institution,


aucun droit d'être un tribunal. Ils n'étaient pas ivres, je le veux bien,
ni payés directement et immédiatement pour ce meurtre, mais ils

étaient aussi haineux, aussi récusables, aussi décidés d'avance à con

damner, quand l'innocence eût encore été mille fois plus évidente.
Condamner à mort comme tyran, traître et égorgeur, Louis XVI,
le plus doux des hommes, le plus vertueux et le plus délicat des

princes, le plus juste et le plus dévoué des rois, c'était aussi contraire
au bon sens et à l'équité que d'assassiner Mme de Lamballe et le vieil
archevêque Dulau comme coupables d'avoir voulu sortir de prison
pour aller égorger les patriotes. Quelle excuse donc? La raison d'État.
Mais les massacreurs de septembre l'invoquaient aussi. La punition
vint vite. On eût dit que le roi, même prisonnier, protégeait encore

les derniers quoique méprisables défenseurs de la civilisation fran

çaise. Les girondins se suicidèrent du coup dont ils le frappèrent, le

21 janvier. Ils sentirent si bien qu'ils avaient perdu le droit de

blâmer les massacres que, le 8 février, la Convention ordonna de

suspendre les poursuites contre les assassins de septembre.

Dès lors, ce ne fut plus qu'une débandade, avec quelques retours

offensifs, brillants et infructueux, contre la commune parisienne. Dans

ces circonstances, la Montagne jetait les hauts cris, prétendant, avec

raison, que c'était insulter la Révolution que de ne pas se fier à la

grande, pure et patriotique populace parisienne. Il fallut s'y fier. Ces

grands et purs patriotes parisiens vinrent le 3i mai, puis le 2 juin,


demander qu'on leur livrât trente-neuf représentants girondins. On
leur en donna trente-quatre ce jour-là, bien d'autres plus tard ; bref,
à la fin de l'année, on leur en avait accordé cent trente-sept.
63 LA RÉVOLUTION

Ainsi termina son règne le libéralisme révolutionnaire. Après


avoir proscrit tout ce qui ne pensait pas comme ses représentants, il
ne sut même pas protéger ceux-ci. Ils eurent pour eux, jusqu'à
l'heure même de la proscription, la loi, la majorité de la Convention,

l'éloquence, la volonté du despotisme; et ils tombèrent devant


Hanriot. C'était un laquais ivrogne et voleur; mais il représentait le

génie de la Révolution.
Le régime de V autorité : la Convention. — La commune pari
sienne était arrivée à son but; elle était maîtresse de la nation. Elle

allait pouvoir continuer la politique inaugurée au 10 août et au

2 septembre, momentanément interrompue par l'entrée des députés

provinciaux à Paris, le 20 septembre.

11 y avait toutefois ceci de changé, que cette politique, insurrec


tionnelle alors et de pure aventure, allait devenir légale et organisée.
Paris avait fait la France prisonnière et il gardait la Convention pour

rendre executives et munir du sceau de l'État ses théories gouverne


mentales.
L'idéal de ces théories était l'égalité, cette espèce d'égalité qui
rêvait un vaste atelier national : la France transformée en une

immense manutention, avec les Parisiens pour conducteurs de tra

vaux, gardes-magasins et gardes-chiourmes ; la confiscation comme loi


de production et d'économie politique; les massacres de septembre
comme modèle de police sociale.

On mit le niveau de l'égalité très bas pour deux raisons : la pre

mière, afin que les chefs n'eussent pas besoin d'être grands pour
dominer; la seconde, pour que les plus nombreux pussent y atteindre
sans effort. Le niveau étant bas, il fallut de la violence pour y
ramener beaucoup de têtes. D'autre part, le mortel désordre causé

par les précédentes expériences de la liberté avait rendu l'ordre néces


saire à tout prix.

On comprend comment l'autorité renaquit de la force même des

choses révolutionnaires, et comment elle ne pouvait être que tyran-


nique.
Le nouveau gouvernement, formé des chefs des septembriseurs,
RÉVOLUTION FRANÇAISE ô9

avait commence par suivre les pratiques habituelles. Il déclara que


ses prédécesseurs, les girondins, étaient des tyrans, que c'était au

DISCOURS DU ROI, L E 4 FÉVRIER I 79O


D'après une gravure de N. dcLaunay. Collection de M. le binon de Viuck d'Orp, à Bruxelles. — Le Ro
rappelle tout ce qu'il a fait pour lu réforme des abus et le bien du peuple. 11promet de maintenir la liberté
constitutionnelle, il invite a la concorde qui peut seule assurer le succès des travaux de l'Assemblée. Son
discours est fréquemment interrompu par des applaudissements. Après son départ, tous les députés pro
noncent a la tribune le serment civique : « Je jure d'être fidèle à la Nation, à la Loi, au Roi, et de maintenir
de tout mon pouvoir la constitution décrétée par l'Assemblé; nationale et acceptée par le Roi. »

nom de la liberté qu'il les avait renversés. Il proclama une constitu


tion (24 juin 1793) qui fut chargée de prouver ses intentions libérales,
7° LA RÉVOLUTION

et qui était, disait Robespierre, « le plus bel ouvrage qui ait été

donné aux hommes ».

Ultra-démocratique, en effet, cette constitution avait pris toutes


les précautions pour qu'il y eût aussi peu de gouvernement que
possible. C'était la souveraineté du peuple toujours en mouvement :

suffrage direct, députés élus pour un an seulement, pouvoir exécutif


de vingt-quatre membres, choisis par l'Assemblée sur une liste

d'individus nommés par le suffrage universel, chaque département en

fournissant un. Ce conseil exécutif était renouvelable par moitié tous


les ans, et les attributions des ministres étaient si bien limitées qu'ils
étaient uniquement les expéditionnaires des bureaux de l'Assemblée,
laquelle n'était elle-même qu'un clavecin sous les doigts de la popu

lace. C'était bien l'idéal.

On envoya cette merveille à l'acceptation du peuple français, qui


fut censé l'avoir reçue avec admiration. Seulement, quand la Révo
lution eut ainsi prouvé son invincible amour pour la liberté, elle

déclara que cette constitution ne pouvait être prise au sérieux et qu'il


fallait se contenter du despotisme.
Le 14 frimaire an II (4 décembre 1793), fut promulguée une

nouvelle constitution. Elle donnait une puissance solennelle à la loi

portée dès le 10 octobre et qui décrétait, en principe, le gouverne

ment révolutionnaire.
D'après ie mécanisme de ce gouvernement, le peuple souverain et

infaillible, représenté par les citoyens les plus violents de la ville la

plus folle, confiait son omnipotence et son omniscience à l'Assemblée


nationale, laquelle choisissait, pour leur déléguer ce pouvoir tout-
puissant, vingt-quatre des hommes devant lesquels elle tremblait le

plus; ces derniers, réunis en deux comités, obéissaient à leur tour à

ceux d'entre eux qu'ils redoutaient.


Ce gouvernement, on promettait qu'il durerait seulement jusqu'à la
paix; mais il était clair que cette paix ne viendrait jamais. En effet,
la guerre devait durer jusqu'à ce qu'il n'y eût plus en France, en

Europe, dans l'humanité, un seul groupe dont les idées résistassent

aux principes proclamés par la Révolution et à l'interprétation qu'en


RÉVOLUTION F RA N ÇA I S K 71

donnaient les plus exaltés ou les plus dépravés d'entre les révolution
naires.

Ce gouvernement publiait qu'il avait pour « centre unique » de

tout son droit, de tout son pouvoir, la Convention.

Qu'était-elle devenue, depuis ces journées d'août et de septembre,


où nous avons vu comment elle fut engendrée, jusqu'au 3i mai, où
nous avons vu comment Hanriot la décapita? Robespierre, peu de

temps après l'adoption de la constitution de 1793, assura aux jaco


bins que la Convention était pure. Après la constitution du gouver
nement révolutionnaire, on affirma qu'elle était vertueuse. A chaque
nouvelle victoire que nos armées remportaient, on proclamait qu'elle

était énergique, puis héroïque, et définitivement vénérable, l'arche


sainte et le concile infaillible.
Entrons, pour mieux nous renseigner, dans l'intérieur de ce con

cile. Les conventionnels doivent être sept cent quarante-neuf. On en

peut enlever deux cent cinquante qui sont ou proscrits ou en mission.


Il doit en rester cinq cents. Combien en voyons-nous dans la salle?

Quatre-vingts, dans les bons jours. L'affaire du 3i mai a été décidée

par' cent votants. Où sont donc les autres? que font-ils? Qu'ils le disent

eux-mêmes. La parole est à la Montagne ; elle n'est pas suspecte.


« En entrant dans l'assemblée, chaque membre, plein de défiance,
observe ses démarches et ses paroles, dans la crainte qu'on lui en

fasse un crime. En effet, rien n'est indifférent, la place où l'on s'assied,


un mot, un regard, un geste, un sourire. Le sommet de la Montagne
passant pour le plus haut degré du républicanisme, tout y reflue. Le
côté droit est désert depuis que la Gironde en a été arrachée. Ceux
qui y ont siégé avec elle et qui ont trop de conscience ou de pudeur
pour se faire montagnards se réfugient dans le ventre (la Plaine),
toujours prêt à recevoir les hommes qui cherchaient leur salut dans
sa complaisance ou sa nullité.
« Des personnages encore plus pusillanimes ne prennent pied nulle
part, et pendant la séance changent souvent de place, croyant ainsi
tromper l'espion et, en se donnant une couleur mixte, ne se mettre
mal avec personne. Les plus prudents font encore mieux. Dans la
LA RÉVOLUTION

crainte de se souiller et surtout de se compromettre, ils ne s'asseyent

jamais. Ils restent hors des bancs, au pied de la tribune. Dans les

occasions éclatantes où ils ont de la répugnance à voter pour une


proposition et où il peut y avoir du danger à voter contre, ils se

glissent furtivement hors de la salle. »

C'est Thibaudeau, le montagnard, qui nous dit cela.


Les gens de la Plaine, — ceux que nous appellerions aujourd'hui
les républicains modérés, la gauche et le centre gauche, — confesse

ront leur abaissement avec une candeur qui prouvera combien leur
lâcheté leur paraissait légitime. Ils diront que plus ils avaient été élo

quents et remarqués à la Constituante et à la Législative, plus ils se

taisaient et se cachaient dans une apparente imbécillité ; ils ajouteront


qu'ils votaient, contre leur conscience, tout ce que les chefs de la

Montagne désiraient.
Ces lâches, les chefs et l'exemple de ces lâches, c'était Féraud !

c'était Boissy-d'Anglas ! La Révolution avait jeté dans cet avilissement


ces hommes qui furent héroïques. Daunou explique comment :

« Réduits au silence dans la Convention, nous étions espionnés dans


nos demeures, recherchés dans nos relations, environnés de terreurs
et de perfidies. »

Les montagnards, au moins, représentaient-ils la grandeur légen


daire de la Convention ? « Nous avons vécu un an le cou sous une

ignoble tyrannie », s'écrie le montagnard Fréron. Un autre, Poultier,


dit que les conventionnels allaient faire antichambre chez Robespierre
pour implorer sa faveur. Un autre encore, Boucher-Saint-Sauveur,
avoue que la présence de Robespierre produisait sur eux tous le

même effet que la tête de Méduse.


Telle était l'assemblée qu'on nous donne comme le type grandiose
d'un parlement révolutionnaire, et le produit le plus exquis du prin
cipe de la souveraineté populaire.
Le gouvernement dont elle était le centre dura jusqu'au g thermi
dor. A cette date, le respect de la Convention, qui avait cours forcé,
comme les assignats, tomba comme eux et aussi bas, dès qu'il ne
fut plus appuyé sur la peine de mort.
74 LA RÉVOLUTION

La dictature révolutionnaire s'en alla vers l'anarchie, comme elle


en venait, et elle appela à son secours la dictature directoriale. La
France revint à l'anarchie et enfin à la dictature tribunitienne, aurore
de la dictature impériale.

S 2. — LE GOUVERNEMENT POPULAIRE

La presse, les clubs, les tribunes, la rue, constituent une série de


forces gouvernementales. Elles naissent légitimement du principe de la
souveraineté populaire, et comme elles sont aveugles, mobiles, violen
tes, inorganisées, elles sont plus chères à la Révolution que les pou
voirs légaux. Elle leur donna même parfois une place dans la hiérar
chie officielle des pouvoirs, comme elle fit à Paris pour le club des
Jacobins, et dans les villes pour les comités de surveillance, qui ne

sont autre chose que des clubs.


La presse. — La liberté de la presse doit sa naissance légale à

un arrêt du conseil d'État du 5 juillet 1788, par lequel Louis XVI,


voulant sincèrement s'éclairer et continuer le grand mouvement de

réforme inauguré par lui, invitait tous les citoyens à donner les avis
qu'ils jugeraient opportuns. C'était un appel auquel les Français du
dix- huitième siècle ne pouvaient résister. Depuis cinquante ans les
plus actives cervelles travaillaient sur le fondement des empires.
En 1761, à ce que nous apprend YAlmanach des Gens d'esprit
pour 1762, il y avait cent soixante-deux journaux en Europe. En 1789,
dans une seule semaine, la première de juin, on publiait en France
quatre-vingt-douze journaux ou brochures, plus de la moitié de ce

que nous offrait toute l'Europe en une année, vingt-huit ans aupara

vant. Le 14 février 1789, le conseil du roi avait bien pris un arrêté


contre la licence de la presse; l'arrêté ne fut pas exécuté, et, peu
de temps après, la pleine liberté reconquit son pouvoir sous la forme

d'une autorisation accordée aux Parisiens de publier tout ce qu'ils


voudraient à propos des élections.
Durant les quatre premières années de la Révolution, à partir de

mai 1789, on compta un millier de journaux.


RÉVOLUTION FRANÇAISE 7^

L'usage était d'en proclamer dans les rues le titre et le sommaire,


que l'administration du journal livrait à Vaboyeur, spécialement impri
més pour lui. Souvent celui-ci se livrait à mille fantaisies et arrivait,
c'est Bailly qui nous le dit, à annoncer tout autre chose que ce qui
était dans la feuille.
Il y eut aussi des journaux faits pour être affichés : journal-pla
card, journal-affiche. Citons le Chant du Coq, royaliste, la Sentinelle,
de Louvet, payée par Roland sur les fonds de son ministère, et l'Ami
des citoyens, de Tallien, payé par le club des Jacobins.

Quant aux gazettes ordinaires, elles présentaient la plus grande


variété d'apparence. La plupart étaient in-octavo, un petit nombre
in-douze; la Galette de France, le Patriote, de Brissot, la Chro
nique, de Condorcet, et quelques autres, avaient adopté l'in-quarto.
Le Moniteur et V Union étaient seuls in-folio. Il y en avait bien peu

qui parussent tous les jours, la plupart étaient hebdomadaires ou


bi-hebdomadaires. Les Sottises de la semaine venaient tous les deux

jours, quelques-uns tous les quinze jours, comme l'Accusateur public,


de Richer-Serizy. D'autres s'intitulaient périodiques et paraissaient
irrégulièrement. Le Défenseur de la Constitution, de Robespierre,
était dans ce cas. Les prix étaient aussi très variés. L'abonnement le

plus général était au trimestre, et les prix les plus courants étaient

9 et 12 livres pour trois mois.


Il est difficile de préciser ce qu'il fallait dépenser pour établir un
journal. Nous voyons le Postillon de la guerre coûter à Louis XVI
4,000 livres par mois; le Logographe, près de 35,ooo livres pour trois
mois. Mais Louis XVI payait royalement. On accusait Roland d'avoir
déboursé 20,000 livres pour soutenir la Sentinelle pendant un an.
Mais c'était un journal officieux. Il faut s'en tenir à une phrase que
nous livre le compte rendu du même Roland, et qui paraît signifier
que le prix de l'abonnement était juste le double des déboursés.
L'abonnement étant, en moyenne, de 40 francs par an, un numéro
de journal demandait environ 20 francs annuellement.
Cuvier constate que, dès le mois d'août 1789, il y avait en France
plus de journaux qu'en Angleterre. Il était en Normandie, précepteur
76 LA RÉVOLUTION

dans une famille de gentilshommes libéraux. Il nous dit que les plus
renommées parmi les feuilles d'alors étaient : le Courrier de Ver
sailles à Paris, par Gorsas; le Point du jour, de Barère; le Journal
politique national, de l'abbé Sabatier de Castres. Un mois plus tard
il nous citera le Journal de la Ville, de Brissot, et V Assemblée

nationale.
Un homme moins célèbre, Pierre-Nicolas Chantreau, qui, en 1790,
se cacha sous le nom de M. de l'Épithète, en compte quatre-vingts
paraissant tous les jours ou au moins une fois, par semaine; mais
sa liste est incomplète.
La passion Français pour les gazettes dura autant
fanatique des

que la liberté monarchique. Après le 10 août, quand les révolution


naires prirent décidément la prépondérance, les feuilles commencèrent

à s'éclaircir, pour devenir rares quand ils furent absolument les

maîtres, en l'an II.


Parmi les anciens journaux, deux s'étaient fait remarquer, dès

l'ouverture des États généraux, par une vivacité nouvelle, deux jour

naux qui, comme la très grande majorité de la France d'alors, étaient


réformateurs et royalistes : le Mercure et le Journal de Paris.
Le Mercure (monarchie tempérée; treize mille abonnés) eut pour

principal rédacteur Mallet du Pan, le plus honnête et le plus ferme


des hommes, esprit lumineux et admirablement doué pour la critique
politique. Le propriétaire du Mercure, Panckoucke, avait habilement

pris ses précautions. Tout en conservant à cette feuille son allure


monarchique, il avait créé, sur un plan large et tout à fait nouveau,
la Gaiette nationale ou Moniteur universel (24 novembre 1789), qui
se proclama hautement patriote, ce qui valut à Panckoucke le surnom
de Janus, l'homme au double visage. Le Moniteur eut pour prote,
au début, Tallien ; pour rédacteurs principaux, Maret (duc de Bas-
sano), Méjan, Thuau-Granville (celui qui signa G. dans la corres

pondance avec Robespierre) et Berquin, « l'ami des enfants ». Il ne

devint journal officiel que plus tard, en l'an VI.


Le vieux Journal de Paris fît aussi peau neuve avec le tortueux

Garât pour premier rédacteur; douze mille abonnés. En 1791, on


A
L'ARRESTATION DE LOUIS XVI LE 22 JUIN 1791
VARENNES,

d'après une gravure populaire du temps, communiquée par M. GARNIER, A CHARTRES

la
la
Durant nuit du 21 juin, Louis XVI, accompagné de reine, de ses deux enfants et de Madame Elisabeth, avait quitté les

il
la

Tuileries où était plus prisonnier que roi. Son intention n'était pas de sortir du royaume, mais de gagner forteresse de Mont-

il
à
le

médy d'où se fût porté pour médiateur entre ses sujets révoltés et les puissances voisines. Mais, Sainte-Menehould, fils du
à

Il
la

le
à
la
maître de poste, Drouet, reconnaît roi. saute cheval, devance famille royale et fait arrêter Varennes, aidé de Sausse,
a

il

«
procureur de cette commune, et de Billaud, qui depuis se fit appeler Billaud- Varennes. Je suis arrêté, s'écrie Louis XVI, n'y

! »
le
:

plus de roi La famille royale reprend chemin de Paris accompagnée de trois commissaires envoyés par l'Assemblée Pétion,
la

Barnave et Latour-Maubourg. Après trois jours d'humiliations et de souffrances, les prisonniers rentrent dans capitale escortés
:

d'une population silencieuse et tout entière sous les armes. Le mot d'ordre avait été donné. Ce qu'on lisait sur les murs, c'était

le
»

Celui qui applaudira roi aura des coups de bâton; celui qui l'insultera sera pendu. (Louis Blanc, Histoire de la Révolution, V,

à
le
L'Assemblée fit Louis XVI vue dans de ses fonctions

)
p. 394. garder son palais et suspendit provisoirement royales, malgré
les protestations de deux cent quatre-vingt-dix députés. Les jacobins auraient voulu davantage: Robespierre, Pétion, Buzot, Grégoire

la

la
demandèrent, mais sans succès, déchéance et mise en accusation du roi.
REVOLUTION FRANÇAISE 77

essaya d'y mettre Condorcet, mais les douze mille abonnés se fâchèrent

et le déclarèrent ennuyeux. On le renvoya à la Chronique où nous

Talions voir. Rcgnault de Saint-Jean-d'Angely le remplaça. André


Chénier devint le rédacteur du Supplément du Journal de Paris. Il y
montra une intrépidité de caractère, une puissance d'intelligence qui
nous le font juger plus grand publiciste encore que grand poète. Le
12 août 1792, le Journal de Paris fut saccagé. Il joua un grand rôle
sous le Directoire, et un rôle agréable sous l'Empire.

Dès l'ouverture de l'Assemblée encore, on voit paraître l'ennuyeux

Courrier de Versailles à Paris , qui devint l'intéressant Courrier des

83 départements, par Gorsas, d'abord lourd comme le premier de

ses journaux, puis incisif comme le second. Ce Courrier et ce Gorsas


eurent une carrière typique. Gorsas commence par admirer Bailly et

« les princes de l'Église » libéraux-, puis il admire le patriotisme des

massacreurs de septembre. Mais il a quelques remords. Les septem


briseurs alors le traitent en royaliste; ils lui brisent ses presses le

10 mars, le chassent au 3r mai, et le guillotinent au 3i octobre.


Même fut le sort du plus célèbre des collègues de Gorsas, Con
dorcet. Il n'y eut que des différences peu notables. Le journal de

celui-ci s'appelait Chronique au lieu de se nommer Courrier; Con


dorcet fut turlupiné à propos de sa femme quand Gorsas Tétait à

propos de ses chemises; et il eut le suicide en place de la guillotine.

Cette Chronique de Paris était un journal quotidien, très complet,


très bien fait, fondé en 89 au milieu d'août, par Noël, le Noël de

« Noël et Chapsal », et le naturaliste Millin (annonces, 6 livres les


dix lignes ; le Moniteur les faisait payer 26 sous la ligne). En
novembre 1791, Condorcet vint prendre la rédaction au prix de

i5 livres par jour. D'abord très modéré, -le journal suivit bientôt le

train de la haute bourgeoisie révolutionnaire, qu'il représentait fort


exactement. Il ne trouva pas un mot pour blâmer les massacres de

septembre, maïs beaucoup de phrases pour engager les démocrates à

aller briser les presses royalistes. Il applaudit au supplice de du

Rosoi. Il attaqua toujours l'autorité jusqu'à ce que ses amis l'eussent

en main. Alors il parla de l'anarchie et découvrit que Marat était un


7* LA RÉVOLUTION

vilain être. Il était fort tard. Le 9 mai 1793, les démocrates se rap

pelèrent qu'il avait trouvé équitable qu'on brisât les presses des anta
gonistes et qu'on supprimât les contradicteurs eux-mêmes.
Les constitutionnels avaient eu presque toute la presse à leurs

ordres pendant la Constituante. Les feuilles mêmes que nous venons

de désigner comme girondistes avaient commencé par être à eux,


jusqu'à ce qu'ils fussent dépassés. Ce fut un constitutionnel avancé,
Lemaire, qui fit le premier Père Duchesne, c'est-à-dire qui adapta à

la politique ce type, obscène que le théâtre avait déjà rendu populaire


dans les faubourgs.
Les journaux purement royalistes n'étaient pas entrés en mouve

ment des premiers, mais ils se hâtèrent de regagner le temps et le

terrain perdus.
Le caractère distinctif des journalistes royalistes, c'est la vivacité.
Toutefois, s'ils commencent par employer l'arme de l'ancien régime,
la moquerie, le sarcasme, l'épée de l'esprit, s'ils commencent par être

gais et persifleurs, ils ne tardent pas à prendre le bâton révolution


naire. Ils se laissent gagner par les violences et le cynisme; ils hurlent,
eux aussi. Il n'y avait pas moyen d'être entendu autrement. La liberté
avait haussé le ton général : on ne parlait plus, on criait; on ne

s'entendait plus, on se battait.

Je ne citerai que le Journal de Monsieur Suleau, de Suleau, le

plus aimable et le plus émouvant des excentriques ; faible parce qu'il


était voltairien, puissant parce qu'il était enthousiaste; aussi franc que

fin, aussi intrépide qu'intelligent; celui qui, après Mallet du Pan, vit
le plus clair dans la Révolution; le plus homme d'esprit des Gascons,
le plus froid des soldats, le plus insolent des avocats, le plus dévoué

des politiques, le plus impertinent des chrétiens. Cynique et chevale

resque, critique et fanatique, jugeant froidement Louis XVI et, si

j'ose le dire, alcoolisé de royalisme, il fonda son journal le lendemain

de la mort de Mirabeau, et il le termina en avril 1792 par un der


nier article repoussant de cynisme incomparable de vigueur.
et

Nous arrivons à la presse révolutionnaire, « Les Révolutions de

Paris, dédiées à la Nation et au district des Petits-Augustins. » C'est


J<stçf~~

$im^ dfiu*J^ ^t/ —

Fac-similé d'une lettre de Ml,° A11112de La Ro^hejacquelein, sœur de Henri et de Louis, à du Rosoi.
rédacteur de la Galette de Paris. M'1* de La RDchejacquelein, si jeu:i2, mah animée de sentiments cheva
— Archives nationales.
leresques, s'offre comme otage pour le Roi et sa famille.
8o LA RÉVOLUTION

là le titre d'une feuille publiée par Prudhomme, papetier homme de

lettres, et qui est restée, avec ses qualités et ses défauts, l'organe offi

cieux de la Révolution. Ce journal demeura le directeur de conscience


en même temps que le porte-voix de la bourgeoisie moyenne, classe
enthousiaste et badaude, envieuse et avide, que rien ne dégoûta de la

Révolution, ni la ruine, ni la famine, ni l'abandon découragé des

bourgeois libéraux, ni la brutalité aveugle et convoiteuse des prolé

taires.
A Prudhomme il faut joindre les trois hommes qui restent comme
les prototypes des feuillistes révolutionnaires : Camille Desmoulins,
Marat, Hébert.
Desmoulins commença la publication des Révolutions de France
et de Brabant le 28 novembre 1789. Il devait avoir 2,000 écus par
an, et 4,000 quand la feuille aurait trois mille souscripteurs. Elle
promettait de paraître chaque samedi. Desmoulins la quitta après
le quatre-vingt-sixième numéro. Dussaulchoy la continua jusqu'au
numéro 104, après quoi il en changea la forme et le titre qui devint:
la Semaine politique et littéraire.
En décembre 1793, Desmoulins fit paraître le Vieux Cordelier,
œuvre hybride, qui tient du journal, de la revue, du libelle, mais
œuvre immortelle, vigoureuse par le style, puissante surtout par la
vérité historique. Ce Vieux Cordelier, ce doyen des jacobins, gratta

publiquement la lèpre de la Révolution. Il en sortit mille vermines.


Tout le gouvernement révolutionnaire s'y reconnut, et chacun voulut

l'y voir. Jamais succès ne fut si spontané. On vendit, assure-t-on ,

cinquante mille exemplaires de cette feuille. Il faut citer la troisième


et la quatrième lettre comme le chef-d'œuvre du journalisme.

La jeunesse, l'étourderie de Camille Desmoulins, son amour pour

sa femme, la leste et éloquente allure de son talent, le vigoureux


soufflet qu'il donna à la Révolution, ont attendri l'histoire en sa

faveur. Il ne faut pas aller trop loin sur cette pente. Si Desmoulins
déshonora la république, il avait contribué à la rendre puissante.

N'oublions pas qu'il s'intitula le « procureur général de la lanterne));

qu'il offrait, pour décider le peuple à la Révolution, le pillage de


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I
I
82 LA RÉVOLUTION

quarante mille maisons et le partage des deux cinquièmes de la


Frarîce. Il voulait qu'on fusillât tout soldat ennemi, et qu'on promît
à tout déserteur apportant la tête de son officier quatre fois le prix
d'une tête de loup. Son journal ne fut qu'une longue diffamation.
Son cerveau était vigoureux, et la réflexion y amassait une conges
tion momentanée simulant l'enthousiasme, mais il avait une de ces
âmes de pamphlétaire à la fois audacieuses et lâches, où rien ne se

peut graver avec quelque durée ou profondeur. Ne sentant en eux rien

qui fasse croire à l'existence de la vertu, de la vérité ou de la dignité,


n'admirant que la face miroitante et luisante des choses, de tels êtres
ne voient dans les hommes et les événements que l'exploitation qu'on
en pourrait faire. Insolents pour tout ce qui est faible, déclinant ou
grave, prosternés devant le droit du plus fort, ils paraissent braves

parce qu'ils attaquent toujours et parce qu'ils cachent soigneusement


le nom de l'homme ou de la chose qu'ils redoutent. Camille Desmoulins
fut de ceux-là. Il alla de l'avant tant qu'il eut confiance en l'appui de

Robespierre et dans la force de Danton. Quand il vit qu'il s'était


trompé, il demanda pardon de son courage. La cinquième et la sixième

lettre du Vieux Cordelier s'efforcent en vain de cacher la peur sous

l'insolence ; la septième lettre, il n'osa pas la faire paraître.


L'Ami du Peuple, de Marat, parut le 12 septembre 1789. Le titre
de cette feuille fut adopté par divers publicistes peu connus. Marat
l'abandonna définitivement, le 21 septembre 1792, pour créer, le 25,
le Journal de la République française, lequel parut jusqu'au lendemain
du jour où le rédacteur fut tué.

Les contemporains disent qu'il sortait du corps de Marat une

odeur de charogne; c'est l'odeur qu'exhalent aussi son esprit et son

âme ; et son journal en est imprégné. Rien mieux que cet homme et

ce journal n'a donné le dernier mot de la Révolution, rien n'a mieux


représenté le peuple révolutionné. Personne non plus ne sut mieux
plaire à ce peuple, mieux se faire comprendre de lui, le conseiller,
le diriger. Marat le proclame : Je ne suis pas naturellement sangui
naire, ni menteur; si je parais cela, c'est que je suis l'expression du

peuple. Marat se fait tort : il était bien cela, et c'est parce qu'il
RÉVOLUTION FRANÇAISE 83

était cela qu'il eut une immense autorité. Il a résumé sa politique en

demandant, dès 1789, six cents têtes au choix; le 17 décembre 1790,


il en fallut dix mille; il se reprend le lendemain, et c'est vingt mille

qu'il lui en faut, puis deux cent soixante-dix mille. Peuple magnanime,
crie-t-il sans cesse, soupçonne, dénonce, injurie, calomnie, insurge-toi;
extermine! Soldats, assassinez vos officiers! Comment n'a-t-on pas
assassiné Judas -Lafayette, et Pilate-Bailly ? Pourquoi n'a-t-on pas

encore été poignarder ou assassiner cette personne, puis cette autre?


Ignore-t-on leur adresse? la voici! Peuple, ne sais-tu pas que tel

journaliste me combat? Comment n'as-tu pas encore brisé ses presses,

et jeté ses colporteurs dans le ruisseau? Femmes républicaines, vos

maris sont des lâches, c'est à vous à remplir leur office; allons!
donnez la chasse aux ennemis de Marat! Peuple, va brûler le roi

dans son palais, fais périr sur le bûcher les juges qui menacent ton

ami. Pendez, pendez! Ne voulez-vous donc pas partager les terres

et les richesses? Pillez les magasins, mes chers amis, et pendez les

marchands à leur porte! Allons, un dernier effort pour sauver la

Révolution : allez empaler les représentants.

C'était la religion nouvelle; nous le disons sans ironie et sans

exagération. La Révolution remplaça le Christ par Marat; son portrait

fut mis partout à la place du crucifix; on lui éleva des autels, des

chapelles; on chantait : Cor Marat sacratissimiun... C'était le dernier


dieu, le seul que le monde régénéré voulût désormais adorer.
Mais voici le maroufle dont se plaignait le vrai Père Duchesne,
voici Hébert, garçon de théâtre chassé pour vol, et qui entra dans le

journalisme en continuant ses exploits. Il prit son titre h Lemaire,


ses vignettes à un autre Père Duchesne, et il se mit à rugir contre

« les vils plagiaires qui lui volaient son nom ». Il donna quelques
numéros à la fin de 1790, mais il n'exista réellement qu'à partir de
1 79 r . Ce n'était pas d'ailleurs un journal d'une forme bien classique.

Il n'avait pour titre que ces mots : Grande joie, Grande colère, etc.

Hébert employait dix ouvriers, et avait un collaborateur; il tirait


quatre-vingt mille exemplaires, dont cinquante mille étaient distribués
gratis, ou plutôt aux frais du gouvernement. Le ministère de la guerre
«4 LA RÉVOLUTION

notamment lui en prenait un grand nombre et lui en payait jusqu'à


six cent mille à la fois.

Que disait aux soldats, aux autorités, aux patriotes ce journal


oMiciel? « La vertu de la sainte guillotine va délivrer peu à peu la

république des riches, des bourgeois, des mouchards, des gros


fermiers et des bons marchands comme des prêtres et des aristo
crates. Ce sont tous des mangeurs d'hommes. » — « On dit qu'on va
juger la tigresse autrichienne. Pourquoi la juger? Elle doit être hachée
comme chair à pâté, elle et sa race. » — « Ah! la grande joie du
Père Duchesne, qui a vu de ses yeux la tête du Veto femelle séparée
de son col de grue! » On sait en quels termes immondes tout cela
était écrit. Eh bien! il n'y avait pas une femme qui, au commen
cement de 1794, eût osé n'avoir pas cette feuille sur la table de son

salon, pas un conventionnel qui eût osé entrer à l'Assemblée sans


cette gazette à la main !

Nous avons donné les trois types suprêmes du journalisme révolu

tionnaire : Desmoulins, le farceur qui abaisse tout*, Hébert, l'obscène

qui salit ce que le premier a dégradé; Marat, le féroce qui extermine


ce que les deux autres ont déshonoré.

En l'an II, il n'y avait plus place que pour la lâcheté; on ne voit

guère vivre que les feuilles officielles du Comité de salut public. Elles
avaient été huit, et on les distribuait dans les armées à raison d'un
exemplaire par cent hommes et pour un million d'hommes. C'étaient
le Journal militaire, VAnti-fédéraliste, le Père Duchesne, le Batave,

la Montagne, le Rougyff, le Journal des Hommes libres, V Universel.

Au milieu de l'an II, ces quatre derniers étaient les favoris, surtout
le Rougyff ou le Franc en vedette , rédigé par le conventionnel Guflroy

(dont RougylF anagrammisait le nom). Il avait, en effet, le cynisme

de répéter très haut les calculs que, si nous en croyons le plus


impartial des contemporains, les révolutionnaires faisaient tout bas

dès l'ouverture de la Convention : il s'agissait de savoir combien l'on


pouvait assassiner de Français sans détruire la France; les uns

comptaient le tiers, les autres les deux tiers. Rougyff mettait à nu

l'àme de la Révolution : « Que la guillotine soit en permanence dans


86 LA RÉVOLUTION

toute la république, écrivait-il; la France aura assez de cinq millions


d'habitants ! »

En résumé, pour les gazetiers révolutionnaires, la liberté c'est la


violence exercée librement par ceux qui crient très fort : vive la Révo
lution, contre ceux qui n'ont pas de voix, qui sont exténués ou qui
n'aiment pas les cris; et l'un des Père Ducliesne conclut : « La
presse révolutionnaire n'est bonne qu'à mener des chiens au combat. »

Les tribunes et la rue. — La Révolution n'avait pas inventé le


libelle. Mais on l'avait regardé jusque-là comme un mal; elle l'admit
comme un bien , elle en fit une institution sociale. La liberté illimitée
de la presse n'est autre chose que l'émancipation du libelle et la pro
clamation des droits civils du pamphlet.

La Révolution fit à peu près de même pour l'émeute. Elle ne

l'inventa pas; elle lui donna droit de cité, droit d'élection, de justice
et de législation; elle proclama le droit divin de la révolte, qui devint
le plus saint des devoirs.
L'institution politique de l'émeute et l'institution sociale du pam

phlet étaient absolument logiques. La souveraineté populaire, étant


illimitée, toujours active, doit tout surveiller avec la plus vigilante
défiance. Aussi, pour les bons docteurs en droit révolutionnaire et les

définiteurs autorisés, les députés n'étaient pas des représentants, mais


des mandataires, des commis travaillant toujours sous l'œil ouvert du

maître-peuple. Voici l'axiome fondamental, proclamé même dès le


début : Le roi et l'Assemblée doivent le respect au plus ignorant
électeur primaire du plus sauvage des hameaux de France, car il est
membre du souverain, les autres n'en sont que les domestiques.

Il fallait pourtant conduire le principe, c'est-à-dire cette activité

toujours défiante et vigilante de la souveraineté populaire, à un fait

pratique. On avait donc admis, ainsi que nous l'avons dit, que toute
portion du peuple, agissant révolutionnairement, représentait tout le

peuple; que toute manifestation populaire devait être tenue pour une
manifestation du souverain, si nulle autre portion dudit souverain ne

protestait ou s'il protestait dans un sens qui ne parût pas conforme


aux principes révolutionnaires.
FAC-SIMILE D'UN PLACARD RÉPUBLICAIN
COLLECTION DE M. LE BARON DE VINCK D'ORP, A BRUXELLES;

DIX-NEUVIEME SIECLE

Sur l'un des drapeaux on lit : terreur des rois ; et sur l'autre : réunion des
républicains. Un sapeur et un jacobin jurent fidélité' à la République. Ce placard, et
d'autres analogues, témoignaient du civisme des habitants de la maison où ils étaient
affichés. On craignait de ne point paraître a?sez patriote sous un régime qui avait
décrété la loi des suspects.

Cette loi, adoptée le 17 septembre 1793, débutait ainsi :

« Immédiatement après la publication du présent décret, tous les gens suspects qui
se trouvent dans le territoire de la république, et qui sont encore en liberté, seront
mis en état d'arrestation.

« Sont réputés suspects :

« Ceux qui, soit par leur conduite, soit par leurs relations, soit par leurs propos
ou leurs écrits, se sont montrés partisans de la tyrannie et du fédéralisme et ennemis

de la liberté ;

« Ceux qui ne pourront pas justifier de leurs moyens d'exister et de l'acquit de


leurs devoirs civiques ;

« Ceux à qui il a été refusé des certificats de civisme ;

« Les fonctionnaires publics suspendus de leurs fonctions par la Convention ou


ses commissaires ;

« Ceux des ci-devant nobles, ensemble les maris, femmes, pères, mères, fils ou
filles, frères ou sœurs, et agents d'émigrés, qui n'ont pas constamment manifesté leur
attachement à la Révolution, etc. » ( Réimpression du Moniteur, XVII, p. 680. )
if II!
r
UNITE
INDIVISIBILITE
DE LA
RÉPUBLIQUE
LIBERTÉ
ÉGALITÉ '
ERATERNIL
RÉVOLUTION FRANÇAISE 87

C'était, après avoir établi l'insurrection comme source de l'autorité,

proclamer la guerre civile comme moyen pratique de gouvernement.


En fait, c'est de là qu'était né le pouvoir reconnu à la rue, aux

tribunes, aux clubs.


Les tribunes sont plutôt bourgeoises, et les rues, populaires, dans
leur composition et l'expression de leurs idées. Les unes et les autres

sont dominées par ce qu'il y a de plus violent, de plus crédule, de

plus mobile, de plus avili dans ces deux classes inférieures de la

nation, dans la populace et la petite bourgeoisie. La tribune représen


tait l'oisiveté; la rue, la paresse; la première, les gens qui n'ont pas

grand'chose à faire; la seconde, ceux qui ne veulent rien faire. La


première attirait plus les bavards; la seconde, les filous. La première
procurait l'exaltation du cerveau, la folie du paradoxe, la violence du

sentiment; la seconde traduisait en fait brutal cette violence et cette

folie.
A ces êtres, la Révolution confiait l'exercice d'une part importante
de la souveraineté ; dans ces milieux se décidèrent souvent les desti
nées de la France.
C'est bien la rue, la rue des rues, le Palais-Royal, qui affirma la
Révolution et qui prit la Bastille. Après les hommes de la rue, logi
quement conduits par Desmoulins, un étourdi, et par Saint-Huruges,
un repris de justice, les femmes de la rue, conduites par Théroigne
et Reine Audu, confirmèrent la Révolution en octobre à Versailles.
Dès lors la place publique eut sa puissance légitime et son armée.
Il y avait plus de cent mille pauvres, inscrits à la charité des

paroisses de Paris. A côté de ceux-là, mettons les voleurs, les meur

triers, les proxénètes, les filles, les déclassés, les aventuriers, les
fainéants qui grouillent dans les bas-fonds des grandes villes, les
ouvriers des ateliers nationaux; tous ces gens-là, la Révolution, à

l'aide de la misère et de l'impiété, les a déchaînés, accrus en nombre


et exaspérés en vice. Plaçons à leur tête les enthousiastes, les utopistes,
les débauchés ruinés, les envieux et les bilieux, les prêtres renégats,
les gentilshommes apostats. Écoutons cette foule à'aboj'eurs de groupes >

de motiomiaires , de bavards ineptes, de chanteurs obscènes, lisant à


88 LA RÉVOLUTION

haute voix les journaux et les pamphlets, ramassant les échos des
tribunes, des clubs, des assemblées de sections. Voilà la rue, l'un des
pouvoirs politiques de la Révolution.
La garde nationale avait été créée pour restreindre un peu les

ébats de cette nouvelle reine. Mais quand, après Bailly, la mairie de

Paris tomba aux mains du vaniteux Petion, du faible Chambon et de

Thypocrite Pache, les gens de la rue, les hommes à piques, s'intro


duisirent peu à peu dans les rangs de la garde nationale. Ils y domi
nèrent. L'on eut ainsi la rue armée. Ce qu'elle était, la Chronique du
2 ljanvier 179J va nous le dire. Le bon roi (ils l'appelaient Louis-
Néron ! ) venait d'être assassiné : « Les volontaires s'empressèrent de
tremper dans le sang du despote le fer de leurs piques, la baïonnette
de leurs fusils ou la lame de leurs sabres. Beaucoup d'officiers imbi
bèrent de ce sang impur des enveloppes de lettres, qu'ils portèrent à

la pointe de leur épée, en tète de leur compagnie, en disant : « Voici


« le sang d'un tyran. » Un autre monta sur la guillotine même et

plongea tout entier le bras nu dans le sang de Capet. »

Avant d'en venir là, la rue avait su dogmatiquement affirmer sa

puissance. Quand on demandait à ses représentants au nom de quel

ordre ils agissaient : « Notre ordre, répondent-ils, il est dans les

fourreaux de nos sabres-, — Le peuple a toujours le droit de requérir


ce qui lui plaît. »

Mais si Ton n'a pas limité les droits du peuple dans la rue, on eût

du, au moins, établir ce qu'il faut entendre par peuple? Non, la


définition reste toujours nébuleuse. « Un rassemblement de citoyens,
plus ou moins nombreux , légal ou volontaire , à défaut des lois, ou
subit selon V impérieuse nécessité du moment , constitue véritablement
le peuple et mérite les honneurs que Valérius fit rendre aux Romains. »

En réalité, et en dehors de Valérius, qu'est-ce que ce peuple


vénérable? « Les voleurs sortis des prisons, au 2 septembre, font des

rassemblements et prennent rendez-vous à la Courtille, au Puits-de-

Jacob, au Déserteur, au Grand-Saint-Martin, aux Trois-Cuillers, rue


aux Ours. » Les autres membres de ce souverain sont les soldats

indisciplinés, volontaires revenus des armées en criant à la trahison,


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« courant les cabarets, parcourant tumultueusement les galeries du


jardin de la Révolution par groupes de trente ou quarante, envahis
sant les cafés et chantant partout des couplets obscènes ».

Ces gens-là étaient décidément les maîtres, non seulement au nom


des principes, mais en fait : ils avaient continué, au 10 août, au
2 septembre, au 3i mai, la Révolution qu'ils avaient commencée le

14 juillet et le 6 octobre.

Ils sont les frères de ces autres représentants supérieurs de l'opi


nion, les habitués des tribunes. En 1790, c'est-à-dire au début, ces
derniers, les contrôleurs suprêmes de la souveraineté du peuple, sont
salariés par les factieux. On en compte sept cent cinquante ; ils
ont 5 francs par jour, ils sont à la solde des jacobins; ils ont un

capitaine, qui est un gentilhomme dégradé, et un lieutenant, qui


est un vendeur d'emplâtres. Voilà les plus utiles coopérateurs de
la Révolution.
Ils dominent, en effet, la Constituante. On se rappelle en quels
termes le député Bouche proclama leur suzeraineté sur l'Assemblée.
Ils la pratiquent sans ménagement. Les propositions des députés révo
lutionnaires sont toujours appuyées « par d'horribles hurlements ».
— « Pendons tous ceux qui refusent », crient les tribunes.
La rue ne manque pas d'accourir à la rescousse. Tel jour, — le

27 septembre 1790, — il y a quarante mille hommes qui viennent


entourer l'Assemblée. Tel autre (c'était le jour où le clergé était sommé
de prêter serment à la constitution civile, 4 janvier 1791), on entendait

jusque dans la salle crier du dehors : « A la lanterne ceux qui refu


seront! » Et à l'entrée comme à la sortie, les représentants, d'abord
les royalistes, puis les libéraux, sont hués, maltraités. Ils sont obligés
de fuir, de se réfugier dans les maisons et les cafés du voisinage.

Enfin, l'un des législateurs nous confie qu'on allait rarement à l'As
semblée sans ses pistolets.
Au commencement, on n'avait pas osé faire un règlement contre
les violences des tribunes. La Convention, instruite par l'expérience,
voulut se montrer plus ferme que la Constituante et la Législative.
Elle imposa le silence aux citoyens et citoyennes, sous peine d'expul
9'

sion et d'emprisonnement; mais cet article ne fut pas plus observé


que ne fut pratiquée la loi contre les attroupements. L'un et l'autre

étaient contraires aux principes révolutionnaires. Après une tentative


d'application, loi et article tombèrent en désuétude.

Le vendredi 10 mai 1793, la Convention avait quitté la salle du

Manège pour aller occuper, aux Tuileries, l'ancienne salle de spectacle


ou des Machines, laquelle passait pour pouvoir contenir six mille per
sonnes. On avait transformé une partie des loges en tribunes pouvant
recevoir, les uns disent neuf cents, d'autres trois mille spectateurs.
Mais, écrit Brissot, « les brigands et les bacchantes ont trouvé moyen
d'occuper les abords et l'intérieur de la nouvelle salle comme ils

avaient fait de l'ancienne ». Dans les jours ordinaires, les habitués

étaient, dit Dulaure, « des rentiers oisifs, des ouvriers sans travail,

des femmes », c'est-à-dire ce qu'il y avait de moins capable de raison

ner, de plus violent dans la démocratie. Aux grands jours, venaient

les terroristes salariés, les furieux, les clients des plus vils mon

tagnards. Ils occupaient la place, en chassaient ceux qui leur déplai


saient, et surveillaient soigneusement ceux qui étaient parvenus à

entrer.

Ce fut au 3r mai, ou plutôt au 2 juin y3, que la rue et les

tribunes montrèrent la plus majestueuse de toutes leurs attitudes. On


connaît la grotesque promenade que fît alors la Convention autour des
Tuileries, avec une angoisse comparable à celle d'une bande de souris
courant çà et là dans une ratière et cherchant vainement un trou

pour s'échapper.
Ce jour-là, quand an proposa l'arrestation des girondins, une

grande partie de la Convention s'abstint. Le décret fut voté par les


montagnards et par « les membres des tribunes, qui s'étaient assis sur
les bancs des conventionnels ».

Ainsi les tribunes ne se contentaient plus de diriger la Révolution,


de contrôler les députés ; elles fournissaient même des représentants
spontanés du peuple. Désormais, ces conventionnels de bonne volonté

descendirent dans la salle, dans les couloirs de l'amphithéâtre, sur les


bancs. On les y laissa faire jusqu'au g thermidor»
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94

Mais ce n'était pas seulement à la Convention que les tribunes


étaient toutes - puissantes. L'Assemblée législative avait décrété, te

27 août 1792, la publicité des séances de tous les corps administratifs.

Chaque club, chaque société politique avait ses tribunes.


Demandons au célèbre ami de Voltaire, à Morellet, de nous con

duire à l'Hôtel de ville, où il va demander un certificat de civisme :

« J'arrive à l'Hôtel de ville sur les six heures du soir (c'était en

septembre r 7q3 ). Je trouve les deux amphithéâtres des extrémités dG

la salle garnis de femmes du peuple tricotant, raccommodant des vestes

et des culottes, la plupart avec des yeux ardents, un maintien solda


tesque, payées pour assister au spectacle et applaudir aux beaux

endroits. Vers les sept heures, le conseil de la commune se forme.

Le président, qui était le fils d'un boucher nommé Lubin, occupait


une tribune séparée, avec les officiers principaux et les secrétaires,

ayant en face, sur la droite, des gradins où siégeaient les membres

du conseil.
« Le procureur de la commune, Hébert, se leva pour invectiver
les 'jolies femmes d'aristocrates, à la grande satisfaction de toutes les

vieilles et les laides qui étaient dans l'assemblée.


« La lecture du procès-verbal fut suivie des entrées et des compli

ments de cinq sections qui venaient présenter leur contingent du

premier recrutement. Chacune de ces troupes entre dans la salle à

grand renfort de tambours et de musique militaire. Chacun pérore


par la bouche d'un orateur qui parle, au nom de ses camarades, de

cimenter dans le sang des tyrans l'édifice de la liberté. A quoi le

président répond sur le même ton. Ensuite il entonne d'une voix


aigre l'hymne des Marseillais, que toute la salle continue avec trans

port, et en petite pièce le Ça ira accompagné par les claquements de

mains et les battements de pieds de tous les patriotes.


« Après les sections, nous eûmes l'hommage que vint faire de sa
valeur un soldat blessé, appelé Compère, qui commença son discours

par ces paroles : «Citoyens, j'ai-t-été à l'armée et j'ai-t-eu une blessure


« que la v'ià, et l'on m'a-t-envoyé faire mon serment que je jure de
« mourir à mon poste et d'exterminer tous les tyrans. » Les applau
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LA RÉVOLUTION

disscments ayant couvert cette harangue, le héros blessé en fut si


content qu'il crut devoir recommencer. On l'applaudit de nouveau.
Mais comme il voulait répéter son compliment une troisième fois, on
lui fit comprendre avec quelque peine que c'en était assez, et qu'il
fallait que chacun eût son tour.
« A celui-là succèdent trois déserteurs autrichiens venant offrir
leurs services à la rebiblic françes. Le président leur ayant dit de

lever la main, ils en lèvent deux bien haut. Alors le président leur
dit : «Vous jurez d'exterminer les tyrans? — la. »

« Il y eut un harangueur qui dit : « Nous jurons la libené, l'éga-


« lité, la fraternité, la seule trinité à laquelle nous voulons croire. »

« Jusqu'à neuf heures et demie ce furent des harangues de

sections, puis l'hymne des Marseillais, puis des chansons sur des airs

d'opéra comique, que le président Lubin , orné de son écharpe, chantait

hors de mesure avec une voix, des agréments et des manières de beau

Léandre, qui ravissaient les spectateurs. L'assemblée répétait commu


nément les derniers vers du couplet.
« La tribune était occupée par des jeunes gens coiffés de l'ignoble
bonnet rouge, qui commençait à prendre faveur. Ils juraient, comme

de raison, d'exterminer tous les tyrans. L'un d'eux termina sa harangue

en s'écriant : « Annibal, pour jurer, n'attendit pas* vingt ans. » L'as


semblée applaudit, persuadée qu'Annibal avait commencé dès l'enfance

à jurer par b... et par f... en bon jacobin!


« Après la réponse du président, un des jeunes bonnets rouges
demanda la permission de chanter une chanson qu'il avait composée.
On l'y autorisa. Un jeune homme, aux cheveux gras tombant sur les

yeux, à la poitrine découverte, se mit à chanter douze couplets sur

la nécessité de massacrer les prêtres rassasiés de crimes et de les

ensevelir sous leurs autels ensanglantés ; couplets applaudis avec trans


port et répétés par les femmes des tribunes trépignant de joie. Ceux
qui n'applaudissaient pas étaient dénoncés et obligés d'agiter leurs

chapeaux et de lever les mains en l'air. »

Nous nous arrêtons là. D'autres chroniqueurs nous indiquent des


scènes plus révoltantes au milieu des paroles obscènes et des odeurs
RÉVOLUTION FRANÇAISE

abominables. Pensons que nous ne sommes encore qu'en 1793, à

Paris, à l'Hôtel de ville. Songeons à 1794; descendons quelques

PORTRAIT DE DANTON
D'après un dessin inédit de David, offert par lui à M. le comte de Saint-Albin, et communiqué par
Mm0 Achille Jubinal, née de Saint-Albin. — D'abord avocat, Danton devint membre de la Commune
au 10 août 1792, et bientôt après ministre de la justice. « Il a reçu de l'argent du roi pour empêcher
Témeute et s'en est servi pour la lancer. » (Taike, La Révolution, II, p. 258. ) « Entrepreneur en chef » des
massacres de septembre, il fait expédier sous son contreseing la circulaire qui les annonce et invite les
départements à suivre l'exemple de Paris. Le 10 septembre, il félicite les égorgeurs de Versailles. Dans le
procès de Louis XVI il vote « la mort du tyran »: enfin, arrêté à son tour par ordre de Robespierre, il
est envoyé à Féchafaud avec Camille Desmoulins, Chabot, Hérault-Sochclles, etc.

échelons dans l'ordre intellectuel ou moral , pour arriver à chacune des

quarante-huit sections de la capitale. Rappelons-nous les quarante-

quatre mille municipalités, avec le cortège de comités, de sociétés, de

clubs, qui sont tous sous la surveillance de la populace. Nous pourrons


i 3
LA REVOLUTION

imaginer quelle était l'espèce, quelle était la force de cette puissance


gouvernementale de la rue et des tribunes.
Les clubs et les sociétés populaires. — Le principe des sociétés

populaires était considéré comme primordial. Il tenait du droit de

penser et d'exprimer sa pensée, qui était noté comme le plus précieux


dans la Déclaration des droits. Il était dans l'ordre de la souveraineté
du peuple, comme le souffle dans l'organisation du corps humain.
« Le peuple français, l'Assemblée, les clubs, voilà les trois membres
de la trinité révolutionnaire, et ces trois ne font qu'un. » Ainsi
parlait-on en 1792.
Le 2 décembre 1789, paraît l'article de la constitution qui consacre
pour tous les citoyens le droit de s'assembler « paisiblement et sans
armes ». En 1791, décret qui permet aux soldats d'assister aux séances
des clubs.

A cette date, ces clubs s'arrogent le droit, qu'essaye en vain de

leur enlever la Constituante (3o septembre 91), de faire comparaître


les magistrats à leur barre, de porter des décrets et décisions sur les
affaires politiques.
En décembre 91, quelques membres de la Législative demandent

que l'Assemblée ne reçoive plus les adresses des clubs, « parce qu'elles
tendent à donner l'expression d'un petit nombre d'hommes comme
celle de la totalité». L'Assemblée refuse. En 1793, la section des
Arcis demande qu'on interdise toute correspondance et affiliation
entre eux. La Convention refuse. Le i3 juillet, défense aux autorités
de troubler les sociétés populaires ; le 25 juillet, décret contre ceux
qui voudraient les dissoudre ou les empêcher de s'assembler. Le
22 août, les jacobins demandent que la peine portée contre ces

trouble-clubs soit la mort. Le 3o octobre (9 brumaire an II), on est

obligé de prohiber les sociétés de femmes, tant elles sont devenues

ignobles, et le 27 janvier 94, la commune de Paris interdit les clubs


de jeunes gens, tant ils sont grotesques.
A part cela, c'est le temps de la grande puissance pour les sociétés
populaires. Collot d'Herbois proclame à la tribune des cordeliers que
nulle puissance ne peut s'immiscer dans leurs débats, contrôler leurs
R É VOLUTION FRANÇAIS K 99

décrets, s'opposer à leurs décisions intérieures. C'est à elles que le

Comité de salut public demande de désigner les citoyens dignes des

fonctions publiques. Leur grand travail est de harceler la Convention

pour qu'on augmente la liste des suspects, qu'on en débarrasse la

république, « afin de mettre les sans-culottes à même de jouir de

LA RÉPUBLIQUE
D'après une gravure du dix-huitième siècle, à la Bibliothèque nationale. — La torche d'une main, le
poignard de l'autre, la tête couronnée de serpents, vêtue d'une robe illustrée de tètes de morts, la
République marche entre l'incendie et la guillotine, foulant aux pieds la croix et lT.vangile, la tiare et la
couronne royale de France.

leurs biens ». Après le 9 thermidor an II, tout ce qui restait d'hon


nête et de sensé en France s'éleva contre elles.
Le 6 fructidor an III (1795), sur un rapport de Mailhe, décret

qui dissout les sociétés populaires; 8 ventôse an IV, nouveau décret

qui les dissout; 17 pluviôse an VI, circulaire qui recommande de les


surveiller attentivement. Il fallut le 18 brumaire pour les écraser
définitivement.
De toutes les sociétés, la plus illustre fut sans contredit celle des
I 00 LA RÉVOLUTION

Jacobins, archi-typc du club, parfait modèle de ce gouvernement


anonyme et sans responsabilité, qui est au-dessus des lois, défie

l'administration, raille la police, méprise tout règlement, mais qui


réserve toute discipline (celle-là inflexible) pour son foyer domestique,
comme les voleurs pour l'intérieur de la caverne.

Le grand club rassembla en un faisceau et sut mettre à son service

les plus actives forces de la presse, de la rue et des tribunes. Avec


cette aide, il se tint toujours à la tête du mouvement révolutionnaire,
qu'il guidait sans le violenter. Il parvint à imposer ses volontés à la

nation et au gouvernement, accapara tous les clubs, monopolisa l'opi


nion, forma une classe gouvernante dont la masse représentait, nous
disent les contemporains, le niveau intellectuel et social des domes

tiques de bonne maison. Il avait pour objectif politique d'écraser tout


ce qui dépassait ce niveau; et, en effet, il conduisit la France à cette

bassesse jusqu'au 9 thermidor an II.


Alors, amaigri du cerveau par des saignées successives, pourri de

paradoxes et comme alcoolisé de fureurs, le jacobin tomba raide. La


forteresse céda devant onze hommes qui chassèrent à coup de piche
nettes le bataillon sacré de la Révolution.
« Ce grand arbre planté aux Jacobins par les Bretons » , disait
Camille Desmoulins. Les députés de Bretagne, sans excepter ceux de

l'ordre du clergé, auxquels se joignirent quelques représentants de la


Franche-Comté et du Dauphiné, provinces d'opposition, avaient, en

effet, formé à Versailles, en juin 89, un club qu'on appela d'abord


breton et qui devint bientôt la Société des amis de la constitution.
De Versailles, ils vont à Paris se réunir dans la bibliothèque du
couvent Jacobins (à l'endroit où se trouve aujourd'hui le marché
des

Saint-Honoré ). A ce moment, Barnave et les Lameth sont, écrit Des


moulins, les « arcs-boutants » de la Société ; nous pouvons ajouter le

duc d'Aiguillon et le vicomte de Noailles, dont l'influence dura pen


dant toute l'année 1790. Le 6 octobre 1789, ils ont quitté la biblio
thèque pour l'église du même couvent, endroit sombre qui devient
lugubre à la nuit, mais amplement vaste et qui peut contenir, grâce
aux tribunes, deux mille personnes. C'est le 6 novembre 1790 que
RÉVOLUTION FRANÇAISE 101

nous voyons la Société apparaître officiellement devant l'Assemblée

par un discours sur la fameuse salle du Jeu de paume de Versailles.

Le 7 mars 1791, les jacobins déclarent qu'ils comptent deux cent

LE DIABLE ET SA MOITIÉ METTANT AU MONDE LES JACOBINS


— On lit au bas : « Le diable,
Gravure tirée de la collection de M. le baron de Vinck d'Orp, à Bruxelles.
après avoir couvé longtemps la ruine du plus bel empire, s'applaudissait de sa brillante couvée: ■Nargue
u de tes efforts, lui dit son infernale moitié, vois mon Jacobin, n Le diable demeura stupéfait. a

vingt-neuf sociétés affiliées ; quelques jours après, ils donnent cent

quatre-vingt-cinq nouveaux noms; dans ce chiffre ne sont pas com

prises les sociétés à qui l'on n'a accordé que la correspondance. On

promet de publier des listes complémentaires. En mai, la Société crée

un journal : le Journal des Débats de la Société des Amis de la


' 02 LA RÉVOLUTION

Constitution. Plus tard, elle aura la Montagne, et aussi une feuille


spéciale qui publiera les correspondances à elle envoyées par ses

filles de province; pure feuille de délation et de proscription.


Pendant toute cette année 1791, la politique des jacobins est fort
nette. Elle défend avec beaucoup d'énergie la monarchie contre les
brissotins et proclame que la république ne peut convenir à une

grande nation. Toutefois, dès le mois de janvier 1792, les constitu


tionnels la quittent pour laisser la place aux royalistes-démocrates qui
continuent la guerre aux républicains de la Gironde, sous la conduite
de Robespierre. Celui-ci fait de vains efforts pour s'opposer à l'em

ploi du mot « jacobin » , qu'il blâme comme sinistre. Ce mot entre


dans l'usage populaire au commencement même de cette année 92.
Le sobriquet Société mère deviendra usuel seulement au mois de

décembre.
Avant cette époque et après le 10 août, elle a fait un grand pas
vers la démagogie. Les chroniqueurs disent qu'après le 2 septembre
on a vu apparaître deux ou trois cents nouveaux visages de gens peu
connus, qui ne parlaient jamais, qui applaudissaient d'ensemble et au

mot d'ordre, et toujours aux discours de Robespierre. La Société fit

signe d'ignorer les massacres de septembre et n'en souffla mot aussi

longtemps qu'ils durèrent; elle prit ensuite le parti des massacreurs.


Le 5 novembre, elle dira que sans eux il riy aurait pas de liberté!
Vers la fin de cette année (21 décembre), la Société décide qu'elle
chasse tous les journalistes de son sein, parce que la presse se

permet de publier les discours prononcés dans son enceinte, sans

vouloir se soumettre à la censure de la Société. La lutte commence

entre les deux pouvoirs, presse et club. Prudhomme la soutient éner-


giquement. Mais la presse va être vaincue et les journalistes guillotinés,
emprisonnés, en fuite. Les jacobins sont convaincus que la liberté de

la presse consiste à avoir un journal unique, tremblant sous eux.

C'est ainsi, disaient-ils, qu'il faut travailler à l'unité des esprits.


En 1793, la puissance des jacobins augmente avec leur ambition.
En février, ils repoussent le projet de constitution développé à la

Convention et déclarent qu'il vont en faire une en quinze jours. En


FAC-SIMILÉ DU TESTAMENT DE LOUIS XVI
d'après l'original conserve aux archives nationales

Ce testament est date de la tour du Temple, le 2 5 décembre 1792, ta veille du jour


où le roi devait comparaître pour la seconde fois devant la Convention.

Louis XVI avait opposé son veto au décret contre le clergé fidèle. Ce veto fut le
principal prétexte invoqué par les insurgés du 20 juin et du 10 août. Ce fut le moment

décisif dans la vie du roi. « A partir de ce moment, il est à nos yeux plus qu'un roi
de France : c'est un confesseur de la foi chrétienne, comme son aïeul saint Louis dans
les prisons d'Egypte; c'est un martyr de l'Eglise de Dieu. » ( Rohrbacher, Histoire
universelle de l'Eglise catholique, XXVII, p. 565. )

Le 21 janvier 1793, « le roi fut le seul homme dans Paris qui possédât la paix au
fond de son cœur... La pierre angulaire de la république venait d'être posée dans le
sang par des mains meurtrières ; le sang et le meurtre se retrouvèrent désormais dans
toutes les parties de l'édifice qui allait s'élever ». (De Sybel, Histoire de l'Europe

pendant la Révolution française, II, p. 92.) « La vie de tout individu est précieuse

pour lui ; mais la vie de qui dépendent tant de vies, celle des souverains, est précieuse

pour tous. Un crime fait-il disparaître la majesté royale; à la place qu'elle occupait, il
se forme un gouffre, et tout ce qui l'environne s'y précipite. C'est une roue énorme
fixée au sommet de la plus haute montagne ; dans ses vastes rayons sont enchâssées
et engagées dix mille menues pièces ; lorsqu'elle tombe, chaque petit accessoire,

conséquence chétive, la suit dans sa bruyante ruine. Jamais ne vont seuls les soupirs
du roi, mais toujours avec un gémissement public... » (Shakespeare, Hamlet, acte III,
scène ni.)

Après la Restauration, le 21 janvier fut un jour de deuil national. On s'assemblait


dans les églises, et, au milieu de l'émotion générale, on lisait le testament de Louis XVI.
« Louis XVIII avait voulu que ce fut là désormais toute l'oraison funèbre prononcée en
l'honneur de l'infortuné monarque. » ( Laurentie, Histoire de France, VIII, p. 120.)
A.

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R KVO L U T I O N FRA N C A i S K io3

mars, on constate qu'ils occupent toutes les places. Les douze du

Comité de sûreté générale sont jacobins, ainsi que presque tous les

membres du directoire de Paris, de la municipalité, et les chefs de

la garde nationale.
Au début de l'an II (qui commence le 22 septembre 1790), la
jalousie qui règne d'ancienne date entre eux et le club des Cordeliers
s'accentue; la guerre se déclare. Camille Desmoulins prétend que les

jacobins sont à la solde de Pitt et Cobourg. Ils répondent par un

redoublement de vertus révolutionnaires : ils avaient déjà ( 7 sep


tembre 93 ) demandé que la terreur fût à l'ordre du jour, qu'on
établît une armée révolutionnaire ambulante, avec un tribunal et une

guillotine dans les bagages de la troupe; le 2 nivôse (22 décembre),


ils réclament des vaisseaux sur lesquels la France embarquera « la

tourbe impure des contre-révolutionnaires afin que la foudre nationale


les engloutisse dans le gouffre des mers ».

Ils déclarent fièrement qu'il ne suffit pas aux représentants en

mission de rendre leurs comptes à la Convention, mais que c'est des


Jacobins aussi qu'il faut obtenir un certificat de bonne conduite.
Le 26 pluviôse (14 février 1794), ils interdisent aux défenseurs offi
cieux de travailler à faire rendre la liberté aux accusés sans en avoir
obtenu la permission de la Société.
Le icr floréal, scène tragi-comique : un comptable a l'audace de

réclamer à la société le payement des loyers arriérés. Collot demande

que l'homme soit traduit au tribunal révolutionnaire.


Les jacobins sont arrivés au faîte de la toute-puissance. Ils ne
veulent rien à côté d'eux. Ils se sentent assez forts pour demander
l'anéantissement Le 23 floréal (12 mai), Collot
même des cordeliers.
d'Herbois déclare que les sociétés établies dans chaque section doivent
être détruites. C'est le refuge du modérantisme. Elles s'occupent trop
de bienfaisance, qui est « l'arme des riches ». Elles veulent donner
au peuple de l'instruction ; la science qui résulte de la simple lecture
des discours prononcés à la Convention par les montagnards suffit.
Autrement, on détruirait l'unité de la patrie, on travaillerait à avoir
diverses opinions, c'est-à-dire une France divisée en deux parties. On
Besancon.

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ÔtVS^**«^/ejz^ - -t*+tc<>v Cj>-i^t/c ^^c^l "^c^-p^


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R EVO LUTIO N F RAN ÇA I S F.

0 ^
/?

6°/ y

Fac-similé d'une lettre de Mcr Mathieu, "archevêque de Besançon, attestant que le meurtre de[Louis XVI
et celui de Gustave III, roi de Suède, furent résolus dans une assemblée de francs-maçons, tenue à Franc
fort en 1786. D'après l'original communiqué par M. Léon Pagès. — On sait que Gustave III, roi de Suède,
fut tué d'un coup de pistolet par un gentilhomme nommé Ankarstrœm, au milieu du bal masqué de la cour,
dans la nuit du i5 au 16 mars 1792. — Quant à M. de Raymond, son nom figure encore dans l'Annuaire
maçonnique de 1814.

ne doit plus conserver que les sociétés affiliées à la Société mère. Ainsi
fit-on.
Après avoir atteint, de la façon que nous avons vu, l'idéal de la

liberté de la presse, les jacobins sont arrivés à l'idéal de la liberté


d'association : un club unique servant despotiquement une opinion
toute faite, et mille petites réunions dépendant servilement de lui.

Quel était alors le nombre de ces sociétés affiliées ? Il est difficile


14
LA RÉVOLUTION

de le savoir. Parmi les contemporains, les uns disent trois mille, les
autres quatre mille, d'autres quarante-quatre mille.
A Paris, le nombre des membres ne paraît pas avoir dépassé quinze
cents. En cette période d'action toute-puissante, ils se recrutaient dans
la petite bourgeoisie, dont l'intelligence étroite, active et présomptueuse
voulait paraître tout comprendre parce qu'elle ambitionnait tout, et

qui travaillait à tout détruire pour essayer de prouver qu'elle pouvait


tout remplacer. C'était cette classe récemment sortie de la domesticité,

qui, devenue l'élément principal de la société, était la classe dirigeante


de la république, avec l'armée des sans-culottes pour pouvoir exé

cutif; pouvoir docile d'ailleurs, et qui attendait à la porte des jaco


bins pour exterminer tout ce qui en était exclu : « l'exclusion des
jacobins est le premier pas vers la guillotine ». C'était la maxime
d'État de l'an II.
On sait comment Robespierre, devenu maître absolu de cette

formidable puissance, la voulut diriger contre les comités de salut

public et de sûreté générale, et comment, grâce à la sottise et à la

lâcheté de ce chef, bien fait pour elle, la Société fut vaincue.

Legendre, qui, cordelier et dantoniste, avait une double revanche

à prendre, vint le 9 thermidor an II, lui onzième, à la porte des

jacobins. Ceux-ci s'enfuirent tous. Quand les deux pistolets de

Legendre furent loin, ils revinrent : l'attrait de la libre sottise et de

la libre brutalité était trop fort.


Ils reviennent donc aussi insolents que jamais. Un mois après

thermidor, ils menacent de nouveau la Convention, demandent qu'on


rétablisse leur gouvernement , le gouvernement révolutionnaire , et

qu'on réincarcère tous les suspects délivrés. Legendre va encore

(21 brumaire an III) fermer « l'antre immonde ». Les jeunes bour

geois de Paris donnent aux jacobins quelques coups de bâton et

fouettent un peu les habituées de leurs tribunes; mâles et femelles

fuient de nouveau avec la même ardeur.

Enfin, le 6 messidor an III, la Convention décide que les bâti

ments seront vendus, que l'on bâtira sur l'emplacement le marché du

cuf-llicnnidor.
PROCLAMATION
D U

CONSEIL EXÉCUTIF
PROVISOIRE.
EXTRAIT des Regiflres du Confeil, du 20

Janvier 179 $ , l'an fécond de la République.


des Commiftaircs de
la

\ j £ Confeil exécutif provifoire délibérant fur Municipalité deux membre?

,
du Tribunal

le
îes mcf-uTesà prendre pour l'exécution du décret criminel a/Meront l'exécution
à

,
nationale, des ij, io & Secrétaire - greffier de ce Tribunal en drcflcia

le
de la Convention 17,

20 janvier «793» arrête les difpofitions fuivantes . procès - verbal lefdits Commifïaircs & Membres
&
,

i.° L'exécution du jugement de Louis Capet du Tribunal, aufîuôt après l'exécution confomméc

,
viendront en rendre compte au Confeil

fe fera demain lundi 21. lequel
,

reftera en féance permanente pendant toute cette


z.° Le lieu de l'exécution fera la Flr.ce de la
XV, journée.
Révolution, ci - devant Lcuis entre le pied-
d'eflal & les Champs-élyfées.
Le Confeil exécutif provifoire.
3.0

Louis Capet partira du Temple


à.

huit heures
Roland, Claviere, Monce, Lebrun, Carat,
du matm, de manière que l'exécution puiiïc être
Pasche.
faite midi.
à

Par GroUVELLE.
le

Confeil
,

4.0 Des CommiiTaires du Département de Paris ,

PARIS, DE L'IMPRIMERIE NATIONALE EXÉCUT1VE DU LOUVRE.


A

175,3.

PROCLAMATION DU COMITE EXÉCUTIF PROVISOIRE


ordonnant la marche du cortège pour l'exécution de Louis XVI, le 21 janvier 1793. Fac-similé réduit
d'un placard conservé l'hôtel Carnavalet, Paris. — Le roi donna lui-même signal du départ Marchons,
le
à

dit-il^ je suis prêt. Le cortège suivi les boulevards jusqu'au lieu du supplice; plus grand silence
le
a

régnait tout long du chemin. Louis lisait les prières des agonisants; est arrivé dix heures dix;
le

à
il

minutes la place de la Révolution. s'est déshabillé, est monté d'un pas assuré, et, se portant vers l'extré
Il
à

mité gauche de l\Schafaud, dit d'une voix assez ferme Français, je meurs innocent. Je pardonne tous
a

à
il

mes ennemis, et je souhaite que ma mort soit utile au peuple, paraissait vouloir parler encore. Le
Il

commandant général ordonna l'exécuteur de faire son devoir. (Réimpression du Moniteur, XV. p. |2.)
2
à

Aussitôt un citoyen monta sur la guillotine même, et, plongeant tout entier son bras nu dans le sang de
«

Capet qui s'était amassé en abondance, en prit des caillots plein la main et en aspergea par trois fois la
il

foule des assistants Frères, disait-il, on nous menacés que sang de Louis Capet retomberait sur nos
le
«

a
:

tètes eh bien, qu'il sang d'un roi porte bonheur ».( Phudhom.ml:, Les Révolutions de
le

retombe...
«

y
;

Paris, n° 185.)
ic8 LA RÉVOLUTION

Après les jacobins viennent les cordeliers, qui nous montrent


plutôt l'instinct anarchique de la Révolution , quand les jacobins en

représentent surtout l'esprit gouvernemental.


Les premiers sont des dilettanti, des fantaisistes, les ténors de g3.
Il ne reste d'eux, outre la liste de leurs noms, la plupart célèbres,

que le souvenir de cette pieuse séance où il fut arrêté que la Société


élèverait un autel au cœur de Marat.
Les royalistes libéraux et constitutionnels cherchèrent aussi à se

grouper. Le club des Impartiaux , le club des Amis de la consti


tution monarchique , le club des Amis de la constitution séant aux
Feuillants, sont restés célèbres. Mais le peuple les força à se fermer,

en disant que la liberté n'est pas applicable aux partisans de la

monarchie.
Pendant que les sociétaires royalistes sont lapidés, les clubs patrio
tiques foisonnent; il y en a un dans presque chaque village, et deux

ou trois dans chaque section des grandes villes et à Paris; un pour

les soldats dans chaque garnison, presque dans chaque régiment.


Les femmes se montrèrent des clubistes forcenées. Citons seule

ment la fameuse Société des Femmes républicaines et révolutionnaires,


sous la conduite de Rose Lacombe. En 1791, Tallien fonde la Société

fraternelle des Enfant s -Rouges ou des Deux Sexes. Les femmes (et
les enfants à partir de douze ans) y sont admises; elles font concur

rence aux (( bonnes patriotes de la Société fraternelle de Marat » ;

les filles s'obligent par serment à n'épouser jamais un aristocrate.

Punition peu redoutable! toutes ces filles paraissent trop pures, même
aux gens du faubourg, même à la Convention. Celle-ci, en effet, le

3o octobre 1793, ferma ces gynécées de la Révolution, décida que

les femmes n'avaient nul besoin de club, que les assemblées section-

naires et les tribunes leur suffisent.


Pour ne point paraître oublier la province, je citerai la Société des

Carabots , de Caen, le club girondin de la République, à Bordeaux,


le Comité central des sociétés populaires , à Lyon. On y lutte d'élo

quence avec la capitale. « De. votre front ignominieux va couler cette


sueur froide qui naîtra de la honte avec laquelle l'éponge du républi
RÉVOLUTION FRANÇAISE

canisme lavera votre visage encroûté de la crasse de l'hypocrisie ».

C'est à Lyon que cela se dit, aux aristocrates naturellement.

Quel était le principal but de la plupart de ces sociétés républi


caines? L'une d'entre elles nous le dit : « Il est impossible que, dans
quelque coin de la république que se cache un homme, sa vie, sa

figure, ses paroles ne soient pas, grâce à nous, bientôt connues. »

C'est qu'en effet presque toute l'occupation des clubs est l'espionnage.
En somme, l'histoire des sociétés patriotiques se résume exacte

ment comme celle de toutes les institutions révolutionnaires : au nom


de la liberté, arriver à la tyrannie, et l'exercer au nom de la liberté.

CHAPITRE II

L'ADMINISTRATIO N

§ r. — l'administration centrale

Les ministres. — « Louis, par la grâce de Dieu, roi. » C'est le

titre que la Constitution de 1791 avait admis, et elle avait reconnu à

la royauté deux des attributs de l'autorité : l'inviolabilité et la durée.


Mais, comme l'institution chrétienne de l'autorité est inconciliable avec
la théorie de la souveraineté absolue du peuple, la Révolution mena
à l'échafaud le prince inviolable, et elle ne vit jamais dans cette grâce
de Dieu qu'une formule dérisoire.
Le roi ne fut guère pour elle, pour la Constituante, pour la cons
titution de 91, que Y administrateur général de la France. De plus,
tous les représentants du souverain, depuis les assemblées primaires
et les communes jusqu'à l'assemblée des députés, envahissaient à

l'envi les fonctions de cet administrateur général.


Si telle était la situation du roi en face du gouvernement légal,
on devine qu'il avait moins de prestige encore aux yeux du gouver

nement populaire. Là régnait la pure théorie révolutionnaire, pour


1 10 LA RÉVOLUTION

qui l'autorité n'est autre chose que la police. Aussi le roi, pour la

presse, la rue et les clubs, c'est uniquement le policier général de la

France.
Dans la formule officielle, le pouvoir exécutif citait délégué au roi

pour être exercé par des agents responsables, des ministres, qui
devaient être pris en dehors de l'Assemblée. Les ministères furent au
nombre de six : justice, intérieur, guerre, affaires étrangères, marine,
contributions.
La Constituante comptait plus de théoriciens que d'esprits pra
tiques. Dans l'organisation administrative qu'elle inventa, on retrouve
sans doute ce génie de l'ordre qui caractérise la France. Mais la

marque de l'utopie est partout.


La division de la France en départements, districts et communes

est, avec les annexes qu'elle comporte, ingénieuse et nette. Toutefois,


on fractionnait le pays en parcelles minimes, découpées brusquement
et de vive force, sans consulter les habitudes, ni les traditions, ni les

rapports d'intérêt, ni les sympathies d'origine ou d'idées. On faisait-

bien l'unité, c'est vrai, mais aux dépens de la vie. On remplaçait


l'esprit français par l'esprit parisien. On préparait surtout une France
pour la centralisation, pour la tyrannie.
Quelques-uns des plus sensés, parmi les constituants, le virent. Ils
essayèrent de le prouver. Ils arrivèrent seulement à pousser l'Assem
blée à chercher un contrepoids. Elle crut l'avoir trouvé en donnant
à ces parcelles factices, aux départements, districts et communes, des

droits et pouvoirs qui constituaient presque l'autonomie. Le corps


était fortement lié, mais les membres étaient monstrueux.

La Révolution arrivait, en fait, à un résultat qui est caractéris

tique de son histoire : elle donnait toutes les facilités pour la tyrannie,

si le représentant du pouvoir était méchant, toutes les facilités pour


l'anarchie, s'il était débonnaire.
Défiante et provocante, la Législative harcela sans cesse le pouvoir
exécutif ; elle se substituait à lui pour ordonner jusqu'à des

mouvements de troupes. Les exigences tracassières augmentèrent à

mesure que le roi y obéissait. La situation de ministre devint telle-


A
LANJUINAIS LA TRIBUNE

2
LE JUIN i793

A
;

A
D'APRÈS LE TABLEAU DE M. CH.-L. MULLER. APPARTENANT M. LE COMTE LANJUINAIS PARIS DIX-NEUVIEME SIECLE

«
Seul, Lanjuinais, qui n'est pas girondin, mais catholique et breton, parle en homme contre l'attentat que subit la
le
«

il
la
à
le
nationale on lui court est assailli tribune boucher faisant de ses deux bras

;
représentation sus, Legendre,

»
«
on
;

du merlin ou t'assomme un de s'élance aider

je
lui crie

,
geste Descends, groupe montagnards pour Legendre

à
»
porte Lanjuinais un pistolet sur la gorge... (Taine, La Révolution, II, pp. 466 et 467.)

«
Il
à
se avec force la tribune et sa voix tonne encore au milieu des hurlements des sans-culottes et du plus
cramponne

la
»
effroyable tumulte dont Convention eût retenti. (Vte Lanjuinais, Notice historique su?' la vie et les œuvres du comte Lanjuinais.)
il

le

la

le
Dans du avait voté contre mort et au 10 thermidor, fut
procès roi, Lanjuinais pour l'appel peuple; après
la
la

3
5,
élu au Conseil des Cents en 181 on lui décerna de Chambre des

7
Cinq par départements; présidence députés.
I 2 LA RÉVOLUTION

ment précaire qu'on n'en compte pas moins de vingt-six pendant les
dix mois antérieurs au 10 août 1792.
Nous avons esquissé le singulier pouvoir qui s'établit après le

10 août, ce conseil des ministres qu'on nomma conseil exécutif pro


visoire. Nous avons dit comment, pour donner quelque force à ce

gouvernement, la Législative y fait entrer l'un des meneurs de la


commune, Danton, celui même qui, avec Tallien et Robespierre, se

montrait le plus insolent à l'égard des législateurs. Les contempo


rains admirent l'enthousiasme avec lequel s'est faite cette nomination.
Ils parlent d'unanimité; et quand on va au fond on constate que
Danton a été nommé par deux cent vingt voix sur sept cent qua
rante-cinq députés. A Danton, ministre de la justice, on adjoint les

trois girondins Roland, Servan, Clavière, révoqués en juin précédent;


Monge pour la marine, Lebrun pour les affaires étrangères; Grou-
velle est secrétaire du conseil. C'est sous ce ministère qu'ont lieu les

massacres de septembre.
Dès le début de la Convention, les ministres n'agissent que sous
la surveillance incessante et sur les ordres des comités parlementaires.
Hébert dit que « les ministres ne sont que des galopins aux ordres

des balayeurs de la Convention ».

Après Roland et les girondins, viennent Garât, Pache, Bournon-


ville ; après ceux-ci, Bouchotte et Paré, avec leurs sous-secrétaires

d'État; le bas dramaturge Ronsin, le dénonciateur Sijas, le défroqué

Audouin. A chaque couche nouvelle de serviteurs qu'elle essaye et

qu'elle supprime, et à mesure qu'elle devient plus révolutionnaire,


la république descend un peu plus dans la sottise et l'incapacité.
L'administration suit la marche descendante des théories, des

mœurs. Elle n'est plus préoccupée que d'une seule chose : faire faire

des progrès à la Révolution. C'est tout le travail des ministres.


D'avril à juin q3, la Convention leur a donné dix-huit millions pour
a avancer l'œuvre de la Révolution », et Paré signale son génie

administratif en créant une classe d'espions qu'il nomme commis


saires du conseil exécutif provisoire. Moyennant cinq cents livres par
mois, ces tyranneaux quittent les bouges parisiens et vont parcourir
R EV0 L U ï J O N K R A N C A I S K

les départements « pour le maintien des principes révolutionnaires ».

Le 10 octobre 1793, lors de la proclamation du gouvernement


révolutionnaire, les ministères sont placés sous la surveillance immé

diate du Comité de salut public.

Mais, si esclaves et si ineptes qu'ils fussent, ces ministres trou-

L 'eXCLUSI F

D'après une estampe du temps, collection de M. le baron de Vinck d'Orp, à Bruxelles. — Cette estampe,
répandue principalement chez les modérés, personnifiait le jacobin septembriseur qui était, sous la Terreur,
considéré comme le seul vrai patriote, le patriote « exclusif». — On lit sur son chapeau : Liberté; sur un
bonnet phrygien qu'il porte en breloque : Egalité; sur la lame de son poignard : Fraternité ; sur le canon de
son pistoiet : ou la mort. De l'une de ses poches sort un certificat de civisme, et de l'autre un mandat d'arrêt.

blaient encore le jaloux despotisme de ce comité. Le 12 germinal


an II, les ministères sont supprimés et remplacés par des commis

sions administratives, c'est-à-dire par des bureaux travaillant sous

l'étroite direction des comités parlementaires.


Les comités parlementaires. — Le comité , gouvernement imper
sonnel et anonyme, administration irresponsable et sournoise, de
15
LA RKVOLL'TION

même essence que le conseil des Dix vénitien, ne cadrait pas aisé
ment avec l'instinct foncièrement monarchique et libre, très ouvert,
très frondeur de la nation française.
Aussi fut-il, à ses débuts, fort antipathique à l'opinion. L'enfant
terrible de la démocratie, Camille Desmoulins, en septembre r 79 1 ,

appelle les sept comités de la Constituante aies sept plaies d'Égypte».


Les plus célèbres de ces comités furent le comité ecclésiastique, qui
devint le concile secret et permanent de l'Église gallicane révolution-
tionnaire ; enfin le fameux comité des recherches. C'est le germe des

grands comités de la Terreur, et c'est une des plus tristes inventions


de la Constituante , car ce germe contient les deux produits odieux
,de la Révolution, non seulement la bête sanguinaire, mais la bête
salissante; créé pour recevoir les dénonciations, il inaugura le règne
de la délation.
Le r5 octobre 179c, la Législative organise ses comités. Elle en

établit vingt-trois, avec un nombre de membres variant suivant l'im


portance des attributions. Le 26 novembre 1791, le cordelier Bazire
demande et l'Assemblée décrète la création d'un comité de surveillance,
chargé de connaître des faits contraires au bon fonctionnement de la
constitution-, nouvelle édition du comité des recherches, embryon de

l'horrible Comité de surveillance et de sûreté générale dç l'an II.


La Convention, dès les premiers jours (2 octobre 1792), arrête la

création de vingt et un comités, dont l'organisation est complète


le 6 novembre suivant. Nous nous bornerons à dire quelques mots

des deux grands comités : salut public et sûreté générale.


Le Comité de surveillance et de sûreté générale avait été créé avec

trente membres (25 novembre 1792). Le mercredi 23 janvier 179% après


l'assassinat du roi, on le réduit à douze membres et six suppléants.

Le 22 mars, Isnard, Quinette, Bancal, demandent la création d'un

Comité de salut public. L'Assemblée, le 25, décrète l'organisation d'un


comité de défense générale et de salut public. Il y a vingt-cinq membres;
tous les partis y sont représentés, mais les girondins y ont la majo

rité. Dès le icr avril, Marat l'attaque. Robespierre déclare qu'il ne

veut plus faire partie d'un comité « où l'on professe des principes
EXTRAIT
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

DU PROCES VERBAL
DE LA CONVENTION NATIONALE,
Du zi"11. jourdu premier mois de l'an zT. de la
République françaife une & indivifible.

1 jk ConventionNationale le rapportdu comitédefalucpublie,Décnçtî,


»aprèsavoir er.ter.du
AaTICLB P » E M I B*

îl feranommépar la ConventionNationale du comité de faim public, une cotamifTouextraordinaire


, furb pr^entation
'compoféfde cinq membres & fansdélailesconrxe-révolucionnaires
. pourfaire punir militairement de Lyon.
f. ai, II.
Tous leshabiransde Lyon ferontdéfarmés.
Leurs armesferontdifrribuéesfur b champaux défenfeursd«la République.
deLyon, quiont été opprimés
Unepartieferaremifeauxpatriotes parles riches& lescontre-révolutionnaires.

