Bumed Mort 2012 Bokobza Leslie Deldique Augusta

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http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm
Institut d'Orthophonie
Gabriel DECROIX

MEMOIRE
En vue de l'obtention du
Certificat de Capacité d'Orthophonie
présenté par :

Leslie BOKOBZA et Augusta DELDIQUE

soutenu publiquement en juin 2012 :

En quoi l'orthophoniste peut-il être tuteur de


résilience tout en conservant son identité
professionnelle?

MEMOIRE dirigé par :


Madame LEHEMBRE Valérie, Psychologue, Centre d'Action Médico-Sociale Précoce,
Villeneuve d'Ascq

Lille – 2012
Remerciements

Nous tenons à remercier toute l'équipe du CMP Goubet ainsi que celle du CMP
d'Asnières sans lesquelles ce mémoire n'aurait pas pu exister et en particulier Annick
Goubet, Laetitia Lebaillif, Jocelyne Léger et Christelle.
Nous remercions également nos maîtres de stage et plus particulièrement
Catherine Thibaut pour son accueil et ses précieux conseils.
Nous tenons à remercier tous les patients qui ont contribué à l'élaboration de ce
mémoire et qui nous ont énormément appris.
Merci à Dominique Crunelle pour nous avoir inspiré ce sujet.
Et enfin, merci à nos familles et à nos amis qui nous ont soutenues tout au long de
cette année.

2
Résumé :

Nous avons souhaité à travers ce mémoire, faire le lien entre la


notion de résilience et la rééducation orthophonique. Plus
particulièrement, nous avons vu dans quelle mesure l'orthophoniste,
dans sa position privilégiée d'accompagnateur de santé, pouvait jouer le
rôle de tuteur de résilience tout en conservant sa fonction de thérapeute
du langage.

A travers la littérature et les recherches, nous avons mis en avant


les étapes et mécanismes du processus de résilience, pour ensuite nous
poser la question de la manière dont nous pouvions les intégrer au sein
de la relation thérapeutique mise en place dans toute rééducation
orthophonique.

Nous avons ensuite expérimenté nos hypothèses grâce à l'étude


de cas cliniques qui se sont organisés sous forme de prises en charge
individuelles mais aussi au travers de groupes thérapeutiques.

Nos patients viennent de milieux différents et sont suivis pour des


pathologies variables mais ils ont tous en commun l'expérience d'un
événement traumatique passé ou chronique.

A la suite de nos expériences cliniques, nous avons mis en


évidence le fait qu'au travers d'une relation thérapeutique stable et
élaborée selon les concepts de la résilience, il était possible pour
l'orthophoniste de mettre en place avec son patient une relation de
confiance et ainsi, agir directement au sein du facteur socio-
environnemental et du facteur familial, qui sont deux éléments
indispensables au processus de résilience.

Mots-clés :

résilience - tuteur de résilience - cas cliniques - rééducation


orthophonique - relation thérapeutique

3
Abstract :

Throughout this work we tried to establish a link between the


concept of resilience and speech therapy. In particular, we have
seen how the speech therapist in its privileged position of health
professional could act as a mentor of resilience while retaining its
professional identity.

Throughout literature and research, we have highlighted the steps of the


process and mechanisms of resilience. We have also asked
ourselves how to integrate them within the development of the
therapeutic relationship in any speech therapy.

We have confronted our hypothesis with clinical cases found


in individual therapy and therapeutic groups.

Our patients come from different backgrounds and are treated


for different troubles but they all have in common a past or chronic
traumatic experience . Following our experiments, we have shed light
on the fact that a stable and well-developed therapeutic relationship
allowed the therapist and his patient to build a personal relationship
based on trust. Thus, the therapist may act directly within the socio-
environmental factor and influence the family factor, which are two major
elements in the process of resilience .

Keywords :

resilience - mentor of résilience - clinical studies - speech therapy -


therapeutic relationship

4
Table des matières
Introduction..................................................................................................................8
Contexte théorique, buts et hypothèses.................................................................10
1.L'identité professionnelle de l'orthophoniste........................................................11
1.1.Historique et évolution de la pratique orthophonique...................................11
1.1.1.Du langage à la communication............................................................11
1.1.2.Une profession en pleine expansion.....................................................13
1.2.Spécificités....................................................................................................14
1.2.1.L'orthophonie au carrefour de multiples disciplines..............................14
1.2.2.Pluralité des patients et des pathologies...............................................15
1.2.3.Recherche et construction d'une identité professionnelle.....................17
2.La relation thérapeutique en orthophonie............................................................18
2.1.Le symptôme................................................................................................18
2.1.1 Le langage, étroitement lié au psychisme.............................................18
2.1.1.Le trouble du langage, symptôme.........................................................19
2.2.L'évolution de la relation thérapeutique........................................................21
2.2.1.Historique...............................................................................................21
2.2.2 D'une relation verticale à une relation mutuelle....................................23
2.2.3 Les fondements d'une relation d'aide....................................................24
2.2.3.1 L'empathie.......................................................................................24
2.2.3.2 La confiance....................................................................................25
2.2.3.3 Importance du cadre de la relation thérapeutique.............................26
2.3 Les mécanismes psychiques sous-jacents de la relation thérapeutique.....28
2.3.1 Le transfert.........................................................................................28
2.3.2 Le contre-transfert..............................................................................30
2.3.3 La relation d'aide, la base de la résilience.........................................31
3.La résilience.........................................................................................................32
3.1.Définitions.....................................................................................................32
3.1.1.Un concept développemental................................................................33
3.1.2.Complexité du concept..........................................................................33
3.2.Les mécanismes de la résilience:.................................................................35
3.2.1.Les mécanismes de défense.................................................................35
3.2.2.Les mécanismes qui réinvestissent la réalité........................................36
3.3.Le nouveau développement interactif...........................................................39
3.3.1.La notion de néodéveloppement...........................................................39
3.3.2.L'importance de l'entourage..................................................................40
3.4.L'intérêt de cette notion dans la pratique orthophonique.............................43
3.4.1.Parallèle entre résilience et rééducation: deux processus de
reconstruction.................................................................................................43
3.4.2.Intégration des concepts de résilience dans la relation thérapeutique. 45
3.4.2.1.Un espace privilégié qui permet la réalisation des ressources et
compétences...............................................................................................45
3.4.2.2.La rééducation : lieu d'expression et de création...........................46
3.5.Qu'est ce qu'un tuteur de résilience.............................................................48
3.5.1.Tuteurs de développement et tuteurs de résilience..............................48
3.5.2.L'attachement comme déterminant du tuteur de résilience..................49
3.5.3.«Caractéristiques» du tuteur de résilience et présence au sein de la
société.............................................................................................................51
3.5.4.L'orthophoniste, un tuteur de résilience ?.............................................53
5
3.6.Les outils de mesure de la résilience...........................................................54
4.Problématique, objectifs et hypothèses...............................................................57
4.1.Problématique...............................................................................................57
4.2.Objectifs........................................................................................................57
4.3.Hypothèses...................................................................................................57
Sujets, matériel et méthode......................................................................................59
1.Présentation de notre démarche..........................................................................60
2.La Resilience scale .............................................................................................61
Résultats.....................................................................................................................63
1.Présentation d'études de cas cliniques................................................................64
1.1.Salim, patient du CMP .................................................................................65
1.1.1.Introduction............................................................................................65
1.1.2.Anamnèse .............................................................................................65
1.1.3.Déroulement des séances.....................................................................66
1.1.3.1.La revalorisation..............................................................................67
1.1.3.2.Révéler les ressources et compétences.........................................68
1.1.3.3.L'humour.........................................................................................69
1.1.3.4.Le respect des règles......................................................................69
1.1.3.5.Les mécanismes de défense..........................................................70
1.1.3.6.La confiance....................................................................................71
1.1.3.7.L'expression des sentiments ..........................................................74
1.1.4.Le projet thérapeutique..........................................................................75
1.1.4.1.Regagner la confiance de Salim.....................................................76
1.1.4.2.Se mettre à nouveau en projet........................................................76
1.1.5.Conclusion.............................................................................................78
1.2.Marc et sa mère............................................................................................78
1.2.1.Introduction............................................................................................78
1.2.2. Anamnèse.............................................................................................79
1.2.3.Déroulement des séances .............................................................80
1.2.3.1.Le travail de réassurance................................................................80
1.2.3.2.Révéler les potentialités de Marc....................................................81
1.2.3.3.Le travail de guidance parentale.....................................................82
1.2.3.4.L'importance de l'environnement....................................................83
1.2.4.Conclusion.............................................................................................84
1.3.Le groupe Arthur et Julien.............................................................................85
1.3.1.Arthur.....................................................................................................85
1.3.1.1.Déroulement des séances avant la formation du groupe...............85
1.3.1.2.Contexte familial..............................................................................87
1.3.2.Julien.....................................................................................................87
1.3.2.1.Déroulement des séances avant la formation du groupe ..............88
1.3.2.2.Contexte familial..............................................................................88
1.3.3.Observation des séances: Septembre 2011-mars 2012.......................88
1.3.3.1.Savoir créer du lien ........................................................................89
1.3.3.2.Le sentiment d'efficacité personnelle et l'estime de soi..................91
1.3.3.3.La persévérance.............................................................................92
1.3.3.4.L'équanimité....................................................................................93
1.3.3.5.Les ressources et l'équilibre...........................................................94
1.3.4.Conclusion.............................................................................................95
1.4.GROUPE MAMAN/ENFANT«L'envol».........................................................96
1.4.1.Présentation du groupe.........................................................................96
1.4.2.Les enfants du groupe...........................................................................96
6
1.4.3.Le rôle des professionnels au sein du groupe afin de faciliter
l'attachement...................................................................................................97
1.4.3.1.La modification des représentations qu'ont les mères de leur enfant
.....................................................................................................................97
1.4.3.2.Encourager toute forme de communication....................................98
1.4.3.3.Restaurer la parentalité...................................................................99
1.4.4.Conclusion...........................................................................................100
2.Conclusion des cas cliniques.............................................................................101
Discussion...............................................................................................................102
1.Rappel des hypothèses de départ.....................................................................103
2.Critique méthodologique....................................................................................103
2.1.Les limites de notre méthode......................................................................103
2.2.L'outil de mesure de la résilience utilisé : la Resilience Scale...................106
3.Les problématiques émergentes........................................................................107
3.1.Les limites de la théorie de la résilience ....................................................107
4.Mise en évidence de l'intérêt de la théorie de la résilience pour l'orthophonie,
grâce à notre expérience clinique.........................................................................110
4.1.Réflexions autour de l’intérêt de la résilience dans la prise en charge
précoce..............................................................................................................110
4.2.Réflexions autour de la place de l'orthophoniste en tant que tuteur de
résilience...........................................................................................................112
5.Réflexions et questionnements..........................................................................113
Conclusion...............................................................................................................116
Bibliographie............................................................................................................119
Liste des annexes....................................................................................................124
Annexe n°1 : The Resilience Scale (English).......................................................125
Annexe n°2 : The Resilience Scale (Français).....................................................125

7
Introduction

Introduction

8
Introduction

Boris Cyrulnik a développé la notion de résilience pour définir la capacité


d'une personne à se construire et à évoluer harmonieusement malgré des
événements de vie douloureux et à risque d'issue négative. Les patients nécessitant
une prise en charge en orthophonie sont directement concernés du fait des difficultés
relatives à leur pathologie et parfois, à un contexte social et familial difficile. Nous
avons alors cherché à savoir comment la résilience pouvait s'inscrire au sein de la
rééducation orthophonique et à comprendre la façon dont elle s'articulait autour de la
relation entre le patient et l'orthophoniste.

Jusqu'ici, nos stages nous ont permis de travailler avec différents


professionnels possédant différentes techniques de rééducation et de façons
d'appréhender les patients et leur pathologie. Toutefois, au-delà de ces techniques et
autres pratiques de rééducation, l'aspect relationnel revêtait une place importante.
Nous nous sommes donc intéressées à la façon dont cette relation s'exprimait et
permettait de favoriser le processus de résilience du patient, sans démunir
l'orthophoniste de son identité professionnelle.

D'un point de vue pratique, nous présenterons des études de cas cliniques
dont l'analyse nous a paru pertinente dans le cadre de cette réflexion. Nous
tenterons alors de mieux situer l’intérêt de l'intervention orthophonique dans le
processus de résilience et de déterminer ses éventuelles répercussions sur son
identité professionnelle.

9
Contexte théorique, buts et hypothèses

Contexte théorique, buts et


hypothèses

10
Contexte théorique, buts et hypothèses

1. L'identité professionnelle de l'orthophoniste

1.1. Historique et évolution de la pratique orthophonique

1.1.1. Du langage à la communication


Le terme d' « orthophonie » apparaît pour la première fois en France, en 1829,
avec l'ouverture par le Dr Colombat à Paris, d'un établissement : l'Institut
orthophonique de Paris, uniquement destiné au traitement du bégaiement. A cette
époque, il s'agissait donc essentiellement de l'étude de ce trouble et des « vices de
la parole », ce qui apparaît aujourd'hui être une vision très réductrice de la
profession.
Ce n'est qu'au début du XXème siècle que sont décrites pour la première fois
par des neurologues des observations de difficultés d'apprentissage de la lecture, et
des pertes de l'usage du langage et de la parole à la suite de traumatismes crâniens
et d'attaques cérébrales. C'est pourquoi à la fin du XIXème siècle et jusqu'en 1914,
de nombreux centres de traitement du langage vont être créés et très vite des
centres de formation pour les nouveaux thérapeutes du langage, qui ne sont pas
considérés comme des médecins, vont également apparaître.
Au départ, on emploie davantage le terme de « logopédie » à celui
d'« orthophonie » et cela ne prend pas en compte la phoniatrie qui regroupe les
maladies de la voix. C'est dans ce contexte qu'en 1924 se crée l'Association
internationale de logopédie et de de phoniatrie.
On peut retenir les ouvrages de Mme Cléricy du Collet au début du XXème
siècle en France : La voix retrouvée et la voix rééduquée et plus tard l'ouverture par
le Dr Parrel en 1935 du Centre social de rééducation pour les déficients de l'ouïe, de
la parole, de la respiration et pour les retardés scolaires. On voit s'amorcer un
regroupement de ces pathologie qui seront par la suite toutes prises en charge par
l'orthophoniste.
Cependant, l'essentiel du développement de l'orthophonie en France sera
réalisé par Suzanne Borel Maisonny (1900-1995). Phonéticienne et grammairienne
de formation, élève de l'abbé Rousselot, célèbre linguiste, elle est appelée en 1925 à
effectuer des observations sur les enfants opérés de fentes palatines et de becs-de-
lièvre pour savoir s'il n'est pas possible de les aider à recouvrer une voix et une

11
Contexte théorique, buts et hypothèses

articulation meilleures. Ces travaux se dérouleront sous la direction du Dr Veau à


l'Hôpital Saint-Vincent-de-Paul. Elle commencera donc ses premières rééducations
auprès d'enfants opérés de divisions palatines et par la suite, avec quelques
collaboratrices, elle en vient vite à élargir son champ d'intervention à l'articulation et
au bégaiement auprès d'enfants non handicapés. Petit à petit elle va également être
amenée à s'occuper de la parole, puis du langage et de la pensée-langage et c'est
ainsi que l'orthophonie française a fini par embrasser la communication, le langage
tout entier, qu'il soit oral ou écrit, et quelle que soit son origine, fonctionnelle,
organique, traumatique, ou due à des handicaps divers.
Citons aussi sa collaboratrice Claire Dinville (1899-2001) qui étudie dans le
même temps avec le Dr Tarnaud(1991, Kremer et al.) les troubles pathologiques de
la voix et met au point des rééducations. En découlera la création en 1930 d'un cours
de laryngologie et de phoniatrie, puis en 1933 une section d'études expérimentales
des formes pathologiques du langage.
En 1947, au début de la création de la sécurité sociale, on y inclut la
participation aux traitements du langage. Mais ce n'est qu'en 1955 que les premiers
enseignements de l'orthophonie vont être créés : d'abord à Lyon et Paris , puis à
Bordeaux et Marseille et la formation va être sanctionnée par une attestation
d'études d'orthophonie. C'est en 1964, par la loi du 10 juillet, que la profession
d'orthophoniste reçoit un statut légal en même temps qu'est créé le premier diplôme
national : le Certificat de capacité d'orthophoniste.
L'expansion du domaine de compétences de la profession continuera de se
faire parallèlement en 1952 avec Claude Chassagny (1927-1986) qui est à l'origine
un instituteur et deviendra plus tard un psychanalyste et créera une certaine
philosophie de la rééducation : « la Pédagogie Relationnelle du Langage ». Il va
étudier l'apprentissage de la lecture chez l'enfant, notamment chez les enfants
inadaptés scolairement et socialement.
En 1955, le Dr Heuyer (1991, Kremer et al.), titulaire de la chaire de
neuropsychiatrie infantile à la faculté de médecine de Paris, crée un enseignement
officiel délivrant une « attestation d'études d'orthophonie ».
En 1958, est fondée l’École de formation des rééducateurs de la dyslexie à
l'initiative de Chassagny, qui sera donc dissociée de la formation d'orthophonie, et ce
n'est qu'en 1965 que se mettra en place une Commission de qualification chargée de
délivrer des autorisations aux rééducateurs de la dyslexie. Et ce n'est qu'avec la loi

12
Contexte théorique, buts et hypothèses

de juin 1971 qu'ils seront tous intégrés à la profession d'orthophoniste, avec


cependant une limitation au langage écrit.
L'arrêté du 16 mai 1986, modifié par celui du 25 avril 1997 viendra renforcer
considérablement la qualité de la formation initiale des orthophonistes, désormais
l'orthophonie consiste « A prévenir , à évaluer et à traiter les déficiences et troubles
de la voix, de l'articulation, de la parole, ainsi que ceux associés à la compréhension
du langage oral et écrit, à sa réalisation et à son expression. A dispenser
l'apprentissage d'autres formes de communication non verbale permettant de
compléter ou de suppléer ces fonctions. ». Le champ d'action des orthophonistes
s'est donc considérablement étendu et ne se limite plus aux troubles structurels du
langage comme le bégaiement ou l'articulation mais prend en compte tous les
aspects de la parole dans différentes pathologies et avec une population très variée.

1.1.2. Une profession en pleine expansion


A la suite de la loi du 10 juillet 1964 qui porte sur la création d'un diplôme
d'Etat : le Certificat de capacité d'orthophoniste, de nouveaux centres de formations
vont voir le jour et c'est ainsi que douze instituts de formations vont être créés dans
différentes villes. A partir de ce moment, on passe de 200 à 600 orthophonistes
formés par an au début des années 1970, actuellement on compte 19000
orthophonistes en France. La profession est donc très jeune et elle n'a cessée
d'évoluer :
• En 1969, une lettre clé spécifique , l'AMO (Auxiliaire Médical Orthophoniste)
est créée et les actes d'orthophonie sont intégrés à la Nomenclature générale
des autres professionnels.
• En 1974, la première Convention nationale est signée entre les organismes
d'assurance maladie et la profession.
• En 1977, les orthophonistes demandent l'extension de son domaine d'activité
à la prévention et au dépistage.
• En 1983, grâce au décret du 24 août, la profession voit son champ de
compétences se préciser.
• En 1990, Révision de la Nomenclature des actes d'orthophonie.
• En 1991, paraissent deux textes importants dans la formation initiale : le
décret du 23 octobre, qui organise le stage en orthophonie auprès d'un

13
Contexte théorique, buts et hypothèses

praticien, et l'arrêté relatif à la désignation des maîtres de stage en


orthophonie.
• Enfin, en 1992, c'est la compétence de l'orthophoniste qui est élargie par un
décret qui complète celui de 1983 : guidance parentale, prévention et
rééducation tubaire essentiellement.
• En 2002, un grand bond en avant est réalisé dans la reconnaissance de la
compétence et des missions de l'orthophoniste, paraissent successivement, et
après de nombreuses années de négociations, un nouveau décret de
compétences qui n'est plus une simple liste d'actes, et la révision de la
Nomenclature des actes, avec des nouveaux libellés plus explicites.
Désormais, la prescription médicale pour accéder à l'orthophoniste se limite
au «bilan orthophonique avec rééducation si nécessaire»; l'orthophoniste est
responsable de la mise en œuvre du traitement dans le cadre de la
réglementation en vigueur.
Ainsi, depuis l'obtention du statut légal en 1964, l'orthophonie a à la fois
développé son champ de compétences et sa formation initiale. Les décrets de 1983
et 2002 ont été des avancées importantes dans la profession qui, située à un
carrefour de la médecine, de la pédagogie et de la psychologie, s'est vue de
nombreuses fois contester sa compétences pour certains troubles.

1.2. Spécificités

1.2.1. L'orthophonie au carrefour de multiples disciplines


Le travail de l'orthophoniste peut s'observer comme étant au carrefour de
multiples disciplines : la linguistique, la pédagogie, la médecine, la psychologie, la
sociologie. Selon Abbott (1988) cité par Tain (2007), ce qui crée le fait professionnel
c'est la «capacité à mobiliser une «inférence», c'est-à-dire à articuler savoir formel et
pratique concrète». L'inférence exprime le fait que le lien existant entre une situation
et la remédiation qui peut y être apportée se réfère à un savoir organisé. Ainsi la
pluridisciplinarité présente dans le métier d'orthophoniste explique les inférences
plurielles auxquelles il est soumis et dont il se démarque parallèlement pour faire
exister sa spécificité, tout en puisant dans des champs connexes et multiples des
fondements théoriques propres à éclairer sa pratique. Au-delà de ces inférences, il
s'agit de valoriser la dimension technique afin de permettre à l'orthophoniste de
légitimer son rôle de thérapeute des troubles de la communication humaine.

14
Contexte théorique, buts et hypothèses

Les fonctions de prévention et de dépistage revêtent aujourd'hui un aspect


primordial de l'orthophonie tant l'information et la formation des autres professionnels
de la santé et de l'éducation ainsi que le dépistage précoce des compétences en
communication du jeune enfant sont devenus un mission à part entière de
l'orthophoniste. En effet, l'intervention la plus précoce étant la plus efficace, il était
indispensable que cela rentre dans le champ de compétences des orthophonistes.
Ces compétences, complétées au fur et à mesure des années par une
formation continue, s'étendent de la neurologie à la pédagogie, en passant par les
sciences humaines. Des techniques de rééducation sont sans cesse actualisées et
les progrès des disciplines médicales avec lesquelles l'orthophonie a trait lui
permettent de mettre à jour régulièrement ses connaissances dans de multiples
domaines ( psychiatrie, neurologie, psychologie, orl …). La formation continue a pour
but de remettre en question les schémas et techniques de rééducation habituels, et
cela, au gré des évolutions scientifiques. La spécificité de l'orthophonie n'en est que
renforcée et concède un garant qualitatif de plus à la formation initiale.
De plus, une des principales aptitudes de l'orthophoniste est de réunir un
savoir sur une multitude de disciplines ayant rapport avec les troubles de la
communication pour en étayer ses rééducations. Ainsi les éléments de linguistique,
de pédagogie, de médecine et de psychologie dont l'orthophoniste disposent lui
permettent d'établir des corrélations entre ces différentes disciplines et des les
utiliser au sein de sa pratique. Une rééducation orthophonique est une rééducation «
sur mesure » : en plus de réunir différentes disciplines pour révéler ses techniques,
elle se doit de prendre en compte la personnalité du sujet ainsi que son trouble
(nature, origine, spécificités etc) afin d' aboutir efficacement à une prise en charge
adaptée et personnalisée.

1.2.2. Pluralité des patients et des pathologies


Aujourd'hui, l'ensemble des troubles de la communication concerne
l'orthophonie. Il s'agit de troubles du langage oral et écrit quelle que soit leur origine
(traumatisme, handicap, dysfonction). Étant donné que la communication est un outil
nécessaire à chaque humain et ce, à tous les âges de la vie, il était évident que les
orthophonistes allaient devoir prendre en charge des patients d'âge, de sexe, de
milieu socioculturel différents. Il s'agit donc non seulement d'avoir une connaissance
précise du développement du langage, de ses troubles et des pathologies sous-
jacentes mais aussi de s'adapter constamment à une patientèle hétérogène.
15
Contexte théorique, buts et hypothèses

En ce qui concerne les pathologies, les troubles du langage aboutissent à une


réglementation concernant un corps professionnel grâce à la loi du 10 juillet 1964 par
nécessité de prendre en charge des troubles qui existaient déjà bien sûr mais dont
les connaissances et les techniques rééducatives n'étaient pas rassemblées dans un
même métier mais rencontrées de manière disparate et isolée. En effet, la prise en
charge d'enfants sourds remonte au XVIIIe siècle, celle du bégaiement au début du
XIXe , les troubles de l'articulation dès le début du XX e et la dyslexie dans les années
1930.
Depuis la loi du 10 juillet 1964 qui confère à l'orthophonie un statut légal, le
métier d'orthophoniste n'a cessé d'évoluer tout comme ses domaines d'intervention.
Le tableau suivant (Haberer, Voisin (2003) cités par Tain (2007)) montre
l'élargissement progressif des domaines d'intervention selon les décrets de
compétence :

Pathologies Décrets de compétence Décrets de compétence Décrets de compétence


de 1983 de 1992 de 2002
Aphasie +
Articulation, parole, +
langage
Bégaiement +
Déglutition +
Division palatine ou +
incompétence vélo
pharyngée
Dysarthrie, dysphagie +
Dyscalculie +
Dyslexie, +
dysorthographie,
dysgraphie
Dysphasie +
Laryngectomie +
Rééducation du jeune +
enfant présentant un
handicap
Surdité +
Systèmes alternatifs ou +
augmentatifs de la
communication
Troubles liés au +
vieillissement
Troubles vélo-tubo- +
tympaniques
Voix +

16
Contexte théorique, buts et hypothèses

1.2.3. Recherche et construction d'une identité professionnelle


Au fil du temps et au gré de l'évolution du métier d'orthophoniste, s'est forgée
une identité professionnelle qui n'a de cesse de s'affirmer et de se renforcer.
L’identité professionnelle est par définition, ce qu'est et ce qui caractérise un
groupe de personnes au niveau professionnel. Il s'agit de définir un métier ainsi que
l'ensemble des éléments qui la singularisent. Il faut également préciser le rôle de ce
métier dans la société et les missions devant être remplies par le groupe de
personnes se revendiquant de cette identité.
La construction d'une identité professionnelle correspond à l'intégration de
savoirs spécialisés comprenant un vocabulaire précis, des propositions, un
programme et une vision du monde bâtie en fonction des domaines d'activités de
cette profession. Cela aboutit à l'émergence de groupes de personnes rassemblées
autour d'un même métier et ayant des idées, des attraits et des réflexions en
commun.
Au niveau de l'orthophonie, cette identité professionnelle s'est formée au
départ par la volonté de Suzanne Borel-Maisonny de non seulement approfondir les
recherches concernant la pratique orthophonique mais aussi de créer un statut
légalisant la profession. Elle, ainsi que les pionnières de l'orthophonie en France, ont
également contribué à créer des institutions qui ont justement aidé à renforcer cette
identité : la Fédération nationale des orthophonistes (FNO) et l'Association des
rééducateurs de la parole et du langage oral et écrit (ARPLOE). Les pionnières de
l'orthophonie se sont donc investies dans ce métier et ont aidé à sa reconnaissance
sociale. On va voir que leur parcours , leurs attentes et leurs intérêts ont souvent été
proches.
Tout d'abord et comme aujourd'hui, aux prémices de l'orthophonie, les femmes
sont largement majoritaires. Cela a entraîné la persistance de l'idée d'une identité
professionnelle exclusivement féminine. Selon Laurence Tain et al. (2007) cette
féminisation du métier d'orthophoniste pourrait s'expliquer, à l'époque, par l'attrait de
concilier vie familiale et profession libérale, les orthophoniste évoquant davantage
leur intérêt pour le langage que leur désir de travailler avec des enfants. Cependant
la mise en libérale est présente dans de nombreux métiers, pourtant beaucoup
moins féminisés que l'orthophonie. Et ces femmes qui s’intéressent aux troubles de
la communication, au début des années 1950, proviennent d'un milieu social et

17
Contexte théorique, buts et hypothèses

culturel favorisé. Elles présentent un intérêt particulier pour trois disciplines : la


médecine, la pédagogie et la psychologie. Souvent, l'orthophonie n'est alors qu'un
choix de deuxième intention, guidé par une pression sociétale ( féminisation faible
des études médicales, incompatibilité avec une vie de famille ) pour le métier de
médecin, par l'argument d'absence de débouchés pour le métier de psychologue etc.
Mais à l'époque on trouve des femmes ne choisissant pas l'orthophonie par dépit
mais avec une envie primaire d'étudier les pathologies du langage. Ces différentes
trajectoires ont permis d'enrichir la profession en lui revêtant un caractère
pluridisciplinaire. Pour d'autres femmes, la rencontre avec l'orthophonie s'est faite
parce qu'elles en ont eu recours pour leur(s) propre(s) enfant(s) et que cela leur a
permis d'entrevoir les soins qui leur étaient apportés de manière professionnelle. Ces
femmes ne cessent de se former, d'apprendre sur les pathologies et de créer des
nouveaux moyens de rééducation : cette formation professionnelle continue est
encore aujourd'hui une marque de l'identité de l'orthophoniste. A l'image de Mme
Borel-Maisonny, beaucoup d'entre elles ont travaillé aussi longtemps qu'elles l'ont pu,
dans un esprit d'aide et d'engagement dans les soins apportés à l'Autre. Les
parcours et les trajectoires, les raisons de l'investissement dans ce métier ont donc
pu être différents mais révèlent en tout cas un certain engagement social, qui définit
justement l'identité professionnelle de l'orthophoniste, lié(e) à ses patients dans un
processus d'aide, de soin et de réhabilitation de la communication.

