Ou en Sommes Nous 000000195

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 398

EN SOMMES-NOUS?
ÉTUDE
SUR LES ÉVÉNEMENTS ACTUELS
1870 ET 1871

PAR

GR
M GAUME
PROTONOTA1 RE APOSTOLIQUE, DOCTEUR EN THÉOLOGIE

Faciem evgo cœli dijudicare nostis : signa


autem temporum non potestis scireî
A l'aspect du ciel, vous savez s'il fera beau
ou mauvais, et vous ne pouvez connaître les
signes des temps? (MATTH., XVI, 4.*)

P A R I S

GAUME F R È R E S ET J, D U P R E Y , ÉDITEURS
3, RUE DE L'ABBAYE, 3

1871
Droits de reproduction et de traduction réservés
Biblio!èque Saint Libère

http://www.liberius.net
© Bibliothèque Saint Libère 2008.
Toute reproduction à but non lucratif est autorisée.
OÙ EN SOMMESTNOUS?

ÉTUDE SDR LES ÉVÉNEMENTS ACTUELS


4870 ET 1871
AVANT-PROPOS

A SON EXCELLENCE RÉVÉRENDISSIME

MONSEIGNEUR LOUIS FILIPPI

Evêque d'Aquila, dans les Abruzzes.

Très-cher et très-vénéré Monseigneur,

Dans votre précieuse lettre du 26 septembre


1870, vous me disiez ; « En 1844, vous avez
écrit : Où allons^ious? En 1860, vous avez poussé
un nouveau cri d'alarme par votre ouvrage la
Situation. Il est temps d'écrire ; Où en sommes-
nous? Nous sommes descendus au fond : Siamo
già arrimti al fondo.
» Quel sera le sort de l'Europe? Si au terrible
éclat de la foudre divine, les yeux demeurent
fermés, on pourra dire : elle n'est pas endormie,
elle est morte : Jam non dormit, sed mortua est.
» Quel grand sujet pour exercer votre plume,
pousser un nouveau cri d'alarme et faire un
VI AVANT-PROPOS.

dernier appel au sens catholique! Je vous en


prie, écrivez donc quelque chose. La solitude où
vous êtes, les malheurs, vrais châtiments de
Dieu, tombés sur votre chère patrie, doivent'
faciliter le cours de vos idées et vous rendre plus
éloquent que jamais. Faites-le donc, je vous en
prie : Fatelo dimque, veneprego. »
A votre désir, sont venus s'ajouter les in-
stances de plusieurs personnes, ecclésiastiques et
laïques, dont les conseils m'ont souvent servi
de motif et de guide, dans mes diverses publica-
tions.
A vrai dire, le travail que vous me déterminez
à rendre public, je l'avais, dès le début de la
guerre, entrepris pour mon compte personnel.
Les événements que je voyais commencer me
paraissaient si graves et d'une signification si
haute, que je ne croyais pas devoir les laisser
passer inaperçus.
Donc, le 7 août 1870, étant avec quelques
amis en villégiature sur les frontières de la
1
Suisse , nous apprîmes le retrait de nos troupes
de Rome. A cette nouvelle, un môme cri s'é-
chappa de toutes les bouches : Nous sommes
rasés!
1
Chez le catholique curé de Charquemont.
AVANT-PROPOS. VU

Le lendemain 8, à la première heure, le télé-


graphe nous envoya la dépêche suivante :
« Sommes battus partout. — Chambres convo-
quées. — Appel au peuple. — Corps de Frossard
égaré. — Territoire envahi. »
En revenant de la lire, au bureau même, je
me dis : Venit finis, finis venit; voici la fin de
la vieille Europe. Cette première impression de-
vint bien plus profonde, lorsque nous apprîmes
que, pendant les premières vêpres de l'Assomp-
tion, Paris avait couronné Voltaire, le blasphé-
mateur du Dieu des armées, l'insulteur de la
France et le valet de la Prusse. Stupéfaits, nous
nous dîmes : L'esprit d'impiété appelle l'esprit
de vertige; Dieu est contre nom; LA FRANGE EST
PERDUE!

Rentré dans la solitude, où me tient bloqué le


roi Guillaume, je me suis mis à écrire mon
compte-rendu de la situation, dans le présent et
dans l'avenir. Il a été rédigé tout entier avant
et pendant le siège de Paris. Seuls les derniers
chapitres sont postérieurs à l'armistice. Il résulte
de là que plusieurs prévisions, relatives à
Paris, sont aujourd'hui de l'histoire rétrospec-
pective. Je les laisse néanmoins telles qu'elles
ont été écrites, parce que, l'ayant été avant les
VIII AVANT-PROPOS.

événements, elles peuvent, dans une certaine


mesure, servir d'appui à celles qui ne sont pas
encore vérifiées.
Telle est l'origine de cet ouvrage. S'il est
rendu public, c'est vous, très-cher Monseigneur,
qui en portez la responsabilité : Factus su/m, insi-
piens, vos me coegistis.
Daignez agréer le nouvel hommage de ma res-
pectueuse et cordiale affection in Christo.

J. GAUME,
Protonotaire apostolique.

Fuans (Doubs), fête de saint Joseph, 19 mars 1871.

P.-S. — Les événements de Paris ont retardé la pu-


blication de cet ouvrage, qui devait paraître dans la pre-
mière quinzaine d'avril.
P I U S PP. I X

Dilecte fili, Salutem et Apostolicam Benedictionem.


Perlibenter excepimus, Dilecte fili recens opus a te Nobis
7

oblatum, quo Où en sommes-nous? inscripto inquirere consti-


tuisti in causas ac remédia preesentium malorum ; ac designare
fidelibus rectum trepidisque adiunctis accommodatam rationem
componendi vitam universam, eosque excitare ad decertandum
strenue pro religione et iustitia. Gratulamur autem tibi, quod
opportunissimahac lucubratione, scite solideque perfeceris quod
proposueras; et prsesertimquod larvam omnem detraxeris pesti
galltcanùmi, cœsarismi, llberalismi^ et supremam ostenderis ne-
cessitatem fmgendi pueritiam ad integritatem, sinceramque pie-
tatem. Huic itaque scripto fructum ominamur zelo et caritati
luse respondentem, tibique mercedem iis fidelibus promissam
servis, qui talentorum acceptorum fœnus Domino reddunt. Inté-
r i m vero superni favoris auspicem et paternseNostrœ benevolen-
tiae pignus Apostolicam Benedictionem tibi peramanter imperti-
mus.
DatumRomae apud Sanctum Petrum, die 15 Januarii Annol872.
Pontificatus Nostri Anno Yicesimo-sexto.

Puis PP. IX.


LETTRE DU SAINT-PÈRE.

PIE P A P E IX

A NOTRE CHER FILS JEAN-JOSEPH G A U M E , PROTONOTAIRE APOSTOLIQUE,


A PARIS.

« Cher fils, Salut et Bénédiction Apostolique.


« Il Nous a été très-agréable de recevoir le récent ouvrage, que
vous Nous avez offert.
« Dans cet ouvrage intitulé : Où en sommes-nous ? vous vous
"êtes proposé de rechercher les causes et les remèdes des maux
présents, et d'indiquer aux fidèles une règle sure et en rapport
avec les dangers actuels pour orienter leur vie tout entière; et
de les exciter à combattre vaillamment pour la Religion et pour
la Justice,
« Nous vous félicitons d'avoir par ce travail, on ne peut plus
opportun, atteint savamment et solidement le but que vous vous
étiez proposé ; et surtout d'avoir entièrement arraché le masque
à la peste du Gallicanisme, du Césarisme, du Libéralisme, et
; d'avoir démontré la suprême nécessité d'élever la jeunesse dans
l'intégrité de la foi et des mœurs et dans une sincère piété.
ce C'est pourquoi, Nous souhaitons à cet ouvrage u n fruit qui
réponde à votre zèle et à votre charité ; et à vous la récompense
promise aux serviteurs fidèles, qui font fructifier pour le Seigneur
les talents qu'ils ont reçus.
« Dès aujourd'hui , comme présage de la faveur divine, et
comme gage de Notre Paternelle Bienveillance, Nous vous don-
nons, dans l'effusion de Notre cœur, la Bénédiction Apostolique.
« Donné à Rome, chez Saint-Pierre, le 15 janvier 1872.
« De Notre Pontificat la vingt-sixième année.

« PIE PAPE IX. »


CHAPITRE PREMIER.

Accueil fait à l'ouvrage : Ou allons-nous?— Lettre de Donoso


Cortès. — Raisons de cet Essai. — Orienter notre vie. —
Rechercher les causes et le remède du mal actuel. — E n c o u -
rager à combattre.

Comme on le rappelle dans l'avant-propos,


il y a vingt-sept ans, celui qui écrit ces lignes
publiait un volume intitulé : Où allons-nous?
Sans se donner pour prophète, ni fils de pro-
phète, mais appuyé sur les données de la foi, il
arrivait à des conclusions sérieusement alar-
mantes pour les nations modernes.
Pas plus que l'homme, la société n'aime à
s'entendre dire qu'elle fait fausse route, qu'elle
est malade et que l'obstination dans le mal est
1
± OÙ EN SOMMES - NOUS 1

inévitablement suivie de catastrophes, en rapport


avec la grandeur des iniquités.
Aussi, une opposition sourde chez les uns,
violente chez les autres accueillit cet ouvrage.
L'auteur fut traité d'alarmiste et de rêveur. On
ferma les oreilles pour ne pas entendre, les yeux
même pour ne pas voir ; et on continua avec une
activité fiévreuse dans la voie signalée comme
devant aboutir à l'abîme.
Cependant, comme il arrive toujours, la vérité
trouva de l'écho dans les esprits habitués à ré-
fléchir. Après la lecture d'Où allons-notes? le
génie le plus clairvoyant de notre époque,
Donoso Cortès, alors ambassadeur à Berlin,
écrivait à l'auteur la lettre suivante :
« Je vous dois un million de remerciments
pour la bonté que vous avez eue de m'envoyer un
exemplaire de l'ouvrage dans lequel vous avez
si résolument et si profondément sondé les plaies
de cette société mourante. La lecture en a été
pour moi extrêmement triste et délicieuse en
même temps : extrêmement triste, par la révéla-
tion de grandes et formidables catastrophes ; dé-
licieuse, par la manifestation sincère de la vé-
rité.
» Mes idées et les vôtres sont à peu près de tout
point identiques. Ni vous ni moi ne conservons
presque aucune espérance. Dieu a fait la chair
CHAPITRE I. 3

pour la pourriture, et le couteau pour la chair


pourrie. Nous touchons de la main à la plus
grande catastrophe de l'histoire.
)> Pour le moment, ce que je vois de plus clair,
c'est la barbarie de l'Europe et sa dépopulation
avant peu. La terre par où a passé la civilisation
philosophique sera maudite ; elle sera la terre de
la corruption et du sang.
» Ensuite viendra... ce qui doit venir. »
Depuis la date de cette lettre, le monde a
marché. Oie allons-nous? n'est plus une prédic-
tion, c'est l'histoire. Parmi les événements que
nous annoncions, enveloppés alors de nuages
plus ou moins épais, les uns se dessinent nette-
ment aujourd'hui, les autres sont accomplis
et nous les voyons de nos yeux. Que voyons-
nous? Nous allons essayer de le dire dans les
chapitres suivants, intitulés pour cette raison :
Où en sommes-nous?
Trois motifs nous y engagent. Au milieu de
la tourmente qui ébranle le monde européen, et
des ténèbres de plus en plus épaisses qui l'enve-
loppent, c'est en premier lieu d'orienter nos
pensées : rien n'est plus important. Quand le
navire, chassé par les vents, se trouve au milieu
des écueils, indiquer une fausse manœuvre, dor-
mir ou endormir, serait courir au naufrage. Or,
comme ce qui est, émane de ce qui fut; de même
•i OÙ EN SOMMES-NOUS?

ce qui sera, émane de ce qui est. Ainsi, la connais-


sance du présent deviendra le flambeau de l'a-
venir : de cet avenir plein d'espérance pour les
uns, de terreur pour les autres, de mystère pour
tous.
Décrire la situation actuelle, sans l'exagérer
ni en bien ni en mal, est une tâche utile, mais
insuffisante. Pour la compléter, il est nécessaire
de rechercher, afin d'apprendre à les combattre,
les causes qui, après dix-huit siècles de christia-
nisme, [ont conduit la France et l'Europe au
point où nous les voyons. Tel est, en second lieu,
le but de cet essai.
Notre ardent désir serait, en troisième lieu,
de ^persuader à tous ceux qui ont encore quelque
souci de leur avenir éternel, que, dans les temps
périlleux où nous sommes, leur grand devoir est
de sauvegarder leur àme; de combattre avec
un courage indomptable, pour eux et pour leurs
frères, les combats de la foi; de se dégager de
plus en plus des affections terrestres, et de vivre
de leurs espérances immortelles.
Qu'à la vue de l'ébranlement général de la
vieille Europe et des ruines présentes, présage
trop certain d'autres ruines, ils s'appliquent
plus sérieusement que jamais les avertissements
salutaires du prince des apôtres : « Puisque
toutes les choses du temps doivent tomber en
CHAPITRK II. 5

dissolution, apprenez quelle doit être la piété et


la sainteté de votre vie, sachant que vous allez
rapidement au devant du jour du Seigneur, et
que vous attendez les nouveaux cieux et la nou-
velle terre, qui nous sont promis, et où les justes
1
seuls habiteront . »

CHAPITRE IL

OÙ E N E S T L ' É G L I S E ?

L'Eglise vis-à-vis le monde païen. — L'Eglise au moyen âge.

Le christianisme est le soleil de l'humanité :


lux mundi. Partout où il règne, brille la lumière
et s'épanouit la vie. Partout où il s'éteint, les
ténèbres et la mort. Un coup d'œil jeté sur la
mappemonde, et la preuve est faite. Par une con-
séquence nécessaire, le jour où le christianisme
cessera d'éclairer les nations, ^comme nations,
sera pour le monde le crépuscule du dernier soir.
L'Eglise catholique est la gardienne et l'organe
du christianisme. Ce que la parole est à la pen-
sée, l'âme au corps, l'Eglise catholique l'est au
genre humain. Uni à l'âme, le corps vit; séparé,
il meurt.
' Wfietr., m, 11-13.
6 OÙ EN SOMMES-NOUS?

Pour comprendre où nous en sommes aujour-


d'hui, et où nous en serons demain, il faut,
avant tout, savoir dans quels rapports sont avec
l'Eglise catholique et avec son Chef vénérable,
par conséquent avec le christianisme même, la
France, l'Europe, le monde.
Lorsque, il y a dix-huit cents ans, l'Eglise
sortit du Cénacle, elle se trouva en face d'un
monde qui n'était pas chrétien, qui ne voulait
pas devenir chrétien, qui ne voulait pas qu'on
fût chrétien, qui persécutait de toute manière et
le christianisme et ceux qui se faisaient ou qui
voulaient demeurer chrétiens. Entre elle et ce
monde, opposition complète d'idées, de mœurs,
de tendances; lutte incessante, universelle, opi-
niâtre.
A cette époque, dont la durée fut de trois
siècles, l'Eglise apparaît comme puissance pure-
ment spirituelle et sans racine dans le sol. Sa
propriété matérielle, si elle en eut, demeurait
soumise aux: lois césariennes, c'est-à-dire aux
caprices des dominateurs du monde, qui, sous
]# moindre prétexte, ou même sans ombre de
prétexte, pouvaient l'en dépouiller. En fait, son
autorité sociale n'existait pas. L'Eglise n'avait
ni voix dans les conseils des princes, ni place
dans les assemblées des peuples.
Quant à son autorité morale, elle se renfermait
CHAPITRE II. 7

dans des limites restreintes. L'Eglise régnait


non sur des provinces, ni sur des villes, ni
même, si ce n'est par exception, sur des familles
entières. Son empire se composait d'individua-
lités, plus ou moins nombreuses et répandues
un peu partout.
Objet préféré de la haine du monde, le Chef
de l'Eglise habitait les catacombes et signait ses
décrets de son sang. César dominait le Pape, et
Satan dominait César.
Telle fut, dans ces traits généraux, la situation
de l'Eglise naissante vis-à-vis du monde païen.
Grâce aux victoires éclatantes remportées au
prix de son sang le plus pur, et plus encore à
ses immenses bienfaits, l'Eglise fit sa place dans
le monde. Aux peuples tirés par elle de la bar-
barie, elle apparut comme le soleil au milieu du
firmament, éclairant toute la nature, l'échauf-
fant et la vivifiant.
Pénétrés de reconnaissance ét de respect pour
leur mère, les peuples chrétiens se firent un de-
voir d'accepter de sa main les principes de leur
législation et de lui faire, par leurs offrandes,
une position matériellement indépendante, digne
d'elle et digne d'eux. La plus légitime et la plus
noble dans son origine, la propriété de l'Eglise
fut la plus sacrée. Avec la foi des peuples, veil-
laient autour d'elle, les armes à la main, les do-
8 OÙ EN SOMMES-NOUS 1

nateurs et les fils des donateurs. Dans l'accom-


plissement de ce devoir de piété filiale, se
rencontrent les particuliers et les princes. A la
suite de Charlemagne, qui signait serviteur de
Jésus-Christ et sergent de VEglise, on voit un
bon nombre de monarques offrir leurs royaumes
à saint Pierre et les rendre feudataires de
l'Eglise.
Grâce à l'observation sociale du quatrième
commandement : Père et mère honoreras, l'Eu-
rope, fille de l'Eglise, malgré les infirmités in-
hérentes à la nature humaine, jouit de longs
siècles de stabilité et de progrès véritable. S'il y
eut des guerres particulières et des révolutions
dynastiques, on ne vit point de guerres générales
ni de révolutions sociales. En d'autres termes :
s'il y eut changement de personnes sociales, il
n'y eut pas changement de principes sociaux.
C'est alors que la fille aînée de l'Eglise put gra-
ver sur ses monnaies d'or la devise triomphale :
Christus vincit, régnât, imperat; le Christ est
vainqueur, il règne, il gouverne.
Aujourd'hui tout est changé. Après tant de
siècles de bienfaits, de puissance sociale et de
possession territoriale, où en est l'Eglise?
La réponse à cette question sera le sujet du
chapitre suivant.
CHAPITRE III. 0

CHAPITRE III.

OÙ EN EST L'ÉGLISE?

1
L'Eglise vis-à-vis le monde actuel. — Parallélisme avec le mond*
païen. —Le dogme de ITmmaculée Conception. — Saint Josepli
déclaré protecteur de l'Eglise universelle.—Mouvement d'unhv
catholique. — Le concile du Vatican. — Ses deux constitution^
fondamentales. — L e dogme de l'infaillibilité pontificale. — Son
opportunité.

Un simple regard, promené sur la face du


globe, découvre une frappante analogie entre la
situation actuelle de l'Eglise et sa situation
avant Constantin.
En effet, après dix-huit siècles de christia-
nisme , l'Eglise se retrouve en présence d'un
monde qui, à vue d'œil, cesse d'être chrétien, qui
ne veut pas redevenir chrétien, qui ne veut pas
qu'on soit chrétien, et qui de mille manières per-
sécute le christianisme' et ceux qui se font on qui
veulent demeurer chrétiens. Entre elle et le
monde actuel, pris dans sa généralité, opposition
complète d'idées, de mœurs et de tendances.
C'est à tel point que, dans le Syllàbus, Pie IX
a été obligé de condamner ce qu'on appelle esprit
moderne, libertés modernes, progrès moderne,
civilisation moderne, comme incompatibles avec
les principes du catholicisme. Aussi, entre
10 OÙ EN SOMMES-NOUS?

l'Eglise et le monde, lutte incessante, univer-


selle, opiniâtre. Comme aux jours de sa nais-
sance, l'Eglise redevient puissance purement
spirituelle. Autrefois le plus grand propriétaire
de l'Europe et peut-être du globe, elle se voit
aujourd'hui dépouillée de tout et n'a plus de
racine dans le sol.
Le patrimoine de saint Pierre, seul petit coin
de terre indépendant, où son auguste Chef pou-
vait reposer sa tète, vient de lui être enlevé.
Son autorité sociale, si longtemps respectée,
n'existe plus; elle n'est ni reconnue, ni désirée.
Pour l'Eglise, il n'y a plus de voix dans les con-
seils des rois, plus de place dans les assemblées
des législateurs. En dehors de son esprit se for-
ment, autant qu'il est possible, les constitutions
modernes, et des lois antichrétiennes souillent
tous les codes de l'Europe,
De plus en plus méconnue, son autorité mo-
rale se renferme dans des limites relativement
étroites. Les peuples européens, qui formaient la
plus belle portion de son héritage, se sont sépa-
rés de leur mère. La moitié est hérétique ou
schismatique ; l'autre moitié n'est guère catho-
lique qu'à demi.
Afin de ne pas éteindre la mèche qui fume en-
core, l'Eglise se voit contrainte, depuis quelques
années surtout, de marcher de concessions en
CHAPITRE III. ii

concessions. Que deviennent ses lois discipli-


naires du jeûne et de l'abstinence, de la confes-
sion et de la communion, autrefois si religieuse-
ment observées? Combien d'usages, de modes,
de lectures, de genres de plaisirs plus ou moins
contraires à l'esprit du christianisme, s'intro-
duisent parmi ses enfants eux-mêmes, et qu'elle
n'ose condamner ouvertement dans la crainte
trop fondée de n'être pas obéie?
Quant aux pays d'outre-mer et à ces deux cent
millions de catholiques, qui, dit-on, vivent sur
la surface du globe, combien parmi eux l'Eglise
peut-elle compter d'enfants soumis d'esprit et de
cœur à ses dogmes et à ses préceptes? Malheu-
reusement ce n'est pas le grand nombre. Refou-
lée peu à peu, l'Eglise règne aujourd'hui non sur
des provinces, ni sur des villes, ni même, si ce
n'est par exception, sur des familles entières.
Comme aux jours de sa naissance, son royaume
se compose d'individualités, plus ou moins nom-
breuses et disséminées aux quatre vents.
Objet préféré de la haine du monde actuel, le
Chef de l'Eglise, injurié, calomnié, dépouillé par
ses propres enfants, a vu quatre fois en moins
de quatre-vingts ans son trône temporel ren-
versé. Le chemin de l'exil et de la prison s'est
rouvert devant lui. Privé de sa royale indépen-
dance, qui peut répondre qu'un jour il ne sera
12 OÙ EN SOMMES-NOUS?

pas obligé de signer ses oracles de la signature


des martyrs? Plus que jamais, César tend à do-
miner le Pontife, et Satan à dominer César. La
moitié des rois de l'Europe se sont faits papes;
l'autre moitié travaille à le devenir.
Dans ce parallélisme, dont les grandes lignes
se montrent à tous les yeux, il se trouve néan-
moins une différence assez importante pour être
signalée. Le monde païen n'avait pas abusé du
christianisme, et il marchait vers le Rédempteur.
Le monde actuel a traversé le christianisme ; et,
foulant aux pieds le sang du Calvaire, il tourne
le dos au Rédempteur. Le monde ancien avait
une promesse de régénération, et nous n'en avons
pas.
Un autre trait de parallélisme se dessine au-
jourd'hui avec une clarté miraculeusement pro-
videntielle. Pendant l'ère trois fois séculaire des
grandes persécutions, l'Eglise fut gouvernée par
le Pape seul, sans le concours d'aucun concile
œcuménique. Seule sa main suffît pour diriger
la barque de Pierre au milieu des écueils ; seule
son autorité suffit pour établir la discipline et
maintenir l'unité; seule sa parole suffit pour sé-
parer les ténèbres de la lumière et former l'in-
vincible Credo des martyrs.
En prévision d'une situation analogue, que
fait l'Eglise? Ne voyant autour d'elle qu'hostilité
CHAPITRE III- iS

ou indifférence de la part des puissances *de la


terre, elle fait alliance avec les puissances du
ciel. Le grand Pape qui la gouverne a levé les
yeux vers les montagnes éternelles, d'où descend
le secours véritable; et, inspiré d'en baut, il
proclame l'Immaculée Conception de Marie. Par
ce suprême hommage rendu à la puissante Reine
du ciel, il l'oblige à prendre en main, d'une
manière plus éclatante que jamais, la cause de
l'Eglise.
A ce premier acte de politique divine, Pie IX
en ajoute un second. Il veut que l'Eglise du dix-
neuvième siècle ait encore pour défenseur le
glorieux patriarche à qui Marie elle-même obéit
sur la terre, et qui dans le ciel n'a rien perdu de
son autorité sur elle ni sur son divin Fils. Par un
récent décret, le Vicaire de Jésus-Christ déclare
solennellement saint Joseph protecteur de l'E-
glise universelle. Or, la Providence qui dirige
l'Eglise ne tâtonne jamais. Ainsi, ces deux
grands actes ont leur raison d'être dans les né-
cessités du moment
Sûre de ces alliances, l'Eglise attend sans
crainte les ennemis ligués contre elle. Qu'ils,
n'espèrent de sa part ni concessions ni faiblesses :
loin de là. Repliée sur elle-même, et trouvant
en elle seule son invincible force, elle s'affirme
plus hautement que jamais. Sans aucun mena-
JJ 011 EN SOMMES-NOUS?

gement, que dis-je? avec un éclat inaccoutumé,


elle condamne l'erreur victorieuse et donne une
nouvelle énergie à son unité, principe divin de
son immortelle vitalité.
De là vient que le dix-neuvième siècle est
témoin de deux faits particulièrement remar-
quables, et dont chacun voit aujourd'hui la rai-
son. Le premier est le mouvement inattendu qui
porte vers Rome, centre de l'unité catholique,
toutes les Eglises particulières de l'ancien et du
nouveau monde. L'union fait la force : vis unita
fortior. Grâce à ce premier fait, l'Eglise, sem-
blable à une armée bien disciplinée, peut ma-
nœuvrer comme un seul homme.
Ce mouvement providentiel d'union dans la
vérité et dans la charité, correspond au mouve-
ment parallèle d'union dans la haine de la part
de l'église de Satan, et de dissolution intellec-
tuelle et morale en dehors de l'Eglise catholique.
Ainsi se trouve maintenu l'équilibre des forces
belligérantes.
Sanction et couronnement du premier, le
second fait est encore plus significatif. Malgré
tous les obstacles, et contrairement à toutes les
prévisions humaines, l'Eglise s'est assemblée en
concile œcuménique. De ce concile sont sorties
deux constitutions fondamentales.
Par la première, l'Eglise frappe d'anathème
CHAPITRE m. IS
toutes les erreurs anciennes et modernes. Sépa-
rant nettement l'ivraie du bon grain, lés ténèbres
de la lumière, elle s'environne comme d'un mur
4
de feu , qui ne permet plus aux loups couverts
de la peau de brebis de s'introduire furtivement
dans le bercail.
Plus providentielle encore, s'il est permis de
le dire, la seconde proclame solennellement
comme dogme de foi l'infaillibilité du Pontife
romain. Pourquoi cette définition aujourd'hui et
non pas hier ou demain? Parce qu'elle répond
avec une précision mathématique au besoin
d'aujourd'hui. Quel est ce besoin? les aveugles
mêmes peuvent le voir. L'infaillible définition
qui porte jusqu'aux extrémités du monde le
dogme de l'infaillibilité du Chef de l'Eglise,
parlant ex cathedra, a lieu le dix-lmit juillet, et
le lendemain dix-neuf, parait la déclaration de
guerre entre la France et la Prusse.
Un des premiers résultats de cette guerre, et
sans contredit le plus alarmant, a été l'envahis-
sement sacrilège du patrimoine de saint Pierre,
l'occupation de Rome par les révolutionnaires
italiens et l'emprisonnement du souverain Pon-
tife. Désormais, et pendant un temps dont Dieu
seul connaît la durée, plus de concile.
Il faut cependant que l'Eglise soit gouvernée :
1
Munis ignis h) circuitu ejus. {Zach., iï, o.i
16 OÙ EN SOMMES-NOUS ?

il faut que la barque de Pierre soit conduite sûre-


ment à travers les terribles écueils qui l'envi-
ronnent de toutes paris. Au milieu des épaisses
ténèbres amoncelées sur le monde, il faut aux
catholiques un phare qui ne s'éteigne jamais.
Aux évoques, aux prêtres, à tous enfin, il faut
une parole dirigeante, dont l'infaillible vérité
ne puisse être contestée par personne et qui
commande l'obéissance intérieure et extérieure,
instantanée, persévérante, et portée jusqu'au
martyre.
Grâce à l'acte providentiel qui vient d'être
accompli, cette parole existe, reconnue de tons.
A partir du 18 juillet 1870, le gallicanisme et
les gallicans ont cessé d'exister. Il n'y a plus
sur la terre que des catholiques, ou des héré-
tiques.
Viennent maintenant les impossibilités de
réunir les évoques en concile, ou de connaître,
comme on disait, leur assentiment exprès ou
tacite ; viennent les bouleversements sociaux ou
les tentatives de schisme, comme à la fin du
siècle dernier et aux premiers jours du nôtre;
viennent même les persécutions sanglantes,
comme sous le règne des anciens Césars : l'Eglise
est sûre de sa direction. Un mot de son auguste
Chef suffira, sans déviation possible, pour la
maintenir dans la voie de la vérité.
CHAPITRE IV. 47

Telle est la situation de l'Eglise repoussée du


inonde actuel. Mais telle est aussi sa puissante
unité en face de ce monde, livré à toutes les
aberrations des sophistes, à toutes les incerti-
tudes du doute, et dévoré vivant par les erreurs
les plus monstrueuses. Demander maintenant à
qui l'avenir appartient, ce n'est plus une ques-
tion.

CHAPITRE IV.
OÙ E N E S T LE PAPE?

Le Pape est prisonnier. — Enormité d'un pareil forfait. — Ce


qu'est le Pape au point de vue religieux et social. — Gardien
. d e l à vérité. — Protecteur de la dignité humaine, de la liberté,
d e l à sécurité, de la propriété, de tous les droits.

Où en est le Pape? — C'est la terreur dans


l'âme et les larmes aux yeux qu'il faut répondre
à cette question.
Le Pape est prisonnier! prisonnier de ses
propres enfants !
Pour comprendre ce qu'il y a de monstrueux
dans le rapprochement de ces deux mots, il
suffit de comprendre la signification de l'un et
de l'autre. Au point de vue religieux, social et
politique ; qu'est-ce que le Pape?
Au point de vue religieux. Par sa faute,
2
18 OÙ EN SOMMES-NOUS ?

l'homme s'était précipité dans l'abîme de la


damnation éternelle et temporelle; c'est-à-dire
qu'il avait attiré sur lui toutes les tyrannies,
toutes les hontes, toutes les douleurs, sans
moyen de s'en délivrer. Pour le racheter, le Fils
de Dieu en personne est descendu du ciel. Après
avoir, au prix de tous les sacrifices, accompli la
rédemption de l'homme, le divin Libérateur a
laissé sur la terre, pour perpétuer son oeuvre,
un Vicaire investi de tous ses droits, déposi-
taire de toutes ses tendresses, organe infaillible
de toutes ses volontés, et dont il a dit : Celui
qui Vécoute m'écoute, et celui qui le méprise me
méprise.
Ce Vicaire du Verbe incarné, ce représentant
de Dieu sur la terre, c'est le Pape. Acclamée de-
puis dix-huit siècles par l'élite de l'humanité,
nulle vérité ne s'impose plus victorieusement à
la raison. Le Pape est donc le personnage le plus
élevé, le plus vénérable, le plus sacré qu'il y ait
au monde ; il est aussi le plus nécessaire, je dirais
môme le seul nécessaire.
Avec le Pape, vous avez l'Eglise; avec l'E-
glise, vous avez le christianisme; avec le chris-
tianisme, vous avez la vérité, dont la lumière
certaine conduit l'homme au véritable but de la
vie; la justice, qui sauvegarde tous les droits;
la charité, qui soulage, qui ennoblit et qui sanc-
CHAPITRE IV. 19

tifie; l'autorité, qui maintient l'harmonie uni-


verselle des esprits et des cœurs.
Sans le Pape, rien de tout cela : ni Eglise, ni
christianisme, ni vraies lumières, ni vraies ver-
tus. Sous le rapport religieux, le monde retombe
dans l'abîme d'abjection et de malheurs d'où le
christianisme l'a tiré, et au-dessus duquel seule
la main du Pape le tient suspendu.
Ce n'est pas ici, croyons le bien, un propos
hasardé : lisons l'histoire. Sans le Pape, nous
aurions le monde tel qu'il état avant le Pape : la
force pour droit, l'esclavage pour base, Néron
pour roi, Satan pour Dieu. Sans le Pape, nous
aurions le monde tel qu'il est encore en Chine,
en Afrique, au Thibet et dans l'Océanie ; dé-
gradation morale, ignorance, antropophagie,
superstitions sanglantes. Nous, Français, en
particulier, recueillons nos souvenirs. Sans le
Pape, nous aurions de nouveau la France telle
qu'elle était en 93 : Robespierre à la Conven-
tion, Fouquier - Tinville au tribunal révolu-
tionnaire , Carrier à Nantes, Vénus à Notre-
Dame.
La raison en est que l'homme est né pour
adorer. Quiconque n'adore pas le Dieu vrai, adore
le dieu faux; quiconque n'adore pas le Dieu très-
haut, adore le dieu très-bas ; quiconque n'adore
pas le Dieu esprit, adore le dieu matière, le dieu
20 OÙ EN SOMMES-NOUS?

métal, le dieu chair, le dieu ventre, comme dit


saint Paul. Entre ces deux adorations il n'y a
qu'une barrière : c'est le christianisme. Or, sans
Pape, point de christianisme, et sans christia-
nisme, tout ce qui s'est vu avantle christianisme,
tout ce qui se voit encore en dehors du christia-
nisme, peut se revoir. Tel est le Pape au point de
vue religieux.
Au point de vue social. Par cela môme qu'il
est Tàrne et le chef de l'Eglise, le Pape est la clef
de voûte de l'édifice social. Nulle voûte ne peut
exister sans la clef qui la maintient. Il en est de
même de la société. Elle ne peut exister sans le
Pape. Pourquoi? Parce que sans le Pape, il n'y
a parmi les hommes ni dignité, ni liberté, ni
sécurité, ni propriété.
En conservant le christianisme, le Pape con-
serve la dignité humaine. Savoir résister jus-
qu'au sang, plutôt que de plier devant l'erreur
ou l'injustice : voilà ce qui constitue la dignité
de l'homme. Un faible roseau, la jeune Agnès,
faisant échouer contre sa volonté de treize ans
toute la puissance romaine : tel est le type éter-
nellement admirable de la dignité humaine.
Cette dignité, à laquelle les sociétés doivent leur
appui et l'humanité ses gloires, repose essen-
tiellement sur le Pape.
Le sacrifice même de la vie à la vérité et à la
CHAPITRE IV. 21

justice, implique la certitude invincible de la


vérité et de la justice. Une pareille condition'
exige l'infaillibilité de la parole, organe de la
vérité et de la justice. Or, sans le Pape point
d'infaillibilité, parce que sans le Pape il n'y a ni
Eglise ni christianisme. Gela est si vrai que le
martyre commence avec l'infaillibilité dont il
est le corollaire, et finit avec elle.
Cependant, l'infaillibilité doctrinale est néces-
saire à la société. Sans elle, qu'aurez-vous? Le
fait à la place du droit ; l'infaillibilité usurpée à
la place de l'infaillibilité légitime. Les rois seront
papes. Que deviennent alors les hommes les plus
fiers? Ce qu'ils sont aujourd'hui, ce qu'ils seront
demain, ce qu'ils furent dans la Rome des
Césars : valets à tout faire, avocats à tout dire,
excepté la vérité ; prêteurs de tous les serments ;
courtisans également sincères de Vitellius et
d'Othon; sénat auguste délibérant gravement
sur la sauce du turbot qui doit nourrir leur
maître. Voilà ce que devient sans le Pape la
dignité humaine.
Quant à la liberté, autre condition nécessaire
de toute société "véritable, c'est encore au Pape
que le monde en est redevable. Les devoirs de
tous sont les remparts de la liberté de chacun.
Sans Pape point d'Eglise. Et sans Eglise, qui en-
seignera les devoirs des rois envers les peuples,
22 OÙ EN SOMMES-NOUS?

les devoirs des peuples envers les rois, des pères


envers les enfants, des riches envers les pauvres,
des forts envers les faibles, et réciproquement?
Personne.
Qui en tracera les limites avec certitude? Per-
sonne.
Qui, avec une autorité souveraine et souverai-
nement légitime, arrêtera le téméraire qui veut
les franchir? Personne.
Qui, avec la même autorité, le reprendra lors-
qu'il les aura franchies, en lui disant, fût-il roi
ou empereur : Gela n'est pas permis, non licet?
Personne.
Ainsi, avec le Pape tombent toutes les barrières
protectrices de la liberté. A la place, nous aurons
ce que l'humanité, sans le Pape, a eu toujours et
partout : licence et despotisme.
Ce qui vient d'être dit de la liberté et de la
dignité humaine, il faut le dire de la sécurité et
de la propriété, deux choses non moins néces-
saires à l'état social. Rois ou sujets, riches ou
pauvres, habitants des villes ou habitants des
campagnes, qui vous protège contre l'assassinat,
la violence, le vol, le communisme? La force?
Non. La force est un instrument aveugle : elle
défend ou elle attaque, elle conserve ou elle dé-
pouille, suivant la volonté de celui qui l'emploie.
Qui donc? La loi. — Qu'est-ce que la loi? C'est
CHAPITRE IV. 23

l'application du droit. —D'où vient le droit? De


la même source que la vérité. —Pourquoi? Parce
que le droit n'est que la vérité appliquée à la
propriété. — Quelle est la source de la vérité?
L'homme? Impossible. — Qui donc? Vous l'avez
nommé ; Dieu, et Dieu seul.
Puisque le droit a son origine et par consé-
quent sa règle en Dieu, il s'ensuit que le droit
public, le droit international, le droit de pro-
priété, comme tout autre droit, est divin. Or,
sans le Pape, le droit divin n'a plus ni organe
infaillible, ni garantie certaine. Il est remplacé
parle droit humain, par le droit nouveau. Qu'est-
ce que le droit humain? C'est le droit de l'homme
devenu son Dieu, et prenant pour règle de ses
actes, non la loi éternelle de justice, mais ses ca-
prices et ses intérêts. C'est le droit de la force, le
droit de la convenance, le droit de la convoitise.
Le code en est court : Ote-toi de là que je m'y
mette, ou sinon...
Au point de vue social, tel est le Pape. En vé-
rité, quand on voit les rois et les peuples de l'Eu-
rope attaquer le Pape et la papauté, on se figure
une troupe de forcenés démolissant à l'envi l'édi-
fice qui les abrite, et qui en tombant les écrasera
sous ses ruines.
OÙ EN SOMMES-NOUS?

CHAPITRE V.
OÙ E N E S T L E P A P E ?

Le Pape est prisonnier. — Ce qu'est le Pape au point de vue


politique. — Le plus légitime des souverains. — Le dépouiller,
sacrilège, crime de lèse-nation, lâcheté. — Attenter à sa liberté,
crime de lèse-majesté divine. — Appel à tous les châtiments.
— Le Pape est prisonnier de ses propres enfants. — L'empri-
sonnement de Pie IX, différent des autres.

Au point de vue politique, le Pape est un sou-


verain, le plus ancien et le plus légitime des
souverains. Née de la sage volonté de Dieu et de
l'amour filial des nations, la souveraineté tem-
porelle du Saint-Père est plus sacrée que toutes
les autres. L'attaquer est tout ensemble un sa-
crilège, un crime de lèse-nation et une lâcheté.
Un sacrilège. Chez tous les peuples, môme
païens, les biens voués à Dieu ont été chose sa-
crée. Dans l'Eglise, entre le Fils-de Dieu qui re-
çoit, représenté par son Vicaire, et celui qui
donne, il y a un véritable contrat. Les chartes
de donations ou de fondations en contiennent les
formules authentiques et parfaitement légales.
Si donc les contrats passés entre les hommes
sont sacrés et la propriété qu'ils transmettent in-
violable ; de quel droit prétendrait-on annuler le
contrat passé entre l'homme et Dieu, et dépouiller
CHAPITRE V. 25

Dieu ou l'Eglise, car ici c'est tout un, d'un bien


si légitimement acquis?
Qu'on y prenne garde : le droit de propriété et
de souveraineté est un; il est, pour le moins,
aussi sacré sous la soutane du Pape, que sous le
manteau d'un roi. Si vous le déniez au Pape,
bientôt la logique vous aura conduit à le dénier
aux rois, aux princes, aux bourgeois, aux pro-
priétaires quelconques. C'est un fait dont l'his-
toire même de notre époque rend un incontes-
table témoignage. Si vous expropriez le Pape
pour cause d'utilité italienne, allemande ou
française, par un de ces retours inévitables de
la justice de Dieu, on vous expropriera vous-
mêmes pour cause d'une utilité quelconque :
qu'aurez-vous à dire ?
Un crime de lèse-nation. Les Etats pontificaux
n'ont jamais été et ne sont à aucun titre la pro-
priété de l'Italie. Le patrimoine de saint Pierre
s'est formé des offrandes de toutes les nations
catholiques. C'est leur bien et le témoignage de
leur respect et de leur amour filial, envers celui
que la langue des peuples chrétiens a si bien
nommé le Saint-Père. C'est de plus une garantie
de leur foi. La souveraineté temporelle est néces-
saire soit au gouvernement de l'Eglise, dans les
conditions actuelles de son existence, soit à la
pleine indépendance de la parole pontificale.
26 OÙ EN SOMMES-NOUS?

A l'exemple de ses prédécesseurs et en parti-


culier de Pie VI, de sainte mémoire, Pie IX ne
cesse d'affirmer la même vérité. Tout récemment
er
encore, dans l'Encyclique du 1 novembre 1870,
il dit : « Les événements actuels, n'y aurait-t-il
pas d'autres arguments, ne démontrent que trop
de quelle opportunité et de quelle nécessité est le
pouvoir temporel, pour assurer au Chef suprême
de l'Eglise le sûr et libre exercice du pouvoir spi-
rituel, qu'il a reçu de Dieu sur le monde entier. »
Plus qu'aucune de ses sœurs, la fille aînée
de l'Eglise, la France, a droit d'être offensée des
spoliations piémontaises. Les plus riches pro-
vinces des Etats pontificaux sont dues à la
pieuse libéralité de ses anciens rois.
Une lâcheté. Attaquer un être faible, unique-
ment parce qu'il est faible ; l'attaquer pour le dé-
pouiller du peu qu'il possède, uniquement parce
qu'il le possède, est une lâcheté qui attire sur
celui qui ne rougit pas de s'en rendre coupable,
l'exécration des siècles.
Achab, roi d'Israël, possédait de riches pro-
vinces. Non loin de son palais était la petite vigne
du pauvre Naboth. A tout prix Achab veut l'avoir
pour y planter des légumes. Les offres les plus
pressantes et les plus avantageuses, il les fait à
Naboth, qui se contente de répondre : Que Dieu
me garde de vendre l'héritage de mes pères!
CHAPITRE V. 27

La réponse du pauvre Israélite déconcerte le


roi, qui en tombe malade. Survient l'épouse d'A-
chab, l'infâme Jézabel. Quoi! vous vous rendez
malade pour si peu de chose! Vous êtes un fa-
meux roi et d'une belle autorité! Tranquillisez-
vous; je me charge de vous faire avoir la vigne
de Naboth. En effet, subornant de faux témoins,
elle fait accuser Naboth d'avoir mal parlé de Dieu
et du roi, et Naboth est mis à mort.
Achab descend de son palais pour prendre pos-
session de la vigne. Tout-à-coup il se trouve en
face du prophète Elle, qui lui dit : Vous avez tué,
et de plus vous avez volé. Eh bien! voici ce que
dit le Seigneur : Au même endroit où les chiens
ont léché le sang de Naboth, ils lécheront le
vôtre. Quant à Jézabel, les chiens la mangeront
4
dans la campagne de Jezraël, pays de Naboth .
Changez les noms. A la place de Naboth, met-
tez Pie IX ; à la place de la vigne, le domaine
pontifical; à la place d'Achab, Victor-Emma-
nuel ; à la place de Jézabel, la Révolution ; et
vous aurez, au dix-neuvième siècle, la repro-
duction littérale du crime commis il y a quatre
mille ans. Attendez un peu, et vous verrez la
main de Dieu frapper de châtiments éclatants le
moderne Achab et la moderne Jézabel. Dès ce
moment, leurs noms, attachés au pilori de l'his-
1
1II Reg., xx], etc.
28 OÙ EN SOMMES-NOUS?

toire, ne seront prononcés qu'avec horreur par


les générations futures.
La conclusion des quelques aperçus précédents
sur le Pape, considéré au point de vue religieux,
social et politique, s'impose d'elle-même et se
formule ainsi : Personne au monde ne doit être
entouré de l'amour, de la vénération et de la re-
connaissance universelle, comme le Représentant
de Dieu parmi les hommes, le Vicaire de Jésus-
Christ, le Pape enfin.
Cependant, à l'heure où ma main tremblante
trace ces lignes, le Pape est prisonnier et privé
de sa liberté ! Lui-même le déclare et veut que
l'univers entier le sache. « Nous déclarons, écrit
du fond de sa prison le Père commun des chré-
tiens, l'auguste vieillard trois fois vénérable, par
ses cheveux blancs, par sa dignité, par ses ver-
tus, et nous affirmons, devant Dieu et devant
l'univers catholique, que nous sommes dans une
captivité telle, que nous ne pouvons aucunement
exercer en sécurité, facilement et librement,
1
notre suprême autorité pastorale . »
Le Pape en prison! le Pape privé de sa liberté!
le Pape ne pouvant plus gouverner l'Eglise!
Quel crime ! quelle honte ! quel scandale reten-
tissant! A cette nouvelle, que vont dire les na-
tions hérétiques ou schismatiques? En apprenant
1 P1
Enc\cl., 1 nov. 1870.
CHAPITRE V. 29

que les chrétiens persécutent leur religion et


emprisonnent leur Père, que vont penser les
peuples idolâtres, auxquels nos missionnaires
enseignent la divinité du christianisme et les
augustes prérogatives du Vicaire de Jésus-
Christ? Comment désormais les amener à la foi?
Le Pape en prison! C'est là vérité captive;
c'est la justice bâillonnée; c'est la conscience
humaine livrée au despotisme de la force; c'est
le schisme en perspective; c'est la terre sans
le soleil, et, par-dessus tout, c'est le Dieu des
vengeances blessé à la prunelle de l'œil.
Le Pape en prison ! Quel sujet de terreur ! Les
désastres de nos armées, le bombardement de nos
villes, le ravage de nos provinces, sans parler de
ce qui nous attend, et avec nous l'Italie et l'Eu-
rope entière, tout cela pâlit devant ces quelques
mots : Le Pape est en prison !
Le Pape est prisonnier de ses propres enfants!
Cette circonstance met le comble au forfait.
L'emprisonnement de Pie IX diffère beaucoup
de celui que subirent plusieurs de ses vénérables
prédécesseurs. Dans les premiers siècles, le Pape
fut prisonnier des Césars païens, qui ne le con-
naissaient pas, et qui n'avaient reçu de lui ni les
bienfaits de la civilisation, ni les principes de la
liberté, ni les règles de la justice. Plus tard,
r emprisonnement du Pape fut un acte de bruta-
30 OÙ EN SOMMES-NOUS?

lité personnelle, passagère, et hautement con-


damnée par la foi des peuples, qui obligeait
bientôt le ravisseur à lâcher sa proie.
Alors le Pape était prisonnier d'un homme;
aujourd'hui il est prisonnier de l'Europe. Autre-
fois le persécuteur du Pape avait un nom propre :
il s'appelait Othon, Barberousse, Bonaparte. Au-
jourd'hui il s'appelle Légion, L'emprisonnement
de Pie IX est l'exécution d'un plan formé à froid,
au nom du progrès, des lumières et de la liberté
du monde; un plan depuis longtemps conçu,
publiquement annoncé et constamment favorisé
par l'hostilité des uns et par l'indifférence de
tous.
Cette complicité universelle de l'Europe, qui,
à l'heure même, reste impassible devant la con-
sonsommation de l'attentat, vérifie mieux que
jamais la parole prophétique du divin Maître
adressée à Pierre, devenu le suprême berger du
bercail : « Lorsque vous étiez jeune, vous vous
ceigniez vous-même et vous alliez où vous vou-
liez ; mais quand vous serez devenu vieux, un
autre vous ceindra et vous conduira où vous ne
1
voudrez pas . »
Le texte sacré ajoute que c'était l'annonce
du genre de mort qui lui était réservé. Pierre,
c'est la papauté. Dans la personne de Pie IX,
1
han.
t xxi,. 18.
CHAPITRE V. 31

Pierre est aujourd'hui lié et incarcéré par ceux-


là mêmes qui lui doivent tout : liberté, lumière,
civilisation. Et il peut dire en toute vérité :
« J'ai nourri et élevé des enfanls, et ils m'ont
1
méprisé ! »
Toutefois, qu'on le sache bien, dans cette
plainte trop fondée, il y a moins d'amertume que
de crainte. Au fond de sa prison, le Pape, tou-
jours père, s'oublie lui-même et ne tremble que
pour ses persécuteurs. Gomme son Maître et son
modèle montant au Calvaire, il dit : « Ne pleurez
2
pas sur moi, mais sur vous et sur vos enfants . »
Et avec Jérémie : « Voilà que je suis entre vos
mains ; faites de moi ce qu'il vous plaira. Mais,
sachez-le bien, si vous attentez à ma vie, vous
versez contre vous le sang innocent; vous appe-
lez toutes les foudres du ciel sur vos personnes,
sur vos royaumes et sur leurs habitants; car je
suis vraiment le lieutenant de Dieu, l'organe de
3
ses volontés, le dépositaire de ses droits . »
A qui s'adresse en particulier cette infaillible
menace : nous le verrons dans les chapitres sui-
vants.
1 J
1$., i, 2. — » L u c , xxni, 28. — Jerem., xxvi, 14, 15.
32 OÙ EN SOMMES-NOUS?