Art. III.
La villedeLyon feradétruite, toutce quifut habitéparle richefeadémoli; il nerefrera
quelamaiforidupauvre,les*habitaiior.s
des
ou piofcnts, lesédifices
égarés
patriotes fpécialementemployésà l'uduftrie
& lesmonumens confacrôà l'humanité& à Tuirtruclion
publique,
Art, I V.
Le nom de Lyon fera effacedu tableaudesvillesde la Républiiue.
La réuniondesmaifons porteradéformais
confervees lenomde vill.affranchi*.
A R t. V,
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LA DESTRUCTION DE LYON
Fa:-similé de l'affiche ordonnant la destruction de Lyon; d'après l'exemplaire communiqué par M.
le

baro.ï de Vinck d'Orp, Bruxelles. — Semblable décret fut porté contre la ville de Toulon; 12,000 maçons
ù

furent réquisitionnés pour la démolir. — Bédouin (Vaucluse), un inconnu ayant, une nuit, coupé l'arbre
A

de la Liberté, Maignct écrit la Convention qu'il fait enchaîner prêtres, nobles, parents d'émigrés,
à

«
a

autorités constituées, qu'il investi le tribunal criminel du pouvoir révolutionnaire pour faire tomber de
a

suite la tête des plus coupables... qu'il ordonné que les flammes fissent disparaître jusqu'au nom de
a

Bédouin. La Convention nationale approuve


la

conduite du représentant du peuple Maignet. (Réimpres


»

sion du Moniteur, XX, p. 5o2.)


1 1() LA H V O L U T IO N

contraires à F égalité ». Isnard, le voyant impuissant à sauver ses

collègues de la Gironde, demande que Tort en crée un autre. Il revient

à la charge le 5, et, avec l'aide de Bréard et de Bazire (chaque parti


comprenait l'utilité de ne pas abandonner à l'ennemi la paternité d'un
tel pouvoir), il fait voter à la Convention la nomination d'une com

mission chargée de créer un comité secret « pour veiller au salut de

la patrie ». Le 0, on décide que l'on va diviser le précédent comité


en deux : le comité de défense générale et le comité de salut public.
Ainsi naît le grand Comité de salut public. Il doit compter neuf
membres, délibérer en secret (contrairement aux autres comités, dont

les délibérations sont publiques pour tous les conventionnels), et pré

sider à toutes les mesures de défense intérieure et extérieure.

La droite républicaine (elle gardait toujours ce nom, bien qu'au


début de la Convention elle se trouvât à la gauche du président), la

Gironde, comprend définitivement que la mère Révolution va la dévorer,


comme elle a dévoré ses fils aînés les libéraux et ses fils plus jeunes
les constitutionnels. Les sections de Paris deviennent menaçantes ; la

commune est insolente. Elle vient d'établir un comité insurrectionnel


évidemment dirigé contre la partie de la chambre qui ne subit pas
volontiers le despotisme des jacobins parisiens.

La Gironde fait un dernier effort. Le 18 mai, on crée le fameux

comité des dou^e , objet d'exécration pour la Commune. Il est substitué

à l'autorité des autres comités, il doit prendre connaissance de

tous les complots et examiner les arrêtés de la municipalité pari


sienne ; il invite tous les citoyens à exterminer et à dénoncer; il a

tous les pouvoirs. Les girondins y sont maîtres absolus. Mais, sur
l'ordre des insurgés parisiens, ce comité est détruit le 27 mai, rétabli
le 28, dans une suprême tentative qui amena, le 3i mai et le 2 juin,
la proscription de Vergniaud et de ses amis.

Jusqu'au 10 juillet, le comité de salut public fonctionne au hasard,

le nombre des membres s'augmente illégalement. Le 27 juillet, Robes


pierre y entre; le 14 août, Prieur (de la Côte-d'Or) et Carnot; le

(> septembre, Billaud, Collot. Il reste définitivement avec douze


membres. Le 28 juillet, on lui donne le pouvoir, jusque-là réservé
RKVOL UTION FRANÇAISE

au comité de sûreté générale, de décerner des mandats d'arrêt.


Le 4 décembre suivant, après l'organisation définitive du gouver
nement révolutionnaire, le comité de sûreté générale a la police de

LES MASSACRES DE LYON


Fac-similé d'une gravure de la collection do M. le baron de Viuck d'Orp, A Bruxelles. — On lit au bas
que, sur L'ordre de Collot d'Herbois, " si\ mille personnes périrent dans cette journée du 24 frimaire an II
1i.j. décembre 17ç>3), par le canon chargé à mitraille et par le fer, et furent jetées dans le Rhône ". 1 von
fut démoli en grauie partie et son nom changé en celui de Commune affranchie.

la republique ; tous les autres pouvoirs sont délégués au comité de


salut public. Tous les fonctionnaires, tous les corps constitués sont
mis sous ses ordres immédiats. H a particulièrement dans ses attribu-
LA RKVOLUTION

tiens la diplomatie, la guerre, la nomination de tous les agents du


gouvernement. Le 12 décembre (22 frimaire an II), la Convention
essaye d'échapper, par un biais, à la tyrannie qui s'appesantit sur
elle. Elle déclare que le comité doit rentrer dans la loi, d'après
laquelle les commissaires sont renouvelables chaque mois. Le lende
main, épouvantée de son audace, elle revient sur sa décision.
A partir de cette époque, la Convention n'existe plus, elle n'est
qu'un bureau d'enregistrement. La responsabilité de toutes les mesures

qui vont procurer la victoire aux armées françaises, comme de tous les

crimes de la Terreur, appartient directement au comité de salut public.


Le 12 germinal an II (ier avril 1794), sur le rapport de Carnot, le
conseil exécutif (les six ministères) est supprimé. Il est remplacé par
douze commissions, dont les membres sont nommés, le 20 août, par
la Convention , sur la présentation du Comité.

La plus importante de ces commissions est celle des administra


tions civiles , police et tribunaux , dont le titre indique les attributions
multiples, et qui devient la cheville ouvrière de la nouvelle organisation.
Ces commissions sont organisées comme les directions générales de

nos ministères actuels, avec des divisions et des bureaux.

La légende révolutionnaire s'est fort exercée sur les membres du

Comité de salut public et de son émule le Comité de sûreté géné

rale. On en a fait l'honneur de la France régénérée, les dii majores


de l'Olympe nouveau. Quels étaient- ils réellement? L'un des hommes
les plus dignes, les plus intelligents de cette époque, l'ambassadeur

des États-Unis en France, Governor Morris, les a dépeints en une

phrase : « Je me sentais souillé par les rapports que j'étais forcé

d'entretenir avec cette lie de l'humanité. »

Les représentants en mission. — Quels que fussent les fureurs et

l'effroi déchaînés jusque-là, l'organisation des comités parlementaires

ne procurait pas encore une administration assez rapide. Il fallait


faire voyager la Révolution, avec tout son appareil de despotisme,

jusqu'aux endroits les moins accessibles.


On puisa dans le trésor de contradictions où s'alimentait ce qu'on

appelait les principes révolutionnaires. Tandis que la commune, sous


PORTRAIT DE NT ROLAND
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,
Mme Roland avait été l'àme de Gironde, son orgueil, sa gloire, sa poésie (Louis

la
«

»
Blanc, Histoire de la Révolution, IX, p. 449). Les historiens l'ont célébrée l'envi. Ces

à
éloges sont-ils mérités? Lectrice de Candide et de Faublas, admiratrice passionnée de
«

Rousseau, elle écrit dans sa prison, et veille de monter l'échafaud, une page

la
a

à
d'une obscénité révoltante qui salirait même les Confessions de Jean-Jacques, et qui

a
effarouché jusqu'à Sainte-Beuve... (Edmond Birk, La Légende des Girondins, 47.)
»

p.

Plusieurs de ses lettres, récemment publiées, ont prouvé que cette vertu trop parfaite »,

«
comme l'appelle Michelet, avait trahi tous ses devoirs d'épouse en faveur du girondin
Buzot, coupable envers sa femme de même trahison (In., ibid., pp. 299
la

804)

.
«Au commencement Révolution, M,lie Roland demandait
la

de des têtes, surtout


deux têtes illustres », et souhaitait que l'Assemblée nationale leur lit leur procès en règle
«

ou que de généreux Décius se dévouassent pour les abattre ». (Taine, La Révolution, II,
p. 25 1.) Le septembre 1792, au plus fort des massacres, que son mari, alors ministre de
3

l'intérieur, n'a rien fait pour empêcher, qu'il même justifiés, elle faisait avec son esprit
a

accoutumé les honneurs d'un grand repas donné par Roland dans les salons du ministère.
»

Voy. Ed. Biré, loc. cit., pp. 120 Sa politique peut se résumer en deux mots l'envie
«
2
1
à

3.)

:
(

et haine... La suite de sa correspondance et toute sa conduite jusqu'au 10 août (pendant


la

plus de trois années) nous montrent aux mesures les plus extrêmes,
la

poussant toujours

applaudissant tous les excès, et, dans violence de son jacobinisme, dépassant Danton
la
à

lui-même! (Id., loc. cit., pp. 47 et 5o.)


»

Condamnée mort, son immense orgueil lui donne du sang-froid au pied de


«
à

l'échafaud, elle demande encore une plume et du papier pour écrire les singulières pensées
qui l'assaillent. (Em. de Saint-Albin, Histoire de la Révolution, III, p. 74. Après dix-huit
»

siècles de christianisme, c'est une païenne qui affronte mort


la

avec l'indifférence calculée


du stoïcisme antique.

La politique Roland qu'à suivie Gironde. Et maintenant


la

de Mmc est politique


la

qu'une légende se soit formée, qui changé les girondins en champions de justice, en
la
a

l'honneur, un véritable Biré,


héros de la liberté, en martyrs de c'est scandale! (Ed.


»

loc. cit., p. 447.)


R K V O L i; TIO N

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A
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Ç
I
était collection des électeurs, déclarait pouvoir

la
prétexte qu'elle se

souveraineté, prétendait exercer puissance;

la
la
générateur de et en

tandis commune parisienne, s'attribuant droit parler au


la

de

le
que
nom de toutes communes, partait pour décimer son


de

la
gré

à
Convention, celle-ci. prétendait aussi posséder l'omnipotence ce point

à
pouvait déléguer un comité, lequel l'un des
la

la
qu'elle à déléguait

à
conventionnels, qui, son tour, un individu

la
déléguait quelcon
à

à
que. Ce dernier se trouvait ainsi revêtu d'un pouvoir divin, absolu,
au-dessus de toute loi logique, humaine ou morale.
C'est toute l'histoire du proconsulat parlementaire de ce temps- là.
A fin de la Législative, après août, nous voyons
la

10
le

« repré

le
sentant mission prendre physionomie qu'il gardera désormais.
la

en
»

Le 26 28 août 1792, l'Assemblée, voulant aider


le

et une levée

à
de trente mille hommes, nommait douze commissaires, pris dans son
sein, pour presser cette levée dans Paris, puis
le

département de

dans les autres.

C'est auprès des armées que les conventionnels parurent surtout


utiles. «Les généraux se faisaient craindre par leurs victoires», dit
un contemporain. Le avril, Convention
la

10 décida qu'il aurait


y

toujours au moins trois de ses membres auprès de chacune des


république. furent parfois au nombre de dix-
la

armées de Ces armées

huit. On compte jusqu'à cent députés qui furent détachés ainsi avec
mission d'observer les généraux,
la

de suspendre tous les officiers


«

suspects, de fraterniser avec les soldats ». Ils servirent fidèlement


la

jalousie de la Convention. Pendant les derniers mois Terreur,


la

de

on guillotinait un général chaque décade; vois, rien qu'à l'armée


je

du Nord et pendant mois de brumaire, arrêter cinq généraux, sans


le

compter Custine et Houchard, et «une grande quantité d'officiers


muscadins ».

Dans l'ordre civil, on compte trois grandes fournées ou missions


générales.
En dehors de ces occasions solennelles, eut un grand nombre
il
y

de missions spéciales. Chaque fois qu'il s'agissait d'exciter de nou


velles fureurs, de fortifier quelque point menacé du gouvernement
1or.

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oajjsiuuaoD soj soiupm -sdlulid of spuoad m? pai?si?q sanoîsnjd sop

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t o[ oSijSpa
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iiiuud soj sjoiiuoad \\ uotu jso liront? inb ou ossmd aojnod?
sonbpnb sjoqmoj ni? aorssop op 'spaao^
RÉVOLUTION FRANÇAISE I2I

Voici Laignclot et Lcquinio. Ils n'ont pas un méchant nom,


n'étaient pas naturellement de méchantes gens. Le premier avait fait

Agis, le second l'École des laboureurs, une mauvaise tragédie et une

homélie ennuyeuse; ce n'étaient pas, sans doute, des crimes suffisants

pour devenir des révolutionnaires farouches. On les envoie à Rochefort.


Ils ont bientôt nommé tous les membres du tribunal révolutionnaire,

l'égalité
Gravure du temps communiquée par M. le baron de Vinck d'Orp. à Bruxelles. — Suivant un arrêt
de la commune de Paris du 17 août 1793, les porteurs de charbon et les chevaliers de Saint-Louis « sont
tenus de déposer au secrétariat de la municipalité le signe distinct if qu'ils tiennent de l'ancien régime; il
leur en sera donné un récépissé, et, pour faire un rapprochement digne de l'Egalité, le même registre qrî
sert à inscrire les dépôts des croix de Saint-Louis, recevra aussi les dépôts des médailles des charbon
niers » . — Le 24 novembre suivant, le conseil général de la même commune prend un arrêté invitant le
département « a faire abattre les clochers, qui, par leur domination sur les autres édifices, semblent
contrarier les principes de l'Égalité ". (Réimpression du Moniteur, XVIII, p. 409.)

excepté le guillotineur. Ils veulent fournir aux patriotes « la gloire de


se montrer librement les vengeurs de la République ». Ils demandent
à la Société populaire quel est le membre qui veut être bourreau pour
l'amour de la république. Ance se présente «c avec un noble enthou
siasme » ; on le nomme bourreau, et le rimeur Laignelot et le labou
reur Lequinio l'engagent à dîner. Mais ces deux hommes de lettres
10
J 22

trouvèrent qu'on n'avait pas assez ambitionné le bonheur de couper


des têtes pour la patrie, et, de ce chef, nos bonnes gens devin

rent féroces. On donna beaucoup d'ouvrage au noble Ance, et c'est ce

que Laignelot et Lequinio appelaient « montrer au peuple le flambeau

de la raison avec douceur et fraternité :>.

Dartigoyte avait inventé ceci : il faisait attacher les aristocrates

prisonniers devant des auges, par des licols, comme des bêtes; on

leur jetait là les plus répugnants aliments et ils y restaient jusqu'à ce

qu'ils eussent tout mangé. Pendant ce temps, il faisait réquisitionner


les femmes, les mères, les filles des prisonniers ; on les conduisait au

spectacle où il paraissait « vêtu de manière à révolter la pudeur » ; et

il écrivait à la Convention que « la liberté triomphait » et que « la

raison faisait du progrès ».

Un de ses collègues, Pinet aîné, fit guillotiner trois militaires dont


l'unique crime, à ce qu'assure Bourdon, de l'Oise, peu suspect de

modérantisme, avait été de « monter dans la loge de sa femme ». Un


autre, Borie-Cambez, rien que dans la petite ville d'Alais et dans une

seule matinée, avait fait incarcérer trois cents personnes ; c'est la

commune d'Alais qui le constatait en l'an III, et l'on ajoutait qu'il


dansait agréablement la farandole, en costume de représentant, autour
de la guillotine.

Forestier, de l'Allier, Bernard, de Saintes (Pioche Bernard, c'est le


nom de baptême républicain qu'il choisit), ne sont pas non plus d'il

lustres terroristes. N'est-ce pas le premier qui disait : « Rien de plus


beau qu'un tribunal révolutionnaire, que cette foule d'accusés qui y
passent avec une rapidité incroyable , que ces jurés qui font feu de

file! » — (( Vous avez besoin de blé, disait-il encore, les fermiers


et les propriétaires ne paraissent pas contents que vous le leur preniez,
mettez-les sur l'échafaud. Avons- nous besoin de logements, nous
autres représentants , nous prenons les hôtels des détenus. » C'était
l'avis du digne Pioche : « Mon coup d'essai à Dijon a été de prendre
gîte chez le président Micault, et j'ai eu assez bon nez, car, outre que
la cave est meublée de fort bon vin, il s'est trouvé quelques petites
armoires... » Il faudrait des volumes pour exposer les crimes et
R EVQ L U I I O N F RA N CA IS E

les vilenies des moins vils et des moins criminels de ces apôtres des

idées nouvelles.

Ils ne dissimulaient pas, en effet, que c'était un apostolat qu'ils


entendaient exercer par le pillage, la débauche et la férocité. Carrier
assurait, avec toutes les apparences de la conviction, qu'il propageait
la philosophie ! Ils avaient tous des mots charmants pour expliquer la
guillotine. Dartigoyte disait qu'il tamisait la France; un autre dira
sans-culottiser la France, ou bien employer du purgatif révolution
naire. L'huissier Hentz, en pillant les « riches égoïstes » , dira qu'il
nationalise les superjluités liberticides , et il ajoutera avec componction
que « la richesse conduit rarement à la vertu ».

Laplanche se met à la tête des « colonnes infernales » en Vendée ;

il s'agit de changer en désert quatre cents lieues carrées de la terre

française. Il crée des comités de bienfaisance pour mieux l'aider à

exterminer les malades dans les hôpitaux. Quand il expliquera sa

conduite, il dira naïvement qu'il a voulu forcer le peuple français à

sourire aux doux charmes de la liberté.


Albitte, dans l'Ain, prend les filles et les garçons des détenus et

des guillotinés, afin de leur faire donner une éducation conforme aux
principes , par des instituteurs choisis sur les indications des clubs.
Nous voyons aujourd'hui encore que les successeurs d'Albitte, à

mesure que les évolutions successives de la Révolution les amènent


au pouvoir, n'ont pas perdu le désir de confisquer les enfants de la
France pour les élever conformément aux principes.
a Nous nous attachons, écrit de Bordeaux Tallien, à faire tomber
la tète des meneurs et à saigner la bourse des riches égoïstes... Nous
ne sommes pas encore aussi avancés en philosophie qu'à Paris, pour
tant on nous apporte l'argenterie des églises. Avant-hier, tous les

sujets du Grand-Théâtre ont été mis, au nombre de quatre-vingt-six,

en arrestation. Nous avons fait cerner la salle du théâtre, où il y


avait deux mille personnes, et nous avons fait incarcérer tous ces

suspects. Cette nuit, plus de deux cents gros négociants ont été

arrêtés; la commission militaire va en faire justice; la guillotine et de

fortes amendes vont opérer le scrutin épuratoire du commerce. L'em


i-H LA RÉVOLUTION

prunt forcé va son train. Bordeaux fournira plus de cent millions. La


commission militaire fait tomber les têtes; décadi prochain, nous
célébrerons le triomphe de la philosophie. »

Voilà le prospectus commun, le vade-mecum des représentants en


mission. Il semblerait que ce doive être un programme suffisant pour
satisfaire les appétits ordinaires de la Révolution. Non pas pourtant ;

Tallien fut rappelé comme modérantiste.

§ 2. — l'administration départementale.

L'organisation générale. — Le 11 novembre 1789, la Constituante


décréta que la France serait divisée en départements, dont le nombre
varierait de soixante-quinze à quatre-vingt-cinq.
Le 12 novembre, elle coupa le département en districts, et le

district en autant de municipalités qu'il y avait de villes, bourgs ou


communautés champêtres.
Le 14 décembre 1789, l'Assemblée termina le projet, en soixante
articles, constituant l'organisation des municipalités. Cette organisation
dura jusqu'à ce que, à la fin de 1793, le gouvernement révolution
naire y apportât les changements que nous signalerons.
Elle est peu connue. Elle amena ou facilita la plupart des incidents
qui rendirent la Révolution chaque jour plus exigeante et plus folle.
Mais elle est facile à comprendre.
Eliminons d'abord le canton, qui n'est, dans le principe, qu'un
rouage latéral, une division purement électorale, et qui servit (16 avril

T790) à asseoir la juridiction de chacun des juges de paix. Nous


avons donc un pouvoir central, le département; un pouvoir intermé
diaire, le district (qui répond à peu près à un arrondissement d'au
jourd'hui)-, et la municipalité, qui se trouve à la base. La municipalité
est ainsi la principale puissance de la nation. C'est par elle que la
constitution de 1793 commence son chapitre sur l'administration. Celle
de 1791, plus préoccupée encore de la vieille division en provinces,
part, non pas de la commune, mais du département.
Le département a les attributions d'un pouvoir central. 11 a toute
LE
MATIN DU 10 THERMIDOR AN II (1794)

d'après le tableau de m. mélingue et la gravure communiquée par mm. goupil et cic

^DIX-NEUVIÈME SIECLE

à
Dans une salle attenante la Convention, Robespierre, qui s'est fracture' la mâchoire d'un de est étendu
coup pistolet,

il
sur une
la

le

les bas sur les talons est encore revêtu

;
table, sanglant, défait, de l'habit bleu clair qu'il portait de
jour

il
fête de l'Être ne aux et aux

;
suprême répond rien injures outrages. Auprès de lui sont assis, dans une attitude farouche,
Henriot et tous trois ceints d'une immense tricolore les soldats les
;

Saint-Just, Robespierre jeune, écharpe qui gardent ont

leurs chapeaux ornés de cocardes aux trois couleurs.


RÉVOLUTION FRANÇAISE J 23

l'administration, la police de sûreté, l'emploi de la force publique, la

juridiction et la perception de l'impôt, tout ce qui concerne les

pauvres, les hôpitaux, les routes,, les canaux, l'agriculture, l'industrie,


l'éducation, les prisons, etc. Sans doute, la loi réserve la part de
l'administration générale pour celles de ces attributions qui pourraient
intéresser l'ensemble du pays; mais comme rien n'est clairement
défini là-dessus et que toute loi part d'un principe d'hostilité au

pouvoir royal, les départements deviennent de véritables principautés


qui tendent plus à se fédéraliser entre elles qu'à obéir au gouvernement
central.

Le district, pour ce qui regarde sa circonscription, prépare ou


exécute le travail du département. Il distribue entre les communes
l'impôt réparti par le département entre les districts.

La municipalité, outre les attributions que la Révolution lui


octroya plus tard, de gré ou de force, et que nous indiquerons,
défendait cette série d'intérêts que chacun connaît et qui concernent
les routes, impôts, bâtiments, propriétés de la commune, etc.
Les administrateurs communaux étaient nommés par les électeurs
primaires ou du premier degré; les administrateurs du district ou du
département par les électeurs du second degré, soit du district, soit
de tout le département, selon qu'il s'agissait de l'un ou de l'autre.
Ces administrateurs sont au nombre de trente-six pour le dépar
tement, de douze pour le district. Ils se divisent en deux parties qui
représentent à peu près le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.
Les trente-six membres nommés pour l'administration départe
mentale choisissent parmi eux huit membres qu'on nomme directoire
du département , et qui règlent les affaires à peu près comme le ferait
un préfet actuel. Les vingt-huit autres se nomment conseil du dépar
tement ; ils se réunissent, chaque année, pour arrêter le travail et le

budget de l'année qui vient, et contrôler l'administration de leurs


collègues du directoire. Il y a, chargé des détails de r exécution, un

personnage nommé aussi par les électeurs, un procureur général


syndic, qui a voix consultative et qui doit connaître de tous les rapports.
Appliquons les mêmes règles aux districts. Notons seulement que
LA RK VOL UT ION

le directoire du district se compose de quatre membres et que le pro


cureur général syndic devient simplement procureur syndic. A la

municipalité, il sera simplement procureur de la commune.

Dans l'organisation de la municipalité, il faut distinguer le corps


municipal du conseil général de la commune, et diviser le corps
municipal en deux parties : le bureau et le conseil municipal. Le
nombre des conseillers, ou plutôt des officiers municipaux, variait
selon la population. Il était de trois pour les communes de moins
de cinq cents âmes, de six jusqu'à trois mille, de neuf jusqu'à
dix mille, etc. On comprenait toujours le maire dans ce nombre.
Outre ces officiers, on élisait un nombre double de personnages
que l'on nommait notables. Comment ces trois divisions fonction
naient-elles ? Le bureau y qui se composait toujours du tiers du nombre
des officiers municipaux (le maire le composait seul quand il n'y en

avait que trois), était chargé de tout ce qui constitue simple régie. Le
conseil s'assemblait pour les affaires plus importantes. Enfin, les
causes plus graves étaient soumises au conseil général de la com

mune , qui se composait des officiers municipaux et des notables

réunis.
On rencontra, quand on mit en mouvement le nouvel appareil, le

défaut caractéristique de toutes les œuvres révolutionnaires : l'indisci


pline considérée comme le plus saint des devoirs. La rivalité et la

jalousie, recommandées aux pouvoirs subordonnés, pour éviter les

chances de tyrannie, amenaient nécessairement l'anarchie. Comme, en

outre, tout était hàtif, mal défini, institué par des rêveurs, des ambi
tieux ou des libertins, les limites de chaque action étaient mal précisées.

Le 27 juillet 1792, un décret ordonne la publicité des séances de


tous les corps administratifs. Ce décret les fait esclaves de la populace,
qui dirige ainsi une part importante de l'administration.
Ils n'en ont pas moins, en 1793, les pouvoirs ((énormes»,
comme dit le ministre Garât, de mettre en mouvement la force armée
et de décerner des mandats d'arrêt; non pas tous pourtant, car on a

retiré ce dernier droit aux petites communes qu'on suppose disposées


à la modération. Mais, outre les quatre-vingt-quatre départements et
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128 LA RÉVOLUTI ON

les cinq cent cinquante districts, il reste quatre mille communes qui
le possèdent; il est vrai que, si elles peuvent arrêter, elles ne peuvent
mettre en liberté.

Elles ont surtout la mission d'accorder ou de refuser les certificats


de civisme. Or ce certificat est nécessaire non seulement pour l'exer
cice de tous les droits civiques, de tous les droits civils, mais il peut
être requis de tout passant, à chaque heure; et ne pas l'avoir c'était
être suspect et emprisonné. A partir du 29 juin 1793, les municipalités

peuvent le refuser sans déclarer les motifs de leur refus.

Mais à. mesure que leur pouvoir croît pour vexer les faibles, il
diminue en face des forts, c'est la loi révolutionnaire. Les com
munes, après avoir obéi servilement au peuple des tribunes, devien
nent les humbles esclaves des comités de gouvernement et des repré

sentants en mission. Le 4 brumaire, leurs élections sont suspendues,


sauf l'autorisation du représentant, qui les épure ou les renouvelle à

son gré.
;
Sections et comités. — Les communes des grandes villes se divi
saient en sections, très puissantes, jalouses de la municipalité, dont

elles exerçaient les pouvoirs légaux. Ainsi, c'est elles qui faisaient
marcher la milice et l'artillerie de la circonscription, qui donnaient
le mandat d'arrêt, le certificat de civisme (toutefois à viser par la
commune), etc.
Les sections de certaines villes comme Lyon, Marseille, sont aussi
connues de l'histoire que les sections de Paris. Elles ont, comme les

communes ordinaires, leurs assemblées générales, d'abord intermittentes,


puis journalières, enfin, le 5 septembre 1793, bi-hebdomadaires, du

jeudi et du dimanche, du quintidi et du décadi quand le nouvel


almanach sera en honneur. On y lisait les Bulletins de la république,
les arrêtés de toute sorte; on y pérorait sur toutes les affaires générales
et communales; on y dénonçait, on y discutait les demandes de certi

ficats; on y lisait le Père Bnchesne. Dès le 5 septembre aussi, les

citoyens peu fortunés ont droit à quarante sous pour assister aux
assemblées générales. Ils venaient en effet, se faisaient inscrire, allaient
boire et revenaient toucher leurs deux livres, en bénissant la liberté.
RÉVOLUTION F RA N ÇA I S E

Pour les besoins de l'administration, il y avait divers comités :

parfois le comité militaire, souvent le comité de bienfaisance, et le

comité de correspondance; mais toujours le comité civil, qui est le

vrai bureau municipal de la section , et dont les membres touchent

trois livres par jour.


Au-dessus de tout, se trouve le comité révolutionnaire ou de

surveillance. C'est là l'œuvre propre et chère à la Révolution. Le


12 mars 1793, nous voyons ces comités installés dans les sections

parisiennes. Le 21, Jean de Bry fait décréter qu'il y en aura un dans

chaque commune et section, pour surveiller les étrangers. Mais leurs


fonctions s'étendent; au fond, c'est la municipalité qu'ils vont sur
veiller, menacer, terroriser, mettre au pas de la Révolution. Le
5 septembre, on leur reconnaît le droit de désarmer et d'arrêter les

suspects sans l'intervention d'aucune autorité. Le 20, on décrète que


nul certificat de civisme ne sera valable s'il n'a été visé par eux. Le
2 octobre, on les épure; après quoi, Ton augmente encore leurs

pouvoirs : ils peuvent arrêter les magistrats de leur circonscription, les

suspects, même hors de leur territoire. Il y a bien quelques conflits


entre les municipalités et eux, parce que, disent les espions du

Comité de salut public, « les limites des deux autorités ne sont pas

bien placées)). En effet, la loi du 14 frimaire les charge tous deux de

prendre les mêmes mesures de sûreté générale. Mais la faveur est

pour les comités révolutionnaires. C'est à leurs membres seuls que,


dans les assemblées, on devrait accorder la parole, et bien des prési

dents de section furent dénoncés et arrêtés pour avoir « indistinc


tement )) donné la parole à tous les citoyens. Enfin ces comités furent
la cheville ouvrière de la Terreur. Après le 9 thermidor, la Convention
n'eut rien de plus pressé que de les transformer (3 fructidor, 7 fruc
tidor, etc.).
L'organisation purement révolutionnaire. — Le i5 mai 1793,
Saint-Just, parlant au nom de la Montagne, laquelle craint que les
administrations départementales n'obéissent pas assez docilement au
mot d'ordre venu de la commune parisienne, demande la destruction

de ces administrations; il propose de conserver seulement des arron-


*7
LA RÉVOLUTION

dissements et des communes, trois arrondissements pour un départe


ment, divisés en communes de six cents habitants chacune. Le projet
est ajourné. Le 21, les montagnards reviennent à la charge. Ils
trouvent que des communes de six cents habitants peuvent offrir
encore trop de résistance, et demandent qu'on supprime les districts.
La Convention garde provisoirement départements et districts, et elle

inaugure la division du district en cantons.


Quand la Montagne fut au pouvoir, elle n'oublia pas ses théories
et elle détruisit cette ombre qui inquiétait sa tyrannie. La loi du

14 frimaire an II annule les départements : ils n'ont plus désormais à

s'occuper que des routes, canaux, contributions, manufactures; tous


les pouvoirs qui touchent à la politique ou à la police leur sont
enlevés; ils passent, quant à la surveillance, au district, qui doit
chaque décade donner directement le résumé de ses travaux ou de ses
vues aux comités de salut public ou de sûreté générale, et quant à

l'application, aux municipalités et aux comités révolutionnaires, qui à

leur tour, chaque décade, devront rendre leur compte aux districts.
A Paris, par exception, les comités révolutionnaires correspondront
directement avec le comité de sûreté générale, et les pouvoirs du
district passeront au département. Il n'y a plus de procureurs, mais
des agents nationaux, chargés de surveiller et de dénoncer, chaque
décade également, les administrations auprès desquelles ils sont
installés.

C'est là le dernier mot de la conception administrative de la Révo


lution. Le Comité de salut public n'a plus à redouter que des résistances

communales, paralysées par la terreur, par la délation qu'elles exercent


et subissent.

En somme, la Révolution a divisé la France en quarante-quatre


mille parcelles, afin de mieux assurer la liberté, disait-elle, mais, en

fait, afin que chacune de ces faibles parcelles se trouvât seule pour
lutter contre la tyrannie centrale. C'est encore le but qu'elle poursuit
aujourd'hui.
RÉVOLUTION FRANÇAISE i 31

S 3. — LA COMMUNE MODELE.

La municipalité de Paris. — La première municipalité parisienne


se forma spontanément. Elle développa et exploita, sous prétexte de la
guider, l'émeute du 12 juillet 1789.
Elle se composa surtout des électeurs choisis par les soixante dis

tricts entre lesquels la bonne ville de Paris avait été divisée pour la
nomination des députés aux États généraux. Chacun de ces districts
avait pris le nom de la principale église du quartier.

Quand on régularisa cette commune improvisée, chaque district


désigna cinq membres, dont soixante formant le conseil exécutif et

deux cent quarante X assemblée des représentants de la commune. On


les nomma les Trois Cents.
Us administrèrent jusqu'à ce que la Constituante eût voté (novembre

1789) les principaux articles de la nouvelle loi administrative. Cette


commune reste célèbre dans l'histoire par son comité des recherches.
Il se composait de six membres. Nous donnons les noms de ces pre
miers officiers de l'inquisition révolutionnaire : Agier , Oudart , Perron,
Lacretelle aîné, Garan de Coulon, Brissot.
En novembre, une nouvelle municipalité est installée. Elle compte
soixante administrateurs divisés en huit départements. Il y avait, en
outre (et en plus du comité des recherches qui persistait), un tribunal
de police, un tribunal municipal (contentieux) et un bureau de ville,
chargé de mettre l'harmonie entre les divers services. Ces huit divi
sions sont : subsistances, police, établissements publics, travaux publics,
hôpitaux, domaines de la ville, impositions, garde nationale. Il y a,
de plus, quatre cent quatre-vingts notables, parmi lesquels on choisit
les huit du tribunal de police. Bailly est maire; La Martinière,
procureur; du Port du Tertre et Mitoufflet, substituts.
Le département de Paris avait un territoire pris dans un rayon de
trois lieues tout autour de Notre-Dame. Notons la nomination de ses
trente-sixadministrateurs (février 1791), avec La Rochefoucauld pour
président; Pastoret, procureur général syndic; Blondel, secrétaire.
] 02

La loi du 22 juin 1790 proclama définitivement les règles consti


tutives de la municipalité parisienne. Paris, divisé en quarante-huit
sections, nomme d'abord le maire, le procureur syndic et ses deux

adjoints (la commune de Paris a les attributions d'un district, c'est


pourquoi elle a un procureur syndic; ce sont les sections qui repré-

PORTRAIT DE SIMON
Cordonnier à Paris, officier municipal; dessiné d'après nature, par Gabriel. — Chargé par la Commune
de la garde de Louis XVII, moyennant 5oo francs par mois, Simon ne lui épargna aucun mauvais traite
ment. Il l'enivrait de vin et d'eau-de-vie, l'obligeait à chanter la Carmagnole et des chansons obscènes; il
l'employait, comme son valet, pour les plus bas services; il l'éveillait la nuit : « Capet! Capet! viens que je
te touche! » et, quand l'enfant était à sa portée, d'un coup de pied il l'envoyait rouler à terre en disant :
« Va te coucher, louveteau! » Simon eut le sort de Robespierre, son ami, et fut guillotiné avec lui le
I j thermidor.

sentent les communes ordinaires). Les quarante-huit sections élisent

ensuite chacune trois membres , dont l'un est officier municipal et les
deux autres notables, pour former le conseil général de la commune.

II y a toutefois cette clause, que le choix de chaque section doit être

ratifié par la majorité des autres ; et nous voyons que Danton ,

nommé par la section du Théâtre-Français (Cordeliers), fut exclu par

toutes les autres, sauf deux.


Mais à peine le provisoire municipal est-il remplacé par le défi
RÉVOLUTION FRANÇAISE 1 33

nitif, que tout se détraque. Le sage Bailly est devenu Coco; l'illustre
La Fayette c'est, pour le peuple, le traître Moitié, et, pour les

savants, Gilles César; les gardes nationaux, ce sont «de beaux plats
bleus qui sont neufs, qui ne vont pas au feu »; et cette municipalité,
— c'est toujours même spectacle, — si puissante contre l'autorité
centrale, n'ose pas faire arrêter les patriotes filous qui tirent sur les
agents de la police, ni emprisonner les fraudeurs et les voleurs qui
invoquent la liberté. Le peuple souverain se fatigue de l'exercice de
sa souveraineté : Petion, le dieu Petion, sera nommé par six mille
voix maire de Paris; il y a quatre-vingt mille électeurs.

LOUIS XVÏI, ENFANT


D'après un portrait exécuté au physionotrace. Collection de M. le baron de Vinck d'Orp, à Bruxelles. —
Emprisonné au Temple, avec sa famille, le royal enfant fut, par ordre de la Commune, arraché à sa mère,
le 3 juillet iyQ3, et livré au cordonnier Simon. Six mois après, la Commune, par économie, supprima le
« précepteur » et fit murer l'enfant dans un cachot obscur n'ayant qu'un étroit guichet pour le passage de
la nourriture. Louis XVII mourut des suites des mauvais traitements qu'il avait subis, le 8 juin i/i)5.

capet, éveille-toi!
Hier je m'endormisau fond d'une tour sombre.
On entenditdes voix qui disaientdansla nue : Où donc ai-je régné? Seigneur,dites-le moi.
« Jeune ange, Dieu sourit à ta gloire ingénue; Hélas! mon pèreest mort d'unemort bien amère;
Viens, rentredans sesbras pour ne plus en sortir; Ses bourreaux,ô mon Dieu, m'ont abreuvéde lîel ;
Et vous, qui du Très-Haut racontezles louanges, Je suis un orphelin, je viens chercherma mère,
Séraphins,prophètes,archanges, Qu'en nies rêvesj'ai vue au ciel. »
Courbez-vous,c'estun Roi; chantez,c'est un Martyr!

— Où donc ai-je régné?demandaitla jeune ombre.


Je suisun prisonnier,je ne suis point un roi. (Victor Hugo, Odeset Ballades,livre I, ode v. )

On connaît les hauts faits de la commune insurrectionnelle du


io août et de ses comités de surveillance et de salut public. Un des
bons républicains du temps en disait : « De tels amis de la liberté
épouvantent autant que les tyrans. » C'est à partir de là pourtant que
LA RÉVOLUTION

la commune et les sections parisiennes deviennent vraiment redou


tables. Elles gouvernent réellement la république jusqu'à l'établissement
du gouvernement révolutionnaire.

Cette commune insurrectionnelle, le véritable vainqueur de la

monarchie, se distingue des autres collections de l'espèce par une

nuance. Comme toutes les communes insurgées, elle est formée de

hasard, par qui veut y entrer, pourvu qu'il soit violent, dégradé, et

qu'il plaise à l'un des ambitieux exploitant le mouvement; mais à la

somme ordinaire des assassins, elle joignait un nombre plus grand de

voleurs. Elle fit l'indignée ou l'étonnée quand on en vint à parler


des masses énormes d'argent et de bijoux que le pillage lui fît passer
par les mains. Huguenin, son président, ne put jamais rendre les
comptes, et Sergent, son principal meneur, les rendit mal. Je parle
des deux plus illustres. Huguenin se sauva et Sergent, à qui ses

opérations en septembre 92 avaient valu d'être élu député, assura

que s'il avait gardé des bijoux c'était avec l'intention de les payer, si

on lui en demandait jamais un prix convenable. On le surnomma

Sergent-Agathe. Il n'en fut rien de plus. Il devint un des chefs de

la Montagne.

On ne trouvait pas aisément de maire qui voulût être le complice

et l'esclave de cette ignoble troupe. Petion, étonné que les Parisiens

n'aient pas songé à en faire le roi ou le régent de France, ne veut

plus être leur maire. On songe à Àntonelle, à Hérault de Séchelles.


Lefèvre d'Ormcsson est nommé ; cette fois il y a eu quatorze mille
votants. Ormesson refuse. Enfin, le 3o novembre (on est retombé à

dix mille votants), on nomme Chambon. La coalition des honnêtes

gens indignés par les massacres, soutenue par la majorité de la Con

vention, l'a emporté; elle est, pour un instant, maîtresse du terrain,

et elle, met au pouvoir... un trembleur.

Quelques jours auparavant, le 24, on avait constaté qu'il ne res


tait plus que douze membres en exercice de toute la municipalité

parisienne. On décrète qu'on va en renommer cent trente-deux autres

(pour revenir au nombre normal, quarante-huit officiers municipaux,


quatre-vingt-seize notables).
RÉVOLUTION FRANÇAISE i 35

Le i5 février 1793, le triste Chambon disparaît. Il est remplacé


par le Suisse Pache, qui vient d'être chassé du ministère de Tinté-
rieur. Chaumette est procureur-syndic; Hébert, substitut du procu
reur; Santerre, commandant général de la garde nationale.
La Commune est enfin bien représentée. Elle ne craint plus de
montrer le fond de ses théories politiques. Les sections se présentent

à la Convention; elles viennent lui poser leur ultimatum : résiliation


de tous les baux; contribution sur les riches, sur ces bases qu'aux

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Fac-similé des signatures de Louis XVII et du cordonnier Simon. Archives nationales. — Ces signatures se
trouvent au bas d'une déposition arrachée au Dauphin contre la reine sa mère.

possesseurs de plus de deux mille francs de rentes on prendra la


moitié de leurs revenus; sinon, insurrection.
Nous n'oublions pas que l'insurrection est non seulement un
devoir et un droit, mais un moyen de gouverner. C'est la loi mar
tiale à l'usage de la populace. La commune emploie le mot insurrec
tion comme le pouvoir central emploie le mot révolution. De même

que les représentants de celui-ci proclament que la Révolution est au-


dessus de l'humanité normale, les représentants de celle-là annoncent
que l'insurrection est au-dessus de la loi ordinaire. La commune du

g thermidor eut un mot pour définir la chose : «


Quand le tocsin
sonne, la Convention n'est plus rien »; et, comme l'expliqua un des
législateurs d'alors : « Dépositaire immédiat de la souveraineté popu
laire, la municipalité insurgée ne connaît plus légalement d'autre
autorité que la sienne. »
i 36 LA RÉVOLUTION

Les faits ne tardèrent pas à suivre la menace. Le 2 avril, Barère


dénonce à la Convention la formation d'un comité central parisien de

salut public. La commune prétend naturellement qu'on la calomnie.


Mais Barère était bien renseigné. Le mouvement insurrectionnel se

développe. Les administrateurs de police, dès le commencement de

mai, convoquent les délégués des comités révolutionnaires des sec

tions pour « dresser une liste des suspects et les faire arrêter ». C'est
ainsi qu'avaient commencé les massacres de septembre.
Les girondins, irrités de la mollesse ou plutôt de la duplicité
du ministre Garât, et apprenant par une nouvelle révélation de Barère
que vingt-deux conventionnels sont notés pour la proscription , nomment
alors ce comité des dou\e dont nous avons parlé. Fureur des hommes

de la commune; ils jurent de plus en plus qu'on les calomnie, et...


ils chargent un comité des neuf de continuer à tout préparer pour
la prochaine insurrection.

Ils ne cessent de crier à la calomnie que quand ils sont les

maîtres, au 3r mai. La commune prend ouvertement le nom de

conseil général révolutionnaire.


Arrivée au comble de la gloire par la proclamation du culte de la

Raison (qui était, avec la suppression des riches et des loyers, un des
desiderata municipaux), elle reçut une première blessure par la défaite
de Chaumette et d'Hébert. Le 21 floréal an II, Fleuriot-Lescot rem

place Pache; c'est lui qui va conduire la bataille du 9 thermidor,


avec Payan, l'agent national, et Hanriot, commandant général.
Ils voulurent copier le plan qui avait si merveilleusement réussi
au 3i mai. Le conseil général s'assemble; il fait sonner le tocsin à

l'Hôtel de ville, signal officiel de l'insurrection; il fait fermer les

barrières, appelle toutes les troupes sectionnaires sur la place de

Grève, prend le nom de commune révolutionnaire, nomme un comité

d'exécution. Mais le mouvement, qui devait presque infailliblement


réussir, échoua par l'irrésolution poltronne de Robespierre, par l'inep
tie d'Hanriot et l'inénarrable sottise de la plupart des chefs; les épu

rations successives et défiantes de la Révolution n'avaient guère laissé

à la tête des démocrates que des lâches ou des imbéciles.


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i 38 LA RÉVOLUTION

Quêtait donc cette municipalité, ou plutôt, qu'étaient les sections


qui l'avaient créée? Un républicain, un ardent démocrate, raconte l'his
toire de celle même qui gouvernait le quartier le plus riche de Paris,
la section du Bonnet-Rouge (Croix-Rouge). Il nous donne le portrait
des membres du comité révolutionnaire, pouvoir directeur de la
section: «Daire, marchand chandelier, hypocrite, faisant métier de la
petite loterie; Poincelot, peintre héraldique , faux, hypocrite, recevant
de toutes mains; Laloue, peintre en miniature, souteneur de biribi;
Laquerrière, peintre en équipages, usurier et prêteur sur gages;
Seguin, commissionnaire au coin des bornes, garçon vidangeur,
recevant de tous côtés et demandant à tout le monde; Tosy, ancien
domestique de la ci-devant duchesse de Fleury, Autrichien (c'est lui
qui dit qu'un bon républicain ne connaissait ni justice ni humanité);
Vernet, cocher de ci-devant Monsieur, féroce surtout envers ceux qui
l'avaient secouru quand il était cocher; Rein, vendeur de billets de

loterie, condamné pour avoir fait des faux et pour avoir volé en

levant les scellés; Luthun, commissionnaire au coin de la rue, ci-


devant garçon maçon, chassé de ses places comme voleur, ivrogne,
débauché; Piccini, Italien, musicien; Renaud, savetier, féroce, mais
prêt à tout pour de l'argent; Thaer, marchand de vinaigre, enrichi à

la loterie, faisant le mal par faiblesse; Ledru , salpêtrier, faisant tout


ce que voulaient ses collègues, pourvu que ce soit des cruautés;
Pigeot de Villiers, notaire chassé de son corps comme banqueroutier
et voleur; Lebrun, le meneur de la section, ancien gendarme chassé,

ivrogne , insolent, lâche, se cachant pendant le danger, recevant tous


les soufflets, le plus terrible terroriste; Parault, Suisse, ex-portier de

la citoyenne Narbonne-Pelet , ivrogne; Bâillon, cocher d'un officier


suisse. »

C'est cette collection d'étrangers, de vidangeurs, de commission


naires, de filous, de domestiques, aussi lâches que cruels, bons à

acheter ou à souffleter, que la Révolution avait rassemblés comme ses

plus dévoués enfants, pour en faire la nouvelle classe dirigeante de la

France. En réalité, comme en légalité, la vie et la fortune de tous

les Français étaient à leur libre disposition.


l'âge d'or ou l'ancienne monarchie
D'après une estampe de la fin du dix-huitième siècle. Collection de M. le baron de Vinck
d'Orp, k
Bruxelles. — Dans les uirs, Jupiter ayant auprès de lui son aigle, retient ses foudres et
contemple le pai
sible spectacle que présente la terre : un beau château au fond d'une magnifique allée d'arbres;
une grange
pleine de gerbes; des moutons qui paissent tranquillement ; l'olivier croissant en paix sur le bord
d'un étang
ou les grenouilles prennent en liberté tous leurs ébal>.
LA RÉVOLUTION

En résumé, nous avons pu constater deux périodes bien distinctes,


de 1789 à 1794 : la période du travail révolutionnaire , c'est-à-dire

la destruction de V autorité; la période du triomphe révolutionnaire ,

c'est-à-dire la destruction de la liberté. Première période, folie de la


liberté; deuxième période, exacerbation de l'autorité.

Qu'avait produit, au point de vue gouvernemental et administratif,


la période soi-disant libérale qui s'arrête au 10 août 1792?
Le cerveau humain paraissait avoir reçu un de ces ébranlements

que Ton constate à certaines époques de l'histoire : il ne goûtait plus


volontiers que les conseils de l'enthousiasme. Mais il s'agissait de

choses politiques, où l'imagination et la fièvre sont les plus mauvaises

conseillères !

Le but, auquel tout avait été sacrifié, était double : destruction de

la civilisation chrétienne , triomphe de la Révolution. Les représentants


de l'ancienne société avaient été, les uns proscrits, les autres marqués
comme suspects. Les hommes que cette société avait tenus à mépris

pour leur bassesse, ou morale ou intellectuelle, avaient été remis en

honneur. L'Europe avait été défiée et attaquée; la France, envahie.


Les finances, le commerce, l'industrie avaient été mis à mal.

La Révolution demanda ces sacrifices, expliqua ces ruines, ces

folies, au nom, à l'aide d'un seul mot: la liberté. C était l'idole

nouvelle. La Révolution triompha. Alors elle laissa voir que la

liberté avait été pour elle non un principe , mais un instrument de

combat. Elle ne le voulut pas laisser aux mains de ses adversaires :

elle inaugura la période autoritaire.

Que produisit celle-ci ?


L'ébranlement cérébral, amené par l'abus de la liberté, créa chez

ceux où il continuait le délire furieux; chez ceux où il cessait,

l'atonie. La civilisation recula.


des formules qui excusaient tout. Avait-on besoin de
On trouva
l'arbitraire? on nommait cela voiler la statue de la Loi ; d'une ty

rannie inconnue? on disait : détruire les préjugés; d'un crime sauvage?


l'Humanité. Les faits admis
annonçait qu'on voilait la statue
on de

comme vicieux par la conscience de toute l'humanité, on les procla


L AGE DE FEU OU i/ÉPOQUE RÉVOLUTIONNAIRE
D'après uns estampe du temps. Collection de M. le baron de Viuck d'Orp, à Bruxelles. — Dans les airs, le génie de
là guerre, le glaive d'une main et la torehe de l'autre. Sur la terre : un château incendié; la guillotine en permanence ;
des mitraillades; des noyades; un cimetière aux vastes tombeaux abrités par un saule pleureur. Au premier plan,
cinq
grues (allusion au Directoire composé de cinq membres) s: distinguent par leur avidité à dévorer les grenouilles.
LA RÉVOLUTION

niait vertueux ; les antiques vertus, on leur donnait le nom des vices
contraires : la modération était inhumaine, l'assassinat était l'héroïsme,
la bassesse était le patriotisme, le despotisme la liberté.
Cette cohue de vices divinisés et de vertus débauchées condui
sait le gouvernement nouveau. Les plus violents représentants de
ces vices étaient les chefs politiques et les administrateurs modèles..
La Liberté révolutionnaire, pendant son règne, avait proscrit tous
ceux qui se défiaient de ses faveurs. L'Autorité révolutionnaire enfer
mera en masse tous ceux qui sont suspects de blâmer ses fureurs, et

elle réduira à l'esclavage ceux qui paraissent ne pas les admirer.


La partie politique de cette folie peut s'expliquer. La Révolution
ne comprit jamais que tout organisme gouvernemental se compose
d'éléments inégalement distribués selon les époques, mais toujours
unis, d'éléments à la fois libéraux et autoritaires. Elle voulut mettre
au pouvoir, ou bien toute la liberté , ou bien toute l'autorité. Le bon
sens de la nation se ruina à expérimenter cette utopie.
Comment la France, au milieu de cette longue agonie morale et

politique, ne rendit-elle pas Pâme? C'est que la vieille société avait


amassé des trésors de générosité, de patience, de bon sens, de piété.
A côté du vice codifié, la nation conservait un fonds de vertus chré
tiennes; à côté de l'utopie, de la fureur haineuse, de l'extravagance
impraticable et anarchique, le vieil esprit français gardait de sa net

teté, de son ressort, la clarté dans l'exposition, la logique dans les

déductions, la méthode, qui s'opposaient aux plus grotesques effets de

la passion révolutionnaire.

Mais c'est à la guerre que nous devons la plus grande reconnais

sance, non seulement parce qu'elle entretint la générosité, la fierté,

parce que les camps servirent d'asile, et parce que la victoire empê
cha le désespoir; elle produisit un bien plus profond et moins connu.
La théorie politique de la plupart des révolutionnaires reposait
sur cette idée, vraie d'ailleurs, quoiqu'elle vienne de Jean-Jacques, à

savoir que la république est impossible pour de grands États , dans

lesquels elle amène nécessairement ou l'anarchie ou le despotisme.


Les révolutionnaires étaient donc portés vers le fédéralisme. Les
R K VOL U T I O N FRANÇ AISE

girondins (méridionaux) partaient du municipe; les montagnards


(septentrionaux), de la commune. Beaucoup d'entre eux songeaient à

une fédération de mille petites agglomérations, fédération dont le lien

eût été assez lâche sous le règne girondin , très tyrannique sous l'empire
de la municipalité parisienne. La guerre força les uns et les autres
à chercher dans l'union la plus grande somme de forces.

L'unité française fut ainsi maintenue par la guerre, comme la civi


lisation, nous allons le voir, le fut par la résistance du clergé. Le
prêtre et le soldat sauvèrent l'honneur et la patrie, tandis que l'admi
nistration des libéralistes révolutionnaires amenait la ruine, et le

gouvernement des montagnards, l'hébétement.

T An AT I È RE EN FORME DE BONNET PHRYGIEN


Collection de M. de Liesville, à Fh 5tel Carnavalet, dix-huitième siècle,
DEUXIÈME PARTIE

LA MORALE

CHAPITRE I

LA RELIGION

Corrompre l'individu, asservir la société, c'est là le but que nous


avons trouvé à la politique révolutionnaire. Qu'elle prenne son masque
libéral et souriant ou sa physionomie jacobine et brutale, qu'elle agisse
par les promesses ou avec les coups, qu'elle proclame la vertu ou
utilise le vice, elle tend toujours là.
Pour corrompre l'individu il faut, avant tout, affaiblir le maître
ressort de la dignité humaine, l'instinct religieux; pour asservir la
société, il est nécessaire de détruire le refuge suprême de la liberté,

l'Eglise chrétienne.
La Révolution voulut parfois faire alliance avec quelques-uns des
hauts représentants de la civilisation, bien qu'ils soient tous ses enne
mis naturels; ainsi elle sut, au siècle dernier, séduire la philosophie,
comme, en ce siècle, elle caresse la science. Mais jamais il n'y eut
d'alliance réelle avec l'Eglise.
Elle essaya de lui proposer l'un de ces traités menteurs où elle

excelle et par où elle commence toujours à désarmer ceux qu'elle veut

détruire; ce traité fut la constitution civile du clergé. L'Église le

repoussa, seule clairvoyante de toutes les victimes marquées pour


l'extermination.
RÉVOLUTION FRANÇAISE 145

La Révolution, dans son combat contre le christianisme, a employé

les meilleures de ses armes habituelles, les plus perfectionnées de ses


ruses ordinaires. Jamais elle ne fut plus correcte à développer toutes
les nuances de son jeu diplomatique. Depuis la bonhomie hypocrite
qui essaye d'attendrir, qui prodigue les promesses, en enlevant, à

chaque sourire, à chaque caresse, une pièce de l'armure, une clair-

NOUVELLE MÉTHODE POUR PAIRS PRÊTER SERMENT AUX CURÉS


Fac-similé d'une estampe de la Bibliothèque nationale, dix-huitième siée le. — Par la constitution civile
du clergé, l'Assemblée constituante, de sa seule autorité, sans consulter le pape, refait toute la constitution
de l'Église. Tous les diocèses sont remaniés, quarante-huit supprimés. Les évéques sont nommés par les
électeurs du département, et les curés par ceux du district. Défense à l'évèque de demander au pape l'insti
tution canonique, etc. A toutes ces nouveautés les membres du clergé doivent, sous peine de destitution,
souscrire par un serment solennel. Cent trente-quatre archevêques et évéques le refusent, et le plus grand
nombre des curés imite leur exemple. On veut les contraindre et « partout la brutalité se fait le ministre de
l'intolérance », (Taine, La Révolution, l, p. 240. ) Ainsi la Révolution, soi-disant faite au nom de la liberté,
débutait par la plus violente oppression des consciences.

voyance de L'âme, jusqu'à l'insolence railleuse quand l'ennemi est


affaibli, jusqu'à la fureur féroce quand l'ennemi est désarmé, elle n'a
rien caché de sa stratégie.

L'Eglise, elle, a employé les armes qu'elle a montrées pour la


19
LA REVOLUTION

première fois il y a dix-huit siècles, toujours les mêmes et toujours


victorieuses dans ce merveilleux combat où elle triomphe, non pas en
tuant ses ennemis, mais en se faisant martyriser par eux.

Si. L'ALLIANCE DES PHILOSOPHES : LA CONSTITUTION CIVILE.

« Unissez-vous à nous au nom du Dieu de paix. » C'est par cette


supplication faite aux représentants du clergé par les représentants de

la philosophie que commencèrent les relations de la Révolution et du

clergé aux Etats généraux.

L'église gallicane comprenait parfaitement l'utilité des réformes, et

elle pouvait croire encore que l'évolution serait prudente comme le


voulaient les cahiers, c'est-à-dire la France. Elle commença donc par
se montrer débonnaire.

Le clergé, en se réunissant au tiers, lui donna le pouvoir, le soin

de conduire seul désormais les destinées de la nation, et, comme

preuve de sa bonne volonté, il abandonna ses dîmes, le 11 août 1789.


Le remerciement ne se fit pas attendre. Le 26 septembre, l'Assemblée
demande au clergé d'envoyer à la Monnaie l'argenterie des églises. Le
clergé accepte. Le 2 novembre, au milieu des menaces furieuses des
tribunes et de la rue, on lui confisque ses propriétés territoriales. Le
2 avril suivant, quand il s'agit de régler la rente que l'Etat s'engageait
à fournir en guise de restitution, l'archevêque d'Aix, M. de Boisgelin,
dans un discours d'une logique incomparable, prouva que cette confis
cation était une des plus lourdes sottises que les constituants pussent
faire. Il démontra que là serait l'origine de toutes les misères finan
cières, économiques, commerciales, morales de la Révolution.
Mais il ne s'agissait pas de logique. Il fallait ruiner le clergé;
c'était, pour les révolutionnaires, le premier point. En vain les évèques

proposèrent de prendre à leur compte les dettes de la nation et de vendre

de leurs biens tout autant qu'il serait nécessaire. Ils demandaient seu

lement que cela se fît canoniquement, c'est-à-dire légalement. Les


révolutionnaires préféraient la violence, qui satisfaisait mieux la haine

et donnait plus de chance de pillage.


RÉVOLUTION FRANÇAISE 147

On vendit bientôt ces biens. La bourgeoisie les acheta, sans se

dire qu'une nouvelle couche de révolutionnaires, les prolétaires, pour


rait les enlever à ses petits-fils à l'aide des mêmes raisons et des

mêmes moyens; car, du moment que la propriété ne repose plus sur


un principe général et sacré, mais sur la légalité, du moment que la

PORTRAIT DE PIE V[
D'après une médaille du temps. — Par son bref du |3 avril 1791, Pie VI avait condamné la constitution
civile du clergé. Lorsqu'il apprit le crime du 21 janvier, il glorifia publiquement le roi-martyr. Il accueillit
et secourut un grand nombre de prêtres français chassés par la persécution. Sur l'ordre du Directoire, en
1798, le général Berthier occupe Rome et y proclame la république. Pie VI est arraché de son palais, et,
malgré ses quatre-vingts ans, emmené à Valence, ou il meurt prisonnier.

loi ne se contente pas de réglementer La propriété, mais qu'elle la


crée ou La détruit à son gré, il n'y a plus là qu'une question de
majorité; et un autre décret révolutionnaire peut confisquer à La bour
geoisie ce que celle-ci a confisqué au clergé.
Il fallait plus. Après l'indépendance matérielle, il s'agissait d'en
lever à l'église gallicane l'indépendance spirituelle et morale. Cela
LA RÉVOLUTION

fait, les philosophes supposaient que Y infâme serait bien près d'être
écrasée. Le i3 février 1790, on vota en principe la suppression des

congrégations de religieux, sans qu'il fut possible d'en rétablir d'autres.


On réserva la question des couvents de femmes.
L'Assemblée avait nommé ce fameux comité ecclésiastique qui devint
le maître omnipotent, conseil d'État et concile œcuménique en même

temps. Il eut pour consulteurs et avocats Camus, qui représentait le

jansénisme, Barnave et Rabaut, qui représentaient le protestantisme,


et Mirabeau, qui représentait l'incrédulité. Tout cela réuni devait
ramener le catholicisme à sa ferveur primitive, à l'aide d'une loi
en quatre titres. Elle fut votée le 12 juillet 1790; des annexes, du
18 octobre et du 24 novembre, la complétèrent. C'est ce qu'on nomme
la constitution civile du clergé.
Elle partait de ce principe que les prêtres n'étaient que des magis
trats comme les autres, des officiers de morale qu'il fallait réduire
par le salariat 11 une dépendance absolue. Là-dessus, les philosophistes
et les jacobins étaient d'accord. Seulement les premiers s'arrêtèrent
d'abord à mi-chemin. Ils commencèrent par déclarer que le droit de

la force politique se bornait aux manifestations extérieures, que tout


ce qui n'était pas salarié conservait sa liberté, et que la conscience de

chacun devait être respectée. Ils firent ensuite un pas en avant, en

disant que tout prêtre, même non salarié, était tenu à un servage
spécial envers l'État. En étendant cet ilotisme aux religieuses, bientôt
à tous les catholiques, puis à tous les chrétiens, ils rejoignirent la
théorie jacobine qui n'accorde à aucun citoyen le droit de croire autre
ment que ne le veut la souveraineté populaire, et qui admet que toute
tyrannie est légitime si elle a pour but de procurer l'unité de penser.
Je ne puis songer à analyser tous les articles qui composent cette

constitution civile : le titre II à lui seul en a quarante-trois. Je


signale quelques-uns des points qui ne laissèrent place à aucune
entente. Les constituants déclaraient, de leur unique autorité, — et

ils supposaient que cette autorité devait non seulement être obéie,
mais engager la conscience comme émanant d'une puissance infail
lible, — qu'il n'y aurait plus désormais qu'un évêché par départe-
UNE MESSE SOUS LA TERREUR

TABLEAU DE M. CH.-L. MULLER, DIX-NEUVIEME SIECLE

le
à
à
D'après tableau original appartenant M. Paris, de MM. Goupil et Cie. — Dans
Mignon, et la gravure

la
le

le
un pauvre réduit où lumière n'arrive que par 'toit, un célèbre saint sacrifice. Une commode sert
prêtre

d'autel; son élégance contraste avec l'aspect misérable du lieu. Aux murs sont suspendus des outils de charpentier

le
et des vêtements de travail, peut-être les outils et les vêtements dont se sert prêtre proscrit pour gagner son

la
pain et pour déguiser son véritable caractère. Les assistants prient avec ferveur des premiers chrétiens; l'un

à
d'eux veille la porte pour prévenir toute surprise.

«
la

à
On avait beau multiplier les gardes et les la frontière, encourager délation, rendre des décrets
espions

draconiens, tous les jours des prêtres rentraient en France pour mener la vie des missionnaires dans les pays les

le
»
plus barbares, et affronter tous les jours martyre. (Ludovic Sciout, Histoire de la constitution civile du clergé^

III, p. 285.)

«
,
Les prêtres furent obligés de recourir aux déguisements les plus étranges et les plus imprévus. Ils s'habillaient

il
en ou en ouvriers mais en

;
généralement paysans leur fallut quelquefois se travestir militaires, et même en

»
sans-culottes. {Id., IV, p. 32.)
RÉVOLUTION FRANÇAISE '49

ment. Ils en supprimaient ainsi environ cinquante et changeaient la

circonscription de tous les autres. Les évêques comme les curés devaient
être nommés par les électeurs, desquels seuls ils recevaient leur pou
voir et juridiction spirituelle. On adjoignait aux évêques une certaine

quantité de vicaires qu'ils ne pouvaient révoquer et en dehors des

quels ils ne pouvaient agir. Une fois nommés, ces évêques devaient
se garder, sous peine de déposition, de demander au pape aucune
consécration ou ratification. Ils étaient tenus de s'adresser pour cela au
métropolitain. Si celui-ci refusait, ils avaient à comparaître devant
le tribunal du district. Si celui-ci jugeait que leur doctrine n'avait rien
de répréhensible, il les renvoyait devant un autre évêque. — Tous,
métropolitains, évêques, curés, vicaires, devaient prêter serment non
seulement de respecter et d'aimer, mais de défendre la constitution
telle qu'elle était, telle qu'elle pourrait être.
Les objections étaient faciles. Elles furent nombreuses. Je n'en
citerai qu'un petit nombre. — Connaître une loi mieux que ceux qui
l'ont faite, ceux pour qui elle a été faite, ceux qui sont chargés de la
défendre comme de l'interpréter, c'est inadmissible. Or, le pape, les
conciles, l'Eglise universelle sont d'accord pour dire que le pouvoir
temporel, ne pouvant conférer la juridiction aux évêques, ne peut
légitimement enlever des chrétiens à leurs pasteurs pour les donner à

un autre; que nul évêque ne peut être déposé par une autorité
laïque; qu'il est contraire à l'essence du catholicisme de soumettre
l'autorité épiscopale à un conseil de prêtres. Il est absurde de donner
la nomination des évêques et des prêtres à des électeurs qui peuvent
être en majorité des protestants, des juifs, ou des incrédules. Il est
contraire à la loi très claire de l'Eglise d'établir un tribunal, peut-
être impie, au moins laïque, juge de la doctrine des évêques. On
ajoutait que tout cela pouvait faire une religion nouvelle, comme était
l'anglicanisme, mais que ce n'était plus le catholicisme.
Les constituants prétendaient que le clergé nV entendait rien, et
qu'ils n'avaient d'autre but que de ramener l'Église à la pureté du
catholicisme primitif et à la rigueur de la parole évangélique. Là-
dessus on s'émerveillait de voir Camus l'avocat se proclamer plus
J ?0

catholique que les conciles, le prédicant Rabaut se déclarer plus zélé


envers le catholicisme que la papauté, et Mirabeau servir d'exemple,
à titre de principal tenant de la morale évangélique.

Malgré ce que tout cela avait d'illogique, les meneurs révolution


naires paraissaient sûrs du triomphe. Leur plan était habile. Ils présu
maient que les prêtres très intelligents, les saints, les désintéressés,
refuseraient de prêter le serment; l'église gallicane resterait donc repré
sentée par la portion la moins digne du clergé. Ils supposaient que
le peuple, voyant les mêmes cérémonies, entendant les mêmes paroles,
suivrait ces nouveaux guides, jusqu'à ce que, constatant leur indi
gnité, il en vînt à les mépriser, et avec eux la religion dont ils res
taient les seuls modèles. Comme dans l'homme ils connaissaient sur
tout Y animal, comme ils niaient la puissance surnaturelle de la foi
et n'admettaient guère la Providence, ils additionnaient le nombre
d'ambitieux, d'avares, de lâches, de paresseux, de sots qu'il pouvait

y avoir dans ces cent mille individus qu'ils déclaraient hébétés ou


démoralisés par le sacerdoce. Ils comptaient combien de jansénistes,
combien de gallicans outrés, combien de prêtres aveuglés par les

théories nouvelles, combien, parmi les tenants de l'honnêteté vul


gaire, qui redouteraient la misère; combien, parmi les prêtres chari
tables, qui ne voudraient pas quitter leurs ouailles fidèles, les livrer
à d'indignes successeurs, et courir les chances d'un schisme; combien,
parmi les cœurs tendres, qui succomberaient aux prières des parents
et des amis; combien, parmi les timides, qui reculeraient devant les
menaces, les coups, les humiliations. Ils furent convaincus que la très

grande partie du clergé français rentrerait dans l'une ou l'autre de ces

catégories, d'autant qu'ils protestaient ne vouloir porter aucune atteinte

au catholicisme. De plus, ils s'appuyaient sur des théories défendues

par d'habiles canonistes, par des sectaires pieux, théories n'attaquant

pas effrontément le dogme, et touchant par bien des points à des

thèses chères au gallicanisme.

Le i3 avril 1791, la constitution civile fut solennellement déclarée

schismatique par le pape.

Mais déjà il n'y avait plus de doute sur la conduite qu'allait tenir
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LA RÉVOLUTION

l'église de France. Cent vingt-sept évêques avaient refusé le serment.

Quatre seulement l'avaient prêté, dont trois, Talleyrand, Jarente,


Loménie, étaient la honte du clergé français, et le quatrième, l'évêque
de Viviers, venait de tomber en démence. Le coadjuteur de Loménie,
et Gobel, coadjuteur de l'évêque de Bàle, se joignirent à ces quatre
et ce fut tout.
Une portion considérable du clergé paroissial suivit l'exemple de

Tépiscopat. Il n'est pas encore possible de préciser le chiffre des prêtres

fidèles. L'enquête que nous avons pu faire nous autorise à croire

qu'en tenant compte des rétractations et des réserves quant au spi


rituel, les trois quarts des curés et des vicaires refusèrent ce serment.

Les évêques de la Constituante avaient publié (i3 octobre 1790)


un manifeste vigoureux. Dans cette Exposition des principes, ils

démontraient avec une ferme logique et une merveilleuse perspicacité


qu'il n'y avait au fond de cette constitution qu'un plan de tyrannie
générale. Pour rendre le fait plus clair, ils offraient de prêter le ser

ment demandé, dans les conditions mêmes où le plaçaient les affir

mations des constituants, c'est-à-dire en constatant qu'il n'engageait

en rien la conscience sur tout ce qui était purement spirituel. La


majorité de la Constituante s'y opposa.

Dès lors, les arrière -pensées des meneurs devenaient évidentes : il

s'agissait uniquement de faire de l'église de France la très humble


servante des libertins comme des incrédules, des girondins comme des

jacobins, et de tous les personnages que la Révolution, suivant son

cours, voudrait mettre à la tête du ministère des cultes ou de l'instruc

tion publique.
Les fidèles suivirent les évêques et les prêtres. Ils n'avaient pas

tardé il constater, en effet, que le clergé constitutionnel était dans son

immense majorité digne des Loménie et des Jarente.


Prêtres indignes et lâches, moines apostats, curés interdits, vil

ramassis d'étrangers diffamés, vicaires ambitieux ou aspirant au

mariage, collégiens, bedeaux, chantres ordonnés sans études, c'était

presque tout ce qu'on rencontrait dans ce clergé. L'évêque constitu


tionnel d'Angers, Pelletier, admettait aux ordres un vieux manufac
RÉVOLUTION FRANÇAISE 153

turier, deux fois banqueroutier et concubinaire scandaleux; je cite ce


fait entre beaucoup d'autres de môme nature.
Le peuple traita avec mépris, parfois avec colère ces intrus. Le
catholicisme officiel ne servit plus qu'à la garde nationale; les églises
furent hantées uniquement par les gens qui n'y avaient jamais mis les

pieds jusque-là et qui y allaient comme au club.

D'après une gravure de Duplessis-Bertaux, dix-huitième siècle. — Le nombre des victimes connues s'élève
à neuf cent quarante-deux. 11n'y avait pas eu de capitulation écrite, mais tout prouve l'existence d'une capi
tulation verbale : les navires anglais cessant le l'eu, les prisonniers gardant la promesse faite par Sombreuil
qu'ils ne s'échapperaient pas sur la route de Quiberon à Aurav, enfin le commandant Douillard écrivant au
général Lcmoine : « J'ai prononcé, avec tous mes camarades, le mot de capitulation, je ne puis plus juger
ceux que j'ai absous, le sabre à la main. » (K. de la Gournerie, Les débris de Quiberon, p. | . ) L'exécution
eut lieu non loin d'Auray, dans une prairie appelée aujourd'hui le Champ des Martyrs.

Le plan, si habilement hypocrite, n'avait servi à rien qu'à payer


très chèrement une religion à ceux qui, les détestant toutes, usaient
momentanément de celle-ci parce qu'elle devait servir à les détruire
toutes. Il restait donc à punir le clergé qui repoussait l'alliance de la
Révolution, à acheminer vers l'échafaud ceux qui avaient refusé l'escla-
20
i?4 REVOLUTION

vage. La Révolution ne songea pas encore à détacher son masque,


bien que désormais inutile. La persécution commença, mais elle con
tinua de s'appeler la liberté. Il fut bientôt périlleux de discuter la
constitution civile. Ses inspirateurs devinrent vénérables. Les direc
toires des départements s'attribuèrent l'infaillibilité doctrinale. On vit,
en 1790, un recteur d'université saisi par les soldats et mené devant
l'un de ces directoires parce qu'il avait, dans un discours latin,
attaqué quelques philosophes. Pendant ce temps, Mirabeau affirmait
que la Révolution était préoccupée d'accroître le prestige de l'Église.
Elle l'accroissait, en augmentant les catégories de victimes. On
avait d'abord posé ainsi la question : « Nous vous avons volé votre
bien,- nous vous en rendons une petite portion à titre de salaire, si
vous prêtez un serment qui blesse votre conscience. Nous ne vous y
forçons pas; mais nous ne voulons payer que ceux qui nous obéissent. »

Cela paraissait logique. On ajouta : « Nous ne permettons l'exercice


public des fonctions ecclésiastiques qu'à ceux que nous payons. » Cela
était conforme aux idées régnantes : on était habitué à une religion
d'Etat. Ainsi le serment ne se proposait encore qu'aux prêtres fonc
tionnant publiquement, et comme conséquence du salaire. Il n'y avait
d'autre sanction que la pauvreté : « Jurez ou allez- vous-en. Toutefois,
remarquez-le, ce n'est pas nous qui portons atteinte à votre liberté,
c'est vous, curés et vicaires, qui êtes assez perturbateurs pour préférer
la misère à un serment. » Mais bientôt il ne s'agit plus de fonctions
publiques. Tous ceux qui voulurent prêcher furent astreints au ser
ment; puis ceux qui confessaient; puis les aumôniers des hôpitaux et

des couvents; puis les frères des écoles chrétiennes, et jusqu'aux


instituteurs laïques eux-mêmes. Bientôt aussi il ne s'agit plus seule
ment de la pauvreté. Dans bien des villes et des villages, la populace,
au jour désigné pour la prestation du serment, parcourait les rues,
entrait dans les églises en hurlant : « Le serment ou la lanterne! »

Bien des prêtres furent maltraités; quelques-uns, massacrés : « les

uns furent battus, jetés dans des mares; les autres, arrachés de leurs

presbytères, traînés ignominieusement jusqu'aux confins de leur pa


roisse, avec menace de les pendre si jamais ils y reparoissoient ».
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KIBU3 •
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i5(> LA RÉVOLUTION

elles étaient faibles, elles étaient pures, on pouvait les maltraiter sans
danger. Aussi les mêla-t-on bientôt à cette affaire du serment. On
courut dans les couvents. On les pilla d'abord; puis on saisit les

soeurs pour les mener devant quelque magistrat. « Cétoit horrible à

voir. Ces pauvres filles furent assaillies de pierres, couvertes de boue

dans toutes les rues qu'elles traversoient pour se rendre devant leurs
juges. » Plus souvent on les déshabillait et on les fustigeait. Ce fut

le menu régal des révolutionnaires en ce début.

La constitution civile étendit encore ses bienfaits. Des évêques,

des prêtres, des religieuses, elle descendit aux laïques. Elle avait pris
ses biens au clergé, aux fidèles leurs églises et tout ce qu'elles conte

naient, mais elle ne leur avait pas défendu, dans le commencement,

de louer ou d'acheter quelque maison et de s'y réunir. La populace


souveraine ne l'entendit pas ainsi. Ces nouvelles églises furent sacca

gées, on se mit à fouetter les vieilles femmes comme les jeunes filles,

pour peu qu'elles fussent suspectées de sortir d'une chapelle catho

lique « J'ai vu l'une de ces jeunes femmes baignée de pleurs, dépouillée

de ses vêtements, le corps renversé, la tête dans la fange; des hommes

de sang l'environnoient , ils froissoient de leurs mains impures ses

membres délicats, ils abîmoient leur victime de honte et de douleur.

J'apprends qu'elle expire à cette heure... La force armée arrive pour


le renfort plus que pour l'effroi des brigands. Aux Pénitentes, c'est
au prêtre que la sentinelle présente la baïonnette. A Sainte-Claire, la

garde laisse échapper des hommes qui fouettoient une femme et saisit

un homme qui la vengeoit. Quelques soldats du guet voient ces hor

reurs et y applaudissent. Le guet à cheval laisse assassiner une femme

aux pieds des chevaux. » Aux hommes qui veulent défendre leur

femme, leur mère ou leur fille, on coupe les cheveux; on les lie sur
des ânes, sur des boucs, et on les mène à la messe de l'intrus dans

des brouettes. Les maisons des catholiques sont notées. C'est là qu'on

va piller au moindre trouble. On épie les plaintes de leurs femmes

pour venir saisir l'enfant nouveau-né et le porter au baptême consti

tutionnel. On épie leurs pleurs pour venir saisir le père mort et le

mener à l'enterrement constitutionnel.


K KVO L U TI O N b\ H ANÇA I S E

Nous commandants des atmées catholiques & royales


avons accordé le présent passeport à cÂu%l

de^é^i a^tAo/Af~ —— prisonnier


de guerre renvoie , après avoir eu les cheveux coupés^
audit lieu de oAo/#t/~
le quel - — à promis & juré sut rJott-.
honneur & serment de ne jamais reprendre & porter
les armes contre sa Maiesté très chrétienne Louis dix-
sept , qu'il— reconnoi — pour unique &
légitime souverain ni contre la religion catholi
que apostolique & romaine _
donné à c^oJfcf~ ■■ — ■ ^- ■

ce 21 du mois
k 1793. Tan i^r du règne de louisXViL
y't<^

PASSEPORT EN USAGE DANS LES ARMEES VENDEENNES


Communique par M. le baron de La Sicotière, à Paris. — La conduite des chefs vendéens envers leurs
prisonniers contraste avec la guerre d'extermination entreprise par la Convention contre la
Vendée.
« Détruisez la Vendée, s'écriait Barère à la Convention, détruisez la Vendée, ce
charbon politique qui
dévore le cœur de la république française. » (Réimpression du Moniteur, XVIII, p. 53.) —
Wcstermann écrit
qu'il a k brûlé tous les villages, hameaux, fermes et moulins sur son passage et emmené les hommes,
enfants, bestiaux ». (VJ., ibid., p. 92.) Lequinio et Laignelot ajoutent: u Tout va marcher ici
rondement... Le
tribunal révolutionnaire que nous venons d'établir fera marcher les aristocrates, et la guillotine
fera rouler
les tètes. » [Id.y ibid., p. 3|.^.)
i 58

La Constituante a fini son œuvre. La Législative commence la


sienne. JUne grande partie du mois de novembre est consacrée
17c)!
aux affaires religieuses. Le 3, Gensonné, dans un discours fort réfléchi,
résume franchement toute la théorie des girondins, c'est-à-dire du
libéralisme révolutionnaire. Il part de ce pompeux axiome qui paraît
renfermer toute liberté et qui est en tète de toute persécution reli
gieuse : a Puisque aucune religion n'est une loi, qu'aucune religion
ne soit donc un crime. » L'orateur établit : t° que le respect le plus
religieux est du à la liberté individuelle ; 20 que la Constituante a

regretté de s'être trop occupée des affaires religieuses*, et il conclut...


en demandant qu'on aggrave les peines portées par la Constituante
contre le clergé.
On les aggrave en effet. Le 29 novembre, paraît un décret qui ne

permet l'exercice du culte, même dans les propriétés particulières,


qu'aux prêtres assermentés ; qui condamne tout prêtre dans le voisi

nage duquel naîtraient des troubles à être expulsé de son domicile,


car tout prêtre qui n'a pas prêté serment est suspect de révolte.
Après la misère à domicile, on leur imposait la misère vagabonde.
Mais on constate bientôt que la misère ne réussit pas à réduire ces

défenseurs de la liberté de conscience. On va essayer de l'empri


sonnement.

Ce que fut la persécution par l'emprisonnement, l'un des empri


sonnés nous le dit; il est un témoin bien renseigné. On l'envoya dans
cent trente prisons. Comment l'y transportait-on ? « Les gendarmes se

jetoient sur moi, me frappoient à coups de poing le long de l'escalier,

me précipitoient à travers les guichets, et me crachoient au visage,


me mettoient au col une chaîne grosse comme le bras, une autre

autour du corps, et me tirant dehors, en tenant chacun un bout de

la chaîne, ils me faisoient traverser les rues. » Puis tantôt on l'attachait


aux roues de la voiture, tantôt on le hissait dans un fourgon où on
le liait avec trois grosses chaînes par le cou, les bras et les pieds.
Dans les prisons civiquement tenues, on faisait l'appel deux fois

par jour. C'était pour donner aux gardes nationaux, deux fois par
jour, l'agrément de bourrer les prisonniers à coups de crosse. Dans
RÉVOLUTION FRANÇAISE i5g

MICHEL LE PELLETIER DE SA I N T - FARGEAU


assassiné le 20 janvier 170?, chez le restaurateur Février, un Palais-Royal, par un ancien garde du
corps pour avoir voté la mort de Louis XVI. Gravure de Copia, d'après le tableau de David représentant
Le Pelletier assassine, dix-huitième siècle. — Le tableau de David fut placé dans le sein de la Convention,
et Le Pelletier honoré comme » le premier martyr de la Liberté ». Ou célébra des tètes en son honneur;
son buste et celui de Marat remplacèrent les images de saint Pierre et de saint Paul dans les églises
transformées en temples de la Raison; enfin. « les jeunes élèves de la patrie n déclarent à la Convention
h qu'ils l'ont pris pour patron à la place de saint Nicolas n . Réimpression du Moniteur, XIX, p. 2 1.
( \ )

les geôles débonnaires, on se contentait de cracher dans leur soupe et


de voler le meilleur de la nourriture qu'on leur apportait du dehors.
LA RÉVOLUTION

Pendant ce temps, de chaque coin de la France citoyenne sortaient

les plus grossières injures contre ces persécutés. A la Législative, les

prêtres étaient des vermines; c'était un poison qu'il fallait vomir de

son sein. On devine ce qui pouvait se dire et ce qu'on pouvait pro


poser dans les clubs, si Ton discourait ainsi au parlement.

Le f) avril 1792, un décret proclama la suppression définitive des

religieuses qui, vouées à la charité, des religieux qui, chargés de

l'enseignement, avaient été les uns et les autres tolérés jusqu'ici. Les
maisons étaient confisquées, devaient être vendues. Le port du costume
ecclésiastique était interdit.

Les jacobins et les girondins dévoilaient de plus en plus leurs

desseins. Au nom des premiers, le boucher Legendre demandait qu'on


embarquât tous les prêtres sur la mer, qui saurait les engloutir.
L'avocat Vergniaud, au nom des seconds, demandait qu'on hâtât les

mesures de déportation. La volonté persécutrice était la même des

deux côtés; seulement le boucher voulait l'assassinat, l'avocat con

seillait une mort plus lente.


L'emprisonnement, l'internement des prêtres fidèles au chef-lieu du

département, n'avaient pas amené plus de défections que la misère.

« On n'aura raison du clergé qu'en l'écrasant », s'écria le député

Lejosne. Un décret du 29 mai décida, entre autres choses, que tout

prêtre non assermenté devrait être déporté quand vingt électeurs

réclameraient cette mesure.


Le roi mit le veto à l'exécution de cette loi. Ce fut le prétexte

principal de l'affaire du 10 août et l'une des causes suprêmes de la

chute du trône. Le roi l'avait prévu. Dumouriez l'en avait averti,

mais Louis XVI ne voulut pas que le sort de chacun des soixante-dix

mille prêtres fidèles pût être aux mains de vingt coquins.


Il semblait que la haine des philosophistes eût pu s'arrêter, momen

tanément du moins : beaucoup de prêtres chassés, traqués, réfugiés

dans les villes, y sont devenus jardiniers, porteurs d'eau, commis

sionnaires, débardeurs. Pourquoi les disciples de Voltaire ne se tien

draient-ils pas pour satisfaits! Le 4 août, on a exécuté le décret

qui confisque tous les couvents; en un seul jour on a jeté sur le


R É VO L U TIO N F RA N Ç A I S I ■:

pavé cinquante mille femmes. N'y a-t-il pas de quoi faire prendre
patience aux disciples de Rousseau ! Ces résultats ne sont-ils pas
suffisants? La Révolution n'en jugeait pas ainsi.
Jusqu'ici la liberté des cultes a été la liberté de croire à tout,
excepté à la foi catholique. A partir du 10 août 1702, la liberté des
cultes va être uniquement la liberté de ne croire à rien, excepté à la

vertu républicaine; à la vertu de Mmc Roland d'abord, puis d'Hébert,


puis de Danton, puis de Robespierre, puis de Barras!

S 2. — LA PERSECUTION SOUS LA RÉPUBLIQUE.

Dès le 26 août, des milliers de prêtres fidèles avaient commencé à

marcher vers l'exil. Marcher, le mot est doux. On les chassait, on les

traînait par bandes, avec l'escorte obligée des injures, des coups, de

la prison et de la faim.
Tantôt on les laissait partir un à un, et, malgré leur passeport,
ils étaient forcés de prendre les chemins détournés, de voyager la
nuit, de se fier à des guides jacobins qui les volaient. Tantôt on les

acheminait en troupe vers le lieu du débarquement; c'était une chaîne


de galériens. On les liait deux à deux; les faibles, on les prjssait à

coups de baïonnette; les impotents, on les aidait à coups de crosse.


Mais qu'ils descendissent les fleuves, qu'ils suivissent les routes,
malgré leur escorte de gardes nationaux et le plus souvent avec la
complicité de ceux-ci, à chaque ville ils étaient arrêtés, menacés,
privés de nourriture , battus ou blessés. Plusieurs restèrent en chemin
qu'on noya ou qu'on assomma, qu'on fit mourir de fatigue.
Avant de leur laisser dépasser la frontière, on les pilla; en plu
sieurs circonstances, après les avoir embarqués, on les ramena à

terre parce qu'on les avait mal pillés. Là où la Révolution voulut se


montrer aussi magnanime que spirituelle, on leur laissa des assignats
qui n'avaient pas cours à l'étranger.

Nous avons cent récits poignants des incidents de cet exil.


Les évêques fuyaient, comme les plus pauvres prêtres, jusqu'à ce
1()2

qu'ils succombassent en chemin, comme eux. Ainsi arri vc-t-il notam


ment à l'évêque de Gand, dont le froid avait gelé les jambes, et qui
meurt à Munster. A côté de lui, dans cette même ville, tombent sept
prêtres qu'on sauve en faisant des incisions aux bras pour rétablir la

circulation du sang.
Ainsi guéri, on reprend la route, le sac au dos, et on arrive, le

soir, les souliers pleins de neige, les pieds ensanglantés, l'estomac


vide, les membres raidis par le froid, tout le corps abattu par l'épui
sement. Bien souvent ces pauvres gens sont reçus par des paroles
dures, des regards défiants ; on les enferme comme des voleurs; car
les révolutionnaires, par un raffinement de coquinerie, ont fait

précéder leur venue de pamphlets où on les accuse de tous les vices.


Eh bien ! ceux-là sont les heureux.
En France, on commençait à mettre en œuvre un nouveau moyen
que la Révolution avait trouvé pour faire régner la liberté de con
science. A Paris, la commune avait accordé vingt-quatre heures aux
prêtres pour faire leurs préparatifs de départ. Le décret du 26 août
donnait quinze jours , mais les gens de Septembre étaient pressés.

Quand prêtresles parisiens eurent rassemblé leur pécule, au lieu de

leur donner un passeport, comme ledit décret le voulait, on les

enferma, en dépôt, aux Carmes, et au séminaire Saint-Firmin, rue


Saint-Victor. On les réservait pour le 2 septembre. On avait enfermé
là aussi les prêtres arrêtés après le 10 août, vieillards de quatre-vingts
ans, et impotents de tout âge, comme coupables d'avoir tiré sur le
peuple à l'attaque des Tuileries. Enfin, on avait amené là encore tout
un hospice de prêtres âgés et infirmes, l'hospice Saint-François-de-
Sales. Le prétexte des massacres était ainsi trouvé : ces foudres de
guerre ayant tiré sur le peuple souverain , il était juste que le peuple
souverain les jugeât et les punît.
Ce peuple fut , dans chaque lieu d'égorgement , représenté par une

vingtaine des plus ignobles êtres que Paris pût renfermer. Ils étaient
payés à tant par jour de massacre, 100 sols, 6 livres, un louis, selon
les individus. Il y avait aussi les profits : on vit les massacreurs se

désespérer parce que, dans l'entraînement de la fureur révolutionnaire,


MARAT MOURANT, DANS SA BAIGNOIRE
Tableau do David, dix-huitième siècle. D'acres une gravure communiquée par M. Dutuit, à Rouen. — Dans la
main gauche de Marat, la lettre de Charlotte Corday; par terre, le couteau avec lequel elle l'a frappé. Ce tableau,
réputé le chef-d'œuvre de David, fut offert par le peintre à la Convention le 14 novembre 1793 : <> Citoyens, le
peuple redemandait sou ami, sa voix désolée se faisait entendre ; il provoquait mon art. David, saisis tes pinceaux,
s'écriait-il, venge notre ami, venge Murât!... J'ai entendu la voix du peuple, j'ai obéi... C'est à vous, mes collègues,
que j'offre l'hommage de mes pinceaux... Je vote pour Marat les honneurs du Panthéon, u ( Réimpression du Moniteur,
XVIII, 420. ) Marat obtint plus que les honneurs du Panthéon, il fut adoré comme un dieu. Un autel fut élevé à son
cœur dans l'église des Cordeliers ; des lampes y brûlaient continuellement; on y récitait des litanies en son honneur :
« Cœur de Jésus, cœur de Marat O sacré cœur de Jésus! 0 sacré cœur de Marat! »
LA RÉVOLUTION

ils avaient donné aux égorgés plus de coups de sabre qu'il n'était

nécessaire, et qu'ils avaient ainsi abîmé les vêtements qui leur reve

naient; on vit aussi quelques prisonniers épargnés parce qu'ils avaient


de vieilles culottes qui ne valaient pas la peine d'être emportées.
Ces égorgeurs, à la tête desquels se trouvaient Maillard, Hanriot,
Héron, étaient désignés et payés par la commission insurrectionnelle
du 10 août, par les Panis, les Sergent, auxquels on adjoignit Marat
et quelques autres. Billaud-Varennes peut être considéré comme un

des principaux inspirateurs-, Manuel, Tallien, Danton, Robespierre,


comme les principaux complices. Du reste, la lâcheté révolutionnaire
avait déjà fait de tels progrès que rien ne protesta, ni l'Assemblée, ni

la Société des Jacobins, ni l'immense population parisienne. Celle-ci


resta pendant quatre jours, du 2 au 6 septembre, terrorisée par une

bande de trois cents brigands, que, de l'aveu des contemporains,


cinquante hommes de bonne volonté eussent mis en fuite.

