Capoix La Mort

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Dr François DALENCOUR

BIOGRAPHIE
DU GÉNÉRAL

François CAPPOIX
LeHéros de la bataille de Vertières
(18 Novembre 1803)
laquelle détermina la capitulation et l'évacuation
des troupesfrançaises de Saint-Domingue

François CAPPOIX
(1766-1806)
CHEZ L'AUTEUR : 5, Rue Saint-Cyr, Port-au-Prince, Haïti
et LIBRAIRIE CART, 17, Rue Duguay-Trouin, Paris (6)
1956
Tous droits de reproduction, de traduction
et d'adaptation réservés pour tous pays
Copyright by D François Dalencour.
Printed in France
DU MEME AUTEUR

La Lésion Anatomique et le Trouble Fonctionnel. Une page


de Philosophie Médicale.
La Force de l'Idée.
Les Fièvres des Pays Chauds.
L'Enseignement Agricole.
Appel à la jeunesse haïtienne : I. Patriotisme et Travail. —
II. La Vie de jeune homme.
La Lutte contre la Tuberculose en Haïti.
Le Sauvetage National par le retour à la terre.
Pasteur (Conférence).
Eléments d'Hygiène.
La Croisée des chemins. Adresse au Peuple haïtien. 2 édi-
tions.
L'alcoolisme.
Le Journal Médical Haïtien (1920-1943).
Principes d'Education nationale.
Alexandre Pétion et Simon Bolivar.
Histoire du Droit Haïtien. Période coloniale.
Simon Bolivar, champion de la Liberté (Conférence).
Le Salut par la Terre et le Programme économique de
l'avenir.
Précis Méthodique d'Histoire d'Haïti, 1492-1930.
Essai d'une Synthèse de Sociologie Economique.
Le Drapeau Haïtien.
L'Economiste Haïtien, revue trimestrielle. Ne paraît plus.
La Sociologie Haïtienne, revue trimestrielle. Ne paraît plus.
La Fondation de la République d'Haïti, par Alexandre
PÉTION.
Projet de Constitution pour la République d'Haïti.
La Philosophie de la Liberté, 2 éditions.
Pathogénie et Traitement de l'Ambiase intestinale.
Divers articles de journaux et de revues.
La Bacillémie Tuberculeuse et la Phtisiogénèse. Essai d'une
Synthèse de la Phtisiologie.
Francisco de Miranda et Alexandre Pétion. L'Expédition de
Miranda.
CAPPOIX
Soldat de premier rang
A qui sa bravoure, son audace
et ses capacités eussent assigné
une illustration même en Europe
Saint-Rémy: PÉTION ET HAITI, t. IV, p. 117

Capois, le iusticier que Dieu moula d'airain.


Massilon Coicou; POÉSIES NATIONALES, p. go
EN MANIÈRE D'INTRODUCTION

«L'avenir des peuples dépend souvent de la


manière dont on leur présente leur passé. S'ils portent
un faux jugement sur les faits de leurs annales, sur les
principes qui ont guidé leurs devanciers, leurs hommes
politiques, ils subissent, malgré eux, l'influence de cette
erreur, et ils sont exposés à dévier de la route qu'ils
doivent suivre pour arriver à leur prospérité, à leur
civilisation. C'est par ces considérations que l'histoire
est si utile, si instructive, car elle est remplie d'ensei-
gnements précieux. »
BEAUBRUN ARDOUIN.

