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affaire » et un « traitement médiatique biaisé ». Depuis Quelques jours avant, ce sont d’autres affiches qui
décembre, d’après nos informations, de nombreuses avaient été placardées sur ces mêmes murs de l’IEP
instances avaient été alertées sans entraîner de réaction avec les noms de deux enseignants de l’IEP. «Des
de la direction. fascistes dans nos amphis Vincent T. [...] et Klaus K.
démission. L’islamophobie tue. » Si ces pancartes ont
rapidement été retirées, l’Unef les avait relayées sur
les réseaux sociaux avant de se raviser. Marianne et
Le Figaro ont ensuite embrayé avant qu’une enquête
pour «injures publiques » et « dégradation » ne soit
ouverte par le parquet de Grenoble.
Devant Sciences Po Grenoble, le 9 mars. © PHILIPPE DESMAZES / AFP
De manière unanime, la classe politique a dénoncé
cette action, représentant selon elle une véritable mise
Il est midi mardi 9 mars lorsqu’une vingtaine
en danger pour les deux enseignants. « Je condamne
d’étudiants de l’Institut d’études politiques (IEP)
fermement que six mois après l’assassinat, même pas,
de Grenoble déploient une banderole au pied de
de Samuel Paty, des noms soient ainsi jetés en pâture.
l’université. « Islam # Terrorisme », peut-on lire en
La liberté d’opinion est constitutionnelle pour les
plus de deux autres inscriptions affichées sur des
enseignants chercheurs… », a déclaré le maire EELV
cartons pour rappeler que le « racisme est un délit
de Grenoble Éric Piolle. Même condamnation pour
» et pour dire « stop à l’islamophobie ». En face,
la ministre de l’enseignement supérieur Frédérique
quelques journalistes attendent de pouvoir interroger
Vidal, qui a diligenté une enquête administrative
les étudiants. Le climat est tendu. Les jeunes se
et rappelé que « les tentatives de pression » et «
méfient de la presse accusée de « manquer de rigueur »
l’instauration d’une pensée unique » n’avaient « pas
depuis le début de cette polémique. Un étudiant prend
leur place à l’université».
la parole.
Sur le parvis de Sciences Po mardi, les étudiants
La presse s’attend à des excuses publiques. Les
sont aussi unanimes : « Ces collages, c’était une
étudiants en réalité reviennent à la charge et accusent
vraie connerie et une mise en danger pour ces deux
de nouveau deux professeurs « d’islamophobie »,
profs. L’Unef n’aurait jamais dû les relayer non
témoignages à l’appui. « Vous vous rendez compte que
plus », explique un étudiant en troisième année. «
vous assassinez entre guillemets votre prof ? », lâche
Notre communication était clairement maladroite »,
un confrère, qui n’a plus envie de cacher sa colère. «
reconnaît Emma, la présidente de l’Unef Grenoble. «
On ne tolère pas que des affiches puissent mettre la vie
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de profs en danger », renchérit Maxime Jacquier de vouloir désormais se concentrer sur le volet judiciaire.
l’Union syndicale de l’IEP. Tous en revanche disent « Grâce à l’essayiste Caroline Fourest, j’ai pris
ne pas savoir qui a collé ces pancartes. l’avocat Patrick Klugman pour préparer ma riposte
« Depuis que tout ça a éclaté, les médias comparent », explique le prof qui accuse ses collègues de l’avoir
cette affaire à ce qui est arrivé à Samuel Paty. On complètement lâché.
parle de terrorisme intellectuel, d’entrisme islamo- Il explique avoir été exclu d’un groupe de travail
gauchiste ou de fatwa. Mais il y a un décalage pour avoir voulu débattre de l’utilisation du terme «
magistral entre la réalité de ce qui se passe à l’IEP islamophobie ». Il dit avoir été accusé de harcèlement
et la récupération qu’en font les politiques », regrette pour avoir simplement remis en cause les arguments
Thibault, étudiant en master : « C’est une affaire bien de Claire M., sa collègue également membre de ce
plus complexe qui a démarré bien avant. » groupe. Il accuse même sa directrice de lui avoir
Visé par ces collages, Klaus Kinzler, professeur fait fermer une page de son site internet pour le
d’allemand, enchaîne les médias depuis, pour punir d’avoir été se répandre médiatiquement. Il
témoigner et livrer sa version de la genèse de l'affaire. dénonce enfin la pression constante des étudiants qui
Cette « cabale » serait née simplement parce qu’il n’hésiteraient plus à entraver la « liberté d’expression
contestait le choix d’utiliser le terme « islamophobie » et la « liberté académique » des enseignants.