Nous .ne nous occupons en ce moment que des prêtres. Nous rap
pelons que la Révolution ne pouvait leur reprocher réellement qu'un
seul crime : ils ne pensaient pas comme les massacreurs.

Les arrangements avaient été minutieusement pris. C'était le canon

du Pont-Neuf qui devait donner le signal. Au troisième coup, en effet,

une bande de fédérés marseillais et avignonnais, rassemblée à la

Mairie, se précipita sur une masse de prêtres renfermés en partie

dans la grande salle. Elle les divisa en trois troupes qui devaient être

menées à la Force, à la Conciergerie, à l'Abbaye.


Des deux premières, on sait seulement qu'elles furent massacrées
en chemin. Celle qui allait à l'Abbaye contenait vingt-quatre prison
niers, dont vingt et un furent égorgés.
A l'Abbaye, suivant des calculs qu'il est difficile de contrôler exac

tement, il périt de soixante à quatre-vingt-seize prêtres. On avait placé


dans la cour, où avaient lieu les massacres, des bancs pour les messieurs
et les dames du voisinage. Le spectacle était tellement attrayant que,
le soir venu, les dames se plaignirent de ne plus voir assez distincte

ment les têtes des aristocrates. Les travailleurs se plaignaient aussi


que le plaisir ne durât pas assez longtemps : on frappait trop fort,
RÉVOLUTION FRANÇAISE iG5

l'aristocrate était mort immédiatement. On obvia à ce double incon


vénient. On acheta des lampions pour la satisfaction des dames, et

l'on fit galamment les choses; le mémoire se monte à 127 livres 14. sous.
Pour le plaisir des travailleurs, on décida que les victimes passeraient
entre deux haies, et que les derniers des opérateurs auraient seuls le
droit de se servir du taillant du sabre, les autres devant frapper du
dos de la lame. Nous ignorons si les messieurs et les dames spectateurs

prirent part aux festins qui suivirent, et nous le supposons, car il en


coûta 265 francs pour repaître les patriotes de l'Abbaye, tandis qu'à
Saint-Firmin , où l'on ne signale pas de dames, la patrie en fut quitte
pour 19 livres 11 sous.

Quand il riy eut plus rien à faire à l'Abbaye, Maillard et sa

bande coururent aux Carmes. Là encore il est difficile d'établir le


nombre des victimes. La liste officielle porte cent quinze, mais elle
renferme des preuves évidentes de mauvaises informations. D'après
les renseignements fournis par les prêtres échappés au massacre, il
doit y avoir eu près de deux cents égorgés. Ajoutons de soixante-seize
à quatre-vingt-douze à Saint-Firmin, qui coûtèrent à tuer 2,i3y livres
et 2 sous, pa}rés par la section des Sans-Culottes. Ajoutons encore dix
qui périrent à la Force.
Les prêtres une fois égorgés, les révolutionnaires sont dans l'en
thousiasme. Ils tuent tout, non seulement les aristocrates, mais les

galériens aux Bernardins, les femmes à la Salpêtrière, les fous et les

enfants à Bicêtre, et de simples voleurs, des amis, à la Conciergerie.


La liste officielle porte quinze cents victimes. Elle doit être aug
mentée. La commune dépense, pour les frais de cette tuerie,
84,664 livres, et elle mécontente bien des gens, notamment un ouvrier
boulanger, qui se plaint amèrement de n'avoir reçu que 24 livres,
quoiqu'il en eût tué plus de quarante pour sa part.

Pour la commune insurrectionnelle, d'ailleurs, ce n'était qu'un


humble commencement. Elle adresse une proclamation à toutes les
communes pour les engager à imiter cet acte de justice. En même
temps elle envoie dans les départements vingt-quatre coquins qu'elle
décore du nom de commissaires et qui sont chargés officiellement de
i66

faire la chasse aux conspirateurs. A Reims, on prit six prêtres, et on

les brûla à peu près vifs. A Mcaux, on en dépeça huit en si petits


morceaux qu'on ne put les enterrer. A Lyon, on ne put achever que
trois prêtres; neuf à Versailles, etc.

Pour Robespierre, ces événements étaient un sublime résultat.


Danton assurait que le peuple ne saurait se tromper. Le journal de

Roland criait : Honneur à la Commune! Roland lui-même appelait


cela quelques excès d'un peuple toujours juste, et il voulait qu'on
blâmât seulement la continuité de ces massacres. Le maire Petion
demandait à jeter un voile, ce fameux voile qui servait d'innocence à

la Révolution. Quant à Vergniaud, il jurait que les massacreurs


étaient... des conspirateurs royalistes envoyés de Coblentz. — Bientôt
républicains et démocrates, girondins et jacobins allaient s'unir encore
pour faire passer à l'état général et permanent l'horreur de ces mas

sacres de septembre.

Dans cette course à la tyrannie, les libéraux girondins parurent


devoir l'emporter. Lors de la discussion de la constitution de q3, ils

s'opposèrent nettement à la proclamation de la liberté des cultes. Le


discours prononcé par Vergniaud, le 19 août g3, est resté célèbre; il

est fort applaudi par les historiens de la Révolution : «Ce jour-là, dit
le plus effronté d'entre eux, Vergniaud et ses amis dépassèrent de

vingt coudées les jacobins.» Vingt coudées, je le veux bien; mais les

jacobins ne tardèrent pas à grandir. Danton et Robespierre, qui s'étaient


alors trouvés d'accord pour déclarer que c'était un crime et une absur
dité que d'enlever au peuple sa religion, démontreront bientôt que
ces discours étaient un moyen de guerre contre l'ennemi girondin et

non un cri de conscience. Quand Vergniaud et ses amis furent


écrasés, la persécution redoubla.
Mais il nous en faut suivre les étapes.
Décret du 14 février g3 qui accorde cent francs de récompense à

tout citoyen qui arrête un prêtre sujet à la déportation. Loi du 18 mars 93

qui ordonne à tout citoyen de dénoncer les prêtres réfractaires rentrés


en France, et nomme des jurés chargés de les condamner à mort
dans les vingt-quatre heures. 23 mars q3 , loi qui condamne à la
RÉVOLUTION FRANÇAISE

déportation dans l'île Saint- Vincent tout prêtre ou frère qui n'aura pas
prêté serment ; les infirmes seront renfermés dans les chefs-lieux de

départements. Loi du 19-21 octobre qui récapitule et aggrave les

LA FÊTE DE LA NATURE RÉGÉNÉRÉE, LE IO AOUT IJ^^


D'après un dessin de Monnet, gravé par Helman, dix-huitième siècle. Au milieu des ruines do la
Bastille, se dresse la statue de la Nature, " la mère des êtres », figurée par une divinité égyptienne. De
ses mamelles, qu'elle presse de ses mains, s'épanchent deux sources d'une eau pure et abondante, image
de son inépuisable fécondité. «O Nature ! « s'écrie le président de la Convention, Hérault-Séchclles, ■<
ô Nature
ce peuple immense, assemblé aux premiers rayons du iour, est digne de toi, il est libre... O Nature !
reçois
l'expression de l'attachement éternel des Français pour tes lois !... « (Réimpression du Moniteur, XVII, p. 315.
7)
Puis, remplissant une coupe de l'eau qui jaillit des mamelles de la déesse, il en fait des libations, porte la
coupe à ses lèvres et la présente aux envoyés des départements, qui boivent après lui : la France est régé
nérée. La fête du 10 août 1793 fut aussi appelée Fête de l'Unité et de l'Indivisibilité de la République, et
Fête de la Régénération.

peines précédentes, augmente les catégories de gens obligés au serment,


y compris les instituteurs, confisque les biens des déportés, considère
comme émigrés les prêtres déportés par la volonté de la loi, condamne
à la déportation tout individu qui a recèle un prêtre sujet à dépor
168 LA RÉVOLUTION

tation. Enfin, une loi du 22 floréal an II ordonne que tous les prêtres

sexagénaires ou infirmes qui ne se seront pas constitués prisonniers


aux chefs-lieux de départements seront condamnés à mort.

Les enterrements doivent désormais se faire sans cérémonie. La


statue du Sommeil remplace la croix dans les cimetières, qui seront
plantés de fleurs, « afin qu'on puisse y respirer Vdme de son père)).
« La vente de croix, médailles et autres drogues falsifiées » est inter
dite, et les statues de la Vierge doivent être, dans les niches, au coin

des rues, remplacées par les bustes de Marat.


Pendant ce temps, la Révolution imposait un nouvel effort à son

clergé; elle engageait le prêtre constitutionnel à se marier. Bientôt


elle l'y força, sous peine de mort. Enfin elle lui demanda l'effort der

nier, celui auquel elle tendait depuis la première heure de la Consti

tuante, l'abjuration (loi du 22 décembre 1 7 c) "3) . Si bien, comme on le

dit alors, qu'après avoir tout donné aux prêtres jiireiirs, elle n'accorda

plus rien qu'aux prêtres abjnreurs.


La persécution avait redoublé contre les prêtres fidèles : i5 février
les condamnations contre eux sont prononcées sans appel;
12 mars, les biens des infirmes internés sont acquis à la nation;

i i avril, le recéleur des ecclésiastiques et ses domestiques sont condamnés

à mort; 12 mai, les prêtres infirmes sont condamnés non plus à l'inter
nement, mais à la réclusion. D'ailleurs ces décrets particuliers sont

inutiles : tous les prêtres sont emprisonnés comme suspects et destinés

à l'échafaud.
Voilà le bref résumé du code ecclésiastique. Voyons comment les

faits le commentaient.

Nous avons indiqué les souffrances des déportés bannis; elles

peuvent être considérées comme des bénédictions à côté de celles

qu'eurent à endurer les déportés internés.

Cette nouvelle série se composait, en général, des prêtres qui


avaient été amenés et gardés aux chefs-lieux de départements, à

cause de leur grand âge et de leurs infirmités qui les exemptaient de

la loi du bannissement. Cette exemption, accordée par les premières

lois de persécution, se trouva être devenue un piège. Piège aussi les


LES

«
»
A
DÉPOUILLES DE LA SUPERSTITION TRAÎNÉES LA CONVENTION

D'APRES UNE ESTAMPE DE LA BIBLIOTHEQUE NATIONALE, DIX-HUITIEME SIECLE

«
La marche est ouverte par des volontaires dont les uns portent des piques, et au bout de leurs piques des ornements

»
d'église; d'autres ont recouvert leurs uniformes de chasubles et de chapes. Le centre du cortège est occupe' par un char,
à

où, sous un dais orné de drapeaux tricolores, des sans-culottes revêtus d'ornements sacerdotaux se livrent une parodie des

le
la

saints mystères. Ces mascarades sacrilèges se renouvelèrent durant tout mois de novembre 1793, aux applaudissements de

Convention.
:

la

«
à

Le 22 brumaire (12 novembre), la section des Gravilliers est introduite dans salle des se'ances de la Convention
:
la

sa tête marche une députation d'hommes revêtus d'ornements sacerdotaux et pontificaux musique sonne l'air de la
à
le

Carmagnole et celui de Marlborough s'en va-t-en On apporte des croix, des bannières, et, l'instant où dais entre,
guerre.

!
le

:
à

on l'air Ah bel oiseau. Tous les de cette section se la et de dessous les travestis
,

joue citoyens dépouillent fois,


le

sements du fanatisme, on voit sortir des défenseurs de la patrie , couverts de l'uniforme national. Chacun jette vêtement

qu'il vient d'ôter, et l'on ,voit sauter en l'air les étoles, les mitres, les chasubles, les dalmatiques, au bruit des instruments

la

:
la
»

et aux cris répétés de Vive liberté! Vive république! (Réimpression du Moniteur, XVIII, pp. 399 et 420.)

«
»

le
Déjà, disait Prudhomme, tout département de Paris est décatholisé. {Révolutions de Paris.)
R ÉVOL U T I O N FRANÇAIS E

caresses faites par la Révolution aux apostats qu'elle avait séduits.


Elle montra enfin que tout ce qui avait ou rappelait le caractère
sacerdotal elle l'exécrait. Elle condamna les jureurs, parfois les abju-
reurs, comme les fidèles.
Ces internés on décide de les transporter à la Guyane. On les dirige
vers quatre ports d'embarquement. Mais on redoute les croiseurs anglais;
on les garde dans ces ports. Nous suivrons ceux des déportés qui vont
à Rochefort. Il y en avait huit cent vingt-sept. On était à la fin de
novembre. Nous ne dirons pas les misères de la route, les coups, la
faim, les injures, les chaînes, le froid. Ils étaient tellement blancs de

neige, ces pauvres gens, qu'on les prenait tous pour des moines
dominicains. On n'oublie pas que tous sont infirmes ou pour le moins
sexagénaires.
Les citoyens de Limoges se font remarquer entre tous ceux qui

frappèrent et volèrent ces vieillards. Ils attendaient ces prisonniers, à

l'entrée de leur ville, en compagnie de toutes espèces d'animaux


revêtus d'ornements sacerdotaux; en tête marchait un pourceau, orné
d'une tiare et d'un écriteau : Pape. On fit descendre les prêtres de

leurs charrettes, on les accoupla chacun avec un animal. Le génie


limousin chauffé par le génie républicain avait trouvé cela. On les

mena sur la place. La guillotine fonctionnait; on avait gardé un


prêtre pour ce moment; le bourreau montra la tète coupée, et

s'adressant au peuple, en indiquant la troupe des prêtres amenés à ce

spectacle : «• Par lequel de ceux-là voulez-vous que je continue? — Par


celui que tu voudras», répondirent les joyeux Limousins de la répu
blique. Ils aimaient la liberté... du bourreau. Ils ne le voulaient pas
gêner dans son choix.
A Saintes, la municipalité condamne trois servantes qui ont donné
un peu de pain à ces malheureux parce qu'elles ont, dit le jugement,
violé, en faisant cela, les lois de l'humanité!!!
Ils arrivent à Rochefort; on les entasse dans une prison, la prison
des galériens, qui les accablent de leur mépris philosophique. On les
embarque enfin sur six navires. Ils restent dix mois en rade de l'île
d'Aix, à peu près en face de Rochefort. Le mot qui va dominer leur
170 LA RÉVOLUTION

situation, le capitaine du Borée, qu'ils traversent pour être volés

une dernière fois, le leur dit : « Scélérats, il faut avoir une vertu
plus qu'humaine pour vous laisser subsister. » Cette vertu , on ne

l'avait pas.
C'est à la fin de janvier 1794 qu'on les embarque. Au bout de

dix mois, ces huit cent vingt-sept sont devenus deux cent quatre-vingt-
cinq ; les cinq cent quarante-deux autres sont morts de misère.

Le linge et les vêtements qu'on leur avait laissés sur le corps


furent bientôt en lambeaux; il fallut supporter le froid rigoureux, la
chaleur brûlante, dans cette nudité. Dès le matin : « En haut les
déportés! » On les parquait entre six canons chargés à mitraille, dans
un espace si étroit qu'il leur était impossible de s'asseoir; c'est à ce

froid ou à ce chaud qu'il fallait rester debout tout le jour. Le repas


venait, repas de conserves pourries, de pain moisi, de fèves gelées.

La faim était parfois si grande que ces pauvres gens demandaient

avec supplication qu'on leur permît de chercher leur nourriture parmi


les restes destinés à nourrir les cochons du capitaine. On le refusa.

Le soir venu : « En bas les déportés ! » On les enfermait dans un

espace tellement étroit qu'ils ne pouvaient se coucher que sur le flanc;

pas de couvertures, pas de matelas, pas de paille, la planche nue;


deux mètres cubes d'air au plus pour chacun, et encore souvent le

capitaine s'égayait-il à faire fermer la petite ouverture qui donnait un

souffle d'air à l'une des extrémités. Il fallait passer dix heures chaque
jour dans cette effroyable atmosphère qui se composait des émana

tions fournies par les baquets remplis d'ordure, par les déjections (il
y avait aussi le mal de mer), par les fièvres, les infirmités, la décré
pitude. L'infection était telle que nul médecin n'osait y entrer. L'un
d'eux vint un jour à l'entrée, en tenant sous le nez son mouchoir

imbibé d'essence, et il se sauva en disant : «


Qu'on enferme des

chiens là pendant une nuit, ils seront morts ou enragés. » Enragés !

quelques-uns de ces saints le devinrent et moururent dans des accès

de fièvre chaude. — On leur avait retiré tout livre, tout objet de piété.

Il leur était interdit de parler. Un mot latin était une conspiration


aux yeux de ces brutes et était puni des fers. Ces fers étaient si
R ÉVO L U T I O N F R /V N Ç AISE '7'

terribles qu'être condamné à un mois de cette punition c'était être

condamné à mort. Murmurer un cantique appelait la même peine.


Toute la vie extérieure de ces malheureux se passait, devine-t-on à

quoi? à chasser la vermine. C'était là l'horrible douleur, car on était

sans cesse vaincu dans ce combat sans cesse renaissant. Les infirmes,
les malades, les blessés, ceux dont les bras étaient gelés, ne résis

taient plus; plusieurs furent mangés vivants par les poux. Les plus
malades, on les envoyait à l'hôpital, car les vertueux officiers du

navire eussent pu souffrir de la contagion. Cet hôpital, c'était une

chaloupe; dans un espace de quarante pieds on étendait cinquante


malades sur la planche nue, sans couvertures, sans soins, sans autre

remède que le roulis qui les tuait.


Mais ils ne moururent pas assez vite. Un jour, un des capitaines
vint s'ébattre sur le navire d'un collègue. « Combien t'en meurt-il de
ces scélérats? — Une paire par jour. — Ce n'est pas assez. Fais
comme moi. » Il fit comme lui. Il fit descendre chaque matin un
tonneau de goudron dans cet enfer que nous avons indiqué, et y fit

jeter des boulets rouges : les plus faibles mouraient asphyxiés.


A Nantes, on n'y mettait pas tant d'hypocrisie. On avait de vieux
navires, on y entassait les prêtres, on les menait en pleine eau; là
on clouait toutes les ouvertures, on ouvrait sur le flanc une trappe ;

l'eau entrait et noyait tout. Ceux qui essayaient de se sauver en

nageant, on les assommait; ceux qui se sauvaient, on les reprenait et


on les noyait le lendemain. Rien qu'en une seule fois, le 17 no
vembre 1793, on en noya quatre-vingt-six.
Ceux qui n'étaient pas tués n'étaient pas plus heureux. Au mois
de mars, il en part soixante-seize de Nevers et d'Angers pour Nantes ;

au bout de trente-deux jours, il en était mort quarante-quatre, la


plupart de faim; peu de temps après, il n'en restait que quatorze.
A Bordeaux, trois cents environ moururent sur neuf cents. Eux
étaient dans une citadelle, ils essayaient d'attraper pour se nourrir
quelques brins de l'herbe qui croissait entre les pierres.
Ces bateaux, ces pontons, guillotines sourdes et muettes, ne tra
vaillaient pas seuls. Les vraies guillotines ne chômaient pas. Il fallait
172

se débarrasser de ces scélérats, sans doute, mais il fallait l'exemple


aussi, les joies de la haine et du sang.

On a incarné l'horreur dans les hommes du tribunal révolution


naire de Paris, mais la province ne manquait pas de zèle philoso

phique; c'est le mot, on se le rappelle. Le 21 janvier 1794, à Laval,


on guillotina quatorze prêtres; Bordeaux en exécuta trente et un,
plus vingt-quatre religieuses. A Orange, c'est trente qui vont à l'écha-

faud, plus trente-deux religieuses, et le rapport officiel dit, avec la

sottise cynique qui est caractéristique des confidences révolutionnaires:


« En arrivant au tribunal, ces monstres étaient déjà jugés dans l'opi

nion des juges, mais on a fait durer les débats longtemps pour avoir
celui de jeter sur les prêtres et leurs saintes reliques tout le mépris
que ces objets méritent. Cette manière d'éclairer le peuple est des

meilleures. C'est ainsi qu'on détruit le christianisme. »

Que voulait-on mettre et que mit-on en place ? Des fêtes, des

spectacles, les séances des tribunaux révolutionnaires et les faran


doles autour de l'échafaud. La formule est trouvée : « Il ne faut
d'autre culte que celui de la loi ; le peuple ne doit avoir pour prêtres
que ses magistrats. » Voilà la religion nouvelle : Fouquier-Tinville
pour pape, des danses de conventionnels pour les grandes fêtes, et

les lécheuses de guillotine à titre de saintes. Pour catéchisme, on

avait diverses formules, depuis le Catéchisme de la Constitution (sous


la Législative), le Catéchisme de morale et de politique par Monne-
ron, Y Essai d'un catéchisme par Marc-François Bonguyod (sous la
Convention), jusqu'à cette Instruction catéchistique, par tessons, dédiée
à tous les sans-culotes de la république, par le capitaine Hayart, le
plus candide de tous. L'Évangile est remplacé par le recueil de

l'ignoble maître d'école Léonard Bourdon : Actions héroïques et

civiques des républicains français. Les Commandements de Dieu et de

l'Eglise sont changés en Commandements de la Montagne.


Le surnaturalisme dévoyc se montrait dans la persévérance des

convulsionnaires, dans les folies de la religion de Catherine Théot.

La Révolution, après bien des tâtonnements, avait trouvé les trois

formules de la religion nouvelle : le culte de la Raison, pour les phi-


LA
FÊTE DE LA RAISON

DANS NOTRE-DAME DE PARIS, LE 10 NOVEMBRE 1793

TABLEAU DE. AI. CH.-L. MULLER, DIX-NEUVIEME SIECLE

Le s'avance sous les voûtes de Notre-Dame. Une actrice de M113 Maillard, personnifie la Raison.
cortège l'Opéra,
la

Vêtue des trois couleurs la Convention blanche, manteau bleu, bonnet rouge de Liberté), elle
adoptées par (tunique
le

la
est portée sans-culottes. De main elle tient une bannière rouge sur laquelle est inscrit mot
par quatre droite,
le

Raison de la commune de

;
sous ses pieds, elle foule un crucifix. En tête du cortège paraît Chaumette, procureur Paris, qui,
le

la
la

à
à

la
A
parapluie main droite, ordonne marche et la l'entrée du temple* élevé Philosophie, on distingue buste
dirige.
:

la
la

à
le
de

;
Voltaire droite de ce temple, on lit sur un dernier mot de devise de Révolution liberté, égalité,
drapeau

le
:
«
fraternité, ou la mort. Plus bas, un autel sur brûle une torche de la vérité ». Sur les degrés du
antique lequel flambeau
la

à
la

la
à
temple, des chœurs de jeunes filles chantant des hymnes Raison et Liberté; enfin, derrière la Raison, foule

qui l'acclame, qui l'encense et qui boit en son honneur.


1

:
le
;

Tous les détails qui précèdent sont empruntés aux documents contemporains Moniteur universel du i3 novembre 793

2
51
Les Révolutions n° Le n° Le Fanatisme dans la révolutionnaire.

;
de Paris, par L. Prudhomme, Père Duchesne, 309; langue

par La Harpe, etc.

«
Le mouvement dégénéra en une véritable orgie. La Raison, représentée d'abord par une artiste aimée du public, chercha
la
à
la

bientôt ses personnifications dans d'impures courtisanes. Elle trôna sur les tabernacles, entourée de canonniers' qui, pipe
à

bouche, lui servaient de grands-prêtres. Elle eut des cortèges de bacchantes qui suivaient d'un pas aviné, travers les rues, son

»
char, rempli de musiciens aveugles, etc.... (Louis Blanc, Histoire de la Révolution, IX, p. 482.)
la

N'était-il pas juste qu'après avoir été adorée dans les écrits de Jean-Jacques Rousseau, de Voltaire et des autres philosophes,
le
«

Raison, suivant l'expression du P. Lacordaire, fût adorée dans marbre vivant d'une chair publique », et montât en personne sur

?
les autels
174 LA RÉVOLUTION

losophes; pour les enthousiastes, le culte de Brutus ; pour les àmes


tendres, le culte de Marat. « O cœur sacré de Marat, priez pour nous,
car Jésus de Nazareth ne fut qu'un prophète et vous êtes un dieu. »

Le culte de la Raison et de la Liberté ! Cette religion pour l'élite


des révolutionnaires fut découverte par un vendeur de contremarques
et un clerc de procureur .. qui étaient méprisés par leurs confrères.

Le 10 novembre 1790, l'église métropolitaine de Paris fut dédiée à

la déesse Raison, représentée par la femme de l'imprimeur Momoro,


tandis que la Liberté , dont c'était aussi la fête , mais qui avait à offi

cier à Notre-Dame et à aller, en même temps, baiser le président de

la Convention , était représentée par deux actrices aux formes vigou


reuses : la Maillard et la Aubry.
Pendant ce temps, toutes les églises de Paris, enlevées au culte

chrétien, étaient vouées à quelque vertu, et tout particulièrement à

l'amour conjugal, qui avait extrêmement besoin d'être protégé.

En province, le culte de la Raison, avec ses fêtes décadiennes ou

décadiqucs, fut surtout prêché par les prêtres abjureurs. Ils essayaient
de gagner ainsi la pension que la Convention leur faisait pour les

remercier de leur apostasie. Pendant ce temps, le bon peuple se pré

cipitait vers l'arbre de la Liberté, et, après avoir « collé ses lèvres sur
l'écorce au milieu des transports de joie » , il revenait dans le temple

de la Raison « pour y déposer ses sentiments philosophiques ».

Le 7 novembre, Gobel, le patriarche de l'église constitutionnelle,


était venu, opprimé par la terreur, à la Convention; il avait non

pas, comme on le dit généralement, abjuré, mais abandonné les

fonctions de ministre du culte. Sieyès, le ministre protestant Jullien ,

et d'autres, l'avaient imité. C'est alors que la Convention avait chargé


le comité de l'instruction publique de chercher un culte.

Il y eut un beau moment pour la raison. Des communes envoient

des délégués pour annoncer qu'elles ne voulaient plus « adorer d'autre

idole que Marat ». — « Mon dieu Marat, tu es mort pour nous ! » —


On voyait, par tous les chemins, des municipalités conduites par
le maire couvert de la chasuble du curé, escortant une charrette

remplie des dépouilles de l'église et chantant des refrains aussi ineptes


RÉVOLUTION FRANÇAiSK 175

qu'obscènes. A la Convention affluaient, de tous les coins de Paris et

des villes voisines, des bandes de sans-culottes et de prostituées,


ivres, puants, revêtus d'ornements sacerdotaux, conduisant un âne

portant aube ou surplis. Ils défilaient devant la Convention, chantant


des refrains en l'honneur de la philosophie, dansant la carmagnole,
hurlant: « Monsieur Marlbrough est mort... ». Marlborough c'était Dieu.
Le président leur donnait l'accolade et les conviait à jouir des hon
neurs de la séance. Tout cela était tellement nauséabond, que même
Danton, même Robespierre se fâchèrent. Le déisme l'emporta sur
l'athéisme. Les grands philosophes Hébert et Chaumette furent re
connus pour de simples filous. Robespierre anathématisa Y opinion des
matérialistes et maudit les encyclopédistes de l'avoir fait prévaloir.
Il fit célébrer dans toutes les communes de la république la fête à

l'Être suprême. La Convention voulut bien décréter que le peuple

français reconnaissait l'immortalité de l'âme.


Pendant ce temps, l'Église de France vivait non seulement par
le martyre de ses enfants, mais par la foi active. En 179*2, bien des

sections parisiennes protestaient contre l'arrêté qui interdisait les


messes de minuit, et notamment l'Arsenal et le Louvre. En 1793
encore, la procession de la châsse de sainte Geneviève avait lieu au
milieu d'une foule immense, et plus de mille personnes s'age
nouillèrent aux portes de l'église où elles n'avaient pu entrer. Encore
en juin 1794, au plus fort de la Terreur, les espions de Robespierre
lui signalent des couvents pleins de religieux, de religieuses, à Bourg-
la-Reine , à Saint-Mandé, Villejuif, Passy, Issy, etc. Par toute la
France couraient, sous mille déguisements , des prêtres saints et hardis.
Dans beaucoup de nos maisons, nous gardons avec fierté la cachette
des prêtres, et l'on montrait avec mépris à nos pères le fils du

prêtre marié, la fille de l'acheteur de biens ecclésiastiques.

3. — LA PAIX DES
§ POLITIQUES.

Après le 9 thermidor-, les éléments les moins impurs des deux


partis, libéral et jacobin, se réunirent spontanément. Ce tiers parti,
i76 LA RÉVOLUTION

ce parti de politiques , qu'il se nommât les thermidoriens, les direc


teurs, les hommes du consulat, ne chercha pas à écraser la Révolu
tion, mais à lui trouver une manière décente de vivre. Aussi ne

donnèrent-ils jamais la liberté à l'Eglise:, il savaient trop bien que


c'était la ruine de leur idole. Mais ils lui promirent la paix. Nous
allons voir comment ils tinrent leur promesse et ce que fut cette paix.
Le premier qui après la Terreur osa, dans la Convention (2 1 décembre

1794) , parler de la liberté de conscience, fut Grégoire , un rêveur

qui commença par vouloir christianiser la Révolution, et finit par être


marchand de biens d'église. Deux mois après, Boissy-d'Anglas prononça
un discours plus énergique encore, et la Convention vota la fameuse
loi sur la liberté des cultes.

Liberté est ici un mot exagéré. La loi prohibait tout signe


extérieur, inscription ou convocation ; elle défendait à toute commune

d'acquérir ou de louer des locaux pour l'exercice du culte, à tous les

citoyens de faire des donations ou d'établir des taxes pour l'entretien


du culte ; néanmoins il était défendu de troubler les chrétiens dans le
lieu où ils se cachaient pour prier. C'était un grand progrès.
Aussi voyons-nous les rapports de la police parisienne, pendant
les premiers mois de 1795, constater que les exercices religieux sont
fort suivis. Beaucoup de boutiques se ferment les jours de fête. Le
peuple se plaint du retard qu'on met à restituer les églises comme
Notre-Dame et Saint-Sulpice.
On ne tarde pas à s'efforcer de limiter le plus possible les bienfaits

de cette loi. Beaucoup de directoires départementaux décidèrent que


rien n'était changé à la situation des prêtres insermentés. La Conven
tion déclare, le ior mai, que la peine de mort existe toujours contre
les déportés qui rentreront. Heureusement la nouvelle victoire rem

portée, le icr prairial, sur les jacobins parisiens, vint annuler


momentanément l'influence des montagnards. Dès le 11 prairial (3o mai
1795) , parut une loi qui rouvrait au culte toutes les églises qui
n'avaient pas été vendues. Il est vrai que le même décret exigeait un
serment de soumission aux lois de la république. Ce serment ne fut

pas condamné par l'Eglise; beaucoup de prêtres crurent pouvoir le


R K V O I, lJ T IO N F R A N ÇA IS K

prêter, en protestant qu'ils réservaient ce qui touchait au spirituel. —


Le 10 septembre, on condamne à la prison les prêtres qui ne

l'avaient pas prêté. — Le 29 septembre (7 vendémiaire an IV), la loi


sur la police des cultes reprit quelques-unes des faveurs que la loi de

mai avait accordées*, elle précisa la formule du serment et n'admit

Fac-similé d\m tableau ayant servi d'exercice de lecture aux enfants des écobs. Collection de M. de
Liesville, à l'hôtel Carnavalet, dix-huitième siècle. — L'Etre suprême, dont l'existence fut décrétée par l.i
Convention le 7 mai 1794, sur la proposition de Robespierre, n était qu'un dieu impersonne!, un être
imaginaire, doté par ses inventeurs d'attributs et de qualités conformes à leurs caprices. ( Vov. G au.me, La
Révolution, II, p. 3<J.) « Ce Dieu de la pensée n'a pas besoin d'autels, de prêtres ni d'encens. » (Lebrun.)
« Le véritable prêtre de l'Etre suprême, c'est la nature; son temple, l'univers: sou culte, la vertu: ses fêtes,
la joie d'un grand peuple. » (Réimpression du Moniteur^ XX, p. |op. ) Le culte de l'Etre suprême ne survécut
pas à Robespierre, son inventeur.

plus de restriction quant au spirituel ; elle ne demandait plus une


obéissance passive, mais une promesse de fidélité; elle prohibait toute
distribution des actes du pape ou de son légat, le port d'un costume
ou d'un signe religieux même caché, tout blâme contre les acheteurs

de biens nationaux, contre la république. Amende et prison contre

tous ceux qui ne prêteraient pas ce serment; bannissement ou prison


à perpétuité contre ceux qui le rétracteraient. Ce nouveau serment
LA R É V 0 LUTIO N

parut illicite à la plupart des évêques. Les soumissionnaires furent


mal reçus dans beaucoup de départements et notamment dans l'Ouest;

toutefois ce serment ne fut pas condamné officiellement.

L'église constitutionnelle n'avait pas perdu de temps pendant ces

deux dernières années. Sous l'impulsion de Grégoire, qui prenait des


allures de patriarche, elle publiait des encycliques qui constituaient
une sorte de code de l'église gallicane (c'est le nom qu'elle se

donnait). Elle poussait le Directoire à renvoyer les prêtres fidèles hors

de France. Celui-ci, après les avoir menacés de l'atteinte des lois sangui

naires toujours persistantes, les engagea, en effet, à émigrer en Italie,


où il leur offrait un revenu de quinze francs par mois, à condition
qu'ils prêteraient avant de partir un serment d'attachement à la répu

blique.
]J église gallicane songea enfin à réunir un concile national.
Commencé le i5 août 1797, il dura trois mois, tint des séances
solennelles, et porta six décrets, dont un de pacification (du 27 sep

tembre 1797). Il y avait vingt-neuf évêques, six chargés de pouvoirs,


quarante et un prêtres cinq théologiens. Le concile se sépara un
et

peu vite, en voyant la révolution du j8 fructidor an V (4 septembre

1797). Il avait pourtant pris soin de déclarer que « l'église gallicane


n'admet au rang de ses pasteurs que ceux qui auront manifesté leur
fidélité à la république » .

La Terreur nous avait montré le révolutionnaire préparant la vic


toire sur la civilisation chrétienne, le 18 fructidor nous le montre
dans le triomphe. Plus répugnant que le premier, sans aucun de

ces traits vigoureusement barbares qui donnèrent au jacobin une

laideur saisissante , sans-culotte empanaché et doré sur toutes les cou

tures, raffiné, libertin, sournois, encouardi , représentant parfaitement

Révolution au moment où elle pris droit de bourgeoisie dans


Ici

l'humanité, ce républicain du Directoire ne connaissait pour but


à

l'homme que ne pouvait donner pour


Il

l'existence jouissance.
la

de

visée société que bien-être, et ce maximum de bien-être qui


le
la
à

travail par l'agiotage, par


la

morale
la
le

volupté;
la

est remplace
il

science.
3i anoo naanivn no vi » l aidoiiHiNViiHtior-iH «

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uiaïuaAiiunjap snos 3| 3[ii3tpi.i
iSo LA RÉVOLUTION

La conduite politique du Directoire fut comme sa philosophie,


basse et sournoise. On ne guillotine plus, on emprisonne; on n'assas
sine plus, on fait assassiner. La Terreur supprimait brutalement
ceux qui lui déplaisaient; après le 18 fructidor, on déporta les

prétendus coupables dans les îles de Ré, d'Oléron, de Saint-Michel.


Quand les prisons furent pleines, on entassa les malheureux dans
des bâtiments qui les allaient jeter au delà de Téquateur.
Une loi du 5 septembre 1797 donnait au Directoire le droit de

déporter sans jugement tous les prêtres qui paraissaient dangereux.


Les navires qui les transportaient rappelaient les pontons de Rochefort.
Plusieurs prêtres moururent étouffés pendant la traversée. On les

débarqua d'abord à Conamana. Ils n'avaient à boire que de l'eau


vitriolique. Au bout d'un mois, plus de la moitié étaient morts. On
évacua ceux qui restaient sur Sinnamary. « Nous vîmes arriver ces

débris humains, des vieillards, des malades exténués, portant chacun


son paquet, se traînant à peine... Tous périrent à l'exception d'un
seul. » Outre les chargements que transportèrent la Décade, la Cha
rente, la Bayonnaise en 1798, on continuait en 1799. Mais ces der
nières victimes, le 18 brumaire les sauva. Beaucoup de ces déportés
n'avaient commis d'autres crimes que d'avoir dit la messe; on leur
adjoignait des laïques coupables d'y avoir assisté, ou simplement qui

paraissaient manquer d'attachement à la république.

Les politiques eurent leur religion révolutionnaire comme l'avaient


eue les philosophistes et -les terroristes. La Théophilanthropie, avec La

Réveillère, le directeur bossu, pour grand-prêtre, remplaça l'église


constitutionnelle et le culte de la Raison. Cette religion tourna aisément
au ridicule. Elle avait pour objet l'Etre suprême de Robespierre, seu

lement avec une grimace moins franche. Cet Etre suprême versait de

Veau vitriolique , au lieu d'exercer sur la place de la Révolution. On


peut consulter, pour connaître la théologie de ce culte, les Discours

décadaires à l'usage des théophilanthropes, par Poultier (du Nord),


ci-devant moine , ex-commandant de la garde nationale , etc. On y
apprend que les rois ont établi des prêtres pour éloigner l'homme de
Divinité rendre On lire aussi Epîtres
l.i

et abject. peut
le

et
:
R ÉVOLUTION FRANÇAISE 1S1

Evangiles des républicains , à l'usage des jeunes sans-culottes. Ils nous


annoncent que, grâce à la Révolution, l'homme deviendra Dieu.
Nous avons constaté le quadruple eiïbrt de la Révolution : con

fiscation des biens du clergé, qui est un effort d'essence philosophique


et qui avait pour but la ruine de l'Église; constitution civile, qui est

d'essence parlementaire et qui devait amener l'esclavage du clergé ;

persécution sanglante, qui est d'essence républicaine et qui était des


tinée à anéantir le clergé; enfin la paix révolutionnaire, qui est
d'essence césarienne, qui fut d'abord la persécution, puis la domesti
cité masquée.

Le clergé français fut ruiné, massacré ; pourtant c'est lui qui a

triomphé. C'est son héroïsme de la fin du dix-huitième siècle qui


protège encore aujourd'hui l'Eglise contre la persécution révolution
naire. Les pseudo-libéraux qui, depuis soixante ans, sont les promo

teurs des basses oeuvres de la Révolution, ont appris qu'ils ne

triompheraient point par ruse du catholicisme. Us savent qu'arrivés à

un certain point d'exigence, ils trouveront une résistance qu'il faudrait


attaquer par la persécution franche. Or ce n'est pas leur fait; ils sont
pour la persécution diplomatique. La tyrannie sanguinaire ne va bien

qu'aux hommes des dernières couches révolutionnaires, aux jacobins,

sans-culottes, communalistes , socialistes.


Parmi ces derniers même, ceux qui sont seulement ambitieux et

corrompus, qui ne sont ni tout à fait ineptes, ni tout à fait furieux,


ceux-là ont constaté que le clergé français est sorti de la fournaise
révolutionnaire plus pur, plus pieux, plus discipliné, c'est-à-dire plus
fort. Il a prouvé aux philosophes de 1700 qu'il aimait mieux être
martyr qu'esclave, aux jacobins de l'an II que sa vigueur renaissait
dans son sang. Il l'avait prouvé à leurs prédécesseurs depuis dix-huit
cents ans, et leurs successeurs ne sont pas encore aujourd'hui parve
nus à l'oublier complètement.
lS-2 I.A RÉVOLUTION

CHAPITRE II

LA CHARITÉ
La Révolution, étant donné son principe, devait s'occuper beau

coup de bienfaisance, s'en occuper avec une jalousie haineuse; sacrifier


complètement la charité à la philanthropie, c'est-à-dire la tendresse
pour l'être souffrant au soin exclusif de la charpente humaine.
C'est bien là ce qui arriva. Je compte quatre-vingt-sept décrets ou

lois concernant la bienfaisance légale de 1790 à la fin de l'an VII.


Quelques-unes de ces lois, les plus longues et les plus travaillées,
c'est-à-dire celles qui sont dues uniquement au génie révolutionnaire,
en dehors du sens français et chrétien , sont tellement impraticables
qu'elles ne reçurent même pas un commencement d'exécution. Citons
les décrets sur l'organisation des services publics, sur la commission
centrale de bienfaisance, sur l'organisation des secours, sur les dons
à faire aux filles mères, sur la formation du Livre de la bienfaisance

nationale.

Que cherchent, au fond, toutes ces lois? Une seule chose, celle que
la Révolution ne perd jamais de vue : détruire toute influence pouvant
contrarier la sienne auprès de la classe la plus nombreuse, qu'elle
veut aveugler et fanatiser.

La Rochefoucauld-Liancourt , un des types vénérables de ces phi


lanthropes candides qui furent à la fois dupes et victimes de la Révo

lution, avait posé le principe. Il annonçait, le 3o janvier 91, que les

pauvres ne seraient rassurés que quand « la nation s'emparerait du


droit de les secourir ». Ce naïf euphémisme encourageait la Révolution

à prendre « tous les biens des hôpitaux et de tous les instituts de


bienfaisance ». Elle n'y manquera pas.
Ces biens valaient huit cents millions. Il ne faut pas croire qu'ils

fussent régis sans soin, ni qu'on eût attendu la Révolution pour


mettre dans cette administration l'ordre et la méthode. Le code de la
us<aA
y
^ ^ ^ ^

Lc'.tic adressée, en i8oi, par Napoléon Bonaparte an ministre de la marine. (Communiqué par M. Armand Le Brun, à Saint-Denis-
le-Gast, Manche.). — I.e premier consul se plaint d'avoir vu les malades ds l'hôpital militaire de Toulon soignés par des forçats!
Un document de famille (lettre de Jacques Le Brun, caserne de Reeouvrance, à Brest, appartenant également à NI, Armand Le Brun ),
nous apprend que les malades de l'hôpital de Brest étaient aussi soignés par des forçats en l'an II ( 1793). On y lit : « Les malades
sont soignés pur des forçats libérés.... Ceux qui ont des économies meurent les premiers. Les forçats distribuent les drogues à tort et
à travers. Ils disent : " Avale, Limousin! Avale, Normand! » Les malheureux prennent la potion, enflent souvent gros comme des
barriques, et on n'attend même pas qu'ils aient tourné de l'œil pour Us prendre pur lis pieds et les épaules et tei jeter dans la salle
d.-> morts On dit tout haut'qtie les forçats empoisonnent les malades pour avoir leur- dépouilles. »
i$4 LA REVOLUTION

charité sous l'ancien régime est des plus complets. Le bureau général
des pauvres, créé en 1544, était dirigé par une commission de notables,
sous la présidence du prévôt des marchands et des échevins. Il avait
le droit de frapper chaque année un impôt spécial en faveur des

pauvres. Nul habitant n'en était exempté. Ce bureau avait juridiction

pour le lever, pour contraindre les mendiants valides à travailler, etc.

La Constituante s'empressa de mettre à sa place un comité, le

comité de mendicité. Il inventa cet idéal de la démocratie, l'atelier de

secours ou de charité. On en établit d'abord à Montmartre, puis à

Chaillot, puis aux Récollets. On décréta quinze millions pour en

former dans les départements.


On remplaçait la charité chrétienne par la paresse organisée et

insolente. En même temps on tenait les ouvriers dans une sorte de

servage , qui les mettait à la dévotion de l'administration révolution


naire. Seulement, comme ce serf apprenait en même temps qu'il était
souverain , il voulut se perpétuer dans ces écoles du travail désor
donné et en faire d'aimables abris de repos civique. Ces ateliers

nationaux devinrent un des grands soucis de la bourgeoisie libérale

qui gouverna pendant les premières années de la Révolution.

Ce ne fut pas le seul que lui procura sa haine contre la charité

chrétienne. La Constituante avait décrété l'abolition des congrégations


religieuses. Le 2 novembre 8(3, elle avait mis leurs biens à la dispo
sition de la nation. Avec ce reste de bon sens et d'esprit pratique
qu'elle gardait encore, en ces premières heures, elle avait excepté les

congrégations hospitalières et les biens des hôpitaux. Mais ce trésor

formé en faveur des pauvres par la piété de nos ancêtres était bien

tentant. D'autre part, la misère augmentait avec la révolte et le vice.

Les nobles, pillés, pourchassés, massacrés, ne donnaient plus; les

prêtres, ruinés et proscrits, ne donnaient plus; les prêtres constitution


nels, avec leurs 1,200 livres annuelles, ne donnaient guère; et, pour
entrer dans le menu détail, la rareté des espèces monnayées ne per
mettait même plus au petit sou de se montrer. Les journaux, au lieu

de reconnaître que cette misère générale, ainsi que la ruine de l'agri


culture et de l'industrie, étaient la conséquence nécessaire de la Révo
R ÉVOLUTION FRANÇAISE

l'éducation chrétienne
« La prière du matin a l'hôpital Saint-Louis, à Paris, h Tableau de Pils, dix-neuvième siècle. —
D'après U
gravure publiée par MM. Jourdan, Harbot et O, boulevard Poissonnière, 14,à Paris. — L'éducation chrétienne
consiste à enseigner d'abord à reniant ses devoirs envers Dieu, d'où découlent ses devoirs envers les hommes.

lution, déclaraient que c'était évidemment « une coalition aristocratique


pour faire regretter le temps passé ». Après avoir inutilement augmente
^4
i«0 LA RÉVOLUTION

le nombre des ateliers de charité, la Constituante perdit la tète. Le


G avril 92 , l'exception faite en faveur des congrégations hospitalières
est annulée. Dès lors commence la série des décrets chargés de
limiter les conséquences désastreuses de cette situation : création d'im
pôts nouveaux, attribution d'amendes et de confiscations, vote de

secours aux hospices (8 juillet 91, 19 janvier, 10 août 92, 3 février,


14 juillet 93,26 fructidor an VI, etc.). Tantôt (18 août 92)011 voulait
piller les hôpitaux, tantôt on s'arrêtait au milieu de la confiscation

(ier mars g3). En messidor an II, le redoutable adjectif national


bondit de nouveau sur le bien des hospices. Le 9 fructidor an IV ,

on surseoit à la vente de ces biens. L'année suivante, on restitue aux


hospices la jouissance de leurs propriétés, toujours, comme le dit le

décret de brumaire an IV, « en attendant une organisation défini


tive ». Mais cette organisation ne venait pas, et encore en l'an IX on
continuait de restituer, ce qui semble démontrer qu'on avait continué
de prendre.
Pendant ce temps, la philanthropie fait rude guerre à la mendicité.
Les mendiants sont emprisonnés; toute distribution de secours par les
particuliers est interdite, elle est permise aux municipalités seules.
L'homme qui a fait l'aumône est emprisonné comme celui qu'il a

secouru. La Révolution, une fois qu'elle est décidément maîtresse, ne

craint plus de montrer le fond de sa fraternité; en l'an II (18 vendé


miaire) elle déclare décidément qu'il faut, pour avoir droit à des

secours, « justifier d'un inviolable attachement à la république ». Par


compensation, elle annonce (18 brumaire an II) qu'après avoir con
fisqué le bien de ceux qui sont suspects de ne pas posséder cet

inviolable attachement, elle confisquera leurs enfants et les mettra à

l'hôpital. Enfin, elle trouva l'idéal de l'organisation laïque de la charité,

le bureau de bienfaisance (frimaire an V, vendémiaire an IX), et c'est

pour son établissement que fut créé (7 frimaire an V) la perception

sur les billets de spectacle d'un décime par franc.


Il faut bien comprendre que la lutte était entre la bienfaisance

philosophique et la charité chrétienne. Après avoir essayé, par la

persécution religieuse, de prendre au christianisme l'âme de l'homme,


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i88 LA REVOLUTION

ajoute à Li fureur, et cette ténacité de sectaire qui entrevoit le pillage


comme conclusion d'une discussion dogmatique. Aussi fut-ce par le

pillage de Saint-Lazare que commença la semaine mémorable , illustrée


par l'affaire de la Bastille. En septembre 92, ce fut à Saint-Firmin ,

autre maison de lazaristes, que le sang monta le plus haut aux bras
des fondateurs de la république. Contre les Filles de la charité, la
fureur était si grossière, que l'auguste sérénité de La Fayette même
s'en émut. « C'est avec une sorte de douleur, écrit-il dans ses

fragments de mémoires, que je rappellerai ici l'infâme complot contre


ces filles respectables connues sous le nom de Sœurs de la charité. »

L'impuissance des ministres de Louis XVI essaya de se soulever.


« Comment des filles qui se sont consacrées au secours du peuple
n'ont-elles point trouvé de protecteurs et d'appuis ? » écrit M. de

Lessart. Ce n'était pas bien vigoureux, et cela valut à ce ministre


d'être assassiné. Enfin, la grande voix de Burke se fit entendre et

consola l'humanité épouvantée : « Filles de saint Vincent de Paul,


anges de la charité chrétienne, vous qui avez subi le plus infâme
châtiment, venez..., vous n'avez pas une minute à perdre pour fuir
le martyre qui vous attend dans votre patrie. »

Elles le savaient. Dès l'année. 91, on les traînait par les rues,
entre les soldats, au milieu des huées, des coups, des cris de mort,
devant des magistrats tellement républicains déjà, qu'ils les menaçaient
de les livrer au peuple. Et ces filles avaient des mots héroïques, en

même temps que doux; elles se jetaient aux genoux des juges et elles

s'écriaient : «
Que le plus humain d'entre vous, messieurs, nous serve
de bourreau plutôt que de nous livrer au peuple. » Pourquoi non?
Le député Lagrevol, de la Haute-Loire, ne disait-il pas, aux applau
dissements de la Législative, que «ce n'étaient que des vermines»?
Le jocrisse jacobin ne pouvait manquer à de telles fêtes. Il y
déploya tout son charme. « Le père Clément Yves, supérieur de
l'ordre de la Charité, écrit, avec une fourberie dont un moine ambi
tieux seul est capable...» Quoi donc, grand Dieu! qu'écrit-il, ce

moine épouvantable? Il écrit à l'Assemblée (février 1790) pour dire


qu'ayant trente-deux hôpitaux à desservir, et la Constituante venant
PORTRAIT DE MARIE-ANTOINETTE
GRAVK A L E A U - 1•O 11T E PAR H. TOUSSAINT
D'APRES UNE MINIATURE SUR IVOIRE DE A. DU MO NT, AU MUSEE DU LOUVRE
DIX- II U I T I È M E S 1È C L E.

« La reine de France n'est plus la jolie ingénue de l'île du Rhin; elle est la reine,
une reine dans tout l'éclat, dans toute la Heur et toute la maturité, dans tout le
triomphe et tout le rayonnement d'une beauté de reine. Elle possède tous les caractères
et toutes les marques que l'imagination des hommes demande à la majesté de la femme :

une bienveillance sereine, presque céleste, répandue sur tout son visage; une taille que
Mme de Polignac disait avoir été faite pour un trône; le diadème d'or pâle de ses
cheveux blonds, ce teint le plus blanc et le plus éclatant de tous les teints, le plus beau

cou, les plus belles épaules, des bras et des mains admirables, une marche harmonieuse
et balancée, ce pas qui annonce les déesses dans les poèmes antiques, une manière
royale et qu'elle avait seule de porter la tète, une caresse et une noblesse de regard qui

enveloppaient une cour dans le salut de sa bonté, par toute sa personne enfin, ce

superbe et doux air de protection et d'accueil ; tant de dons à leur point de perfection

donnaient à la reine la dignité et la grâce, ce sourire et cette grandeur dont les

étrangers emportaient le souvenir à travers l'Europe comme une vision et un éblouis-

sement. » (Edmond et Jules de Concourt, Histoire de Marie- Antoinette, pp. m3


et i i.|.)
K É VOL U TI O N F R A N Ç A I S \i

de décider que les ordres hospitaliers étaient exceptés de la loi qui

détruisait les ordres monastiques, il demande d'être autorisé à avoir


des novices. Voilà la fourberie. L'augurai Prudhomme, avec ce

mélange d'imbécillité candide et de venimeuse perfidie qui distingue le

bourgeois révolutionnaire, racontait de temps à autre des anecdotes

saugrenues, d'où il résultait que les Sœurs faisaient des neuvaines

pour le roi de Prusse. On prouvait la fausseté du fait; mais le tour


était joué, et l'on pouvait fouetter les religieuses dans les rues, aux
applaudissements du patriotisme.
Si le tour était joué, le but était atteint aussi. La charité chrétienne
était forcée de se cacher. L'État philosophe était chargé d'exercer

méthodiquement la philanthropie. Qu'en résulta-t-il ? Très logique


ment, un développement inouï d'égoïsme, ou plutôt l'égoïsme élevé à
l'état d'institution sociale. Le pauvre n'était plus qu'un impôt ; on le

soignait par l'intermédiaire du percepteur des finances; on le conso


lait par l'entremise d'un infirmier payé pour cela. Qu'en doit-il tou
jours résulter? Non moins logiquement, la misère. L'Etat prospère
ne négligera pas les pauvres, mais au premier embarras, — mauvais
gouvernement, mauvaise administration, guerre, malaise social, —
les misérables, les infirmes, les orphelins, les vieillards, les mori
bonds doivent être négligés, puis dépouillés.
Ainsi voyons-nous poindre , dès les premiers temps de la Révolu
tion, l'une des plus noires misères et des plus abandonnées que
l'histoire ait enregistrées. Faim partout, partout désespoir; pour
toutes les mères l'angoisse de l'heure présente, pour tout travailleur
l'inquiétude du lendemain. S'il en était ainsi pour le foyer domes
tique bien organisé, pour l'homme vigoureux, on devine ce que
pouvaient être la veuve, le malade, l'infirme. Dès le mois d'août qi ,

voici le résumé de la correspondance officielle des administrations


départementales. « Les ressources diminuent de jour en jour, le nombre
des pauvres augmente. » Je prends le plus riche département de
France, le Nord : « Nous avions 480,000 livres de revenus provin
ciaux, il nous en reste 10,000, disent les députés à la fin de 94; nos
hôpitaux sont sans ressources; nos communes ont hypothéqué leurs
LA RÉVOLUTION

biens, deux cent quatre-vingt mille personnes sont sans pain. » En 92,
le rapporteur du comité des secours publics avait déclaré officielle
ment qu'il n'y a rien d'égal à la pénurie des hôpitaux. Il faut
entendre, en effet, ceux des contemporains qui les ont visités.
Pendant ce temps, les révolutionnaires naïfs, comme Français, de
Nantes, persistaient à dire qu'avant peu d'années il n'y aurait plus
besoin d'hôpitaux, parce que la vertu de la Révolution aurait détruit
la pauvreté! Dès lors, pourquoi ne pas commencer doucement à les

supprimer? Il y en avait quarante-cinq à Paris en 89; il n'y en a

plus que quinze en 1801. Les huit millions de revenus qu'ils possé
daient avant la Révolution étaient gaspillés, il en restait uniquement
de quoi payer les administrateurs républicains. Ceux-ci se succédaient

si vite en ces grasses fonctions qu'on pouvait gager, en voyant entrer


dans un hôpital un patriote et un malade, que le premier partirait
enrichi avant que le second ne sortît guéri.
Les malades pourtant n'y restaient guère. L'hôpital n'était plus le

lieu de guérison, pas même l'antichambre de la mort, c'était la mort

même. On ne prenait plus la peine d'y transporter les aristocrates


malades; ils étaient aussi bien soignés en prison, ils n'y mouraient
pas davantage.
Dans plusieurs hôpitaux, faute d'avoir pu trouver des gardes

laïques, on avait bien été forcé de conserver quelques religieuses;


mais la Révolution ne perdait pas tout. Comme le dit un contempo
rain , « on les abreuvoit de fiel et de vinaigre)).

Quand Bonaparte, en arrivant au pouvoir, fit faire la grande


enquête sur l'état de la France, il constata officiellement ce que valait
la philanthropie révolutionnaire. Ici, sur vingt enfants placés dans les
hôpitaux, il en mourait dix-neuf. A Marseille, sur six cent dix-huit,

dix-huit seulement avaient survécu; à Toulon, trois sur cent quatre.


Presque partout les malades étaient sans linge et vêtus de lambeaux.

Les lits étaient sans couvertures; les paillasses, sans paille; les fenêtres,
sans vitres. Les riches hôpitaux avaient sept livres de viande par jour

pour quatre-vingts malades; les autres ne leur donnaient que des

fèves. Les médecins, les employés, restaient deux années sans être
LA PANTHÈRE AUTRICHIENNE
VOUÉE AU MÉPRIS ET A L'EXÉCRATION DE LA NATION FRANÇAISE
DANS SA POSTÉRITÉ LA PLUS RECULÉE

MARIE-ANTOINETTE A LA LANTERNE
D'ftprès une gravure du temps, communiquée par M. Muhlbacher, a Paris. — Au bas, se trouve la
légende suivante : « Cette affreuse Messaline, fruit d'un des plus licencieux concubinages, est com
posée de matière hétérogène, fabriquée de plusieurs races : en partie lorraine, allemande, autrichienne,
bohémienne, etc. De toutes pièces déjà connue le sera encore plus parfaitement par l'esquisse de ces
traits.... Elle porte la redoutable chevelure du treizième apôtre, du même caractère de Judas; comme
lui, elle mit les mains dans le plat pour voler et dissiper les trésors de la France. Ses yeux, durs, traîtres
et enHammés ne respirent que feux et carnage pour combler ses injustes vengeances. Son nez et ses joues
sont bourgeonnés et pourprés par un sang corrompu qui se distille entre sa chair et son cuir déjà plombé.
Sa bouche, fétide et infecte, recèle une langue cruelle qui se dit pour jamais altérée du sang français. »
] ()2

payés. Dans les hospices, ceux qui venaient chercher refuge ne tar

daient pas à devenir « des squelettes vivants ».

Au moment où les incorrigibles du libéralisme révolutionnaire


protestaient que « sous l'égide des immortels principes de 1789, tout

Français rougirait désormais de mendier » , la mendicité devenait un

emploi public.
On ne comptait pas moins de trois cent mille mendiants de pro
fession en France , et les personnages les plus aisés réclamaient des

secours; on en voyait venir en carrosse aux portes des bureaux de

bienfaisance. Ces effrontés se disaient que, la charité étant un impôt

distribué par l'Etat, ils ne voyaient pas de raison qui les détournât de

chercher à prendre cette miette du budget.


Ainsi devait naître le socialisme. En changeant la formule de la

charité chrétienne, qui disait : Tout homme a le devoir de secourir


son semblable, en celle-ci : Tout homme a droit à sa subsistance , les

philanthropes commençaient toute une évolution. Ils croyaient seule


ment donner une tournure plus fière à la maxime chrétienne, et en

fait ils créaient un despotisme nouveau. Ce n'était plus abaisser la

propriété vers la pauvreté , c'était donner au pauvre un droit sur le

bien du voisin. Ce droit à la subsistance devint orgueilleusement le

droit au travail. Or, comme on reconnaissait en même temps la

souveraineté du nombre, c'était la multitude qui était logiquement


l'interprète et le juge de ce droit. Il devait donc être interprété comme
le droit de travailler autant, c'est-à-dire aussi peu, qu'il convient au
souverain, à l'ouvrier représentant le nombre.
La conséquence dernière, mais nécessaire, c'est la mission donnée à

l'Etat de recueillir toutes les successions et de les distribuer, tou

jours comme il convient au souverain, au représentant du nombre.


R KVO L U T ION !■R A N Ç A I S \i

CHAPITRE III

L'ENSEIGNEMENT
<( Il ne s'agit plus de former des messieurs, mais des citoyens.

La patrie a seule droit d'élever ses enfants. Elle ne peut confier ce

dépôt aux préjugés des particuliers, aliment éternel d'un fédéralisme

domestique.)) C'est ainsi que Robespierre, dans son discours du

18 floréal an II, a résumé la théorie de la Révolution en fait d'éducation.


Il ne sera plus question désormais de former des hommes, des

hommes civilisés, mais des animaux domestiqués pour être les ser

viteurs du gouvernement. Voilà le principe suprême. Il en découle

deux conséquences :

i° Le gouvernement seul a droit d'enseigner;


2° La famille est un ennemi dont l'action doit être sans cesse

combattue, parce qu'on trouve là des instincts variés, des volontés


particulières absolument contraires à cette unité dans le servage qui
est l'évangile du jacobinisme.
Toute la loi pédagogique de la Révolution est renfermée dans ces

termes.

Barère, qui est l'enfant terrible du républicanisme, avait proposé


le commentaire magistral du principe posé par Robespierre : « Je
demande que l'Assemblée s'occupe d'une instruction révolutionnaire,
celle qui doit changer nos idées et établir la morale qui convient à la

république. » Ce n'était pas à la république à convenir à la morale


humaine, il fallait forger une morale tricolore ou rouge qui
s'adaptât à la république. Il fallait, conséquemment , un enseigne
ment nouveau.

S T. — LA PÉRIODE DE DESTRUCTION.

La Révolution appliqua ici, dans toute' sa pureté, sa méthode


réformatrice, la seule qu'elle ait, méthode aussi facile que fructueuse.
25
LA REVOLUTION

Elle supprima tout et prit tout. Sans penser au passé, ni à l'avenir,


ni aux droits acquis, ni à l'équité, ni à la logique, ni à l'impossi
bilité de remplacer ce qu'elle anéantissait, ni aux maux innombrables
qui allaient s'ensuivre, elle voulut refaire tout l'édifice des connais

sances humaines.
La Constituante, avec son étourderie habituelle, avait enlevé les

principales assises de ce monument, sans paraître soupçonner qu'il


dût s'effondrer. Elle n'avait manqué aucune occasion d'attaquer à fond
l'ancien régime pédagogique, mais sans vouloir conclure. Elle avait

pris un de ces moyens détournés qu'elle aimait : elle avait désorga

nisé la plupart des collèges en imposant le serment constitutionnel


aux professeurs. Quelques-uns d'entre eux s'y trompèrent; ils crurent
qu'on en voulait seulement aux méthodes surannées, et qu'en donnant
des airs dégagés aux humanités on en sauverait l'essentiel. Le collège de

Navarre notamment se fit placarder de certificats de civisme. D'autres


essayaient de détourner le gros de l'orage, en faisant ajouter des com
mentaires sur la constitution au Cornélius Nepos, Et chacun écrivait
confidentiellement (octobre 91) au ministre de l'intérieur : « Les éta
blissements d'instruction sont dans le plus grand désordre, à cause
du discrédit où sont tombées les anciennes lois. »

C'est la Législative, nous l'avons vu, qui était chargée de mettre

en. pratique le faux libéralisme dont la Constituante avait posé les

principes. Elle n'y manqua pas, La loi du 2 avril 1792 supprima tout.
Supprimées les vingt -trois universités de France, confisqués leurs

biens (et c'était une bonne fortune, puisque l'université de Paris à

elle seule dépensait annuellement pour l'instruction 1,400,000 livres);


supprimés les cinq cent soixante-deux collèges avec leurs soixante-

douze mille huit cents élèves, dont plus de quarante mille recevaient

gratuitement l'éducation classique (et ce butin n'était pas non plus


médiocre, puisque l'un des collèges fut vendu 372,2 [5 livres argent);

supprimées toutes les écoles des abbayes, des prieurés, des presby

tères, des chapitres; supprimées toutes les petites écoles qui répon

daient à peu près à nos écoles primaires et où, presque en chaque

paroisse de France, Ton donnait l'instruction gratuite.


M A RIE- ANTOINETTE AU TEMPLE
Pointure du temps ; d'après la photographie de MM. BranD et Ci0, à Paris. — La reine est vêtue de
deuil ; ses cheveux ont blanchi avant l'âge; ses traits portent l'empreinte des souffrances qu'elle a endurées.
Le 2 août 1793, on l'enleva du Temple pour la conduire à la Conciergerie. « Elle couvrit de larmes ses
entants, et, serrant Madame Elisabeth dans ses bras : « Adi.-u, chère sœur, dit-elle, adieu pour toujours,
« nous nous reverrons avec le fils de saint Louis; je recommande mes enfants à votre tendresse. » Puis
elle s'en alla avec courage a son martyre, « ( Laurentie , Histoire de France, VI, p. 521. )

Quand la discussion vint à la Législative (avril 1702), l'un des


moins corrompus de lepiscopat constitutionnel, Lecoz, s'écria : « Mais
LA RÉVOLUTION

vous allez retirer à six cent mille enfants les moyens d'apprendre à
lire! » Qu'importait! Supprimées les innombrables écoles où les filles
des riches comme des pauvres recevaient l'instruction. Supprimées
aussi les académies, « parce qu'elles sont propres à perpétuer les
restes de l'esprit de corps ». Fermées les écoles de droit, mortes les
écoles de médecine. Restait, à demi clos, l'ancien Collège royal. L'on
nous vantait naguère la mansuétude de la république à l'égard des
professeurs, en nous faisant valoir qu'elle n'avait même pas guillotiné
le bon abbé Delille, qu'elle avait, en ce Collège royal, emprisonné
seulement quatre professeurs sur dix-huit, et que les autres avaient
eu le droit de continuer des cours de syriaque — probablement sous
le contrôle furieux d'un savetier sourd du voisinage.
La vérité est qu'on avait pris les précautions pour que tout l'ensei
gnement non seulement fut bien mort, mais qu'il ne pût revivre. Un
décret d'octobre 1793, complétant celui d'août précédent, interdisait
les fonctions de professeur à tout noble, religieux, prêtre, religieuse
ou femme noble, à tout individu qui avait été jadis nommé par des
prêtres ou des nobles, ce qui était éloigner tout le monde, puisque
avant 1789 l'évêque devait ratifier la nomination des instituteurs
paroissiaux. Enfin, pour ne négliger rien, les professeurs bien laïques,
bien roturiers, devaient encore prêter serment à la constitution civile
du clergé. Il fallait des instituteurs mariés, ((parce qu'en offrant à leur
élève la vue des douceurs de l'union conjugale, ils feraient naître dans
son sein le désir de les connaître »! Enfin, l'un des vice-présidents du
tribunal révolutionnaire le proclamait dogmatiquement : « la république
n'a pas besoin de chimistes ».

Pour excuser toute cette tyrannie, on avait déclaré qu'il s'agissait


« d'émanciper la pensée humaine ».

L'émancipation de l'esprit humain n'avait pas tardé à faire des


progrès. Le 2 5 août 1793, une députation d'enfants, conduits par les
instituteurs laïques, se présentait à la Convention, et l'un de ces

élèves de la nouvelle école demanda que désormais, « au lieu de prê

cher au nom d'un soi-disant Dieu, on se contentât de leur apprendre


les principes de la constitution ». La Déclaration des droits de
RÉVOLUTION FRANÇAISE J97

l'homme, en effet, — c'est la commune de Paris qui le proclame


(3 brumaire an II), — « est le seul catéchisme dans lequel il faut

apprendre à lire aux enfants ». Les enfants en sont bien convaincus.


Une nouvelle députation de ces innocents citoyens vient, le 6 fri
maire, à la Convention, et insiste pour « qu'au lieu de l'Evangile,
on se borne à leur faire apprendre les droits de l'homme ».

La Révolution réalisait ce rêve monstrueux, inconnu au paga


nisme, et dont aucune page de l'histoire d'aucun peuple n'offre de
traces, le rêve inouï d'élever l'enfance sans Dieu. Tout le reste sui
vait. « La logique s'apprend sans maître dans une république deux
heures de leçons dans un des groupes de nos places publiques suf
fisent. » — (( La simplicité tient lieu de talent aux bons sans-culottes. »

— (( Il faut que l'ignorance vertueuse soit un titre pour toutes les


magistratures. » — « Assez longtemps le talent, toujours conspira
teur, a fait son partage exclusif de magistratures. » —
toutes les
(( Les beaux -arts sont naturellement royalistes. » — « La morale
enseigne des préceptes d'un modérantisme antirépublicain. » C'étaient
là les axiomes courants de la pédagogie nouvelle.

§ 2. — TENTATIVES DE REORGANISATION.

Les révolutionnaires comprenaient fort bien qu'il n'y avait pas


pour eux de règne durable s'ils ne s'efforçaient de pétrir à nouveau
les jeunes cerveaux Chacun se précipita vers cet amas d'utopies, de
rêves, de sensibleries et de philosopheries que ce siècle actif et attendri
avait formé.
Le premier besoin que l'on sentit fut naturellement d'avoir une
jeune espèce humaine à l'image de Mirabeau et de Talleyrand. Le
cours des choses devait amener le besoin d'en former une à l'image
de Petion et de Chabot, puis de Léonard Bourdon et de Danton,
puis de Marat et de Chalier, puis de Saint- Just et de Robespierre,
puis du père Duchesne et de Chaumette.
Cabanis recueillit les idées de Mirabeau et les publia en trois
LA RÉVOLUTION

discours. Mais l'image du patriarche de la Révolution était alors


devenue fort terne, et cela ne fit aucun bruit. En septembre 1790,
Talleyrand avait mis au jour son plan d'éducation nationale. Les
journaux trouvèrent le plan ingénieux; ils admirèrent surtout l'idée
d'établir dans chaque département un collège de femmes; mais on y
conseillait trop l'étude de la religion et de la morale.
Pendant ce temps, avant cela même, en 17S9, l'homme qui devait
devenir le type exquis du pédagogue révolutionnaire, le lâche et féroce
instituteur que nous avons plusieurs fois nommé, Léonard Bourdon,

IMAGE EN NOIR DU BILLET TRACÉ PAR MARIE- ANTOINETTE


et reproduit à la page ci-contre. Ce billet a été déchiffré pour la première fois en 1876, par M. Pilinski,
paléographe. En voici la lecture : « Je suis gardée à vue, je ne parle à personne. Je me fie à vous,
je viendrai. » Il était destiné au comte de Rougeville, qui avait formé le projet d'enlever la reine et de la
transporter au château de Livry ( Seine-ct-Oise ), où deux cents cavaliers armés devaient l'attendre pour
la conduire sur les terres de l'empereur d'Autriche.

avait publié, lui aussi, son plan d'éducation nationale, dont l'idée
originale était de « partager le pouvoir classique entre le maître et
les élèves ». Cette idée saugrenue était faite pour plaire. En sep
tembre 1790, la municipalité parisienne découvrit que cela était « basé
sur des principes conformes à ceux des droits de l'homme et du
citoyen », et décida qu'on ouvrirait, en octobre suivant, une école
conformément à ce programme, pour les fils des vainqueurs de la
Bastille. L'école s'ouvrit peu ; elle fut aussi grotesque que son patron.
Bref, on arriva à la Législative sans avoir rien fait, bien que Daunou
se fût mis de la partie. Il avait réédité pour les constituants le plan
qu'il avait proposé à l'Oratoire, peu de temps avant 1789.
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2C0 LA RÉVOLUTION

A la Législative, Condorcet développa, lui aussi, un plan. Mais


le personnage était un mathématicien et non un philosophe, encore
moins un politique; je veux dire qu'il voyait très clair dans le détail,
sans pouvoir arriver à une vue d'ensemble : il était de ces hommes
qui font un nuage en rassemblant des étincelles. Les contours des
plus lucides de ses idées se perdirent dans le vague. Son plan, ingé
nieux par l'agencement, et ravissant encore aujourd'hui pour tout
esprit étroit, fut trouvé impraticable et fort raillé.
Quand la Convention inaugura son règne, le libéralisme révolu
tionnaire avait achevé si parfaitement l'œuvre de désorganisation que
l'opinion s'inquiéta. Il n'en était pas ici comme des principes poli
tiques ou religieux : l'école était un fait, l'instruction une utilité pra

tique*, il fallait bien constater qu'il n'y avait plus d'école. Les plans
fleurirent de plus belle.
Ce fut un esprit démanché, Jacob Dupont, qui commença cette

danse de Saint-Guy pédagogique. Il alla franchement au but et décou


vrit tout le système de l'avenir ; il proposa d'établir l'enseignement
sur la base de l'athéisme. Il venait un peu tôt pour les hypocrites
comme pour les niais. On lui dit qu'il était un jongleur et on le

conspua. Daunou revint à la charge. Il fut de mode, pendant


quelque temps, d'admirer son projet.
Robespierre ajouta quelques touches d'extravagant dogmatisme au

pédantisme de Condorcet. Il inventa ceci pourtant, que de cinq à

douze ans tous les enfants devaient être contraints de vivre hors de

la famille et en commun. D'autres conventionnels, Delagueule, Raffron


du Trouillet, Romme et Jean -Bon Saint-André, Wandelincourt et

Lequinio, Lakanal et Grégoire, Rudel, Deleyrc, Calés, l'huissier


Hentz, Du val (des hommes tigres), Faure, Delacroix, Masuyer, Bon-
guiod, publièrent leurs projets.
Le plus sérieux fut celui de Masuyer, qui prouva sans réplique
que tous les autres étaient ineptes, et qui demandait que les jeunes
élèves commençassent par apprendre à confectionner leurs souliers.
En dehors de la Convention, l'avalanche est égale. Il y a le jeune
citoyen Mittié (ils; l'instituteur Paillet, « Versaillais plein de cha
RÉVOLUTION FRANÇAISE 201

leur », qui combat l'immixtion des prêtres dans l'éducation; Jacques


Mignard , qui considère la morale de Jésus comme la source des

maux, qui jure qu'il n'y a pas d'autre enfer que les remords, et qui,
à la fin de son nouveau plan d'éducation nationale, dévoile qu'il est
apothicaire et propose l'élixir de gayac, anti-goutte, « avec la manière

D'après une gravure de Duplessis-Bertaux, dix-huitième siècle. — Hébert vient d'accuser la reine
d'avoir enseigné à son fils des habitudes infâmes; Marie-Antoinette ne répond rien à cette imputation. Un
juré le fait remarquer au président. « Si je n'ai pas répondu, dit alors Marie-Antoinette, c'est que la
nature se refuse à répondre a une pareille inculpation faite à une mère. J'en appelle à toutes celles qui
peuvent se trouver ici. 11Robespierre, étant à dlaer et apprenant cette réponse de la reine, cassa son
assiette avec sa fourchette, en s'écriant : ii Cet imbécile d'Hébert ! il faut qu'il lui fournisse à son dernier
moment ce triomphe d'intérêt public! u (Campardon, Histoire du tribunal révolutionnaire, I, p. 144.)

de s'en servir » ; Chalvet, de Grenoble, qui assure que les trônes


reposent sur la turpitude des peuples, qu'il faut détruire les patois
parce qu'ils blessent « les oreilles délicates des voyageurs », et qu'il
faut arranger l'enseignement de telle sorte que chaque laboureur porte
Télémaque ou le Contrat social dans sa panetière.

Les journalistes ne se taisaient pas. Je prends toujours Prudhomme


26
2 02 LA RÉVOLUTION

comme le type moyen que demande-t-il chaque père soit


; ? Que
maître d'école, que chaque semaine les enfants de la république
soient tenus de dévoiler publiquement ce que leurs parents leur
ont conseillé, enseigné, surtout au point de vue du civisme. Il
réclame, pour Paris, quatre-vingts écoles primaires, mais vainement.
Le 24 novembre 1792, « on ne trouve pas sur son chemin, dit-il,
la porte ouverte d'une seule école primaire ». Un peu plus tard,
il constate « qu'on remet de semaine en semaine le rapport sur les

écoles primaires » .

Le peuple se fâche et, à la fin de 1792, les citoyens de Lyon


envoient à la Convention une députation réclamant -un plan d'édu
cation républicaine. La Convention parut vouloir s'exécuter. Le 3o mai

1793, on décréta l'établissement d'écoles primaires dans toutes les


communes qui auraient au moins quatre cents habitants. En décembre,
Prudhomme s'écrie : « Il n'y a rien de fait! » et il confesse naïvement
le crime de la Révolution ; depuis ces quatre années « le peuple a

appris beaucoup de sottises qui lui ont enlevé la docilité sans lui
avoir donné rien du côté de l'intelligence ». Le Père Duchesne se

fâche aussi : « Voilà quatre ans de perdus, dit-il; s'il y avait des

écoles primaires, on ne serait pas à la merci des calottins. » En mars


1794, rien encore. Les espions du comité de salut public ne lui
cachent pas que les bons citoyens « ont de l'avidité à voir organiser
des écoles républicaines ».

On n'avait pas encore organisé l'enseignement, mais on en avait

proclamé la tyrannie. Tout père qui n'enverrait pas ses enfants aux
institutions républicaines serait puni de peines sévères et de la

privation, pour dix ans, de ses droits civils.

Quelles étaient ces institutions républicaines destinées à remplacer

Téducation et à compléter l'enseignement? Il y avait, pour les définir,


un comité d'instruction publique : il ne servait guère qu'à discuter sur
les oripeaux des fêtes publiques et à entériner les lettres où les prêtres

apostats proclamaient leur infamie. Quand ce comité fut réduit à

s'annuler plus encore, la Révolution eut un grand-maître de l'instruction


publique; ce fut Jullicn fils, celui qu'on appelait « l'espion morveux
RÉVOLUTION FRANÇAISE 2û3

LA REINE MARIE-ANTOINETTE CONDUITE AU SUPPLICE


Fac-similé d'un dessin cU David, collection Hennin, à la Bibliothèque nationale. Au-dessous, on lit cette
note de la main de M. Hennin : « Portrait de Marie-Antoinette, reine de France, conduite au supplice,
dessiné à la plume par David, spectateur du convoi, et placé à une fenêtre avec la citoyenne Jullien, femme
du représentant Jullien, de qui je tiens cette pièce. Copié sur l'original existant dans la collection Soulavie. »
— «Ce dessin est plus expressif que toutes les toiles, toutes les compositions, tous les récits des
peintres
et des historiens. » (Dauban, La Démagogie en ijq3, p. 467.) Rien, en effet, n'est plus navrant que ce
visage, que cette attitude; cela donne l'impression de la rigidité cadavérique; dans cet aspect de la reine
encore vivante, on sent l'inexprimable souffrance de sa longue agonie. — On lit dans les Révolutions de
Paris, de Prudhomme, n° 214 : « Antoinette, le long de la route, paraissait voir avec indifférence la force
armée qui, au nombre de plus de trente mille hommes, formait une double haie dans les rues où elle a
passé.... les flammes tricolores occupaient son attention dans les rues du Roule et Saint-Honoré.... Arrivée
à la place de la Révolution, ses regards se sont tournés du côté du jardin national (les Tuileries); on
apercevait alors sur son visage les signes d'une vive émotion; elle est montée ensuite sur Véchafaud avec
assez de courage; a midi un quart, sa tète est tombée et l'exécuteur Ta montrée au peuple aux cris long
temps prolongés de Vive la République .«
204 LA RÉVOLUTION

de Robespierre ». Il reste célèbre dans l'histoire de la pédagogie fran

çaise par ce trait de génie : « En attendant l'organisation définitive des

jeux dont le comité d'instruction publique va s'occuper sous peu, les

jeunes élèves se livreront au jeu de la mort des tyrans. » Il s'agissait


de tirer à l'arbalète contre une poupée couronnée.

Pour varier, la Convention (janvier 1794) déclarait les oeuvres de

Marat propriété nationale, les ^imprimait aux frais de l'Etat et en

faisait la Bible du nouveau monde. Les jacobins (25 décembre 1793)


demandaient que, pour faire oublier les singeries des prêtres, on forçât
les villes de quatre mille âmes à bâtir des salles de spectacle où les

jeunes élèves seraient forcés de venir jouer des pièces sentimentales et

révolutionnaires. Un bon citoyen, le sensible Théophile Mandar,


publiait un gros livre dans lequel il se faisait fort de sauver l'huma
nité si l'on attribuait dans l'éducation une grande place à « l'art de

faire, à un instant donné, une insurrection générale ».

En fait, il n'y avait plus d'enseignement, à part ce qu'on en pou


vait donner dans les villages où les habitants étaient courageux et les

anciens instituteurs respectés, et où les uns et les autres résistaient

aux injonctions des clubs voisins. Il y avait peu d'écoles, sauf dans
les villes. Là, on trouva enfin le vrai plan de l'éducation nationale
révolutionnaire : les instituteurs étaient obligés de conduire leurs
élèves aux exécutions.
Au milieu de cette expansion de l'enseignement souverainement
laïque, voici deux faits qui tranchent sur le reste : le Lycée des Arts,
qui s'est formé librement sur les ruines de l'Académie royale des

Sciences, couronne Lavoisier et repousse Robespierre; le 26 juillet


\ 793 , Lakanal apprend à la Convention que le citoyen Chappe a bien
réellement découvert la télégraphie.
C'est à un montagnard, le plus actif des membres du comité de

l'instruction publique, que nous demanderons le secret des pensées

suprêmes de la Révolution pure, en fait d'éducation : « Ils regardaient


les lumières comme les ennemies de la liberté, la science comme
aristocrate. Si leur règne eût été plus long (le règne des vrais révolu
tionnaires, des jacobins, des montagnards, du comité de salut public),
FAC-SIMILÉ
DU

TESTAMENT DE M A RI E - A NTOI N ETTE


d'après l'original conservé aux archives nationales

Ce testament est une lettre adressée à Madame Elisabeth, sœur du roi. La reine

l'écrivit le 16 octobre 1793, à quatre heures du matin, dans son cachot de la Concier

gerie, quelques heures avant de monter sur l'échafaud. Elle fut trouvée, le 22 février

i8i5, dans les papiers du conventionnel Courtois. C'est « un testament digne de celui

du roi, un monument de plus de la grandeur de ces deux âmes que Dieu avait faites

égales à leur adversité ».

La lettre de Marie-Antoinette fut aussitôt communiquée à la Chambre des députés

par Decazes, ministre de la police, et à la Chambre des pairs par le duc de Richelieu.

« Tous les cœurs s'émurent à ces expressions de la douleur d'une reine et d'une mère;

jamais le pardon n'avait été plus sublime, jamais la mort n'avait été plus sainte. »

( Laurentie, Histoire de France, VIII, p. 121.)

« Une femme, a dit Napoléon, qui n'avait que des honneurs sans pouvoir, une

princesse étrangère, le plus sacré des otages, la traîner d'un trône à Téchafaud à travers
tous les genres d'outrages, il y avait là quelque chose de pire encore que le régicide ! »

(Mollien, Mémoires d'un ministre du Trésor public, III, p. 125 . )


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RÉVOLUTION FRANÇAISE 205

ils eussent fait brûler les bibliothèques, égorgé les savants et replongé
le monde dans les ténèbres. »

Quand, après le 9 thermidor, le sans-culottisme fut obligé de


reculer d'un pas, la civilisation française tenta de passer par la bien
petite place qui venait de lui être faite; elle essaya de secouer cette

grotesque barbarie et de reprendre la voie traditionnelle. Se mit à

l'œuvre cette masse de savants que le dix-huitième siècle avait pré


parés. Le groupe était nombreux. La Révolution ne les saurait
réclamer : leur intelligence, leur labeur, leur érudition étaient plus
vieux qu'elle.
Dans les conceptions supérieures qui étaient le développement du

génie français et où la démocratie révolutionnaire n'avait pu atteindre


pour les salir ou les étouffer, dans l'organisation des hautes études
qui étaient la résultante des travaux du dix-septième et du dix-hui
tième siècle, la Convention, délivrée du jacobinisme, sut montrer
quelque intelligence. L'École normale, de l'invention de Lakanal,
échoua misérablement, mais on reconstitua trois écoles de médecine.
Nous nommerons aussi le Muséum et l'École centrale des travaux
publics, qui devint l'École polytechnique. Le révolutionnaire Fourcroy
nous dévoile les obstacles que la Révolution apporta à la formation de
ces établissements : « Les savants avaient été proscrits et obligés d'in
terrompre leurs études, les objets nécessaires à l'instruction avaient
été détruits ou exportés. »

Ces diverses créations étaient belles sans doute ; elles n'étaient pas
tout, ni même le plus important. On réclamait toujours de quoi rem
placer les anciens collèges et les petites écoles, c'est-à-dire l'ensei
gnement secondaire et primaire. Il le fallait surtout républicain.
C'était là la difficulté. Le 3 brumaire de l'an IV, paraît le grand code
pédagogique, fruit de ce long enfantement. On organisait toute
l'instruction publique, écoles primaires, centrales, spéciales, institut
national, fêtes nationales. Cette fois, on avait enfin une éducation
républicaine. Ce fut le cri général. — Tout se borna à ce cri.
En l'an V, les Cinq-Cents sont accablés de pétitions demandant
qu'on « organise l'instruction primaire, qu'on établisse des écoles ».
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Fac-similé 'd'un autographe de Fouquier-Tinvillc, tendant à obtenir de la Convention que les témoins à décharge réclamés
par Danton et ses coaccusés ne soient pas entendus par le tribunal révolutionnaire. — Archives nationales.
RÉVOLUTION FRANÇAISE 207

LECTURE DE l'aUTOGRAPHE CI-CONTRE

Paris, le i5 germinal de Pan second de la


république une et indivisible.
Citoyens représentants,
Un orage horrible gronde depuis l'instant que la séance est commencée ; les accusés
en forcenés réclament l'audition des témoins à décharge, des citoyens députés Simon,
Courtois, Laignelot, Fréron, Panis, Ludot, Calon, Merlin de Douai, Gossuin,
Legendre, Lindet, Robin, Goupilleau de Montaigu, Lecointre de Versailles,
Robert
Brival et Merlin de Thionville ; ils en appellent au peuple du refus qu'ils préten
dent éprouver; malgré la fermeté du président et du tribunal entier, leurs réclama
tions multipliées troublent la séance et ils annoncent hautement qu'ils ne se tairont

pas que leurs témoins ne soient entendus, sans un décret ; nous vous invitons à nous

tracer définitivement notre règle de conduite sur cette réclamation, l'ordre judiciaire
ne nous fournissant aucun moyen de motiver ce refus.

A. Q. Fouquier. Herman,
président.

Un document officiel nous indique que là où l'on en a établi, par

exemple à Paris, « on y trouve à peu près le vingtième des élèves

qui devraient y venir ». En l'an VI, Français, de Nantes, écrit :

ce II n'y a point encore d'écoles primaires. » L'année suivante, un


rapport officiel dit qu'on en a établi quelques-unes, mais qu'elles sont

désertes. Le grand rapport du conseil de l'instruction publique de

l'an VIII constate le complet insuccès des écoles centrales. Les cours
de morale et de législation « créés pour former des hommes vertueux »

sont absolument vides; l'histoire, les belles-lettres attirent peu d'élèves.