Le Maréchal Foch a écrit : «Un pays qui perd la


mémoire est un pays perdu. » Un pays qui redoute la
vérité est aussi un pays perdu. Que dire alors d'un pays
où l'on fait la guerre — une guerre acharnée et systé-
matique — à l'histoire, à la vérité historique, à la con-
sciencieuse élaboration du passé ?
Il n'y a pas un auteur qui ne s'apitoie sur le sort du héros
de Vertières que tous traitent d'odieux assassinat. L'unani-
mité est absolue sur ce point ; elle dénote un état d'âme col-
lectif : la désapprobation et la tristesse, peut-être même la
colère sourde, du peuple haïtien. J'ai fait de grands efforts pour
chercher la vérité qui se cache dans ce drame affreux. Je crois
l'avoir trouvée, et j'ai cru qu'il était de mon devoir de la dire.
La Vérité, c'est le grand enseignement de l'Histoire. C'est le
seul enseignement qui soit digne d'être répandu.
Qu'il le veuille ou non, s'il est conscient de son devoir
comme technicien, l'historien doit avoir le courage d'exprimer
des vérités impopulaires ; c'est à cette seule condition qu'il
respectera la Vérité et guidera l'opinion publique, si souvent
faussée par l'erreur, le mensonge ou la légende.
L'historien a charge d'âmes. Comparable à la Vestale anti-
que, c'est lui qui est chargé d'entretenir en permanence le feu
sacré sur l'autel de la Patrie. Quand, autour de lui, tout
s'écroule dans l'abjection, c'est l'historien qui est chargé de
battre le rappel des grandes heures vécues, de ressusciter les
grands morts qui n'ont jamais désespéré et dont la mémoire
pure de toute tache incite à l'espoir, à l'imitation de leurs
vertus.
L'œuvre d'histoire est une œuvre de charité, dans le sens
chrétien du mot, c'est-à-dire le don de soi, de ses propres
efforts et le transfert de l'héritage reçu, afin que nos descen-
dants aient plus de bonheur dans une vie de liberté, de justice
et d'honneur.
Cette vie de Cappoix n'est pas une œuvre hâtive. Je l'ai
commencée il y a environ quinze ans : simple brouillon, elle est
restée en sommeil très longtemps selon les péripéties de ma
vie. Je me vois encore dans ma maison de la rue Saint-Cyr, cer-
tains après-midis, crayonnant cette biographie. Je n'étais pas
satisfait et ne voulus rien publier. J'ai attendu mon séjour à
Paris, auquel cependant je ne m'attendais guère, pour mettre
la dernière main à l'œuvre, dans le silence des grandes biblio-
thèques, et c'est dans une modeste chambre d'hôtel qu'enfin je
l'achève en cette fin d'année 1955, après cette longue médita-
tion.
Je remercie la Bibliothèque Nationale de Paris, les Archives
Nationales de France et particulièrement la Section Historique
du Ministère de la Guerre au Château de Vincennes, dont le
directeur et le personnel se sont montrés d'une grande bien-
veillance à mon égard. J'adresse aussi mes remerciements et
ma gratitude au Foreign Office de Londres, au British Council
de Londres et de Paris, enfin à l'Ambassade Britannique à
Paris, qui ont été d'une amabilité exquise envers moi en me
facilitant la consultation de la « copie de lettres » du général
Christophe. J'ai été très sensible à cette délicate attention.
Paris, 26 septembre 1955.
Dr François DALENCOUR.
CHAPITRE PREMIER

