prevenir-le-cyberharcelement-en-france-et-au-royaume-uni
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en France et au Royaume-
Uni : une tâche impossible ?
Julie Alev DILMAÇ
Cyprus International University,
Centre de Philosophie, d’Épistémologie et de Politique
(PHILéPOL), Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité
Özker KOCADAL
Cyprus International University
Dans la littérature et dans les médias, ces agressions sont plus souvent dési-
gnées par le terme de « cyberharcèlement » (Maurice, 2013) ou encore de har-
1 Enquête Médiamétrie, 2017, 23 février 2017, 2 Comme le montre cet article qui relate le
L’Année Internet 2016 : Le Mobile, l’expé suicide d’une adolescente de Lisieux après
rience enrichie, [en ligne] la diffusion sur Internet d’images intimes la
http://www.mediametrie.fr/internet/ concernant : https://www.20minutes.fr/socie-
communiques/l-annee-internet-2016-le- te/1800231-20160305-lisieux-adolescente-sui-
mobile-l-experience-enrichie.php?id=1623 cidee-apres-diffusion-images-intimes.
(15 avril 2018). 3 Source : Association, e-Enfance, 2016.
L’émergence
du harcèlement numérique
comme problème social
Théorisation d’un fléau international :
l’influence de Dan Olweus
Or, ce sont les travaux de Dan Olweus (1993) qui vont se révéler les précur-
seurs en termes d’étude sur le harcèlement entre pairs. Celui-ci définit cette
forme particulière de violence comme une action négative portée par un ou
plusieurs élèves à l’encontre d’un tiers et dont le but principal est de nuire à
la personne. Pour l’auteur, si les processus d’intimidation peuvent prendre des
formes multiples (allant des taquineries, des sobriquets, des gestes obscènes,
des grimaces, des railleries aux menaces, aux coups et même à l’ostracisme),
trois caractéristiques fondamentales se dégagent de ces violences :
Enfin, le harcèlement entre pairs pourrait être causé par une frustration ou une
agression. Dans ce cas, il serait considéré comme réactif. Or, selon Olweus,
cette violence pourrait aussi être mobilisée dans le but d’obtenir un bien maté-
riel, une certaine reconnaissance sociale, bref être motivée par l’obtention de
quelque chose : dans cette circonstance, on parlerait de harcèlement proactif.
En 2012, cette définition sera élargie par le même auteur qui ira jusqu’à dis-
tinguer sept caractéristiques du cyberharcèlement (Smith, 2012) :
4 – Les rôles des témoins de l’agression seraient plus complexes et variés ici
qu’ils ne le sont dans le harcèlement traditionnel.
5 – Si le harcèlement traditionnel est motivé, dans la plupart des cas, par l’ob-
tention d’un statut gagné par la démonstration de force à travers l’agression de
la victime au vu de témoins, celui-ci différerait dans le cas du cyberharcèlement.
7 – Il serait difficile pour la victime de s’en échapper car elle peut recevoir des
messages sur son téléphone portable ou son ordinateur, ou prendre connais-
sance de commentaires en ligne désobligeants, et ce, où qu’elle se trouve.
Le bashing en est une première forme : cette pratique, qui s’apparente à un lyn-
chage, correspond à un dénigrement continu et collectif de la personne. Elle
se traduit par une humiliation collective par laquelle les mots se joignent au
Tous les cas de figure cités ci-dessus présentent alors les mêmes caractéristiques :
l’objectif premier est de nuire à la personne. L’agression est réitérée et le harcelé
est plongé dans une détresse profonde car il ne peut répliquer à l’affront. Cette
situation est due notamment à la disproportion de pouvoir dans la relation entre
le harcelé et le harceleur (qui s’établit par exemple à travers des compétences
techniques et technologiques plus étendues chez l’agresseur). On remarquera
au passage que tous les termes utilisés pour décrire ces agressions numériques
5 Le Figaro.fr, 2017, 1er août 2017, Marlène 6 ELLE, 2017, 31 mai 2017, Rihanna se fait
Schiappa se dit victime de « bashing », humilier sur Internet à cause de son poids,
[en ligne]. [en ligne]
http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/ http://www.elle.fr/People/La-vie-des-
citations/2017/08/01/25002-20170801- people/News/Rihanna-prend-du-poids-
ARTFIG00204-marlene-schiappa-se-dit- et-se-fait-humilier-sur-Internet-3488978
victime-de-bashing.php (14 mai 2018). (3 avril 2018).