CHAPITRE VL
LE PAPE EST PRISONNIER : A QUI LA FAUTE ?

La Révolution. — Ce qu'elle est. — Son origine dans l'Europe


moderne. — Son premier auxiliaire, l'éducation littéraire et
philosophique.

Sur T ex-empereur des Français, sur Victor-


Emmanuel, sur Mazzini, sur Garibaldi et leurs
complices, la vindicte publique fait retomber,
avec ses anathèmes, la responsabilité de l'odieux
attentat qui vient d'être commis contre le Père
de la chrétienté : c'est justice. Mais sont-ils les
seuls coupables? Assurément non. Ces hommes
ne sont que les héritiers et les exécuteurs des
hautes oeuvres de coupables plus nombreux et
plus anciens.
Ne l'oublions pas : ce qui est émane de ce qui
fut. Les révolutions ne passent dans les faits
qu' après être accomplies dans les idées. Louis XVI
était détrôné avant d'être roi. Pie IX était pri-
sonnier et Rome envahie avant le 20 septembre.
Quels sont donc les coupables qui, de longue
main, ont préparé le crime dont la perpétration
matérielle nous fait trembler pour le présent et
plus encore pour l'avenir ?
CHAPITRE VI. 33

Le premier, celui dont tous les autres ne sont


que les auxiliaires, c'est la Révolution. La Ré-
volution est cette puissance occulte, universelle,
formidable, essentiellement anticbrétienne qui 7

depuis plusieurs siècles, ébranle toutes les par-


ties de l'Europe. C'est Y Esprit du mal, soufflant
sur le monde avec une violence inconnue depuis
l'établissement du christianisme. C'est Satan
lui-même, cherchant par tous les moyens à
mettre Dieu en bas et lui en haut, afin de re-
prendre son ancien empire sur l'humanité, sa
dupe et son esclave.
Enchaîné pendant de longs siècles, il est sorti
du puits de l'abîme, traînant à sa suite le Pro-
testantisme, le Césarisme, le Rationalisme et
toutes les monstrueuses erreurs, ensevelies de-
puis longtemps dans le tombeau du paganisme
gréco-romain. Cette époque fatale divise en deux
parties, radicalement différentes, l'existence de
l'Europe : le moyen âge et les temps modernes.
On l'a désignée par le mot de Renaissance : un
des plus grands mensonges de l'histoire.
Préparée par le grand schisme d'Occident et
par d'autres causes trop longues à énumérer
ici, la prétendue Renaissance commença décidé-
ment le jour où les Grecs schismatiques, chassés
de Constantinople en punition de leur révolte
J
obstinée contre 1 Eglise, vinrent dire à l'Europe
3
34 OÙ EN SOMMES-NOUS?

chrétienne qu'elle était barbare. Suivant eux,


littérature, philosophie, peinture, architecture,
politique, institutions sociales, tout était à faire
ou à refaire sur le modèle de la belle antiquité.
C'était, ni plus ni moins, la résurrection d'un
ordre social dont Satan avait été l'organisateur,
le prince et le dieu. En vain l'Eglise protesta
avec énergie contre ces scandaleux mensonges.
Par un acte solennel, trop justement motivé, elle
déclara que toute cette littérature, toute cette
philosophie, qu'on voulait faire prévaloir, étaient
empoisonnées jusque dans leurs racines : Radi-
1
ées philosophie et poeseos esse infectas .
L'Europe fascinée n'écouta pas plus la voix de
sa mère qu'Eve n'avait écouté la voix de Dieu.
Une seconde fois, le père du mensonge, le père
de la Révolution, avait vaincu. Son premier
auxiliaire fut l'éducation littéraire et philoso-
phique, donnée, depuis le jour de son triomphe,
aux classes élevées de l'Europe.
A partir de cette époque, on a mis, pendant les
années décisives de la vie, la jeunesse qui, par
sa position sociale, fait le monde à son image, en
commerce intime, journalier, obligatoire avec les
païens de Rome et d'Athènes. Sur tous les tons,
on a exalté les hommes et les choses d'un temps
où l'homme, maître de lui-même,- ne connaissait
' Bulla Regimiuis apostolicî du Conc. de Latran,
CHAPITRE VI. 35

ni le Pape ni la papauté. On l'a donné comme


l'époque la plus brillante de rhumanité. En
même temps, on a laissé grandir cette jeunesse
dans l'ignorance et même dans le mépris des
siècles formés par la papauté et dirigés par le
Pape.
Et le Pape et la papauté, devenus indifférents
ou odieux, ont été regardés non-seulement
comme des inutilités sociales, mais encore comme
des obstacles au retour de l'humanité vers les
libertés, les prospérités et les splendeurs des
temps antérieurs au Pape et à la papauté. Vic-
times de cette éducation menteuse, les généra-
tions modernes, une fois entrées dans la vie, ont
travaillé sans relâche, directement ou indirec-
tement, à réaliser le type social qu'on leur avait
fait admirer.
Si l'auteur de cet écrit était seul à porter cette
accusation foudroyante contre l'éducation clas-
sique, on ne manquerait pas de crier à l'injustice
et à l'exagération : mais il est en bonne et nom-
breuse compagnie. Avant lui et comme lui par-
lent tous les voyants de l'Europe, depuis bientôt
1
quatre siècles . Plus haut encore parlent les faits,
entre autres la plus grande catastrophe des temps
modernes, la Révolution française, qui ne fut
* On peut voir leurs témoignages dans les douze volumes de
notre ouvrage la Révolution.
36 OÙ EN SOMMES-NOUS?

d un bout à l'autre que la mise en scène des


études de collège.
A ces autorités péremptoires s'ajoute, aujour-
d'hui môme, celle du Vicaire de Jésus-Christ.
Dans son encyclique du 8 décembre 1849,
datée de Portici, Pie IX, victime une première
fois de la Révolution, s'exprime en ces termes :
« La Révolution est inspirée par Satan lui-même.
Son but est de détruire de fond en comble l'édi-
fice du christianisme et de reconstruire sur ses
ruines l'ordre social du paganisme. Son grand
moyen est de faire briller aux yeux des Italiens
les gloires de Rome païenne, afin de rendre
odieuse Rome chrétienne, comme étant l'obsta-
cle qui empêche l'Italie de reconquérir l'antique
splendeur des temps anciens, c'est-à-dire des
temps païens : Quo Italia vetemm temporwn, id
est Ethnicorwn, splendorem iterwm acquirere
possit. »
Ramener le monde au paganisme, c'est-à-dire
substituer Satan à Jésus-Christ dans le gouver-
nement de l'humanité, tel est donc le dernier
mot de la Révolution. Qu'est-ce que cela? sinon
la haine du Pape et de la papauté portée à la plus
haute puissance? Reste à savoir comment, après
dix-huit siècles de christianisme, ce sentiment
odieux se trouve tout vivant au cœur de généra-
tions baptisées, et'surtout de générations ita-
CHAPITRE VI. 37

Hennés, qui, plus rapprochées du Saint-Père,


ont plus largement que les autres participé à ses
bienfaits. La réponse est forcée. L'éducation fait
l'homme; l'homme fait la société, et la société
faite par l'éducation païenne a conduit Pie IX
en prison.
Non moins que l'éducation littéraire, l'éduca-
tion philosophique a contribué à révolutionner
l'Europe et enchaîner Pie IX. Comme toutes les
autres sciences, la philosophie s'appelait autre-
fois et était réellement la servante de la théo-
logie, ancilla theologise. Ce nom dit tout. Il
exprime l'accord de la raison et de la foi, la
subordination de la première à la seconde, l'u-
nion nécessaire de l'ordre naturel avec l'ordre
surnaturel. Depuis la renaissance du natura-
lisme païen, proposé à l'admiration de la jeu-
nesse, cette alliance est allée en s'affaiblissant,
jusqu'à ce qu'elle ait été rompue.
On est plus qu'étonné de trouver, dans un
grand nombre de cours de philosophie classiques
des trois derniers siècles et du nôtre, une ten-
dance marquée à isoler la raison de la foi, les
vérités de l'ordre naturel des vérités de l'ordre
surnaturel. Des professeurs, d'ailleurs respec-
tables, ne craignent pas d'appeler la philosophie
la trouveuse et la mère de la vérité, veritatis
indagatrix et parwis.
38 OÙ EN SOMMES-NOUS?

Ils affichent la prétention d'enseigner et de


prouver, par la seule raison, les plus importantes
vérités de l'ordre dogmatique et moral, qui sont
du domaine de la théologie, dans lequel il leur
est soigneusement recommandé de ne faire au-
cune excursion pour y chercher un appui. L'en-
seignement d'Aristote doit leur suffire.
La philosophie, ainsi élevée peu à peu au-
dessus de sa sphère, a prétendu être, non plus la
servante de la théologie, mais son égale, et même
sa supérieure. Dans son orgueil, elle s'est mise à
l'œuvre et a fait tout un monde à son image. En
effet, de cette philosophie séparée et séparatiste
sont nés la politique séparée, la littérature sépa-
rée, l'art séparé, la morale séparée ou indépen-
dante de tout enseignement révélé. C'est la
substitution évidente du naturalisme païen au
surnaturel chrétien.
De cette apothéose de la raison, la conclusion
pratique est ce que nous voyons aujourd'hui :
dans Tordre religieux, le Rationalisme ou la né-
gation radicale de toute religion positive; dans
l'ordre politique, la déclaration des droits de
l'homme; dans l'ordre social, la maxime que
« les sociétés sont laïques et qu'elles doivenl
l'être; car tel est l'esprit du temps, le signe de la
virilité, la condition du progrès. » Ehfin, comme
conséquence inévitable, la haine du Pape, ad-
CHAPITRE VII. 39

versaire irréconciliable de ce divorce aussi in-


sensé que criminel, et organe incorruptible du
surnaturel chrétien.
Aujourd'hui nous en sommes là; où en serons-
nous demain?

CHAPITRE VII.

LE PAPE EST PRISONNIER : A QUI LA FAUTE ?

Les gouvernements, soi-disant catholiques, second auxiliaire


de la Révolution, — La politique séparée. — Indifférence et
hostilité de ces gouvernements vis-à-vis de l'Eglise et du
Pape. — Leur histoire écrite en trois mots : insulter, dépouiller,
enchaîner.

Etouffeurs du christianisme dans les généra-


tions naissantes et démolisseurs de l'alliance
entre l'ordre naturel et l'ordre surnaturel, les
humanistes et les philosophes de la Renaissance
sont les premiers garibaldiens. Les gouverne-
ments formés à leur école sont les seconds.
Des collèges et des universités, la doctrine du
séparatisme devait inévitablement passer dans
les faits : rien de plus facile à prévoir. Une pa-
reille théorie était si flatteuse pour l'orgueil,
qu'elle ne pouvait manquer d'être reçue avec
empressement par tous les ambitieux couronnés :
1
la prévision ne tarda pas à se réaliser. « J ai
40 OÙ EN SOMMES-NOUS?

pondu l'œuf, disait la Renaissance par la bouche


d'Erasme, et Luther l'a fait éclore : Ego peperi
OVUTÏI, Zutherus exclusif. »

En effet, à la voix du fougueux apostat, nour-


risson chéri de la Renaissance, comme tous les
réformateurs du seizième siècle, la plupart dés
gouvernements de l'Allemagne, imités par l'An-
gleterre, brisèrent violemment les liens qui rat-
tachaient la politique à la religion. Rois et princes
souverains, tous se firent papes et devinrent les
ennemis déclarés du véritable Pape.
Quant aux autres gouvernements, demeurés
catholiques de nom, leur tendance constante a
été de s'émanciper le plus possible de l'autorité
de l'Eglise et du Pape. Maintes fois par leurs
actes, plus éloquents que leurs paroles, ils ont
déclaré fièrement qu'ils ne relevaient que de
Dieu et de leur épée.
Cette parole n'a pas de sens ou elle veut dire :
<( Entre Dieu, le monarque suprême, et nous, ses
vassaux, il n'y a point de médiateur nécessaire.
A nul sur la terre, nous ne reconnaissons le
droit de contrôler nos actes publics, de juger
de la justice de nos lois ou de la légitimité de
nos guerres. »
C'est la maxime de l'antique droit césarien :
Quidquid placuit régi, legis habet vigorem. Dès
lors ils ont légiféré et gouverné, non plus sui-
CHAPITRE VII. 41

vant les principes immuables du droit divin,


mais suivant les règles capricieuses du droit
humain, dont ils sont tout ensemble les auteurs
et les interprètes. Le code Napoléon en est le
plus monstrueux exemple.
Cette négation pratique du droit divin les a
constitués en état d'indifférence et même d'hos-
tilité permanente vis-à-vis le Saint-Père. Pour
eux, il n'a plus été qu'un souverain étranger el
même suspect. Ses intérêts n'ont plus été leurs
intérêts; ni ses douleurs, leurs douleurs. Cepen-
dant le Pape, toujours fidèle aux devoirs de sa
charge, ne cesse de réclamer contre la violation
du droit politique chrétien dans les constitutions,
dans les lois, dans les actes, dans les maximes
et les tendances des gouvernements émancipés,
et dans leurs empiétements sur les prérogatives
et les libertés de l'Eglise.
Bien qu'ils n'en tiennent aucun compte, ces
réclamations souvent réitérés les importunent.
Pour y répondre, qu'ont fait ces enfants Hennés?
Comme celle des gouvernements protestants, de-
puis trois siècles et au delà, leur histoire dans ses
rapports avec le Pape et l'Eglise est écrite en trois
mots : insulter le Pape et l'Eglise, dépouiller le
Pape et l'Eglise, enchaîner le Pape et l'Eglise.
Insulter le Pape, leur père, et l'Eglise, leur
mère. Depuis Luther el consorts, qui appelaient
42 OÙ EN SOMMES-NOUS?

le Pape l'antechrisl, jusqu'à Garibaldi, qui l'ap-


pelle un chancre et un vampire; depuisHolbein ;

qui, au seizième siècle, inonda l'Europe de cari-


catures infâmes, où le Père des chrétiens était
transformé en tout ce qu'il y a de plus immonde,
jusqu'aux bandits maitres actuels de Rome, qui
souillent des mêmes infamies les murs de la ville
sainte : quelles injures n'a-t-on pas jetées à la
face auguste du Vicaire de Jésus-Christ?
Sophistes, journalistes, clubistes, mécréants
et sectaires de tout genre et de tout pays n'ont-
ils pas, surtout dans ces derniers temps, épuisé
contre le Pape et contre la papauté le vocabu-
laire infernal de l'injure, de la calomnie et du
blasphème? Et les gouvernements, soi-disant
chrétiens, qui ne permettraient pas qu'on insul-
tât le dernier de leurs gardes champêtres, ont
laissé faire !
Dépouiller le Pape, leur père, et l'Eglise, leur
mère. Faites le tour de l'Europe, et, si vous le
pouvez, nommez une nation qui [n ait pas volé
l'Eglise et le Pape. Jusqu'à ces derniers jours, il
restait au souverain Pontife un petit coin de terre
indépendant. La France, non, non, pas la France :
l'indigne gouvernement de la France, complice
d'une première spoliation, avait signé, avait juré
que JAMAIS il ne permettrait l'envahissement du
peu qui restait au Saint-Père.
CHAPITRE VII. (3

Et il a laissé marcher sur sa signature et livrer


son jamais à la dérision du monde ! Et Pie IX est
aujourd'hui le Job de la papauté.
Puis-je, sans trembler et sans rougir, ajouter
que le représentant de notre gouvernement ac-
tuel, en Italie, a eu l'infamie de féliciter publi-
quement l'envahisseur de Rome de sa spoliation
sacrilège? Pater, ignosceillis, non enim sciunt
yuid faciunt.
Enchaîner le Pape, leur père, et l'Eglise, leur
mère. Dieu, a dit un grand docteur, n'aime rien
tant que la liberté du Pape et de l'Eglise. Rien,
par conséquent, ne lui est plus sensible que les
attentats à cette liberté. Telle est l'iniquité per-
manente des gouvernements modernes. N'étant
plus catholiques, ils sont forcément césariens.
Or, il est de l'essence de tout gouvernement cé-
sarien de vouloir régner sans contrôle. Autant
qu'il a été en eux, ils ont donc enchaîné le Pape
dans sa parole et dans ses actes, en attendant
que les derniers consëqîtentiaires de leurs prin-
cipes soient venus l'enchaîner dans sa personne.
Dans sa parole. Tandis que les sectaires les
plus hostiles à la religion et à la société, peuvent
librement professer leurs doctrines et les ré-
pandre partout, le Père des chrétiens ne peut faire
entendre sa voix à ses enfants. Comme on établit
des cordons sanitaires pour empêcher les com-
ii OÙ EN SOMMES-NOUS?

munications avec les pays infectés de la peste,


les gouvernements ont fait des lois qui défendent
la publication de tout écrit venant du Saint-Siège,
à moins qu'il n'ait été visé et approuvé par eux.
A l'injustice s'ajoute l'ironie. Quels sont ces
réviseurs des oracles pontificaux, ou plutôt ces
douaniers chargés de les arrêter aux frontières,
comme une marchandise de contrebande? Des
laïques, ignorants peut-être du catéchisme, des
hérétiques, des mécréants, tous valets du pou-
voir. Voilà le tribunal qui, en France, en Au-
triche et ailleurs, ose citer a sa barre la parole
du Vicaire de Jésus-Christ, la juger, la condam-
ner même et la supprimer, avec défense aux ca-
tholiques de la prendre pour règle de leur con-
duite.
En conséquence, des évoques français et étran-
gers sont condamnés à l'amende, traduits an
conseil d'Etat pour avoir, suivant le devoir de
leur charge, publié dans leur diocèse, ou simple-
ment lu en chaire, une bulle pontificale. Coupable
du même délit, un de nos journaux religieux,
V Univers, n'a-t-il pas été impitoyablement sup-
primé ?
Que serait-ce si j'ajoutais, ce que j'ai vu de
mes yeux, la confiscation des lettres venues du
Saint-Siège et le bris des sceaux de la chancelle-
rie romaine, afin d'empêcher, par cette violation
CHAPITRE VII. 45

du droit des gens, la pensée du Père commun de


parvenir à la connaissance de ses enfants ?
Dans ses actes. Les membres du clergé sécu-
lier et régulier sont les bras du Saint-Père. Par
eux, il exerce son action sur toutes les parties du
monde catholique. Qu'ont fait les gouverne-
ments ? Aux uns ils ont interdit l'entrée de leurs
frontières ; ils ont supprimé les autres, gêné la
liberté de tous et mis en tutelle leurs personnes
et leurs propriétés.
Parce qu'elles étendent l'action de l'Eglise et
sont animées de l'esprit du Saint-Siège, les com-
munautés de femmes n'ont pas été mieux trai-
tées. Combien de vexations insultantes et chaque
jour renouvelées, commises par les hommes du
gouvernement contre ces héroïques vierges, qui
se dévouent au soulagement de toutes les mi-
sères physiques et morales!
Au lieu d'être entourées de la confiance, du
respect et de la reconnaissance dus à leur carac-
tère, à leur abnégation, souvent même à leur
naissance, ces anges de la charité, enchaînées
dans tous les détails de leurs fonctions, ne sont
plus regardées que comme des femmes de mé-
nage ou des servantes, pour qui on se croit
dispensé de tout égard.
Le Césarisme a poussé l'audace plus loin. Tout
récemment il disait au représentant du Saint-
46 OÙ EN SOMMES-NOUS*?

Siège à Paris : Priez Dieu que vos évêques ulira-


montains ne meu/rent pas, car vous n'en aurez ja-
mais plus.
Faisant de son hostilité la règle de sa conduite,
il présente pour chefs des diocèses, non les can-
didats qui auraient la préférence du Pasteur su-
prême, à qui incombe la responsabilité de tout
le troupeau, mais ceux dont il espère faire les
instruments de sa politique antiromaine. Ne l'a-
t-on pas vu, soutenant jusqu'au scandale ses
tyranniques prétentions, laisser vacants pen-
dant de longues années d'importants diocèses,
plutôt que de retirer des nominations jugées
inacceptables par le Saint-Siège?
Que sont tous ces actes et mille autres, sinon
l'enchaînement moral du Saint-Père? Entre cet
enchaînement moral, précurseur de l'enchaîne-
ment matériel, il n'y a qu'un pas : et ce pas
a été franchi.
CHAPITRE VIII 41

CHAPITRE VIII.
LE PAPE EST PRISONNIER : A QUI LA FAUTE ?

• Les gouvernements hérétiques et schismatiques, troisième auxi-


liaire de la Révolution. — Complices dans les attentats contre
le Pape. —Pour les nations séparées, le Pape n'est pas seule-
ment un souverain temporel, c'esl un père. — Elles lui doivent
leur être chrétien. — Paroles de saint François de Sales.

Tant que tn voudras, lave-toi les mains,


Pilate : tu n'es pas innocent du sang du Juste.
Parce qu'elles n'ont pas coopéré directement et
matériellement aux derniers attentats commis
contre le Pape, certaines nations se flattent d'être
innocentes et croient n'avoir rien à craindre des
châtiments qui menacent l'Europe : c'est une„
illusion. D'abord, il n'en est pas une qui ne soit
coupable de l'enchaînement moral du Saint-
Père. Quant à son enchaînement matériel, con-
séquence du premier, toutes en sont respon-
sables.
Voir piller les biens d'un honnête homme,
brûler sa maison, le mettre lui-même en prison,
pouvoir empêcher tout cela et demeurer les bras
croisés : est-ce là une conduite irréprochable? Et
si l'homme ainsi traité est un père, le meilleur
des pères, quel nom donner au fils qui, honteu-
sement égoïste, refuse de prendre *a défense?
48 OÙ EN SOMMES-NOUS?

Telle est à la lettre, et sans exception, la con-


duite des nations de l'Europe moderne vis-à-vis
du souverain Pontife. C'est à leur complicité
qu'il faut s'en prendre de la position actuelle de
Pie IX. Si elles avaient été ce qu'elles doivent
être, les filles reconnaissantes du Vicaire de
Jésus-Christ, jamais les envahisseurs de Rome
n'auraient accompli leur forfait.
J'ai dit sans exception. Quant aux nations
catholiques de nom, car il n'y en a plus d'autres,
elles sont jugées. Toutes ont méconnu le qua-
trième commandement de Dieu : Père et mère
honoreras, afin que tu vives longuement. En
méconnaissant ce précepte, auquel est attaché,
plus encore pour les sociétés que pour les indi-
vidus, la promesse d'une récompense temporelle,
ces nations ingrates ont compromis leur prospé-
rité et même leur existence.
Etudiez leur histoire depuis l'époque où, de-
venues césariennes, elles ont abandonné leur
Père : vous les verrez marcher de révolutions en
révolutions et de chute en chutfy jusqu'à nos
jours. A cette heure même, on peut annoncer
avec certitude que si elles ne retournent à leur
Père, repentantes et dévouées, elles deviendront
la proie de l'anarchie, puis des barbares. Ainsi il
en fut d'Israël prévaricateur, devant Nabucho-
donosor : c'est une loi de l'histoire.
CHAPITRE VIII. 40

Non moins coupable est la complicité des


nations hérétiques et schismatiques. Pour justi-
fier leur indifférence ou leur hostilité à l'égard
du souverain Pontife, qu'elles ne disent pas :
u Nous ne reconnaissons ni le Pape, ni son auto-
rité, ni ses droits. »
Pourquoi ne reconnaissez-vous ni le Pape, ni
son autorité, ni ses droits? Evidemment et uni-
quement parce que vous vous êtes révoltées
contre lui.
Depuis quand la révolte d'un fils contre son
père est-elle un bill d'indemnité pour le cou-
pable ? Or, quoi que vous en disiez, vous êtes
filles du Pape. Vous le saurez bientôt.
D'ailleurs, le Pape n'est pas seulement le chef
de la religion : il est prince temporel. Son droit
souverain est pour le moins aussi sacré que le
vôtre. N'étant pas en guerre déclarée contre le
Pape, comment pouvez-vous justifier le concours
très-actif que vous avez donné par vos manœu-
vres diplomatiques, par vos journaux, par vos
émissaires, aux attentats commis contre sa per-
sonne, son autorité, ses droits? Qu'avez-vous fait
de ce grand principe de morale publique et
privée : Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux
pas qu'on te fasse à toi-même £
Hommes d'Etat qui dirigez ces nations sépa-
rées, et qui, dit-on, ne manquez pas d'intelli-
4
ï>0 OÙ EN SOMMES-NOUS?

gence, il serait de votre intérêt d'en avoir assez,


pour comprendre qu'à l'égard de vos peuples, pas
plus qu'à l'égard des autres, la loi divine du ta-
lion n'est abrogée.
Mais pour les nations hérétiques et schisma-
tiques, le Pape n'est pas seulement un souverain
temporel : il est leur père ; car c'est à lui qu'elles
doivent leur être chrétien. Païennes autrefois,
d'où sont partis les apôtres qui les ont tirées de
la barbarie? De Rome. Qui les a envoyés? Le
Pape.
Ce qu'elles ont de chrétien, par conséquent
de conservateur et de civilisateur, à qui leurs
constitutions et leurs lois l'ont-elles emprunté?
Ce n'est ni au schisme, ni à l'hérésie, qui ne sont
que des négations, mais aux doctrines catholiques
venues de Rome et du Pape.
La Bible elle-même, d'où elles prétendent
tirer exclusivement leurs règles de conduite
publique et privée, qui la leur a donnée? Le
Pape. De qui ont-elles appris qu'elle est la parole
de Dieu? Du Pape.
C'est encore le Pape qui, en affirmant perpé-
tuellement, envers et contre tous, la divinité de la
Bible, affirme et conserve tout ce qui se conserve
de croyances communes chez les nations sépa-
rées. Comme le soleil, caché par d'épais nuages,
ne laisse pas d'envoyer n la terre sa lumière et
CHAPITRE VIII. 51

sa chaleur ; ainsi le Pape, bien qu'une masse de


préjugés le sépare des nations hérétiques et schis-
matiques, ne laisse pas, même à leur insu, de
leur faire sentir son influence salutaire.
Un simple raisonnement suffît à le prouver.
La conservation des êtres n'est que leur création
continuée. N'ayant pu se donner elles-mêmes, et
dans le fait ne s'étant pas donné la vie chrétienne,
les nations hérétiques et schismatiques sont in-
capables de se la conserver. Aussi, plus elles
s'éloignent du Pape, plus le nombre des vérités
diminue parmi elles, et plus leur vie chrétienne
s'affaiblit.
L'Angleterre, l'Allemagne, la Suisse en sont
venues, dans ces derniers temps, jusqu'à nier
la nécessité du baptême, la divinité de Notre-
Seigneur, l'inspiration même de la Bible. C'est
au point qu'un ministre protestant de Berlin
écrivait naguère : « Je me-fais fort de graver
sur l'ongle de mon pouce tout ce qui reste parmi
nous de croyances communes. »
Que serait-ce si le Pape venait à disparaître
complètement? Avec lui disparaîtrait la grande,
l'immortelle affirmation catholique. Que serions-
nous alors? Comme -les sauterelles africaines,
qui, dans un instant, ne laissent ni une feuille
aux arbres, ni un brin d'herbe sur la terre, le
nationalisme sans frein aurait bientôt dévoré tout
:>2 OÙ EN SOMMES-NOUS /

ce qui reste de foi, non-seulement chez les na-


tions séparées de l'Eglise, mais encore dans le
monde entier.
En résumé, les nations hérétiques et schis-
matiques peuvent nier la personnalité du Pape,
mais, bon gré mal gré, elles sont forcées d'ad-
mettre le principe du Pape. Ainsi, la vraie vérité
est que, sans exception possible, elles vivent du
Pape et ne vivent que de lui. Gomme nations
chrétiennes, leur existence est l'accomplisse-
ment permanent de la parole de Tertullien :
« Elles profitent du nôtre, n'étant pas nôtres: »
fructificant de nostro, non nostrœ.
Gela étant, peuvent-elles prétendre que les
outrages faits au Saint-Père ne les regardent pas ,
que la reconnaissance ne leur impose aucun de-
voir; que l'intérêt de leur conservation, comme
nations chrétiennes, ne condamne nullement
leur indifférence ; que leur silence égoïste ou
leurs vaines protestations suffisent pour les ab-^
soudre devant Dieu et devant la postérité? Il
n'en peut être ainsi. Complices des nations ca-
tholiques dans le plus grand des forfaits, elles
ont, comme les premières, méconnu le qua-
trième commandement. Gomme elles aussi, elles
portent la responsabilité de leur faute et ont un
compte à régler avec la justice divine.
« Le Pape, dit saint François de Sales, est le
CHAPITRE VIII. 53

souverain pasteur et père spirituel des chrétiens,


parce qu'il est le suprême Vicaire de Jésus-Christ
en terre : partant il a l'ordinaire souveraine au-
torité spirituelle sur tous les chrétiens, empe-
reurs, rois, princes et autres, qui en cette
qualité lui doivent non-seulement amour, hon-
neur, révérence et respect, mais aussi aide,
secours et assistance envers tous et contre tous
ceux qui l'offensent, ou l'Eglise, en cette autorité
spirituelle et en l'administration d'icelle.
» Si, que par droit naturel, divin et Immain,
chacun peut employer ses forces et celles de ses
alliés pour sa juste défense contre l'inique et in-
juste aggresseur et offenseur : aussi l'Eglise ou
le Pape (car c'est tout un) peut employer ses
forces et celles de l'Eglise et celles des princes
chrétiens, ses enfants spirituels, pour la juste
défense et conservation des droits de l'Eglise
contre tous ceux qui les voudraient violer et
détruire.
» Et d'autant que les chrétiens, princes et
autres, ne sont pas alliés au Pape et à l'Eglise
d'une simple alliance, mais d'une alliance la
plus puissante en obligation, la plus excellente
en dignité qui puisse être ; comme le Pape et les
autres prélats de l'Eglise 50111 obligés de donner
leur vie et subir la mort pour donner la nourri-
ture et pâture spirituelle aux rois et aux royau-
;ii or EN SOMMES-NOUS?

mes chrétiens, aussi les rois et les royaumes sont


tenus et redevables réciproquement de maintenir,
au péril de leur vie et Etats, le Pape et VEglise,
leur pasteur et père spirituel*. »
Dans ces quelques lignes est le meilleur com-
mentaire du quatrième commandement appliqué
à l'ordre social.

CHAPITRE IX.
LE PAPE EST PRISONNIER : A QUI LA FAUTE ?

Le Gallicanisme, quatrième auxiliaire de la Révolution. — Ce


qu'est le Gallicanisme. — Quelques uns de ses actes depuis son
origine. — Sa conduite au concile du Vatican. — Comment il
a été l'auxiliaire de la Révolution.

L'éducation et les gouvernements, tels sonl


les premiers précurseurs des garibaldiens. Il en
est d'autres non moins ardents et peut-être plus
coupables. Je dis plus coupables, à raison de leur
connaissance plus complète des droits sacres du
Vicaire de Jésus-Christ, et de leur obligation plus
étroite de les défendre. Ces nouveaux pionniers
des envahisseurs dé Rome, sont les gallicans.
Ce que les gouvernements césariens ont fail
contre le Pape dans l'ordre politique, les galli-
cans n'ont cessé de le faire dans l'ordre ecclé-
1
Lettre 68b*.
CHAPITRE IX. 55

siastique, depuis leur naissance jusqu'à leur


mort, Aussi, on a donné du Gallicanisme quatre
définitions également exactes, qu'il a pris soin
de justifier par ses paroles et par sa conduite.
Le Gallicanisme, cousin du Jansénisme, est
une excroissance parasite attachée aux flancs de
Varbre catholique, pour le défigurer et l'appau-
vrir. .
Le Gallicanisme est un schisme poltron, qui
n'ose pas tirer les dernières conséquences de ses
1
principes .
Le Gallicanisme, cest Vinsubordination vis--
à-ois le Saint-Père, le servilisme à l'égard des
1
II les lire aujourd'hui. En professant hautement l'hérésie.
Dœllirjger et ses trop nombreux adhérents en Allemagne en
Suisse et m ê m e à Rome, ne sont que des gallicans conséquents.
Un journal protestant et démocratique de Francfort, le Franc-
furter Zeitung, vient de leur donner cette irréfutable leçon de
logique :
« Dœllinger a rejeté le dogme de l'infaillibilité. Quelles sont
les conséquences inévitables de ce rejet? Si le Pape n'est pas
infaillible, le concile général qui l'a déclaré tel ne peut plus être
infaillible. Partant, la doctrine de l'Eglise i\est plus infaillible.
Si, en outre, l'Eglise n'est pas infaillible, elle n'a pas l'assistance
du Saint-Esprit. Dès lors, tout ce qu'elle enseigne, déclare,
commande, est purement humain, et n'a par conséquent aucune
valeur devant Dieu et devant la conscience. ïl ne reste que le
christianisme biblique du protestantisme.
» Pour rester conséquent avec lui-même, Dœllinger, rejetant
l'infaillibilité, doit donc abandonner l'Eglise et devenir protes-
tant. A-t-il su voir cette conséquence? Non. La verra-t-il u n
j o u r ? Non,.. Le libéralisme s'est emparé de lui et ne le lâchera
plus. »
oH OU EN SOMMES-NOUS?

princes et le despotisme à l'égard des infé-


rieurs.
Enfin, le Gallicanisme est la théologie dv
César isme.
Justifions nous-mème ces définitions par un
rapide aperçu des agissements du Gallicanisme.
Dès sa naissance, on le voit, flatteur assidu de
César, soutenir par des arguments, prétendus
théologiques, les injustes tendances des souve-
rains vis-à-vis le Saint-Siège. Sa profession de
foi consiste à proclamer bien haut que le Vicaire
de Jésus-Christ n'a rien à voir dans la politique
des rois chrétiens.
En conséquence de ce principe de sécularisa-
tion, dont le monde subit aujourd'hui les résul-
tats, le Gallicanisme soutient les prétentions
sacrilèges de Philippe le Bel, rédige la pragma-
tique de Bourges, et, sous Louis XIV, approuve
le droit de régale, c'est-à-dire le vol manifeste
des biens de l'Eglise.
Quand le Pape condamné cette injustice, le
Gallicanisme refuse de publier la sentence, et ne
rougit pas de livrer aux hommes du parlement
les lettres apostoliques. Plutôt que d'obéir au
Pape, il déclare par des protestations, signées de
sa main, qu'il aime mieux obéir au roi.
Dans le but de légitimer ses résistances, il
compose des histoires ecclésiastiques où, accu-
CHAPITRE IX. 57

inulant les mensonges et dénaturant les faits, il


accuse la cour de Rome d'empiétements conti-
nuels, et les plus saints Papes d'ambition désor-
donnée et d'abus de pouvoir, soit à l'égard des
princes, soit à l'égard des évoques.
Il ne s'en tient pas là. Sectaire au petit pied,
il se dresse fièrement en face de l'Eglise univer-
selle, et dans une déclaration de principes, il
prétend enseigner, en quatre articles, au Vicaire
de Jésus-Christ, la nature de ses prérogatives,
déterminer l'étendue de ses pouvoirs et tracer les
limites au delà desquelles il n'a plus droit à
l'obéissance.
Plus tard, il rédige, de concert avec le Jansé-
nisme, la Constitution civile du clergé. Comme on
sait, l'acte schismatique ne tient aucun compte
de la juridiction suprême et universelle du sou-
verain Pontife, à qui on daigne reconnaître, seu-
lement pour la forme, la primauté d'honneur.
De l'école gallicane sont sorties des théologies
élémentaires qui, depuis deux cents ans, ont in-
filtré goutte à goutte le poison de ses doctrines
dans l'àme inexpérimentée des élèves du sanc-
tuaire. Dans ces livres, maigres de science et plus
inaigres de vérités, sont niées ou amoindries les
prérogatives divines du Saint-Père, et soutenues
comme légitimes les prétentions abusives des
princes laïques. Après avoir, pendant cinquanle
58 OÙ EN SOMMES-NOUS?

ans, servi de nourriture au clergé de France,


une de ces théologies a été, tant elle est mau-
vaise, l'objet d'une condamnation solennelle.
C'est dans ce livre et dans d'autres pareils,
que les futurs ministres de l'Eglise ont appris,
entre autres, la nécessité du placet regium pour
rendre exécutoires les ordres du Saint-Père ; le
droit des princes de mettre des empêchements
dirimants au mariage ; la supériorité du concile
sur le Pape; l'obligation de l'assentiment des
évèques, afin de rendre irréformables les décrets
du souverain Pontife.
Ainsi, malgré la parole du Fils de Dieu, ce
n'est plus Pierre qui doit confirmer ses frères el
paitre les brebis aussi bien que les agneaux ; ce
sont les enfants qui doivent confirmer leur père,
et les brebis qui doivent diriger le pasteur.
Qu'est-ce que cela, sinon le renversement de la
constitution divine de l'Eglise?
L'indépendance qu'ils ont réclamée pour les
princes, les gallicans ont trouvé bon de la re-
vendiquer pour eux-mêmes et de la pratiquer.
Malgré les condamnations les plus formelles, ils
ont défiguré la grande loi de la prière catholique.
Fabriquant, au gré de leurs caprices, des li-
turgies particulières ils ont créé l'anarchie dans
un ordre de choses où F unité doit être surtout
respectée. Non-seulement ils ont fabriqué ces
CHAPITRE IX. m
liturgies insurrectionnelles, mais encore ils se
sont opiniâtres à les défendre.
Pour réduire à l'obéissance ces fils bien nés,
les désirs ardents et souvent exprimés du sou-
verain Pontife, leur supérieur et leur père, n'ont
pas suffi. Il a fallu le grand mouvement catho-
lique de retour à l'unité. Or, ce mouvement ils
l'ont vu avec dépit et ils l'ont combattu par tous
les moyens, jusqu'à persécuter ceux qui le favo-
risaient. Les uns ont fini par céder, mais de la
plus mauvaise grâce et avec des lenteurs qui
font de leur obéissance un scandale. Plusieurs
même s'obstinent encore dans une résistance
aussi inexcusable que ridicule.
Gomme corollaire de leur usurpation du droit
liturgique, ils ont décapité nos Eglises, en niant
leur apostolicité immédiate, déniché nos saints,
supprimé de leur chef, ou laissé supprimer par
arrêt du parlement, l'office de quelques-uns.
Dans le culte public, se mettant au dessus des
saintes règles de l'Eglise, ils ont introduit une
foule de rubriques et de cérémonies, dépourvues
de sens et d'autorité.
Sous le nom de Droit eoutumier, ils les ont
présentées comme une fin de non-recevoir au
retour à l'unité. Quand il a fallu, devant une
condamnation formelle du Saint-Siège, renoncer
à ces chers abus, beaucoup ont opposé la force
60 OÙ EN SOMMES-NOUS?

d'inertie. Bien que soumis en principe, ils


laissent subsister dans la, pratique une foule de
choses illégitimes ou extra-légales.
Dans certaines circonstances, défenseurs
bruyants du pouvoir temporel du Pape, ils font
bon marché de son pouvoir spirituel, lorsqu'il
touche à leur indépendance personnelle ou à
leurs opinions. Afin de sauvegarder leur omni-
potence, quelques-uns ont défendu d'enseigner
le droit canon dans les séminaires ; d'autres ont
dit : le droit canon, c'est moi. Malgré les pres-
criptions du concile de Trente et l'exemple ré-
cent de la plupart de leurs collègues, il en esl
qui n'ont assemblé ni concile provincial, ni sy-
node.
Plutôt que d'abandonner loyalement ce qu'ils
appellent leurs idées libérales, ou leur fantôme
de conciliation de l'Eglise avec l'esprit moderne,
on en connaît qui n'ont tenu aucun compte du
Syllabus de Pie IX, et qui ont même essayé
d'interpréter dans leur sens l'Encyclique qui les
condamne.
D'autres trouvent un moyen plus court de se
dispenser de l'obéissance. Quand une Bulle ro-
maine ne leur convient pas, ils déclarent qu'elle
n'est pas reçue légalement, et pour eux elle est
non-avenue. Il en est qui sont allés jusqu'à nier
au Chef de l'Eglise sa juridiction universelle.
CHAPITRE IX. 61

ordinaire, directe et immédiate sur les différents


diocèses de la catholicité.
En vertu de la même prétention archigalli-
cane, trente six évoques français contestèrent
à Pie VII le droit de faire le concordat, et leur
résistance donna lieu au schisme de la petile
Eglise. Faut-il ajouter qu'on a entendu des pro-
fesseurs de théologie mettre sérieusement en
question si le pape venant dans un diocèse de
7

France, pourrait y confesser sans la permission


de l'Ordinaire?
À voir ce qui s'est passé au concile du Vati-
can, on se demande laquelle de ces prétentions
était abandonnée par les gallicans français et
étrangers. La grande question de l'auguste as-
semblée était l'infaillibilité personnelle du Pon-
tife romain. Cette infaillibilité n'était pas, elle
n'a jamais été une opinion libre. Clairement ex-
primée dans l'Evangile et reçue par la tradition
catholique, elle fait partie du dépôt de la révéla-
lion. En aucun temps, on ne pouvait la com-
battre sans se rendre coupable d'une témérité
condamnable.
« Même avant le concile, la doctrine de l'in-
faillibilité, en Italie et ailleurs, était regardée
comme proxùna fidei. Tout ouvrage qui l'atta-
quait était mis à l'index. On tolérait pour la
France l'opinion contraire, afin d'éviter les
U
62 OÙ EN SOMMES-NOUS?

scandales et les schismes. Malgré cela, on ne


pouvait pas dire que c'était une question libre.
Quand il n'y aurait eu que les condamnations
répétées des Quatre articles, cela suffisait pour
1
ôter la liberté de l'opinion contraire . »
Bien que non définie dogmatiquement, la
doctrine de l'infaillibilité pontificale a toujours
été la base du gouvernement de l'Eglise. En
prévision de l'avenir, la Providence, qui ne
tâtonne jamais, a voulu que cette vérité, dé-
gagée de tout nuage, vînt aujourd'hui prendre
rang parmi les dogmes de foi. D'imprévoyables
événements n'ont pas tardé à lui donner raison.
Le lendemain même de la proclamation solen-
nelle de l'infaillibilité pontificale, éclate une
guerre terrible, dont les premiers résultats ont
été l'envahissement de Rome, l'emprisonnement
du Chef de l'Eglise et l'impossibilité de con-
tinuer, Dieu sait jusqu'à quand, les travaux du
concile.
Malgré l'immense majorité des Pères, qu'ont
fait les gallicans? Ceux qui écrivaient de si
' La dottrina delT iniallibilità in ltalia e altrove era tenuta
tanquam proxima fidei. Qualsiasi libro clie la impugnasse era
messo ail'indice. Si tolleravapev la Francia l'opinione contraria,
onde non si suscitassero scandali e scismi. Ciô non pertanto non
si potea dire essere una quistione libéra. Ove altro naancasse, le
veplicate condanne délie quattro proposizioni togliavano la
liberté di opinar in contrario. (Lettre d'un comulteur de l'Index.
— Janvier 1871.;
CHAPITRE IX. 63

beaux discours en faveur de l'autorité temporelle


du Pape, se sont montrés les ennemis déclarés
de sa souveraineté spirituelle. Toute l'énergie de
leur zèle pour le temporel du Pape s'est changée
en courroux contre son autorité spirituelle. A la
faveur du gouvernement impérial, dont ils se
sentaient appuyés, trois ou quatre évoques fran-
çais se sont dits mandatés par l'Eglise gallicane
pour soutenir ses droits, c'est-à-dire pour porter
la rébellion et l'hostilité jusqu'au pied du trône
de saint Pierre.
Triste est un pareil mandat, plus triste la ma-
nière dont il a été rempli. Avec une opiniâtreté
de sectaires, ces évoques et leurs partisans ont
remué ciel et terre, invoqué le bras séculier,
multiplié les pamphlets, les calomnies, les falsi-
fications historiques, employé les plus basses
manoeuvres, jusqu'à recourir aux intrigues fé-
minines, et, pour répéter une de leurs expres^-
sions, ils ont craché leur âme, afin d'empêcher
la définition dogmatique de l'infaillibilité *.
Et cela, ils l'ont fait en présence de toute
l'Eglise assemblée et a,u grand scandale du
1
Sous le couvert de Yùtvppvrtimité, c'est la, définition même
qu'ils combattaient. Qu'on relise le fameux mémorandum, et
qu'on se rappelle l'acharnement avec lequel ils ont attaqué le
Pape Honorais. A tout prix ils voulaient le trouver faillible et
failli, atin de couper la chaîne dp la tradition sur l'infaillibilité
des Pontifes romains. Le succès sur ce point assurait leur victoire.
64 OÙ EN SOMMES-NOUS?

monde entier. « La définition de l'infaillibilité


pontificale, nous écrivait-on de Rome, le lende-
main du concile, a été une chose vraiment mira-
culeuse. Si vous pouviez connaître toutes les
mauvaises manœuvres, je dirais les manœuvres
de sectaires, employées par les gallicans pour
nous empêcher d'arriver au but désiré et faire
ajourner la définition à un temps indéterminé,
i
vous en resteriez stupéfait . »
Tel a été le Gallicanisme jusqu'à son dernier
soupir, qui eut lieu le 18 juillet 1870. Plutôt que
de signer avec leurs vénérables collègues son
acte de décès et d'assister à ses funérailles,
quelle a été la conduite de ses tenants? Incon-
séquents avec leur propre principe, en vertu
duquel la vérité est toujours du côté du Pape et
de la majorité des évoques, ils se sont abstenus;
puis, enfuis de Rome comme des transfuges de
la vérité ! ! !
De retour dans leurs diocèses, un grand
nombre se sont dispensés de notifier aux fidèles
les constitutions du concile. Plusieurs même
n'ont pas fait connaître leur adhésion person-
nelle au dogme défini, de telle sorte qu'on ne
1
Si, la defmizione dell'infallibilità pontificia è stata un'opéra
veramente miracolosa. Se potesse conoseere tutte le maie arti,
e direi le arti settarie, adoprate dai gallican! per non farci giun-
gere al termine sospirato, e per farne diiferire a tempo indéter-
m i n é e la delinizione. resteressp pieno di meraviglia.
CHAPITRE IX. 65

sait encore ce qu'ils pensent, ni ce qu'ils sont.