LES DÉBUTS DE CAPPOIX

L'orthographe du nom de ce héros de notre indépendance


n'est pas bien fixée et varie selon les auteurs. Beaubrun et
Céligny Ardouin écrivent ce nom avec un seul p et un s à la
fin : Capois. Madiou dans son Histoire d'Haïti et Linstant-
Pradines dans son Recueil des Actes officiels du Gouverne-
ment d'Haïti écrivent ce nom avec un p et un x à la fin :
Capoix. Saint-Rémy l'écrit avec deux p et un s à la fin :
Cappois. La signature porte deux p et un x à la fin : Cappoix.
C'est cette dernière orthographe qui doit être considérée comme
authentique ; c'est celle que nous avons adoptée. Malgré ces
précisions, l'orthographe courante est restée ainsi : Capois.
Cette erreur orthographique ne doit pas être continuée : il
faut écrire Cappoix d'après sa signature. Tous les documents
officiels ont un x à la fin du nom.
François Cappoix serait né, selon Céligny Ardouin et Saint-
Rémy, sur l'habitation sucrière (1) Laveaux-Lapointe (2), située
sur le rivage de la mer, à deux lieues de la ville du Port-de-
Paix dans le nord-ouest de l'île. Madiou (3) le fait naître sur
l'habitation Delaunay, située plutôt dans les hauteurs du Port-
de-Paix. Sémexant Rouzier a transcrit dans son Dictionnaire
l'assertion de Madiou, mais fait naître aussi Cappoix sur l'ha-
bitation Lapointe, lui donnant ainsi deux lieux natals. Ces incer-
titudes n'ont pas leur raison d'être, puisque le « Contrôle nomi-
natif des officiers du 3 bataillon de la demi-brigade coloniale »,
au 20 juin .1802, a inscrit Cappoix sous le nom de Capouet
comme originaire de l'habitation Lavau, du Port-de-Paix. La
discussion est donc close.
Au point de vue de la couleur, Cappoix était un noir, créole
de Saint-Domingue, c'est-à-dire né dans la colonie. Comme
pour beaucoup de familles obscures dont le nom resterait
inconnu sans la distinction d'un de ses membres, nous ne con-
naissons rien de la famille de Cappoix. Seul le nom de Fran-
çois Cappoix nous est parvenu avec le signalement de la célé-
brité. Céligny Ardouin nous apprend qu'il avait un frère
nommé José, dont il écoutait les conseils.
D'après Saint-Rémy (4), Cappoix, avant les hauts faits
d'armes, était originairement connu sous le nom de Capouet,
probablement le nom d'un colon français, propriétaire ou loca-
taire de l'habitation mentionnée ci-dessus, comme cela se pra-
tiquait à l'époque pour certains esclaves qui sortaient de l'or-
dinaire : les maîtres donnaient leurs noms à leurs habitations
et certains esclaves étaient connus sous les noms des habita-
tions des maîtres. De Capouet, des altérations de phonétique,
fort compréhensibles dans une colonie française où la lan-
gue des maîtres était si souvent déformée, ont fait Capois ou
Cappoix. C'est cette déformation phonétique qui est définiti-
vement restée et qui appartient maintenant à l'histoire. Cette
particularité ne doit pas nous étonner, puisque même certains
noms géographiques ont subi aussi parfois pareilles altérations.
Ainsi, le nom de la ville de Jacmel s'écrivait autrefois Jacque-
mel. Quand on lit la Description de la Partie française de
(1) A cette époque, dans les colonies, on appelait «habita-
tion »saune
aussi grande
maison ferme possédée par un colon qui y avait
d'habitation.
(2) Saint-Rémy parle de l'habitation Laveaux sans y ajou-
ter Lapointe (Pétion et Haïti, t. III, p. 167). Il semble que
Laveaux et Lapointe ne formaient qu'une seule et même habi-
tation. D'abord, anciennement, Lapointe, du nom de son ancien
propriétaire, puis, quand le gouverneur Laveaux vint faire sa
résidence au Port-de-Paix, Laveaux, comme Saint-Rémy l'a
écrit isolément. Les deux noms seraient restés à cette habita-
tion : Laveaux-Lapointe.
(3) Madiou, Histoire d'Haïti, 2 éd., t. II, p. 306.
(4) Op. cit., t. III, p. 167.
Saint-Domingue par Moreau de Saint-Rémy on se rend compte
des nonmbreuses altérations de prononciation qui ont fini par
altérer l'orthographe originale. L'habitation Martissaut près
le Port-au-Prince s'écrivait Marquissaut, du nom de son pro-
priétaire.
D'après ces renseignements antérieurs à la période révolu-
tionnaire, on déduit sans peine que François Cappoix est né
dans les liens de l'esclavage. Il est difficile de préciser com-
bien de temps a duré cette période de servitude.
Relativement à l'année de sa naissance, il n'y a pas non
plus de précision. Céligny Ardouin dans la biographie de Cap-
poix qui se trouve dans se Essais sur l'Histoire d'Haïti (1)
nous dit que Cappoix est mort à l'âge d'environ 40 ans. Etant
mort en 1806, Cappoix devait être né aux environs de l'année
1760, soit peu avant ou peu après cette date.
Comme cela arrive pour la plupart des hommes d'origine
humble, nous n'avons pas de renseignements sur sa jeunesse.
Comme nous venons de le dire, Cappoix est né esclave, et le
nom de Capouet, son premier nom, était celui du colon sur
l'habitation duquel il était né. D'après Céligny Ardouin, Cap-
poix commença sa carrière militaire sous le général E. Laveaux,
gouverneur de Saint-Domingue, qui avait fixé sa résidence au
Port-de-Paix pendant quelques temps, quand celui-ci, ayant
remplacé le vieux gouverneur de Lassalle, entre les mains de
qui le commissaire civil Sonthonax avait laissé le commande-
ment de la colonie en 1793, se décida à se retirer au Port-de-
Paix, où il fixa provisoirement sa résidence, après avoir con-
fié à Villate (2) le commandement de la ville du Cap Français.
A cette époque, la ville du Cap n'était qu'un monceau de
ruines et de cendres depuis l'affaire de Galbaud (3). Madiou

(1) Op. cit., p. 132 à 135.