Déjà la Révolution est parvenue à son but, qui est d'abaisser l'homme
à la terre et de séparer illogiquement la science de la philosophie :

les jeunes élèves ne se montraient guère un peu nombreux qu'au


cours de dessin et de sciences applicables à l'industrie. Toutefois, et

c'est une donnée curieuse, les rapporteurs officiels insistent pour qu'on
ne change rien à cet état, si défectueux soit-il, car on est tellement

effrayé des folies de la Révolution , que toutes les fois que l'on annonce

une amélioration les élèves se sauvent, les professeurs tremblent;


tant le progrès révolutionnaire était toujours gros de menaces. D'autres
rapports constatent que : « il n'y a pas^ le dixième des enfants qui
sache lire. Il n'y a pas d'écoles, moins encore de professeurs. Ces
208 LA RÉVOLUTION

derniers ne savent même pas l'orthographe, ils sont ivrognes, déver


gondés; on les fuit, parce qu'ils sont cyniques et impies. Les élèves
n'ont nulle subordination, pas plus de tenue que les professeurs n'ont
de conduite. Encore, ces misérables professeurs, fait-on ce qu'on peut

pour les garder, mais vainement. »

Alors intervient l'éternelle et ineffable bouffonnerie de la Révo


lution. Elle n'a pas pu trouver des maîtres ni organiser des écoles; elle

l'avoue dans des rapports confidentiels; publiquement, ce sont « les

ennemis de la république qui, .pour détruire le plus sage des gouver


nements, ont poursuivi le but perfide d'empêcher la Révolution d'or
ganiser l'enseignement)). Et l'on conclut : a Guerre aux écoles privées
qui osent rivaliser avec les écoles publiques et qui l'emportent, grâce
aux menées ténébreuses des royalistes et des calottins. »

D'autres rapports encore nous montrent comment, après cette

débauche de l'instruction athée, l'on revenait par l'expérience à la

vérité : « Les parents fuient les écoles où l'on n'enseigne pas la reli

gion. )> — « On apprendra aux élèves la religion catholique, il est

reconnu que c'est un mal inévitable. » — « On ne vous parlera pas


de la nécessité d'élever les enfants dans une religion quelconque , vous

en sentez tous l'utilité. »

Le résumé de l'histoire de l'instruction publique, de 1789 à 1800,

c'est Chaptal qui nous le donne : « La masse de la nation croît sans


instruction. »

CHAPITRE IV

LA JUSTICE
La Révolution a toujours aimé à parler de principes ; elle s'empa

nache de grands mots, elle déploie de nobles enseignes. Mais ces

principes sont creux ; elle ne leur a laissé que l'enveloppe. Elle croit

échapper à la responsabilité du crime parce qu'elle le nomme vertu,


et qu'elle décore ses orateurs, ses dupes, ses entremetteurs, ses

ministres et ses coupe-jarrets des plus beaux sobriquets du monde.


RÉVOLUTION FRANÇAISE 209

C'est ainsi qu'étant la convoitise et la haine, elle se proclama La

justice. Cette justice, elle commença par lui arracher lame qui est

ARRESTATION DE CÉCILE RENAULT, LE 23 MAI 1/94


D'après une gravure de Duplessis-Herteaux, dix-huitième 'siècle. — Cécile Renault, jeune fille de vingt
ans, se présente chez Robespierre et demande à le voir. On l'interroge sur les motifs de sa visite, elle
répond avec embarras; on l'arrête. Elle dit alors « qu'elle voulait voir comment était fait un tyran; qu'elle
verserait tout son sang pour avoir un roi, qu'elle aimait mieux un roi que cinquante mille tyrans » (Réim
pression du Moniteur, XX, p. 5Ko ). Elle fut traduite au tribunal révolutionnaire et condamnée à mort pour
tentative d'assassinat et conspiration avec l'étranger. Son père, l'un de ses frères, sa tante, cinquante autres
personnes furent impliqués dans le même complot imaginaire. Tous les condamnés fuient revêtus de U
chemise rouge et conduits en même temps au supplice.

l'équité ; elle lui enleva en même temps l'indépendance ; et Ton eut la


justice ordinaire de La Révolution.
Le peuple, ayant ouï dire qu'il est souverain, que la justice n'a
*7
2 [0 LA RÉVOLUTION

rien de divin, qu'elle tient son essence uniquement de lui, constata,


en môme temps, qu'elle était amovible au gré des caprices gouverne
mentaux; qu'elle était tremblante, impuissante. Il crut donc pouvoir
parfois prendre la place de ses commettants, et Ton eut la justice

populaire. Mais voyant que cette justice du peuple était fantaisiste,


et qu'elle laissait passer mille aspects révoltants à travers sa robe

magistrale fort en guenille, les démagogues comprirent la nécessité


de diriger eux-mêmes les coups. Comme ils étaient aussi furieux que
la populace, celle-ci reconnaissant, dans cette nouvelle [justice , le pillage
et l'assaissnat qu'elle aimait, laissa faire, et Ton eut la justice révolu
tionnaire et la justice conventionnelle.

S T. — LA JUSTICE ORDINAIRE.

La magistrature , qui avait si naïvement travaillé à déblayer les

voies de la Révolution , subit le sort promis à tout ce qui était


élevé. Les magistrats furent maltraités presque autant que les nobles
de haubert; leurs domaines ne furent guère plus respectés de la popu
lace que les couvents. La France arrive ainsi, dès 89, à une situation

que l'on résumait officiellement avec une effrayante simplicité : « les

tribunaux sont muets ».

Pour remédier au mal, la Constituante appliqua à cette magis


trature malade la panacée universelle; elle voulut la régénérer en lui
donnant le baptême de la souveraineté populaire. Elle supposait que
le peuple respecterait un pouvoir qui venait de lui. Elle ne fit que

changer les termes de la proposition, au grand dommage de la France :

on extermina un peu plus les magistrats, mais on méprisa la magis

trature, tandis qu'autrefois on maltraitait les juges, mais on respectait


la justice.
Ce fut le 3 septembre 1789 que la Révolution remercia le parle
ment des soins qu'il avait pris de son enfance. De mai à la fin d'août

1790, la Constituante établit les lois fondamentales de la nouvelle


organisation, et, le 7 septembre suivant, elle annonça que tout ce
RÉVOLUTION FRANÇAISE 2 1I

qui restait de l'ancien régime judiciaire était pour jamais aboli.

Chaque district doit avoir désormais un tribunal composé de

plusieurs juges; chaque canton, un juge de paix. Les électeurs du

second degré nomment les juges pour dix ans ; les électeurs pri-

jvUE DE LA COUIt DES M A D K L O N N ET T E S EN I y g 3

D'après une estampe de la collection de M. le baron de Vinck d"Orp, à Bruxelles. — Ancien ccuxti.t «.e
filles repenties, fonde avec le concours de saint Vincent de Paul qui l'avait placé sous la direction de reli
gieuses de la Visitation, la maison des Madeloiinettes, aujourd'hui détruite, avait été transformée en prison
par la Révolution. — C'est aux Madelonnettes que furent incarcérés les acteurs et actrices du théâtre de la
Nation (ThéiUre-Français, ) le 2 septembre 1793, pour avoir joué Paméla, « pièce modérantiste », dont l'au
teur, François de Neufehàteau, fut emprisonné avec eux. — » Paris renfermait sous la Terreur trente-six
vastes maisons d'arrêt renfermant, en moyenne, huit mille prisonniers politiques, sans compter quatre-
vingt-seize autres maisons d'arrêt moindres, annexées aux comités révolutionnaires. Voila ce que la prise
et la démolition delà Bastille avait rapporté à la liberté, t {Granier de Cassagnac, Histoire des Girondins
et des massacres de Septembre, I, p. 32).

maires, les juges de paix pour deux ans. Le roi ne les institue pas,
il constate seulement qu'ils ont été élus selon les formes.

Le gouvernement ne choisit qu'un seul magistrat, celui qu'on


appelle le commissaire du roi. Il est chef du parquet, pour toutes les
affaires civiles. Seul il est irrévocable : on a voulu assurer son indé
2I2 LA RÉVOLUTION

pendance contre le pouvoir royal. Son influence, du reste, est presque


toujours annulée par l'action d'un autre chef du parquet, Y accusateur

public, qui agit au criminel et qui est nommé par le peuple.


Dans cet ordre criminel, on restaura, on étendit une vieille institution
de l'ancien régime, le jugement par les pairs, par les hommes du
fief; on l'intitula jury. On nomma un juré ou directeur du jury, qui
fut une sorte de juge d'instruction. Le jury commença à fonctionner
en 1792.
Les tribunaux de district n'ont pas hiérarchiquement de cours

d'appel ; ils en font l'office l'un envers l'autre.


Les juges de paix ont Coo livres d'appointements; tous les autres
magistrats, 1800 livres dans les villes au-dessous de vingt mille âmes.
Pour être juge, il faut avoir trente ans et avoir été cinq ans homme
de loi. L'ordre des avocats a été détruit. Interdiction de porter ce

nom ; défense de former désormais une corporation. Les écoles de

droit ne tardent pas à être fermées.

Que pouvaient être ces hommes de loi du nouveau régime ? quelle


garantie offraient-ils aux justiciables ? Le vieux Berryer nous le dit :

(( Ils déshonoraient la profession par les pactes les plus honteux,


auxquels ils contraignaient les clients de souscrire... On les nommait
avocats de prisons... Les anciens avocats ne les admettaient pas à

communication. » On essaya, après le 9 thermidor, de remplacer les

écoles de droit par des établissements libres, par Y Académie de légis


lation (quai Voltaire), par Y Université de jurisprudence (rue de

Vendôme, Marais). Mais l'abolition de la corporation et Yambu-


au

lance des avocats de district en district d'appel avaient, pour -quelque

temps, abaissé le barreau.


Tout illusoire que fût la garantie offerte par de tels tribunaux et

de tels hommes de loi, elle paraissait encore insupportable h l'instinct


tyrannique de la démocratie. Billaud-Varennes demanda, dès le début
de la Convention, la suppression de tout tribunal. On ne voulait pas
encore aller si loin; mais la Convention admit que les juges, au
criminel surtout, pourraient être choisis indistinctement parmi tous les

citoyens, sans examen, sans garantie préalable de capacité.


LE CONCERT
Dessin d'Augustin de Saint-Aubin, grave par 4Duclos; dix-huitième siècle. « Dans un salon rond, au-dessous des trophées de musique, des rideaux de soie à tête bretonne, tirés non de côté, mats tout droit, comme des
de lierre... souriaient. Et, en cercle, petites mules et hauts
stores fermés et falbalassés, laissaient passer par la fenêtre la gaieté d'un beau jour. Entre les pilastres, les bustes des déessesde la Musique couronnées de fleurs et
Gillot, la belle compagnie écoutait... O le beau moment!...
talons, sur le carreau noir et blanc, paniers et basques çà et là sur les bois dorés aux formes rondissantes, autour du clavecin sonore, radieux des fantaisies de quelque
hommes sont autour d'elle, assis ou debout, tirant des pleurs
La harpe repose. Le clavecin parle sous les doigts de la plus jolie femme. A sa droite, la plus jolie personne chante en tourmentant un éventail. Et de jolis
et Jules de Goncourt, L'Art du dix-huitième siècle, [,
d'une basse, des fredons d'un violon, des prières d'une flûte, ou penchés, s'empressant à tourner les feuillets de la partition. C'est cela l'été en ce paradis.» (Edmond
ni l'exil, ni le malheur; en 179?, elle durait encore dans les
pp. 5oi et 5o2.) («Dans le beau monde je ne vois alors que concerts, divertissements, bals, galanteries, théâtres de société... Rien n'étoufte cette gaieté, ni l'âge,
prisons de la république. » (Taine, L'Ancien Régime, p. 192.)
RÉVOLUTION FRANÇAISE 2l3

Les juges civils, les juges de paix, on devine quelle impartialité


on pouvait attendre d'eux pendant la Terreur. Regardons-les, longtemps
après, en Tan IX. « Des grandes villes comme Aix, Marseille, etc.,
ont pour juges de paix des ouvriers, sans lumière et sans considéra
tion... Les tribunaux sont généralement mal composés... Dans toutes
lescommunes, les juges de paix craignent de se faire des ennemis et
de ne pas être réélus..,. En général, ils abusent de leur titre et de

leur nomination par le peuple... Leurs greffiers commettent des exac


tions criminelles, etc. » Ce sont les termes des rapports officiels.

Que devenait la loi avec de tels interprètes, quand il n'y avait plus
aucune notion de droit, d'équité, de morale, de religion qui fût respectée
ou imposée ; quand tout principe civilisateur avait été ennuagé de

sophisme ou blessé par la violence ? À la fin du siècle encore , on


voulait fusiller des naufragés jetés nus sur la côte de Calais, comme
des émigrés pris les armes à la main. La procédure dura quatre ans.

L'opinion se révoltait, mais la Révolution déclarait en plein conseil


des Anciens, par la bouche de Letourneur, que pour des aristocrates
« le sol de la liberté ne peut être que l'asile de la mort ».
Considérons la loi dans son existence de tous les jours. En
bas, comment la traitait-on? Je prends la loi rurale, par exemple :

« Le maraudage est à son comble. Il n'y a plus aucune récolte. La


Révolution n'a pas pu parvenir encore à rendre les terres communes,
mais elle fait considérer les fruits comme communs. » Ce sont encore
les rapports officiels qui le disent, et ils ajoutent, ou bien « les
témoins n'osent pas déposer », ou bien « il y a, attachés à chaque
tribunal, des témoins banaux » qui déposent tout ce qu'on veut.
En haut, le mépris est aussi grand. La Convention casse les
jugements qui ne paraissent pas assez sévères, et elle fait guillotiner
des gens acquittés même par ses tribunaux criminels. Elle en donne
le premier exemple, je crois, en février 1794. Mais, déjà auparavant,
elle avait cassé des jugements civils. Le fier constituant Thouret vint
fort pauvrement faire amende honorable, au nom de la cour de cassa
tion, pour des jugements de cette cour cassés par les conventionnels
(4 novembre 1793). Les juges de cassation furent moins humbles
214 LA RÉVOLUTION

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FAC-SIMILÉ D'UNE LETTRE DE CACHET


— Les lettres de cachet étaient principalement en usage
D'après l'original conservé à l'hôtel Carnavalet.
contre des membres de la noblesse. C'est par les lettres de cachet que Richelieu, Mazarin, Louis XIV firent
de la politique intérieure. « Les leur reprocher, ce serait peu connaître l'esprit du temps. La Bastille était
alors une prison d'État, comme elle avait été le trésor sous Henri IV, une réserve, une précaution, la moins
bruyante possible, l'œuvre cachée du pouvoir. On ne doit jamais regretter ces terribles moyens de salut public,
mais il faut apprécier le bien qu'ils ont produit.» (F. Ravaisson, Archives de la Bastille, 1.1, Introduction,
p. lv.) L'abolition des lettres de cachet fut spontanément promise par Louis XVI dans sa déclaration
du
23 juin 1789. La Révolution pratiqua, dans l'espace de quelques années, plus d'arrestations arbitraires que
la monarchie durant les dix siècles de son existence; elle employa en outre un procédé inconnu sous
l'ancien régime, les jugements en blanc. « Beaucoup de jugements ont été signés en blanc, tantôt par les
uns, tantôt par les autres ; ces jugements, datés et signés d'avance, donnent lieu de croire qu'ils étaient
» ( E. Campardon,
préparés avant l'audience et qu'on ne faisait paraître les prévenus que pour la forme.
Histoire du tribunal révolutionnaire. II, p. 439).
RÉVOLUTION FRANÇAISE ai 5

FAC-SIMILÉ D^UN BILLET DE M. DE SARTINE, LIEUTENANT DE POLICE


Ce billet, conservé à l'hôtel Carnavalet, est joint à la lettre de cachet reproduite ci-contre. — M. de
Sartine, en donnant ses instructions pour l'arrestation de la marquise de la Roche, prescrit de « lui laisser sa
femme de chambre si elle veut la prendre. »— «Tous les prisonniers de la Bastille n'étaient pas à un régime
sévère. Il y avait ce qu'on appelait les libei'tés de la Bastille* Un certain nombre de prisonniers avaient la
liberté de la cour; on ouvrait leurs chambres le matin et ils pouvaient se promener jusqu'à la nuit... ils
pouvaient recevoir leurs visites chez eux ou dans la cour... Il y avait dans la cour des jeux de quilles et de
tonneau, un billard.... On traitait ainsi les fils de famille détenus par correction ou les militaires aux arrêts...
A la Bastille, la nourriture était saine et abondante... Il y avait toujours plusieurs plats : potage, entrée,
relevés, dessert, etc. A chaque dîner deux bouteilles de vin, bourgogne ou Champagne; ou en donnait une
troisième pour les besoins de la journée... Cette abondance fut la même de tout temps. » ( F. Ravaisoon
Archives de la Bastille, t. I, Introduction, pages xx, xxi# xxm. )
2l6 LA RÉVOLUTION

après Thermidor, et en germinal an VI ils essayèrent de lutter contre


le Directoire, qui continuait à s'attribuer le droit de réformer les
jugements de la cour suprême.

S 2. LA JUSTICE POPULAIRE.

Cette justice populaire, qui donna dans les massacres de septembre


sa définition parfaite , paraît exceptionnellement horrible. Elle est pour
tant conforme aux principes, elle est la fille légitime de la souverai
neté du peuple.

Le peuple, source de tout droit, est le suprême justicier. Il délègue


sa prérogative à qui lui plaît, au nom de son infaillibilité. Mais
quand les circonstances sont graves, son instinct, qui ne peut se

tromper, surtout dans ces circonstances, lui révèle qu'il faut agir
immédiatement et vigoureusement. Il reprend cette prérogative et

l'exerce directement. Répétons que le peuple c'est tout groupe qui,


n'étant pas combattu par un autre, agit suivant le sens de la Révolu
tion. Dans ces conditions, toute bande est la nation, et, en strict
droit révolutionnaire, elle doit être tenue pour infaillible dans son
inspiration.
Cela est si vrai que les girondins, la grande bourgeoisie de la
Révolution , commencèrent par applaudir à ces massacres ou par hésiter
dans leur jugement. Gorsas, Louvet, Dulaure, Carra, Condorcet,
Brissot, Vergniaud, Petion , le vertueux Roland, ne se décidèrent

pas immédiatement. Ce dernier l'avoue en son verbiage odieusement


solennel : « Il a commencé par croire , déclare-t-il dans le rapport
officiel, que c'était le désespoir de l'indignation d'un peuple frémissant
qui juge que la loi n'a pas exterminé les prisonniers assez vite. » Voilà
bien la monstrueuse pensée qui rampait dans les cerveaux révolution
naires, et Louvet, Carra, Gorsas, dans leurs journaux, témoignent
sans doute de l'indignation, mais c'est contre les prisonniers égorgés.
Ce que les hommes de la grande bourgeoisie révolutionnaire avouent,
l'orateur de la petite bourgeoisie, Prudhomme, le proclame. « Si les
2iS LA RÉVOLUTION

tribunaux n'eussent pas acquitté çet individu, écrit-il à propos de

l'assassinat de l'abbé de Langoiran (Bordeaux, juillet 92), le peuple

n'eût pas été obligé de le faire périr. »

Les uns et les autres avaient souri aux mille épisodes des massa
cres qui, à Paris et en province, avaient, depuis 1788, précédé le

massacre triomphal de 92. C'était pour eux la preuve que l'esprit


révolutionnaire était puissant, et l'annonce de leur futur avènement au
pouvoir. Il en étaient encore là au commencement de septembre 92.
Mais quand, tous les détails de l'affaire étant connus, on sut

qu'elle avait été préparée par la pire partie de la commune insurrec


tionnelle du 10 août, sous la direction de Sergent, qui escamotait les
bijoux, et de ses amis qui prenaient le reste; quand on sut que les
massacreurs n'étaient que trois cents, dont deux cents coupe-jarrets,
ramassés dans les ruisseaux et travaillant le cadavre à tant par jour,
avec un supplément de deux jours de massacre pour faire une somme
ronde; quand on sut que le tribunal improvisé par Maillard, un
clerc d'huissier condamné comme filou, se composait de douze escrocs
avérés, alors les grands bourgeois de la Révolution eurent une vision
de l'avenir. Ils comprirent que la justice du peuple pourrait bien un
jour voir en eux des scélérats aussi condamnables que les aristocrates
de l'Abbaye ou des Carmes. Ils jugèrent le moment venu de montrer
de l'indignation.
Ils avaient applaudi Prudhomme disant : « Si l'un de nos bons

patriotes éprouve le moindre accident, le peuple prendra la tête de

Maury et de sa clique. » Ils l'avaient applaudi , félicitant le peuple


d'avoir condamné le libraire Gattey à faire amende honorable sous

peine de mort, et à voir ses brochures et livres aristocrates brûlés


sur le parvis Notre-Dame. Mais ils commencèrent à le trouver inepte
quand il dit à propos des journées de septembre : « Le peuple, ici
comme toujours, s'est montré bon et généreux, il a épargné M. Journiac
Saint-Méard. » Ils le trouvèrent décidément odieux, quand il disait en

octobre : ce II y a eu , le 7 de ce mois , vers neuf heures du matin ,

un rassemblement de quatre cents personnes. Ils se sont rendus à la

prison Saint-Joseph, ils se sont fait livrer deux aristocrates, qu'ils ont
RÉVOLUTION FRANÇAISE

expédiés dans l'autre monde. Après quoi chacun est rentré chez soi,
avec le calme qui convient à la justice. »

Mais Prudhomme n'avait pas changé. Eux seuls quittaient la voie


droite de la logique révolutionnaire. On le leur montra bien. Ils
furent anéantis; tandis que « s'être fortement prononcé en septembre »

devint un honneur. Les travailleurs de septembre rejetèrent bientôt


dans l'ombre les vainqueurs de la Bastille et les héros du io août.
A ceux qui persistèrent à les trouver criminels, les docteurs, comme
Santerre , répondirent : « Pouvez-vous leur reprocher d'avoir pris
seulement une allumette chez un épicier? » La justice était satisfaite,
ainsi que la morale, dès qu'on n'avait pas volé dans les boutiques.

S 3. — LA JUSTICE RÉVOLUTIONNAIRE.

La justice révolutionnaire naquit de la nécessité de satisfaire la

haine, tout en conservant le nom de la justice. On voulait ainsi dissi


muler à l'Europe que la Révolution est, en plusieurs points, un
retour à l'état sauvage. Les démagogues redoutaient d'ailleurs de
déchaîner complètement la bête qui , dans son enthousiasme destruc
teur, aime à dévorer même ses maîtres.
Le premier usage que la Révolution fit de sa victoire fut de

donner un caractère extraordinaire à la tyrannie : emprisonnement


extraordinaire, tribunal extraordinaire! Dès le jo août, les barrières
de Paris étant fermées, on fit chaque nuit des visites domiciliaires où
l'on recueillit un nombre considérable d'honnêtes gens, qu'on enferma.
Le 17, on créa le tribunal criminel extraordinaire pour juger les
prisonniers. Il commença par condamner à mort un journaliste qui
avait su dire la vérité aux pères de la république, et un intendant de

la liste civile qui leur avait donné beaucoup d'argent. Les massacres
de septembre rendirent ce tribunal assez inutile. Pourtant il fallut
un certain courage à Garan de Coulon pour en demander la des
truction. Le tribunal du 17 août disparut le 29 novembre 92.
Ni la province, ni les armées ne furent privées de ce genre cJe
220 l;a révolution

tribunaux extraordinaires. On les nommait commission militaire ou

commission militaire et révolutionnaire , ou tribunal militaire révolu


tionnaire. Parmi les commissions militaires permanentes, nous choi
sirons celle de Grandville et celle de Bordeaux comme types l'une de
la débonnaireté , l'autre de la rigueur révolutionnaires.

La première, en sept mois environ d'exercice, ne condamna que


trente-huit individus à mort. C'était peu. La commission ne parut
jamais suffisamment inspirée par le génie de la Révolution. On la
réforma neuf fois en ces sept mois, et après l'avoir composée, au

début, d'officiers, on y. mit le premier garde national venu, pourvu


qu'il fut républicain, dit naïvement l'acte d'organisation de ce tribunal.

La commission de Bordeaux atteignit, du premier bond, bien près


de l'idéal. Elle était présidée par un instituteur chassé pour escroque
ries, composée d'un comédien taré, de trois artisans ridicules et d'un
marchand retiré vite des affaires. Dans ce tribunal militaire il n'y
avait qu'un militaire, et c'était un officier de l'armée révolutionnaire.
Cette commission fit décapiter trois cent un individus dont quarante-
quatre femmes \ elle condamna cent vingt-neuf autres personnes aux

fers, et cinquante-cinq à des amendes qui montèrent à 6,(340,300 livres.


Sur ces sept millions, un fut attribué aux sans-culottes et le reste

volé par les républicains d'une couche supérieure. Pour mieux faire

encore, ce n'était pas la bonne volonté, mais la guillotine qui man


quait à ce tribunal, et, en thermidor, au moment où Bordeaux offrait
à la république treize têtes par jour, l'un des sept commissaires —

que l'on nommait les sept péchés capitaux — proposa rétablissement


d'une guillotine à quatre tranchants.

Mais il nous faut en venir au tribunal révolutionnaire de Paris.


Il nous montre dans sa perfection la Révolution justicière.
La Convention lui avait bien préparé les voies. Le 27 mars g3 ,

elle avait mis hors la loi tous les aristocrates et tous les ennemis de

la Révolution. Cette mise hors la loi emportait, de plein droit, la

condamnation à mort, sans jugement. Beaucoup des docteurs de la

Révolution prétendaient qu'elle donnait à tout sans-culotte le droit de

brûler la cervelle à tout aristocrate. Ainsi était-on bien près de réaliser


RÉVOLUTION FRANÇAISE 22 I

ce rêve de la justice révolutionnaire : « Faire contre les modérés

une loi si simple qu'un enfant pût les condamner et les conduire à la

guillotine. »

ce ROBESPIERRE GUILLOTINANT LE BOURREAU »

D'après une gravure communiquée par M. Félix Perin, à Paris; dix-huitième siècle. — Robespierre, « après
avoir fait guillotiner tous les Français », exécute de sa propre main le bourreau. Chaque guillotine rappelle
une catégorie de ses victimes. «A, bourreau; B, comité de salut public; C, comité de sûreté générale;
D, tribunal révolutionnaire; E, jacobins ; F, cordeliers ; G, brissotins ; H, girondins; I, philipotins ( pour
Philippeautins, partisans de Philippeaux ) ; K, chabotins ; L, hébertistes ; M, nobles et prêtres; N, gens à
talent; O, vieillards, femmes et enfants; P, soldats et généraux : Q, autorités constituées; R, Convention
nationale', S, sociétés populaires. » — Cette gravure coûta, dit-on, la vie à son auteur.

Le septembre, Merlin (de Douai) avait proposé et fait adopter


17

la loi des suspects. Bien que les trois quarts de la France pussent

tomber sous le coup de cette loi, bien quelle suffit 'à faire enfermer,
222 LA RÉVOLUTION

en peu de mois, environ quatre cent mille personnes, — et j'en

compte trois mille cinq cents emprisonnées dans une ville comme
Tarascon, — cela ne suffit pas. La Convention, le 7 novembre, auto
rise tous les comités révolutionnaires à décréter ce qui leur plaira,
même contre les individus non suspects. On arriva enfin à cette créa
tion qui, comme presque tout développement de la Révolution, cache
le bouffon sous l'horrible : on créa la classe des suspects d'être suspects.

La commune parisienne s'ennuyait depuis les massacres de sep

tembre. Elle exigea de la Convention qu'on lui rendît son tribunal


criminel extraordinaire. Chaumette présenta la pétition, Carrier la

convertit en motion, Danton en emporta l'adoption. Ce sont ces trois


artistes , ignobles à titres divers, qui sculptèrent la statue de la Justice

révolutionnaire.
Ce tribunal, créé le 10 mars g3, perfectionné le 27, entra en

fonction le 29, avec cinq juges et onze jurés. Jusqu'au 10 mai, la

guillotine fut établie sur la place de la Réunion (Carrousel); à partir


de cette date, place de la Révolution, pour aller, plus tard, à la

place du Trône-Renversé. Le 24 juillet, on avait ajouté deux juges;

le 3i, on en nomma trois nouveaux, plus dix-huit jurés. Le tribunal


pouvait se diviser en deux sections. Un décret du 24 mai avait décidé

que les jurés seraient choisis dans tous les départements.


Les patriotes parisiens trouvaient qu'on n'allait pas en besogne
comme aux glorieuses de septembre. La Convention nomma six nou

veaux juges, porta le nombre des jurés à soixante, et déclara que le

tribunal se diviserait en quatre sections, toujours en activité, deux

jugeant, deux préparant les jugements. A partir du 3o octobre, il prit


le nom de tribunal révolutionnaire.
Le 8 mai 94 (19 floréal an II), la Convention décida que désormais

tous les crimes contre-révolutionnaires (sauf quatre dont le jugement


restait attribué aux tribunaux criminels ordinaires) seraient jugés par
le tribunal révolutionnaire de Paris. Le comité de salut public, à qui
chaque semaine le tribunal devait rendre compte de ses actes, de ses

projets, et le comité de sûreté générale, qui tenait les juges comme les

jurés sous sa main, avaient ainsi, dans la justice, l'aide le plus servile
RÉVOLUTION FRANÇAISE 223

pour l'asservissement de la Convention et de la France. Ils prévoyaient


qu'avec quelques améliorations ce tribunal atteindrait la perfection
révolutionnaire. Ces améliorations, un mois plus tard, la loi du
22 prairial les apporte.
Couthon, résumant les idées de Saint-Just et de Robespierre,
déclare que le code criminel, ayant été fait par l'infâme Constituante,

reposait sur des bases absolument fausses. On sait maintenant, dit-il,


que l'unique devoir de la justice c'est de faire respecter les droits de

la république, et d'exterminer tous ceux qui lui sont contraires. La


coterie des hommes indulgents est la plus criminelle de toutes. L'in
dulgence est atroce, la clémence est parricide. Il ne s'agit pas d'être
juste envers les particuliers, c'est un préjugé d'ancien régime; toute
lenteur est coupable, toute formalité est un danger public. Il faut
donc revenir aux vrais principes et décréter que le tribunal révolu
tionnaire a pour unique but d'exterminer les ennemis de la répu
blique. Quels sont ces ennemis ? Tous ceux qui ne paraissent pas
montrer pour elle une adoration fervente. Ceux-là, tout citoyen doit,
sous peine de passer pour leur complice, les dénoncer et les mener

devant les magistrats. Il n'y aura plus dséormais ni instruction, ni


enquête; nul besoin de témoignage, nulle défense, nul défenseur. Les
jurés doivent décider de la culpabilité des accusés à l'aide des moyens
les plus simples, et en songeant surtout qu'ils ne peuvent jamais se

mettre en situation d'épargner un homme tiède envers la Révolution.


C'était le sens moral des juges et des jurés qui était l'unique appui
des accusés. Ces juges et ces jurés, l'histoire les connaît, et elle déclare

que chez nul peuple, en aucun temps, on ne saurait rien trouver


d'aussi inique que ces juges de la Révolution, rien d'aussi avili que
ces jurés de la république. On peut montrer quelque indulgence pour
trois d'entre eux, le reste est le déshonneur immortel de l'humanité.

Après que Robespierre eut choisi son hôte, son imprimeur, son
tailleur, son perruquier, son cordonnier, pour composer cette magis
trature, on recueillit par toute la France ce qui surnageait aux endroits
les plus infectés du jacobinisme.
L'on choisit bien. «En révolution, disait le plus doux d'entre eux,
224 LA RÉVOLUTION

tout ce qui paraît au tribunal doit périr. » C'était la consigne. Aussi


vit-on l'un de ces juges, mécontent de la façon dont un accusé était
chargé, bondir de sa place, venir plus fortement développer les charges
de l'accusation, reprendre sa place et voter la mort avec ses com
pagnons. Tel se vantait de n'avoir siégé qu'en état d'ivresse; cet

autre, de n'avoir jamais voté que la mort. Un autre demandera qu'on


saigne les accusés aux quatre membres, parce qu'ils ont l'air trop
digne.

L'interrogatoire, que nulle instruction ne précédait, se bornait


parfois à ceci : «Ton nom? C'est bon. Tais-toi. Un autre.»
Que dire des témoins? Ils avaient besoin à Paris, et, pour se faire
payer le voyage, ils venaient témoigner contre des accusés dont
ils ignoraient la veille l'existence ; ou bien ils étaient des espions
de prison, et leur témoignage était cru contre toute preuve. Deux
d'entre eux firent condamner cent cinquante-six personnes en trois
fournées.

Des défenseurs? En réalité, il n'y en avait plus-, même avant le


22 prairial, « ils étoient uniquement préoccupés de se défendre de

l'être, et ils ne demandoient que l'indulgence pour eux-mêmes » !

N'avait-on pas interdit à l'avocat de la reine de repousser les accusa

tions! Il ne devait que réclamer la pitié; encore le fit-il trop vivement,

et on l'emprisonna.
Que dire de ce tribunal qui exécutait les pères pour les fils; qui
condamnait les gens de nom analogue, par l'embarras de savoir quel
était l'accusé; qui envoyait à la guillotine de vieilles femmes, paraly
tiques, de quatre-vingts ans, accusées d'avoir voulu s'évader pour
aller égorger la Convention ; qui condamna à mort comme accapa
reur un citoyen dans la poche duquel se trouvaient quelques miettes
de pain destiné à des poules! Parlerons-nous des jugements en blanc,
des intercalations de noms, à l'audience même, sur les actes d'accu

sation? des jugements sur liste, sans même voir les accusés?

Que ne faut-il pas dire de ces commissions populaires, chargées


de fournir des victimes à ce tribunal révolutionnaire? Elles étaient
présidées par des ouvriers menuisiers et jardiniers, ineptes et gro
L'APPEL DES DERNIÈRES VICTIMES
DE LA TERREUR

TABLEAU DE M. CH. L. MULLER, AU MUSEE DE VERSAILLES, DIX-NEUVIEME SIECLE

La scène se passe dans la prison du Luxembourg. Le peintre a représenté :

M.-C. Lepelletier, ex-princesse de Chimay, S4. ans; G. Montalembert, ex-marquis-,

capitaine au ci-devant régiment du roi, 63 ans; C. - F. Rougeot de Montcrif,


garde du corps, 42 ans; P. Durant Puy de Vérinne, ex-maître des comptes, 69 ans;
M. Barkos, femme de Puy de Vérinne, 54 ans; P. -F. Stainville, femme de Grimaldi

Monaco, ex-princesse, 2S ans; J.-L.-M. Aucanne, ex-maître des comptes, ex-capi


taine de cavalerie, 45 ans; A. Chénier, homme de lettres, 3i ans; J.-A. Boucher,
homme de lettres, 49 ans; M. -A. Leroy, actrice, 21 ans ; A. -M. -F. Nonant-Piercourt,
veuve de Narbonne-Pelet, ex-comtesse, 3o ans; C.-J.-F. Manneville, veuve de

Colbert de Maulevriers, ex-marquise, 63 ans; J.-F. Antié, dit Léonard, coiffeur


de la reine, 36 ans; T. Meynier, ex-prêtre de FHôtel-Dieu de Paris, 65 ans;
F. -A. Seguin, chimiste, 36 ans; F. Trenck, ex-baron, 70 ans; A., Leguay, capitaine
au 260 régiment de chasseurs à cheval, 3i ans; C.-F.-J. Saint-Simon, ex-éveque
d7Agde,70 ans; M. -H. Sabine Viriville, femme de l'ex-comte de Périgord, 3i ans;
F.-R.-R. Bessejouls de Roquelaure, ex-marquis, 46 ans.

Toutes les personnes désignées ci-dessus avaient été condamnées à mort par le
tribunal révolutionnaire, les 7 et 9 thermidor an II. Leurs noms figurent sur les
listes officielles des condamnés publiées par le Moniteur universel, dans ses numéros
des 23 et 3o thermidor et du 4 fructidor an II (1794).
— C'étaient les dernières
victimes de la tyrannie de Robespierre, mais non les dernières victimes de la Révo

lution.
RÉVOLUTION FRANÇAISE 225

tesques, de la force intellectuelle des juges d'André Chénier. Celui-ci


avait dit qu'il venait de la maison à côté; les magistrats lui objectèrent
qu'il n'y avait dans cette maison personne du nom de Côté ; et ils

l'envoyèrent en prison.
Si tels étaient les représentants de la justice à Paris, on devine ce

qu'ils pouvaient être en province; car la loi de floréal, citée plus haut,
permettait à certaines villes de garder des tribunaux révolutionnaires.
Étudions celui d'Orange. Il est typique.
On avait trouvé modéré le tribunal de Marseille. Il avait pourtant
mis en accusation des enfants de neuf ans. Mais le représentant Lecar-
pentier, à Saint-Malo, avait décidé qu'on pouvait faire passer au

tribunal révolutionnaire des conspirateurs de cinq ans, et Carrier les

estimait bons à égorger même avant cet âge. Le vertueux Maignet,


proconsul du Midi, ne le voulait pas céder en patriotisme aux ver

tueux proconsuls du Nord. Il fît valoir qu'il était difficile d'envoyer à

Paris les douze à quinze cents prisonniers des Bouches-du- Rhône et

de Vaucluse, et que pourtant la république avait besoin d'exterminer


à bref délai, dans le Comtat, une dizaine de mille personnes. On ne
pouvait rien refuser au « singe de Robespierre ». Il établit donc un
tribunal à Orange.
Ce tribunal fut composé uniquement de juges, sans jurés; de cinq
juges. Nous les pouvons apprécier par le président, qui demandait
la révocation d'un de ses collègues, parce qu' « il lui faut des preuves
pour condamner ». Ce président mena tout avec deux autres juges,
dont l'un était un fou atteint de monomanie sanguinaire, l'autre un
menuisier ivrogne qui ne prononçait jamais ses jugements que par un

signe horizontal de la main : coupez la tête.

Quels individus avaient-ils à juger? Nous avons la description


d'une des prisons. Elle renfermait environ deux cents individus: parmi
les aristocrates on voyait trois mendiants qui n'avaient même pas de
haillons; parmi les conspirateurs, quatre aveugles, cinq estropiés,
deux nonagénaires paralytiques et deux fous de naissance. En d'autres
villes, à Nîmes par exemple, on avait supprimé la prison : on allait
chercher les dénoncés dans leur maison; on les amenait au tribunal,
2 21. LA RÉVOLUTION

on les condamnait si dextrement qu'une heure suffisait pour mener


un honnête homme de sa salle à manger à la guillotine.
Le tribunal d'Orange se sauvait par l'activité. En quarante-sept
jours qu'il dure (quarante-deux jours effectifs), il envoie à la mort
trois cent trente-deux individus. Le frère est condamné pour le frère,
le père pour le fils. Les enfants de quinze ans y sont guillotinés,
comme ceux de treize ans à Nantes; pauvres enfants qui demandent
au bourreau, avec un sourire qui le dispute aux larmes : « Me feras-tu
bien du mal?» A Paris, on envoie à l'échafaud les vieillards de

quatre-vingt-dix-huit ans; à Toulon, ceux de quatre-vingt-quatorze; à

Orange, c'est une vieille femme de quatre-vingt-quatre ans, tombée


depuis longtemps en enfance, qui, montant sur une charrette , demande

à son fils, son compagnon de supplice, s'il la mène faire des visites.
« Non, ma mère, nous allons au ciel. » Ou bien c'est une paysanne
en guenilles qui comparaît avec un enfant qu'elle allaite, un autre de

quatre ans qui s'assied à ses pieds. On la condamne à mort , comme


aristocrate; on lui prend ses enfants, qui meurent dans les vingt-

quatre heures.
Puis la fête journalière a lieu. Les juges vont chercher leurs ver
tueuses épouses; on envoie quérir les instituteurs avec leurs élèves

pour leur montrer trente-trois religieuses guillotinées, sans parler des


prêtres. On convoque les amis des villes voisines, d'Avignon surtout;
les belles dames de la couche dirigeante accourent. L'accusateur public
vient, sabre nu, voler une dernière fois les condamnés. La musique
joue des airs patriotiques et se. met en marche, suivie des condamnés.
Le chef des gendarmes commande d'une voix retentissante : Le pas
de la mort! Le bourreau suit, le chapeau orné d'un long ruban trico
lore. Quatre drapeaux ornent l'échafaud, un autre surmonte la sainte
guillotine. Quelques-unes des dames se promettent de croquer un fruit
à chaque tête tombée. Les autres vont festiner avec les membres et

les patrons du tribunal. Après le dîner, le tribunal d'Orange termine


galamment la fête : juges, sans-culottes mâles et femelles, vont donner
des sérénades aux parents des guillotinés.
RÉVOLUTION FRANÇAISE 227

S 4.
— LA JUSTICE CONVENTXONNELtE.

Un des pères conscrits de la Terreur avoua, en un jour de fran


chise, que le tribunal d'Orange n'avait pas prononcé une condam

nas «FORMES ACERBES»


« Dessin de I. affûte, exécuté sur les indications de M« Poirier, avocat à Dunkcrque ", dix-huitième
siècle. D'après une gravure de la collection de M. le baron de Vinck d'Orp, à Bruxelles. — Le litre Formes
acerbes rappelle l'expression de Barère dans sa défense de Joseph Le Bon. Selon lui, si Le Bon avait
employé des formes acerbes, il avait du moins fait preuve de dévouement a la république. — Debout sur
un monceau de cadavres, entre les deux guillotines d'Arras et de Cambrai, Joseph Le Bon vide tour à tour
deux coupes dans lesquelles il recueille le sang qui jaillit des deux échafauds. A sa gauche, une furie
excite des tigres à dévorer les restes de ses victimes. Le Bon, oratorien défroqué, lit périr plus de quinze
cents personnes; il avait fait installer un orchestre au pied de la guillotine.

nation qui ne fût un assassinat juridique. On en pourrait dire autant


de tous les autres tribunaux. Eh bien! la Révolution perfectionna
228 LA RÉVOLUTION

encore ces juridictions assassines. Elle employa un quatrième mode,


qui fut aussi sanguinaire que la justice populaire, plus inique que la
justice révolutionnaire. Il n'y eut plus de tribunal, plus rien qu'un
homme violentant les juges et les jurés que nous venons de voir,
pour les rendre pires encore, ou rendant la justice lui-même.
Cette justice, c'était quelque chose qui rappelait Attila, aux jours
d'ivresse; c'était l'extinction en masse. Cet homme, c'était le représentant
en mission, le conventionnel envoyé par les comités. L'histoire cite
les plus répugnants de ces lâches ou de ces forcenés. Ce furent Barras
et Fréron , à Toulon; Couthon, Fouché, Collot, à Lyon; Le Bon,
dans le Nord; Maignet, dans le Midi; Carrier, en Bretagne.
Le tribunal parisien avait découvert la complicité et la culpabilité

du chien; Carrier inventa la culpabilité de l'enfant à la mamelle, et

Maignet la complicité de la maison.

Quelques patriotes provençaux avaient eu l'idée ingénieuse de s'en


aller nuitamment écorcher les arbres de liberté ; ils espéraient ainsi
faire exterminer une certaine quantité de bourgeois voisins de ces

arbres. L'affaire manqua à Monteux, à Crillon : les bons patriotes


furent pris la main à l'œuvre. A Bédoin ils réussirent; l'arbre fut scié
et le bonnet rouge, ô profanation indicible! fut trouvé dans la boue
- 1 3 floréal an
( 12 II). Les habitants de la bourgade, fort innocents,

ne purent trouver les coupables. Maignet décréta la suppression de

Bédoin. On chassa les habitants, sauf soixante-trois, qu'on égorgea;


on incendia quatre cent trente-trois maisons, on fit sauter les édifices.

Il n'est pas besoin d'ajouter que l'on pilla à fond, auparavant.


Mais quittons le Midi pour la Bretagne. « On voyoit des soldats

porter des enfants au bout de leurs baïonnettes. La Loire vomissoit


des générations entières dans l'Océan. Les corps administratifs, la
société populaire, le comité de surveillance, délibérèrent ensemble si

l'on feroit périr les prisonniers en masse, et signèrent l'ordre de les

fusiller tous indistinctement. On amonceloit dans les prairies des


hommes nus, des femmes nues, des enfants égorgés, et l'on appeloit
cet épouvantable amas la Montagne. Les femmes enceintes étoient

précipitées dans les flots; des milliers d'hommes pourrirent entassés


RÉVOLUTION FRANÇAISE 229

dans des carrières. La peste menaçoit Nantes. On ne pouvoit, sans


boire la mort, se désaltérer dans les eaux du fleuve. »
Qui parle ainsi?
C'est un des plus ardents révolutionnaires bretons.

Que pouvons-nous ajouter ? Les actes de Carrier sont connus. Les

tribunaux nantais n'étaient point suspects; ils venaient de faire égorger


dix-neuf cent soixante et onze individus. Mais Carrier les trouvait

UN ÉPISODE DE LA TERREUR, A NANTES, EN I 9 J j


D'après une composition moderne. — La scène se passe sur la place du BoufTay. » On vit à Nantes une
mère et ses cinq filles, jeunes et belles, condamnées sans jugement, attendre une demi-heure leur
tour devant la guillotine, au bruit du couperet fatal, puis monter à l'échafaud en s'appuyaat les unes sur
les autres, en chantant des cantiques... La foule s'émut jusqu'aux larmes... Le bourreau éperdu fit tomber
les six tètes, mais il fallut l'emporter défaillant et il mourut d'horreur le surlendemain, a ( Pitre-Ci:evalier,
La Bretagne ancienne et moderne, p. 025.)

indolents. «J... f. déjuges, leur dit-il un jour, si dans deux heures

vous n'avez pas jugé tous les prisonniers qui sont à l'Entrepôt, je

vous faia fusiller. » Or ces prisonniers étaient nombreux, puisqu'il


y en mourait cent par jour. Bref, sur treize mille individus que
renfermèrent les prisons de Nantes, à un moment de l'administration
républicaine, on n'en élargit ou acquitta que quatre cent cinquante
23o

deux; deux mille furent condamnés, trois mille périrent de maladie


et cinq mille furent noyés; le reste attendait.

On en noyait quatre cents à la fois; un jour on alla jusqu'à


huit cents. On noyait tout, les prisonniers acquittés, les soldats
condamnés à quelques jours d'arrêt, hommes, jeunes filles, femmes
enceintes, enfants. Il y eut les noyades spéciales d'enfants et de femmes.

Ceux qui voulaient s'échapper on les exterminait à coups de sabre ;

ceux ou celles qui parvenaient à se sauver, on leur faisait la chasse


et on les noyait à la prochaine baignade. Carrier plaisantait agréa
blement et officiellement sur tout cela.
Est-ce tout? Non. Il y eut mieux. Nous l'avons dit, ces conven
tionnels, délégués par un comité, lequel était lui-même une délégation
de la Convention qui représentait quelques électeurs terrorisés, délé
guèrent encore leurs pouvoirs. Ils choisissaient les plus ineptes du
club le plus immonde d'une ville enragée, et ils les envoyaient
représenter la justice révolutionnaire dans un district, un arrondis
sement. Ces brutes républicaines parcouraient les villes, dansant,
chantant, banquetant, « pour réveiller l'amour de la république ». Ils
faisaient comparaître tous les individus, hommes et femmes, que l'on
dénonçait, et si ces malheureux avaient les mains blanches, on les

fusillait, eux et tous les habitants de la maison où on les avait ren


contrés.

Prudhomme estime à deux millions vingt-deux mille neuf cent trois


le nombre d'individus qui périrent par le fait de la Révolution, depuis

89 jusqu'à q5; à vingt mille le nombre de maisons qui furent brûlées


rien que dans la Vendée; à cent vingt-trois mille sept cent quatre-
vingt-neuf le nombre de Français qui furent forcés, sous peine de
mort, de quitter la patrie. Je suis loin de garantir ces chiffres. Il fait
monter jusqu'à dix-huit mille six cent treize le nombre d'individus
guillotinés sous la Convention. Nous savons que pendant les quarante-

sept jours qui précédèrent le 9 thermidor il y en eut treize cent

soixante-six exécutés à Paris.


« Il ne doit plus y avoir d'autres prêtres que les magistrats. »

C'est là le résumé d'une des plus hautes visées de la Révolution. Elle


RÉVOLUTION FRANÇAIS?: 201

suppose que la religion n'est autre chose qu'une législation d'un ordre
primitif, et qu'un code pénal rigoureux rend la morale inutile.
Ainsi s'explique logiquement l'abondance et la violence de ses lois.
L'Assemblée constituante en rendit deux mille cinq cent cinquante-sept,
et la Législative, douze cent vingt-sept ; la Convention, onze mille
deux cent dix. Parmi toutes ces lois, il faut mettre à part celles qui
sont nées d'une longue incubation du génie français, celles que le bon
sens de notre race, celles que la réflexion éclairée par l'expérience et

l'esprit chrétien avaient reconnues désirables. Celles-ci furent sages,


en fait peu nombreuses : un chroniqueur disait, en 1818, qu'il n'en
restait pas vingt-cinq en usage des deux mille cinq cent cinquante-sept
de la Constituante. — Nous devons les distinguer soigneusement des
lois purement révolutionnaires.
Ce que ces dernières avaient produit, quels magistrats, quelle
jurisprudence, quelles pratiques judiciaires, quelles moeurs chez les
témoins et les jurés, quelle opinion publique, quelle morale sociale
elles ont créés, nous l'avons indiqué bien sommairement.
Pour en avoir une idée complète, représentons-nous chacun des
villages, bourgs et villes de France. Là, rassemblons, par l'imagination,
ce que la méchanceté, la sottise, l'ignorance, la convoitise, la haine, la
débauche, la folie, peuvent produire en fait d'insolence, de pillage, de

crimes de tout ordre. C'est là, je ne dis pas la fureur révolutionnaire,


non, je dis bien : cette exaltation de tous les vices, ce triomphe de
tous les forfaits, c'est la justice, c'est la morale sous la Révolution.
Et ce n'est pas une exception momentanée, pas un accident histo
rique. Cela est conforme aux principes. La souveraineté du peuple,
interprétée par la Révolution, mène nécessairement et toujours là.

Quand on a retiré de la morale la moelle divine, la politique l'em


porte toujours. La morale n'existe plus souverainement, elle n'est plus
qu'un élément de gouvernement, un agent de la police. La raison
d'Etat est invoquée logiquement pour innocenter tous les crimes.
L'individu que le peuple égorge ne peut être que criminel, car, quoi
qu'il fasse, le peuple a raison, puisqu'il est source du droit, juge de
la morale, et qu'il n'y a plus de religion.
TROISIÈME PARTIE

LA CIVILISATION
Les révolutionnaires ne prétendaient pas seulement réformer le

gouvernement, ils voulaient régénérer la France; plus que cela, ils


poursuivaient la transformation de l'humanité. Ainsi s'explique logi
quement ce qui paraît être la véritable folie de la Révolution, folie
d'alors, aujourd'hui la même, demain plus exigeante encore : en s'attri-
buant ces fonctions et ces devoirs quasi divins, elle s'accordait, du
même coup, le droit de dédaigner la morale et le bon sens. La
grandeur de l'entreprise justifiait les moyens employés. Pour arriver
à un tel but, elle croyait, comme elle croit encore, pouvoir légitime
ment mettre en œuvre les théories les plus répugnantes, la violence
aussi bien que l'hypocrisie, et les êtres les plus pervers comme les

plus ignobles. Il s'agissait donc, pour arriver à une société inconnue

jusqu'ici, d'expérimenter une civilisation nouvelle. Quelle fut cette

civilisation révolutionnaire qui nous permet de prévoir la société de


l'avenir? Nous en indiquerons très brièvement les points saillants.

CHAPITRE I

LE S M OE U R S

Mœurs publiques et politiques. — « Robespierre faisoit un jour


l'éloge d'un nommé Desfieux, renommé pour son improbité : « Mais
<( votre Desfieux, lui dis-je, est connu pour un coquin! — N'importe,
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LA RÉVOLUTION

« c'est un bon patriote. — Mais c'est un banqueroutier frauduleux !

« — C'est un bon patriote. — Mais c'est un voleur! —


■ C'est un bon
« patriote. » Je n'en pus tirer que ces trois paroles. »

Le conventionnel Meillan, qui nous raconte cela, est bien candide


de s'étonner. Robespierre était logique. Il définissait nettement les
principes et le fond du dogme : La vertu, cest l'amour de la répu
blique. Toute morale découle de là; le principe de la souveraineté du

peuple étant la source de toute vérité, le culte de ce principe doit


être nécessairement l'unique cause de la vertu.
Ce que le grand prêtre Robespierre proclamait comme dogme, la
démocratie le pratiquait dévotement. Quand Lazowski mourut , on
déclarait bien que c'était un fripon, « coupable d'autres délits encore,
familiers aux hommes d'un grand caractère », phrase d'une grâce toute
républicaine, pour indiquer qu'il mourait pourri de la plus crapuleuse
débauche. Mais tout cela ne signifiait rien; on l'enterra comme un
héros ; ce fut l'occasion d'une fête nationale ; une des sections de

Paris prit son nom; — cet étranger filou, rongé d'ulcères, était
patriote.
L'idéal de la société nouvelle se présentait ainsi : la religion est

remplacée par l'industrie, l'intérêt spirituel par l'intérêt matériel. Il


n'y a plus de surnaturel, il n'y a plus que la terre. La morale n'a
d'autre sanction que la police. Vertu et popularité sont une même
chose. L'instinct chevaleresque du dévouement est remplacé par l'ins
tinct démocratique de la jouissance. La haine contre ceux qui n'ido
lâtrent pas la république devient un des signes de la piété; l'envie
contre ceux qui sont au-dessus du niveau égalitaire est un devoir
religieux; le sacrifice de celui qui offusque un démagogue est un
article du code de l'humanité.
Tous ces germes de civilisation s'agglutinèrent pour former le fruit
propre à la société révolutionnaire. Ce fruit, c'est la délation. La
fleur s'ouvrit dès l'aube de 1789, et chaque fois que la Révolution
produit une nouvelle et vigoureuse branche, espionnage, traîtrise,
dénonciation sont les pousses qui paraissent tout d'abord. Nous nous

rappelons le comité de recherches de la Constituante.


RÉVOLUTION FRANÇAISE 235

La Révolution enfiévrait tous ceux que la société monarchique,


dans sa justice comme dans son exclusivisme, avait repoussés du

centre, ou qui s'en étaient tirés hors. Elle déchaînait non seulement
les envieux, les convoiteurs, les débauchés, les haineux, mais les
huguenots, les jansénistes, les juifs, mais les francs-maçons, les comé
diens et les étrangers, qui jouèrent à la fin du dix-huitième siècle un
rôle si considérable. A tous, elle disait : Maintenant, votre tour est

venu, espionnez et dénoncez.

LE PEUPLE MANGEUR DE ROIS


D'après une gravure du numéro 217 des Révolutions de Paris, de Prudhomme. Projet de monument
colossal à élever sur les points les plus éminents des frontières. — Le Peuple français se saisit de la
personne d'un despote, le soulève de terre, et le laisse retomber dans un brasier allumé sur l'autel de la
Liberté. — La Révolution s'efforça d'inspirer au peuple la haine de la royauté. « Nous ne devons pas
craindre, disait Couthon, de déchirer le masque et le prestige de la royauté, et d'apprendre aux peuples
comment il faut traiter les tyrans. » (Réimpression du Moniteur, XV, p. 2?j. )

Camille Desmoulins écrivait : « La délation est la plus importante


de nos nouvelles vertus. » La société des Jacobins, en janvier 1790,
alors qu'elle était encore aux mains des constitutionnels, jurait de
prendre sous sa protection tous ceux qui se dévoueraient à la
dénonciation. La délation était tellement dans les mœurs démocrati
ques, et les directeurs de l'affaire révolutionnaire se sentaient si
capables de toute vilenie, ils étaient entourés d'une foule si avilie,
qu'ils ne voyaient partout que « des mouchards»; c'est la préoccu
23G LA RÉVOLUTION

pation constante de Robespierre, comme c'est le mot qui revient sans


cesse dans les journaux de Marat, de Fréron, de tous les gazetiers
patriotes.
Après être entrés dans les habitudes sociales, l'espionnage, la
délation devinrent des obligations légales. « Dénoncez », c'est le pre
mier ordre et le principal conseil des représentants en mission. Les
comités révolutionnaires étaient chargés par la loi de payer une
somme à chaque dénonciateur. La loi du 22 prairial résume les dis
positions légales antérieures, en disant : « Tout citoyen est tenu de
dénoncer les contre-révolutionnaires. » Si Couthon expose ainsi la
théorie révolutionnaire de l'espionnage, un soldat patriote, l'adjudant
du commandant de la place de Nantes, O'Sullivan, en donne le sens
usuel : « Mon frère est venu se jeter dans mes bras ; j'ai fait le

devoir du républicain , je l'ai dénoncé. »

A côté de la délation, le pillage. C'était un autre conseil de la


Révolution. Dès le début, cela fut compris. « C'est notre tour » ,

disent les paysans émancipés, qui s'en allaient brigander les pro
priétés du voisinage. A mesure que la Révolution gagna, le vol
s'étendit avec elle. Depuis le plus humble commissaire d'un comité
révolutionnaire de bourgade jusqu'aux officiers municipaux de Paris,
jusqu'aux plus farouches montagnards, chacun joignit la rapine à la

tyrannie. Les procès, les tribunes, les chroniques, les mémoires,


l'histoire générale, les registres municipaux n'ont qu'un cri là-dessus.
La grande puissance de Robespierre ne s'explique que par un mot :

intègre. Le peuple sans-culotte constatait que, pour la plupart, ses

petits chefs étaient des filous et ses grands chefs des voleurs, et il
comblait des marques de son idohàtrie le seul qui parût intègre. On
peut mesurer la rareté de cette vertu à l'enthousiasme de ces mani
festations.
La populace souveraine voulait être se'ule à avoir les profits du pil
lage : « Le bien des riches aristocrates doit être donné aux pauvres. Un
royaliste ne peut avoir de propriétés. Les seuls partisans de la Révo
lution peuvent être propriétaires. » C'est le vœu des sections pari
siennes les plus pures, en mars 1794. En l'an IX, les rapports offi-
238 LA RÉVOLUTION

ciels et confidentiels constatent que la grande cause d'attachement à la

Révolution était qu'on y voyait une occasion légale de piller, une

revision des fortunes. Prudhomme avait annoncé la prochaine arrivée

de ce temps béni où Ton ne verrait plus, sur le sol de la répu

blique, un millionnaire, « ce scandale de la raison ».

Il y avait un troisième moyen, l'assassinat, pour satisfaire du

même coup les deux maîtresses vertus de la Révolution, la haine et

la convoitise.
La convoitise ! Le grand ministre des finances d'alors avait trouvé
la formule : « La guillotine, c'est la planche aux assignats. » Que
de condamnations n'eurent d'autre cause que ceci : il est riche, ses

biens confisqués enrichiront la république!


La haine ! On sait combien la Révolution avait développé l'amour
du sang! « O sainte guillotine, amie des sans-culottes, protège-nous!

Machine aimable, protège-nous! Machine admirable, protège-nous! »

On l'idolâtre, cette machine. Un vertueux patriote offre aux conven

tionnels de lui faire des rentes. Les grandes dames du régime l'ont
en boucles d'oreilles, Saint-Just en épingle, Gatteaux en cachet, les

enfants en hochet. Ces enfants, la société leur recommande deux

manières de jeu : elle les admire s'exterminant à coups de pierre,


« en bons petits sans-culottes », ou bien, dit Daunou, elle leur donne

pour jeu l'imitation des scènes de la guillotine. Ces scènes, ce n'était

pas l'enfance seule qui s'en amusait; elles étaient chères au sexe sen

sible. La guillotine avait ses bacchantes qui hurlaient ses louanges à

chaque coup qu'elle frappait, elle avait ses dames d'honneur qui
venaient, en voiture élégante, admirer ses exploits. — Le sang! Les

corridors, les coulisses des théâtres en étaient pleins. Il était apporté

là par les officiers, les soldats, les spectateurs qui l'avaient été cher

cher à la place de la Révolution, à la place du Trône, changée en

marécage rouge.
Ce ne fut pas seulement pendant la Terreur que la Révolution

repoussa la France dans la barbarie; dès l'heure où elle commença à

dominer, elle conseillait l'assassinat, et non point par la plume de

quelque petit journaliste de l'école de Marat, mais par les voix les
DESSIN CENTRAL D'UNE CEINTURE DE JEUNE FILLE

POUR L'APOTHÉOSE DE VOLTAIRE, LE n JUIN 1791

D'APRÈS L'ORIGINAL CONSERVÉ A L'HÔTEL CARNAVALET, COLLECTION DE M. DE LIESVILLE

le
le
Traîné par quatre chevaux blancs, char, que guide la Renommée, s'avance vers Panthéon. Une Victoire
le
couronne la statue de Voltaire assis, devant laquelle brûlent des Derrière char, une jeune fille,
parfums.

à
vêtue l'antique, sème les fleurs d'une couronne; elle est suivie delà
par les muses Tragédie et de la Musique.

«
la
La translation de Voltaire au Panthéon fut première fête philosophique chère aux
particulièrement
le

artistes un

y
qui déployèrent grand appareil païen et antique. David en avait dessiné char; les jeunes peintres

la
à
»
vêtus romaine.

y
et sculpteurs figurèrent (Renouvier, Histoire de l'Art pendant la Révolution, p. 417.)

:
On de Chénier

y
chanta, sur la musique de Gossec, l'hymne

Il
renaît parmi nous, grand, chéri, respecté,

à
à

"Comme son dernier jour, ne prêchant la terre


Que Dieu seul et la Liberté.
Il

Voltaire n'avait prêché ni Dieu, ni la Liberté. Son œuvre avait été une œuvre de destruction. avait
<r

sapé
g

la base religieuse de l'édifice ancien ». En lui, la Révolution honorait son plus ardent précurseur, Car, enfin,
»

la route où marchent les générations vivantes, bonne ou mauvaise, c'est Voltaire qui l'a tracée. (Louis Blanc,

I,
Histoire de la Révolution, p. 340.)
RÉVOLUTION FRANÇAISE 23q

plus graves. En 1790, Prudhomme demande la formation d'une


bande d'assassins tueurs de rois. Sous la Législative, Jean de Bry fait
voter la création d'un corps de douze cents assassins; oui, une assem

blée française, avant même la Convention, décréta l'institution sociale


de l'assassinat. Il fallut l'intervention de Vergniaud pour que l'on
revînt sur la déclaration d'urgence et qu'on renvoyât au comité la

proposition déjà votée. Il s'agissait d'assassiner les princes et les géné


raux étrangers. Les cordeliers, en 1 79 r , s'y étaient engagés tous par
serment solennel.

CARTE
Du Citoyen ^^h<^uc^

inscrit sur le tableau des habitans <h la Commune de

Bruxelles N° /jfo&cw il est domicilié '^eP^


ïfecdôa .^ N. ^O^.agé de J$. cas

/^^*
FAC-SIMILÉ D'UNE CARTE CIVIQUE
Collection de M. le baron de Vinck d'Orp, à Bruxelles. — Tout citoyen qui n'avait pas de carte civique
devait être, aux termes de la loi, arrêté et détenu comme suspect.

Les modérés eux-mêmes, la Révolution les rendait enragés. « Les


Duplay, c'étoient les meilleurs et les plus doux petits bourgeois ; quand
Robespierre y eut demeuré quelque temps , on n'y parloit plus que
des joies de la guillotine et de l'assassinat. » Bitaubé dit, en parlant
d'une amie de sa famille : « Nous la savions douce et modeste ; elle

fît connaissance de Robespierre, elle ne songea plus qu'à nous pousser,


nous et ses anciens amis, à l'échafaud ! »
Qui protesta le premier
contre les massacres de septembre? Carrier. Quel est l'homme dont
l'avènement au pouvoir fut regardé comme une bénédiction par les
persécutés de la Révolution? Fouquier-Tinville. Quel est celui qui
LA RÉVOLUTION

flétrit le plus énergiquement, à son arrivée à Paris, la bassesse de

Robespierre? Couthon. Ne nous dit-on pas que Le Bon et quelques


autres des fauves révolutionnaires avaient été de bons pères de famille?
Ainsi les animaux les plus féroces de la ménagerie républicaine avaient
commencé par être l'espérance des innocents. C'est que la Révolution
a en elle un principe corrupteur qui raye le sens moral de l'àme.

Elle poussait l'homme plus loin que la barbarie, elle le ramenait à

l'anthropophagie. Je n'insiste pas sur les culottes, sur les tanneries de

peau humaine, sur cette hallucination de la viande humaine qui pour


suivait les jacobins, tellement que manger du foie de conventionnel
était, selon eux, le grand régal que se promettaient les duchesses

octogénaires et les magistrats paralytiques enfermés au Luxembourg.


Mais au G octobre, c'est la femme révolutionnaire qui mange du garde
du corps; au 10 août, c'est l'homme révolutionnaire qui mange du

Suisse. L'un et l'autre s'unissent pour des festins moins solennels, et

je ne citerai que cette lettre écrite d'Orléans par un volontaire pari


sien, le 3o août 1792 : « Les prisonniers sont gras. J'espère vous en

porter une cuisse pour la manger en fricassée de poulet. » A qui ce

jeune et vertueux républicain promet-il ce succulent festin? A sa mère!

Ce volontaire fut-il un fou, un fanfaron, un plaisant aimable? Des


enquêtes officielles nous montrent les reliefs de ce festin de la famille

révolutionnaire en Normandie comme en Provence.


Pour former les mœurs politiques et publiques, à la haine, à la

convoitise, se joignit la peur. L'abjection où elle jeta la France,


chacun le sait; mais il faut lire le vigoureux article d'André Ché-
nier : les Autels de la peur, pour comprendre ce qu'était devenu

le bourgeois de Paris dès 1791. Il faut regarder aussi le portrait que


Dussault trace des conventionnels : ils avaient Y âme pâle, tant ils

étaient habitués à trembler.


Ce sont là les principales apparences de cette civilisation qui, for

çant l'homme à regarder non plus en haut, mais en bas, avait mis,
si je puis dire, les aspirations humaines à quatre pattes. Ainsi s'expli
quaient la bassesse ou la fureur des mœurs publiques d'alors, le déve

loppement sauvage de l'ambition comme du désespoir.


R KVO L U TJ O N F R A N Ç A 1S K

Entrée du Chute cvu, de l)LeLiclcn% ^

VUE DU cjHATEAU DE MEUDON EN I(7{0 0


D'après une planche de la Géomèlrie pratique de Mallet, publiée en 1702. — Sous le règne de Uobe.;;ii. rre ,
une tannerie de peau humaine avait été établie "dans ce château. Des tanneries semblables existaient à
Etampes et au Pont-de-Cé. (Voy. Granier de Cassagnac, Histoire du Directoire, 1, p. 20. ) Un adjudu. t
général, nommé Bouland, «donnait aux: soldats 20 livres par paire d'oreilles humaines qu'il s'amusait à
clouer dans sa chambre. Le l'ait est tellement positif que ce Bouland présenta à un dépu;é un mémoire de
800 livres à ordonnancer pour le payement de 80 oreilles. Cette pièce a été entre les mains de l.ai;nelut »
(Réimpression du Moniteur, XXV, p. 5iy, Lettre du général de brigade Danican, commandant à
Rouen).

3J
LA RÉVOLUTION

Mœurs privées : la famille. —- « Avez-vous de plus proches parents


que la patrie, votre mère? » Voilà la phrase typique. Après avoir
annoncé que l'amour de la république est toute la vertu, la Révolu

tion proclame que le gouvernement remplace la parenté. Nous avons


vu ce soldat qui livrait son frère à l'échafaud, en bon républicain.
Il eût aussi bien livré son père et son fils, seulement il se fût écrié

qu'il se voilait la face. Tout eût été dit; on l'eût proclamé nouveau
Brutus.
C'est qu'en effet tout l'esprit de la Révolution est essentiellement

contraire aux conditions normales de la famille. Non seulement le

foyer domestique est attaqué par la négation de toute religion pré


cisée, affirmant et défendant les lois morales; par le droit absolu,
reconnu à tout individu, ignorant ou passionné, d'interpréter, en lui
et à lui seul, ces lois; mais la Révolution excelle à diviser un pays
en deux portions très distinctes : le pays des persécuteurs et le pays
des persécutés. Quel foyer domestique pour le père de famille dans
l'un ou l'autre de ces deux groupes ?

Le persécuté est en fuite, ou il se cache, ou il tremble, ou il se

tait. Quelle autorité a-t-il sur ses enfants, ses domestiques, ses agents,

sur les instituteurs de ses enfants? quelle surveillance, quelle éduca

tion, quelle économie domestique? quel soin des affaires?


Le persécuteur, lui, est tout à son devoir révolutionnaire, dans la

rue, dans les tribunes; il est au pillage, à la poursuite des aristo


crates, à la chasse des prêtres et des bourgeois. S'il est riche, il est

dans les cafés (qui ont joué alors un si grand rôle), il est dans les

cabinets de lecture (et le procès d'Hébert notamment nous dévoile le

grand bruit qui se menait dans ces lieux-là), il est dans les tripots,
dans les caves; et tout cela pullulait et développait ses attraits depuis

1789. S'il est pauvre, il est à la section; on lui donne par séance

40 sols qu'il va boire.


Le père de famille est donc partout où n'est pas la famille. Il est

ou furieux ou tremblant; il est préoccupé de tout autre chose que de

sa maison. Il est corrompu, débauché, ruiné, à tout le moins distrait.


Le foyer domestique est attaqué à la fois par le libertinage de la
RÉVOLUTION FRANÇAISE 243

Révolution et par son tapage. Aussi l'épouse hait-elle ce monstre


nouveau. « Toutes les classes de femmes au-dessus de celle du bas
peuple sont aristocrates. » Elle se sent troublée au milieu de cette

vie bruyante, à secousses, tout extérieure, qui lui enlève son mari,
qui émancipe ses enfants, qui bouleverse ses pensées, qui sape les

fondements de ses principes, qui lui interdit la religion. Où sont ces

LE DIVORCE
D'après une gravure d'Augustin Legrand, dix-huitième siècle. Collection de M. le baron de Yinck d'Orp.
à Bruxelles. — A droite, sur une estrade, deux, époux comparaissent devant l'officier d'état civil qui leur
lit la formule du divorce; déjà la femme se retire en faisant un geste d'adieu. La loi sur le divorce fut votée
par l'Assemblée législative le 20 septembre 1702. Mercier appelait le divorce u le sacrement de l'adultère »
[Nouveau Paris, III, p. 179).

idées de respect qui la protégeaient contre elle-même? où sont ces

voiles de dignité , de gravité dont le christianisme l'a couverte pour


l'embellir? où est cette chevalerie qui défendait sa vie comme sa fai
blesse? On jette en prison sa voisine, on guillotine sa compagne. Elle
sent que cette nouvelle doctrine la veut démoraliser en détruisant
Tidéal, qui est sa parure et sa fierté.
2-14 LA RÉVOLUTION

Cette liberté, proclamée la maîtresse souveraine du monde nou


veau, c'est la sœur du libertinage. Cette émancipation qu'on acclame,
c'est l'émancipation des sens comme de l'esprit. Cette indépendance,
c'est celle de la femme aussi bien que de l'homme, et l'indépendance
de la femme, c'est la négation de la famille.

Comment l'épouse aimerait-elle la Révolution ? voici la fille mère

qui est encouragée ; la civilisation révolutionnaire a pour elle des ten


dresses maternelles.

Enfin, voici la dégradation directe de la femme : le divorce! Le


divorce, c'est-à-dire un des plus rudes coups que la civilisation puisse
recevoir, un des plus grands pas en arrière que l'humanité puisse
faire. La civilisation n'a jamais remporté une plus grande victoire que
celle de la monogamie sur la polygamie. Et qu'est le divorce, sinon

un hypocrite retour à la polygamie! La Révolution, je comprends

que le divorce lui soit cher : elle est la naturelle protectrice de

l'animal humain. Il doit être cher aussi à tous ceux qui, sur ses

conseils, ne voient dans l'homme qu'un chercheur de bien-être, une

bête uniquement née pour jouir en tout égoïsme et absolue liberté.

Mais prétexter des misères inhérentes à la vie familiale pour pro


clamer le divorce, c'est guérir une maladie par le suicide.

Les révolutionnaires de la fin du dix-huitième siècle n'étaient pas

tous partisans du divorce. Ils comprenaient que c'était l'émancipation


de l'adultère, la prostitution annuelle, la débauche préméditée et léga

lisée, le déchaînement continuel des convoitises; que pour l'enfant,


c'est l'éducation nulle, l'émancipation hâtive après une enfance sans

caresses, car pour lui il n'y aurait plus ni père ni mère, mais toujours
un beau-père ou une belle-mère. Ils appelaient donc le divorce le

sacrement de V adultère, et ils reconnaissaient que c'était « un moyen

que la loi donnait d'obéir plus aisément à la galanterie et à la légè

reté françaises ». — « La loi le permet, les mœurs le proscrivent»,


écrivait Pigault-Lebrun.
On devine que ce sacrement fut fort pratiqué. A Paris, du icr jan

vier au 14 février [793, nous constatons cinq cent quatre-vingt-qua


torze mariages et deux cent trente et un divorces. En l'an VI, un
UNE NOCE SOUS LE DIRECTOIRE
Tableau de M. Kacmmcrer, dix-neuvième siècle. D'après la photographie de MM. Goupil etC''\ à Paris. — Alors,
on \it étaler des mœurs qu'aucune époque n'avait connues. « Le Directoire donnait l'exempte et cette abjection
était pourtant imitée; il n'y eut plus de voiles pour les vi::s. Comme la pudeur était éteinte, l'effronterie ressembla
à une facilité naturelle, à une grâce naïve. Dans les bals et dans les fêtes, les femmes se montraient à peine vêtues,
ou bien la parure n'était qu'un déguisement de la nudité. » ( Laurentie, Histoire de France, vu, p. ai.
)
LA RÉVOLUTION

bon républicain, Français, de Nantes, effrayé de ce qu'il voyait,


s'écriait : « Le mariage n'est qu'un libertinage légal. » En quinze
mois, de 1795 à 1796, il y avait eu à Paris cinq mille neuf cent
quatre-vingt-quatorze divorces prononcés. En l'an IX, sur quatre
mille mariages il y avait sept cents divorces; en l'an X, la proportion

augmentait, il y avait neuf cents divorces et trois mille mariages. Ces

divorçants songeaient surtout à se débarrasser de leurs enfants. Ils


les portaient aux Enfants-Trouvés. En l'an XI, on y en envoyait trois
mille cent vingt-deux. Les divorcés savaient à quoi s'en tenir. A la
fin de l'année, sur ces trois mille cent vingt-deux, il en survivait
deux cent quinze. On assurait qu'il y avait eu en trois ans de France
révolutionnaire plus de divorces que l'Europe entière n'en avait eu

en trois siècles. Mercier, non suspect, concluait en disant : « Le


divorce a corrompu la morale publique. C'est la plaie la plus difficile
à guérir. »

Mais cela n'inquiétait guère la masse des révolutionnaires. Relâ


cher les liens de la famille ne pouvait pas être un mal, puisqu'il

s'agissait d'en venir à remplacer le père et l'autorité paternelle par


l'État et l'autorité gouvernementale. D'ailleurs, n'avaient-ils pas défini
la Révolution par ce mot expressif, la rotation , la rotation continue
de tous les éléments sociaux, de la femme comme de la fortune ?

Le divorce, la destruction de la famille, n'étaient pas les seuls


instruments que la Révolution employait à la corruption de l'enfant.
Les spectacles journaliers, spectacles de révolte et de fureur, les pré
dications en faveur de toute liberté, les maximes courantes, l'éduca
tion impie ou athée, l'obscénité du langage, avaient dépravé l'ado
lescent et la jeune fille aussi bien que le père et la mère.
Cet autre membre de la famille ancienne, le serviteur, lui aussi
fut émancipé. La Révolution ne pouvait y manquer. Je n'oublie pas
l'étonnement d'un ambassadeur du roi de Sardaigne, engagé à souper
par un général en chef des armées de la république, et qui voit le
cuisinier venir se mettre à table. On n'était plus tout à fait au bon

temps ; le cuisinier ne réclama pas la première place.


Tout ce dont la Révolution ne voyait pas moyen de faire son
UN CABARET SOUS LE DIRECTOIRE
— La haute et vastesalle est aux trois quarts envahie par la foule des habitués. Les uns, groupes autour d'une table, écoutent la
Tableau de M. L. Dansaert, dix-neuvième siècle. D'après la photographie de MM. Lecadre et C°.
artistes ambulants qui s'accompagnentsur la harpe, et qui, tout à l'heure, vont passer dans les rangs pour faire leur
lecture de quelque gazette; d'autres jouent aux cartes; la plupart prêtent l'oreille aux chants de trois
des plaisirs. Les atrocités révolutionnaires l'avaient tellement oppressée qu'il lui paraissait doux d'être passéesous un régime
collecte. — Sous le Directoire, « la société française se consolait des hontes de l'État par la frénésie
Histoire de France, VII, p. 21. ) «Personne ne se contraignait et l'on riait de l'austérité des mœurs républicaines.... La
qui n'avait plus l'énergie des crimes, qui n'avait que celle des débauches ». (Laurentie,
On aimait les spectacles à grand effet, les jeux pyrotechniques de Claude- François Ruggieri ; on aimait les concerts
galanterie passait pour être la première qualité, presque la première vertu d'un citoyen...
publics existaientdans Paris... Que d' « incroyables » et de « merveilleuses » se coudoient dans toutes ces reunions !
d'harmonie, les ascensions d'aérostats du jardin Boutin et les bals du Vauxhall. Plus de six cents bals
au pavillon de Hanovre; chacun se plaît à consulter les devins et les tireuses de cartes; enfin, la mode va d'excentricités
On se presse chez Garchi, glacier, rue de la Loi (Richelieu), et chez Juliet, son concurrent,
en excentricités.» (A. Challamel, Histoire-Musée de la République, pp. 182, i83, 184 et 264.
II,
RÉVOLUTION FRANÇAISE 247

profit dans la conscience humaine était ou négligé, ou conspué, ou

persécuté, ou aboli. — Mentons, calomnions et inventons les faits,

écriront Payan et Chabot, si cela peut nuire à nos ennemis. — Tuons-


nous pour éviter la douleur ou l'ennui, écrira le chœur entier des
révolutionnaires. Le suicide est devenu une manière de potion. On
prenait cela comme une médecine pour dormir; et non point les fous
et les fougueux : Beugnot nous dit que lui et ses compagnons, les

graves constituants, portaient du poison dans une bague; c'était la

mode. L'honnête Bitaubé et sa vénérable épouse essayaient de se

tuer parce que la prison était incommode.

Qu'est-ce que la Révolution a mis à la place de la femme forte

de l'Écriture, de la mère chrétienne, de l'épouse, de la religieuse? Je


le dirai nettement, car il faut bien que l'historien constate jusqu'où
elle poussa son amour de la bête humaine, sa haine de l'idéal et de

la religion : elle remplace la femme par la femelle. C'est la prostituée


qui est son rire et son sourire; c'est son alliée, depuis Théroigne de

Méricourt et Reine Audu, jusqu'aux furies de guillotine. Ces der


nières, qui sont des femmes de ruisseau, sont ses amies, amies

fanatiques; elle en a mis des centaines hors des prisons, et ce sont les

plus sonores échos de la « voix du peuple souverain ».

Il faudrait un chapitre spécial sur l'influence de ces filles dans la


société normale révolutionnaire. Chabot, dans son procès, nous l'in
dique avec sa naïveté ordinaire; il nomme les femmes de mauvaise
vie les « femmes républicaines ».

Quinze cents maisons de jeu, outre les innombrables cafés, les


nombreuses capes où l'on dansait et « où la police n'abordoit guère » ;

ces a hommes qui raccrochent pour les tripots » , « le public de ces

tripots qui augmente d'années en années », « la multitude des oisifs

qui hantent les lieux de brigandage » , nous montrent quels alliés


avaient les femmes libres pour aider la Révolution à détruire la
famille chrétienne.
Il nous faudrait aussi chercher dans le détail des faits et des bio

graphies quels sont les promoteurs de la nouvelle civilisation, les


partisans spontanés et primordiaux de la société révolutionnaire. Nous
■>48 LA REVOLUTION

y noterions les spécimens de l'infirmité physique ou du déshonneur


social, les représentants de chaque vice, de la lâcheté surtout. Le plus
déterminé de tous ces protecteurs naturels de la Révolution, c'était

le valet. Ségur nous dit que la caste dirigeante de la première répu


blique, c'est la classe correspondant à celle des domestiques. Aussi
les « pères de 1793 » prirent-ils, par un attrait naturel, le bonnet

rouge des forçats pour coiffure officielle, et pour habit, la carmagnole,


qui était le costume négligé de la valetaille.

Tout cela produisit de bons fruits. Un révolutionnaire ardent, Gré

goire, s'écria en Tan III, en pleine Convention : « Jetons un regard


sur les mœurs actuelles; elles sont bien au-dessous de celles de

l'ancien régime. Nous voyons actuellement la démoralisation la plus


alarmante. » La Maillard était la sainte vierge de la religion nouvelle.

Usages ; fêtes ; modes. — Un illustre journaliste , Bertin , qui


n'avait pas quitté Paris pendant la Terreur, résumait ainsi ses obser

vations : a Tout le monde sait combien cela fut horrible, personne ne

sait combien cela fut bête. » Les jacobins étaient ou furieux ou gro

tesques, ou en même temps despotes et bouffons.

A côté du décret qui emprisonne les parents des officiers de

l'armée de Dumouriez; du décret qui défend aux soldats français de

faire des prisonniers et qui ordonne d'exterminer tout Anglais ou

Hanovrien qui se rendra ; du décret qui emprisonne tous les étran

gers qui pourraient se trouver sur le sol de la France ; du décret qui

force à faire afficher au dehors, pour faciliter les dénonciations, le

nom des habitants de chaque maison ; à côté de l'arrêté du conseil

municipal parisien voulant que la volaille, la viande de boucherie,


soient portées exclusivement dans les marchés populaires, pour vexer
les riches; à côté de ces queues de la boucherie, de la boulangerie,

de l'épicerie, où, après dix heures d'attente, on était passible d'em

prisonnement si l'on emportait, par exemple, plus d'une demi-livre


de viande pour cinq jours ; à côté de ce décret ordonnant l'ensemen

cement des jardins publics, parcs et jardins privés, avec injonction


aux propriétaires de les cultiver eux-mêmes « pour contracter des

goûts républicains»; tandis qu'on organise le culte de Marat ; tandis


REVOLUTION FRANÇAISE 249

que les soldats s'en vont dans les promenades publiques s'asseoir sur
les bancs auprès des citoyennes non déguenillées pour leur souffler
dans les yeux ta fumée des pipes; tandis que mille tyrannies grandes

prenaient la fortune, la vie, mille tyrannies petites, torturant les

FLORÉAL
L'un des douze mois républicains; d'après un dessin de Laffitte, gravé par Trcsca, dix-huitième siècle. —
[.es mois républicains étaient : en automne, vendémiaire, brumaire, frimaire : en hiver, nivôse, pluviôse, ven
tôse; au printemps, germinal, floréal, prairial; en été, messidor, thermidor, fructidor. Laffitte avait représenté
chacun de ces mois par un buste de femme, et ces dessins étaient destinés à servir de modèles aux élèves des
lycées. « Nous ne pouvions plus, disait Fabre d'Fglantine, compter les années ou les rois nous opprimaient
comme un temps où nous avions vécu. Les préjugés du trône et de l'église, les mensonges de l'un et de
l'autre, souillaient chaque page du calendrier dont nous nous servions. » ( Réimpression du Moniteur,
XVIII, p. 683.)

usages les plus logiques, essayaient de contraindre les Français aux


habitudes les plus ridicules. On avait, pour se réjouir, les gaietés du
calendrier républicain et un tribunal qui montrait pour président Sal

sifis Gras et pour juges Betterave Davie, Tournesol Escudier, Raisin


Peytal. On avait la folie des changements de noms des lieux et des
jlA révolution

personnes, et le vertueux vendangeur Libre-Petion Turc se prome


nait rue Lucrèce- Vengée ou rue du Faubourg-Nis , ou dans la com
mune de Brutus, en causant avec un ci-devant noir de la stupidité
des gens qui allaient aux ci-devant vêpres prier la ci-devant Vierge.
Ce n'était pas seulement les portiers qui « s'honoraient de l'égalité et

d'être appelés citoyens » ; Mmc de Beauharnais se déclarait citoyenne


sans-culotte montagnarde. Les sans-culottes avaient sans doute propagé
le tutoiement, mais c'était Guadet qui, le premier, étant président
de la Législative, avait tutoyé ses collègues. La politesse avait com
mencé de bonne heure à être un signe d'aristocratie, et si la Révo
lution avait duré quelque temps encore en sa pleine autorité, « la
nation entière », dit un républicain, enthousiaste pourtant, Paganel,
« auroit parlé sous peine de mort comme le père Duchesne, et le

style des halles eût été la langue de la philosophie ».

Sous peine de mort! c'était là ce qui relevait la platitude des


inventions jacobines. Dans les banquets fraternels , par exemple , l'idée
de forcer le savetier et le banquier à porter chacun leur plat n'était
pas sans bouffonnerie. Mais, sous peine de mort, la matrone véné
rable s'y asseyait à côté de la fille du ruisseau, et , sous peine de

mort , il fallait s'y laisser rançonner et insulter. On voyait des milliers


de gens, les enfants et les jeunes filles comme les vieillards, internés
dans des villages désignés; là soumis, comme des forçats libérés, aux
journalières tracasseries de la police , uniquement parce qu'ils appar
tenaient à certaines catégories de citoyens; et on se préparait à leur
faire casser les cailloux des grands chemins, sous peine de mort. Cela
était purement odieux. Mais l'on ne pouvait s'empêcher de trouver la
république risible quand elle envoyait les hauts employés du ministère
de la guerre accomplir leur besogne tout en étant gardés à vue, et

quand Turpin , par exemple, agent général du trésor, dirigeait les


finances de la France, escorté d'un gendarme qui ne le quittait ni jour
ni nuit.

Qu'avait la nation française pour se consoler de ces tyrannies et de


ces sottises, pour remplacer les usages antiques et sages de la religion
chrétienne, pour tenir lieu de la tranquillité du foyer, de la dignité
LKS PLUMEAUX A LA MODE
D'après une estampe satirique contre les coiffures. Collection Hennin, à la Bibliothèque nationale, dix-
huitième siècle. — Les dames portaient au dix-huitième siècle des coiffures très élevées, chargées de
plumes et d'autres ornements. Les autres détails caractéristiques de leurs toilettes étaient les corps de
baleine, les paniers, le fard et la poudre.

et de la sûreté de la vie ? Mais la nation française avait l'admiration


de La fille Thcroigne et du Prussien Cloots; La satisfaction de payer
252 LA RÉVOLUTION

les dettes de Danton et d'adorer Marat ; le règne de la valetaille et de

Robespierre; le droit de salir ce qui était pur et propre, la joie de

voir en bas ce qui était en haut. Ce n'était pas complètement suffi

sant, il fallait des fêtes.


« Ayez des fêtes », s'écria Robespierre, dans son discours-sermon

du 18 floréal. Elles devaient tenir lieu de prédication religieuse. On


connaît les principales, la fête de la Fédération, Y enterrement de

Le Peletier et de La\0)vski , Yapothéose de Marat, la prise de

Toulon, la fête de la Raison, la fête de Y Etre suprême. Quelques-


unes d'entre elles, qui étaient purement patriotiques et guerrières,
eurent un grand succès. Mais quand l'enthousiasme des premiers jours
s'éteignit dans la brume fétide et sanglante, la Révolution, qui avait
perdu pied, se lança dans un mysticisme philosophique; on eut les fêtes

ennuyeuses et les fêtes ridicules. A quoi répondait la fête du Genre

humain, la fête du Malheur? On était las de la fête de la Punition


du tyran, et l'on raillait les fêtes des Vieillards , des Epoux, de la

Reconnaissance. Elles n'avaient, pour les meilleures, qu'un caractère

purement plastique. Elles pouvaient, dans leur nouveauté, exciter les


nerfs, mais sans jamais parler à l'àme.