Un pareil silence afflige le Saint-Père. Il s'en
plaint- dans sa lettre à l'archevêque d'Alger, à
l'occasion de la démission de l'évêque de Cons-
tantine, et plus amèrement encore dans sa ré-
ponse aux évoques d'Allemagne.
La rapide exquisse de la conduite permanente
des gallicans donne lieu à cette conclusion,
désormais inattaquable, savoir : que le Galli-
canisme a constamment méconnu le quatrième
précepte : Père et mère honoreras ; qu'il a été
un puissant auxiliaire de la politique césarienne
des gouvernements modernes et, dans un sens
très-réel, le pionnier des garibaldiens.
Si le Gallicanisme n'avait jamais existé, c'est*
à-dire ; si, au "lieu d'avoir trop souvent les yeux
tournés vers César et jpris ses volontés pour règle
de conduite, tous ceux à qui leur caractère, leur
position et même leur serment, commandent un
dévouement plus absolu à la papauté, s'étaient, en
toute circonstance, montrés les fils respectueux
du Saint-Père, les défenseurs intrépides de ses
droits, les exécuteurs fidèles de ses ordres, et
même, ce qui est le devoir d'enfants bien nés,
s'ils étaient allés au devant de ses désirs ,
pense-t-on qu'ils n'auraient pas entretenu dans
toute son énergie le sentiment de profonde vé-
nération, dont la vieille Europe entourait le
m OU EN SOMMES-NOUS?

Vicaire de Jésus-Christ, et qui était la meilleure


sauvegarde de son indépendance?
S'il en avait été ainsi, pense-t-on que les
laïques n'auraient pas été plus soumis, les
princes moins entreprenants et les ennemis dé-
clarés du Saint-Siège moins audacieux?
Si les idées fébroniennes, sœurs des idées
gallicanes, eussent été inconnues en Autriche,
pense-t-on que Joseph II se fût permis impuné-
ment de braver, outre l'opinion publique, les
protestations du clergé, et de faire, au dernier
siècle, ce que Louis XIV avait fait au siècle
précédent ?
S'il n'avait pas vu le clergé de France contes-
ter, depuis longtemps et en beaucoup de points,
les droits du Saint-Siège, les amoindrir et même
les nier; ne se soumettre à ses ordres les plus
formels qu'avec réserve et de mauvaise grâce,
sous prétexte qu'ils attentaient aux libertés gal-
licanes : pense-t-on que le premier Bonaparte
aurait eu l'idée de fabriquer les articles orga-
niques et la force de les imposer comme lois, sur
lesquelles sont encore à cheval nos ministres et
nos conseillers d'Etat?
Plus récemment encore, s'il n'avait pas été
endoctriné par le Gallicanisme, et témoin de
la conduite des gallicans pendant le concile,
pense-t-on que le dernier Bonaparte, en partant
CHAPITRE IX. 67

pour la guerre où il s'est perdu, aurait écrit à


r empereur d'Autriche ; « Je retire mes troupes
de Rome. C'est ma réponse à la définition de
l'infaillibilité. Votre Majesté trouvera d'autres
moyens d'abaisser les prétentions de la cour
romaine? »
S'agit-il des envahisseurs de Rome ? Comme
les gallicans n'ont pas cessé, depuis plus de deux
cents ans, de se montrer récalcitants vis-à-vis du
Siège apostolique, et en particulier de dénier au
Saint-Père la plénitude de sa souveraineté spi-
rituelle, en lui contestant la prérogative divine
de l'infaillibilité, les garibaldiens lui dénient
aujourd'hui le droit sacré de la souveraineté
temporelle.
Les premiers ont attaqué le pontife ; les seconds
attaquent le roi. Par des chemins différents, les
uns et les autres aboutissent au même résul-
tat : l'affaiblissement de l'autorité spirituelle du
Vicaire de Jésus-Christ, suivi de l'affaiblisse-
ment de son autorité temporelle. Là devait con-
duire l'inexorable logique du mal.
Mais le mal aussi a ses conséquences. En
attendant que, dans les calculs infaillibles de la
justice divine, l'Italie garibaldienne ait son tour,
la France gallicane a eu le sien. L'opposition
systématique au Saint-Père, venue de la part de
ceux qui devaient donner l'exemple de la sou-
«8 OÙ EN SOMMES-NOUS?

mission, a été l'avant coureur, et, du moins en


partie, le provocateur des maux qui devaient
fondre sur la France. Le châtiment ne s'est pas
fait attendre.
Puissions-nous en reconnaître la cause, et, en
expiation, faire pour restituer le Pape dans tous
ses droits autant que nous avons fait pour l'en
dépouiller! C'est une question de vie ou de
mort. Tant que la hase fondamentale de l'ordre
social chrétien ne sera pas remise à sa place, le
monde ne peut attendre que des ébranlements
de plus en plus profonds et des catastrophes de
plus en plus redoutables.

CHAPITRE X.

OÙ E N EST ROME?

L'envahissement actuel de Rome, différent des autres, — dans


ses caractères, — dans son but. — La possession de Rome,
idéal de la Révolution. — Paroles du cardinal Patrizzi et de
Pie IX. — Cri de guerre des modernes païens : Borne ou In
mort.

Pour l'univers catholique, Rome est la ville


sainte. Mère et maîtresse de toutes les Eglises,
métropole de la foi, Rome est le foyer d'où rayonne
sur toutes les parties de la terre la lumière du
CHAPITRE X. m

christianisme. Or, depuis le 20 septembre 1870,


Rome est au pouvoir de véritables païens. Afin
de voir de plus en plus clairement où en est le
monde, il est nécessaire d'étudier cette nouvelle
prise de Rome, dans ses caractères particuliers
et dans son but hautement avoué.
Déjà nous l'avons fait entendre : l'envahisse-
ment actuel de Rome diffère essentiellement de
ceux qui l'ont précédé. Les premiers étaient des
actes de brutalité personnelle et de violence
passagère. Celui qui vient de s'accomplir est le
résultat d'un plan conçu de sang-froid, savam-
ment élaboré, et connu depuis longtemps de
toute la diplomatie de l'Europe, notamment
depuis le congrès de Paris, en 1856, où fut sou-
levée la prétendue question italienne.
Autrefois, l'opinion publique protestait avec
énergie contre l'usurpation de la ville éternelle,
patrimoine sacré, non de l'Italie, mais de toute
la catholicité. Aujourd'hui, les nations de l'Eu-
rope, non-seulement n'ont rien fait pour empê-
cher l'envahissement de Rome ; plusieurs même
y ont poussé directement.
De concert avec l'Italie, le gouvernement bo-
napartiste a fait à l'Autriche la guerre injuste,
dont le dernier mot devait être la prise de Rome.
Il a commandé le massacre de Castelfidardo, an-
date e fate presto; défendu à l'Espagne d'en-
70 OÙ EN SOMMES-NOUS"?

voyer un corps de troupes pour protéger Rome,


et mis des entraves à l'enrôlement des volontaires
pontificaux. L'attentat consommé, les autres
nations, même les moins perverties, sont de-
meurées impassibles. A peine si la terre des
preux a fourni quelques milliers de croisés pour
défendre la plus sainte et la plus glorieuse des
causes.
Plusieur-s fois, sans doute, les anciens usur-
pateurs de Rome ont osé porter une main sacri-
lège sur la personne sacrée du souverain Pon-
tife ; mais du moins leur bouche n'insultait pas
l'auguste victime. Aujourd'hui, non contente de
s'emparer de Rome, de spolier les couvents et
d'attenter à la liberté du Saint-Père, la Révolu-
tion l'outrage par d'ignobles pamphlets et par
des caricatures obscènes.
Enlevant des palais pontificaux, ou brisant
dans les rues, les signes du christianisme, elle
organise de sacrilèges mascarades, où figurent,
sous d'ignobles déguisements, le Saint-Père, les
cardinaux, les religieux et les religieuses. Ces
troupes de nouvelles bacchantes s'en vont hurler
sous les fenêtres du vénérable prisonnier : « Avec
la tête de Pie IX, nous jouerons à la paume.
Nous voulons le fusiller ; mort au Pape ; mort aux
1
prêtres ! »
1
Aussi, dans plusieurs églises de Belgique, le tronc pour le
CHAPITRE X. 71

Ce n'est pas tout. Afin de montrer aux plus


aveugles le but païen de l'envahissement actuel
de Rome, la Révolution « a établi, ce que nul
usurpateur n'avait jamais fait, au centre de la
catholicité, à Rome, demeure du Pontife et du
Maître suprême de la vérité, une société de libres
penseurs. Cette société tient des séances pu-
bliques, annoncées d'avance par des affiches
imprimées. Elle rend compte de ses discussions
par la voie des journaux, et doit publier pro-
chainement un journal, destiné à combattre les
idées superstitieuses de cette religion, qui se
1
donne le-nom de catholique . »
Dès aujourd'hui, les modernes païens mettent
leurs doctrines en pratique. D'une part, ils éta-
blissent à Rome la grande-maîtrise de la franc-
maçonnerie; d'autre part, ils donnent des ban-
quets, servis en gras, le Vendredi-Saint, à
l'heure même où le Fils de Dieu daigna mourir
sur une croix, pour tirer Rome et le monde du
paganisme. Si elle n'est pas là, où trouver l'abo-
mination de la désolation dans le lieu saint, pré-
dite par Daniel?
Autrefois, et la différence est fondamentale,
l'envahissement de Rome notait pas à l'Eglise

denier de saint Pierre est placé au milieu de la nef, entouré des


ornements de la Passion.
1
Circulaire du cardinal Antonelli, 24 janvier 1871.
72 OÙ EN SOMMES-NOUS?

toute son indépendance matérielle. Propriétaire


foncière dans toute l'Europe, et grande proprié-
taire, elle continuait d'être une puissance avec
laquelle les plus fiers tyrans devaient compter.
Aujourd'hui, par la prise de Rome, la Révolution
enlève à la mère des nations chrétiennes son
dernier pouce déterre indépendant, et la déra-
cine complètement du sol de l'Europe.
« Or, c'en est fait, écrivait M. de Bonald, de
la religion publique en Europe, si elle n'a plus
de propriété; et c'en est fait de l'Europe, si elle
1
n'a plus de religion publique . »
Telle était aussi la conviction du comte de
Maistre. Entrevoyant la dissolution prochaine de
la vieille Europe, l'illustre penseur écrivait, peu
de temps avant sa mort, au comte de Marcellus :
« Je sais que ma santé et mon esprit s'affai-
blissent tous les jours. Hic jacet! voilà ce qui
va bientôt me rester de tous les biens de ce
monde. Je finis avec VEurope; c'est s'en aller
2
en bonne compagnie . »
Rappelons encore une différence non moins
caractéristique. Les anciens usurpateurs de
Rome ne s'appuyaient que sur la force maté-
rielle. Aujourd'hui, l'envahisseur a trouvé le
moyen d'enrôler sous sa bannière la force maté-
rielle et la force morale. Mise à sa solde, l'opi-
1 2
Théorie du pouvoir, t. III, c. x, p. 106. — Voir sa Biographie.
CHAPITRE X. 73

nion n'a cessé de faire la guerre au Souverain


de Rome, afin de justifier d'avance sa spoliation.
Aux insultes quotidiennes des journaux, provo-
quées, dans toute l'Europe, par l'affaire Mortara,
odieusement travestie, sont venues se joindre les
insinuations sacrilèges de la Tireuse de cartes;
les raisonnements hypocrites de la fameuse bro-
chure le Pape et le Congrès, couronnés par les
récits mensongers de l'infâme pamphlet la Ques-
tion romaine.
A partir du ce moment, un toile général s'est
élevé contre le Vicaire de Jésus-Christ. Re-
cueillez vos souvenirs : je ne crois pas que vous
trouviez une seule calomnie, si odieuse qu'elle
soit, qui n'ait été jetée à la face auguste du Père
des chrétiens. On salait la victime avant de
l'immoler : Omnis victima sale selietur. La
guerre intellectuelle contre la papauté préparait
la guerre matérielle, et en assurait le succès.
Tel est, considéré dans ses caractères dis-
tinctifs l'envahissement actuel de Rome. Quel
7

est-il dans son but? Croire que l'expulsion de


l'Autriche du royaume lombardo-vénitien fut
la raison de la guerre d'Italie, serait une erreur :
elle n'en fut que le prétexte. Le but, déguisé
d'abord et connu plus tard, était la spoliation du
Saint-Père et la prise de Rome. La Révolution
le savait. Aussi, malgré les usurpations succès-
7i OÙ EN SOMMES-NOVS?

sives que le gouvernement français, son insti-


gateur, lui laisse accomplir, elle n'est pas satis-
faite. Ce n'est ni Parme, ni Florence, ni Modène,
ni Naples, ni Palerme qu'elle veut : c'est Rome.
Si elle prend la Toscane et la Lombardie, la
Sicile et les Romagnes, c'est pour prendre Rome.
Voilà ce que la Révolution a toujours voulu , ce
qu'elle voudra toujours.
Pourquoi? Parce que, sans Rome, sa victoire
n'est pas complète. Rome est le cœur du catho-
licisme. La Révolution est l'ennemie irréconci-
liable du catholicisme. Pour en finir avec son
ennemi, elle veut le frapper au cœur : elle veui
Rome.
Pourquoi encore? Parce que, sans Rome, l'idéal
de la Révolution ne sera jamais réalisé. Chose
digne de remarque ! aucun des anciens envahis-
seurs n'afficha la prétention de faire de Rome sa
capitale. Autre est le but avoué de la Révolution.
Reconduire Satan dans Rome ; le replacer au
Capitole; ressusciter, sous un nom ou sous un
autre, le gigantesque empire des Césars, armé
de toutes pièces contre le catholicisme ; refaire
de Rome la capitale de ce nouvel empire anti-
chrétien, dont l'Italie, ramenée à l'unité poli-
tique, sera comme autrefois l'orgueilleux mu-
nicipe : tel est, qu'on le voie ou qu'on ne le voie
pas, l'idéal de la Révolution.
CHAPITRE X. 75

Cette tendance diabolique, qu'on nous per-


mette de le rappeler, fut signalée par nous il
y a longtemps. Aujourd'hui elle est devenue
palpable, et les preuves abondent : trois suf-
firont.
Le 28 juin 1860, le Cardinal-Vicaire disait dans
son Edit à l'occasion de la fête du prince des
apôtres : « Le triomphe de saint Pierre sur la ville
de Rome a excité une telle rage chez le démon,
qu'il n'a jamais cessé d'attaquer par la guerre
la plus acharnée le Saint-Siège, ni de vouloir
ramener Rome aux erreurs et aux barbaries an-
tiques. Sans rappeler ses efforts dans les siècles
passés, nous-mêmes n'avons-nous pas été, et ne
sommes-nous pas à l'heure qu'il est, témoins de
ceux: qu'il dirige contre la barque de Pierre?
Et ses efforts n'ont pas été sans succès. »
Plus explicite encore est Pie IX lui-même.
« Le but de la Révolution, dit la Sentinelle
d'Israël, est de détruire de fond en comble l'édi-
fice du christianisme et de reconstituer sur ses
ruines l'ordre social du paganisme. Son grand
moyen est de faire briller aux yeux des Italiens
les gloires de Borne païenne, afin de rendre
odieuse Rome chrétienne, comme étant l'obstacle
qui empêche l'Italie de reconquérir l'antique
splendeur des temps anciens, c'est-à-dire des
temps païens : quo Italia pristinunv vetentm
76 OÙ EN SOMMES-NOUS ?

temporum, id est Etlmicorum, splendoremÀtermu


acquirere possit\ »
Assez forte aujourd'hui pour n'avoir plus be-
soin de masque, la Révolution confirme la vérité
de ces formidables révélations. Un de ces fils,
Cavour, s'écrie en plein parlement : « Rome nous
appartient ; et nous voulons qu'elle soit la capi-
tale de l'Italie. »
' Avidement recueillie et sans cesse répétée, la
déclaration officielle devient le cri de guerre de
Garibaldi et de ses bandes : Borna o morte, Rome
ou la mort. Comprend-on bien l'effrayante pro-
fondeur de ce mot dans la bouche de la Révolu-
tion, rêvant tout autre chose qu'un empire ita-
lien. Elle dit : Rome ou la mort; je veux Rome,
je la veux à tout prix ; il me la faut, sans quoi je
suis vaincue, je suis morte ; Borna o morte. Sans
Rome, inutiles toutes mes victoires ; sans Rome,
adieu mon futur empire sur le monde.
Chose frappante, et qui montre la mystérieuse
destinée de la ville éternelle ! pendant la lutte
des trois premiers siècles, entre le paganisme et
le christianisme, Borne ou la mort fut le cri de
guerre des deux armées belligérantes.
Rome ou la mort, disait le christianisme. Si
je n'ai pas Rome, je suis vaincu ; adieu mon em-
pire sur le monde : Borna o morte.
Encycl., 8 déc. 1849.
CHAPITRE X. 77

Rome ou la mort, répondait le paganisme. Si


je perds Rome, je suis vaincu; adieu mon em-
pire sur le monde : Borna o morte.
Rien n'est plus vrai. La prise de Rome par le
christianisme fut le triomphe du christianisme
sur le paganisme et l'établissement de son règne.
P^tr un retour effrayant, voilà que, après dix-
huit siècles, le même mot redevient le cri de
guerre des mêmes combattants. Ainsi la prise
de Rome par le paganisme moderne sera son
triomphe sur le christianisme et l'établissement
de son règne.
Ce triomphe sera-t-il durable? Satan, rentré
victorieux dans son ancienne capitale, en reste-
ra-t-il définitivement le maître? Les uns disent
oui; les autres, non. Qui a tort? quia raison?
Il ne nous appartient pas de répondre. Nous nous
contenterons d'exposer, dans les chapitres sui-
vants, ce que la tradition nous apprend des des-
tinées de Rome.
78 OÙ EN SOMMES-NOUS ?

CHAPITRE XL
OÙ EN EST ROME?

Résumé des caractères de L'envahissement actuel de Rome. —


Ce qu'il présage. — Retour au paganisme. — Vers la fin des
t e m p s , Rome redeviendra païenne. — Témoignages de la tra-
dition. — Lettre de Pie IX.

Résumons d'abord les caractères essentiels qui


distinguent l'envahissement actuel de Rome des
envahissements précédents.
1° L'envahissement actuel n'est pas le fait
d'une ambition vulgaire, ni d'une violence per-
sonnelle. Il est le résultat d'un vaste plan, forte-
ment conçu et préparé de longue main ;
2° Directement ou indirectement toutes les na-
tions de l'Europe en sont complices ;
3° Il a pour but de briser le joug de la papauté,
afin d'émanciper l'homme de la tutelle du chris-
tianisme et de refaire Rome ce qu'elle était sous
les Césars ;
4° A la différence des autres envahisseurs, la
Révolution prétend s'établir définitivement à
Rome et en faire la capitale d'un grand empire ;
5° Get envahissement a lieu après que l'Eglise,
dépouillée de toute propriété indépendante, n'a
plus de racines dans le sol de l'Europe:
CHAPITRE XI. 79

6° Il s'accomplit à une époque où le trône tem-


porel de la papauté est tellement ébranlé, qu'en
moins de quatre-vingts ans il a été renversé
quatre fois, et que, pendant les vingt dernières
années, il n'a pu se soutenir qu'à l'aide d'une
force étrangère ;
t 7° Les envahisseurs actuels de Rome se con-
duisent en vrais païens.
Tous ces caractères sont incontestables; et
dans leur ensemble, ils se révèlent aujourd'hui
pour la première fois. Que présage ce fait in-
connu dans l'histoire? L'envahissement actuel
de Rome n'est-il, pour la Révolution, qu'un
triomphe passager, ou faut-il y voir un pas en
avant, et même le plus marqué qu'on connaisse,
vers l'occupation finale de la ville éternelle par
le prince de ce monde? Laissons la tradition nous
expliquer les destinées futures de la cité de
Romulus.
Nous avons entendu Pie IX déclarer solen-
nellement que le but de la Révolution, en s'em-
parant de Rome, était de ramener le monde au
paganisme. En livrant à l'Europe le programme
de la Révolution, le Voyant d'Israël est l'écho
d'une tradition, transmise de génération en gé-
nération par les Pères de l'Eglise, défendue par
les théologiens les plus renommés et acceptée par
les interprètes les plus autorisés de l'Ecriture.
80 OÙ EN SOMMES-NOUS?

Cette tradition dit, d'une part, que, vers la


fin des temps, la puissance de Rome chrétienne
cessera; et, d'autre part, que Rome redeviendra
païenne. En sorte que l'Eglise finira comme elle
a commencé, par une lutte gigantesque, dont
Rome, redevenue païenne, sera le centre et le
foyer.
Comme nous devons parler plus tard de la
destruction de l'empire de Rome, nous nous
contenterons de rapporter ici, sur cette partie
de la tradition, le texte de Suarez. « Je n'ai
jamais regardé comme un signe douteux de la
fin des temps la destruction de l'empire de
Rome; car cela est certain, et appuyé sur la
commune tradition des Pères, que nous regar-
1
dons même comme apostolique . »
Venons à la seconde partie de la tradition, et
donnons la parole à ses illustres témoins. « J'a-
joute, continue Suarez, que, d'après le sentiment
d'un grand nombre de sages, dont j'ai rapporté
les paroles, il n'est pas incroyable que, vers les
temps de l'antechrist, ou pendant son règne,
Rome, de nouveau envahie par des païens, rede-
1
Adverto eruditum quemdam virum me reprehendisse, quod
dixerim signum hoc de eversione romani imperii incertum esse ;
si tamen attente legantur quœ d i s i m u s , non signum ipsum i n
dubium revocavimus, quod certum, et communi Petrum tradi-
tione, quœ nobis etiam apostolica visa est, constare. De Antichr.,
lib. V. c. ix, n. 14.
CHAPITRE XI. M

vienne païenne ; que l'Eglise étant bannie de son


sein, ou tellement persécutée qu'elle soit obligée
de se cacher dans un coin ou dans les cavernes de
la terre ; et alors pourra s'accomplir parfaitement
{
la prophétie de saint Jean sur Rome païenne . »
Plus explicite que Suarez est le savant cardi-
nal Bellarmin. a Plein de rage contre Rome, dit-il,
Satan regagnera le terrain qu'il a perdu, et se
jettera sur la ville éternelle. Il s'en rendra maître
5
et la désolera . »
Maître de Rome, qu'en fera-t-il? Les autres
dépositaires de la tradition vont nous rapprendre".
c< Vers la fin des temps, dit Malvenda, le collabo-
rateur de Baronius, Rome commettra des crimes
plus grands que ceux dont elle se rendit coupable
pendant qu'elle était païenne ; car elle reniera
la foi, chassera le souverain Pontife, mettra à
mort les religieux et les prêtres, et retournera à
l'idolâtrie. Elle recouvrera son ancienne puis-
sance temporelle, sa splendeur, et s'en servira
pour persécuter les saints avec plus de fureur,
1
Addo quod ex opinione multorum sapientum retuli, non
esse incredibile Romani, prope antichristi tempora, vel in illis,
a gentibus iteruni superandam esse, et ad priorem ethnicum
statum revocandam; éjecta inde Ecclesia, vel ita afflicta, ut
quasi in angulo vel in cavernis terrée delitescat, et tune impleri
optime poterit proplietia Joannis in Roma ethnica. De Antithr.j
10). V, c. xxi, n. 7.
* Odio habebit Romam et eam expugnabit eamque desolabit...
De sum. Pontif., lib. III, c. m .
H'2 OÙ EN SOMMES-NOUS /

et immoler les martyrs avec plus de cruauté,


1
qu'elle ne fit sous les premiers Césars . »
Dans ses savants et très-orthodoxes Commen-
taires, Cornélius à Lapide donne, sans ombre de
doute ni d'hésitation, le retour de Rome au pa-
ganisme, vers la fin des temps. « Par la grande
Babylone, ivre du sang des saints et du sang des
martyrs, les Pères et les interprètes sont una-
nimes à entendre Rome païenne, telle qu'elle
était au temps de saint Jean, et telle qu'elle re-
i
deviendra à la fin du monde . »
« Ainsi, vers les derniers jours, Rome recou-
vrera son ancienne gloire, retournera à l'idolâ-
trie et aux autres vices, et redeviendra ce qu'elle
était sous Néron, Dèce et Domitien. Je veux dire
que de chrétienne elle redeviendra païenne.
qu'elle chassera le souverain Pontife et les fi-
dèles qui lui seront attachés ; qu'elle les persé-
cutera et les fera mourir ; et qu'elle imitera les
1
Romam circa finem mundi, ad plura et majora scelera et
flagitia redituram, quam prius, cum esset ethnica, eommiserit :
nam et fidem negabit, et Pontificem a se abjiciet, et ecclesiasti-
eos ordines trucidabit, et ad idololatriam redibit. Nam an tiquant
temporalem potentiam iterum recuperabit, cum majori ampli-
tudine... Sanctos persequetur acerbius, et martyriis crudelio-
ribus afiiciet, quam sub imperatoribus ethnicis passi fuerint.
De Antich., lib. IV, c. v ; et apud Suarez, ubi supra.
2
Hi omnes per Babylonem hic interpretantur Romam infide-
1cm et ethnicam, quahs fuit tempore Joannis, et rursum erit in
line inundi. In Apoc, c. xvu, i .
CHAPITRE XI. ' «3

persécutions des empereurs païens contre les


chrétiens.
» Aussi Dieu punira en elle et sa propre infi-
délité et l'ancienne infidélité de ses pères. En
un mot, de même qu'autrefois Babylone per-
sécuta les juifs et les mit à mort; ainsi, à la fin
du monde, Rome païenne persécutera les chré-
tiens et les fera mourir ; car elle sera alors ce
qu'elle fut autrefois, la capitale de l'idolâtrie et
1
de toute sorte d'abomination . »
Insistant sur ce fait, Cornélius ajoute : « A la
fin du monde, Rome, redevenue païenne, persé-
cutera le Christ et les chrétiens et surtout le
souverain Pontife, qu'elle chassera, ou fera mou-
rir. C'est alors que Dieu punira les anciens pé-
chés des Romains, dont la mesure sera comblée
à la fin du monde. Il en résulte que les Romains
1
Hsec intelligenda esse de Roma urbe, non quee est, aut fuit,
sed quse erit in line mundi : ac consequenter romanam urbem
tune redituram ad pristinam suam gloriam, pariter et idoloia-
triam aliaque vitia, ac talena fore qualis fuit tempore sancti Joan-
nis, sub Domitiano, Nerone, Decio, etc. Nimirum ex christiana
tune rursum iiet ethnica, Pontificemque christianum et fidèles
ei adhérentes ejiciet, persequetur et occidet... In fine mundi,
ipsa rursum ethnica eemulabitur persecutiones imperatorum
ethnicorum in christianos ; itaque Deus in ea puniet et pro-
priam, et antiquam patrum infidelitateni... Sicut Babylon ju-
dseos, ita Roma ethnica christianos persécuta est et occidit,
et rursum persequetur et occidet in fine mundi ; erit enim tune,
uti fuit olim, caput idololatriee omnisque abominationis. In Apoc,
v, l et 6.
M Ot EN SOMMES-NOUS?

des derniers temps seront punis plus sévèremeni


qu'ils ne l'eussent été sans les péchés des an-
ciens Romains, dont ils habitent la ville et dont
quelques-uns se croient les descendants ; car ils
se feront les approbateurs, les apologistes et les
l
imitateurs de leurs crimes .
« Toutefois, comme dans les premiers siècles,
il y aura toujours à Rome un grand nombre de
fidèles et dé saints, soit connus publiquement,
soit cachés et retirés dans les catacombes et les
lieux secrets. Leur vertu et leur gloire, comme
celle du souverain Pontife, seront plus grandes ;
puisque, au milieu de magistrats et de citoyens
impies, ils persévéreront dans la foi et dans la
piété jusqu'au martyre.
» Ainsi, loin de nuire à l'Eglise, cette Révolu-
tion augmentera sa gloire. Jamais Rome chré-
tienne ne fut plus glorieuse, que lorsque Rome
païenne, altérée de sang, la persécutait avec le
1
In fine mundi, Roma, ad paganismum rediens, Christum el
christianos, ac maxime Pontificem persequetur, expellet vel
occidet,.. Hinc Deus excidet illam : puniet enim prisca Roma-
norum peccata, impleta eorum mensura in fine mundi. Unde
gravius punientur Romani tune futuri, quam puniti fuissent,
si similia priscorum Romanorum peccata non preecessissent.
Ërunt enim ipsi priscorum posteri (utpote incolee et cives
ejusdem urbis Romse, quidam etiam a priscis illis prognati,
eorumque nepotes), et asseclae; quia eorum scelera probabunt
laudabuut, reque ipsa sequentur et imitabuntur. In A p o c , v,
6, et c. xvni, 2 0 .
CHAPITRE XI, 85

plus de rage. Il en sera de même, lorsque Rome


sera redevenue païenne. La gloire du Vicaire de
Jésus-Christ et des vrais fidèles qui resteront
dans son sein, brillera d'un éclat bien autrement
vif, que si Rome était toujours demeurée chré-
4
tienne et pieuse. »
Par une coïncidence digne de remarque, Pie IX
emploie, pour caractériser les promesses actuelles
de la Révolution, les mêmes termes dont les
anciens docteurs se sont servis pour en marquer
l'accomplissement. Ils ont dit, il y a des siècles :
« Rome redeviendra à son antique splendeur, à
ses richesses, à sa puissance, à sa gloire, reine
et maîtresse du monde. Redevenue .païenne,
Rome elle-même dira : Je suis reine ; j'ai chassé
]e Pontife, mon époux : et je ne suis pas veuve:
2
je suis pleine de peuple . »
Pie IX dit aujourd'hui : « Pour aliéner l'esprit
des Italiens de la religion catholique, les enne-
mis de l'Eglise ne rougissent pas d'affirmer et
de crier partout que l'Eglise romaine est l'obs-
tacle qui s'oppose à la gloire de l'Italie, à sa
grandeur et à sa prospérité, et l'empêche de ré-
1
In Apoc, v, 1.
2
Romam in fine mundi ad pristinum imperii splendorem,
opes, vires, et pompam redituram, ut sit, sicut olim fuit, regina
orbis et domina mundi... Dicet ergo Roma infidelis : Sedeo r e -
gina, quamvis Pontificem, qui vir meus erat, ejecerim; non
sum tamen vidua, sed pleua populo. Cor. m A p o c , x v m , 7.
Hfî OÙ EN SOMMES-NOUS?

acquérir l'antique splendeur des temps anciens,


1
c'est-à-dire des temps païens . »
Chose plus frappante encore ; les révolution-
naires actuels ne cachent plus leur, pensée et
parlent comme Pie IX. Les prétendus émancipa-
teurs de Rome n'ont-ils pas sans cesse à la
bouche : que Rome est esclave ; que, le Pape ex-
pulsé , la ville éternelle redeviendra libre el
reine comme autrefois? Par l'organe de Cavour,
ne lui ont-ils pas dit ; « Réjouis-toi des glo-
rieuses destinées que nous te promettons. Nous
sommes aujourd'hui tes soldats, parce que nous
voulons être demain tes fils et tes citoyens. Si
nous combattons, c'est pour te rendre ton an-
tique majesté, ton antique Capitole, tes antiques
triomphes. C'est pour faire de toi la splendide
capitale d'un grand empire \ »
Cette lugubre destinée de Rome n'est nulle-
ment contraire aux promesses faites à l'Eglise
et au Siège apostolique. « L'un et l'autre persé-
véreront toujours dans la foi et dans la possession
de la chaire de Pierre. Placée dans un lieu ou

' Ecclesiee kostes... ad Italorum animos a flde catkolica ab-


alienandos asserere etiam et quaquaversus clamitare non eru-
bescunt, catholicam religionem italœ gentis glorise, niagnitudini
et prosperitati adversari... Quo Italia pristinum veterum tempo-
1 1 1 m , id est Ethnicorum, splendorem iteram acquirere possit.
Encycl, 8, déc. 1849.
!
Paroles de Cavour au parlement italien, U octobre 18<10,
CHAPITRE XI. 87

dans un autre, cette chaire ne périra pas plus


que la foi, dont elle est la source. Toujours elle
sera la même. Toujours l'Eglise demeurera vi-
sible, fùt-elle obligée de fuir aux montagnes et
de se cacher en grande partie dans les cavernes
1
et les déserts . »
« Dieu permettra cette chute de Rome, ajoutent
les interprètes, afin que nous distinguions la
ville, de l'Eglise; Rome, de la chaire de Pierre,
et que les Romains apprennent que ce n'est ni
à leurs mérites, ni à la majesté de leur ville,
mais à la faveur de Jésus-Christ et de saint
Pierre, qu'ils sont redevables de posséder le Siège
2
apostolique et la métropole de l'Eglise . »
Tout cela est grave ; plus grave encore, à nos
yeux, est la lettre de Pie IX au Cardinal-Vicaire,
en date du 30 juin 1871. Du fond de sa prison, le
Saint-Père nous semble confirmer douloureuse-
1
* Non est etiani contra promissiones factas Ecclesiœ et Sedi
apostolicœ de perseverantia in tide, et in cathedra Pétri, quod
Roma illo modo destruatur, quia cathedra mmquam dcficiet,
nec fides ejus, sive in hoc, sive in illo loco consistât ; ubique
e n i m eadem erit, semperque Ecclesia visibilis durabit, etiamsi
vi persecutionis cogatur ad montes fugere, vel in locis occultis
m a g n a ex parte se abscondere. Suarez, De Antkk., lib. V, c. vir.
n. 14.
^ Idque permittet Deus, ut urbem ab Ecclesia, Romam a ca-
thedra Pétri secernamus; utque Romani non urbis sùae majes-
tati, nec suis m e n t i s , sed Christi Petrique g r a t i s tribuant, quod
1
ipsi Sedem pontilieiam, et Ecclesia metropolim obtineant. Cor.
in A[>QC, xvu, 1.
88 OÙ EN SOMMES-NOUS?

ment la tradition des siècles sur le prochain


avenir de Rome.
Après avoir dit que le but des révolutionnaires
n'est pas seulement d'usurper Rome, mais de dé-
truire le centre du catholicisme, et le catholicisme
même, Pie IX ajoute : « Cette phalange infernale
s'est mise en tête d'extirper de Rome ce qu'elle
appelle le fanatisme religieux. Implantée à Rome,
elle veut rendre cette ville incrédule ou plutôt
en faire la maîtresse d'une religion dite de tolé-
rance, telle que la veulent ceux qui n'ont devant
les yeux la pensée d'aucune autre vie que la vie
présente, et ceux qui se forment de Dieu cette
idée, qu'il laisse aller toutes choses, sans presque
s'occuper de nos actes. »
Rome devenant la maîtresse du matérialisme
et du fatalisme, n'est-ce pas Rome redevenue
païenne? Au jugement même du Vicaire de
Jésus-Christ, voilà le but final de la Révolu-
tion et le caractère qui distingue essentiellement
l'envahissement actuel de Rome de tous ceux qui
l'ont précédé.
Telles sont les choses, au premier coup d'œii
très-étonnantes, qu'ont écrites, à quelques pas
du Vatican, et sans réclamation de la part des
souverains Pontifes, les hommes éminents par
leur science et par leurs vertus, que Rome admire
comme ses plus grandes gloires, qu'elle aime
CHAPITRE XII. 89

comme ses amis et qu'elle écoute comme ses


oracles.

CHAPITRE XII.
OÙ EN E S T ROME?

Comment Rome redeviendra païenne. — L'éducation. — Anec-


. dote. — La corruption des hautes classes. — L'admiration
pour les anciens Romains.

La cité des Papes , redevenue la cité des


Césars Rome retournée au paganisme : voilà
7

donc la suprême destinée de la ville éternelle et


le dernier triomphe de Satan. Comment s'accom-
plira cette apostasie, mille fois incroyable , si
elle n'était mille fois annoncée. Avec une clarté
surhumaine, la tradition a vu le chemin qui
conduira Rome à ce terme fatal.
c( Rome, dit-elle, aura le sort de beaucoup
d'autres villes, de Jérusalem en particulier.
Ainsi, nous voyons Jérusalem , païenne sous les
Chananéens; fidèle, sous les Juifs; chrétienne
sous les Apôtres; païenne, sous les Romains,
surtout sous Adrien ; mahométane, sous les
Turcs. Il en sera de même de Rome. Païenne
sous Néron et les autres Césars jusqu'à Cons-
tantin, Rome fut Babylone, la cité du mal. Sous
Constantin, devenue^chrétienne et pieuse, elle
cessa d'être Babylone et commença d'être la
00 OÙ EN SOMMES-NOUS.'

capitale de la cité du bien, ville sainte et fidèle.


Sion chérie de Dien, colonne de la foi, mère de
la piété, maîtresse de la sainteté. Vers la fin de
son existence , elle abandonnera la foi, la piété.
Jésus-Christ, le souverain Pontife, et elle rede-
viendra païenne, Babylone, la capitale de la cité
1
du mal , »
La tradition continue ; « Cette transformation
de Rome chrétienne en Rome païenne ne se fera
pas tout d'un coup. Les Romains des derniers
temps se passionneront pour les marbres et les
2
porphyres . Ils feront consister leur gloire dans
de splendides édifices, dans des temples d'idoles,
dans des statues d'or et d'argent d'un beau
3
ciseau et d'une forme variée ; dans les pierres
précieuses dont leurs ancêtres ornaient Vénus,
Cupidon et leurs autres monstrueuses divinités.
Ils aimeront les jeux, les spectacles, toutes les
choses par lesquelles les anciens Romains cor-
rompirent les peuples et les attirèrent au culle
des faux dieux \
« ... Sub tinem mundi, dt-serais tidom, pietatem, Christum.
Pontiiicem, rursum tiet Babylon. Cor. in Apoc, xvn, i .
2
Au moyen âge, le voyage de Rome était un pèlerinage, rien
qu'un pèlerinage; depuis la Renaissance, il est, pour la plupart,
une excursion d'artiste, ou une simple promenade de touriste :
rien autre chose.
1
11 y a quelques années, une statue d'Hercule, trouvée à Rome,
fut vendue, à Rome, quarante mille écus romains.
Aîiiscfue similihus. qnibus quasi deliciis et illecebris Romani
CHAPITRE XII. »!

<( Ils s'habitueront à regarder avec orgueil-le?


crimes de leurs ancêtres ; ils en feront le sujet de
leurs louanges. Leur ambition sera de reproduire
les actions de César, de Pompée , de Trajan. Ils
voudront ressusciter la vaine gloire de l'ancienne
Rome. Ils invoqueront les noms sonores des
Catons : Vieilles fumées romaines dont nous
voyons déjà plusieurs se repaître et se glorifier.
Ils feront tout cela, parce qu'ils voudront imiter
leurs ancêtres et rendre à Rome la splendeur, la
gloire et la puissance dont elle jouit sous le pa-
1
ganisme . »
Comment, après tant de siècles de christia-
nisme , après tant de bienfaits dus à la papauté,
les Romains redeviendront-ils passionnés pour le
paganisme et pour Rome païenne? La réponse
est forcée : nous lavons donnée cent fois. L e-
ducation fait l'homme. C'est d'elle qu'il reçoit
ses idées, ses admirations, ses aspirations.
L'homme, à son tour, transmettant ce qu'il a
reçu, fait la société à son image. Qu'on proteste,
olini hommes ad cultum suorum deorum pellexerunt, cl in
fine mundi pellicient. Cor. in Apoc, xvni, 3.
1
Eorum (majorum) scelcra probabunt, landahunt. Volent
enim œmulari gesta et gloriam Csesaris, Pompcii, Trajani, Decii,
Diocletiani, atque veteris Roma? fuinos etnomina vana Catonmn.
ut etiamnum aliquos priscis hisce Ronianoruni fumis pasci el
gloriari videmus... Illis placebunt scelera majorum, eaque seinu-
lari volent, ut Roniœ pristinum sub ^entilismo splendorem, pom-
pam et imperium restituant. I<L, c. xvm, n. 20.
92 OÙ EN SOMMES-NOUS?

qu'on s'irrite contre cette solution; elle n'en est


pas moins vraie, et la seule vraie. D'elle-même
elle s'impose à tout homme non aveuglé par le
parti pris.
A ce propos, qu'il me soit permis de rapporter
F anecdote suivante. Etant à Rome, au mois de
février 1853, j'attendais, dans une antichambre
du Vatican, l'heure de mon audience. J'étais
venu chercher, sans pouvoir obtenir autre chose
que des encouragements, la condamnation ro-
maine du Ver Rongeur, dont m'avait menacé
certain évoque gallican.
Un des prélats de service, qui connaissait le
but de mon voyage, lie conversation avec moi,
et me dit ; a Vous avez mille fois raison. Non-
seulement pour la France, mais encore et surtout
pour l'Italie. Nous avons ici une bourgeoisie et
une jeunesse ingouvernables. En parlant des
anciens Romains, ils disent toujours nos ancêtres.
Leur rêve favori est de ressusciter la grande ré-
publique romaine et de gouverner le monde par
des proconsuls. La faute en est à l'éducation
qu'ils reçoivent. On les enfariné d'admiration
pour Rome païenne, et par là on les indispose
contre Rome chrétienne. Qu'en arrivera-t-il ? »
Le 20 septembre 1870 a donné le premier mot
de la réponse.
En attendant le second, laissons toujours par-
CHAPITRE XU. î)S

1er la tradition. « Les Romains, ainsi préparés de


longue main, des affidés de Satan, des athées per-
vertiront les hautes classes parmi les Romains.
Ils feront briller à leurs yeux l'antique gloire de
leurs ancêtres. Ils les exciteront à la reconquérir
et à restaurer le culte des dieux, auxquels l'em-
pire dut sa splendeur. Ils les attireront à la
volupté et à l'indépendance, afin de les conduire
à l'athéisme, comme cela s'est vu dans beau-
coup de pays et comme nous le voyons aujour-
1
d'hui . »
Que dirait l'illustre interprète, s'il était témoin
de ce que font, sous nos yeux, les révolution-
naires, maîtres de Rome? Il avouerait, comme
tout le monde, que si la Rome officielle n'est pas
idolâtre, elle est païenne, et non moins hostile au
christianisme que la Rome des Césars. Qui peut
répondre qu'un jour ou l'autre elle ne donnera
pas une forme matérielle à Y esprit qui l'anime,
et ne se prosternera pas devant quelque idole?
Serait-il vrai que déjà, dans certains antres té-
nébreux, des Romains adorent matériellement
* Quomodo Roma in fine mundi ad pristinas opes et gloriam,
acque ad ethnicismum redibit?... Variis modis id fîeri poterit...
Si magi aliqui et politici Romanos primores pervertant, eosque
incitent ad pristinam patrum gloriam, et deorum cultum restau-
randum... Si eos invitent ad vitia carnis omnemque vitse licen-
tiam, ut eos deducant ad atheismum, uti multis locis factum
est olim, et etiamiium iïeri audimus et videmus. Cor. in Apoc,
XVII, 1.
94 OÙ EN SOMMES-NOUS?

autre chose que Jésus-Ghrist \ Quoi qu'il en soit,


ce qui s'est vu peut se revoir.
Païens parleur éducation, les révolutionnaires
de 93 devinrent bientôt formellement idolâtres.
L'Europe a-t-elle oublié qu'ils adorèrent publi-
quement, et firent adorer par la France entière,
une déesse en chair et en os ? A-t-elle oublié qu'ils
bâtirent, au milieu de Paris, un temple à Gybèle,
à qui ils offrirent solennellement les prémices
des biens de la terre? Enfin, a-t-elle oublié que
le culte matériel de Jupiter, avec prêtres, encens
et autels, s'est perpétué parmi nous jusqu'en
1821?
Etant données la corruption humaine et l'in-
fluence du démon, qui ne vieillit pas, pour-
quoi ce qui s'est fait à Paris ne se ferait-il pas à
Rome? Le culte intérieur appelle le culte exté-
rieur. Le jour où les révolutionnaires romains
passeront de l'un à l'autre, Rome sera formelle-
ment idolâtre, et la tradition littéralement jus-
tifiée.
Alors s'établira le grand empire annoncé par
la même tradition et dont l'idée ne s'est jamais
perdue dans le monde. Quel sera-t-il? A coup
sûr, ce ne sera pas la caduque monarchie de
Victor-Emmanuel. Cet empire n'est autre que la
grande république mazzinienne c'est-à-dire.
' Elle s'appelle aujourd'hui l'Internationale.
CHAPITRE XIII. 95

sous un nom ou sous un autre, l'antique empire


des Césars païens, essentiellement hostile au
christianisme et dont Rome, redevenue païenne,
sera la capitale. Afin de parler encore plus clai-
rement, ce sera le règne cle l'antechrist.
• Telle est, dans son essence, la Révolution cos-
mopolite qui marche à grands pas à l'envahisse-
ment du monde moderne. Ses séides italiens,
aujourd'hui geôliers du Vicaire de Jésus-Christ,
et demain peut-être ses bourreaux, ne font qu'ac-
complir sur un point ce qu'elle-même espère
réaliser dans l'Europe entière.

