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Prévenir le cyberharcèlement

en France et au Royaume-
Uni : une tâche impossible ?
Julie Alev DILMAÇ
Cyprus International University,
Centre de Philosophie, d’Épistémologie et de Politique
(PHILéPOL), Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité

Özker KOCADAL
Cyprus International University

Prévenir le cyberharcèlement en France et au Royaume-Uni : une tâche impossible ?

DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ 389 2019, vol. 43, no 3, pp. 389-419


Introduction
Aujourd’hui, nul ne peut nier l’im-
portance de la place des écrans et des réseaux sociaux dans les interactions
sociales. Véritable source d’information et outil de socialisation, Internet s’est
démocratisé pour s’installer durablement au sein de la vie des Français : en
2016, 41,7 millions d’internautes, soit quatre Français sur cinq se rendaient
chaque mois sur au moins un réseau social ; ils étaient 26,5 millions à s’y
connecter chaque jour[1].

Or, si celui-ci permet une indéniable ouverture sur le monde, Internet a de


même modifié les façons d’agir et d’interagir entre les acteurs (Dilmaç, 2015a) :
grâce aux modalités qui y sont proposées, cette plateforme permet de « voir »
les Autres tout en se faisant voir d’eux, et ce, dans les moindres détails (Dilmaç,
2014, 2015b). Dans ce contexte, il n’est d’ailleurs pas rare que certains indivi-
dus perdent le contrôle des images qu’ils avaient eux-mêmes partagées. On
constate ainsi de nouvelles dérives sur Internet. Ces dernières, dont certaines
peuvent aller jusqu’à remettre en question la dignité et la réputation des indi-
vidus, représentent d’ailleurs un sujet d’actualité que de nombreux chercheurs
ont tenté d’analyser. Cet engouement n’est pas surprenant au vu du nombre
important de victimes s’étant donné la mort après avoir subi des intimidations
sur Internet [2]. En France, un collégien sur cinq serait ainsi concerné par la
cyberviolence (Hubert, 2014). En 2017, 61 % d’entre eux affirmaient avoir déjà
songé au suicide et on estime que trois à quatre suicides d’adolescents par an
seraient dus à ce type d’agression en ligne[3].

Ce phénomène a d’ailleurs préoccupé les scientifiques de divers pays : cher-


cheurs d’Australie (Campbell, 2005), du Canada (Li, 2007), des États-Unis
(Kowalski, Limber, 2007 ; Wolak et al., 2007a) mais aussi ceux des Pays nor-
diques (Slonje, Smith, 2008 ; Salmivalli, Helteenvuori, 2007), du Royaume-Uni
(Smith et al., 2006) et plus récemment de Chypre (Dilmaç, 2017) entre autres
ont tenté d’analyser les actes d’humiliations perpétrés à l’aide des nouveaux
modes de communication, preuve qu’il s’agit de phénomènes qui s’étendent
au monde entier et qui s’accentuent de jour en jour, et ce, depuis plus de dix
ans (Ybarra et al., 2006 ; Wolak et al., 2007b ; Brunstein Klomek et al., 2010).

Dans la littérature et dans les médias, ces agressions sont plus souvent dési-
gnées par le terme de « cyberharcèlement » (Maurice, 2013) ou encore de har-

1 Enquête Médiamétrie, 2017, 23 février 2017, 2 Comme le montre cet article qui relate le
L’Année Internet 2016 : Le Mobile, l’expé­ suicide d’une adolescente de Lisieux après
rience enrichie, [en ligne] la diffusion sur Internet d’images intimes la
http://www.mediametrie.fr/internet/ concernant : https://www.20minutes.fr/socie-
communiques/l-annee-internet-2016-le- te/1800231-20160305-lisieux-adolescente-sui-
mobile-l-experience-enrichie.php?id=1623 cidee-apres-diffusion-images-intimes.
(15 avril 2018). 3 Source : Association, e-Enfance, 2016.

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cèlement numérique (Girot, 2005 ; David-Ferdon, Feldman Hertz, 2007, 2).
Ils renverraient au fait d’humilier de manière répétitive une personne par le
biais d’un moyen de communication ou par voie électronique (Vandebosch,
Van Cleemput, 2007, 3). Tout comme dans le harcèlement traditionnel, il
serait question d’un acte agressif intentionnel réitéré par un groupe ou un
individu à l’encontre d’une victime démunie de tout moyen de se défendre
(Olweus, 1993).

En outre, « protagoniste[s] d’une vie virtuelle qu’il[s] mène[nt] de manière


autonome et sans les adultes » (Graziani, 2012, 36), les populations juvéniles
seraient les plus touchées par ce phénomène, non seulement en tant que vic-
time mais aussi en qualité d’agresseur. L’âge et l’inexpérience de cette cohorte,
ainsi que son usage exacerbé des nouvelles technologies (perçu comme pri-
mordial à leur socialisation), couplés aux nombreux cas de harcèlement per-
pétrés par le groupe de pairs au sein des écoles sont autant de facteurs qui
rendent les préadolescents et leurs aînés vulnérables aux attaques en ligne.
Il n’est d’ailleurs pas rare que le cyberharcèlement soit appréhendé comme
le prolongement du harcèlement scolaire (Elliott, 2015 ; Romano, 2015). Les
campagnes de prévention mises en place pour combattre ce fléau vont d’ail-
leurs s’établir sur ce même a priori : on s’adresse aux populations juvéniles
mais aussi à leurs accompagnants, à savoir aux parents et enseignants qui se
voient chargés d’éduquer cette cohorte aux risques encourus sur Internet.

Cependant, malgré l’intérêt des scientifiques à l’égard de cette déviance et les


dispositifs mis en place par les autorités pour sensibiliser les citoyens, cette
cyberviolence perdure : le rapport européen sur le harcèlement en ligne (2013)
indique que 10 % de la population occidentale a subi et subira un acte de har-
cèlement et que 61 % des victimes affirment n’avoir reçu aucun soutien quel
qu’il soit de la part d’organismes ou de leur entourage.

Pour comprendre ce phénomène, à la lumière des sites préventifs français et


anglais, nous nous proposons ici d’analyser les mesures envisagées en vue
de combattre le harcèlement numérique. Quels discours se dégagent-ils des
plateformes censées informer les usagers de l’existence de ces déviances ? En
quels termes ces attaques virtuelles sont-elles décrites ? Quelle(s) cohorte(s)
représentent les populations cibles de ces démarches préventives ? Ces sites
sont-ils informatifs ou ont-ils aussi une fonction régulatrice visant à influer
sur les comportements déviants ?

La première partie de l’article s’attachera à expliquer l’intérêt scientifique pro-


voqué par l’émergence du harcèlement en ligne et à définir cette déviance. La
seconde partie sera consacrée aux différences fondamentales qui se dégagent de
la prévention française et anglaise : une analyse des discours des sites Internet
nous permettra de voir comment est appréhendé ce fléau, les conseils prodi-
gués aux usagers mais aussi les acteurs impliqués dans le travail de prévention.

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On s’interrogera de même sur le type de prévention préconisée (informative
ou régulatrice ?). La troisième partie abordera, quant à elle, les éventuelles
limites des mesures observées et les solutions qui pourraient y être apportées.

L’émergence
du harcèlement numérique
comme problème social
Théorisation d’un fléau international :
l’influence de Dan Olweus

Les études sur le harcèlement ont


émergé dans les années 1970 en Scandinavie. Celles-ci avaient pour but de
comprendre la logique des agressions au sein de l’enceinte scolaire. Deux
termes vont faire leur apparition à cette même époque : celui de « bullying »
(qui renvoie au harcèlement) et celui de « mobbing » (qui correspondrait, lui,
au harcèlement moral). Pour certains, la différence entre ces deux vocables
résiderait dans le nombre de personnes impliquées dans l’acte d’humiliation :
les cas de bullying comprendraient un seul agresseur, alors que le mobbing
engagerait tout un groupe.

Or, ce sont les travaux de Dan Olweus (1993) qui vont se révéler les précur-
seurs en termes d’étude sur le harcèlement entre pairs. Celui-ci définit cette
forme particulière de violence comme une action négative portée par un ou
plusieurs élèves à l’encontre d’un tiers et dont le but principal est de nuire à
la personne. Pour l’auteur, si les processus d’intimidation peuvent prendre des
formes multiples (allant des taquineries, des sobriquets, des gestes obscènes,
des grimaces, des railleries aux menaces, aux coups et même à l’ostracisme),
trois caractéristiques fondamentales se dégagent de ces violences :

– Le premier élément commun correspond à la répétition de l’agression ; le


harcèlement entre pairs serait réitéré et s’inscrirait dans la durée.

– Le deuxième attribut renvoie à la disproportion des forces entre l’agresseur


et la victime.
Cette particularité va d’ailleurs être analysée en détail par Olweus qui établit
un profil précis des protagonistes impliqués dans cette violence. Les victimes
seraient toujours plus faibles que leur(s) persécuteurs, auraient une mauvaise
image d’elles-mêmes et manqueraient de confiance en elles. Ayant des difficul-
tés à trouver leur place dans un groupe, elles seraient socialement isolées et donc
sans défense, mais auraient cependant de bonnes relations avec leurs parents,
et plus particulièrement avec leur mère. Cette caractéristique n’est pas parta-
gée par les agresseurs, qui eux, sont souvent en conflit avec leur famille et de
manière générale avec les adultes. Ils présenteraient certains traits spécifiques

Dossier L’humiliation sur Internet : acteurs, méthodes d’enquête et prévention

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tels que le besoin de dominer autrui, l’absence d’empathie et l’impulsivité. Ils
ne connaîtraient pas l’anxiété et ne souffriraient pas de déconsidération d’eux-
mêmes. Les agresseurs seraient toujours physiquement plus forts que leurs
victimes et aussi souvent plus âgés. Ils auraient également une vision positive
de la violence.