Un voyageur, qui visitait la France en 1797, le dit dans ses

lettres : « On veut absolument changer les Français en un peuple

antique. Des songe-creux surchargent ces fêtes de raffinements dônt le

peuple ne comprend pas la signification. Elle n'ont aucun effet sur


l'àme du spectateur. Il leur est étranger. Il n'y prend intérêt que

pour les railler. Dans les déesses tout Paris reconnaît les balayeuses
des plus impurs cloaques, et dans les jeux olympiques on reconnaît
Franconi avec ses bidets qui dansent sur des œufs. Le Français,
d'ailleurs si gai, assiste froidement à tout cela, et l'on n'y trouve plus
que des oisifs qui ne savent comment s'amuser. » Si ces fêtes répu

blicaines étaient ainsi ridicules à Paris, on devine ce qu'elles étaient

en province. « Je vis un jour la fête de Y Agriculture. Un paysan en

gros sabots, la tête couverte du bonnet de la liberté, piquait deux

bœufs attelés à une charrue : Avance, Bouchard, et toi, Châtain. La


musique précédait les sans-culottes; suivait le commissaire dansant.
RÉVOLUTION FRANÇAISE 253

Il était à peu près ivre. Ils se rendirent sur une place. Chacun essaya
de conduire la charrue. Quand ce fut le tour du commissaire, la

charrue chavira, le commissaire tomba à la renverse, les assistants

« UNE HÉROÏNE D'AUJOURD'HUI i


D'après une estampe de l'époque du Directoire. — Vêtue d'une robe aux longs plis, en demi-redingole de
affetas, les bras nus, « le grand chapeau de talïetas noir couronné de plumes au-dessus de son échelle de
rubans », elle cache sa véritable chevelure sous une perruque et porte aux oreilles des anneaux d'une gran
deur démesurée: une énorme cravate, d'où sort un col raide, entoure son cou jusqu'au menton.

éclatèrent de rire , les patriotes crièrent : Vive la république ! Ce fut


toute la fête. »

Les modes, dès les premières heures de la régénération, perdirent


toute élégance. Elles devinrent étriquées sous La Constituante, gros
sières sous la Convention, grotesques sous le Directoire. Partout
LA RÉVOLUTION

elles sont fausses. C'est le caractère général de toutes les manifesta


tions de la république, qui ne perdit aucune occasion de prouver
combien elle était factice, et qui ne se sauvait de la gaucherie que
par la violence.
Le patriote élégant de 1791 avec son chapeau pointu, son long
frac maigre, avec ses petits revers honteux et ses basques en queue
de morue; le jacobin pur avec son bonnet rouge, sa carmagnole
graisseuse, sa chemise ouverte, ses culottes dénouées et ses sabots;
X incroyable y qui semblait vouloir représenter toutes les infirmités
physiques, comme la Révolution représentait toutes les infirmités
morales, l'incroyable avec ses énormes lunettes de vieillard, sa cra

vate de goitreux, sa redingote à bosses, ses culottes de cagneux, tout


cela est assez connu par les gravures. Nous oublierons la tricoteuse et

la merveilleuse , sans songer non plus à décrire l'extraordinaire habil


lement dont David voulait faire le costume national.
Pour bien connaître le caractère moral de la Révolution, quittons
la période où elle extravague. Venons au moment où sa rage est

apaisée. Elle n'est plus en Constituante ni en Terreur. Elle est autant

maîtresse du temps et des hommes qu'elle le sera jamais. Elle récolte


ce qu'elle a semé. Voyons la société révolutionnaire de l'an IV à

l'an IX.
Ce qui frappe surtout les contemporains, c'est que l'esprit public
a disparu. Les revers comme les succès de notre armée n'excitent

plus d'émotion; les mouvements de la politique intérieure n'offrent

pas plus d'intérêt. Le cerveau a été tenu en un travail si continuel

qu'il est finalement tombé en léthargie. On a tué le patriotisme comme

la sensibilité ; à force de surexciter l'enthousiasme par des choses

folles, fausses, vaines, ou basses ou exagérées, on a amené l'indiffé

rence.
11 en était de la vérité comme de l'esprit public. A force d'avoir

entendu grands mots et mensonges, on ne croyait plus à rien. On

augmentait vainement l'énergie et le nombre des affirmations, les

auditeurs restaient sceptiques. On en venait aux serments. Mais il en

était des serments comme des assignats; il en fallait un monceau


RÉVOLUTION FRANÇAISE 255

pour représenter une petite valeur, et bientôt on n'en voulut plus

pour rien.
Dans Tordre moral, il en allait autrement; la pente était exacte-

UNE MERVEILLEUSE
IVaprès une estampe du temps. — Amaurv Duval, chef de bureau des sciences et arts au ministère de
l'intérieur, conseillait aux femmes i d'abandonner pour jamais les bas et les jarretières, de lier avec des
rubans une semelle sous leurs pieds nus », de porter une « tunique très ouverte parle haut des deux côtés »,
et relevée u plus ou moins selon leur goût, soit par les côtés, soit par le devant ». Ces conseils furent le
programme des femmes du Directoire. M™e Tallien parut au bal de l'Opéra dans ce costume, ayant des
anneaux d'or aux doigts des pieds. (Voy. J. Renouvier, Histoire Je l'art pendant la Révolution, pp. 472 à 476.)

ment contraire. Le peuple, disent les rapports officiels, « n'a plus que

tous les vices de la crédulité ».

« Chacun vit de l'heure présente. » C'est le mot qui résume l'histoire


intime de l'époque révolutionnaire. Mais chacun existe facticement. On
LA RÉVOLUTION

n'a plus, pour ainsi dire, que la figuration de la vie; on ne va au


fond de rien, on n'existe qu'en courant, en rêvant, en jouissant hâti
vement. Tout se passe par procès-verbaux, dit Français, de Nantes :

les enterrements ne sont plus une fête funèbre; le cadavre passe dan
la rue sans pompe ; un greffier qui l'escorte représente toute la

douleur de la famille. Le mariage, la naissance, ne sont plus qu'un

procès-verbal. Les fêtes nationales elles-mêmes n'ont bientôt plus


lieu; mais on en fait le procès-verbal. Enfin, le serment n'existe

plus; les magistrats ne le prêtent pas, mais on en dresse procès-


verbal. Il n'y a plus que la simagrée des choses les plus graves ou les

plus nécessaires. L'encre tient lieu de tout.

Les fonctions publiques qu'on avait recherchées si avidement, on


les fuyait : en l'an VI, nous voyons telle commune où, sur sept con

seillers municipaux nommés , un seul accepte, et c'est un pur imbécile.

La Révolution, après s'être fait honneur du trésor de vigueur


morale, de fortune publique, de puissance civilisatrice, de générosité,
d'intelligence, rassemblé par l'ancien régime, l'a gaspillé et épuisé. Il
n'y a plus de professeurs, d'avocats, de médecins, que de très vieux.

Il a fallu absolument, en pleine Terreur, garder dans Paris six mille

aristocrates notoires pour faire marcher l'administration. Dans les

municipalités provinciales où l'on a élu des patriotes purs, il n'y a

quelquefois pas un seul individu capable de lire ou de comprendre


les décrets.

Les rapports officiels de l'an IX nous représentent tous les édifices

publics, même les corps de garde, tombant en ruine. Toute rivière


est marécage; les digues sont rompues; les terrains desséchés,
devenue

repris par les eaux. Il n'y a plus de droit de propriété. Le paysan


mène paître ses bestiaux sur toute terre, dévaste tout, dévore tout.

La Révolution apaisée présente le même spectacle que la Révolu

tion enfiévrée : la division de la société en deux groupes très distincts.

Comme on avait vu, de 1792 à 1795, l'exaltation furieuse chez les

dominateurs, le silence morne chez les autres, on voyait en l'an VIII


« le luxe le puis insolent, et des troupes de malheureux cherchant

leur existence dans les ruisseaux ».


PENDULE RÉPUBLICAINE
CONSERVÉE A L'HOTEL CARNAVALET, DIX-HUITIEME SIECLE

Cette pendule est un don de M. Cousin, conservateur du musée et de la biblio

thèque de l'hôtel Carnavalet.

La partie supérieure présente un cadran mobile divisé en deux, parties identiques,


mais dont une seule est visible à la fois. Le mouvement de la pendule fait tourner ce
cadran autour de l'axe qui ressort au-dessus des mots phases de lune. Sur la bande
demi-circulaire qui surmonte le disque de la lune, représentée dans son plein, sont
inscrits des chiffres servant à indiquer les diverses périodes du mois lunaire. En avant
du cadran, un peu au-dessous et de chaque côté du disque lunaire, se trouvent deux
parties saillantes, immobiles et arrondies par le haut. Lorsque le cadran se meut, le
disque lunaire s'élève ou s'abaisse forcément derrière ces parties qui le découpent gra

duellement en forme de croissant, dans un sens ou dans l'autre, suivant que la lune

croît ou décroît.

Sur le cadran central, divisé suivant l'ancien système horaire, se meuvent cinq
aiguilles. La première, en commençant par le haut, marque les secondes, la deuxième
le quantième du mois, la troisième les heures, la quatrième les minutes, la cinquième

le jour de la décade.

Le cadran inférieur est un cadran décimal, c'est-à-dire qu'il divise le jour en dix

heures et les heures en cent minutes. Il a trois aiguilles. L'une indique les heures, une

autre les minutes, et la troisième les mois, qui figurent avec leur double appellation,
ancienne et nouvelle.

Dans sa haine pour l'ancien ordre de choses, la Convention aurait voulu changer

jusqu'à la division du jour : elle ouvrit des concours, elle donna des encouragements
aux horlogers qui produisirent quelques œuvres ingénieuses, et ce fut tout.
RÉVOLUTION FRANÇAISE

Les voyageurs qui visitent la France, et je dis les plus sym

pathiques à la Révolution, résument leur impression dans ces mots :

« luxe destructeur, profonde immoralité, plaisirs brutaux ». Dans la

bonne compagnie, telle que la Révolution Ta faite, c'est « un orgueil

boursouflé, une grossièreté dégoûtante ».

Nous pouvons maintenant résumer en une phrase toute l'histoire


de la civilisation révolutionnaire : Le grand ressort de la société chré

tienne, c'est V honneur , qui implique le sacrifice de soi; l'unique but


de la société révolutionnaire, c'est le bien-être , qui nécessite le sacri
fice des autres. Au temps de leur puissance, quand ils croient n'avoir
plus besoin d'hypocrisie, les démagogues l'avouent aisément. « Je vais

avoir l'honneur... », dit un accusé. — « Il n'y a plus d'honneur! » s'écrie

le président Dobsent.

CHAPITRE II

LES LETTRES

Le génie littéraire de la France s'est, à la fin du dix-huitième

siècle, signalé dans le pamphlet, l'art oratoire, le poème lyrique,


dans le théâtre surtout.
Le pamphlet, après avoir hésité entre la brochure, plus française,
et le journal, plus anglais, s'absorba dans cette dernière forme.
L'esprit national, en appliquant une partie considérable de son activité

au journalisme, se dénatura. Il s'est exposé à devenir minutieux,


hargneux, menteur. Il s'est développé dans le sens de l'irréflexion et

de l'étourderie. En se livrant à la pratique excessive du criticisme, qui


rétrécit et dessèche, il diminue en lui le mâle enthousiasme, et aborde

plus difficilement les problèmes un peu larges de l'ordre moral comme


de l'ordre intellectuel. L'habitude des conclusions hâtives, la facilité à

croire ce qui flatte la passion actuelle, ont rendu difficile la persévé


rance dans l'étude et diminué dans le cerveau la force de résistance.
253

D'autre part, l'esprit taquin d'opposition et de négation a remplacé

la conviction fécondante ; le bon sens qu'on remarquait jadis chez les


illettrés en France est devenu le pédantisme obtus des demi-savants ;

et la grâce aisée des lettrés tourne au féminisme. Partout la menue


monnaie du talent ; partout la médiocrité , habile à escamoter les dif
ficultés de l'art; en tout la dextérité du faire, la science de la mise

en scène, tendant à tenir lieu de pensées originales. Ce sont bien là


les transformations que la Révolution fit subir au génie national à

l'aide du journalisme. Elle a ouvert l'ère de l'analyse à outrance.

L'éloquence fut grande. Mais ici nous retrouvons, plus accentuée


que jamais, cette loi qui domine toute l'histoire révolutionnaire :

grandeur, aussi longtemps que la Révolution trouva à puiser dans


le trésor amassé par la société chrétienne; bassesse, impuissance ou

monstruosité, quand elle vécut sur son propre fonds. La Révolution


donna à l'éloquence l'éclat de son enthousiasme des premières heures.
Rem militarem et argute loqui , l'art militaire et la fine éloquence,
c'étaient les deux passions que les Romains reconnaissaient à notre

race. La Révolution les trouva en bel ordre; elle y mit le feu : ce fut
la flamme, puis la fumée, puis la cendre.

Ce furent d'abord Mirabeau et Maury, Cazalès et Barnavc,


Malouet, Mounier, Clermont-Tonnerre , Févêque de Clermont, l'abbé
de Montesquiou, et cent autres représentants des trois ordres de

l'ancienne société. A la suite des constituants, — l'aristocratie de la

vieille France, — la Législative nous en montre la bourgeoisie.


C'était encore l'éducation, le sang de l'ancien régime; ce fut encore

l'éloquence.
Après l'exécution des girondins sonores et retentissants, de

Danton qui a laissé des traits superbes, non un discours, la Révolu

tion était maîtresse absolue de la rhétorique ; elle put nous montrer


son idéal de l'art oratoire. Cet idéal, c'est le mélange du boursouflé

et du trivial, d'images fortes jusqu'au monstrueux et de phrases


niaisement attendries; c'est, dans le discours écrit, un allégorisme

mythologique, qui cache absolument la pensée sous une forme épaisse;


c'est, dans le discours improvisé, un parlage à la fois violent et
RÉVOLUTION FRANÇAISE 259

commérant, où la dénonciation, l'anecdote, la menace, l'exclamation,


remplacent tout plan et coupent toute suite d'idées.
Le discours politique offre un spécimen curieux de l'éloquence
démocratique. Il emploie toujours le dogmatisme pédantesque, et le

met en œuvre par un procédé dont le mécanisme est invariable.^!!

PORTRAIT DE MIRABEAU
D'après une médaille du temps. — Honoré de Riquctti, comte de Mirabeau, avait été exclu de l'ordre
de la noblesse et longtemps enfermé au donjon de Vincennes à cause de sa vie de désordres. Nommé
député du tiers état, il fut le plus puissant orateur de la Constituante, et mourut, le 2 avril 1791, épuisé par
la débauche et par les émotions de la tribune, après avoir vainement essayé d'arrêter la Révolution qu'il
avait contribué à déchaîner.

commence par affirmer énergiquement un principe, un fait, puis il


en tire les conséquences avec toute la minutie d'une logique inflexible,
avec l'habileté la plus ingénieuse dans l'analyse et les déductions. Le
principe est odieux ou le fait faux, mais le sans-culotte ne voyait que
la série des chaînons qui se déroulaient aisément à la suite l'un de
l'autre. Il oubliait le point de départ, ou il l'acceptait à cause de la
LA RÉVOLUTION

belle tenue des déductions. C'est ainsi qu'on arrivait à prouver, par
exemple, que l'indulgence était de la férocité, ou que la liberté ne

pouvait vivre que sur un lit de cadavres. L'ardent Collot-d'Herbois,


Barère, l'Anacréon de la guillotine, et le grand-prêtre Robespierre
nous donnent les diverses formules de l'art oratoire révolutionnaire.
Couthon, avec son onction qui graissait bourgeoisement les rouages
de la logique, et Saint-Just, avec son dogmatisme impérieux qui
pénétrait de vive force dans les cerveaux amollis par la peur, n'étaient
pas méprisables. Mais Maximilien Robespierre remportait sur tous,
parce qu'il savait mieux mettre en saillie chacun des points de son

discours, et qu'il prodiguait les mots graves, comme peuple, principe,

justice, humanité, droits et devoirs, vertu surtout. Devant ces mots,


la démocratie s'inclinait dévotement.

Pour mieux indiquer le chemin que la Révolution avait fait

prendre à l'éloquence française, nous rappellerons que ce Robespierre,


le maître des maîtres en l'an II , était considéré comme un grotesque
à la Constituante. On le surnomma « le singe de Mirabeau ». C'était
bien cela, l'éloquence révolutionnaire tournait à Pépilcpsie grimaçante.
Nous nous en tiendrons à deux spécimens. « Il ne sait pas signer,
mais sa parole tiendra lieu de légalisation, car il ne veut pas avilir

son patriotisme en faisant une croix. » Voilà l'éloquence courante. « Si


ma tête était coupable de tiédeur, je la couperais et je viendrais la
déposer de ma propre main sur l'autel de la patrie. » C'était l'élo

quence solennelle.

Le lyrisme prospéra comme l'éloquence. Au début, la chanson

conserva quelque gaieté, et les Chemises à Gorsas, le Président du

comité des recherches, les Ah, eh, hi , oh, hu , firent grand bruit.

Hélas! Momus prit bientôt des airs de capitan. En attendant qu'il


ôtât ses culottes , il laissa pousser ses moustaches.

L'élan guerrier créa les chants sonores. Mais à mesure que la

Révolution gagna, Polymnie devint sombre et grossière, allégorique;


elle sentit l'égout, le club des Jacobins, le comité révolutionnaire, la

puante tricoteuse ou le livide Comité de salut public. Hymne, ode,


couplets, stances, romances, chants, chansons, s'affublèrent de l'épi
H ÉVO L U T I O N FRAN Ç A I S 11

thète patriotique , républicain , montagnard, pour dissimuler l'effort


et l'absence de verve. Parmi les plus célèbres et les moins répu
gnantes de ces productions, on connaît le Chant du départ, la
}rersaillaise, le Salpêtre, Roland à Ronceraux , plus tard le Réveil du
veuple, le (Pliant de la négresse; divers hymnes sur la liberté, l'éga-

LES RÉVERBÈRES PATRIOTIQUES


Fac-similé d'une gravure satirique contre le général d'Alton, extraite du numéro i5 des Révolutions de
France et de Brabant, par Camille Desmoulins. — Chargé par Joseph II de contenir les premiers mouve
ments révolutionnaires de la Belgique, le général d'Alton exerça tant de cruautés a Gand et a Bruxelles,
que le pays tout entier se souleva contre lui et qu'il dut l'abandonner honteusement. Il emporte les létes
de ses victimes; des réverbères le poursuivent, ainsi que le lion de Flandre. — Camille Desmoulins, l'un
des hommes qui, par leurs écrits, ont exercé le plus d'influence sur l'époque révolutionnaire, s'intitulait lui-
même le « procureur général de la lanterne ».

lité , l'Être suprême. On peut citer encore les couplets-stances sur les
événements importants, à partir de la prise de La Bastille; sur cha
cune des victoires, et notamment sur La bataille de Fleurus, La reprise
de Toulon, le siège de Lille, le vaisseau le Vengeur; sur les héros
de La Révolution, sur Voltaire, Rousseau, Mirabeau, Le Peletier,
2Ô2 LA RÉVOLUTION

Marat, Barra, Viala, etc. Mais les deux types restent toujours : la
Marseillaise et le Ça ira. Le premier, qui n'échappe pas complète
ment au ridicule pour son emphase, pour quelques traits de rhéto
rique fausse , ne tarda pas à être accusé de modcrantisme. Les
jacobins comprirent que l'hymne était au fond trop noble pour avoir
été fait en leur honneur. C'était un chant guerrier, non pas un chant
révolutionnaire. On décréta Rouget de l'Isle d'accusation. Le véri
table chant national pour les sans-culottes fut le Ça ira; vulgaire
et menaçant, simple et bête, terriblement grossier et furieux, il
pouvait être l'expression du lyrisme jacobin.
Sous le Directoire, « pour élever l'esprit révolutionnaire qui étoit
abattu », on chantait au théâtre, entre les pièces, des airs patrio

tiques. Mais l'opinion était fort montée contre le jacobinisme et peu


enthousiaste de la république. On n'applaudissait plus que les pièces
antiterroristes. Le reste était conspué, et, de compagnie, les chan
sons patriotiques; si bien que Ton fut obligé de les interdire.
C'est donc là qu'en vint le théâtre; il ridiculisa le civisme. Mais
auparavant, l'opinion avait parcouru deux étapes fort différentes :

l'attaque contre l'ancien régime, puis l'idolâtrie de l'esprit révolution


naire. Nul genre littéraire ne fut aussi fécond, aussi servile. En
contact immédiat avec l'opinion la plus tumultueuse, c'est cette opi
nion que le théâtre représenta. Il y mit ce zèle propre aux exploi
teurs du goût public et cette basse courtisanerie distinctive du
cabotinisme. Il faut dire aussi que sa grande action sur la société en

avait fait un objet très particulier des préoccupations gouvernemen


tales. Tous les moyens furent pris, par les administrateurs comme par
les patriotes, pour le maintenir au pas, à la hauteur, dans l'attitude,
dans la voie extravagante et basse où ça ira, où ça va.
De la période critique et de désorganisation nous avons peu à

parler. On connaît Beaumarchais , le plus fin , et Marie-Joseph Ché-


nier, le plus vigoureux représentant de cette période. Ce dernier fit
grimacer Melpomène comme l'autre avait fait pirouetter Thalie. Dès le
9 août 1789, des tapageurs bien pensants s'étaient écriés, au parterre
de la Comédie française, qu'il leur fallait une pièce intitulée
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264 LA RÉVOLUTION

Charles IX. Cette tragédie de Charles IX eut pour but de montrer

combien les rois sont abominables dans Tordre politique ; celle de

Henri VIII, combien ils sont odieux dans Tordre moral. Quant à
Gains Gracchus (février 1792), il prouvait l'insolence de l'aristocratie.
Mais il y avait dans cette pièce un hémistiche : « Des lois et non du

sang», qui parut antirévolutionnaire-, et le patriotisme de Chénier

commença à devenir suspect. Nous n'oublierons pas le bruyant drame


des Victimes cloîtrées, par Monvel, qui connaissait des ordres monas

tiques ce qu'on en sait dans les coulisses de théâtre, et qui appréciait


la chasteté avec les idées de la Guimard. Cette pièce avait la préten

tion de donner un coup d'épaule à la constitution civile du clergé.


Elle manqua le coup, mais elle fournit des arguments aux patriotes
de septembre qui exterminaient aux Carmes les soi-disant bourreaux
des victimes cloîtrées.

La liberté des théâtres avait été accordée (i3 janvier 1791). On


avait voulu élever les acteurs à la dignité de citoyens. Pour cela on
avait imaginé de leur faire payer patente comme à des fruitiers

(mars 1791), et pour prouver qu'ils méritaient une telle dignité, ils
se précipitaient dans la garde nationale avec ostentation. Mais la

tyrannie jacobine divisa bientôt en deux bandes les « enfants de

Thalie et de Melpomène ». Tandis que la masse des histrions fai

sait concurrence aux moines apostats pour l'enthousiasme répu


blicain, véritables artistes faut
(il

les excepter quelques acteurs

dévoyés comme Talma, Trial, Dugazon) tournaient l'incivisme. On


à

sait comment, grand'peine, l'illustre troupe du Théâtre-Français


à

échappa Téchafaud, et, pour ne pas citer d'autre fait, comment en


à

un seul jour on arrêta, Bordeaux, quatre-vingt-six acteurs du Grand-


à

Théâtre, foyer d'aristocratie


»
«

on avait pronostiqué que liberté


la

Dès 1789, des théâtres produi


rait une moisson égale celle du dix-septième siècle ». En attendant,
à
«

elle produisit des baraques et des pièces dignes d'y être jouées mais
;

en quantité considérable! En s'élève des théâtres dans chaque


il
«

1791

section. On mettoit en scène Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Mira


y

beau, les mauvais prêtres, les aristocrates et Robespierre foudroyant


MARAT EN ROBE DE CHAMBRE
d'après une estampe coloriée de la collection de m. de liesville
a l'hotel carnavalet ; dix-huitieme siecle

« Du premier coup, Marat a compris le caractère de la Révolution, non


par génie, mais par sympathie, lui-même aussi borné et aussi monstrueux
qu'elle , atteint de délire soupçonneux et de monomanie homicide , réduit
par l'appauvrissement mental à une seule idée, celle du meurtre, ayant perdu
jusqu'à la faculté du raisonnement vulgaire; le dernier des journalistes, sauf
pour les poissardes et les hommes à pique, si monotone dans son paroxysme
continu qu'à lire ses numéros on croit entendre le cri incessant et rauque qui
sort d'un cabanon de fou. » (Taine, La Révolution, II, p. 282.)
RÉVOLUTION FRANÇAISE 265

Coudé par sa vertu ». Un bon citoyen, P.-J. Gérard, imaginait un


théâtre d'éducation morale qui « embrassoit toutes les connoissances ».

Un journaliste proposait, à demi sérieusement, un théâtre d'éducation


politique qui mettrait en scène les décrets de l'Assemblée nationale.
Le Cousin Jacques, un des pères rêveurs et fustigés de la Révolu
tion, essaya, après le Club des bonites gens, de faire prêcher, par
Nicodème dans la lune, les idées de la bourgeoisie constitutionnelle.
Cela était rétrograde en t 79 r . En mars 1792, la municipalité interdit
l'opéra à! Adrien, parce qu'on y représente une fille de roi qui n'est

pas une coquine. Ne blâmait:on pas la tragédie de la Mort d'Abel de

Le Gouvé, parce qu'il y avait le Père éternel !

Les jacobins, aidés par les fédérés, par les portefaix, se faisaient à

coups de poing les censeurs de l'art dramatique. A propos des plus


innocentes critiques de ce qu'ils aimaient, des plus pâles éloges de ce

qu'ils détestaient, ils entraient en fureur et mettaient en mouvement


leur boueuse armée. Quand ils n'étaient pas les plus forts dans la
salle, — comme il arriva à propos de l Auteur du moment, pièce
gaiement satirique contre Chénier, — ils sortaient, ramassaient la
canaille du voisinage et se mettaient cent contre un pour assommer
ou salir à la sortie quelques spectatrices. Ils faisaient aussi des expé
ditions en province. L'orateur Gonchon et son ami Forcade s'en

allaient sans-culottiser les pièces, les acteurs départementaux. Ils chan


taient des couplets patriotiques « pour achever la conversion des spec
tateurs ». C'est ce môme Gonchon qui, en novembre 1792, interdit
la pièce Robert chef de brigands, parce qu'on y permettait à un roi

de se tuer et qu'il eût fallu le' guillotiner.


Il y avait eu explosion d'ardeur martiale et libérale à la lin d'août.

Liberté conquise, Siège de Lille, Liberté en Savoie, Apothéose de

Beaurepaire s'étaient imposés dans les théâtres importants. Les Fran


çais, les Italiens, Feydeau , la Montansier, le théâtre des Nations
entraient dans ce chemin très étroit où l'art est remplacé par l'allu
sion. Le chemin allait se rétrécir encore, jusqu'à ne plus permettre
qu'un seul genre d'allusion, et bientôt plus qu'une seule allusion,
qu'un seul éloge, toujours le même et toujours plus lourd, plus nau
34
LA RÉVOLUTION

séabond , l'éloge de la république. — Ducis fait représenter, en décem


bre 1792, une traduction de VOlhello. Les journaux se demandent de

quel intérêt cela peut être pour des républicains. Raoul de Créquy
met les patriotes en fureur parce qu'on délivre un prisonnier et que

ce prisonnier est... « noble ».


Nous n'arriverons pas à cette date sans saluer un nom que toute
âme fière doit révérer. Laya, au milieu de l'affaissement général des

courages, osa tenir tête à cette tyrannie de la bêtise. J'avouerai qu'il

«JE SUIS LE VÉRITABLE PERE DUCHESNE, FOUTRE!»


Fac-similé du frontispice du Père Duc/iesnc, d'après un numéro appartenant à M. le baron de Vinck
d'Orp, à Bruxelles. — Hébert est représenté avec une pipe à la bouche, des pistolets à la ceinture, une
hache à la main, auprès d'un fourneau, symbole de son « ardent patriotisme ». Au bas, à droite, au-dessous
de la figure d'un prêtre, on lit : Mémento mori, ou plutôt : « Souviens-toi, Maury », par allusion à l'abbé
Maury. — En 1793, le Père Ducliesne était envoyé officiellement aux armées. « Un autre Marat, plus
grossier et surtout plus vil, Hébert, met « de la braise dans les fourneaux de « son Père Duchesne », tire
à 600,000 exemplaires, se fait donner 235,000 livres comme prix des numéros adressés aux armées, et gagne
75 pour 100 sur la fourniture. » (Taine, La Révolution, II, p. 473.)

montra plus de hardiesse que de génie. Sa célèbre pièce V Ami des

loix , à part quelques passages vigoureux et une tirade sublime, est

assez ennuyeuse, d'un style raboteux, d'une composition peu origi


nale. Encore une fois, elle était courageuse, et cela était si rare que,

six semaines avant la représentation, le public, averti qu'on allait


sortir de l'éternelle et répugnante apothéose de la vertu démocra

tique, s'en occupait. Le bruit qu'elle fit fut assez grand pour lutter
contre les rumeurs qui précédaient le jugement du roi. La pièce fut
interdite par la commune de Paris, malgré la Convention -
( r i 16 jan
vier 1793).
R É VO LUT I O N V RAN GAIS K 267

L'intolérance gagnait. Les patriotes exigeaient qu'on brûlât sur le

théâtre les gazettes qui se permettaient de critiquer leurs pièces favo


rites. Il n'y avait même plus besoin de prétexte politique : il s'agissait
de Paul et Virginie. Euripide lui-même était un suspect, et le club
des Défenseurs de la république (mars 1793) exigea que l'on cessât
les représentations cYHécube. Vers cette date (mai r 793 ), le Triomphe
de Maral était la pièce à succès (théâtre de l'Estrapade). En juin, la

LES RÉCHAUDS DU PERE DUC H ES NE


Fac-similé d'après un numéro du Pcrc Duchcsnc appartenant à M. le baron de Vinck d'Orp, à Bruxelles.
— Ces réchauds servaient à Hébert de parafe et de timbre, au bas de chaque numéro de son journal. A partir
du numéro i35, il les fit précéder de sa signature, «plusieurs faussaires prenant son titre et sous ce cachet
débitant toutes sortes de mensonges et d'absurdités. Il désavoue hautement tous ces bâtards, dont il ne fut
jamais le père, et entre autres, celui qui se fabrique chez la soi-disant veuve Iîrrard, rue Saint-Sauveur».
(Le Pcrc Duchcsnc, n° 135 ).

Chaste Suzanne déplaît aux fédérés, qui forcent la direction du Vau


deville à l'enlever de l'affiche parce qu'il y a un couplet « pouvant
être interprété dans le sens de l'ancien régime ». A partir du 4 août,
il est ordonné de représenter trois fois par semaine Brutus et autres

pièces patriotiques. Il est interdit à tout directeur, sous peine de puni


tion rigoureuse, de donner des pièces tendant à réveiller la supersti
tion, « afin de répondre à ceux qui assurent que Paris regrette la

monarchie» !! Aux Jacobins (décembre 1793), on demande que


chaque ville de quatre mille habitants soit obligée d'avoir un théâtre ;
268 LA RÉVOLUTION

les églises vacantes serviront de salles, et les élèves des écoles publi
ques viendront s'y exercer dans « des pièces sentimentales et con
formes à la Révolution ». Un administrateur de police ordonne que
le mot citoyen remplace les mots monsieur , seigneur, dans les pièces
nouvelles. Le mot monsieur était réservé pour les injures. Des spec
tacles gratuits devaient avoir lieu trois fois la semaine à la salle de
l'Ancienne-Comédie. Les sans-culottes se plaignaient pourtant, et ils
ne comprenaient pas qu'on permît, dans les autres salles, de louer
des loges à l'avance; cela sentait l'ancien régime.
Il n'y avait plus que cela qui le rappelât. Le théâtre de l'an II
nous offre un choix des spécimens de la stupidité humaine. Parfois
une pièce tombe « malgré les bonnes intentions de l'auteur » ; le

Congres des rois, Toulon sauvé, sont siffles d'un bout à l'autre*,
mais cela est rare; il n'y a presque plus de critique intellectuelle. Les
Dragons et les Bénédictines , et leur suite les Dragons en cantonne
ment , V Epoux républicain , la Veuve du républicain , la Nourrice
républicaine, V Intérieur d'un ménage républicain, la Matinée répu
blicaine, — toute cette guenille théâtrale est naturellement à l'enseigne

de la république, — I Inauguration de la république , sans-culottide,


Agricole Viala, les Mœurs de V ancien régime ou du libertinage , le
Mariage civique, les Capucins aux frontières , Ils sont libres enfin,
le Triomphe des arts utiles, le Plaisir et la Gloire, le Tribunal de
la raison, ce sont là les immortels modèles du vrai théâtre révolu
tionnaire. Comment le juger? Supposons que Simon, après avoir
achevé heureusement l'éducation du jeune Capet, ait entrepris celle du
vieux Corneille, voilà Melpomène en 1.794; supposons que Diderot,
Voltaire et Beaumarchais, bien morigénés par Fouquier-Tinville, s'en

aillent, avec quelques travailleurs de Septembre pour censeurs, débiter


des gaudrioles aux pensionnaires de Bicêtre , voilà Thalic la révolu
tionnaire.
Les tréteaux faisaient une fraternelle concurrence à ces planches
républicaines ; seulement on y pendait le pape au lieu de le marier.
On y jouait Arlequin - Jésus -Christ , le Pape aux enfers, le Juge
ment dernier des rois, la Déportation des rois, où ceux-ci se don-
UNE CONFÉRENCE DE MME DE STAËL
d'après une gravure coloriée de debucourt, a la bibliothèque

nationale; dix-huitième siècle

Fille du ministre Necker, la baronne de Staël occupe le premier rang parmi les
femmes auteurs. Sous la Terreur, elle avait adressé a.u gouvernement révolutionnaire
une défense de la reine. Sous le Directoire, et surtout sous l'Empire, elle exerça une

grande influence par son salon où se réunissait une foule d'hommes célèbres dans

les lettres, les arts, les sciences, l'industrie et la politique. Son livre de Y Allemagne,

tableau de l'esprit, des mœurs et de la littérature d'un pays encore mal connu en

France, est rempli d'allusions contre l'Empire. Mais « nulle part elle n'a déployé un talent

plus distingué que dans ses Considérations sur la Révolution française. Par malheur...

toutes les erreurs de la Révolution y sont concentrées et sublimées». (J. de Maistre. )


■*?
L«'"«~"'''C"..'i;r.r1i.Srin«
hein
FRANÇAISE

naient du pied au derrière. On y figurait enfin librement des panto


mimes obscènes qu'on m'excusera de ne pas citer.

Après Thermidor, la France essaye de reprendre la voie de la

civilisation, et les traditions de l'esprit français revivent avec Barré,


Léger, Picard, Collin d'Harleville et d'autres. A la suite de Ducancel
et de son célèbre Intérieur d'un comité révolutionnaire , on rendit aux
jacobins quelques coups de fouet pour leurs coups de couteau. Citons
le Souper des jacobins, les Suspects et les Fédéralistes , le Faux
député. Mais la vigueur dramatique avait été atteinte pour longtemps.
La faveur populaire se précipite aux Cadet-Roussel , aux Madame
Angot , tandis que les lettrés tentaient de s'élever jusqu'à l'imitation
de Voltaire et de Crébillon.
De 1789 à [8or, on compte six cent trente-sept pièces composées
dans un but révolutionnaire. On place dans ce nombre quelques
œuvres, comme VAmi des loix, Epicharis et Néron, qui étaient répu
blicaines parce qu'il fallait adopter, sous peine de n'être pas joué, la
cocarde tricolore. Mais ces derniers drames n'ont pas le double signe
des ouvrages révolutionnaires, le sentimentalisme pleurnicheur et

inepte accolé à l'insolence bavarde et grossière.

C'est cette basse sottise , tout autant que cette grotesque emphase
et cette despotique ignorance, qui montrent comment la Révolution,
déprimant l'esprit humain, travaillait à faire reculer la civilisation.

CHAPITRE III

LA SCIENCE — LES ARTS

La science. — « Si la Révolution fut restée plus longtemps maîtresse


absolue, la France fût retombée dans l'ignorance et dans la. barbarie. »

On n'a pas oublié cet aveu d'un montagnard, Thibaudeau, l'un des
meneurs des comités de l'instruction publique, en Tan II. On se rap

pelle aussi le cri qui échappa à Coffinhal : « La république n'a pas


LA RÉVOLUTION

besoin de chimistes . » Ils répondent ainsi aux révolutionnaires qui


voient dans nos pères de Ç2 les promoteurs du mouvement scienti

fique du dix-neuvième siècle. — La Révolution n'aime dans les

savants que leur docilité.


Ce sont uniquement les excès de la science qui sont d'essence

révolutionnaire. Parmi ces excès, nous devons ranger en première


ligne la dangereuse insolence qu'elle montre aujourd'hui en se préten

dant seule directrice des principes civilisateurs. L'ancien régime


repoussait, sans doute, ces prétentions exagérées. Mais le dévelop
pement normal de la civilisation monarchique et chrétienne comportait,
sans qu'il y eût besoin de bouleversement, un accroissement considé
rable de la puissance scientifique. Cette puissance avait marché paral
lèlement à la vieille société française, qui, bien que fort portée vers les
lettrés et les artistes, donna naissance aux plus illustres représentants
de la science et lui ouvrit le plus large sillon.
Savants de tout genre, agronomes, astronomes, géomètres, mathé

maticiens, géographes, ingénieurs, médecins, abondent à la fin du


dix-huitième siècle. Ils ne sont pas nés de la Révolution. Presque
tous se sont tus quand elle fut maîtresse absolue et jusqu'au moment
où elle fut battue, en thermidor. Alors la science essaya de rassembler

ses enfants épars. Le tombeau ne peut rendre Lavoisier; mais Lacé-


pède et les autres peuvent sortir de leurs cachettes. Le Lycée des arts
et des sciences reprit, avec d'Arcet, Malherbe et Vauquelin , la

publicité de ses séances, qu'il n'osait plus tenir (brumaire an IV). En


germinal an IV, l'Institut national se fonda. Le Musée national reprend
les traditions du Cabinet royal d'histoire naturelle, et retrouve les

Daubenton, les Jussieu, les Geoffroy à côté des Fourcroy, des Bron-
gniart, des Lamarck. Les Monge, les Prony, l'abbé Hatiy, le com

mandeur Dolomieu, l'ingénieur d'Arçon, reparaissent pour rendre

possible l'organisation des Écoles polytechnique et des mines. L'Obser


vatoire renaît et retrouve les savants disciples ou émules de l'illustre
astronome l'abbé Lacaille, les Delambre, les Cassini, Lalandc, La
Place, Lagrange. De tous ces savants, Hassenfratz seul peut être
réclamé par la Révolution, et « ses confrères se refusent à se trouver
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LA RÉVOLUTION

en société particulière avec lui ». De même, Chappe est le seul des

célèbres inventeurs qui, parla avant cette date du 9 thermidor. Le


22 mars 92, il annonce à la Convention la découverte de la télégra

phie. Le 4 avril (j3, Romme fait un rapport. Le 26 juillet, Lakanal,


Arbogast, Daunou constatent le succès. Il est difficile de dire de

Chappe qu'il est un enfant de 89, et que son invention est née des

immortels principes. Il fut même accusé « d'avoir établi son télégraphe


contre-révolutionnairement ». Au fond, il n'a de révolutionnaire que
l'intolérance. Il disparaît, en effet, de l'an II à l'an VI, où nous le

trouvons en pleine bataille contre Bréguet et Bétancourt, dont il


somme le gouvernement de repousser les travaux télégraphiques, sous
le prétexte qu'ils ne sont pas des républicains français.
Nous ne mettrons pas à l'avoir de la Révolution l'École normale.
L'idée en appartenait à l'ancien régime, qui avait installé une école
de ce genre au collège Louis-le-Grand , après l'expulsion des jésuites.
Quand les conventionnels essayèrent de renouveler la tentative, elle
avorta fort misérablement. L'Académie des sciences existait et glorieu
sement avant la Révolution. Les facultés de médecine, le Jardin des

plantes avec ses collections, existaient aussi, et si l'Ecole polytechnique


est d'origine conventionnelle, elle ne se trouvait pas dépaysée dans une
nation où la monarchie avait créé l'École des ponts et chaussées, et

douze écoles pour l'artillerie et le génie. La destruction de l'ancien

régime activa sans doute l'unification des poids et mesures; mais

l'utilité de cette grande mesure avait été comprise avant 89, la question

discutée, préparée; et les savants étrangers de la fin du siècle prou


vèrent que l'affaire eût été mieux faite si la Révolution ne s'en était

pas mêlée.
En somme, son instinct la portait à lutter en tout contre le grand

mouvement traditionnel de la civilisation française. Elle supprima non


pas seulement les universités, les facultés, mais les corporations
savantes. Du 18 août 1792, date de cette suppression, à 1802, il

n'y eut pas ( c'est Fourcroy qui l'avoue ) de réceptions régulières de

médecins ou de chirurgiens. Elle avait émietté la faculté de médecine

en des écoles buissonnières de rebouteux.


RÉVOLUTION I-'K ANCAIM:
> 273

Les arts. — On Tut obligé d'inventer un mot pour caractériser


l'histoire artistique de la Révolution : vandalisme. Encore les Allemands
protestèrent-ils avec énergie. Schloezer prouva solennellement que c'était
outrager les Vandales que les comparer aux révolutionnaires; et l'on
fut obligé d'avouer qu'il avait raison.

PORTRAIT DK BAILLY
D'après une médaille du temps. — Astronome distingue, membre de trois académies, Buillv jouit d'une
grande popularité dans les premiers temps de la Révolution. 11 fut maire de Paris et députe aux États
généraux, puis président de cette assemblée. Le 20 juin 1789, il entraîna les députés du tiers dans la salle
du Jeu de paume et y lut la formule du serment proposé par Mounier, serment qui était un acte de
révolte ouverte. Devenu suspect pour avoir réprimé l'émeute du Champ de Mars au lendemain de l'arres
tation du roi à Varennes, il fut condamné à mort et guillotiné le 11 novembre i7'_)3.

La Révolution partait de cette maxime : « Les beaux-arts sont


naturellement rovalistes. » Elle chercha bien parfois à donner le

change : Prudhomme insinuera que c'est Antoinette et la famille des


Bourbons qui ont pris « les meubles et les vases des églises suppri
mées ». Les représentants décréteront une statue à Rousseau, une
colonne à Calas; les municipalités, des pyramides commémorât! ves. La
LA RÉVOLUTION

Législative (3 décembre 1791) vote des prix de 10.000 francs pour


encourager les artistes; la Convention (ior juillet 1793) accorde des
pensions de 4,5oo francs aux élèves qui ne peuvent plus aller à

Rome. Mais on n'oublie jamais que les arts sont royalistes ; et David
s'écrie, de l'aveu de Mercier, « qu'on peut tirer à mitraille sur les
artistes sans craindre de tuer un patriote ».
Le 27 brumaire an II , la Convention décrète qu'on élèvera sur
la place du Pont-Neuf une statue de quarante-six pieds représentant
le Peuple français. David, qui proposa le décret, avait demandé
que le piédestal fût composé de débris amoncelés de statues. On
brisa bien les statues, mais l'image colossale ne fut pas faite. C'est
le parfait résumé des rapports de la Révolution avec l'art. Comme
nous l'avons constaté jusqu'ici, elle sut fort bien détruire, elle ne sut

que cela.

On a brisé bas-reliefs, corniches et balustrades du monument qui


servait de piédestal à la statue de Louis XV, et on a remplacé cette

statue par celle de la Liberté. Ce spécimen de l'art révolutionnaire


est... en argile bronzée. Cela s'écailla et coula. Les Parisiens la nom
maient la Liberté de boue. La statue de Louis XIV a été, comme
celle de tous les rois, vouée aux gémonies. On l'a remplacée, place
des Victoires, par un obélisque de cinquante pieds, monument com-
mémoratif de l'héroïsme du peuple au 10 août. Cet obélisque est en

bois peint. En 96, le soleil avait disjoint les planches, et le monu


ment tombait par morceaux.

On avait remplacé la Bastille par une statue, toujours de la


Liberté. Celle-ci n'était pas en argile, elle était en plâtre; elle ne
coulait pas, elle s'émiettait. Cette Liberté-là n'était pas grecque,
comme les autres, elle était*., égyptienne, et les gens courageux
s'aventuraient à dire que c'était « très sec ».

Le travail dont la république était fière était encore une destruction,


mais du moins incomplète et mitigée. Il s'agissait de rendre l'église
de Sainte-Geneviève digne de recevoir Marat et Voltaire, en lui ôtant
tout caractère religieux. On enlevait du Coustou pour y mettre du

Moite* Sous la direction d'Antoine Quatremère, Boichot, Chaudet,


RÉVOLUTION FRANÇAISE
F 27 5

Masson , Roland sculptaient partout des Loi, des Minerve, des Inno

cence, des Patrie, des Vieillard, des Nature, des Hercule, des

inscriptions bouffonnes. On commença par constater que cela «<va len

et au conseil des
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et religieux, tout ce qui 2 «S tS

rappelait monarchie, aristo ï EU .


cratie, christianisme, c'est-

à-dire toute l'histoire de France; statues, peinture, architecture,


papiers, livres étaient proscrits légalement. La loi allait jusqu'à ordon
ner (i3 pluviôse an II) la démolition de toute maison qui pourrait
servir aux moyens d'attaque et de défense, et cela dans tout l'inté
rieur de la république.
27r> LA RÉVOLUTION

De telles lois étaient interprétées et exécutées par des êtres encore


plus sauvages qu'elles, par des hommes que Grégoire divise en trois
classes, les fanatiques , les imbéciles et les voleurs.
Le fanatisme ne guidait pas seulement les ignorants et les exaltés.

Prudhomme, qui fut persécuté à titre de modéré, demande, avec


instance, qu'on ruine le château de Versailles, parce que « la vue des
corniches brisées, des colonnes renversées, des bas-reliefs mutilés
vaudra bien sans doute des tableaux de prix et de beaux appar
tements ». Il recommande qu'on ait bien soin au moins de décapiter
les statues des rois et des saints.

Beaucoup de municipalités donnaient aux efforts de ce vandalisme

un caractère solennel et religieux. « Les tableaux, les tapisseries, les


livres ont été transportés sur la Place. Les officiers municipaux, décorés
du ruban tricolore, le district, le département assistaient... On a forcé

Yévêque constitutionnel à danser autour du bûcher. » Ce n'est pas


dans une province arriérée, c'est à Verdun que cela se passe.

Quand les ignares et les filous arrivèrent, après les fanatiques, à

diriger les beaux-arts de la Révolution, ce fut la plus bouffonne et la

plus lugubre ivresse. « La menace de la guillotine est à l'ordre du


jour pour les artistes du Louvre. » Houdon parvient à se sauver parce
que sa femme fait passer une statue de sainte pour un emblème de

la philosophie. On brise la statue de Linnée parce qu'il ressemble à

Charles IX, et il ressemble à Charles IX parce qu'il a un cordon de


chevalerie. Les marchands brûlent leurs collections de portraits. Le
graveur Alix détruit ses meilleures estampes. Les bibliothèques qu'on
ne pille pas, on en prend un coin pour en faire des étables à

porcs. Les monuments qu'on n'a pas détruits servent de greniers, de

corps de garde. Les tableaux qu'on ne lacère pas, on les détrempe


pour en enlever les signes de féodalité ou de superstition; ceux qui
ne sont pas brûlés sont roussis, comme il arrive aux Sept sacrements
de l'Espagnolet. Peu de statues échappent sans avoir perdu la tête ou
les membres. A Meudon, on brise un marbre précieux pour en

extraire quelques fils de cuivre. A Montbard, on vide le cercueil de

Buffon pour en avoir quelques livres de plomb. A Soissons, on coupe


R ÉVOLUTION FRANÇAISE

les tableaux et on les met sous des sacs de blé pour protéger ceux-ci
contre l'humidité. A Strasbourg, c'est par milliers que les statues ont
été détruites. A Coutances, on enlève des stalagmites, les prenant pour
du salpêtre. A Nancy, « en l'espace de quelques heures, on a détruit

l'ane comme il y en a peu


Fac-similé d'une caricature centre le littérateur Mercier, qui fut membre de la Convention et du conseil
des Cinq cents. Collection de M. le baron de Vinck d'Orp, à Bruxelles; dix-huitième siècle. — Mercier
s'était déclaré l'ennemi des artistes. » Nous croyons, disait-il, qu'il n'y aurait pas de livre plus philosophique
à faire aujourd'hui que celui qui s'élèverait avec force contre la peinture, la gravure, l'architecture, l'enlu
minure, la sculpture, ces arts si faux, si dangereux, si inutiles au bonheur, n ( Tableaux Je' Paris, X,
p. 102.) Les artistes se vengèrent. Mercier fut représenté sous la forme d'un roquet, de Midas, ou sous celle
d'un âne foulant aux pieds les œuvres des grands maîtres.

pour 100,000 écus d'objets d'art » ; à Paris, pour plus de dix millions.
Mais il faudrait un volume pour donner un bref aperçu de cette

chronique artistique. Un voyageur, grand ami de David et de Sieyès,


nous Paris en Les statues des rois et des grands furent
9.6

dépeint «
:

brisées; d'autres statues antiques ou modernes furent renversées ou


mutilées. Les riches bibliothèques, les collections de manuscrits furen
278 LA RÉVOLUTION

volées, dissipées, vendues à bas prix (et bien souvent enlevées par les
étrangers). Les plus belles collections de monnoyes anciennes et nou
velles furent fondues. Les cabinets de pierres travaillées furent volés.

Les plus beaux chefs-d'œuvre de méchanique furent brisés, les tableaux


déchirés ou brûlés. » Plus loin, il nous montre dans les monuments,
dans les églises, les trous béants à la place où l'on avait arraché les
tombeaux et les statues, le sol rempli de débris, les vitraux en

pièces.

Que reste-t-il donc pour honorer ce temps-là? David, celui qu'on


a nommé le Raphaël des sans-culottes. Grand artiste, sans aucun
doute! mais ce fut moins à son talent qu'à sa qualité de terroriste
qu'il dut de pouvoir peindre. En avril 1793 encore, Sylvain Maréchal
l'accusait publiquement de n'être qu'un peintre aristocrate; et les
tableaux de la Mort de Marat et de Le Peletier , qui sont le pur
produit de l'inspiration révolutionnaire, sont de beaucoup inférieurs
au Serment des Horaces, antérieur à la Révolution.
C'est Grégoire qui nous donne la conclusion de l'histoire artistique
de la Un du dix-huitième siècle : « Dans l'espace d'un an , la Révo
lution a failli détruire le- produit de plusieurs siècles de civilisation. »

En résumé, à partir de 91, c'est-à-dire à mesure que la Révo


lution gagne du terrain, on constate un abaissement progressif du
niveau intellectuel. Les idées se rétrécissent et s'effarent. Les pensées
sont obscures et sans franchise, les termes bas, la phrase alam-
biquée, la conception désordonnée ou balourde, la composition plate
ou boursouflée. Le cerveau s'est replié après s'être convulsé; il est

morne, il a été épileptique.


On comprend ce cri que jeta Marie-Joseph Chénier, et qui est la
plus puissante clameur de haro contre la Révolution : « Enfin ,

s'écrie cet illustre montagnard, quand la Montagne fut écrasée et la

Révolution garrottée, il va être possible d'avoir impunément du

génie ! »
LA TOUlt DE SAINT-AMAND-LLS-EAUX. (NORD)
D'après la publication intitulée La Renaissance en France; Paris, Quentin. — Cette tour est à
peu près le seul reste d'une vaste et puissante abbaye fondée au septième siècle par saint Amand,
évèque de Tongres, et reconstruite au dix-septième, n Riches sculptures, tableaux remarquables,
boiseries, orgues, trésor précieux, reliques nombreuses et vénérables, tout concourait à faire de ce
sanctuaire une des plus belles églises du nord de la France. » (Benjamin Desailly, Fragments
historiques sur la ville et l'abbaye de Saint-Ainand, p. 4. ) La Révolution détruisit, dispersa, ruina,
anéantit tout cela, a Jamais une nation ne s'était laissé ainsi dépouiller, par ses propres citoyens,
des monuments qui attestaient le mieux chez elle non seulement la culture des sciences et des
arts/mais encore les plus nobbs efforts de la pensée et les plus généreux dévouements de la vertu. >>
( Montai oinERT, [.es Moines d'Occident, introduction, p. clxxxvi. )
I.A REVOLUTION

CHAPITRE IV

L'ÉCONOMIE POLITIQUE

S I. — LES FINANCES.

La Révolution déclare que le bien-être matériel est le seul idéal


de toute société. Cette proclamation de principe est, sans aucun
doute, l'indice d'une philosophie politique inférieure à celle qui donne
la première place, dans ses préoccupations, à la morale. Toutefois
cette recherche du bien-être est un élément, bien qu'incomplet, de
civilisation. Cet idéal, tout inférieur qu'il soit, la Révolution l'a-t-elle
atteint ?

Que fit-elle des finances, sans la bonne organisation desquelles il


n'est pas de gouvernement?
En 89, d'après le rapport de Necker, le déficit (en y compre
nant l'intérêt de la dette) est de 56,i5o,ooo francs. Ce déficit était le

prétexte de la Révolution. Les États généraux étaient convoqués pour


le faire disparaître. Après quelques années de l'administration révolu

tionnaire, ce déficit de 56 millions était devenu un déficit de 40 milliards.


Nous pouvons très bien suivre, malgré les mensonges des budgets

républicains, les degrés de la décadence. En 89, les dépenses sont de

531,464,000 francs; en 96, de 998 millions.


Le ior janvier 91, les rapports officiels établissent la dette publique

à 2 milliards 62 millions; le 28 février 1793, le rapport de Chabot


accuse 8 milliards 62 millions. Comment en arrivait-on là ?

Les constituants, envoyés principalement pour restaurer les finances,

étaient les plus extraordinaires comptables qu'on pût souhaiter. Ils


laissaient croire que la liberté allait abolir l'impôt, ou plutôt qu'il
serait payé désormais par les gens de bonne volonté. Ils étaient
hommes à espérer qu'ils en trouveraient beaucoup, On devine que
RÉVOLUTION FRANÇAISE

cette candeur fut mal récompensée. Ainsi, les deux contributions,


pour (jr, étaient la foncière, 240 millions, la mobilière, 66 millions.

Sait-on combien l'État touchait, au mois d'août, par exemple, pour


le douzième de ces 3o6 millions? 3,142,757 francs. En multipliant ce

chiffre par 12, la Constituante trouvait que la balance était mal pon
dérée. C'était « la faute du fanatisme ».

La Constituante confisquait, le peuple pillait, détruisait, et les

financiers qui allaient venir essayèrent de faire remonter le plateau


vide de la balance, en jetant dans l'autre des têtes de prêtres et de

gentilshommes.
Les rêveurs qui étaient la classe dirigeante, en ce début du monde

nouveau, appliquaient à tout leurs utopies, qui, en tout, allaient


contre leur but. Ils abolissaient les dîmes
Qui gagnait brusquement.
à cette suppression? Le peuple, qu'on prétendait soulager? Non, mais
les riches propriétaires, qui avaient reçu ou acheté leurs terres grevées
de cet impôt depuis des siècles et qui bénéficiaient du dégrèvement,
c'est-à-dire d'une somme pouvant atteindre jusqu'à 60 millions par an.
En 92, les dépenses excédaient, chaque mois, de 3o millions
les recettes. Chacun gaspille de son mieux. La Convention donne

6 millions aux ministres « pour avancer l'œuvre de la Révolution ».

Les pères de la république, les gens de la commune insurrection


nelle du 10 août, avaient, sous ombre de billets patriotiques ,

si ingénieusement manié les fonds parisiens, que Cambon trouva,


après leur passage, un déficit de 5 millions. En Tan VI, la France ne

versait pas le quart des impôts qu'elle payait en 1789. Sur un budget
de 616 millions on en recouvrait 240, et encore à l'aide d'expédients
essentiellement transitoires. Le désordre était tel qu'en l'an VIII on

ignorait, même pour Paris, le chiffre de l'arriéré. On savait seule

ment que pour cette ville il n'était pas inférieur à 70 millions. On


savait surtout que l'impôt, établi au gré de la fantaisie jacobine, était
réparti de la façon la plus arbitraire. Tel était taxé à la totalité de

son revenu : c'était un tiède et un égoïste; tel ne payait pas d'impôt

depuis dix ans : c'était un vertueux.

Quels moyens la Révolution employait- elle pour obvier à cette


36
LA RÉVOLUTION

ruine, pour remplacer l'impôt? Tous les moyens, et quatre très soi

gneusement : la guillotine, l'emprunt forcé, l'assignat, la banqueroute,


qu'elle nomme, par un effort puissant de rhétorique, consolidation.
Elle confisqua le bien des Français uniquement parce qu'elle les avait

tués. Puis elle les tua uniquement pour confisquer leurs biens. On con

naît la phrase typique d'un des grands ministres des finances révolu
tionnaires : « La guillotine, c'est la planche aux assignats. » Ainsi la

place de la Révolution était devenue l'hôtel du papier-monnaie de la

république. Elle étendait même sa juridiction à longue portée, car


elle dépouillait non seulement ceux qu'elle avait tués, mais ceux

qui se suicidaient par crainte d'être tués.


A côté de ce moyen très franc, elle en avait d'autres un peu
détournés. L'emprunt forcé en était un. A vrai dire, il usait de peu
de détours et le mot « emprunt » ne trompait personne. C'était un pur
don qu'on était forcé de faire à la république. Tantôt on était forcé

moralement, et cela s'appelait contribution patriotique : on offrait un


cavalier jacobin, on adoptait un vieillard, on fournissait un canon,
un garde national, des souliers, des bijoux, des dénonciations, tout ce

qui pouvait prouver un vif amour pour les institutions nouvelles. Le


garnisaire était passé à l'état d'institution fondamentale; on en mettait

partout; ils gardaient les prisonniers en ville, les escortaient aux champs,
et jusque dans le sein des fonctions publiques les plus augustes. Tantôt
et le plus souvent, on était forcé légalement. Cette force financière

légale, chacun l'exerçait, depuis le représentant en mission jusqu'à


l'officier municipal, jusqu'au plus vil membre de comité révolution
naire. Parfois l'ordre avait cette physionomie : « La sitoyenne Martin
a 24 heure pour paié 5o,ooo livres soupeine dêtre traitez en sus

pecte. » D'autres, fois, comme au mois de mai 93, par exemple, la

municipalité engageait les patriotes parisiens à se précipiter sur les


brigands de la Vendée ; mais les héros y mettaient une grande non
chalance ; alors la commune décrétait 12 millions d'emprunt forcé que
les comités révolutionnaires lèveraient sur les riches égoïstes, et qu'ils
distribueraient aux généreux volontaires pour les engager à se pré
senter.
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LA REVOLUTION

Mais c'est surtout la Convention qui se montre prodigue du bien


des bourgeois : 20 avril (j3, emprunt forcé d'un milliard, imposable
sur les riches; 28 août, nouvelle loi qui impose aux riches l'emprunt
d'un milliard; 10 décembre g5, nouvel emprunt forcé, gradué d'après
la fortune des individus et payable en argent*, 5 janvier 98, emprunt
forcé et progressif de 80 millions, etc.

Le système des assignats était basé sur cette idée, bien digne de

la Constituante, à savoir que les terres confisquées conserveraient,


sous la Révolution et après confiscation, la valeur qu'elles avaient

sous le régime monarchique et régulier, c'est-à-dire la valeur d'envi


ron trente fois le revenu. On monétisait donc la terre à mesure qu'on
en dépouillait les propriétaires légitimes. Ce fut à peu près toute

Téconomie politique de la Révolution , et cela remplaça commerce et

industrie.
Le 22 novembre 89, le principe des assignats est proclamé et à

une majorité relativement faible : 5o2 voix contre 423. 19 décembre,


émission de 400 millions d'assignats territoriaux. 17 avril 90, loi qui
décrète le nombre et la forme des assignats. 29 septembre, création
de 800 millions. Cette dernière loi avait interdit formellement de

dépasser le chiffre de 1,200 millions. Le i01" novembre, il est porté


à 1,400; le 17 décembre à 1,600. Le 21 avril 92, à la bourse de

Paris, il faut 1 56 francs assignats pour 100 francs d'argent. Le 3o avril,


on constate qu'il y a 1 milliard 900 millions d'assignats émis; le

3i juillet, 2 milliards 200 millions; le ic>r février 1793, 3 milliards


100 millions. Le 27 juin 1793, une loi ordonne que la bourse sera
désormais fermée. 28 septembre 1793, émission de 2 nouveaux mil
liards. Ils avaient perdu, au printemps de 1792, de 3o à 40 pour 100;
en r 794, ils sont au pair, sous peine de mort. Le i5 mai, on constate
officiellement qu'il y a eu une émission de 6 milliards; le 19 juin,
on émet encore 1,200 millions. Après thermidor, on n'est plus obligé
de les recevoir au pair. Les employés les refusent. Les plus humbles
places dans les mairies, en l'an IV, valent 20,000 francs par an,
encore les fuit-on, si Ton n'y joint des quartauts de froment et des

muids de vin. Le scandale des payements en papier devient tel que,


RÉVOLUTION FRANÇAISE 285

le 2i juin T7ç)5, on établit une échelle de proportion entre la valeur

comparée de l'argent et de l'assignat. La bourse a été ouverte

le Ier août 1795; le louis d'or y vaut 920 francs papier; le ier sep

tembre, 1,200; le 1er novembre, 2,600 francs; le ier décembre,


3,5oo francs. On déclare qu'il n'y a que 19 milliards d'assignats en

circulation.
Le 18 mars 1796, le gouvernement commence ouvertement la

série des banqueroutes. Il crée les mandats territoriaux, de telle sorte

qu'il faut trente capitaux assignats pour un capital mandat. Emission


de 2 milliards 400 millions de ces mandats. L'agiotage en devient
plus effréné. Enfin, le 18 juillet 1796, le gouvernement fait banque
route de 40 milliards d'assignats émis.
L'intérêt de l'argent a été, pendant tout le cours de la Révolution ,

de 1 pour 100 par mois au minimum. Il monte à 4 pour 100 par


mois, sur nantissement. On cite deux maisons qui, dans tout Paris,
prêtent à moins de i5 pour 100. Le 8 août 1797, le député Bailleul,
se faisant l'écho de l'opinion, déclare qu'il n'y a plus de crédit.
Il n'y en a plus, en effet, parce qu'on a violé les lois de la

propriété. Il n'y a plus d'argent, à cause du manque de sécurité.


Pourtant le pillage des églises, des châteaux, des pays conquis, a mis
en circulation une masse énorme d'or. Mais le pillage, pas plus que
la confiscation, ne sont des moyens de production. Ce sont des expé
dients ruineux, des causes de stérilité, parce qu'ils détruisent la con
fiance, découragent le labeur et l'épargne.

Le 3o septembre 1797, la Révolution fit une troisième fois ban

queroute. Elle donna une valeur illusoire aux deux tiers de la dette

publique. Elle consolida le dernier tiers; il en avait extrêmement


besoin. Il ne le fut guère. « Le gouvernement ne paye plus rien.
Tout devient vénal, les employés, la police, qui n'ont rien reçu
depuis dix-huit mois, la magistrature même qui meurt de faim. »

Les députés du commerce français, s'adressant solennellement au


Directoire, disaient que le système financier de la république « avait
substitué, en France, la déloyauté à la bonne foi, et gangrené pour
longtemps toutes les classes de la société ».
LA RÉVOLUTION

Il est peu de désastres moraux, en effet, comparables à celui qu'ame


nèrent les assignats. Pour les particuliers , ce fut l'abolition de toute
dette, puisqu'on les payait avec des signes valant jusqu'à vingt mille
fois moins que le montant de la dette. Pour la société, ce fut l'encou

ragement légal au vol; ce fut l'impunité pour les plus vils agioteurs;
ce fut la fortune attribuée aux plus ignobles fripons. Saint-Just décla
rait officiellement que les agents du gouvernement révolutionnaire
avaient déjà volé 3 milliards au commencement de 1794, avant
l'anarchie thermidorienne! avant le Directoire! Les assignats contri
buèrent puissamment aussi à la création de ces bandes noires qui
achetaient à vil prix les biens voles et qui diminuèrent si douloureu
sement la richesse artistique de notre pays. Le gouvernement, lui,
perdit presque tout le patrimoine des rentes foncières léguées par
l'ancienne France et l'immense quantité de biens nationaux qui furent,
rentes et biens, échangés contre des assignats sans valeur.
Je ne veux citer qu'un seul exemple de la science financière de la
Révolution. En avril 1797, le gouvernement se décida à vendre un
certain lot de maisons, hôtels, couvents, qui rapportaient annuel
lement 10 millions avant 1789, et en 1797 encore 2 millions. Il
comptait que ce lot pourrait bien se vendre un milliard. Il le vendit

4 millions. Il avait pour but, en première ligne, d'éteindre une inscrip


tion de rentes de 200 millions, qui avait servi à payer une dette
de 1,100,000 francs, numéraire. Les 4 millions ne purent éteindre,
naturellement, que le cinquantième des 200 millions, c'est-à-dire le

cinquantième de ces r, 100, 000 francs. Ce cinquantième étant


22,000 francs, il s'ensuivit que le gouvernement révolutionnaire alié
nait, pour payer 22,000 francs, une masse de biens estimés un

milliard, rapportant ro millions avant 89, et encore 2 millions au


moment de cette aliénation.
Les assignats ne furent pas moins dangereux pour cette partie de
la civilisation qu'on nomme le droit des gens et qui constitue la pro
bité internationale. J'en donnerai pour preuve cette guerre honteuse

que se firent la France et les autres peuples en falsifiant officiellement


le papier-monnaie du voisin.
RÉVOLUTION FRANÇAISE 287

&mknjuu "tou, ^ 0^

AN UN LIMITED DEMO CRAC Y,


or.the A-CTIVï, power of France
Ilcconcilmg conten^ins- Paxties

LA DÉMOCRATIE SANS FREIN


Fac-similé d'une caricature .inglaise. Collection de M. le baron de Viltck d'Orp, à Bruxelles; dix-huitième
siècle. — Dans la partie supérieure on lit : n Embrassez-moi d'abord, puis donnez-vous un baiser réci
proque, ou vous serez damnés en ce monde comme en l'autre. » Et au bas : • Une démocratie sans limites
ou le pouvoir actif en France réconciliant les partis opposés par une embrassade générale, le 7 courant. •>
Cette pièce satirique, destinée à rappeler le baiser Lamourette (7 juillet 1792) semble plutôt représenter le
monstre de la Révolution se préparant, suivant un mot célèbre, « à dévorer ses enfants ».

En résumé, la Révolution ne permet même pas la possession


assurée des signes représentatifs du bien-être matériel , la seule chose
288 LA RÉVOLUTION

qu'elle promette pourtant. Elle ne peut pas donner la sécurité. Elle


n'est, selon la définition même de ses docteurs, que la rotation conti
nuelle de tous les éléments sociaux.

Jj 2. — AGRICULTURE. — INDUSTRIE. — COMMERCE.

Un savant économiste anglais, sir Francis d'Ivernois, résumant les

calculs de ses confrères, à la fin du dix-huitième siècle, établissait

que le sol français, estimé 3o milliards avant la Révolution, n'en

valait plus que 5 en 1798; et toutes les autres valeurs non territo
riales, valeurs mobilières ou de crédit, de 10 milliards étaient des

cendues à 5. La Vendée et les départements voisins, d'après les rap


ports officiels, avaient perdu 1 milliard.
La dépopulation n'avait heureusement pas suivi les mêmes pro
portions. Elle était pourtant effrayante. On doit admettre que, de

1790 à 1797, la France était diminuée de plus de deux millions


d'àmes. Nous avons les relevés exacts pour les seize principales villes
de France. Dans l'espace de temps indiqué plus haut, leur population
descend de un million neuf cent cinquante et un mille habitants à

moins de un million quatre cent mille. Diminution de près de six

cent mille. Ce chiffre peut servir de base pour calculer les pertes de

la population totale.
Les rapports parlementaires de l'an V nous apprennent que, dans
les départements d'outre-Loire, les soldats, les commissaires républi
cains, les patriotes à la suite des représentants ou des armées, ont
cherché à détruire, « sur un espace de quatre à cinq cents lieues
*
carrées, tout ce qui existait, individus, troupeaux, arbres, moissons,
maisons; et ils ont presque atteint leur but ». D'autres rapports nous
indiquent de nouvelles causes de dépopulation, ceux de l'an IV et de

l'an VI notamment. Ils nous disent qu'il y a sept mille enfants aban
donnés dans le département de la Seine, en une année, et quarante-

quatre mille dans les autres départements. Combien en sauvait-on ? Il


en mourait, par la faim et le froid, treize sur quatorze. Sur les
RÉVOLUTION FRANÇAISE 289

trois mille cent vingt-huit reçus, dans les meilleures conditions, aux

Enfants-Trouvés, il en restait deux cent seize au bout de l'année! Et


combien les années suivantes!

On devine en quel état se pouvait trouver l'agriculture. Boissy-


d'Anglas avouait, en 1797, que c'était sur les agriculteurs que «s'était
appesanti l'empire de la Terreur». En effet, nous voyons la Conven-

PORTRAIT DU GÉNÉRAL WliSTERMANN


D'après une estampe de la Bibliothèque nationale. — Ce général, Prussien d'origine, qui avait « volé un
plat d'argent armorié chez Jean Creux, restaurateur, rue des Poulies, et avait été expulsé deux fois de Paris
pour escroqueries » iTaine, La Révolution, II, p. 25q ), conduisit la colonne d'assaut à l'attaque des Tuile
ries, le 10 août 17y2. Chargé de réprimer les soulèvements de la Vendée, il se glorifiait « d'être absolument
sans pitié » ( Kéi tipressiqn du Moniteur, XVIII, p. 92). Traduit en même temps que Danton au tribunal
révolutionnaire, il périt avec lui sur l'édiafaud.

tion insister, à diverses reprises, pour qu'on relâchât les cultivateurs


emprisonnés, tant le nombre en était grand, tant était grand aussi le
mal de leur absence. Mais l'agriculture n'avait pas seulement à souf
frir du mal de la dépopulation. Elle rencontrait l'escorte obligée de
la Révolution, guerre, pillage, débauche, puis les accusations d'acca
parement, les lois de confiscation, les séquestres, les suspicions, les

réquisitions. Tout dépérissait. Personne ne pouvait songer aux amé


liorations agronomiques. La terre, ayant à peine le cinquième de son
-7
200

ancienne valeur, n'offrait plus une base suffisante pour l'emprunt. La


main-d'œuvre était devenue hors de prix, non seulement par dimi
nution de bras, mais par la paresse, les habitudes de rapine et la
diminution de la sobriété. « On verra plus tard, disait Dupont de

Nemours, comment les mœurs de la Révolution ont corrompu les


prolétaires et les ont rendus plus exigeants, moins laborieux, en

introduisant pour les ouvriers l'habitude de faire de plus fortes con


sommations. »

Les chemins n'existaient plus. Les canaux, toutes les voies de

communication, étaient obstrués. Bref, les calculs les plus modérés


établissent que la terre rendait des deux tiers aux quatre cinquièmes
moins qu'avant 1789. Prenons un des plus riches départements, la
Gironde. Nous jugerons du degré de misère par ceci, qu'il y avait,
en 1797, quarante mille contraintes décernées pour le recouvrement de

l'impôt.
Le cri de « mort aux accapareurs » nuisait au commerce autant

qu'à l'agriculture. La loi s'opposait, sous peine de mort, à tout


approvisionnement. En même temps, elle mettait, par le droit de

réquisition , les provisions restreintes et les bras diminués à la com

plète disposition de tout agent gouvernemental. Elle établit le maxi


mum, c'est-à-dire l'interdiction pour le commerce de vendre à plus
de 5 pour 100 de bénéfice les marchandises comptées et surveillées
(3 mai 1793). Le 29 septembre de la même année, une nouvelle loi

spécifia les objets soumis au maximum, avec les prix obligatoires.


Comestibles, combustibles, matières premières, étoffes, laines, sou
liers, etc., étaient frappés par cette loi. Les marchands se ruinaient,
mais il fallait rester marchand sous peine d'être guillotiné. Le
25 décembre 1794, le maximum fut aboli. Le commerce ne s'en

trouva guère plus heureux. Les causes de ruine indiquées plus haut
existaient toujours; elles étaient inhérentes à la Révolution. De plus,
on préférait placer son argent en achat de terrains confisqués, parce
qu'on les payait à si vil prix que, même avec le misérable rende

ment que nous avons dit, cet argent rapportait plus de 3o pour
ioo. Le commerce, qui, avec beaucoup de risques et dans les
LE JACOBIN
d'après la gravure originale, collection de m. de liesville
a l'hotkl Carnavalet; dix -h u i t i è m e siècle

On lit sur son bonnet le m'ot : surveillance au-dessus d'un ceil ouvert, emblème
des sociétés populaires qui se donnaient le titre de « surveillantes de F autorité ». A
son cou est suspendue la médaille de la société dont il est membre ; de la main

droite, il tient une clochette montrant qu'il est prêt à sonner le tocsin au" premier

danger de la patrie ; de la gauche , des feuillets où sont inscrites les dates et les

devises chères aux jacobins; à sa ceinture, deux pistolets; il est chaussé de sabots.

« Les jacobins naissent dans la décomposition sociale ainsi que des champignons
dans un terreau qui fermente... Des contrastes extraordinaires s'assemblent pour
former le caractère du jacobin : c'est un fou qui a de la logique, et un monstre qui
se croit de la conscience. Sous l'obsession de son dogme et de son orgueil, il a

contracté deux difformités ; l'une de l'esprit, l'autre du cœur : il a perdu le sens

commun et il a perverti en lui le sens moral. A force de contempler ses formules

abstraites, il a fini par ne plus voir les hommes réels ; à force de s'admirer lui-même,
il a fini par ne plus apercevoir dans ses adversaires et même dans ses rivaux que des
scélérats dignes du supplice.» (Taine, La Révolution, II, pp. i8 et 32.)
31 NiaODVf
2f)2 LA RÉVOLUTION

moments exceptionnellement favorables , ne pouvait donner que


12 pour ioo, ne trouvait ni capitaux ni hommes.
Ainsi, dépopulation , misère agricole, réquisitions , maximum ,

emprunts forcés, avilissement des assignats, séquestre mis sur les


biens des étrangers, défense de payer les dettes contractées envers les
négociants d'autres pays, enfouissement ou émigration de l'argent,
guerres destructives (à ce point que la garde nationale avait été con
trainte de refaire trois fois l'armée française), confiscations, loi des
otages, loi des suspects : voilà le résumé des bienfaits que le com
merce français dut à la Révolution. Il commença par perdre les

400 millions que Saint-Domingue mettait annuellement en circulation,


et il finit par n'avoir plus ni voie ouverte, ni matière commcrçable
à exploiter. Les ouvriers spéciaux et habiles s'étaient sauvés, tout
autant que les patrons riches et actifs. « Les cinq sixièmes des
hommes voués aux arts utiles ont disparu. » Nos rivaux naturali
sèrent chez eux diverses branches d'industrie qui étaient jadis notre
monopole, notre gloire. La misère commerciale était si grande
en Tan VI, que les patentes rapportaient iS millions au lieu de

120 qu'elles donnaient jadis.

Quelle conclusion les révolutionnaires tiraient-ils de tous ces faits ?

Demandons-le à Jean de Bry. C'est le type du bourgeois hébété par


l'enthousiasme républicain. Après avoir poussé de son mieux le tyran
à l'échafaud, il a eu grand'peine à protéger sa tête contre les entre

prises de ses frères jacobins. Rien ne l'a corrigé. Il répète les niaise
ries sur lesquelles il a vécu, dont ses semblables sont morts. Il vient

apprendre aux deux Conseils que c'est « la perfide Albion » qui a brisé

les métiers de Lyon (lesquels rapportaient 90 millions par an), qui


a guillotiné les chefs des ateliers de Rouen, de Sedan, de Cambrai,
de Saint-Quentin, brûlé l'industrieuse Bedoin, massacré les com

merçants d'Avignon, emprisonné les armateurs de Nantes. On lui


répondit alors, non pas qu'il était un sot, mais que si les révolution

naires avaient ainsi agi dans l'intérêt de l'Angleterre, c'était la pire


condamnation de la Révolution. Mais il était vrai qu'ils avaient uni
quement réalisé leur idéal social et suivi leur instinct; idéal et instinct
R É VOLUTION FRAN Ç A ïS K

qui avaient été formules, le 2 septembre 1792, quand la Législative


avait mis tous les biens des Français à la disposition du gouverne

ment , et quand Barère, montant à la tribune de la Convention,


déclarait qu'il faut saigner le commerce parce qu'il est monarchique,
comme le talent.

Au fond, la Révolution entrevoyait surtout un principe d'économie


politique : diminuer la population pour diminuer le nombre des
bouches à nourrir. Cela était logique en un gouvernement qui, étant
maître de tout, ayant tout centralisé, tout domestiqué , avait la res

ponsabilité de tout, et qui voulait restreindre le nombre d'êtres à

soigner pour alléger ses soucis et sa besogne. Il ne comprenait pas

qu'en exterminant ou en laissant mourir de misère la population il


perdait des producteurs plus encore que des consommateurs.
Par tout cela encore la civilisation reculait. Quand la récolte était
maigre, on mourait de faim, comme en 1794- Cette année-là, après
avoir réduit la grande partie des habitants à la pitance de deux onces
de farine par jour, la république n'eut plus à leur offrir que l'herbe
des champs; c'est-à-dire qu'après avoir mis Jacques Bonhomme à la
ration des naufragés, on l'envoyait au râtelier des moutons. Quand
l'année était féconde, au contraire, — en l'an VI, par exemple, —
comme il y avait peu de commerce, d'industrie, d'échange, nul
crédit, aucune sécurité, les denrées, vin ou froment, étaient gas
pillées, consommées démesurément, abandonnées. On revenait à l'éco
nomie politique des sauvages; on s'engraissait pour les jours de
disette.
Les démocrates avisés disaient que c'était le moyen de procurer
au peuple la revision des fortunes. Mais, comme il fallait que la gloire
de la Révolution s'étendit à tout, ils mettaient en circulation les
légendes industrielles que nous connaissons. J'en prends deux : légende
de la soude, légende de la mousseline. Il est généralement reçu que
nous devons à la république ces deux bienfaits. La vérité est que
Leblanc, l'inventeur du fameux système pour la fabrication de la
soude, a pris son brevet en 1777, qu'il produisait en grande quantité
dès 1785, et que la république détruisit la manufacture de Rueil où
294 I-A RKVOLUTICN

il avait installé sa fabrique. Ce fut une des causes de l'extrême cherté

du savon. La vérité encore, c'est que la machine de Barneville, pour


la fabrique de la mousseline, fonctionnait en 1787, que Louis XVI en

acheta la propriété ( 1 788 ), et que l'un des premiers efforts de la Révo


lution à Rouen fut d'aller détruire les métiers travaillant d'après cette

machine, de lacérer les pièces fabriquées et de disperser les ouvriers.


Le développement de l'industrie, au dix-huitième siècle, tenait sur
tout au mouvement normal de la civilisation française. La Révolution
la traita comme elle avait traité le commerce et l'agriculture, c'est-
à-dire si mal qu'on disait en 1797 : « Les manufactures sont abattues

sans espoir de se relever. »

CHAPITRE V

L'ARMÉE
Pour créer le soldat, il a fallu, à l'aide des plus hauts instincts

qui sont dans l'homme, apprivoiser les plus bas, les plus réfractaires
de ces instincts, la férocité, la haine, la convoitise. Ce ne fut pas

assez de désarmer la force, il fallut l'armer de nouveau, mais pour


en faire le défenseur incorruptible du droit.

Changer, grâce à la religion, le barbare en chevalier, créer un


ensemble de conventions sociales qui transforment le pillard en gen

darme, c'est beaucoup. Ce ne fut pas tout. Après avoir discipliné la


force, la civilisation arma la faiblesse. Elle créa les armées perma

nentes. Elle prit la masse, souvent craintive, le ban et l'arrièrc-ban

des habitants, l'enrégimenta et régla ses mouvements de telle sorte

que cette masse fût poussée, par un irrésistible mouvement, à affronter

la mort.
La civilisation arriva encore à juxtaposer, à faire exister concur
remment la fureur martiale et le respect pour le faible, pour le pri

sonnier, pour la femme et les enfants dans les pays conquis, pour
le neutre, pour tout ce qui est désarmé. Enfin, elle représenta par
R É VOLU T ION FRANÇA IS E 2<jb

un drapeau le patriotisme, l'honneur, de telle sorte que les moins


braves donnèrent leur vie, les plus égoïstes leur fortune pour cet
emblème.

Ainsi la civilisation créa le soldat. Qu'est-ce que la Révolution en

a fait ?

1
S r. L ARMÉ E DE LIGNE.

De toutes les légendes révolutionnaires, la guerrière est la plus

difficile, non pas même à déraciner, mais seulement à attaquer. C'est


k son ombre que toutes les autres poussent, comme les champignons
vénéneux au pied des grands arbres à demi pourris.
L'histoire militaire de ce temps flatte notre vanité, caresse notre
patriotisme. Nous frémissons de fierté en voyant tous les peuples de

l'Europe fuir devant le drapeau tricolore. Puis nous nous troublons,


en nous rappelant qu'il ombrageait aussi la guillotine. Nous nous
rappelons que le sang de plusieurs millions d'hommes a coulé ; nous

revoyons les horreurs et les ruines de vingt-cinq ans de guerre. Nous


savons que c'est la Révolution qui nous a valu tous ces maux.
En elTet, en nous mettant équitablement au-dessus de tous les

paradoxes, nous sommes forcés de reconnaître que les nations voisines,


en 1 79 r , menacées dans leur paix, étaient excusables de vouloir
étouffer le monstre nouveau qui ne dissimulait pas son envie de les

dévorer. Nous nous rappelons aussi que ces guerres, accompagnées


de tant de crimes, cause d'une si grande démoralisation, virent leur
gloire s'éclipser. Ces vingt-cinq ans de combats heureux laissèrent la
France non seulement dépravée, mais diminuée; et si nous mîmes le

pied dans toutes les capitales de l'Europe, toute l'Europe s'installa


chez nous.
Alors nous étudions plus attentivement la légende ; et nous voyons
qu'ici, comme en tout le reste, on avait attribué à la Révolution le

contraire de ce qui lui revient légitimement. On lui avait donné


le bénéfice des efforts, des hommes, des idées de l'ancien régime.
En 1732, elle n'avait pas encore eu le temps d'affaiblir les hauts
LA REVOLUTION

instincts de l'humanité ni d'afficher sa haine du militarisme ; et elle


sut merveilleusement exploiter les préjugés chevaleresques, le senti
ment de l'honneur, l'éducation martiale de la France monarchique
et chrétienne. On ignorait encore qu'elle énerve les nations où elle
règne, et que, se proclamant universelle, elle préfère sa théorie huma
nitaire au patriotisme; que l'intérêt du voisin républicain ou socialiste
la touche incontestablement plus que l'intérêt de la France.
Aujourd'hui, la légende du volontaire de ijgS commence à dispa
raître, ou plutôt on sait ce qui en revient à la Révolution. Son œuvre,
c'est le volontaire hâbleur dans les camps, insolent dans les cantines,
formidable dans les clubs, fuyard au champ de bataille. C'est celui
qui s'en allait lisant V Ami du peuple et le Père Duehesne , hurlant
contre les aristocrates, dénonçant l'officier ou l'assassinant par der
rière, et, aux premiers coups de fusil, se sauvant de la frontière à

Paris en criant à la trahison. Après quoi, il touchait une nouvelle


prime d'engagement de 5oo livres pour recommencer sa vie de débau
ches, de pillages, de club, jusqu'à la prochaine bataille, la prochaine
fuite et le nouvel engagement. Voilà le vrai volontaire jacobin.
On connaît ses exploits. A Quiévrain, l'armée de Biron se sauve
en masse, mais, pour ne pas tout perdre, elle pille la caisse de
l'armée et les bagages de l'état-major. A Lille, trois mille hommes
font une sortie : ils aperçoivent une patrouille ennemie à l'horizon ;

les voilà envolés. Cette fois on ne se contente pas de piller le général,

on l'assassine; puis on accourt à Paris. La Société mère ouvre ses

bras à ces fils voyageurs, qui hurlent mieux que jamais à la trahison;
tous les jacobins sédentaires font écho et ils maudissent les aristo
crates qui ont forcé ces vaillants sans-culottes à courir aussi vite.
Fréquemment, le bout de l'oreille révolutionnaire se montre. « Len
teurs du recrutement...»; c'est un euphémisme. ((L'ardeur civique se

ralentit...»; c'en est un autre. Nous voyons, en effet, — prenons l'un


des mois de 1 7 1) 3 , — que Paris devait fournir , en trois jours, plusieurs
mille hommes. Au bout de quinze jours, il n'y a pas cent engagés.
Le bon Prudhommc explique, avec candeur, que c'est parce qu'il

s'agit d'aller dans un endroit où il y a « des gentillàtres vindicatifs,


RÉVOLUTION FRANÇAISE *97

L K DÉPART OU « LA MARSEILLAISE »
— Au sommet, le Génie
Sculpture de Rude, à l'arc de triomphe de l'Etoile, à Paris, dix-neuvième siècle.
l'ennemi, entonne à plein gosier la Marseillaise.
de la Guerre, les ailes déployées, de son glaive nu montrant
tout frémissant
Plus bas, un guerrier agite son casque pour appeler ses compagnons, un jeune homme
d'enthousiasme se presse contre lui; un autre guerrier tend son arc, un autre sonne du clairon, un
autre
« cette chanson de mort,
dompte un cheval. — Improvisée à Strasbourg par Rouget de l'Isle, la Marseillaise,
devint le chant patriotique de la Révolution française : on la chanta dans les batailles, on la chanta autour des
— « Ce chant généreux, héroïque, devenait un
échafauds ». (Laurentie, Histoire de France, VI, p. 432.)
chant de colère; bientôt il allait s'associer aux hurlements de la Terreur.» (Michelet, Histoire de la Révo
lution, III, p. 53o. )

des garde-chasse sans pitié, des paysans fanatises, tous gens qui
savent se défendre ». Les volontaires demandent qu'on envoie, à leur
38
2()8 LA RÉVOLUTION

place, la troupe de ligne, qui ne demande qu'à vaincre! La Convention


ne trouve pas l'argument suffisant ; elle menace les retardataires. Cela
ne produit rien. On offre alors de l'argent et Ton promet une pension
après deux mois de campagne. Maigre résultat encore. Il faut en venir
à la gendarmerie pour pousser ces héros dans les rangs, « Le canon
d'alarme, lui-même, ne produit plus d'effet. Quelle est la cause de
»

ces misères? C'est Pitt, naturellement! C'est « l'infâme Pitt » qui


souffle la lâcheté dans l'âme épique du volontaire parisien. Comptons
le nombre de réquisitionnaires garrottés qu'on mène à la gloire entre
deux gendarmes! Comptons le nombre d'hommes courant à l'armée

pour s'y cacher, pour ne pas mourir absolument de faim, pour fuir
l'emprisonnement, la suspicion, la guillotine. Comptons combien il y
eut de ces hommes-là dans les régiments, et nous verrons plus clair
dans ce qu'on appelle l'enthousiasme pour la défense de la République.
Ce fut quand le vrai soldat, le militaire des vieux régiments,
quand le volontaire plus occupé de la patrie que de la démocratie,
eurent le dessus, qu'on cessa d'être battu.
Il faut lire les chroniques militaires du temps pour se faire une

idée de ce qu'était l'armée au milieu de ces basses ou haineuses

excitations, quand tous les clubs appelaient les soldats pour les cor

rompre, quand chaque régiment avait son club; quand les troupes
nommaient leurs chefs; quand toute voix de l'entourage, du journal,
de la rue, de la tribune, criait que l'officier était un aristocrate, un

ennemi; quand plus tard il fut entendu que, si l'on devait obéissance,
sous les armes, au commandement purement militaire, on agissait
conformément aux principes en témoignant, hors de là, le plus parfait

dédain à ses chefs. L'indiscipline et la trahison avaient été sacrées vertus

du nouveau régime. Je note parmi les plus violents des régiments


insurgés : Vivarais, à Béthune ; dragons de Lorraine, à Tarascon;
Royal-Champagne, à Hesdin; puis, Poitou, régiment de la Reine,
régiment du Roi,Mestre de camp (cavalerie), Châteauvieux (Suisses).
Ce dernier, le 3r août 1790, s'était emparé de Nancy. Il avait

fallu reconquérir littéralement la ville. On n'avait pas encore oublié


l'honneur militaire. Desilles, qui avait montré, dans ces circonstances,
REVO L U TI O N FRANÇAISE

de l'héroïsme à la d'Assas, avait été acclamé. On avait pendu quelques-


uns des soldats rebelles, envoyé une cinquantaine d'autres aux galères.
En 1792, la Révolution comprit que ces galériens étaient ses fidèles

disciples. Le i5 avril, on les avait fait venir à Paris; on les y avait

71

LE PLAT A BARBE LILLOIS


Épisode du siège de Lille en 1792. D'après une gravure communiquée par M. Quarré-Reybourbon, à
Lille. — La ville, assiégée par Tannée autrichienne, fit une résistance héroïque. Vingt-deux Lillois se firent
raser dans la rue en prenant successivement pour plat à barbe un éclat de bombe qui venait de tomber.
Après avoir^lancé inutilement sur la ville 60,000 boulets, l'armée autrichienne leva le siège, le 7 octobre. La
Convention décréta que « Lille avait bien mérité de la patrie » et que son nom serait donné à Tune des
principales rues de la capitale.

fêtés officiellement comme des patriotes dignes d être proposés à l'admi


ration des âges.
La Révolution était parvenue à affilier les sous-officiers à ses clubs.
Dès lors, il n'y avait plus d'armée, rien que des bandes. «
Que peut
3oo LA RÉVOLUTION

on faire, » écrivait, en octobre 171)2, le général patriote La Bourdon


nais», avec des soldats qui ont toujours le poignard levé, qui ne

parlent que d'assassiner leurs généraux ? »

A la fin de cette année 1792, le mal était si grand que le général

Anselme avait du, quoique fort bon républicain, être destitué à cause

de l'indiscipline de ses troupes, indiscipline que la Révolution avait

prêchéc quand il s'agissait d'assassiner les officiers royalistes.