(2) Villate, homme de couleur, avait été d'un grand con-
cours aux commissaires civils lors de l'affaire Galbaud ; il fut
nommé général de brigade en même temps que Toussaint Lou-
verture, Bauvais et Rigaud par la Convention Nationale ; il fut
la victime de la politique tortueuse du gouverneur Laveaux
qui, séduit par les cajoleries de Toussaint Louverture, oublia
les services rendus par Villate. Celui-ci, mécontent, se désinté-
ressa de Laveaux et le laissa maltraiter par la populace.
Laveaux fut dégagé par Toussaint qui reçut en récompense le
titre de lieutenant au gouvernement colonial. Villate dut s'en-
fuir du Cap et fut ensuite déporté en France.
(3) Galbaud avait remplacé d'Esparbès comme gouverneur
en 1793 ; il entra en lutte avec les commissaires civils Polvénel
et Sonthonax qui le combattirent avec les noirs et les mulâtres
du Cap et des environs ; il fut obligé de s'enfuir. A cette occa-
sion, les commissaires civils décrétèrent la liberté générale des
esclaves.
nous dit que le Cap et le Port-de-Paix étaient devenus les bou-
levards de la liberté dans le Nord, beaucoup d'autres points de
la colonie ayant été menacés ou même occupés par les Espa-
gnols et les Anglais. Les autorités coloniales françaises avaient
un grand besoin des indigènes de toutes couleurs pour les
aider à chasser tous ces intrus qui voulaient s'accaparer, par
tous les moyens, de Saint Domingue dont la renommée de pros-
périté, de richesse et de splendeur les avait fascinés et attirés.
L'amiral anglais Whitelocke avait furieusement attaqué le
Port-de-Paix, tant par mer que par terre, mais il fut repoussé
avec des pertes considérables, et il dut appareiller et sortir du
Canal de la Tortue (1).
Peu de temps après, le 25 juin 1794, Toussaint Louverture
abandonna les Espagnols et fit sa soumission à la France par
l'intermédiaire du gouvernement Laveaux, qu'il vint immédiate-
ment visiter au Port-de-Paix. C'est pendant ces luttes contre
les Anglais et les Espagnols qui furent définitivement chassés
de la colonie de Saint-Domingue, que Cappoix enrôlé dans les
troupes coloniales, conquit ses premiers grades.
Après avoir été nommé général de division par le Direc-
toire Exécutif, Toussaint Louverture imprima une organisation
définitive aux régiments qu'il avait créés. Tous ces corps pri-
rent ensuite la dénomination de demi-brigades usitée en
France depuis quelques temps auparavant. Celui du Port-de-
Paix était la 9 ; il eut Morpas, le brave Morpas, pour
colonel.
Cappoix devint, à ce moment, lieutenant dans la 9 demi-bri-
gade. Peu après, il fut fait capitaine au 3 bataillon, qui ne prit
point part dans la guerre civile du Sud entre Toussaint et
Rigaud, mais combattit, malgré tout, Rigaud, en faveur de qui
eut lieu un soulèvement dans le Nord-Ouest sous la direction
de Lubin Golard.
Lubin Golard était un noir descendant de l'une des plus
anciennes familles d'affranchis venues de l'île de Saint-Chris-
tophe à Saint-Domingue. Il était le chef du 3 bataillon de la
9 demi-brigade, qui était restée au Port-de-Paix, tandis que les
deux autres avaient été envoyées contre le Sud. La cause de
Rigaud lui avait plu, et sans s'être entendu avec lui, il prit la
décision de faire une diversion en sa faveur. Il se concerta
donc avec deux officiers du Môle : le chef de bataillon Belle-
garde qui commandait la ville, était un homme de couleur de
Ja Guadeloupe, qui s'était distingué dans la guerre contre les
Anglais ; l'autre était le colonel Noël Léveillé, un noir, en gar-
nison au Môle avec la 3 demi-brigade du Nord.
S'étant mis d'accord, ces trois officiers se prononcèrent en
faveur de Rigaud et profitèrent de l'absence des troupes du
Nord. On était à la mi-juillet de 1799. Le Môle tomba en leur
(1) Madiou, Histoire d'Haïti, 2 éd., t. I, p. 262 263.
pouvoir par la fuite du général Clervaux qui y commandait. Ils
envoyèrent deux officiers auprès de Rigaud pour l'informer
de leur prise d'armes, puis soulevèrent les paysans de Jean-
Rabel, de Bombarde et du Port-de-Paix. Lubin Golard atta-
qua cette dernière ville, où commandait le colonel Morpas, qui
lui opposa une résistance acharnée, à laquelle participa natu-
rellement Cappoix. Cette ville ne put être enlevée, et l'autorité
de T. Louverture fut maintenue dans la péninsule du Nord. Ce
succès de Morpas lui permit de continuer victorieusement sa
marche contre le Sud.
Le mouvement de Lubin Gobard en faveur de Rigaud con-
tre T. Louverture indique qu'il y avait un fond de sentiments
républicains, un désir de liberté, chez les habitants du Nord-
Ouest. Ces mêmes sentiments se réveillèrent un peu plus tard,
en 1807 en faveur du Président Pétion. Le mouvement de 1799
ne fut pas un complot monté par Rigaud, qui n'avait pas de
soldats à envoyer au Môle. Ce fut plutôt une manifestation
spontanée contre la tyrannie de T. Louverture, comme ce fut
en 1807 un soulévement de liberté contre la tyrannie de Chris-
tophe. Rigaud put seulement envoyer Renaud Desruisseaux (1)
pour diriger les opérations.
Ayant été repoussé devant le Port-de-Paix, Lubin Golard
se retrancha à Jean-Rabel, puis au Môle, d'où il fut définiti-
vement délogé, n'ayant pas assez de soldats pour organiser une
résistance prolongée. Il dut se jeter dans les bois, où il fut secrè-
tement entretenu. T. Louverture scella cette victoire dans le
sang de nombreuses victimes dont beaucoup étaient innocen-
tes. Il en profita pour massacrer de nombreux hommes de cou-
leur et des anciens libres noirs éclairés qui abhorraient son