– Enfin, la troisième caractéristique du harcèlement entre pairs est l’intention


de nuire.
Ainsi, selon Olweus, cette violence pourrait être physique (relevant de coups
et/ou coups de pied, de pincements, de contrôle physique de la victime ou
encore de bousculades), verbale (par exemple à travers des menaces, des
moqueries ou par l’attribution d’un surnom péjoratif) et non verbale (à l’ins-
tar de grimaces, de gestes intimidants, de regards insistants). Plus encore, un
individu pourrait être victime de bullying direct, et donc d’attaques physiques,
situation qui serait plutôt le fait des garçons, aussi bien en tant que persécuté
qu’agresseur ; ou de bullying indirect, forme plus subtile, basée sur la mise en
circulation de rumeurs, d’informations diffamatoires ou sur la manipulation de
tiers contre le bouc émissaire, pratiques entraînant l’isolement de la victime.
Si les filles sont plus enclines à utiliser ce type de harcèlement, les garçons en
seraient tout aussi victimes qu’elles.

Enfin, le harcèlement entre pairs pourrait être causé par une frustration ou une
agression. Dans ce cas, il serait considéré comme réactif. Or, selon Olweus,
cette violence pourrait aussi être mobilisée dans le but d’obtenir un bien maté-
riel, une certaine reconnaissance sociale, bref être motivée par l’obtention de
quelque chose : dans cette circonstance, on parlerait de harcèlement proactif.

Outre ce travail de conceptualisation, Olweus s’avère de même un pionnier


dans le domaine de la prévention de ce type de violence. Il est notamment le
premier à envisager une approche scolaire globale (Whole School Approach)
en vue de lutter contre le harcèlement en impliquant tout le personnel sco-
laire, du directeur d’école aux enseignants, mais aussi les parents et les élèves
dans la conception d’une politique préventive. Des matériaux informatifs à
l’attention des parents, des formations soutenues pour le personnel scolaire,
la diffusion de vidéos en vue de sensibiliser directement les élèves dans leur
classe, la conception d’un questionnaire permettant d’évaluer le problème
de harcèlement au sein de l’établissement, l’élaboration de structures par-
ticipatives afin de susciter l’engagement de tous les acteurs dans le travail
de prévention de ce phénomène, etc. sont autant de dispositifs proposés par
Olweus dans sa politique de sensibilisation. Ainsi, pour lui, c’est par la struc-
turation de l’environnement social scolaire que devrait être envisagée la lutte
contre ce fléau : un cadre normatif strict doit alors être déterminé avec l’apport
et l’engagement de tous les acteurs, prérogatives essentielles pour endiguer
le problème du harcèlement. Ces démarches vont ainsi faire naître en 1983

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la première campagne nationale norvégienne anti-harcèlement, ainsi qu’un
programme d’intervention scolaire préconisé par Olweus, qui permettra de
réduire de près de 50 % ce type d’agressions.

Inspirés par le succès des campagnes préventives scandinaves, d’autres pays


(tels que les États-Unis) vont concentrer leurs efforts sur ce phénomène nais-
sant, et ce, dès 1989. Un des changements majeurs à cette époque relève de la
définition même du harcèlement : considéré auparavant comme essentielle-
ment physique ou verbal, il est désormais appréhendé dans son aspect « indi-
rect » et relationnel, tel qu’il peut être vécu, par exemple, par une personne
victime d’une rumeur ou d’une exclusion sociale.

Dans les années 1990 et jusqu’en 2004, le sujet du harcèlement traditionnel


va s’internationaliser. C’est au tour des pays européens, australiens (Peterson,
Rigby, 1999 ; Price, Dalgleish, 2010) et néo-zélandais (Rigby, 2002) de prendre
conscience de ce fléau qui envahit les sociétés. Cette préoccupation va se reflé-
ter notamment dans les recherches scientifiques qui vont s’intensifier au cours
de la période. C’est l’époque des premières études de victimisation aux États-
Unis (Espelage, Swearer, 2004).

Or, à partir de 2003-2004, une nouvelle forme de violence va émerger et atti-


rer l’attention des chercheurs : il s’agit du cyberharcèlement (Tokunaga, 2010 ;
Smith, 2012). Celui-ci va tout d’abord s’établir au travers des messages SMS et
des e-mails (Rivers, Noret, 2010) pour ensuite profiter du développement des
smartphones pour gagner les réseaux sociaux. En 2003, le professeur canadien
Bill Belsey en élabore une première définition : selon lui, « la cyberintimida-
tion est l’utilisation des technologies de l’information et de la communication
(comme l’e-mail, le téléphone portable et les SMS, la messagerie instantanée,
les pages Web personnelles) pour adopter délibérément, répétitivement et de
manière agressive un comportement à l’égard d’un individu ou d’un groupe
avec l’intention de provoquer un dommage à autrui (in Bellon, Gardette, 2017,
19) ». Cette définition sera suivie en 2008 par celle de Peter K. Smith et al. qui
décriront ce type de cyberviolence comme un acte agressif, intentionnel,
perpétré de façon répétée et au moyen de formes de communication élec-
tronique, à l’encontre d’une victime qui n’est pas en mesure de se défendre
seule facilement.

En 2012, cette définition sera élargie par le même auteur qui ira jusqu’à dis-
tinguer sept caractéristiques du cyberharcèlement (Smith, 2012) :

1 – Il dépendrait d’un certain degré d’expertise technologique.

2 – Il serait essentiellement indirect et par conséquent pourrait s’effectuer de


manière anonyme.

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3 – Prenant forme à travers les moyens de communication, l’agresseur dans
la majorité des cas, ne pourrait voir la réaction de la victime, du moins dans
le court terme.

4 – Les rôles des témoins de l’agression seraient plus complexes et variés ici
qu’ils ne le sont dans le harcèlement traditionnel.

5 – Si le harcèlement traditionnel est motivé, dans la plupart des cas, par l’ob-
tention d’un statut gagné par la démonstration de force à travers l’agression de
la victime au vu de témoins, celui-ci différerait dans le cas du cyberharcèlement.

6 – L’étendue du nombre de spectateurs potentiels est accrue ici puisque le cyber-


harcèlement peut toucher un large public au sein du groupe de pairs, comparé
aux groupes plus réduits qui constituent le public du harcèlement traditionnel.

7 – Il serait difficile pour la victime de s’en échapper car elle peut recevoir des
messages sur son téléphone portable ou son ordinateur, ou prendre connais-
sance de commentaires en ligne désobligeants, et ce, où qu’elle se trouve.

Les formes diverses


du cyberharcèlement

Ainsi, au vu des définitions proposées


jusqu’ici, on constate que le terme de « cyberharcèlement » désigne, dans une
majorité des cas, les attaques réitérées par le biais des moyens de communica-
tion (notamment Vandebosch, Van Cleemput, 2008 ; Olweus, 2012) d’un indi-
vidu ou un groupe de personnes à l’encontre d’une victime, et dont le but serait
de la rabaisser, de l’humilier, bref de réduire à néant sa dignité, son estime de
soi. Cette conduite agressive intentionnelle se répéterait régulièrement mais
pas quotidiennement et engendrerait une relation dominant/dominé, provo-
quant chez l’individu visé un sentiment de confusion, de colère et de tristesse
(Carlson, 1987). La victime n’aurait ainsi aucun moyen de se défendre (Olweus,
1999 ; Smith et al., 2008), ce qui aggraverait son état de détresse.

Cette idée de la réitération de l’acte agressif est intrinsèque à la dénomination


de la victime de ce type d’attaques : en France, on parle de « bouc émissaire » ;
au Canada, de « souffre-douleur », termes qui désignent tous deux une per-
sonne continuellement en proie à des railleries de la part des autres. En pre-
nant pour base ces postulats, nous pouvons alors mentionner diverses formes
communes de cyberharcèlement dans le monde virtuel.

Le bashing en est une première forme : cette pratique, qui s’apparente à un lyn-
chage, correspond à un dénigrement continu et collectif de la personne. Elle
se traduit par une humiliation collective par laquelle les mots se joignent au

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regard pour déprécier un bouc émissaire. Ainsi, « différents actes sont associés
au bashing, notamment, mais pas exclusivement, l’insulte, la moquerie et le
reproche, qui constituent non seulement des actes menaçants […], mais qui, plus
encore, possèdent un contenu et une visée potentiellement offensants (Bernard
Barbeau, 2012). » Si, dans les médias, on a parlé du « Hollande bashing » ou plus
récemment, du dénigrement dont la secrétaire d’État à l’égalité femmes-hommes
Marlène Schiappa se disait être victime[5], cette forme d’acharnement touche
toutes les catégories sociales de la population. On retrouve ainsi dans la littérature
anglo-saxonne des références au « gay bashing », au « poor bashing », au « Muslim
bashing », qui désignent les discours « anti- » visant les différentes communautés.

Un autre exemple relevant du cyberharcèlement et dans lequel l’attaque en


ligne réitérée est présente est le body-shaming[6]. Celui-ci consiste à dénigrer
sur Internet le corps d’un individu : on le moque, on pointe du doigt ses défauts,
on en fait une caricature tout en le soumettant aux regards et commentaires
des autres internautes. La surenchère de ces derniers sur le premier post vient
renforcer les propos et faire naître chez la personne visée le sentiment d’être
harcelée. On retrouve d’ailleurs la même logique dans le cas du « slut shaming »
(littéralement « l’humiliation des salopes »), terme proposé par les féministes aux
États-Unis. Cette forme de violence qui touche plus particulièrement les jeunes
filles, consiste à déconsidérer celles dont le maquillage, l’attitude, la tenue vesti-
mentaire, voire les activités sexuelles ne correspondent pas aux normes en
vigueur dans un groupe d’adolescents. Certains propos vont même jusqu’à
dénigrer les victimes de viol, les rendant responsables de leur agression sexuelle.