Ce fut en 1793 seulement qu'il fut défendu aux soldats de déli

bérer sous les armes.


Mais il y avait d'autres causes de démoralisation. Le q avril 1793,
la loi avait établi, près de chaque armée, des représentants du peuple,

investis de pouvoirs illimités. C'était la substitution définitive de l'es

prit révolutionnaire à l'esprit chevaleresque. C'était la dénonciation,


l'asservissement de l'officier, l'abaissement du commandement. Tout
cela n'allait pas encore assez vite. On sentait le besoin « d'éveiller la
curiosité civique du soldat et de réveiller sa torpeur ». Alors on

envoya, comme nous l'avons dit, dans les armées, la très grande

partie des cinquante mille numéros du Père Duchesne , auxquels le

gouvernement souscrivait.
On mettait le cri de « vive la république » au-dessus de toute capa
cité. Les correspondances des représentants du peuple avec le ministre

Bouchotte nous renseignent là-dessus : « Des généraux imberbes, des


adjudants généraux, des chefs d'état-major de vingt-trois ans, n'ayant
d'autre mérite que les broderies d'or, les galons dont ils se couvraient
à profusion, arrivés par l'intrigue et la dénonciation, ignorants et

brutaux. » — « Un de ces adjudants généraux avait été chassé, même de

la garde nationale, comme indigne de porter l'uniforme.» Dumouriez


vient de gagner une victoire qui sauve la France. Mais comme il se

permet de critiquer quelqu'une des plus noires sottises des déma

gogues parisiens, « il est indigne de commander à des républicains »,

s'écrie-t-on.
On retourne à la barbarie. Le 6 prairial an II, la Convention

proclame la loi par laquelle il est désormais ordonné d'égorger les

prisonniers anglais et hanovriens.


RÉVOLU T ION L RA N Ç A I S E 3o i

Dans la Vendée, on se croirait revenu au temps d'Attila. Un offi

cier écrit à Robespierre : « Chaque soldat se croit le droit de porter


des sentences de mort. Il tue qui il veut. Il pille qui il veut. » Mais
ce n'est pas seulement en Vendée que la Révolution a fait rétrograder

l'école du tambour
1 Scène de l'occupation française à Manhcim, en 1795. D'après une gravure allemande du temps. —
Quatre jeunes tambours se fout la main. « Ce sont des enfants dont le plus âgé n'a pas atteint sa
seizième année. Derrière eux, le tambour- major charme son attente par quelques moulinets de
fantaisie. » (Lorédan Larchey, Journal de marche du sergent Fricasse. )

l'armée française jusqu'aux habitudes du sauvage : « La richesse appar


tient aux braves, disent des officiers. On trouvera nos comptes à la

gueule de nos canons. »

Je ne puis pas, je n'ose pas dire la conduite des armées révolu


LA RÉVOLUTION

tionnaires en Belgique, dans le Limbourg, le long du Rhin, de

Mayence à Dusseldorf. Mais on peut m'en croire, c'est exactement ce

qu'on raconte des villes prises d'assaut aux temps les plus sombres
de l'invasion barbare.
Le soldat maltraite aussi bien la France que le pays ennemi. Les

rapports officiels s'en plaignent pendant tout le Directoire. Tandis que


le général Jourdan constate avec euphémisme que « l'ardeur martiale
s'est affaiblie », d'autres dévoilent un plus grand coin de la vérité :

« Les soldats méprisent la loi et leurs officiers. Ils insultent et mal


traitent les magistrats. La discipline est absolument relâchée. Tous les

services militaires sont désorganisés... Ils n'ont plus que le désir de

s'enrichir à tout prix, en se servant de la force qu'ils ont en main...


Il faut une justice sévère pour forcer les hommes à marcher. »

L'institution des agents révolutionnaires auprès de chaque corps


d'armée avait produit son effet logique, mais varié suivant chacune
des périodes de la Révolution : pendant la période sanguinaire, on

coupait le cou , chaque décade , à un général ; pendant la période


boueuse y on destituait les généraux les plus honnêtes, comme Cham-
pionnet et Joubert, parce qu'ils s'opposaient aux rapines des commis

saires révolutionnaires.
Voilà ce que la Révolution avait fait de l'armée française de 1790
au 18 brumaire an VIII.
Les maîtres ès arts républicains avaient bien conscience de cette

influence dépravante. Ils la sentaient en eux et autour d'eux. En 1798,


un rapport du gouvernement déclare qu'il faut un million d'hommes

sous les armes « afin de forcer le pays à s'identifier avec la Révo


lution ».

§ 2. — GARDE NATIONALE, GENDARMES, ARMEE


RÉVOLUTIONNAIRE.

L'origine de la garde nationale n'est pas essentiellement révolu


tionnaire. La levée en masse des communes, comme l'organisation de

la milice, sont choses bien françaises. Ce qui est de la Révolution,


R K V C) L II T I O N F R A N Ç A I S K

c'est le maintien de toute une nation armée, non contre l'étran


ger, mais contre son propre gouvernement. Ce qui est de la Révo
lution, c'est d'armer les gens dont on attise sans cesse les passions;
c'est de donner à tous, en même temps, des armes et le droit à

l'insurrection.
La garde nationale se montra, dès sa naissance, avec le cortège
des qualités qui ne l'ont pas quittée : elle fut grotesque, elle fut fan

faronne, elle fut inutile, elle fut dangereuse. Ses premiers pas furent

pour courir avec frénésie dans la direction contraire à celle où son

origine l'appelait.
Elle naquit le i3 juillet 1789, du besoin de s'opposer aux pillards
et aux assassins qui allaient se jeter sur la Bastille. Elle s'y jette avec
eux; pour s'opposer à leur effort? Non, pour y aider; afin qu'ils
fussent cinquante mille pour prendre une bicoque indéfendable, et

vaincre quatre-vingt-deux invalides... qui font tous leurs efforts pour


se rendre. En compagnie des pillards, elle se rue sur les Invalides et

le Garde-Meuble. Elle s'arme d'arquebuses à rouet, de rondaches, de

salades, de cuirasses damasquinées. L'épée de Henri IV est confiée à

un savetier bossu. En compagnie des assassins, elle tourmente Launay


et les autres prisonniers, et elle les voit déchiqueter sans qu'elle
veuille ou puisse s'y opposer.
C'était un coup de partie pour la Révolution que cette création.
Les révolutionnaires mettaient ainsi de leur côté la passion du Fran

çais pour la chose militaire, pour les oripeaux, pour les panaches,
les galons, pour l'égalité, pour cette égalité extraordinaire qui veut
abaisser le supérieur afin de mieux commander les égaux. Les con
temporains nous livrent mille traits du spectacle bouffon présenté par
cette fièvre qui força tout le monde à se harnacher en soldat.
Nous ne disons pas qu'il n'y eût dans cette masse bien des braves,
des hommes qui devinrent des militaires intelligents. Nous parlons
de l'ensemble de l'institution telle que la Révolution la concevait.
Son décret d'organisation fut signé Flesselles, et son premier exploit
fut de massacrer ou de laisser massacrer Flesselles. « As-tu lu,
écrit Cuvier, l'histoire d'un petit corps d'armée de six mille gardes
3c>4 LA RÉVOLUTION

nationaux parisiens? Ils avaient fait quinze lieues à peine, qu'ils


s'étaient déjà révoltés. » Rappelons ce mot d'un journaliste en :
1792
« Les ennemis de la Révolution disent que la garde nationale est

mal commandée. Ils montrent bien par là leur mauvaise foi ordi
naire. Il n'y a pas de mauvais commandement, puisqu'il n'en existe
plus. »

Avant cela, en 1790 et en 1791, de temps en temps, les gardes


nationaux avaient montré quelque bonne volonté de maintenir l'ordre.
On les nomme alors séides de La Fayette, mouchards de Baillf,
sicaires, coupe- jarrets , scélérats. Ils n'avaient, assurait- on, d'autre
idée que de « massacrer le peuple ». Bientôt, sous la pression de

ces injures, tout ce qui avait quelque instinct d'ordre, quelque respect
de soi, quitta les rangs. Les gens à piques, les purs sans-culottes
parurent seuls.
Ce n'était pas assez pour la Révolution. A la fin d'août 1792, les
sections armées remplacèrent la garde nationale. Chaque comité révo
lutionnaire eut ainsi à sa dévotion une troupe de coquins armés,
aussi pillards que poltrons, bons pour les visites domiciliaires, pour
la garde des prisons ou des suspects, doublures de geôliers, happe-chair
insolents, les vers du fumier jacobin. Ce spécimen de la garde ultra

démocratique était tellement tiré de la lie de la populace que l'on fut


forcé de choisir, dans chaque section, une centaine d'hommes soldés

pour arrêter les trop vifs élans de ces miliciens vers la maison et les

armoires d'autrui.
C'était le sergent de ville qui reparaissait. Mais encore quel ser

gent ! La Révolution avait corrompu même la gendarmerie. On y


avait introduit peu à peu — et le travail était complet au 16 juillet

1792
— tout ce qu'on avait trouvé de plus civique dans l'armée : les

soldats les plus indisciplinés, les piliers de mauvais lieux, les fidèles
de l'émeute, et tout particulièrement les gardes françaises qui avaient
pris la Bastille.

On connaît les exploits de cette gendarmerie au 10 août. Elle


s'enfuit devant l'émeute, lui livra le guichet de l'Échelle, qu'elle
devait garder. Elle alla guetter, sur la place Louis XV, les Suisses,
RÉVOLUTION FRANÇAISE 3o5

qu'elle sabra : ils avaient jeté leurs armes. Aux massacres de sep

tembre, elle se montra aussi féroce que les assassins soldés.

Ces gendarmes, ou grippe-Jésus , nous dit l'abbé Fleury, qui les

connaissait, « on les avait choisis parmi les hommes les plus souillés

LA FAYETTE COURTISANT M"10 BAILLY


D'après unegravure satirique communiquée pal M. Léon Hardoiu, à Paris ; dix-huitième siècle. — La Fayette,
sous les traits d'un jeune coq, se montre fort empressé auprès de Mmc Bailly figurée par une poule et que
son mari, un coq déjà vieux, semble vouloir protéger contre les hommages du général. — Avant la réunion des
F.tats généraux, La Fayette s'était acquis une réputation universelle par son rôle dans la guerre d'Amé
rique. L'assemblée des électeurs parisiens lui ayant olïert le commandement de la garde nationale, il l'accepta,
et s'associa ainsi à l'usurpation de cette assemblée. La soirée du 5 octobre 1789, durant laquelle il s'était livré
au sommeil pendant que les émeutiers envahissaient le palais, avait inspiré à l'abbé Delille ce mot : « Il veille
pour les brigands et dort contre son roi. » Le 28 février 1791, il disperse l'émeute du faubourg Saint-
Antoine et aussitôt il fait désarmer les royalistes accourus aux Tuileries pour proléger le roi. L'ambassa
drice de Suède disait de lui : a La réputation du grand général ressemble à une chandelle qui ne brille que
chez le peuple et pue eu s'éteignant. »

de crimes. Je n'ai jamais connu de coquins, pas même ceux des


grands chemins, aussi voleurs que les gendarmes de la Révolution ».

C'est le cri public. Leur cruauté, leur couardise, sont aussi célèbres
que leur rapacité. Ils excitent la populace à couper en morceaux les
J9
3o6 LA RÉVOLUTION

prisonniers qu'ils escortent. Les plus débonnaires se contentent, quand


ils mènent les femmes et les vieillards, de les entretenir du rasoir
national, qui va prochainement faire leur toilette.
Si telles étaient la garde nationale, l'armée de ligne, la garde sec
tionnait^, la gendarmerie, on devine ce que fut cette troupe à laquelle
on donna le nom d'armée révolutionnaire. Un tel nom obligeait.
Elle fut formée par une loi du 5 septembre 1793. Les bourgeois
en voyaient la formation avec épouvante : pour cette armée ils étaient
des aristocrates. Les vrais sans-culottes ne la goûtaient guère plus :

ces six mille sacripants organisés étaient des concurrents redoutables.


Les politiques craignaient d'y voir une garde prétorienne entre les

mains d'Hébert ou de tout autre démagogue forcené.


On l'organisa néanmoins. On la composa des débris de toutes les

troupes que la commune de Paris avait soldées, aux époques les plus

agitées de son règne, pour avoir sous la main des hommes prêts à

tout : travailleurs des ateliers de charité, soldats du camp sous Paris,


peuple du 20 juin, héros du 10 août, hommes de septembre, patriotes
du 3i mai, etc. Ils parcoururent une partie de la France avec la
guillotine en guise de char triomphal, mettant la province au pas de
la Révolution, portant partout la terreur, chacun d'eux se croyant
tout droit sur les personnes et les biens des modérés. Le comité de

salut public licencia cette bande, non qu'elle lui parût répugner aux
principes révolutionnaires, mais parce qu'elle était décidément héber-
tistc.
Ce fut la suprême conception du jacobinisme en fait d'armée.

La civilisation révolutionnaire, qu'est- elle, en résumé? La civili


sation d'un camp armé. Elle est basée sur les théories d'une philo
sophie étourdie, sur les espérances d'une masse trop tôt émancipée,
qui, dirigée par des chefs vicieux ou peu intelligents, lutte furieuse
ment contre les conséquences des principes politiques, moraux, reli

gieux, reconnus jusqu'ici comme fondamentaux.

La Révolution a pour caractère social l'exaltation de la peur chez

une partie des citoyens et de l'insolence chez les autres. Ces deux
-"•°7

qualités se retrouvent dans tout ce qu'elle inspire, hommes, institu


tions, habitudes, maximes. Or, elles divisent nécessairement un peuple

en deux groupes qui ne peuvent se fondre : les timides qui deviennent


des persécutés, et les effrontés qui se font les persécuteurs. C'est, en

effet, à la désunion comme à la tyrannie que la Révolution mène les

nations où elle domine.


Le caractère chrétien est la sérénité qui défie tout et ne défie per-

LA SAUTERELLE, EMBLEME DE DESTRUCTION ET DE FAMINE


Fac-similé d'une estampe anglaise contre la Révolution. Collection de M. le baron de Yinck d'Orp, à
Bruxelles. — La sauterelle dit : « Je m'engraisse de la ruine des nations. » Dans les anneau* d'une chaine
qui part de la France, comme l'indique une pancarte soutenue par deux poteaux, et dans l'espace circonscrit
par cette chaine, on lit ces mots :

Oppression Guerre Ruine


Pauvre vieille Angleterre entourée d'une chaine de calamités.
Guerre Disette Guerre

sonne. La marque jacobine est l'obéissance effarée, servile envers tout


ce que proclame la Révolution, la haine âpre contre ce qui n'est pas
dans le sens de la Révolution. C'est surtout un asservissement complet
à l'opinion publique, si violente et si dépravée qu'elle soit.
Notre première partie a prouvé qu'en politique révolutionnaire
3o8 LA RÉVOLUTION

l'opinion appartient aux hommes les plus violents. Nous avons constaté,
dans la seconde, qu'en morale révolutionnaire l'opinion obéit aux plus

dépravés. Nous venons de voir ce que cette opinion avait fait du


dix-huitième siècle.
Il semble désormais facile, pour un homme de bonne foi, de pré
voir où la Révolution, ainsi nécessairement docile à l'opinion violente
et dépravée, doit mener finalement toute société qui lui obéit.

Ch. D'HÉRICAULT.

SIFFLET D'OFFICIER DE PAIX


Collection de M. de Liesville, à l'hôtel Carnavalet; dix-huitième siècle.
D'un côté on lit : « Liberté ou la Mort », de l'autre : « Fraternité ».
Au-dessus de ce mot, une branche d'olivier et une cocarde; plus haut, le niveau de l'égalité,
et dans un triangle rayonnant, l'œil, qui fut un des emblèmes les plus populaires de la Révolution,
et spécialement celui dz la société des Jacobins, qui se donnait comme
la « surveillante » de l'autorité.
LA RÉVOLUTION
DEPUIS LE l8 BRUMAIRE AN VIII JUSQU'EN 1882

Un mois après le coup d'État du 18 bru


maire, les consuls présentèrent au peuple
français la Constitution nouvelle, dite de

Tan VIII. (( Les pouvoirs quelle institue,


disait le préambule, seront forts et stables,
tels qu'ils doivent être pour garantir les
droits des citoyens et les intérêts de l'État.
Citoyens, la Révolution est fixée aux prin
cipes qui Vont commencée : elle est finie. »

Les gouvernements qui se sont succédé


depuis ont tenu tous le même langage. Chacun
d'eux s'est cru le gouvernement nécessaire;
Bonaparteen Egypte, gravure chacun d'eux s'est cru fondé à toujours.
du temps.— Collection de M. le baron
de Vinck d'Orp, à Bruxelles. Cependant les catastrophes du lendemain ont

si régulièrement répondu aux assurances de la veille qu'il y aurait


bien de la présomption à faire aujourd'hui des déclarations sembla

bles et bien de la crédulité à en tenir compte.


Ces « pouvoirs forts et stables », où sont-ils? L'Empire a croulé sous
l'ambition désordonnée de son chef; la maison de Bourbon a repris
deux fois le chemin de l'exil; la branche cadette y a suivi ses aînés;
LA RÉVOLUTION

la République de 1848, qui se considérait comme éternelle, a donné


le spectacle d'une instabilité étrange, et le suffrage universel, qu'elle
avait institué, à chacune de ses manifestations, Ta condamnée. Nous
avons revu un second empire; à son tour, il est tombé. Qu'est
devenue la France? Mutilée sur ses frontières, désorganisée au dedans
et impuissante à retrouver une organisation, démantelée dans ses

forces morales et matérielles, minée par le gouvernement qu'elle s'est


donné et qu'elle supporte , gémissant sous des lois et des pratiques
qui légalisent les doctrines et les actes de la Commune, de honteuse
et sanglante mémoire ; en présence de ces évolutions successives , des
ruines matérielles qui s'accumulent, des ruines morales qui sont pires
encore parce qu'elles sont plus difficiles à réparer, peut-on considérer
comme un oracle le mot que Bonaparte prononçait au commencement
de ce siècle : « La Révolution est finie » ?

Au début de cette étude, deux théories s'offrent à nous.

L'une émane d'un des fils de 1789 : « Hélas! la Révolution a avorté.

Que n'a-t-elle pas promis? Où est l'effet de toutes ces promesses?


Après quatre-vingts ans de luttes, alors que nous croyions vivre en

une France « régénérée par la Révolution, organisée par l'Empereur»,


suivant la parole de son neveu , nous ne voyons que forces qui
s'émiettent, que droits qui s'ébranlent, l'intégrité territoriale ébréchée,
la prépondérance en Europe détruite, l'influence morale ébranlée;
nous assistons à la banqueroute de la Révolution. » Dans le même

camp, sans plus de ménagements et avec une ironie mordante,


M. Renan déclare que « la Révolution française est la gloire de la
France, l'épopée française par excellence)); mais que a presque toujours
les nations qui ont dans leur histoire un fait exceptionnel expient ce
fait par de longues souffrances et souvent le payent de leur existence
nationale)). — « Il est probable, ajoute-t-il, que le dix-neuvième siècle
sera de même considéré, dans l'histoire de France, comme l'expiation de

la Révolution. Les nations, pas plus que les individus, ne sortent impu
nément de la ligne moyenne, qui est celle du bon sens pratique et de
la possibilité ». L'écrivain ne s'arrête pas là; il estime que la Révo
lution <( a engagé la France dans une voie pleine de singularités »,
iX BIUJMAIRK AN VIII — 18S2 3u

qu'après avoir versé des flots de sang elle est très loin du but auquel
elle visait, tandis que l'Angleterre, qui n'a pas procédé par révolu
tions, l'a presque atteint. « La France, en d'autres termes, offre cet

étrange spectacle d'un pays qui essaye tardivement de regagner son


arriéré sur les nations qu'elle avait traitées d'arriérées, qui se remet à

l'école des peuples auxquels elle avait prétendu donner des leçons, et

s'efforce de faire par imitation l'œuvre où elle avait cru déployer une
haute originalité. » Enfin, après avoir signalé tous les rouages sociaux
que la Révolution a supprimés : « la Révolution, conclut-il, fut irré
ligieuse et athée l. » — Ainsi, d'après ces deux auteurs, la Révolution
aurait misérablement échoué.
Une autre théorie montre au contraire la Révolution marchant
de triomphes en triomphes, dominant peu à peu la France et l'Eu
rope, entraînant les princes et les monarchies, forçant les rois à s'atte
ler au même char qu'elle, ou leur rendant la vie misérable par les
menaces les plus odieuses. Et comment nier, en effet, le spectacle que
nous avons sous les yeux? Comment ne pas reconnaître, dans tous
les agents de la Révolution européenne, l'irréligion et l'athéisme qui,
suivant M. Renan, sont au fond de la Révolution française ? On parle
de séparation de l'Église et de l'État. Quelle hypocrisie! C'est la sup
pression brutale de l'Église que sous-entend ce prétendu principe;
l'Église, est-ce assez dire? Tout ce qui a le caractère chrétien, mieux
encore, tout ce qui a un caractère de spiritualisme, est honni, méprisé,
expulsé. L'État lui-même offre à l'esprit une idée encore trop peu
saisissable : on poursuivra donc l'État comme on a poursuivi l'Église,
et les mêmes mains supprimeront l'un et l'autre. C'est ce qui s'ap
pellera un jour le triomphe intégral de la Révolution.
Voilà les deux théories : l'une constate la banqueroute de la Révo
lution et son caractère de fantaisie ruineuse et vulgaire, l'autre pro
clame et signale ses progrès. Y a-t-il réellement contradiction ? Il est
évident que les auteurs de ces théories ne considèrent pas la Révo
lution sous le même point de vue et du même côté. La Révolution
pouvait être l'avènement d'un régime où la liberté de chacun, saine-
1. La Monarchie constitutionnelle en France, par Ernest Renan, pp. 9-37 (i86q).
LA RÉVOLUTION

ment entendue, serait respectée; où les droits de Dieu dans la société


ne seraient pas effacés par les droits de l'homme; où la liberté des
uns n'aurait pas besoin de s'étayer de l'oppression des autres; d'un

régime enfin qui , également armé pour le triomphe de l'ordre et

pour la répression de l'anarchie, eût acheminé la nation vers de glo


rieuses destinées. De ce côté, il y a échec, c'est incontestable. Mais,
d'autre part, cet échec même démontre que les idées contraires ont
sorte qu'il n'est pas moins vrai de dire

si,
prédominé, de que comme

régime de liberté, la Révolution est restée au-dessous de ses pro


messes, l'opposite, comme régime de tyrannie, elle les toutes
à

a
remplies.
Comment elle procédé; quelles ont été, de 1800 jusqu'aujour
a

d'hui, ses principales étapes; ses variations d'attitude et de physiono


mie; ses noms, divers selon les pays, mais l'unité dans ]es moyens

comme dans but; la complicité inconsciente trouvée dans


le

qu'elle

a
les gouvernements eux-mêmes ses cheminements souterrains et ses
;

luttes ciel ouvert; ses heures d'obscurité, de silence; enfin ses


à

jours de défaite et de triomphe tel est l'ensemble du sujet que nous


:

allons tenter d'exposer.

I. — LE CONSULAT ET L'EMPIRE.
S

S'il eut jamais un chef d'Etat que les événements et son propre
y

caractère eussent mis état de mater Révolution fut Bona


la

en ce
,

parte. Sa gloire militaire et diplomatique l'avait placé hors de pair;


l'orgueil de sa nature ne souffrait pas de rivalités: son amour de

l'ordre ne tolérait pas l'anarchie. arrivait au pouvoir par les


Il

porté
acclamations de tout un peuple, et, loin de disputer comme nous sur
son coup d'État, l'opinion lui eût plutôt reproché
la

légalité de de ne

Tavoir pas accompli. Las des révolutionnaires, qui ne l'était? On


l'était moins peut-être de la Révolution elle-même, en ce sens que,

par elle, l'esprit public sentait encore plus mal qui venait
le

dépravé
des hommes que celui qui venait des doctrines. Bonaparte n'échap-
1
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LA RKV0LUT10N

pait pas à ces erreurs, et lui, l'homme monarchique par excellence,


il avait touché de trop près et à la Révolution et aux personnages les

plus compromis pour qu'il n'y eût pas, de lui à eux, certaines
communications sympathiques , courants d'électricité qui soulevaient
dans leurs âmes et dans la sienne des répugnances et des adhé
sions identiques. La nullité de son éducation religieuse; le spec
tacle et la pratique du matérialisme doctrinal qui est le sceau
particulier de cette époque ; un goût secret , une affinité mysté
rieuse pour ces hommes dont son intérêt dynastique l'éloignait,
dont le rapprochaient au contraire des liens de parenté intellectuelle;
un penchant déterminé pour la souveraineté absolue, s'exerçant aussi
bien sur le spirituel que sur le temporel; la nécessité, qui en était la
conséquence, de subordonner la morale, l'équité, la justice, le droit à

cette ambition ou à cette volonté sans frein : ces diverses causes don
naient à Bonaparte, pour les idées et les pratiques révolutionnaires,
une disposition qu'il ne s'avouait pas, bien qu'il s'y abandonnât sans
regret.
Auprès de lui, autour de lui, se tenaient nombre d'anciens servi
teurs de la Révolution , disposés ou à lui prêter leur concours pour
des œuvres dignes d'eux, ou à l'entraîner par des conseils qui, en rele
vant leur crédit, pourraient diminuer le sien. C'est une liste curieuse

que celle de tous ces anciens conventionnels ou fructidoriens qui, mal


gré leur haine et leurs déclamations passées contre les tyrans, s'incli
naient devant Bonaparte, sollicitaient et recevaient ses faveurs. Combien
de personnages dont leur obscurité a dérobé les traces aux recherches
de l'histoire! Sièyes et Barras, dont on pouvait craindre l'esprit ou
les intrigues, avaient été relégués dans leurs châteaux; mais quant aux
autres directeurs, à l'exception de La Réveillère-Lepaux et de Reubell,
ils avaient tous été pourvus; tous, depuis Gohier et Moulins, qu'avait
cavalièrement éconduits le 18 brumaire, jusqu'à François (de Neuf-
château), le rhéteur, Letourneur et Treilhard, régicides, et Merlin, le

rapporteur de la loi des suspects. Les députés qui, après Fructidor,


s'étaient le plus énergiquement associés aux persécutions contre les

prêtres et les émigrés, Boulay (de la Meurthe), Poullain-Grandpré ,


(8 BRUMAIRE AN VIII — i88ï 3 15

Bailleul , furent admis aux fonctions publiques. Combien d'autres

furent sénateurs ! Enfin , au-dessus de tous et dans une situation pri

vilégiée , Cambacérès, le législateur de la Convention; Talleyrand,


ancien ministre du Directoire; Fouché, l'ancien proconsul de la Nièvre
et du Rhône; le premier, conseiller éclairé, mais timide; les deux

l'enlèvement de PIE VII


Fac-similé d'une gravure allégorique communiquée par M. le baron de Vinck d'Orp, à Bruxelles; dix-
neuvième siècle. — Le 17 mai 1809, un décret daté de Vienne déclarait les Etats du pape « réunis a l'empire
français ». Pie VII répondit par une bulle d'excommunication contre les spoliateurs du Saint-Siège et leurs
adhérents. Le 6 juillet suivant, le général de gendarmerie Radet envahit le Quirinal et emmène le pape
prisonnier. — L'auteur de la gravure ci-dessus, pour représenter l'enlèvement du pontife, l'a figuré enlevé
de terre en présence du général Radet.

autres , forcés de stipuler pour la Révolution , afin de stipuler en


meme temps pour eux-mêmes, assez forts pour être ménagés par
l'empereur et pour ne le servir aussi que dans La mesure de leur
intérêt personnel.
« Les révolutionnaires consacrés par le sang qu'ils ont versé, écri
LA RÉVOLUTION

vait Fiévée à Bonaparte, se sont faits politiques depuis qu'ils ne

peuvent plus se montrer furieux. Appelés à presque toutes les places,

quelques-uns même à la confiance, pouvant deviner les projets du

chef de l'Etat, loin de montrer de l'opposition, ils mettent de la

chaleur à en assurer le succès; mais, dans le silence, ils font échouer


ce qu'ils paraissent appuyer, ou, lorsque cela leur est impossible, ils
détournent l'opinion publique de la joie d'un bien présent pour la
frapper de craintes à venir. Cette tactique peut expliquer comment
le premier consul a toujours été acquérant, par des victoires éton
nantes, une popularité qui semblait ne devoir jamais finir, et dont
on ne rencontrait aucune trace quelques semaines après. Le mot de

ces hommes est qu'il faut user Bonaparte, et, pour arriver à ce but,
exalter toutes ses passions plutôt que d'essayer de les calmer l. »

Fallait-il accomplir quelque œuvre qui fût dans les traditions de la

Révolution? C'était à eux qu'il la réservait; c'est d'eux qu'il s'inspirait;

c'est à eux qu'il en confiait l'exécution. Il suffirait de citer l'affaire du

duc d'Enghien; mais il en est encore une autre.

Il eut la pensée, pensée admirable, et que certainement il n'avait

pas empruntée aux conseils de son entourage, de rendre à l'Église


catholique en France la force sociale dont la Révolution l'avait
dépouillée, de rétablir la liberté de conscience et de culte, et de paci
fier les esprits; dans cette tache à accomplir, il pressentait sans doute

des avantages personnels, mais l'intérêt général y trouvait aussi son

compte. Les prêtres fidèles étaient, depuis Fructidor, victimes d'une

persécution ouverte et réduits à se cacher; les évêques étaient à

l'étranger, la plupart peu sympathiques au général de vendémiaire.

Quel pouvait être le représentant de ce clergé disséminé, n'ayant

qu'une existence précaire, privé de toute liberté et sans chef? Le

clergé constitutionnel ne se composait plus que de quelques évêques


remuants qui, à force de bruit, voulaient imposer sur leur petit

nombre. C'est donc avec la cour de Rome seule que le premier consul
pouvait négocier. Qu'il voulut aller vite, enlever d'assaut des conces

sions, c'était dans sa nature et dans ses habitudes de tactique, mili-


i. Correspondance et relations de Fiévée avec Bonaparte, \, pp. i5-i6, octobre 1802.
LE PETIT HOMME ROUGE
BERÇANT SON FILS
'
1) A V l\ K S UNE ESTAMPE DE LA COLLECTION DE M. LE BARON DE VINCK I)'ORP.

A HKUXELLES; D 1X - N E U V I È M E SIECLE.

Le « petit homme rouge », c'est le diable; son « fils », dont le maillot est entouré
de bandelettes tricolores, c'est Napoléon Ier. Cette estampe est la reproduction, sous
une forme sensible, d'une légende fort répandue pendant ies premières années du
dix-neuvième siècle, et consignée tout au long dans le numéro 288 (avril 1814) du

Journal des Arts, des Sciences et de la Littérature. D'après cette légende, Bonaparte
aurait dû ses succès à la protection de Y « homme rouge », auquel il était lié par un
pacte conclu en Egypte, pour dix ans, la veille de la bataille des Pyramides, et

renouvelé pour cinq ans seulement, quelques jours avant celle de Wagram.

Sans attribuera ces contes populaires plus d'importance qu'ils ne méritent, la

gravure ci-contre rend assez naturel le rapprochement de deux mots, l'un de Joseph

de Maistre : « La Révolution est satanique dans son essence »; l'autre, de Bonaparte

lui-même : « On veut détruire la Révolution en s'attaquant à ma personne. Je la

défendrai, car je suis la Révolution, moi, moi! » (Thiers, Histoire du Consulat et de

l'Empire, V, p. 14.)
i8 BRUMAIRE AN VIII — 1882 '**7

taire ou autre. Mais, en publiant le Concordat, s'il se faisait de

nouveaux amis, il éloignait et mécontentait les anciens. Pour apaiser

ces derniers, il leur offrit les articles organiques.


Cette arbitraire interprétation du Concordat ne lui suffit pas. Il
avait voulu une église docile et soumise , et les effets de la constitu

tion civile du clergé sans cette constitution elle-même. Il alla plus

loin, et dans l'illusion, singulière chez un génie si perspicace, qu'il


pourrait tenir le Pape à sa discrétion et lui dicter ses volontés, il le
fit saisir à Rome, dans son palais; il s'attribua ses États; il le traîna
de ville en ville, en l'isolant des cardinaux et de ses conseils; il le

retint prisonnier, et profita de l'intimidation qu'il exerçait sur le


malheureux pontife pour lui arracher le concordat de Fontainebleau.
Comment l'homme qui avait renversé le Directoire s'abaissa-t-il à

imiter ceux qu'il avait remplacés ? Comment le héros qui se glorifiait


d'avoir relevé les autels ne craignit-il pas de porter la main sur le
chef de l'Église? Comment enfin le soldat qui avait demandé au Pape

l'onction sainte fut-il assez insensé pour se faire le plagiaire des

La Réveillère-Lepaux et des Reubell ? Là encore, nous trouvons auprès


de lui ces hommes de la Révolution , entre autres Alquier , ancien

oratorien, conventionnel régicide.


Fiévée, qui les connaissait bien , ne manquait jamais , au cours de

sa correspondance confidentielle avec l'empereur, de lui dénoncer ces

étranges fonctionnaires pour qui les places n'étaient que des sûretés
contre l'avenir; qui ne considéraient l'établissement impérial que
comme provisoire et qui le réduisaient à n'être qu'une dictature per
sonnelle et non un régime politique. « Il n'y a rien encore , disait-il
un jour à l'empereur, ni monarchie, ni véritable administration; il
n'y a que nom de V. M. — Je vous entends; mes successeurs
si
Ir.

sont incapables, n'aurai rien fait. On vit bien, lors


la
le

de
je

conspiration Malet. Sur qui comptiez-vous donc demandait au


«

Malet du conseil de guerre. — Sur tout monde,


le

président
le

général
et sur vous tout premier, été plus fort. A moment,
le

j'eusse
le

ce
si

en ami fidèle, Fiévée sonne l'alarme Une nation est plus forte de
«
:

ses doctrines que de ses armées... La France manque de doctrines


3 1B LA RÉVOLUTION

en tout; voilà sa partie faible; ceux mêmes qui ne le savent pas le

sentent. » — « La Révolution est partout, son nom est consacré. Je


vais plus loin, c'est un crime d'en dire du mal, et l'effroi qu'elle
inspire pourrait aller jusqu'à faciliter son retour. » Enfin , pour mon
trer avec quelle rapidité le dénouement de la conspiration était accepté :

« M. de Ségur passait sur la place Vendôme. Il s'approche d'un ouvrier


et lui dit : « Savez-vous, monsieur, ce qu'il y a? — Citoyen, l'empe-
« reur est mort et on va proclamer la république. »

Cette conspiration Malet, dont les vrais éléments ne sont pas


encore bien connus, trahit aux yeux de tous, pour l'empereur et pour
ses amis comme pour ses constants adversaires, la fragilité d'une

monarchie qui reposait non sur des institutions et des doctrines, mais
sur un homme. « S'il n'y avait qu'un parti , osait écrire Fiévée en
janvier j8i3, en vingt-quatre heures tout serait fini; s'il y avait un

homme qui osât, les partisans ne lui manqueraient pas. Si le mécon

tentement actuel se prolonge, si on n'en saisit pas toutes les causes et

si on ne parvient pas à l'atténuer, il est impossible que le pouvoir ne


se sente pas bientôt affaibli au point qu'il cherchera trop tard les

moyens de se raffermir et de sauver la France1. » Bientôt, en effet,

ces conventionnels ralliés en apparence à l'empire, ces sénateurs enri

chis de dotations, dressèrent l'acte d'accusation contre l'empereur; ils


le dressèrent plus d'une année avant qu'il ne fût rendu public , et le

même qui, le 22 septembre 1792, avait, en termes si ridicules,

demandé à la Convention l'abolition de la royauté, l'abbé Grégoire,


fut l'un de ceux qui décrétèrent la déchéance de Napoléon. Sa chute

était la revanche de leur longue défaite et de la servitude dorée à

laquelle ils s'étaient soumis.


C'est ainsi que , sous le Consulat et l'Empire , on peut signaler

deux courants parallèles, tous deux d'origine et de caractère révolu


tionnaires; l'un, en dehors du maître, propre à ses conseillers, à se^

auxiliaires, à ses agents; l'autre, et ce ne fut pas le moins violent,

propre à l'empereur lui-même. Aux Cent jours, c'est encore aux

anciens conventionnels qu'il fit appel; il évoqua les fédérations pari-


1. Op. cit., III, pp. 249, 25 r, 237, 262, 3 r 4.
NAPOLÉON A SAINTE-HÉLÈNE
de P. Delaroclie, dix-neuvième siècle. D'après la photographie de MM. Goupil et Ci*, a Paris.

La, se refroidissantcommeun torrent de lave,


On jeta ce captif suprême
Sur un rocher,débrislui-même Des troncsrestauresécoutantla fanfare,
De quelqueancienmondeenglouti. 11brillait de loin commeun phare
Montrant l'écueilau nautonier.
V. Hugo, Odts et Ballades,livre 1, ode XI.
320 LA RÉVOLUTION

siennes; il tenta, à contre gré sans doute, d'exciter moins en sa faveur


que contre ceux qu'il estimait ses adversaires les préjugés et les haines

du vulgaire, et il compromit dans ces alliances peu sincères les glo

rieux services qu'il avait rendus à l'ordre, à la société et à l'Église.

S 2.
— LA RESTAURATION.

Napoléon était tombé. Bien que, durant tout le temps de son

règne, les hommes de la Révolution, tout en feignant de le servir,


l'eussent secrètement combattu , on doit reconnaître qu'ils désirèrent
sa chute, mais qu'ils ne l'amenèrent pas. Ils grondaient, ils complo
taient dans l'ombre, ils se réjouissaient des revers, mais ils étaient
impuissants à faire davantage. Napoléon succomba sous le poids de

sa propre ambition, ou plutôt, ayant, comme la Révolution dont il


était issu , déclaré à l'Europe une guerre perpétuelle , il se trouva un
jour que l'Europe victorieuse désarma son ennemi. Du même coup ,

la Révolution subissait un échec, et ceux qui, comme Talleyrand et

Fouché , lui étaient restés fidèles le sentirent si bien, qu'ils ne songè


rent pas à mettre leur parti en tiers dans les solutions qui se pré

paraient. Avec une sagacité d'autant plus merveilleuse qu'elle dut être

accompagnée d'abnégation, ils reconnurent devant l'Europe que la

France vaincue ne pouvait avoir une attitude digne et respectée qu'en

se plaçant sous le patronage de l'antique famille de ses rois.

Courte trêve et consentie par quelques hommes seulement : la

contrariété des principes allait réveiller les hostilités. Si , sous l'Em


pire , les conventionnels avaient cherché à ébranler ou à empêcher

tout ce qui ressemblait à quelque chose de fixe et de durable, com


ment eussent-ils toléré un régime qui s'inspirait avant tout de la tra

dition et du droit? Pendant les Cent jours, les libéraux avaient fait

cause commune avec les hommes de la Convention et de l'Empire;


ils restèrent unis, et ces libertés publiques que Louis XVIII reconnut,

que la Charte consacra , les ennemis de la Restauration s'en servirent

aussitôt pour la combattre. Entre les Bourbons et la Révolution ,


i8 BRUMAIRK AN VIII — i S 8 •>

c'était un duel à mort. Les régicides furent envoyés en exil; des

conspirations incessantes s'élevèrent contre les Bourbons. Au lieu


môme de se localiser en France , la Révolution se répandit en

Europe : en Allemagne , le Tngend-Bund , les Descamisados en

Espagne, les Carbonari en Italie. Ceux-ci passèrent les monts et

prirent pied en France, se liguant avec la franc-maçonnerie qui for


mait comme le premier degré de l'initiation révolutionnaire. Les
hommes les plus marquants du parti libéral appartenaient à la char-
bonnerie. Ventes particulières, ventes centrales aboutissaient à une
hante-vente que dirigeaient La Fayette , Foy, Voyer d'Argenson , etc.

La justice frappait d'obscurs comparses, et les vrais coupables se

plaignaient d'être soupçonnés. «


Que ceux, leur disait M. de Marti-
gnac, qui se plaignent d'avoir été désignés par les accusés de la

conspiration, montent à cette tribune; qu'ils y viennent protester


de leur amour pour le roi et la légitimité, de leur horreur pour
la trahison et la révolte. Voilà ce que je ferais, si j'étais dans une

position semblable à celle où se trouvent quelques membres de

cette Chambre, et, confiant dans mon innocence, j'attendrais avec


respect la décision des tribunaux. » Ce loyal conseil, on se gardait
bien de le suivre.

L'hypocrisie se donnait carrière. Les libéraux dénonçaient la


conspiration occulte, la Congrégation, les Jésuites; or, à côté de ce
péril imaginaire, s'organisait dans l'ombre le péril tout autrement
grave des conspirations permanentes dans les loges des francs-maçons
et les ventes des carbonari. C'était le temps où M. Cousin sollicitait
du ministre de la maison du roi une mission en Italie pour aller
collationner des manuscrits; il l'obtenait, tout libéral qu'il fût et pro
fesseur suspendu, et il en profitait pour distribuer les mots d'ordre
sur son passage. On avait reproché naguère aux émigrés, chassés de
leurs châteaux par l'émeute, par l'assassinat, par le pillage, d'avoir
tourné leurs armes contre la France et d'avoir cherché à reconquérir
ainsi leurs domaines, leur qualité de citoyens et leur liberté. La guerre
d'Espagne éclate : de même que le roi de France ne souffre pas qu'un
prince de son sang soit accablé par la Révolution, les complices
41
322 LA REVOLUTION

français de la révolution espagnole passent les Pyrénées, et les premiers


coups de fusil qui atteignent l'armée partent de bourgeois
française
français, libéraux, qui s'appellent Carrel et Fabvier. Tout cela est
incontestable. Mais les libéraux se donnaient des licences qu'ils n'ac
cordaient pas à leurs adversaires, et condamnaient chez ceux-ci tels
actes qu'ils se permettaient sans scrupule à eux-mêmes.
Parallèlement à la conspiration à main armée, marchait la conspi
ration de l'histoire, de la littérature, de la philosophie. C'est de ce
temps -là que datent ces histoires de la Révolution française, légères
de documents et d'autorité, mais dont les affirmations hardies pas
sèrent longtemps pour donner le dernier mot de la science. A travers
les noms du passé, on visait le régime présent, et telle était la ligue
antihistorique que formaient les libéraux, que La Réveillère-Lepaux,
écrivant alors ses mémoires, demandait qu'on en ajournât la publi
cation, de peur que la royauté constitutionnelle n'y trouvât des

arguments contre la Révolution. C'est de ce temps que datent ces

Leçons de M. Cousin, où l'hégélianisme se parait des couleurs de

l'éloquence, et dans lesquelles toute cause victorieuse était absoute par


son succès. C'était le temps, enfin, où le romantisme élevait son
drapeau et sacrifiait à une imagination sans contrepoids la raison, le

bon sens, la morale privée et publique.


Ces licences, les uns se les donnaient dans la pensée de détruire
le gouvernement, les autres parce qu'ils avaient confiance dans sa

solidité. Ni Dupin, ni Casimir Périer, ni tant d'autres, n'étaient des


ennemis nés de la royauté ou des Bourbons; ils cédaient tantôt à un

penchant à l'opposition trop naturel chez les Français, tantôt encore


aux ressentiments de gens qui, au sortir de la Révolution et de ses

fallacieuses phraséologies, se retrouvaient en face d'hommes qui n'en


pouvaient que haïr les personnes et les choses, et qui vivaient des
reliefs de l'ancien régime, alors que l'ancien régime avait disparu.
Il y avait là une transition à ménager; dans l'un et l'autre camp, la
mort l'eût faite peu à peu, et la France, placée entre la dynastie de

Bourbon d'une part et ses aspirations libérales de l'autre, associant

ces deux éléments nécessaires, eût réalisé une de ces alliances de


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LA RÉVOLUTION

raison qui, dans l'ordinaire de la vie, ne sont ni les moins durables


ni les moins heureuses.

Cependant, Louis XVIII avait deux fois obtenu de l'Europe victo


rieuse des conditions moins défavorables* il avait libéré le territoire
avant le délai fixé par les traités; il avait relevé l'honneur du nom
français à l'étranger. Les libéraux s'en taisaient alors ou affectaient de

ne pas lui en savoir gré : l'histoire a plus de mémoire et de jus


tice. Elle a déjà proclamé qu'épuisée par vingt ans de guerre, deux
fois vaincue, deux fois envahie, la diplomatie de la France n'avait
pas à Vienne l'humilité de sa situation : elle parlait, discutait, refusait
comme si elle n'eût pas traité avec des vainqueurs. Elle avait offensé
l'Europe, et l'Europe ne s'en souvenait pas; elle payait des indem
nités de guerre , et ses ambassadeurs marchaient en tête du corps
diplomatique comme au temps du grand roi. Son prestige avait
survécu à sa puissance1.

Le secret de cette fortune singulière n'est pas difficile à découvrir.


Les princes de l'Europe, agités par les secousses de la révolution fran
çaise, aimaient à se reposer sur cette famille de Bourbon qui repré
sentait un système héréditaire et des traditions de loyauté et de

paix sociale. La France, après être sortie du concert européen, y


rentrait : grand bienfait pour l'Europe; bienfait non moindre pour la
France. La Sainte- Alliance, en effet, n'était pas faite contre elle,
mais contre les éléments révolutionnaires qu'elle avait développés
et qui fermentaient encore; il ne tenait qu'à la France de s'associer
à cette œuvre nécessaire. Elle le pouvait sans rien engager de

son honneur ni de sa liberté diplomatique : quel gouvernement fut


plus indépendant dans sa politique extérieure que celui qui, à

entendre les libéraux, avait été imposé par l'Europe et se tenait


à sa merci ?

Les gouvernements conservateurs et les gouvernements révolution


naires ont, dans leur vie comme dans leur histoire, un sort bien
différent. Sous les gouvernements révolutionnaires , on vit de phrases

et de légendes, on comprime la vérité; mais, lorsqu'ils tombent,


i. « Talleyrand fait ici le ministre de Louis XIV », disait Alexandre.
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326 LA RÉVOLUTION

cette vérité méconnue se lève; elle écarte tous les nuages, et, derrière
une fantasmagorie sans réalité, on ne retrouve plus qu'un squelette.
Pour les gouvernements conservateurs, il en va tout autrement. Dans

le cours de leur existence, ils sont combattus, calomniés, vilipendés;


mais aussi, quand l'histoire fait son œuvre, plus elle plonge dans

leurs intentions et dans leurs actes, plus la justice s'accomplit, plus


les appréciations saines se font jour, et ces gouvernements reprennent
un aspect d'honneur qui deviendra de la gloire dans la mémoire recon
naissante de la postérité.

Ainsi en arriva-t-il de la Restauration. Les libéraux d'alors l'atta


quaient sans cesse, et ce sont les mêmes qui, racontant aujourd'hui
son histoire, n'hésitent pas à faire amende honorable de leurs anciennes

imputations. Quel ministre fut plus critiqué que M. de Villèle ?

Aujourd'hui l'on rend hommage à toutes ses combinaisons financières;


il n'est pas jusqu'à cette loi d'indemnité, si improprement appelée « le

milliard des émigrés », qui ne soit appréciée par les historiens de tous

les camps comme une loi de justice, utile à tous encore plus qu'à
ceux qui paraissaient en avoir le privilège, loi éminemment morale,
et que M. Thiers, l'un de ses adversaires, s'est borné à copier, même
dans son texte, lors de la restitution des biens injustement confisqués

par Louis Bonaparte sur les princes d'Orléans. Les éclats de

M. de Chateaubriand contre M. de Villèle sont jugés aujourd'hui


comme les colères d'un amour-propre froissé, et M. de Villèle reste

l'un des derniers types du ministre des finances et du ministre

dirigeant. M. Lainé, M. de Serre n'obtiennent pas moins de succès;

le plus beau titre que se reconnaissait M. Thiers, après la guerre

de 1870-71, celui de «libérateur du territoire», le duc de Richelieu

ne l'a-t-il pas obtenu de l'Europe conjurée, et cela moins par la force

de la France que par la lo}^auté de son ministre, reconnue de tous,

et par la sûreté de sa parole?


La Restauration avait opposé, pendant quinze ans, une forte bar
rière au torrent révolutionnaire; on le reconnut trop tard en voyant

avec quelle fougue, ce rempart tombé, le torrent se répandit sur la


France et sur l'Europe.
PORTRAIT DE M. DE VILLELE
D'après une pointure appartenant à M. le comte de Neuville, gendre de M. de Villéle. — Adversaire résolu de la
Révolution, le comte de Villéle fut l'un des financiers les plus remarquables qu'ait produits la France. Klevé en 1821
a la présidence du conseil des ministres, il remplit, durant sept ans, « avec un éclat et une supériorité incontestables,
les fonctions importantes auxquelles l'avait appelé la juste confiance des rois Louis XVIII et Charles X » (paroles de
M. le comte de Chambord). « La France, dit M. le marquis d'Audirt'ret, qui avait été si récemment épuisée par les
désastres de 1814 et de i8i5, était redevenue riche, puissante et respectée sous la tutelle du génie prévoyant et réparateur
d'un grand ministre. •> (Voir Notice historique sur le comte de Villéle, par M. le comte de Neuville, pp. 2o(>et 314;
Paris, Fontaine, éditeur.
3-28

§ 3. — LE GOUVERNEMENT DE JUILLET.

Un des conventionnels régicides, qu'une loi de la Restauration


avait exilé et qui résidait en Suisse, Genevoix, disait à son domes

tique, avant de mourir : «


Quand les Bourbons seront partis, tu

frapperas deux coups sur ma tombe, et tu me diras : Monsieur,


monsieur, ils sont partis! »

Ces hommes, dans lesquels le roi Louis XVIII avait senti d'irré

conciliables ennemis et qu'il avait exceptés de l'amnistie, le gouverne


ment de Juillet, au lendemain de son avènement, leur rouvrit les portes
de la France. Leur rappel, si peu d'importance personnelle qu'ils
dussent avoir d'ailleurs, symbolisait tout ce que le nouveau régime
allait écarter comme tout ce qu'il allait admettre, ses rapports diplo
matiques avec les puissances comme sa situation intérieure. La nou
velle rupture de la France avec la maison de Bourbon représentant

la royauté légitime paraissait le signal d'un nouveau droit destiné à

rééditer les théories de 1792, aussi bien les théories d'agression de la

Révolution que les théories de défense de l'Europe monarchique. Tout


semblait remis en question : les traités de 181 5, les distributions

d'États, surtout l'esprit conservateur dont s'inspirait depuis quinze ans


la politique européenne. La révolution de Juillet trouvait des échos

à Bruxelles, en Pologne, en Italie, et, soit que le mouvement de

Paris eût provoqué directement cette agitation des peuples, soit que

l'agitation se propageât comme par une loi de nature d'après laquelle

une onde soulevée poursuit son mouvement jusqu'au plus lointain


rivage, les rois ne pouvaient voir sans inquiétude cette révolution

d'où en naissaient tant d'autres, ce coup d'État étranger qui se

répercutait au delà de ses frontières, ce prince de Bourbon, chef

d'une révolution qui renversait à la fois et la famille régnante, et le

droit dont elle s'autorisait, et le droit général de l'Europe.


Les historiens les plus favorables au gouvernement de Juillet n'en

méconnaissent plus les origines révolutionnaires. Louis-Philippe avait

pu écrire à Charles X, dans la nuit du 3o au 3i juillet, une lettre


18 BRUMAIRE AN VIII— 1882 329

qu'il souscrivait : fidèle sujet; mais son entourage, les hommes

auxquels il était livré, l'espèce de fatalité qui pesait sur lui, eurent
vite raison de ses résistances. Que ne peuvent sur une âme indécise
et plus sensible à la prétendue loi des circonstances qu'à l'inflexible
loi du devoir, que ne peuvent la volonté énergique et les conversations
de ceux qui la pressent, le spectacle de la foule, l'immédiate et bru
tale force des choses présentes! « On me supposait heureux, disait-il
plus tard (i85o); je n'étais que résigné. Je remplissais un devoir, je

tentais de reconstituer l'autorité. Si j'avais pu le faire, j'aurais renoué


la chaîne des temps, qu'une terrible secousse venait de rompre. J'ai
essayé. Je croyais que la république était le plus grand malheur qui

pût frapper la France. »

Les hommes qui l'entouraient peuvent être classés en trois partis.


Le premier, qui fut assez vite éconduit, se composait des républicains
ou se disant tels; ils se seraient laissé apprivoiser à la monarchie,
si la monarchie ou ses serviteurs immédiats leur avaient fait la part
assez grosse dans la distribution des fonctions publiques. Les deux
autres partis étaient attachés à la monarchie nouvelle; mais, pour
l'un, la dynastie de Lcmis-Philippe était la fille légitime de la Restau

ration , tandis que pour l'autre c'était une branche nouvelle et révoltée.

Les complaisances des premières heures avaient établi plus d'un


lien entre ces deux partis que ralliaient à la fois et le principe
de la monarchie et la nécessité de se défendre contre les républicains
et les légitimistes; mais, quand le trône dej Juillet parut bien assis,
ce fut de ces interprétations différentes que naquit la division.
M. Guizot, malgré les compromissions dont il s'est accusé plus tard,
représentait davantage le premier parti, vers lequel le roi Louis-
Philippe inclina de plus en plus; dès le début, M. Thiers s'était

rangé dans le second.

Ce caractère révolutionnaire des hommes de Juillet, même de ceux


qui étaient le plus engagés dans le gouvernement, les plaçait, aux
jours de répression, dans une situation très embarrassante. Lorsque
l'émeute saccagea Saint-Germain-l'Auxerrois et l'archevêché, Odilon
Barrot, préfet de la Seine, ne savait comment faire pour jouer le rôle
33o LA RÉVOLUTION

de l'autorité; au lieu de réprimer ce vandalisme impie, digne de celui

de g3, il s'avisait d'accuser l'ignorance des masses et prenait l'émeute


au compte du gouvernement. La Fayette, qui avait mis sa main dans
celle des carbonari, sauf à les désavouer publiquement, s'étonnait que
ses camarades de conspiration lui rappelassent ses promesses en prati
quant ses doctrines. En i835, devant la cour des pairs, l'un des

accusés, Trélat, s'écrie, et personne ne l'arrête : « Il y a ici tel juge qui a

consacré dix ans de sa vie à développer les sentiments républicains


dans l'àme des jeunes gens. Je l'ai vu, moi, brandir un couteau en

faisant l'éloge de Brutus. Ne sent-il donc pas qu'il a une part de

responsabilité dans nos actes ? Qui lui dit que nous serions tous
ici sans son éloquence républicaine? (Cousin.) J'ai là devant moi
d'anciens complices de charbonnerie. Je tiens à la main le serment
de l'un d'eux, serment à la République. (Barthe et Montebello.) Et ils
vont me condamner pour être resté fidèle au mien ! »

Les doctrines en cours n'étaient pas moins révolutionnaires que les

hommes. A considérer l'irréligion sauvage qui s'abattait sur la France,


le matérialisme honteux qui l'envahissait, l'impudence des foules, la
froide incrédulité des fonctionnaires, la haine contre le prêtre se

donnant carrière, qui ne se serait cru au lendemain du 10 août 1792,


au lendemain des lois de proscription des 18 et 20 août! Comment
ne pas rappeler la croix arrachée du sommet du Panthéon, le crucifix
enlevé de la première chambre de la cour d'appel et qui n'y fut re

placé que neuf ans après, sous le courageux ministère de M. Mole ;

la basse littérature théâtrale encourageant publiquement le mépris de


la religion, sous l'œil de la police qui ne disait rien et qui tolérait
tout; certaines fantaisies du roi lui-même qui semblait retrouver non
sans plaisir dans cette exhumation d'impiété les souvenirs de sa jeu

nesse voltairienne ; en face de ce déchaînement, un ministère, est-ce

assez dire ? des ministères se léguant l'un à l'autre une série de

déplorables condescendances; ceux-là même qui s'appelaient les «doc


trinaires)) si engagés dans ce système que les plus sincères ont dû,
trente ans après, se frapper la poitrine pour les fautes qu'ils avaient
commises alors et que leur orgueil ne leur permettait pas d'avouer ?
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332 LA RÉVOLUTION

Un jour, le dégoût vint. Il fallait ou succomber ou résister, se

retirer ou combattre. Celui qui prit alors les rênes n'était ni un


de ces fiers doctrinaires à qui leur propre souplesse avait fini par
déplaire, ni un de ces hommes politiques qui avaient épousé sans

arrière-pensée la nouvelle révolution et la dynastie qu'elle avait cou


ronnée; ce n'était davantage ni un soldat fatigué d'anarchie, ni même
un homme de caractère énergique et entreprenant. Homme de finance,
âme hésitante, esprit sans grande culture, Casimir Périer n'avait
été jusque-là ni un révolutionnaire, ni un homme de gouvernement.
Il avait épousé la révolution sans empressement; il Pavait fait quand
le danger était passé. Comment le spectacle de toutes ces ignominies
et de toutes ces bassesses lui inspira la résolution d'abandonner le
parti pris des concessions; comment il osa lutter contre la Chambre,
contre ses collègues, contre le roi lui-même; comment une fièvre

d'énergie et de dignité s'empara de ce caractère indécis; comment


enfin son nom devint ainsi le symbole de l'ordre et de l'autorité :

ce serait une question laborieuse à résoudre. Quoi qu'il en soit,


cette crise d'obstination chez un homme marqua pour la France le

terme de la période plus spécialement révolutionnaire du gouverne


ment de Juillet, et, s'il m'est permis de me citer moi-même : « Louis-
Philippe abdiqua dès lors le rôle de courtisan du peuple, le sang de

Bourbon tressaillit dans ses veines : il comprit qu'il devait vivre et

régner en roi L »

C'est à cette époque que se rapportent les premières tentatives de

la Révolution européenne pour créer et coordonner un mouvement


d'ensemble. Les francs-maçons avaient formé la première initiation ;

les carbonari la seconde. Une troisième, plus hardie et plus décidée,


fut imaginée et organisée par Mazzini. C'est en i832, après l'échec des
conspirations piémontaises auxquelles s'était associé Charles-Albert,
que les conjurés, forcés de s'exiler, constituèrent à l'étranger ce foyer
d'agitations qui embrassait la Suisse, la Pologne et la Hongrie, mais

dont l'affranchissement de l'Italie était le but principal. Alors naqui


rent ces dénominations de Jeune Italie , Jeune Allemagne^ etc., qui
i. Histoire de la République de 1848, I, p. i3.
333

indiquaient à la fois et le renouvellement des cadres des conspirateurs


et leur affiliation d'un pays à l'autre. Alors aussi commencèrent à se

manifester par des négations plus ou moins complètes des principes en

cours, principes politiques, sociaux, religieux, les théories du radica


lisme. Ces théories n'étaient que le reflet de celles qu'avaient prônées
les apôtres les plus avancés de la Révolution française, avec cette dis

tinction entre leurs partisans que les uns, comme Mazzini, gardaient
une sorte d'idéalisme mystique, tandis que les autres dépassaient leurs
ancêtres en matérialisme. Alors enfin, surtout en Italie, commença
de la part soit de Mazzini, soit des libéraux italiens, cette guerre au
Pape comme souverain temporel (c'était le prétexte), au fond comme
le représentant le plus auguste des croyances catholiques et comme
la clef de voûte de l'édifice social, tel que le christianisme l'a consti
tué. Tactique aussi juste qu'habile et qui, en dénonçant l'autorité
suprême, aurait dû signaler à tous les princes détenteurs de l'auto
rité la forteresse qu'il fallait défendre pour se défendre eux-mêmes;
mais, tout à l'opposé, les princes trempèrent dans la conjuration des
sociétés secrètes, et, au milieu de l'ébranlement général, ils y ajoutè
rent encore en adressant collectivement un mémorandum de repré
sentations au Saint-Siège.

Le mazzinisme a un caractère spécial, qui a fait école dans l'his


toire contemporaine du radicalisme et qui le déshonore à jamais :

c'est l'assassinat politique décrété dans des conciliabules d'où le con


juré sort avec un mandat de tuer. Louvel avait, en 1820, donné le
signal ; que d'imitateurs n'eut-il pas sous le règne suivant! Le Moni
teur républicain prêchait le régicide : Alibaud, Fieschi, Meunier
et tant d'autres accomplissaient les doctrines. Depuis, combien
d'autres assassinats, depuis Rossi, assassiné à Rome aux portes de
la Chambre des députés, publiquement, aux applaudissements d'une
populace sans vergogne et dans le silence de tous les honnêtes gens
frappés de stupeur, jusqu'à Napoléon III, mainte fois attaqué, sans
parler du prince de Prusse, l'empereur actuel, en 1848, en 1862,
en 1878; du duc de Parme tué en l 864; de Lincoln, de Lopez, de
plusieurs présidents des républiques de l'Amérique du Sud, victimes
LA REVOLUTION

du même fanatisme; de la reine Isabelle, du roi de Naples, des

rois d'Espagne, du roi d'Italie; enfin du czar Alexandre, la dernière

et la plus éclatante victime de cette bande féroce!


Un autre caractère sinon du mazzinisme proprement dit, du moins
du radicalisme, c'est la corruption systématique de ceux qu'il veut
employer à ses desseins. Les archives de Neuchàtel, en Suisse, pos
sèdent les correspondances saisies sur les fauteurs de la Jeune Alle

magne : on y a constaté le parti pris de matérialisme honteux auquel les

initiateurs soumettaient les adeptes. Ce n'est pas assez d'ébranler le

dogme de l'Eglise catholique qui en conserve le dépôt sacré; tout ce

que la nature humaine, relevée par la morale, garde et peut déve

lopper de loyauté, de dignité, de dévouement, les doctrines radicales

le retranchent de l'àme : elles l'avilissent pour la dominer plus aisé


ment.

Si nous passons à d'autres doctrines, nous retrouverons les mêmes

tendances, moins effrontément affichées, mais aboutissant aux mêmes

résultats. Le saint-simonisme n'affectait-il pas d'être la réhabilitation

de la chair, la remise en honneur de la matière ? Dans la fantas

magorie mystérieuse de ses formules, ne marchait-il pas à la désor

ganisation de la famille ? C'est en apercevant ce péril que les frères

se divisèrent en deux camps, l'un qui ne retint du saint-simo

nisme que l'élan industriel qu'il imprimait à la société française,

l'autre qui se perdit dans les rêves et se fit tout de suite oublier.

L'Icarie de Cabet et le fouriérisme, d'autres systèmes moins connus,

double caractère, qu'ils ne rêvaient de réformes que


portaient tous ce

Tordre matériel, et qu'ils attendaient le succès de leurs rêves


dans
d'une révolution prochaine, à la fois sociale et politique.

Cependant les lois de répression, l'énergie du pouvoir, l'opinion

même avaient eu raison et des troubles de la rue et des


publique
des sociétés secrètes; le gouvernement s'affermissait sous un
menées

ministère qui, fait unique en France dans le régime parlementaire,

durait depuis sept années; l'insurrection chronique, qui avait armé,


chaque année, privée de ses chefs, avait
de ï83o cà i83(j, presque

abandonné le champ de bataille; les républicains se rapprochaient peu


la
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siècle. dix-neuvième Carnavalet, l'hôtel conservé l'original D'après

BÉRANGER DE MORTUAIRE MASQUE


336 LA RÉVOLUTION

il peu de la charte et laissaient aux partis extrêmes l'opposition


radicale. La dynastie d'Orléans regagnait au dehors le crédit que la
Révolution lui avait fait perdre; l'empereur Nicolas, qui lui tint si
longtemps rigueur, se décidait à la reconnaître et à faire accueil à ses

ambassadeurs; les expéditions algériennes avaient créé à la France un


noyau de généraux et de soldats. Enfin, si l'héritier présomptif du
trône avait été subitement enlevé à l'espoir de sa famille et de la
France, les nombreux rejetons qui entouraient le vieux roi sem
blaient promettre à sa race la stabilité et la durée.
D'où vint l'attaque? Ni des légitimistes, ni des républicains, ni
des bonapartistes : de ces trois côtés, tout était apaisé. Elle vint des
parlementaires, [des libéraux orléanistes, des partisans de la première
heure. L'édifice qu'ils avaient contribué à élever leur parut de force à
défier l'orage, et, cet orage, ils ne craignirent pas de le déchaîner.
On fit le siège du ministère; c'était en réalité le siège du gouvernement;
le cri de réforme était un programme de révolution. Dans les rangs
des assaillants, M. Thicrs marchait en tête. En novembre iS3r, à

l'heure où la monarchie de Juillet tremblait encore sur ses fragiles


bases, M. Thiers, courant à sa défense, insistait sur « la nécessité »

du nouvel établissement : « La France a cherché à se sauver. Elle


s'est arrêtée entre deux abîmes. » Il n'en reconnaissait pas moins que
« la monarchie de Louis-Philippe, avec tous les concours qu'elle trou
vait, avait eu depuis un an et demi la plus grande peine à subsister

et n'avait sauvé l'ordre public que par miracle1. » Avec les années,
la sécurité lui était revenue, et, trompé par les apparences de l'ordre
matériel, il n'apercevait pas les passions prêtes à éclater.
Le 2 février 1848, on retrouva le rédacteur du National de 182(3

et de i83o; défendant l'odieuse guerre du Sonderbund contre la poli


tique timide mais conservatrice de M. Guizot, M. Thiers s'écriait :

« Je ne suis pas radical, MM. les radicaux le savent bien, et il suffit


de lire leurs journaux pour s'en convaincre. Mais, entendez bien
mon sentiment : je suis du parti de la Révolution tant en France
qu'en Europe, je souhaite que le gouvernement de la Révolution
1. La Révolution de i83o, p. 10 et 29.
MkliiMAIUK AN VU! — iSS- j'.i;

reste entre les mains des hommes modérés. Je ferai tout ce que je

pourrai pour qu'il continue à y être; mais quand ce gouvernement


passera dans les mains d'hommes qui seront moins modérés que
moi et mes amis, dans les mains des hommes ardents, fussent- ils

radicaux, je n'abandonnerai pas ma cause pour cela, je serai toujours

du parti de la Révolution l. »

Avec lui, les hommes de iS3o, Odilon Barrot , Duvergier de

Hauranne, de Rémusat, Léon Faucher, Crémieux, Senard; les répu


blicains modérés, Marie, Garnier-Pagès, Carnot ; tant d'autres, décla-
mateurs sans esprit politique, plus habitués à discourir qu'à délibérer,
et à faire de l'opposition qu'à gouverner. A côté d'eux, derrière eux
et concurremment avec eux, les jacobins faisaient leur œuvre. Mené
par Ch. Delescluze, Ledru-Rollin se jetait enfin dans la lutte et reven

diquait tantôt avec fermeté, tantôt avec prudence, suivant l'opportu


nité, les théories démocratiques. Cette imperceptible minorité se

transportait à Lille, à Dijon, à Chalon-sur-Saône, et, à force de

bruit, cherchait à attirer de son côté le mouvement de réforme que


provoquaient si témérairement les dynastiques.
On sait ce qui arriva : la désorganisation au ministère, au château ;

les ordres se contredisant; l'armée sans chefs; l'autorité désarmant;


les hommes énergiques écartés; Thiers et Odilon Barrot emportés par
l'ouragan; le roi élu sur les barricades de i83o fuyant devant les bar
ricades de 1848; le trône de Juillet tout à coup renversé. Quels furent
les plus surpris? Ces mêmes dynastiques de l'opposition, qui avaient
fait la campagne des banquets et qui, ayant soufflé la tempête, avaient
la présomption de la maîtriser. On les oublia, et la République fut
proclamée. Quant à la France , elle allait paver par bien des désor
dres et bien des ruines cette abdication d'elle-même qu'elle se dégui

sait complaisamment sous le nom pompeux de souveraineté nationale.

1. M. Guizot lui répondait : «Voilà donc où peut en être encore un esprit si eminent!
Voilà quelles traditions, quelles passions peuvent encore le dominer et 'l'aveugler sur la
vérité et la moralité dws choses! >>
o8 LA RKYOLUTION

S 4. LA R É P U B L 1Q U E DE I 8 4 8

(24 février — 20 décembre


1848 iS5i).

La République de 1848 fut un régime instable pendant lequel la


France affolée tourna à tous les vents et se jeta aux pieds de tous les

pouvoirs. Comment donner le nom de république à une période au


cours de laquelle, au scrutin comme dans l'opinion, république et

républicains demeurèrent toujours en minorité; où la majorité fut


constamment monarchique; où le suffrage universel, trois fois solen
nellement consulté, trois fois se décida pour des noms de signification
monarchique ?

L'opinion flotta d'abord au hasard comme la République elle-


même. Dans le désarroi général, elle s'attacha, de gré ou de force,
au Gouvernement provisoire, en attendant la réunion d'une assem
blée; sous la Commission executive, elle aspira au pouvoir d'un
seul; à la faveur de l'insurrection de Juin, Cavaignac fut investi

par les circonstances plus encore que par l'Assemblée. Alors, les
incertitudes cessent, et cinq millions de suffrages appellent à la prési

dence le prince Louis-Napoléon Bonaparte. De même que, sous Ca

vaignac, la France souhaitait la fin de cet intérim ambigu, de même,


sous Louis-Napoléon , elle réclama l'institution d'un pouvoir moins
éphémère; de la manifestation électorale du 10 décembre 1848 à celle

du 20 décembre i85r, il n'y avait pas plus loin que de cette dernière
à celle de 1 852 qui rétablira l'Empire. C'est ainsi que du régime de

Juillet la France passa à l'Empire ; l'émeute avait renversé une monar

chie, une troupe de soldats en releva une autre. En i83o, le pays

n'avait pris que quelques jours pour échapper à la République; plus


tard, circonvenu, hésitant, embarrassé dans les liens d'une appa
rence de constitution, il y employa quatre ans. On avait cru, en

février 1848, à un changement de politique, et il ne se produisit


qu'une débâcle sociale; on se crut en république, et la République « ne

fut qu'un mot de convention pour désigner quatre ans d'interrègne))1.

1. Histoire de Ici République de f<S4<S',\, p. 453. — Le lecteur me permettra, pour tout


i 8 BRUMAIRE AN VI II — 1SK2

La République de 1848 fit peur, non comme republique, mais

pour s'être rendue solidaire des théories socialistes ou de toutes celles

qui, sous ce nom, visaient en apparence à la transformation , en réa-

PIPES RKPUBLICAINKS DE I 848


Collection do M. de Licsville, à l'hôtel Carnavalet. — Sur la première un héros des journées do Février
montre le portrait de M. de Polignac, le dernier ministre de Charles X, et celui de M. Guizot: et au-dessus
on lit : « Les deux font la paire. » Sur la seconde, entre une branche de chêne, symbole de force, et une
branche d'olivier, symbole de paix., un faisceau surmonté d'un bonnet phrygien et accompagné de la
balance de la Justice. Au-dessus, la devise révolutionnaire : «Liberté, Egalité, Fraternité. >>

lité à la destruction de tout ce qui sert de base à la société chrétienne


et à tout Etat civilisé. Elle donna libre carrière à l'élan des réforma
teurs. Par les clubs, par la presse, d'abord; plus tard, par la tribune,

ce chapitre, de le renvoyer à mon Histoire de la République de 1 S4S (Révolution et Pré


sidence de Louis-Napoléon Bonaparte), 2 vol. in-S°; Pion, éditeur; Paris, 18-3-1878.
LA RÉVOLUTION

ils curent pleine licence de parler et d'agir. Les journaux, des nova
teurs ne firent aucune révélation ; les clubs n'aboutirent qu'à des

émeutes. Quant aux théories émises à la tribune, à peine leur fit-on


l'honneur de les réfuter. Dans cette première période, du 24 février

au 24 juin 1848, l'émeute marcha de pair avec les excès de la presse

et des clubs, de sorte que la France se vit périodiquement, c'est-à-

dire chaque mois, exposée à un changement de gouvernement, et,

comme elle n'était pas satisfaite de celui qu'elle avait, l'unique res

source qui lui resta fut d'en redouter un pire. C'est le parti remuant,
débris des sociétés secrètes du temps de Louis-Philippe, qui avait, au

24 février, envahi la Chambre des députés et les Tuileries; le même

qui tint prisonnier dans l'Hôtel de ville le gouvernement provisoire


jusqu'à ce que celui-ci eût, sans droit, proclamé la République; le

même qui fit promulguer le fatal décret du droit au travail , source

de tant d'agitations et de crimes. C'est à ce parti qu'il faut imputer


les tentatives d'émeute du 17
mars et du 16 avril; c'est lui qui,
vaincu dans ces deux rencontres, releva la tete au i5 mai, et qui,
battu encore, chercha à venger toutes ses défaites dans le sang de

l'insurrection de Juin.
A chacun de ces mouvements, on voyait le bras et la pensée

des réformateurs; mais leur insuccès politique, non moins que les

échecs de leurs utopies , les firent tomber en discrédit. Désormais


la propagande révolutionnaire, au lieu de procéder par la force,
essayera des moyens pacifiques. Les meneurs comprirent qu'ils avaient
dans le suffrage universel un moyen à la fois légal et sûr de

regagner le terrain perdu et de prendre barres sur leurs adversaires.


A la suite de la journée du i3 juin 1849, dans laquelle la démagogie

parisienne subissait une défaite que répercutait bientôt celle de la

démagogie cosmopolite à Rome, les représentants du peuple qui


avaient jeté le cri d'insurrection se trouvant ou exilés ou déchus,
trente sièges vinrent à vaquer. Le socialisme devint le mot d'ordre
des élections; il triompha deux fois à Paris. Sa discipline éclata

aux veux, et, bien qu'il eût éprouvé dans les départements quelques

échecs, l'opinion publique resta plus frappée de ses triomphes


îS IiRUMAIRK AN VIII — 1SS2

et s'en elfraya. Elle comprit qu'il s'accomplissait, dans le parti


républicain , une évolution. Il ne s'agissait plus d'équipées comme au

17 mars, au i(> avril, ni d'attentats contre le parlement comme au

i5 mai et au i3 juin, ni d'insurrections sanglantes comme au 24 juin:


ces temps de brutale intervention du peuple étaient passés. Douce
ment , pacifiquement, bénignement, la propagande socialiste s'insi
nuait dans le pays sous le prétexte de le républicaniser. Chaque
réponse du scrutin en trahissait les progrès, et Ton sentait que, lente

ment, par le développement normal du suffrage universel, les passions


démagogiques, plus dangereuses sous un gouvernement républicain
que sous tout autre, allaient déborder sur le pays.

De là, la loi du 3r mai x85o, rendue sous les auspices de M. Thiers,


et qui, par divers artifices, obtenait la suppression de trois millions
d'électeurs; de là, les lois contre les clubs et contre la presse-, de là,
la loi du i3 mars ï85o, qui organisa la liberté de l'enseignement
secondaire, loi radicale de défense sociale; de là, toutes ces mesures
de conservation que la majorité monarchique de l'Assemblée prit avec
autant de rapidité que de décision et d'ensemble.

Ces terreurs étaient-elles vaines ? N'avaient-elles pris naissance que


dans l'imagination réputée bouffonne de M. Romieu, l'auteur du Spec-
tre rouge, et de quelques timides bourgeois, clients du Constitution
nel? Cependant, à la même date, Proudhon, sans indignation, sans
amertume, du même calme, de la même sérénité métaphysique avec
laquelle, le 25 juin 184(8, il allait, sur la place de la Bastille, « con
templer la sublime horreur de la canonnade », signalait à l'horizon des
perspectives qu'un avenir prochain faillit réaliser: « Blanqui, écrivait-
il,

est l'incarnation des vengeances populaires; est, comme Marat


il

une des faces hideuses, mais malheureusement logiques, nécessaires, de

Révolution...
la

Blanqui aura son heure, est inutile de nier;


le
il

il
y

aurait de l'imprudence, presque de l'injustice faire obstacle. Ce


à
la y

qui s'ensuivra, sans doute, sera dissolution France,


la

de n'est
si

ce
comme nation, du moins comme État. Mais l'État français
la

chute de

entraînera celle de tous les États européens; travers bacchanale


la
à

des sectes, des partis, des factions, des banqueroutes, des guerres
LA RÉVOLUTION

civiles, des proscriptions, nous arriverons, d'épreuve en épreuve, à la


pratique pure et simple de la liberté. Je me sens digne de protester
contre tout ce que ma conscience réprouve, mais je ne veux pas de
rôle dans cette ronde d'hydrophobes L »

La révolution de 1848 réalisa sans obstacle toutes les folies que la


révolution républicaine de i83o eût voulu faire, mais dont elle avait
été empêchée par l'avènement subit de Louis-Philippe : désordres
chroniques à l'intérieur, vie à main armée, effondrement du com
merce, de l'industrie, des affaires, propagande révolutionnaire hors
des frontières. Le discrédit diplomatique qu'avaient rencontré les

hommes de i83o, et dont ils n'avaient réussi que péniblement à se

relever, aurait été plus complet en 1848 si les puissances européennes


n'avaient été, elles aussi, secouées par l'ouragan , et si elles n'avaient eu

à se défendre contre l'ennemi du dedans avant d'atteindre la main d'où


semblait partir la tempête. Il est même permis de douter que la France,
malgré ses prétentions à régenter le monde et, comme Jupiter, à le

faire trembler .au seul pli de ses sourcils, ait eu sur les événements
d'Europe en 1848 une influence décisive. La Révolution fut beaucoup
moins française qu'européenne; partout où elle éclata, à Rome, à

Naples, à Vienne, à Berlin, ce fut en vertu d'une force locale; il y


eut autant de volcans que d'éruptions. Mais partout aussi, et la

remarque s'applique à l'Europe comme à la France, les revendi


cations révolutionnaires trahirent un dessein plus matérialiste et plus
bas que par le passé; partout, à l'heure de la réaction, l'éducation du
peuple fut à reprendre dans ce qu'elle a de plus élémentaire, comme
si la barbarie avait passé sur ces générations et avait dévasté tout ce

que les siècles y avaient déposé d'esprit chrétien ou de sens commun.

La honteuse propagande des Marr, des Dœleke, des Weitling et de

leurs confrères en matérialisme avait réussi.


Si l'on juge la révolution de 1848 dans sa politique, elle avorta
misérablement : les républicains furent usés avant d'être vaincus, ils
tombèrent avant d'être renversés. Si on la juge d'après ses doctrines,

1. Correspondance de Proudhon. Lettre du 14 août 185 1. La phrase citée plus haut fut
prononcée par Proudhon devant la commission d'enquête nommée après juin 1848.
iS BRUMA1KK AN VIII— 1882

jamais plus pitoyables mécomptes ne confondirent l'orgueil de plus en

têtés réformateurs. Si on la juge d'après ses efforts de propagande à

l'extérieur, ses émissaires furent partout repoussés, de Savoie, d'Alle


magne et de Belgique. Mais quels qu'aient été ses échecs , elle a un
titre indiscutable : celui d'avoir proclamé le suffrage universel , c'est-à-

dire d'avoir mis à la portée de tous indistinctement, ignorants ou sa

vants, pauvres ou riches, contribuables ou non-contribuables, gens

UNE PATROUILLE DU « PATRIOTES » EN I 8 48


Dessin tire de l'ouvrage intitulé Noies cl croquis de Raffct, publics par A. Raffct fils; Paris, Arnaud -
Durand, éditeur. — A la suite du décret du 21 juin dispersant les ouvriers des ateliers nationaux, les
soi-disant « patriotes » organisèrent une insurrection dans laquelle périrent les généraux Hréa, Duvivier,
Négrier, etc., et enfin Mgr Alfre, archevêque de Paris, au moment ou il tentait de mettre un terme à la
guerre civile.

tarés ou gens honorables, les destinées de toute une nation; d'avoir


livré à ce despote inconscient les particuliers et l'Etat, la vie publique
et la vie privée; d'avoir réduit à une question de majorité les plus
hauts intérêts comme les plus humbles; en un mot, d'avoir transporté
au nombre ce qui avait semblé jusque-là devoir être l'apanage du
mérite personnel : puissant élément jeté dans la vie d'un peuple,
mais puissant pour le mal, et qui, s'il n'était combattu, achèverait
promptement sa ruine. Voilà Tunique et triste originalité de la révo
lution de 1848.
-M4 EVO LUT ION

S 5. — le si- c OND l:mimri:.

Il y avait deux hommes dans Louis-Napoléon Bonaparte.


L'un était l'homme d'ordre, et d'ordre monarchique. — Quelques
années après sa tentative de Strasbourg, le 2 juillet i838, il écrivait
au lieutenant Laity : « Si un jour les partis renversaient le pou

voir actuel (l'exemple des cinquante dernières années nous permet


cette supposition), et si, habitués qu'ils sont depuis vingt-trois ans à

mépriser l'autorité, ils sapaient toutes les bases de l'édifice social,


alors peut-être le nom de Napoléon serait-il une ancre de salut pour
tout ce qu'il y a de généreux et de vraiment patriote en France. » —
Candidat à la présidence de la république, son nom parut un gage

de stabilité et de paix. — Le soir du i3 juin 1849, quand la tentative


des émeutiers eut été déjouée plutôt que vaincue, dans une procla
mation au peuple français : « Il est temps, dit-il, que les bons se

rassurent et que les méchants tremblent. » — Le coup d'Etat ne parut


d'abord qu'une conquête violente du pouvoir; mais, quand les excès

de la ligue du Sud-Est, les cruautés sans nom de Bédarieux et de

Béziers, les émeutes de la Nièvre, du Var et de tant d'autres dépar


tements, eurent démontré qu'un parti brutal et sanguinaire avait guetté
l'échéance de 1S 5 2 , et qu'en se résignant au despotisme d'un seul
elle avait chance d'échapper à celui des socialistes, la France respira et

salua par des millions de suffrages l'audacieux défenseur de l'ordre et

le protecteur de la paix sociale. Qui ne se souvient des six premières

années de l'empire, de la prospérité matérielle qui s'épanouit avec

éclat; des succès de la France à l'extérieur, succès militaires et diplo

matiques; de la prépondérance et de l'autorité qu'avait obtenues sa

politique? La liberté était voilée, bien des droits étaient atteints,


mais, à côté de justes griefs, que de satisfactions données à l'ordre,
à la religion ! Il n'est pas interdit de croire que cette politique fran
chement restauratrice recevait sa récompense dans les succès qui
venaient la couronner.
L'autre homme, non plus que son oncle, n'avait dédaigné dans sa
18 BRUMAIRE AN VIII— 1882

jeunesse de nouer des relations dans le camp révolutionnaire; arrivé


au trône, en pleine possession de la puissance, en pleine maturité de

l'esprit, il ne renonça ni à ces sentiments ni à ces alliances. Le jeune


prince qui, en [832, avait combattu à Forli les troupes du Pape,
l'initié aux sociétés secrètes d'Italie, se retrouva jusque dans le sou
verain qui, en 1849, d'une main rétablissait le pouvoir temporel, et

de l'autre écrivait la lettre à Edgar Ney. Bientôt, la liberté qu'il


assurait à l'Église, la protection dont il couvrait le pouvoir temporel
du Pape, offusquèrent quelques-uns de ses amis, ceux qu'il avait
connus dans l'exil, d'autres qui s'étaient convertis à l'ordre sans

accepter les lois morales et religieuses qui en sont la source et la

garantie. On lui donna à entendre qu'il s'était mis entre les mains
du clergé et, naturellement, des jésuites; on remua le fond de

voltairianisme que les puissants croient de bon ton de garder et que

les hommes à mœurs légères retrouvent volontiers. Il y avait là des


saint-simoniens , encore plus tourmentés de leur haine contre le
christianisme que satisfaits de la carrière industrielle largement ou
verte devant leurs appétits. Il y avait là des Mécènes sceptiques et

relâchés qu'offusquait un reste de dignité, et qui voulaient vivre à

l'aise et sans gêne, dans leur milieu vulgaire de passions financières


et de moeurs à la Régence. Il y avait là enfin, mêlés de gens de
toutes sortes, exotiques et indigènes, des hommes à petite instruction,
à petit esprit, à petites vues, mais qui, dévoués à l'Empire, rêvaient
volontiers pour lui quelque chose de grand ou de théâtral.
La question d'Italie fut l'occasion. Avec quelle ardeur l'empereur
la saisit ! Il y trouvait comme un regain de jeunesse. La cause
était pleine de séductions : n'allait-il pas affranchir l'Italie d'un joug
séculaire et créer au pied des Alpes un grand peuple qui serait
doublement notre allié, et par le voisinage, et par la reconnais
sance? Quant aux aventures qu'allait courir le pouvoir temporel du
Pape, ou sa pensée ne s'y arrêtait pas, ou bien il se laissait dire
que, ce pouvoir par lui combattu naguère, il ne l'avait défendu depuis
que sous l'inspiration de personnes hostiles à sa dynastie ; qu'il l'avait
même trop défendu peut-être , sinon pour sa gloire, du moins pour
44
LA RÉVOLUTION

sa bonne réputation vis-à-vis des démocrates. Tout cela, dès les

premiers jours de la présidence, il l'avait promis à ses amis d'Italie;


il l'avait voulu, il l'aurait tenté alors, s'il eût été abandonné à

lui-même : M. Thiers et le régime parlementaire l'avaient arrêté.

Libre désormais , il pouvait agir.