Enrayer la cyberviolence :
discours préventifs français
et anglais
Après avoir clarifié les concepts liés à
cette déviance numérique, nous souhaitons voir comment celle-ci tente d’être
enrayée par les autorités. Le cyberharcèlement a d’ailleurs fait l’objet de diverses
campagnes de prévention, et ce, à un niveau international. La plupart d’entre
elles avaient pour but d’informer et de sensibiliser les populations en suscitant
une prise de conscience de l’existence de tels dangers sur Internet. Les États-
Unis, par exemple, intégrèrent à la campagne « Stop bullying now » des informa-
tions sur le harcèlement numérique. Au Canada, les autorités d’Alberta créèrent
une plateforme spéciale, pour les adolescents et leurs parents, donnant accès
à des informations relatives au cyberbullying et notamment, sur les diverses
formes que celui-ci pouvait prendre ainsi que les sanctions encourues. La
Pologne a également produit une vidéo pour sensibiliser les jeunes au problème
du cyberharcèlement[7]. Citons également la campagne anti-cyberharcèlement
de SIRE (Stichting Ideële Reclame)[8] mise en place aux Pays-Bas.
Or, ici, ce sont les mesures déployées par la France et le Royaume-Uni que nous
proposons d’analyser brièvement. Diverses questions guident cette démarche :
quelles institutions sont-elles impliquées dans la prévention de cette déviance ?
En quels termes ces pratiques sont-elles appréhendées sur les plateformes ?
Existe-t-il des différences fondamentales entre le traitement des attaques sur
les sites français et anglais ? Enfin, la prévention des cyberviolences est-elle
informative (visant la prise de conscience des individus de l’existence de tels
procédés dans le monde virtuel) et/ou régulatrice (prônant le contrôle des
comportements transgressifs) ?
Pour répondre à ces interrogations, nous nous sommes penchés sur les sites
préventifs mis à la disposition des internautes désirant s’informer sur ce type
d’agression. Nous souhaitions en analyser la terminologie employée pour
7 Chroń dziecko w sieci, [en ligne] sous-estimés, d’en discuter et de les rendre
http://www.dzieckowsieci.pl/strona. accessibles aux citoyens, les leaders d’opi-
php?p=204, http://www.dzieckowsieci.pl/ nion et les décideurs. (déclaration sur la
strona.php?p=203. mission de SIRE : http://www.sire.nl/index.
8 SIRE est une fondation indépendante qui a php?id=4).
pour objectif de traiter des sujets sociaux
10 Filsantéjeunes.com : https://www.filsantejeunes.com/.
11 Internet-signalement.gouv.fr : https://www.internetsignalement.gouv.fr/PortailWeb/planets/
Accueil!input.action.
Responsabiliser l’usager
pour éviter la déviance
La responsabilisation des usagers est telle qu’il est même conseillé aux indi-
vidus d’essayer d’identifier les auteurs, et si possible de leur parler, de leur
demander d’effacer les messages diffamants. En outre, si certains sites mettent
en ligne des textes de loi rappelant les sanctions relevant de ce type d’agres-
sions, on constate que les poursuites juridiques sont proposées en dernier
recours : comme le montre ces extraits collectés sur divers sites, « si l’identité du
harceleur n’est pas clairement visible dans les messages, un dépôt de plainte
peut être conseillé », « Engager éventuellement une procédure disciplinaire[16] »,
« Porter plainte si cela s’avère nécessaire »[17]. Il est plutôt conseillé de libérer la
parole, de partager ses expériences, de se confier à quelqu’un de confiance,
bref d’exprimer sa détresse ; or, quand l’interactivité existe sur les sites pré-
ventifs, elle a pour unique fonction de répondre aux questionnements des
usagers ou de les écouter, plutôt que de les aider à porter plainte. De plus,
lorsqu’il est possible de signaler des contenus illicites, ceux-ci relèvent de la
pédophilie ou de l’incitation au terrorisme plutôt que du cyberharcèlement.
Stop online Abuse Une section à part Populations visées : s’il est Bien que le slogan
(2015) Site développé entière est dédiée au avancé que tout individu évoque l’importance
par Galop (association cyberharcèlement. Est est susceptible de se de porter plainte
caritative contre la soulignée de façon faire harceler sur le Net, (« Report, Complain,
violence faite aux originale la difficulté c’est plutôt aux femmes Campaign ! »), le
groupes LGBT) de discerner parfois et aux groupes LGBT que site n’offre aucune
en collaboration où se situe la limite s’adresse ce site. possibilité pour
avec sept autres entre un discours Prévention informative : cette action. S’il
organisations discriminant et la aide à identifier les est possible de
volontaires. liberté d’expression. comportements en contacter l’équipe,
Support du Bureau On retrouve aussi les ligne abusifs. c’est uniquement
gouvernemental termes de revenge pour donner son
chargé des porn et de stalking avis sur le site, et
questions d’égalités (la traque). non pour solliciter
du Royaume‑Uni. une quelconque
aide individuelle.