2. La relation thérapeutique en orthophonie

2.1. Le symptôme

2.1.1 Le langage, étroitement lié au psychisme


Le langage, dans l'usage scientifique, désigne la capacité, dont est doté tout
être humain normalement constitué, d'apprendre et d'utiliser un ou plusieurs
systèmes de signes verbaux pour communiquer avec ses semblables et se
représenter le monde.
Le langage permet de mettre en lien et de communiquer nos pensées et à ce
titre il a pour rôle l'organisation et l'expression de la pensée. Ainsi, pour Danon-
Boileau (1999), « bien plus que de permettre au sujet de manipuler des choses en
leur absence, le langage l'autorise à prendre de la distance par rapport à sa propre

18
Contexte théorique, buts et hypothèses

pensée. Il permet au sujet de cristalliser dans un symbole de ce que lui-même pense


de ses propres pensées, la façon dont il les situe par rapport à l'actualité, certes,
mais aussi par rapport à la pensée de l'autre, et enfin par rapport à son propre
processus de pensée. En sorte que si le langage permet de manipuler des objets en
leur absence, il permet surtout au sujet de penser sa propre pensée. »
Le langage est par ailleurs un instrument de communication et dégage donc
une fonction relationnelle qui permet la rencontre ou la séparation et qui contribue à
la découverte de l'Autre. Ainsi, les difficultés relationnelles ont une incidence sur le
langage, et réciproquement, que des troubles dans le langage peuvent gêner la
communication avec les autres. Le langage s'inscrit toujours dans la relation avec
l'Autre. Le langage construit la relation et la relation se construit avec le langage. En
effet, l'enfant s'imprègne du langage dans la relation, il apprend au contact de ceux
qui utilisent avec lui ce langage. Petit à petit, l'enfant va opérer un décentrement par
rapport à lui même qui va lui permettre de ne plus croire que le langage qu'il utilise
traduit la représentation de tout le monde ( si on parle d'un chat, ce sera son chat par
exemple) mais que chacun possède ses propres représentations du monde. Il va
alors composer avec l'aspect pragmatique du langage, respectant peu à peu les
règles de régie de l'échange, d'adaptation au contexte et à l'interlocuteur et
d'organisation de l'information de manière à acquérir un langage social.
De par ses fonctions d'expression de la pensée et de mise en relation,
langage et psychisme sont donc liés. Brin et al. dans le « Dictionnaire
d'Orthophonie » (2004) précisent, à propos du langage, que «la réalité de sa
définition est en fait très complexe puisqu'elle concerne des disciplines variées : c'est
un acte physiologique (réalisé par différents organes du corps humain), cognitif
(supposant l'activité volontaire de la pensée), social (permettant la communication
entre les hommes). » Le langage pourrait donc être abordé selon de multiples points
de vue et nous allons nous intéresser plus spécifiquement au trouble du langage et
au sens qu'il peut prendre, sous le nom de symptôme.

2.1.1. Le trouble du langage, symptôme


La notion de symptôme s'inscrit dans la recherche des différents événements
responsables de son émergence. On cherche alors ce qui a causé le symptôme en
mettant en relation différents événements qui font sens. La recherche de sens est

19
Contexte théorique, buts et hypothèses

primordiale dans la notion de symptôme car elle permet de faire des liens et de
retrouver à quoi le symptôme s'associe.
En psychanalyse, le symptôme apparaît comme étant l'expression de conflits
internes qui permettrait au sujet d'éviter l'angoisse procurée par des situations ou
problèmes impossibles à résoudre pour lui. Le compromis alors effectué nécessite
une importante dépense d'énergie, responsable du symptôme en lui-même.
En psychologie, le symptôme se définit par son appartenance au domaine de
l'inconscient. Il exprime alors quelque chose mais ne révèle pas le processus de sa
mise en place.
Mais le symptôme est d'abord présent au niveau médical où il est défini
comme « phénomène, caractère perceptible ou observable lié à un état ou à une
évolution qu'il permet de déceler. » Cela signifie qu'un symptôme est révélateur d'une
pathologie précise qu'il s'agit ensuite de trouver.
Le trouble du langage est à considérer comme étant au cœur de relations
multiples. En effet, lorsqu'une personne vient consulter pour un trouble du langage,
c'est que cela l'indispose dans sa relation aux autres, dans ses apprentissages etc.
C'est en mettant en lien le trouble du langage avec d'autres événements pour mieux
le comprendre qu'il devient symptôme. Le sujet, perçu dans une dimension globale,
est porteur d'un symptôme l'impliquant et faisant état de son fonctionnement et de
ses particularités. Puisque ce symptôme agit au niveau social, il gêne la
communication et freine les interactions langagières. Il empêche une expression
correcte et à ce niveau témoigne d'une difficulté du sujet. Mais le trouble du langage
empêche justement au sujet de parler de cette difficulté, elle s'exprime pour lui. Le
symptôme est alors présent à un moment précis de l'histoire du sujet et c'est le
moyen trouvé par le sujet pour faire face à un problème.
Qu'il s'agisse d'un trouble du langage d'origine organique ou psychogène, les
bénéfices secondaires peuvent être présents. D'abord parce que le sujet a appris à
apprivoiser son trouble, à vivre avec lui et que ce que l'on connaît est toujours
préférable à un inconnu, parfois angoissant. Ensuite parce que l'adaptation de
l'entourage au symptôme, la recherche de mécanismes de compensation peut
favoriser l'apparition de ces bénéfices secondaires. Cela peut passer pour certains
parents par l'établissement de moments privilégiés, par une attention particulière, par
des comportements positifs envers l'enfant etc. Dans tous les cas, ce symptôme aura
des conséquences sur la vie familiale.

20
Contexte théorique, buts et hypothèses

Le patient a su trouver le trouble du langage pour exprimer quelque chose de


lui-même, pour faire face à un problème qu'il a rencontré au cours de sa vie. Ce
symptôme lui est alors profitable puisqu'il lui a permis de résoudre momentanément
son conflit. Vouloir qu'il lâche son symptôme c'est prendre le risque de le remettre
face à l'angoisse qui avait créé celui-ci mais aussi d'abandonner les bénéfices
secondaires que lui et son entourage avaient mis en place. Nous devons donc agir à
deux niveaux : tout d'abord faire prendre conscience à l'entourage de l'importance
pour le patient de quitter son symptôme afin que celui-ci l'y autorise et l'y encourage
mais aussi d'accompagner l'enfant pour favoriser un mieux-être sans son symptôme
afin que cela ne représente plus une nécessité pour lui.

2.2. L'évolution de la relation thérapeutique

2.2.1. Historique
Une évolution de la relation patient/malade a marqué l'histoire de la médecine.
En effet, on a longtemps dissocié le corps, objet d'investigations scientifiques,
de l'esprit, davantage réservé aux disciplines philosophiques.
C'est ainsi que prendra place « le paradigme anatomo-clinique » avec à la
Renaissance , les premières autopsies de Harvey. Par la suite, les grandes
campagnes Napoléoniennes fourniront aux chirurgiens comme Xavier Bichat un
grand nombre de cadavres et de blessés, qui permettront d'asseoir ce paradigme et
d'exclure le sujet au profit des avancées médicales sur le corps.
Les années 50 verront apparaître un autre paradigme nommé biophysio-
pathologique » qui continuera de traiter de manière objective le patient, on note que
cette dissociation présente le risque de réifier la personne.
Ces techniques médicales niaient le patient en tant que sujet et ne
s'attachaient qu'à traiter l'enveloppe corporelle. La médecine n'avait alors aucun lien
avec les sciences humaines .
La volonté de réintégrer le patient dans les relations médecin/malade est
apparue depuis le procès de Nuremberg, suite aux exactions nazies dans les
recherches biomédicales. D'un point de vue éthique et juridique, il fallait intégrer
l'information et le consentement dans la pratique médicale. Le patient va petit à petit
être reconnu comme sujet et non comme objet.

21
Contexte théorique, buts et hypothèses

Cependant, dans les années 70, on assiste encore à une relation


déséquilibrée entre le médecin et le malade : les capacités de choix du patient sont
encore souvent négligées.
Les désirs de liberté et d'autonomie qui découlent des Lumières, ne prendront
corps réellement que dans la seconde moitié du XXème siècle qui sera synonyme de
grandes avancées médicales et de démocratisation de l'information. Les patients
vont alors prendre conscience des nouveaux enjeux de la médecine, vont participer
aux recherches, au dépistage et vont avoir la liberté de choisir leur thérapie.
Le patient devient un consommateur sur le marché de la santé : les
médicaments se multiplient ainsi que les soins et l'accès à l'information grâce aux
nouveaux moyens de communication, font du patient un réel acteur de sa prise en
charge.
Ces avancées ont réintégré le patient dans la relation thérapeutique en le
considérant comme sujet qui a des droits et qui doit être informé par son médecin.
Un principe de consentement dans les démarches de soins sera affirmé en 2002
avec la loi « Droits des patients » qui rendra officiel le pouvoir et l'autonomie du
patient. La loi de 2002 établit l'accès direct au dossier du patient et impose
l'information de la personne malade, c'est une loi généraliste qui traite de toute
pratique médicale. Parsons (Cornillot, 1992 cité par Prioux et al., 2009) parlera
« d'autorité du patient ».
Notons qu'il existe des dérives dans cette nouvelle configuration : la
surinformation peut donner lieu à des effets de mode dans le domaine médical,
comme ce fut le cas pour la dyslexie en orthophonie. Le patient étant de plus en plus
actif, on assiste parfois à un rendez-vous d'experts et non plus à une consultation
médicale. Certains patients viennent même avec un diagnostic déjà établi, en
orthophonie il n'est pas rare d'entendre « Mon fils est dyslexique » avant même
d'avoir fait le bilan. Par ailleurs, les droits juridiques des malades et la multiplication
des procès peuvent avoir comme effet des abus procéduriers qui obligent les
médecins et chirurgiens à se couvrir pour la moindre intervention.
Le pouvoir n'est plus unilatéral, le patient peut désormais exiger de son
médecin une information claire et précise et un accès à son dossier. Ce qui implique
une bonne tenue du dossier médical de la part du praticien, qui veillera à rester
neutre et correct dans la rédaction. La communication devra désormais être adaptée
au patient, avec un langage clair et non un jargon professionnel. Le médecin a

22
Contexte théorique, buts et hypothèses

désormais le devoir de communiquer avec le malade, que ce soit en ce qui concerne


le déroulement de la thérapie ou les résultats de cette thérapie.

2.2.2 D'une relation verticale à une relation mutuelle


Parallèlement à l'évolution de la société et du statut du patient, la relation
thérapeutique s'est trouvée modifiée. Nous sommes ainsi passés d'une relation
verticale, où le médecin paternaliste était le seul à détenir le savoir, à une relation
mutuelle dans laquelle médecin et patient collaborent.
Cela fait appel à deux registres impliqués dans la relation thérapeutique, décrits
par Aïach-Fassine et Saliba (1994, cités par Prioux et al., 2009) :
• Le registre cognitif et technique, qui fait appel aux savoir et savoir-faire. Cela
concerne le thérapeute et sa connaissance technique (le diagnostic, le
traitement) et s'inscrit dans la relation verticale.
• Le registre relationnel et affectif, qui concerne à la fois le patient et le
thérapeute et qui se rapporte à la relation mutuelle.
Il est nécessaire de trouver un bon équilibre entre l'aspect technique et l'aspect
relationnel.
Un orthophoniste ne peut pas se cantonner à des rééducations fonctionnelles,
en occultant le fait qu'il travaille avant tout avec un être humain. Le thérapeute devra
donc concilier savoir-faire et savoir-être.
Cela n'implique pas de nier le fait qu'en tant qu'orthophoniste, nous possédons
un savoir. En effet, nos quatre années universitaires nous ont conféré des
connaissances et une expérience sur les troubles du langage et de la communication
ainsi que sur leur traitement. Il ne faut pas négliger cet aspect car la demande d'aide
des patients repose sur ce savoir et participe à l'échange qui est la base de toute
relation. Notre savoir est ce que nous offrons comme acte thérapeutique et c'est ce
qui fait que nous nous différencions d'autres professionnels et d'une personne
profane.
Cependant, nous devons veiller à bien faire valoir ce savoir. Tout d'abord pour
ne pas s'ériger en tant que professionnel tout-puissant, mais aussi pour éviter que
les parents ou l'entourage ne nous délèguent leurs responsabilités. En effet, le fait de
trop valoriser nos compétences, implique une déresponsabilisation de l'entourage qui
s'en remet totalement à nos compétences et attend souvent une solution miracle.

23
Contexte théorique, buts et hypothèses

Dans cette situation, l'entourage demande des comptes sur les rééducations, sans y
participer.
Pourtant, il est primordial d'impliquer l'entourage dans la rééducation, l'idée est
de partager et de coopérer avec les parents ou les proches. Hippocrate (400 avant
notre ère, cité par Baron, 2010), parlait déjà de la nécessité à impliquer le patient et
son environnement dans la thérapie: « Il faut non seulement faire soi-même ce qui
convient, mais encore faire que le malade, les assistants et les choses extérieures y
concourent.»

2.2.3 Les fondements d'une relation d'aide

2.2.3.1 L'empathie
L'empathie n'est pas un mécanisme en soi mais un processus de
communication dont il s'agit de préciser le ou les mécanismes. Pour Greenson
(1960, cité par Boulanger et al., 2006), « entrer dans les sentiments de l'autre sans
être impliqué émotionnellement », il nous faut nous imaginer à la place de l'autre. Il
s'agit d'une identification partielle temporaire, réalisée intentionnellement mais pas
nécessairement consciemment. D'après Bluie (1981, cité par Boulanger et Lançon,
2006), cette construction imaginaire de l'expérience subjective d'autrui nécessite la
mise en acte de phénomènes inférentiels. C'est parce que je peux me représenter
l'univers contextuel dans lequel se développe la pensée, consciente ou inconsciente
d'autrui que je peux m'identifier à lui. Selon Rogers (1980, cité par Daron, 2003),
l'empathie consiste à saisir avec autant d'exactitude que possible les références
internes et les composantes émotionnelles d'une autre personne et à les comprendre
comme si l'on était cette autre personne. Dans la tradition phénoménologique,
l'empathie représente l'appréhension de l'affectivité d'autrui. Le terme d'empathie
sera remis à l'honneur par la psychanalyse à partir des années 1960, grâce en partie
à Greenson, soulignant la pertinence de ces valeurs de proximité, d'intersubjectivité
et d'identification. Mais l'empathie prend toute sa dimension dans le courant de
l'Egopsychologie, où elle est considérée comme le principal pilier de la relation
thérapeutique. Dans l'approche centrée sur la personne élaborée par Rogers (1985,
cité par Boulanger et Lançon, 2006), la compréhension empathique serait le fait de
sentir le monde intérieur du patient et le comprendre comme si il était le notre, sans
jamais oublier qu'il ne l'est pas. Pour Rogers (1980, cité par Boulanger et Lançon,

24
Contexte théorique, buts et hypothèses

2006), le rôle du thérapeute sera donc de ressentir les sensations et les émotions
que son patient éprouve et de lui communiquer cette compréhension en retour. Le
processus d'empathie repose alors sur le mode du «comme si». Cette dernière
distinction est primordiale car elle distingue significativement pour le thérapeute, le
processus d'empathie de celui de l'identification. Actuellement, on peut concevoir
l'empathie comme une simulation mentale consciente de la subjectivité d'autrui.
Le concept d'empathie est primordial dans la relation thérapeutique. Le principe
est de comprendre les sentiments et émotions d'autrui, sans les ressentir. Cela
implique une certaine distance et se différencie de la sympathie. En effet, alors que
la sympathie est un emportement affectif plutôt instinctif, on retrouve dans l'empathie
l'idée de faire un effort de compréhension des affects de l'autre ce qui révèle une
distance intellectuelle et une maîtrise de ses émotions.
Cela n'induit pas un anéantissement des sentiments en adoptant une attitude
froide et distante, au contraire l'empathie requiert affection et sensibilité et c'est
justement ce qui va nous permettre de nous intéresser au patient autrement que
comme un cas clinique. Le dictionnaire d'orthophonie (2004) insiste sur cet aspect en
définissant l'empathie comme une «capacité d'identification à l'autre, qui permet une
sorte de communication affective et de compréhension d'autrui».
Il est cependant nécessaire de ne pas tomber dans l'identification, au risque
d'attribuer à autrui ses propres émotions. Cela a pour effet de fausser le point de vue
du thérapeute, qui n'aura plus assez de distance pour juger objectivement son
patient. L'autre risque est de se laisser submerger par ses émotions et de ne pas
être capable d'accueillir la souffrance d'autrui. Dans ces deux cas, le danger est de
sortir de notre rôle de thérapeute compétent pour nous mettre à la place du patient.
N'étant plus dans le rôle du professionnel mais de celui qui souffre, on ne pourra pas
accueillir la souffrance de l'autre et l'aider. Jasmin (2004) définit bien une
«compréhension empathique» qui nécessite que le thérapeute se distingue de son
malade.

2.2.3.2 La confiance
La confiance va impliquer un sentiment de sécurité et va favoriser la relation
d'aide. Elle caractérise le fait de s'en remettre entièrement à une personne envers
laquelle on croit fortement.
La confiance est induite par le fait qu'en tant que thérapeute, nous nous devons
d'adopter, comme le précise Claude Chassagny (1977), une neutralité bienveillante
25
Contexte théorique, buts et hypothèses

qui exclut tout jugement et a priori. Le patient se sent donc libre d'agir au sein de
l'espace thérapeutique, sans craindre un regard subjectif du soignant. Cette
sensation de liberté d'actes et de paroles est renforcée par l'obligation du praticien
au «secret professionnel», qui l'empêche de divulguer ce qui se déroule en séance.
La confidentialité et l'objectivité vont donc être deux facteurs qui vont favoriser
l'émergence d'un sentiment de confiance de la part du patient.
Par ailleurs, la confiance doit également concerner notre méthode de travail. Le
patient doit croire en notre technique et notre savoir. Cela passe par le fait de
communiquer au patient les informations dont nous disposons sur sa pathologie, et
de lui expliquer clairement comment nous comptons agir et par quels moyens. C'est
ainsi que le patient sera rassuré et pourra croire en sa guérison.
Enfin, cette relation de confiance passera par le devoir de chaque
orthophoniste de croire aux compétences de son patient. La sincérité de la parole du
soigné et sa volonté de guérir ne doivent pas être remises en question. Cela
participera à la confiance que nous accorderons aux potentialités du patient, à sa
capacité de progrès et de changement. Tout déterminisme va condamner le patient
et inconsciemment scléroser la rééducation.

2.2.3.3 Importance du cadre de la relation thérapeutique


Le cadre est à la fois ce qui va qualifier le lieu et le temps du rendez-vous,
mais aussi tout ce qui représente les limites et règles instaurées au sein de la
séance en elle-même.
Gilliéron (1992, cité par Baron, 2009) distingue deux fonctions du cadre :
• Une fonction topique, qui regroupe les éléments extérieurs comme les
paramètres spatio-temporels (les horaires, le lieu), les honoraires, le type
d'exercices à effectuer, etc...
• Une fonction dynamique, qui met en rapport le versant social et thérapeutique,
c'est ce qui concerne la confidentialité, la neutralité, l'absence de coercition et
de jugement. C'est la partie éthique qui existe au sein de tout cadre
thérapeutique.
Le cadre sera dans un premier temps explicite : l'orthophoniste va, en début
de prise en charge, communiquer le déroulement et les objectifs de la rééducation.
Par la suite cette notion de cadre sera implicite et intégrée, elle ne redeviendra
explicite qu'en cas de rupture du cadre. On retrouve l'idée du contrat thérapeutique,
26
Contexte théorique, buts et hypothèses

car on communique le projet de la rééducation et c'est d'ailleurs au début de la prise


en charge que l'on peut évoquer le fait que celle-ci aura un terme. Cela permet
d'anticiper les angoisses de séparation et va instaurer une dynamique qui fera
avancer la thérapie.
Le cadre de la thérapie va fixer les règles de cette relation thérapeutique. Il se
construit avec le patient, mais est déterminé par le thérapeute. Cela va donc
impliquer la coopération du patient et mettre en place une hiérarchie, dans laquelle
l'orthophoniste affirme en quelque sorte son pouvoir en instaurant des limites et des
objectifs. Cependant, le thérapeute devra faire preuve de souplesse et être capable
de modifier le cadre, car le but est de maintenir la rééducation. Par conséquent, il
sera parfois nécessaire de le remettre en question en fonction du patient. Par
exemple, en orthophonie, le cadre thérapeutique d'un enfant autiste se doit d'être
plus rigoureux que celui d'un enfant qui vient pour un retard de langage. Par ailleurs,
le cadre thérapeutique est un champ de force auquel le patient et le thérapeute se
soumettent, cela vient nuancer le pouvoir du thérapeute
Ce cadre est nécessaire car il permet de fixer des limites, c'est une sorte de
balisage qui fera que la relation thérapeutique sera différente d'une relation sociale
habituelle de rencontre. C'est également ce qui va permettre de se protéger contre
toute forme d'intimité ou tout attachement trop personnel. Cela situe la rencontre
dans son contexte de soin et préserve l'objectif de la thérapie. Il est important de
conserver cette distance car un investissement trop important dans une rééducation
peut rendre difficile la fin de celle-ci. Car le terme de la rééducation peut être naturel,
suite à la disparition du trouble, mais aussi précipité par la complication de la
pathologie. C'est ce qui arrive fréquemment dans le cas des scléroses latérales
amyotrophiques, qui impliquent d'emblée une espérance de vie de quelques mois et
confrontent l'orthophoniste au deuil de son patient.
Le cadre structure l'espace des soins, il a été comparé par Anzieu (1987, cité
par Baron, 2009) à une enveloppe maternelle et Bleger (1996, cité par Baron, 2010)
le qualifie «d'institution dépositaire de la régulation symbiotique avec le corps de la
mère». Cette métaphore reflète bien la notion de sécurité qui existe dans le cadre
thérapeutique. En effet, les habitudes de lieu, d'espace, de disposition des éléments
de la pièce, le tempérament constant du thérapeute, les rituels instaurés en début de
séances. Tous ces éléments vont participer à la constitution d'une sphère stable et
rassurante dans laquelle le patient n'aura pas peur d'évoluer. Toute modification du

27
Contexte théorique, buts et hypothèses

cadre va avoir un impact plus ou moins durable sur la séance et parfois sur la
rééducation et aura une signification. Jasmin (2004) insiste sur le fait que le cadre
doit être «simple et neutre, pour que la personne s'y rende avec naturel» et constate
que c'est la permanence des éléments qui fait qu'ils sont stables et rassurants.
Une dynamique va se créer entre l'orthophoniste, le patient, le cadre et la
relation et chacun, en fonction de ses caractéristiques, influe sur les autres. C'est
ainsi que va s'engager le processus de la rééducation.

2.3 Les mécanismes psychiques sous-jacents de la relation


thérapeutique

Nous allons aborder dans cette partie les différents phénomènes psychiques
qui se jouent au sein d'une relation thérapeutique.

2.3.1 Le transfert
La notion de transfert n'appartient pas uniquement au domaine de la
psychanalyse. En effet, dès 1909, Ferenczi (Roudinesco et al., 2000, cités par
Béguin, 2002 ) observe que le transfert existe dans toutes relations humaines : entre
le maître et son élève, entre le médecin et son malade. Freud (réédition de 1987)
affirmera bien ce concept : « Il ne faut pas croire que le phénomène du « transfert »
soit créé par l'influence psychanalytique. Le « transfert » s'établit spontanément dans
toutes les relations humaines, aussi bien que dans le rapport malade/médecin : il
transmet partout l'influence thérapeutique et il agit avec d'autant plus de force qu'on
se doute moins de son existence ». Selon Freud, la psychanalyse « ne le crée pas:
elle le dévoile ». Il ne faut donc pas cantonner ce mécanisme inconscient au
domaine de la psychothérapie car il peut se révéler être une force dans l'avancement
de la thérapie. Freud (réédition de 1987) le qualifiera de « levier le plus puissant du
succès ».
Par ailleurs le transfert peut aussi s'avérer être « la plus forte résistance contre
le traitement » (Freud, réédition de 1987, cité par Béguin, 2002), dans ce cas il sera
également primordial de savoir l'identifier pour pouvoir comprendre les résistances
qui s'opposent à la rééducation. Ajoutons à cela que le dictionnaire d'orthophonie
(2004) intègre la notion de transfert dans toute prise en charge orthophonique: « Les
phénomènes de transfert et de contre transfert existent dans toute thérapie, y

28
Contexte théorique, buts et hypothèses

compris pendant une rééducation orthophonique ». Cependant une limite doit être
fixée quant à son interprétation: «Il n'y a qu'en psychanalyse qu'ils sont reconnus,
objectivés et analysés». L'orthophoniste doit donc veiller à rester dans son champ de
compétences en se refusant d'analyser le transfert mais doit par ailleurs selon
Dubois (1990, cité par Béguin, 2001), lui reconnaître une place et le laisser
s'exprimer.
Selon le dictionnaire de la psychanalyse (2000, cité par Béguin, 2002), le
transfert définirait le fait que «les désirs inconscients de l'analysant concernant des
objets extérieurs viennent se répéter, dans le cadre de la relation analytique, sur la
personne de l'analyste mis en position de ces divers objets.» Le concept de transfert
fut longtemps qualifié de «report affectif», c'est depuis Freud qu'il a pris toute son
importance sein de la cure psychanalytique car il va le considérer comme un élément
essentiel de la thérapie. Pour lui le transfert est une résurgence de mécanismes
affectifs qui remontent à l'enfance et qui appartiendraient à la partie inconsciente de
nos pulsions libidinales. Il distinguera le transfert positif qui favorise l'évolution de la
thérapie, du transfert négatif qui oppose les plus fortes résistances de l'inconscient à
la guérison.
Par la suite, la théorie du transfert fut maintes fois sujet de débat quant à sa
place dans la thérapie et son maniement par l'analyste. Nous pouvons également
citer la définition du dictionnaire d'Orthophonie (2004), qui affirme que le transfert
«correspond au report des sentiments que le sujet a éprouvé dans son enfance à
l'égard de ses parents, sur la personnalité de l'analyste.». Lacan (1961, cité par
Béguin, 2002) quant à lui voit le transfert comme le fait d'attribuer à l'analyste le
savoir absolu. Ainsi, selon cette définition, le patient est déjà dans une relation
transférentielle avant même de nous avoir consulté car il nous investit d'un savoir, en
fonction de ce que lui ont dit ses proches, l'entourage médical et éducatif sur la
profession d'orthophoniste. L'image que le patient se fait de nous avant de nous
rencontrer est déjà une projection.
La rééducation orthophonique offre un cadre privilégié de relation duelle
centrée sur le patient et qui s'inscrit dans la durée, cela va donc induire une relation
de confiance sécurisante, dans laquelle le transfert sera une continuité d'une
projection affective. Nous reviendrons, sur ce mécanisme, pour voir en quoi il peut
être utilisé en faveur de la résilience.

29
Contexte théorique, buts et hypothèses

2.3.2 Le contre-transfert
Toujours selon le dictionnaire de la Psychanalyse (2000, cité par Béguin,
2002), le contre-transfert est l'ensemble des manifestations de l'analyste en relation
avec celle du transfert de son patient. C'est Ferenczi (Roudinesco et al., 2000, cités
par Béguin, 2002) qui mentionne le premier l'existence d'une réaction de l'analyste
aux dires de son patient: « J'ai beaucoup tendance à considérer les affaires des
patients comme les miennes. ». Balint (1939, cité par Béguin, 2002) relève une
absence de spécificité du contre-transfert, qui oblige l'analyste à se tourner vers
l'analysant et à repérer en lui les échos de ses propres failles. C'est dans
l'observation du patient que l'analyste pourra percevoir cette notion de contre-
transfert. On retrouve ici l'idée du miroir. Lacan (1961, cité par Béguin, 2002) quant à
lui, considère que le contre-transfert est sans objet, ce ne serait qu'un effet du
transfert qui vient atteindre le « désir de l’analyste ». Nous retiendrons la définition de
Heinemann et al. (1987, citées par Béguin, 2002) qui caractérisent ce phénomène
comme « l'ensemble des réactions et des sentiments que l'analyste éprouve vis-à-vis
de son patient ».
Freud en 1910 (cité par Béguin, 2002) parlera de l'importance d'une auto
analyse de la part du thérapeute, il faut « avancer l'exigence que le médecin doive
obligatoirement reconnaître en lui-même et maîtrise ce contre-transfert ». En effet,
cette dynamique inconsciente ébranle la résistance du thérapeute et peut provoquer
en lui des pulsions contraires au bon déroulement de la thérapie. Par exemple, en
cas de transfert négatif, l'analyste doit être solide pour ne pas céder aux tensions qui
peuvent provoquer un rejet ou un jugement. Jasmin (2004) préconise l'importance du
maintien du cadre et de la neutralité. A l'inverse, un transfert positif peut avoir comme
risque de séduire le thérapeute qui, tenté par l'image du patient idéal, occultera ses
aspects plus sombres. On retrouve ici l'idée du « faux self », développée par
Winicott.
Il est donc primordial de contrôler et de s'interroger sur nos propres
projections et sur ce que nous renvoie chaque relation. Ferenczi (1900 Roudinesco,
Plon 2000, cités par M.Béguin, 2002), parlera d'une « rigidité artificielle » qui
découlera de la résistance du thérapeute face à ses propres émotions. Le contre-
transfert est un outil dont l'analyste doit se servir au profit de la thérapie, Heinemann
(1987, citée par Béguin, 2002) lie l'inconscient du patient et celui du thérapeute, le
contre-transfert devient alors un instrument qui facilite la compréhension de

30
Contexte théorique, buts et hypothèses

l'inconscient du patient. Par ailleurs, il est avéré que notre ressenti et nos émotions
face aux patients conditionnent leur réussite. En effet, selon une expérience il a été
prouvé que les pédagogues qui voyaient leurs élèves doués, les faisaient davantage
réussir que ceux dont ils avaient un a priori négatif à cause de leur mauvaise
réputation. C'est ce qu'on appelle « l'effet Pygmalion », développé par Rosenthal et
Jacobson en 1968 (traduit en 1971, cité par Béguin, 2002).
Ainsi, les espoirs, la croyance positive du thérapeute vont avoir un impact sur
les résultats des patients. D'où l’importance en tant qu'orthophoniste d'être dans une
dynamique optimiste avec chaque patient et de mener à bien ce que Lacan (1961,
cité par Béguin, 2002) nomme « le désir de l'analyste ». Nous reprendrons cette
notion car elle rejoint le thème de la résilience qui se développe également à travers
le regard des tuteurs et la confiance qu'ils placent dans l'enfant. C'est au sein d'un
climat porteur et bienveillant qu'elle se développera. Il faut donc bien prendre en
compte le pouvoir de ce que nous renvoyons au sein d'une rééducation et l'impact
que cela peut avoir sur son développement.
L'orthophoniste devra donc être attentif à ce que l'enfant ou l'adulte qu'il
accompagne projette en lui : cela peut être une peur de ne pas être à la hauteur à
cause d'une pathologie trop complexe, ou une prise de conscience de la limite de
nos connaissances lorsque le problème dépasse le domaine de l'orthophonie, mais
cela peut également se traduire par des émotions négatives comme de l'énervement
ou le rejet d'un patient qui stagne et nous renvoie nos faiblesses, et parfois de la
peur face à la maladie. La projection est d'autant plus forte d'un adulte à un enfant à
cause de la position d'autorité que nous occupons. L'enfant reflète aussi celui que
nous étions.