Enfin, autre exemple de cyberharcèlement est celui du cyberstalking : il s’agit


pour le harceleur de suivre et de traquer sans relâche les moindres faits et
gestes de sa victime sur Internet. Ce type de violence se met en place par
l’envoi répété de messages injurieux par exemple ; le but étant de faire savoir
à la proie que celle-ci est épiée.

Tous les cas de figure cités ci-dessus présentent alors les mêmes caractéristiques :
l’objectif premier est de nuire à la personne. L’agression est réitérée et le harcelé
est plongé dans une détresse profonde car il ne peut répliquer à l’affront. Cette
situation est due notamment à la disproportion de pouvoir dans la relation entre
le harcelé et le harceleur (qui s’établit par exemple à travers des compétences
techniques et technologiques plus étendues chez l’agresseur). On remarquera
au passage que tous les termes utilisés pour décrire ces agressions numériques

5 Le Figaro.fr, 2017, 1er août 2017, Marlène 6 ELLE, 2017, 31 mai 2017, Rihanna se fait
Schiappa se dit victime de « bashing », humilier sur Internet à cause de son poids,
[en ligne]. [en ligne]
http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/ http://www.elle.fr/People/La-vie-des-
citations/2017/08/01/25002-20170801- people/News/Rihanna-prend-du-poids-
ARTFIG00204-marlene-schiappa-se-dit- et-se-fait-humilier-sur-Internet-3488978
victime-de-bashing.php (14 mai 2018). (3 avril 2018).

Dossier L’humiliation sur Internet : acteurs, méthodes d’enquête et prévention

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finissent par « -ing », terminaison qui, en anglais, met l’accent sur l’aspect « en
vigueur » de l’action. Cette tournure tend à souligner que les dénigrements per-
durent et sont renouvelés dans le temps : outre l’acte dégradant en lui-même, c’est
la réitération de celui-ci qui joue un rôle clé dans la déstabilisation de la personne.

Enrayer la cyberviolence :
discours préventifs français
et anglais
Après avoir clarifié les concepts liés à
cette déviance numérique, nous souhaitons voir comment celle-ci tente d’être
enrayée par les autorités. Le cyberharcèlement a d’ailleurs fait l’objet de diverses
campagnes de prévention, et ce, à un niveau international. La plupart d’entre
elles avaient pour but d’informer et de sensibiliser les populations en suscitant
une prise de conscience de l’existence de tels dangers sur Internet. Les États-
Unis, par exemple, intégrèrent à la campagne « Stop bullying now » des informa-
tions sur le harcèlement numérique. Au Canada, les autorités d’Alberta créèrent
une plateforme spéciale, pour les adolescents et leurs parents, donnant accès
à des informations relatives au cyberbullying et notamment, sur les diverses
formes que celui-ci pouvait prendre ainsi que les sanctions encourues. La
Pologne a également produit une vidéo pour sensibiliser les jeunes au problème
du cyberharcèlement[7]. Citons également la campagne anti-cyberharcèlement
de SIRE (Stichting Ideële Reclame)[8] mise en place aux Pays-Bas.

Or, ici, ce sont les mesures déployées par la France et le Royaume-Uni que nous
proposons d’analyser brièvement. Diverses questions guident cette démarche :
quelles institutions sont-elles impliquées dans la prévention de cette déviance ?
En quels termes ces pratiques sont-elles appréhendées sur les plateformes ?
Existe-t-il des différences fondamentales entre le traitement des attaques sur
les sites français et anglais ? Enfin, la prévention des cyberviolences est-elle
informative (visant la prise de conscience des individus de l’existence de tels
procédés dans le monde virtuel) et/ou régulatrice (prônant le contrôle des
comportements transgressifs) ?

Pour répondre à ces interrogations, nous nous sommes penchés sur les sites
préventifs mis à la disposition des internautes désirant s’informer sur ce type
d’agression. Nous souhaitions en analyser la terminologie employée pour

7 Chroń dziecko w sieci, [en ligne] sous-estimés, d’en discuter et de les rendre
http://www.dzieckowsieci.pl/strona. accessibles aux citoyens, les leaders d’opi-
php?p=204, http://www.dzieckowsieci.pl/ nion et les décideurs. (déclaration sur la
strona.php?p=203. mission de SIRE : http://www.sire.nl/index.
8 SIRE est une fondation indépendante qui a php?id=4).
pour objectif de traiter des sujets sociaux

Prévenir le cyberharcèlement en France et au Royaume-Uni : une tâche impossible ?

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désigner cette déviance, les populations visées, les recommandations émises
et l’aide prodiguée.

Approches et contenus des initiatives


de prévention française

Pour mieux mettre en lumière les


différentes approches des sites préventifs face au cyberharcèlement, deux
tableaux ont été produits, un pour chaque contexte. Il s’agissait ici de décrire
les termes utilisés par les plateformes pour conceptualiser cette cyberviolence,
les types de prévention envisagés et enfin de renseigner sur l’interactivité de
ces sites, à savoir s’il était possible pour une victime de porter plainte ou de
signaler une agression en cas de harcèlement.

Tableau I. Sites préventifs français concernant le cyberharcèlement

Site analysé Conceptualisation Type de prévention : Interactivité


de la violence informative Usagers/autorités
ou régulatrice ?

Cnil[9] (1978) Sont considérées Insiste sur l’importance Possibilité de porter


Créée comme du de la maîtrise des plainte sur le site
par la loi Informatique cyberharcèlement données personnelles à la condition
et Libertés. le happy slapping, sur Internet, celle de de présenter des
C’est une autorité les rumeurs, la connaître ses droits et preuves justifiant
administrative création de faux de les faire valoir. Le des démarches
indépendante. profils, le partage droit à l’effacement ou effectuées au
de photographies celui du déférencement préalable auprès des
humiliantes sont mentionnés. sites hébergeant les
entre autres. Populations visées : tous contenus humiliants
les usagers. Les sanctions par les usagers.
pénales de chaque
infraction sont précisées.
Prévention informative
et régulatrice : le site
guide les victimes en
leur expliquant comment
réagir après l’attaque
(ne pas répliquer, limiter
sa visibilité, etc.).

9 Cnil : https://www.cnil.fr/ et https://www.cnil.fr/sites/default/files/atoms/files/affiche.pdf.

Dossier L’humiliation sur Internet : acteurs, méthodes d’enquête et prévention

DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ 398 2019, vol. 43, no 3, pp. 389-419


e‑Enfance (2005) Le cyberharcèlement Intervention dans les Interaction possible
Association y est décrit comme écoles et structures par formulaire pour
reconnue une forme récente d’accueil. Sensibilisation poser des questions,
d’utilité publique de harcèlement qui des jeunes. Conseils aux indiquer le problème
agréée s’effectue via les parents et formation rencontré, indiquer
par le ministère sms et les réseaux des professionnels les démarches déjà
de l’Éducation sociaux. La répétition de l’éducation. effectuées. Or, si le
nationale de l’agression est une Populations visées : les site comprend un
et partenaire caractéristique clé. 7‑12 ans ; les 13 ans onglet « signaler », le
de la journée Si certaines formes et plus ; les parents et lien vers la page ne
« Non de cyberharcèlement les professionnels. fonctionne pas.
au harcèlement » mentionnées Prévention informative
depuis 2012. ici peuvent être et régulatrice : explique
réitérées (moqueries, comment réagir face
intimidations), aux risques potentiels
d’autres ne d’Internet. Il est question
correspondent pas d’une « sensibilisation
à ce critère (par des jeunes aux bonnes
exemple le sexting). pratiques du numérique ».
Des conseils sont
prodigués aux victimes,
aux persécuteurs
mais aussi aux
témoins d’agressions.

Fil Santé Le cyberharcèlement Donne des conseils Un numéro vert


jeunes[10] (2001) n’est pas cité en relevant du domaine de la pour poser des
Ce service, mis soi. En revanche, santé et invite à prendre questions en
à disposition par on trouve une part à la journée anti‑ s’inscrivant sur
l’association reconnue page concernant le harcèlement organisée le site. Partage
d’utilité publique harcèlement scolaire, par le ministère de de témoignages
l’École des parents sous la bannière l’Éducation nationale. et réponses
et des éducateurs « Moi et les Autres », Population visée : les données par les
d’Île‑de‑France, puis « L’école et 12‑25 ans. professionnels pour
est composé de Moi ». La définition Prévention informative : des cas antérieurs.
professionnels qui y est donnée les usagers sont invités Moyens pour
de santé et de correspond à celle à faire part de leur dialoguer avec les
professionnels d’Olweus, sans pour expérience. Le site professionnels ou
du Net. autant qu’il soit cité. s’adresse plus aux avec ses pairs :
victimes et aux témoins, chat individuel, chat
qu’aux agresseurs collectif et forum.
(les professionnels
acceptent par exemple
les questions liées aux
problèmes d’identification
du harcèlement).

10 Filsantéjeunes.com : https://www.filsantejeunes.com/.

Prévenir le cyberharcèlement en France et au Royaume-Uni : une tâche impossible ?

DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ 399 2019, vol. 43, no 3, pp. 389-419


Site analysé Conceptualisation Type de prévention : Interactivité
de la violence informative usagers/autorités
ou régulatrice ?