CHAPITRE XIII.
OÙ E N E S T LA FRANCE?

Cause de ses malheurs. — La barbarie intellectuelle et morale,


toujours suivie de la barbarie matérielle. — Exemple de Rome
ancienne. — Exemple différent de l'Espagne. — Barbares du
dedans et barbares du dehors. — La France les connaît.

Au centre de l'Europe vit une nation, célèbre


entre toutes par son antiquité, par ses hauts
faits, par sa richesse, par la beauté de ses villes,
par ses arts, par sa littérature, par le nombre de
ses habitants et par la vaillance de ses soldats;
une nation qui, brillant au milieu de ses sœurs,
comme le soleil au milieu des astres du iirma-
9G OÙ EN SOMMES-NOUS V

ment, les attire dans son orbite et fait sentir son


influence jusqu'aux extrémités de la terre ; une
nation qui, plus qu'aucune autre, est l'objet des
sympathies universelles.
Or, depuis quelques mois à peine cette nation
marche de désastres en désastres, d'humiliations
en humiliations, et le monde épouvanté la voit
descendre, avec une rapidité foudroyante, dans
un abîme d'une profondeur inconnue.
Qu'est-il arrivé? La France, l'antique France,
la première nation militaire du monde, a été
vaincue, toujours vaincue par une nation née
d'hier, sans passé glorieux, sans sympathies en
Europe et dont jusqu'ici les rares victoires
étaient dues à la ruse, plutôt qu'à l'habileté de
ses chefs et au courage de ses soldats. Le fait est
pourtant vrai. La France, qui naguère avait
promené son drapeau victorieux dans toutes les
capitales du continent, et, avec ses seules forces,
soutenu longtemps le choc de toutes les nations
de l'Europe, la France est aujourd'hui envahie,
foulée, ravagée, vaincue par une seule puis-
sance.
On disait que la douceur et la politesse des
moeurs publiques, le progrès de la civilisation
rendaient impossibles les horreurs des guerres
païennes : et cette puissance, foulant aux pieds
1
Ecrit au mois de novembre 1870.
CHAPITRE XIII. 97

les lois de l'humanité, fait une guerre de bar-


bares, qui rappelle César, Genséric et Attila.
- Ce phénomène inattendu surpasse tellement
les prévisions humaines, il est tellement en
dehors des proportions des événements ordi-
naires, que le monde, spectateur de ce mystère,
en est dans la stupeur.
Pourtant, il n'y a pas d'effet sans cause.
Quelle est la cause de ce que nous voyons? Elle
*pst dans cette inexorable loi de l'histoire : Le
siècle des sophistes est toujours suivi du siècle
des barbares.
Le genre humain a été perdu par un sophisme.
De ce premier sophisme, débité au paradis ter-
restre par le père de tous les sophistes, est venue
la barbarie tour-à-tour sauvage et savante, qui
n'a pas cessé de régner sur quelque point du
. globe.
Or, la France est une nation sophistiquée :
telle est la cause de ses malheurs. Une nation
sophistiquée est une nation qui, en perdant la
vérité, a perdu le principe de sa force et éteint
la source de sa vie. C'est un fruit qui n'a plus
que l'écorce. Une telle nation touche aux bar-
bares, comme la cause touche à l'effet : la liaison
est facile à saisir.
Il y a trois sortes de barbarie : la barbarie
intellectuelle, la barbarie morale, la barbarie
7
98 OÙ EN SOMMES-NOUS

matérielle. Les deux premières sont l'ouvrage


direct des sophistes, et elles appellent la troi-
sième, comme le principe appelle la consé-
quence.
Qu'est-ce que la barbarie intellectuelle ?
Lorsque, chez un peuple, les sophismes cir-
culent libres et nombreux comme les atomes
de l'air; lorsque toutes les vérités religieuses
et tous les principes sociaux sont battus en
brèche; que ceux qui en sont les représentants
et les organes sont livrés au mépris et à la
haine ; lorsque le bien s'appelle le mal, le mal
le bien; l'autorité, la tyrannie; l'obéissance,
l'esclavage; la licence, la liberté; lorsqu'il ne
reste plus aucune croyance, de quelque nature
qu'elle soit, qui n'ait été honnie et ébranlée : en
un mot, lorsque dans la majorité de ce peuple le
rationalisme règne et gouverne, vous avez la
barbarie des intelligences.
Qu'est-ce que la barbarie morale? Du droit de
ne rien croire découle le droit de ne rien faire, ou
de tout faire. Dans la pratique, ce droit est l'in-
différence en matière de religion, le mépris des
préceptes, des menaces et des promesses de Dieu
et de l'Eglise; l'esprit général d'insubordination,
le culte du corps, l'ardente recherche de toutes
les jouissances capables de satisfaire les convoi-
tises du cœur humain, l'esclavage des passions,
CHAPITRE XIII. 99

la haine jalouse de toute supériorité, rabaisse-


ment des caractères, l'utile à la placé de l'hon-
nête, l'hypocrisie à la place de la franchise, la
ruse et la fraude à la place de la justice et de la
bonne foi, l'égoisme à la place de l'esprit de
feacriiice ; les arts, les sciences, les industries,
mises au service de toutes les concupiscences;
la vie matérielle, avec ses grossières exigences,
-absorbant la vie de l'âme : en un mot, lorsque
'dans la majorité d'un peuple le sensualisme
ïègne et gouverne, vous avez la barbarie des
-mœurs.
!
Qu'est-ce que la barbarie matérielle? La bar-
barie matérielle n'est autre chose que la traduc-
tion ou l'application dans l'ordre des faits de la
barbarie intellectuelle et morale. Les hommes,
changés en bêtes féroces, se ruant les uns sur les
mitres, se déchirant, se tuant, pillant, brûlant,
accumulant les ruines et ne reculant devant au-
cun forfait pour assouvir leur rage et satisfaire
leurs passions : voilà, avec mille accessoires
cruels ou immondes, la barbarie matérielle. C'est
le sophisme pratique.
Par là on voit clairement que toute nation so-
phistiquée est une proie préparée aux barbares.
Ajoutons, en passant, que la France seule n'est
pas sophistiquée. L'Europe entière est dans le
même cas. Partout ont pénétré les sophistes ré-
iOO OÙ EN SOMMES-NOUS ?

volutionnaires. Victorieuse de la France, la


Prusse elle-même est menacée d'être vaincue
par le socialisme. En Allemagne sont les pon-
tifes de la grande démocratie mazzinienne. Là,
comme chez nous, comme ailleurs, ils sont les
précurseurs des barbares. Nous le répétons, c'esl
une loi de l'histoire.
Tant qu'avec ses mœurs, elle conserve intacte
ses antiques croyances, Rome, toujours victo-
rieuse, marche à la conquête du monde. Le joui-
où les sophistes de la Grèce battent en brèche
cette double force sociale, que rien ne peut sup-
pléer, Rome commence à déchoir. Elle déchoit
sans interruption jusqu'au moment où les
hordes du Nord viennent fondre sur elle et dépe-
cer son cadavre. Le vieux Gaton avait prévu ce
résultat, lorsqu'il demandait que Rome chassât
de son sein les sophistes et les rhéteurs, ce qui
était tout un.
L'histoire contemporaine offre un fait toul
différent, qui rend témoignage de la même
vérité. En 1808, l'Espagne est brusquement
et traîtreusement envahie par un puissant usur-
pateur. Des armées nombreuses et aguerries
foulent le sol de la péninsule; mais l'Espagne
n'a pas été sophistiquée. Pour elle, la religion,
la patrie, la liberté sont choses saintes et sacrées.
A ces objets de son ardent amour, elle sait offrir
CHAPITRE XIII. 101

ses bras et son sang. Elle combat, et elle doit sa


délivrance à sa foi religieuse, mère de sa foi
politique.
Bien différente, bêlas ! est la France d'aujour-
d'hui. Il n'est que trop vrai, depuis longtemps
la France, j'entends la France officielle, la
France qui fait l'opinion, la France qui règne et
qui gouverne, a été livrée aux sophistes. So-
phistes en religion, sophistes en éducation, so-
phistes en philosophie, en politique, en histoire,
en littérature, se sont abattus sur elle, comme
les vautours sur leur proie. Ils ont sucé le plus
pur de son sang, sa foi et ses mœurs. Quand
l'heure est venue, la France appauvrie a été la
proie de la barbarie matérielle.
Celle-ci prend un corps toutes les fois que les
barbares de l'intelligence et de la volonté ar-
rivent au pouvoir, ou que la justice de Dieu
appelle du dehors les sauvages, vengeurs de ses
droits outragés. Quant aux premiers, la France
de 93 les a vus à l'œuvre. Qu'a-t-elle vu?
Le bouleversement le plus rapide et le plus ra-
dical dont fasse mention l'histoire des peuples
baptisés. L'antique monarchie de saint Louis,
arrachée de ses fondements et ensevelie sous ses
ruines ; le trône renversé ; la royauté égorgée ;
la religion proscrite; les temples profanés, pillés,
détruits ; les prêtres poursuivis comme des bêtes
102 OÙ EN SOMMES-NOUS?

fauves et impitoyablement massacrés ; des mil-


liers de victimes innocentes, incarcérées, noyées,
brûlées, guillotinées; la terreur à Tordre du
jour; la fortune publique dilapidée; le divorce
décrété ; le libertinage récompensé ; la prostitu-
tion érigée en divinité et placée sur les autels.
Que la France voit-elle aujourd'hui? Fils de
Luther et élèves de Voltaire, les barbares du
dehors sont accourus. Quel autre nom donner à
des ennemis qui, foulant aux pieds les lois de la,
guerre en vigueur chez les peuples civilisés.
multiplient les actes de brigandage et font une
guerre d'extermination. Devant eux, la France
s'est trouvée sans force. Celle qu'on appelait la
grande nation voit en quelques jours disparaître
son prestige militaire. Ses armées vaincues ca-
pitulent par masses de cent mille hommes, et.
comme des troupeaux, sont emmenées prison-
nières. Ses forteresses sont détruites, ses villes
brûlées, ses campagnes ravagées, sa capitale
enfermée dans un cercle de fer et isolée du reste
du monde ; son industrie arrêtée, son commerce
anéanti, toute sa gloire éclipsée.
Non moins affligeant est le spectacle que la
France, considérée en elle-même, offre à l'Eu-
rope et au monde. Les fils des barbares de 93
relèvent la tête, proclament de sauvages doc-
trines, déploient leur drapeau de sang, s'ap-
CHAPITRE XIII. 403

pellent à la destruction radicale de la religion,


de la société, de la liberté, de la propriété et se
permettent contre les personnes des violences,
devant lesquelles ont jusqu'ici reculé les bar-
1
bares du dehors .
Pour faire face à tant d'ennemis, qu'oppose la
France? En guise de gouvernement, on voit,
portés par l'émeute à la tête des affaires, quelques
hommes d'une couleur douteuse et d'une inex-
périence qui ne l'est pas. Amère dérision! un
mécréant, ministre de l'instruction; un jeune
avocat, ministre de la guerre ; un vieux juif,
ministre des cultes !
Pauvre France?
Aussi, nulle part d'entente ni d'unité ; des
ordres donnés et révoqués le même jour; des
mesures adoptées en principe et demeurant sans
exécution ; des généraux coup sur coup nommés
et destitués. En guise de troupes, des troupeaux
d'hommes, paysans, commis de magasin, em-
ployés de bureau, habillés, en soldats, sans in-
struction militaire, sans discipline, sans armes
convenables et trop souvent sans chaussure et
sans pain. Partout l'hésitation, l'impéritie, la
désorganisation la plus complète ; c'est-à-dire
l'indigence intellectuelle et morale d'une nation
1
Ceci est écrit au mois de novembre 1870. — Q u e dire aujour-
d'hui après le règne de la Commune?
lOi OÙ EN SOMMES-NOUS?

sophistiquée. Tel est le spectacle que présente


au monde stupéfait la France du dix-neuvième
siècle.
De là, ce compliment que, dans Yltalia del
popolo, nous adresse Mazzini : « L'esprit de la
France est corrompu à tous les degrés, et mé-
diocre à tous égards. »
Si renversante qu'elle soit, une pareille situa-
tion n'a rien d'étonnant. Elle est le résultat ri-
goureusement logique de cette loi : Le siècle des
sophistes est toujours suivi du siècle des barbares.
Que sera-ce si, tenant compte d'une autre loi,
non moins inexorable, nous nous rappelons,
avec tous les peuples, que, dans le gouvernement
de la Providence, le crime attire le châtiment
comme l'aimant attire le fer, et que le châtiment
est toujours proportionné à la grandeur et à la
nature de l'offense.
Le chapitre suivant remettra sous les yeux de
la France cette loi qu'elle a trop méconnue.
CHAPITRE XIV. 105

CHAPITRE XIV.
OÙ E N E S T L A FRANCE?

Prérogatives et belles qualités de la France. — Ses grandes


œuvres. — Entraînée dans l'erreur, elle fausse sa mission. —
Sa propagande antichrétienne. — Les orgies révolutionnaires.
— Ses scandales. — Avant de combattre contre la Prusse, elle
déclare la guerre à Dieu.

La France est la nation la plus anciennement


catholique du monde. A ce privilège incompa-
rable, elle doit son nom de fille aînée de l'Eglise.
Afin de l'aider à porter dignement ce nom glo-
rieux, Dieu l'a entourée d'une protection spéciale,
principe de sa longévité. Avec une libéralité pa-
ternelle, il lui a départi les dons les plus rares.
Nul peuple n'a reçu, au même degré, l'élé-
vation des sentiments, la franchise du carac-
tère, la vivacité de l'esprit, l'activité de propa-
gande, la puissance de sympathie qui attire à la
France, malgré ses défauts et même ses fautes,
l'affection du monde entier; la générosité du
cœur, qui la trouve toujours prête à donner son
or et son sang pour les nobles causes.
Noblesse oblige, et la France l'a compris. La
première à doter magnifiquement l'Eglise ro-
maine, sa mère; la première aux croisades du
106 OÙ EN SOMMES-NOUS *?

moyen âge, pour arrêter l'invasion de la barba-


rie musulmane et délivrer le sépulcre du Dieu
rédempteur; la première aux croisades mo-
dernes , pour arracher les nations idolâtres à la
tyrannie du démon, elle a vérifié cette parole
consacrée par l'histoire : Les autres peuples ont
fait de grandes choses powr eux, la France en
a fait pour tons.
C'est ainsi que la France, bras droit de Dieu,
de l'Eglise el de la civilisation chrétienne, Gesta
Dei per Francos, a grandi, pendant de longs
siècles, glorieuse, aimée et respectée au milieu
de ses sœurs. En baptisant son premier roi, saint
Remi avait prédit à la France ces glorieuses
destinées, tant qu'elle resterait ce que doit être
la fille aînée d'une famille, l'exemple de ses
sœurs et l'aide de sa mère.
Pour son malheur et pour le malheur du
monde, la France, comme les autres nations de
l'Europe, s'est laissée sophistiquer. Au lieu du
pur froment de la vérité catholique, une éduca-
tion anormale est venue la nourrir d'un mélange
corrompu et corrupteur, de quelques restes de
vérités et de beaucoup de mensonges. Son tem-
pérament moral s'est affaibli et peu à peu dé-
naturé. Le mal commence à l'époque, de funeste
mémoire, où l'esprit de l'ancien paganisme en-
vahit l'Europe. C'est une justice à lui rendre, la
CHAPITRE XIV. 107

France lutta longtemps et avec vigueur contre


les poisons que lui apportaient l'Allemagne el
l'Italie.
Enfin elle but à la coupe fatale. Enivrée et
affolée, elle ne tarde pas à montrer par sa con-
duite que la pire corruption est celle de ce qu'il
y a de meilleur : corruptio optimi pessima. Au-
tant elle avait été respectueuse et tendre pour
sa mère, la sainte Eglise romaine, autant elle
devient impertinente et raide. Souvent elle dés-
obéit, ou elle n'obéit plus que de mauvaise
grâce, et le moins qu'elle peut, jusqu'à ce qu'elle
se révolte ouvertement.
Faussant sur ce point capital sa mission provi-
dentielle, bientôt elle marche complètement à la
dérive. La même activité qu'elle avait mise h
propager le bien, elle la met à propager le mal.
Nulle nation ne publie autant de livres immo-
raux et impies, et, parce qu'ils sont français,-
ces livres deviennent la pâture empoisonnée de
l'Europe entière. De son spin sort la ligue infer-
nale des encyclopédistes et des philosophes du
dernier siècle, dont Voltaire fut le coryphée et
dont le mot d'ordre était : Ecrasons l'infâme !
Traduisant en actes ses funestes doctrines,
pendant dix ans, elle se livre, avec une fureur
qui épouvante le monde, à toutes les saturnales
de la débauche et de l'impiété. Jésus-Christ, son
108 OU EN SOMMES-NOUS ?

Dieu, le Pape, son père, l'Eglise, sa mère, ses


temples, monuments de son génie.
ses propres enfants, leur fortune, leur honneur,
leur vie, rien n'est sacré pour elle. Seule entre
toutes les nations, elle inscrit l'athéisme dans
ses lois, et, pendant vingt-cinq ans, ses armées
le promènent, à la lueur des villes qu'elles
brûlent et au bruit des trônes qu'elles ren-
versent, dans toutes les parties de l'Europe \

' Afin de montrer que nous n'exagérons rien, voici le portrail


de la Révolution tracé par une main non suspecte. Le 24 dé-
cembre 1796, le fameux abbé Grégoire, jacobin prononcé, écri-
vait : « Aucune persécution ne présente les caractères atroces
de celle que nous venons de traverser. Nous étions destinés à
savoir qu'il y avait encore du nouveau dans le genre du crime.
Il faudrait des siècles pour réparer les ravages exercés sur les
monuments de la piété et du génie accumulés pendant des
siècles. On a détruit je ne dirai pas pour des millions, mais pour
des milliards.
» Un calcul approximatif élève à trois cent mille les auteurs
de tant de forfaits. Car chaque commune avait à peu près cinq
ou six bêtes féroces, qui, sous le nom de Brutus, ont perfec-
tionné l'art de lever les scellés, de noyer, d'égorger. Ils ont
dévoré des sommes immenses, pour payer des orgies et célébrer
trois fois par mois des fêtes, qui, après une première représen-
tation étaient devenues des parodies, où figuraient deux ou trois
acteurs sans spectateurs. Elles n'étaient composées à la fin que
du tambour et de l'officier municipal; encore celui-ci, tout hon-
teux, cachait-il souvent son écharpe dans sa poche, en allant au
temple de la Raison hurler des sottises décadaires et célébrer
ce qu'on appelait le culte de la Raison, le culte de la Loi, le culte
de la Liberté, le culte de Marat, car il a eu aussi des autels.
» Mais ces trois cent mille brigands avaient pour directeurs
deux ou trois cents membres de la Convention nationale, qu'il
CHAPITRE XIV. 409

Avec une opiniâtreté de pins en pins coupable,


elle-même en fait tous les huit jours une pro-
fession publique., par la scandaleuse profanation
du dimanche. Tout peuple baptisé qui ne res-
pecte pas le dimanche, est un peuple qui n'a pas
de religion publique; et tout peuple qui n'a pas
de religion publique, est un peuple athée comme
peuple.
Aujourd'hui encore, scandale du monde, par
son luxe effréné, par sa fièvre de jouissances, par
son indifférence en matière de religion, par les
ricanements impies de ses journaux, elle con-
tinue, grâce à sa mystérieuse influence, de pous-
ser les nations aux antipodes du christianisme.
Cependant les avertissements ne lui ont pas
manqué. Dieu, qui l'aime encore, lui a parlé
faut bien n'appeler que scélérats, puisque la langue n'offre pas
d'épithète plus énergique. Je sais gré à la Convention d'avoir
décrété la République, mais elle a terni cette gloire par des
crimes à l'aspect desquels la postérité reculera d'effroi.
» C'est elle qui, pendant trois ans, révoltée contre le peuple,
voulut lui arracher sa propriété la plus sacré, la religion ; c'est
elle qui invita les prêtres au parjure et qui démoralisa la nation;
c'est elle qui vomit dans tous les départements cette horde de
proconsuls, près desquels Néron, Sardanapale et Cartouche
eussent été des hommes à canoniser. A la fin du dix-huitième
siècle on a fait en grand l'expérience que des prétendus philo-
sophes, les athées, sont les êtres les plus intolérants et les per-
sécuteurs les plus barbares. »
Et aujourd'hui, il y a des h o m m e s qui se glorifient d'être les
fils des révolutionnaires de 93, et qui voudraient ramener le
règne de la Convention !
410 OÙ EN SOMMES-NOUS?

tour-à-tour par ses bienfaits et par ses fléaux.


Sur tous les tons il lui a dit : « Reviens, déso-
béissante Israël, et je te pardonnerai : •» Revertere
aversatrix Israël, ait Dominus, et non avertam
faciem meani a vobis\ Aux avertissements du
ciel, se sont joints ceux de la terre. Mille voix
amies lui ont crié que, par son obstination dans
le mal, elle allumait sur sa tête les charbons
ardents de la colère divine.
Son expérience même n'a cessé de lui répéter
qu'elle fait fausse route. A la différence des
autres nations de l'Europe, la France, depuis
bientôt un siècle, semble prise de la danse de
saint-Guy. Toujours inquiète, toujours agitée,
elle est comme l'aiguille aimentée qui a perdu
le pôle. Tombant de révolution en révolution,
elle s'imagine trouver au fond du précipice ce
qu'elle a perdu et qu'elle cherche avec ardeur.
Elle se constitue, se reconstitue, se déconstitue.
En quatre-vingts ans, nous avons eu dix-sept
constitutions. Elle essaie de tous les gouverne-
ments, qu'elle renverse tour-à-tour : fière cavale
qui, ne retrouvant pas son cavalier, jette à terre
tous ceux qui entreprennent de la monter.
En attendant, elle s'affaiblit, elle s'appauvrit,
elle devient un objet de crainte et de pitié pour
les autres nations. Que prouvent, toutefois, ces
1
Jertm., ni, 12.
CHAPITRE XIV. Mi

agitations constantes? Elles prouvent les nobles


qualités de la France ; elles prouvent l'instinct
qu'elle conserve de sa vocation ; elles prouvent
qu'elle résiste à s'endormir, comme tant d'autres
nations, dans le schisme, dans l'hérésie, dans le
matérialisme et dans la mort. Elle veut vivre de
sa vraie vie, et par son inquiétude irrémédiable,
elle dit à Dieu : Je suis votre fille aînée ; plus
qu'aucune de mes sœurs, vous m'avez faite pour
r
A ous, et mon cœur est inquiet jusqu'à ce qu'il se
repose en vous : Fecisti nos ad te, Domine, et ir-
reqmetum est cornostrum, donee requtescatin te.
A tant d'avertissements, comment la France
a-t-elle répondu?En ne tenant aucun compte de
sa propre expérience, en se moquant de Dieu et
de ses vrais amis, qu'elle appelait des alarmistes.
Puis, continuant dans sa voie, cette fille aînée a
dit, et ses sœurs ont répété son langage : « On
faisait accroire au moyen âge que, pour être heu-
reux et prospères, les peuples avaient besoin de
Dieu, du christianisme et de l'Eglise ; que plus
elles leur étaient soumises, plus les sociétés
étaient florissantes. Ces temps d'ignorance ne
sont plus.
» Autant qu'il a été en moi, j'ai secoué le joug
de la superstition. J'ai chassé Dieu de mes cons-
titutions, de mes académies, de mes sciences, de
ma politique, de ma vie. Je me suis moquée de
H2 OÙ EN SOMMES-NOUS 1

l'Eglise et de ses lois, du Pape et de ses excom-


munications ; je suis loin de m'en repentir. Quel
mal est-il arrivé, à moi et à mes soeurs? Jamais
avons-nous été plus éclairées, plus libres, plus
riches, plus fortes, plus prospères ? Notre civili-
sation, la plus brillante qui fut jamais, est un dé-
menti solennel aux enseignements du passé. »
L'insolente impiété peut-elle s'élever plus
haut? Oui ; pour y mettre le comble, la France
vient de faire trois choses. Au moment de mar-
cher contre la Prusse, elle déclare qu'elle con-
tinue d'être l'instrument de la Révolution et
qu'elle va faire une guerre révolutionnaire.
Voici en quels termes elle le notifie à l'Europe,
par l'organe de son chef : « Le glorieux drapeau
que nous déployons encore une fois devant ceux
qui nous provoquent, est le même qui porta à
travers l'Europe les idées civilisatrices de notre
grande Révolution. 11 représente les mêmes prin-
cipes; il inspirera les mêmes dévouements. »
On ne peut servir deux maîtres. Auxiliaire de
la Révolution, la France ne pouvait être le sou-
tien de l'Eglise : elle abandonne son père. Par
sa faute, le Pape est livré aux mains de ses enne-
mis, dépouillé, emprisonné, destiné peut-être à
devenir le Louis XVI de la papauté.
Enfin, et comme pour jeter au ciel le plus in-
solent défi, la veille de la grande fête de Marie,
CHAPITRE XV. IIS

patronne de l'ancienne France, la France révo-


lutionnaire élève une statue à Voltaire ! A
Voltaire, le coryphée de l'impiété, l'ennemi per-
sonnel de Jésus-Christ, le blasphémateur per-
pétuel de tout ce qu'il y a de sacré parmi les
nations, le plat valet delà Prusse, l'ignoble pam-
phlétaire qui a souillé de sa bave impure les
plus belles gloires de l'antique France. Celui que
Sodome eut banni, Paris l'a couronné !
Tel est, en partie, le dossier de la France, dé-
posé au tribunal de la justice de Dieu. Si nous le
remettons sous tes yeux, patrie bien-aimée, c'est
uniquement pour que tu rentres en toi-même,
et que tu éloignes de toi de nouveaux malheurs.
Du reste, rien n'est comparable à la douleur de
tes enfants, si ce n'est leur désir de te voir rede-
venir grande et forte.

CHAPITRE XV.
OÙ E N E S T LA FRANCE?

A l'heure qu'il est, la France est en traitement — La maladie.


— Le médecin. — Le remède. — L'infirmier. — La vie ou la
mort proposée à la France. — Lettre de Mélanie.

A l'heure qu'il est, la France est en traitement.


Atteinte dans ses parties les plus nobles,* elle se
trouve entre la vie et la mort. Jamais, dans sa
ili OÙ EN SOMMES-NOUS'

longue existence, il n'y eut de moment plus dé-


cisif. Le traitement suppose la maladie, le mé-
decin, le remède, l'infirmier.
La maladie. Que la France soit malade et très-
malade, c'est-à-dire coupable et très-coupable,
nous ne l'avons que trop montré. Rappelons seu-
lement sa faute la plus récente. En entrant en
campagne contre la Prusse, la France a déclaré
la guerre à Dieu.
Elle Ta fait, en se proclamant le soldat de
la Révolution; elle l'a fait, en abandonnant lâ-
chement son père, le Vicaire de Jésus-Christ:
elle l'a fait, en élevant une statue à Voltaire, le
blasphème incarné. Cette triple déclaration de
guerre a mis le comble à la mesure. Dès ce mo-
ment, Dieu a combattu contre la France. Pour que
personne n'en puisse douter, nos défaites corres-
pondent, jour pour jour, à ces grandes iniquités.
Le 19 juillet, paraît la déclaration de guerre,
dans laquelle on annonce que la France va con-
tinuer l'œuvre de la Révolution. A l'instant, nous
subissons une défaite morale, la plus complète
qu'on ait encore vue. J'appelle de ce nom l'im-
prévoyance, l'impéritié, la présomption surhu-
maine, avec lesquelles on entreprend une lutte
pour laquelle on n'était pas préparé. En perdant
le don de piété, la France avait perdu le don de
conseil.
CHAPITRE XV. m

Le 6 août, le dernier soldat français quitte


l'Etat pontifical, et le même jour nous sommes
battus à Wissembourg.
Le 14 août, on élève la statue de Voltaire, et
le même jour commence, sur toute la ligne du
Rhin, une série de défaites, de plus en plus dé-
sastreuses, et dont rien n'est venu interrompre
le cours.
Le médecin. En voyant la France toujours
battue, toujours reculant, toujours subissant des
humiliations, telles qu'on n'en trouve pas dans
l'histoire, les peuples de l'ancien et du nouveau
monde en croient à peine leurs yeux. Dans leur
stupéfaction, ils s'écrient avec le Prophète des
douleurs : « Gomment se trouve isolée du reste
du monde la cité pleine d'habitants? La maî-
tresse des nations est une veuve éplorée; la
reine des peuples est devenue tributaire. Ses
ennemis sont venus; ils l'ont serrée de toutes
1
parts; ils se sont enrichis de ses dépouilles . »
Et ils ajoutent : « Tout cela est arrivé parce que
. le Seigneur a parlé sur elle, à cause de la multi-
tude de ses iniquités ; » Quia Dominus locutus
est super eam,propter multitudinem iniquita-
tum ejus*.
Les peuples ont raison. Dans les désastres
actuels de la France, tout est imprévoyable, in-
1
Thren., i , i . — * Ibid.
M6 OÙ EN SOMMES-NOUS»

croyable même à l'esprit de l'homme, par con-


séquent tout est divin : Incredibile, ergo divinum.
Incroyables, l'imprévoyance et l'inhabileté; im-
prévoyables et incroyables, les défections et les
capitulations ; imprévoyables et incroyables, le
long siège et le bombardement de Paris ; impré-
voyables et incroyables, la désorganisation uni-
verselle dans le gouvernement, les ordres et les
contre-ordres se succédant de jour en jour et
presque d'heure en heure ; les hésitations, les
négligences, le désarroi dans tous les services
publics : preuves manifestes de l'esprit de vertige
répandu sur la France.
D'où est-il tombé? La conscience humaine l'a
dit : Le Seigneur a parlé sur la France à cause
de la multitude de ses iniquités. Après la prise de
Jérusalem, Titus s'écria : « J'en prends le ciel à
témoin. Ce n'est pas moi qui suis la cause de
tant de maux. » Nous avons entendu les Prus-
siens eux-mêmes, étonnés de leurs succès, avouer
que c'est la justice de Dieu qui leur donnait con-
stamment la victoire.
Il en est ainsi, quoi qu'en disent, aujourd'hui
même, les stupides négateurs de la Providence.
Au heu d'adorer le front dans la poussière et le
repentir dans le cœur, la main de Dieu appe-
santie sur leur malheureuse patrie, ces forcenés
semblent avoir pris à tâche, par leurs affreux
CHAPITRE XV. H7
1
blasphèmes , d'attirer sur nous les dernières
foudres du ciel. Dieu n'a point abdiqué. Malheu-
reux ! vous êtes forcés de reconnaître l'action di-
vine sur l'aile d'une mouche, et vous osez la
nier dans des événements qui bouleversent le
monde !
A ces mêmes hommes et à leurs pareils, la
France doit la dernière des humiliations. L'a-
venturier cosmopolite, le fuyard de Mentana, le
personnage le plus grossièrement impie, a été
placé à la tête de nos soldats. Puis, une souscrip-
tion a été ouverte pour lui offrir une épée
d'honneur, et cette souscription a trouvé des
2
signatures !
Toutefois, en dépit des pygmées qui l'outra-
1
En voici un, entre beaucoup d'autres, proféré aux applau-
dissements des spectateurs dans un des clubs de Paris, pendant
que les bombes prussiennes foudroyaient la ville : « Le moment
est venu de remplacer la théologie et la métaphysique par la
géologie et la sociologie. » Puis, frappant du poing sur la table,
Vénergumène s'écrie : « Je ne crains pas la foudre, citoyens; je
hais le Dieu, le misérable Dieu des prêtres, et je voudrais, comme
les Titans, escalader le ciel pour aller le poignarder. »
* Ce n'est pas pour les beaux yeux de la France que Gan-
baldi est venu avec ses bandes au secours d? la République. Ses
exploits contre les religieux, les prêtres, et même les évoques,
en sont la preuve. Aussi le Saint-Père écrivait-il à l'archevêque
de Tours, le 12 novembre 1870 : « Xe manquez pas de donner à
cette noble nation le prudent et sérieux conseil de ne pas prêter
l'oreille aux pernicieuses doctrines que ne cesseront de répandre
et de propager dans son sein des hommes de désordre, venus
chez elle sous le prétexte de lui prêter le secours de leurs armes, »
118 OÙ EN SOMMES-NOUS?

gent, Dieu est toujours l'arbitre suprême des na-


tions. C'est dans ses mains et non dans celles
d'un homme, quel que soit son nom, Guillaume
ou Bismark, que se trouvent les ressorts cachés
de tous les événements, dont il dispose pour la
récompense ou pour le châtiment des peuples, au
gré de sa puissance souveraine et de son infail-
lible sagesse. Il faut ajouter : et de son amour
paternel.
Le remède. Dieu a vu la France, la fille aînée
de l'Eglise, devenue le scandale de ses sœurs. Il
l'a vue, oubliant sa vocation, prostituer au ser-
vice du mal les dons précieux qu'elle avait reçus
pour étendre le règne du bien jusqu'aux extré-
mités de la terre. Il l'a vue, se rendant de plus en
plus indigne de son baptême, s'enfoncer jusqu'au
cou dans le matérialisme et le sensualisme, et
faire de sa vie un festin de Balthasar.
Après des avertissements multipliés; après
quarante années de paix ; après une prospérité
matérielle sans exemple ; après des pestes et des
inondations, plusieurs fois répétées ; après la
longue et mystérieuse maladie de la vigne et
des végétaux, il a poussé sa miséricordieuse ten-
dresse jusqu'à envoyer deux fois, en vingt ans,
sa divine Mère en personne, pour convier la
France au repentir. Voyant que tout était inutile,
Dieu a fait à l'égard de la France ce qu'il faisait
CHAPITRE XV. M0

à l'égard d'Israël prévaricateur et rebelle : il a


appelé Assur, la verge de sa colère.
Assur est accouru. En vue de sa mission, Dieu
lui a donné ce qu'il retirait à la France, tous les
moyens de succès : le génie, l'habileté, la pré-
voyance, la discipline, le nombre et la force.
Dans son orgueil, Assur croyant faire son
œuvre, fait celle de Dieu, dont il n'est que
l'instrument aveugle : Il corrige la France. Les
défaites, les massacres, les incendies, les ra-
vages, les vols, les ruines, les calamités inouïes
qui pleuvent sur la France, le brisement général
de tous ses hochets et de toutes ses idoles, com-
posent le remède qu'il est chargé d'administrer
à la grande malade.
Par sa violence et par son amertume, ce re-
mède nous apprend combien la France est ma-
lade, c'est-à-dire coupable. En effet, dans les
règles de l'infaillible justice, la grandeur des
châtiments ne dépasse jamais celle des offenses.
Si la Prusse fait à la France une guerre de sau-
vages, c'est que la France a fait à Dieu une
guerre de barbares.
Telle est d'ailleurs la nature de ce remède su-
prême, qu'il tuera la France ou qu'il la sauvera.
En attendant, lorsque Assur aura rempli sa
commission, Dieu lui dira comme aux flots de
l'Océan : Tu n'iras pas plus loin, et Assur sera
120 OÙ EN SOMMES-NOUS ?

sans force contre Israël. S'il a outrepassé sa mis-


sion, Dieu lui en demandera compte ; s'il veut
la continuer injustement, Dieu le brisera, comme
le père brise la verge dont il s'est servi pour cor-
riger l'enfant indocile. Dans ces quelques lignes
de divine philosophie, sont le présent et l'avenir
de la France et de la Prusse.
L'infirmier. A côté de la malade étendue sur
son lit de douleur et qui trouve le remède
bien amer, est une charitable infirmière, qui la
console, qui l'encourage à prendre le remède et
lui apprend la manière d'en profiter. Cette cha-
ritable infirmière, c'est la bonne France, la
France catholique, sœur de la France officielle,
légère et coupable. C'est Marthe ïa sainte, à côté
de Madeleine l'étourdie.
Depuis longtemps l'a bonne France, la France
qui se confesse et qui communie ; la France de la
Propagation de la foi et de la Sainte-Enfance ; la
France de la Société de saint Vincent de Paul.
des missionnaires et des sœurs de charité; la
France de toutes les bonnes œuvres dans le
monde entier ; la France héritière immortelle
de la foi de Charlemagne et de la piété de sain!
Louis; la France aimée de Dieu, ne cesse de
prier pour sa trop coupable sœur. C'est elle, à
n'en pas douter, qui a jusqu'ici retenu le bras
de la justice divine, et empêché la France
CHAPITRE XV. m
d'être, comme tant d'autres, rayée du nombre
1
des nations .
Mais c'est surtout depuis le commencement de
la guerre actuelle qu'on la voit multiplier en fa-
veur de sa sœur ses supplications, ses immola-
tions, sesaumômes et ses dévouements. Tour-à-
tour elle parle à Dieu et à sa sœur. A Dieu ; elle
dit, les yeux pleins de larmes : « Seigneur, Dieu
de Charlemagne et de saint Louis, souvenez-vous
de vos anciennes miséricordes; épargnez votre
peuple ; ne soyez pas toujours irrité contre nous. «
A sa sœur elle dit, le cœur brûlant de ten-
dresse : a Le Dieu qui vous frappe, ne frappe pas
pour le plaisir de frapper. C'est un père qui
2
frappe pour corriger . Ses coups mêmes sont une
preuve de son amour. Il vous aime trop pour
vous laisser croupir sans fin dans des vices qui.
vous rendant indignes de votre noblesse, vous
3
dégradent et vous perdent . Sa main est toujours
conduite par son cœur. Si amère qu'elle soit,
buvez avec courage la coupe qu'il vous présente.

1 Nisi Dominus exereituuni reliquisset uobis senien, quasi


Sodoma fuissemus, et quasi Gomorrha similes essemus. Is. r, 9.
t

* Obsecro autem eos qui hune librum lecturi sunt, ne abhor-


rescant propter adversos easus; sed reputent, ea quee accide-
runt, non ad interitum, sed ad correptionem esse generis nostri.
I I Mach., vi, 12.
3
Quem enim diligit Dominus castigat f flagellât autem omnem
filium quem reeipit. Rebr., xu, 6.
ito OÙ EN SOMMES-NOUS '?

Enfant prodigue, dites-lui avec un repentir sin-


cère et une confiance filiale : Mon Père, j'ai
péché; je me repens: pardonnez-moi. Autanl
vous avez été bon pour moi, autant je serai
bonne pour vous. A ces mots ses entrailles se-
ront émues ; il vous pressera sur son cœur, el
vous êtes sauvée. »
Rien de plus profond que ce simple langage.
Le repentir, le repentir public, le repentir natio-
nal, le repentir qui fera rentrer Dieu dans ses
droits et l'homme dans ses devoirs ; le repentir
qui fera abjurer à la France sa politique anti-
chrétienne, ses lois antisociales, ses système^
erronés, sa littérature perverse, ses tendances
révolutionnaires, sa civilisation corrompue et
corruptrice; le repentir, voilà le mot du salut,
la solution du problème, le secret de la défense
nationale, la fin de la guerre, le commencemeni
de la paix : il n'y en a pas d'autre.
Dans ce mot est toute la politique des nation-
coupables. Depuis les Ninivites jusqu'à nous,
tous les peuples qui l'ont prononcé de cœur oni
été sativés. Ceux qui ont refusé de le dire onl
péri. Jusqu'à la fin des siècles, ceux qui refuse-
ront de le dire périront, « Toute nation, toul
royaume qui refuse de servir Dieu, périra; » Gens
{
enim et regnum quod non servierit tibi peribit .
1
Js., LX, 12.
CHAPITRE XV. 123

Ce qui est écrit est écrit. S'il en était autrement,


le mal aurait vaincu, et les nations, qui ne vonl
pas en corps dans l'autre monde, échapperaient
au châtiment de leurs crimes.
D'une voix plus retentissante que jamais,
voilà ce que Dieu prêche aujourd'hui à la France
gouvernementale. Avec une douleur inexpri-
mable, il faut ajouter qu'elle n'a pas l'air de le
comprendre. Elle se donne beaucoup de mouve-
ment; elle fait beaucoup de proclamations, de
nominations et de destitutions ; elle prend beau-
coup d'arrêtés, organise beaucoup de services :
services des subsistances, services des ambu-
lances, services des ballons, services des barri-
cades. Tout cela est bien. Mais tant que vous ne
la verrez pas organiser un service public de pé-
nitence, dont elle sera la première à faire partie,
n'attendez que ce que nous avons depuis trois
mois : peut-être pis*.
Malheur à notre chère patrie, et sans fin
malheur, si elle demeurait impénitente sous les
coups terribles de la paternelle justice de Dieu!
Qui pourrait répondre de son avenir? Nulle na-
tion n'a des promesses d'immortalité. L'empire
romain a péri; l'empire babylonien a péri ; l'em-
pire grec a péri, et ils n'avaient pas abusé du
sang du Calvaire.
1
Cruellement justifiée par la Commune.
m OÙ EN SOMMES-NOUS ?
Triompher à tout prix de cet aveuglement fa-
tal, bien plus que des armées prussiennes, tel
doit être le but des prières de plus en plus ar-
dentes de la France catholique. Avec un bon sens
surnaturel, une jeune vierge chrétienne récri-
vait dernièrement à sa mère, dans une lettre
bonne à méditer.
En voici quelques passages : « Dieu est le père
de famille; nous sommes tous ses enfants. Ni
vous ni moi ne l'avons aimé comme nous aurions
dû. Maintenant le bon Dieu nous punit. Nous
avons un grand nombre de nos frères soldats qui
meurent, un grand nombre de familles et des
villes entières réduites à la misère ; et ce n'est
point fini, si on ne se tourne pas vers Dieu... Qui
pourra arrêter la guerre, qui fait tant et tant de
malheureux en France, et qui vabientàt commen-
cer en Italie ?
» Il faut : 1° que la France reconnaisse dans
cette guerre que c'est purement la main de Dieu;
2° qu'elle s'humilie et demande de cœur et d'âme
pardon de ses péchés; 3° il faut qu'elle promette
sincèrement de servir le bon Dieu de cœur el
d'âme, et d'observer -ses commandements sans
respect humain. Il y a des personnes qui prient
et demandent au bon Dieu le succès de nos
Français. Ce n'est pas cela que veut le bon
Dieu : il veut la conversion des Français. La
CHAPITRE XV. m
-très-sainte Vierge est venue en France, et la
France ne s'est pas convertie. Elle est .plus cou-
pable que les autres nations. Si elle ne s'humilie
pas devant le bon Dieu, elle sera grandement
humiliée. Et Paris, ce foyer de la vanité et de
l'orgueil, qui le sauvera, si des prières ferventes
et continuelles ne montent vers le cœur du bon
Maître ?
w Prions donc beaucoup, afin que la France
retourne vers le bon Dieu, car il n'attend que
cela pour retirer la verge dont il se sert pour
flageller son peuple rebelle. Prions beaucoup...,
car le temps des tribulations n'est pas fini. Si je
vous en dévoilais le nombre et les qualités, vous
en resteriez étourdie; mais je ne veux pas vous
effrayer. Ayez confiance en Dieu, qui vous aime.
Prions, prions pour ces aveugles qui ne voient
pas que c'est la main de Dieu qui poursuit la
France dans ce moment. Prions beaucoup et
1
faisons pénitence . »
Ainsi la justice de Dieu passe sur la France ;
l'apaiser ou périr : c'est à prendre ou à laisser.
1
Cette lettre est de Mélanie, la bergère de la Salette, aujour-
d'hui religieuse : elle est du 21 septembre 1870, date remar-
quable.
OÙ EN SOMMES-NOUS

CHAPITRE XVI.
OÙ E N E S T L A F R A N C E ?

Avenir de la France non convertie. — La sociale. — L'Assemblée


constituante. — La forme de gouvernement. — Difficultés
inextricables. — Impuissance radicale de sauver la France,
par les formes gouvernementales. — Ne rien attendre des
puissances neutres, ni de la Prusse. — Une constitution vrai-
ment catholique, unique moyen de salut.