2.3.3 La relation d'aide, la base de la résilience


Après avoir analysé ce qui se jouait lors d'une relation thérapeutique, nous
constatons que le climat instauré et les mécanismes inconscients qui s'y déploient
sont autant de facteurs positifs pour mettre en place un projet de reconstruction. Car
la rééducation est avant tout une réparation, une aide pour réacquérir ce qui a été
perdu ou pour réhabiliter un fonctionnement défaillant. C'est donc au sein de cette
dynamique que nous pensons pouvoir faciliter la résilience de certains patients.
Rogers (1986, cité par Baron, 2010) a défini la relation d'aide comme « une
relation dans laquelle l'un des participants cherche à favoriser[...]une appréciation
31
Contexte théorique, buts et hypothèses

plus grande des ressources latentes internes de l'individu ainsi qu'une plus grande
possibilité d'expression et un meilleur usage des ressources ». Nous reviendrons
plus en détails sur le terme de « ressources », qui est essentiel pour la résilience.
La résilience est un processus qui nécessite certaines capacités internes mais
qui se développe grâce aux interactions avec l'entourage. Nous avons donc un rôle à
jouer dans ce processus et la rééducation est un moment privilégié pour mettre en
place tous les repères et pour agir en faveur de la résilience. En effet, le patient est
dans une relation duelle, de durée, de confiance, cela favorise la disponibilité
psychique et nous devons être conscient du pouvoir de la dynamique de la thérapie.
Martinaud (1996, citée par Baron 2010), considère que la finalité de la rééducation
orthophonique est « de contribuer à l'émergence et à la réalisation de certaines
potentialités bloquées chez le patient ». Cela peut concerner des potentialités
fonctionnelles, mais aussi psychiques.
Nous allons donc voir comment nous pouvons utiliser les forces actives en
rééducation au profit de la résilience.

3. La résilience

3.1. Définitions
La résilience est au départ un terme employé en physique, pour caractériser
l'aptitude d'un métal à résister à un choc (étymologie latine : resilio signifiant sauter
en arrière, rebondir, rejaillir.) En psychologie, cette notion a pris un sens différent,
dans la mesure où elle ne se limite pas à la résistance, mais contient un caractère
dynamique qui implique que l'individu qui subit un choc rebondit, se reconstruit.
Cyrulnik (2002) a introduit cette notion en France et l'a définit comme « Une
capacité à réussir, vivre et à se développer positivement, de manière socialement
acceptable, en dépit du stress ou d'une adversité qui comportent normalement le
risque grave d'une issue négative. ». Manciaux et al. (2000, cités par Cyrulnik, 2002)
parlent de « résilier un contrat avec l'adversité », l'adversité étant vue ici comme une
situation dont la dimension hostile pour les organismes vivants ou les personnes est
clairement objectivable.

32
Contexte théorique, buts et hypothèses

3.1.1. Un concept développemental


La résilience est à appréhender comme un processus actif en perpétuel
mouvement, qui se construit tout au long de la vie. Cyrulnik (2001) expose l'idée que
les prémices de la résilience se construisent dès la petite enfance, où l'enfant va en
fonction de ses interactions avec son entourage amorcer un développement plus ou
moins favorable de la résilience : « Les premières années constituent une période
sensible de la construction des ressources internes de la résilience. » (Cyrulnik,
2001). Ces bases de la résilience vont dépendre de la qualité de l'attachement, et de
l'accordage affectif du bébé avec son environnement. Ces mécanismes sont déjà
dans une logique de résilience et constituent une sorte de capital avec lequel l'enfant
va se défendre contre les agressions de la vie.
Il est important de souligner que rien n'est définitif. A chaque étape du
développement les processus de résilience sont à renégocier. Cyrulnik (2001),
illustre cette idée avec l'image du maillage ou du tricot, cela induit qu'il est possible
pour le processus de résilience de se défaire, mais qu'il est tout à fait possible de le
reconstruire. Par exemple, si une figure d'attachement venait à disparaître, l'enfant
peut recréer un attachement avec un nouveau « tuteur de développement ».

3.1.2. Complexité du concept


Le processus de résilience ne peut être abordé de manière linéaire, il est
multifactoriel. En effet, les auteurs le définissent comme un maillage complexe entre
les aptitudes individuelles qui correspondent aux facteurs intrapersonnels, les
compétences psychoaffectives familiales qui correspondent aux facteurs familiaux,
les ressources issues de l'environnement social et communautaire qui correspondent
aux facteurs socio-environnementaux et la structure de l'agression. Ces facteurs sont
intriqués, connectés, articulés. Delage (2010) le dit lui-même, « Comprendre la
résilience oblige à abandonner des principes causalistes linéaires auxquels nous
sommes habitués. » .
Les facteurs intrapersonnels sont basés sur les ressources internes. Celles-ci
vont dépendre du type d'attachement de l'enfant et de la qualité de ses interactions
précoces. Cela va également englober des facteurs biologiques qui déterminent
notre tempérament, nos capacités et aptitudes cognitives, les éléments de notre
personnalité et nos mécanismes psychiques. Ainsi, les facteurs intrapersonnels

33
Contexte théorique, buts et hypothèses

favorables vont être, par exemple : un attachement sécure, une flexibilité mentale,
une bonne relation à autrui, une appétence à l'indépendance...
Les facteurs familiaux vont dépendre de l'environnement familial dans lequel
l'enfant évolue. Une famille stable, dans laquelle les rôles sont clairement définis,
souple et qui communique sera un bon facteur de résilience. Les rituels et codes
d'appartenance sont également porteur pour un enfant, cela lui assure un soutien et
une cohésion familiale.
Les facteurs socio-environnementaux vont englober à la fois l'entourage de
l'enfant : les relations amicales, les clubs sportifs ou culturels, les associations...mais
aussi les institutions qui ont un grand rôle à jouer, quelles soient médicales, sociales
ou scolaires. Bien structurées, elles peuvent à tout moment être un soutien post-
traumatique et offrir de nouveaux repères à l'enfant blessé en le sécurisant. C'est à
ce niveau qu'en tant que thérapeutes nous pouvons agir et Cyrulnik (2002) insiste
sur la place primordiale des organisations psychosociales qui tissent selon lui « la
plus grande partie des facteurs de résistance d'un individu » en « lui tendant des
perches et en lui offrant des circuits d'épanouissement possibles. » .
La question de la structure du traumatisme est intéressante. Le traumatisme
peut revêtir différentes formes, il peut être biologique, affectif ou historique. Mais il
est important de noter que ce n'est pas la nature du traumatisme qui est
déterminante, c'est sa représentation au niveau individuel et social. Par ailleurs, un
même traumatisme n'engendrera pas les mêmes réactions selon les individus. Un
événement n'aura pas le même impact en fonction du moment où il survient, il est en
effet différent de perdre sa mère à 6 ans et à 60 ans. Il ne faut pas se focaliser sur
l'apparence d'un événement : il est admis qu'un traumatisme entre des personnes,
intentionnel et durable, comme la maltraitance, peut être davantage délétère qu'un
traumatisme spectaculaire et aigu comme peut l'être une catastrophe naturelle par
exemple.
Ainsi, « La résilience met en jeu les aspects psychiques, somatiques et
sociaux, conscients et inconscients, aux niveaux individuel, groupal familial et
communautaires, institutionnel et social. » (Delage et al., 2010). Il est donc inutile de
se focaliser sur les seules ressources internes car un individu ne peut pas être
résilient seul, il doit pouvoir compter sur des soutiens et ressources extérieurs.
Notons que ces interactions entre le sujet et son environnement mettent en jeu des

34
Contexte théorique, buts et hypothèses

processus conscients et inconscients. Ce sont les événements externes qui vont


pousser les ressources internes à se développer.
Par ailleurs, cette notion implique une certaine conception de la liberté.
Comme le dit Delage (2010) : « Un des intérêts de la notion de résilience n'est-il pas
d'envisager d'autres possibilités que celui du facteur ex machina d'un destin
anticipé ? ». Il y aurait donc une autre alternative que le malheur face à l'adversité et
il serait possible pour le sujet de ne pas s'abandonner à la souffrance sans avoir de
projet de développement, mais de transcender cette souffrance et d'établir un projet
social ou culturel.
Nous veillerons toutefois à nuancer cette notion car même si il existe
désormais une certaine responsabilité du sujet face à son destin, la réussite de la
résilience ne saurait être réduite à une volonté individuelle car elle implique
beaucoup trop de facteurs externes.

3.2. Les mécanismes de la résilience

3.2.1. Les mécanismes de défense


Lorsque l'individu est exposé à un événement traumatique et que l'horreur
rend la réalité insupportable, le psychisme va dans un premier temps se protéger.
Cela va se traduire par des mécanismes de défense classiques :
- Le déni permettra de moins souffrir, et d'aller vers l'avant en s'adaptant à un réel
incohérent qui va nier ou amoindrir le malheur.
- Le clivage représente la séparation d'affects opposés, de façon à ce que les uns ne
contaminent pas les autres. L'absence d'intégration des affects dans une synthèse
harmonieuse a pour but de lutter contre l'angoisse liée aux désirs de destruction. Le
clivage va diviser la personnalité de l'individu en deux parties : une socialement
adaptée et une plus sombre, secrète qui renferme la douleur encore inavouable du
blessé et s'exprime par détours. C'est aussi ce qui va faire qu'un individu peut se
comporter de manière différente, il aura une tendance à diviser les personnes qui
l'entourent de manière manichéenne: les « bonnes » et les « mauvaises ».
- La rêverie est un refuge fantasmatique face à un réel trop dur à affronter et va
permettre momentanément à l'individu de se soustraire à la réalité au profit de
scénarios imaginaires ayant pour vocation l'apaisement.

35
Contexte théorique, buts et hypothèses

Toutes ces stratégies vont permettre au traumatisé de supporter


momentanément sa souffrance et d'amorcer la résilience. Cependant elles ne
doivent être que provisoires, à long terme elles empêchent le processus car elles
deviennent rigides et dommageables, on parle alors de dysfonctionnement
chronique.

3.2.2. Les mécanismes qui réinvestissent la réalité


Une fois la première étape passée, le résilient va réintégrer la réalité et va
apprendre à maîtriser ses émotions en remaniant son traumatisme. En effet, il est
nécessaire de ne pas laisser les sentiments provoqués par un événement délétère à
l'état brut, c'est-à-dire tels que l'individu les a ressentis lors de l'agression. Car sous
cette forme, les émotions sont incompréhensibles et indicibles, elles ne sont que
sensation d'horreur et tourment qui provoquent une désorganisation psychique
comme la reviviscence, les cauchemars ou le stress post-traumatique. Selon Delage
et al. (2010), « un souvenir traumatique est mémorisé de façon fragmentaire
caractérisé par une déliaison entre les différents aspects, cognitif, émotionnel et
sensoriel de ce souvenir. Il est stocké sous une forme brute , non assimilée, dans la
mémoire implicite ou non déclarative. Le traumatisme bloque le traitement de
l'information, c'est-à-dire son passage de la mémoire implicite vers la mémoire
explicite ou narrative qui permet de donner sens, cohérence et développer la
résilience. ». Cyrulnik (2001) parle de ce que peut ressentir un individu qui n'aurait
pas fait ce traitement des faits traumatiques : « En entretenant des souvenirs précis,
sans les remanier, sans les rendre cohérents, l'enfant aurait vécu dans un effroi
constant. ».
Il va donc être nécessaire d'intégrer l'événement traumatique pour maîtriser la
douleur et la métamorphoser en créativité. Donner du sens au traumatisme est
également primordial car cela permet de prendre de la distance et de rendre le passé
supportable, c'est ce qui va permettre de comprendre ce qu'il s'est passé et ce que
l'on ressent. Selon Cyrulnik (2001), « Il faut comprendre et agir pour enclencher un
processus de résilience. ».
Pour cela l'individu aura recours à de nombreux moyens:
Le récit, qui est un des outils les plus efficaces pour permettre une prise de
distance avec le réel et un remaniement de son histoire. En effet, raconter un
événement va impliquer de le repenser, de l'ordonner, de sélectionner les données
36
Contexte théorique, buts et hypothèses

qui nous semblent pertinentes ou qui ont eu le plus de sens à ce moment et de


maîtriser la narration et indirectement l'événement. Ainsi, il sera possible pour
l'individu de ne plus vivre l'événement traumatique comme une fatalité qui s'abat sur
lui et lui confère un statut de victime, mais comme un acte qu'il a réussi à surmonter.
C'est cela qui va permettre un apprivoisement de l'horreur vécue, Bertrand (1997,
cité par Cyrulnik 2001) énonce : « La mise en récit permet de réintroduire de la
temporalité dans la représentation et par là de transformer la trace en pensée, la
scène en scénario, la reviviscence en remémoration. ».
La temporalité va donner la possibilité de penser « un avant » et « un après »
le traumatisme et ainsi permettre de ne pas en faire le début de tout. L'idée de
remaniement du passé grâce au récit induit la question de véracité, car les éléments
sélectionnés seront ceux retenus par la mémoire de l'individu. Cette subjectivité
aboutira à ce que Cyrulnik (2002) appelle «un récit chimérique», car il n'est pas
question de falsifier la réalité, mais d'assembler des événements qui ont existé dans
un ordre qui fait sens au narrateur.
En outre, il est nécessaire que les faits vécus soient remodelés, repensés, ils
ne peuvent être rapportés comme ils ont été vécus. Cyrulnik (2001) va même jusqu'à
dire qu'un « souvenir trop réel et non interprété aurait empêché le processus de
résilience ». Le récit se fait pour un auditoire ou un auditeur avec qui on va lier un
lien suite au partage d'une confidence. Le témoignage est souvent rejeté parce qu'il
est insupportable, il n'est pas rare que l'entourage censure une réalité qu'il ne peut
admettre. Parfois c'est juste au travers de l'attitude de l'auditeur que le narrateur va
comprendre que son récit dérange, qu'il le stigmatise et il va alors refouler.
Dans tous les cas, on constate souvent une nécessité de la narration, Delage
(2010) le souligne : « Nous avons en effet besoin en permanence de communiquer et
de partager nos émotions avec les autres. Cela nous est nécessaire pour les réguler
et pour alimenter notre vie psychique. ». Pourtant, malgré ce besoin, on constate
souvent que beaucoup de victimes se réfugient dans le mutisme car il y a des
enjeux de la parole non négligeables, comme le sentiment de honte, la peur de ne
pas être cru ou la difficulté à raconter l'impensable. Cyrulnik (2002) parle lui d' «
identité narrative », qui permet à l'individu de retrouver son unité en supprimant le
clivage et de se définir en tant qu'acteur : « Dire son histoire crée un sentiment de soi
cohérent. ».

37
Contexte théorique, buts et hypothèses

Toutes activités artistiques en général favorisent ce processus d'assimilation


du traumatisme qui va permettre de l'exprimer métaphoriquement. Cela englobe la
poésie, le théâtre, la peinture, le dessin, la chanson... On constate chez les
personnes traumatisées une puissance créatrice qui ne se traduit pas
essentiellement par une action artistique, mais qui revêt aussi la forme d'actions
politiques ou philosophiques : « Le fait d'avoir un compte à régler, une contrainte
intérieure à exprimer sa tragédie, pousse à la créativité. » (Cyrulnik, 2002). Cela va
traduire un élan vers la société, une volonté de réintégrer la vie en se raccrochant à
un sentiment d'appartenance ou en exprimant de manière artistique ses émotions en
ayant comme but de les communiquer. Dans tous les cas, il y a cette idée de
sublimer l'horreur dans des activité socialement valorisées et d'en devenir le maître,
et parfois même le héros, ce qui participe également à une meilleure estime de soi.
L'humour est également très salvateur. Avoir de l'humour ne signifie pas être
gai, les deux notions sont à différencier. Selon Freud (Ionescu et al., 1997, cités par
Cyrulnik, 2010), « L'humour consiste à présenter une situation traumatisante de
manière à en dégager les aspects plaisants, ironiques, insolites. ». Cela supposerait
donc de voir son histoire sous un autre angle en dédramatisant la situation, d'adopter
une nouvelle vision. On retrouve ici l'apport bénéfique de la prise de distance avec le
réel et le fait de se dégager de la souffrance en remaniant les images de l'événement
traumatique. Le fait de relativiser un événement va être bénéfique pour la résilience
et c'est une faculté que nous utilisons au quotidien. La légèreté va permettre de
rendre la souffrance plus supportable mais ne va pas changer la blessure. Par
ailleurs, cela ne consiste pas à faire une caricature grossière mais d'adopter un
simple décalage qui va provoquer un changement inattendu et poétique de
représentation. Cyrulnik (2010) dit que « la rébellion de l'humour entrouvre la prison
du traumatisme ». Ajoutons que l'humour tend à valoriser celui qui l'exerce.
L'intellectualisation permet de donner du sens au traumatisme, de le penser,
de le classer, de le catégoriser et de le délimiter : « On voit mieux le monde en
l'ayant ainsi pensé », nous dit Cyrulnik (2002). Cela s'accompagne souvent d'une
recherche accrue sur l'agression subie ou sur l'agresseur qui se traduit par des
lectures, des rencontres, des engagements, « Ce qui donne force à la résilience,
c'est la recherche de sens, bien plus que le sens en lui-même » (2010). La
construction de sens va aider la représentation de soi et du monde qui va réveiller la
vie psychique. La nécessité presque vitale de donner un sens aux phénomènes qui

38
Contexte théorique, buts et hypothèses

nous entourent ou aux expériences vécues se retrouve dans les croyances


religieuses ou mythologiques que l'on attribue parfois à des événements
inexplicables ou incompréhensibles.
Tous ces mécanismes de la résilience pour métaboliser et communiquer le
traumatisme sont bien résumés par Cyrulnik (2002) : « Le moyen le plus efficace et
finalement assez rapide de se resocialiser, c'est la métamorphose du traumatisme.
Dès l'instant où l'on peut parler du traumatisme, le dessiner, le mettre en scène ou le
penser, on maîtrise l'émotion qui nous débordait ou nous glaçait, au moment du
choc. ».

3.3. Le nouveau développement interactif

3.3.1. La notion de néodéveloppement


Le concept de la résilience n'est pas à appréhender comme la négation du
traumatisme ou son oubli, Cyrulnik (2010) parle de « néodéveloppement » et insiste
sur le fait que « la résilience ne se situe pas dans la continuité d'une trajectoire de vie
qui dénierait ce qu'il s'est passé. ». C'est donc la reprise du développement en
intégrant le traumatisme. Ainsi, l'individu va apprendre à vivre avec ce qu'il a vécu et
va s'adapter à une nouvelle forme d'existence. La notion de coping définit cette
capacité d'un individu à se réorganiser face aux épreuves. Suite à un traumatisme,
nous avons forcément à faire face à des modifications dans nos relations, notre
psychisme et notre manière de vivre. Cyrulnik (2001) parle d'une « contrainte à la
métamorphose » et insiste sur le fait qu'il « n'y a pas de réversibilité possible après
un traumatisme », il faut donc prendre en compte le fait que le traumatisme laisse
une trace à la fois cérébrale et affective.
Il faut veiller à ce que l'individu ne réduise pas son existence au traumatisme.
La notion de temporalité est importante, il y a en effet un avant et un après le
traumatisme, et il n'est pas question d'espérer un retour en arrière car on ne peut
nier le fait qu'un événement s'est produit.
La dimension temporelle implique également des étapes, des arrêts ou des
reprises. Il est donc question d'un processus dynamique qui peut débuter par une
phase de sidération, puis au recours à certains mécanismes de défense, puis à un
réinvestissement du monde vivant grâce au soutien de l'entourage et à la

39
Contexte théorique, buts et hypothèses

reconnaissance de ce qu'il s'est passé pour s'achever par une intégration à la vie
psychique de l'événement. Le processus de résilience est évolutif, cela explique que
certains individus puissent réinvestir des mécanismes de défense ou avoir à
nouveau des émotions négatives. La résilience n'est jamais définitive.
La personne résiliente va acquérir une sorte de maturation psychique, qui va
modifier son rapport au monde et son estime d'elle-même. En effet, le traumatisme
sera vu comme une épreuve surmontée, et va permettre à l'individu d'être plus
confiant sur les épreuves futures qu'il aura à affronter. Cyrulnik (2010) parle d'«
utiliser le souvenir d'une blessure pour en faire une démarche dynamique ». On peut
parler de « courage morbide », une sorte de fierté d'avoir résisté qui insuffle une rage
de vivre et de surmonter l'adversité. Il y aurait comme un plaisir à triompher de sa
souffrance et c'est cette émotion positive qui va faire qu'un individu est résilient, qu'il
est capable de bonheur, de vie après une épreuve et qu'il se sent capable d'en
surmonter d'autres. Il faut cependant nuancer cette idée de victoire sur la vie car,
comme le dit Cyrulnik (2010) : « La résilience n'est pas un récit de réussite, c'est la
bagarre d'un enfant poussé vers la mort qui invente une stratégie du retour à la vie. »
Il ne faut pas nier la souffrance qu'a pu éprouver la victime, même si elle donne
l'impression d'avoir triomphé de son passé, le fracas du traumatisme reste gravé
dans sa mémoire et un échec peut réveiller en elle un sentiment de néant et de mort
méritée. La résilience n'est pas synonyme de bonheur selon Bettelheim (Sutton,
1995, cité par Cyrulnik, 2002).

3.3.2. L'importance de l'entourage


La résilience ne peut se construire que sur la base des ressources internes, le
rôle de l'environnement est primordial pour tisser un maillage solide qui permettra à
l'individu de poursuivre son développement. « La résilience n'est pas seulement un
attribut du sujet, mais le produit des liens intersubjectifs. » (Delage et al., 2010). Les
auteurs insistent sur le fait qu'un individu ne peut être résilient seul, le processus de
restauration va dépendre du relationnel et c'est par et avec autrui qu'on émerge du
traumatisme.
L'environnement est déterminant dans la résilience: « La résilience ne peut
naître, croître et se développer que dans la relation à autrui » (Delage, 2003). De
quelle manière l'entourage influe sur le processus de résilience ?

40
Contexte théorique, buts et hypothèses

Le regard de l'autre va déterminer l'image que l'on a de soi. En effet, si les


proches renvoient à un individu une image positive, il sera plus facile pour lui d'avoir
confiance en lui et de développer ses ressources internes. Cependant, il est
important de noter que ce n'est pas nécessairement l'entourage familial et proche du
sujet qui entre en jeu. Ainsi, l'individu va être sensible à une remarque, à un
compliment, à un comportement de l'autre qui ne le condamne pas à échouer ou qui
lui apporte tout simplement de l'affection : « Dans un contexte de souffrance, le
moindre signe d'humanité est surinvesti parce qu'il fait naître l'espoir qui permet de
supporter les circonstances adverses. » (Cyrulnik, 2010). L'estime de soi n'est pas
quelque chose de définitif, il est toujours possible de la remanier, de l'améliorer et
cela grâce à l'aide d'autrui.
Le regard de l'entourage sur l'événement est également important, un
événement prend sens dans la manière dont il est considéré par notre entourage : «
Un événement réel dans le monde extérieur […] inscrit dans le monde intérieur de
l'enfant une trace émotionnelle qui prend sens sous le regard des autres » (Cyrulnik,
2002). Un événement va s'inscrire dans notre mémoire plus ou moins durablement et
avec plus ou moins de signification, selon le retentissement qu'il a impliqué dans
notre entourage au moment de sa survenue. Cela est particulièrement prégnant chez
les enfants qui sont très sensibles à la manière dont leur figure d'attachement va
traduire la catastrophe et à l'état des adultes qui les entourent en général, car eux
seuls ne sont pas encore capables de donner une signification à ce qu'il leur arrive.
Ainsi un événement intense qui ne va pas altérer les proches de l'individu, va
provoquer assez peu de dégâts psychologiques, alors qu'un événement moins
violent peut entraîner de graves altérations si il détruit l'entourage. Cela nous ramène
à la réflexion sur la nature de l'événement que nous avons développée plus haut.
Cette influence de l'entourage n'agit pas uniquement lors du déroulement de
l'événement, mais aussi lors de la restitution de celui-ci après coup. La manière dont
les autres regardent nos blessures et nous en parlent va influencer le retentissement
du traumatisme. Le témoignage qu'un sujet va faire de son histoire va dépendre de la
réaction de son entourage, le récit sera orienté selon les effets qu'il produit. Certains
milieux ne vont pas laisser de place au récit, parce qu'il y a parfois cette croyance
qu'il est nuisible de ressasser le passé, or c'est justement dans la narration que le
sujet va s'émanciper du traumatisme. Parfois c'est uniquement parce que la narration
met mal à l'aise, l'entourage n'est pas prêt à recevoir ou à admettre les faits et va

41
Contexte théorique, buts et hypothèses

empêcher le sujet de s'exprimer. Dans d'autres cas, c'est toute une société qui
censure le récit parce que cela implique trop de conséquences ou qu'elle est
enferrée dans le négationnisme.
Dans ces cas particuliers, ce qui est arrivé à l'individu n'est pas reconnu. Le
sujet ne peut pas partager son récit et cela l'empêche de lui donner un sens et peut
le pousser au délire ou à la mythomanie. Il est primordial pour l'entourage de savoir
accueillir la narration dans toute sa brutalité et sa réalité, car c'est aussi en laissant
transparaître une expression d'horreur ou du dégoût que l'on va faire avorter les
tentatives de communication d'un traumatisé : « Le pouvoir tranquillisant de l'effet
parole dépend fortement de l'empathie de celui qui écoute. » (Cyrulnik, 2002).
L'aveu a souvent un impact fort sur l'entourage car il peut mettre en cause
certaines personnes, entraîner des conflits...c'est pourquoi il est primordial que
l'individu soit soutenu de l'extérieur par une aide sociale et psychologique pour ne
pas se sentir affaibli par l'aveu. C'est à travers les yeux de l'autre qu'une personne
pourra se dire qu'elle a survécu, qu'elle a eu la force de surmonter son malheur et
c'est l'entourage qui en fera une sorte de héros mais pour cela les familles et les
institutions doivent offrir au blessé un lieu où il peut produire ses représentations du
traumatisme.
Il ne faut donc pas voir le concept de la résilience comme quelque chose de
naturel qui pourrait se développer selon les ressources internes d'un individu. Cela
reviendrait à tomber dans une attitude passive. A la suite d'un traumatisme il est
nécessaire de ne pas laisser la victime seule et de lui proposer soutien et solidarité.
C'est l'organisation de l'état et des structures d'accueil qui vont permettre à
l'entourage d'agir dans cette direction. Nous verrons dans nos études de cas de
quelle manière l'entourage et notamment les thérapeutes peuvent agir en faveur
d'une résilience. Delage et al. (2010) parlent « du maillage du réseau médico-
psychosocial qui peut soutenir les capacités de résilience individuelles. ». La qualité
des institutions est indispensable, car c'est là que les sujets blessés auront à
développer et à reprendre une existence sociale.

42
Contexte théorique, buts et hypothèses

3.4. L'intérêt de cette notion dans la pratique orthophonique

3.4.1. Parallèle entre résilience et rééducation: deux processus de


reconstruction
Le phénomène de résilience permet de rebondir, après un traumatisme
généré par un choc. Nous partons ici du postulat que certains patients vus en
orthophonie ont dû surmonter un traumatisme et que cela peut amener, s'ils sont
correctement accompagnés, à une possible résilience. Il peut s'agir d'un adulte ayant
subi un accident vasculaire cérébral le rendant aphasique, d'un parent après
l'annonce du handicap de son enfant, d'un adolescent handicapé de plus en plus
confronté à sa différence etc. Être résilient dans ces cas-là, c'est prendre conscience
de ses difficultés pour apprendre à les surmonter ou à vivre avec elles. C'est
accepter sa différence dans tout ce qu'elle a d'inconfortable, de détestable, de
difficile à vivre au quotidien et continuer son développement malgré ces conditions
difficiles. Il s'agit alors de solliciter des ressources internes, qui, avec l'aide de
facteurs externes vont se révéler être efficaces.
Le processus de rééducation s'inscrit dans cette mouvance : c'est un travail
long, fastidieux, qui occasionne de nombreux efforts mais qui va permettre dans une
certaine mesure, une reconstruction. La rééducation aide alors à la résilience : selon
Cyrulnik (2001), la résilience est possible, même chez les enfants ayant un
développement altéré, pourvu que développement il y ait et que l'entourage puisse
s'adapter au trouble de l'enfant en mettant en place des aménagements et des aides
à la relation. C'est ce que fait l'orthophoniste, avec par exemple les enfants
présentant un trouble envahissant du développement ou avec des adultes
aphasiques : mettre en place des codes de communication, donner des outils
permettant d'interpréter les relations, les émotions, réhabiliter la communication dans
sa fonction pragmatique etc. Améliorer la communication et ses fonctions favorise les
interactions et les échanges sociaux. Or nous avons vu que la résilience est le
résultat d'un maillage fait de rencontres et d'expériences, sollicitant des ressources
personnelles et environnementales. Les capacités de communication ainsi déployées
en rééducation et mises à profit dans la vie quotidienne permettront non seulement
de favoriser une intégration sociale aidant à la mise en place de tuteurs de résilience
mais aussi d'accumuler des connaissances et des expériences, propices à
l'épanouissement et à la reconstruction.