Internet Sans crainte Le cyberharcèlement Populations visées : les Interaction possible


(date de création est cité avec le parents, les éducateurs, par formulaire
non mentionnée) harcèlement scolaire. les 7‑12 ans, les pour obtenir des
Programme national Il est décrit comme 12‑17 ans. informations
de sensibilisation des pouvant prendre la Prévention informative supplémentaires ou
jeunes aux risques de forme d’agressions, et régulatrice : vidéos à commande de kit
l’Internet qui s’inscrit d’insultes, de l’attention des parents de communication
dans le programme moqueries, de qui visent à leur pour les enseignants
Safer Internet de la menaces, mais aussi apprendre à détecter le et éducateurs.
Commission de publications cyberharcèlement et à
européenne. de photos, de en parler. Il est conseillé
rumeurs, de aux parents d’utiliser
piratage de comptes des filtres sur Internet
ou d’usurpation mais aussi de placer
d’identité numérique. l’ordinateur dans une
pièce commune en vue
de minimiser les risques.

Internet‑ Le cyberharcèlement Les moyens de se Possibilité de


signalement[11] n’est pas cité. protéger des pièges sur le signaler tous
(date de création Informe sur les divers Web y sont décrits. contenus et
non mentionnée) crimes tels le « scam » Populations visées : les comportements
Portail officiel de et le « phishing ». Le parents, les enfants et les illicites à travers
signalements des site rappelle que ces usagers en général. un formulaire.
contenus illicites attaques peuvent Prévention informative et Les interventions
de l’Internet géré être signalées, tout régulatrice : des conseils urgentes, en cas de
par le ministère comme la pédophilie, sont prodigués en vue suicide par exemple,
de l’Intérieur. les incitations d’identitifer les cybercrimes ne sont pas traitées
à la haine et la et de contrôler les sur cette plateforme.
discrimination en tout comportements. Les
genre, les menaces conduites se devant d’être
et incitations à régulées sont celles des
la violence, les usagers pour éviter toute
trafics illicites, etc. attaque éventuelle. Rappel
des sanctions par d’articles
du Code pénal ; or, ceux‑ci
visent à rappeler que
toutes dénonciations
mensongères sont punies
par la loi.

Net Écoute (2001) Omniprésence Plus que de prévenir, ce Communication


Projet soutenu par du terme site d’écoute vise à aider par e‑mail, par
la Commission cyberharcèlement les victimes. téléphone, par
européenne et en mais aucune définition. Populations visées : les sms ou par chat
partenariat avec Autre terme cité : enfants et les adolescents, en direct. Plainte
le ministère de cybermalveillance. les victimes. impossible.
l’Éducation nationale. On y mentionne Prévention informative : Fonction du site :
uniquement conseils pour la filtrer et réorienter
« les problèmes suppression des données les usagers vers
d’usages numériques » sur Facebook, Youtube, d’autres institutions.
sans détail. Google, Instragram.

11 Internet-signalement.gouv.fr : https://www.internetsignalement.gouv.fr/PortailWeb/planets/
Accueil!input.action.

Dossier L’humiliation sur Internet : acteurs, méthodes d’enquête et prévention

DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ 400 2019, vol. 43, no 3, pp. 389-419


Non au Harcèlement Le cyberharcèlement Populations visées : les Interactivité
(date de création est envisagé auteurs, les victimes, inexistante.
non mentionnée) comme différent les témoins de Cependant, les
Dispositif national du harcèlement cyberharcèlement, mais numéros verts en
subventionné par traditionnel aussi les parents, le cas de problèmes
l’Éducation nationale mais évoluant personnel éducatif. Les sont donnés. Il
parallèlement au jeunes sont encouragés à est possible de
harcèlement scolaire devenir des ambassadeurs télécharger et de
(Olweus). Il inclut de la lutte contre partager les affiches
intimidations, cette cyberviolence. de sensibilisation
rumeurs, partage Prévention informative au problème de
d’images non et régulatrice : partage cyberharcèlement.
consenties, piratage de vidéos d’experts Les usagers peuvent
de compte, sexting et expliquant le phénomène être impliqués
usurpation d’identité. du sexting. Les sanctions dans le processus
Les conséquences relevant du partage de prévention à
de ces actes sur le non consenti sont titre individuel.
bien‑être et la santé citées. Conseils aux
mentale des victimes, parents sur les principes
des agresseurs et des de précaution qu’ils
témoins sont cités. doivent transmettre
à leurs enfants usant
des technologies

Point de contact[12] Terme Populations visées : tous Signalement des


(1998) Association cyberharcèlement les internautes. Plus que contenus illicites
loi de 1901. Est inexistant. Or, de prévenir ou d’informer à travers un
l’un des acteurs du possibilité de signaler les utilisateurs sur formulaire anonyme.
« Safer Internet Centre tout contenu illicite l’existence de déviances Les membres
français » composé rencontré lors sur le Net, le site procèdent alors
de l’association de la navigation permet aux usagers de à la qualification
e‑enfance, d’Internet sur Internet. Les « signaler » tout contenu juridique, puis à une
sans crainte et de infractions pouvant pouvant choquer. analyse technique
Point de Contact. être signalées : les en vue de localiser
images à caractère la source de
sexuel mettant l’information, pour
en scène des ensuite entreprendre,
mineurs ou leur si besoin est, des
étant accessibles ; démarches auprès
les incitations à des prestataires
la violence, à la techniques pour le
discrimination, au retrait du contenu.
suicide mais aussi
la provocation
au terrorisme, le
harcèlement sexuel.

12 Point de contact : http://www.pointdecontact.net.

Prévenir le cyberharcèlement en France et au Royaume-Uni : une tâche impossible ?

DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ 401 2019, vol. 43, no 3, pp. 389-419


Éduquer pour prévenir

Notre étude exploratoire montre que


les sites de préventions français s’adressent essentiellement aux populations
juvéniles et à leurs accompagnants (parents et enseignants). D’ailleurs, la mise
en page, les couleurs et caractères utilisés, mais aussi le ton employé sur ces
plateformes sont adaptés à cette cohorte. Pour plus de familiarité, le tutoiement
est de mise. Le slogan de Net écoute, ligne nationale d’accueil téléphonique
mise en œuvre dans le cadre du programme Internet sans crainte, est on ne
peut plus clair sur l’objectif fixé : « Besoin d’aide ? Nous sommes là pour t’écou-
ter et t’accompagner ». D’ailleurs, le site mentionne de manière explicite la
population visée : il serait ainsi « destiné aux enfants et adolescents confrontés
à des problèmes dans leurs usages numériques ». De plus, on constate que le
cyberharcèlement est appréhendé comme le prolongement du harcèlement
scolaire. Sur certains sites, il est d’ailleurs même indiqué que le harcèlement en
ligne se doit d’être intégré « dans la politique de prévention et de lutte contre
le harcèlement à l’école car il n’en est souvent qu’une des modalités » (Non
au harcèlement[13]). Il n’est donc pas surprenant que les efforts de prévention
portent sur cette institution et engagent les acteurs qui y sont attachés. Les
messages contenus sur les sites Web prônent ainsi une prévention essentielle-
ment basée sur l’éducation des populations. Les propos de la responsable
du programme « Internet sans crainte[14] » de la Commission européenne,
Pascale Garreau, vont d’ailleurs dans le même sens : « L’éducation est la clé
pour changer les comportements sur Internet, et à terme, les comportements
dans l’espace public ».

En grande majorité, la prévention française repose sur le modèle d’Olweus, la


« Whole School policy », qui vise à impliquer tous les acteurs de l’établissement
scolaire dans la lutte contre le harcèlement. De plus, même si celui-ci n’est
pas cité, c’est la définition de ce chercheur que les sites préventifs utilisent
pour décrire cette déviance. Les plateformes proposent en effet une définition
du cyberharcèlement qui souligne l’aspect répétitif des actes de violence et
l’utilisation des outils communicationnels. Cependant, on constate que dans
certains cas, la définition proposée, si elle est claire, ne correspond pas aux
situations censées illustrer l’acte en question énoncé sur le même site. Par
exemple, si sur le site Non au harcèlement, le cyberharcèlement est décrit
comme un acte agressif répété, intentionnel, perpétré par un individu au
moyen de formes de communication électroniques, cette définition correspond
difficilement aux illustrations proposées par les créateurs de la plateforme qui
citent la tentative d’un individu de faire consommer de l’alcool à un tiers pour
l’obliger à faire ce qu’il ne veut pas, ou encore l’interdiction par un partenaire
d’utiliser notre ordinateur pour nous isoler. De plus, dans certains cas, le délit,

13 Non au Harcèlement : https://www.nonau- 14 Internet sans crainte : http://www.internet-


harcelement.education.gouv.fr/. sanscrainte.fr/.

Dossier L’humiliation sur Internet : acteurs, méthodes d’enquête et prévention

DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ 402 2019, vol. 43, no 3, pp. 389-419


bien que rapporté à cette même déviance ne se caractérise pas par la réitéra-
tion de l’attaque : ainsi le revenge porn (la « pornodivulgation » ou « vengeance
pornographique »), la création d’un faux profil ou le piratage d’un compte,
bien qu’humiliant, ne relève pas nécessairement du harcèlement, qui lui est
répétitif. L’inconvénient d’un tel imbroglio est qu’il peut semer la confusion
chez la victime qui se voit incapable de mettre un nom sur ce qu’elle vit.
Un problème de définition de ces cyberviolences existe alors : cet argument
avait déjà été soulevé par Robert Tokunaga (2010) qui avait dénombré neuf
descriptions différentes du cyberharcèlement dans la littérature scientifique.