» lors d'une semaine de l’égalité. D’après lui, « la « Le problème, c’est qu’il y a beaucoup d’erreurs
liberté d’expression n’existe plus à Sciences Po ». « et de mensonges dans son récit », regrette l’un
Ils voulaient nous faire la peau à moi et mon collègue de ses collègues de l’IEP qui rappelle qu’il a été
», dit-il aussi dans Le Point en évoquant une partie des immédiatement soutenu par ses pairs. « On est
étudiants de l’institution. scandalisé par les propos qu’il a tenus sur CNews.
Il regrette ne pas avoir de soutien alors qu’il y a
eu une boucle de mails dans la foulée des collages.
Notre soutien a été unanime et immédiat et la
condamnation de ces affiches a été très ferme», rectifie
Florent Gougou, maître de conférences à l’IEP. Une
motion, votée mardi par le conseil d’administration
de Sciences Po, condamne d’ailleurs « fermement cet
affichage qui relève de l’injure et de l’intimidation ».
Mais ce texte rappelle aussi l’importance « du devoir
de réserve » et du respect des « règles établies et
légitimes de l’échange académique ». Un élément clé
de toute cette affaire que ni les enseignants visés, ni
Marianne et Le Figaro n’ont évoqué jusqu’à présent.
Affiches placardées mardi 9 mars sur les murs de
Sur la base de nombreux témoignages d’étudiants, de
l'IEP de Grenoble. © David Perrotin/ Mediapart professeurs et de la direction mais aussi en s’appuyant
Auprès de Mediapart, ce prof de 61 ans, « 35 ans sur l’intégralité des mails et échanges en cause,
d’enseignement », introduit la conversation en se Mediapart a tenté de retracer les raisons de cette affaire
félicitant que les médias soient « si nombreux à débutée fin novembre. Et qui, de l’aveu de tous, «
en parler ». « C’est un vrai marathon, mais le n'aurait jamais dû prendre cette tournure nationale ».
plus intéressant était CNews. Il y a des extraits Fin novembre donc, sept étudiants et une autre
de l’émission qui sont vus plus de 100000 fois enseignante, Claire M., planchent ensemble dans un
sur les réseaux », se réjouit l’enseignant qui dit groupe de travail pour préparer la « semaine de
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l’égalité et contre les discriminations » qui se tient certaines sciences sociales (qu’a# l’INP on appelle
annuellement depuis 2017. Ce groupe a pour intitulé “sciences molles”), devenu partisan et militant depuis
« Racisme, islamophobie, antisémitisme ». Klaus longtemps », poursuit-il.