43
Contexte théorique, buts et hypothèses

Une autre facette de la rééducation consiste à pallier les déficits en se servant


des capacités propres à chaque individu. Autrement dit, il s'agit de développer la
compétence personnelle en repérant les attitudes, les potentialités et les
émergences plutôt que de s'appesantir sur les déficits. De même, c'est en faisant
émerger les compétences, en mettant en lumière les capacités, qu'on aide
l'entourage à investir le patient et à restaurer une relation optimale.
Enfin, l’intérêt des groupes de rééducation apparaît clairement dans les
facteurs de résilience. En effet, le partage des émotions, des interrogations, des
situations difficiles liées au handicap, permet de créer des liens en augmentant le
sentiment d'être compris par d'autres. D'autre part, ce partage permet également
d'aider le patient à mieux réguler ses émotions et d'observer de la distance par
rapport à ses propres événements de vie.
Le fait même d'appartenir à un groupe et de cultiver des relations positives
avec d'autres personnes renforce le sentiment d'appartenance et d'efficacité
personnelle dans la relation et permet la création de liens. De plus, le groupe incite à
la comparaison avec autrui : cela permet non seulement de se rassurer mais exerce
également un effet positif au niveau l'estime de soi.
En outre, la constitution d'un groupe induit l'établissement de règles,
explicitées ou non, qui permettent d'établir un cadre structurant et sécurisant pour
chacun des participants. Ce sentiment de sécurité est renforcé par la présence des
autres partenaires qui composent le groupe. En effet, l'appartenance à un groupe
donne un sentiment de puissance qui favorise la réussite face à des tâches
complexes. La dynamique du groupe se développe au fur et à mesure des
interactions qui s'y jouent. Apprendre à écouter l'autre et à prendre en compte son
avis améliore les capacités de socialisation.
Par les différents effets de socialisation, de revalorisation, de régulation
émotionnelle et grâce à ses repères, le groupe constitue donc en lui-même un
excellent tuteur de résilience.

44
Contexte théorique, buts et hypothèses

3.4.2. Intégration des concepts de résilience dans la relation


thérapeutique

3.4.2.1. Un espace privilégié qui permet la réalisation des ressources et


compétences
La rééducation orthophonique offre un cadre particulier pour l'établissement
d'une relation thérapeutique qui peut être utilisée à bon escient pour favoriser la
résilience. Il y a un lien entre l'évolution de la relation thérapeutique, qui donne
désormais davantage de pouvoir au patient qui se voit être acteur de sa prise en
charge dans une relation horizontale et le processus de résilience qui part également
des potentialités internes du sujet et en fait un acteur de son rebondissement.
L'espace de la relation thérapeutique permettra au patient d'acquérir les outils qui lui
sont nécessaires pour la résilience et cela grâce à l'aide du thérapeute.
Tout d'abord, la rééducation va s'inscrire dans le temps. C'est une prise en
charge qui s'étale souvent sur plusieurs mois et parfois sur plusieurs années. Cela va
contribuer à créer une relation durable entre le professionnel et le patient et va
instaurer une certaine proximité. En effet, tout en respectant la distance
thérapeutique, des habitudes vont être prises, une bonne connaissance du patient va
s'instaurer et une certaine intimité va naturellement se développer. Un sujet, lors d'un
deuil ou d'un attachement défaillant, peut réinvestir un processus d'attachement avec
une autre personne et ainsi poursuivre son développement. Par ailleurs, le cadre de
la rééducation va favoriser ce processus en offrant au patient des points de repère
stables : c'est un rendez-vous fixe, qui a souvent lieu le même jour chaque semaine,
à la même heure, au même endroit, avec une même personne qui présentera un
tempérament constant.
Ensuite, comme le dit Baron (2010) : « Nous offrons au patient une place qu'il
n'a pas ailleurs, un « espace de liberté » qu'il ne connaît peut-être pas en-dehors ».
C'est au sein de cette relation privilégiée que le patient pourra se sentir en confiance
et développer ses ressources. En effet, au sein d'une rééducation, tout est fait pour
potentialiser les aptitudes du patient et le valoriser. Ainsi, l'orthophoniste veillera à ne
pas choisir des exercices difficiles pour le patient ou à faire attention, si c'est un
enfant, de ne pas le laisser toujours perdre lors d'un jeu. L'idée étant de ne pas
mettre son patient en échec, de favoriser l'estime de soi, facteur essentiel pour la
résilience. La dynamique d'une rééducation est toujours positive et met en valeur les
45
Contexte théorique, buts et hypothèses

compétences du patient : soit elle vise à réinvestir une fonction perdue et dans ce
cas si elle aboutit, le patient peut se considérer comme vainqueur, soit elle consiste à
pallier un déficit en s'appuyant sur d'autres potentialités du patient (par exemple
apprendre à un enfant dysphasique à utiliser ses capacités visuelles pour contourner
ses problèmes phonologiques) et dans ce cas cela va permettre de révéler au patient
des ressources qu'il ignorait jusque là.
Le patient peut venir pour rééduquer une pathologie qui va être la source de
son traumatisme. Dans ce cas, en collaboration avec l'orthophoniste, il va travailler
sur son symptôme, verbaliser ses craintes, prendre de la distance et essayer de
rétablir la cause de sa souffrance. Tout cela reprend les principes de la résilience.
Prenons le cas du bégaiement, la rééducation orthophonique est l'endroit où le
patient peut exprimer ce qu'il ressent, ses émotions lors du bégaiement ou sa
souffrance face au regard des autres et c'est, entre autre, grâce à cela qu'il va
finalement trouver en lui les outils pour contrôler son bégaiement. Le patient, acteur
de sa prise en charge, va réussir à trouver en lui ses ressources et compétences. Le
succès d'une rééducation orthophonique dépend majoritairement du patient : il n'y a
pas de médicaments ou d'intervention médicale. C'est la prise en charge dans sa
globalité (l'assiduité aux séances, le sérieux dans l'application des conseils, la
pratique d'exercices etc) qui permettra au patient de trouver en lui-même les moyens
de surmonter son déficit. Par ailleurs, si le patient vient pour une cause qui n'a pas
de lien avec son traumatisme ou qui en est une conséquence, le temps de la
rééducation peut être le moyen d'être dans une relation humaine, de se réfugier dans
un endroit où il est valorisé et écouté et où il se concentre sur autre chose.

3.4.2.2. La rééducation : lieu d'expression et de création


La narration apparaît comme un des moyens les plus efficaces pour permettre
à un sujet d'amorcer sa résilience. Or, l'orthophoniste est avant tout un thérapeute du
langage, le but de nombreuses rééducations étant de rétablir la communication que
ce soit à travers le langage oral ou le langage écrit. Une rééducation donne les
moyens au sujet de s'exprimer. Lors des séances, soit le sujet travaille directement
sur son langage déficitaire, soit la rééducation se fait sur un autre trouble mais la
communication sera l'outil privilégié. Dans tous les cas, l'orthophoniste amène son
patient à verbaliser, à échanger et cela ne peut que l'aider à évoluer vers un
processus de mentalisation et de maîtrise de ses émotions.
46
Contexte théorique, buts et hypothèses

Un trouble du langage peut être le symptôme d'un malaise plus général. Tout
en travaillant sa spécificité, l'orthophoniste donne les moyens au patient de récupérer
cette fonction essentielle qui lui permettra par la suite de se libérer de ses émotions
et de se réintégrer au monde de la communication. L'orthophoniste participe donc à
un processus de guérison plus général que la simple réhabilitation du langage.
La communication se ne fera pas forcément par la parole, en séance tous les
moyens pour amener la patient à entrer dans l'échange sont investis. Les nombreux
moyens d'expression comme les jeux, les dessins, le théâtre, les mises en situation,
la lecture, l'écriture, le chant stimuleront une certaine créativité. Cela participe à
l'aspect ludique de la prise en charge mais amène surtout le sujet à s'approprier
différents modes de communication et stimule indirectement son imagination. Tout
support donne lieu à une verbalisation, à un échange et parfois c'est par ces moyens
détournés qu'un patient apprendra à mettre des mots sur ses émotions ou à mieux
maîtriser son langage.
L'orthophoniste travaille également beaucoup sur l'organisation de la pensée
dans le but d'établir un langage compréhensible et efficace. Tous les exercices de
pragmatique apprendront au patient à organiser son discours et à l'orienter en
fonction de son interlocuteur, c'est aussi ce qui permet au patient de décoder chez
l'autre les signaux implicites de communication souvent traduits dans l'attitude. Cela
rejoint le travail sur les inférences qui sont présentes dans de nombreux discours et
se rapportent à l'implicite.
Une rééducation orthophonique ne se limite donc pas aux aspects superficiels
du langage, elle prend en compte tous les aspects de la parole, investit tous les
moyens de communication et accueille le patient dans sa globalité. Le travail en
orthophonie s'intégre dans une prise en charge globale et peut légitimement
participer à un processus de résilience. Il serait dangereux de cantonner
l'orthophoniste à l'aspect technique du langage en niant tout aspect relationnel et en
occultant les enjeux d'une prise en charge thérapeutique. Au contraire le
professionnel doit se servir de ce qui se joue en rééducation, de son rapport
privilégié avec le patient et de ses connaissances pour favoriser un processus global
de résilience.

47
Contexte théorique, buts et hypothèses

3.5. Qu'est ce qu'un tuteur de résilience

Le processus de résilience s'applique à toute personne ayant vécu une


situation de vie négative. Ce chapitre aborde la notion d'attachement comme facteur
primaire de résilience, c'est pourquoi nous nous intéressons plus particulièrement
aux enfants.

3.5.1. Tuteurs de développement et tuteurs de résilience


Lorsqu'on parle de tuteurs de développement, on pense naturellement et tout
d'abord aux parents de l'enfant qui érigent autour du petit un univers affectif et
relationnel sur lequel il s'appuye pour se développer. Les informations sensées et la
stabilité sensorielle ainsi apportées à l'enfant dès les premiers jours de sa vie
constituent la base d'un style relationnel qui sera l'ébauche d'une éventuelle future
résilience sur laquelle il s'appuiera en cas de problème personnel.
La base de sécurité sur laquelle le tempérament de l'enfant se construit
repose sur un triangle mère-père-bébé. C'est dans ce triangle que le nouveau-né
reçoit les premières empreintes de l'environnement et apprendra qui il est, l'influence
qu'il peut avoir, et cela grâce aux premières actions qu'il y réalise. C'est toujours
dans ce même triangle que les mondes intimes des tuteurs de développement faits
de leurs fantasmes, rêves ou cauchemars dessineront les contours du monde
sensoriel aménagé autour de l'enfant. Il s'agit d'une dynamique interactive où, à
chaque moment, les partenaires s'influencent mutuellement et se modifient au cours
de leurs échanges. L'enfant sera ainsi façonné par les constantes pressions
gestuelles et verbales engendrées par ses comportements mis en lien avec les récits
des parents, les relations qu'ils font eux-mêmes avec leur histoire personnelle, et la
signification que cela prendra pour eux.
Privé d'étayage affectif, le bébé cesse de se développer. Il possède un élan
naturel vers l'autre, mais c'est la réponse de l'autre, en étant adaptée, porteuse de
sens et de sécurité qui lui apportera un tuteur de développement. Quand ce tuteur
est stable, le tempérament qui émerge de l'enfant est garant d'un style relationnel qui
laisse une trace mnésique chez le nourrisson. Il s'agit du modèle opératoire interne
(MOI). Dès que l’organisme devient capable de refaire émerger en mémoire des
informations passées, le nourrisson imprime les traits saillants de son milieu, il les

48
Contexte théorique, buts et hypothèses

apprend et les assimile. La sensorialité maternelle (c'est à dire les réponses


comportementales adressées à l'enfant) intègre donc chez lui une forme
préférentielle extraite de son milieu qui lui donne le sentiment de soi. Ainsi, lorsqu'un
événement nouveau a lieu, le nouveau-né s'y adapte en répondant avec le style
comportemental acquis précédemment.
Le tuteur de développement amène donc l'enfant à avoir un modèle opératoire
interne stable et efficace. Cela lui permettra de s'inscrire dans un style
comportemental tel qu'il sera capable, en cas de traumatisme, de puiser en lui les
ressources internes et d'utiliser les ressources externes mises à sa disposition,
comme les tuteurs de résilience.

3.5.2. L'attachement comme déterminant du tuteur de résilience


Pour que l'enfant, en cas d'épreuve majeure, puisse se tourner vers un
substitut efficace appelé ici « tuteur de résilience » qui l'aidera à traverser cette
épreuve et à reprendre un développement harmonieux, l'acquisition de ressources
internes est nécessaire. Ces ressources permettront de façonner le tempérament de
l'enfant pour l'amener à se tourner vers des individus aptes à le soutenir et à créer
des relations équilibrées.
Le tempérament est façonné dès les premiers mois de vie par les interactions
précoces prè-verbales et l'attachement qui en résulte. Ce façonnement va alors
imprégner une manière d'être, une façon de se conduire, de se comporter, d'établir
des relations qui permettront de mettre en place des tuteurs de résilience plus ou
moins solides. Ainsi, selon Ainsworth (1967, citée par Cyrulnik, 2001) « la figure
d'attachement agit comme une base de sécurité pour l'exploration du monde
physique et social pour l'enfant ». Cette phrase signifie qu'un enfant ayant reçu une
base d'attachement sécure a suffisamment confiance en sa figure d'attachement et
en son pouvoir de base de sécurité pour avoir la force de s'éloigner, d'explorer son
environnement et plus tard de créer son individuation et d'être autonome. En cas de
rupture avec cette figure d'attachement, d'accident de la vie, le lien qui a imprégné
l'enfant et la trace qu'il porte en lui sont suffisamment solides pour lui permettre alors
de se tourner vers des substituts efficaces.
Le bébé naît avec un besoin primaire inné et vital de contact social et
d’échanges interpersonnels. Il recherchera auprès de sa figure d'attachement une
base de sécurité notamment dans l'adéquation des réponses données lors de
nombreuses situations de détresse ou d'inconnu (la faim, le froid, la peur etc) mais
49
Contexte théorique, buts et hypothèses

aussi lors des interactions. Ainsi, des interactions harmonieuses dépendent de


l’adaptation des deux partenaires l’un à l’autre.
On distingue ainsi quatre types de relation d'attachement : sécurisant, évitant,
ambivalent et désorganisé (Ainsworth, 1996 citée par Cyrulnik, 2001).
L'attachement sécure (65%) décrit un enfant qui, suffisamment en confiance et
sécurisé par sa figure d'attachement peut s'en éloigner et explorer son
environnement pour mieux revenir vers elle et lui faire partager ses découvertes. Au
cours d'une séparation (crèche, absence temporaire etc), un enfant ayant un
attachement sécure trouve le moyen d'apaiser son angoisse et peut se tourner vers
d'autres individus pour se sécuriser. De 12 à 18 mois, la manière de s'attacher qu'a
un enfant constitue un indicateur de son comportement lors de relations futures.
Cette base permet, en cas d'épreuve, de faciliter le tissage des liens et d'entretenir
des relations harmonieuses avec d'éventuels tuteurs de résilience. En effet, l'enfant
imprégné par un attachement sécure possède un meilleur pronostic de résilience
puisqu'en cas de malheur, son comportement de charme, son tempérament agréable
à aimer, attendrit les adultes qui peuvent à leur tour lui fournir une nouvelle base de
sécurité. Cet attachement sécure facilite donc les attachements ultérieurs en offrant à
l'enfant un tempérament facile et «aimable». Les tuteurs de résilience, attirés par ces
enfants, renforceront cette stabilité et les rendront encore plus forts.
L'attachement évitant (20 %) ne considère pas sa figure d'attachement
comme une base de sécurité. Il ne résiste pas à la relation affective mais ne prend
pas lui même l'initiative de rentrer en contact. Lorsque sa figure d'attachement
s'absente, l'enfant est très difficile à consoler et ne parvient pas à apaiser son
angoisse en explorant ou en se tournant vers une autre personne présente. Et quand
elle revient, il ne se retourne pas vers elle pour se sécuriser. Cet enfant n'a pas
acquis les ressources internes lui permettant de se tourner vers d'autres substituts
affectifs en cas de disparition de sa figure d'attachement. Une relation ultérieure avec
un tuteur de résilience sera plus difficile à mettre en place car cet enfant voudra tenir
à distance l'adulte voulant s'occuper de lui et ne lui apportera pas de feed-back
positifs gratifiant leur relation.
L'attachement ambivalent (15%) caractérise un enfant qui, même lorsque sa
figure d'attachement est présente, n'explore pas ou peu son environnement. Lors de
l'absence momentanée de la figure d'attachement, l'enfant est inconsolable et le
reste longtemps après qu'elle est revenue. L'enfant peut rechercher ou éviter le

50
Contexte théorique, buts et hypothèses

contact avec sa figure d'attachement, il manifeste donc un comportement ambigu et


contradictoire selon les situations. Le cercle vertueux observé dans le cas d'enfants
avec un attachement sécurisant peut se révéler vicieux lorsqu'il ne l'est pas : la base
sur laquelle les relations se sont tissées ne sont pas solides et le comportement de
l'enfant qui en résulte ne les rend pas facile à aimer. Dans le cas d'un attachement
ambivalent, l'ambiguïté de l'attitude de l'enfant amènera l'adulte à s'en détacher.
L'enfant aura du mal à trouver une base solide offerte par un tuteur de résilience sur
laquelle s'édifier.
L'attachement désorganisé (5%) est révélé par une désorganisation totale de
l'enfant. Aucune stratégie comportementale permettant de le rassurer ni de le
sécuriser n'est mise en place. Le style relationnel instauré exclut la quête d'affection
ou la lutte contre le désespoir. La figure d'attachement ne fait jamais office de base
de sécurité, ni en étant présente ni en étant absente. L'enfant ne peut se sécuriser
tout seul, ni avec sa figure d'attachement, ni avec d'autres individus, d'autres objets
ou encore son propre corps. Ces enfants désorientent à leur tour les adultes par leur
attitude imprévisible. Face à eux, les difficultés relationnelles seront d'autant plus
importantes que l'adulte est découragé par leur étrangeté. Leur comportement ne
permettra pas un retissage affectif harmonieux ni la possibilité de trouver des tuteurs
de résilience.

3.5.3. «Caractéristiques» du tuteur de résilience et présence au sein de


la société
Selon Delage (2010), « fondamentalement, la résilience est un concept
intersubjectif. La résilience ne peut naître, croître et se développer que dans la
relation à autrui ». La présence d'un tuteur de résilience est donc indispensable afin
d'impacter sur ce phénomène de résilience : c'est dans la relation qu'une reprise
résiliente peut exister. Une personne psychiquement blessée, victime d'un
traumatisme doit pouvoir s'appuyer sur une figure rassurante pour elle, sur une
rencontre capable de lui prêter attention. C'est grâce à ce facteur externe que des
ressources internes comme des mécanismes défensifs peuvent alors se développer.
Ce lien intersubjectif sera structurant pour le développement psychoaffectif de
l'enfant et cette sécurisation affective impulsera la résilience.
Selon Lighezzolo et al. (2003) le tuteur de résilience joue le rôle de modèle, de
personne à laquelle l'enfant peut s'identifier pour mieux s'épanouir. Le tuteur doit
51
Contexte théorique, buts et hypothèses

pouvoir posséder une capacité à « transmettre » quelque chose sans se présenter


toutefois dans la toute puissance de son savoir. En effet, l'erreur doit être permise et
effectuée en confiance pour favoriser le processus d'autonomisation. Enfin, il semble
important que le tuteur soit disponible, étayant et non rigide.
Autrement dit, les tuteurs de résilience sont, selon Lecomte (2005, cité par
Consoli et al. en 2008), « des personnages manifestant empathie et affection,
s'intéressant prioritairement aux cotés positifs de l’individu, laissant à l'autre la liberté
de parler ou de se taire, ne se décourageant pas face aux échecs apparents,
respectant le parcours de résilience d'autrui et facilitant l'estime de soi d'autrui ». Il
s'agit donc de toute personne redonnant confiance aux capacités de l'enfant, à ses
potentiels et à sa valeur et s'inscrivant dans une relation de sécurisation affective.
Les tuteurs de résilience peuvent être intra-familiaux ou non, scolaires,
thérapeutiques. Souvent les tuteurs de résilience ignorent qu'ils occupent cette place
et Lecomte (2005, cité par Consoli et al. en 2008) insiste sur l'aspect inconscient que
revêt ce choix : « Il y a dans l'émergence du processus de résilience une alchimie
étrange au cours de laquelle un enfant en souffrance élit un adulte pour être son
tuteur de résilience. Souvent, ni l'un ni l'autre ne sont véritablement conscients de ce
qui est en train de se jouer, alors que cela peut être fondamental dans l'existence de
cet enfant ». En revanche, certains, et surtout dans le cas de soignants, peuvent
délibérément orienter leurs attitudes et leurs actions pour aider la personne qu'ils
prennent en charge à s'orienter vers un processus résilient.
Déjà, parce que tout au long de la vie d'un enfant, les tuteurs de résilience
changent de nature. En effet, l'enfant est sensible à différentes informations selon
son âge : chez le bébé, il s'agira d'un environnement riche en apports sensoriels,
plus tard il lui faudra des événements ritualisés et avec l'apparition de la parole, les
tuteurs de résilience deviendront extra-familiaux, en apportant des informations
verbales, sociales et culturelles. L'enfant est alors capable, si on lui en donne les
moyens, d'aller chercher lui même les informations pourvues de sens nécessaires à
son développement. Il sort de son univers sensoriel pour ouvrir sa conscience vers
des informations de plus en plus éloignées de sa base de sécurité et de plus en plus
stimulantes et favoriser son épanouissement. La présence d'institutions rendant
capable ce genre d'épanouissement et apportant à ces enfants fragiles les repères
sociaux et culturels dont ils ont besoin comme les associations de quartier, les clubs

52
Contexte théorique, buts et hypothèses

de sport, d'art etc favorisent la rencontre avec des tuteurs de résilience «sociaux»
capables de les aider à surmonter leurs difficultés.
Un environnement constitué de plusieurs attachements favorise la résilience.
En effet, si l'une des figures d'attachement disparaît, une autre pourra prendre le
relais à condition qu'elle soit stimulante et sécurisante. Ainsi, la résilience pourra se
faire si suffisamment de tuteurs se sont mis en place pour étayer l'enfant dans son
développement. Après deux ans et avec l'apparition de la parole, les tuteurs de
résilience se trouvent en plus grand nombre dans les structures capables d'ouvrir
l'esprit de l'enfant. Plus l'enfant est confronté à ces tuteurs sociaux et culturels, plus il
y aura de chances que les lieux d'affection, d'activités et de parole que la société a
disposé autour de l'enfant blessé lui permettent de reprendre un développement
post-traumatique. Ces tuteurs de résilience inscrits dans la société permettent à
l'enfant de maîtriser sa représentation du traumatisme et ainsi de donner forme à son
épreuve de manière ludique, artistique, théâtrale, sportive etc.
L'enfant en peine ne va pas forcément être capable de se tourner vers les
autres. C'est donc souvent aux adultes de fournir des tuteurs de résilience et de
l'inviter à la relation. Ces enfants ne sont pas initiateurs de ces rencontres mais si on
les sollicite, ils sont prêts à accepter les invitations qu'on leur tend. Ainsi, à la crèche,
à l'école ou à la garderie, on peut trouver des tuteurs de résilience aptes à soutenir
l'enfant et à l'aider à reprendre un développement psychique harmonieux.

3.5.4. L'orthophoniste, un tuteur de résilience ?


L'orthophoniste, porteur d'un savoir-être et d'un savoir faire professionnel peut
se placer en tant que tuteur de résilience. En effet, dans une approche globale
cohérente, l'orthophoniste prend en compte deux axes essentiels et étroitement
imbriqués: le travail auprès de l'enfant et l'accompagnement parental. Ces deux axes
se rejoignent afin de favoriser les interactions entre l'enfant et son environnement
proche. La résilience dans les familles d'enfants déficients permet, dans une certaine
mesure, qu'un développement psychique, cognitif et social intéressant soit possible
pour l'enfant et que chacun s'engage dans un processus de croissance.
L’accompagnement parental passe notamment par la réhabilitation d'une
relation satisfaisante et donc de capacités d'attachement sécurisé. Or, lorsque les
difficultés atteignent l'un ou l'autre des protagonistes du couple mère/enfant, on peut
supposer que les troubles relationnels qui y résulteront entraveront la mise en place
d'un attachement sécurisé. Par exemple, lorsqu'un enfant est porteur d'un handicap
53
Contexte théorique, buts et hypothèses

moteur, les réponses comportementales et posturales émises par l'enfant


déstabilisent la mère qui à son tour ne parvient pas à sécuriser son enfant, ou encore
lorsque la mère est dépressive, le milieu dans lequel évolue l'enfant n'est pas
stimulant et cette fois ce sont les réponses de la mère qui ne permettent pas de
fournir à l'enfant une base de sécurité. La triangulation permet de faciliter les
interactions en permettant à l'enfant d'agir par l'intermédiaire du tiers sur sa figure
d'attachement.
La démarche d'accompagnement parental passe également par l'écoute de la
détresse, de l'angoisse des parents, du quotidien difficile lié au déficit de l'enfant et
les capacités d'empathie mises alors en jeu permettront l'accueil et l'expression des
souffrances. Cet accompagnement a également pour but d'aider l'enfant à
développer ses potentialités et les parents à les percevoir. Aider les parents à
découvrir leur enfant et à bâtir un projet pour lui, avec lui dans le respect de sa
différence participe au processus de résilience des parents . En effet, il s'agit de
restaurer la parentalité c'est-à-dire de montrer aux parents qu'ils sont compétents
dans ce qu'ils font et que leur enfant possède des compétences et des potentialités
pouvant être mises en valeur. En effet, l'enfant déficient a besoin de construire un
attachement sécure auprès de parents eux-mêmes soutenants, confiants et
résilients. Faciliter les interactions afin d'activer le processus de résilience des
parents joue dans les capacités de résilience de l'enfant. On obtient alors un «
couplage résilient » (Cyrulinik et al., 2010) où les capacités résilientes des parents
sont couplées à celles de l'enfant.
Le rôle de l'orthophoniste en tant que tuteur de résilience est vaste et peut
s'appliquer à de nombreuses situations, tant auprès d'enfants que d'adultes. En effet,
les situations de vie négative en rapport avec des troubles de la communication
(aphasie, maladies neuro-dégénaratives etc) peuvent survenir à tout âge et
concernent également l'orthophoniste.

3.6. Les outils de mesure de la résilience

Avant de démarrer toute observation et toute action avec les patients, il nous
semblait primordial de définir ce qui constitue et qualifie une personnalité résiliente.
En effet, le concept de résilience peut paraître abstrait car il s'inscrit dans un
processus et fait partie du développement de l'individu. C'est pourquoi, nous avons
54
Contexte théorique, buts et hypothèses

souhaité étayer nos observations avec des échelles de mesure de la résilience, qui
ont été étalonnées pour des adolescents.
Les différents items dégagés de ces outils nous ont aidées à orienter nos
observations et à dégager « le squelette » d'une personnalité résiliente .
Békaert et al. (2011) mettent en évidence cinq outils de mesure :
• Resilience scale for adolescents (READ) qui vient de Norvège.
• Connor-Davidson Resilience scale (CD-RISC) qui vient des Etats-Unis
• Adolescent Résilient scale (ARS) qui vient du Japon
• Resilience scale (RS) de Wagnild and Young
• Resiliency scale
Lorsque ces outils sont traduits en français, ils n'ont pas fait l'objet de
publication ou n'ont pas été validés. Ce que nous retenons des différents items de
mesure, c'est l'importance des compétences personnelles, telles que : l'optimisme, la
confiance en soi et en l'avenir, la détermination, l'auto efficacité, l'indépendance et la
tempérance des émotions. Seule la READ prend aussi en compte l'environnement
de l'individu en mettant en avant l'importance de l'adaptation sociale, d'une bonne
cohésion familiale et d'un environnement stable.
Tous ces instruments sont fondés sur l'autoévaluation et sont destinés aux
adolescents. Il s'appuient sur le modèle de Mrazek et Mrazek (1987, cités par
Békaert et al., 2011) qui relève de la théorie de l'évaluation cognitive de la résilience.
Ce modèle a mis en évidence 12 caractéristiques chez les résilients qui nous ont
également permis d'aiguiller nos observations :
• Une mise en condition rapide à l'égard du danger : savoir reconnaître et
s'adapter aux exigences du milieu afin de se protéger.
• Une maturité précoce
• Une dissociation des émotions : savoir se distancer des émotions trop
intenses
• Une recherche d'informations
• Une facilité à créer du lien avec d'autres personnes et s'en servir pour
supporter les moments de crise
• Une anticipation projective positive : savoir se projeter de manière positive
dans le futur

55
Contexte théorique, buts et hypothèses

• Une prise de risque : savoir assumer sa part de responsabilité dans des


décisions cruciales qui sont prises, même si ces décisions comportent des
risques personnels importants.
• La conviction d'être aimé
• L'idéalisation de la compétence de l'agresseur : savoir reconnaître les
compétences de l'agresseur et identifier ses traits
• La restructuration cognitive des événements douloureux
• L'altruisme
• L'optimisme et la capacité à espérer
Ces caractéristiques ont été dégagées à partir de treize histoires de vie d'individus
ayant subi une maltraitance ou une négligence majeure.
Parmi les cinq instruments de mesure, trois d'entre eux (READ, ARS et la
Resilinecy Scale), ont été spécialement élaborés pour les adolescents, les autres
s'adressant autant aux adultes qu'aux adolescents. Tous ces instruments ont été
conçus en s'appuyant sur les nombreuses études issues de la littérature traitant de la
résilience et des facteurs de protection, sauf les deux échelles : la Resiliency Scale
qui a pour ancrage théorique le modèle de Mrazek et Mrazek et le CD-RISC, qui
s'appuie sur les travaux portant sur le stress, le coping et l'adaptation.

56
Contexte théorique, buts et hypothèses

4. Problématique, objectifs et hypothèses

4.1. Problématique
Lorsqu'on aborde la notion de résilience en orthophonie, c'est la relation entre
l'orthophoniste et son patient qui prime sur les aspects formels ou fonctionnels de
toute rééducation. Cette relation s'instaure, avec plus ou moins de réussite, quels
que soient le trouble du langage et les problèmes psychologiques auxquels le patient
est confronté. L'orthophoniste ajuste donc ses techniques de rééducation en tenant
compte de la dimension psychologique inhérente au trouble. L'instauration d'une
relation thérapeutique harmonieuse est donc indispensable à une rééducation
réussie. Il s'agit ici de prendre en compte les divers éléments relatifs à la rééducation
et de les mettre en lien afin d'expliquer comment l'orthophoniste peut devenir un
tuteur de résilience.

4.2. Objectifs
La problématique énoncée ci-dessus détermine nos objectifs de travail. A
travers les différents cas cliniques que nous allons exposer, nous souhaitons mettre
en avant l'apport de la rééducation orthophonique dans le processus de résilience. Il
s'agit donc de mettre en rapport ce que nous savons de la résilience et de ses
manifestations observables avec le rôle de l'orthophoniste. On montrera ainsi que la
mobilisation des ressources personnelles du patient alliée à un étayage donnant lieu
à l'amélioration des capacités communicationnelles permettent d'habiliter le patient
dans un processus de résilience. A cette fin, nous nous sommes intéressées à deux
des axes du travail de l'orthophoniste: la rééducation proprement dite de l'enfant et
l'accompagnement parental.