Responsabiliser l’usager
pour éviter la déviance

En règle générale, les sites analysés


prônent une prévention informative et régulatrice. Informative, car ces plate-
formes visent à renseigner les populations sur l’existence de telles déviances,
mais aussi sur leurs droits en tant qu’usagers : la présence d’articles du Code
pénal ou sections relatives au droit au déréférencement (qui permet aux
usagers de réclamer auprès des moteurs de recherche, la suppression des
contenus qui leur sont préjudiciables) reflète cette volonté. Cependant, si la
prévention se veut aussi régulatrice, fort est de constater que ce qui tente d’être
régulé est le comportement des usagers et non ceux des éventuels déviants.
Ainsi, en vue de minimiser les risques d’une mauvaise utilisation de leurs
informations personnelles, il leur est conseillé de gérer leurs paramètres de
confidentialité, de sécuriser leur mot de passe et de respecter leur propre vie
privée autant que celle des autres (sous cette rubrique, on conseille aux inter-
nautes de ne pas oublier que tout contenu diffusé peut être utilisé à mauvais
escient). Bref, de réguler leurs propres comportements, sinon celui de leurs
enfants en vue d’éviter tous dangers. Des termes tels que « soyez prudents »,
« résistez aux tentations », « gardez la tête froide » renforcent l’idée que c’est par
l’autocontrôle des usagers que la prévention des cybercrimes serait possible. Il
ne s’agit donc pas ici de réguler les comportements transgressifs mais plus de
protéger les éventuelles victimes, de les guider pour les empêcher de s’exposer
aux risques. Cette démarche qui vise à responsabiliser les usagers n’est en fait
pas anodine car il est notoire que malgré les dispositifs proposés pour protéger
les individus de toute atteinte, les comportements des acteurs et l’utilisation
qu’ils font d’Internet (et ce, même après une agression) contribuent, dans
certains cas, à la perpétuation du problème : refus d’alerter les autorités en
cas d’infraction ou de porter plainte contre l’agresseur, utilisation du même
numéro de téléphone après que celui-ci ait été diffusé par un tiers sans auto-
risation sur le Net, sont autant de comportements qui rendent vaines toutes
les mesures préventives prises jusqu’ici. De plus, 39 % des enfants n’active-
raient pas leurs paramètres de confidentialité sur les réseaux sociaux et 95 %
des adolescents ayant été témoins d’actes de persécution sur les plateformes

Prévenir le cyberharcèlement en France et au Royaume-Uni : une tâche impossible ?

DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ 403 2019, vol. 43, no 3, pp. 389-419


telles que Facebook, Twitter et Instagram indiqueraient que d’autres « ados »
ont, comme eux, ignoré ces types de comportements[15].

Outre l’instruction des jeunes populations concernant les violences numériques,


ces sites informatifs prônent ainsi la responsabilisation et l’intégration des usa-
gers dans le processus de prévention. Pour cela, diverses stratégies sont suggé-
rées : on propose de former des ambassadeurs dans les lycées, de faire participer
les représentants d’élèves dans des groupes de travail liés aux problèmes numé-
riques ou encore d’en faire des membres de jury dans le prix « Non au harcèle-
ment ». On suppose ainsi qu’une fois instruits, ces intermédiaires éduqueront à
leur tour les nouvelles générations ainsi que leurs pairs au « bon usage » à faire
d’Internet. Les accompagnants, à savoir les parents et professionnels scolaires
ont, eux aussi, une place de choix dans ce processus. Ces démarches et discours,
s’ils ne peuvent être négligés, font pourtant naître une sensation de « prévention
à huis clos » : les mesures envisagées incluent systématiquement des acteurs
(élèves-parents-éducateurs) du même « milieu », ici l’institution scolaire. Une
idée similaire se dégage aussi des sites Web qui soulignent que ces groupes
doivent lutter ensemble contre ce fléau et qui réorientent continuellement les
utilisateurs vers des plateformes partenaires qui s’adressent aux mêmes popu-
lations. L’impression qui se dégage est double : le harcèlement 2.0 ne toucherait
que les plus jeunes, et seuls les acteurs des établissements scolaires et les parents
pourraient être impliqués dans le processus préventif.

La responsabilisation des usagers est telle qu’il est même conseillé aux indi-
vidus d’essayer d’identifier les auteurs, et si possible de leur parler, de leur
demander d’effacer les messages diffamants. En outre, si certains sites mettent
en ligne des textes de loi rappelant les sanctions relevant de ce type d’agres-
sions, on constate que les poursuites juridiques sont proposées en dernier
recours : comme le montre ces extraits collectés sur divers sites, « si l’identité du
harceleur n’est pas clairement visible dans les messages, un dépôt de plainte
peut être conseillé », « Engager éventuellement une procédure disciplinaire[16] »,
« Porter plainte si cela s’avère nécessaire »[17]. Il est plutôt conseillé de libérer la
parole, de partager ses expériences, de se confier à quelqu’un de confiance,
bref d’exprimer sa détresse ; or, quand l’interactivité existe sur les sites pré-
ventifs, elle a pour unique fonction de répondre aux questionnements des
usagers ou de les écouter, plutôt que de les aider à porter plainte. De plus,
lorsqu’il est possible de signaler des contenus illicites, ceux-ci relèvent de la
pédophilie ou de l’incitation au terrorisme plutôt que du cyberharcèlement.

15 UNDERNEWS ACTU, 2017, Le cyberharcèle­ 16 Non au Harcèlement :


ment augmente chaque année : Comment https://www.nonauharcelement.
s’en protéger ? [en ligne] https://www. education.gouv.fr/que-faire/
undernews.fr/reseau-securite/le-cyber- faire-face-au-cyberharcelement/.
harcelement-augmente-chaque-annee- 17 E-Enfance : https://www.e-enfance.org/
comment-sen-proteger%E2%80%89.html cyberharcelement.
(4 février 2019).

Dossier L’humiliation sur Internet : acteurs, méthodes d’enquête et prévention

DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ 404 2019, vol. 43, no 3, pp. 389-419


Deux types de prévention se dégagent alors ici. Une prévention primaire,
qui s’élabore à travers un travail d’anticipation ; on vise à éduquer les futurs
internautes susceptibles d’être victimes/agresseurs un jour et pour cela, on
développe des moyens éducatifs et législatifs, en mettant à contribution leurs
accompagnants qui doivent servir de « modèle » et les guider. Bien entendu,
le fléau existe déjà mais on tente, par la prévention, de changer les compor-
tements et les mentalités en amont pour un résultat d’éradication en aval.
Mais aussi une prévention secondaire, où l’objectif est de réduire l’impact du
dommage existant en le traitant le plus vite possible pour en réduire la pro-
pagation. Les stratégies personnelles sont encouragées, et notamment celles
en vue d’éviter d’être une fois de plus touché par le problème en question.

Les campagnes préventives


du Royaume-Uni

Tableau II. Sites préventifs anglais concernant le cyberharcèlement

Site analysé Conceptualisation Type de prévention : Interactivité usagers/


de la violence informative autorités
ou régulatrice ?

All Rise Say NO Le cyberharcèlement Populations visées : Impossibilité de


to cyber est décrit comme enfants et employés. porter plainte.
Abuse[18] (2015) affectant « tout le Travail en collaboration Aucun numéro
ONG internationale monde », aussi bien avec les hommes de téléphone
les enfants que les politiques et les n’est indiqué. Il
adultes. Il vise à législateurs en vue de est cependant
ternir la réputation redéfinir les contours possible de laisser
d’un tiers par un de cette déviance un message sur
comportement et d’y apporter les Facebook, Twitter
irresponsable en sanctions nécessaires. ou Instagram ou
ligne. Le cybertrolling, Prévention informatrice par mail.
le cyberharcèlement et régulatrice, quatre
et le cyberstalking objectifs : redéfinir les
sont cités. maux ; éduquer les
populations ; approfondir
la recherche et mieux
légiférer. Le site
partage des vidéos
en vue d’éduquer les
populations sur le fait
que le cyberharcèlement
constitue un type
de harcèlement.

18 All Rise Say NO to Cyber Abuse : https://www.allrisesaynotocyberabuse.com.

Prévenir le cyberharcèlement en France et au Royaume-Uni : une tâche impossible ?

DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ 405 2019, vol. 43, no 3, pp. 389-419


Anti‑Bullying Description du Divers moyens Interactivité
Alliance (2002) harcèlement préventifs envisagés : inexistante. Le site
Établi par la Société en reprenant la développement de proclame qu’étant
nationale définition d’Olweus politiques sociales et une petite équipe,
pour la prévention (sans le citer). Est utilisation des médias ; ils ne peuvent
de la cruauté mentionné le fait partage d’informations pas traiter les cas
envers les enfants que le harcèlement surtout avec les de harcèlement
(National Society peut s’effectuer en plus jeunes. individuels. En
for the Prevention face‑à‑face ou en Populations visées : cas de problème,
of Cruelty ligne. Le harcèlement conseils aux parents, les usagers sont
to Children‑NSPCC) doit être stoppé en éducateurs, aux enfants renvoyés aux
et le Bureau national vue de créer des mais aussi aux adultes conseils présents sur
des enfants en 2002 environnements harcelés sur leur lieu de le site ou au numéro
(National plus sécurisés pour travail ou lorsqu’ils étaient vert ChildLine
Children’s Bureau). les plus jeunes plus jeunes. (0800 1111).
afin qu’ils puissent Prévention informative
jouer, s’instruire mais aussi régulatrice :
et s’épanouir. le harcèlement est défini
comme une pratique
intolérable choisie qui doit
être changée.