Il était libre, et puissant à ce point qu'il dictait alors la loi à l'Eu
rope (c'était au moment du congrès de Paris, après la prise de Sébasto-

pol), et que, touchant aux affaires d'Italie, il le pouvait faire en maître,


et en maître généreux. Il garda pour lui seul, en France du moins,
le secret et la direction de l'entreprise. Dans ces conjonctures où

l'argent, le sang et l'avenir du pays allaient se trouver si gravement

engagés, l'empereur ne voulut pas d'autre responsabilité que la sienne,


d'autre confident que lui-même. Je me trompe : c'est avec Cavour

qu'il prépara cette entreprise; c'est dans des conversations confi

dentielles avec le ministre italien qu'il en régla les détails financiers,

diplomatiques, militaires; c'est de concert avec lui qu'il détermina le

prétexte de la guerre, les avantages respectifs, les répartitions de terri


toires, les alliances, cela dès le mois de juillet i858*; le vrai ministre
de l'empereur fut un ministre étranger.
Il parut le maître, il ne l'était pas. Cette question d'Italie, si chère
à l'empereur, devint l'embarras de son règne. Que de mécomptes

successifs! Trois victoires avaient suffi pour achever la guerre; mais

le traité de Villafranca ne satisfaisait ni le roi de Piémont, ni

Cavour, ni les Italiens. L'empereur avait tracé un programme d'or

ganisation il l'Italie : aucun point de ce programme ne se réalisa. Où

l'empereur voulait la fédération, le parti démocratique italien comme le

parti de la cour voulaient l'unité. L'empereur souhaitait le rétablissement


des ducs : ils furent chassés. Avant d'entrer en campagne, aux alarmes

des catholiques et des évêques , l'empereur avait fait répondre par le

ministre des cultes : « L'empereur y a pensé devant Dieu; sa sagesse

et sa loyauté bien connues ne feront défaut ni à la religion ni au

pays; il est le plus solide soutien de l'unité catholique, et veut que le

chef de l'Église soit respecté dans tous ses droits de souverain tempo-

i. Lettre de Cavour au général Alphonse La Marmara, Baden, 24 juillet 1858.


i8 BRUMAIRK AN Vlll —

rcl. » Or la Révolution détachait successivement les domaines du


Pape, et l'empereur lui-même proposait de réduire le domaine ponti-

A SSI E T T E DITE DE B R A CQUEMO NT


D'après une faïence do la collection do M. do Liesvillc, à l'hôtel Carnavalet. — lu aigle, figurant IT.mpire,
regarde avec effroi un bonnet phrygien placé dans un cercle lumineux entouré de rayons. Celte pièce
satirique, exécutée à dis exemplaires, se rapporte à Pépoque ou l'Empire hésitait à entrer dans la voie des
concessions « libérales ».

lical à la ville de Rome, ou, comme on disait alors, au Vatican avec


un jardin. Enfin, l'un des scandales diplomatiques les plus effrontés
348 LA RÉVOLUTION

était donné au monde : sous le couvert d'un chef de bandes, tour à

tour désavoué et glorifié, Victor-Emmanuel prenait possession du

royaume des Deux-Siciles , avec la complicité presque active de l'An


gleterre et devant le gouvernement français silencieux. Tout, en Italie,
marchait au gré des envahisseurs.
Entre l'Italie et l'empereur, un seul point restait à débattre :

Rome. Lié par ses déclarations antérieures, par les convenances diplo
matiques, par l'opinion unanime des catholiques, par certain amour-
propre qui, après avoir si souvent fléchi, avait besoin de résister au
moins une fois, retenu enfin par la conviction que les Italiens, n'ayant
plus besoin de la France, oublieraient vite tout ce qu'ils lui devaient,
l'empereur demeurait fidèle au Pape , et , même en retirant ses trou

pes, protégeait de loin l'étroit et brillant réduit où s'était retranchée


la souveraineté pontificale. De son côté, l'Italie promettait de ne

pas s'emparer de Rome par la force, tout en réservant les moyens


moraux, ceux-là sans doute dont elle avait usé pour envahir les

duchés, les légations, la Romagne et le reste. Toutes les concessions

que l'empereur avait faites, tous les services qu'il avait rendus à

l'Italie disparaissaient ou perdaient leur prix devant ce petit territoire


qu'il semblait leur refuser. L'alliance qui existait entre les deux pays
n'était plus que de forme, et déjà les Italiens cherchaient un autre
allié plus puissant, plus complaisant et moins voisin de leur frontière.
Voilà à quoi avait abouti la guerre d'Italie.
A l'intérieur, elle avait eu un autre effet. Les catholiques avaient
été froissés de toutes les atteintes portées au pouvoir temporel du

Pape, et, sentant que l'empereur avait prêté l'oreille aux révolution
naires, ils réservaient la confiance qu'ils lui avaient donnée au
début de l'empire. Républicains et radicaux gagnaient du terrain :

l'œuvre italienne, quoiqu'elle ne fut pas faite par eux, était la leur,

répondait à leurs vœux, et telle avait été la nature des moyens

employés qu'ils reconnaissaient dans les acteurs de ce drame des

hommes de leur camp et des partisans de leurs idées intimes. La


diplomatie s'était d'abord étonnée, scandalisée; les empereurs et les

rois avaient rappelé leurs ambassadeurs, blâmé les procédés déloyaux,


i8 BRUMAIRE AN VIII — 1882 34<j

stigmatisé la violation effrontée des traités, du droit des gens, des


relations de voisinage; puis on trouva l'exemple bon à imiter, et,
dans la guerre que l'Autriche et la Prusse, encore alliées, firent
bientôt au Danemark, le comte de Bismark prononça le mot fameux,
résumé de l'œuvre italienne, programme de la diplomatie de l'avenir :

« Machl vor Redit, la force avant le droit»; maxime de barbares, ou


plutôt maxime révolutionnaire, sous laquelle allait succomber le droit
des gens européen.

Faut-il poursuivre et marquer pas à pas les progrès de la décom


position de la France correspondant aux accroissements extraordinaires
de la Prusse ; l'Italie agrandissant son territoire à la suite de défaites
auxquelles son alliance avec la Prusse donna l'effet de victoires; l'Au
triche abaissée, mais la France atteinte elle-même des coups qu'elle
avait laissé porter à l'Autriche; les illusions d'un éclat trompeur à

l'Exposition de 1867; les mœurs affaiblies, l'esprit matérialiste s'en-


hardissant, l'incrédulité osant s'étaler jusqu'au Sénat, les folles paroles
des réunions publiques devenues comme le tocsin d'une guerre sociale,
l'idée de patrie s'affaissant dans le naufrage des sentiments moraux
et religieux; enfin, cette guerre déplorable, qui débuta par des défai
tes et se continua par l'effondrement de l'Empire et la mutilation de
la France ? Evénements si récents que le souvenir et la douleur en
sont encore présents à tous; désastres effroyables qui auraient dû
tourner en leçon, si nos organismes moraux n'étaient, suivant le mot
d'un ancien, aussi incapables de se résigner au remède que de sup
porter le mal.

S 6.
— DOUZE ANS DE REPUBLIQUE.

Au cours de sa longue histoire, la France essuya plus d'un grand


revers. A Crécy, à Poitiers, à Azincourt, elle vit tomber la fleur de
ses chevaliers et de ses hommes d'armes; un de ses rois fut prison
nier en Angleterre; un autre, chassé de Paris, errant dans le royaume
avec un tronçon d'armée, apprit un jour que le roi d'Angleterre
venait d'être sacré roi de France à Notre-Dame. Louis XIV eut, lui
35o LA RÉVOLUTION

aussi, ses jours de deuil national; mais, plutôt que de consentir à des
conditions honteuses pour la France, il fit un nouvel appel à la

noblesse et au peuple, et, malgré la disette, malgré les ruines que

la guerre avait faites , la France lui fournit les moyens de soutenir la


lutte et de parvenir à un traité avantageux. Il y avait alors, quels que
fussent d'ailleurs les abus de la royauté (eh ! en manque-t-il aujour
d'hui pour que le présent se montre sévère à l'égard du passé?), il y
avait alors un phare que dans la tempête tous apercevaient et respec
taient, un foyer d'union auquel tous se ralliaient : dans la prospérité,

c'était le principe consenti par tous qui formait le lien de tous les

intérêts: dans la mauvaise fortune, c'était la ressource suprême, et,


pour sauver le royaume, ni les citoyens ne songeaient à renverser le

roi, ni le roi à déposer sa couronne.


Dans la France moderne, il en va tout autrement. Après vingt ans
de combats, un soldat, acclamé jadis comme un sauveur, voit deux
fois la victoire infidèle à ses drapeaux : les sénateurs qu'il a nommés

et enrichis s'empressent de prononcer sa déchéance et l'empereur


d'abdiquer. Il semble qu'entre la nation et lui il n'y ait eu qu'un con

trat d'aventure, révocable à toute heure et dont la fortune dispose bien

plus que la volonté des contractants. Plus tard, un neveu de cet homme

unique a, lui aussi, l'honneur d'être désigné à son tour comme le

sauveur prédestiné de cette société française toujours voisine de l'abîme.

Un revers arrive : ce souverain , qu'avaient intronisé naguère plusieurs


millions de suffrages; qui, six mois auparavant, après vingt ans de

règne, n'avait pas hésité à demander au suffrage universel une nouvelle


consécration et qui l'avait obtenue éclatante, succombe à son tour,
vaincu. Il rend son épée. Au même instant, Paris s'insurge, l'institu
tion impériale tombe comme d'elle-même, et la nation, complice ou non,
laisse faire, oubliant que sa destinée et sa propre existence sont

l'enjeu de cette révolution accomplie d'un cœur léger 'en face d'un

ennemi triomphant.
Si la France se sépare sans chagrin de chacun des gouvernements

qu'elle avait tour à tour acclamés, en revanche elle accueille les nou

veaux non pas au nom de leur droit, mais au nom de la nécessité.


iS BRUMAIRE AN VIII — 1882 35 1

Toujours près de sombrer, à chaque crise, elle appelle au secours. C'est


au nom de la nécessité que les révolutionnaires de l'hôtel Laffitte

ASSIETTE DITE D^ARAGO


— Cette pièce est unique
D'après une faïence de la collection de M. de Liesville, à l'hôtel Carnavalet.
et rappelle le rétablissement de la mairie de Paris le 4 septembre 1870, qui était comme le prélude du réta
blissement de la Commune. — k Les hommes qui, en montant au pouvoir après la catastrophe de Sedan,
avaient accepté charge d'àmes, n'ont point pris la peine de guider la population de Paris... ils Font laissée
flottante entre l'oisiveté, l'ivrognerie et l'énervement de la défaite; les maîtres de la revendication sociale
n'ont pas eu beaucoup d'efforts a faire pour s'en emparer, et l'un des plus grands crimes de notrcMiistoire a
été commis. » (Maxime du Camp, Les convulsions de Paris, I, p. 348.)

avaient salué roi Louis-Philippe; c'est au nom du salut public que le


Gouvernement provisoire s'était emparé de la dictature; que Cavaignac
352

avait été nommé chef du pouvoir exécutif; que Louis-Napoléon Bo


naparte avait été élu successivement président de la république, et

empereur. Triste mode pour la souveraineté nationale de ne s'exercer


que sous le poids d'une fatalité qui lui dicte son choix avant qu'elle
l'ait fait librement! En 1870, la députation de Paris n'avait pas plus
de droit à saisir en mains le gouvernement de la France; aussi, pour
colorer son usurpation, avait-elle pris le nom de « Gouvernement de

la défense nationale ». En réalité, c'était la république qui s'introdui


sait furtivement, avec la prétention de défendre toute seule le territoire
et d'accaparer la gloire d'avoir sauvé la France !

L'événement déjoua cette ambition, et ce fut celui môme qui


avait écrit, au lendemain du 4 septembre : « Nous ne céderons ni
un pouce de notre territoire ni une pierre de nos forteresses » ,

qui mit sa signature au bas du traité de Francfort, ce traité qui nous


dépouillait de deux riches provinces conquises par la royauté et qui
imposait à la France une rançon de cinq milliards. Mais, de même

que les républicains n'avaient pas trouvé indigne de leur patriotisme


de se révolter contre l'Empire au milieu de ses défaites et de dé

membrer, en face de l'ennemi, l'organisation générale, il arriva que,


pendant les angoisses du siège, quand toutes les pensées et tous les

efforts eussent dû se concentrer sur la défense, des hommes qui n'al


laient pas au rempart, et dont la lâcheté dans les tranchées avait été

dénoncée par leur général, n'hésitèrent pas plus que leurs aînés à

fomenter la dissension intérieure. Ces braves n'attendaient qu'une


sortie de l'armée régulière pour s'emparer à leur tour du pouvoir,
et les usurpateurs du 4 septembre furent réduits à se défendre à la
fois et contre le Prussien dont le canon atteignait les forts, et contre
des bataillons français en révolte. Paris capitula : Jules Favre, aveugle
et faible jusqu'au bout, crut avoir gagné beaucoup sur l'intraitable
négociateur allemand pour avoir obtenu que les troupes livrassent leurs
armes et que les gardes nationaux retinssent les leurs. En réalité, il
ne publiait que sa double impuissance et contre l'ennemi du dehors
et contre celui du dedans.

Enfin, nous les avons vus à l'œuvre, ces révélateurs d'un monde
LA REVUE DES GARDES
DE LA VILLE DE PARIS

AQUARELLE DE NICOLE, DIX-HUITIEME SIECLE

D'après l'épreuve communiquée par M. Ruggieri, à Paris. — La revue des gardes

dont l'habillement a été renouvelé, en prévision du mariage de M. le dauphin

(Louis XVI), se passe en présence de Bignon, prévôt des marchands, Viallard,


Bouches d'Argy, de Laix et de La Rivitot, échevins, Jolliver de Vannes, procureur

du roi, et Taitbout, greffier-archiviste; leurs armoiries figurent au bas de la gravure.

C'est une scène de la vie municipale sous l'ancien régime.

Alors les communes s'administraient elles-mêmes par des magistrats élus dans

l'assemblée générale des habitants réunis sur la place publique, dans l'église ou

à Thôtel de ville. Supposons « qu'un Français du dix-neuvième siècle pénètre

dans une commune du moyen âge;... les bourgeois se taxent, élisent leurs magis

trats, jugent, punissent, s'assemblent pour délibérer sur leurs affaires; tous

viennent à ces assemblées; ils ont une milice, en un mot, ils se gouvernent, ils

sont souverains. Le Français du dix- neuvième siècle ne peut en croire ses yeux ».

(Guizot, La Civilisation en Europe, p. 192.)

L'hôtel de ville devant lequel a lieu la revue est le même qui a été incendié

par la Commune) le 24 mai 1871.


ImpLerr.ercier4tC'ePi«n!
i8 BRUMAIRE AN VIII — 1882 353

nouveau. Proudhon disait que Blanqui devait avoir son heure : cette
heure était venue. Suivant la vieille théorie du maître, on débuta par
l'assassinat, on continua par l'assassinat et l'on finit par l'assassinat.
Le 18 mars, Clément Thomas et Lecomte, à Montmartre; le 22 mars,

FAC-SIMILÉ RÉDUIT D^TN AUTOGRAPHE DE RAOUL RÏGAULT


D'après VAutographe de 1S70-1871, ir0 série. — Le 23 mai, Raoul Rigault commanda lui-même le peloton
d'exécution de Gustave Chaudey; le lendemain, il présidait aux incendies de la rue du Bac et du carrefour
de la Croix-Rouge. « Il a mené à la préfecture de police, a écrit Rossel, l'existence scandaleuse d'un viveur
dépensier, entouré d'inutiles, consacrant à la débauche une grande partie de son temps. » (Maxime du Camt,
Les convulsions de Paris, I, p . 167.) — Voici le texte complet de l'autographe ci-dessus reproduit :

Latronche, Floréal an 79, 9 h. du soir.

Fusillez l'archevêque et les otages; incendiez les Tuileries et le Palais-Royal, et


repliez- vous sur la rue Germain-des-Prés. Le Procureur de la Commune
Ici tout va bien. Raoul Rigault

nombre de citoyens sur la place Vendôme; à la fin de mai, les otages:


voilà le bilan de la Révolution communale. Et pourquoi ces meurtres ?

Le voici. On se sépare ainsi du bourgeois timide qui ne veut pas


admettre qu'une révolution se scelle dans le sang ; on s'assure que les
adhérents du nouveau régime auront brisé avec le passé et n'auront
45
j?4 LA REVOLUTION

/Z^fc" : /S * ^~
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LETTRE DU P. BOURARD, MASSACRE LE 25 MAI I 8 7 I


Fac-similé de la lettre originale, communiquée par M. Victor Pierre, à Paris. — Le P. Bourard,
compagnon du P. Captier, fut massacré avec lui. On voit par cette lettre que les Dominicains
soignaient dans leur maison cTArcueil les blessés insurgés.
18 BRUMAIRE AN VIII - 1882 355

plus aucun lien, même d'honnêteté, qui les y retienne. Libre ensuite
aux chefs de la révolution de désavouer les meurtriers, d'invoquer la
colère du peuple et de rejeter sur cette collectivité sans responsabilité
morale les forfaits qui auront fondé et inauguré le nouveau régime.
Pour l'instant, on est maître"; et c'est ce qu'il faut.

LA MORT DU P. CAPTIER, LE 25 M AI I 8 JI
Marbre blanc, sculpté par M. Bonnassieux, pour être érigé dans le jardin do l'école Albcrt-le-Grand,
à Areueil. — Le P. Captier tombe en adressant ces paroles à ses compagnons: « Mes enfants... pour le bon
Dieu et pour la France! n — En même temps que le P. Captier, directeur de l'école Albert-le-Grand,
périrent quatre religieux dominicains et huit autres otages appartenant tous au personnel de cette école.
Le massacre du P. Captier et de ses compagnons avait été précédé du massacre de la Roquette et fut
SUÎvlJde celui de la rue Haxo.

Le gouvernement de M. Thiers lit aux. insurgés la partie belle. On


allait dans les ministères, dans les administrations, dans les postes :

ministres, soldats, employés, tous étaient partis. Ces fortifications,


destinées à « embastiller Paris», disait, en [840, l'opposition républi
caine, M. Thiers les abandonnait sans combat aux insurgés de Paris;
356 LA RÉVOLUTION

ces forts, que les Prussiens venaient de quitter, étaient évacués en hâte

et c'était l'armée communale qui venait y relever l'armée régulière. Peu


s'en fallut que le mont Valérien ne tombât, lui aussi, entre les mains

de Lullier et de sa bande. L'histoire aura à juger non pas seulement


si cet abandon de Paris et des forts était commandé par une nécessité
militaire, mais si M. Thiers, en fournissant à la résistance parisienne
de si nombreux moyens de se prolonger, n'avait pas la secrète pensée

de se rendre plus nécessaire, d'énerver par l'attente les essais de restau

ration monarchique et de consolider la situation provisoire dont il


était le chef. Pourquoi ces députations, venant de Lyon et d'ailleurs,
insistant auprès de M. Thiers pour qu'il s'engageât en faveur de la

République, députations provoquées sans doute et auxquelles M. Thiers


prétendait plus tard, on pourrait demander de quel droit, s'être engagé

au nom de la France? Pourquoi ces bruits, si complaisamment ré

pandus, que la République était en danger si l'on ne faisait des

concessions à la ville de Paris? La République en danger? — Et la

France, n'était-elle pas encore plus en danger, alors que cette révolu
tion irritait et les honnêtes gens, fatigués de la lenteur de la répres

sion, et les Allemands qui menaçaienteux-mêmes de mettre ordre à

cette émeute que M. Thiers laissait trop durer?


Deux mois après avoir quitté Paris, l'armée y rentra-, une semaine

s'écoula encore, et la résistance fut définitivement vaincue. Fusillades


sommaires sur le vaste champ du combat; long convoi de prison
niers se déroulant du cimetière du Père-Lachaise jusqu'à Versailles;
entassement des insurgés dans l'Orangerie, plus tard sur les pon

tons; interminables jugements des conseils de guerre; nombreux

départs des condamnés pour la Nouvelle-Calédonie : voilà les

suites de cette guerre civile. Il faut reconnaître qu'en 1871 des

procédures régulières remplacèrent le système des commissions mili


taires et de la transportation sans jugement qu'avait imaginé, après

juin 1848, le gouvernement du général Cavaignac. Mais sous quel


roi de France vit-on des insurrections aussi terribles suivies de

répressions aussi extraordinaires ? La première République avait le

privilège de Féchafaud et plus tard de la déportation ; la seconde


i8 BRUMAIRE AN VIII — 1882
357

transporta sans jugement et par voie de commissions; la troisième


se vit réduite à convoquer plusieurs conseils de guerre pour juger

LA PORTE DU CHŒUR DE L'ÉGLISE ABBATIALE DE SOLESMES


État actuel, d'après une photographie communiquée par M. E. Cartier, à Solesmcs. — La porte est en
partie défoncée. Ou y voit, ainsi que sur la fenêtre voisine, les scellés qui furent apposés après l'expulsion
des religieux. La première expulsion eut lieu le 6 novembre 1880, et la deuxième, le 22 mars 1882. (Voy.
E. Cartier, Les moines Je Solesmes, Expulsions. )

une armée d'insurgés. Insurrection et répression ont suivi un


progrès parallèle. Triste perspective pour l'avenir! La lutte prend,
à chaque crise, des proportions plus grandes; et qui nous dira
35S LA RÉVOLUTION

si la prochaine guerre sociale, au lieu de se concentrer dans Paris,


ne s'étendra pas aux grandes villes de France et à des provinces
tout entières ?

En présence des ruines matérielles qu'avait faites la guerre de

1870 et des ruines morales qu'elle avait révélées; après les sauvages
horreurs de la Commune, les laideurs repoussantes qu'elle avait éta

lées, son épouvantable sang-froid dans le crime, le devoir de tout

Français n'était-il pas de s'interroger soi-même et de se demander s'il


n'avait pas pour sa part contribué à amener ces hontes et ces désas

tres ? s'il avait bien vécu, ou si, tout au contraire, il n'avait pas
donné l'exemple de ces mauvaises mœurs qui énervent toute croyance

divine et humaine? s'il n'avait pas été trop attaché à sa fortune, aux
jouissances matérielles, aux destinées égoïstes de sa famille? s'il n'avait
pas oublié ses frères, sa foi, sa patrie? Cet examen de conscience ac

compli, il avait une grande résolution à prendre, résolution que lui


dictait tout au moins le patriotisme, celle de substituer dans sa vie à

la jouissance la modération , aux désirs ambitieux l'abnégation et le

sacrifice, aux mœurs relâchées la dignité, sinon l'austérité absolue de

la conduite.
Voilà quel était le devoir de tout citoyen : les hommes politiques
en avaient un autre. C'était de reconstituer la France sur les bases de

ses traditions séculaires, de l'arracher à l'étreinte révolutionnaire, de

faire rentrer dans ses institutions les principes chrétiens, et, à tous

ceux qui invoquent les droits de l'homme, de rappeler les droits de

Dieu sur les sociétés et les devoirs des sociétés envers lui. La Révo
lution avait fait ses preuves : ceux qui en étaient sortis n'avaient su

conserver ni défendre la France de t 789 , telle que la royauté l'avait


faite ; elle n'avait pas su davantage conserver la paix sociale. Que
fallait-il donc ? une réaction énergique, non pas contre l'esprit légitime
de réforme qui, à l'aurore de la Révolution, animait tant d'hommes

sages et le roi lui-même, mais contre cet esprit de destruction et

de révolte qui avait tout sapé, croyances et institutions, et qui ne


laissait ni dans les âmes le respect de l'autorité, ni dans l'État une

autorité méritant le respect.


18 BRUMAIRE AN VIII— 1882

Cette œuvre, que le parti monarchique avait essayée dans l'Assem


blée législative de 1849 ct dont 'a i°i sur ^a liberté de l'enseignement
secondaire avait été l'une des plus bienfaisantes manifestations, l'As-

LA RÉVOLUTION ET LEUROPE
D'après une gravure de la Bibliothèque nationale, dix-huitième siècle. — Un patriote, tenant d'une main
la Constitution républicaine, fait tourner de l'autre la roue d'une machine électrique dont la chaîne commu
nique avec les trônes de l'Europe; il tente de les foudroyer par le choc des principes révolutionnaires.
— « L'immense majorité des civilisations occidentales, les Anglo-Saxons, les
Germains et les Slaves ont
refusé d'entrer dans l'orbite » de la Révolution. « Non seulement elle est repoussée, mais elle est vaincue...
Elle est obligée de renoncer aux vastes ambitions, aux espérances illimitées, à l'infatuation de la propagande
universelle, arrêtée net devant le mur d'airain des faits inexorables, et réduite, au lieu de conquérir l'univers,
a ne plus subsister que par sa tolérance... Les Etats qui ont une politique parce qu'ils ont conservé
leur
monarchie séculaire, leur aristocratie, leur discipline traditionnelle, se partagent aujourd'hui la direction
de l'Europe en face de la France démocratique républicaine et annulée.»
(F. Lorrain, Le Problème de
la France contemporaine, pp. 291, 292, 320.)

semblée nationale de 1871 la reprit avec courage : elle l'eût achevée


si elle avait porté dans les choses politiques l'initiative hardie avec
36o LA RÉVOLUTION

Fac-similé d'une lettre adressée par le Cercle anticlérical de Gènes à M. Margotti, directeur
de YUnità Catlolica, à Turin. D'après l'original communiqué par M. Margolti.

ciRooj-o *****
f*~f*„ mi
ANTICLERICALE
O ENOVA
j8 BRUMAIRE AN VIII 1882 36i

TRADUCTION DE LA LETTRE REPRODUITE CI-DESSUS


CERCLE
ANTICLÉRICAL Gènes,> 27 juin 1882.
DE GÊ NES
Honoré Monsieur,
Le conseil du Cercle anticlérical, interprète des sentiments des sociétaires,
remercie Votre Seigneurie du splendide article de réclame La bannière de
Satan, etc., paru dans le numéro 148, 27 juin 1882, du journal ÏUnità Catto-
lica; et, admirant l'exquise amabilité avec laquelle vous informez les catholiques
de l'inauguration d'une bannière que, si notre pouvoir correspond à notre
volonté, nous arborerons sur toutes vos églises et sur le Vatican, l'église des
églises, il vous envoie de nouveau ses cordiaux remerciements.
Le Conseil,
Au très révérend seigneur Jacques Margotti,
Directeur de ÏUnità Cattolica, à Turin.
46
3 62

laquelle elle traitait les intérêts sociaux. En i85o, une grande question
avait été posée par les serviteurs mêmes du roi Louis-Philippe : celle

de la réconciliation des deux branches de la maison de Bourbon. Ils


avaient échoué. Mais, en 1873, à la suite d'une noble démarche de

M. le comte de Paris, cette réconciliation s'opéra et M. le comte de

Chambord fut solennellement reconnu par tous les princes d'Orléans


comme Tunique chef de la maison de France.
Par suite de quelles intrigues ou de quels malentendus ce rappro
chement entre les princes se réduisit-il à un événement de famille,
nous n'avons pas, dans ce rapide tableau, à le rechercher ou à en

tenter l'explication. Malgré la réunion des deux branches, malgré les

bonnes dispositions de l'Assemblée, en dépit de l'élan singulier, sur


prenant peut-être, qui avait comme un caractère populaire et qui
nous entraînait vers une nouvelle restauration des Bourbons, les

divisions des monarchistes subsistèrent, et, cette fois encore, la mo


narchie ne fut pas rétablie.
C'est de cette époque (octobre 1873) que la République, ayant
rencontré une imperceptible majorité, a pu se considérer comme la

forme légitime, quoique reconnue seulement provisoire et révisable,


du gouvernement de la France. C'est de cette époque aussi, qu'enhar
dis moins par leurs succès personnels que par les incertitudes de

leurs adversaires, les républicains ont refusé le budget et contraint


le président de la république à dissoudre l'Assemblée -nationale. Re
venus en force, dirigés par celui qui avait passé sa vie à les com

battre, ils obtinrent la démission du maréchal de Mac-Mahon :

M. Grévy fut élu à sa place. Désormais ils étaient les maîtres, et ils

nous le firent voir. Ces violences d'hier, la France en saigne encore :

ce n'est l'histoire ni de la République ni d'un gouvernement, c'est


l'histoire d'une tyrannie impudente, hypocrite, violant les propriétés,
à toute idée comme
forçant les consciences, déclarant guerre et haine
h toute institution religieuse, et qui, après avoir amnistié la Commune,

s'apprête à en réaliser légalement les programmes.

Que des hommes sans passé, sans études, sans expérience, le plus
souvent sans conscience politique, se livrent à ces aventures, on le
363

comprend : ils sont à la hauteur du suffrage qui les choisit et qui, non
plus qu'eux, n'a ni passé, ni études, ni expérience, ni conscience poli
tique. Mais comment admettre que des hommes éprouvés, expérimentés,

ayant science et mœurs, puissent sinon se donner, au moins se

prêter à un pareil régime, et s'imaginent que, par des concessions,

INNO A SATANA
te deir essere ricambiano
A

si
e
,

principio immenso, d' amor parole


,

materia spirito,
e

corre un frémi to Salutc, o Satana,


e

ragione senso;
e

imene arcano o ribellionc,


d'

mentre ne' calici da? monti palpita o forza vindicc


e

vin scintilla fecondo piano délia ragione !


il
il

corne anima
1'
si

te disfrenasi Sacri a te salgano


a

ne pupilla
la

gl'

verso ardito, incensi voti


il

!
i

mentre sorridono te invoco, Satana, Haï vinto Geova


il
o

la terra sole re del convito. de' sacerdoti.


il
e

HYMNE SATAN
A

Vers toi, principe infini de l'être, esprit et matière, raison et sens;


Tandis que dans nos coupes scintille vin, comme l'intelligence dans miroir
le

le

de l'œil
;

Tandis que soleil et terre échangent des sourires et des mots d'amour;
la
le

Tandis qu'un mystérieux frémissement d'hymen descend des montagnes et fait


la

palpiter plaine féconde;


Vers toi, s'élancent mes vers enflammés. Je t'invoque, Satan! roi de ce
ô

banquet.

Salut, Satan, Rébellion, Force vengeresse de la raison!


ô
ô

toi sacrifice de notre encens et de nos vœux Tu as vaincu Jéhova


A

le

le

des
!

prêtres.

LE CULTE DE SATAN AU DIX-NEUVIEME SIECLE


Strophes de Hymne Satan, composé par le poète italien Carducci. (Giosiuc C.vunvcci, Satana
J.
Y

polemiche salaniche, Bologna, Nicolas Zanichelli, édit.ï — L'Hymne Satan été chanté Turin, an
à

théâtre Alfieri, le dernier soir du carnaval de 1882, aux applaudissements d'un public eu délire. Ainsi se
trouve justifiée la parole de de Maistre La Révolution est satanique dans sou essence ».
J.

u
:
364 LA RÉVOLUTION

ils maintiendront leur influence et morigéneront leurs mandants ? Le


maréchal de Mac-Mahon Va cru, et il a été débordé. M. Jules Simon
Ta cru, et on l'a traité en rétrograde; M. Dufaure s'est retiré devant
les prétendus modérés de la République, après leur avoir livré celui
qu'il servait; tout personnage qui a prétendu gouverner a été par
cela seul suspect de conspiration contre la République. En vérité, on
serait tenté de croire que, dans l'esprit de ses partisans, la République
n'est pas un gouvernement, mais la constatation publique de l'absence

de gouvernement, ce que Proudhon appelait Van-archie.


C'est plus encore : car de ne permettre ni à la conscience chré

tienne de s'exprimer, ni à la propriété collective, si elle protège une

œuvre de charité, de s'organiser, ni à l'individu de se réunir à d'au

tres pour vivre avec plus d'austérité que dans le train ordinaire de la

vie; ni au père d'élever ses enfants à sa guise; ni au mariage de

maintenir sa dignité par l'indissolubilité; ni au sacerdoce de se recru

ter; ni à Tinstruction publique de se développer à tous les degrés


dans l'orbite d'une liberté honorable : tout cela, ce n'est plus un gou
vernement, mais le contraire d'un gouvernement.
Enfin, des ministères qui n'ont ni cohésion ni durée, composés de

gens qui se jalousent et se minent l'un l'autre; des ministres à qui


les divisions du parti républicain ne donnent licence d'avoir ni une
idée précise ni un programme personnel; les affaires traitées au jour
le jour et sans esprit de suite; la diplomatie, qui vit de précédents et

de traditions, livrée à une instabilité déplorable et à une inexpérience

notoire; la guerre et la marine, qui développent la force de la nation et

doivent garantir son indépendance, aussi désorganisées que le reste;

tous les services enfin, institués de telle sorte qu'il n'est pas de parti

culier qui consentirait ou à gérer ainsi ses propres affaires ou à les

confier à de pareilles mains : voilà dans quel état, renouvelé d'une

ancienne et lointaine époque, qui s'appelait déjà la République, se

trouve la France politique d'aujourd'hui.


« En France, la République n'est pas seulement le nom d'une

forme de gouvernement , plus ou moins appropriée aux mœurs et à

la situation politique du pays : fille de la prétendue philosophie du


i8 BRUMAIRE AN VIII— 1882 365

dix-huitième siècle, c'est une doctrine hiératique avant d'être un

régime politique , et cette doctrine se pose en ennemie des croyances

chrétiennes et de toutes les institutions qui se sont inspirées du

christianisme. Comment le nier, après les deux épreuves de 1792


et de 1848, et en présence de la troisième qui se fait sous nos
1
yeux? » Ces lignes que j'écrivais en août 1 878 , les quatre dernières
années les ont amplement justifiées. Nous n'avons pas affaire à des

politiques, mais à des fanatiques; la République, telle qu'on nous la


montre, n'est qu'un instrument de propagande antichrétienne; elle est

l'incarnation de la Révolution, dans tout ce que la Révolution comporte


de haine et d'esprit tyrannique; elle ira à la ruine, sans doute, car pour
gouverner il faut, quelque nom qu'on se donne, remplir les condi-
ditions normales d'un gouvernement ; mais elle y conduira la France
en même temps. En décembre 1800, Bonaparte disait : « La Révolu
tion est finie. » Quatre-vingts ans après cette parole , nous pouvons
dire : « La Révolution dure encore : elle triomphe! »

1 . Histoire de la République de 1848,


II,

p. 711.

Victor PIERRE.
\
CONCLUSION
CONCLUSION

Un siècle bientôt s'est écoulé depuis


le début de la Révolution. Un siècle a vu
se perpétuer les suites de cette catastro

phe sociale sans précédent dans l'histoire


des peuples. Les causes qui l'avaient pré
parée étaient anciennes et profondes ; les

conséquences se prolongent à travers le


temps. La Révolution dure toujours. Elle
a pénétré la France et entamé les autres
nations. Elle est devenue comme le droit
Faïencedu dix-neuvièmesiècle.— Collection
de M. Champfleury. public de l'Europe, le nouvel Évangile
des États civilisés. En France, tout procède de la Révolution. L'ordre
politique et social, la loi, les institutions publiques, les mœurs, la
littérature, les sciences et les arts, tout a pris son empreinte. Notre
société est profondément révolutionnaire. Tout ce qui est arrivé en
ce siècle est un effet de la Révolution, et tout a été constitué à son
image. L'Église avait fait l'ancienne France, la Révolution a fait la
France nouvelle.
Une expérience de cent ans, c'est assez pour juger des résultats de
cette prétendue réforme apportée au monde au nom de principes
nouveaux.

47
CONCLUSION

Que voit-on d'abord dans la Révolution? Une rupture violente


avec le passé, un changement radical dans la constitution du peuple
français. A ce trait seulement on pourrait la juger. Un peuple ne

change pas ainsi en un jour. Le caractère des vraies réformes sociales


est de s'opérer sagement, sans secousses, sans perturbation. La Révo
lution a été tumultueuse et violente. Du jour au lendemain on a pro
clamé un droit nouveau et inauguré un nouvel ordre social. Le passé
a été supprimé tout d'un coup.
Et pourtant, l'ancienne France était l'œuvre des siècles. Telle que
Dieu et le temps l'avaient faite, elle avait sa raison d'être dans le

monde, sa mission providentielle au milieu des nations. La France


née avec Clovis à Tolbiac, la France organisée par le génie de Char-
lemagne et sanctifiée par la piété de saint Louis, la France gouvernée
par les Charles Martel, les Hugues Capet, les Philippe-Auguste, les

Charles V, les Louis XII, les Henri IV, les Louis XIV; la France

baptisée par saint Remi, illustrée par trois longues dynasties de rois,
sauvée miraculeusement par Jeanne d'Arc, constamment régénérée par
ses saints, maintenue grande et prospère à travers toutes ses épreuves,
cette France-là était une nation unique au monde. Il ne fallait pas
toucher à l'œuvre de la Providence.
En 1789 on l'oublia; on laissa s'écrouler l'admirable édifice de la
monarchie chrétienne. Tout périt dans ce cataclysme de la royauté :

noblesse, clergé, institutions, lois, coutumes. Une fureur d'innovation


s'était emparée du peuple français. On voulut tout renouveler. La
France, répudiant son passé et aspirant à un avenir tout différent,
prit la destruction pour l'affranchissement, et le changement pour la
liberté. Alors on inventa une Constitution. La Révolution était une

idée, elle devint un fait.


Il y a, comme l'expose un grave auteur, trois degrés dans la Ré
volution :

« i° La destruction de l'Église, comme autorité et société religieuse,


protectrice des autres autorités et des autres sociétés; à ce premier
degré, qui nous intéresse directement, la Révolution est la négation

de l'Église érigée en principe et formulée en droit, la séparation de


LE RÈGNE DE SAINT LOUIS
PARTIE DES FRESQUES EXECUTEES PAR M. CABANEL DANS L'ÉGLISE DE SAINTE-GENEVI EVE

A PARIS; DIX-NEUVIÈME SIECLE

Le règne de saint Louis a été « l'apogée d'une grande époque de bonnes mœurs,
de paix intérieure et de prospérité ».

« La France offrit alors les germes fort développés des meilleures institutions que
les sociétés humaines aient créées jusqu'à ce jour. Les familles jouissaient d'une indé
pendance que les familles de notre temps seraient heureuses de posséder, devant les
officiers ministériels, le fisc et la bureaucratie. Les moindres communes avaient alors

une autonomie vers laquelle nos grandes cités n'oseraient élever aujourd'hui leurs

pensées dans leurs plus vives revendications. Les ouvriers ruraux, exempts de toute

dépendance personnelle, étaient liés à leurs patrons par des rapports permanents qui
obligeaient également les deux parties... Quant au souverain, il se croyait lié envers

ses sujets par des obligations fort impérieuses... Il rédigeait, avec le concours des

barons, dans les assemblées annuelles, les lois les plus importantes, celles qui tendaient

à assurer la pratique du Décalogue ; enfin, il donnait personnellement, avec les classes

dirigeantes, l'exemple de cette pratique. » (F. Le Play, L'Organisation du travail,

pp. 78 à 84. )

« C'est lui que ses voisins acceptaient comme arbitre pour éteindre leurs différends.
Plus de conflits. Il les étouffait. On peut dire qu'il supprimait la guerre par l'ascendant
de sa vertu, et l'honneur de la France, loin d'en souffrir, n'avait jamais été commis à

des mains plus jalouses. Autant ce cœur chrétien semblait humble, soumis et prêt à
tout céder quand son propre intérêt était seul en question, autant il devenait lier et

presque exigeant dès qu'il voyait en jeu l'intérêt de sa couronne ou son devoir de roi.
Il avait foi en sa mission royale presque autant qu'aux saintes vérités, et se tenait pour

obligé devant Dieu à rendre son pays plus puissant et plus grand qu'il ne l'avait reçu...

« Ce qu'était au treizième siècle le nom de la. France chez les nations étrangères,
dans toute la chrétienté, ce que ce nom inspirait de confiance et de souverain respect,
bien peu de gens s'en doutent aujourd'hui...

« On comprend que la royauté, n'eût-elle apparu qu'un seul jour sous les traits
d'un tel homme, ait pris, et pour si longtemps, dans ce pays de France, un caractère

mystérieux et divin...
«... Ne demandons pas aux puissants de la terre d'être des saints, ni même des
traditions
si,

héros 1 Mais renonçant la pratique encore plus inhabile qu'immonde de


à

surannées, ils empruntaient enfin au bienheureux monarque la plus facile de ses vertus,

fond de sa politique, sa sainte horreur du mensonge, s'ils s'habituaient dire assez


le

souvent la vérité pour qu'on pût croire qu'ils la disent toujours, quelle transformation

de ce monde, quel gage de sécurité pour les peuples, et pour les rois, quelle facile assu

rance d'être bénis et respectés L. Vitet, Revue des Deux-Mondes, du ier mai 868,
»
1

1
(

pp. 160 i63.


à

)
LE RÈGNE DE SAINT LOUIS OU « SES GRANDES ŒUVRES »

Partie des tresques peintes par M. Cabanel dans l'église de Sainte-Geneviève, à Paris. D'après la photographie de MM. Goupil etCie; dix-neuvième siècle. — La couronne royale en tête, le sceptre à la main, le roi
siège entouré des principaux personnages de son temps : évêques, moines, savants, guerriers, etc. Sur les marches du trône, implorant la justice et la clémence du roi, un accusé s'agenouille, cachant son visage
dans sa main ; auprès de lui, une femme se prosterne en suppliante. Au milieu du premier plan, une jeune malade, portée sur une civière, qu'entoure sa famille éplorée, vient demander au roi de la guérir. Sur le
même plan, à gauche, une orpheline assise sur les marches du trône attend avec confiance un soulagement à sa misère; un homme d'armes repousse le bourreau qui s'apprêtait à exécuter sur un accusé l'épreuve du
feu; à droite, Robert de Sorbon explique à des jeunes gens les statuts de l'école qui porte encore son nom (la Sorbonne). Plus haut, des chevaliers revenus aveugles de la Terre-Sainte, et guidés par un enfant,
rappellent la fondation des Quinze-Vingts. A l'extrémité de droite, avec leurs bannières, les corporations des métiers de Paris, dont Etienne Boileau porte les statuts. L'artiste a placé cette grande scène dans la Sainte-
Chapelle, bâtie par saint Louis
CONCLU S 10 N 3;i

l'Église et de l'État dans le but de découvrir l'État et de lui enlever


son appui fondamental;
« 2° La destruction des trônes et de l'autorité politique légitime, con

séquence inévitable de la destruction de l'autorité catholique; cette

destruction est le dernier mot du principe révolutionnaire de la démo


cratie moderne et de ce qu'on appelle aujourd'hui la souveraineté du

peuple ;
« 3° La destruction de la société, c'est-à-dire de l'organisation qu'elle
a reçue de Dieu; en d'autres termes, la destruction des droits de la
famille et de la propriété, au profit d'une abstraction que les docteurs
révolutionnaires appellent l'État; c'est le socialisme, dernier mot de

la Révolution parfaite, dernière révolte, destruction du dernier droit.


A ce degré, la Révolution est, ou plutôt serait, la destruction totale
de l'ordre divin sur la terre l. »

Dans son principe, la Révolution était donc une réaction absolue


contre l'ancien ordre social, contre la monarchie chrétienne. Jusqu'à
ce que les philosophes du dix-huitième en eussent donné la formule
dans leurs écrits, en niant Dieu et l'Église, on croyait à l'autorité.
« L'autorité, dit un judicieux publiciste , était l'objet constant du
respect des peuples. Pénétrés de la sublimité de sa mission , ils lui
attribuaient une céleste origine. Les philosophes niaient Dieu ou à

peu près ; ils ne pouvaient pas admettre de droit divin dans le


monde : l'autorité venait donc d'en bas.
« La France abusée se mit sous la bannière des philosophes. Elle
accepta leur sophisme et elle se laissa ainsi conduire, de conséquence
en conséquence, au discrédit, au mépris, à la destruction de l'auto
rité, et, finalement, à la destruction du principe de l'autorité lui-
même 2. »

Le droit nouveau fut formulé dans la Déclaration des droits de


l'homme. L'homme se substituait à Dieu. Toute la Révolution est là.
Ainsi la France s'était défaite elle-même. Ce changement radical de

1. De Ségur, La Révolution (Paris, 1863 ).


■2.Grimaud de Caux, Du principe de l'autorité et de son rétablissement en France
Paris, i85i).
CONCLUSION

constitution était une apostasie. En brisant l'ordre chrétien sur lequel


elle était fondée, elle abandonnait du môme coup sa vocation, elle
abdiquait ses croyances, elle désavouait sa tradition séculaire, toute
son histoire.

La Révolution, qui était son crime, fut aussi son châtiment.


La France donna l'exemple, unique dans l'histoire, d'une nation

régicide gouvernée par une poignée d'assassins. On vit un peuple,

exalté par le crime et enivré de mensonge , renverser à l'envi tous les

monuments de sa gloire, se ruer sur les autels de sa foi, massacrer

ses prêtres et les descendants de ses grandes familles; on vit la gros


sière débauche, la terreur, la cruauté la plus farouche, sous des hail

lons ensanglantés, assises au trône de saint Louis et de Louis XIV;


on vit toute une génération d'hommes se prosterner devant les autels
d'une infâme déesse , sous les voûtes du même temple témoin des

gloires de la monarchie et de la piété du peuple de Paris.


Dix ans après 89, il n'y avait plus que des ruines en France. Les
mœurs, les lettres, les arts, l'agriculture, le commerce, l'industrie,
les institutions de charité , tout avait péri. Ce n'était plus dans la
société que dépravation, crimes et misères, et dans les services publics
que désordre et incapacité. Les doctrines chimériques ou criminelles
de la Révolution avaient déjà produit leurs conséquences. Quelques
années avaient suffi pour détruire l'œuvre des siècles. Le passé aboli,
l'avenir fermé, des massacres, des bouleversements, des guerres, la

France en proie à l'anarchie, l'Europe ébranlée, partout le néant de

l'erreur et de la négation : telle avait été l'œuvre révolutionnaire.


C'est en vain , pour la France , que ses divers gouvernements ont

essayé de réparer les maux de la Révolution, en réorganisant ce qui

avait été détruit, en refaisant, avec de l'ordre matériel, une société


toute bouleversée. Aucun n'y a réussi. Ce ne sont pas seulement des

ruines que la Révolution a laissées derrière elle, mais elle a apporté

des principes destructifs de tout ordre, de toute vérité, de tout bien.

Elle est une destruction permanente.

Qu'ont fait les gouvernements? Ils ont cherché à combattre les

conséquences de la doctrine révolutionnaire , tout en laissant subsister


LE CONGRÈS DE MUNSTER ( I 6 4 8 )
D'après la gravure de Suyderhoet qui reproduit le tableau de Terburg conservé dans la « National Gallcry », à Londres; dix-septième siècle. — L'artiste a choisi le moment où, l'assemblée tout entière étant
debout, plusieurs membres s'engagent par serment à observer les conditions de la paix, les uns en levant les deux premiers doigts de la main droite, les autres en posant la main sur l'Évangile ouvert. — A la
suite du congrès de Munster fut conclu le traité de Westphalie. Ce traité, contre lequel protesta vainement le pape Innocent X', reléguait la religion au second rang dans les intérêts des peuples chrétiens; sur les
débris du saint-empire romain, auquel il portait le dernier coup, il jetait les bases de cet empire prussien devenu si redoutable; enfin, il inaugurait une politique nouvelle dite d'équilibre, qui devait aboutir à la
politique de force dont l'Europe est aujourd'hui la proie
CONCLUSION 373

les principes. Aussi, à la faveur des pouvoirs réguliers et sous les

apparences de l'ordre, la Révolution a-t-elle continué son œuvre. Les


erreurs anciennes d'où elle était sortie, les faux principes qu'elle avait
proclamés, ont continué d'être les axiomes de la société moderne. Elle
n'a fait que s'étendre avec le temps. Aujourd'hui elle est partout, et

non plus seulement dans les régions politiques et sociales; elle est

dans tous les esprits, dans les idées, dans les mœurs; rien n'échappe
à son influence. Cherchez une vérité qu'elle ne se soit efforcée d'affai

blir, un principe qu'elle n'ait tenté d'obscurcir. La politique ne connaît


plus de loi; la philosophie flotte incertaine entre la diversité des
systèmes; les sciences, sans unité, se perdent et s'épuisent dans l'excès
de leurs divisions; nulle règle dans les arts que le caprice, et, dans
le propre domaine de l'idéal et du beau , le laid et le matérialisme se

sont fait des écoles. Sous le nom de liberté de conscience on a mis


toutes les croyances ou toutes les opinions au même rang, on a

attribué à tous les cultes une valeur égale, et l'indifférence a remplacé

la foi. En aucune chose, rien de fixe ni de certain, plus de foi com


mune, plus de principes universellement reconnus.
La société sortie de la Révolution, lors même qu'elle travaillait à

sa restauration, a continué à s'organiser en dehors des lois éternelles.

Napoléon avait bien compris que la Révolution , en détruisant la société

religieuse, avait détruit la société civile, et qu'ainsi, pour reconstituer


la société civile, il fallait auparavant rétablir la société religieuse. Mais
l'orgueil et le génie de la Révolution l'emportèrent en lui. Il continua
la Révolution en la réglementant; il inaugura cette prétention des

gouvernements modernes de faire de l'ordre avec le désordre, de cher


cher en eux-mêmes leur force et leur droit, et de se passer de Dieu.
Sous le nom de sécularisation, le libéralisme révolutionnaire a continué
de poursuivre la séparation de la société d'avec la religion. Les prin
cipes nouveaux voulaient que la société fût fondée sur l'homme. Ils
sont demeurés la règle des gouvernements modernes.
Autant les théories qui ont servi de base à la Révolution sont
fausses et dissolvantes, autant les résultats auxquels elle a abouti sont
calamiteux. Pour les apprécier en France, il faut se placer à une de
374 CONCLUSION

ces époques critiques où les peuples font voir ce qu'ils sont. Il y a

douze ans, la France fut mise en demeure, par une épreuve décisive,
de montrer ce qu'il y avait en elle de vertus sociales, de patriotisme,
de ressources, de force; en un mot, de faire apprécier les grands
mérites et les prétendus bienfaits de la Révolution chez elle. Au milieu
de la prospérité matérielle du second Empire, à la suite des victoires

remportées sur divers peuples, avec une administration, des finances


et une armée comme celles qu'elle avait, on pouvait la croire à l'abri
des revers, à l'épreuve des catastrophes. Sous ces dehors brillants, on
n'apercevait pas la profondeur de la plaie sociale faite depuis trois
quarts de siècle par les idées révolutionnaires; les esprits superficiels
ou aveuglés par un faux éclat ne voyaient pas que la France, en

secouant le joug de l'autorité divine, avait perdu le respect de

l'autorité humaine, et qu'à la décomposition morale, suite de l'affai


blissement du principe religieux, s'était surajoutée la désorganisation
nationale. Ils ne comprenaient pas que la perversion des idées avait
entraîné la dépravation des mœurs, et celle-ci une décomposition de
l'homme et de tout le peuple. La déception fut immense, la leçon
terrible.
La France était à ce point démoralisée que le patriotisme même
était atteint chez elle. « L'esprit d'un peuple, dit M. Blanc de

Saint-Bonnet, plus encore que le sol, constitue la patrie. Cet esprit


se compose à la fois des sentiments puisés aux mêmes sources reli
gieuses, de la gloire recueillie aux mêmes champs d'honneur, de

l'amour des institutions, des vieilles lois, enfin du règne des mêmes
affections et des mêmes idées formées au sein de la famille. » Où en

étaient toutes ces choses? Où était en France la patrie au moment de


la guerre de 1870? En vain a-t-on accusé l'Empire de nos désastres.

L'Empire, c'était la France d'alors, la France de la Révolution qui


avait vu le respect de l'autorité disparaître, les vérités s'effacer, les
vertus s'éteindre dans le scepticisme et la cupidité. L'effroyable guerre
civile à laquelle la Commune de Paris a donné son nom acheva de

montrer à quel degré de décomposition sociale la France en était

venue. De même que la trompeuse prospérité de l'Empire s'était


376 CONCLUSION

écroulée dans quelques batailles, de même notre civilisation athée

sombra en quelques jours de révolte, de massacres et d'incendie.


Plus de gouvernement, plus d'armée, plus de finances, plus rien :

l'impuissance et l'anarchie! Paris, où régnait jusqu'à la licence la

plus effrénée la liberté moderne, connut la tyrannie la plus vile et la

plus exécrable; Paris, qui s'enorgueillissait au sein de son luxe et

de son impiété d'être la ville des lumières, brilla devant le monde

des lueurs affreuses de la barbarie. La France faillit tomber sous la

hideuse domination de ces horribles logiciens qui, ayant poussé

jusqu'au bout les principes de 89, avaient déjà dépassé les atrocités

de y3.

Alors , on comprit la leçon ; les plus aveugles , les plus obstinés


devinrent sages. La Révolution aurait fini avec la Commune, si la

désillusion avait pu durer plus d'un jour. C'est alors que le plus scep
tique des publicistes, éclairé sur l'heure par les événements, s'écriait :

« Il nous faut rompre avec nos préjugés d'enfance et répudier une


part de l'héritage de 89. Retranchement douloureux! Pénible sacrifice!
Mais le salut est à ce prix. C'est la France à refaire; à refaire de haut

en bas l. » Telle était l'impression d'horreur et de stupéfaction causée

par les crimes de la Commune, que, de tous les côtés et jusque dans

les rangs les plus avancés du parti libéral, l'opinion se retournait


contre la Révolution et cherchait en dehors d'elle un principe de res

tauration sociale.
« La banqueroute de la Révolution française, lisait-on alors dans

la Revue des Deux Mondes2, est désormais un fait accompli, irrévoca

ble. Il n'est pas une seule de ses promesses que la Révolution n'ait

été impuissante à tenir, il n'est pas un seul de ses principes qui n'ait

engendré le contraire de lui-même, et produit la conséquence qu'il


voulait éviter... Prenez n'importe laquelle de ses idées, les meilleures,

les plus célèbres, et vous trouverez qu'elle a produit des résultats

infiniment plus désastreux que le mal qu'elle se proposait de guérir. »

L'évidence des faits s'imposait. On avait vu la société sombrer

j. M. Sarcey. dans le Gaulois du 10 mai 1871.


•2. 15 avril ,
187 1
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L I N .1U S T I C K
Fresque de Giollo à YArena de Padoue, quatorzième siècle. — « Les lèvres contractées, l'œil faux, les
ongles crochus comme les serres d'un oiseau de proie, un magistrat inique siège devant la porte d'un donjon
crénelé, au milieu des rochers et des bois. » Grimouakd dk Saint-L.vukknt, Guide de l'Art chrétien,
III, p. 460.) De la main droite il tient un long croc, symbole de sa rapacité; de la gauche une longue épéc.
Au-dessous, les images de la guerre et du brigandage. — Qui ne se rappelle les emprisonnements arbitraires,
les jugements en blanc, les mitraillades, les noyades, les déportations en masse de l'époque révolutionnaire ?
La Révolution a dépouillé de ses biens une partie de la noblesse; elle s'est emparé de ceux des églises, des
monastères, des hôpitaux, des universités, des collèges. Sous son règne, « on ne s'est pas contenté de
détruire le privilège, on a parle atteinte au droit ». (Lanfiœv, Histoire de Napoléon Jl, p. 128.) — La
Révolution, c'est l'Injustice.
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38-2

L1 INCONSTANCE OU L1 1N ST A B I L ITÉ
Fresque de Giolto à YArcna de Padoue, quatorzième siècle. — Une jeune fille essaye vainement de se tenir
en équilibre sur une roue; ses vêtements llottent au vent, elle va tombera la renverse. — Depuis que la
France est tombée au pouvoir de la Révolution, elle est en proie à l'instabilité. «Tandis qu'autrefois la France
trouvait dans le jeu régulier de ses institutions le moyen de se relever des plus grands désastres, elle ne
réussit point aujourd'hui, même au milieu delà prospérité, à se garantir des révolutions.') (F. Fe Play,
La Réforme sociale, I, p. 7.) Fn moins d'un siècle, elle a changé dix-huit fois de constitution. — La
Révolution, c'est l'Instabilité.
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384 CONCLUSION

rétablissait, que les services publics se reconstituaient, que la société,

en un mot, reprenait son ancien état, on remettait sa confiance dans

les principes qui avaient tout perdu; la France se réorganisait en

rentrant dans la Révolution. Dix ans ont passé sur ces événements de

lugubre mémoire. En revenant aux idées faussement libérales, on s'est


de plus en plus éloigné des traditions françaises et chrétiennes où Ton

aurait pu trouver le relèvement de la France; on est revenu aux

idées les plus révolutionnaires.

La Révolution domine plus que jamais. C'est le moment de la


considérer de nouveau pour s'en détacher au plus vite, car plus elle

règne, plus elle est près de ramener la société aux horreurs de g3 et

de 1871.
« Il est évident que pour chacun de nos contemporains la manière

de voir et d'agir dépend en partie de l'idée qu'il se fait du mou


vement de 1789, point de départ de l'époque actuelle. Hommes et

choses , tout change d'aspect suivant le point de vue auquel on

envisage un événement dont la haute portée n'échappe d'ailleurs à

personne. Or, le mouvement de 1789, au lieu d'aboutir à une réforme

désirée par tous et opérée dans le sens même de l'histoire religieuse

et civile de notre pays, est devenu une révolution radicale, inspirée

et gouvernée par les doctrines du Contrat social de Rousseau.

Voilà pourquoi il a ouvert pour la France une ère de troubles et

d'agitations »

Il est bien vrai que, par suite des abus qui s'étaient introduits

dans les institutions de l'ancien régime, l'organisation sociale présen

tait plus d'un vice et ne répondait plus entièrement aux besoins de

la France. La voix publique réclamait des changements; le roi et la

nation étaient d'accord sur la nécessité de les introduire sagement

dans une nouvelle constitution. Que demandait-on ? Des modifications

devenues nécessaires avec le temps, le développement normal des

libertés publiques, mais non le bouleversement général, la rupture

1. Ubakl, Les trois France. Lettre de Mgr Freppel.


49
386 CONCLUSION

avec le passé. Les cahiers de 1789, expression des vœux des diffé
rentes classes de la population, proclament le principe de la monar
chie, l'inviolabilité de la personne royale, l'hérédité de la couronne,
l'autorité du roi dans le double pouvoir exécutif et législatif, et en
même temps la participation de la nation à la loi et à l'impôt, l'in
violabilité de la propriété et de la liberté individuelle. Tels étaient les
bases de la réforme voulue par tous; les cahiers de 89 furent votés
par des millions d'électeurs.
La Révolution commença par déchirer les cahiers, elle fit la
a Déclaration des droits de l'homme » ; les destructions remplacèrent
les réformes. La Révolution voulut faire une société nouvelle; mais
elle apportait l'esprit de révolte et d'utopie, cause permanente de

désorganisation et de trouble. Aussi, en moins d'un siècle, le peuple


français a déjà changé dix-huit fois de constitution, dix fois de gou
vernement, trois fois de dynastie. L'instabilité est devenue la règle
de l'état politique de la France.
La Déclaration des droits de l'homme proclamait l'absolue indépen
dance de l'individu et de la nation vis-à-vis de Dieu; le Code civil
réalisa l'idéal de la loi athée; et de même que les principes de 89
appliqués à la société n'ont produit que des perturbations politiques,
de même le principe de sécularisation de la loi, introduit dans la
famille, n'a fait que troubler l'ordre domestique, relâcher les liens
de l'autorité paternelle.
Ainsi , non seulement la Révolution n'opéra pas les réformes
attendues, mais elle engendra des maux nouveaux. Ses principes
n'étaient qu'erreur, ses promesses ne furent que mensonge. La France
a-t-elle connu vraiment la liberté, l'égalité, la fraternité ? Non, puisque
c'est au nom de la liberté que chaque révolution a été faite; non,
puisque c'est au nom de l'égalité que le peuple ne cesse d'aspirer à un

état meilleur de justice et de bien-être; non, puisque la continuité des

guerres extérieures et des luttes intestines n'a encore laissé aucune

place à la fraternité des peuples et à celle des citoyens. Ces grands

mots n'ont donc été jusqu'ici qu'une vaine formule. Trouveront-ils,


du moins, leur application dans un essai prolongé du régime qu'ils
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3SS CONCLUSION

ont inaugure ? Non , puisque les revendications de ceux qui aspirent


aujourd'hui à une liberté, à une égalité, à une fraternité que le monde

n'a pas encore connues, entraînent la Révolution dans une voie

où le plus grand nombre de ses partisans ne veut plus la suivre


et où il n'y aurait au bout que la liquidation sociale, objet des

rêves des inexorables logiciens des nouveaux principes. Il faut donc

s'arrêter en route. Pour ses admirateurs eux-mêmes, la Révolution


n'a rien produit de ce qu'ils en attendaient, rien fondé de réel et de

définitif.
« Il y a aujourd'hui soixante-quinze ans, s'écrie un des plus célè

bres d'entre eux, que la Révolution française a proclamé la liberté


avec les droits de l'homme. Des flots de sang ont été versés pour

cette conquête à travers l'Europe. Des assemblées immortelles ont

acclamé, fortifié, constitué l'un après l'autre ces droits nouveaux. Deux

millions d'hommes sont morts pour cette cause. Tout ce que la nature

humaine renferme d'énergie, de puissance, y a été dépensé. On ne

verra jamais dans le grand nombre ni plus de dévouement, ni plus

de vertus publiques. Rien n'a manqué de ce qui fait réussir les affaires

humaines : orateurs, capitaines, magistrats, tout le monde a prodigué


ce qu'il possédait; les mères ont donné leurs fils, les fils ont donné

leur sang. La victoire non plus n'a pas manqué : car tous ceux qui

ont attaqué cette Révolution ont péri sans l'ébranler. Et, après ces

victoires accumulées au dedans et au dehors; après que ces immenses

assemblées ont passé avec le bruit que font la puissance, le génie, la


ce fracas d'une société qui tombe et d'une autre qui
gloire; après
s'élève..., si je jette les yeux autour de moi pour voir le résultat de

tant d'efforts magnanimes; si je cherche l'écho vivant de tant de pa

roles de flamme, de tant d'acclamations triomphales; si je me détourne

pour contempler à loisir les libertés acquises par tant de gigantesques

travaux; si je veux mesurer l'arbre dans sa croissance, après avoir vu

le génie semé dans le sillon; si..., mais non, je n'achève pas, la

plume me tombe des mains1. »

De quelque manière qu'on envisage les conséquences de la Révo-

i. Edg. Qui net, La Révolution, I, p. 142.


LA VISION d'ÉZÉCHIEL
Composition tirée de La sainte Bible, 2 vol. in-folio, illustres par Gustave Doré; Tours, Alfred Marne
et (ils. — Sur l'ordre de Dieu, le prophète Ézéchiel rappelle à ta vie des ossements décharnés {voy. Ézéchieu
çhap. xxxvii ). Ézéchiel symbolisait l'Église, qui est la vie et la résurrection des peuples. La poésie suivante
est la traduction presque littérale du texte de la Bible :
D'ossementsdesséchés le sol était couvert; Esprit, soufflezsur eux du couchant,de l'aurore;
J'approcheen frissonnant; mais Jéhova me crie : Soufflezde l'aquilon, soufflez!. . . Pressésd'éclore.
Si je parle a cesos, reprendront-ilsla vie? Ces restesdu tombeau,réveilles par mescris,
— Etemel, tu le sais. — Eh bien! dit le Seigneur, Entre-choquenlsoudainleurs ossementsflétris;
Ecoutemes accents;retiens-les,et dis-leur : Aux clartésdu soleil leur paupièrese rouvre,
Ossementsdesséchés,insensiblepoussière, Leurs os sont rassemblés,et la chair les recouvre!
Levez-vous! recevezl'esprit et la lumière\ Et ce champde la mort tout entier se leva,
Levez-vouset vivez, et voyezqui je suis! Redevintun grand peuple,et connut Jéhova!
J'écoutai le Seigneur,j'obéis, et je dis : | Lamartinb, Méditationspoétiques : La Poésie
sacrer.)
'h° CONCLUSION

lution, on ne peut s'empêcher de reconnaître que le progrès, la paix,


la liberté annoncés au monde en son nom, sont autant de chimères
dont la France n'a point vu et ne verra jamais la réalisation.
La Révolution est jugée par elle-même. Avec elle, la société
retourne à la barbarie et au paganisme. Elle a fait perdre à la France
sa foi, son unité, sa paix, sa grandeur.
Pour rétablir Tordre dans la société, il faut commencer par
détruire le désordre dans les esprits. Notre grand mal vient des faus
ses idées, des fausses doctrines. Malgré l'expérience, malgré la raison,
il existe tout un parti obstinément attaché à la Révolution, et ce parti
a réussi à capter le peuple. C'est le petit nombre qui est ferme
ment convaincu de l'erreur et de l'inanité des théories nouvelles.
Entre deux flotte la multitude de ceux qui, sous prétexte de libéra
lisme, cherchent un compromis avec l'idée révolutionnaire. Ceux-là
contribuent à prolonger le mal social. « Ils donnent la main aux révo
lutionnaires, prenant la licence pour la liberté, et voyant le progrès
là où il n'y a que déchéance. Ils distinguent volontiers la Révolution
de ses excès, oubliant que, au point de vue des doctrines, il n'y a

aucune différence essentielle entre la Déclaration des droits de l'homme

de gr et celle de g3 L »

Cependant ces illusions lunestes d'une partie de la nation ne

peuvent tenir devant l'évidence des faits. Les esprits sincères ne


sauraient méconnaître la lumière qui jaillit, des profondeurs de l'his

toire aussi bien que du fond de la conscience humaine, sur la situation


présente. L'heure est venue pour la France, détrompée, de se retrouver
elle-même et de rentrer dans la voie où, durant tant de siècles, elle
a glorieusement marché.
a La France , cruellement désabusée par des désastres sans exem

ple, comprendra qu'on ne revient pas à la vérité en changeant


d'erreur; qu'on n'échappe pas par des expédients à des nécessités
éternelles 2. »

La vérité politique pour un peuple, c'est l'éternel droit de Dieu

1. Ubald, Les trois France. Lettre de Mgr Freppel.


2. Proclamation de M. le comte de Chambord, le 5 juillet 187 r.
LA J U ST I C K

D'après une fresque de Giotto à VArcna de Padouc, quatorzième siècle. — Assise sur un trône, la cou
ronne au front, les traits empreints d'une gravité douce et sereine, la Justice tient dans chaque main
un plateau dont elle détermine le poids par sa propre vertu. A sa droite, un ange couronne un juste; à sa
gauche, un autre ange frappe un coupable. Au-dessous, l'artiste a représenté des personnages qui se
livrent aux plaisirs de la chasse, de la danse et de Péquitation, voulant par là retracer le bonheur et les joies
d'un peuple gouverné par la Justice.
3(j2 CONCLUSION

dans le monde et sur les États, c'est le principe d'autorité, garantie


nécessaire de Tordre.
« La Révolution , qui a commencé par la proclamation des droits

de l'homme, ne finira que par la proclamation des droits de Dieu1».

i. J. de Maistkk, Soirées de Saint-Pétersbourg.

Arthur LOTH.
APPENDICES

5o
ÉCLAIRCISSEMENTS
SUR LES

CAUSES DE LA RÉVOLUTION

En altérant l'histoire, on est parvenu à

fausser l'opinion publique sur les véritables

causes de la Révolution.
Pour excuser les plus désastreux attentats,
on a prétendu qu'ils étaient la conséquence

nécessaire des désordres antérieurs : on n'a

voulu y voir qu'une réaction naturelle contre


les abus de l'ancien régime, et l'on a présenté

le bouleversement social dont le contre-coup


a ébranlé l'Europe, comme l'expression de la
volonté du peuple français en 1789.

Il est important de dissiper ces préjugés,


Gravure du temps. Collection
de M. le baron de Vinck d'Orp. auxquels des écrivains sérieux et de bonne foi

n'ont pas su toujours se soustraire : c'est ce que nous allons tenter

de faire, à l'aide des précieuses recherches de la critique moderne.

Afin que notre travail ait plus d'autorité, nous le composerons

presque uniquement de paroles empruntées aux écrivains qui s'imposent

par leur science incontestée, ou aux aveux des révolutionnaires

eux-mêmes.
3q6 APPENDICES

LES TROIS ASSISES FONDAMENTALES DE l' ANCIEN REGIME

(( En 1789, dit M. Taine, trois sortes de personnes, les ecclésias

tiques, les nobles et le roi, avaient dans l'Etat la place éminente,


avec tous les avantages qu'elle comporte. Si depuis longtemps ils
avaient cette place, c'est que pendant longtemps ils l'avaient méritée.
En effet, par un effort immense et séculaire, ils avaient construit tour
à tour les trois assises principales de la société moderne !. »

Pendant douze cents ans, le clergé avait travaillé à établir la plus


profonde de ces assises. Dans la dissolution du monde romain, au

quatrième siècle, il avait formé une société vivante, ralliée autour


d'un but et d'une doctrine, soutenue par le dévouement des chefs et

l'obéissance des fidèles. A partir de l'invasion, pendant plus de

cinq cents ans, il a sauvé ce qu'on pouvait encore sauver de la culture

humaine. Il va au-devant des barbares ou les gagne aussitôt après


leur entrée. Service énorme. Jugeons-en par un seul fait : dans la

Grande-Bretagne, devenue latine comme la Gaule, mais dont les

conquérants demeurèrent païens, d'un peuple entier massacré et fugitif


il n'est resté que des esclaves; réduits à l'état de bêtes de somme, ils

ont disparu de l'histoire. Dans la Gaule, le Germain converti épargne


le village, la cité qui vit sous la sauvegarde du prêtre. L'évêque mitre
tondu ■ils la loi
et l'abbé au front siègent aux assemblées; rendent

plus humaine; ils rétablissent ou maintiennent la piété, l'instruction,

la justice, la propriété et surtout le mariage. Les moines défrichent et

construisent; ils recueillent les misérables et forment ainsi de nouveaux

centres d'agriculture et d'industrie qui deviennent aussi de nouveaux

centres de population. Par la grandeur de la récompense qui lui fut


accordée, on peut estimer l'importance des services rendus par le

1. Taine, V Ancien régime, p. 2.


CAUSES DE LA RÉVOLUTION 397

clergé : l'homme n'est point reconnaissant à faux et ne donne pas

sans motif valable L

II

C'est aussi la valeur des services rendus par les seigneurs féodaux

qui explique l'étendue des privilèges de la noblesse. Dans la disso

lution de l'État après Charlemagne, une génération militaire surgit.

Chaque petit chef, en défendant bravement sa manse, sa bourgade, son


comté, devint le sauveur de ceux qui y vivaient... A la fin, seigneurs,

vilains, serfs et bourgeois, adaptés à leur condition, reliés par un


intérêt commun, avaient fait ensemble une société, un véritable corps.

La seigneurie, le comté, le duché devinrent une patrie aimée d'un


instinct aveugle, et pour laquelle on se dévoue. Elle se confondait
avec le seigneur et sa famille; on était fier de lui, on contait ses

grands coups d'épée, on jouissait par sympathie de sa magnificence.

C'est ainsi qu'on avait vu renaître, après mille ans, le plus puissant

et le plus vivace des sentiments qui soutiennent la société humaine :

l'amour de la patrie. Pour que ce sentiment pût s'élargir et que la

petite patrie féodale devînt la grande patrie nationale, il suffisait que

toutes les seigneuries se réunissent entre les mains du roi 2.

III
En groupant sans les confondre les diverses seigneuries féodales,

la royauté avait posé la troisième assise de l'ancien régime : elle

l'avait édifiée pierre à pierre. Hugues Capet posa la première en

ajoutant au titre de roi son domaine personnel. Pendant huit cents ans,
par mariage, conquête, adresse, héritage, ce travail d'acquisition
s'était poursuivi même sous Louis XV.
La royauté avait ainsi créé un Etat compact, renfermant vingt-six
millions d'habitants, et qui était en 1789 le plus puissant de l'Europe.

1. Taine, V Ancien régime, pp. 4-9.


2. Ii?id., id., pp. 9-14.
398 APPENDICES

Toujours le roi avait été le libérateur et le défenseur du pays, le

grand justicier contre les abus des plus puissants seigneurs. Toutes
les choses utiles avaient été exécutées par son ordre ou développées
sous son patronage : routes, ports, canaux, asiles, universités, aca

démies, établissements de piété, de refuge, d'éducation, de science,

d'industrie, de commerce.

De tels services appelaient une récompense proportionnée : on

admit que de père en fils il contractât mariage avec la France, qu'elle


n'agît que par lui, qu'il n'agît que pour elle, et tous les souvenirs

anciens, tous les intérêts présents vinrent autoriser cette union. L'Eglise
la consacra à Reims par une sorte de huitième sacrement -, les nobles

par un vieil instinct de fidélité militaire, le peuple en l'acclamant

comme le gardien du droit et le protecteur des faibles l.

Au commencement du règne de Louis XVI, « les cris de Vive

le roi, qui commençaient à six heures du matin, n'étaient presque

point interrompus jusqu'après le coucher du soleil». Quand naquit le

dauphin, la joie de la France fut celle d'une famille. « On s'arrêtait

dans les rues, on se parlait sans se connaître, on embrassait tous

les gens que Ton connaissait2.» Un Anglais, venu en France en

1785, constate que « les Français se glorifient d'avoir toujours gardé


à leur propre roi un attachement inviolable, une fidélité, un respect
que nul excès ou sévérité de sa part n'a pu ébranler3».

L'ANCIENNE CONSTITUTION DE LA FRANCE

La monarchie traditionnelle de la France était une souveraineté

tempérée par le respect des franchises des provinces, des villes, des

communes, du clergé, de la noblesse, des parlements, de la bour

geoisie et des corporations.

1. Taine, L'Ancien régime, pp. 14- 17.

2. M,ne Campan,I, p. 89; III, p. 21 5.


3. John Andrews, cité par M. Taine, U Ancien régime, p. i5.
CAUSES DE LA RÉVOLUTION

Dans une brochure publiée, en 1789, dans une province du Nord,


à cette question : Que sommes-nous? l'auteur répond :

(c Nous sommes un peuple libre. Oui, je le répète, un peuple libre;


et cette précieuse liberté nous la tenons de nos ancêtres, de nos

pères qui s'y sont maintenus au prix de leurs travaux et de leur


sang. C'est cette liberté qui est la base de notre Constitution; c'est
elle qui nous a préservés, dans une infinité de circonstances, des

entreprises de l'autorité arbitraire; c'est à elle enfin que nous devons


la conservation de nos lois constitutionnelles. Et qu'on ne pense pas

que ces lois constitutionnelles, auxquelles on a donné faussement la


dénomination de privilèges, émanent de la faveur des princes ou des
concessions gratuitement faites province par la nation française
à notre

et révocables à son gré; elles émanent du droit naturel et imprescrip

tible des peuples, dans lequel nous nous sommes toujours maintenus,
et dont la conservation nous est garantie par des pactes, des traités,
des engagements synallagmatiques entre nous et nos souverains1.»

II
Dans sa remarquable étude intitulée : Le Village sous l'ancien
régime, M. Babeau démontre que l'indépendance communale, issue
du moyen âge, avait été conservée dans les campagnes par l'admi
nistration de la monarchie. « La monarchie, dit-il, l'a même relevée,

parce qu'elle l'a soustraite au pouvoir exclusif du juge seigneurial


pour la rattacher plus directement à l'État, en qui s'incarnait la

grande idée de la patrie.


« L'administration, depuis Louis XIV, avait eu sans doute ses fai

blesses et ses abus; mais à la considérer dans son ensemble, il y en


a eu peu d'aussi éclairée et d'aussi généreuse. Les intendants étaient

1. Le Réveil de l'Artois ou Réflexions sur les droits et intérêts des Artésiens et autres
habitants des provinces bclgico-françaises, pp. 2-3.
400 APPENDICES

formés aux affaires dans le conseil du roi, où ils exerçaient les fonc

tions de maîtres des requêtes. Leur correspondance, qui embrasse une

infinité de sujets, fait souvent honneur à leur sagesse, à leur esprit


de justice, à leur amour du progrès. Leur intervention fut plus d'une
fois efficace pour garantir les intérêts des communautés rurales, et

même pour faire prévaloir quelques-uns de leurs droits.


« Il y a de grands avantages à ce que la liberté communale soit
entièrement indépendante de la liberté politique... L'ancien régime a

connu cette distinction salutaire entre le domaine municipal et le do

maine politique. Ce fut une de ses forces. Ce fut son honneur de

respecter, malgré les progrès et les abus de la centralisation, quel

ques-uns des caractères essentiels de la liberté communale. Le nom


de francs donné par Louis le Hutin à ses sujets n'était pas un vain

mot. L'ancienne France ne fut pas complètement asservie, comme tant

d'écrivains l'ont écrit , sous le despotisme. Louis XIV ne déclarait-il pas


lui-même que « la liberté avait toujours été l'apanage de son royaume »,

et qu'il désirait « entretenir l'égalité entre ses sujets »} (Préambule d'une


déclaration de i683l.)

III
Dans un mémoire publié en 1789, par une réunion de magistrats,

sous le titre de Développement des principes fondamentaux de la mo

narchie française , on lit : « Le roi ne règne que par la loi; il est des

lois que les rois eux-mêmes se sont avouées (suivant l'expression deve
nue célèbre) dans Y heureuse impuissance de violer ; ce sont les lois du

royaume, à la différence des lois de circonstances ou non constitution

nelles appelées lois du roi.


« Si la dynastie vient à s'éteindre, c'est la nation qui se donne un

roi. Les rois, comme législateurs suprêmes, ont toujours parlé affir

mativement en publiant leurs lois. Cependant il y aussi un consente


ment du peuple.
«Trois ordres, trois chambres, trois délibérations; c'est ainsi que

1. Babeau, Le Village sous Vancien régime, pp. 357060.


4o

la nation est représentée. Les lois du royaume ne peuvent être faites

qu'en assemblée générale de tout le royaume, avec le commun accord

des gens des trois états. Le prince ne peut déroger à ces lois.
(( La nécessité du consentement de la nation à l'établissement des
lois est une vérité incontestable reconnue par les rois. Louis XIV,
lui-même, le type du roi absolu, ordonne à ses magistrats de lui
desobéir s'il leur adressait des commandements contraires à la loi; il
ordonne de tenir pour nulle toute lettre patente portant des évoca
tions ou des commissions pour le jugement des causes civiles ou cri
minelles, et même de punir les porteurs de ces lettres.
«Le roi, pour des causes qui le concernent, plaide devant les tri
bunaux contre ses sujets. On l'a vu condamné à payer la dîme des
fruits de son jardin r. »

Les magistrats, auteurs de l'écrit que nous citons, avaient donc


raison de s'écrier, en terminant : « Terre heureuse où la servitude est

inconnue! » Et Fleury, en exposant le droit public français, pouvait


écrire: ce En France tous les particuliers sont libres, point d'esclavage;
liberté pour domicile, voyages, commerce, mariages, choix de profes
sions, acquisitions, dispositions de bien, succession. »

IV

Nous avons trouvé, dans le tome X du recueil des Mémoires de


l'Académie des inscriptions, la réponse suivante à ceux qui, vers la
fin du dix-huitième siècle, déclamaient contre le prétendu esclavage de
la nation française, en comparant son régime à la constitution de

l'Angleterre : « C'était la mode de dire en France qu'on y était

i. M. Gaultier de Sibert, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, à


propos d'un passage du panégyrique de Trajan, racontait, vingt ans avant la Révolution,
l'anecdote suivante : «En 1682,, il s'éleva une question, savoir, si les maisons bâties sur les
remparts de Paris depuis soixante ans, avec la permission des magistrats de l'hôtel de
ville, devaient rester à ceux qui les avaient fait construire, ou, si les particuliers étant
assez récompensés par le temps de la jouissance, elles devaient être adjugées au roi. Les
avis furent partagés; alors Louis XIV dit : « Je vois bien que si l'affaire ne me
regardait
« pas, il y aurait eu quelques avis de plus en faveur des propriétaires; ainsi
je me déclare
« pour eux contre le domaine de ma couronne. »

51
402 APPENDICES

esclave ; mais pourquoi donc trouvait-on dans la langue le


française
mot de citoyen, mot qui ne peut être traduit dans les autres langues
européennes? Racine, le fils, adressait ce beau vers au roi de France,
au nom de la ville de Paris :

Sous un roi citoyen, tout citoyen est roi.

Pour louer le patriotisme d'un Français on disait de lui : c'est un


grand citoyen. On essayerait vainement de faire passer cette expression
dans les autres langues; gross burger, en allemand; gran citadino, en

italien, etc., ne seraient pas tolérables. »

La tradition de la liberté avait été constante en France. Machiavel


Ta constaté dans le passage suivant :

« Des rois il y en a eu beaucoup, mais des bons et sages, peu;


j'entends de ces rois qui ne purent rompre le frein destiné à modérer
leur pouvoir, et au nombre desquels il ne faut compter ni les rois
d'Égypte, dans cette antiquité très reculée où ce pays se gouvernait
par des lois, ni ceux de Sparte, ni ceux qui, dans les temps modernes,
naissent en France et dont le pouvoir est tempéré par les lois, plus qu'au
cun autre dont on puisse avoir connaissance jusqu'ici. Le royaume de

France doit sa sécurité et son bonheur à cette seule condition, que


ses rois y sont soumis à une infinité de lois qui font la sûreté de

tous. »

Ce qui a contribué à accréditer l'erreur au sujet de la prétendue


absence d'une constitution sous l'ancien régime, c'est que la France
se gouvernait plus par les principes et les coutumes que par des lois
écrites, ainsi que l'a judicieusement observé un savant jurisconsulte,
Pardessus, dans son Mémoire sur l'origine du droit coutumier en

France, a Pendant longtemps, dit-il, la France, comme tous les États


de l'Europe, je pourrais dire sans crainte de hasarder un paradoxe,

comme tous les pays du monde, a été régie par des coutumes. L'es
prit de codification ne s'est manifesté chez nous que très tard. »
CAUSES DE LA RÉVOLUTION

MŒURS ET CARACTÈRES SOUS L'ANCIEN REGIME

Il serait injuste d'apprécier le tempérament et la vigueur d'un


homme d'après la faiblesse momentanée et les désordres que la mala
die apporte dans sa santé. Nous parlerons plus loin des abus amenés

par l'excès de la centralisation, et de la corruption répandue dans une

partie notable de la noblesse, du clergé et de la riche bourgeoisie, par


les scandales de la Régence et les écrits de Voltaire, de Diderot, de

Jean-Jacques Rousseau, etc. Ici, pour être vrai, nous empruntons,


aux documents les plus autorisés, le tableau des moeurs et du carac

tère national sous l'ancien régime dans son état normal.

L'esprit de foi dominait tout. Le roi assistait publiquement à la

messe chaque jour. La vie la plus licencieuse n'étouffait point les


principes religieux, et La Fontaine lui-même se préparait à la mort

par les pratiques les plus rudes de la pénitence. La religion sanction

nait tous les actes importants de la vie sociale et de la vie privée.

L'opinion publique, d'accord avec les lois, condamnait toute manifes


tation de manque de respect pour les choses saintes. Mais cela n'ôtait
rien à la verve gauloise, à la gaieté expansive, à la cordialité qui fai
saient le fond du caractère distinctif de nos pères.
Un ambassadeur vénitien, Jérôme Lipponiano, admirait en 1677
les mœurs aimables et sociales des Français, et les relations faciles et

affectueuses des différentes classes entre elles. « Le Français, disait-il,


est naturellement ouvert; le maître se mêle aux valets et aux laquais
avec une familiarité incroyable. L'affabilité du roi lui-même envers
tout le monde est, à ce que l'on dit, une cause de la force de la
monarchie en France1.»
« Etre toujours gai, disait un voyageur anglais, en 1786, voilà le
propre des Français 2. » Tout un cycle de fêtes bruyantes donnait à

1. Relations des ambassadeurs vénitiens, publiées dans les Documents inédits sur Vliistoire
de France, l, p. 5ocj.
2. TainEj L'Ancien régime, p. 191.
40 4 APPENDICES

la joie, aux festins et aux danses une large place dans la vie, aux

champs comme dans les villes. Un publiciste du dix-huitième siècle

nous montre, dit M. Babeau, des troupes de paysans et de paysannes


se visitant les jours de fêtes et de dimanche, allant de compagnie à la

foire et au marché et « s'assemblant le soir pour se réjouir, pour


danser, et pour manger le fruit et la châtaigne1)). En Auvergne, dit
Fléchier, dès que le printemps est arrivé Ton ne voit pas une rue,

une place publique qui ne soit pleine de danseurs2. Dans le Nivernais,

raconte Monteil, soit dans la cuisine, soit dans les prairies, on danse,

au son de la musette, les vives bourrées, les vives sauteuses3. Sous


tous les règnes on a dansé. Sous Louis XIV, on danse « aux chansons

ou au son des violons et des hautbois », sur les places publiques le


dimanche. Les historiens parlent avec attendrissement des danses rus

tiques du temps de Henri IV K « Il n'y a feste de village, disait


Etienne Pasquier, où Ton n'accompagne la feste du saint parochial
danses et de -— Les fêtes de villages avaient un
de banquets. » «

entrain, un éclat, un caractère qu'elles n'ont plus de nos jours. Elles


variaient selon les provinces, et les prétextes n'y manquaient pas5.))
Ces paysans si joyeux formaient en même temps, comme le dit

M. Babeau , « une race forte et vaillante » ; c'est elle qui fournit


les héroïques soldats de la Vendée et les recrues de l'armée du Rhin
et de l'armée d'Italie.
A la ville, la joie et les fêtes se partageaient aussi le cours de Tan

née; mais rien n'égalait l'élégance et la politesse exquise des salons de

la haute noblesse et surtout de la cour. Le type parfait de ce bon

ton, que venait apprendre à Versailles la jeune noblesse de toute

l'Europe, se trouve dans le grand roi qui avait construit ce splendide

palais. « Le roi, dit M. Taine , donnait l'exemple. Louis XIV avait

toutes les qualités d'un maître de maison, le goût de la représenta

tion et de l'hospitalité, la condescendance et la dignité, l'art de ména-

1. Babeau, Le Village sous Vancien régime, pp. 35-2 et suiv.


2. Fléchier, Mémoires sur les grands jours d'Auvergne, p. 243.

3. Monteil, Histoire des Français des divers états, IV, p. 294.


de Michel de Marolles, 1656, pp. 11- 13.
4. Les Mémoires
5. Babeau, Le Village sous l'ancien régime, pp. 354-356.
CAUSES DE LA RÉVOLUTION 4o5

ger l'amour-propre des autres et l'art de garder sa place, la galanterie

noble, le tact et jusqu'à l'agrément de l'esprit et du langage L » Marie-


Antoinette, ajoutant à toutes ces délicatesses le charme de son enjoue
ment, réussit à faire de la cour « le plus engageant et le plus gai
des salons2 » .

Depuis le plus humble des hameaux jusqu'à la capitale et la cour,


la vie était joyeuse. «
Qui n'a pas vécu avant 1789, disait plus tard
Talleyrand, ne connaît pas la douceur de vivre. » Et plus tard encore,
en 1827, M. Charles Dupin s'efforçait de démontrer qu'aux élections
prochaines le parti de la Révolution se trouverait en majorité, parce
que désormais le plus grand nombre des électeurs, étant nés depuis la
Révolution, devaient être moins attachés à l'ancien régime « qu'ils
n'avaient pas connu». Ce qui revient à dire qu'en dépit des déclama
tions contre « les horreurs » de l'ancien régime , il suffisait de l'avoir
connu pour le regretter toujours.

LA FAMILLE

La publication de nombreux extraits des Livres de raison, c'est-à-


dire du journal de famille que le simple cultivateur tenait avec autant
de soin que le magistrat et le grand seigneur, nous permet de recons
tituer le tableau de l'intérieur du foyer domestique sous l'ancien
régime. Partout domine l'esprit de religion, l'amour de la patrie et du
roi, le culte de l'honneur.
« Vous êtes de l'ordre de la noblesse, dit un brave marin à ses

enfants, soit par titres, soit par services constants de vos ancêtres.
Cela ne suffit pas. Soyez bons chrétiens, servez à votre tour le roi
avec zèle, fidélité, fermeté et activité. Soyez en même temps modestes,
honnêtes, bienfaisants. Il vous faut cela tout au moins, et vous serez
dès lors de la première et vraie noblesse. » C'est au retour de son
expédition contre les pirates, pour laquelle il avait fait fondre son

1. Taine, L'Ancien régime, p. i6ï.


2. Ibid., id., p. 163.
406 APP EN 1)1 CES

argenterie et vendre les diamants de sa femme, que Ange-Nicolas de

Gardane écrivait, en 1764, ces recommandations à ses deux fils.