4.3. Hypothèses
Notre démarche de travail est sous-tendue par les hypothèses suivantes:

1- L'attachement étant un des prémices à la construction d'un processus de


résilience, la rééducation de l'orthophoniste, en intervenant pour faciliter les
interactions parents/enfant est un des facteurs permettant que ce préalable qu'est
l'attachement soit mis en place.

57
Contexte théorique, buts et hypothèses

2- L'orthophoniste participe à la mise en place d' éléments favorisant la résilience par


le développement de ressources personnelles chez son patient, comme l'estime de
soi et l'autonomie, afin de contribuer à la création de lien et à l'adaptation sociale.

3- La rééducation orthophonique étant axée sur le langage, l'orthophoniste permet à


l'enfant d'avoir une communication la plus optimale possible et par ce biais favorise
le lien avec d'autres personnes, ce qui lui permet de trouver des tuteurs de
résilience.

4- A travers les différentes activités proposées à l'enfant en séance, basées sur les
versants formels ou fonctionnels, l'orthophoniste est amené à établir une relation
thérapeutique fondée sur l'empathie et la confiance réciproque. Cette relation amène
l'enfant à s'étayer sur l'orthophoniste devenu tuteur de résilience.

Tout au long de notre étude, nous tenterons d'évaluer dans quelle mesure ces
hypothèses se vérifient ou non.

58
Sujets, matériel et méthode

Sujets, matériel et méthode

59
Sujets, matériel et méthode

1. Présentation de notre démarche

Nous avons choisi l'observation de cas cliniques au cours de nos stages sur
des périodes relativement longues. Ce choix s'est imposé et se justifie à différents
niveaux. En effet, la littérature insiste sur le fait que la résilience est un processus
dynamique qui se construit tout au long de la vie. Il nous a donc semblé important de
suivre l'évolution d'enfants pendant un an afin de rendre compte de l'étayage apporté
dans ce processus par l'orthophoniste. La littérature souligne également l'importance
d'un attachement dit « sécure » permettant de mettre en place une base propice à un
phénomène de résilience. C'est pourquoi nous avons également mis en évidence le
travail de l'orthophoniste à travers des groupes d'enfants présents avec leur mère.
Le fait d'effectuer des cas cliniques nous permet également de témoigner de
la singularité de chaque situation : la résilience dépend de nombreux facteurs
personnels et environnementaux et ce choix méthodologique nous a permis de
mettre en exergue l'apport de l'orthophoniste tout en tenant compte du contexte de
chaque rencontre. Il ne s'agit pas ici d'exposer une démarche clinique en terme de
normes ou de comparaison mais de rendre compte d'une relation thérapeutique
particulière qui aide au processus de résilience.
Tout d'abord, nous nous sommes intéressées à trois enfants : un en séance
individuel et les deux autres réunis au sein d'un groupe. Nous les avons observé et
nous avons interagi avec eux pendant notre année de stage. Le choix de ces enfants
s'est fait selon leur anamnèse. Deux d'entre eux (Salim et Julien) subissent un
traumatisme chronique et le troisième (Arthur) présentait des troubles graves de la
communication à son arrivée chez l'orthophoniste. Le cas de Salim permet de
présenter les différents supports et le cadre mis en place par l'orthophoniste afin de
faciliter la construction d'un processus de résilience. Dans le cas de Julien et
d'Arthur, en plus de nos observations, nous leur avons fait passer la «Resilience
Scale» ( Wagnild et Young, 1987), qui est une échelle permettant de mesurer la
résilience. Il nous a semblé en effet important de pouvoir confronter nos observations
subjectives avec un outil objectif.

60
Sujets, matériel et méthode

Nous avons également effectué des séances dans le cadre d'un


accompagnement parental, nous sommes intervenues au sein de deux groupes
réunissant mères et enfants. Il s'agissait :
– d'un groupe constitué de 3 enfants avec leur maman, une orthophoniste, une
stagiaire orthophoniste et deux psychologues.
– d'une consultation individuelle constituée d'un enfant et de sa maman, d'une
psychomotricienne et d'une stagiaire orthophoniste.

2. La Resilience scale

La Resilience Scale (RS) de Wagnild et Young (cf annexes 1 et 2) a été


élaborée à partir d'une étude qualitative portant sur 24 femmes montrant une
adaptation satisfaisante après avoir vécu un événement de vie majeur négatif.
L'objectif de cette échelle est de définir le degré de résilience individuelle.
Selon les auteurs, la résilience serait une caractéristique positive de la personnalité
qui permet d'améliorer l'adaptation d'un individu. Cet outil a d'abord été utilisé sur des
adultes, puis sur des adolescents.
A partir de ces récits, cinq composantes ont été identifiées comme étant
constitutives de la résilience :
L'équanimité : c'est avoir une perspective équilibrée de sa propre vie et de ses
expériences. C'est la capacité à considérer une plus large gamme d'expériences, de
relativiser, de prendre les choses comme elles viennent et donc de modérer les
réponses extrêmes face à l'adversité.
La persévérance : en dépit des obstacles ou du découragement, c'est la volonté de
continuer le combat pour se reconstruire, se sentir impliqué et savoir faire preuve
d'auto-discipline.
La confiance en soi : c'est la croyance en soi et en ses capacités. C'est savoir
dépendre de soi-même et savoir reconnaître ses forces et ses limites.
La richesse intérieure : c'est se rendre compte que la vie a un but et estimer sa
propre contribution. C'est l'idée d'avoir une place dans l'existence.
La solitude existentielle : c'est se rendre compte que le parcours de vie de chacun
est unique et que bien que parfois des expériences soient partagées, il y en a

61
Sujets, matériel et méthode

certaines que nous devons affronter seul. Cela procure un sentiment de liberté et
d'unicité.
Les 25 items sont répartis sur deux échelles : L'échelle des compétences
personnelles qui comprend 17 items et mesure la confiance en soi, l'indépendance,
la détermination, l'invincibilité, la maîtrise, les ressources et la persévérance.
L'échelle d'acceptation de soi et de la vie comprend 8 items qui représentent
l'adaptabilité, l'équilibre, la flexibilité et une perspective équilibrée de la vie.

62
Résultats

Résultats

63
Résultats

1. Présentation d'études de cas cliniques

Notre but est de mettre en évidence certains processus de résilience qui se


construisent au sein d'une rééducation orthophonique ou de groupes thérapeutiques.
L'objectif est de pouvoir les réinvestir pour apporter aux patients le soutien social et
humain dont ils ont besoin tout en menant à bien nos objectifs de rééducation. Les «
traumatismes » des sujets que nous suivons se traduisent par des situations
familiales difficiles, des deuils ou des handicaps. Nous avons choisi d'observer la
résilience au sein d'une relation thérapeutique orthophonique à la fois en séance
individuelle (avec Salim), mais aussi au sein de groupes thérapeutiques. Les
groupes ne sont pas composés de la même manière:
- l'un est composé de deux enfants (Julien et Arthur), d'une orthophoniste et
d'une stagiaire (qui est l'une d'entre nous)
- l'autre d'une maman avec son bébé (Marc et sa mère), d'une
psychomotricienne et d'une stagiaire orthophoniste (qui est l'une d'entre nous)
- le dernier est un groupe qui réunit trois mères avec leurs enfants (Yann, Cyril
et Eliott), accompagnées de deux psychologues , d'une stagiaire psychologue ainsi
que d'une orthophoniste et sa stagiaire (qui est l'une d'entre nous).
Ces différentes situations nous ont permis d'observer comment les signes de
résilience se manifestent chez un individu, mais aussi au sein d'un groupe et dans
les relations maman/bébé. Nous avons orienté nos interventions et nos observations
en fonction des éléments que nous avons mis en avant dans notre partie théorique.

64
Résultats

1.1. Salim, patient du CMP

1.1.1. Introduction
Notre patient (que nous appellerons Salim) est un petit garçon de 7 ans, il est
né le 5 mai 2004 et il est le cadet d'une fratrie de cinq enfants. Les trois aînés, Bintou
18 ans, Fara 16 ans et Junior 15 ans sont issus d'un premier mariage de la mère de
Salim. Amed son frère de 11 ans a le même père que lui. Par ailleurs, le père de
Salim a lui aussi un enfant d'un premier mariage, Mamadou qui a 15 ans mais qui
est resté en Afrique et que Salim n'a jamais connu.
La mère de Salim a fui la Côte d'Ivoire en 1999 pour des raisons politiques,
ses trois premiers enfants ne l'ont rejointe en France qu'en 2003. Elle fut obligée
durant sa première semaine en France de vivre dans un « squat », elle rapporte
qu'elle a bénéficié de beaucoup de soutien durant cette période qui s'est révélée être
une épreuve pour elle. Elle est maintenant femme de chambre dans un hôtel et son
mari fait le ménage dans une école.
Salim est né en France, il est scolarisé en CE1. Il est suivi dans un Centre
Médico-Psychologique (CMP) depuis 2 ans et bénéficie d'une prise en charge
pluridisciplinaire : orthophonique, psychiatrique et psychomotricienne.
Nos observations se basent donc sur les séances d'orthophonie qui se sont
déroulées au CMP de septembre 2011 à fin février 2012 tous les lundis après-midi de
16h à 16h45.

1.1.2. Anamnèse
La maman de Salim est une femme autoritaire, qui peut se montrer violente
envers ses enfants. Elle justifie ses actes par sa culture:
« En Afrique c'est comme ça qu'on éduque les enfants. ».
Elle avoue être souvent démunie face au comportement de son fils :
« Je l'ai privé de centre aéré, de foot, qu'est-ce que je peux faire de plus ? ».
Elle considère que le fait de taper Salim lui fait prendre conscience de ses actes et
que c'est la seule solution pour qu'il ne répète pas ses erreurs. Le père est, quant à
lui, très effacé et « lisse », il répond toujours « ça va » lors des entretiens. C'est un
homme doux en apparence et qui ne semble pas en accord avec les pratiques de sa
femme, cependant il ne s'y oppose jamais. On comprend lors d'une séance avec les

65
Résultats

deux parents qu'il y a des tensions autour de l'éducation des enfants, la mère de
Salim clôt le débat ainsi:
« Si il n'est pas d'accord (en parlant de son mari), on se sépare ».
Les parents travaillent beaucoup, ils veulent que leurs enfants s'autonomisent. Salim
est souvent laissé seul à la maison et ce sont ses grands frères et sœurs qui
s'occupent beaucoup de lui. Le frère aîné n'est pas souvent présent et a eu à
plusieurs reprises des démêlés avec la justice à cause de vols et d'agressions.
Les limites dans cette famille sont floues, les enfants sont souvent livrés à
eux- mêmes. Les punitions portent sur le fait de supprimer les activités et peuvent
aller jusqu'à la violence physique. Salim va donc être en permanence en train de
chercher les limites face à l'autorité. Il est souvent puni à l'école parce qu'il se
bagarre et dit qu'il est obligé de se battre sinon il « passe pour un peureux et n'a pas
d'amis ». Il a un comportement parfois opposant et peut se montrer agressif envers
les thérapeutes ou les instituteurs. Salim est très provocateur, en séance il dit
souvent beaucoup de gros mots, éructe, touche à tout et est constamment dans le
refus lorsqu'on lui propose une activité ou un exercice. Par ailleurs, il peut se
montrer très susceptible, il pense souvent que l'on se moque de lui et se vexe très
facilement.
Salim est adressé en orthophonie pour un retard de langage, sa mère dit :
« qu'il a des difficultés pour parler, depuis toujours. ».
A la maison, les parents parlent Dioula, un dialecte africain que Salim
comprend, cependant la mère nous assure qu'il répond en Français. Elle évoque
également des difficultés de compréhension et d'écriture. Le bilan orthophonique
réalisé en septembre 2010 mettait en évidence un trouble phonologique avec une
difficulté pour répéter des groupes consonantiques et les mots formés de plus de
trois syllabes, un vocabulaire très restreint (Salim ne sait pas dénommer une horloge
et emploie le mot « chaise » pour « table »), une syntaxe rudimentaire, une
compréhension orale et lexicale déficitaire et une écriture qui se limite à son prénom
en lettres majuscules.

1.1.3. Déroulement des séances


Lorsque nous commençons les observations, Salim est suivi en orthophonie
depuis un an. Il nous est présenté comme un enfant très agréable et travailleur qui «
revient de loin » selon l'orthophoniste. En effet, lors des séances, Salim se montre
66
Résultats

très concentré et même si il rechigne souvent face aux difficultés ou aux nouveaux
exercices, il accepte toujours de faire ce qu'on lui demande. Il a beaucoup progressé
durant cette année notamment au niveau du graphisme et de la lecture. Il tire
beaucoup de bénéfices de la rééducation et ses résultats scolaires se sont
améliorés. Les troubles phonologiques sont moins gênants et le vocabulaire s'est
enrichi. Il persiste encore un petit retard de langage, par ailleurs, la lecture et
l'écriture ont encore besoin d'être renforcées.
Nous allons maintenant mettre en évidence les différentes caractéristiques de
la rééducation orthophonique pouvant aider Salim à développer un processus de
résilience.

1.1.3.1. La revalorisation
Il est primordial d'aider le patient à reconstruire une image positive de lui-
même et cela sera d'autant plus important dans le cas d'un enfant qui a subi un
traumatisme. Nous soulignons ici que cette attitude déjà utilisée en orthophonie
s'avère être une aide puissante pour la résilience.
Salim a l'habitude d'être cantonné dans le rôle du mauvais élève à l'école,
alors qu'en séance les rapports sont très différents. Ses provocations ne sont pas
accueillies de la même manière qu'à la maison ou qu'à l'école, par exemple si il dit
un gros mot, l'orthophoniste ne va pas le punir et peut même lui demander de
l'orthographier ou juste de l'écrire. Cela désamorce l’agressivité de Salim et le fait de
l'écrire va lui permettre de s'exprimer autrement.
Cet enfant a une faible estime de lui, il a besoin d'être remis en confiance et
rassuré. Sa première réaction face à un exercice va souvent être le refus ou la
négociation : « Je ne lis que les trois premières lignes »,
« Je ne fais l'exercice que jusque là »,
En réalité ce n'est pas un refus mais une crainte de l'échec. Il va souvent dire :
«mais c'est trop dur ça!»
L'orthophoniste souligne qu'il dit ça à chaque fois et que pourtant il y arrive toujours.
Elle lui dit :
« c'est facile pour toi »
« Tu connais ce type d'exercice »,
« Tu y arrives très bien d'habitude »

67
Résultats

Nous veillons toujours à l'encourager et à lui faire prendre conscience qu'il a de


réelles capacités. Il est aussi important de dédramatiser l'échec et de bien lui faire
comprendre que nous ne sommes pas là pour le punir ou le juger et que si il n'y
arrive pas ce n'est pas grave.

1.1.3.2. Révéler les ressources et compétences


Lors des séances il est primordial de mettre en avant les potentialités de
Salim, lui rappeler ses points forts. Cela rejoint l'idée de faire prendre conscience au
patient de ses ressources internes. C'est à la fois impératif dans une rééducation
orthophonique car c'est au patient de trouver en lui les moyens de pallier son déficit,
et c'est également un pilier essentiel de la résilience car c'est à force d'expériences
de réussite que le sujet va se sentir assez fort pour se reconstruire et surmonter les
étapes difficiles de son existence.
Par exemple, Salim se débrouille bien en maths et aime les exercices de
logique. Lorsque nous lui proposons un exercice un petit peu plus difficile, nous le
faisons commencer par quelque chose qu'il maîtrise pour le mettre en confiance,
comme des exercices de Sudoku. Souvent Salim va se décourager par peur de
l'échec mais si l'on insiste et qu'on l'accompagne dans sa tâche, il réussit et prend
conscience de ses capacités.
Quel que soit le résultat final, nous mettons en avant les succès de Salim et lui
donnons le sentiment d'avoir réussi sa tâche. Nous estimons que le plus important
est qu'il ait participé c'est pourquoi ne le laissons jamais sur un échec et faisons en
sorte de le mettre dans une dynamique positive.
Nous notons qu'il apprécie cette sensation de victoire. En effet, à la fin de
chaque séance, nous laissons le choix à Salim de choisir un jeu. Il s'oriente
systématiquement vers «Batawaf», qui est un jeu de cartes où l'on fait des batailles
avec des images d'animaux qui sont plus ou moins grands. C'est un jeu de hasard
qui requiert des capacités d'appréciation des grandeurs et mesures, ce que Salim
possède depuis longtemps. Le but n'est pas vraiment de travailler une compétence
en particulier, mais de mettre Salim dans une position de réussite car il est très
fréquent qu'il gagne ce jeu.

68
Résultats

1.1.3.3. L'humour
L'humour est un critère positif pour la résilience. Salim possède un sens de
l'humour inné mais qu'il ne peut pas forcément développer avec son entourage
familial. Nous insistons donc également sur cette faculté qui va lui permettre de
prendre de la distance sur ses émotions et relativiser ses souffrances.

Salim et l'orthophoniste ont instauré un petit jeu humoristique sur son


caractère grognon. Pour désamorcer l'hostilité parfois présente chez Salim,
l'orthophoniste a décidé de créer un personnage amusant : « super râleur » et l'a
dessiné. Il a la forme d'un super héros avec une cape et un grand S sur le torse qui
signifie « super râleur ». Salim a fini par s'approprier ce personnage et a même
appris à le dessiner. Cela lui permet de mettre à distance ses émotions négatives et
de tempérer l'attitude d'opposition qu'il adopte comme moyen de défense. L'humour
désamorce son agressivité, l'orthophoniste arrive à se moquer gentiment de lui et à
faire tomber son armure de petit « caïd » sans le vexer. Salim, qui est pourtant
susceptible, rentre toujours dans cette complicité bienveillante instaurée par
l'orthophoniste.

1.1.3.4. Le respect des règles


Nous revenons ici sur l'importance d'instaurer un cadre au sein d'une
rééducation, de fixer des limites stables et claires qui vont à la fois rassurer le patient
et le contenir.
Salim teste souvent les limites des règles au sein du bureau, il provoque
l'orthophoniste pour voir jusqu'où il peut aller. Par exemple il va interrompre un
exercice en touchant à l'ordinateur, il va faire semblant de voler du matériel...Tous
ces petits rituels sont presque devenus un jeu. Il a besoin de se sentir contenu,
quand il sent que l'orthophoniste ne réagit plus à ses provocations il va plus loin mais
sans jamais dépasser les limites.
Le cadre établit pendant la séance est toujours le même et il est délimité, ce
qui rassure Salim et le contient. L'orthophoniste est certes souple, mais elle a
instauré un réel respect des règles qui se base notamment sur le respect de la
personne. Elle n'hésite pas à rappeler à Salim les limites : il n'a pas à faire à
quelqu'un ce qu'il ne voudrait pas qu'on lui fasse lui-même. C'est ainsi qu'elle lui
transmet d'une certaine manière la notion d'empathie. Cet argument n'est possible

69
Résultats

que grâce à la relation qui s'est établie entre eux car Salim estime et respecte son
orthophoniste.
Par ailleurs, il a un grand respect des règles des jeux et met un point d'honneur à ne
pas tricher. Lorsqu'il perd il le rappelle souvent :
« je ne suis pas un tricheur moi ».
Il accepte de perdre, cela révèle une maturité rarement présente chez les enfants
de son âge.

1.1.3.5. Les mécanismes de défense


L'utilisation de mécanismes de défense n'est pas un obstacle à la résilience,
comme nous l'avons souligné précédemment c'est souvent une étape avant que le
sujet puisse s'engager dans le processus de reconstruction. Pour Salim, la réalité est
dure à accepter et il est encore jeune, il a besoin de s'appuyer sur différents
mécanismes qui le rassurent. Il faudra cependant veiller à ce qu'ils ne s'instaurent
pas durablement.
Au début des séances, Salim a souvent une «carapace de petit dur», c'est le
personnage qu'il joue en permanence à l'extérieur : un petit homme qui porte une
veste en cuir et qui n'a peur de rien. Ses occupations ne sont pas toujours celles
d'enfants de son âge, par exemple, il confie qu'il erre dans la rue avec une bande de
copains et qu'il s'amuse à « faire crier les vieilles », c'est-à-dire, à agresser des
dames âgées.
Il aime montrer qu'il est attiré par tout ce qui est violent, ainsi lorsqu'on lit une
histoire avec lui, il va parfois la détourner vers un scénario violent ou ne s'intéresser
qu'aux détails négatifs de l'histoire. On ressent une excitation face aux détails qui
évoquent des choses sombres ou cruelles et une envie de détails sur les passages
violents.
Il présente par ailleurs une tolérance excessive à la douleur avec une
tendance à l'auto-mutilation. Plusieurs fois, il est arrivé en séance avec des griffes ou
des coupures sur le visage ou sur les mains. Dans ce cas, il prend un certain plaisir à
les toucher, en s'arrachant la peau ou en appuyant dessus. Cette résistance qu'il met
en avant lui donne l'impression qu'il est fort parce qu'il n'a pas peur d'affronter la
douleur. Cette attitude lui permet de se construire une carapace pour se protéger.
Salim vit dans un univers violent et c'est sa manière de s'y adapter, pour ne pas
s'écrouler.
70
Résultats

Nous remarquons qu'il vit des expériences qui le forcent à grandir trop vite. Il
nous confie un jour que la police est venue chez lui pendant la nuit pour embarquer
son frère qui ira par la suite en prison. Juste après cet incident, il sera lui-même
convoqué au commissariat pour avoir insulté le directeur de son école. Tous ces
événements l'empêchent d'avoir la vie classique d'un enfant de son âge et l'obligent
à se construire un personnage de petit homme qui le protège. Ayant cela à l'esprit,
nous comprenons mieux pourquoi Salim a une attirance envers des jeux qui sont
davantage adaptés à des plus petits que lui, il peut avoir un besoin de régression et
nous veillons à lui laisser cette liberté.
Salim se réfugie également dans la superstition. Il fait souvent des prières
avant de jouer, comme si son lancer de dès dépendait d'une puissance divine. Cela
traduit un autre mécanisme de défense mis en place face au manque de cohérence
de son environnement. Il va chercher à travers ses croyances une justification qu'il
ne trouve pas dans sa vie. Les violences de sa mère n'ont en effet pas de sens, il ne
doit pas comprendre pourquoi il en est victime. Le manque de dialogue dans sa
famille ne fait que renforcer son incompréhension et ne lui permet pas d'exprimer sa
colère et sa perplexité.

1.1.3.6. La confiance
Nous reprenons ici un axe essentiel de la relation thérapeutique. En effet, pour
qu'il y ait un travail constructif avec Salim, il a d'abord fallu instaurer un climat
rassurant, dans lequel il se sent en confiance. Nous avons dû pour cela lutter contre
sa défiance naturelle envers l'autorité et les adultes pour qu'il comprenne que le lieu
de la rééducation est un endroit où il n'est pas jugé et où il peut s'exprimer en toute
sécurité.
Salim a un comportement très complice avec son orthophoniste, qui est basé
sur la confiance et il nous met dans la confidence : il a avoué que sa mère le frappait.
Salim nous a appris que la police est venue chercher son frère dans la nuit pour
l'emmener en garde à vue parce qu'il avait volé le sac d'une femme. Lorsqu'il
s'apprête à nous révéler quelque chose, Salim nous met sous le sceau du secret en
nous faisant jurer de ne pas répéter ce que nous allons entendre. L'orthophoniste
doit à chaque fois rappeler que tout ce qui est dit dans le cabinet n'en est jamais sorti
et n'en sortira jamais, mais face à la nature des confidences, nous sommes obligées

71
Résultats

de lui préciser que si ce qu'il nous raconte le met en danger, nous serons dans
l'obligation d'en parler à d'autres personnes qui seront en mesure de l'aider.
Il a très peur que nous répétions ce qu'il nous dit à sa mère, il nous dit souvent:
«Sinon elle va me frapper»
Lors d'un exercice, il a écrit cette phrase: «Les mamans sont souvent plus
petites que les papas.» A peine a-t-il eu fini, qu'il nous fait jurer de rien dire à sa mère
car elle se vexerait. Il va jusqu'à refuser d'emporter son travail chez lui, de peur
qu'elle découvre la phrase. A ce moment, la crainte de Salim était palpable et lorsqu'il
prend conscience de la gravité de ses révélations, il se rétracte et nie sa confidence
car il sait qu'elle peut avoir des conséquences. En effet, comment un petit garçon de
huit ans peut supporter l'idée qu'en révélant ce qu'il se passe chez lui, une autorité
va en quelque sorte «punir» sa mère ou pire l'en séparer?
Cette relation de confiance va cependant s'avérer être à double tranchant. En
effet, lorsque Salim va nous confier se faire battre par sa mère, nous sommes face à
une situation délicate. Nous avons le devoir de signaler cet aveu au personnel du
centre qui s'occupe de lui et à l'école pour aviser l'intervention d'une assistante
sociale, mais nous devons veiller également à ce que Salim ne subisse pas de
représailles et faire accepter à la famille une intervention. En nous faisant cet aveu, il
s'est inconsciemment protégé, nous le percevons comme un appel à l'aide, mais cela
ne signifie pas qu'il soit prêt à accepter le fait qu'on le sépare de sa mère, elle reste
toute puissante à ses yeux. Par ailleurs, nous devons veiller à ce qu'il ne se sente
pas coupable car il peut par la suite vivre cette confidence comme une trahison vis-à-
vis de sa mère. Donc, il faut prendre en compte le paradoxe de cet aveu.
Parallèlement à ça, nous avons été convoqué à une réunion de son école
avec son institutrice, son directeur et la psychologue scolaire. Nous nous sommes
rendues sur place accompagnées de la psychiatre qui le suit au CMP. Lors de la
réunion nous découvrons un autre Salim, décrit par le directeur et l'institutrice : un
petit garçon extrêmement violent, qui menace ses camarades avec des ciseaux,
insulte le directeur, ne respecte rien en classe et fait tous les jours une crise de nerf
durant laquelle il est obligé de sortir de la classe pour se calmer. Lors des
débordements, Salim a besoin d'être contenu physiquement, il se débat très
violemment et pleure. Ces situations ont comme conséquence l'exclusion de Salim
qui ne peut pas venir à l'école si le directeur n'est pas là car son comportement est
jugé trop dangereux. L'institutrice et le directeur sont démunis face à cette situation.

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Résultats

On apprend que le comportement de Salim s'est détérioré depuis la rentrée des


vacances de Toussaint, à la suite d'un remplacement de l'institutrice qu'il n'a pas
supporté. Est-ce que cette absence a été vécue comme un abandon? Toujours est-il
que les relations entre Salim et le milieu scolaire se sont engagées dans un cercle
vicieux : il assimile l'école à la punition car il est fustigé dès son entrée en classe
comme l'élève à surveiller, ce qui le conditionne dans le rôle du mauvais élève. Il n'y
a plus aucune relation de confiance avec son institutrice et celle-ci semble exaspérée
par Salim qui visiblement la pousse à bout. Sa violence est à la fois verbale et
physique vis-à-vis du directeur et de l'institutrice, cela a abouti à une plainte déposée
par le directeur et une convocation des parents au commissariat.
Durant la réunion, nous sommes très étonnées de ce que nous entendons au
sujet de Salim qui, avec nous, est un petit garçon certes provocateur mais qui n'irait
jamais aussi loin et qui reste toujours dans le respect des règles.
Suite à cette réunion, nous discutons avec la psychiatre des rapports de Salim
avec nous et du fait qu'il a davantage tendance à se confier durant les séances
d'orthophonie. Nous décidons ensemble de l'urgence d'une rencontre entre le
docteur H, (psychiatre du CMP) Salim et ses parents pour aborder le sujet de la
maltraitance et pour éclaircir certains événements comme l'incarcération du grand
frère.
Après cette réunion, des mesures ont été prises : une AED (aide éducative à
domicile) va être mise en place face au signalement de maltraitance et la psychiatre
décide de convoquer Salim et ses parents.
Lors de l'entretien, Salim qui était censé être dans le bureau du directeur va
faire irruption dans la salle où nous étions. Il savait que nous étions là car nous
l'avions prévenu pour qu'il ne se sente pas trahi. Nous sentons à cet instant qu'il
vient surveiller quelque chose et qu'il sait que les enjeux de cette entrevue sont
graves.
A partir de ce moment-là, nos rapports avec lui vont considérablement
changer. La mère va considérer l'intervention de l'AED comme une mesure visant à
lui retirer la garde de son enfant. Lors d'une entrevue avec elle, elle nous reprochera
d'avoir « fait toute une histoire » alors qu'il ne s'agissait selon elle que d'une « simple
gifle ». Elle se justifie en disant :
« Ce jour-là j'ai craqué parce qu'une fois de plus on m'a appelée au travail pour me
convoquer au commissariat pour Salim »

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Résultats

« J'ai voulu le punir parce que cette fois-là c'était plus grave que les autres fois et je
n'en peux plus d'être appelée sur mon lieu de travail. Je risque de le perdre à cause
des bêtises de Salim ! ».
«Si vous voulez me prendre mon enfant, allez-y ! Moi je ne sais plus quoi faire, ça
me ferait des vacances. Je suis fatiguée, il faut me comprendre ».
L'animosité de la mère par rapport au CMP va se faire sentir à travers le
comportement de Salim en séance. Il se révélera très agressif à notre égard, cela se
traduira par une désinvolture, un refus de travailler, une négociation accrue à chaque
activité, une agitation exacerbée (il touche à tout, abîme le matériel, se lève, fait
autre chose pendant un exercice...) et des insultes. Nous prenons le parti de ne pas
entrer dans son jeu, même si visiblement il fait tout pour nous pousser à bout, car
une réponse agressive ne ferait qu'empirer les choses.