La conversion nationale n'est pas le salut de


la France seulement dans le présent; elle Test
encore dans l'avenir. Si, ce qu'à Dieu ne plaise,
la France, flagellée par la Prusse, demeure im-
pénitente, elle peut, avec certitude, s'attendre à
de nouveaux et plus terribles malheurs. Dans la
lutte insensée de sa créature contre Lui, Dieu
aura nécessairement le dernier mot. Donc, les
Prussiens partis, et la France non convertie :
qu'arrivera-t-il?
Dans Tordre religieux , la France sera ce
qu'elle était avant la guerre. Après avoir pansé
ses blessures, elle reprendra peu à peu son train
de vie ordinaire : vie d'indifférence en matière
de religion et d'impiété ; vie d'agiotage et de
dissipation; vie de naturalisme et de sensua-
lisme. On la verra retourner à toutes ses idoles,
CHAPITRE XVI. 1-27

et, s'enfonçant de nouveau dans le culte des


intérêts matériels, suivre les mêmes errements
qui l'ont conduite à l'abîme. Devenue plus
* coupable elle sera plus sévèrement châtiée.
7

Ainsi, on n'aperçoit pour elle, dans l'avenir,


qu'une longue suite de calamités, d'autant plus
redoutables que les iniquités auront été plus
nombreuses et l'obstination dans le mal plus
opiniâtre.
Dans l'ordre politique, même perspective. A
peine les barbares , chargés de nos dépouilles,
auront quitté le sol français couvert de ruines et
détrempé de sang, il faudra songer à donner un
gouvernement à la France. Celui que nous
avons n'en est pas un. Ici, se présentent, la
France non convertie, des difficultés inextri-
cables.
A moins que la Prusse ne veuille nous
annexer à elle et proclamer son roi, empereur
de France et d'Allemagne, ou qu'elle n'ait la
prétention de nous imposer, malgré nous, un
gouvernement de son choix, une double perspec-
tive se présente.
Ou les républicains, qui se sont mis au pou-
voir, voudront y rester, et ils proclameront défi-
nitivement la république. Si elle est acceptée
sans opposition, nous aurons la Sociale, attendu
que, parmi nos démocrates officiels, il n'y a pas
128 OÙ EN SOMMES-NOUS 1

de vrais républicains; il n'y a que des socialistes


plus ou moins avancés. Si elle est repoussée,
nous aurons la guerre civile.
Ou une assemblée constituante sera immédia-
tement convoquée. Mais sous quelle influence
sera-t-ellenommée? de quels'élémentssera-t-elle
composée? La France non convertie, il est hors
de doute que tous les partis s'y rencontreront,
avec leurs prétentions rivales, et que les catho-
liques, vraiment catholiques, comme hommes
privés et comme législateurs, ne formeront pas la
majorité. De là, évidemment, des tiraillements,
des récriminations, des oppositions de principes,
des atermoiements, des concessions malheu-
reuses, qui feront accoucher la montagne d'un
aspic ou d'une souris. Et, sous le nom de Consti-
tution, la France aura un chiffon de papier, qui
ne tardera pas à rejoindre au panier ses nom-
breux prédécesseurs.
Il y a de quoi rougir et trembler à la seule
pensée du spectacle que va donner à l'Europe
une pareille assemblée, qui, impuissante à rien
constituer, montrera à nu l'anarchie qui nous
1
dévore . Quoi qu'il en soit, la grande question
que l'assemblée devra résoudre, est celle de la
forme gouvernementale qu'il convient de donner
à la France.
1
Ostendam in gentibns nuditatem tuam. Nahum, m , 5.
CHAPITRE XVI. 1Î9

Sera-ce la république, le gouvernement cons-


titutionnel, l'impérialisme ou la monarchie?
Remarquons d'abord que la forme gouverne-
mentale, n'étant qu'une chose accessoire, est
impuissante à sauver une nation. On ne guérit
pas un malade en le changeant de lit. On ne
rajeunit pas un vieillard en modifiant la forme
de son habit, ou en lui mettant un habit neuf.
Quand le fond social sera ce qu'il doit être, peu
importe la forme dont il sera toujours facile de
tirer bon parti. Ainsi, la France convertie, cha-
cun des systèmes que nous venons d'indiquer
peut être acceptable.
En effet, la France convertie, j'entends tou-
jours la France qui légifère, qui règne et qui
gouverne, c'est Dieu remis nationalement à sa
place et l'homme à la sienne ; ce sont les prin-
cipes chrétiens rentrant dans la Constitution et
dans les lois, auxquels ils servent de base, pour
passer de là dans les mœurs publiques et régler
tous les rapports sociaux. C'est, par conséquent,
l'ordre rétabli; la vérité à la place de l'utopie;
l'autorité légitime substituée à l'arbitraire ;
l'obéissance, à la révolte. C'est la révolution
vaincue.
La France non convertie, nous n'aurons rien
de cela, ou plutôt nous aurons tout le contraire.
Dès lors, la forme gouvernementale devient in-
9
130 OÙ EX SOMMES-NOUS?

signifiante. Surtout qu'on ne parle pas de lu


république, vers laquelle semblent se porter les
aspirations d'un certain nombre. Sans le chris-
tianisme, la république est une chimère.
On dit en proverbe : Si vous voulez faire un
civet, prenez un lièvre. Pour avoir une répu-
blique, il faut des républicains. Qui dit répu-
blicain, dit un homme dévoué corps et âme aux
intérêts publics bien compris. Ces intérêts sonl.
avant tout, les intérêts de Dieu et de l'Eglise,
des croyances et des mœurs; puis, ceux qui en
découlent : les intérêts de la vraie liberté, de la
prospérité publique et de l'honneur national.
Qui dit républicain, dit un homme à qui l'in-
trigue fait horreur, qui ne sait ce que c'est que
de pactiser avec sa conscience et transiger avec
le devoir ; un homme pour qui les emplois publics
ne sont pas des fermes, qu'on exploite à son profil
et au profit des siens, mais des charges insépa-
rables d'une grande responsabilité et de graves
devoirs, auxquels il faut sacrifier consciencieu-
sement ses talents, son repos, ses veilles, ses
plaisirs, sa santé, sa vie même, au besoin.
En dehors du christianisme, l'homme asse^
fou ou assez fort pour se sacrifier ainsi tout en-
tier, sans compensation, aux intérêts d'autrui :

est encore à trouver. Cette compensation, le


chrétien la place dans la satisfaction du devoir
CHAPITRE XVI. ' 131

accompli et dans ses espérances immortelles. Où


peut là placer celui dont l'esprit n'a même pas
la véritable notion du devoir et qui n'attend rien
au delà du tombeau? Forcément dans les avan-
tages de la vie présente : le pouvoir, la richesse,
le plaisir, l'estime de ses semblables.
Bien que trop faible pour payer un dévoue-
ment soutenu, cette monnaie deviendra l'objet
de ses ardentes recherches. Sous le masque du
dévouement, sa vie sera une course au clocher
vers la fortune ; au lieu d'un républicain, nous
aurons un égoïste, et plus tard un despote. Les
républicains de même aloi, imitant sa conduite,
la société républicaine ne tardera pas à se chan-
ger en une arène brûlante, où les passions
déchaînées se disputeront avec acharnements les
lambeaux souillés du pouvoir Voilà ce que nous
avons vu et ce que nous verrons infailliblement,
si la France, non convertie, accepte la forme
républicaine.
< Sans le christianisme, bien mieux avec la
haine du christianisme, la république est plus
qu'une chimère : c'est le gouvernement d'un
peuple ingouvernable et incapable de rien gou-
verner. C'est la démocratie sauvage et la pire
des tyrannies. Ce qu'elle serait en France, on
peut en juger par les docirines, les projets et les
actes de ceux qui se disent républicains et qui
m OÙ EN SOMMES-NOUS?
aspirent an pouvoir. Qu'on interroge, à l'heure
même, Marseille, Lyon, Grenoble, Toulouse, Per-
pignan et d'autres villes ; qu'on lise les jours
nauxde Delescluze, Pyat, Blanquiet consorts,
pour ne citer que les principaux organes de
Vidée : et on verra quel avenir les démocrates
réservent à la France. Près de ces Peaux-Rouges,
les Prussiens sont des agneaux, et Mandrin un
honnête homme \
Grâce à la Providence, la guerre désastreuse
que nous subissons, fait une heureuse diversion
à ces sanglantes utopies. Elle en suspend l'appli-
cation à la société et amortit la fièvre démocra-
tique. De leur côté, les démocrates eux-mêmes
ont pris soin, en mettant au jour leurs rêves
sauvages, d'inspirer une horreur et un effroi
qui sont de nature à compromettre leur futur
triomphe.
Toutefois, il ne faut pas se faire illusion. Si la
France ne revient pas sérieusement au christia-
nisme, nous sommes menacés de la république
rouge, c'est-à-dire la république sans Dieu,
sans foi, sans loi, pour qui rien ne sera sacré.
Tel sera le suprême châtiment d'un peuple obsti-
nément rebelle. Cette république, que par anti-
phrase ils appellent sociale, est une négation
1
Les Communeux de Paris ont montré que nos prévisions
étaient bien au-dessous de la réalité.
CHAPITRE XVI. 133

universelle et armée. Une négation universelle


ne peut être combattue que par une affirmation
universelle, et une négation armée ne peut être
vaincue que par une affirmation armée. Où
trouver une pareille affirmation? dans le catho-
licisme, et dans le catholicisme seul, écrit en
toutes lettres dans les constitutions, hautement
professé par l'aristocratie nationale, et courageu-
sement défendue par tous.
Sans cela, il faut le répéter, ni le gouverne-
ment constitutionnel, ni l'impérialisme, ni même
la monarchie, représentée par le duc de Bor-
deaux, ne nous sauverons du péril. Le gouver-
nement constitutionnel et l'impérialisme nous
ont donné leur mesure. Sous un nom ou sous un
autre, ils ont été le règne de l'homme et non le
règne de Dieu, la caricature de la vérité, l'in-
trigue en permanence et la corruption de la tête
aux pieds.
Reste l'ancienne forme de la monarchie fran-
çaise , et il faut remonter haut pour la trou-
ver. Notre histoire prouve que cette forme était
bonne; mais serait-elle en rapport avec notre
état social? Et puis, sans le retour foncier de la
France au catholicisme, cette forme elle-même
sera impuissante à nous sauver. A moins d'un
changement radical dans les esprits, le duo
de Bordeaux, en qui les vœux les plus intelli-
134 OÙ EN SOMMES-NOUS?
gents voudraient la voir personnifiée, ne régne-
rait pas un jour, sans avoir à lutter contre h
Révolution, dont il finirait, comme ses pères, par
être la victime.
D'un autre côté, la France ne peut compter,
pour sortir de l'abîme, ni sur l'intervention sé-
rieuse des puissances neutres, ni sur la généro-
sité de la Prusse. Renfermées dans le principe
égoïste de non-intervention, les premières sont
jusqu'ici demeurées spectatrices impassibles de
nos désastres. « Quant aux puissances neutres,
disait naguère M. de Bismark, elles sont pour le
moins autant nos amies que celles de la France,
dont l'orgueil, la politique inquiète et agressive
ont été un danger pour l'Europe depuis des siècles.
Du reste, chaque pays me paraît destiné à avoir
sous PEU assez de ses a fair es particulières. Au
pis aller, nous n'accepterons aucune interven-
tion étrangère dans une guerre que nous avons
entreprise tout seuls et à nos risques »
A la vue de la guerre d'extermination que
nous fait la Prusse, compter sur sa bienveillance,
autant vaudrait pour la brebis compter sur la
générosité du loup. Les atrocités qu'on lui re-
proche entrent dans son programme.
« L'annexion de l'Alsace et de la Lorraine.
1
Un diner à Versailles chez M. de Bismark; brochure pin
M. Angel de Miranda, de l'ambassade d'Espagne à Paris.
CHAPITRE XVI. 135

disait encore l'impitoyable diplomate, est dans la


volonté du roi. D'ailleurs, la paix, quelles que
soient les conditions où elle se fasse, ne peut être
qu'une trêve. La France est trop vaniteuse pour
nous pardonner jamais ses défaites. Demain nous
consentirions à évacuer son territoire, sans de-
mander une indemnité, que son amour propre
n'en souffrirait pas moins, et qu'elle nous provo-
querait à une nouvelle guerre aussitôt qu'elle le
pourrait. Par conséquent, notre politique, dans
l'intérêt de l'Allemagne, comme de l'Europe en-
tière, doit avoir pour but D'AMOINDRIR LE PLUS
POSSIBLE ET DE RUINER LA FRANGE, de façon à
la rendre pour longtemps incapable de troubler
1
la paix générale . »
Si dure qu'elle soit, c'est donc une vérité qu'il
faut reconnaître : aucune combinaison purement
humaine ne peut sauver la France. Vaincue,
humiliée, ravagée, appauvrie, endettée, aban-
donnée, doit-elle s'abdiquer? Assurément non.
Mais comment se relèvera-t-elle? A moins qu'elle
ne se condamne elle-même à périr, ce qu'à Dieu
ne plaise, il faut qu'elle imite l'Eglise, sa mère,
elle aussi dépouillée et abandonnée; c'est-à-dire
il faut que, se repliant sur elle-même, elle
* Les officiers prussiens connaissent le programme, et ils
l'exécutent avec une impitoyable cruauté. À Strasbourg, ils
disaient ; « Non* voulons que la Fi\m<T mette le nez non-seule-
ment d n i i c la poussière, mais dan:* la boue. »
m OÙ EN SOMMES-NOUS?
cherche sa force non dans de vains systèmes,
mais dans la foi de son baptême.
Là, et là seulement, est pour elle le moyen de
reprendre sa place parmi les nations et de re-
conquérir sa haute influence. Redevenue catho-
lique, le bras de l'Eglise et l'instrument de Dieu
pour toutes les grandes choses, elle voit s'ouvrir
devant elle un nouvel avenir, plus glorieux en-
core que son passé.
« Le royaume de France, dit Gibbon, le plus
beau après celui du ciel, a été fait par les évêques.
comme la ruche est faite par les abeilles. » Il faul
ajouter : « Défait par les sophistes, il ne sera
refait que par les évêques, c'est-à-dire par les
principes catholiques, redevenus la base de son
organisation sociale. »
Répondre que cela est impossible, autant dire
que la France est finie.
En résumé : la France est aujourd'hui en trai-
tement. Plus que jamais son avenir est entre ses
mains. Cet avenir est la vie ou la mort. Deman-
dons tous qu'elle choisisse la vie. Son choix ne
peut tarder. Bientôt nous saurons si nous devons
nous réjouir, en disant avec un prophète : Lœtati
sumiis pro diebus quibus nos liumiliasii, annis
quibus vidimus mala; ou si nous devons nous
voiler la tète, et dire avec un autre prophète :
Finis venit, venit finis.
CHAPITRE XVII. 137

CHAPITRE XVII.
OÙ EN EST PARIS'.'

Paris assiégé. — Miséricorde offerte à Paris. — Pénitence imposée.


— Paris converti, son avenir. — Paris non converti, son sort
' et le sort de la France.

« Il est écrit : Jésus voyant la ville pleura sur


elle, disant : Si toi aussi tu avais connu, même
en ce jour, qui est le tien, ce qui peut te procurer
la paix! mais à l'heure même cela est caché à
tes yeux. Il viendra donc des jours contre toi, où
tes ennemis t'environneront de tranchées et
d'une ligne de circonvallation, et ils te serreront
de toutes parts; et ils te jetteront par terre toi et
tes fils qui habitent dans ton enceinte, et ils ne
laisseront pas èn toi pierre sur pierre, parce que
tu n'as pas connu le temps de ta visite \ »
Connaissez-vous dans le monde entier une
ville, autre que Paris, à qui conviennent mieux
ces touchantes paroles, et qui soit aujourd'hui
plus digne que la capitale de la France des larmes
divines? Comme celui de Jérusalem, le jour de
Paris est venu : Dieu le visite pour le sauver,
a Ville coupable, mais aimée, lui dit-il, com-
1
Luc, xix, 4 1 4 4 . — Ecrit au mois de novembre 1870.
138 OU EN SOMMES-NOUS?

bien de fois j'ai voulu réunir les habitants aulour


de moi, comme la poule réunit ses poussins sous
^es ailes, et tu n'as pas voulu ! Sourde à la voix de
ma tendresse, je te parle aujourd'hui par la voix
de ma justice. Dans ce qu'elle a de plus sévère,
ma justice est encore conduite par mon amour:
si je te frappe, c'est pour te corriger, et non pour
te perdre. Gomme le père intelligent arrache y
son (ils et brise les hochets dont il s'amuse au
détriment de ses devoirs, afin de te faire rentrer
en toi-même, je vais t'arracher à tes plaisirs et
briser ta vie dissipée et légère. »
Il tient parole. Naguère encore, tous les di-
manches, Paris versait hors de son enceinte ses
habitants par centaines de mille. Ces multi-
tudes bruyantes et affolées se répandaient dans
les villas, dans les campagnes et dans les bois,
pour se livrer à des amusements plus ou moins
dangereux, et trop souvent à de criminelles
orgies. Aujourd'hui, enfermés dans un cercle de
fer, ils ne peuvent, même pour leurs affaires les
plus importantes, franchir les murs de la cite,
sans s'exposer à trouver la mort.
Par les portes de Paris, toujours ouvertes,
arrivaient nuit et jour d'innombrables voya-
geurs, qui lui apportaient le mouvement, la
richesse et la vie. Aujourd'hui, Paris est isole
du monde entier. Mille moyens plus rapides
CHAPITRE XVII. 130

les uns que les autres transmettaient inces-


samment la pensée parisienne, jusqu'au dernier
hameau des provinces les plus éloignées. Paris
en est réduit à se servir des oiseaux et des
nuages pour messagers. Incertains dans leur
marche, ces messagers n'apportent que rare-
ment des nouvelles de Paris, et, si ce n'est par
exception, ne lui en rapportent aucune du reste
de la France. Jamais chose pareille ne s'était
vue : amère ironie pour le dix-neuvième siècle,
si fier de ses progrès !
Ce n'est pas tout. « Malgré ma défense, dit le
Seigneur, tu travaillais tous les dimanches : tu
ne travailleras même plus pendant la semaine.
Au monde entier tu fournissais des objets de
luxe et toute sorte de marchandises : ton com-
merce sera mort et ton industrie consistera à
fabriquer des armes pour ta défense. Tu passais
les nuits dans les bals et dans les théâtres : tu
coucheras dans les rues et sur tes remparts,
exposée à toutes les intempéries des saisons.
Tout ce que le monde peut produire de plus
recherché en fruits, en légumes, en viandes, en
poissons, arrivait sur tes tables : tu mangeras
du cheval, du chien, de Peine et du chai. Viendra
même le jour où tu en demanderas, et tu n'en
auras plus.
» Tu faisais de la nuii le jour, et par la profu-
140 OÙ EN SOMMES-NOUS?

sion des lumières, tu essayais de rivaliser avec


le soleil ; bientôt tu n'auras plus ni bois pour te
chauffer, ni gaz pour t'éclairer. Parée comme
une courtisane, tu courais de fêtes en fêtes, de
plaisirs en plaisirs : voilée de noir, tu marcheras
la tête baissée, et le bruit du canon remplacera
celui de tes instruments de musique. Or-
gueilleuse et opulente, tu voyais tes nombreux
palais habités par les riches de la terre et tes
rues sillonnées par leurs brillants équipages :
tes palais seront déserts, le silence régnera dans
tes rues, et à tes portes frappera inévitablement
1
l'impitoyable misère . »
* Et veniet tibi quasi victor egestas, et pauperies quasi vir
armatus. Prov. vi, 11.
f

Dans l'annonce officielle de la capitulation de Paris, le gou-


vernement de la défense s'exprime ainsi : « Nous venons dire à
la France dans quelle situation et après quels efforts Paris a
succombé. L'investissement a duré depuis le 15 septembre jus-
qu'au 26 janvier. Pendant tout ce temps, sauf quelques dé-
pêches, nous avons vécu isolés du reste du monde. La popula-
tion virile tout entière a pris les armes, les jours à l'exercice, les
nuits aux remparts et aux avant-postes.
y* Le gaz nous a manqué le premier, et la ville a été plongée
le soir dans l'obscurité ; puis est venue la disette de bois et de
charbon. Il a fallu, dès le mois d'octobre, suppléer à la viande
de boucherie en mangeant des chevaux; à partir du 15 dé-
cembre, nous n'avons pas eu d'autre ressource.
» Pendant six semaines, les Parisiens n'ont mangé, par jour,
que 30 grammes de viande de cheval; depuis le 18 janvier, le
pain, dans lequel le froment n'entre plus que pour un tiers, est
tarifé à 300 grammes par jour; ce qui fait en tout pour un
homme valide 330 grammes de nourriture. La mortalité, qui
CHAPITRE XVII. 141

Voilà ce que fait aujourd'hui le Seigneur pour


convertir Paris. Mieux que la voix de son amour,
la voix de sa justice sera-t-elle écoutée? Rentré
en lui-même, Paris fera-t-il de ses angoisses
l'expiation de ses fautes ! Paris se convertira-t-il?
Par Paris, il faut entendre, non les Parisiens
en général, parmi lesquels, grâces à Dieu, on
était de 1,500, par semaine, a dépassé 5,000, sous l'influence de
la variole persistante et de privations de toutes sortes. Toutes les
fortunes ont été atteintes, toutes les familles ont eu leur deuil.
» Le bombardement a duré un mois et a foudroyé la ville de
Saint-Denis et presque toute la partie de Paris située sur la rive
gauche de la Seine.
» Quand on avait perdu tout espoir de secours et toute chance
de succès, il nous restait du pain assuré pour huit jours et de
la viande de cheval pour quinze jours, en abattant tous les
chevaux.
» Nous avons cessé la résistance , rendu les forts, désarmé
l'enceinte; notre garnison est prisonnière de guerre, nous
payons une contribution de deux cents millions.
» Nous disons hautement que Paris a fait absolument et sans
réserve tout ce qu'une ville assiégée pouvait faire. »
Humainement, soit; chrétiennement, non. Hélas! non : Paris
n'a pas fait tout ce qu'il pouvait, tout ce qu'il devait faire. Au
lieu d'imiter Ninive pénitente, Paris a imité Jérusalem endur-
cie. Vous avez oublié, vous gouvernement de Paris, vous avez
dédaigné, méprisé peut-être le meilleur moyen de défendre la
ville dont la garde vous était confiée. Vous n'avez tenu aucun
compte de cette parole immortelle : Si le Seigneur ne garde la
cité, c'est en vain que veille celui qui la garde : Jtfisi Dominus
custodierit civitatem, frustra vigilat qui custodit eam. Moins reli-
gieux que les païens, vous n'avez , par aucune supplication offi-
cielle, par aucun acte public de repentir, sollicité le secours
d'en haut. Comme la France, séparée de Dieu, Paris a été
vaincu; cela devait être.
\H OÙ EN SOMMES-NOUS •>

compte un bon nombre d'excellents catholiques ;


mais les gouvernants à un titre quelconque,
et tous ceux qui, par leurs doctrines et leurs
exemples, par leur supériorité intellectuelle,
sociale ou financière, dominent Paris et le font
à leur image. Ce Paris-là se convertira-1—il ^
Imitera-t - il l'exemple de Ninive ? Voit-on
quelque signe qui permette de l'espérer? Mal-
heureusement, jusqu'ici on n'en connaît aucun.
Se convertir, c'est-à-dire : reconnaître hum-
blement la main de Dieu qui frappe, et comme
faisaient nos pères, avouer publiquement que
ses coups sont mérités; puis, après avoir de-
mandé pardon, remettre Dieu en haut et l'homme
en bas dans la vie publique, et dans la vie privée,
est une pensée qui n'est peut-être pas encore
venue à l'esprit de Paris, tel qu'il vient d'être
défini ; une pensée dont l'expression incomprise
le ferait probablement sourire de pitié.
Si Paris ne se convertit pas, qu.arrivera-t-il i
Paris succombera, cela est infaillible. La guerre
est un fléau de Dieu. Le fléau est fait pour les
coupables. Le grau i coupable, c'est Paris. Si
Paris impénitent était épargné, le châtiment
manquerait son but. Il n'en peut être ainsi. Ce
qui se passe sous nos yeux en est la preuve an-
ticipée.
Contre toutes les prévisions humaines, qui a
CHAPITRE XVII. 143

conduit, comme par la main, les Prussiens aux


portes de Paris? C'est le Dieu des armées. Dieu
s'appelle le Dieu des armées : ce n'est pas un
vain nom. En effet, c'est Dieu, et Dieu seul qui,
dans sa justice ou dans sa miséricorde, donne
aux uns tout ce qui assure la victoire : l'intelli-
gence, l'habileté, la discipline, le courage, la
persévérance, et répand sur les autres tout ce
_ qui la fait perdre : l'aveuglement, l'impéritie, le
vertige, la présomption, la frayeur. Si donc, par
une conversion sincère, Paris n'obtient pas que
le Dieu des armées combatte pour lui, Paris sera
1
infailliblement vaincu .
Paris vaincu et non converti, quel sera son
sort? Devant cette question, l'esprit le plus ferme
est saisi d'épouvante et hésite à répondre. Toute-
Ibis, puisque la question est posée et qu'elle in-
téresse le monde entier, nous dirons sans dé-
tour, sauf à être traité de rêveur et d'alarmiste ;
Paris sera détruit ou la Révolution devient la
2
reine du monde, et la France est perdue . Quelles
1
Novembre 1870.
2
La destruction de Paris s'entend de deux manières. La des-
truction matérielle et la destruction morale. Si la France doif
être sauvée, l'une ou l'autre est inévitable. La destruction mo-
rale de Paris aura lieu, si Paris cesse d'être le siège du pouvoir
souverain. Par ce seul fait, Paris perd sa désastreuse prépondé-
rance. Il devient une ville comme une autre, qui pourra, si bon
lui semble, se mettre chaque année en révolution, sans y mettre
toute la France.
144 OÙ EN SOMMES-NOUS?

sont les raisons de ce grave pressentiment? En


voici qnelqnes-nnes.
D'abord, Paris n'a pas de brevet d'immorta-
lité. Ensuite, les grandes capitales de l'antiquité
sont mortes de mort violente. La raison en est
qu'étant toutes devenues d'immenses foyers de
corruption, par conséquent un obstacle perma-
nent au règne de Dieu sur la terre, elles avaient
perdu leur raison d'être et mérité la mort. En
quel genre de corruption Paris leur est-il infé-
rieur?
De plus, si, par son opiniâtre résistance à
la voix de Dieu, Paris ne ressemble que trop,
même aujourd'hui, à l'infidèle Jérusalem, est-il
téméraire de conclure qu'il lui ressemblera dans
le châtiment? Jérusalem a péri par la guerre
étrangère et par la guerre civile réunies. A
l'heure qu'il est, Paris n'offre-Ml pas les mêmes
éléments de destruction?
« Nos tristes pressentiments sur l'avenir de
Paris sont cruellement justifiés *. Aujourd'hui,
18 février 1871, nous arrive la liste officielle des
députés que Paris envoie à l'Assemblée consti-
* tuante, dont la mission est de tirer la France de
l'abîme. La voici, avec le nombre des voix obte-
nues par chaque candidat :

1
dette page est ajoutée à la rédaction primitive.
CHAPITRE XVII. 145
Louis Blanc 216,471 Marc Dufraisse. . . . 101,192
Victor Hugo ' 214,169 Greppo 101,001
Garibaldi 200,065 Langlois 95,756
Quinet 199,038 Frébault 95,435
Gambetta 191,211 Clemenceau 95,048
•Rochefort 163,428 Vacherot 94,394
Saisset 154,347 Jean Brune. . . , . . 93,645
belescluze 153,897 Floquet 93,438
Joigneaux 153,314 Cournet 91,648
Schœlcher 149,918 Tolain 89,160
Félix Pyat 141,118 Littré 87,780
X . Martin 139,155 Jules Favre 81,126
Pothuau 138,142 Arnaud (derArriége). 79,710
Lockroy 134,635 Ledru-Rollin 76,732
Gambon 129,573 Léon Say 75,936
Dorian 128,197 Tirard 75,178
Ranc . 126,592 Razoua 74,415
Malon '. . 117,253 Ed. Adam 73,217
Brisson 117,100 Millière 73,145
Thiers 102,954 Peyrat 72,243
Sauvage 102,690 Farcy 69,798
Martin-Bernard. . . 102,188

)) Devant de pareils noms et de pareils chiffres,


l'âme oppressée reste muette.
» Ainsi, pour sauver la France et se sauver
lui-même, Paris, sauf deux ou trois exceptions,
se fait représenter par tout ce qu'il y a sur la terre
de plus rouge et de plus notoirement impie. Et
les plus rouges parmi les rouges, et les plus im-
pies parmi les impies obtiennent ses préférences !
La postérité refusera de croire que la haine en
délire du christianisme et de la société, ait pu
10
146 OÙ EN SOMMES-NOUS?

aller si loin. En répondant par cette audacieuse


déclaration de guerre aux avertissements sé-
vères que la Providence vient de lui donner, non-
seulement Paris se couvre d'une honte éternelle,
non-seulement il devient pour le monde entier
un objet d'horreur et d'épouvante, mais il
comble la mesure et SIGNE SON ARRÊT DE MORT.
» Puissions-nous n'être pas prophète ! »
Toutefois, Paris non converti et non détruit,
qu'arrivera-t-il? A moins d'un miracle, deux
choses sont inévitables. La Révolution devient
reine et la France est perdue.
Paris non converti, le mal va prendre un re-
doutable accroissement de forces. Paris non con-
verti , c'est Paris demeuré impénitent sous les
coups terribles de la justice divine. Paris impé-
nitent, c'est Paris devenu plus coupable. Paris
plus coupable, c'est Paris devenu plus méchant,
plus impie, plus débauché, plus hostile à la reli-
gion; c'est Paris accumulant ses dettes et appe-
lant sur lui, dans un avenir plus ou moins rap-
proché, les suprêmes catastrophes, tombées tant
de fois sur les villes obstinées dans le mal.
Paris non converti, c'est-à-dire Paris restant
ce qu'il est, à plus forte raison Paris devenu plus
coupable, par conséquent plus antichrétien, sera
plus que jamais la métropole de la Révolution.
Paris. métropole de la Révolution, signifie que
CHAPITRE XVII. 147

Paris est la ville du monde baptisé qui, plus que


toute autre, met et enseigne à mettre, par la
parole comme par l'exemple, l'homme en haut
et Dieu en bas. Paris est la grande officine où
se fabriquent, avec plus d'art et plus d'activité
que partout ailleurs, les poisons révolutionnaires.
Poisons intellectuels. Paris est le plus ardent
foyer de l'impiété. Ni Londres, ni Vienne, ni
Berlin, ni Pétersbourg, ni Constantinople, n'ont
entendu proférer des blasphèmes contre Dieu,
contre Jésus-Christ, contre toute autorité divine
et humaine, contre toute croyance religieuse et
sociale, comme ceux qui ont retenti, surtout
dans ces dernières années, dans les clubs de
Paris, et qui ont été propagés, sans opposition,
par les livres et par les journaux.
Poisons moraux. Paris est le grand laboratoire
du sensualisme ; c'est à tel point qu'on l'appelle
la capitale des plaisirs, et quels plaisirs! Paris
est la coupe empoisonnée, où viennent boire tous
les peuples, dont les nombreux représentants,
Anglais, Russes, Américains, Allemands, Espa-
gnols, arrivent chaque année, les mains pleines
d'or, pour se dégrader et reporter en détail, dans
leur pays, la corruption qu'ils sont venus cher-
cher en gros dans la moderne Babylone.
Ce fait honteux est tellement vrai que, pour
se livrer à leurs passions, les corrompus et les
148 OÙ EN SOMMES-NOUS?

corrupteurs de l'ancien et du nouveau monde, ne


vont ni à Londres, ni à Berlin, ni à New-York,
ni à Pétersbourg, mais ils viennent à Paris.
Ajoutons que, depuis vingt ans surtout, Paris a
tout fait pour les attirer. Pour eux, Paris s'est
transformé en vue du sensualisme; pour eux, il
a ouvert d'immenses boulevards, bordés de
splendides palais; pour eux, il a multiplié et
embelli les lieux de plaisirs et bâti des théâtres,
dont un seul coûtera plus de soixante millions.
Ce qui fait de Paris le plus terrible agent de
la Révolution, c'est son influence universelle.
Cette influence sans rivale, Paris l'exerce par sa
langue, par ses journaux, par ses livres, par ses
modes, par son luxe, par ses acteurs et ses ac-
trices, qu'il envoie dans toutes les capitales. Par
tous ces moyens, joints à son esprit mystérieu-
sement sympathique, Paris communique son
esprit non-seulement à la France, à ses villes
et même au dernier de ses villages, mais encore
à l'Europe, à l'Amérique et jusqu'à l'Orient,
qu'il attire dans son orbite et qu'il tend à faire à
son image. De quelle capitale peut-on en dire
autant ?
Or, cette influence, telle que Paris l'exerce, est
une iniquité permanente, et la plus grande
qu'une ville puisse commettre. D'une part, c'est
l'abus sacrilège de la vocation providentielle de
CHAPITRE XVII. 149

Paris et de la France, évidemment destinés, par


leur histoire et par leurs qualités natives, à être
les actifs instruments du bien dans le monde en-
tier. D'autre part, cette influence désastreuse de
Paris est l'obstacle invincible à la conservation,
à plus forte raison, au développement de la reli-
gion en France et ailleurs.
Si on ajoute, que Rome, la métropole de la foi,
_ tombe entre les mains des garibaldiens, man-
que-t-on de logique en concluant que, la mère
garrottée et la fille aînée impuissante ou hostile,
le gouvernement du monde par le christianisme
sera plus entravé que jamais; c'est-à-dire que,
par une conséquence nécessaire, Paris n'étant
pas converti, le règne de la Révolution est assuré?
Paris non converti, la France est perdue. Pa-
ris est une immense sangsue, qui pompe nuit et
jour le plus pur sang de la France.
Paris est dans notre corps social ce qu'est dans
le corps humain le ventre de l'hydropique, de-
venu démesurément gros au détriment de tous
les membres.
Paris est le gouffre dévorant de la corruption.
Chaque automne amène à Paris trois grandes car-
gaisons humaines. La première, celle des riches
libertins de l'Europe et de l'Amérique ; nous en
avons parlé. La seconde, celle des jeunes gens
aristocratiques de toutes les provinces. Au lieu
150 OÙ EN SOMMES-NOUSV

de la science qu'on les envoie chercher, un trop


grand nombre viennent perdre, dans la moderne
Babylone, leur foi, leurs mœurs, leur santé, leur
avenir. La troisième, celle d'une foule de per-
sonnes de l'un et de l'autre sexe, qui, pour obte-
nir des emplois et des places, viennent s'avilir
et se corrompre.
Paris est l'antre homicide de la centralisation.
Là, dans les rouages des administrations supé-
rieures, viennent se broyer et s'annihiler toule^
les forces vives de la nation. Paris règne et gou-
verne. Devant Paris, la France est une marion-
nette, qui se repose, qui saute ou qui tombe, sui-
vant qu'il plaît à Paris de rester calme ou de se
mettre en révolution. Quand Paris a le rhume,
toute la France éternue.
Paris est l'étouffement de tout esprit public,
de tout esprit d'initiative, de toute liberté dans
les provinces et de toute dignité dans la nation.
Il n'en peut être autrement. Tout peuple puis-
samment centralisé, comme la France d'aujour-
d'hui, est un peuple de fonctionnaires. Un peuple
de fonctionnaires, qu'on nous permette de le
dire, est un peuple d'automates ou de valets. Un
peuple de valets est un peuple sans indépen-
dance, qui ne connait d'autre règle que les
volontés du maître et pour mobile que l'intérêt.
Un peuple qui en est là est un peuple déchu.
CHAPITRE XVII. 151

Or, à moins d'un miracle, un peuple déchu est


un peuple fini. Tel est le terme fatal auquel Paris
a travaillé, et auquel, restant ce qu'il est, il tra-
vaillera, avec un succès désespérant, à conduire
la France.
La guerre actuelle montre douloureusement
les conséquences de cette centralisation pari-
sienne ou païenne, car c'est tout un. Façonnée à
_vivre, non plus de sa vie propre et personnelle,
mais de la vie de Paris, la France, au jour du
danger, s'est trouvée comme un corps sans tète,
sans esprit public, sans esprit provincial, sans
énergie et sans direction pour sa défense. Les
yeux fixés sur Paris, elle se regarde d'avance
comme vaincue, si Paris est vaincu.
Autre était le raisonnement de l'Espagne de
1808, parce que tout autre était son esprit. Non
étiolée par la centralisation, l'Espagne se lève
comme un seul homme pour défendre sa foi, ses
' libertés, son indépendance, qu'elle aime plus
qu'elle-même, parce qu'elle les connaît et qu'elle
en est en pleine possession.
L'usurpateur s'empare de Madrid ; mais Ma-
drid n'est pas l'Espagne. Il place un roi à Ma-
drid : il sera roi de Madrid, mais non de l'Es-
pagne. Il inonde l'Espagne de ses soldats ; mais
ses soldats ne possèdent momentanément que la
partie du sol qu'ils foulent de leurs pieds. De-
m OÙ EN SOMMES-NOUS?
vaut les nuées de guérillas partout organisées,
l'occupation devient impossible, et Napoléon est
obligé d'abandonner cette terre héroïque, après
y avoir laissé quatre cent mille cadavres de ses
meilleurs soldats.
Comparez la France de 1870 avec l'Espagne
de 1808, et vous aurez la différence qui sépare
un peuple centralisé, d'un peuple qui ne l'es!
pas.
Il est donc vrai ; Paris conservé et non con-
verti, la France est perdue.

CHAPITRE XVIII.
OÙ E N EST L'EUROPE?

Sophistiquée comme la France, l'Europe moderne est réservée


aux mêmes ehâtiments. — Elle redevient païenne. — Essence
de l'ancien paganisme. — Ses cinq manifestations fondamen-
tales. — L'émancipation de la raison. — L'émancipation de la
chair. — Le césarisme. — La civilisation matérielle. — La
haine du christianisme. — L^Europe actuelle offre les mêmes
symptômes et marche vers le même abîme qui engloutit le
monde païen.

L'Europe n'est pas moins sophistiquée que la


France. Du nord au midi, les sophistes en tout
genre y sèment depuis longtemps, librement et
à pleines mains, l'ivraie de leurs doctrines. Or,
le siècle des sophistes est toujours suivi du siècle
des barbares. Donc, à moins d'un miracle, que
CHAPITRE XVIII. 153

rien ne fait pressentir, la loi inexorable qui au-


jourd'hui s'exécute si durement sur la France,
s'exécutera infailliblement sur l'Europe entière.
Il ne faut pas être puissant philosophe pour com-
prendre qu'après les semailles vient la récolte,
et que la récolte est toujours de la même nature
que la semence.
La semence jetée abondamment au sein de
l'Europe est plus que le schisme, plus que l'hé-
résie : c'est la négation universelle. La négation
universelle, c'est le paganisme même dans ses
principes constitutifs. Je regarde donc la guerre
actuelle comme le commencement de la fin de
la vieille Europe. Finis venit, venit finis \
La vieille Europe ou l'Europe vieillie, c'est
l'Europe moderne. Redevenue païenne, elle finira
comme a fini le monde païen.
Par l'Europe redevenue païenne, j'entends les
nations actuelles, comme nations, personnifiées
dans leurs gouvernements, dans leurs lois, dans
leur civilisation, dans leurs tendances générales
et dans l'immense majorité de leurs habitants.
Or, je dis que l'Europe ainsi caractérisée, est re-
devenue païenne.
Quelle était l'essence de l'ancien paganisme?
quelles en étaient les manifestations fondamen-
tales?
1
Ezech., vu, 6. — Ecrit le 16 août 1870.
Vôi OÙ EN SOMMES-NOUS?

L'essence de l'ancien paganisme était le di-


vorce de l'homme avec Dieu. Son point de départ
est an paradis terrestre. C'est nn fait, écrit en
tète de la théologie de tons les peuples, que les
pères de la race humaine, dupes et victimes de
Satan, brisèrent, sous prétexte de devenir libres,
éclairés, indépendants comme des dieux, les
liens de subordination qui les rattachaient au
Créateur.
Leur orgueilleuse prétention n'était qu'un
rêve criminel/ Libre de se choisir un maître,
l'homme n'est pas libre de n'en point avoir. Tout
maître suppose une supériorité dans celui qu'on
reconnaît pour tel. Révolté contre Dieu, l'homme
devint forcément l'esclave de l'ange tentateur,
dont les qualités natives rélèvent si fort au-
dessus de la nature humaine. Substitué au Dieu
véritable, le nouveau dieu s'empara des droits
du premier'et se fit rendre les hommages qui lui
étaient dus. Toutefois l'adoration extérieure du
démon n'était que la forme du paganisme, dont
l'essence consistait, comme il a été dit, dans le
divorce de l'homme avec Dieu.
De ce divorce héréditaire, voici quelles furent,
dans l'ancien paganisme, les manifestations fon-
damentales : elles sont au nombre de cinq.
1° Dans l'ordre intellectuel, c'était l'émanci-
pation de la raison de toute autorité divine en
CHAPITRE XVIII. 155

matière de dogmes religieux; par conséquent,


l'incroyance et la négation universelle. Cicéron
lui-même avoue qu'on ne pouvait rien affirmer
comme certain ; que le vraisemblable est la der-
nière limite à laquelle pouvaient atteindre les
efforts de la raison. De cet axiome désolant, il
fait la base même de sa philosophie. Dans la pra-
tique, cet axiome était la confusion de toutes les
religions dans un commun mépris et l'adoration
de tous les dieux dans le même panthéon.
2° Dans l'ordre moral. C'était l'émancipation
de la volonté de toute autorité divine en matière
de moeurs. En d'autres termes, c'était l'émanci-
pation de la chair, avec toutes ses convoitises,
émancipation exprimée par la formule célèbre :
Dtias tanium res anxius optât : panem et cir-
censes, du pain et des plaisirs.
3° Dans l'ordre social. C'était l'émancipation
de toute autorité divine en matière de gouverne-
ment, ce qui veut dire le despotisme, exprimé par
une autre formule non moins célèbre, qu'on lit
sur les monnaies impériales, depuis César jus-
qu'à Constantin : Imperator et summus pontifex :
Empereur et souverain pontife. En d'autres ter-
mes : concentration de tous les pouvoirs tempo-
rels et spirituels dans la main d'un homme ap-
pelé César, et régnant sans contrôle au ciel ni sur
la terre. Ses principaux instruments de règne
m OÙ EN SOMMES-NOUS?

étaient la centralisation, les armées perma-


nentes et les grandes capitales, ou même une
seule grande capitale.
i° Dans Tordre matériel. C'était l'émancipa-
tion de la loi divine du progrès, c'est-à-dire une
civilisation matérielle poussée aux dernières li-
mites , avec ses arts, sa poésie, sa statuaire, sa.
peinture, sa musique,.son architecture et son
industrie, mise au service de toutes les conçu-
piscences, de manière à assurer le despotisme de
la chair sur l'esprit.
5° De cette quadruple émancipation était for-
cément résulté la haine du christianisme. Venu
pour rétablir l'ordre primitif, qui subordonnait
l'homme à Dieu, et la chair à l'esprit, il con-
damnait hautement ce quadruple divorce. À
peine connu, son dessein mit en fureur ce monde
qui s'était fait dieu et qui voulait l'être. Comme
une lave brûlante, la haine sous toutes les formes
déborda de tous les cœurs corrompus et se ré-
1
pandit à flots contre le christianisme .
Haine des rois et des philosophes ; haine des
lettrés et du vulgaire ignorant ; haine des dogmes
du christianisme et de ses préceptes ; haine de ses
ministres et de ses disciples ; haine manifestée
par le mépris, par la dérision, par la calomnie.
1
Uluminans tu a niontibus aîternis, turbati biint omnes insi-
pientes corde. Ps. LXXW
CHAPITRE XVIII. 157

par l'injure, par la violence, par la spoliation, par


la persécution à outrance.
Qu'on reprenne maintenant, les uns jiprès les
autres, ces principes constitutifs de l'ancien pa-
ganisme avec leurs manifestations, et qu'on dise
quel est celui ou celle qui manque à l'Europe ac-
tuelle? Pour être païenne-, comme l'était Rome,
il' y a deux mille ans, lui faut-il autre chose que
la forme plastique ?
En matière de croyances et de mœurs, le na-
turalisme, tel que nous l'avons défini, n'est-il pas
la loi générale de l'Europe? Entre elle et Dieu,
n'y a-t-il pas séparation et rupture ? Quand il
n'est pas nié, le surnaturel, avec ses lumières et
ses lois, ses promesses et ses menaces, pèse-t-il
plus sur elle qu'une plume dans le bassin d'une
balance ?
Dans l'ordre social. La moitié des rois de
l'Europe, Césars au petit pied, ne se sont-ils pas
faits papes ? L'autre moitié ne travaillent-ils pas
à le devenir? Pour régner sans contrôle, n'ont-
ils pas les trois instrumente du despotisme an-
tique : la centralisation, les armées permanentes
et les grandes capitales, en attendant que, grâce
à l'absorption successive des petites nationalités,
mise à l'ordre du jour, le monde n'en ait plus
qu'une ?
Les siècles chrétiens ont-ils vu une civilisation
158 OÙ EN SOMMES-NOUS?

matérielle comme la nôtre, avancée comme la


nôtre, corrompue et corruptrice comme la nôtre i
Mère, fille et nourrice de toutes les convoitises,
ne met-elle pas à leur service sa littérature, ses
arts, son industrie et toutes ses découvertes \
La haine du catholicisme dans sa doctrine,
dans son Chef, dans ses ministres, dans ses dis-
ciples et dans ses institutions, peut-elle être
beaucoup plus grande ou beaucoup plus géné-
rale ? Jetez un regard sur l'Europe. La Russie est
schismatique et persécutrice à la manière de
Néron. La Prusse, le Danemarck, la Suède, la
Norwége, tous les pays du Nord sont protestants.
L'Angleterre, protestante et matérialiste; l'Au-
triche, joséphiste et voltairienne ; l'Espagne et
le Portugal, révolutionnaires et maçonniques;
l'Italie, fanatiquement impie. La France elle-
même, la fille aînée de l'Eglise, incrédule et
sensuelle, écrivant l'athéisme dans ses lois, aban-
donnant honteusement sa mère aux mains sacri-
lèges des spoliateurs, comme Pilate, le Christ
lui-même, à la cruauté de ses bourreaux.
Cette haine n W pas toujours latente ni tou-
jours écrite sur le papier. Toutes les fois qu'elle
en trouve l'occasion, elle se manifeste, comme
aux jours des anciens païens, par la calomnie,
par le pillage, par la profanation, par la violence
et même par le meurtre.
CHAPITRE XVIII. 159

Devant ce tableau recueillons-nous et prêtons


l'oreille. Des quatre vents arrive une voix, écbo
fidèle de tout ce qui se dit, s'écrit et se fait par la
vieille Europe , et cette voix crie : Nous ne vou-
lons plus du christianisme, son joug nous pèse :
nous sommes assez forts pour nous passer de lui.
Nous saurons être heureux sans lui, loin de
lui, malgré lui : Nolumus hmc regnare super
nos.
A moins de fermer obstinément les yeux à la
lumière et faire violence à la conscience, il faut
donc reconnaître en tremblant que l'Europe d'au-
jourd'hui professe hautement, officiellement et
dans de larges proportions, tous les principes
constitutifs de l'ancien paganisme. De là cette
conclusion : devenue semblable au monde païen,
l'Europe marche comme lui dans une voie qui
aboutit à l'abîme.
Si Dieu n'intervient d'une manière directe et
souveraine, cet abîme sera plus profond que celui
qui engloutit le monde des Césars. Entre nous et
les païens d'autrefois, il y a deux différences es-
sentielles.
Les païens d'autrefois n'avaient pas, comme
nous, abusé des bienfaits du christianisme et
foulé aux pieds le sang du Calvaire.
Les païens d'autrefois marchaient vers le Ré-
dempteur, et nous lui tournons le dos. Ils avaient
160 OU EN SOMMES-NOUS?

connaissance d'une rédemption future, car le


Messie est appelé le Désiré de toutes les nations,
Desideratus cuncttsgentïbus; et nous, nous n'a-
vons plus aucune promesse. Après le christia-
nisme, le monde n'a rien à attendre.
Quel sera l'abîme vers lequel marche à grands
pas la vieille Europe : nous essaierons de le dire
dans le chapitre suivant.

CHAPITRE XIX.
OÙ EN E S T L'EUROPE?