(1) Desruisseaux (André Louis Renaud) naquit au Fonds-


Parisien le 12 novembre 1767 sur l'habitation de son nom, près
de Port-au-Prince. Il prit une part importante et glorieuse, aux
côtés de Pétion, dans la guerre civile du Sud entre Toussaint
et Rigaud. De retour dans le Sud, après la chute du Môle, dans
le combat qui eut lieu dans la petite plaine du Grand Goave, le
1 mai 1799, dans le champ de bananiers de l'habitation Bory,
un combat meurtrier se livra. Pétion, qui défendait le Grand
Goave, ordonna à Desruisseaux de se porter contre l'avant-
garde de l'armée du Nord commandée par Christophe. Des-
ruisseaux, le fusil à la main comme un simple soldat, culbute
Christophe. Dessalines, commandant en chef, fait alors avancer
la 2 demi-brigade. L'armée du Sud est forcée de se replier,
Desruisseaux reçoit une balle à la tête ; il est transporté au
Petit Goave où il expira le 2 mai 1799, en faisant des vœux
pour le triomphe des armes du Sud et le bonheur de sa race.
Pétion et ses compagnons furent profondément affligés. Pétion
le fit inhumer sur la Place d'Armes au pied de l'arbre de la
Liberté dont il avait été un des plus beaux soldats (Saint-
Rémy, t. II).
système despotique. C'est à partir de ce moment, que le parti
de T. Louverture inventa le supplice à la baïonnette.
Des crimes innombrables, vrais «festins de cannibales »,
selon le mot de ces temps de douleur, furent commis à cette
malheureuse époque.
Arrive maintenant, en février .1802, l'expédition de Leclerc
qui balaie T. Louverture de la scène politique et prélude au
rétablissement de l'esclavage par des actions horribles dans les
rangs des Indigènes, dont beaucoup qui résistaient furent mas-
sacrés, fusillés ou pendus ou noyés. L'expédition de Leclerc
introduisit à Saint-Domingue les noyades de Carrier inaugu-
rées à Nantes. La Liberté, ayant déjà pris racine à Saint-Domin-
gue, il y eut des soulèvements partiels dans de nombreuses
localités du Nord, de l'Ouest et du Sud. La guerre de la Liberté
reprend avec rage et fureur un peu partout.
La grande majorité de la population s'était détachée de T.
Louverture et avait accueilli favorablement l'expédition de
Leclerc dont on ne connaissait pas encore les instructions
secrètes, dans la croyance que la France était toujours restée
dans la grande pensée de la Convention Nationale, c'est-à-dire
en faveur de la liberté générale des Indigènes noirs et de cou-
leur, qu'un homme de la race, favorisé par le sort, soutenu
par ses congénères, avait systématiquement foulée aux pieds
au profit de son intérêt personnel. C'est avec raison que
Madiou nous dit : «La marche ascendante du pouvoir de
Toussaint commença à décliner après la guerre civile. Il se
trouva à la discrétion de la France, ayant soulevé contre lui
l'indignation de presque toute la population qui n'attendait
que l'arrivée d'une armée française pour le faire tomber.
Cependant, rien ne contrariait ouvertement ses volontés ; tout
se courbait devant sa puissance qui paraissait inébranlable.
Mais il n'avait plus en sa faveur l'opinion des noirs et des
faunes ; et les baïonnettes, quelque nombreuses qu'elles soient,
ne peuvent soutenir longtemps un chef qui a perdu l'opinion
publique. L'exécution de Moïse porta le dernier coup au pres-