Kinzler le rejoint alors qu’il est déjà constitué et remet Il ajoute : « Contrairement a# ce que Claire affirme
immédiatement en cause l'intitulé. ex cathedra, le de#bat acade#mique sur la notion
« Bonsoir a# tout le monde, concernant hautement proble#matique de l’“islamophobie” n’est
notre groupe the#matique “Racisme, islamophobie, absolument pas clos… » Il enchaîne pour évoquer
antise#mitisme”, je suis assez intrigue# par une notion « fourre-tout », « invente#e de toutes
l’alignement re#ve#lateur de ces trois concepts dont pie#ces comme arme ide#ologique dans une guerre
l’un ne devrait certainement pas y figurer (on peut mondiale mene#e par des “Fous de Dieu” (au
me#me discuter si ce terme a un vrai sens ou s’il n’est sens litte#ral) contre les peuples “impies”, notion
pas simplement l’arme de propagande d’extre#mistes qui semble avoir envahi de nombreux cerveaux,
plus intelligents que nous) », écrit d’emblée le y compris dans notre ve#ne#rable institut ». «
professeur d’allemand qui livre la véritable raison de C’est pour cela que je refuse cate#goriquement de
sa présence dans ce groupe : « Je ne vous cache pas laisser sugge#rer que la perse#cution (imaginaire)
que c’est en vertu de ce contresens e#vident dans le des extre#mistes musulmans (et autres musulmans
nom de notre groupe the#matique que je l’ai choisi. » e#gare#s) d’aujourd’hui ait vraiment sa place a#
Claire M., l’enseignante en question, répond le co#te# de l’antise#mitisme mille#naire et quasi
lendemain pour défendre le choix de l’intitulé qui n’est universel ou du racisme dont notre propre civilisation
d’ailleurs pas de son fait. Ce dernier a été décidé occidentale (tout comme la civilisation musulmane
après un sondage en ligne lancé par l'administration d’ailleurs) est passe#e championne du monde au fil
et a été validé par un comité de pilotage. « La des sie#cles... »
notion d’islamophobie est effectivement conteste#e et Il dénonce ensuite « le véritable scandale» que
prise a# partie dans le champ politique et partisan. représente selon lui le nom de ce groupe de travail,
Ce n’est pas le cas dans le champ scientifique « une réécriture de l’histoire » qui ferait « honte
», défend la maître de conférences qui cite des » à l’IEP de Grenoble. « J’ai de#cide# que, au
arguments scientifiques pour se justifier. Elle précise cas ou# le groupe de#ciderait de maintenir ce nom
aussi « qu’utiliser un concept ne dispense pas d’en absurde et insultant pour les victimes du racisme et
questionner la pertinence, de se demander s’il est de l’antise#mitisme, je le quitterai imme#diatement
ope#rant». (c’est de#ja# presque fait, d’ailleurs) », annonce-t-il
Quelques heures plus tard, Klaus Kinzler répond en guise de conclusion.
de manière plus virulente. Les étudiants du groupe Juste après ce mail, Vincent T., maître de conférences
de travail, eux, sont toujours en copie. « Affirmer en sciences politiques – que Klaus Kinzler avait
pe#remptoirement, comme le fait Claire, que la laissé en copie caché dans l’échange – intervient
notion d’islamophobie ne serait “pas conteste#e alors qu’il ne fait pas partie du groupe de travail. Il
dans le champ acade#mique” me parai#t une défend son collègue et cible directement Claire M.
imposture», estime l’enseignant qui conteste les en disant découvrir « avec effarement a# quel point
références utilisées par Claire qui mettait en avant « des universitaires sont enfonce#s dans le militantisme
le champ académique ». « Ou alors soyons francs et l’ide#ologie ».« Associer l’IEP de Grenoble au
et reconnaissons tout de suite ceci : ce “champ combat mene# par des islamistes, en France et
acade#mique” dont (Claire) parle et dont elle est dans le monde, et de surcroi#t au moment ou# le
un exemple parfait, est lui-me#me, du moins dans gouvernement vient de dissoudre le CCIF, mais vous
devenez fous ou quoi ? », interroge Vincent T.
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Claire M. répond et poursuit son argumentation en parfois très militants », contextualise un enseignant.
produisant plusieurs publications scientifiques pour L’argumentation de Klaus Kinzler déployée dans ses
expliquer pourquoi l’usage du terme « islamophobie mails le prouve.
» n’est pas problématique selon elle. Les choses
s'enveniment lorsque Vincent T. rétorque en mettant
cette fois-ci la direction de l’IEP en copie. Il évoque
Charlie Hebdo« accusé d’islamophobie », « Samuel
Paty accusé d’être islamophobe » et dit ne pas pouvoir
imaginer « un instant que l’IEP de Grenoble se
retrouve dans ce camp » et invite la direction à réagir.