National Society for Le cyberharcèlement Populations visées : Les individus


the Prevention of est cité parmi les les parents et les ne peuvent pas
Cruelty to Children actes de maltraitance. accompagnants. Des porter plainte sur
(1884) Association Il est décrit conseils sont prodigués cette plateforme.
caritative pour la comme différant en vue de pouvoir Un numéro de
protection des du harcèlement identifier si son enfant téléphone est mis
enfants contre les traditionnel car il est victime de cette à la disposition des
actes de cruauté. « suivrait » la victime violence ou de guider accompagnants en
partout où elle irait. l’agresseur. On conseille vue d’obtenir des
notamment de faire informations de
savoir au harceleur conseillers experts.
que son comportement
est inacceptable.
Prévention informative :
concerne tous les cas
de maltraitance.

Stop online Abuse Une section à part Populations visées : s’il est Bien que le slogan
(2015) Site développé entière est dédiée au avancé que tout individu évoque l’importance
par Galop (association cyberharcèlement. Est est susceptible de se de porter plainte
caritative contre la soulignée de façon faire harceler sur le Net, (« Report, Complain,
violence faite aux originale la difficulté c’est plutôt aux femmes Campaign ! »), le
groupes LGBT) de discerner parfois et aux groupes LGBT que site n’offre aucune
en collaboration où se situe la limite s’adresse ce site. possibilité pour
avec sept autres entre un discours Prévention informative : cette action. S’il
organisations discriminant et la aide à identifier les est possible de
volontaires. liberté d’expression. comportements en contacter l’équipe,
Support du Bureau On retrouve aussi les ligne abusifs. c’est uniquement
gouvernemental termes de revenge pour donner son
chargé des porn et de stalking avis sur le site, et
questions d’égalités (la traque). non pour solliciter
du Royaume‑Uni. une quelconque
aide individuelle.

Dossier L’humiliation sur Internet : acteurs, méthodes d’enquête et prévention

DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ 406 2019, vol. 43, no 3, pp. 389-419


ChildLine (1986) Énumérations de Populations visées : les Possibilité de libérer
Service de conseils divers types de enfants et les mineurs. la parole en utilisant
pour les enfants et harcèlements et Prévention informative le numéro vert mais
jeunes ayant atteint cyberharcèlements : et régulatrice : aussi de dessiner les
l’âge de 19 ans établi harcèlement racial diverses définitions du maux, de prendre
par la NSPCC. et transphobique, cyberharcèlement sont part à des jeux. Les
sexting, prédation données, ainsi que des termes « signaler »
sexuelle, vol conseils à suivre en cas ou « porter plainte »
d’identité. Le d’attaques. Les conseils sont inexistants.
harcèlement est prodigués tentent de L’interactivité ne vise
décrit comme réguler le comportement ici que l’obtention
pouvant prendre des victimes : « ne de conseils.
forme à n’importe commente pas les
quel endroit. messages dégradants ; ne
répond pas ». La faute est
renvoyée indirectement
à celles‑ci « nous faisons
tous des erreurs ».
Rappel du caractère
illégal du harcèlement
mais de la non‑prise
en compte par la loi
du cyberharcèlement.

Le cyberharcèlement :
les divers aspects d’une déviance

Lorsque l’on tente de comprendre


comment est appréhendé le cyberharcèlement dans le modèle anglo-saxon,
on est tout de suite frappé par le nombre de termes faisant référence aux
cyberviolences. Ainsi, si le plus usité reste celui de « cyberbullying », on observe
de même ceux de « cyberharassment » (harcèlement), « virtual bullying » (inti-
midation virtuelle), « cyber abuse » (maltraitance) ou « online abuse » mais aussi
« cyberstalking » (traque)[19]. Chacun de ces vocables renverrait à des comporte-
ments proches, mais répondants à des modalités différentes. La « maltraitance
numérique » correspondrait par exemple à un concept général, sous lequel on
retrouverait toutes les autres formes d’agressions et dont le cyberharcèlement
ne serait qu’une catégorie subalterne. Ainsi, lorsqu’une définition est propo-
sée, on constate que le cyberbullying renvoie à l’utilisation de toutes sortes
de technologie électronique en vue de harceler ou de blesser une personne.
Celui-ci peut inclure le trolling (ou le partage de commentaires volontairement
dégradants), la traque sur Internet ou s’élaborer à travers un langage humiliant.
Si la répétition des agressions est mentionnée dans cette définition, on constate
pourtant qu’elle est loin d’en représenter l’élément clé. Le cyberbullying relè-
verait ainsi davantage de l’humiliation que du harcèlement : d’ailleurs, on
constate que ce dernier ne représente qu’une des formes que ces brimades

19 Pour les diverses définitions de ces termes, se référer à http://www.stoponlineabuse.org.uk/


definitions.

Prévenir le cyberharcèlement en France et au Royaume-Uni : une tâche impossible ?

DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ 407 2019, vol. 43, no 3, pp. 389-419


pourraient prendre. Il en existe d’autres, tel que le dénigrement, l’envoi de
messages incendiaires (flaming), l’usurpation d’identité (impersonation), la
révélation de l’orientation sexuelle (outing), la prédation sexuelle (grooming).

Une approche préventive globale


et normative

Concernant les populations visées par


ces mesures de sensibilisation, comme dans le cas français, on retrouve les
élèves et leurs parents ainsi que le personnel éducatif. Cette situation n’est
pas étonnante, car, comme en France, le cyberbullying est souvent appré-
hendé comme le prolongement du harcèlement scolaire. On parle d’ailleurs
de « school bullying », terme qui serait issu du néerlandais ancien signifiant à
l’origine « camarade, bien-aimé » ; on suppose que celui-ci a été choisi pour
rappeler que dans la plupart des cas, les intimidations sont exercées par des
proches de la victime, si ce n’est par ses ami·e·s.

Néanmoins, l’originalité du modèle anglo-saxon réside non seulement dans


le fait qu’il ne se contente pas de lutter contre le harcèlement entre pairs mais
dénonce aussi les agressions pouvant prendre pour cible les enseignants,
également qu’il s’adresse à un panel plus large de la population : les adultes,
les employés qui subiraient des intimidations au travail[20], les femmes et les
groupes LGBT sont compris aussi dans le processus préventif. Les fascicules
destinés aux personnels scolaires stipulent de même que les formations,
peuvent répondre aussi bien aux besoins des plus jeunes qu’à ceux des 25 ans.
D’ailleurs, le message de certaines plateformes anglaises préventives est clair :
tout le monde, à notre époque, est touché par les intimidations sur Internet.

Cette vision globale du problème se reflète de la même manière dans les


mesures envisagées : si l’importance de « lutter ensemble » est soulignée, on
constate que les acteurs incités à être impliqués sont, outre les individus, les
hommes politiques et les législateurs. La sollicitation de ces derniers n’est pas
étonnante puisque le cyberharcèlement est décrit comme un comportement
inacceptable, irresponsable et défiant les normes, bref transgressif. Cependant,
certains sites déplorent le fait que ces pratiques ne soient pas criminalisées. Le
site All Rise va jusqu’à relater son entretien avec le Premier ministre britan-
nique qui affirmait ne pouvoir donner suite à cette requête car elle risquerait
d’entraîner la criminalisation de jeunes populations. La prévention anglaise
est alors plus « normative » : les acteurs appuient plus volontiers sur l’aspect
juridique et pénal. Le cyberbullying relèverait d’un comportement choisi et
pourrait donc être régulé. C’est pourquoi, sur les plateformes préventives, on
tente d’éduquer les « harceleurs » en vue de promouvoir chez eux des com-

20 Anti-Bullying Alliance : https://www.anti-bullyingalliance.org.uk/tools-information.

Dossier L’humiliation sur Internet : acteurs, méthodes d’enquête et prévention

DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ 408 2019, vol. 43, no 3, pp. 389-419


portements plus éthiques. Certains sites vont jusqu’à proposer des rubriques
sous forme de question-réponse commençant par « it’s okay (to bully someone,
par exemple) » ou « it is not okay… », rappelant ainsi les règles de l’acceptable
et de l’inacceptable.

Les usagers n’échappent pas non plus à cette régulation car on leur indique
également le bon comportement à avoir pour amoindrir les risques. Or, s’il
faut modifier ses conduites sur la Toile (ne pas partager des informations per-
sonnelles, changer régulièrement son mot de passe, etc.), c’est parce que ce
que nous livrons de nous-mêmes sur Internet, peut avoir des répercussions
hors ligne[21]. Le parallélisme entre monde virtuel et monde réel est systémati-
quement accentué, rappelant ainsi la concomitance entre les deux sphères. Le
problème que l’on combat en ligne est alors inscrit dans la réalité, ce qui contri-
bue à une meilleure identification et de ce fait, une plus grande sensibilisation.

Un lien empathique est de même maintenu à travers les sites anglo-saxons,


et notamment sur ceux destinés aux populations juvéniles : on affirme com-
prendre l’importance que prennent les réseaux sociaux dans leur existence et
leur sociabilité. Ce ton compatissant contraste d’ailleurs avec celui des sites
préventifs français, plus directif, formel, institutionnel. Ces derniers semblent
avoir davantage pour but d’informer les acteurs, à travers par exemple la publi-
cation des statistiques relatives au cyberharcèlement, et de les pousser à agir
(les titres usent des termes tels que « minimiser », « réagir », « identifier » ; on
parle encore de la « responsabilité » des adultes par exemple) ; alors que dans
les sites anglais, le style interrogatif va prévaloir, établissant ainsi une identi-
fication avec l’internaute venu chercher des renseignements (« que faire dans
tels cas ? » ; « comment rester connecter tout en étant protégé ? »).