La vieille Europe marche à sa fin. — Trois oracles à consulter :


la philosophie de l'histoire ; elle montre que les mêmes péchés
attirent les mêmes châtiments. — Les faits contemporains :
destruction de l'équilibre européen. — Prépondérance des
er
peuples du Nord. — Les pressentiments du génie : Pierre I ,
Rousseau, M. de Ronald, Napoléon, M. Rohrbacher, Donoso
Gortès. — Instinct des Tartares.

Quel est l'abîme vers lequel marche à grands


pas la vieille Europe? Pour répondre, il faut con-
sulter la divine philosophie de l'histoire, les faits
contemporains et les pressentiments du génie.
Or, ces trois oracles disent, comme Donoso
Cortès : L'Europe marche à la barbarie.
La divine philosophie de l'histoire. En créant
une nation, Dieu lui dit, comme à chaque
homme venant en ce monde : Tu es créée et mise
CHAPITRE XIX. 161

au monde pour connaître, aimer et servir Dieu;


c'est la loi de ton être, le but de ton existence,
la garantie de ta durée. Tant que tu seras fidèle
à ces conditions de vitalité, tu vivras et tu seras
prospère : Justifia élevât gentem. Si tu viens à
les violer publiquement, obstinément, tu te sui-
cides toi-même; tu perds ta raison d'être, tu
périras : Gens et regnum quod non servierit tibi
yeribit.
Pour un peuple, pour un monde, périr c'est
devenir un vil bétail, ne connaissant plus la
vie que par les sensations, animalis homo, en
attendant que, mis en lambeaux par ses propres
mains ou par les mains des barbares, il dispa-
raisse de la face de la terre. Ainsi ont péri, ainsi
périront successivement toutes les nations qui,
violant les lois fondamentales de leur existence,
ont osé se mettre en révolte permanente contre
l'Agneau dominateur du monde.
Nous l'avons vu : depuis longtemps la vieille
Europe, insurgée contre Dieu, foule aux pieds
les lois de sa vitalité et professe les principes de
mort de l'ancien paganisme. Or, les mêmes causes
produisant les mêmes effets, les mêmes iniquités
appelant les mêmes châtiments ; il est logique de
prévoir que l'Europe, redevenue païenne, périra
comme le monde païen.
Quand l'empire romain, qui était le monde
11
m OÙ EN SOMMES-NOUS ?
d'autrefois, n'eut plus ni foi, ni mœurs; quand
la haine du christianisme fut devenue son senti-
ment dominant, il avait prononcé lui-même sa
sentence de mort. Dieu la ratifia et en confia
l'exécution aux barbares. Dans ce qu'on vil
alors, comme dans ce que nous voyons aujour-
d'hui, tout fut marqué au coin éclatant du sur-
naturel. En vue d'un but qu'il s'était proposé.
Dieu donna à ces hordes indisciplinées, la con-
science de leur mission vengeresse et tout ce qui
pouvait en assurer le succès.
Le plus redoutable de leurs chefs, Attila, s'ap-
pelait le fléau de Dieu et la terreur du monde :
flagellum Dei et terror orbis. En vain l'empire
romain s'est entouré, comme d'une muraille vi-
vante, de colonies militaires; en vain ses trois
puissantes flottes de Fréjus, de Misène et de
Ravenne le protègent du côté de la mer ; en vain
ses légions, accoutumées à la victoire, sillonnent
toutes les parties de l'empire : devant l'ouragan
sorti de l'aquilon, tout est sans force, tout fuit,
tout est renversé. Les villes, Rome elle-même,
sont prises d'assaut, pillées et brûlées; les cam-
pagnes ravagées et dépeuplées, et le colosse ro-
main n'est plus qu'un cadavre, dont les vain-
queurs se partagent les lambeaux.
S'il tient compte de l'analogie immuable des
lois divines , qui peut répondre que la vieille
CHAPITRE XIX. 163

Europe n'est pas condamnée à périr, aujourd'hui


ou demain, par une nouvelle inondation de bar-
bares, dont les Prussiens ne seraient que Pavant-
garde? Comme Attila, leur roi ne se proclame-t-
il pas le justicier de Dieu? Ses succès ne sont-ils
pas au-dessus de toutes les prévisions humaines?
Par les atrocités qui la déshonorent, la guerre
qu'il fait à la France n'est-elle pas une guerre
^de vrais barbares? Le but qu'il se propose n'est-
ce pas l'extermination de la race latine, l'anéan-
tissement du Midi au profit du Nord.
Toutefois, si la Prusse est l'avant-garde, elle
n'est que Y avant-garde. Peuple baptisé, aujour-
d'hui rationaliste, corrompu et mordu par le
socialisme, la Prusse n'est pas un peuple neuf.
Si l'invasion providentielle d'aujourd'hui ren-
ferme, comme celle d'autrefois, un mystère de
mort et un mystère de vie, seul ou infusé dans
les veines de l'Occident catholique, le sang prus-
sien n'est pas assez pur pour donner naissance à
un monde nouveau.
Pour les mêmes raisons, le gros de l'armée ne
sera pas la Russie toute seule, mais la Russie
traînant à sa suite les innombrables tribus de
Mantchoux, de Cosaques et de Tartares, dont
• elle achève aujourd'hui providentiellement la
conquête. Ainsi, des mêmes lieux d'où partirent
les ravageurs de l'ancien monde païen, sortiront
J6i OÙ EX SOMMES-NOUS?

les ravageurs de l'Europe redevenue païenne.


Aujourd'hui comme autrefois, le Dieu des armées
marchera à leur tète. Rien ne pourra leur ré-
sister; et, malgré tous ses moyens de défense,
la civilisation corrompue et corruptrice de la
vieille Europe disparaîtra sous leurs coups.
Les faits contemporains. Envisagée au point
de vue purement politique, tel qu'il se présente
aujourd'hui, on peut affirmer que la vieille Eu-
rope est finie. Elle reposait tout entière sur ce
qu'on appelait Y équilibre européen. Cet équilibre
consistait dans une sorte d'égalité de pouvoir et
de territoire entre les différentes puissances. Ni
trop, ni trop peu : tel en était le principe. Empê-
cher une puissance de devenir, par son agran-
dissement, une menace pour les autres : tel en
était le but. Nous n'avons pas à juger cette com-
binaison purement artificielle ; nous disons seu-
lement que, parla guerre actuelle, cet équilibre
est rompu.
Quand d'une machine compliquée de rouages,
vous retirez une roue essentielle, la machine es(
détraquée, elle ne fonctionne plus. Dans le
système de l'équilibre européen, la France était
une pièce capitale. Elle était le boulevard de la
race latine contre les races germaniques et slaves.
En raisonnant dans la supposition la plus favo-
rable, et d'après l'intention avouée de la Prusse.
CHAPITRE XIX. 165

le résultat probable de la guerre actuelle sera


d'amoindrir la France, et de la faire descendre
au rang de puissance de second, peut-être de
troisième ordre.
Si on admet, ce qui est certain, que ni l'Es-
pagne, ni l'Italie, ni l'Autriche ne peuvent com-
bler le vide que la France va laisser après elle,
il faut admettre également qu'il n'y aura plus
sur le continent européen que deux puissances
prépondérantes, la Prusse et la Russie. A elles
seules, elles feront la loi aux autres, quand elles
voudront et dans les conditions qu'elles voudront.
Cette prépondérance irrésistible des puissances
du Nord sur les nations méridionales est d'autant
plus assurée, qu'un instinct secret a toujours uni,
et unit encore, malgré les apparences contraires,
la Prusse et la Russie. Le trait-d'union qui les
rapproche, c'est la haine du catholicisme. Le
schisme russe est cousin du luthéranisme prus-
sien. En outre, l'une et l'autre sont plus ou moins
filles de Voltaire.
Aux raisonnements s'ajoutent les faits. Nées
presque en même temps, comme deux sœurs ,
ensemble elles ont grandi avec une imprévoyable
rapidité. Ensemble elles ont pillé à droite et à
gauche, et dépecé la Pologne, dont elles se sont
adjugé les morceaux. Ensemble elles ont com-
battu le premier empire. Aujourd'hui même.
166 OÙ EN SOMMES-NOUS?

pourquoi la Russie laisse-t-elle, sans mot dire,


défaire par la Prusse l'équilibre de l'Europe ?
C'est évidemment qu'elle y trouve son intérêt.
Quel est-il? tout le monde le devine. C'est la.
pensée toujours nourrie, la pensée mère de la po-
litique moscovite, à savoir : qu'à son tour la
Prusse lui laissera libre le chemin de Constanti-
nople. Qui sait même, si, comme nous le croyons,
l'immobilité du czar en présence des désastres
de Sadowa, de Metz et de Sedan, ainsi que des
annexions de la Prusse, n'est pas, entre Guil-
laume et Alexandre, l'effet d'un réel compromis,
dont les résultats seront bientôt l'étonnement du
monde et le châtiment de l'égoïste Angleterre \

i Ecrits au mois de novembre \ 870, ces pressentiments sont


aujourd'hui à peu près officiellement confirmés. Voici ce qu'on
lit dans le journal anglais le Moming-Post, du 9 mars 1871 ;
« Nous tenons d'une source à laquelle nous pouvons ajouter foi,
qu'au début même de la guerre entre la France et la Prusse,
les relations entre le gouvernement de Saint-Pétersbourg et de
Berlin ont pris la forme définitive d'un traité secret, composé
de trois articles.
» Le premier avait trait à l'intervention armée de la Russie,
en cas de succès des armées françaises, menaçant la tranquillité
de la Pologne.
» Le second portait que, le cas échéant où l'Autriche ferai I
quelque démonstration militaire d'une nature alarmante pour la
Prusse, des démonstrations de même nature seraient immédia-
tement faites par la Russie, qui enverrait un corps d'armée sur
la frontière autrichienne, dans le but de paralyser ou de dominer
l'action militaire de l'Autriche.
» Le troisième stipulait que, dans le cas où quelque puissance
CHAPITRE XIX. 167

Les pressentiments du génie. D'une manière


ou d'une autre, dit le comte de Maistre, tous les
grands événements ont été prédits. Placés plus
haut que le vulgaire, les hommes de génie voient
plus loin. Si peu fondées qu'elles paraissent quel-
quefois, au premier coup d'œil, leurs prévisions,
les déductions même de leur puissante logique,
doivent être prises en sérieuse considération. Le
plus grand nombre, d'âge et de nationalité dif-
férents, sont-ils d'accord sur un point? Leur
opinion devient sinon une certitude absolue, du
moins une grande probabilité. Or, nous ne con-
naissons pas d'événement futur annoncé avec
plus d'unanimité , depuis cent ans , par les
hommes de génie des différents pays, que l'en-
vahissement de l'Europe méridionale par les
peuples du Nord.
er
Vers 1732, Pierre I , fondateur de l'empire de
Russie, qui n'était alors qu'un point, à peine
perceptible, sur la carte d'Europe, écrivait dans
son fameux testament :
« Le grand Dieu de qui nous tenons notre exis-
tence et notre couronne, nous ayant éclairé de ses
lumières et soutenu de son appui, me permet
de regarder le peuple russe comme appelé, dans

européenne se joindrait à la France en qualité d'alliée active, la


Russie, à son tour, en qualité d'alliée déclarée de la Prusse, dé-
clarerait la guerre à la France. »
m OÙ EN SOMMES-NOUS?
l'avenir, à la domination générale de l'Europe.
» Je fonde cette pensée sur ce que les nations
européennes sont arrivées, pour la plupart, à
un état de vieillesse voisin de la caducité, ou
qu'elles y marchent à grands pas. Il s'ensuit donc
qu'elles doivent être facilement et indubitable-
ment conquises par un peuple jeune et neuf,
quand ce dernier aura atteint toute sa force et
toute sa croissance.
» Je regarde l'invasion des pays de l'Occident
et de l'Orient par le Nord, comme un mouve-
ment périodique, arrêté dans les desseins de la
Providence, qui a ainsi régénéré le peuple ro-
main par l'invasion des barbares.
)> J'ai trouvé la Russie rivière, je la laisse
fleuve; mes successeurs en feront une grande
mer, destinée à fertiliser l'Europe appauvrie; et
ces flots déborderont malgré toutes les digues que
des mains affaiblies pourront leur opposer, si mes
descendants savent en diriger le cours. Approcher
le plus possible de Constantinople et des Indes :
celui qui y régnera sera le souverain du monde
Sur deux points essentiels la prédiction est au-
4
Aujourd'hui M. de Bismark juge l'Europe méridionale,
comme Pierre 1« la jugeait il y a cent-cinquante ans. « Voyez-
vous, la race latine est usée. Elle a accompli de grandes choses,
mais aujourd'hui ses destinées sont finies, et elle est destinée à
s'amoindrir peu à p e u , jusqu'à disparition totale, en tant que
collectivité. La race germanique est ferme, vigoureuse et
CHAPITRE XIX. 160

jourd'hui accomplie : la Russie est une grande


mer ; et elle n'est pas loin de Constantinople. De
plus, l'expérience d'un siècle et demi apprend au
inonde étonné avec quelle invariable ponctualité
er
les successeurs de Pierre I ont suivi les pres-
criptions de leur aïeul. Grâce à cette fidélité, la
Russie est aujourd'hui une grande mer, dont les
flots, toujours grossissants, débordent en même
temps sur l'Europe et sur l'Asie.
En Europe : dans la Russie blanche, en Gal-
licie et ailleurs, où les Russes ont obtenu par l'or
et par la ruse la défection instantanée de quatre
millions de catholiques , ce qui veut dire la con-
quête de quatre millions de sujets, et ce qui esl
beaucoup plus menaçant, l'anéantissement de la
Pologne, unique boulevard de l'Europe méridio-
nale.
En Orient : conquêtes incessantes dans le nord
de l'Asie, à tel point que, depuis la guerre de
Crimée, leur empire a gagné cinquante pour
cent, par l'annexion de la Gircassie et de la plus
grande partie de la Mantchourie ; en sorte qu'au-
jourd'hui il s'étend jusqu'aux extrêmes fron-
tières de la Chine, presque jusqu'aux portes de

aussi pleine de vertu et d'initiative que vous le fûtes autrefois.


C'est aux peuples du Nord qu'appartient l'avenir, et ils ne font
que débuter dans le rôle glorieux qu'ils sont destinés à remplir
pour le bien de l'humanité. » B) or hure citée plus haut.
170 OÙ EN SOMMES-NOUS?

Pékin, et qu'en trois jours les vapeurs russfv


arrivent au Japon, Conquêtes et influence pré-
pondérante dans les provinces danubiennes, si
bien que nulle puissance ne peut désormais em-
pêcher la Russie de franchir, quand elle voudra,
les quelques étapes qui la séparent de Constan-
tinople.
Enfin, par ses dernières conquêtes dans le
Boukan, et par son influence en Perse, en Grèce
et même en Palestine, l'autocrate domine toute
l'Asie centrale, depuis la mer Caspienne jusqu'à
Plndus, et tient entre ses mains les clefs de l'In-
doustan.
Cet accroissement du colosse du Nord, double-
ment mystérieux par sa rapidité et par son im-
mensité, joint à l'incertitude de savoir ce que les
nations méridionales, divisées et affaiblies, peu-
vent lui opposer, inspirent depuis longtemps de
sérieuses inquiétudes aux hommes préoccupés de
l'avenir. Que serait-ce s'ils vivaient aujourd'hui i
Vers le commencement du siècle, M. de Ro-
nald écrivait : « Il est à désirer que la Pologne,
au travers de laquelle les nations du Nord pour-
raient s'ouvrir un passage, acquière, avec une
constitution fixe, toute la force de résistance dont
1
elle est susceptible . Rousseau, dont il faut sou-
1
Aujourd'hui le chemin est ouvert. La Pologne n'existe plus.
Les aveugles nations méridionales l'ont laissée anéantir.
CHAPITRE XIX. 171

vent saisir les aperçus, et rarement les principes,


pronostique que les Tartares deviendront nos
maîtres. Cette révolution, dit-il, me par ait in fail-
lible. Tous Us cois de ïEurope travaillent de
concert à l'accélérer.
« Quoique ce danger ne soit peut-être pas aussi
prochain que cet auteur paraît le penser, qui
oserait, après ce que nous avons vu, fixer les pro-
grès de cinq à six cent mille Tartares, conduits
par un Attila ou un Tamerlan..., et qui pour-
raient compter parmi nous sur deux alliés fidèles,
1
nos divisions et nos jalousies . »
Quelques années plus tard, Napoléon pronon-
çait le mot devenu vulgaire : « Dans cinquante
*ans, l'Europe sera république ou cosaque. »
Il en a prononcé d'autres moins connus, et que
nous allons rapporter. Dans tous, perce la crainte
que lui inspirait, pour l'avenir de l'Europe occi-
dentale, l'agrandissement démesuré des puis-
sances du Nord et surtout de la Russie.
Voici, entre autres, ce qu'en 1817 il disait, à
Sainte-Hélène, au docteur O'Méara : « D'ici à
quelques années, la Russie s'emparera de Cons-
tantinople , de la plus grande partie de la Tur-
quie et de toute la Grèce. Je regarde cela comme
aussi certain que si la chose était déjà faite.
Presque toutes les cajoleries d'Alexandre à mon
1
Théorie du pouvoir, liv. VII. p. a i 8 .
m OÙ EN SOMMES-NOUS?
égard avaient pour but de me faire consentir à
l'exécution de ce projet. Je m'y opposai, pré-
voyant que l'équilibre de l'Europe serait détruit.
)> D'après le cours naturel des choses, la Tur-
quie tombera au pouvoir de la Russie. Une
grande partie de sa population est composée de
Grecs, et l'on peut dire que les Grecs sont Russes.
)> Les puissances à qui cet agrandissement
peut nuire, et qui pourraient s'y opposer, sont ;
l'Angleterre, la France, la Prusse et l'Autriche.
» Quant à l'Autriche, il sera très-facile à la
Russie d'obtenir &on alliance, en lui donnant la
Servie et d'autres provinces limitrophes des
Etats autrichiens, qui s'étendent jusque près de
Constantinople.
» Si jamais l'Angleterre s'allie de bonne foi
avec la France, ce sera pour empêcher l'exécu-
tion de ce projet. Mais cette alliance même ne
suffirait pas. La France, l'Angleterre et la Prusse
réunies ne sauraient s'y opposer. La Russie et
l'Autriche pourront l'effectuer en tout temps.
» Une fois maîtresse de Constantinople. la
Russie a tout le commerce de la Méditerranée,
devient une grande puissance maritime ; et Dieu
1
sait ce qui en résultera . Elle vous cherche que-
1
Effrayée comme Xopolénn des agrandissement J<- la R I B S Î * ' .
Frédéric le Grand disait : « Si les Russes sont à Constantinople,
on les verra huit jours après à Kcenigsberg. »
CHAPITRE XIX. 173

relie, fait marcher sur l'Inde une armée de


soixante-dix mille bons soldats, ce qui n'est rien
pour la Russie, y joint cent mille canailles de
Cosaques et autres barbares, et l'Angleterre perd
l'Inde. De toutes les puissances,, la Russie est la
plus redoutable, surtout pour vous Anglais. Ses
soldats sont plus braves que les Autrichiens, et
elle peut en lever autant qu'il lui plaît. En bra-
voure, les soldats français et anglais sont les seuls
qu'on puisse leur comparer. Tout cela je l'avais
prévu : Je vois dans Vavenir plus loin que vous.
» Aussi je voulais opposer une barrière à ces
barbares, en rétablissant le royaume de Pologne
et en mettant sur le trône Poniatowski, mais vos
imbéciles de ministres ne voulurent jamais y
consentir.
» Dans cent ans on m'encensera, et l'Europe,
surtout l'Angleterre, regrettera que mon projet
n'ait pas réussi. Quand on verra l'Europe en-
vahie devenir la proie des barbares du Nord, on
1
dira : Napoléon avait raison . »
A mesure que le danger se manifeste, les in-
quiétudes du génie deviennent plus vives et plus
générales. « Une crainte surtout nous préoccupe,
écrivait, il v a trente ans, notre grand historien
de l'Eglise : c'est que dans quarante ou cinquante
1
Mêm. du docteur O'Mêara, tome II, page 75. Edition in-12,
1822.
[74 OÙ EN SOMMES-NOUS?

ans, la France ne devienne une province russe,


gouvernée par quelque chef de Cosaques. Comme
on le voit par leurs vies et leurs écrits, c'était la
grande préoccupation de Napoléon, du cardinal
Gonsalvi, du comte d'Hauterive, trois hommes
vraiment politiques. Les penseurs de l'Alle-
magne protestante craignent la même chose pour
leur pays. Ils n'y voient de remède que dans
l'unité nationale et religieuse de l'Allemagne.
Mais comment y parvenir ? Le protestantisme est
le principe même de la division et de l'anarchie.
» Il n'y a qu'un moyen; c'est de revenir à
l'ancienne unité de l'Eglise catholique. » Tel est
le but d'un ouvrage bien remarquable, publié
l'année dernière par un savant protestant, Her-
1
rnan Kauber .
« Tous ces hommes sentent comme nous, qu'il
n'y a dans le fond, qu'il n'y aura bientôt, même
extérieurement, que deux partis en France, en
Europe et dans le monde entier : le parti mosco-
vite et le parti catholique. Ils sentent comme
nous que la lutte actuelle en France, n'est qu'un
petit prélude de la lutte universelle et finale
entre l'Eglise de Dieu et tout ce qui n'est pas
2
elle . »

' Dissolution du protestantisme en lui-même et par lui-mèm».


Sckafïbuse, 1843.
1
Rohi-liMi'IuM', llist. utdc. dv /'/•>///>, etc.
CHAPITRE XTX. 175

L'agrandissement démesuré de la Russie, le


double fanatisme de ce peuple, religieux et po-
litique, son apparition mystérieuse au moment
de la dissolution morale des sociétés de l'Occi-
dent, était la préoccupation constante de Donoso
Cortès. Dans ses entretiens particuliers comme
dans ses écrits, ce génie si clairvoyant y reve-
nait sans cesse. Du côté de l'aquilon, disait-il,
est le danger de l'Europe *.
« La question d'Orient est l'énigme redoutable,
du mot de laquelle dépendent les destinées fu-
tures du genre humain, et qui effraye l'imagi-
nation et l'entendement.
» Les générations présentes contemplent un
grand spectacle : elles assistent à l'agonie pro-
longée d'un monde qui, dès le principe des
choses, a été le berceau de tous les peuples, la
source de toutes les religions, de toutes les
sciences, et qui, aujourd'hui, ombre de lui-même,
ne se tient debout que parce qu'il appuie sa lan-
guissante décrépitude sur les épaules d'un autre
monde.
Si l'Orient existe encore, c'est, que l'Occi-
dent le soutient. Mais il n'y a pas de civilisation
assez puissante, pour fortifier de son contact une
1
Nous regrettons de ne pouvoir citer ici toutes ses paroles;
on les trouvera, avec d'autres témoignages, dans notre ouvrage
intitulé : Catholicisme ou Barbarie, publié à l'occasion de la guerre
de Crimée,
176 OÙ EN SOMMES-NOVS»

civilisation en décadence, ni d'appui assez solide


pour soutenir les empires qui croulent. Le vieil
Orient expire, laissant un immense héritage el
un vide immense...
» La question d'Orient date de cinquante ans,
espace de temps où commence et se consomme,
on peut le dire, la décadence précoce de l'empire
des Osmanlis, et où commence et se consomme
l'agrandissement prodigieux des Russes. Jamais
les hommes n'ont vu en aussi peu d'années les
puissants descendre si bas et les faibles s'élever
à une si étonnante hauteur.
» Ce qui s'appelle aujourd'hui l'empire russe
était encore, au dix-septième siècle, le grand-
duché de Moscovie. Lorsque Pierre le Grand
parvint au trône, il n'avait que seize millions de
sujets, toujours exposés, avant cette époque, aux
incursions et môme à la domination des peuples
qui bordaient ses frontières. L'Europe connais-
sait de nom seulement ce peuple barbare, relégué
dans les neiges du pôle.
» Cependant la Révolution de 1789 vient trou-
bler le monde et agiter sur leur sol toutes h>
nations. L'Angleterre, prenant à sa solde l'Eu-
rope contre la France, prodigue principalement
ses trésors à la Russie, et la conduit par la main
en Allemagne, en Italie, à Paris. En 1812, la
Russie étant en guerre avec la Turquie, l'Angle-
CHAPITRE XIX. 177

terre, pour la débarrasser et la rendre libre de


tourner son armée du Danube contre la France,
force les Dardanelles, oblige le sultan à signer
la paix de Bucbarest, et à céder à la Russie la
Bessarabie et la Moldavie, jusqu'au Pruth. Déjà,
à une époque antérieure, lorsque les Français
firent irruption en Egypte, l'Angleterre, ambi-
tionnant l'alliance des Russes, les avait mis en
possession de Gorfou et des îles Ioniennes.
» De tout cela il résulte que l'Angleterre, par
un dessein secret de la Providence, a donné
elle-même des forces au géant qui menace au-
jourd'hui son empire. C'est elle qui lui a ouvert
les portes de l'Orient et de l'Occident, qui l'a
mené en triomphe à travers l'Allemagne, la
France et l'Italie; qui, pour exciter sa cupidité,
lui a montré du doigt la cité la plus belle, le lac
le plus beau de la terre, la Méditerranée et ses
trésors, Constantinople et son soleil.
» En même temps que la Russie étend son
influence politique dans les alliances et dans les
transactions de l'Europe, elle agrandit son terri-
toire et augmente sa population d'une manière si
démesurée, que ce qui était hier un obscur du-
ché, est aujourd'hui le plus vaste empire du
monde. »
Là est le point noir de l'horizon.
Aux prévisions du génie sur le nouvel enva-
J7S OÙ EN SOMMES-NOUS

hissement de l'Europe par les peuples du Nord,


se joint, chose étonnante ! chez les tribus tartares,
le pressentiment d'une mission qui leur est ré-
servée sur TOccident. Nos missionnaires, qui les
ont récemment visités, rapportent que, le soir
sous la tente, les descendants de Tamerlan et de
Gengis-Kan chantent leur chanson de guerre et
attendent, frémissant d'impatience, le jour, cer-
tain pour eux, où ils renouvelleront en Europe
les exploits de leurs ancêtres. Leur témoignage
veut être cité. '
« Le grand Lama jouit peut-être de la puis-
sance la plus absolue qui soit dans le monde.
Tous ces peuples .innombrables qui viennent lui
rendre hommage, se regardent comme ses su-
jets, et croiraient commettre le plus grand des
crimes s'ils résistaient a sa volonté. Il n'aurait
qu'à commander, et à l'instant toute la Tartarie,
ébranlée dans ses profondeurs, depuis la mer du
Japon jusqu'aux montagnes du Turkestan, se
soulèverait à sa voix. Ces hordes nomades, pous-
sant devant elles leurs troupeaux, emmenant à
leur suite leurs femmes et leurs enfants, n'au-
raient qu'un cri, qu'un élan pour se ruer
comme des bêtes fauves vers le but assigné à
leurs dévastations. Ce fut peut-être ainsi que
s'accomplirent, sous l'inspiration de lamas in-
connus , ces inondations de barbares par les-
CHAPITRE XIX. 179

quelles l'Europe fut ravagée à diverses époques.


» Depuis "bien des années, ces peuples parais-
sent dormir en paix : aucun bruit de guerre ne
les agite. Cependant, quand on entre dans leurs
confidences, on voit qu'ils nourrissent leurs loi-
sirs de belliqueux projets d'envahissement et de
domination. Ils se repaissent de certaines tradi-
tions qui leur promettent de fabuleuses con-
quêtes. Petits et grands, tous sont dans cette
croyance et en font le sujet favori de leurs entre-
tiens. C'est comme un bruit vague, un bourdon-
nement sourd et prolongé, qui se transmet de
tente en tente, et retentit continuellement comme
un immense et lointain orage. A les en croire, le
moment fixé pour une levée en masse ne paraît
d
pas éloigné . »
Un célèbre voyageur allemand, après avoir
parcouru les vastes contrées soumises au czar ou
limitrophes de son empire , confirme en ces
termes les paroles et les inquiétudes de nos mis-
sionnaires : « Au fond de la Sibérie, des centaines
de hordes belliqueuses, à demi-muselées par des
mains habiles, s'accoutument chaque jour à
comprendre et à suivre les ordres retentissants
partis des bords de la Néva. Elles sont inscrites,
ces hordes, sur les registres de l'armée, comme
des recrues bonnes au service. De tous côtés, on
* Annales de la Propagation de la foi, n° 116, p. 26.
180 OÙ EN SOMMES-NOUS?

travaille, depuis dix ans, à dresser des cavaliers


et.à former des escadrons. Patience! Tous ces
exercices dans les plaines d'où venaient les Mon-
gols, c'est peut-être pour donner à l'Occident le
spectacle d'une magnifique parade, et faire défi-
ler devant-l'Europe deux ou trois cent mille de
ces bêtes fauves...
» Nous autres, Slaves, nous devons un sérieux
avis à nos frères d'Occident. L'Occident oublie
trop les contrées septentrionales de l'Europe et
de l'Asie, ce berceau des peuples nés pour le car-
nage et pour la destruction. Qu'on ne croie pas
que ces peuples aient disparu de la terre. Ils sont
là comme une nuée chargée d'orages, n attendant
qu'un signe du ciel pou/r se ruer sur l'Europe.
Non, ne croyez pas que l'esprit d'Attila, de Gen-
gis-Kan, de Tamerlan, de tous ces terribles
fléaux du genre hmain, soit mort dans ces con-
trées. Ces contrées, ces hommes, et l'esprit qui
les poussait, tout cela existe encore. Tout existe
pour tenir en éveil la civilisation chrétienne,
pour l'avertir qu'il n'est pas encore temps de
changer le fer des épées en socs de charrue et les
{
casernes en hospices , »
Ce qui nous semble donner une triste confir-
mation à ces prévisions et à ces pressentiments,
c'est un double fait que nul ne peut révoquer en
1
Wagner, Voyage en Russie, 1848.
CHAPITRE XIX. 181

doute : la culpabilité des nations occidentales,


l'impossibilité pour n'importe laquelle de ces na-
tions, prise isolément, de résister à la Russie traî-
nant à sa suite tout un monde de Tartares. Une
alliance des nations méridionales serait seule
capable d'opposer une digue sérieuse au torrent.
C'est ainsi qu'au moyen âge la coalition des na-
tions chrétiennes put refouler la barbarie mu-
sulmane.
Une pareille alliance ne peut avoir qu'un lien
matériel ou un lien religieux. Le lien religieux,
la foi commune, où le trouverez-vous ? Reste le
lien matériel. Fondé sur l'intérêt, rien n'est plus
fragile qu'un pareil lien, parce que rien n'est plus
changeant et plus facile à dissoudre. Il n'est pas
nécessaire d'en aller chercher la preuve dans
l'antiquité : elle est écrite à chaque page de
l'histoire moderne.
De quelque côté qu'on l'envisage, la vieille
Europe , l'Europe redevenue païenne, est donc
menacée d'une dissolution prochaine. Avec le
mystère de mort, se trouvera-t-il dans cette
dissolution un mystère de vie? L'avenir nous
l'apprendra.
18-2 OÙ EN SOMMES-NOUS?

CHAPITRE XX.
OÙ E N EST L'EUROPE?

Elle est menacée non-seulement par les barbares du Nord, mais


aussi par la Révolution. — Nature de la Révolution. — Son
origine. — Son but : destruction complète du christianisme. —
Ses moyens. — Paroles des révolutionnaires. — Paroles d u
concile de Vienne. — Aveux des révolutionnaires.

Nous l'avons dit : deux sortes de barbarie me-


nacent l'Europe actuelle : la barbarie sauvage
et la barbarie savante ; la Russie et la Révolu-
tion. La Russie, avec ses nuées de Tartares ; 1a
Révolution, avec ses bandes de démocrates. Nous
connaissons la première, reste à étudier la se-
conde. Qu'est-ce que la Révolution? quelle est
son origine? quel est son but? quels sont ses
moyens? quelle est actuellement sa puissance?
peut-elle être vaincue? le sera-t-elle?
Qu'est-ce que la Révolution? Révolution veut
dire renversement. Dans la langue de l'Europe
moderne, la Révolution proprement dite signifie
le renversement universel. Autant qu'en est ca-
pable la baine de l'homme, doublée de la haine
de Satan, la Révolution est la destruction du
monde surnaturel, par la négation de Dieu, de
Jésus-Christ, de l'Eglise, de l'âme, de son im-
mortalité, du ciel et de l'enfer.
CHAPITRE XX. 183

C'est par conséquent le renversement, de fond


en comble, de l'ordre religieux et social établi
par le christianisme. C'est l'emprisonnement du
Pape, là persécution des prêtres et des'catho-
liques, la destruction des églises, avec les incen-
dies, les pillages, les violences, conséquences
nécessaires de ce renversement. La Révolution,
c'est la suppression et le mépris de toutes les ga-
ranties qui protègent la liberté, la propriété,
l'ordre public et la famille. La Révolution, en un
mot, c'est Dieu en bas, et l'homme en haut.
L'homme en-haut, se faisant Dieu, et ne con-
naissant, pour penser et pour agir, d'autres lois
que ses convoitises : c'est, ni plus ni moins, le
monde renversé.
Malgré sa vieille formule : liberté, égalité, fra-
ternité, triple mensonge dont elle se sert pour
faire des dupes et des victimes, telle est, d'après
ses propres paroles et surtout d'après ses actes,
la définition que donne d'elle-même la Révolu-
tion, en France, en Espagne, en Italie, partout
1
où elle se produit .
Quelle est son origine? Afin de ne pas remon-
ter jusqu'au paradis terrestre, l'histoire dit que
la Révolution date du jour ou les nations de
l'Europe, comme nations, tournèrent le dos au
1
Maîtresse de Paris en 1871, la Révolution a justifié et au delà
cette définition, écrite en 1870.
184 OÙ EN SOMMES-NOUS?

Rédempteur. Pas plus que les individus, les


nations ne sont indépendantes. Libres de se
choisir un maître, elles ne sont pas libres de
n'en avoir aucun. Jésus - Christ ou Bélial,
Christocratie ou Démonocratie : il n'y a pas de
milieu.
Au cœur des nations, comme au cœur des in-
dividus, la place ne reste jamais vide. Si Dieu
s'en va par la porte, Satan entre par la fenêtre.
Cette alternative est toute l'histoire de l'huma-
nité. Enfant de Dieu, son créateur, son père et,
son législateur, l'homme primitif, et en lui tout
le genre humain, brisa le joug de l'autorité légi-
time et se vendit au démon, qui devint son lé-
gislateur, son tyran et son dieu. Dans ce hon-
teux et cruel esclavage, il vécut plus de deux
mille ans.
Dieu eut pitié de son ouvrage. Dans la plé-
nitude des temps, son Fils en personne des-
cendit sur la terre, brisa les chaînes de l'esclave,
chassa le tyran, et devint le législateur du
monde régénéré. Pendant de longs siècles, l'Eu-
rope, malgré les défauts inhérents à la nature
humaine, vécut heureuse, et atteignit la supé-
riorité intellectuelle et morale, qui fait sa gloire.
Vint une époque de triste mémoire, où l'Eu-
rope fascinée se prit à regretter son antique es-
clavage : comme Israël, délivré de la servitude,
CHAPITRE XX. m
regretta l'Egypte et ses oignons. A cette époque,
que nous avons tant de fois signalée, on vit les
légistes souffler la révolte au cœur des gouver-
nements. Peu à peu le droit césarien ou païen,
car c'est tout un, remplace le droit coutumier, le *
vrai droit chrétien. De progrès en progrès, on
arrive, sous prétexte d'émancipation, de liberté
et de civilisation, aux législations sécularisées,
c'est-à-dire vides, autant qu'il est possible, de
l'élément chrétien.
Qu'avait-on obtenu? En se débarrassant du
souverain légitime, on était retombé sous le
joug du tyran. La Révolution était faite : de nou-
veau, Dieu était mis en bas et l'homme en haut.
Telle est, en peu de mots, la généalogie de la
Révolution qui menace aujourd'hui l'Europe.
Ainsi, oscillations successives entre les deux
pôles opposés, le christianisme et le satanisme :
voilà, il faut le redire, toute l'histoire de l'hu-
manité.
Quel est le but de la Révolution? Nous l'avons
indiqué, c'est le renversement total de Tordre
religieux et social chrétien dans le monde
entier, et l'établissement d'un ordre de choses,
fondé sur la volonté de l'homme, esclave et dupe
de Satan : c'est, purement el simplement, le re-
tour au paganisme.
Envisageant avec effroi ce but infernal, qui,
m OÙ EN SOMMES-NOUS?
s'il était atteint, serait une nouvelle chute de
l'humanité, les évoques d'Allemagne réunis au
concile de Vienne, il y a vingt un ans, faisaient
entendre ces solennelles paroles : « Des joui>
désastreux ont fait irruption dans le monde, el
les destinées de l'avenir se présentent plus que
jamais sombres et effrayantes. On dirait un nou-
veau calice de la colère de Dieu vidé sur la terre.
» Quelque part qu'il se tourne, l'œil n'aperçoii
que des scènes de désastres et de dévastations.
Le soleil de la vérité et de l'intelligence s'esi
éteint pour un grand nombre d'hommes, et les
esprits de ténèbres, dans l'horrible obscurité qu'ils
vantent comme étant la lumière, exercent sur
les fils de l'incrédulité une puissance plus grande
qu'à aucune autre époque.
» Le mystère d'iniquité, qui n'a point de cesse
depuis le commencement, est plus actif aujour-
d'hui que jamais. Le mot de ralliement des es-
prits séditieux et des prophètes de mensonge
d'aujourd'hui, n'est plus le simple oubli de Dieu,
causé par l'ivresse des sens, mais une haine de
Dieu méditée et raisonnée, une guerre ouverte,
un combat à outrance contre lui et contre son
Christ. Tandis que les démons croient en Dieu
et tremblent devant lui, parce que, malgré leur
rage, ils ne peuvent se soustraire à sa domination,
dont aucun lieu n'est exempt, ces séducteurs
CHAPITRE XX. 187

enchérissent sur la perversité des démons, et re-


présentent la croyance en Dieu, comme l'obstacle
qui s'oppose violemment à la félicité terrestre.
» Ecoutez leur dernier manifeste, publié par
les journaux : « La religion, qu'il faut bannir de
la société, doit disparaître de l'esprit de tous les
hommes. Par une conséquence nécessaire, la
Révolution détruit la religion, qu'elle rend inu-
tile, puisque, par la liberté et la félicité de tous
sur la terra, elle rend superflue l'espérance du
ciel. C'est pourquoi nous ne prenons part aux
luttes religieuses qu'autant que, sous le nom de
liberté religieuse, on entend Vaffranchissement
de toute croyance religieuse. Nous ne voulons pas
de la liberté de la foi, mais de la nécessité de
rincrédulité. »
Qu'auraient dit les vénérables évêques, s'ils
avaient connu les récents manifestes de la Ré-
volution ? Du moins en la caractérisant comme
ils ont fait, ils ne l'ont pas calomniée. Il n'est
que trop vrai : dans les aspirations de ses adeptes,
la Révolution, qui menace l'Europe entière, est
bien le renversement de toute religion et de toute
société.
Quant à la religion, voici leur programme :
« Le catholicisme est le parti du passé. Le catho-
licisme s'oppose à l'avènement de toute idée, de
toute doctrine, de toute institution marquée au
T
188 OT EN SOMMES-NOUS ?

coin du progrès ; tous les libéraux le savent. I] y


a pour les hommes de progrès, quelque divisés
qu'ils puissent être, un ennemi commun, le ca-
tholicisme. C'est lui qu'il s'agit de vaincre; c>sl
pour Vanéantir qu'il faut s'unir. Hommes du
progrès, comprenez-le bien : C'est sur lés ruines
du catholicisme que vous devez édifier l'avenir de
l'humanité De l'union, de l'union ! Combinez vos
efforts, afin d'écraser cet ennemi de toute lu-
mière : le Catholicisme \
» Tant que vous n'aurez pas déraciné l'intime
servitude, celle que le catholicisme a gravée de-
puis plus de mille ans dans l'âme des nations
modernes, la servitude morale; tant que Vesprit
n'aura pas chanté sa Marseillaise, il ne servira
2
de rien d'affranchir les hommes . »
« La discussion est close avec le catholicisme...
Ses dogmes vieillis ne sont plus que le cadavre
d'une religion; et si la société, par un effort quel-
conque, ne s'en délie pas, elle devient elle-même
3
cadavre .
<( Aussi nous crions aux chrétiens abrutis qui
élèvent des églises à la Déesse immaculée : Dieu,
tel que notre époque peut le comprendre, n'es!
pas votre Dieu... Faut-il le dire? Il n'est pas une
idée du christianisme que nous n'attaquions en
1 2
Congrès libéral, juillet 1857. — Méline et Cans, Question
3
relig., p. 1. — Quinet, Lettre à Eugène Suc, 5 décembre 18ofi.
CHAPITRE XX. 189

véritables négateurs, en négateurs obstinés; et


'nous nous en faisons gloire\ »
« Il faut que le christianisme tombe. Le despo-
tisme religieux ne peut être extirpé sans que Von
sorte de la légalité. Aveugle, il appelle contre lui
la force aveugle. Point de trêve avec l'injuste :
je nen accepte aucime. Il faut étouffer le catholi-
2
cisme dans la boue . »
Avant de continuer, il est bon d'en faire la re-
marque : ces vociférations infernales, qui reten-
tissent dans tous les pays où la Révolution a des
organes, le monde ne les a entendues que deux
fois. La première, sous les Césars, alors que le
paganisme, tremblant de perdre l'empire, arihait
ses bourreaux, allumait ses bûchers, déchaînait
ses bêtes féroces, et criait de toutes parts : Les
chrétiens au lion ; Christianos ad leonem ! La
seconde fois, aujourd'hui, alors que le paganisme,
rappelé du tombeau par la Renaissance, fait un
suprême effort pour ressaisir son sceptre brisé par
le catholicisme.
Quels moyens d'extirper le catholicisme et de
délier l'humanité d'une religion cadavre, dont le
contact menace de la rendre cadavre ? Il y en a
deux, la force et la désertion. « Celui, dit la Ré-
volution, qui entreprend de déraciner une su-
1
National belge, 21 novembre 1856. .
* Uuinet, Préface aux œuvres de Maniiv.
190 OÙ EN SOMMES-NOUSV

perstition caduque, s'il possède l'autorité, doil


avant tout rendre l'exercice de cette superstition
1
absolument et matériellement impossible . » En
attendant que la force soit aux mains de la Révo-
lution, que faut-il faire? Abandonner en masse
le catholicisme. « Sortez de la vieille Eglise,
vous, vos femmes, vos enfants ; sortez par toutes
2
les portes ouvertes. Sortez . »
Comment les peuples sortiront-ils du catholi-
cisme? Par l'abandon de tous les devoirs qu'il im-
pose. « Il faut, pour commencer, que des hommes
éclairés, fermement convaincus des maux af-
freux causés par la religion catholique et des
périls incessants dont elle menace l'humanité,
prennent l'engagement à toujours de se borner,
eux et leur famille, à l'observation de la loi ci-
vile, en ce qui touche la naissance, le mariage,
le décès, conséquemment à repousser tous les
7
sacrements religieux '. »
Ces prédications, dignes de Satan en personne,
ont trouvé de l'écho. Elles ont abouti à l'établis-
sement d'une association qui prend pourpoint de
départ Venterrement en dehors de toute cérémonie
catholique, afin d'arriver à la suppression suc-
cessive de toutes les pratiques catholiques \ Cette
H
Quinet, Préface aux Œuvres de Marnix. — * îd. et Quest.
3
rel. } p . 29. — Id., p. 70. — * Statuts de l'Association des Sali-
datres.
CHAPITRE XX. 191

association, dont le siège principal est à Bruxelles,


a ses statuts, ses finances, ses moyens de propa-
gande, et compte déjà ses adeptes par milliers.
Ils pullullent non-seulement en Belgique et en
Hollande, mais en France. Il y a quelques a n -
nées, Paris en renfermait déjà environ vingt-
sept mille.
Un jour on y a vu trois cents jeunes filles, vê-
tues de blanc et portant des bouquets à la main,
accompagner au cimetière Montmartre une de
leurs maîtresses, morte en solidaire. Vint ensuite
le discours du mari, félicitant sa femme du cou-
rageux exemple qu'elle avait donné. Combien de
scandales du même genre, non-seulement à Pa-
ris, mais à Lyon, à Tours et ailleurs, ont effrayé
le monde depuis quelques années !
Pour savoir jusqu'où va la rage satanique de
ces hommes, inconnus dans l'histoire, il faut citer
les deux faits suivants. Le premier est un billet
d'enterrement, tombé entre nos mains cette an-
née même, et ainsi conçu : « Vous êtes prié d'as-
iIe
sister à l'enterrement de M N..., morte à l'âge
de quatorze ans, vierge de tous les préjugés reli-
gieux. » Pauvre enfant ! victime des solidaires!
Le second, plus odieux encore, a heu au mo-
ment même où ces lignes sont écrites. La posté-
rité refusera de croire que dans Paris, accablé
sous les coups de la justice de Dieu, il s'est trouvé
m OÙ EN SOMMES-NOUS?
des êtres assez cruels pour défendre de donner
aux soldats blessés et mourants les consolations
de la religion ! Pourtant il en est ainsi. Non con-
tents de casser à coups de canne les crucifix
placés dans les classes, de défendre de parler de
catéchisme aux enfants et de les conduire à
l'église, en un mot, non contents de bannir la
religion des écoles, les révolutionnaires lui refu-
sent l'entrée des ambulances. Leur premier soin ;

en alignant les lits de fer, a été de déclarer qu'ils


n'en laisseraient approcher ni frères, ni sœurs,
1
ni prêtres .
Au sein de l'Europe, après dix-huit siècles de
christianisme, une association publiquement or-
ganisée, non par des Tartares ou des Chinois, mais
par des hommes baptisés, pour la destruction du
christianisme; et cela au vu et au su des gouver-
nements, qui n'y trouvent rien à reprendre; et
cela, sans plus de façon que s'il s'agissait d'une
société, pour l'exploitation d'un chemin de fer ou
d'une mine de houille : tel est, dans l'ordre reli-
gieux, le dernier mot de la Révolution.
Non moins radicale est la négation dans l'ordre
social. Nous allons le voir dans le chapitre sui-
vant.
i Voir l'Univers, 19 novembre 1870.
CHAPITRE XXI. 193

. CHAPITRE XXI.
OÙ E N EST L'EUROPE?

Destruction complète de Tordre social, autre but de la R é v o l u -


tion. — Paroles et actes des révolutionnaires. — Sentence de
mort contre le roi de Naples. — Destruction de la propriété
et de la famille. — Paroles des révolutionnaires. — Si leurs
projets sont à craindre.