1.1.3.7. L'expression des sentiments


La communication est primordiale au sein d'une rééducation d'orthophonie, il
est essentiel que Salim apprenne à exprimer ses émotions pour se familiariser avec
le récit, qui est un outil de la résilience. Nous faisons le choix de ne pas censurer
l'expression de sentiments parfois très violents et d'accepter les projections de Salim.
Nous allons voir ainsi de quelle manière se manifeste le transfert au sein de cette
relation thérapeutique.
Nous choisissons de laisser Salim s'exprimer, pour qu'il nous fasse part de ce
qui le dérange. A plusieurs reprises nous allons lui demander ce qui le préoccupe,
ce à quoi il répond systématiquement :
« rien, c'est bon » .
Nous lui demandons si il veut nous parler de quelque chose mais il refuse. Il
refusera de s'exprimer directement mais le fera inconsciemment à travers les
activités que nous lui proposerons. Par exemple, nous lui demandons de trouver des
phrases qui commencent par « j'aime » ou « je déteste ». Il immédiatement dira : «
Je déteste madame L. » (qui est l'orthophoniste).
Il pensera être censuré, mais au contraire nous l'encourageons à écrire ce
qu'il veut. Il verbalisera sa colère sur le papier et écrire en toutes lettres qu'il déteste
son orthophoniste. Ensuite la consigne est d'écrire ce qu'il a fait la veille, à nouveau il
exprime son agressivité :
« Hier j'ai frappé madame L. ».
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Résultats

Verbaliser ses fantasmes l'aide à décharger son agressivité et cela va


également le déstabiliser car alors qu'il s'attend à être puni, nous l'encourageons. Au
fil des séances, le motif de sa rancœur va se préciser, et il finit par reprocher à
l'orthophoniste de l'avoir tapé :
« c'est toi qui m'as frappé ! ».
C'est intéressant de voir que Salim déplace ici la maltraitance de sa mère sur
l'orthophoniste. Il est en effet plus simple d'en vouloir à l'orthophoniste plutôt qu'à sa
mère. C'est une forme très marquée de transfert. C'est sa manière de dire à
l'orthophoniste qu'il lui en veut de l'avoir « trahi » en signalant les mauvais
traitements de sa mère.
Même si nous le laissons s'exprimer, nous sommes parfois dans l'obligation
de lui mettre des limites, car lorsqu'il voit que ses provocations ne nous atteignent
pas, il en essaye d'autres qui peuvent s'avérer dépasser le manque de respect.
Il n'est pas toujours évident de rester neutre devant ses agressions mais nous
savons que ce suivi lui est bénéfique et que c'est un soutien.
Ce n'est pas la première fois que Salim projette son agressivité en séance, il
lui est fréquemment arrivé de rejouer des scènes violentes voire morbides. Il est
intéressant d'observer que beaucoup de choses peuvent se jouer dans une simple
séance d'orthophonie et il est nécessaire de savoir prendre du recul face aux
projections du patient.

1.1.4. Le projet thérapeutique


Nous allons à présent voir comment continuer la rééducation orthophonique
avec Salim et avec quels objectifs. Il est impératif qu'il poursuive sa prise en charge
au CMP, à la fois en orthophonie, psychothérapie et psychomotricité. En effet, ce
soutien thérapeutique lui permet de s'exprimer et d'être épaulé face au climat parfois
délétère de son environnement familial. Sur le plan orthophonique, malgré beaucoup
de progrès aussi bien en langage écrit qu'en langage oral, il persiste un manque de
vocabulaire et des lacunes en grammaire. Salim doit d'abord réussir à se délester de
ses problèmes personnels avant de rentrer dans les apprentissages, c'est pourquoi
la prise en charge psychologique en parallèle est indispensable. Au vu des
bouleversements intrafamiliaux récents suite aux révélations de Salim, la prise en
charge est renouvelée pour un an minimum et se poursuivra sûrement au-delà. Nous
développerons les axes majeurs travaillés en orthophonie ci-après.
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Résultats

1.1.4.1. Regagner la confiance de Salim


Le fait de ne pas abandonner les rééducations permet de réinstaurer un climat
de confiance qui est indispensable pour mener à bien la relation thérapeutique.
Salim commence a être moins hostile, lorsque nous lisons un livre qu'il
apprécie : « Kirikou ». Malgré son attitude agressive, il participe et accepte de lire.
Après chaque séance, lorsque son père ou sa mère nous demandent comment s'est
passée la séance, nous répondons toujours de manière positive. Il est important de
ne pas rentrer dans la configuration du mauvais élève, notre but est de l'aider, il est
indispensable qu'il vienne en séance et nous devons être en mesure d'accepter sa
souffrance. Par ailleurs le fait de ne pas répondre agressivement à Salim et de ne
pas accorder trop d'importance à ses provocations, tout en les remarquant, va les
désamorcer. Quand il rentre dans une activité, nous retrouvons le lien tissé
auparavant, il n'hésite pas à poser des questions et redevient un petit garçon en
quête d'apprentissage.
La confiance va se réinstaurer au travers d'activités bien cadrées dans
lesquelles il peut s'investir sans se disperser. Nous veillons à enchaîner les exercices
pour maintenir une concentration souvent labile. Lors des jeux, les liens vont à
nouveau se tisser, notamment lorsque nous partageons des astuces de jeu avec lui.
Il va apprécier cette aide et la réinvestir. Nous sentons à ce moment qu'il réajuste
l'estime qu'il a de nous. Il va de moins en moins tester le lien et accepter les
exercices que nous lui proposons.
Depuis l'intervention de l'AED, il n'est plus dans la confidence et il semble
avoir tissé un lien réel avec cette personne.
Notre rôle va être d'accueillir les projections de Salim et sa colère sans
renoncer à lui offrir le soutien dont il a besoin. C'est grâce à la relation qui s'est
établie auparavant que nous allons réussir à désamorcer son agressivité et à
nouveau être dans une relation thérapeutique de confiance.

1.1.4.2. Se mettre à nouveau en projet


Lorsque la relation sera apaisée, il faudra poursuivre le travail mis en place
depuis plus d'un an sur le langage oral et écrit et entrer à nouveau dans les
apprentissages. Nous avons en effet constaté que tant que Salim est dans une

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Résultats

relation conflictuelle et préoccupé par ses problèmes familiaux, il est difficile pour lui
de se concentrer sur un travail donné. Il faut lui laisser le temps d'évacuer son
ressentiment et le recentrer dans une dynamique de travail qui lui permettra d'être à
nouveau en projet et d'accomplir des tâches. Nous veillerons à rester positives pour
conserver une spirale de réussite qui va consolider son estime de lui-même.

Salim a su prouver qu'il était capable de beaucoup de progrès, il sait


aujourd'hui écrire et lire quasiment comme un enfant de son âge alors qu'il n'avait
accès à aucun de ces codes à son arrivée au sein du CMP.
Il faudra encore perfectionner l'écriture qui est encore malhabile et travailler
l'orthographe qui reste une étape difficile pour lui. Précisons qu'au sein du système
familial, le français n'est pas la langue maternelle et que les parents de Salim ne
savent ni lire ni écrire le français. Il a donc dû fournir plus d'efforts que les autres
enfants et a vraiment tiré profit du système scolaire et des rééducations
orthophoniques.
Le travail de lecture lui permettra de fluidifier davantage son déchiffrage et
d'accéder un peu plus à la compréhension. Par ailleurs, cette activité exerce son
imaginaire autrement que sous forme de projections violentes et d'enrichir son
vocabulaire.
Salim doit aussi continuer à travailler sa concentration. Lors d'une séance
nous faisons souvent des pauses et changeons régulièrement d'activité pour ne pas
le lasser, mais nous insistons toujours pour qu'une tâche, même de courte durée, soit
menée jusqu'à son terme.
Par ailleurs, les séances doivent rester un lieu dans lequel il se sent en
sécurité et peut décharger ses émotions. Durant ces 45 minutes, il est important qu'il
se sente comme un petit garçon de son âge et qu'il fasse des activités ludiques.
Salim ne joue pas chez lui, il faut veiller à lui proposer des jeux qu'il apprécie et
durant lesquels on insiste sur le respect des règles et la communication.
Nous avons également comme projet d'encourager les parents de Salim à
reprendre l'inscription qu'il avait dans un club de football. La mère avait en effet
supprimé toute activité à l'extérieur de la maison pour le punir mais, comme nous
l'avons vu dans notre partie théorique, il est indispensable que cet enfant ait un
étayage extérieur et qu'il puisse tisser des liens avec une communauté dans laquelle
il pourra trouver d'autres tuteurs.

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Résultats

1.1.5. Conclusion
Le suivi de Salim a mis en évidence l'importance d'une prise en charge
globale pour encourager un processus de résilience . En effet, grâce aux réseaux
éducatifs et thérapeutiques et à leur collaboration nous avons pu agir face aux
difficultés du milieu familial de Salim et le soutenir, plaçant ainsi les professionnels
de santé et les enseignants dans une position de tuteurs de résilience.
Grâce aux séances d'orthophonie, nous avons observé comment il était
possible de favoriser la résilience de Salim, par des attitudes rassurantes et
empathiques. Notre rééducation ne s'est pas cantonnée pas à l'aspect technique de
l'orthophonie. La dimension humaine a permis à Salim de se sentir en confiance et
de gagner en assurance. C'est grâce à cela qu'il entrera efficacement dans les
apprentissages et trouvera chez les intervenants extérieurs une aide pour apprendre
à vivre au sein d'une situation familiale instable.

1.2. Marc et sa mère

1.2.1. Introduction
Après avoir observé et participé à une prise en charge individuelle, nous
avons souhaité intervenir au sein de groupes pour observer comment la relation
thérapeutique s'articule autour de différents professionnels. Cela nous a par ailleurs
permis de mettre en œuvre la collaboration interprofessionnelle que nous
préconisons dans notre partie théorique et de voir de quelle manière s'organise le
réseau des intervenants extérieurs.
Nous avons mis en place cette rééducation en collaboration avec madame C,
psychomotricienne d'un CMP. La psychomotricienne prenait en charge Marc et sa
mère pour favoriser les liens mère/bébé dans un contexte de déficience intellectuelle
de la mère. Nous avons jugé que le plan psychomoteur ne devait pas être le seul
investi et que la prise en charge pouvait également prendre en compte la
communication. Notre but a donc été de consolider un attachement parfois balbutiant
entre Marc et sa mère et permettre à la mère d'aller au-delà de ses difficultés pour
établir une relation de qualité avec son enfant en lui assurant un développement
harmonieux.

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Résultats

C'est ainsi que nous avons participé aux séances durant tout le mois de février
au CMP dans la salle de psychomotricité. Les séances se déroulaient tous les
vendredis matin de 10h30 à 12h.
Marc a 10 mois lorsque nous le rencontrons. Il a un grand frère de 12 ans qui
est déficient intellectuel et psychotique, également suivi dans un CMP et une grande
sœur de 8 ans.
La maman de Marc ne travaille pas et le père est peintre en bâtiment.
La mère est déficiente intellectuelle, ses enfants sont suivis dans des CMP et
elle participe également à des accueils de parents avec ses enfants au sein de PMI
et à différentes activités organisées au sein de ces structures. Elle bénéficie d'un
soutien important et est très demandeuse des aides que lui offre le réseau extérieur.

1.2.2. Anamnèse
Marc est adressé en psychomotricité pour un retard moteur. La
psychomotricienne a rempli l'échelle de développement psychomoteur de la première
enfance (le BLR: Brunet-Lézine Révisé).
Suite aux observations, il apparaît que Marc :
• n'a pas encore acquis le retournement du dos au ventre
• ne tient pas encore en position assise
• a encore des difficultés de préhension.
Les mouvements de déplacement du tronc et des membres inférieurs sont en
cours.
Il présente par ailleurs de bonnes potentialités :
• il possède une bonne poursuite visuelle
• il joue avec ses mains et sait saisir ses pieds
• il a une bonne extension des jambes couché sur le ventre
• il sait tenir sa tête
• il possède une excellente communication
• il réagit à son environnement sonore et visuel
• il vocalise et rit volontiers
On remarque que Marc n'a pas de retard moteur, cependant la
psychomotricienne relève des endormissements soudains et fréquents. En effet, ses
yeux se ferment et il s'endort instantanément comme s'il s'évanouissait.

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Résultats

Le motif de cette prise en charge est davantage une guidance parentale


qu'une rééducation motrice. En effet, la maman de Marc a besoin d'être rassurée
dans ses compétences de mère et est en demande de soutien extérieur pour l'aider
à s'occuper de son enfant.

1.2.3. Déroulement des séances


Nous allons maintenant mettre en évidence les axes majeurs de la
rééducation qui favorisent la résilience.

1.2.3.1. Le travail de réassurance


Un des axes majeurs de cette prise en charge, va être de rassurer la mère de
Marc quant à ses compétences. En effet, nous avons affaire à une maman qui se
remet beaucoup en question et qui a toujours besoin d'être rassurée dans ses choix,
cela ne favorise pas l'estime qu'elle peut avoir d'elle-même et peut se répercuter sur
les relations qu'elle a avec son enfant. Par ailleurs nous allons également apaiser les
angoisses qu'elle peut avoir vis-à-vis de Marc et qui sont parfois excessives.
Notre premier contact s'effectue dans la salle d'attente, elle ne sait pas
encore qui je suis. Ce jour-là il fait très froid et elle arrive avec Marc dans sa
poussette, emmitouflé sous des couvertures. Dès qu'elle finit de le débarrasser de
ses épaisseurs, elle me prend à partie et attire mon attention sur le fait qu'elle a bien
couvert son enfant:
«Dehors il fait froid, c'est pour ça que je lui ai mis tout ça»
Elle semble presque se justifier et demande mon approbation:
«C'est bien comme ça hein? Comme ça il a pas froid».
Cette première première entrevue est très révélatrice du manque de confiance
de la mère de Marc. Par la suite, je remarque qu'en séance, elle sollicite en
permanence notre avis sur ce qu'elle fait avec son fils, sur les activités qu'elle lui
propose ou sur les stimulations qu'elle lui apporte. Nous soulignons ses bonnes
initiatives en séance, cela l'aide à se sentir davantage sûre d'elle.
La mère de Marc a aussi besoin d'être rassurée quant aux angoisses qui
l'envahissent à propos de son enfant. Elle exprime souvent la peur que Marc fasse
une chute ou qu'il avale quelque chose de dangereux. Elle nous parle beaucoup des
précautions qu'elle prend chez elle et qui sont parfois excessives comme le fait de
mettre des coussins en-dessous de Marc lorsqu'il prend appui sur elle pour se mettre

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Résultats

debout ce qui ne semble pas nécessaire sachant qu'elle le soutient. Par ailleurs, un
jour où sa fille l'accompagne en séance parce qu'elle est malade, elle nous précise :
« Elle met sa main devant sa bouche quand elle parle à Marc, pour ne pas le
contaminer » .
Sont-ce de réelles peurs ou une volonté de montrer qu'elle prend soin de son
fils? Nous n'hésitons pas dans ces cas-à à la rassurer et à lui faire prendre
conscience que certaines situations sont sans danger pour Marc.

1.2.3.2. Révéler les potentialités de Marc


Le but des séances est également de faire prendre conscience à la mère de
Marc que son enfant possède de réelles capacités. Cela lui permettra d'avoir un
regard positif sur son fils et donc de lui renvoyer une image valorisante. Il est
important pour amorcer un processus de résilience, que cet enfant évolue dans un
environnement qui lui reflète une image positive.
Lorsque nous commençons nos observations, Marc a fait beaucoup de
progrès, il sait maintenant se retourner sur le ventre, tient sur ses avant-bras, arrive à
saisir des cubes et les taper l'un contre l'autre, amorce la marche arrière et peut avec
un appui pousser sur ses jambes pour se mettre debout. La psychomotricienne
montre à la maman que son fils a des compétences, par exemple, en donnant son
bras comme appui à Marc, elle lui révèle qu'il sait se mettre debout tout seul. Pour
que la mère ait bien conscience de cette nouvelle capacité, nous l'invitons à essayer
elle-même. Sa première réaction va être d'aider son fils à se mettre debout. Il est
donc important de lui montrer qu'il n'a besoin que d'un appui et qu'il sait faire le reste
tout seul. La psychomotricienne lui montre également que son fils va bientôt acquérir
la marche à quatre pattes, elle attire son attention sur ses mouvements de jambes
qui se mettent en place.
De notre côté, nous le mettons en situation de communication pour montrer à
sa mère qu'il réagit bien. Marc est très communicatif, il a un très bon contact visuel et
babille volontiers. Nous montrons à sa mère qu'il a une bonne permanence de l'objet
grâce au jeu du coucou/caché durant lequel Marc est très réactif. Nous éveillons
également son attention conjointe en l'attirant vers un jouet.
Le fait de révéler les compétences de Marc narcissise sa mère qui, à travers
les progrès de son enfant, se réaffirme dans son rôle.

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Résultats

1.2.3.3. Le travail de guidance parentale


Notre travail est de guider la mère en lui donnant des conseils. Toute la
difficulté sera de pas faire d'ingérence dans ses relations avec son enfant et de ne
pas s'ériger comme étant les seules à posséder des connaissances. Cela n'exclut
pas le fait que nous pouvons lui donner des conseils. Nous revenons ici sur
l'importance de l'horizontalité de la relation entre le thérapeute et son patient, nous
nous contentons de révéler les ressources qui existent déjà chez Marc et sa mère
sans imposer un modèle rigide. Cela demande une réelle collaboration entre
soignants et patient.
Lors des séances, nous stimulons Marc. Par exemple, la psychomotricienne le
met sur le ventre pour qu'il passe de lui-même sur le dos, elle travaille également la
motricité fine en lui donnant des cubes qu'il doit taper l'un contre l'autre, elle le fait se
lever tout seul... Pour le langage, nous lui chantons des chansons, nous lisons des
histoires simples, nous lui faisons sentir les vibrations de nos cordes vocales en
mettant sa main sur notre gorge...Nous jouons également souvent avec des jouets
sonores, ce que Marc apprécie beaucoup. Il aime aussi le jeu du coucou/caché avec
un objet ou avec une personne (nous ou sa mère). Nous donnons un sens aux
productions de Marc, en les mettant en mots comme par exemple dire « Tu es
content ? » lorsqu'il rit ou pousse un cri d'excitation.
Tout cela participe à l'élaboration d'un modèle pour sa mère qui est très
réceptive. Elle observe ce que nous faisons en séance et aime le répéter chez elle.
C'est un but essentiel de notre prise en charge, car cette maman a besoin d'être
épaulée et guidée. Toutes les prises en charge dont elle bénéficie (au CMP ou dans
les PMI et garderies) lui permettent de savoir ce qui est bien pour son enfant et lui
apprennent des éléments sur son développement. Les conseils que nous lui
donnons ont pour but de faciliter les interactions avec son enfant et de le stimuler ce
qui n'a pas été effectué spontanément par cette maman qui a des difficultés
cognitives et socio-économiques.
Cependant nous notons que la mère de Marc a tendance à réinvestir ce
qu'elle observe mais souvent d'une manière très scolaire, qui manque de naturel. Par
exemple, lors d'une séance, la sœur de Marc était présente car elle était malade et
ne pouvait aller à l'école. La psychomotricienne montre à la mère pendant la séance
quels appuis donner à Marc pour qu'il se mette debout tout seul. Elle a

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Résultats

immédiatement appelé sa fille pour qu'elle vienne observer les gestes en lui disant «
Viens voir comment il faut faire! »
Elle lui a ensuite demandé de s'exercer avec Marc.
Nous avons également été interpellées lorsque cette maman nous a dit :
« J'apprends à Marc à faire des bisous » .
On sent bien ici une volonté de bien faire en répétant ce qui a été vu en séance à la
maison. Il est important de conserver le naturel de la relation mère/enfant, d'autant
qu'on observe que cette maman délègue à sa fille certains conseils que nous lui
donnons.
On note par ailleurs une attitude de la mère un peu brusque parfois, par
exemple lorsqu'elle prend Marc pour le mettre dans sa poussette ou qu'elle le tient
dans ses bras. Le holding n'est pas très adapté, Marc semble davantage être saisi
comme un objet que comme un bébé. En effet, il n'est pas assez maintenu et on ne
sent pas une attention particulière de la part de la mère.
Cette attitude un peu fruste s'observe également dans les stimulations que la
mère apporte à son bébé. Elle va par exemple lui demander une dizaine de fois à
voix très forte:
« Il est où papa ? »
Marc est occupé à autre chose, mais elle ne semble pas s'apercevoir qu'il ne réagit
pas à ses sollicitations.
Lors de la présence de la sœur en séance, nous remarquons également qu'il y
a beaucoup de pics d'excitation au sein de cette famille. Les jeux de surprise ou de
course semblent autant ravir les enfants que la mère qui n'est pas là pour proposer
un retour au calme et tempérer cette excitation mais qui va au contraire la stimuler.
Cette attitude un peu enfantine de la mère à un rapport avec sa déficience
intellectuelle et peut entraîner une certaine confusion des rôles.

1.2.3.4. L'importance de l'environnement


Cette prise en charge nous prouve à quel point il est utile d'activer les réseaux
d'aide extérieure lorsqu'une famille a besoin d'être soutenue. Marc est suivi par de
nombreux professionnels. Tout est fait pour essayer de pallier les carences de son
milieu familial et il peut bénéficier des stimulations dont il a besoin grâce au soutien
des structures qui l'accueillent, lui et sa mère. Il n'est pas question d'être trop intrusif

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Résultats

au sein des relations familiales, mais d'apporter des conseils et de transmettre un


certain savoir.
Dans le cas de Marc, cette prise en charge est bénéfique car la maman est
très réceptive et volontaire. C'est un réel échange, qui est réinvesti par la mère et qui
améliore les interactions. Tout cela donne plus de chance à Marc pour son futur
développement.
Le fait d'avoir établi une collaboration avec la psychomotricienne a permis de
mener à bien une prise en charge multidisciplinaire qui étaye à la fois le
développement moteur de Marc mais aussi sa communication. Les autres prises en
charge vont permettre à Marc et sa mère de faire des activités encadrées et
stimulantes. Grâce à ce soutien extérieur, la mère de Marc a su trouver le moyen de
compenser certains déficits de son milieu en se tournant vers des réseaux
appropriés.

1.2.4. Conclusion
Cette prise en charge fut très enrichissante car elle nous a permis de travailler
sur les relations mère/bébé, mais aussi de mettre en œuvre une collaboration avec
un autre professionnel. Nous avons mis en place une guidance préventive pour aller
au devant d'éventuelles carences causées par la déficience de la mère. Nous
sommes ici au cœur de la thématique de la résilience avec cette idée qu'il est
possible de pallier un déficit, qui peut être comparé à un traumatisme, grâce à la
mise en valeur des ressources internes du sujet par un réseau de soignants et grâce
au soutien extérieur.

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Résultats

1.3. Le groupe Arthur et Julien

Ce groupe, composé initialement de trois enfants, s'est formé en septembre


2011, dans le cabinet libéral d'une orthophoniste, Mme T, et a eu lieu tous les jeudis
de 17h à 18h. De septembre 2011 a décembre 2011, une petite fille, Eléna, 9 ans,
porteuse d'un syndrome non étiqueté, participait également à ce groupe. A la fin de
l'année, elle a quitté le groupe et est partie vivre au Brésil, les données recueillies
n'étaient alors pas suffisantes pour l'inclure dans l'étude. Le groupe a continué avec
Arthur et Julien, les deux enfants présents dans notre étude.
La résilience étant un processus se construisant sur le long terme, nous avons
voulu étudier l'évolution d' Arthur et Julien, du bilan initial à ce qu'ils sont devenus
aujourd'hui.
Nous allons dans un premier temps présenter Arthur et Julien ainsi que leur «
vécu orthophonique » puis nous rapporterons nos observations en lien avec les
items de la « Resilience Scale » .

1.3.1. Arthur
Aujourd'hui âgé de bientôt 10 ans, Arthur est suivi en orthophonie depuis ses 3
ans. A cet âge, Arthur présentait un retard dans ses acquisitions : les
développements de la motricité fine, du graphisme et du langage en production
comme en réception étaient entravés par un trouble de la communication. Ce petit
garçon était jargonnant, écholalique et n'était capable que de peu d'interactions
visuelles avec l'interlocuteur . Il n'y a pas eu de diagnostic précis pour cet enfant
mais au vu des troubles qu'il présentait, la prise en charge s'est orientée vers une
rééducation portée sur les habiletés pragmatiques et communicationnelles.

1.3.1.1. Déroulement des séances avant la formation du groupe


Dès l'âge de 3 ans, la prise en charge orthophonique s'est déroulée de
manière à aider Arthur à investir le champ de la communication visuelle, gestuelle et
verbale au moyen d'interactions adaptées et d'activités structurées et structurantes.
Arthur était suivi deux fois par semaine au cabinet libéral et, il a très rapidement
investi cette rééducation. Les activités structurantes dont il a bénéficié en

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Résultats

rééducation ont permis d'imposer un cadre qui est ensuite devenu un repère régulier
propice à son développement.
Une relation duelle harmonieuse s'est instaurée au fil des séances entre
Arthur et son orthophoniste. Les exercices proposés ont permis de développer ses
capacités de communication tout en créant un lien nécessaire à son
épanouissement. Ainsi, les habiletés pragmatiques ont été travaillées en priorité
(l'orientation du regard et l'attention au visage, l'attention conjointe, le tour de rôle, les
jeux de faire-semblant, l'expression des émotions par les gestes, les mimiques et la
posture etc).
Arthur a ainsi pu vivre en séance des expériences différentes de celles vécues
à la maison ou à l'école et il a intégré ce lieu comme étant celui d'un espace
privilégié.
Les séances d'orthophonie ont continué à se dérouler à raison de deux
séances hebdomadaires dans le cadre d'une approche globale. Ainsi, Arthur n'a
cessé d'améliorer son contrôle moteur, ses enchaînements articulatoires et son geste
phonatoire. Sur le plan du langage, les séances lui ont permis d'enrichir son lexique
et de consolider l'utilisation de la syntaxe, tout en développant un geste graphique
encore immature. Un maintien en grande section de maternelle a été proposé puis
Arthur a continué une scolarité normale. Un pré-apprentissage de la lecture s'est mis
en place avec l'orthophoniste et le langage écrit a été abordé par le biais d'exercices
et de jeux sur les animaux, Arthur étant très intéressé par le monde animal. Les
aspects cognitifs du langage, principalement à travers sa composante pragmatique,
ont également fait l'objet d'un travail en rééducation. De plus, des exercices de
relaxation/respiration ont souvent été pratiqués afin de permettre à Arthur de prendre
conscience de lui-même et des capacités perceptivo-motrices.
Tout au long de la rééducation, le travail global effectué a permis de mettre en
avant ses compétences et lui permettant d'être valorisé et renforcé dans son estime
de lui-même Selon son orthophoniste, Mme T, « l'image de soi de l'enfant est liée au
regard que l'entourage va porter sur lui, un regard qui participe au développement et
au maintien de l'estime de soi ». Ainsi, le regard posé sur Arthur, empreint de
réassurance grâce aux progrès mis en évidence ont permis des changements
positifs. Ce cercle vertueux s'est également développé au sein de la sphère familiale
et de l'environnement scolaire puisqu'un regard professionnel positif sur Arthur a

86
Résultats

renforcé son image auprès de son entourage qui l'a encouragé et stimulé dans ses
apprentissages.

1.3.1.2. Contexte familial


Arthur a une sœur de deux ans sa cadette. Les parents d'Arthur ont
économisé pendant des années pour pouvoir s'acheter une maison en grande
banlieue. Tout était sur le point de se concrétiser mais l'annonce d'une tumeur
cérébrale chez le père d'Arthur a contraint la famille à rester en ville pour les soins.
Le décès est survenu un an et demi après l'annonce de la maladie. Les observations
rapportées ci-après ont donc démarré 3 mois avant le décès.

1.3.2. Julien
Julien est un garçon âgé de 9 ans et demi qui est suivi en orthophonie de
façon hebdomadaire depuis qu'il est en moyenne section de maternelle. A la suite
d'un accident de voiture, Julien, alors âgé de 6 ans, a été victime d'un traumatisme
crânien.
Julien est reçu en bilan orthophonique à l'âge de 4 ans et 8 mois à la
demande conjointe de son institutrice et de ses parents pour des difficultés
articulatoires. Sa mère rapportait que selon son institutrice, Julien avait un
comportement à l'intérieur de la classe en retrait. Elle notait à la maison une
préférence pour les jeux en solitaire plutôt qu'avec son frère de quatre ans son aîné;
Julien trouvait donc refuge dans un isolement qui lui permettait de développer son
imaginaire et des jeux symboliques, sans affronter les difficultés d'échanges avec le
monde qui l'entourait, basées sur le langage oral. Une perte auditive due à des otites
séreuses à répétition a été constatée, n'ayant à l'époque pas encore fait l'objet de
traitement. Hypermétrope, Julien porte également des lunettes. Le bilan de Julien
mettait en exergue des difficultés expressives liées à sa perception altérée du
langage oral : phonologie simplifiée, acquisitions morphosyntaxiques lentes et parfois
déviées qui pouvaient gêner son intelligibilité. Sa compréhension était de bonne
qualité, nettement améliorée par des suppléances qui attestaient de ses bonnes
capacités cognitives. Conscient de ses compétences mais aussi de ses difficultés,
Julien n'investissait pas le champ de la communication destinée à l'échange et au
partage d'informations.

87
Résultats

1.3.2.1. Déroulement des séances avant la formation du groupe


Dès l'âge de 5 ans, la prise en charge orthophonique a eu pour but, dans un
premier temps, d'aider Julien à affiner ses productions phonologiques et syntaxiques,
à mettre en place les suppléances nécessaires à une meilleure perception du monde
qui l'entourait et à renforcer son sentiment d'efficacité afin de valoriser ses
compétences communicatives. Un travail spécifique préparant à l'acquisition du
langage écrit a ainsi été mené en fin de grande section de maternelle, auquel Julien
avait adhéré avec plaisir et réussite. Cependant, l'entrée au CP a mis en évidence de
réelles difficultés en langage écrit, en lien avec le retard de parole et de langage
présenté dans la petite enfance. La rééducation orthophonique s'est alors poursuivie
avec comme axes :
– L'acquisition des gestes phonatoires en lien avec le signe graphique et le
phonème oral
– La consolidation des mécanismes d'« assemblage » en lecture et en écriture
– L'émergence puis le développement des mécanismes d'« adressage »
– L'approche du sens des mots, des phrases, des textes
L'utilisation des gestes Borel a été indispensable dans un premier temps puis
s'est transformée en un étayage dans son apprentissage de la langue écrite.
Parallèlement, Julien a été valorisé et encouragé afin qu'il retire du plaisir et
devienne acteur de ses apprentissages.

1.3.2.2. Contexte familial


Julien a un frère de quatre ans son aîné. Les parents de Julien sont divorcés.
Le père de Julien vit toujours sous le même toit que son ex-femme et souffre de
problèmes d'alcoolisme. Cette situation occasionne évidemment des troubles au sein
de la cellule familiale.