On constate ainsi que les deux pays tentent, chacun à leurs manières, de lutter
contre ce fléau que représentent les agressions numériques : la prévention, si
elle est indispensable pour anticiper et réduire l’impact de ces actes infamants,
peut s’établir sur un mode éducatif, comme dans le cas de la France, ou sur
un mode plus pragmatique et empathique, comme observé dans le modèle
anglais. Or, si ces déviances ont attiré l’attention des autorités, au-delà de leur
aspect transgressif, c’est parce que ces attaques provoquent chez leurs victimes
une profonde détresse qui, dans certains cas, pousse au suicide. Des numéros
verts sont mis à disposition des citoyens en vue de rapporter leur agression :
le 3020 (Non au harcèlement) et celui de Net écoute, 0800 200 000, pour la
France ; et ChildLine 0800 1111, pour le Royaume-Uni.

21 National Society for the Prevention of Cruelty to Children (NSPCC), The UK’s Children Charity :
https://www.nspcc.org.uk/.

Prévenir le cyberharcèlement en France et au Royaume-Uni : une tâche impossible ?

DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ 409 2019, vol. 43, no 3, pp. 389-419


Discussion et limitations
Deux problèmes fondamentaux dans
la lutte contre le cyberharcèlement se dégagent des discours analysés : un pro-
blème de conceptualisation des attaques en ligne et un autre relevant de la
population ciblée.

Privilégier la « cyberhumiliation »

On observe tout d’abord que le terme


privilégié, autant dans les recherches antérieures que dans les campagnes de
prévention, est celui de « harcèlement ». Il renvoie à une « poursuite incessante
qui fait subir des désagréments physiques » (Centre national de ressources tex-
tuelles et lexicales, CNRTL)[22]. Il met ainsi en avant l’aspect répétitif de l’agres-
sion, aspect qui vient aggraver les dommages psychologiques causés chez la
victime. Étymologiquement parlant, on constate que le verbe « harceler » à
la même origine que le verbe « herseler » utilisé au xve siècle, qui devint par
la suite « herser » : celui-ci qui signifie « retourner la terre, labourer », « passer la
herse sur », prend au figuré le sens de « malmener » faisant allusion aux pointes
de cet outil qui déchire et gratte la terre. « Harceler » correspondrait alors au
fait de « tourmenter […] en le poursuivant sans cesse et en lui faisant subir
d’incessants désagréments physiques », d’« épuiser l’ennemi par une poursuite
sans relâche, de le faire tomber dans de continuelles embuscades ou de lui
faire subir d’incessantes attaques ; il renverrait au fait de « fatiguer quelqu’un
par des demandes, des questions, des prières, des sollicitations, des attentions
réitérées » (CNRTL). Le but premier du cyberharcèlement serait donc d’éreinter
la victime par d’incessants actes pour la « démolir » psychologiquement. Ainsi,
s’il est vrai que de telles intimidations réitérées existent sur le Net, il en est
d’autres qui, bien que non axées sur la répétition des attaques, sont toutes
aussi dégradantes. Les médias relatent des faits concernant des retraités vio-
lentés par des adolescentes qui partagèrent les images de leur agression sur
les réseaux[23] ou encore celui d’aides-soignants qui maltraitaient leurs patients
et s’empressèrent de poster une vidéo de leurs exploits sur Snapchat[24]. Ces
faits démontrent que tous les individus, quels que soient leur âge, le contexte
dans lequel ils se trouvent (Monks et al., 2009) et l’usage qu’ils font d’Internet,
sont susceptibles d’être soumis à des vexations.

22 http://www.cnrtl.fr/definition/harceler. 24 20 minutes, 2015, Snapchat : Aux États-


23 E.H. avec AFP, 2016, 24 janvier 2016, Des Unis, des aides-soignants humilient leurs
lycéennes violentent des retraitées et patients sur la toile, 29 décembre 2015,
postent les vidéos sur Snapchat, Le Nouvel [en ligne]
Observateur, [en ligne] https://www.20minutes.fr/
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violentent-des-retraitees-et-postent-les- images-intimes (3 Juin 2018).
videos-sur-snapchat.html (12 mai 2018).

Dossier L’humiliation sur Internet : acteurs, méthodes d’enquête et prévention

DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ 410 2019, vol. 43, no 3, pp. 389-419


Le cyberharcèlement semble alors trop spécifique pour décrire toutes les formes
d’humiliation sur Internet, et notamment celles qui visent à remettre en ques-
tion l’image sociale d’un individu. Il ne peut être employé, par exemple, pour
désigner la mise en partage d’une photographie d’un tiers sans son consente-
ment ou encore du piratage du profil d’un tiers. La répétition de l’acte infamant
n’étant pas ici de mise, il ne s’agit pas dès lors, par définition, de « harcèle-
ment ». En privilégiant cette notion, les sites de prévention tendent alors à ne
prendre en considération qu’une partie du problème. C’est pourquoi, en vue
de remédier à ce défaut conceptuel, il nous semble plus approprié mais surtout
plus englobant d’utiliser le terme de cyberhumiliation.

De multiples formes d’humiliation sont perceptibles dans le monde virtuel


aujourd’hui. Le premier exemple est la création d’un faux profil au nom d’un
individu : la personne ne consent pas à être inscrite sur le Net mais existe
malgré elle dans des réseaux qu’elle n’a pas choisis. Son profil peut se trouver
piraté : on se substitue à elle, on s’exprime en son nom. Le dommage causé
se révèle important puisqu’ici l’agresseur a la possibilité d’utiliser ce strata-
gème pour duper les connaissances de la victime. La divulgation d’images
et d’informations personnelles sans le consentement d’un tiers constitue de
même une humiliation imposée. Ce procédé nommé « outing » en anglais vise
à plonger la victime dans une profonde détresse par l’envoi, la mise en ligne
et la transmission d’informations personnelles présentant un aspect sensible,
confidentiel ou gênant (Li, 2007), ou concernant l’orientation sexuelle de la
victime que celle-ci souhaitait tenir secrète.

Les pratiques de cyberhumiliation à caractère sexuel semblent prédominer


sur les réseaux sociaux. Le revenge porn qui consiste à poster sur les réseaux
sociaux ou sur les sites pornographiques une photographie ou une vidéo à
caractère sexuel filmée à l’insu de la victime, représente un exemple concret
de ces nouvelles formes de violence 2.0. Dans la majorité des cas, cette
conduite est motivée par un sentiment de vengeance, l’agresseur souhaitant
prendre sa revanche face à un·e « ex » qui l’aurait éconduit. Une autre pra-
tique similaire est le sexting décrit comme « l’envoi ou la réception d’images
sexuellement explicites ou sexuellement suggestives par l’intermédiaire d’un
téléphone portable » (Hinduja, Patchin, 2012). Les images peuvent ensuite
être distribuées par le biais des messageries instantanées ou des courriers
électroniques. Ces pratiques peuvent de même être accompagnées de chan-
tage, venant renforcer le sentiment de désarroi des victimes. On parle alors de
« sextorsion » dont le but est de filmer un camarade à son insu sur les réseaux
sociaux puis de le contraindre à donner de l’argent pour éviter que sa vidéo
ne soit publiée sur Facebook ou YouTube (Durpaire, Mabilon-Bonfils, 2014).
La cyberhumiliation se transforme alors très vite en cyberharcèlement. Se
retrouver dans un test de popularité en ligne (Spitzberg, Hoobler, 2002, 83 ;
Vandebosch et. al., 2006, 37-40 ; Kowalski et al., 2008, 47-51), s’avère tout
aussi dégradant (puisque l’individu se voit classé, jaugé puis jugé [Dilmaç,

Prévenir le cyberharcèlement en France et au Royaume-Uni : une tâche impossible ?

DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ 411 2019, vol. 43, no 3, pp. 389-419


2014] par des anonymes), tout comme constater que son profil a été effacé
ou bloqué de la Toile par un tiers.

Toutes ces pratiques rapportées au cyberharcèlement relèvent plus à nos yeux


de l’humiliation. En effet, le but de l’agresseur est de faire apparaître l’individu
« comme inférieur, méprisable, par des paroles ou des actes qui sont interprétés
comme abaissant sa dignité » (CNRTL). Or, l’éreintement, tel qu’il caractérise
le harcèlement, ne peut être défini comme la modalité phare de ce comporte-
ment : le but ici est de faire « tomber de son piédestal » la victime, de fragiliser
sa position sociale, bref de salir son « image » publique. Bien entendu, l’inter-
vention inopinée d’autres internautes surenchérissant l’humiliation, l’acte peut
alors basculer très rapidement dans le cyberharcèlement.

Une autre différence entre ces deux concepts réside dans la relation même
des différents acteurs : la cyberhumiliation s’établit entre deux individus ; le
cyberharcèlement implique aussi les témoins de l’agression qui jouent un rôle
primordial dans le surenchérissement de la violence. Ils contribuent active-
ment au malaise de la victime et constituent l’élément essentiel de l’agression.

Ainsi, s’il faut distinguer ces deux termes, c’est parce que cela permet d’élargir
le champ de compréhension scientifique sur ce sujet : privilégier l’humiliation
permettrait non seulement de constater que les adolescents ne sont pas les
seuls à être touchés par ce fléau mais aussi que le harcèlement ne consti-
tue pas la seule forme d’agression sur la Toile. Traiter de l’humiliation sur
Internet permettrait de se défaire du sens « fourre-tout » du mot harcèlement
qui regroupe « une série d’agressions de nature assez différentes et n’ayant
pour point commun que d’être perpétrées par le moyen des nouvelles tech-
nologies de la communication » (Bellon, Gardette, 2017, 28).