Plus de rois, plus de propriétaires, plus de ma-


riages, partant plus de familles. Tel est, dans
Tordre social, le dernier mot de la Révolution, le
cri des sociétés secrètes, le refrain de ses jour-
naux, le but avoué de toute cette armée de bar-
1
bares qui s'appelle la Sociale . Pour elle, le régi-
cide est le premier et le plus saint des devoirs,
témoin, entre mille, la sentence de mort portée
contre le roi de Naples, Dans l'intérêt des en-
dormeurs et des endormis, il est bon de rappeler
cette sentence prononcée par le comité mazzinien
d'Italie, et qui, imprimée à des milliers d'exem-
plaires, fut répandue dans tout le royaume. Voici
le texte de ce document :
« Considérant que l'homicide politique n'est
pas un délit, et moins encore lorsqu'il s'agit de
se défaire d'un ennemi, qui a dans ses mains des
1
Aujourd'hui Y Internationale.
191 OÙ EN SOMMES-NOUS?

moyens puissants, et qui peut en quelque sorte


rendre impossible l'émancipation d'un peuple
grand et généreux ;
» Considérant que Ferdinand de Naples est,
l'ennemi le plus acharné de l'indépendance ita-
lienne et de la liberté de son peuple ;
» Est approuvée la résolution suivante, qui
sera publiée par tous les moyens possibles dans
le royaume de Naples :
» Une récompense de 100.000 ducats est pro-
mise à celui ou à ceux qui délivreront l'Italie
dudit tyran. Et comme il n'y a dans la caisse du
comité que 69,000 ducats disponibles pour cel
objet, les 35,000 autres seront fournis par sous-
1
cription . «
Non-seulement la Révolution soudoie les régi-
cides, mais elle les glorifie, «. II est temps, disait-
elle quelques jours après l'attentat de Milano.
que les hommes comme Brutus, au nom du même
principe, accomplissent la même mission inexo-
rable, fatale. Déjà Pianori et Agésilas Milano ont
commencé la chaîne de ces héros, qui, dégageant
la Révolution des chaînes du doctrinarisme, la
poussent sur Tunique voie qui soit logique et qui
puisse la conduire au salut. Ils sont tombés.
mais leur glorieuse entreprise sera mise au

1
Voir entre autres YAn/uud'i, j novembre 1 Sot».
CHAPITRE XXI. 195

nombre des plus belles actions de l'histoire con-


1
temporaine . »
Ce n'est pas assez de glorifier de bouche les
assassins des rois : elle frappe des médailles en
leur honneur; elle inonde de leurs portraits les
villes et les campagnes ; elle fait des pensions à
leur famille ; elle les appelle martyrs et rédemp-
teurs ; elle fait des pèlerinages à leurs tombeaux
et les honore comme des êtres surhumains.
Pour arriver à la destruction des rois, il faut
passer par la destruction des prêtres. Elle dit :
« La France, comme Danton, s'est un jour ven-
due, . cédant au sordide attrait des appétits ma-
tériels. Comme l'honnête femme, longtemps
irréprochable, elle s'est un jour indignement
prostituée. Mais la France saura glorieusement
réparer son passé.
De même que le malade quia enfin conscience
de son mal, elle demandera aux topiques les plus
violents Vextirpation radicale du virus catïw-
lique, cette maladie chronique qui nous mine,
nous ronge, nous énerve, nous hébète et nous
mate. C'est elle qui, par l'accoutumance prise dès
le bas âge de croire et de se soumettre aveuglé-
ment, sans examen, à l'autorité des dogmes les
plus stupides et les plus atroces, nous prédispose
-à nous soumettre à toute autorité politique, si
1
Italia del popolo, novembre I85fi.
m OÙ EN SOMMES-NOUS?
infâme qu'elle soit, si monstrueuse que soit son
i
origine .
En conséquence, un autre fils de la Révolution
s'écrie : a II ne nous manque plus qu'une vo-
lupté ; c'est de pendre de nos mains le dernier
prêtre au cou du dernier riche... La Jérusalem
sanglante du prolétariat s'avance comme l'ange
réparateur. Puisse-t-elle, moi vivant, écraser
tous ceux qui veulent dominer l'humanité, et
qui se croient du génie, de la naissance, de la
fortune et de l'autorité! Nous nivelons, nous ni-
velons; et un jour la société vieillie, bâtarde,
décrépite, se trouvera toute honteuse d'être con-
damnée à mourir, par ceux dont elle a méprisé
2
les noms : quel beau jour ! »
S'ils étaient seulement écrits sur le papier, ces
vœux sauvages pourraient n'être qu'un vain
épouvantail, et cette rage de destruction demeu-
rer longtemps impuissante. La' Révolution le
comprend. Gomme elle a formé deux associations,
l'une pour la destruction de toute religion et
l'autre de toute autorité sur la terre, elle en a
formé une troisième pour la destruction de la
propriété. En voici quelques statuts, avec l'ex-
posé des motifs, rédigés par Struve, le chef de
la Révolution badoise.
e r
' Eugène S u e , lettre au National de Bruxelles, 1 mars 1851.
8
Kohlmayer à Justus de Lausanne.
CHAPITRE XXI. 197

« Il y a six fléaux de l'humanité : les rois, les


nobles, les fonctionnaires, les aristocrates d'ar-
gent, les prêtres et les armées permanentes. Ces
six fléaux coûtent quatorze milliards. En se dé-
barrassant de ces six fléaux, les peuples garde-
ront en poche ces quatorze milliards. Pour cela,
il faut que Y extermination s'étende du Tage à
VOcéan, de l'Océan à la mer Moire, et qu'elle
soit assez complète pour anéantir non-seulement
ces fléaux eux-mêmes, mais jusqu'aux éléments
dont ils se composent. »
Suivent les statuts de l'Association démocra-
tique. Voici le second article :
« Article 2. — Le sol de l'Europe est parfaite-
ment libre et sera soumis à un nouveau partage,
de telle sorte que les biens de l'Etat, des com-
munes, de l'Eglise et des corporations religieuses,
ainsi que tous les biens appartenant aux princes,
et aussi tout ce qu'un citoyen posséderait au delà
de deux cents ares de terre, seront distribués
1
aux citoyens qui ne possèdent rien . »
Nous savons maintenant, par ses organes les
plus avancés, ce que la Révolution compte faire
de la religion, de l'autorité et de la propriété :
reste à connaître ses idées sur la famille. « Ne
dis pas, écrit à son ami un des pontifes de la Ré-
volution, que le vol et la communauté des
f
Alliance des peuples, I8o0.
198 OÙ EN SOMMES-NOUS?

femmes sont choses licites. Tu effarouches un


sentiment que les riches et les sots appellent la
pudeur. C'est connu entre nous; il n'est pas be-
soin de le proclamer si haut. Ce qu'il faut prêcher,
c'est le besoin de la vengeance contre l'ordre
social, qui a si longtemps tenu nos tètes écrasées
sous son pied de vipère.
» Pour monter ta lyre au diapason convenable,
il te faudrait des flots de sang. Un jour nous en
ferons couler plus qu'il n'y a de-gouttes d'eau
dans ce lac (de Genève). Pourquoi se faire du vol
une ressource légale, quand nous annonçons
qu'il n'y aura plus ni tien ni mien? Pourquoi
parler de la communauté des femmes, quand la
-promiscuité est un devoir? Laisse donc aux
pauvres d'esprit ces moyens vulgaires. Nos
affaires avancent horriblement ici et ailleurs. Je
te le dis en joie : le vieux monde est au plus bas.
Il craque, et c'est nous qui naissons à la nouvelle
1
vie de Jérusalem . »
Ainsi, haine à mort et table rase de tout ordre
religieux et social que l'homme n'a pas fait ou
dont il est mécontent : voilà, de son propre aveu,
le dernier mot de la Révolution.
Mais, dit-on, ces projets sauvages sont les
rêves de cervaux malades. Ils sont irréalisables.
Nous répondons : il est périlleux de s'endormir
1
Stepp à Weitling, Evangile du pauvre pécheur.
CHAPITRE XXI. m
sur un pareil raisonnement. L'expérience le
prouve. En 1789, les endormeurs se moquaient
de ceux qui disaient : Voltaire et ses adeptes pu-
blient les doctrines les plus subversives, et vous
n'en êtes point émus. Prenez garde : celui qui
sème du vent moissonnera des tempêtes. L'avis
ne fut pas écouté ; et la semence, arrivée à ma-
turité, produisit l'effroyable catastrophe de 93.
Ce qui s'est vu peut se revoir \
Qu'on ne s'y trompe pas : les séides de la Ré-
volution, dont les projets vous paraissent à peine
dignes d'attention, ne sont pas, comme vous
dites , des cerveaux malades ; ils sont d'in-
flexibles logiciens. En quatre pas, la négation
de Dieu, qui est leur point de départ, les con-
duit à la négation de tout. Mais quand leurs
projets ne seraient que des rêves, nous dirions
encore : craignez, et craignez sérieusement, des
rêves qui, caressant tous les instincts corrom-
pus de l'humanité, ont pour auxiliaires assurés
toutes les passions avides et brutales qui fer-
mentent au cœur de la bourgeoisie païenne,
comme au cœur des multitudes abruties.
Pour ne pas troubler votre quiétude, auriez-
vous oublié les vociférations sanguinaires des
derniers clubs parisiens, et les applaudissements
J
Nous ne pensions pas que la Commune nous rendrait sitôt
prophète.
206 OIT EN" SOMMES-NOUS?

frénétiques avec lesquels étaient accueillies les


motions les plus échevelées? Auriez-vous oublié
que la jeunesse lettrée fait chorus avec la foule ;
qu'elle envoie ses représentants aux congrès
athées de Belgique; que l'école de médecine de
Paris a refusé obstinément tout professeur qui
ne commencerait pas par une profession de ma-
térialisme, et que l'école normale a complimenté
Sainte-Beuve pour avoir, en plein sénat, nié h
divinité de Jésus-Christ?
Des matérialistes et des athées, voilà ceux
qui doivent un jour soigner les corps et former
les âmes! Autant vaudrait confier la garde d'une
poudrière à une bande de fous. Si vous en avez
le courage, rassurez-vous maintenant sur l'ave-
nir, et tenez pour chimérique le triomphe pos-
sible de la Révolution.
Môme en admettant que l'homme est moins
mauvais que ses principes, il reste toujours que
l'Europe actuelle est menacée, non-seulement
par les barbares du dehors, mais encore par les
barbares du dedans. Ces derniers sont même plus
à craindre que les autres. D'une part, ils peu-
vent compter, au jour de leur triomphe, sur d'in-
nombrables auxiliaires, jusque dans les cam-
pagnes. D'autre part, ils marchent résolument,
et ils ne s'en cachent pas, à la destruction radi-
cale de tout ce qui existe.
CHAPITRE XXII. 201

CHAPITRE XXII.
OÙ EN EST L'EUROPE ?

Moyens de la Révolution. — La presse. — Les cabarets, — Les


théâtres.—Les sociétés secrètes. —L'éducation. — T é m o i -
gnage d'Orsini. — Les écoles professionnelles. — La haine
de Rome.

Quels sont les moyens de la Révolution ? Pour


atteindre son but, la Révolution dispose de tous
les moyens de corruption, et ces moyens sont im-
menses. Qu'il suffise d'en nommer quelques-uns.
La presse. Chaque soir sortent des différentes
capitales de l'Europe de nombreux wagons char-
gés de journaux, de brochures, de pièces de
théâtres, de gravures, de chansons, de romans^
où la dérision et le mensonge, l'impiété et l'im-
moralité se donnent la main. Le lendemain, ces
cargaisons de mauvais écrits tombent sur les
villes et sur les campagnes, comme les saute-
relles ravageuses sur les plaines de l'Afrique,
Recueilli avec avidité, le poison est aussitôt
bu. A la longue, il produit sur le civilisé d'Eu-
rope, le même effet que l'eau de feu sur le sau-
vage d'Amérique et le rend fou. Fou d'esprit, il
perd avec la foi le respect de toute autorité reli-
202 OÙ EN SOMMES-XOTTS?

gieuse, sociale el paternelle : il devient ingou-


vernable. Fou de cœur, au lieu de se faire en
haut, les mouvements de sa volonté se font en
bas. Avide de jouissance et esclave de ses pas-
sions, il devient corrompu et corrupteur; il est
révolutionnaire en puissance, jusqu'au jour où il
le sera en acte.
Les cabarets. Les cabarels, les cafés muets el
les cafés chantants sont les églises de la Révolu-
tion. Là, on officie pour le compte des plus mau-
vaises passions. Là, on prêche et on entend
prêcher contre la religion, contre la société,
contre les mœurs, contre les riches, contre les
liens de famille et contre l'ordre établi, dont les
exigences sont traitées d'injustes et de tyran-
niques.
On y sacrifie son temps, son honneur, sa
santé. On y boit les sueurs, les larmes, le sang des
êtres les plus chers ; la femme et les enfants. On
en rapporte, pour l'âge mûr, la misère; et, pour
la vieillesse, un billet d'hôpital. En attendant, le
mécontentement et la jalousie fermentent au
fond du cœur. N'ayant rien à perdre, l'homme
du cabaret, loin de craindre les bouleversements
sociaux, les voit arriver avec joie, comme des
chances de fortune. D'avance, il est gagné à la
Révolution.
Les théâtres. Les théâtres sont d'autres églises
CHAPITRE XXII. 203

de la Révolution. Depuis deux siècles, quel spec-


tacle présentent, aux yeux de la raison et de la
foi, les nuits de l'Europe, dans toutes les villes
plus ou moins importantes. Des centaines de mil-
liers d'hommes et de femmes s'enivrant de vo-
luptés ! Et ces hommes et ces femmes apparte-
nant, sauf les exceptions, à la classe qui forme le
peuple à son image !
Que les théâtres modernes soient des foyers
de volupté et d'impiété, le fait est trop notoire
pour avoir besoin de preuves. Disons seulement
que les pièces qui attaquent plus directement la
religion, les bonnes mœurs, sont les plus cou-
rues. Parmi les plus détestables en ce genre, il
suffît de citer VAuberge des Adrets, la Beauté du
Diable et les Filles de marbre. Or, ces pièces ont
eu jusqu'à soixante et quatre-vingts représenta-
lions de suite. Parlerai-je de la Tireuse de cartes,
dirigée effrontément contre le Saint-Père? Elle
a obtenu cent six représentations ! et son premier
spectateur fut l'empereur déchu.
Si vous parcourez le répertoire du théâtre,
surtout depuis quelques années, vous appren-
drez que l'œuvre dramatique, n'importe le nom,
comédie, tragédie, vaudeville, drame, mélo-
drame, est la titillation et la glorification inces-
sante des plus honteux et des plus coupables
instincts de l'homme déchu.
204 OU EN SOMMES-NOUS?

Sachez d'ailleurs que, dans ce siècle où l'ar-


gent est le thermomètre de l'estime, une comé-
dienne est payée comme quatre évêques, un
comédien comme sept archevêques, et les prêtres
succursalistes, comme les valets du bourreau,
1
huit cents francs ! Puisque tout ce qui éloigne
de Dieu et de ses lois bénéficie au profit du mal,
il faut conclure, sans hésiter, que les théâtres
sont pour les villes ce que sont les cabarets pour
les campagnes, les églises de la Révolution.
Les sociétés secrètes. Pendant que la bour-
geoisie applaudit, à la lueur des (lambeaux, aux
enseignements corrupteurs, partant révolution-
naires, du théâtre, les afïidés des sociétés se-
crètes, cachés dans leurs antres ténébreux, cons-
pirent contre la religion et contre la société. Dans
ces nouveaux temples de la Révolution, dont le
nombre, en Europe seulement, est incalculable,
se prêtent d'affreux serments. Malgré toutes les
dénégations, la vérité s'est fait jour. Personne
aujourd'hui ne peut ignorer quel est le but su-
prême des sociétés secrètes. Un homme, qui.
pour son malheur, ne les a que trop connues,
Orsini, écrit dans ses Mémoires : « Les deux
foyers de la Révolution, 'sont les collèges et les
2
sociétés secrètes. . »
1
Aujourd'hui le traitement des premiers est un peu augmenta ;
il en est de même de relui des second*.— ' T. I. ch. i .
CHAPITRE XXII. 30;i

Nous avons bien d'autres aveux. Les franc-


maçons ne passent pas pour les plus avancés
parmi les fils de la Révolution. Voici, toutefois,
le serment du chevalier d'Asie.
Après qu'on lui a bandé les yeux, lié les
mains, mis la corde au cou, passé pour tout vê-
tement une robe blanche teinte de sang ; on lui
place la main droite sur un cadavre, la gauche
sur les statuts de l'ordre, et il prête le serment
suivant : « Je jure sur ce que j'ai de plus sacré,
de coopérer à la destruction des traîtres et des
persécuteurs de la franc - maçonnerie, de les
écraser par tous les moyens qui seront en mon
pouvoir. Je jure, de reconnaître comme le fléau
des malheureux et du inonde les rois et les fa-
natiques religieux, et de les avoir toujours en
horreur. Je jure de prêcher partout où je me
trouverai les Droits de l'homme, et de ne suivre
jamais d'autre religion que celle que la nature
a gravée dans nos cœurs. Je jure obéissance sans
restriction au chef de ce conseil, ou a celui qui
le représentera. Que toutes les épées tournées
contre moi s'enfoncent dans mon cœur, si jamais
j'avais le malheur de m'écarter de mes engage-
ments, pris de ma pleine et libre volonté. Ainsi
soit—il. »
Après que le nouveau chevalier a prononcé ce
serment, il l'écrit avec du sang tiré de ses veines,
206 OU EN SOMMES-NOUS?

au grand livre de l'architecture et de la corres-


pondance secrète. Puis, on lui demande : A
quelle époque sommes-nous? — A la régénération
du monde. Alors le grand-maitre dit : Mes frères,
retirons-nous; allons éclairer les hommes et
exterminer les serpents qui régissent Vignorance
humaine. L'attouchement se fait en disant : Sau-
çons le genre humain''.
Haine à mort des rois et des prêtres, apostasie
du christianisme, extermination de tout autorité :
voilà ce que jurent des milliers et des milliers
d'hommes en France, en Italie et dans toutes les
contrées de l'Europe. Et ces hommes, obéissant
aveuglement au mot d'ordre de leur chef, ne
reculent devant aucun forfait pour l'exécuter; et
les rois se sont faits maçons ; et un de leurs mi-
nistres a déclaré officiellement que la franc-ma-
çonnerie vaut mieux que la société de Saint-
Vincent de Paul !
En vain les souverains Pontifes ont frappé
d'anathème toutes ces sociétés ténébreuses. La
Révolution n'a pas perdu un soldat, et elle se
réjouit de se voir publiquement reconnue et pa-
tronnée, comme la vipère se réjouit en voyant
se multiplier et grandir ses vipereaux.
L'éducation. La Révolution française n'a été
que la mise en scène des études de collège. Mal-
1
Annales mavoiuuqms, t. V, p. 21V) et 226.
CHAPITRE XXII. 207

gré les avertissements les pins graves , malgré


l'expérience la pins désastreuse, l'éducation
classique est demeurée ce qu'elle était avant la
Révolution. Mêmes auteurs païens, même éli-
mination des auteurs chrétiens : j'allais ajouter,
mêmes professeurs, si les maîtres laïques et sou-
vent peu croyants, n'avaient pas en général rem-
placé les maîtres en soutane, dont les vertus
pouvaient, jusqu'à certain point, modifier la fu-
neste influence de l'enseignement païen.
Un pareil système lui a donné et lui donne
encore de trop beaux résultats, pour que la Ré-
volution ne le maintienne pas avec une persévé-
rance capable d'éclairer les aveugles-nés. Elle
sait à merveille que l'éducation, c'est l'empire,
et qu'elle peut, sans se compromettre, fermer les
veux sur l'éducation chrétienne des enfants du
peuple. Tantqu'on luilaisserala jeunesse qui fait
la société à son image, elle se rit de nos efforts et
demeure assurée de son triomphe. Qu'on regarde
où nous en sommes, et qu'on dise si elle a tort.
Un trait seulement du tableau. Dans la guerre
actuelle, nos armées ont offert un double courant
d'idées. En général, les soldats, enfants du
peuple, élevés au village, ont donné des preuves
sincères et souvent bien touchantes de leur foi.
Il faut le dire avec douleur, il n'en a pas été
de même, à beaucoup près, du corps des officiers.
208 OÙ EN SOMMES-NOUS?

P'où vient cette différence entre des hommes


qui tous furent chrétiens jusqu'à douze ans? Elle
vient de ce que les derniers ont reçu l'éducation
classique , qui a étouffé en eux les fruits de
l'éducation chrétienne. Telle était déjà, en 1783,
la remarque du P. Grou, jésuite. Rien n'est plus
évident.
Toutefois la Révolution n'est pas satisfaite.
Maîtresse de l'homme, elle veut l'être de la
femme. Avec une habileté satanique, elle établit
à grand bruit et à grands frais ce qu'elle inti-
tule des Ecoles professionnelles, pour les jeunes
personnes de la classe bourgeoise. Professionelles,
en effet, puisqu'avant tout on y professe l'exclu-
sion systématique de toute religion. On n'en dit
ni bien ni mal : on n'en parle pas ; stupidité et
impiété.
Ne pas parler de la religion dans un enseigne-
ment quelconque, c'est, suivant le mot célèbre de
Bacon, supprimer l'arôme qui empêche la science
de se corrompre. La supprimer dans l'éducation
de la jeune fille, c'est la supprimer dans le cœur
delà mère, et, par une conséquence inévitable,
dans la famille et dans la société. Ajoutons, la
rougeur au front et la terreur dans l'àme, qu'à
Paris, du moins, ces tristes écoles sont peuplées
d'élèves. Or, Paris donne le ton à la France.
Au reste, ce procédé par voix d'élimination,
CHAPITRE XXII. 209

contre lequel on s'est justement élevé, ne manque


pas d'analogie avec celui que, malgré les récla-
mations les mieux fondées, on suit, depuis long-
temps et partout, dans l'éducation des jeunes
gens. Si, dans l'éducation professionelle des
jeunes filles, l'élément chrétien est complètement
banni, dans l'éducation classique des jeunes gens
il figure, pour rappeler le mot du P. Possevin,
comme un verre de bon vin dans un tonneau de
vinaigre. L'éducation actuelle est donc pour la
Révolution un des meilleurs moyens de succès.
Veut-on assurer son triomphe î II suffit de conti-
nuer d'enseigner, ainsi qu'on l'a crié bien haut,
comme ont enseigné nos pères : il n'y a rien à
changer.
La haine de Rome. A mesure qu'elle avance
ses conquêtes, la Révolution concentre ses forces.
La masse de haines qu'elle répandait en détail
contre les hommes et les choses du christianisme,
elle la porte tout entière sur un seul point. Rome
et le Pape sont devenus son objectif. A force de
conspirations, de trahisons, de lâchetés et d'ini-
quités de tout genre, la Révolution a enfin obtenu
ce qu'elle convoitait. Le 20 septembre 1870 mar-
quera comme une des dates les plus sinistres
dans l'histoire des peuples baptisés. La Révolu-
tion est donc maîtresse de Rome.
Or, elle nest maîtresse de Rome que parce
14
210 OÙ EN SOMMES-NOUS?

qu'elle est maîtresse de l'Europe. S'il en était au-


trement, est-ce que les nations qui se disent
chrétiennes ne se seraient pas levées pour chas-
ser l'usurpateur? Loin de l à , impassibles el
muettes, elles laissent la Révolution s'établir
tranquillement dans Rome, l'abomination de la
désolation régner dans la ville sainte, la souiller
de crimes, enchaîner la liberté du Pape et me-
nacer son existence.
Que vous êtes coupables, nations modernes!
Et que vous êtes à plaindre! Ouvrez l'histoire, et
1
dans le passé vous lirez votre avenir . Tant que
vous n'aurez pas rendu Rome au Pape, et rétabli
dans tous ses droits le lieutenant de Dieu sur la
terre, le défenseur de la conscience humaine, la
main du Tout-Puissant demeurera appesantie
sur vous, et vous boirez jusqu'à la lie la coupe
de sa colère. Si grands qu'ils soient, les châti-
ments visibles qui vous accablent aujourd'hui ne
seront que le commencement de vos douleurs :
ce qui est écrit, est écrit.
De ce qui précède se dégage un fait évident
comme le jour, savoir : que jamais la Révolution
n'a été aussi puissante qu'aujourd'hui. Dan?
toute l'Europe, son esprit, ses hommes, se?
mœurs, ses principes sont au pouvoir. Tradui-
1
Gens absque corîsilio est et sine prudentia : utinam sapèrent
et intelligerent, ac novissimu providerent Douter., X X X I I , 29, etc.
CHAPITRE XXIII. 211

sant à son profit l'ancienne devise triomphale du


christianisme : « Le Christ est victorieux, il
règne, il gouverne ; » Christus vincit, régnât, iwi-
perat. La Révolution peut dire : « Je suis vic-
torieuse, je règne, je gouverne. »

CHAPITRE XXIII.
OÔ E N EST LE MONDE?

Deux opinions sur la défaite de la Révolution. — Raisons de ceux


qui espèrent : l'Ecriture ; paroles dTsaie. de David, de Notre-
Seigneur. — Les faits : le dogme de ITmmaculée Conception ;
le dogme de l'infaillibilité pontificale. — Le triomphe passager
de la Révolution. — Les nations guérissables. — Notre siècle
en vaut un autre. — Dix justes auraient sauvé Sodome. — La
foi des classes populaires. — La jeunesse du monde. — Examen
de ces différents motifs d'espérance.

Le règne de la Révolution sera-t-il durable i


Le grand empire chrétien, annoncé pour la fin
des temps, est-il visiblement commencé? Tou-
chons-nous, au contraire, à un éclatant triomphe
du christianisme? Ce que nous voyons, est-ce
un couchant? est-ce une aurore? est-ce la mort?
est-ce la résurrection ?
A toutes ces questions, les réponses sont con-
tradictoires.
Toutefois, comme il s'agit de problèmes de la
plus haute gravité, et dont la solution, autant
qu'elle est possible, doit orienter notre marche
212 OÙ EN SOMMES-NOUS?

vers l'avenir mystérieux, qui demain sera le pré-


sent, il entre dans notre plan de rapporter les
raisons sur lesquelles s'appuient les deux senti-
ments opposés.
Dès ce moment, qu'il soit bien entendu que
nous raisonnons en dehors du miracle, et que
nous ne citerons en preuves, ni pour ni contre,
aucune des prédictions modernes, plus ou moins
authentiques, sur lesquelles voudrait se baser
l'une ou l'autre opinion. Exposer les témoi-
gnages de l'Ecriture qu'on invoque, rapporter
les faits visibles avec leurs inductions pro-
chaines, à cela se borne le rôle modeste qui nous
revient.
Les hommes qui espèrent, et ils sont graves et
nombreux, regardent l'avenir, non pas l'avenir
éloigné, mais prochain, comme devant être la
belle époque de l'Eglise. Dans leur pensée, le
triomphe éclatant et universel du christianisme
n'est pas douteux. Entre autres preuves, ils
citent les paroles d'Isaïe, par lesquelles le pro-
phète annonce que, sous le règne du Messie, les
peuples les plus féroces, transformés en agneaux,
ne formeront plus qu'un peuple de frères ; que
les engins de guerre seront changés en instru-
ments d'agriculture, et que la paix régnera S U T *
1
toute la terre .
1
Habitabit lupus cum agno, et pardus cum heedo accubabil ;
CHAPITRE XXIII. 213

Ils ajoutent celle de David : « Il dominera


depuis la mer jusqu'à la mer, et depuis le fleuve
jusqu'aux confins de la terre. Et tous les rois de
la terre l'adoreront, toutes les nations lui seront
1
soumises . »
Enfin, ils s'appuient principalement sur l'an-
nonce de Notre - Seigneur lui-même : « J'ai
d'autres brebis qui ne sont pas de ce bercail, et
il faut que je les amène, et elles entendront ma
voix, et il y aura un seul bercail et un seul
2
berger . »
À ces textes, qui leur paraissent péremptoires,
se rapportent plusieurs autres passages analogues
des Ecritures, tant de l'Ancien que du Nouveau
Testament. Sur quoi ils raisonnent ainsi : « Un
jour viendra où Notre-Seigneur, vainqueur de
ses ennemis, régnera paisiblement sur tous les
peuples de la terre ; en sorte qu'il n'y aura plus
vitulus et leo et ovis simul morabuntur, et puer parvulus rni-
nabit eos. Vitulus et ursus pascentur; simul requiescent catuli
e o r u m ; et leo quasi bos comedct paleas... Judicabit gentes et
arguet populos multos : et conflabunt gladios suos in vomeres .
1
et lanceas suas in falces : non levabit gens contra gentem g l a
dium, nec exercebunlur ultra ad prselium. Cap. X T , 6 et seqq. ;
cap. II, 4 et seqq.; Id., cap. xxxvi, i et seqq.
' Et dominabitur a mare usque ad mare, et a flnmine usque
ad temiinos orbis terraruni. Et adorabunt eum onines reges
terrae ; omnes génies servient ei, Ps. L X X I , 8, l i .
8
Et alias oves habeo quse non sunt ex hoc ovili ; et illas opor-
tet me adducere, et vocem ineam audient; et fietunum ovile et
unus pastor. Joan., x, 16.
214 OÙ EN SOMMES-NOUS?

ni guerre, ni schisme, ni hérésie, mais une seule


Eglise, réunissant dans son giron maternel toute
la postérité du premier Adam, rachetée par le
sang du second Adam. 'Voilà ce qui est divine-
ment annoncé, ce qui, par conséquent, doit in-
failliblement arriver. Or, cet empire universel,
paisible, éclatant de Jésus-Christ, n'a pas encore
paru. Nous sommes donc fondés à l'attendre, et
nous l'attendons. »
Suivant eux, des faits providentiels confirmenl
leur attente. Ces faits sont, entre autres, la dé-
finition des deux grands dogmes de l'Immaculée
Conception de la sainte Vierge et de l'infaillibilité
personnelle du souverain Pontife.
Tel est encore leur raisonnement ; a La Provi-
dence ne tâtonne jamais. Tout ce qu'elle fait
vient à son heure. Si, par le dogme de l'Imma-
culée Conception, la Providence a voulu que
notre siècle, et non pas un autre, eût la gloire
d'ajouter le dernier fleuron à la couronne de Ma-
rie, son intention évidente est qu'en retour la
puissante Reine du ciel prenne le dix-neuvième
siècle sous sa protection toute spéciale.
» D'une alliée si puissante, si bonne, et en
quelque sorte son obligée, que l'Eglise de notre
époque ne doit-elle pas attendre ! quel triomphe
n'avons-nous pas à espérer? De ce triomphe sans
exemple, n'avons-nous pas déjà un double gage
CHAPITRE XXIII. 2K>

dans les manifestations d'allégresse par les-


quelles le monde catholique accueillit cette défi-
nition, et dans les hurlements qu'elle fit pousser
à l'enfer, les uns et les autres également sans
exemple ?
» S'agit-il du dogme de l'infaillibilité? il pro-
clame plus hautement que jamais l'unité du
berger et l'universalité de son pouvoir : ce qui
annonce clairement l'unité et l'universalité fu-
ture du bercail. Entre ces deux termes, il y a une
corrélation qu'aperçoivent également la raison
du philosophe et la foi du chrétien. »
Leur confiance n'est ébranlée ni par le
triomphe actuel de la Révolution, ni par ce qui
en est la suite ; les persécutions de l'Eglise et
du souverain Pontife, l'état moral de l'Europe,
l'ébranlement général des choses humaines et
l'inclinaison du monde vers sa décadence.
A leur sens, le triomphe de la Révolution ne
peut être que passager. L'Eglise et les Papes sont
toujours sortis victorieux des persécutions. Les
païens, aujourd'hui maîtres de Rome, en seront
bientôt chassés, et la ville éternelle ne tardera
pas à rentrer sous l'autorité du souverain légi-
time. Aticun obstacle insurmontable ne s'y op-
pose ; carie mal n'est pas plus grand aujourd'hui
qu'autrefois. Notre siècle en vaut bien un autre :
tous les siècles se ressemblent.
216 OÙ EN SOMMES-NOUS?

D'ailleurs, en supposant le mal plus grand


qu'il n'est, Dieu a fait guérissables toutes les
nations de la terre ; et dix justes auraient sauvé
Sodome. Or, chaque ville chrétienne renferme
bien dix justes. Au-dessous de la couche lépreuse
qui ronge l'épiderme du corps social, nous avons
dans les classes populaires un élément de foi, qui
se révèle par le grand mouvement catholique,
manifesté depuis quarante ans. Lorsque la croûte
aura disparu et que le fond pourra se produire
librement, nous verrons des miracles. D'ailleurs,
le monde, loin d'être vieux, est encore si jeune
que c'est à peine s'il a fait sa première commu-
nion.
Tels sont les principaux motifs sur lesquels se
fondent les hommes de l'espérance.
Egalement graves et nombreux sont les
hommes de la crainte. Eux aussi ne demandent
pas mieux que d'espérer; mais ils voudraient ne
pas se bercer d'illusions. A moins d'une inter-
vention divine, directe et souveraine, hypothèse
toujours réservée, ils n'osent s'abandonner à la
confiance. Examinés un à un, les motifs allégués
ne calment pas leurs inquiétudes.
Devant eux se dresse l'inexorable loi : Le siècle
des sophistes est toujours suivi du siècle des bar-
bares. A leurs veux, non-seulement la France,
non-seulement l'Europe, mais, à peu d'excep-
CHAPITRE XXIII. ci-
tions près, l'ancien et le nouveau inonde sont
affreusement sophistiqués. Ils sont donc menacés
d'une affreuse barbarie.
Passant à l'application qu'on fait des textes
prophétiques, elle ne leur semble pas incontes-
table. Ils pensent qu'Isaïe a décrit, dans un style
figuré, la conversion des païens et des barbares,
loups féroces, changés en agneaux par le bap-
tême, et devenus, avec les juifs appelés à la foi,
le royaume du Messie, fondé sur la grande base
de la paix de l'homme avec Dieu. Par ce fait,
miraculeux entre tous, la poétique description
du prophète leur parait suffisamment vérifiée.
Attendre, pour l'Eglise militante, une époque
où il n'y aura plus ni schisme, ni guerre, ni hé-
résie, mais une paix assurée de toutes parts, est
une hypothèse plus que gratuite. Pour devenir
une réalité, elle suppose la suppression préalable
du péché originel.
Quant au règne universel du Messie, ils con-
viennent bien qu'il doit avoir lieu ; mais, à leur
avis, rien dans l'Ecriture ni dans les Pères ne
prouve qu'il doive être simultané et non suc-
cessif. Ils comparent le règne du Soleil de justice,
destiné à éclairer le monde moral, au règne du
soleil matériel, qui en est la figure, et qui a été
créé pour éclairer le monde physique. Or, on
peut dire avec toute vérité que le soleil éclaire
218 OÙ EN SOMMES-NOUS?

toute la terre, bien qu'il ne l'éclairé pas tout


entière, ni en même temps, ni avec le même
éclat. Telle est l'explication du grand théolo-
gien Suarez, dont nous citerons bientôt les pa-
roles.
Gomme celles d'Isaïe, les adorables paroles du
divin Maître leur paraissent s'appliquer à la con-
version des gentils, qui, avec les Israélites, ame-
nés à la foi tant par les apôtres, au commence-
ment de l'Eglise, que par Hénoch et Elie, à la
1
fin des temps , ne devaient former qu'un seul
bercail, sous un seul pasteur. C'est encore l'in-
terprétation de Suarez.
« Les paroles de saint Jean, dit-il, ne signifient
pas qu'il viendra un temps où tout l'univers ci
tous les hommes seront dans l'Eglise, en sorte
qu'il n'y aura plus un seul infidèle, mais que tous
réunis formeront un seul bercail sous un seul
pasteur, Jésus-Christ et son Vicaire. En effet,
dans cet endroit Notre-Seigneur ne parlait pas
de cela. Il prédisait seulement la future conver-
sion des gentils, et des gentils et des juifs la for-
mation d'un seul bercail et d'une seule Eglise
universelle et catholique, qui, autant qu'il esl
en elle, les réunirait tous. Mais qu'à différentes
époques, un plus ou moins grand nombre de juifs

4
Malack., i, o ; Apor,., XJ, 3.
CHAPITRE XXIII. M9
et de gentils dussent entrer par la foi dans cette
Eglise, Notre-Seigneur n'en dit rien *. »
Au reste, jusqu'à ce que l'Eglise ait donné de
ces différents passages des Livres saints une in-
terprétation authentique, et fait une application
spéciale à tel ou tel événement en particulier, on
ne peut s'en servir pour baser, dans un sens plu-
tôt que dans un autre, une. affirmation certaine.
Venant aux faits allégués, ils disent : « Sans
aucun doute, la proclamation du dogme de l'Im-
maculée Conception est une grande gloire pour
la sainte Vierge, et pour l'Eglise un gage assuré
de bénédictions. Mais pour le monde qui l'a ac-
cueillie par des blasphèmes, est-ce une espérance
de salut? Si, depuis cette époque, l'Eglise est
devenue plus riche de vertus, en est-il ainsi du
monde? Plus coupable, ne s'est-il pas montré
plus hostile à l'Eglise, plus impie, plus obstiné
dans sa mauvaise voie? N'a-t-on pas vu la

11lla enim verba Joannis, x : Eritunum ovile, et umispastor, non


significant, fore aliquando ut universus orbis et omnes homines
sint intra Ecclesiam, ita ut nullus sit infidelis, sicque constituant
unum ovile, sub uno pastore Christo et Vicario ejus. Nam
Christus ibi de hoc non disserebat, sed solum preedixit futuram
gentium conversionem, et ex gentibus et judaeis constituendum
nnum ovile, atque unam Ecclesiam universalem et catholicam,
quœ omnes complectatur. Quod autem plures vel pauciores di-
versis temporibus , vel ex g e n t i b u s , vel ex judseis, intra hanc
Ecclesiam per fidem congregandi sint, de hoc Christus nihil af-
iirmavit. Suarez, post citandus.
2-20 OÙ EN SOMMES-NOUS?

guerre éclater de toutes parts et la Révolution


marcher de victoire en victoire, jusqu'à la prise
de Rome et à l'emprisonnement du saint Père ? »
Loin de les rassurrer, la définition de l'infailli-
bilité pontificale leur fait craindre que l'Eglise,
au lieu d'entrer dans une ère de paix universelle,
ne touche à une des phases les plus difficiles de
son existence. La Providence ne tâtonne jamais.
Prévoyant l'impossibilité de réunir, peut-être
avant de longues années, aucun concile, n'a-t-
elle pas voulu, comme aux jours orageux des
premiers Césars, où le pape, isolé de ses frères,
dirigeait la barque de Pierre, donner à l'Eglise,
dans la parole de son Chef reconnue solennelle-
ment infaillible, une boussole sure et toujours
visible au milieu des tempêtes ?
o Le triomphe de la Révolution ne peut être que
passager, ajoutent les hommes de l'espérance. »
On répond : « Le règne de la Révolution ne peiù
cesser que par le triomphe du christianisme. »
Affirmer le prochain triomphe du christianisme,
c'est poser en principe ce qui est en question.
Lorsqu'ils partaient pour l'exil, les émigrés fran-
çais de 1790 croyaient aussi que le triomphe
de la Révolution ne serait que momentané, et
plusieurs n'emportaient du linge que pour six
semaines. Autre était l'opinion du comte de Kau-
nitz, ministre de l'empereur d'Autriche. Inter-
CHAPITRE XXIII. 921

rogé sur la durée de la Révolution, il répondait :


a La Révolution française durera longtemps ;
peut-être toujours. » On sait aujourd'hui de quel
côté fut la raison.
Que l'Eglise soit toujours sortie et qu'elle doive
toujours sortir victorieuse des persécutions, les
hommes de la crainte n'élèvent là-dessus aucun
. doute. Ils connaissent les immortelles paroles :
Les portes de Y enfer ne prévaudront pas contre
elle. Que Rome soit bientôt délivrée des païens
qui la déshonorent et rendue au Saint-Père ; c'est
le plus ardent de leur vœu. Mais donner pour
certain que ce fait consolant se réalisera dans
peu, c'est, à leurs yeux, s'avancer beaucoup. La
restitution de Rome au Saint-Père est subor-
donnée au triomphe, sinon complet, au moins
partiel, du christianisme sur la Révolution. Or,
affirmer ce prochain triomphe, c'est, comme il
vient d'être dit, poser en principe ce qui est en
question.
OÙ EN SOMMES-NOUS"?

CHAPITRE XXIV.
OÙ E N EST LE MONDE?

Suite de l'examen des motifs d'espérance. — Si notre siècle en


vaut un autre. — Si tous les siècles se ressemblent. — E x a -
men de ces paroles : Toutes les nations sont guérissables. —
Dix justes auraient sauvé Sodome. — Le mouvement catho-
lique. — Ce qu'il est en France et ailleurs.