1.3.3. Observation des séances: Septembre 2011-mars 2012


En septembre 2011, l'orthophoniste décide de créer un groupe de rééducation
comprenant Eléna, Julien et Arthur. Eléna ne restera que 3 mois dans le groupe
avant de repartir vivre au Brésil.
L'orthophoniste se rend compte que les trois enfants sont d'origine portugaise.
S'engage alors jusqu'en décembre un travail sur un pays dont la langue officielle est

88
Résultats

le portugais (le Brésil) et où l'aspect global de la rééducation sera primé. A travers ce


support attrayant pour eux et en fonction des difficultés communes à ces trois
enfants, des activités concernant l'accès au lexique, la compréhension du langage
pour l'enrichissement du stock lexical et la capacité morpho-syntaxique et le langage
écrit s'effectuent. Fin décembre, Eléna repart au Brésil. Peu de temps après, le papa
d'Arthur décède.
Nous avons pu observer des éléments mettant en évidence les capacités de
résilience d'Arthur et Julien. Nous avons également fait passer 15 items de la «
Resilience scale » (RS) de Wagnild and Young (cf annexes 1 et 2) pour déterminer
les caractéristiques résilientes des personnalités de Julien et d'Arthur . Sur ces 15
items, 13 ont été retenus pour apparaître dans notre étude. En effet, les items «je ris
facilement des choses» et «en cas d'urgence je suis quelqu'un sur qui on peut
compter» ont donné lieu à des quiproquos et une incompréhension de certains
termes. Les 10 items restants n'ont pas été passés car ils ne nous ont pas semblé
adaptés et compréhensibles pour des enfants de 10 ans. Il s'agit des items suivants :
« je peux m'en sortir seul s'il le faut »
« je prends les choses comme elles viennent »
« je me sens capable de gérer plusieurs choses à la fois »
« je me demande rarement si tout ça sert vraiment à quelque chose »
« chaque chose en son temps »
« je suis auto-discipliné »
« je peux envisager les choses sous plusieurs angles »
« ma vie a du sens »
« je ne m'attarde pas sur des choses sur lesquels je ne peux rien faire »
« quand je suis dans une situation difficile, j'arrive à m'en sortir »

1.3.3.1. Savoir créer du lien


Entourés par l'orthophoniste, Arthur et Julien ont su progresser au niveau
relationnel, créer un lien entre eux et tisser une relation faite d'entraide et de
complicité. Il se définissent comme étant des « copains » et n'hésitent pas à partager
lorsqu'ils se retrouvent le déroulement de leur journée, leur intérêt commun pour
certains jeux etc. Chacun est au courant de la situation difficile vécue par l'autre et
essaie d'y apporter du réconfort. Ainsi, à l'item « je peux surmonter des épreuves
89
Résultats

difficiles car j'ai connu des choses difficiles », Arthur répond « moi oui. Mon père il
est resté avec nous 20 mois quand il était malade ; il est allé à l’hôpital 5 mois et il
est resté à la maison 15 mois. » Julien explique alors « et après il est mort. Il est
dans les anges. »
Les séances d'orthophonie sont un espace libre de parole où chacun exprime
spontanément des choses parfois bouleversantes. La mise en place de cet espace a
été possible car chacun a rencontré un écho à ce qu'il traversait et l'orthophoniste a
pu renvoyer des feed-backs à chacun, les considérant comme des individus agissant
sur le groupe. Ainsi des relations stables entre les enfants ont pu être construites et
l'apprentissage de la sociabilité renforcé.
L'échange suivant témoigne bien de la création de cet espace libre de parole,
fondateur de liens :
Alors qu'Eléna était encore présente dans le groupe et qu'elle suçotait une
croix qu'elle portait en pendentif autour du cou, Arthur lui lance :
« Arrête de manger ta croix, une croix c'est fait pour prier. Moi je prie tous les jours
parce que mon papa il a une maladie très grave. »
Julien : « ah ouais ton père il a un cancer. »
Arthur : « non c'est une tumeur, il a un truc très grave dans la tête qui peut pas se
guérir. »
Eléna : « moi je prie pour mes parents qui sont au Brésil. Ils étaient trop pauvres
pour me garder. »
Julien : « Et moi mes parents sont séparés mais mon père il veut pas partir. »
En dehors du cabinet de l'orthophoniste, Arthur et Julien ont établi des
relations harmonieuses avec d'autres enfants de leur âge. Ils ont tous les deux de
bonnes compétences communicatives et savent s'adapter selon le contexte et
l'interlocuteur. Julien rapporte avoir deux copains et me confie même un jour, avoir
invité une fille à jouer avec lui. Arthur en revanche a besoin d'être reassuré sur ses
capacités à être aimé et apprécié des autres.
Voici un autre échange :
Arthur : « Les autres enfants ne m'aiment pas. J'ai que un seul copain. Et le directeur
l'autre jour il est venu me parler. »
Orthophoniste : « Je ne pense pas que les enfants ne t'aiment pas. Mais parfois ils
peuvent être jaloux parce que le directeur, comme il connaissait bien ton papa, il est
gentil avec toi. Et les enfants sont peut-être jaloux parce que d'habitude quand le

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Résultats

directeur vient, c'est plutôt pour gronder les enfants que pour leur dire des choses
gentilles... Mais les autres enfants ne savent pas que ton papa est décédé, la
maîtresse ne leur a pas dit n'est ce pas ? (Arthur confirme) Mais il ne faut pas penser
que les autres enfants ne t'aiment pas, c'est pas vrai ,d'accord ? »
Les différents exercices formels et fonctionnels sont l'occasion pour Arthur
d'exprimer ses craintes et pour l'orthophoniste de les atténuer en renforçant sa
conviction d'être aimé.

1.3.3.2. Le sentiment d'efficacité personnelle et l'estime de soi


Le sentiment d'efficacité personnelle résulte de l'ensemble des compétences
acquises par le sujet au cours de ses expériences antérieures et grâce auxquelles il
peut réaliser et contrôler une tâche. Pour y arriver, il doit être capable de mobiliser
différentes ressources. Pendant et après la réalisation d'une tâche, le sujet s'auto-
évalue et vérifie que les résultats obtenus correspondent bien aux objectifs qu'il
s'était fixés. Il apprécie également la manière dont il a répondu aux attentes d'autrui.
Le sentiment d'efficacité personnelle dépend donc de l'appréciation et des jugements
d'un sujet sur ses propres aptitudes et compétences. Il est capital de comprendre
cette notion car elle influe sur les comportements, surtout ceux présents en cas de
d'échec. Le niveau de persévérance d'un individu sera moindre si son sentiment
d'efficacité personnelle est faible, a contrario un sentiment d'efficacité personnel fort
induira une personnalité combative et déterminée.
Au cours des différentes séances et à travers les exercices proposés, choisis
de manière à augmenter la difficulté graduellement, Arthur et Julien ont compris qu'ils
pouvaient accomplir des choses positives et ne pas rester cantonnés à l'échec vécu
en classe.
Cet échange corrobore cette idée :
« Est ce que vous avez appris à savoir que vous êtes forts ici, dans le cabinet
d'orthophonie? »
« Julien : oui, parce qu'on travaille bien. »
« Arthur : moi oui, ça c'est sûr. »
[...]
« Tout à l'heure, on a dit que vous étiez quand même des garçons très forts. On est
d'accord avec ça. Et ça, le fait de savoir que vous êtes très forts, est-ce que ça vous

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Résultats

aide? Est-ce que la confiance en vous, ça vous aide pour surmonter les épreuves
difficiles? »
Julien : « bah oui, ça donne du courage »
Arthur : « ah ça oui. »
Ils ont également appris à s'auto-réguler et à contrôler les résultats qu'ils
obtenaient pour mieux juger de leur efficacité. Le renforcement positif a permis de
consolider leur estime de soi et de leur apprendre la persévérance face aux
difficultés. Le transfert au niveau scolaire a ainsi pu se faire plus facilement. Ainsi, à
l'item « Je suis fière de ce que je fais », voici leurs réponses :
Julien : « oui, parce que par exemple quand j'ai un contrôle et que j'ai 20 sur 20, je
suis fier. »
Arthur : « oui moi aussi j'étais très fier quand j'ai eu un très bien à la poésie. J'ai
travaillé toute la journée et j'étais fier de moi. »
De même, les deux garçons ont répondu positivement aux items « j'ai de
l'admiration pour ce que je suis. » et « je suis assez fort pour faire ce que j'ai à faire.
»

1.3.3.3. La persévérance
La persévérance découle de l'estime de soi et du sentiment d'efficacité
personnelle mais elle concerne également le sentiment d'être impliqué et l'auto-
discipline.
Arthur et Julien ont répondu positivement aux items « je me débrouille
toujours d'une manière ou d'une autre pour réussir les choses » et « je suis
déterminé. »

A l'item : « quand je fais des projets, je m'y tiens / quand je décide de faire quelque
chose, je vais jusqu'au bout des choses », les garçons ont répondu :
Julien : « ah oui! Parce que moi par exemple, dès que je lis un livre je lis tout le livre,
je le finis jusqu'au bout. »
Arthur : « moi aussi! Complètement d'accord. »
Examinateur : « ou par exemple décider d'avoir une super note à l'école...ou … »
Arthur : « ah oui, ça j'aimerais bien mais pour ça, il faut apprendre, apprendre... »

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Résultats

A l'item : « je m'oblige parfois à faire des choses même si je n'en ai pas envie », leurs
réponses sont :
Julien : « ah oui! Parce que pour aller à l'école le matin, eh ben j'ai pas envie de le
faire mais je suis obligé. Parce que c'est tôt 8h... »
Arthur : « moi je me lève à 7h30. »
Julien : « moi aussi, parce que je dois aller chez ma mémé et c'est ma mémé qui
m'emmène. »
Arthur : « toi t'es pire que moi alors. Moi je me prépare et je vais directement à
l'école. C'est toujours moi qui arrive le premier. »
Examinateur : « et même si vous n'avez pas envie de vous lever vous le faites quand
même. »
Julien : « c'est obligé. Oui mais parce que le matin il fait froid, et nous, on est bien
sous la couverture. »

Julien et Arthur comprennent tous les deux l'importance d'accepter les


contraintes et de les surmonter, dans une perspective de vie équilibrée. La
persévérance s'observe ici dans les exemples donnés par les deux garçons ( finir un
livre, avoir une bonne note à l'école...) et les moyens qu'ils y mettent pour y parvenir (
lire, apprendre...).

1.3.3.4. L'équanimité
On parle d'équanimité dans le cas d'une perspective équilibrée de sa propre
vie et de ses expériences. C'est la capacité à considérer une plus large gamme
d'expériences, de relativiser, de prendre les choses comme elles viennent et donc de
modérer les réponses extrêmes face à l'adversité.
Julien et Arthur sont capables de considérer ce qu'ils ont vécu avec du recul,
ce qui leur permet d'apprécier dans une perspective plus large les événements
auxquels ils ont été confrontés. Par exemple, Arthur nous dit un jour « Catherine (son
orthophoniste), elle avait raison de me faire redoubler pour mieux travailler après.
Parce que c'est Catherine qui a dit à maman « il faut qu'Arthur redouble, il [en] a
besoin... ». Alors j'ai redoublé et maintenant je sais mieux. »
Julien nous dit ensuite que lui aussi a redoublé. Nous leur demandons si ça
les a aidé, et Julien nous répond « oui, mais c'est la vie. » Arthur renchérit alors «
c'est la vie, c'est comme ça. »
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Résultats

A l'item : « ce n'est pas grave si certaines personnes ne m'aiment pas », les garçons
ont répondu :
Julien : « bof, parce que moi, j'ai aucune personne qui ne m'aime pas parce que moi
je suis sportif, je joue avec eux quand ils me demandent... »
Examinateur : « oui mais parfois, certaines personnes n'en apprécient pas d'autres,
ça arrive... »
Julien : « mais c'est pas grave si y a des personnes qui nous aiment pas, parce que
c'est leur choix, on peut pas toujours aimer. »

1.3.3.5. Les ressources et l'équilibre


Les ressources personnelles et l'équilibre environnemental sont des éléments
importants du processus de résilience. Julien et Arthur font tous deux preuve
d'ouverture d'esprit et de curiosité intellectuelle. Ils sont tous les deux entourés par
des mamans présentes et attentionnées qui assurent un environnement aussi stable
que possible, malgré les épreuves familiales traversées.
Aux items « je m'intéresse aux choses », et « m’intéresser à ce qui m'entoure est
important pour moi », Julien répond : « carrément d'accord. Moi ça m’intéresse de
lire, des trucs dans le genre...Et je m'intéresse plus aux personnes qu'aux choses. »
et Arthur : « oui moi aussi ».

A l'item : « je compte avant tout sur moi même plus que sur n'importe qui d'autre»,
Julien répond : « moi mon père, il est tout le temps soûl alors je compte plus sur ma
mère « de » le virer. Parce qu'ils sont déjà divorcés, mais il reste. »

A l'item : « je peux surmonter des épreuves difficiles parce que j'ai vécu des choses
difficiles », voici la réponse de Julien :
Julien : «oui, parce que j'ai « souffri » aussi. Parce que je souffre encore, parce que
y'a encore papa à la maison [...] Moi ça va mais c'est encore difficile, parce qu'il ne
veut pas partir. »

Les deux enfants donnent du sens à leur récit et par là même maîtrisent la
douleur liée à la perte et aux circonstances compliquées. L'environnement proche qui
les entoure ( mère , école, orthophoniste...) les soutient dans leurs apprentissages
tout en leur fournissant un espace libre de parole où ils peuvent s'exprimer. En lien
avec les différents intervenants, Arthur et Julien mettent en place des ressources

94
Résultats

personnelles et environnementales qui leur permettent d'avoir une vie la plus


équilibrée possible.

1.3.4. Conclusion
Nous retrouvons, dans les réponses apportées à la «Resilience Scale» ainsi
que dans nos observations, des personnalités que nous pourrions qualifier de
résilientes. En effet, malgré les situations difficiles vécues par les deux enfants, ils
font preuve de compétences sociales, de persévérance, ont de l'estime pour eux-
mêmes et ont des ressources personnelles et familiales satisfaisantes. C'est autant
d'indices expliquant leurs capacités à réussir et à se développer positivement.

95
Résultats

1.4. GROUPE MAMAN/ENFANT«L'envol»

1.4.1. Présentation du groupe


Le groupe «L'envol» a lieu une fois tous les quinze jours dans les locaux d'un
Centre Médico-Psychologique. Il dure une heure. Les intervenants se réunissent
immédiatement après, pendant quarante-cinq minutes, afin d'effectuer une synthèse
clinique. Les professionnels qui y interviennent sont au nombre de trois : une
orthophoniste et deux psychologues. Ils sont assistés par une stagiaire orthophoniste
et une stagiaire psychologue.
Le groupe est composé de trois enfants avec leur maman respective.
La salle accueillant le groupe comprend:
– un espace avec un tapis de sol et des jeux divers ( personnages, animaux,
cubes, livres etc)
– un espace avec des chaises disposées autour d'une table
– une grande table derrière les chaises
Les mères comme les enfants ont libre choix de s'installer et de se déplacer à
leur guise dans la salle.
L'indication du groupe est donnée après une consultation élargie comprenant
plusieurs professionnels : psychologue, psychiatre, orthophoniste, psychomotricien...
Nous avons participé à ce groupe trois fois : l'étayage de la relation mère/enfant et
l'étayage de l'enfant lui-même en sont les principaux objectifs.

1.4.2. Les enfants du groupe


Le groupe accueille trois enfants qui ont tous entre trois et quatre ans : Cyril,
Yann et Eliott, accompagnés de leur mère respective. Yann et Elliott sont scolarisés
en maternelle et Cyril va deux fois par semaine dans une garderie. Ces trois enfants
présentent un tableau de troubles envahissant du développement. Les difficultés
relationnelles qui en découlent sont la cause de leur présence dans le groupe.
La première fois que nous assistons au groupe, Elliott est absent. La
deuxième fois, c'est Yann qui est absent, sa mère nous ayant fait part de ses
difficultés à l'accompagner au groupe la fois précédente. La troisième fois, tous les
enfants sont présents.

96
Résultats

1.4.3. Le rôle des professionnels au sein du groupe afin de faciliter


l'attachement
L'attachement étant un des prémices à la résilience, nous allons voir comment
aider à la consolidation de ce processus auprès de mères d'enfants atteints de
pathologie entravant la relation.

1.4.3.1. La modification des représentations qu'ont les mères de leur


enfant
Les mères présentes dans le groupe, du fait des difficultés de leur enfant, ont
du mal à comprendre et à percevoir où se situe leur enfant en terme de progrès et
d'apprentissage. Ainsi, la mère de Cyril nous explique que son enfant ne fait pas «
comme les autres », c'est-à-dire comme les enfants de la garderie dans laquelle Cyril
est présent deux fois par semaine. Elle dit : « quand je vais le chercher, il est à part,
il ne chante pas les comptines. » Ce constat la renvoie à son propre échec de ne pas
avoir fait un enfant « comme les autres » et l'empêche de fournir à Cyril des
stimulations adaptées à son niveau lors des interactions.
Il est un moment où l'enfant est en deçà du niveau où on l'attend et où la mère
n'arrive pas à s'adapter et à revoir ses exigences à la baisse vis à vis de l'enfant. Les
réponses et stimulations fournies à l'enfant ne sont alors plus adéquates et tout
progrès n'est plus vécu comme tel puisqu'il n'est pas conforme aux attentes de la
mère. L'objectif est donc de révéler les potentialités de l'enfant et d'aider la mère à
les percevoir pour qu'elle puisse s'y ajuster. Il s'agit de renouer avec la surprise,
d'avoir des attentes positives et de s'inscrire dans une dynamique de progrès et
d'espoir.
A un moment donné, Cyril et Yann se dirigent vers la grande table où sont
disposés des feuilles et des crayons. Spontanément, la mère de Yann dit « le dessin,
ce n'est pas sa tasse de thé. Ça ne va pas marcher.» La mère de Cyril la rejoint sur
ce point. Or, finalement, les deux enfants, entourés et encouragés par les
professionnels, maintiennent cette activité graphique. Les mères sont témoins des
progrès de leur enfant de manière concrète. Elles voient qu'ils peuvent réaliser des
choses devant elles et avec elles. Cela entraîne la modification des représentations
qu'elles ont de leur enfant afin de les percevoir comme des êtres en développement,
avec leurs difficultés mais surtout avec leurs émergences et leurs capacités.
L'adaptation au niveau de l'enfant par la mère se fait aussi par imitation des
professionnels. Par exemple, lorsqu'une mère voit l'orthophoniste faire une tour de
97
Résultats

cubes avec son enfant, elle l'entend également verbaliser la couleur des cubes, les
actions effectuées pour mettre en place cette tour, les jeux de tour de rôle pouvant
être mis en place dans ce cadre etc. Ainsi, on montre aux parents que leur enfant,
soumis à des stimulations adaptées, peut réussir des choses et qu'un autre regard
est possible.

1.4.3.2. Encourager toute forme de communication


Cyril tient toujours à la main un journal qu'il aime feuilleter. Sa mère trouve cet
objet intrusif et l'enlève souvent brutalement, ce qui occasionne une angoisse chez
Cyril qui se met à pleurer. Les professionnels montrent alors que le journal peut être
un médiateur entre la mère et son enfant, qu'il contient beaucoup d'images et que
l'on peut pointer les images, parler dessus, faire des associations d'images ou
d'objets avec, utiliser la gestuelle etc et donc communiquer. Ainsi, la mère est
encouragée à cesser de voir cet objet comme négatif car indicateur de son intérêt
restreint et pathologique pour une chose unique mais de s'en servir pour entrer en
interaction avec son enfant.
De même la mère de Yann nous dit : « j'ai l'impression qu'il ne comprend pas,
c'est pour ça que je ne lui parle pas. ». Il est alors important d'expliquer
qu'accompagner les actes avec les mots pour justement soutenir cette
compréhension et apporter du sens à ce que vit l'enfant.
De même, Cyril vocalise beaucoup et l'orthophoniste réagit à ses vocalises en
les interprétant et en leur donnant à la fois une forme et un sens
Tout ce qui facilite les interactions (mimiques, échange de regards, sourires et
vocalises, tours de rôle, attention conjointe, pointages...) est encouragé et les
progrès observés sont verbalisés auprès des mères, afin de réhabiliter une
communication maman/enfant optimale. Les activités sont simples et ludiques
comme des jeux de coucou/caché, des comptines connues, des tours de rôle avec
une balle, des dessins, pour qu'elles soient spontanément reproductibles à la maison
par les parents. On renvoie ainsi l'image que tout est support à activités et à
interactions et que même des choses basiques peuvent se révéler être sujets
d'échanges et de communication avec leur enfant.

98
Résultats

1.4.3.3. Restaurer la parentalité


Les enfants présents dans ce groupe ont des troubles de la communication
tels que la relation mère/enfant en est perturbée. Savoir valoriser ce que fait le
parent pour lui restituer un sentiment de compétence est primordial car l'enfant ne lui
renvoie justement pas ce sentiment.
Les mères sont encouragées à jouer avec leur enfant et, lorsque c'est le cas,
les professionnels gratifient ces initiatives par des réflexions sur les progrès aperçus
lors du jeu, par des interprétations positives sur leur manière de jouer etc.
Alors que la mère de Cyril parlait avec un des psychologues, Cyril s'agitait
partout et ne maintenait aucune activité plus d'une minute. Puis, Cyril est venu
chercher sa mère en la tirant par la main. Elle l'a conduit sur le tapis de jeu et
ensemble, ils ont alors construit une tour. Elle lui tendait les legos, qu'il prenait un par
un pour construire la tour. Ce jeu a été l'occasion de montrer à la maman qu'elle a
trouvé le moyen d'entrer en interaction et de faire quelque chose avec son enfant et
qu'elle a également réussi à orienter son attention pendant une durée longue.
Rassuré par la présence de sa mère, nous avons ensuite pu intervenir et instaurer
un tour de rôle « un lego mis par toi/un lego mis par moi ». Cela a bien sûr été
verbalisé auprès de la maman à qui l'on a expliqué l'importance de ce jeu et des
progrès de Cyril: respect du tour de rôle, attention conjointe, attention soutenue,
regard très présent, appréhension du sens de l'équilibre etc.
Le fait de verbaliser les progrès et l'évolution des enfants d'une séance à
l'autre permet également de restaurer le parent dans son sentiment de compétence
envers son enfant. En effet, c'est le parent qui passe la majeure partie du temps avec
son enfant et les regards professionnels objectivent tous les quinze jours les progrès
réalisés. Les différentes réussites des enfants ainsi que les signes d'amélioration de
la qualité de la relation mère/enfant sont pointés.
Les premières fois où Yann a assisté au groupe, il se jetait parfois sur sa mère
pour la taper. Celle-ci n'opposait qu'une mince résistance et n'enjoignait pas par la
parole son fils à s'arrêter. Petit à petit, la mère de Yann a appris à répondre à
l'agressivité de son fils, d'abord en anticipant avec ses gestes les mouvements de
son fils puis en exprimant verbalement un refus. Les professionnels ont parlé de ces
changements de comportement et de l'harmonisation de la relation mère/enfant qui
en a résulté.

99
Résultats

Au fil du temps, Cyril accroche plus le regard des adultes et s’intéresse


davantage à ce qui se passe lors du groupe. Comme les activités sont reprises d'une
séance à l'autre, la mère peut plus facilement se rendre compte des progrès de son
fils, progrès verbalisés par les différents professionnels.

1.4.4. Conclusion
Ces différents éléments que sont la modification des représentations qu'ont les
mères de leur enfant, la restauration de la parentalité et l'encouragement des
différentes formes de communication ont pour but de favoriser un attachement dit
«sécure» et de réhabiliter un lien mère/enfant entravé par la pathologie.
L'orthophoniste a son rôle dans la facilitation des processus d'attachement et à ce
titre, dans le processus de résilience.

100
Résultats

2. Conclusion des cas cliniques

Ces différentes expériences d'intervention nous ont montré qu'il était possible
en tant que soignant de se servir de notre position privilégiée pour favoriser le
processus de reconstruction et ainsi devenir tuteur de résilience. Nous nous
inscrivons dans une relation d'aide et nous devons être capable de reconnaître les
prémices de la résilience chez certains patients et d'insister sur les situations qui vont
favoriser sa mise en place. Car, comme nous l'avons souligné précédemment, la
résilience n'est pas à considérer comme un processus naturel, elle découle d'une
interaction entre les ressources internes et le soutien de l'environnement. Par
ailleurs, que se soit en groupe ou en individuel, nous avons fait l'expérience du
caractère indispensable d'une prise en charge globale et d'une collaboration
interprofessionnelles. Nous avons ainsi essayé de contribuer au maillage complexe
de la résilience : en révélant les facteurs interpersonnels des patients, en agissant
sur les facteurs familiaux (grâce à notre travail auprès des familles) et en contribuant
à développer les facteurs environnementaux (grâce au travail de collaboration au
sein des CMP).

101
Discussion

Discussion

102
Discussion

1. Rappel des hypothèses de départ

Nos hypothèses de départ étaient les suivantes:

1- L'attachement étant un des prémices à la construction d'un processus de


résilience, la rééducation de l'orthophoniste, en intervenant pour faciliter les
interactions parents/enfant est un des facteurs permettant que ce préalable qu'est
l'attachement soit mis en place.

2- L'orthophoniste participe à la mise en place d' éléments favorisant la résilience par


le développement de ressources personnelles chez son patient, comme l'estime de
soi et l'autonomie, afin de contribuer à la création de lien et à l'adaptation sociale.

3- La rééducation orthophonique étant axée sur le langage, l'orthophoniste permet à


l'enfant d'avoir une communication la plus optimale possible et par ce biais favoriser
le lien avec d'autres personnes et donc trouver des tuteurs de résilience.

4- A travers les différentes activités proposées à l'enfant en séance, basées sur les
versants formels ou fonctionnels, l'orthophoniste est amené à établir une relation
thérapeutique fondée sur l'empathie et la confiance réciproque. Cette relation amène
l'enfant à s'étayer sur l'orthophoniste devenu tuteur de résilience.

2. Critique méthodologique

2.1. Les limites de notre méthode

Il faut noter tout d'abord que la résilience s'observe davantage sur une étude
longitudinale. Nous n'avons observé nos patients que sur une période de sept mois,
ce qui ne nous permet pas d'affirmer qu'ils sont résilients. En effet, comme nous
l'avons vu dans notre partie théorique, la résilience est un processus complexe qui
se développe au travers d'un maillage entre différentes ressources, tout au long de la
vie. Ainsi, il aurait fallu prolonger nos observations sur plusieurs années et voir le
devenir à l'âge adulte de nos patients. D'autant que la résilience n'est jamais acquise
définitivement, il peut y avoir des arrêts, des nouveaux départs, des rechutes.

103
Discussion

Cependant, face aux limites de notre méthode de travail, nous avons choisi de nous
centrer davantage sur le caractère résilient de nos patients que sur l'affirmation d'une
résilience future. Il convient donc de comprendre nos résultats comme la mise en
évidence de traits et comportements résilients qui peuvent être favorisés par notre
comportement en tant que tuteur de résilience.
Précisons que ce n'est pas parce que nous ne pouvons prédire la résilience
chez nos sujets qu'ils ne peuvent pas à un moment de leur vie adopter un
comportement résilient.
Nous pouvons également critiquer le caractère non quantifiable de notre
étude. En effet, nous n'avons pas eu recours à des outils de mesure normés et
standardisés. La Resilience Scale que nous avons utilisée pour Arthur et Julien n'est
pas validée et est normalement conçue pour des adolescents. Nous sommes donc
davantage dans une démarche qualitative, ce à quoi sont soumises la plupart des
études sur la résilience. Cependant, notre bagage théorique et nos références aux
outils de mesure sur la résilience nous ont quand même permis de ne pas nous
fonder uniquement sur des observations subjectives et d'avoir une ligne directrice.
Cela soulève le problème de la mesure de la résilience, quels en sont les
critères ? Devons-nous nous appuyer sur la réussite sociale, la qualité de vie, les
compétences personnelles ou l'intégration sociale et familiale ? Ces questions sont
actuelles dans les recherches sur la résilience, le concept est encore récent ce qui
explique que certaines notions soient encore floues. A la suite de notre étude, nous
pouvons affirmer qu'il ne serait pas juste de se référer à un critère unique et qu'il est
indispensable d'observer l'individu à la fois au travers de ses ressources
personnelles, mais aussi sociales et familiales. Nous pouvons noter à cet effet que
les mesures de la résilience se fondent encore trop sur les ressources personnelles
et ne prennent pas assez en compte l'individu dans son entourage social et familial.
Il est également important de stipuler les écueils pragmatiques auxquels nous
nous sommes trouvées confrontées. Ainsi, les séances de groupe ont tardé à se
mettre en place (seulement à partir du mois de février) et ont subi de nombreux
remaniements. Nous avons dû faire face à des reports de dates, puis à l'annulation
du groupe initial dans lequel nous étions censées intervenir. Par ailleurs, une fois les
groupes mis en place, il a fallu s'adapter aux absences de certains patients. Cela a
notamment participé à réduire le nombre de séances et nous a donc contraintes à
constituer nos observations uniquement sur quatre séances pour certains groupes

104
Discussion

(comme pour celui de Marc et sa mère par exemple). Par ailleurs notre volume
horaire et nos obligations de présence sur d'autres lieux de stage nous rendaient
souvent l'accès difficile aux réunions de synthèse du CMP ou aux réunions au sein
des écoles.

Notre position de stagiaire nous a aussi parfois desservies lors de nos


expériences cliniques, surtout en ce qui concerne les suivis individuels. En effet, il a
été difficile de s'immiscer au sein d'une relation déjà installée entre l'orthophoniste et
son patient et de réussir à établir une relation de confiance avec le sujet. Nous étions
dans un premier temps dans une position d'observateur avec la crainte de perturber
la relation thérapeutique. Ces enfants sont particulièrement sensibles et n'accordent
pas facilement leur confiance, il a donc fallu leur laisser du temps à s'habituer à notre
présence et pour tolérer notre participation lors des séances. Cela fut par ailleurs très
formateur car c'est ce qui nous a permis d'apprendre à instaurer un climat de
sécurité et d'avoir suffisamment d'empathie pour sentir à quel moment le patient était
prêt à entrer en relation avec nous.
Nous avons dû gagner la confiance des patients à la fois grâce à une
neutralité bienveillante et au secret professionnel mais aussi grâce à nos
compétences professionnelles. En effet, le statut de stagiaire a eu tendance à nous
décrédibiliser aux yeux des patients et comme nous l'avons vu dans notre partie
théorique, le crédit que le patient nous accorde se développe aussi grâce à la
confiance du patient dans le savoir du professionnel.