Le problème de la population ciblée

Outre le problème conceptuel, on


constate que la majorité des campagnes de prévention visent systématique-
ment les préadolescents et les adolescents. Elles font alors abstraction de toutes
les autres victimes potentielles, à savoir tout individu usant d’Internet dans son
quotidien. De plus, en ne ciblant que la population juvénile, ces campagnes
véhiculent l’idée selon laquelle la cyberviolence ne serait qu’un problème de
« jeune », un « phénomène adolescent » (Dany et al., 2016), relayant ainsi le
problème au facteur « âge » et à l’immaturité des acteurs plutôt qu’à un pro-
blème sécuritaire qui émanerait, par exemple, de l’inefficacité des autorités à
protéger les citoyens. Or, qu’en est-il des adultes, des personnes âgées (de plus
en plus nombreux à « exister » sur les réseaux sociaux) ou encore des harcelés
dans le cadre professionnel qui usent des moyens de communication et sont
exposés à ces mêmes d’agressions ? Un adulte qui souhaiterait se renseigner

Dossier L’humiliation sur Internet : acteurs, méthodes d’enquête et prévention

DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ 412 2019, vol. 43, no 3, pp. 389-419


sur ces agressions numériques et s’orienterait de facto vers les plateformes
existantes se trouverait vite infantilisé par le ton, par les dessins animés ou
encore des spots mettant en scène des adolescents victimes de harcèlement
au sein de leur établissement. Il ne pourrait trouver sa place sur ces sites qui
annoncent, dès la première page, qu’ils ne s’adressent qu’aux plus jeunes. Ici
encore l’utilisation du terme de cyberhumiliation pourrait s’avérer judicieuse
puisqu’elle aurait pour avantage d’élargir le champ d’action des campagnes
préventives. Cette approche permettrait non seulement de rappeler que les
adultes peuvent aussi être victimes de harcèlement numérique mais également
que les adolescents sont potentiellement sujets à des attaques en ligne qui,
même si elles ne relèvent pas du harcèlement, restent tout aussi sérieuses.
Parler de cyberhumiliation permettrait ainsi encore une fois de « nommer »
toutes les formes possibles de ternissure sur la Toile, et donc de faire écho aux
expériences de chacun, sans pour autant négliger le problème de persécutions
sur Internet. Cibler un plus grand panel de population ouvrirait la voie à une
meilleure sensibilisation et donc à une prévention plus efficace.

Conclusion
Pour conclure, nous pouvons affirmer
que depuis que le cyberharcèlement existe, celui-ci s’est trouvé, dans la majo-
rité des cas, appréhendé comme le prolongement du harcèlement scolaire
traditionnel. Selon ce postulat, les autorités ont mis en place des dispositifs
traitant ces deux phénomènes comme deux vases communicants. Ainsi, s’est
répandue l’idée selon laquelle « la lutte contre le cyberharcèlement commence
d’abord par une prévention systématique du harcèlement à l’école » (Bellon,
Gardette, 2017, 140).

Or, Internet a engendré de nouvelles formes de sociabilité dont une grande


variété d’actes agressifs et humiliants qui touche toutes les catégories de la
population. Le médium « écran » semble avoir redéfini la relation entre les
individus. Ce dispositif informationnel est porteur de nouvelles façons d’agir
et reconfigure sous certains aspects la communication entre le regardé et le
regardant. Les flux communicationnels, par exemple, auxquels sont soumis
les internautes chosifient l’image regardée et l’acteur mis en scène. L’œil du
spectateur est ainsi distrait par ce qui est exposé en surface et ne cherche
pas à saisir le sens profond de l’image ; les flux conduisent alors peu à peu à
une déshumanisation du regard donnant lieu à de nouveaux comportements :
l’individu n’est plus regardé sur Internet, il est confronté à un spectateur qui le
saisit en un clin d’œil. Ce dernier, confronté aux flux d’images engendrés par
Internet, n’a pas le temps de saisir l’histoire personnelle de son interlocuteur,
ni le contexte dans lequel il évolue. La relation empathique ne peut alors s’éta-
blir et le spectateur n’est pas en mesure de projeter dans le sujet contemplé
des émotions et des sensations qui lui donnent son sens.

Prévenir le cyberharcèlement en France et au Royaume-Uni : une tâche impossible ?

DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ 413 2019, vol. 43, no 3, pp. 389-419


En outre, pour améliorer la prévention du cyberharcèlement et y apporter des
sanctions dissuasives, il nous paraît primordial de définir plus concrètement ce
qui en fait une déviance : est-ce la violence qui s’en dégage et les conséquences
qu’elle produit sur autrui qui rendent ce comportement inacceptable ? Est-ce
la répétitivité de l’attaque et l’implication de témoins, ou l’acte humiliant en
lui-même qui en fait un acte délinquant ? Ces intimidations relèvent-elles de
conduites a-normales car elles impliquent les pairs de la victime ou parce
qu’elles proviennent d’internautes inidentifiables agissant en toute impunité ?

Des éléments de réponse à ces questionnements auraient pour avantage de


mieux déterminer ce qui est transgressif et par conséquent, clarifier ce que l’on
cherche à réguler. Une meilleure conceptualisation du problème pourrait ainsi
sur le long terme déboucher sur une prévention plus efficace car adaptée aux
spécificités des conduites déviantes prenant forme sur Internet.

Julie Alev DILMAÇ


Associate Professor (MCF) en Sociologie
Cyprus International University,
Chercheur Associé au Centre
de Philosophie, d’Épistémologie
et de Politique (PHILéPOL), Université Paris
Descartes, Sorbonne Paris Cité, France

Cyprus International University


Faculty of Health Sciences
Dept. of Social Work
Nicosia, North Cyprus
[email protected]

Özker KOCADAL
Assistant Professor
en Relations Internationales
Cyprus International University
Faculty of Economics
and Administrative Sciences
Dept. of International Relations
Nicosia, North Cyprus
[email protected]

Dossier L’humiliation sur Internet : acteurs, méthodes d’enquête et prévention

DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ 414 2019, vol. 43, no 3, pp. 389-419


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Prévenir le cyberharcèlement en France et au Royaume-Uni : une tâche impossible ?

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Résumé | Abstract | Zusammenfassung | Resumen

FR – À travers une étude comparative entre les sites


de prévention français et anglais, il s’agit dans cet article
de comprendre comment le cyberharcèlement est appréhendé
par les divers acteurs tant officiels que non officiels. Après avoir
évoqué dans une première partie l’influence de Dan Olweus dans
la conceptualisation de ce phénomène, une analyse des discours
véhiculés par les sites préventifs en question est proposée :
l’objectif est de voir en quels termes est décrite l’humiliation
sur Internet en vue de sensibiliser les citoyens à de tels dangers.
Enfin, une discussion des limites des mesures préconisées
dans les deux contextes nationaux fait l’objet d’une
troisième partie.
CYBERHARCÈLEMENT – PRÉVENTION – CAMPAGNE
– CYBERHUMILIATION – INTERNET – CYBERCRIME

EN – This article analyzes British and French governmental


and non-governmental organizations’ approaches to cyber-
harassment on their prevention campaign websites. First,
we discuss and elaborate on Dan Olweus’ approach in
relation to the conceptualization of "cyber-harassment" as
deviance. Subsequently, a comparative discourse analysis of
the prevention websites was conducted to identify the ways
through which the public is informed about cyber-harassment as
deviance. Finally, we examine the limitations of the preventive
measures undertaken and propose some alternative solutions.
CYBERHARASSMENT – PREVENTION – CAMPAIGN
– CYBERHUMILIATION – INTERNET – CYBERCRIME

DE – Der Artikel untersucht britische und französische


Internetauftritte amtlicher und zivilgesellschaftlicher
Organisationen zur Prävention vom Cyber-Mobbing. Zunächst
wird dazu der Einfluss des Präventionsansatzes von Dan
Olweus auf die Konzeptualisierung es Problem und der
Prävention diskutiert und Cyber-Mobbing als eine Form
von Devianz entwickelt. In der vergleichenden Analyse der
Präventionsseiten werden verschiedene Wegen deutlich, mit
denen die Öffentlichkeit über Cyber-Mobbing in Frankreich
und dem Vereinigten Königreich informiert werden. Schließlich
untersuchen wir die Grenzen des Präventionsansatzes und
schlagen einige alternative Lösungen vor.
CYBER-MOBBİNG – PRÄVENTİON – K AMPAGNEN
– INTERNET – CYBER-KRİMİNALİTÄT

ES – Este artículo analiza cómo los actores gubernamentales


y no gubernamentales entienden el ciberacoso, a través de
las campañas de prevención realizadas en sus páginas web.
En primer lugar, se discute y elabora el planteamiento de
Dan Olweus sobre la conceptualización del "ciber acoso". A
partir de ahí se realiza un análisis comparativo del discurso

Dossier L’humiliation sur Internet : acteurs, méthodes d’enquête et prévention

DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ 418 2019, vol. 43, no 3, pp. 389-419


que se transmite en los sitios web preventivos para identificar
las formas a través de las que se informa al público sobre
ciberacoso y desviación. Por último, se analizan las limitaciones
de las medidas preventivas desarrolladas y se proponen algunas
soluciones alternativas.
CIBERACOSO – PREVENCIÓN – CAMPAÑA – CIBERHUMILLACIÓN –
INTERNET – CIBERDELINCUENCIA

Prévenir le cyberharcèlement en France et au Royaume-Uni : une tâche impossible ?

DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ 419 2019, vol. 43, no 3, pp. 389-419

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