En réponse, Klaus Kinzler poursuit sa dénonciation
Des propos d'un enseignant jugé islamophobe affichés sur les murs
dans un mail fleuve, notamment d'une « partie de l'IEP par des étudiants mardi 9 mars. © David Perrotin/ Mediapart
grandissante des chercheurs en sciences sociales « Les musulmans ont-ils e#te# des esclaves et
». « Tous les jours, les de#partements en vendus comme tels pendant des sie#cles, comme
“gender studies”, “race studies” et autres “e#tudes l’ont e#te# les Noirs (qui aujourd’hui encore sont
postcoloniales” (liste loin d’e#tre exhaustive !) nombreux a# souffrir d’un racisme re#el) ? Non,
des universite#s les plus prestigieuses du monde historiquement, les musulmans ont e#te# longtemps
sortent leur production de nouveaux livres et articles de grands esclavagistes eux-me#mes ! Et il y a parmi
“scientifiques” dont les conclusions sont strictement eux, encore aujourd’hui, au moins autant de racisme
hallucinantes (pour des personnes normalement contre les Noirs que parmi les Blancs », peut-on
constitue#es) », poursuit le professeur d’allemand lire. Il poursuit sa mise en cause des musulmans en
avant de déplorer « la cancel culture » qui serait à expliquant qu’ils n’ont pas jamais été « persécutés »,
l'œuvre. Il continue de dénigrer les sciences sociales « tués » ou « exterminés » comme l’ont été les juifs
qui produiraient « un tas de choses invraisemblables » et qu’au contraire, on compterait parmi eux « un très
et qui seraient bien moins légitimes que « les sciences grand nombre d’antisémites virulents ».
dures ». Il se fait ensuite plus intransigeant : « Je
vais être clair : je refuse absolument d’accepter qu’on Il en profite pour expliquer qu’il n’a « aucune
puisse continuer, comme Claire le propose au groupe, sympathie » pour l’islam « en tant que religion
de conserver l’intitulé de la journée prévue. » » et préfère même « largement le Christ qui, lui,
pardonne fameusement à la femme adultère ». Il
Le prof d’allemand qui revendique auprès de précise toutefois n'avoir aucune « antipathie » à
Mediapart son côté « provoc’ » a en tout cas une l’égard des musulmans, mais reprend à son compte
réputation « sulfureuse » au sein de l’IEP. « Lui et la théorie qui veut que ces derniers soient a priori
Vincent sont les deux profs réputés à droite quoi et solidaires des terroristes : « Pourquoi n’y a-t-il pas
des millions de musulmans dans la rue pour le crier
haut et fort, imme#diatement, apre#s chaque attentat,
pourquoi?»Il termine enfin son mail en proposant un
nouvel intitulé qui serait « Racisme, antisémitisme
et discrimination contemporaine » pour englober
«l’homophobie, l’islamophobie et la misogynie ».
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Le Défenseur des droits défend de l’exclure», poursuit-elle : « Ses mails s’en prenant
l’enseignante de cette manière à l’islam ou aux musulmans étaient
« Après ces échanges, Claire M. a considéré être difficiles à vivre pour certains étudiants. »
victime d’une agression et même d’un harcèlement », En révélant cette affaire, Le Figaro affirme que
explique l’un de ses collègues. Elle aurait reproché à les échanges en question ne contenaient aucune
Klaus Kinzler de se contenter de livrer ses opinions « trace d’invectives personnelles ». Dans des échanges
personnelles face à des arguments scientifiques. Mais consultés par Mediapart pourtant, Klaus Kinzler
aussi de la dénigrer, la qualifiant d’« extrémiste ». Il reconnaît lui-même sa violence. « Je viens de relire
aurait ainsi clairement dépassé son devoir de réserve notre e#change. De ton co#te#, un ton parfaitement
et bafoué le principe de laïcité en faisant l’éloge mode#re# et poli ; de mon co#te#, je l’admets, je
du Christ. L’enseignante sollicite l’intervention de la n’ai pas eu la me#me mai#trise du langage et, dans
direction qui refuse de rappeler à l’ordre Klaus Kinzler le feu de l’action, je me suis par moments laisse#
mettant en avant la liberté d’expression. «Nous l’avons emporter. Je le regrette », écrit-il le 4 décembre tout
accompagnée dans ces démarches car nous avons en précisant que sur le fond, il « maintient tout à 100 %
considéré que la direction se devait de réagir. On ». « Je me suis excusé pour calmer les choses, c’était
a remarqué au passage qu’aucun registre de santé diplomatique, mais je maintiens qu’il n’y avait pas de
et de sécurité ni de CHST n’existait», explique un problème dans mes mails », corrige-t-il finalement à
membre de la CGT de l’université de Grenoble. « On Mediapart.