Notre dernier point critique concerne la représentativité de notre étude. En


effet, même si nos observations ne se cantonnent pas à une seule étude de cas,
nous n'avons pas pu intervenir sur un nombre suffisamment important de patients
pour étendre nos résultats à toute une partie de la population. Cependant, nous
avons veillé à sélectionner des patients représentatifs de milieux différents. En effet ,
Julien et Arthur viennent de milieux favorisés, alors que Salim et Marc viennent de
milieux précaires.
Au sein d'un même milieu, nous avons également relevé des disparités : ainsi
la mère de Marc est très présente et volontaire alors que l'entourage de Salim est
plutôt hostile, à la fois face aux institutions et envers Salim. Il n'y a que dans cette
situation précise où nous avons craint une interruption du suivi : suite au signalement

105
Discussion

de maltraitance du CMP Salim n'est effectivement pas venu pendant deux semaines.
Dans les autres cas toutefois nous notons que les patients étaient assidus et bien
entourés.

2.2. L'outil de mesure de la résilience utilisé : la Resilience


Scale

Les différentes échelles de mesure de la résilience permettent de mettre en


avant certaines particularités des personnes résilientes. Ainsi, on constate
l'importance d'un certain contrôle des émotions, d'une routine de vie équilibrée mais
également la prégnance d'un esprit positif (humeur joyeuse, optimisme etc) et d'une
bonne adaptation sociale.
Nous avons fait le choix de faire passer à Arthur et Julien la Resilience Scale
de Wagnild et Young. En effet, cette échelle nous a paru prendre en compte assez
d'éléments pertinents permettant de faire émerger ou non des caractéristiques
résilientes chez ces enfants. En revanche, plusieurs questions quant à ce choix
méthodologique peuvent être soulevées.
Tout d'abord, la littérature insiste sur l'importance de l'environnement familial
et social dans le processus de résilience. Ainsi, la cohésion familiale, scolaire, les
ressources sociales engagées auprès de l'enfant sont autant d'éléments favorisant
ce processus et devant être considérés pour pouvoir réellement apprécier le facteur
résilient. Or, il n'y a aucun item mettant en avant cette problématique dans la
Resilience Scale de Wagnild et Young.
De plus, cette échelle était initialement en anglais et prévue pour des
adolescents. Nous l'avons transcrite en français (annexe 2) et, au vu de la traduction
effectuée, nous n'avons pu faire passer à Arthur et Julien seulement 15 items sur les
25 prévus au départ. En effet, certains items nécessitaient un certain recul et des
capacités d'introspection que des enfants de dix ans ne possèdent pas. Nous ne
pouvons donc pas affirmer pleinement leurs capacités de résilience mais seulement
mettre en avant les éléments présents dans leurs réponses qui favorisent ces
capacités.
Enfin, nous pouvons nous poser la question de la pertinence de la mesure de
la résilience en elle-même. En effet, l'idée de développer un outil de mesure de

106
Discussion

résilience en tenant compte uniquement des propos des enfants pose la question de
la crédibilité et de l'objectivité des réponses. Pour avoir une vision des choses la plus
large possible, il aurait fallu croiser les points de vue avec l'entourage des enfants, à
savoir leur famille et les personnes présentes dans leur environnement scolaire. De
plus, cette échelle contient les éléments descriptifs de la résilience comme
l'optimisme, l'adaptation sociale, l'humour etc mais les mécanismes et le
fonctionnement psychique des patients n’apparaissent pas dans cette grille. On peut
donc se questionner sur la part à prendre en compte des mécanismes psychiques
dans l'évaluation de la résilience.
Nous pensons donc que l'échelle de résilience doit pouvoir être appréciée en
prenant de la distance par rapport à l'analyse que l'on peut en faire. Son intérêt
repose sur la réflexion à laquelle elle incite. En effet, elle entraîne le rééducateur à
penser sa rééducation et à l'adapter au delà des repères normatifs classiques mais
en tenant compte du patient dans sa globalité, avec son parcours, sa personnalité,
ses compétences et ses potentialités.

3. Les problématiques émergentes

Nous allons aborder ici les réflexions que nous ont inspirées nos recherches sur
la théorie de la résilience.

3.1. Les limites de la théorie de la résilience

La théorie de la résilience est relativement récente et parfois utilisée à tort. Il


faut veiller à ce que l'idée de pouvoir s'émanciper de sa souffrance, d'avoir la
capacité de rebondir suite à un malheur ne bascule pas dans un optimisme primaire.
En effet, il serait simpliste de penser que nous avons tous en nous cette faculté et
qu'il suffirait d'en prendre conscience pour se remettre d'un traumatisme, il est
nécessaire de savoir nuancer la théorie de la résilience et ses mécanismes.
Rappelons qu'elle est le résultat d'un maillage complexe entre les ressources
internes, les facteurs familiaux et socio-environnementaux et qu'elle n'est jamais
acquise définitivement.

107
Discussion

Il convient d'être vigilant de ne pas faire de la résilience un impératif, au risque


de stigmatiser ceux qui n'y accèdent pas. Les dérives sociales et politiques sont
également un danger car face à cette théorie il serait tentant de ne plus laisser de
place au malheur et de faire de la résilience un but à chaque événement tragique.
De plus, il y a un risque de banalisation de la souffrance, car cela peut amener
à considérer que le malheur n'est que temporaire et qu'il aboutira à un
rebondissement, or l'étape de la douleur est primordiale face à un événement
tragique et la résilience ne l'abolit pas. Le risque étant que l'optimisme de la
résilience se fasse au détriment de traitements (médicamenteux ou thérapeutiques)
qui se révèlent être nécessaires dans certaines situations. La résilience n'est pas une
solution au malheur, mais une alternative possible. Cela pose également la question
de la place de troubles tels que l'anxiété ou la dépression au sein d'un processus de
résilience. Ces réactions fréquentes à la suite de traumatisme peuvent persister au
cours de l'existence, est-ce que cela exclut la notion de résilience ?
Nous pouvons également nous interroger sur le fait que la résilience pourrait
ne plus laisser de place au malheur, or parfois certains individus ont besoin de
s'identifier à leur souffrance. C'est ce que Lacan appelle le fait de « jouir de son
symptôme ». La douleur peut se révéler être une sorte de cocon dans lequel
l'individu se réfugie et qu'il utilise pour se construire. Nous pouvons faire le parallèle
avec les patients bègues que nous recevons en orthophonie : il est fréquent qu'au
moment où ils sentent qu'ils se délestent de leur bégaiement ils éprouvent une
certaine réticence car ils se sont toujours définis comme personne bègue et
éprouvent une crainte à abandonner leur symptôme. Il arrive que des personnes
s'attachent à leur souffrance ou à leur trouble et en font un repère dans leur vie.
Par ailleurs, les marqueurs de résilience sont encore à préciser et restent
variés, cela pose le problème de savoir ce qu'est la résilience pour chacun. En effet,
nous avons vu qu'elle se mesurait presque exclusivement sur des capacités internes
telles que la tempérance des émotions, l'indépendance, la prise de distance,
l'optimisme, la sociabilité...Cependant, une personne peut se définir comme résiliente
grâce à une certaine réussite sociale par exemple et ne posséder aucune de ces
capacités. Par exemple, Picasso qui a souffert d'une enfance désastreuse, s'est
illustré au travers de sa carrière de peintre et de sa réussite sociale. On peut pour
cela le qualifier de résilient, mais il semblerait qu'en privé il ait été un despote
insensible vis-à-vis des membres de sa famille.

108
Discussion

En ce qui concerne les échelles de résilience, il faut préciser qu'elles


n'existent à ce jour que pour les adolescents et qu'elles n'ont pas encore réussi à
recouvrir l'ensemble des facteurs de protections possibles sous un même outil. En
effet, il existe de nombreux facteurs susceptibles de participer à la résilience d'un
individu et ils sont variables d'un individu à un autre. Par ailleurs, il est à noter qu'il
serait dangereux de conférer un caractère prédictif aux facteurs favorisant la
résilience. Nous avons vu que l'individu avait une certaine liberté face au malheur
grâce à cette théorie, il faut donc veiller à l'inverse à ne pas l'enfermer dans une
résilience prédite et certaine car dans ce cas nous retombons dans les travers d'un
déterminisme primaire. Il faut percevoir la résilience dans toute sa complexité et
l'appréhender comme un processus en perpétuel mouvement.
Notons également qu'il y a dans cette théorie un certain danger à mal
interpréter la sensation de victoire que peuvent ressentir certains individus face au
malheur. En effet, le fait qu'ils se sentent plus forts après avoir surmonté leur épreuve
peut avoir comme conséquence de créer un nouveau signe de puissance dans un
monde où les faibles sont exclus. Le raccourci serait de penser qu'il faut vivre un
traumatisme pour être plus fort.
Notre expérience clinique et théorique nous a aussi amenées à nous
interroger sur le risque qu'il y avait à utiliser une théorie qui relève du domaine de la
psychologie en orthophonie. Le but de notre mémoire n'est pas de faire un parallèle
entre la profession de psychologue et celle d'orthophoniste, mais de révéler la
dimension relationnelle qui est inhérente à notre métier et qui peut être utilisée au
profit de la résilience. Rappelons que les deux disciplines se différencient sur leurs
objectifs.
L'orthophoniste va aider le patient, à partir de la réalité, à accéder au
symbolisme du langage oral et écrit en cherchant à rétablir et améliorer la
communication si les troubles du langage l'ont rendue défectueuse. Ce n'est donc
pas le bien être de l'enfant qui motive notre rééducation, même si nous nous en
soucions, mais le langage.
Le psychologue quant, à lui, aide l'enfant à résoudre son problème
psychologique, ce qui le trouble, sans que l'enfant sache forcément de quoi il s'agit.
Le langage en psychologie est un médiateur, il permet à l'enfant d'accéder au
symbolisme et de dévoiler et de résoudre ses conflits internes.

109
Discussion

Les mécanismes sous-jacents de la relation thérapeutique que nous avons


évoqués dans notre partie théorique sont davantage analysés et utilisés en
psychologie car ils sont renvoyés au patient pour le faire avancer. En tant
qu'orthophoniste également et, comme nous l'avons vu, nous pouvons nous appuyer
dessus pour favoriser la résilience mais le but de nos rééducations reste la demande
et les moyens d'y arriver. Nous avons pour cela tout un bagage technique concret.
Les deux professions sont donc bien différentes, mais nous devons nous
informer des avancées dans d'autres disciplines et partager nos connaissances car
notre métier se définit comme étant au carrefour de multiples disciplines, dont la
psychologie. Soulignons également que lorsqu'un patient arrive dans notre cabinet
c'est avec tout son être, toute sa souffrance et son histoire et qu'il n'est pas question
de le fragmenter selon le métier que nous exerçons. C'est pourquoi il est essentiel
d'établir une collaboration interprofessionnelle et de prendre en charge le patient
dans sa globalité.

4. Mise en évidence de l'intérêt de la théorie de la


résilience pour l'orthophonie, grâce à notre
expérience clinique.

4.1. Réflexions autour de l’intérêt de la résilience dans la prise


en charge précoce

Nous avons choisi de suivre Marc et les enfants du groupe maman/bébé avec
leur mère respective car nous pensons que l’accompagnement parental est
indissociable de la prise en charge précoce du jeune enfant en difficulté. Ainsi, ces
prises en charge nous ont confirmé la place des parents en tant que partenaires
incontournables des suivis. L'orthophoniste est alors présente afin de les aider à
apporter à leur enfant, dans un climat affectif harmonieux, les stimulations qui lui
correspondent.
Notre première hypothèse faisait état de l'orthophoniste comme facilitateur des
processus d'attachement quand la pathologie de l'un ou l'autre des protagonistes (la
mère ou l'enfant) faisait défaut.

110
Discussion

Dans le cas des enfants suivis dans le groupe, le travail mis en place a permis
de réajuster les perceptions que les mères avaient de leur enfant afin qu'elles
puissent leur présenter des stimulations adaptées et construire une relation
nouvellement tournée vers des réussites et des progrès. En effet, un attachement
harmonieux ne pouvait avoir lieu tant que chacun ne s'était pas ajusté au niveau de
l'autre.
Dans le cas de Marc, nous avons fait en sorte de travailler les interactions
comportementales, qu'elles soient vocales, corporelles ou visuelles.
Dans ces deux cas de figure, les interactions mère/enfant ont évolué dans leur
rythme et leur qualité au fur et à mesure des séances et cela nous indique que les
liens d'attachement se sont renforcés. En revanche, nous n'avons pas pu objectiver
cela autrement que par nos observations cliniques étayées de nos supports
théoriques sur la théorie de la résilience.
De plus, la notion de résilience étant à prendre en compte sur du long terme et
dépendant de nombreux facteurs autant personnels qu'environnementaux, nous
devons penser que cette étude auprès de Marc, Yann, Cyril et Eliott n'a pas de valeur
prédictive quant à une éventuelle future capacité de résilience. En effet, en tant que
futures orthophonistes, nous nous sommes attachées à mettre en place un
accompagnement parental propice au développement d'interactions harmonieuses et
par ce biais, d'un attachement dit «sécure», préalable à la résilience selon la
littérature. Les facteurs individuels, familiaux et de soutien social sont également
primordiaux pour permettre une éventuelle résilience. Hormis Marc qui bénéficie d'un
type de soutien extérieur par le biais du réseau de soignants du CMP, les ressources
individuelles décrites ( l'estime de soi, le sens de l'humour, l'adaptation sociales etc)
et la présence de soutiens externes (enseignants, personnes de la famille étendue
etc) n'apparaissent pas de manière significative dans notre étude. Un enfant étant un
être en construction évoluant constamment et la résilience un processus s'observant
tout au long d'une vie, il serait donc inexact d'attribuer une valeur prédictive à notre
étude.
La notion de résilience dans la prise en charge précoce en orthophonie
permet de rendre compte et de se questionner sur les tenants et les aboutissants
d'une telle prise en charge. En effet, même si l'attachement ne permet pas de prédire
une possible résilience, les interactions harmonieuses qui en découlent ont pour
finalité de permettre au fur et à mesure une relative distanciation mère/enfant c'est à

111
Discussion

dire de donner les moyens à l'enfant de ne pas vivre la séparation de manière


traumatique. C'est dans ce processus de séparation que le langage et le jeu
symbolique prendront alors une place de plus en plus importante et c'est ce même
langage qui lui servira de communication et aidera l'enfant à tisser des liens et à
trouver des tuteurs de résilience dans son entourage.

4.2. Réflexions autour de la place de l'orthophoniste en tant que


tuteur de résilience

Selon notre quatrième hypothèse, la relation thérapeutique s'élaborant au


cours des séances d'orthophonie permettait de considérer l'orthophoniste comme
tuteur de résilience. Les cas de Salim, d'Arthur et de Julien illustrent bien cette
problématique. En effet, dans ces cas, le suivi orthophonique obéit à plusieurs
règles de continuité : une continuité temporelle d'abord puis qu'il s'agit d'un rendez-
vous hebdomadaire fixé un jour et une heure précis dans la semaine, une continuité
spatiale puisque la séance a toujours lieu au même endroit et une continuité
relationnelle puisqu'il s'agit de la même orthophoniste. Ce sont ces repères, parfois
peu présents dans l'environnement de l'enfant, qui lui permettent d'évoluer en se
sentant soutenu, encouragé, contenu et cadré. Ils sont importants et permettent que
les exercices effectués en rééducation prennent sens d'abord dans un contexte
précis régi par des règles et des repères pour aller progressivement vers une
situation de transfert dans un contexte plus général.
Les enfants présents en orthophonie ont souvent conscience de leurs
différences par rapport aux autres et de leurs limites. A travers ces études de cas
cliniques, nous pensons qu'il est important d'allier régulièrement à tout travail
«strictement» orthophonique des éléments de réassurance afin que l'enfant prenne
conscience que sa différence peut être source de richesses et qu'il a des
compétences et des capacités grâce auxquelles il est possible d'évoluer et de se
développer.

Notre troisième hypothèse se vérifie auprès du cas d'Arthur. En effet, ce petit


garçon arrivé à l'âge de trois ans écholalique et jargonnant a su trouver chez
l'orthophoniste un espace privilégié qui lui a permis d'évoluer positivement.

112
Discussion

Aujourd'hui c'est un garçon qui n'a plus de troubles au niveau pragmatique et qui a
su créer du lien avec d'autres personnes pour surmonter les différentes épreuves
qu'il a traversées.
En tant que futures orthophonistes nous pensons qu'au delà des techniques
de rééducation, il est important de créer un cadre structurant autour de l'enfant et de
favoriser les activités propices à la réassurance et au développement de l'estime de
soi. Ainsi, l'enfant prend conscience de ses possibilités, quand la pathologie a trop
souvent induit en lui des notions de déficits et d'incapacités. Il est nécessaire de
pouvoir se construire sous un œil professionnel qui conçoit la rééducation au delà de
repères normatifs et favorise une approche globale fondée sur les compétences, les
capacités et les émergences de l'enfant.

5. Réflexions et questionnements

Ce mémoire se définit avant tout comme une réflexion autour de l'importance


de la relation dans la prise en charge orthophonique afin de souligner la façon dont
elle peut être utilisée dans le cadre de la résilience. En effet, quelle place la relation
doit elle prendre lorsque l'on sait que le langage sert à la communication, que la
communication entre forcément dans le cadre de la relation, condition indispensable
à la résilience ? Nous avons vu que la personne qui peut communiquer avec
aisance, peut aussi plus facilement demander de l'aide et confier ses difficultés à
quelqu'un en qui elle a confiance. Nous avons ainsi agi au cœur de la dimension
socio-environnementale du processus de résilience.
Notre étude ne doit pas se cantonner à la profession d'orthophoniste, la
résilience favorise la qualité des soins dans toutes les professions médicales. En
effet, nous avons vu qu'un des piliers de la résilience est d'aider le patient à trouver
en lui ses ressources, or cette idée est primordiale dans la pratique médicale. Le fait
de donner davantage d'autonomie au patient et de le rendre acteur de sa prise en
charge nous renvoie à l'horizontalité de la relation patient/médecin et améliore la
prise en charge.
Cette notion est d'autant plus utile en orthophonie où nous n'avons pas de
traitement médicamenteux à apporter au patient et où la réussite de la rééducation
dépend avant tout de son investissement. C'est l'idée d' « éducation thérapeutique

113
Discussion

des patients » (Chambouleyron et al, 2007) qui met en évidence l'importance pour
les médecins d'élargir l'approche biomédicale habituellement enseignée dans les
facultés à une approche systémique et psycho-sociale. Ainsi, l'anamnèse ne se
centre plus sur un diagnostic biomédical conventionnel dans lequel le médecin se
concentre sur les déficits du patient à la recherche de la pathologie, mais intègre
également un questionnement sur les ressources du sujet et sur sa manière
d'appréhender la maladie. Tout comme dans notre mémoire, les auteurs mettent en
évidence le fait que le soignant étant un accompagnateur privilégié de la personne
malade, c'est à lui de l'aider à chercher ses ressources et c'est ce qui fait de lui un
tuteur de résilience. Nous préconisons une ouverture de toutes les professions de
santé, dans le but d'améliorer les prises en charge des patients.
Par ailleurs, notre étude a mis en valeur l’importance de la dimension humaine
dans toute prise en charge, qui se traduit au sein de la relation thérapeutique. Sur
cette question, Psiuk (2011) met en évidence que « les connaissances en sciences
humaines sont devenues incontournables pour tous les professionnels de la santé
afin d'agir avec compétence lors des interactions avec le patient ». Ainsi, des travaux
ont été faits sur l'impact d'une formation sur la résilience lors de la prise en charge
des patients par des médecins et infirmières. Nous posons donc légitimement la
question d'une telle formation pour les orthophonistes. Le but ne serait pas de faire
une « formation de tuteur de résilience », mais de formaliser plus précisément les
habiletés indispensables pour avoir spontanément une attitude de relation d'aide aux
patients.
Cette ouverture sur les sciences humaines complète notre vision du métier
d'orthophoniste qui se fonde avant tout sur les ressources et capacités internes du
patient pour le rééduquer. Nous sommes habitués au sein de prise en charge
d'affection de longue durée à révéler au patient ses compétences pour qu'il trouve le
moyen de pallier ses déficits. La vision optimiste de la résilience rejoint l'espoir qui
caractérise la notion même de rééducation.
Nous nous sommes intéressées dans ce mémoire à des enfants mais la
question se pose également au sujet d'adultes devenus aphasiques après un
accident vasculaire cérébral ou de personnes âgées victimes de maladie
neurodégénérative. Comment des éléments de résilience s'instaurent-ils au sein
d'une rééducation orthophonique? Nous avons tenté d'y apporter une ébauche de
réponse tout en découvrant une multitude d'autres questions qui ont émergé au

114
Discussion

cours de cette étude. Comment un savoir-être entre professionnels se transmet-il ?


En quoi la relation en orthophonie aide-t-elle dans le transfert à la vie quotidienne ?
Comment se prévaloir objectivement d'être tuteur de résilience ?
Lorsque nous avons débuté notre mémoire, nous nous sommes demandé si la
« fonction » de tuteur de résilience n'était pas plus de l'ordre de la psychologie que
de l'orthophonie. Cependant, au fur et à mesure de nos rencontres et de l'élaboration
de nos études de cas cliniques, nous nous sommes rendu compte que cette fonction
faisait partie intégrante de notre profession. En effet, par la relation duelle et les
repères que nous mettons en place au fil des séances d'orthophonie autant que par
l'apport de nos techniques de rééducation, nous aidons, soutenons et
accompagnons le patient comme sa famille à se construire et à évoluer malgré leur
pathologie et les événements de vie négatifs. Notre identité professionnelle est
respectée puisque ce travail relationnel se fait autour et grâce au langage que nous
tentons de réhabiliter.
Par ailleurs, nous ne devons pas négliger l'importance des autres
professionnels et du travail en réseau qui, lorsqu'il est correctement mené, apporte
cohérence et transdisciplinarité à la prise en charge. Un tuteur de résilience prend
son importance au sein d'un réseau d'autres tuteurs de résilience en renforçant ainsi
les liens créés autour du patient et de sa famille. Nous aurions voulu rendre compte
de façon plus importante du rôle joué par ces différents professionnels et de leur
façon de s'articuler pour optimiser la prise en charge.
Ainsi, l’expérimentation a fait émerger de nouvelles questions en lien avec les
données théoriques. Il nous a semblé intéressant de les approfondir dans des
mémoires ultérieurs. Nous citerons ici quelques problématiques :
– L'apport du groupe de rééducation dans le processus de résilience
– L'action d'information sur le concept de résilience auprès des soignants, et
plus particulièrement de dispenser une formation spécifique, adaptée aux
orthophonistes
– La résilience chez les adultes aphasiques

La résilience est un concept vaste et complexe, nous encourageons donc


toutes les perspectives d'études ultérieures à visée thérapeutique sur ce sujet.

115
Conclusion

Conclusion

116
Conclusion

Ce mémoire nous a donné l'occasion d'enrichir notre vision du métier


d'orthophoniste grâce à l'apport de la théorie de la résilience. Étant au carrefour de
nombreuses disciplines et travaillant avec différents corps de métier, il nous a semblé
important de nous tenir informées des évolutions dans d'autres domaines et de nous
ouvrir à des théories récentes. Notre étude nous a permis de voir qu'il était possible
d'intégrer la notion de résilience dans une prise en charge orthophonique et que cela
avait pour but d'améliorer la qualité du suivi.
Nous avons mis en évidence le rôle primordial que peut jouer un orthophoniste
en tant que tuteur de résilience. Nous devons garder à l'esprit le fait que notre statut
de thérapeute nous confère une place particulière et qu'il faut savoir s'appuyer sur
les mécanismes qui se déroulent au sein de l'espace thérapeutique à bon escient.
Notre but a été de prouver que nous pouvons grâce à ces deux aspects révéler les
ressources internes du patient et l'aider à trouver en lui les moyens de pallier son
déficit. C'est cette notion qui relie indéniablement l'essence même de la rééducation
orthophonique au processus de résilience.
Nous nous inscrivons dans une optique plus générale de réflexion sur la prise
en charge du patient de manière humaine et globale dans le domaine de la santé.
Nous avons fait le choix de ne pas aborder l'orthophonie dans sa dimension
technique, en analysant les mécanismes sous-jacents d'une relation thérapeutique.
Nous avons cherché à voir de quelle manière nous pouvions intégrer le concept de
résilience dans la notion de rééducation et établir concrètement une relation d'aide
avec le patient. Nous nous plaçons ainsi dans la continuité de l'évolution de la
relation thérapeutique qui s'opère depuis la seconde moitié du XXème siècle et qui a
tendance à ne plus voir le patient comme un objet et à le valoriser en tant qu'acteur
de sa prise en charge.
Nos expériences cliniques et théoriques nous ont également permis
d'approfondir le domaine de la prévention grâce aux groupes qui nous ont donné
l'occasion d'intervenir directement sur les relations maman/bébé et donc d'intégrer le
concept de résilience dans une guidance parentale. Précisons qu'il faudrait
maintenant compléter notre étude en observant de quelle manière s'opère le
processus de résilience chez les adultes car ils constituent une grande partie de nos
patients et peuvent également faire l'expérience de la résilience en surmontant les
accidents ou traumatismes qui les affectent.

117
Conclusion

La notion de résilience est certes à nuancer sur certains aspects et fait encore
l'objet de nombreuses recherches, mais il nous semble important qu'elle s'élargisse à
différents domaines car elle est très enrichissante et améliore la qualité de soin de
toutes les professions de santé où se concentrent la majorité des tuteurs de
résilience. Nous encourageons ainsi l'interdisciplinarité et la collaboration de
différents professionnels pour améliorer le réseau social et environnemental qui
s'articule autour des patients et qui est un facteur important de résilience. La
résilience, tout comme la réussite d'une rééducation orthophonique, ne peut aboutir
que si le sujet prend conscience de ses ressources internes, ce qui est impossible
sans l'aide de tuteurs.

118
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123
Liste des annexes

Liste des annexes

124
Liste des annexes

Liste des annexes :

Annexe n°1 : The Resilience Scale (English)

Annexe n°2 : The Resilience Scale (Français)

125
Institut d'Orthophonie
Gabriel DECROIX

ANNEXES

DU MEMOIRE
En vue de l'obtention du
Certificat de Capacité d'Orthophonie
présenté par :

Leslie BOKOBZA et Augusta DELDIQUE

En quoi l'orthophoniste peut-il être tuteur de


résilience tout en conservant son identité
professionnelle?

Lille – 2012
Annexes

A2
Annexe 1 : The Resilience Scale ™
(English)

Strongly Strongly
Disagree Agree

1. When I make plans, I follow through with them. 1 2 3 4 5 6 7

2. I usually manage one way or another. 1 2 3 4 5 6 7

3. I am able to depend on myself more than anyone 1 2 3 4 5 6 7


else.

4. Keeping interested in things is important to me. 1 2 3 4 5 6 7

5. I can be on my own if I have to. 1 2 3 4 5 6 7

6. I feel proud that I have accomplished things in life. 1 2 3 4 5 6 7

7. I usually take things in stride. 1 2 3 4 5 6 7

8. I am friends with myself. 1 2 3 4 5 6 7

9. I feel that I can handle many things at a time. 1 2 3 4 5 6 7

10. I am determined. 1 2 3 4 5 6 7

11. I seldom wonder what the point of it all is. 1 2 3 4 5 6 7

12. I take things one day at a time. 1 2 3 4 5 6 7

13. I can get through difficult times because I've 1 2 3 4 5 6 7


experienced difficulty before.

14. I have self-discipline. 1 2 3 4 5 6 7

15. I keep interested in things. 1 2 3 4 5 6 7

16. I can usually find something to laugh about. 1 2 3 4 5 6 7

17. My belief in myself gets me through hard times. 1 2 3 4 5 6 7

18. In an emergency, I'm someone people can 1 2 3 4 5 6 7


generally rely on.

19. I can usually look at a situation in a number of 1 2 3 4 5 6 7


ways.

20. Sometimes I make myself do things whether I want 1 2 3 4 5 6 7


to or not.

A3
21. My life has meaning. 1 2 3 4 5 6 7

22. I do not dwell on things that I can't do anything 1 2 3 4 5 6 7


about.

23. When I'm in a difficult situation, I can usually find 1 2 3 4 5 6 7


my way out of it.

24. I have enough energy to do what I have to do. 1 2 3 4 5 6 7

25. It's okay if there are people who don't like me. 1 2 3 4 5 6 7

26. I am resilient. 1 2 3 4 5 6 7

© 1987 Gail M. Wagnild & Heather M. Young. Used by permission. All rights
reserved. "The Resilience Scale" is an international trademark of Gail M. Wagnild &
Heather M. Young.

A4
Annexe 2 : The Resilience Scale ™
(Français)

Nous avons effectué nous-mêmes la traduction présentée ci-après.

1- Quand je fais des projets, je m'y tiens.


2- Je me débrouille toujours d'une façon ou d'une autre
3-Je compte avant tout sur moi-même plus que sur quiconque
4- M'intéresser à ce qui m'entoure est important pour moi
5- Je peux m'en sortir seul s'il le faut
6- Je suis fier de ce que j'ai accompli dans la vie
7- Je prends les choses comme elles viennent
8- J'ai de l'admiration pour ce que suis
9- Je me sens capable de gérer plusieurs choses à la fois
10- Je suis déterminé
11- Je me demande rarement si tout ça sert vraiment à quelque chose
12- Chaque chose en son temps
13- Je peux surmonter des épreuves difficiles car j'ai connu des choses difficiles
14- Je suis auto-discipliné
15- Je m'intéresse aux choses
16- Je ris facilement des choses
17- Ma confiance en moi m'aide à surmonter les épreuves difficiles
18- En cas d'urgence je suis quelqu'un sur qui on peut compter
19- Je peux envisager les choses sous plusieurs angles
20- Je m'oblige parfois à faire des choses, que je le veuille ou non
21- Ma vie a du sens
22- Je ne m'attarde pas sur des choses pour lesquels je ne peux rien faire
23- Quand je suis dans une situation difficile, j'arrive à m'en sortir
24- Je suis assez fort pour faire ce que j'ai à faire
25- Ce n'est pas important si certaines personnes ne m'aiment pas
26- Je suis résilient

A5

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