Le cyberharcèlement :
les divers aspects d’une déviance
Les usagers n’échappent pas non plus à cette régulation car on leur indique
également le bon comportement à avoir pour amoindrir les risques. Or, s’il
faut modifier ses conduites sur la Toile (ne pas partager des informations per-
sonnelles, changer régulièrement son mot de passe, etc.), c’est parce que ce
que nous livrons de nous-mêmes sur Internet, peut avoir des répercussions
hors ligne[21]. Le parallélisme entre monde virtuel et monde réel est systémati-
quement accentué, rappelant ainsi la concomitance entre les deux sphères. Le
problème que l’on combat en ligne est alors inscrit dans la réalité, ce qui contri-
bue à une meilleure identification et de ce fait, une plus grande sensibilisation.
On constate ainsi que les deux pays tentent, chacun à leurs manières, de lutter
contre ce fléau que représentent les agressions numériques : la prévention, si
elle est indispensable pour anticiper et réduire l’impact de ces actes infamants,
peut s’établir sur un mode éducatif, comme dans le cas de la France, ou sur
un mode plus pragmatique et empathique, comme observé dans le modèle
anglais. Or, si ces déviances ont attiré l’attention des autorités, au-delà de leur
aspect transgressif, c’est parce que ces attaques provoquent chez leurs victimes
une profonde détresse qui, dans certains cas, pousse au suicide. Des numéros
verts sont mis à disposition des citoyens en vue de rapporter leur agression :
le 3020 (Non au harcèlement) et celui de Net écoute, 0800 200 000, pour la
France ; et ChildLine 0800 1111, pour le Royaume-Uni.
21 National Society for the Prevention of Cruelty to Children (NSPCC), The UK’s Children Charity :
https://www.nspcc.org.uk/.
Privilégier la « cyberhumiliation »
Une autre différence entre ces deux concepts réside dans la relation même
des différents acteurs : la cyberhumiliation s’établit entre deux individus ; le
cyberharcèlement implique aussi les témoins de l’agression qui jouent un rôle
primordial dans le surenchérissement de la violence. Ils contribuent active-
ment au malaise de la victime et constituent l’élément essentiel de l’agression.
Ainsi, s’il faut distinguer ces deux termes, c’est parce que cela permet d’élargir
le champ de compréhension scientifique sur ce sujet : privilégier l’humiliation
permettrait non seulement de constater que les adolescents ne sont pas les
seuls à être touchés par ce fléau mais aussi que le harcèlement ne consti-
tue pas la seule forme d’agression sur la Toile. Traiter de l’humiliation sur
Internet permettrait de se défaire du sens « fourre-tout » du mot harcèlement
qui regroupe « une série d’agressions de nature assez différentes et n’ayant
pour point commun que d’être perpétrées par le moyen des nouvelles tech-
nologies de la communication » (Bellon, Gardette, 2017, 28).
Conclusion
Pour conclure, nous pouvons affirmer
que depuis que le cyberharcèlement existe, celui-ci s’est trouvé, dans la majo-
rité des cas, appréhendé comme le prolongement du harcèlement scolaire
traditionnel. Selon ce postulat, les autorités ont mis en place des dispositifs
traitant ces deux phénomènes comme deux vases communicants. Ainsi, s’est
répandue l’idée selon laquelle « la lutte contre le cyberharcèlement commence
d’abord par une prévention systématique du harcèlement à l’école » (Bellon,
Gardette, 2017, 140).
Özker KOCADAL
Assistant Professor
en Relations Internationales
Cyprus International University
Faculty of Economics
and Administrative Sciences
Dept. of International Relations
Nicosia, North Cyprus
[email protected]
BELLON J.-P., GARDETTE B. (dir.), 2017, DILMAÇ J.A., 2015b, Les mutations
Harcèlement et cyberharcèlement à du regard : Spectacles et spectateurs à
l’école. Une souffrance scolaire 2.0, Paris, l’ère d’Internet, in CHÂTEAUVERT J.,
ESF Éditeur. DELAVAUD G. (dir.), Les médias en actes,
Paris, L’Harmattan, 123-137.
BERNARD BARBEAU G., 2012, Le
bashing : forme intensifiée de dénigrement DILMAÇ J.A., 2017, L’humiliation
d’un groupe, Signes, Discours et Sociétés, sur Internet : Une nouvelle forme de
8, [en ligne] http://www.revue-signes.info/ cyberdélinquance ?, Déviance et Société,
document.php?id=2478 (13 juillet 2019). 41, 2, 305-330.