a même fait une alerte pour danger grave et imminent D’après son entourage, Claire M. vit mal « l’inertie
», ajoute-t-il. de la direction » et est même mise en arrêt maladie
De son côté pourtant, Klaus Kinzler affirme qu’il a du 7 au 11 décembre. Juste avant, elle alerte Pacte,
été lâché par sa direction. « J’ai même été exclu du le labo de recherches de l’université dont elle dépend.
groupe de travail », assure l’enseignant qui estime « Ce labo rattaché au CNRS publie dans la foulée un
ne pas avoir dépassé le cadre de la politesse » dans communiqué interne pour affirmer « son plein soutien
ses mails. « En réalité, Klaus n’a jamais été exclu. » à l’enseignante « attaquée personnellement ». Sans
C’est lui-même qui a annoncé son départ », nuance jamais nommer Klaus Kinzler, il lui reproche de nier
une étudiante membre du groupe de travail et elle aussi ses résultats scientifiques (elle travaille depuis de
destinataire des courriers. « On ne comprenait pas longues années sur les questions autour de l’islam
pourquoi il prenait à partie notre enseignante alors et des musulmans et est largement reconnue alors
que l’intitulé du groupe avait été voté et validé en que lui n'est pas chercheur) et dénonce une forme
amont. Il y avait un tel manque de professionnalisme de « harcèlement ». Il rappelle enfin que le débat
de sa part qu’on a choisi de ne pas répondre », scientifique nécessite « liberté, sérénité et respect ».
explique-t-elle. « On ne voulait pas attaquer la direction », explique
Contrairement à ce que le prof répète dans les médias, un membre de ce labo, « mais on ne pouvait pas laisser
les étudiants à ce moment-là de l’affaire ne réagissent un prof dénigrer les SHS de cette manière, mettre en
pas. « On a demandé à sortir de cette boucle de mails, copie un prof qui n’a rien à voir avec ce groupe de
on a sollicité la direction qui n’a pas souhaité réagir. travail, et les laisser s’en prendre à une collègue aussi
Du coup, on a fait remonter que dans ces conditions,
on ne voulait plus travailler avec lui. Son agressivité
et ses propos anti-islam nous ont mis mal à l’aise
mais il n’y a pas eu de volonté de le faire taire ou
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violemment par mail devant ses étudiants. C’était un Reprenant les arguments de Klaus Kinzler, Marianne
rappel à l’ordre sur la forme puisque la direction indique ainsi que le collectif Sciences Po Grenoble,
refusait d’intervenir ». relayé par l'Union syndicale, a donc publié le 7 janvier
des extraits des courriels pour dénoncer son discours
« ancré à l’extrême droite ». C’est exact. Mais les
mails repris par les étudiants, qui ne nomment jamais
le professeur, ont été piochés sur le site de l’enseignant
Programme final de la semaine de l'égalité de l'IEP Grenoble. qui les avait lui seul rendus publics.