Un modeste habitant d'une commune des Hautes-Alpes laisse à ses

enfants, en 1687, une série d'enseignements qu'il résume ainsi. « Je


vous le dis d'un cœur de père à ses enfants, et après vous avoir
laissé ma bénédiction, je vous prie encore de faire bien réflexion à

ce que je vous dis : être bien serviteurs de Dieu et après du roi,


pratiquer la vertu et faire profession d'honnête homme, pour le peu
de temps que vous serez en ce monde, afin que nous puissions tous
nous voir en paradis, suppliant très humblement Dieu par sa miséri
corde faire cette grâce à moi et à vous. »

Le mariage était contracté dans les vues les plus pieuses et les

plus nobles. Dans le Livre de raison d'une famille d'avocats établis à

Aix, un jeune homme reçu docteur en droit à vingt ans, en 1604,


écrivait, l'année suivante, le jour de son mariage. « Voici une des plus
importantes actions de ma vie : c'est mon mariage que je contractai

ce 1er mai iGo5. Le saint sacrement s'administra en l'église Sainte-


Madeleine. Dieu me fasse la grâce que ce soit pour longues années et

à son honneur et gloire. » La naissance de ses enfants est enregistrée


avec des vœux tels que «Je prie Dieu qu'il lui
ceux-ci: donne sa

crainte et tout ce qu'il connaîtra lui être nécessaire. — Dieu le veuille


assister et le fortifier de foi et de piété. »

De génération en génération, ces nobles traditions se transmettent

fidèlement. A la veille de la Révolution , un descendant de la famille

écrit sur le Livre de raison : «Le dernier juin 1777, j'ai été reçu en

l'office de conseiller au Parlement. Ce n'est pas sans trembler que

j'envisage les devoirs d'un juge. Tenant la place du Maître Tout-


* Puissant il a besoin de ses lumières. )) Et, en 1790, s'occupant de l'édu

cation de son fils, il termine par ce vœu digne de ses ancêtres. « Dieu

veuille répandre sur lui sa sainte bénédiction, et le garantir surtout


de l'incrédulité. »

Partout le grand nombre des enfants est regardé comme une béné

diction du ciel; généralement la mère les nourrit elle-même, et le père

dirige avec soin leurs premières études. Un des plus savants hommes
4o y

du seizième siècle, Bodin, malgré ses nombreuses charges, donne les

premières leçons à ses deux fils, dont l'un a trois ans et l'autre quatre,
ce Avec des noix et des cerises, dit-il, je leur appris à nommer en
latin tout ce qu'ils voyaient. Tous les jours ils répétaient tout ce qu'ils
avaient appris avant de déjeuner, ce qu'ils disaient volontiers pour
l'appétit qu'ils en avaient. Ensuite je commençais à leur faire décliner
les noms, conjuguer les verbes. En dînant ou auprès du feu, je par

lais latin avec eux. Après dîner ils apprenaient l'arithmétique; bientôt

je leur apprendrai la géométrie, etc. » D'Aguesseau fut élevé de même

par son père.


Les sentiments de foi, joints à cette sollicitude paternelle, impri
maient, dans l'esprit des enfants, une affection pleine de respect pour
leurs parents. Comme le dit d'Aguesseau : « Un visage plus sérieux,
un regard plus sévère paraissait un véritable châtiment. Un air de

satisfaction, une parole de louange, le moindre signe d'approbation

tenait lieu de la plus grande récompense. »

Ce ne sont pas là des exceptions : partout on trouve ce système en

vigueur jusqu'à l'époque de la Révolution. Dans le Livre de raison


d'un petit notaire de village, né en 1754, on lit : « Dès que mes en

fants étaient parvenus à l'âge de trois ans, je commençais de leur


donner des leçons de lecture. Je leur apprenais ensuite à écrire, et,
lorsqu'ils avaient environ sept ans, je leur donnais les premiers prin
cipes de latinité. Je leur fis faire ensuite les basses classes. J'étudiais
en même temps leur caractère, en leur inspirant de bonne heure

l'amour du travail et la crainte de Dieu1. »

Les mères n'apportaient pas moins de zèle pour l'éducation de

leurs filles : elles les formaient à l'esprit d'ordre et d'économie, tout


en leur inspirant aussi de très bonne heure l'amour du travail et la

crainte de Dieu. Par leur exemple comme par leurs leçons, elles les

1. « Ce bon père de famille, Honoré Thouron, notaire à Besse (Yar), a vécu quatre-
vingt-dix-sept ans, et il a continué son Livre de raison jusqu'en 1840. Un des fils dont il
avait si bien commencé l'éducation, sorti avec distinction de l'école normale et devenu
président de la société académique de Toulon, a prolonge ses travaux: jusqu'aux derniers
moments de sa vie. Il n'a quitté la plume que pour recevoir les sacrements de l'Église,
entouré de ses enfants, petits-enfants et arrière-peiits-enfants. 11 était âgé de soixante-d ix-
huit ans. » (Cn. de Rinnrc, Les Familles et la Société en France avant la Révolution, p. 250.)
4-oS APPENDICES

préparaient à être de fidèles épouses et de bonnes mères de famille,


dignes du respect dont elles étaient entourées au foyer domestique.
Rien de plus touchant que l'expression de la reconnaissance des
enfants pour les parents qui les avaient élevés avec tant de dévoue
ment. Nous ne citerons qu'un exemple emprunté au milieu du dix-
huitième siècle. Un bourgeois de Toulon, J.-B. Laugier, en continuant
le Livre de raison de son père, disait : « Mon père ne m'a jamais donné
que de bons exemples; je serais l'homme le plus indigne qu'il y eût
sur la terre, si j'étais capable de déshonorer sa mémoire; mais, si je
n'ai pas hérité de ses talents, j'espère, avec l'aide de Dieu, succéder à

sa droiture et à son bon cœur. Il m'a laissé en mourant un plus


bel exemple encore de religion et de soumission à la volonté de Dieu.
Je prie le Seigneur de me donner les secours nécessaires pour imiter
mon bon père en sa vie et en sa mort. »

Un écrivain aussi érudit qu'élégant, M. Ch. de Ribbe, a décou

vert à lui seul un nombre considérable de ces Livres de raison dont


il a fait l'élément historique de son bel ouvrage sur les Familles et la
Société en France avant la Révolution. On trouvera par centaines,
dans ces deux volumes, des extraits de ces journaux intimes, peut-
être plus frappants encore que ceux que nous avons choisis pour don
ner, d'après les faits, une idée de la famille sous l'ancien régime.
Le droit de disposer de son bien assurait une sanction à l'autorité
du père de famille, et lui permettait de choisir, parmi ses enfants, le

plus capable de lui succéder, quand il y avait un établissement à

continuer
Le droit d'aînesse n'était imposé qu'aux familles vouées au service
de l'État; il était admis chez un très grand nombre de bourgeois et

de paysans, mais ce n'était nullement une loi générale2. La coutume


établissait généralement que l'un des enfants (l'aîné souvent, quelque
fois même la fille aînée, comme dans le Béarn, ou même le plus

1. La plénitude du droit de tester, dit avec raison M. Le Play, admise autrefois chez toutes
les nations de l'Europe, est encore une des bases de la constitution en Angleterre et aux
Ktats-Unis, et Ton ne voit pas en quoi elle a été nuisible chez ces deux nations aux déve
loppements de la liberté et l'industrie.
2. Ch. de Rirbe, loc. cit., p. 493.
CAUSES DE LA RÉVOLUTION

jeune) prendrait, après la mort du père de famille, la direction du

domaine ou de l'atelier. Ce successeur choisi devenait le bras droit de


ses parents, ne les abandonnait jamais. Les autres enfants étaient dé

dommagés par des dotations proportionnées à la fortune du père.


Grâce à ce mode de succession, la famille conservait un centre per
manent, et le foyer domestique se transmettait de générations en

générations

ENSEIGNEMENT

Avant 1789, il y avait, pour l'enseignement supérieur, 24 univer


sités, dont 1 protestante, celle de Strasbourg, et, pour l'instruction

secondaire, 562 collèges fréquentés par 72,000 élèves, dont 33, 000

recevaient l'instruction entièrement gratuite, et plus de 7,200 jouis


saient d'une gratuité partielle plus ou moins considérable. L'en
seignement était donné sans rétribution aucune dans beaucoup de

collèges, et spécialement dans tous les collèges de Paris, depuis 1719.


Comme le disait M. Villemain (dans son rapport officiel de 18.4.3,

auquel nous empruntons les chiffres ci-dessus), la gratuité de ren


seignement secondaire « n'était pas un don du gouvernement, mais

l'ouvrage de la libéralité de plusieurs siècles, et pour ainsi dire


l'expression même des progrès de cette civilisation qui, depuis le

moyen âge, avait porté si loin la gloire de la France dans les lettres

et dans les sciences. L'instruction classique, alors plus recherchée par


le goût et l'habitude des classes riches, était, en même temps, plus
2 ».
accessible aux classes moyennes ou pauvres M. Villemain, en

parlant de l'ancien régime, dit encore : « Il y avait empressement à

tirer de la classe ignorante et pauvre l'enfant qui annonçait quelque


talent; et on dut à cette disposition bien des hommes célèbres dans
la science et dans les affaires3.»

1. A. de Moreau (TAndoy, Le Testament scion la pratique des familles stables et pros


pères, p. 65.
2. Villemain, Rapport au roi sur l'instruction secondaire, p. 57.
3. Ibid.j ici, p. 59»

52
APPENDICES

L'instruction primaire était aussi très répandue. D'après les nom


breuses études locales publiées depuis plusieurs années, il est main
tenant reconnu « qu'à la fin du dix-huitième siècle la France, dans

presque toutes les provinces, était couverte d'écoles nombreuses et

florissantes 1
».

De tout temps, les rois s'étaient préoccupés de l'instruction du

peuple, depuis Charlemagne, qui avait fondé, dit Ampère, une école

auprès de chaque paroisse, jusqu'à Louis XIV, dont l'édit de 1698

ordonnait d'imposer au besoin une contribution spéciale aux habitants

pour qu'il y eût une école dans le moindre village. En 1789, il y


avait, en effet, des écoles dans toutes les paroisses de la Franche-

Comté, de l'Alsace et de la Lorraine; on en trouvait même dans les

hameaux trop éloignés de r église. On pouvait en dire autant d'une


bonne partie de la Champagne, de la Flandre, de l'Artois, de la

Normandie, de la Vendée et de l'Aunis, du Languedoc, de la Savoie.

Les régions moins bien partagées sont généralement celles où, jusqu'à
nos jours, les écoles ont eu le plus de peine à s'établir 2.

« Dans la plus grande partie de la France, ni l'Etat, ni le clergé,


ni le seigneur ne possédaient le droit de désigner l'instituteur. C'était
librement, dans l'assemblée générale, que les pères de famille pas

saient, par-devant un officier public, le contrat qui confiait l'école à

un maître choisi par eux pour une ou plusieurs années. Il faut,


écrivait en 1780 l'intendant de Bourgogne, que les recteurs d'école

dépendent des habitants qui les payent3. »

MAGISTRATLÎ RE

<( Les parlements se composaient de magistrats qui achetaient leur

charge, qui se recrutaient eux-mêmes, qui ne connaissaient ni les

misères , ni les sujétions de l'avancement. Ils constituaient , par

1. Ai. 1.Ain, L'Instruction \ rimairc en France avant ta Révolution, p. 'icj.


■1.Babeau, L'École de village, chap. \, pp. _;-ro.
'S.

lui d., id., p.


1
7.
CAUSES DE LA RÉVOLUTION

conséquent, de grands corps indépendants du pouvoir civil, et pou

vaient lui faire une opposition efficace1.»

ARMÉE E T MARI N E

Louis XIV avait établi le service forcé de la milice, réglé par le


tirage au sort, mais le nombre des miliciens, borné à soixante mille
pour un service de six ans, n'exigeait chaque année qu'un contingent
de dix mille hommes pour toute la France. Une commune considérable
n'avait à fournir qu'un seul soldat; on le tirait au sort parmi les

jeunes hommes de vingt ans, célibataires ou veufs. Tout homme


marié était exempté. Le conscrit désigné recevait de ses camarades le

montant d'une cotisation ordinairement assez élevée. Le service des


miliciens se bornait, en temps de paix, à des réunions et à des
manœuvres périodiques, de courte durée, calculées de façon à laisser

les hommes libres pour les travaux de l'agriculture 2. L'effectif des


régiments se complétait par des engagés volontaires, fournis géné
ralement par la classe des jeunes gens oisifs et besogneux, toujours
nombreux dans les grandes villes. « Pourtant ces pauvres diables, une
fois habillés et armés, faisaient contre fortune bon cœur, et devenaient

d'excellents soldats. Fiers de leur uniforme, attachés au drapeau par


le sentiment du point d'honneur qui s'éveille vite dans le cœur

français, ils conservaient avec une noble émulation la gloire du nom


antique de leur régiment. L'armée n'était pas alors coulée dans un
moule de désespérante uniformité; le soldat se sentait autre chose
qu'un numéro. Chaque drapeau avait son histoire, chaque régiment
ses fastes et ses légendes. L'esprit de corps, les rivalités même entre
régiments prouvaient combien chacun d'eux était jaloux de son rang,
de ses souvenirs et de son histoire. Navarre sans peur; Vexin
premier au feu, dernier au pain, nobles devises que s'attribuait
chaque soldat de Navarre ou de Vexin.

1. Ribot, Du Rôle social des idées chrétiennes, I, p. 170.


2. Babeau, Le Village sous l'ancien régime, pp. 275-281.
APPENDICES

« Le corps des sous-officiers était admirablement composé. Les


officiers ayant de la fortune passaient peu de mois par an à leur
régiment ; le rôle des sous-officiers y gagnait de l'importance. Le
sous-officier en temps de paix était la cheville ouvrière de l'armée.
Etre sous-officier c'était un état1. »

« La royauté légua à la Révolution une infanterie solidement

encadrée, une magnifique cavalerie, une artillerie que Gribeauval


avait faite la première de l'Europe, un remarquable corps d'ingénieurs 2. »

Lous XVI s'était occupé spécialement de la marine. Il choisit pour


ministre un homme d'un grand mérite, M. de Sartines, qui sut

réorganiser, recréer nos ports principaux de 1778 à 1780, et il


parvint à rendre notre marine plus puissante que celle de l'Angleterre.
« Les ordonnances de Sartines en 1776, dit M. Léon Guérin, font

époque dans l'histoire maritime de la France; elles sont restées la

pierre angulaire, le point de départ du système administratif et de la

jurisprudence qui régissent encore ù présent la marine de l'Etat3.» Le


personnel des officiers de marine fut épuré avec discernement, et

quand Louis XVI reconnut les Etats-Unis, nous étions prêts à lutter
avec l'Angleterre. De sages encouragements et des avantages sérieux

offerts aux armateurs firent créer, par des compagnies d'actionnaires,


de véritables escadres. Un officier distingué, Kerguelen, dit : « Nous
n'avions pas en 1776 plus de trente vaisseaux en bon état, et dès

[779 nous avons balancé les forces navales de l'Angleterre. Au


commencement des hostilités, nos forces s'élevaient à soixante-quatre
vaisseaux de guerre armés, sans compter les frégates et les bâtiments

inférieurs. Nous avions en 1789 une marine puissante 4. »

COjMMERCE, industrie, agriculture, colonies

L'ancien régime tendait à assurer la bonne qualité des produits et

1. Ouarré de Verneuil, La France militaire pendant la Révolution, pp. 4-6.


2» Umd., L'Armée en France depuis Charles VII jusqu'à la Révolution, p. 33q.
3. Léon Guérin, Histoire maritime de la France, p. 5.
4. Kerguelen, cité par Semiciion dans son livre : Les réformes sous Louis XVI, pp. 55-57.
CAUSES DE LA RÉVOLUTION

à maintenir la production en équilibre avec les besoins : c'était le

système de la protection. « L'ouvrier du moyen âge faisait rarement


fortune; il travaillait au jour le jour pour ses voisins; il exportait
peu ses produits, mais il connaissait rarement le chômage ou la

misère L » Généralement, le maître travaillait lui-même avec un ou


deux apprentis et quelques compagnons, et terminait complètement
un objet déterminé. Organisé en corporations, chaque corps de métier

plaçait son honneur à ne recevoir comme « maître » que des ouvriers


attestant leur savoir-faire par un « chef-d'œuvre » exposé et jugé avec

rigueur. Des inspecteurs, choisis par la corporation, visitaient chaque


fabricant et contrôlaient la bonne qualité des objets, comme matière
première et mise en œuvre; souvent on apposait la marque de la
corporation, qui garantissait la marchandise, comme le contrôle de la
monnaie atteste de nos jours la valeur de l'orfèvrerie. Dans plusieurs
villes, il y avait en outre, des inspecteurs désignés par les magistrats,
et l'État lui-même finit par établir un corps de fonctionnaires pour
cet emploi. En 1780, on comptait quarante-cinq inspecteurs de l'État
et six sous-inspecteurs 2.

Colbert, en encourageant partout les manufactures, ébranla l'ancien


système des petits ateliers de famille, où le patron travaillait avec ses
auxiliaires, pour y substituer le vaste atelier où de nombreux ouvriers
obéissent à la direction d'un chef qui ne fait que les surveiller. Bientôt
l'excès de production amena une crise commerciale. L'État s'unit aux
villes pour la conjurer, en achetant les marchandises aux fabricants afin
de les emmagasiner jusqu'au jour où l'on pourrait en tirer un prix
convenable3. Le commerce des villes, ébranlé à la fin du règne de
Louis XIV, se releva au siècle suivant : généralement, l'activité
industrielle et la richesse publique, surtout depuis 1740, allèrent
toujours en s'accroissant jusqu'à la Révolution 4.

Il en était de même pour les campagnes : « Le règne de Louis XVI ,


dit M. de Lavergne, fut une des plus belles époques de l'agriculture
1. Baiîeau, Les Villes sous l'ancien régime, p. 355.
2. Almanach royal pour iyS5, p. 567.
3. Archives de Troycs. A. 52,
4. Babeau, Les Villes sous l'ancien régime, p. 356.
4>4 APPENDICES

nationale. Les deux plus grandes conquêtes qu'on ait faites depuis des

siècles, les seules qu'il soit possible de citer après l'introduction du

maïs et de la soie, commençaient à s'accomplir : Parmentier popula


risait la pomme de terre ; Daubenton introduisait la race espagnole

du mouton mérinos »

Les colonies étaient pour le commerce une source de richesses.


« Souvenez-vous, disait l'amiral Villaret , que, par elles, depuis
soixante-dix ans, notre numéraire avait été presque doublé... Chaque
année, l'importation et l'exportation des denrées était de 160 millions.
La métropole y envoyait chaque année pour 78 millions de marchan

dises , dont 40 millions d'objets manufacturés. L'ile seule de Saint-

Domingue rapportait à la France plus que quatre de ses plus belles

provinces 2. »

LETTRES, SCIENCES ET ARTS

L'éclat du règne de Louis XIV atteste le magnifique développement


des lettres et des arts sous l'ancien régime*, et, en remontant jusqu'au
moyen âge, on constate que l'université de Paris attirait, de toutes les

contrées de l'Europe, des milliers d'étudiants, l'élite intellectuelle des


diverses nations. Les lettres et les arts florissaient encore sous le

règne de Louis XVI, et la France se plaçait à la tête du mouvement

scientifique qui devait caractériser les temps modernes. « Lavoisier


inventait la chimie, Buffon publiait les Epoques de la nature, Hauy
fondait la minéralogie, Lagrange écrivait la Mécanique analytique,
Jussieu perfectionnait la botanique, Bougainville achevait le tour du

monde, Greuze et Vien régénéraient la peinture, Grétry créait la

musique nationale3.))

1. L. de Lavergne, Economie rurale de la France depuis i/S(J, pp. 2, 3 et 4? r .


2. Discours de l'amiral Villaret, le 3i mai 1797, cité par I. d'Ivernois, I, p. 200.
3. L. de Lavergne, loc. cit., p. 3.
CAUSES DE LA RÉVOLUTION 4'3

ABUS QUI ONT ALTÉRÉ LA CONSTITUTION SOUS L* ANCIEN RÉGIME

Pour avoir une idée nette et juste de ces abus, il faut remonter
assez haut dans notre histoire. Les esprits superficiels croient trouver
une explication suffisante de la Révolution dans la corruption des
mœurs sous la Régence, et le règne de Louis XV surtout; corruption
qui entraîna, par de folles prodigalités, un désordre grave dans les
finances, et qui mit au pouvoir des hommes incapables ou pervers.
La cause de la ruine n'est pas là; pour le corps social comme
pour le corps humain , tant que la constitution est robuste on peut

guérir des maladies accidentelles. Ce sont les atteintes portées à la

constitution traditionnelle de la France qui , après avoir miné len


tement l'ancien régime, le firent crouler en 1789.
Le mal remonte à la première convocation des Etats généraux sous
Philippe le Bel. Augustin Thierry a reconnu cette vérité dans ses

Lettres sur l'histoire de France. « Au commencement du quator


zième siècle, dit-il, lorsque les députés de la bourgeoisie furent, pour
la première fois, convoqués aux Etats généraux du royaume, ce ne

fut point pour la classe bourgeoise le signe d'une émancipation


récente , car il y avait plus de deux siècles que cette classe nombreuse
avait reconquis sa liberté et qu'elle en jouissait pleinement. La convo
cation des députés du tiers état ne fut donc point une faveur politique,
mais la reconnaissance du vieux privilège communal, reconnaissance
qui, malheureusement, coïncide avec les premières violations de ce

privilège et le projet de ravir aux communes leur organisation indé


pendante. Par un entraînement involontaire, les écrivains prêtèrent à
ces assemblées nationales des couleurs trop brillantes , à côté desquelles

pâlit l'époque des communes, véritable époque des libertés bour


geoises l. »

Ces premiers États généraux a furent illusoires », dit M. Boutaric2,

1. Augustin Thierry, Lettres sur l'histoire de France, XXV, p. 277.


2> E. Boutaric, Bibliothèque de Vécole des Charges, 5° siirie, t. I.
4i6 APPENDICES

et il le prouve, comme on va le voir; mais pour comprendre ce fait

important, il est nécessaire d'avoir une notion claire du double


clément fourni par le tiers état; nous la trouvons dans le passage
suivant de M. Augustin Thierry :

« Le tiers état, dit-il, puisait sa force et son esprit à deux sources


diverses, à savoir : les classes commerçantes et la classe des officiers

de justice et de finance^ presque tous sortis de la roture. L'esprit de

la bourgeoisie des corporations urbaines était attaché aux franchises

locales, aux droits héréditaires, à l'existence indépendante et privi


légiée des municipcs.
a L'esprit des corps judiciaires, au contraire, n'admettait qu'un
droit, celui de l'Etat, qu'une liberté, celle du prince, qu'un intérêt,
celui de l'ordre sous une tutelle absolue ; et leur logique ne faisait

pas aux privilèges de la roture plus de grâce qu'à ceux de la noblesse.


De là vinrent, dans le tiers état français, deux tendances divergentes,

toujours en lutte !. »

Il est important de bien remarquer que ce qui est désigné sous le

titre de « privilèges de la roture» ce sont « les franchises locales, les


droits héréditaires, l'existence indépendante des municipes», c'est-à-dire

les éléments essentiels des libertés communales.

Les hommes des corps judiciaires, dont parle Augustin Thierry,


admirateurs fanatiques du despotisme des césars romains , ne recon

naissaient d'autre droit que la loi écrite, et cette loi émanait de la

volonté unique du chef de l'Etat. A l'ancienne formule nationale, base


de la constitution française : « La loi se fait par le consentement du

peuple et la sanction du roi », ils substituèrent la formule césarienne :

((Si veut le roi, si veut la loi». Ces fanatiques du despotisme


romain devinrent, sous le nom de «légistes», les mauvais génies de
la société.
« Les légistes, dit M. Michelet, furent les tyrans de la France. Ils
procédèrent avec une horrible froideur, dans leur imitation servile du

droit romain et de la fiscalité impériale. Rien ne les troublait dès

qu'ils pouvaient répondre, à tort ou à droit : Scriptwn est. Ces cruels

i. Augustin Thierry, Histoire du tiers état) chap. III,


CAUSES DE LA RÉVOLUTION 4i7

démolisseurs du moyen âge sont, il coûte de l'avouer, les fondateurs


de l'ordre civil aux temps modernes. Ce droit laïque est surtout
ennemi du droit ecclésiastique l. »

M. Guizot n'est pas moins explicite; il constate que, jusqu'à


l'époque des légistes, la royauté en France « n'avait pas travaillé à se

rendre absolue», et que la tendance au despotisme ne commence à se

manifester que sous Philippe le Bel, par l'influence des jurisconsultes 2.

M. Le Play se range au même avis; en parlant des légistes, il dit :

(( Au lieu de s'identifier avec les intérêts de la nation, les légistes ont


amoindri les libertés civiles et politiques, désorganisé le gouvernement
local et surtout détruit les coutumes, c'est-à-dire la partie vénérable et

la plus utile de toute constitution. »

Dans les premiers États généraux convoqués par Philippe le Bel,


<( le tiers état, dit M. Boutaric, n'était pas la représentation sincère
du grand qui formait la majorité des Français. Ce n'étaient
tiers état,

ni des propriétaires, ni de riches marchands, ni des artisans, ni des

bourgeois vivant du fruit de leurs épargnes : c'étaient des avocats ,

des légistes, des hommes qui appliquaient, avec une inqualifiable


rigueur, les odieuses prescriptions d'une législation implacable, farcie
du droit romain, imbue d'idées césariennes, sans pitié pour le pauvre,
jalousant bassement les grands, rapinant, thésaurisant pour parvenir
à cette noblesse qu'ils enviaient pour eux, qu'ils décriaient chez les
autres; ce sont des avocats, des lieutenants de bailliages, des juges,
des procureurs, tous suppôts de justice, à la langue bien pendue et

aux théories téméraires ».

Rien ne ressemble plus à cette première représentation du tiers


état que la dernière, en 1789.
Aux États généraux de i355, le tiers état fut plus fidèlement
représenté ; il réagit énergiquement contre la doctrine césarienne des
légistes. Les trois ordres furent unanimes pour voter les résolutions
suivantes : « L'autorité partagée entre le roi et les trois états
représentant la nation ; l'assemblée des états séjournant elle-même à

1. Mici-iei.et, Histoire de France, III, p. 3g.


2. Guizot, Civilisation en France, IV, )5C leçon, pp. 161-17?.
53
4i8 APPENDICES

terme fixe; l'impôt atteignant jusqu'au roi lui-même. » Par ordonnance


royale, ces résolutions reçurent sur-le-champ force de loi.
« En 1436, dit un de leurs admirateurs, M. Bardoux, les légistes
remirent à l'œuvre avec le même courage et la même ténacité

qu'avaient montrés leurs aïeux. Ce fut par la refonte de l'admi

nistration que les conseillers de Charles VII reconquirent pour la


couronne le terrain qu'elle avait perdu l. »

Par une violation manifeste de toutes les traditions de la monar

chie, l'impôt permanent et les taxes furent établies sans le consen

tement des états. Commines a enregistré le cri d'indignation que


souleva cette nouveauté. « Charles VII, dit-il, qui gagna ce point
d'imposer la taille à son plaisir, sans le consentement des états,

chargea fort son âme et celle de ses successeurs, et fît à son royaume

une plaie qui longtemps saignera 2. »

L'intimidation fit des États généraux, sous Charles VII, « une

foule anonyme et quasi muette, se bornant à voter en silence des

subsides écrasants et sans cesse renouvelés3 ».

En 1570, « les légistes du tiers état condamnent juridiquement les

libertés des cités et des communes, boulevard de la nation contre

toutes les tyrannies. Ce fut l'un des plus beaux caractères de cet

ordre, le chancelier de l'Hôpital, qui signa l'ordonnance rendue à

Moulins, par laquelle furent confisquées, au profit du roi, la justice

civile, l'administration élective, toutes les libertés de cent villes de

France 4 ».

Le progrès de l'œuvre des légistes fut arrêté par la Ligue. « Le

parti catholique, dit M. Augustin Thierry, qui avait de son côté le

nombre, la puissance des vieilles mœurs et la force populaire, fut

soulevé tout entier par un mouvement d'indignation, et de ce mou


vement sortit la Ligue... Son ressort fut le serment d'assistance

mutuelle et de dévouement jusqu'à la mort5. »

1. Bardoux, Influence des légistes au moyen âge.


Mémoires de Commines,
•_>. liv. VI, chap. vi.
3. Vallet de Viriville, Bibliotlieque de l'école des Cliartes, XXXIII.
4.
Augustin Thierry, Dix ans d'études historiques, chap. vi, p. 455.
5. Iiud., Histoire du tiers état, p. 102.
CAUSES DE EA RÉVOLUTION 4'9

(( Les villes de liberté municipale qui se sentaient tomber, non sans


regret, sous le niveau de l'administration, saisirent avidement l'espérance
de regagner leurs franchises perdues et de rétablir leurs constitutions
mutilées; elles s'enrôlèrent à l'envi dans la Ligue, dont leurs milices

composèrent la principale force, et Paris fut à la tête du mouvement l.»

Les États généraux, réunis deux fois sous la Ligue, formulèrent


les principes de l'antique constitution française, qui limitait l'autorité
souveraine par les lois fondamentales du royaume; la paix et la

guerre, ainsi que la levée des impôts, devaient se faire avec le

consentement des états; il devait y avoir dans chaque cour souveraine


une chambre élue par les états pour recevoir les plaintes du peuple
et juger en dernier ressort les contraventions aux ordonnances des

États généraux 2.

Henri IV est le seul roi, avant Louis XVI, qui ait bien compris
l'élément de stabilité que la royauté puisait dans la forte et libérale
organisation des provinces et des communes. Sous son successeur, les

légistes obtinrent la majorité dans le tiers état de rassemblée de

1614, et ils poussèrent à une telle exagération leur doctrine sur la

toute-puissance du roi, que le clergé, la noblesse et la royauté


elle-même refusèrent, cette fois, d'admettre cette doctrine trop conforme
au principe césarien : « Ce qui plaît au prince a force de loi, et il

n'y a de juste que ce qui est la loi. » Comme Voltaire l'a fort bien
dit, avec un pareil principe « les hommes sont réduits à n'avoir pour
leur défense que les lois et les mœurs de leur pays, lois souvent
souvent 3 ».
méprisées, mœurs corrompues
Cependant « Richelieu, dit Augustin Thierry, comprimait sous un
pouvoir sans bornes les vieilles libertés des villes et des provinces. États
particuliers, constitutions municipales, tout ce qu'avaient stipulé, comme
droits, les pays agrégés à la couronne, tout ce qu'avait créé la bour
geoisie dans son âge héroïque fut refoulé par lui plus bas que jamais 1 ».

Colbert, sous Louis XIV, poursuivit la campagne contre les

i. Augustin Thierry, Histoire du tiers état, p. i 10.


•2»Ciialembert, Histoire de la Ligue, I, p. \S3.
Voltaire, Essai, chap. lx.
II,

3.

4. Augustin Thierry, Histoire du tiers état, p. 174,


APPENDICES

libertés provinciales, et les pays d'états1 eux-mêmes ne réussirent à

conserver leurs assemblées provinciales qu'en payant, à diverses


reprises, des impositions extraordinaires. Dans la plupart des pro
vinces, Colbert s'efforça d'absorber tous les pouvoirs par l'action de

ses « intendants », qui avaient dans chaque canton leurs « subdé

légués ». Ces agents, étrangers à la province, ne relevant que du roi,


tendaient à fausser tous les éléments de l'ancienne institution et à

substituer l'Etat aux pouvoirs locaux, aux corporations, aux familles.


Police, voirie, salubrité, travaux de l'agriculture, manufactures, com
merce, rien n'échappait à leur contrôle; partout ils s'efforçaient
d'étendre leur influence par des conseils et des faveurs, et même par
une réglementation formelle quand ils le pouvaient 2.

Ecrasé par les dipenses de la guerre, pour battre monnaie, le

gouvernement de Louis XIV érigea en offices héréditaires les emplois


à la nomination des villes, et les vendit le plus cher possible. Toutes
les villes, grandes et petites, se firent un point d'honneur du rachat
de leurs privilèges, au prix de sacrifices onéreux3.
Après la mort de Louis XIV, toutes les charges vénales furent
révoquées, et les villes recouvrèrent leurs droits municipaux4. L'édit
de 1716 proclama restauration de l'ancien droit municipal; mais les

officiers royaux, intendants et autres, continuèrent à altérer dans les

provinces le système de l'administration locale.


L'ancien régime, malgré l'action dissolvante des légistes, subsistait
donc en grande partie, et la constitution traditionnelle de la France

n'était point abolie. Les parlements s'étaient substitués aux Etats


généraux : c'était là le plus grave désordre dans le gouvernement ;

mais il n'était pas irréparable. Une réunion des Etats généraux,


préparée avec sagesse et maturité, pouvait y remédier.

j. On appelait pays d'états ceux qui jouissaient du droit d'ave: ir, à époque fixe, une
assemblée des trois ordres, qui réglait les impositions. Les autres provinces s'appelaient
pays d'élections, parce qu'ils avaient des tribunaux, appelés élections, composés de mem
bres élus par la province qui, au moins pour la répartition des impôts, remplissaient
quelques-unes des fonctions des états provinciaux.
2. De Tocql-e ville, L'Ancien régime et la Révolution, chap. 11.
3. Ai'0!:st:n Thierry, Histoire du tiers état, p. 227.
tj. Ravnouakd, Histoire du droit municipal, liv. IV, chap. xn.
CAUSES DE LA RÉVOLUTION

Louis XVI, adoptant les sages et libérales idées du duc de Bour

gogne l'avait compris, et il avait commencé à préparer le pays à la

restauration complète des anciennes libertés, par le rétablissement

d'assemblées provinciales périodiques , chargées de la répartition de

l'impôt et de l'administration locale. Chacune de ces assemblées, élues

par les trois ordres, nommait un bureau permanent pour l'expédition


des affaires en dehors du temps des sessions; elle devait recueillir et

exposer au roi toutes les demandes et tous les vœux de la province.


Au bout de quelques années, il se serait formé ainsi, par la pratique
des affaires, des hommes capables d'apporter, dans une réunion des
Etats généraux, des idées saines et l'expérience nécessaire. Mais ce

système ne fut un peu généralisé qu'en [787 et 1788. La convocation


prématurée des États généraux, arrachée à Louis XVI, trouva la
France dépourvue encore d'hommes habitués au maniement des
affaires, et assura le triomphe définitif des légistes, qui rendit possible
le régime le plus despotique.

ABCS SECONDAIRES

Les autres abus : les scandales de la cour, le mauvais état des


finances, la corruption des mœurs, surtout dans la noblesse et la
riche bourgeoisie; la licence des doctrines matérialistes et impies des
philosophes, le socialisme de Rousseau; tout cela ne constituait que
des désordres partiels : la masse de la nation, et chacun des ordres
dans son ensemble, restaient attachés au gouvernement monarchique

séculaire, ainsi qu'aux anciens principes religieux et moraux.


Les Livres de raison, dont on a lu plus haut quelques extraits,
attestent que de toutes parts les familles gardaient encore, à la fin du
dix-huitième siècle, les traditions d'honneur et de vertu de leurs
ancêtres.

1. On trouve dans de Fénelon l'esquisse des projets du duc de Bourgogne. On


les œuvres
peut en voir les détails dans
un mémoire attribué à Saint-Simon, et publié en i8(3o par
M. P. Mesnard. Ce projet tombé dans l'oubli en fut tiré par le marquis de Mirabeau dans
son Mémoire sur les états provinciaux, publié en iySo.
APPENDICES

Les grands seigneurs, qui avaient déserté leurs terres pour vivre à

la cour, ne formaient qu'une minorité dans leur ordre. « La petite


noblesse vivant dans ses terres, dit M. Taine, était la Providence des
paysans. J'ai eu beau lire, ajoute-t-il, je n'ai pu trouver, dans les

bénéficiers ecclésiastiques résidents et dans les nobles, les tyrans


ruraux que dépeignent les déclamations de la Révolution l. »

Il en est de même des scandales de quelques membres du haut

clergé et du relâchement de certains ordres religieux. M. de Tocque-


ville, après avoir étudié à fond cette question, dit : «Je ne sais si,

à tout prendre, et malgré les vices éclatants de quelques-uns de ses

membres, il y eut jamais dans le monde un clergé plus remarquable


que le clergé catholique de France, au moment où la Révolution l'a

surpris, plus éclairé, plus national, moins retranché dans les seules

vertus privées, mieux pourvu de vertus publiques et en même temps

de plus de foi ; la persécution l'a bien montré. J'ai commencé l'étude

de l'ancienne société plein de préjugés contre lui ; je l'ai finie plein


de respect 2. »

Quant au désordre des finances, il a été exagéré, et l'on pouvait


aisément y porter remède. M. de Galonné a prouvé que le déficit
ordinaire, à l'époque de 1788, n'était réellement que de cinquante-cinq

millions \ et il devait être réduit à une moindre somme en 1789.


L'ancien ministre avait indiqué des moyens faciles pour combler ce

déficit -K

Louis XVI avait fait les plus sévères réformes dans les dépenses

de sa maison. Le clergé et la noblesse étaient disposés à accepter la

répartition uniforme des charges publiques sur toutes les propriétés


sans exception, comme le prouve l'impôt territorial décrété par
l'Assemblée des notables en 1787. La publicité des comptes de

finances était mise en pratique. Enfin, l'ancien principe de la néces-

1. Taine, V Ancien régime, p. 42.


2. de Tooqueville, L'Ancien régime et la Révolution.

3. Le déficit de 178S est porté à 160 millions; mais c'est en y comprenant 76 millions
de

remboursements et 2() millions de dépenses extraordinaires. Ces deux sommes retranchées,


il ne reste que 55 millions pour le déficit ordinaire.
/|. De Galonné, Lettre adressée au roi, le q lévrier 1789; pp. 241-258. Imprimé
à Londres.
CAUSES DE LA RÉVOLUTION 4>3

si t i du consentement de la nation pour l'établissement d'un impôt


était remis en vigueur par la convocation même des Etats généraux.

Le morcellement de la propriété avait relevé la condition des

cultivateurs, classe toujours la plus nombreuse. Comme le dit et le

prouve M. Babeau, « un grand fait s'était produit depuis la fin du


moyen âge; la majorité des paysans étaient devenus propriétaires. Au
dix-huitième siècle, les petites propriétés étaient aussi nombreuses
que de nos jours1 ». Aussi, faut-il se tenir en garde contre les doléances
exagérées sur la misère des pauvres habitants des campagnes écrasés

par les impôts. Une Anglaise, lady Montagne, qui parcourut la


France sous Louis XV, écrivait en 1739 : « Les villages sont peuplés
de paysans forts et joufflus, vêtus de bons habits et de linge propre.
On ne peut imaginer quel air d'abondance et de contentement est

répandu dans tout le royaume. » Un autre voyageur, Horace Walpole,


dit, en 1765 : « Je trouve ce pays-ci prodigieusement enrichi depuis
vingt-quatre ans que je ne l'avais vu. Les moindres villages ont un
air de prospérité, et les sabots ont disparu. »

Les statistiques du temps , et même les rapports de certains inten


dants, semblent contredire ces attestations d'une large aisance dans
les campagnes; mais, il ne faut pas perdre de vue que ces rapports
officiels étaient demandés pour fixer le chiffre de l'impôt; on se
faisait excessivement pauvre pour être taxé le moins possible. « On
néglige parfois de réparer sa maison pour ne pas être augmenté aux
tailles; mais tel, qui implore une diminution comme misérable, se
traite en grand seigneur. Témoin cet artisan du Roussillon, qui
achète un lièvre 3 livres (environ 9 francs aujourd'hui), deux per
dreaux 4 livres, et vient ensuite demander la modération de ses
taxes d'imposition à M. l'intendant, lequel avait trouvé ce gibier trop
cher pour lui 2. »

1. Babeau, Le Village sous l'ancien régime; 2e édition, p. 35o.


2. Raymond de Saint-Sauveur, p. 46.
424 APPENDICES

LES CAHIERS DE I 789 ATTESTENT QUE LE PEUPLE FRANÇAIS VOULAIT

LE MAINTIEN DE l' ANCIENNE CONSTITUTION

Le 24 janvier 1789, Louis XVI signa la lettre de convocation

des Etats généraux, accompagnée du règlement à suivre pour la

rédaction des cahiers et la nomination des députés. Le mode d'élec

tion différait essentiellement de nos scrutins actuels. On nommait

d'abord, même dans les plus petits hameaux, des députés chargés de

rédiger le cahier des doléances et des vœux des habitants de la

circonscription électorale. Pour le tiers état, les assemblées étaient si

multipliées que, jusqu'au moindre des paysans, chacun pouvait


émettre son avis, le discuter et le faire inscrire dans les cahiers

rédigés avec maturité. Un journal socialiste, la Vérité, exposait ainsi,


en 1 871, la supériorité de ce système électoral de l'ancien régime.
« En 89, les députés du tiers, disait-il, ont été choisis après trois

délégations successives. Tout assemblage de deux cents feux 1 dut élire


un député au petit bailliage, où se rédigea un premier cahier des vœux

et doléances du peuple. » Ces députés choisirent un certain nombre


d'entre eux comme députés au grand bailliage, lesquels réunirent
les premiers cahiers, rédigèrent le cahier du grand bailliage, et

choisirent parmi eux les députés du tiers aux Etats généraux, au nom
bre de neuf cents.
« De cette façon, les vœux du dernier habitant du plus pauvre

village purent être légalement formulés, et des hommes modestes et

instruits sortirent de l'obscurité pour arriver à la première assemblée


de France, sans brigue et sans intrigue, en faisant seulement preuve

de talent et de bonne foi.

a Les élections de 1789 ont été plus démocratiques que celles

de 1871.
1. Le règlement portait, pour ce premier degré de l'élection, deux députés pour « les
paroisses et communautés de campagne de deux cents feux et au-dessous ». D'après le pro
cès-verbal de rassemblée du tiers état du Cambrésis, que nous avons sous les yeux, nous voyons
que des paroisses de vingt feux et même de quatorze seulement avaient élu deux députés.
Plusieurs paroisses encore moins considérables avaient envoyé chacune un député.
CAUSES DE LA RÉVOLUTION

(( Le travail des cahiers faits en France, en J789, a Juré quatre-

vingt-sept jours.
(( Louis XVI était, en réalité, plus libéral et plus ami du peuple

que MM. nos ministres actuels L »

v Les dispositions généreuses des deux premiers ordres se manifes

tèrent pendant le cours de ces élections. En voici un exemple. Dans


le procès-verbal de la réunion des députés des trois ordres du Cam-
brésis, on lit, à la suite du tableau des députés : ((L'appel étant fini,

et les deux premiers ordres s'étant retirés dans leur chambre respective,

celui du tiers état étant demeuré dans la grande nef de l'église du


Saint-Sépulcre, lieu de l'assemblée générale, une députation composée

de quatre membres du clergé et de quatre membres de la noblesse

vint lui déclarer que ces deux premiers ordres avaient renoncé et

renonçaient pour l'avenir à tous leurs privilèges et exemptions pécu


niaires. Cet acte de bienfaisance et de désintéressement fut reçu par
l'assemblée avec l'émotion de la plus vive sensibilité. La députation
fut reconduite jusqu'à l'extérieur de la nef, et de suite le tiers état
choisit huit de ses membres pour aller vers les deux premiers ordres
manifester sa reconnaissance et leur donner l'assurance que, dans tous
les temps , l'ordre du tiers état ferait preuve envers eux du respect
et des égards qui leur sont' dus à tant de titres 2. »

Ce fait et les termes dans lesquels il est enregistré expriment la


disposition générale des esprits; il montre l'empressement des deux

premiers ordres à aller au-devant des réformes utiles, et la considé

ration dont ils jouissaient auprès de la bourgeoisie et des cultivateurs.

Le résumé des cahiers de la France entière atteste que la volonté

formelle de tous les Français payant une contribution , c'est-à-dire de


tout le peuple, moins les indigents, réclamait le maintien de l'ordre
social , avec les développements et les modifications acceptés ou

provoqués par les ordres privilégiés 3.

1. La Vérité, journal socialiste et démocratique, 25 avril 1871.


2. Extrait du Procès-verbal tenu des procédés de l'ordre du tiers état du Cambrésîs.
3. On a vu, dans l'introduction, page 36, le sommaire des principes généraux unanimement
proclamés dans tous les cahiers de la France entière. Il se trouve dans Certains cahiers des
propositions où percent l*esprit révolutionnaire. M. Taine donne l'explication de ce fait.
54
4*6 APPENDICES

« Tous les cahiers des États généraux, dit Edgard Quinet, se

résument par ces mots : concilier la liberté nouvelle avec le catholi


cisme et l'ancienne royauté.
(( Tout était facile, tout s'accomplissait de soi, tant qu'on ne tou

chait pas à la religion et au pouvoir. »

Il faut le remarquer (et une foule de passages des cahiers l'attestent),


ces Français qui voulaient formellement le maintien de l'ancienne
constitution de la France monarchique, étaient imbus, pour la plupart,
de la philosophie de Voltaire et des encyclopédistes, ainsi que des
théories du Contrat social de Rousseau.
Toutes pernicieuses qu'elles sont , et malgré leur diffusion à cette

époque, ces doctrines n'avaient pu pervertir l'opinion publique au


point de la pousser à un bouleversement social. Seulement elles pré
parèrent beaucoup d'esprits à accepter, au début, la Déclaration des
droits de l'homme et la nouvelle Constitution, sanctionnées par le
roi. Louis XVI, en cédant aux exigences du moment, comptait que

l'expérience démontrerait bientôt le vice du nouveau régime, et que

le peuple, reconnaissant combien étaient vaines les espérances d'un


autre âge d'or fondées sur l'application des théories de Jean-Jacques
Rousseau , reviendrait de lui-même aux traditions nationales.
Ces prévisions n'étaient point sans fondement : le roi avait pu
remarquer que les enthousiastes qui entraînèrent le tiers état à s'ériger
en Assemblée constituante, avaient été désillusionnés presque immé
diatement. Mounier lui-même ne tarda pas à regretter le fatal serment
du Jeu de paume *, et les saturnales du 14 juillet 1789 suffirent pour
désiller les yeux de la majorité des membres du tiers état. Comme
l'attestent les Mémoires de Malouet, à partir de cette époque, c'est

Des avocats, des procureurs et notaires de petites villes avaient écrit de leur chef les
doléances, et présenté ces cahiers au chef-lieu du bailliage, sans avoir même assemblé la
communauté pour lui en donner lecture. (Voir Taine, L'Ancien régime, p. 5nj.)
1. Eclairé par les scènes sanglantes du 6 octobre 1789, Mounier écrivait : « Ce fatal serment
niait un attentat contre les droits du monarque; c'était lui déclarer qu'il n'avait pas le
pouvoir de dissoudre l'Assemblée; c'était la rendre indépendante, quel que fût l'usage
qu'elle se promettait de faire de son pouvoir. Combien je me reproche aujourd'hui de
Tavoir proposé ! » ( Recherches sur les causes qui ont empêché les Français d'être libres,
Genève, 17 ( >-j . )
CAUSES DE LA RÉVOLUTION

sous la pression de la terreur que Ton a délibère. Selon le mot d'un


autre député, «dès ce moment il n'y eut plus de liberté, même dans
l'Assemblée nationale : la France se tut devant trente factieux 1» .

Ce ne sont donc ni les abus de l'ancien régime, ni les encyclopé

distes, ni Rousseau qui ont déterminé la catastrophe de r 789 : tout


cela avait bien pu servir à la préparer, mais il faut chercher ailleurs

l'agent révolutionnaire,

M. Louis Blanc n'a pas hésité à le faire connaître : cet agent, c'est
la franc-maçonnerie. Au tome IIe de son Histoire de la Révolution

(page 74), cet écrivain dit, en parlant des francs-maçons : a II importe


d'introduire le lecteur dans la mine que creusaient alors sous les

trônes, sous les autels, des révolutionnaires bien autrement profonds


et agissants que les encyclopédistes. »

M. Henri Martin n'a pas été moins explicite. Dans son Histoire
de France, il félicite la franc-maçonnerie d'avoir été « le laboratoire
2 ».
de la Révolution

Un franc-maçon anglais, John Robison , secrétaire de l'Académie


d'Edimbourg, avait prévenu ces aveux par les paroles suivantes, écrites

en 1797 : «J'ai remarqué que les personnages qui ont eu le plus de

part à la Révolution française étaient membres de cette association,


que les plans ont été conçus d'après ses principes et exécutés avec

son assistance. »

Cela explique pourquoi , au moment où l'on abolissait tous les

anciens privilèges, on en créait un énorme en faveur de cette asso

ciation secrète, comme l'a noté un de ses historiens les plus autorisés,

le F¥*¥ Ragon : «On a remarqué avec raison, dit-il, que l'Assemblée

nationale avait aboli toutes les corporations, excepté la franc-maçon

nerie 3. »

La franc-maçonnerie restant seule debout, fortement organisée,

dirige le mouvement révolutionnaire. C'est chez le grand maître des

1. De Ferrières, cité par M. Taine, La Révolution, I, p. 65.


2. Henri Martin, Histoire de France, XVI, p. 535.
3. Ragon, Cours philosophique et interprétatif des initiations anciennes et modernes,
p. 37ç).
APPENDICES

franc-maçons, dans le jardin et les galeries du Palais - Royal ,

« centre de la prostitution, du jeu et de l'oisiveté1 », que s'orga


nise cette foule « d'habitués de café, de coureurs de tripots, d'aven
turiers déclassés, d'enfants perdus ou surnuméraires de la littérature,
de l'art et du barreau, d'étrangers et habitants d'hôtels garnis2», qui
vont diriger les émeutes, et imprimer la terreur aux membres de

l'Assemblée, « en embauchant pour cette besogne les hommes du


ruisseau et les femmes du trottoir3 ».

Ils auront une armée à leurs ordres composée de déserteurs, de

brigands dont l'aspect sinistre a épouvanté Paris dès le mois d'avril.


L'organisation est la même dans toute la France , et le mot d'ordre

part des loges.


C'est dans le comité de propagande de la Loge des amis réunis
qu'Adrien Duport annonce en ces termes la condamnation de Foulon
et de Berthier par la secte : « Ce n'est que par des moyens de terreur
qu'on parvient à se mettre à la tête d'une révolution... Il faut donc,

quelque répugnance que nous y ayons tous , se résigner au sacrifice


de quelques personnes marquantes. »

A partir du 14 juillet, tout se fait par ce ramas d'hommes du


ruisseau et de femmes du trottoir, de déserteurs et de brigands; voilà
«le peuple du Palais-Royal », qui, grâce à Dieu, ne fut jamais le

vrai peuple français, ni même le peuple parisien. M. Taine , le

premier historien qui ait eu la patience de dépouiller l'immense


dossier de la Révolution, est aussi le seul qui n'ait pas profané le

nom du peuple, en l'accordant à cette tourbe « d'hommes et de

femmes immondes 4 »; il l'a stigmatisée du titre qui lui convient, en

l'appelant : la faction jacobine.


Les chefs de la franc-maçonnerie savaient bien qu'il y avait à

craindre un soulèvement d'indignation de la part du vrai peuple, et

c'est pour cela qu'ils se hâtèrent de désorganiser la France.

1. Taine, La Révolution, I, p. 41.


2. Ihid., ici., p. 42.
3. Idid., ici., p. 12S.

4. IniD., ici., p. 128.


CAUSES DE LA RÉVOLUTION

Sous l'inspiration des loges, les députés du tiers état, foulant aux

pieds leur mandat, s'érigèrent en Assemblée constituante par le

serment du Jeu de paume.

Contre le vœu de la nation, ils abolirent toutes les libertés, toutes


les coutumes des villes et des communes, pour assurer l'omnipotence
de l'État par une centralisation absolue. Comme le dit M. Augustin
Thierry, le jour où « ils frappèrent les existences locales, la France
r ».
oublia la liberté
Et elle se trouva sans point d'appui pour la reconquérir, parce
que la Constituante, « d'une part, avait dépouillé, laissé ruiner et

proscrire toute la classe supérieure : noblesse, parlementaires, grande


bourgeoisie. D'autre part, elle avait dépossédé et dissous tous les
corps historiques ou naturels : congrégations religieuses, clergé, pro
vinces, parlements, corporations d'art, de profession ou de métier.
L'opération faite, tout lien entre les hommes s'était trouvé coupé. Il
ne restait que des individus, vingt-six millions d'atomes égaux et

disjoints. Jamais matière plus désagrégée et plus incapable de résis


tance n'avait été offerte aux mains qui voudront la pétrir : il leur
2 ».
suffit, pour réussir, d'être dures et violentes

Elles ne le furent que trop , comme l'atteste le nom donné au


début de ce régime nouveau : la Terreur.
Plusieurs fois la France a voulu secouer le joug de la faction
qui l'opprimait; mais le défaut d'organisation rendit ses efforts
impuissants.
L'artillerie de la Convention écrasa les bourgeois de Paris le

i3 vendémiaire (5 octobre 1795), et le Directoire comprima, en 1797,


le mouvement monarchique du pays , en faisant arrêter, à l'aide des

anciens jacobins, le président du conseil des Cinq cents, et en déportant

cinquante-trois députés, ainsi, que les propriétaires et rédacteurs de


quarante et un journaux.
Une pareille tyrannie eût été impossible avec l'ancien régime de la
France; aucune force n'aurait pu triompher de la résistance collec-

1. Augustin Thierry, Dix années d'études historiques, chap. v.


•2. Taine, La Révolution, l, pp. 277-278.
43o APPENDICES

tive des corporations, des communes, des villes et des provinces for

tement organisées.

En résumé, les abus de l'ancien régime étaient réformés, plu


sieurs en réalité, les autres en principe, quand éclata la Révolution-,
Heureuse et prospère par la bonne organisation de la famille et

ses sages coutumes, la France tenait le premier rang parmi les nations
de l'Europe ;

Les articles unanimes des cahiers de 1789 attestent que la nation


voulait le maintien des libertés communales et provinciales de l'ancien
régime; ce n'est pas elle qui a fait la Révolution: elle lui a été

imposée par la Terreur;


La Terreur a été organisée par la franc maçonnerie ;

C'est cette secte qui, par son action longtemps souterraine, aujour
d'hui manifeste et avouée, a été la cause principale des malheurs de

la France depuis 1789.


Tout remède a été impossible jusqu'ici, à cause de la faiblesse et

de l'instabilité des gouvernements, qui facilitent à la Révolution la

continuation de son oeuvre dissolvante : les oscillations perpétuelles


du régime parlementaire entretiennent les esprits dans une agitation

fébrile; et l'omnipotence de l'État appuyée sur la bureaucratie de la


centralisation, tout en maintenant un régime despotique, offre en

même temps, aux conspirateurs ambitieux, les meilleures chances de

succès : un coup de main heureux, qui les rend maîtres de Paris, met
sous leur joug la nation tout entière.

Quand la France cessera-t-elle « d'oublier la liberté » ? N'est-il pas

temps enfin qu'elle se souvienne de tout ce qu'elle a perdu de calme ,

de prospérité intérieure; — de dignité, de puissance et de considéra

tion incontestée à l'extérieur; — depuis qu'elle a abandonné, avec sa

constitution traditionnelle, la garantie des vraies libertés qui firent,


pendant huit siècles, sa grandeur et sa force?
CAUSES DE LA RÉVOLUTION

Puissent tous les hommes de cœur, sans distinction de parti,


reconnaître bientôt que les nations ont chacune leur voie tracée par
le caractère de leur population. La France ne peut être heureuse

LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ, OU LA MORT


Fac-similé d'une gravure de l'époque révolutionnaire. Collection de M. le baron de Vinck d'Orp, a
Bruxelles. — Le Peuple français, personnifié par un citoyen auquel on a bandé les yeux, s'efforce en vain de
saisir la Liberté, l'Égalité et la Fraternité, qui le narguent; seule, la Mort s'avance et lui tend les bras.
APPENDICES

qu'avec la liberté : c'est l'essence de sa constitution, et son nom


même le proclame. En 1789, elle a dévié de sa route : comme un
train déraillé, elle est tombée dans les abîmes. La première condition
pour qu'elle puisse reprendre sa glorieuse carrière, c'est d'être remise
sur sa voie.

Auguste CARION.
LES ORIGINES

DU

DRAPEAU TRICOLORE

Lors de l'ouverture des États généraux,

au mois de mai 1789, la couleur blanche

était universellement reconnue comme la

couleur nationale française. Le pavillon


maritime de la France était blanc (fîg. 1 ).

Le drapeau blanc était renseigne commune


et souveraine de l'armée de terre, sous le
nom de drapeau colonel (fig. 2). A côté de

cette enseigne, d'autres drapeaux, dits dra


peaux d'ordonnance , étaient la marque dis-
L'Assembléeconstituante
figuréepar une ruche que surmonte le tinctive de tel ou tel régiment, et variaient
bonnet phrygien et derrière laquelle se
lève le soleil de la liberté. Gravure du de l'un à l'autre. Dans l'infanterie , un
temps, communiquéepar M. Léon Har-
doin, a Paris. usage traditionnel , suivi par la plupart des

régiments , voulait que sur le fond blanc du drapeau colonel , et

aussi sur les fonds de couleurs diverses des drapeaux d'ordonnance,


se dessinât l'antique croix blanche, marque spéciale, tout au moins

depuis la guerre de Cent ans, de la nationalité française, alors sauvée

par Jeanne d'Arc, qui avait elle-même, sur l'indication de ses Voix,
arboré un étendard blanc.
55
APPENDICES.

Il n'y a aucune raison de croire que l'Assemblée constituante,


issue au mois de juin des États généraux, songeât à modifier cet état

de choses, quand éclata, au mois de juillet, le mouvement révolution


naire parisien qui aboutit à la prise de la Bastille. En appelant le

peuple aux armes, le 12 juillet, Camille Desmoulins avait placé à son

chapeau une feuille arrachée à un arbre du Palais-Royal. Cela com


posait une cocarde verte, qui fut d'abord le signe de ralliement des
insurgés. Mais ce signe fut bientôt changé. Le Comité permanent des
électeurs de Paris, qui, le j3 juillet, fut institué à l'hôtel de ville,
prit aussitôt un arrêté portant création d'une milice parisienne ,. et il
statua (art. 10) que, «comme il est nécessaire que chaque membre
qui compose cette milice parisienne porte une marque distinctive, les
couleurs de la ville ont été adoptées par l'assemblée générale; en

conséquence, chacun portera la cocarde bleue et rouge1 » (fig. 3). Le


bleu et le rouge étaient, en effet, de temps immémorial, les couleurs
municipales de Paris.
Lorsque, après la prise de la Bastille, Louis XVI, le 17 juillet,
vint dans la capitale et se rendit à l'hôtel de ville, le nouveau
maire, Bailly, présenta au roi, qui la plaça à son chapeau, cette

cocarde qui n'avait encore , disent les Mémoires du général La


Fayette, « que les deux couleurs de la ville » . Cependant La Fayette,
chargé du commandement général de la milice parisienne, s'occupait
de l'organiser. Il lui donna le nom de garde nationale. En
même temps, « ce fut sur sa proposition qu'après l'adoption des

nouvelles couleurs par le roi, l'hôtel de ville y ajouta Y antique

couleur blanche. Ainsi fut formée la cocarde tricolore, devenue la


cocarde nationale» (fig. 4 et 5). Les bataillons de la garde nationale

parisienne eurent des drapeaux. La plupart, à l'imitation de la nou

velle cocarde, furent tricolores, avec des dispositions variées.


Cependant, le pavillon maritime, les drapeaux de l'armée, et plus
généralement le drapeau de la France, ne furent alors aucunement

1. Nous empruntons ce texte, et quelques autres, au livre de M. Sepet : Le Drapeau de la


France ; Paris, Palmé, 1873, in-12. — M. Gustave Desjardins {Recherches sur les Drapeaux
français; Paris, Ve A. Morel, 1874, in-40) ne s'est pas occupé de la période révolutionnaire.
LES

ORIGINES DU DRAPEAU TRICOLORE

Figure i. — Pavillon français en 1789. Cette figure est empruntée aux Recherches

sur les drapeaux français, de M. Gustave Desjardins, planche XI, n° 1.

Fig. 2. — Drapeau colonel du régiment du roi en 1789. Desjardins, planche XIX,


n° 4.

Fig. 3. — Cocarde bleue et rouge aux couleurs de Paris (i3 juillet 1789). Cette
figure est empruntée à l'ouvrage de M. le comte L. de Bouille sur Les drapeaux

français, planche XVIII, n° 10.

Fig. 4 et 5. — Cocarde tricolore (juillet 1789). Bouille, planche XVIII, nos 11

et 12.

Fig. 6. — Pavillon institué par l'Assemblée constituante (24 octobre 1790).


Bouille, planche XVII, n° 2.

Fig. 7.
— Drapeau colonel institué par l'Assemblée constituante ( 29 sep

tembre 17 9 1 ) . Bouille', planche V, n° 2.

Fig. 8. — Pavillon institué par la Convention (27 pluviôse an II — i5 février 1794).

A dater de la Révolution, les couleurs de la ville de Paris envahissent les deux

tiers du drapeau français ; signe, entre mille, de l'excessive prépondérance exercée

par la capitale depuis un siècle.


ORIGINES DU DRAPEAU TRICOLORE 435

modifiés. A la fédération du 14 juillet 1790, la députation de chaque

département avait sa bannière, qui lui avait été offerte par la com
mune de Paris. Ces bannières étaient blanches. La députation de

l'armée était précédée d'une bannière offerte aussi par la commune, et

appelée improprement Y oriflamme. Cette oriflamme était blanche.


Enfin le dais sous lequel avait pris place, à côté du roi, le président
de l'Assemblée nationale, était surmonté d'un drapeau blanc.
Mais la fièvre révolutionnaire, allumée à Paris, s'étendait chaque
jour davantage et éclatait avec violence sur toute la surface du
royaume. On vit croître avec elle la vogue des nouvelles couleurs. Le
relâchement de la discipline militaire est l'accompagnement naturel
des bouleversements politiques. Au mois d'octobre 1790, l'Assemblée
eut à s'occuper des graves désordres qui avaient eu lieu à bord de
l'escadre de Brest. Entre autres réclamations, les marins, disait-on,
demandaient un nouveau pavillon. Après une violente discussion, où
Mirabeau intervint par un discours passionné, l'Assemblée rendit un
décret, daté du 24 octobre, dont les deux premiers articles fixent la
disposition des couleurs dans le pavillon qu'elle substituait à l'ancien
pavillon français.

Article premier. Le pavillon de beaupré sera composé de trois bandes égales


et posées verticalement; celle de ces bandes le plus près du bâton de pavillon
sera ronge, celle du milieu sera blanche, la troisième bleue.
Art. 2. Le pavillon de poupe portera dans son quartier supérieur le pavillon
de beaupré ci-dessus décrit ; cette partie du pavillon sera exactement le quart
de la totalité, et environnée d'une bande étroite, dont une moitié de la longueur
sera rouge et l'autre bleue; le reste du pavillon sera de couleur blanche : ce
pavillon sera également celui des vaisseaux de guerre et des bâtiments de com
merce.

C'est ce pavillon de poupe, commun à la marine militaire et à la


marine marchande, qui constituait, aux yeux de l'Assemblée, le nou
veau type du pavillon national , qu'elle maintenait aux trois quarts
blanc (fig. G). Elle ne changea rien encore aux drapeaux de l'armée
de terre, se bornant à décider qu'on y attacherait « des cravates aux
couleurs nationales». Ce ne fut que le 3o juin qu'elle rendit
1791
ORIGINES DU DRAPEAU TRICOLORE 437

nie, demandait que tout ce qui en retraçait le souvenir fût absorbé par les
couleurs chéries de la liberté'; des disputes sérieuses s'élevèrent dans le sein
de cette assemblée sur la forme du pavillon national. On sentit bien qu'il
fallait se soumettre à l'opinion publique, trop fortement prononcée pour oser
la contrarier ouvertement, mais on tâcha de l'éluder, même en paraissant la
respecter. On conserva pour le fond la livrée du tyran, et les trois couleurs
républicaines, reléguées dans un coin du pavillon, n'attestèrent, par la mesqui
nerie ridicule avec laquelle on les y avait placées, que le regret de ceux à qui
la puissance du peuple avait arraché ce faible sacrifice. C'est ainsi que, dans
cette fédération toute monarchique, on vit les départements recevoir, au nom
de la liberté, les bannières de la servitude...

Comme conclusion, Jean-Bon Saint-André présentait un projet de


décret, qui fut adopté en ces termes :

Article premier. Le pavillon décrété par l'Assemblée nationale constituante


est supprimé.
Art. 2. Le pavillon national sera formé des trois couleurs nationales, dispo
sées en trois bandes posées verticalement, de manière que le bleu soit attaché à
la gaule du pavillon, le blanc au milieu et le rouge flottant dans les airs.

C'est le type actuel (fig. 8), qui fut ensuite appliqué aux drapeaux
de l'armée de terre. « A la même époque, dit M. de Bouillé, disparut
aussi le drapeau colonel d'infanterie à fond blanc, qui datait du

29 septembre 1791, et qui fut remplacé par un drapeau bleu, blanc


et rouge, ayant au centre les lettres R. F. entourées de deux bran
ches de laurier en or. »
TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION
La France avant 178g. (Extrait de Y Histoire de la Révolution, par Emmanuel de
Saint- Albin. ) 3

LA RÉVOLUTION
LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
(4 mai 1789 — 18 brumaire an VIII. )

I. — LA POLITIQUE
Le Gouvernement
41
Le gouvernement légal
42
Le gouvernement populaire
74
L' Administration
109
L'administration centrale
109
L'administration départementale 124
La commune modèle 13 1

II. - LA MORALE
La Religion
144
L'alliance des philosophes : la constitution civile 146
La persécution sous la République 161
La paix des politiques '. 175
La Charité 182
L'Enseignement
193
La période de destruction
193
Tentatives de réorganisation 10,7
440

La Justice 208

La justice ordinaire 210

La justice populaire
La justice révolutionnaire 2I9
La justice conventionnelle 227

III. - LA CIVILISATION
Les Mœurs
Les Lettres 2^7
Les Sciences — Les Arts 2^9
L'Économie politique 28°

Les finances 2&°

Agriculture. — Industrie. — Commerce 288

L'Armée 294
L'armée de ligne 29^
Garde nationale/ gendarmes, armée révolutionnaire 3o2

LA RÉVOLUTION DEPUIS LE 18 BRUMAIRE AN VIII


JUSQU'EN 1883

Le Consulat et l'Empire 3i2

La Restauration 320

Le gouvernement de Juillet 328


338
La République de 1848

Le second Empire ?44

Douze ans de république 349

CONCLUSION
La Révolution, crime et châtiment. — Les moyens de salut 36o,

APPENDICES
Éclaircissements sur les causes de la Révolution 3q5

Les origines du drapeau tricolore 433


TABLE DES FIGURES

Arago (assiette d'Etienne), maire de Paris


1')

Abbatiale (porte du chœur de de Solesmes.. 357 35i

1')
Archevêché (pillage de de Paris, i5 février

le
Abus (le grand) i5
Acte de justice (P) du au 10 thermidor 127 tS3i 33i
9

Age de fer (Y) ou l'époque révolutionnaire 141 Arras (la Terreur à). 227
— d'or (!') ou l'ancienne monarchie Arrestation de Cécile Renault, 23 mai 179.4..

le
i3o. 209
Agriculture (1') encouragée. — de Lavoisier dans son laboratoire. . 275
9

Alton (le général d'), poursuivi par les réver — de Louis XVI, Varennes 77
a

bères patriotiques. 261 Assemblée constituante, figurée par une ruche


Ane (Y) comme en peu 277 surmontée du bonnet phrygien. .. 433
a
il
y

Animaux rares (les) ou famille royale. 85 — de francs-maçons pour la réception


la
«

Apothéose de Voltaire (ceinture de jeune fille). 23g d'un maître 27


Appel (Y) des dernières victimes de 225 Assiette au ballon. 41
la

Terreur..
Antié (J.-F.), dit Léonard, coiffeur de la reine. — aux lis . 369
.

Aucanne (J.-L.-M.), ex-maître des comptes, — 33


d'

Arago (Etienne)
ex-capitaine de cavalerie. — de Bracquemont contre l'Empire. 347 1
Barkos (M.), femme de Puy de Vérin ne. Bailly (portrait de) 273
Bcssejouls (F.-R.-R.) de Roquelaure, ex-mar — (Mn,c), courtisée par La Fayette. 3o5
quis. Barabbas acclamé, ou la souveraineté du peu-
Chénier (André), homme de lettres. pie. 37
5

Durand (P.), Puy de Vérinne, ex-maître des Bastille (prise de la), le 14. juillet 1789. 53
comptes. — (projetde démolitionde la),datéde 1784. 217
Lcguay (A.), capitaine au 23° régiment de Bataille (la) de Fontenoy
7

chasseurs cheval. Béranger (masque mortuaire de) 335


a

Lcpelletier (M.-C), ex-princesse de Chimay. Berry (le duc de) mourant 325
Leroy (Mm° A.), actrice de Comédie-Fran Berthier (cœur de) au bout d'une pique 55
la

Billet de Marie-Antoinette, écrit avec pointe


la

çaise.
Manneville (C.-J.-F. de Colbert de Maul- d'une épingle la Conciergerie.. 199
),

vriers, ex-marquise. — de M. de Sartine, lieutenant de police .. 21


5

Meynier (T.), ex-prêtre de l'Hôtel-Dieu de Bonaparte en Egypte 10


3

— et petit homme rouge


le

Paris. 317
Montalembert (G.), ex-marquis, capitaine au — Sainte-Hélène 19
3
à

ci-devant régiment du roi. — (fac-similé d'une lettre de^. iS3


Piercourt (A. -M. -F.), veuve de Narbonne Bonnet phrygien (le) coiffure de écolicre répu
l

Pelet, ex-comtesse. blicaine 1S7


Roucher (J.-A.), homme de lettres. — coiffure du Jacobin 291
Rougeot (C.-F.) de Montcrif. garde du corps. — — du sans-culotte 85
Saint-Simon (C.-F.-J.), ex-évêque d'Agde. — effraye l'Empire 347
Séguin (F. -A.), chimiste. — surmontant la ruche de l'As
Stainville (P. -F.), femme de Grimaldi Monaco, semblée constituante |33
ex-princesse. — (tabatière en forme de). i-l3
Trenck (F ex-baron. Bourard (fac-similé d'une lettre du P.), domini
),

Viri ville (Sabine), ex-comtesse de Périgord. cain. 354


56
TABLE DES FIGURES

Bourreau (le) guillotiné par Robespierre. 221 Désespoir (le). 377


Bracquemont (assiette de) contre l'Empire..... 347 Destruction (la) de Lyon et de Bédouin. 115
Brumaire (le 18) au VIII. 3i3 — de l'abbaye de Saint-Amand-
Bulles du Pape (les) déchirées par Luther 17 1es-Eaux 279
Cabaret (un) sous le Directoire 247 Diable (le) et sa moitié mettant au monde les
Cambrai (la Terreur à). 227 Jacobins.. loi
Camille Desmoulins (la motion de) au Palais- — (le) berçant son (ils 317
Royal, le 12 juillet 1789 49 Directoire (le) ou l'âge de fer 140
Captier (la mort du P.), le 25 mai 1871 355 — (un cabaret sous le). 247
« Carmagnole (dansons la) » 3q5 — (une noce sous le) 245
— 253
Carte civique fac-similé d'une) 239 (une héroïne sous le)...
Cécile Renault (arrestation de), le 23 mai 1794.. 209 — (une merveilleuse sous le) 255
Ceinture de jeune fille pour l'apothéose de Vol Discours du roi, le 4 février 1790 69
taire.... 239 Divorce (le) 243
Cercle anticlérical de Gênes (fac-similé d'une Dix-huit brumaire (le) an VIII.. 3 13
lettre du) arborant la bannière de Satan.... 36o Drapeau (origines du) tricolore., 435
Champ de Mars (travaux du), pour la fête de la Duc de Berry (mort du) .' 325
Fédération 73 Ecole (P) du tambour , 3oi
Charbonniers (égalité des) et des chevaliers de Éducation (1')athée. 187
Saint-Louis. 121 Education (P) chrétienne 185
Charelte de la Contrie (François-Athanase). Égalité (1') 121
Son portrait i55 Élisabeth (Mn,u) en jeune louve 85
Château (le) de Meudon en 1700. 241 — . (lettre de Marie-Antoinette â M1"0)... . 2o5
Chaumette conduisant le cortège de la Raison.. 172 Emprunt forcé de l'an IV (fac-similé d'une quit
'
Chevaliers (égalité des) de Saint-Louis et des tance de 1'). 283
charbonniers I2i Enlèvement (I') de Pie VU. 3i5
Chœur (porte du) de l'abbatiale de Solesmes. . . 357 Envie (I'). 378
Clergé (le) embrassant la Noblesse et le Tiers- Episode (un) de la Terreur, â Nantes, eu 1793.. 229
État.. ; H Etats généraux (ouverture des) â Versailles,
— porté par le Tiers-État i5 le 5 mai 1789 43
— (serment à la constitution civile du).. 1.45 Exclusif (I') ou le jacobin septembriseur u3
Colère (la) 38 1 Exécution populaire â Strasbourg, le 25 juin
Compliment (le) du jour de l'an 33 I791 2'37
' i3
Concert (le) 2i3 Expérience (T) du globe aérostatique
Conférence (une) de M»10de Staël 269 Expulsion (I') des jésuites 29
— des bénédictins de Solesmes
Congrès (le) de Munster 373 357
Constitution (serment à la) civile du clergé.... 145 Ezéchiel (vision d') 389
Course (le prix de la) 25 Fac-similé d'une lettre de Louis XIV au pape
Culte de Le Pelletier de Saint-largeau i59 Innocent XII 20 et 3i
— de Marat 162 d'une lettre de cachet 214
— de la Nature régénérée. . — d'un billet de M. de Sartine. lieute
167
— de l'Etre Suprême . 177 nant de police 2 15
— de la Raison — d'une lettrede MHoAnne de la Rochc-
172
— des théophilanlhropes 178 jacqueleiu 79
— de Satan au dix-neuvième siècle 363 — de quittances des sommes payéesaux
Curés (nouvelle méthode pour faire prêter ser massacreurs de septembre. 92 et 93
— d'une carte civique 239
ment aux) 145
Dame conduite en traîneau. 37 du testament de Louis XVI io3
85 — d'un billet écrit par Marie-Antoinette
Dauphine (M"10la) en jeune louve
« Dansons la Carmagnole ». 3y5 avec la pointe d'une épingle 199
— du procès-verbal accompagnant le
Danton (portrait de) 97
par billet de Marie- Antoinette
Déclaration (la) de 1682, retirée 199
20 et 21 — du testament de Marie-Antoinette.. 2o5
Louis XIV.
61 — d'un autographe de Fouquier-1 in
Délire patriotique (le).
Démolition (projet de) de la Bastille 217 ville 206
— du plan du cimetière de la « Magde-
Démocratie (la) sans frein 287
Départ (le) ou « la Marseillaise » .. 297 laine » 323
— d'un tableau proclamant l'existence
« Dépouilles de la Superstition » (les) traînées
à la Convention nationale 169 de l'Etre suprême 177
Députés (les) du liers état à la porte de la salle
— des signatures de Louis XVII et du
des séances, le 23 juin 1789 47 cordonnier Simon. 135
— d'une quittance de l'emprunt forcé
Desmoulins (motion de Camille) au Palais-
Royal, le 12 juillet 1789 49 de l'an IV 283
TABLE DES FIGURES 443

Fac-similé d'une lettre de Napoléon Bonaparte. i83 La Rochejacquclcin (Henri de) haranguant ses
_ _ de Mgr Mathieu, arche soldats i5i
vêque de Besançon. io5 — (Mlle de) s'olTrant comme
— d'une lettre du P. Bourard, domi otage pour le roi 79
nicain 354 Launay (tête du marquis de) au bout d'une
— d'un billet de Raoul Rigault. 353 fourche 55
— d'une lettre du cercle anticlérical de Lavoisier (arrestation de) dans son laboratoire. 275
Cènes 36o Lebon (Joseph) entre les guillotines d'Arras et
Fédération (travaux pour la iête de la) 73 de Cambrai ou les « formes acerbes » 227
Femmes marchant sur Versailles, le 5 octo Le Pelletier de Saint-Fargeau (Michel), assas
bre 1789 65 siné le 20 janvier 1793 15q
Fer (l'âge de) ou l'époque révolutionnaire. 141 Le Play (portrait de) 387
Fête de la Fédération (travaux pour la) au Lettre de Louis XIV au pape Innocent XII. 20 et 21
Champ de Mars, le 14 juillet 1790. 7'i — de cachet 214
— de la Nature régénérée, le 10 août — de Mlle Anne de La Rochejacquclcin. .
1793.. . . 167 79
— de la Raison dans Notre-Dame de Paris, — de Napoléon Bonaparte 183
le 10 novembre 1793 172 — de Mgr Mathieu, archevêque de Besan
Flesselles (meurtre de M. de), le 14 juillet 1789. 57 çon io5
Floréal, un des mois républicains — du P. Bourard, dominicain 354
249
Folie (la) 383 Liberté, égalité, fraternité ou la mort 4Ji
Fontenoy (bataille de) 7 Lille (épisode du siège de) 299
« Formes (les) acerbes », ou les cruautés de Louis (règne de saint) 371
Joseph Lebon 227 Louis XIV (lettre de) au pape Innocent XII. 20 et 21
Foulon (tête de) au bout d'une pique. 55 Louis XVI (portrait de) frontispice.
Fouquier-Tinville (fac-similé d'un autographe — (serment de) à son sacre 5
de) 206 — donne ses ordres à La Pérouse... . 1r

4.3
Francs-maçons (assemblée de) recevant un — préside les états généraux
maître —
27 (discours de) le février 1790.. .. 69
4
— projetant la mort de Louis XVI — arrêté Varennes...
à

77
en 1786 io5 — la lanterne 81
à

Fraude (la) terrassée par la Justice 3 — en dindon 85


Gardes (revue des) de la ville de Paris, en 176S. 353 — (proclamation du comité exécutif
Globe (expérience du) aérostatique.... i3 provisoire pour l'exécution de). . 107
Grand abus (le). i5 — (testament de). io3
Hébert (signature de) 267 Louis XVH (portrait de) 33
1
Henriot, arrêté avec Robespierre le 10 thermi — en louveteau. 85
dor an u 125 — (signature de)
1
3
5

« Héroïne (une) d'aujourd'hui » 253 Louis XVIU assiste aux derniers moments du
Homme rouge (le petit) berçant son fils 317 duc de Berry 324
Hôtel de Ville (revue des gardes devant l'an Luther déchire les bulles du pape 17
cien) de Paris 353 Lyon (la destruction de) u5
Hymne à Satan 363 — (les massacres de).
117
Inconstance (T) ou l'Instabilité 382 Lis (les) ramènent la paix 36q
Infidélité il') Madelonnettes (vue de la cour des) en 1793... 211
379
Injustice (Y) 38o Magdelaine en 1793 (plan du cimetière de la). 323
«

Innocent XII (lettre de Louis XIV au pape) Maillard (Mn°) personnifiant


la

Raison 172
touchant la déclaration de 1682 20 et 21 Marat mourant dans sa baignoire 162
Jacobin (le) , — (portrait de) 265
291

(le) septembriseur u3 Marchande (la) de journaux 263
Jacobins (les) mis au monde par le diable et sa Marche des femmes sur Versailles,
le

octo
5

moitié..., 101 bre 1789. 65


« Je suis le véritable père Duchesne, foutre. ».. 266 Mariage de Figaro
»
«

(scène du) 37
Jésuites (l'expulsion des).. 29 Marie-Antoinette (portrait de) 189
.

Jour (le compliment du) de l'an 33 — la lanterne


à

191
Journaux (la marchande de) •... 263 — en louve.- 85
Journée (la) du i3 vendémiaire i36 — au Temple . 195
Justice (la) terrassant la Fraude 3 — au tribunal révolutionnaire. 201
— source de prospérité pour les peuples. 391 — conduite au supplice 2o3
— —
(acte de) du 9 au 10 thermidor,. 127 (billet de) 199
La Fayette courtisant Mm* Bailly 3o5 —• (testament de) 2o5
Lanjuinais à la tribune, le 2 juin 1793 ni Marseillaise (la) ou le Départ.
k

297
La Pérouse recevant les instructions de Masque mortuaire de Béranger 335
Louis XVI Massacres de septembre, Paris
à

89
444 TABLE DES FIGURES

Massacres de septembre, à Versailles 95 Philosophie (la) devenue folle ou l'étonnant


— — quittances des som monument de sagesse française — 385

la
mes payées aux Pie VI (portrait de) 147

c/3
massacreurs. . . 92 et Pie VII (l'enlèvement de) 3i5
— — Lyon 117 Pillage de l'archevêché de Paris, le i5 fé

à
Mathieu (Mgr), archevêque de Besançon (fac- vrier 83 33

1
1
1
•similé d'une lettre de) io5 Pipes républicaines de 1848 339
Matin (le) du 10 thermidor an II.

87
25 Placard civique pour l'intérieur des maisons...

1
Ménagerie (la) royale transférée au Temple 85 Plan du cimetière de la Magdelaine en 1793. 323

»,
«
Mercier ou l'âne comme en peu Plat (le) barbe lillois.

»
«

277

a
il 299

â
Merveilleuse (une) y 255 Plumeaux (les) la mode. 25

1
â
Messe (une) sous la Terreur 149 Pologne (partage de la). 3i
Méthode (nouvelle) pour faire prêter serment Porte (la) du chœur de l'église abbatiale de So-
aux curés lesmes

-1
357

1
5
Mcudon (le château de) en 1700 241 Portrait de Bailly 273
Meurtre de M. de Flcsselles, —
le

14 juillet 1789. de Charette de

la
57 Contrie (François-
Mirabeau (portrait de) 259 Athanase). 55

1
— —
(debout dans salle des états géné
la

de Danton 97
raux) 43 — de Le Play (Frédéric). 387
Moissonneurs (le repas des). 45 — de Louis XVI frontispice.
Mort de Louis XVI décidée dans les loges — de Louis XVII i33
maçonniques io5 — de Marat. 265
— de Marat 162 — de Marie-Antoinette 195 et 2o3
— de Robespierre. —
1
2
5

de Mirabeau.. 259

.
— du duc de Berry 325 — de Pie VI 147
— du P. Captier et des otages. 355 — de Roland (Mm0). 119
Motion (la) de Camille Desmoulins au Palais- — de Simon i32
Royal, le 12 juillet 1789 49 — de Turgot (A.nne-Robert-Jacqucs). . 35

.
.
Munster (congrès de) 373 — de Villèle (le comte) 327
Nantes (épisode de la Terreur à), en 1793 229 — de Westermann. 289

,
Napoléon Bonaparte en Egypte 10 Premières victimes de la Révolution (les).
3

55
— et le petit homme rouge.. 317 Prise de la Bastille, le 14 juillet 1789 53
— Sainte-Hélène. 19
3
à

Prison (vue de la) des Madelonnettes 211


— (fac-similéd'une lettre de). i83

95
Prisonniers (massacre des) d'Orléans
Nature (fête de la) régénérée 167 Prix (le) de la Course 25
Necker prononçant un discours aux Etats géné Proclamation du Conseil exécutif provisoire
raux 43 pour l'exécution de Louis XVT 107
Noblesse (la) embrassant clergé et tiers
le

le

Projet de démolition de la Bastille, date de 178,4. 217


état 14 i53
Quiberon (Affaire de)
— portée par le tiers état. i5
Quittance de l'emprunt forcé de Tan IV 283
Noce (une) sous le Directoire 245 — de sommes payées aux massacreurs
Nouvelle méthode pour faire prêter serment
93

de septembre 1792.. 92 et
aux curés 14S Raison (Fête de la) dans Notre-Dame de Paris. 172
Nous voulons Barabbas
»

375
«

Raoul Rigault (fac-similé réduit d'un autogra


Observatoire (T) de Paris en 1700 271 phe de) 353
Officier (sifflet d') de paix 3o8 Réchauds (les) du Père Duchesne 267
Or (l'âge d') ou l'ancienne monarchie. 139 Règne (le) de saint Louis.. 371
Ordres (les trois) s'embrassant 14 Renault (Cécile), son arrestation. 209
Origines (les) du drapeau tricolore 435 Repas (le) des Moissonneurs. 45
q5

Orléans (massacre des prisonniers d') République (la). 99


Ouverture des Etats généraux, le mai 1789.. 4-3 Réunion (la) des trois ordres
5

14
Palais-Royal (motion de Camille Desmoulins Réverbères patriotiques (les) 261
au) 49 Révolution (causes de la) 17, 20, ai
— (Raoul Rigault ordonne l'incendie — — 23, 25, 27, 29, 3i et 35
du) 353 — (premières victimes de la). 55
Partage (le) de la Pologne 3i — (la) et l'Europe 359
Passeport en usage dans les armées vendéennes. \5y — c'est le Désespoir 3;7
Patrouille de patriotes en 1848 343 — c'est l'Envie
«

378
Pendule républicaine 257 — c'est l'Apostasie.. 379
Père Duchesne (le véritable) 266 — c'est l'Injustice. 38o
«

— (les réchauds du) 267 — c'est la Colère 38


1
ï

Petit (le) homme rouge berçant son fils 317 — c'est l'Instabilité 382
Peuple (le) mangeur de rois 235 _i — c'est 383
la

Folie...
TABLE DES FIGURES

Revue des gardes de la ville de Paris en 1768.. 353 Terreur (une messe sous la) M9
Robespierre guillotinant le bourreau. 221 Testament de Louis XVI io3
— mourant le 10 thermidor, an It... 125 — de Marie-Antoinette 2o5
— (jeune) arrêté avec son frère, Thermidor (acte de justice du 9 au 10) 127
le 10 thermidor an IT r 25 — (matin du 10) 125
Roland (portrait de M"1") 119 Tiers état (députés du) à la porte de la salle
Ruche (une) figurant l'assemblée constituante.. 433 des séances, le 23 juin 1789 47

Sacre (serment du roi à son) 5 (le) embrassant le clergé et la no
Saint-Amand-les-Eaux (tour de) 279 blesse 14
Saint-Cloud (le 18 brumaire à) 3i3 — (le) portant les deux autres ordres. . i5
Saint-Just arrêté avec Robespierre, le 10 ther Tour (la) de Saint-Amand-les-Eaux (Nord) 279
midor an II. 125 Traîneau (dame conduite en) 37
Saint Louis (règne de) 3/i « Translation de la Ménagerie royale au Tem
Sartines (fac-similé d'un billet de M. de), lieute ple » 85
nant de police 2i5 Travaux du Champ de Mars pour la fête de la
Satan (hymne à) 363 Fédération, 14 juillet 1790 73
Sauterelle (la), emblème de destruction et de Tuileries (Raoul Rigault ordonne l'incendie des). 353
famine 307 Turgot (portrait de Anne-Robert-Jacques) 35
Scène (une) du Mariage de Figaro 37 Varennes (arrestation de Louis XVI à) 77
Serment (le) du Roi à son sacre 5 Vaux (le marquis de) encourageant l'agriculture. 9
— à la constitution civile du clergé., 145 Vendémiaire (journée du 13) an II i36
Sieyès (l'abbé) debout dans la salle des Etats Versailles (ouverture des États-généraux à) 43
généraux 43 — (députés du tiers à la porte de la
Sifflet d'officier de paix 3o8 salle des séances des Etats géné
Simon (fac-similé de la signature de), le cor raux à 47
donnier 135 — (marche des femmes sur) 65
— (portrait de) i32 — (massacre des prisonniers d'Orléans
Solesmes (la porte du chœur de l'église abba à) 95
tiale de) 357 Victimes (les premières) de la Révolution 55
« Soleil (ce) me fait peur » 347 — (appel des dernières) de la Terreur. . . 225
Souhait (le) accompli, ou la réunion des trois Villèle (portrait du comte de) 327
ordres. 14 « Vive le roi! » 233
Staél (conférence de Mmode) 269 Vision (la) d'Ezéchiel 389
Strasbourg (exécution populaire à), le 25 juin Voltaire présidant un repas de philosophes 23
1791 237 — (buste de) à l'entrée du temple de la
« Superstition » (la). Ses dépouilles traînées à Philosophie 172
la Convention.. —
169 (ceinture de jeune fille pour l'apothéose
Tambour (i'école du) 3oi de) 239
Tabatière en forme de bonnet phrygien 143 Vue du château de Meudon en 1700 241
Temple (translation de la famille royale au)... 85 — de l'ancien hôtel de ville de Paris 353
— iq5 — de la porte du chœur de l'abbatiale de So
(Marie-Antoinette au)
Terreur (appel des dernières victimes de la)... 225 lesmes 357
— (la) à Arras et Cambrai — de la prison des Madelonnettes 211
227
— — de l'Observatoire de Paris en
(la) à Lyon 115 et 117 1700 271
— à Nantes (épisode de la) — de la tour de Saint-Amand-les-Eaux
229 279
— (la) à Paris 89, 92, 93, 209, 211. 221 Westermann (portrait de) 289
1 I

POUR LA PRÉSENTE ÉDITION

LA SOCIÉTÉ ANONYME

DES PAPETERIES DU MARAIS ET DE SAINTE-MARIE

A FABRIQUÉ LE PAPIER

MM. LEMERCIER ET Cie

ONT IMPRIMÉ LES CHROMOLITHOGRAPHIES

M. PANNEMAKER
A EXÉCUTÉ LES GRAVURES SUR BOIS
74

390 AA A 30

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