Etu 954 0321
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MI C HE L MANC I AUX
L
E RÉFLEXE de tous ceux qui enten-
dent, pour la première fois, parler de résilience, est d’aller
en chercher le sens dans le dictionnaire, au risque d’être
déçus : ils n’y trouvent qu’une définition faisant référence à
la résistance des matériaux aux chocs. C’était, de fait, la
signification première de ce mot — dont l’étymologie ren-
voie à la notion de résistance et de ressaut —, jusqu’à ce
que les Anglo-Saxons l’appliquent, depuis un demi-siècle
environ, aux sciences humaines. Avec un retard certain par
rapport à eux, la résilience commence à susciter un vif inté-
rêt dans les milieux professionnels francophones. Il est
temps, car la recherche, la formation et la pratique dans les
domaines médico-social, psychologique, éducatif, juri-
dique... peuvent y trouver une inspiration, un souffle nou-
veau. La résilience nous convie, en effet, à changer notre
regard sur ceux qui sont confiés à nos soins, dont nous
avons à prendre soin ; à élargir notre réflexion et notre
action à leur environnement social et matériel, à leur cycle
de vie, à leurs conditions et modes de vie, et ceci dans une
démarche où le respect, l’empathie doivent se conjuguer
avec de sérieuses connaissances sur les ressources — trop
souvent méconnues, inexploitées — des êtres humains
confrontés aux dures réalités de l’existence.
Emergence du concept
Une question essentielle se pose d’emblée. La rési-
lience constitue-t-elle une nouveauté, une avancée dans le
domaine des sciences humaines ? Ou bien n’est-elle que
3. Voir à ce propos : « des habits neufs pour de l’ancien 3 » ? Une rapide rétro-
M. Manciaux, « La rési-
lience, mythe ou réa-
spective s’impose.
lité ? », in La Résilience :
concepts, applications, M.
Manciaux (éd.), Médecine Que certains individus résistent mieux que d’autres
et Hygiène, Genève, 2001. aux aléas de l’existence, à l’adversité, à la maladie est un
fait reconnu depuis des siècles, mais resté largement inex-
pliqué. Et c’est à une « constitution » particulière qu’on
imputa longtemps cette caractéristique hors du commun.
C’est récemment que les interactions entre les individus et
leur entourage, leurs conditions et leurs milieux de vie ont
été prises en considération, menant à des approches systé-
miques fécondes. Sans entrer dans le détail, il faut souli-
gner que le concept de vulnérabilité, avec ses composantes
biologiques, psychologiques et son approche épidémiolo-
gique, a ouvert la voie à la résilience. La notion opposée
d’invulnérabilité et les discussions qu’elle a suscitées ont
beaucoup aidé à la compréhension des faits observés. La
« mère de la résilience », une psychologue américaine,
Emmie Werner, parle, à propos des enfants qu’elle a suivis
de la naissance à l’âge adulte, de sujets « vulnérables, mais
4. E. E. Werner, R.S. invincibles 4 ». Elle a étudié pendant trente ans une cohorte
Smith, Overcoming the
odds : high risk children
de 698 enfants nés en 1955 dans l’archipel de Hawaii. Sur
from birth to adulthood, 201 de ces enfants considérés, à l’âge de deux ans, sur la
New York, Cornell Uni-
versity Press, 1992. base d’une série d’indicateurs, comme hautement suscep-
tibles de développer des troubles du comportement, 72 ont
évolué favorablement sans intervention thérapeutique par-
ticulière et sont devenus de jeunes adultes compétents et
bien intégrés. Ils ont su, dit l’auteur, « rebondir » à partir
d’une enfance difficile et, bien que vulnérables, être en fait
invincibles — ou au moins invaincus — dans leur parcours
existentiel. En outre, les deux tiers environ des sujets non
résilients à l’adolescence le sont devenus à l’âge adulte : au
© S.E.R. | Téléchargé le 15/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 41.98.105.227)
MICHEL MANCIAUX
Professeur émérite de Pédiatrie sociale et de Santé publique
Membre du Comité d’experts OMS en santé de la famille
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