D’après l’étudiante du groupe de travail, l’affaire « Je ne regrette pas de les avoir fait circuler
aurait dû s’arrêter là. D’autant que Klaus Kinzler car c’était mon seul moyen pour me défendre»,
oublie de dire qu’il a obtenu gain de cause puisque la justifie aujourd’hui Klaus Kinzler. Rétrospectivement,
semaine de l’égalité a été rebaptisée. « Féminismes et il reconnaît une erreur, celle d'avoir rendu public le
antiracisme » a remplacé l’autre intitulé d’après les nom de Claire M. « J’aurais dû retirer son nom
documents obtenus par Mediapart. « On a d’ailleurs mais j’avais d’autres colères à gérer », rétorque
pris le soin de ne pas évoquer ses mails publiquement. l’enseignant qui explique l’avoir finalement fait il
C’est Klaus en réalité qui en fait le premier la publicité y a quelques jours, lorsque la polémique a éclaté
», explique-t-elle. Un point aussi crucial que le prof médiatiquement. « Mais je ne comprends pas trop
d’allemand n’évoquera jamais lors de ses différentes qu’on fasse tout un fromage du risque de sécurité
sorties médiatiques. pour ma collègue », nuance-t-il. Comme lui et Vincent
En effet, l’enseignant est furieux, voit dans la réaction T. pourtant, Claire M. bénéficie d’une protection
de Pacte « une punition » et envoie de nombreux mails policière depuis samedi 6 mars. « Elle a d’ailleurs reçu
à la communauté éducative pour exposer ce litige et se un mail haineux en début de semaine », ajoute la CGT.
plaindre de Claire M. Il va jusqu’à publier sur son site Face à l'inaction de la direction, Claire M. avait
internet les échanges sans l’accord de l’enseignante. « également saisi le Défenseur des droits en décembre.
Il a même utilisé les échanges de mails et la réponse D’après nos informations, l’institution via sa cellule
du labo comme matériel pédagogique pour évoquer grenobloise a envoyé un courrier le 11 janvier à Sabine
avec ses étudiants “la cancel culture” dont il se dit Saurugger, la directrice de l’IEP. Dans cette lettre,
victime », témoigne l’une de ses collègues : «Claire le Défenseur des droits précise qu’il n’a pas à se
M. n’avait rien demandé et c’est d’abord son nom qui positionner sur le fond du débat mais rappelle que le
a été jeté en pâture. Il se garde bien de dire qu’il respect entre collègues est un élément fondamental.
est allé aussi loin.» Comme l’a constaté Mediapart, Surtout, il estime que Vincent T. et Klaus Kinzler ont
Klaus Kinzler a en effet utilise# cet incident lors de bafoué le droit au respect de Claire M. et que cette
confe#rences de me#thode de langue allemande de 3e dernière n’a pas bénéficié du soutien de la direction.
anne#e consacre#s a# la «cancel culture». Sollicitée par Mediapart, la directrice, qui n’avait
Interrogé, Klaus Kinzler confirme avoir été le premier pas répondu au Défenseur des droits à l’époque,
à publier tous ces échanges sur son site internet mais conteste toute inertie. « Ces événements avaient donné
assure que s’il l’a fait, c’est parce que le labo Pacte lieu à une action très ferme de la direction qui a
avait « rendu public son communiqué ». En réalité, d’ailleurs mené à la rédaction d’excuses de Klaus
le courrier de Pacte a seulement été envoyé par mail Kinzler », explique-t-elle. Le 16 décembre en effet,
aux personnes concernées et à la direction. «Jamais il l’enseignant s’était une nouvelle fois excusé. Mais au
n’a été rendu public sur notre site», précise l’un de même moment, il exposait sur son site les échanges
ses membres qui admet toutefois qu’il n’aurait pas dû
intituler ce courrier «communiqué».
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mails avec l’enseignante et revendiquait sa démarche tribune en janvier dans Le Point « contre le
dans un courrier adressé au labo Pacte en réponse à “décolonialisme” et les obsessions identitaires »). Il
leur communiqué. est aussi un contributeur régulier du site Atlantico.
Malgré le constat du Défenseur des droits, la direction « Ses tribunes sont d’ailleurs toutes reprises par la
l’assure : « Il est incorrect de dire que nous n’avons revue de presse officielle de l’IEP », remarque l’un de
pas réagi, mais on a tenté d’avoir un dialogue ses collègues pour démontrer qu’on est loin d’une «
constructif », explique Sabine Saurugger. université minée par l’islamo-gauchisme ».