tige moral qu'il exerçait » (1). Cette particularité historique
extrêmement importante signalée par Madiou explique l'atti-
tude des exilés qui profitèrent de l'expédition de Leclerc pour
rentrer à Saint-Domingue. Il faut croire que la tyrannie de
Toussaint Louverture était vraiment odieuse pour avoir amené
cette unanimité de sentiments d'indignation entre les indi-
gènes qui vivaient à l'intérieur et ceux qui avaient été obli-
gés de fuir et de gagner la terre d'exil.
Madiou nous dit qu'à l'arrivée du général Leclerc, tous les
blancs s'étaient jetés dans les bras des Français : c'était natu-
rel. Quant aux noirs et aux mulâtres' ils s'étaient divisés en
deux camps : un petit nombre resta fidèle à Toussaint,
la grande majorité se prononça pour les Français. (1)
(1) Madiou, Histoire d'Haïti, 2 éd., t. II, p. 313, 165, 169.
Madiou nous apprend encore que les cultivateurs du Cul.
de-Sac avaient répondu à Dessalines qui les excitaient à l'in-
surrection : «Lorsque vous étiez inspecteur de culture sous le
gouverneur Toussaint, vous nous faisiez travailler sous le
bâton au nom de la République Française ; vous nous disiez
alors que cette République ne voulait que notre bonheur. Pour-
quoi ferait-elle aujourd'hui notre malheur, quand il est impos-
sible qu'elle nous maltraite plus horriblement que sous l'an-
cien gouverneur. » (1)
Les Indigènes furent encore trompés dans leur espoir quand
ils se rendirent compte des tendances liberticides du général
Leclerc ; ils se soulevèrent de nouveau en réclamant la liberté
dont ils avaient joui depuis près de dix ans, car ils n'avaient
pas encore renié la métropole. A leurs revendications si natu-
relles, le général Leclerc et ses collaborateurs répondaient par
des menaces et des voies de fait ; la lutte était rouverte, les
représailles cruelles de part et d'autre. Le général Leclerc ne
faisait que suivre les instructions du Premier Consul, bien
qu'il se rendit compte que le rétablissement de l'esclavage
était la cause de tous les malheurs de la colonie. Il voulut même
laisser la colonie à cause de cela. Le devoir militaire le retint.
Il écrivit alors au Premier Consul de ne pas rétablir l'escla-
vage. Mais les conseils des colons avaient prévalu.
A l'arrivée du général Leclerc, une escadre fut envoyée pour
prendre possesssion du Port-de-Paix. Morpas (2) dévoué à T.
Louverture, fit évacuer la population indigène et mit le feu
à sa propre maison. La ville fut entièrement incendiée. Il orga-
nisa immédiatement la résistance dans les campagnes environ-
nant cette ville. Cappoix avait été placé dans une embuscade
sur le Morne de la Coupe Aubert, à la tête de cent hommes de
la 9 demi-brigade.. Dès qu'il aperçut les Français, il les atta-
qua par un feu bien nourri. Dans la riposte française, Cappoix
fut atteint d'une balle à la jambe et tomba au milieu de ses
hommes qui, pour ne pas être enveloppés, gagnèrent avec rapi-
dité le sommet du Morne. Le général Humbert, qui commandait
la division française, put entrer ensuite au Port-de-Paix, dont
les ruines étaient encore fumantes. C'était au début de
février 1802.
Morpas prit son cantonnement auxTrois Pavillons (1) où
quelques jours après, il infligeait une sanglante défaite au
général Humbert. Il livra plusieurs autres batailles avec succès.