Étudiants et syndicats avaient aussi alerté la « Les idéologies islamo-gauchistes et décoloniales
direction sont devenues tellement puissantes que les instances
officielles cherchent à les protéger », écrivait Vincent
Contrairement à ce qui a pu être dit jusqu’à présent, la
T. par exemple en septembre. « Nos meilleurs
plupart des instances internes ont donc été sollicitées
étudiants sont aujourd’hui conditionnés pour réagir
avant que les fameuses affiches soient collées sur les
de manière stéréotypée aux grands problèmes de
murs de l’IEP. L’Union syndicale, par exemple, avait
société. Ils sont par exemple persuadés que la société
aussi dénoncé l’inaction de la direction et demandé
française est raciste, sexiste et discriminatoire, que les
par courrier qu’elle condamne les propos tenus par le
immigrés ont été amenés de force en France pour être
professeur. « L’islamophobie n’a pas sa place dans
exploités et parqués dans des ghettos, que Napoléon
notre institut tout comme les autres discriminations
était une sorte de fasciste ou que la colonisation était
que peuvent être le racisme et l’antisémitisme », peut-
synonyme de génocide», fustigeait-il en février.
on lire dans un échange daté du 9 janvier. Le syndicat
en profitait pour apporter son soutien à l’enseignante « Vincent est connu pour être à droite de la sociologie.
et demander la suppression du cours sur l’islam de Après, il n’y a aucun élément aujourd’hui permettant
Vincent T. qu’ils accusent d’islamophobie. de prouver qu’il a tenu des propos islamophobes dans
ses cours », nuance toutefois un professeur de l’IEP.
En réponse, la directrice temporise. Sabine Saurugger
« Ce qui est certain, c’est qu’il en fait une obsession.
rappelle l’importance de la liberté d’expression des
Mais il y a aussi une grande frayeur chez lui », ajoute
enseignants mais aussi des principes de « tolérance
son collègue.
et d’objectivité » exigés par les « traditions
universitaires et le code de l’éducation ». Le 13 Après la mort de Samuel Paty par exemple, Vincent
janvier, les étudiants insistent et demandent que l’IEP T. avait vivement réagi dans un mail envoyé à
« ne se cache pas derrière la liberté pédagogique la présidence de l’université en octobre. « Les
pour défendre l’islamophobie ». Ils veulent aussi caricatures publiées par Charlie Hebdo sont devenues
que soit mise à l’ordre du jour du prochain conseil la ligne de démarcation entre la civilisation et
d’administration la suppression du cours de Vincent la barbarie, entre nous et nos ennemis. Soit nous
T. baptisé « Islam et musulmans dans la France acceptons ces caricatures, soit nous les refusons :
contemporaine ». Le 22 février enfin, l’Union à chacun de choisir son camp», écrivait-il avant de
syndicale lance un appel à témoignage sur Facebook et demander à l’université de placarder les caricatures.
demande aux étudiants de faire remonter d’éventuels « Dans le cadre de mes enseignements, il m’arrive,
propos islamophobes tenus par Vincent T. dans ses comme sûrement à d’autres collègues, de présenter
cours. ces dessins lorsque j’aborde l’affaire des caricatures.
« On avait eu plusieurs remontées problématiques Pour cette raison, ma vie est donc potentiellement
», justifie un membre de ce syndicat. Les étudiants en danger. Elle cessera de l’être si toute l’université
évoquent notamment les prises de position de ce assume sa solidarité en placardant ces caricatures
maître de conférences, par ailleurs membre de partout où elle le peut», ajoutait-il avant de conclure :
l’Observatoire du décolonialisme (il a signé une « En l’absence d’une telle mesure élémentaire de
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solidarité et de courage, vous mettrez ma vie en ne réagit pas. L’Union syndicale se tourne aussi vers
danger.» La direction avait alors évoqué la possibilité la justice et porte plainte (elle sera finalement classée),
de signaler des éléments à la police s’il en ressentait pour « diffamation et discrimination à raison des
le besoin. activités syndicales ». Quatre jours plus tard, les noms
Pour cette raison, certains professeurs et étudiants des deux enseignants étaient placardés sur les murs de
jugent le post Facebook de l’Union syndicale l’IEP.