(1) Madiou, Histoire d'Haïti, 2 éd., t. II, p. 313, 165, 169.


(2) Morpas combattit les Français sous Toussaint Louver-
ture ; il se soumit en même temps que son chef ; et, comme
tous les autres chefs indigènes, servit sous le général Leclerc.
Sans égard aux services rendus, il fut noyé avec toute sa
famille dans la rade du Cap. Il accepta stoïquement la mort.
Quand les communications furent interrompues entre T. Lou-
vesture et Morpas, celui-ci continua de combattre isolément.
Mais Lubin Golard, son ennemi personnel, s'étant rallié aux
Français, Morpas comprit l'inutilité de la lutte. Enveloppé
de toutes parts par les ennemis, Morpas fit sa soumission au
général français Debelle le 26 février 1802. Il devait contribuer
dès lors à soumettre les insurgés fidèles à T. Louverture ou en
armes en faveur de la Liberté, après la déportation de celui-ci.
Aux côtés des généraux français Brunet et P. Boyer, le colo-
nel noir Morpas et son subordonné, le capitaine Cappoix,
combattirent les insurgés du Nord-Ouest. Saint-Rémy nous
apprend que «Cappoix donna sa démission à l'arrivée des
Français, sous prétexte de reprendre les travaux de l'agricul-
ture ». Au contraire, Madiou nous dit que Cappoix avait été
attaché à l'état-major de Leclerc au grade de chef d'escadron,
mais qu'il en fut dans la suite renvoyé, et que c'est à partir de
ce moment qu'il se retira à la campagne sur l'habitation Delau-
nay. B. Ardouin nous explique un peu mieux la retraite de
Cappoix en nous apprenant qu'« après la soumission de Mor-
pas, il avait passé à l'état-major du capitaine général
(Leclerc) qui l'autorisa cependant à résider au Port-
de Paix.» (2)
La présence de Cappoix dans son lieu natal n'avait donc
rien d'insolite. Céligni Ardouin explique bien tous ces faits
relatifs à la carrière militaire de Cappoix en les subordonnant
à la dissolution de la 9 demi-bigade du Port-dePaix, laquelle
eut lieu après la soumission de Morpas.
C'est aussi à ce moment que Cappoix commença à jouer
un rôle actif dans les événements de son pays. Les généraux
français Brunet et P. Boyer, aidés du brave Morpas plein de
confiance dans la bonne foi de la métropole, parcouraient l'in-
térieur du Nord-Ouest, qu'ils essayaient en vain de pacifier.
Les cultivateurs (paysans) n'avaient plus confiance. Fourvoyé
par les colons esclavagistes, le Premier Consul voulait effecti-
vement faire reprendre à Saint-Domingue les mœurs du vieux
régime colonial.
Sans se concerter, chaque région de la colonie s'était mise
en insurrection pour revendiquer la Liberté implantée depuis
1794 par la Convention Nationale. La plupart des officiers
français se livraient à toutes sortes d'excès inhumains qui
exaspéraient les indigènes. Dans le quartier de Plaisance, près
(1)Les Trois Pavillons : position fortifiée par la nature,
située dans les mornes de l'habitation Brissot, à 3 lieues du
Port-de-Paix, et que traverse le grand chemin de la montagne.
Tout près passe le fleuve des Trois-Rivières qui sort du versant
nord de la chaîne de Plaisance et va se jeter dans le Canal de
la Tortue, à quatre kilomètres de la ville du Port-de-Paix.
(2) B. Ardouin, Etudes sur l'Histoire d'Haïti, t. V, p. 276
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sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.
Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire
qui a servi à la numérisation.

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La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections


de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

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‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒
dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.

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