maladroit : «Cet appel à témoignage, même s’il Si, depuis, tout le personnel enseignant condamne sans
ne mentionnait pas son nom, aurait dû rester sur réserve ce collage, certains reçoivent difficilement le
des boucles internes et ne pas être affiché sur le discours que Klaus Kinzler va défendre à la télévision.
réseau social. Vincent était trop identifiable. » Après Et ses accusations contre ses collègues, la direction, les
avoir découvert ce post, l'enseignant envoie un mail étudiants et le labo de recherches Pacte. « Je condamne
aux étudiants : « Pour des raisons que je ne peux très fermement ces affichages mais conteste toute
expliquer par mail, je demande à tous les étudiants responsabilité du labo dans les accusations faites à
qui appartiennent au syndicat dit “Union syndicale” l’encontre de ces deux professeurs dont l’un est aussi
de quitter immédiatement mes cours et de ne jamais y membre de Pacte », soutient Anne-Laure Amilhat-
remettre les pieds. »« Je suis Charlie et je le resterai Szary, directrice du laboratoire.
», conclut-il avant de revenir sur ses propos quelques Tous les enseignants, Klaus Kinzler compris, tombent
jours plus tard. d’accord sur un point. La situation épidémique
Le même jour, Klaus Kinzler envoie un autre mail qui a donné lieu à ces innombrables échanges de
présenté comme étant humoristique aux étudiants, courriels a clairement pu aggraver la situation. « Les
mais aussi à la direction. « Bonjour surtout a# réactions timides de la direction aussi », regrette un
nos petit.e.s Ayatollahs en germe (c’est quoi de#jà enseignant. Simon Persico, maître de conférences à
l’e#criture inclusive d’Ayatollah ?) ! », entame-t-il : l’IEP, résume : « On a soutenu ces deux enseignants,
« Je vois que c#a commence a# e#tre une habitude condamné ces collages, mais l’affaire qui est relatée
chez vous, de lancer des fatwas contre vos profs. dans les médias prend une tournure présentant
» En cause, une réunion assez houleuse entre ces la communauté pédagogique comme des islamo-
profs, Kinzler et d’autres professeurs. L’enseignant gauchistes inconséquents. C’est faux. Il faut apaiser
d’allemand s’était permis de boire de l’alcool « pour ce débat qui a pris une ampleur inédite, aggravé
supporter cette réunion » où il était de nouveau par une situation de confinement très lourde pour les
question de débattre de « l’islamophobie ». étudiants et qui empêche toute discussion sereine et
« Cela vous choque donc tellement, vous respectueuse. »
les “Gardien.n.e.s des bonnes mœurs” auto- Pendant que deux inspecteurs généraux missionnés par
proclame#.e.s, que, apre#s quatre heures Frédérique Vidal auditionnent les différents acteurs
interminables passe#s avec vous, […] j’aie eu besoin de cette affaire, Klaus Kinzler, lui, poursuivait son
de me verser quelques canons derrie#re la cravate marathon médiatique. Il s’interroge aussi sur la suite.
pour ne pas pe#ter un plomb ? », interroge Klaus « Juste après l’émission que j’ai faite sur CNews, j’ai
Kinzler avant de réitérer son soutien à son collègue discuté vingt minutes avec Serge Nedjar, le patron de
Vincent T. « Un enseignant “en lutte”, nazi de par la chaîne, qui voulait que je vienne plus régulièrement.
ses ge#nes, islamophobe multire#cidiviste », écrit-il en Ça m’a flatté», révèle-t-il avant de conclure : « Je vais
guise de signature. y réfléchir. »
« C’est une succession de fautes, il est allé trop loin
», estime l’un de ses collègues. Encore une fois, les
étudiants avertissent immédiatement la direction qui
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Boite noire
Contacté, Vincent T. n’a pas souhaité réagir et nous
a renvoyés vers son avocat et la direction de l’IEP
Grenoble.
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