Les hommes de la confiance ne se déconcertent


pas. Suivant eux, la prochaine délivrance de
Rome et le triomphe de l'Eglise sont très-
possibles : « Attendu que le mal n'étant pas plus
grand aujourd'hui qu'autrefois, il ne sera pas
plus difficile à vaincre. En effet, tous les siècles
se ressemblent, et notre siècle en vaut bien un
autre. »
Pour soutenir que le mal, soit en quantité,
soit en qualité, n'est pas plus grand aujourd'hui
qu'autrefois, il faut plus que du courage : il faut
fermer volontairement les yeux à la lumière.
Cherchez dans l'histoire si vous trouvez un
siècle aussi émancipé que le nôtre des principes
sociaux du christianisme et de la tutelle de
l'Eglise ; un siècle aussi ingouvernable et aussi
souvent révolutionné; un siècle où le mépris
et la haine de toute aulorité aient été portés à te]
CHAPITRE XXIV. m
point, qu'entre tous les rois de l'Europe, il n'en
est pas un qui n'ait été l'objet d'une tentative
d'assassinat.
Quel siècle a vu le matérialisme débordé sur
le monde et l'homme devenu chair comme au-
jourd'hui? Citez l'époque où tous les moyens de
corruption : luxe, livres, journaux, théâtres, ca-
barets, sociétés secrètes, travaux du dimanche,
aient été aussi multipliés qu'ils sont maintenant?
Si les siècles passés, où ces moyens de corruption
n'existaientpas, furent aussi pervers que le nôtre,
il faut soutenir que nos ancêtres étaient d'une
nature exceptionnellement mauvaise : ce qui est
à prouver.
En attendant, nos aïeux répondent : a II est
vrai, nous fûmes enfants d'Adam, comme vous ;
nous commîmes des fautes et même de grandes
fautes : et vous n'en commettez-vous point?
Entre les iniquités que vous nous reprochez,
quelle est celle dont vous êtes innocents ? S'il y
eut parmi nous d'illustres criminels, il y eut
aussi d'illustres pénitents. Où sont les vôtres?
Coupables, nous faisions pénitence ; vous, vous
tuez. Après avoir vu la paille qui est dans l'œil
de vos pères, voyez la poutre qui est dans le
vôtre. Parmi les siècles où nous avons vécu,
nommez celui qui a vu toutes les religions mises
sur la même ligne, le blasphème, l'infanticide et
224 OÙ EN SOMMES-NOUS?

le suicide arrivés aux proportions qu'ils at-


teignent aujourd'hui.
)) Mais ce qui constitue la différence essentielle
entre vous et nous, ce qui est le caractère dis-
tinctif de votre siècle, ce n'est pas tant le mal
même que l'absence de remords, l'obstination
dans le mal, la théorie du mal, l'apologie du mal,
la négation même de l'autorité qui trace la ligne
de démarcation entre le bien et le mal. Quel
autre siècle que le vôtre a entendu proclamer le
droit nouveau, et prêcher ouvertement la morale
indépendante ? Or, entre l'enfant qui désobéit à
son père, tout en reconnaissant encore l'autorité
paternelle, et l'enfant qui désobéit et qui la nie,
grande est la différence. »
Il est maitttenant facile de prononcer s'il est
vrai, comme on dit, que notre siècle en vaut bien
un autre.
Quant à l'affirmation banale que tous les
siècles se ressemblent, le comte de Maistre a ré-
pondu : « On entend dire assez communément
que tous les siècles se ressemblent et que les
hommes ont toujours été les mêmes ; mais il faut
bien se garder de ces maximes générales, que la
paresse ou la légèreté inventent pour se dispenser
de réfléchir.
Tous les siècles, au contraire, manifestent un
caractère particulier et distinctif, qu'il faut con-
CHAPITRE XXIV. 225

sidérer soigneusement. Sans doute, il y a tou-


jours eu des vices dans le monde; mais ces
vices peuvent différer en quantité, en nature, en
qualité dominante et en intensité. Ce qu'il y a
d'extrêmement remarquable, c'est qu'à mesure
que les siècles s'écoulent, les attaques contre
l'édifice catholique deviennent toujours plus
fortes; en sorte qu'en disant toujours : il n'y a
rien au delà, on se trompe toujours*. •
Les grands faits de l'histoire universelle, si
éloquemment retracés par Donoso Gortès, mon-
trent jusqu'à l'évidence la justesse de cette ob-
servation.
On ajoute : « En supposant le mal encore plus
grand qu'il n'est, Dieu a fait guérissables les
nations de la terre : Sanabiles fecit nationes or-
bis terrarum. Dix justes auraient sauvé Sodome.
Or, chaque ville chrétienne renferme bien dix
justes, )>
Admettons que le texte de l'Ancien Testament
ne s'applique pas exclusivement aux nations
païennes et barbares, guéries par le christia-
nisme , mais qu'il regarde toutes les nations
infidèles et chrétiennes, sur toute l'étendue du
globe et jusqu'à la fin des siècles. Il en résul-
tera que toutes les nations peuvent être guéries ;
mais il ne s'ensuit pas que toutes guérissent,
1
Considérât, sur /a France; et duPape, t. II, p. 271.
15
226 OÙ EN SOMMES-NOUS ?

autrement elles seraient immortelles, ce quin'e^t


pas. Il en est d'un peuple comme d'un pécheur.
Tout pécheur a la grâce suffisante pour se con-
vertir; néanmoins tout pécheur ne se convertit
pas. Pour qu'une nation se guérisse, c'est-à-dire
qu'elle se convertisse, il faut qu'elle le veuille.
Dieu ne la convertira pas malgré elle.
Que les nations, toujours guérissables, se gué-
rissent au moins quelquefois, il nous en coûte
de le dire, mais c'est un fait qui échappe à notre
connaissance. Nous voulons dire par là que nous
ne connaissons aucune nation qui, ayant perdu
la foi, après l'avoir publiquement professée, y
soit revenue comme nation. Sans parler des
nations orientales, qui, malgré les avances de
l'Eglise et les terribles leçons de la Providence,
demeurent obstinées dans le schisme et l'hérésie
depuis sept ou huit cents ans, voyons ce qui se
passe en Occident.
A la voix de Luther, la moitié de l'Europe
s'est séparée de l'Eglise. Larmes, prières, prédica-
tions, démonstrations, appels innombrables de la
part de l'Eglise, châtiments effrayants de la part
du ciel, rien n'a été omis pour faire rentrer au ber-
cail ces nations égarées? Laquelle est revenue?
Sans doute, de nombreuses individualités sont
retournées à la foi de leurs pères; mais, nous le
répétons, aucune nation, comme nation, ne s'est
CHAPITRE XXIV. 227

avancée d'un pouce vers l'unité. Assurément,


ce qui ne s'est jamais vu peut se voir. Personne
ne le désire plus que nous, et loin de notre es-
prit la prétention de mettre une limite à la puis-
sance de Dieu. Seulement, ce retour sera pour
nous un miracle de premier ordre, et il est con-
venu que nous ne raisonnons pas dans l'hypo-
thèse du miracle.
« Dix justes auraient sauvé Sodome, et chaque
ville chrétienne renferme bien dix justes. »—
Le salut de Sodome par dix justes est un fait : ce
n'est pas une loi. Autrement il faudrait dire que
toutes les fois que dix justes se trouvent dans
une ville, si opiniâtre qu'elle soit dans le mal,
son salut est assuré. Personne, croyons-nous,
ne l'a jamais prétendu. Ce qui est vrai d'une
ville s'applique, à plus forte raison, à une nation
obstinée dans le mal.
En 1789, la France renfermait un grand
nombre d'âmes ferventes. Témoins les innom-
brables fidèles, prêtres, religieux et religieuses
qui préférèrent au schisme, l'exil etl'échafaud.
Ont-ils empêché la destruction de l'ancienne
France, la chute de la monarchie, le boulever-
sement de l'Eglise et les horreurs de 93?
On insiste, et on dit : « Au-dessous de la couche
lépreuse qui ronge F épidémie du corps social,
nous avons dans les classes populaires un élé-
m OÙ EN SOMMES-NOUS?

ment de foi, qni se révèle par le grand mouve-


ment catholique, manifesté depuis quarante ans.
Lorsque la croûte aura disparu et que le fond
pourra agir librement, nous verrons des mi-
racles. »
Quelle est cette couche lépreuse, quelle en est
l'épaisseur, quel est le moyen de la faire dispa-
raître? Autant de questions qui doivent être
résolues, afin d'apprécier la valeur de ce nouveau
motif de confiance.
Par la couche lépreuse, les hommes de l'espé-
rance, comme les hommes de la crainte, en-
tendent l'antichristianisme. Antichristianisme
dans les idées, dans les lois, dans la politique,
dans les mœurs, dans les tendances d'une partie
de la société.
Quelle en est l'étendue? Un coup d'œil sur le
monde suffit pour apprendre qu'elle s'étend, non-
seulement sur la France, ou sur une nation en
particulier, mais sur l'Europe entière.
Quelle en est l'épaisseur? De cette lèpre est
atteinte ce qu'on appelle l'Europe officielle, c'est-
à-dire tous les gouvernements sans exception;
puis, sauf quelques individualités, les grands
corps de l'Etat, chambres législatives, parle-
ments, agents supérieurs du pouvoir dans l'ar-
mée, dans la magistrature, dans l'instruction,
dans toutes les branches de l'administration pu-
CHAPITRE XXIV. 229

blique ; les académies de littérature, de science


et de médecine; les grandes industries, le haut
commerce, le journalisme; la majorité de la
bourgeoisie et presque toute la jeunesse lettrée.
Depuis quelques années, la lèpre atteint même,
et assez profondément, les classes ouvrières des
grandes villes et, dans un certain nombre de
provinces, jusqu'aux habitants des'campagnes.
Aujourd'hui même, après les terribles leçons de
1870 et 1871, cette lèpre devient, dans les pro-
vinces, plus envenimée et plus générale que ja-
mais. On voit que la croûte lépreuse ne ronge
pas seulement l'épidémie du corps social, mais
qu'elle descend plus profondément qu'il ne paraît
au premier coup d'œil.
Comment la faire disparaître? Allez ; montrez-
vous au prêtre : vade, ostende te sacerdoti, disait
le Fils de Dieu au lépreux qui lui avait demandé
sa guérison. Que l'Europe lépreuse se montre
aux prêtres; qu'elle leur demande humblement,
sincèrement, sa guérison : tel est le premier et
'l'infaillible moyen de faire succéder la santé à la
maladie qui la dévore. Ce moyen, semble-t-elle
disposée à le prendre? Hélas! et sans fin hélas !
Refusant d'y recourir, que faut-il attendre? Ce
qu'il faut attendre, c'est de voir la lèpre s'éten^
dant de plus en plus en largeur et en profon-
deur, jusqu'à ronger le corps entier, et Dieu jus-
230 OÙ EN SOMMES-NOUS?

tement irrité faisant disparaître le malade et la


maladie. Alors c'est, comme il a été dit, la fin de
la vieille Europe ; et si le monde a un avenir de
restauration et de paix, nous y croyons.
Supposé que la justice divine, fatiguée des
iniquités de l'Europe, se décide à donner ce
coup de balai, dont la violence et la profondeur
nous sont inconnues, que restera-t-il pour former
un monde nouveau? A quelles proportions se trou-
veront réduites ces classes populaires, qu'on dit
être les gardiennes fidèles de l'élément catho-
lique? Quelle sera leur influence? Comment ar-
riveront-elles au pouvoir? Qui les dirigera dans
leur œuvre de régénération? Tout cela suppose,
plus évidemment que jamais , le prochain
triomphe du christianisme : ce qui est toujours
la question.
En deux mots, compter sur ce qu'on appelle
la Paroisse catholique pour sauver le monde, ne
serait-ce pas prendre un désir généreux pour une
solide espérance ?
Quant au mouvement catholique, dans lequel on
voit le gage d'un brillant avenir pour l'Eglise et
pour la société, il demande à être examiné sérieu-
sement. Signalé par nous, il y a vingt-neuf ans, ce
mouvement est réel, et il est intérieur et extérieur.
Intérieur : dans toutes les classes, un certain
nombre d'hommes sont revenus à la foi et à la
CHAPITRE XXIV. 231

pratique des sacrements. Par plusieurs, Rome


mieux connue, paraît plus aimée, et la tendance
vers les doctrines romaines plus prononcée. Le
respect humain semble ne pas exercer la même
tyrannie. A Paris du moins, les églises paraissent
plus fréquentées.
Parmi les âmes chrétiennes, les associations
pieuses et les communions se sont multipliées.
Le culte de la sainte Vierge est devenu plus po-
pulaire. Les œuvres de charité ont pris la forme-
de tous les besoins et ont été soutenues avec un
dévouement digne de tout éloge; beaucoup d'é-
glises ont été réparées ou bâties ; la propagation
des bons livres s'est faite avec une grande acti-
vité. De nouvelles congrégations religieuses se
sont formées et, de concert avec le clergé, n'ont
rien omis pour apporter quelque remède aux
maux de la société ou pour les prévenir.
Quant à l'extérieur, il s'est révélé par un subit
et prodigieux développement des missions étran-
gères, par les grandes œuvres de la Propagation
de la foi et delà Sainte-Enfance; enfin, par
l'apostolat de la femme, devenu, ce qui ne s'était
jamais vu, l'intrépide auxiliaire du missionnaire
sur tous les points du globe. Tel est, dans ses
principales manifestations, le mouvement catho-
lique, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.
Sur ce fait consolant, plusieurs remarques
232 OÙ EN SOMMES-NOUS?

sont à faire. D'abord, le mouvement catholique


n'est pas général en Europe. A part la France,
où il a donné les résultats qui viennent d'être
signalés, et l'Angleterre, où il a poussé vers
Rome de nombreuses et de nobles individualités,
on ne voit pas qu'il se soit fait sentir ni à l'Es-
pagne, ni au Portugal, ni à l'Italie, ni à l'Au-
triche, moins encore aux nations schismatiques
et hérétiques.
Il faut ajouter que, même en France et ailleurs,
ce mouvement est assez restreint. Une preuve,
entre toutes, est l'œuvre de la Propagation de la
foi. Depuis cinquante ans d'existence, elle n'a
pas encore atteint le chiffre annuel de six mil-
lions; tandis que les protestants, moitié moins
nombreux que les catholiques, font, pour pro-
pager l'erreur, des recettes annuelles de plus de
vingt millions.
Ce qui est plus grave encore, le mouvement
catholique n'a changé en rien l'esprit général.
Il n'a pas fait rentrer soit dans les lois, soit dans
la politique, soit dans l'éducation officielle, un
seul principe chrétien. Il n'a pas empêché la
marche envahissante de la Révolution, arrivée,
aujourd'hui même, par la prise de Rome et l'em-
prisonnement de Pie IX, à l'accomplissement
d'un de ses vœux les plus chers.
Enfin, le mouvement catholique n'a ni retardé
CHAPITRE XXIV. 233

ni arrêté le double mouvement auquel l'Europe


obéit, et qui la pousse sinon au précipice, du
moins dans les bras de fer d'un despotisme in-
connu. Ce double mouvement est, d'une part, le
mouvement prodigieux d'unification matérielle ;
d'autre part, le mouvement non moins rapide de
dissolution morale, signe caractéristique du dix-
- neuvième siècle.
Il est donc vrai ; le mouvement catholique,
dont l'origine et les progrès sont dus à l'initiative
d'individualités, moins nombreuses qu'on ne
pense, n'a point amélioré le moral de l'Europe.
Il n'est donc pas, du moins jusqu'à ce jour, un
grand motif d'espérance.
Envisagé à l'extérieur, il est, pour de graves
esprits, moins un motif d'espérance qu'un sujet
de crainte. Ils ont remarqué que toutes les fois
que l'Eglise fait un grand déploiement de forces
au dehors et réalise d'importantes conquêtes
chez les nations infidèles, le christianisme baisse
chez les peuples chrétiens. Etudiée siècle par
siècle, l'histoire leur donne raison. Ainsi le veut
la Providence. Devant elle le nombre des élus
est compté, et pour l'obtenir malgré les défec-
tions, elle transporte le flambeau de la foi d'un
peuple à l'autre : semblable au soleil, qui éclaire
successivement les différents points de l'horizon,
sans rien perdre de sa lumière.
234 OÙ EN SOMMES-NOUS?

La rapide propagation de l'Evangile, à notre


époque, s'explique encore par une autre raison,
qui sera exposée dans un des chapitres suivants.

CHAPITRE XXV.
OÙ E N EST LE MONDE?

S'il faut attendre une restauration catholique de la vieille Europe.


— La jeunesse du monde. — Une tradition. — Le règne anti-
chrétien. — C P qu'il faut en penser.

« A vous entendre, répondent aux hommes de


la crainte les hommes de l'espérance, on dirait
que toute restauration catholique est impossible,
que le monde est sur son déclin, et que nous
marchons rapidement vers le règne antichrétien
annoncé pour la fin des temps. Nous ne pouvons
partager ces tristes pensées. Une restauration
catholique est toujours possible ; il semble môme
que Dieu la doive aux douleurs de l'Eglise.
D'ailleurs, loin d'être vieux, le monde est encore
si jeune que c'est à peine s'il a fait sa première
communion. Quant au règne antichrétien, il y a
longtemps qu'on le prédit, et pas plus aujour-
d'hui qu'hier, aucun signe particulier n'en ré-
vèle l'existence. »
Comme les autres, ces nouveaux motifs d'es-
pérer méritent une sérieuse étude.
CHAPITRE XXV. 235

D'abord, la restauration catholique. Au point


où nous en sommes, un triple avenir se présente :
ou le rajeunissement du monde par une restau-
ration catholique, ou une invasion de barbares,
ou le règne antichrétien et une marche rapide
vers la fin des temps. De ces trois hypothèses,
laquelle deviendra une réalité? Ce que nous
allons dire n'est pas une réponse, mais l'examen
impartial de chacune de ces hypothèses.
Se fait-on une juste idée de ce que serait une
restauration catholique dans l'Europe du dix-
neuvième siècle? Ce serait, ni plus ni moins,
l'Europe actuelle brûlant ce qu'elle a adoré, et
adorant ce qu'elle a brûlé. Ce serait Dieu remis
en haut dans les constitutions, dans les lois, dans
la politique, et l'homme en bas.
Ce serait le souverain Pontife rétabli sur son
trône, rentré dans tous ses droits, remis en pos-
session de ses domaines, entouré du respect, de
l'amour et de la confiance universelle.
Ce serait l'Eglise débarrassée des entraves qui
gênent son action, écoutée et obéie par les gou-
vernants et par les gouvernés, comme une mère
chérie au milieu de sa famille.
Ce serait l'esprit public radicalement changé;
ce serait une direction toute nouvelle donnée à
l'éducation, à la littérature, aux sciences, aux
arts, aux mœurs et aux tendances générales des
23fi OÙ EN SOMMES-NOUS?

nations ; ce serait le retour pur et simple à la foi


du baptême et à la vie qui en découle. En un
mot, ce serait la défaite radicale de la Révolu-
tion; car ce serait Y affirmation catholique, vic-
torieuse sur tous les points de la négation révo-
lutionnaire.
Personne ne peut le nier. Le monde actuel
étant ce qu'il est, lépreux des pieds à la tête, une
restauration catholique ainsi comprise, et c'est
ainsi qu'elle doit l'être, serait plus qu'une con-
version : ce serait une refonte de l'humanité. A
coup sur, Dieu peut l'opérer; mais, on en convien-
dra, ce serait le plus grand des miracles, et un mi-
racle sans précédent. Or, nous l'avons dit, nous
ne raisonnons pas dans l'hypothèse du miracle.
Même en admettant cette hypothèse, nos
doutes ne seraient pas dissipés. De ce miracle ré-
générateur, où est la promesse ? Elle ne se trouve
ni dans l'Ecriture, ni dans la tradition. D'ail-
leurs, ou ce miracle sera la régénération du
monde par le christianisme, et nous venons de
voir ce qu'il faut en penser ; ou ce sera une nou-
velle religion, sortie d'un nouveau cénacle, et
ceci est un blasphème et une hérésie. Le chris-
tianisme, tel qu'il nous a été donné, doit durer
autant que les siècles. Les cieux et la terre pas-
seront, et le christianisme ne perdra ni un de ses
dogmes ni un de ses préceptes.
CHAPITRE XXV. -237

Humainement parlant, un nouveau motif se


présente de douter d'une restauration catholique.
Pour le monde, revenir à la foi serait rajeunir.
Or, dans la création rien ne rajeunit. L'homme,
qui en est le roi, a son enfance, son adolescence,
son âge mûr, sa vieillesse, suivie de la décrépi-
tude, qui le conduit à la mort. Les nations, c'est
l'homme collectif. Le monde, c'est le genre h u -
main. Les mêmes lois de vie et de mort régissent
l'homme individuel, l'homme collectif, l'homme
en grand.
De même qu'on ne fait pas remonter les ri-
vières vers leur source, ainsi on ne fait pas que
la jeunesse reparaisse, avec ses forces et ses
grâces, sous les rides et les infirmités de la
vieillesse. Ce fait contre nature ne s'est ja-
mais vu. Pas plus que l'homme individuel,
aucune nation n'a rajeuni. A plus forte raison
en est-il ainsi du monde. Le déluge n'a pas
rajeuni le monde antédiluvien; il l'a noyé.
L'invasion des barbares n'a pas rajeuni le
monde païen ; elle Ta fait disparaître. Voilà pour
la première hypothèse. Examinons la seconde.
Si, comme le croient de profonds penseurs,
l'Europe vieillie doit s'attendre à une nouvelle
inondation de barbares, il est possible qu'à
l'exemple de nos ancêtres, ces peuples neufs
courbent la lète sous la main de l'Eglise et
238 OÙ EN SOMMES-NOUS '?

forment; momentanément du moins, une société


catholique.
Par sa foi, dans toute la vigueur de la jeunesse,
cette société proportionnera les consolations aux
douleurs de l'Eglise. C'est ainsi que se réaliserait
le triomphe éclatant du christianisme, dont l'at-
tente forme pour plusieurs comme un treizième
article du Symbole. Soit ; mais ce ne sera pas
plus pour l'Europe actuelle une restauration ca-
tholique et pour le monde un rajeunissement,
que ne le fut pour l'empire romain l'invasion des
bordes de Genséric et d'Attila.
« Ces raisonnements, dit-on, supposent que le
monde est vieux; pour nous, il est si jeune que
c'est à peine s'il a fait sa première communion. »
La chronologie qui rapproche le plus de nous
la naissance du monde, le fait âgé d'environ six
mille ans. Une tradition qui remonte aux temps
apostoliques et même au delà, ajoute qu'il finira
avec le sixième millénaire.
On la trouve, en toutes lettres,-dans l'épître de
saint Barnabe, dont l'autorité n'est pas plus con-
testée par les savants d'aujourd'hui qu'elle ne le
fut par les premiers Pères de l'Eglise : entre
autres, Origène, Clément d'Alexandrie, Eu-
sèbe et saint Jérôme.
Voici la doctrine du glorieux compagnon de
saint Paul, dont les Actes disent qu'il était rempli
CHAPITRE XXV. 239

du Saint-Esprit, jplenus Spiritus sancto : « Faites


attention, mes enfants, à ces paroles : H acheva
tous ses ouvrages en six jours. Elles signifient
que la durée du monde ne doit être que de six
mille ans, et que c'est le terme que Dieu a mar-
qué à tous ses ouvrages. Car mille ans sont comme
un seul jour devant lui, et lui-même l'assure en
disant ; Le jour d'aujourd'hui est comme mille
ans devant mes yeux. Ainsi, mes enfants, la
durée de toutes choses sera de six jours, c'est-
1
à-dire de six mille ans . »
Le témoignage suivant n'est pas moins grave :
il est de saint Irénée. Ce grand docteur était dis-
ciple de saint Polycarpe, instruit lui-même par
saint Jean l'Evangéliste, le Prophète de l'Eglise,
chargé d'annoncer les derniers événements du
monde. A coup sûr, personne ne fut mieux placé
que l'illustre martyr pour recevoir les enseigne-
ments de l'apôtre bien-aîmé. Or, en parlant de
la fin du monde, il dit sans hésiter et comme une
chose certaine : « Autant il y a eu de jours pour
la création du monde, autant il y aura de millé-
2
naires pour sa durée . »
Ce sentiment, dit Cornélius à Lapide, est si

* Itaque, filii, in sex diebus, hoc est, in sex annorum milli-


bus consummabuntur universa. C. xv, 4, S.
1
Quotquot enim diebus hic factus est m u n d u s , tôt et miiienis
aimis oonsiuiHuaUir. Artc. heures., lib. Y, vers fin.
240 OÙ EN SOMMES-NOUS?

général parmi les chrétiens, les juifs, les païens,


les Grecs et les Latins, qu'on peut le regarder
comme l'antique et commune tradition. Pourvu
qu'on ne détermine ni le jour ni l'année, ce sen-
timent étant commun forme une conjecture
1
probable . »
Le savant commentateur ne se trompe pas en
affirmant que ce sentiment est général surtout
parmi les chrétiens. En effet, il remonte aux
temps apostoliques, et nous le voyons suivi, en
Orient et en Occident, depuis saint Justin et
saint Irénée, par les plus illustres Pères de
l'Eglise, entre autres ; saint Hilaire, saint Au-
gustin, saint Jérôme, saint Jean Chrysostome,
saint Cyrille, et après eux, par les plus savants
théologiens : Bellarmin, Génébrard, le cardinal
2
Nicolas de Gusa et vingt autres .
« Si c'est là une erreur, ajoute le savant Ric-
cardi, il est glorieux de la partager avec de tels
3
hommes . »
1
Ita enim in liane sententiam conspirant Christiani, Hebrœi,
Gentiles, Graeci et Latini, ut videatur esse vêtus communisque
traditio. Hœc sententia, non defîniendo certum diem et annum,
uti communis, ita probabilis est conjectura. In Apoc, c. xx, 5*
— Pour Bellarmin, c'est plus qu'une conjecture; c'est une pro-
babilité : Dicumis probabile esse mundum non duraturum ultra
sex millia annorum. De sum, Pontif., lib. III, c. m.
2
Voir leurs témoignages dans Cor., ibid,
s
Se fosse anche un errore, è un belT errare con tali uomini.
II fine del mondo, p. 39.
CHAPITRE XXV. 241

Dans le commun accord de tant de témoins


irréprochables sur un fait de cette importance,
n'y a-t-il pas une sérieuse présomption de vérité?
Nos jurys ne seraient-ils pas heureux, s'ils
avaient, dans toutes les causes soumises à leur
examen, de pareilles preuves pour former leur
conscience et motiver leur jugement?
N'insistons pas; ce qui précède nous semble
suffire pour rendre au moins douteuse la jeunesse
du monde. Au reste, nous examinerons bientôt
si les faits contemporains semblent confirmer la
tradition.
Passons à la troisième hypothèse : la formation
du règne antichrétien. Dès l'abord, on nous ar-
rête, et on dit : « La formation de ce règne an-
tichrétien, tant de fois annoncé, n'est pas plus
visible aujourd'hui qu'autrefois. »
Relativement au règne antichrétien, il y a
deux choses, dont l'une est divinement prédite,
l'autre humainement incontestable.
La première est que, vers la fin des temps, il
s'élèvera un empire qui, par sa puissance, son
étendue, sa cruauté, son impiété, ses moyens de
séduction, sera le plus formidable ennemi qui
aura jamais attaqué l'Eglise.
La seconde, que ce règne ne paraîtra pas tout
d'un coup , comme un champignon sous un
chêne : il aura ses préparations. Par leur durée
et par leur étendue, ces préparations seront en
242 OÙ EN SOMMES-NOUS?

rapport avec la grandeur de ce règne, (el que h


monde n'en a pas vu.
Cela posé, les hommes de la crainte adressent
aux hommes de l'espérance la question suivante:
ils disent : « Supposons, ce qu'à Dieu ne plaise,
que vous fussiez chargés de préparer, dans un
prochain avenir, l'établissement du règne anti-
chrétien : vous y prendriez-vous bien autrement
qu'on ne fait aujourd'hui?
» Détruire le règne du christianisme serait
votre premier but : avant de bâtir, il faut déblayer
le sol. Sachant que l'éducation fait l'homme et
l'homme la société, vous commenceriez par vous
emparer de la jeunesse qui, par sa position sociale,
forme le peuple à son image. Vous paieriez des
milliers de professeurs, pour lui enseigner que le
christianisme n'a rien à voir ni à la philosophie,
ni à la politique, ni aux sciences humaines; qu'il
n'est beau ni en littérature, ni en poésie, ni en
arts, et, sous prétexte de ne pas lui gâter le goût,
vous banniriez de ses mains tous les auteurs
chrétiens, que vous remplaceriez par les auteurs
sensualistes et rationalistes de l'antiquité païenne.
Avec eux vous la mettriez en commerce intime,
journalier, obligatoire pendant les années déci-
sives de la vie.
» Au lieu de sortir naturellement des études,
comme le parfum de la fleur, afin de former, par
une influence de tous les instants, le tempéra-
CHAPITRE XXV. 243

ment moral de la jeunesse, la religion ne serait


plus qu'une chose de juxta-position, dont l'igno-
rance ne fermerait la porte d'aucune carrière.
Chez les meilleurs maîtres, l'enseignement chré-
tien, figurant dans les proportions d'un à cin-
quante avec l'enseignement profane, produirait
l'effet d'un verre de bon vin versé dans un ton-
neau de vinaigre.
» Grâce à un pareil système, les générations,
plongées dans le naturalisme et nourries de
fausses admirations, grandiraient dans l'igno-
rance et même dans le mépris du christianisme,
regardé par elles comme la religion des médio-
crités. Vides de vérité, elles demeureraient sans
défense contre les séductions de l'erreur et des
passions. En elles , l'antichristianisme aux
aguets trouverait des recrues, toutes prêtes à
s'enrôler sous ses drapeaux.
» Après avoir ainsi miné le christianisme dans
les âmes, vous travailleriez à lui retirer tous les
appuis extérieurs. Rien ne serait omis pour dé-
baucher les nations et les lui rendre hostiles, si
bien qu'à la longue pas une ne resterait chré-
1
tienne comme nation .
» Ce premier succès obtenu, vous dirigeriez
* Le seul acte national vraiment catholique du dix-neuvième
siècle est le concordat autrichien. Telle est la force actuelle de
l'esprit antichrétien, même dans l'empire apostolique, que ce
concordat n'a jamais pu être exécuté, et qu'il a tini par être
déchiré.
ÏU OÙ EN SOMMES-NOUS?

toutes vos batteries contre l'édifice même. Vous


effaceriez de votre code pénal tous les crimes
contre Dieu. Sur la même ligne, vous mettriez
toutes les religions. A votre aide viendraient les
sociétés secrètes et tous les négateurs de la vé-
rité. Par vos ordres ou de votre consentement,
les unes et les autres saperaient, à coups redou-
blés, les dogmes chrétiens, bases nécessaires de
l'ordre social. En toute liberté, ils pourraient,
dans leurs écrits et dans leurs clubs, nier Dieu,
la révélation, la divinité de Jésus-Christ, l'im-
mortalité de l'âme, la distinction même du bien
et du mal. A leur service, vous laisseriez la presse
de tous les pays, qui, chaque jour, porterait leurs
blasphèmes aux quatre coins de la terre.
» En paix avec toutes les sectes, vous attaque-
riez à outrance l'Eglise romaine. Afin de la déra-
ciner du sol, vous lui enlèveriez jusqu'au dernier
pouce de terre indépendant. Vous la banniriez
de vos conseils d'Etat et de vos assemblées légis-
latives. Vous la dénonceriez comme l'ennemie
des lumières, du progrès et de la liberté. Vous
tourneriez en dérision ses pratiques; vous ne
tiendriez aucun compte de ses lois. Chaque jour
vous inventeriez de nouvelles calomnies contre
ses ministres. Tout cela ne suffisant pas, pour la
frapper au cœur, vous prendriez Rome, et finiriez
par mettre son auguste Chef en prison.
CHAPITRE XXV. 2io

» Sur les ruines de la religion de l'esprit, vous


établiriez la religion du corps. Par l'industrie,
par les arts, par le commerce, c'est-à-dire de
toutes vos forces, vous pousseriez l'homme au
matérialisme et au sensualisme. Pour achever de
l'abrutir et d'en faire un esclave prêt à courber
la tète sous le joug du despotisme, qui lui pro-
mettra le plaisir et la richesse, vous multiplieriez
les livres obscènes, les théâtres corrupteurs, les
maisons de débauche, les cabarets, tous les raffi-
nements du luxe et cent autres moyens de cor-
ruption.
)> En politique, vous proclameriez le droit nou-
veau, c'est-à-dire le droit de la force. En vertu de-
ce droit, vous supprimeriez les unes après les
autres toutes les petites nationalités, pour les
absorber dans des nationalités plus grandes, jus-
qu'à ce qu'il ne reste plus qu'une ou deux natio-
nalités prépondérantes. Ainsi procéda Rome
païenne, qui finit par devenir la capitale du
* premier grand empire antichrétien.
» Afin de rendre possible l'exercice de sa
puissance universelle et mettre le monde entier
entre les mains d'un homme, l'ancienne Rome
ouvrit de toutes parts de superbes routes, et
multiplia par terre et par mer les moyens de
communication. Vous aussi, vous feriez en sorte
de concentrer toute l'activité humaine sur les
m OÙ EN SOMMES-NOUS ?
moyens d'abréger les distances et de faciliter les
relations de peuple à peuple, jusqu'à les rendre
presque 'instantanées.
» Les bâtiments à vapeur, les chemins de fer
et les télégraphes électriques, la centralisation
administrative et gouvernementale, avec sa bu-
reaucratie, formée à une discipline presque mili-
taire, l'organisation des sociétés secrètes, re-
liées entre elles par les mêmes serments.
obéissant au même mot d'ordre, et enveloppant
comme dans un réseau les différents peuples de
la terre : toutes ces choses vous prêteraient un
concours éminemment propre à préparer le des-
potisme d'un seul homme. De là il résulterait
qu'avec la phalange de ses adeptes, le maître du
monde, ainsi organisé, pourrait à chaque ins-
tant, sans sortir de chez lui, et avec la rapidité cle
l'éclair, faire exécuter ses volontés tyranniques
d'un bout à l'autre de son immense empire.
» Enfin, pour préparer au terrible monarque les
troupes innombrables que saint Jean lui assigne,
vous feriez ce que n'ont jamais vu les peuples
baptisés. Les grandes nations que vous auriez
faites par l'absorption de toutes les autres, vous les
transformeriez en camps armés. Tous les habi-
tants seraient obligés d'être soldats. Ce n'est plus
par milliers, mais par millions, que se compte-
raient les combattants. Afin que le grand homi-
CHAPITRE XXV. 2i7

cide, redevenu le roi du monde, pût à son aise,


suivant qu'il est annoncé, se baigner dans le
sang, vous armeriez ses troupes d'engins meur-
triers, dont la puissance dépasserait tout ce que
le génie de la destruction a jamais inventé.
» Voilà ce que vous feriez. Gela fait, vous pour-
riez vous croiser les bras. La mine serait chargée,
et l'explosion une simple affaire de temps. »
A l'homme impartial qui lira ces lignes, nous
demandons : Que vous en semble? Le travail que
nous venons de décrire n'est-il pas aux trois-
quarts fait et le reste visiblement en voie de se
faire? Que signifie un pareil phénomène, sinon
que le règne antichrétien, ou, comme parle
saint Paul, le mystère d'iniquité qui se forme
depuis longtemps, atteint aujourd'hui un déve-
loppement inconnu des siècles passés? Ainsi,
pour peu qu'il tarde à paraître, le chef de cet
empire trouvera, tout préparés, les éléments de
sa terrible puissance. Afin d'être la personnifica-
- tion du mal à son plus haut degré, il lui suffira
de les condenser entre ses mains, et son empire
1
sera fait .
1
Dans la lettre que , par ordre des supérieurs , la jeune ber-
gère d e l à Salette écrivit au Pape, en 1 8 5 1 , pour lui révéler son
secret, elle s'arrêta tout-à-coup au milieu de sa rédaction soli-
taire , et vint demander à la religieuse qui la surveillait l'ortho-
graphe et le sens du mot INFAILLIBILITÉ, et du mot ANTÉCHRIST.
La Sainte Montagne de la Salette, par M*' l'évèque de Birmin-
gham, p. 7 9 .
m OÙ EN SOMMES-NOUS?
À l'exception d'un seul, la foi des classes
populaires, dont nous nous occuperons dans un
des chapitres suivants, tous les motifs d'espé-
rance sont désormais examinés. En les suppo-
sant aussi fondés qu'on le désire, nous avons en
perspective, ainsi que nous allons le montrer,
non le rajeunissement du monde, mais le ralen-
tissement momentané de sa décadence. Ce répit
aura pour but de laisser à l'Eglise le temps
d'achever son œuvre et d'armer puissamment
les soldats des dernières luttes.

CHAPITRE XXVI.
OÙ E N EST LE M O N D E ?

Si des signes annonceront la décadence du monde et sa fin pro-


chaine. — Si ces signes seront reconnus, et par qui? — Deux
sortes de signes : les uns avant-coureurs, les autres conco-
mittants. — Cinq signes avant-coureurs, divinement annoncés.
— La chute de l'empire de Rome, ou la défection des nations.
L'affaiblissement de la foi. — Le débordement de la vie m a -
térielle. — La prédication de l'Evangile par toute la terre. — La
conversion des juifs. — Examen du premier signe : la chute de
l'empire de Rome ou l'apostasie des nations. — En quoi elle
consiste. — Obstacle qui, jusqu'à nos jours , l'avait empêché
de paraître. — La conservation de l'empire romain, — Témoi-
gnages des Pères.

A moins que la tradition, l'expérience, la lo-


gique, les yeux mêmes ne nous trompent, le
le monde est vieux; il ne rajeunira pas ; le règne
CHAPITRE XXVI. 240

antichrétien se forme à vue d'œil, et le monde


s'en va.
Si ces faits sont réels, d'autres faits doivent les
confirmer. Les derniers méritent une attention
particulière : le moment est venu de nous en oc-
cuper. Exposés avec la froide impartialité de
F histoire contemporaine, visible, palpable, nous
les soumettons aux esprits sérieux, en déclarant
bien haut que nous ne sommes et ne voulons
être que rapporteur.
Afin d'assurer notre marche, commençons par
rappeler quelques vérités fondamentales.
1° Le monde n'est pas éternel. De même qu'il
a eu un commencement, il aura une fin. Vingt
fois l'a dit Celui qui l'a tiré du néant, et sa parole
est demeurée gravée dans la mémoire de tous les
peuples.
2° D'après l'Ecriture et la tradition, il est de foi
que des signes avant-coureurs annonceront la fin
du inonde. Ces signes seront donnés à l'Eglise
pour la diriger, elle et ses enfants. Ils seront donc
reconnaissables et certainement reconnus par les
élus, qu'ils prépareront aux événements. Ainsi
furent reconnus, par les chrétiens de Jérusalem,
les signes précurseurs de la ruine de la cité déi-
cide, image de la fin du monde.
Quant aux autres hommes, il est vraisemblable
ou qu'ils n'en seront pas frappés, ou qu'ils n'en
250 OÙ EN SOMMES-NOUS?

tiendront pas compte, ou même qu'ils se moque-


ront de ceux qui les prendront au sérieux. Leur
conduite est figurée par celle des incrédules an-
tédiluviens, qui se moquaient de Noé, lorsqu'il
annonçait la grande catastrophe.
3° Quand par l'apparition, plus ou moins
7

longue, de ces signes éloquents, Dieu aura jus-


tifié sa providence à l'égard des bons et des mé-
chants, le dernier des jours tombera inopinément
sur le monde, comme le filet de l'oiseleur tombe
J
sur l'oiseau .
4° Ces signes seront de deux sortes : les uns
accompagneront ou précéderont immédiatement
l'arrivée du souverain Juge. Tel sera le boulever-
sement du système planétaire, l'obscurcissement
du soleil et de la lune, le débordement des mers,
des pestes générales, et des tremblements de terre
2
effrayants . Les autres paraîtront plus ou moins
longtemps avant la fin finale. Parmi ces der-
niers, il y en a cinq, divinement annoncés et
faciles à reconnaître : la chute de l'empire de
Rome ou l'apostasie des nations; l'affaiblisse-
ment de la foi; le débordement de la vie matérielle;
la prédication de l'Evangile par toute la terre;
la conversion des juifs.
1
Tanquam laqueus enim superveniet in omnes qui sedent
•iiiper faciem omnis terrée. Luc, xxi, 3o.
7
Matth., xxiv, 29 ; Luc, xxi, î b , etc
CHAPITRE XXVI. 251

3° Ces signes s'appellent les uns les autres, de


telle sorte que leur apparition suit un ordre lo-
gique. Ainsi le premier, la Chute de Vempire ro-
main, confirme la formation très-avancée de
l'empire antichrétien, qui en est le résultat iné-
vitable, et conduit à l'Affaiblissement de la foi
nationale.
L'affaiblissement de la foi nationale conduit au
Débordement de la vie matérielle.
Le débordement de la vie matérielle conduit
à la rapide Prédication de VEvangile chez les
peuples idolâtres, afin que Dieu ait son nombre
d'élus et que l'Eglise demeure toujours visible
et catholique.
La prédication de l'Evangile par toute la terre
conduit à la Conversion des juifs, qui ne doivent
entrer dans le bercail qu'après l'appel adressé à
toutes les nations.
De là, il ne faudrait pas conclure que chaque
signe ne paraîtra qu'après le développement
- complet du précédent. La Providence les con-
duira comme de front, de manière que tous en-
semble, brillant d'un éclat plus ou moins vif,
formeront un foyer de lumière, capable d'éclairer
tous les yeux.
6° Nettement caractérisés, ces signes précur-
seurs de la fin des temps sont des faits. Gomme
tels, ils sont soumis aux lois de tous les évène-
232 OU EX SOMMES-NOUS ?

ments de l'histoire. Or, dans chaque fait on


distingue trois périodes : la période de formation,
la période de développement, la période d'ac-
complissement. Dans les faits en question, la
durée de chaque période est incertaine. Ainsi,
bien que l'approche des derniers jours puisse et
doive être parfaitement connue, nul ne peut in-
diquer la date précise: c'est-à-dire le jour el
l'heure de la fin du inonde : c'est le secret de
1
Dieu et de Dieu seul .
Nous allons reprendre ces cinq grands signes,
sans nous permettre de déterminer la période à
laquelle chacun est arrivé.
La chute de l'empire de Rome, ou l'apostasie
des nations. — Ecrivant à ses chers disciples de
Thessalonique, saint Paul leur dit : « Ne changez
pas de sentiment et ne vous laissez effrayer par
aucun esprit, par aucun discours, par aucune
lettre qui aurait été envoyée par nous, annon-
çant que le jour du Seigneur est proche. Que
personne ne vous trompe en aucune manière : car
ce jour ne viendra pas avant que la défection ail
d'abord eu heu, et qu'ait paru Fhomme dépêché,
le fils de perdition, le grand adversaire qui s'élè-
vera au-dessus de tout ce qu'on appelle Dieu, et
que l'on adore...
1
De die autem illa et hora nemo scit, neque angeli cœlorum ,
nisi solus Pater. Matth,, xxiv, 36.
CHAPITRE XXVI. 233

» Vous savez ce qui le retient, jusqu'à ce que


son jour soit venu... Que celui donc qui le retient
maintenant continue de le retenir, jusqu'à ce
qu'il disparaisse. Alors se révélera ce méchant,
que le Seigneur Jésus tuera du souffle de sa
bouche \ »
Les deux choses importantes de ce texte sont :
1° le mot défection; 2° l'obstacle qui, tant qu'il
existera, empêchera cette défection d'avoir lieu.
D'après l'étymologie, le mot discessio veut
dire défection, éloignement, séparation, divorce,
révolte, et, dans le sens religieux, apostasie, sinon
consommée du moins commencée. Ainsi, l'Apôtre
annonce, comme signe prochain de la fin des
temps, une grande défection, une grande sépa-
ration, une grande révolte, telle qu'on n'en a
point vu.
Quelle est cette grande défection, cette grande
séparation, ce grand divorce? Pour le savoir, il
faut interroger la tradition, véritable interprète
de l'Ecriture. Or, depuis les temps apostoliques
jusqu'à nos jours, la tradition affirme que cette
grande rébellion sera la séparation des nations
de l'empire de Rome ou de l'empire romain ; leur
révolte publique et permanente contre cet em-
pire, qui doit durer jusqu'à l'arrivée de Tante-
christ, lequel substituera à l'empire de Rome son
empire antichrétien.
1
- II Thess., u, 2-8.
•254 OU EN SOMMES-NOUS?

Ecoutons quelques témoignages. Instruits par


les apôtres, les premiers chrétiens priaient avec
une ferveur particulière pour la conservation de
l'empire romain, parce qu'ils regardaient sa
chute comme le prélude imminent de la fin du
monde. « Nous avons, dit Tertullien, un motif
majeur de prier pour les Césars et pour la con-
servation de l'empire. Nous savons que la grande
catastrophe qui menace l'univers, la fin du
monde, qui doit être accompagnée de si horribles
malheurs, n'est retardée que par l'existence de
l'empire romain'. »
« II n'est douteux pour personne, ajoute Lac-
tance, que la fin des royaumes et du monde sera
très-prochaine, lorsque l'empire de Rome tom-
bera. C'est lui qui soutient l'univers. Voilà pour-
quoi nous devons prier Dieu, le front dans la
poussière, si toutefois l'exécution de ses décrets
peut être différée, afin de retarder la venue de
l'abominable tyran qui doit renverser l'empire
et éteindre ce flambeau, dont la disparition en-
2
traînera la chute du monde . »
1
Est et alla major nécessitas nobis orandi pro imperatoribus,
etiam pro ornai staiu imperii rebusque romanis, qui vim maxi-
fûam orbi imminentem, ipsamque clausulam sœculi, acerbitatef*
horrendas c o m m î n e n t e m , romani imperii commeatu scimus
retardari. Apol., x x x u .
1
Cum caput illud orbis occident..., quis dubitet venisse j a m
tinem rébus humanis orbique terrarum ? Illa, illa est civitas.
CII.UMTHE XXVI. m

Plus explicite encore est saint Ghrysostome.


Développant le texte de saint Paul, Moquent
patriarche s'exprime en ces termes : « On pourra
demander ce que l'Apôtre entend par ces paroles :
Vous savez ce qui empêche qu'il ne paraisse, et
ensuite on voudra savoir pourquoi il en a parlé
si obscurément. Qu'est-ce donc qui l'empêche de
paraître? Les uns disent que c'est la grâce du
Saint-Esprit, les autres, l'empire romain, et je
suis fort de ce dernier avis. Pourquoi? Parce
que, s'il avait voulu parler du Saint-Esprit, il se
serait expliqué clairement ; et d'ailleurs il y a
longtemps que les dons gratuits ont cessé. Mais,
parce qu'il a en vue l'empire romain, il a raison
de parler d'une manière couverte et énigma-
tique, pour ne pas irriter inutilement les Ro-
mains.
» Il dit donc seulement : Que celui qui tient,
tienne jusqu'à ce qu'il soit ôté; c'est-à-dire, quand
l'empire romain sera ôté du monde, l'antechrist
viendra. Quand cet empire sera renversé, l'ante-
christ s'en emparera et entreprendra de s'arroger
l'empire des hommes et même de Dieu. Car,
quee adhuc sustentât o m n i a ; precandusque nobis et adorandus
est Deus cœli, si tamen statuta ejus et placita ditferri possunt, ne
citia* q u a m p u t e n m s , tyrannusille abominabilis veniat, qui tan-
tum facinus moliatur, ac lumen ilhid effodiat eujus inteiïtu
mundus ipse lapsurus est. Du\ ùistit., lib. VII; T)e vit. beat.,
cap. xxv ; ]d., c. w .
256 OÙ EN SOMMES-NOUS?

comme les autres empires qui ont précédé ont été


renversés, celui des Mèdes par celui des Perses,
celui des Perses par celui des Macédoniens, et
celui des Macédoniens par celui des Romains :
de même celui des Romains sera renversé par
l'antechrist, et l'antechrist sera exterminé par
Jésus-Christ. C'est ce que Daniel nous montre
4
d'une manière très-évidente . »
« Le démon, dit saint Cyrille de Jérusalem,
suscitera un homme fameux, qui usurpera la
puissance de l'empire romain. Cet antechrist
viendra lorsque le temps de l'empire romain
sera accompli et que la fin du monde appro-
2
chera . »
Nous pourrions citer, en faveur du même sen-
timent, les autres Pères, parmi les plus illustres
de l'Orient et de l'Occident. Terminons par saint
Jérôme, qui explique ainsi les paroles de saint
Paul : a Seulement que l'empire romain, qui tient
maintenant sous sa puissance toutes les nations,
se retire et soit ôté de ce monde, et alors l'ante-
3
christ viendra . »
1
Quemadmodum régna illa destructa sunt, quœ ante roma-
n u m imperium fuerunt, utpote regnum Medorum a Babyloniis,
Babyloniorum a Persis, Persarum a Macedonibus, Macedonum a
R o m a n i s , ita et regnum Romanorum ab antichristo, etc.
Homil. iv in II Thess.
8
Catech., xv.
J
Tantum ut romanum imperium. quod universas gente»
CHAPITRE XXVI. 2S7

Le savant docteur affirme que telle est l'opi-


nion de tous les écrivains ecclésiastiques. D'où
Suarez conclut que cette tradition est de la plus
haute antiquité et vraisemblablement d'origine
{
apostolique .
Enfin, cette tradition est entrée dans l'ensei-
gnement catholique, non pas sans doute comme
article de foi, mais avec toute l'autorité des
grands noms qui l'appuient. « Quels sont, de-
mande un catéchisme justement célèbre et par-
faitement orthodoxe, les signes voisins du j u -
gement?— Principalement ces trois : l'Evangile
prêché par toute la terre, l'empire de Rome aboli
par une rébellion générale, la venue de l'ante-
2
christ . »
Restent maintenant trois questions. Quel est
cet empire romain dont il s'agit? existe-t-il en-
core? pourquoi est-il l'obstacle à la venue de
l'antechrist? Nous allons chercher la réponse.

t e n e t , recédât et de medio fiât, et tune antichristus veniet.


Epist. ad Algasium, olim 151.
1
Denique Hieronyuius fatetur hanc esse sententiam o m n i u m
scriptorum ecclesiasticorum. Constat igitur hanc esse antiquis-
simam traditionem; unde verisimile est ab apostolis manasse.
XJbi supra, queest. LIX, art. 6, sect. 41, n. 3 .
8
Çatèch. de Tnrlot, doct. en t h é o l . , p. 116. L y o n , 1684 ,
e
4 5 édit.

ê m
OÙ EN SOMMES-NOUS?

CHAPITRE XXVII.
OÙ EN E S T LE M O N D E ?

Quel est l'empire romain dont il s'agit. — Existe-l-il encore, dans


• le sens temporel et dans le sens spirituel ? — Pourquoi est-il
l'obstacle à la venue du règne antichrétien ou de l'antechrist ?
— Quel empire le remplacera.

Quel est l'empire romain dont il s'agit? Il n'y


a pas deux manières de répondre à cette question.
Instruits par les apôtres eux-mêmes, les premiers
chrétiens étaient trop éclairés pour entendre uni-
quement par l'empire romain, dont l'existence
retardait la fin du monde, cet empire de Rome
païenne, persécuteur acharné de l'Eglise, et dont
l'existence perpétuait le règne du démon sur la
plus grande partie de la terre. S'ils l'avaient com-
pris dans ce sens, ils auraient été victimes d'une
erreur manifeste.
D'une part, cet empire païen est tombé et su
chute n'a pas entraîné celle du monde. D'autre
part, cet empire devait plutôt hâter la fin des
temps que de la retarder, puisqu'il était le plus
grand obstacle à l'établissement de l'empire chré-
tien de Rome, qui est la vie du monde. Mais, par
les enseignements apostoliques, ils savaient que
cet empire romain se transformerait un jour, el
CHAPITRE XXVII. -259

qu'au lieu d'être l'ennemi de l'Eglise, il en de-


viendrait le vassal.
Par l'empire romain dont il s'agit, il faut donc
entendre : 1° d'après toute la tradition, cet empire
purement temporel qui, réuni dans la personne
de Constantin, devenu chrétien, se divisa en
deux parties sous les successeurs de ce prince,
pour se perpétuer, en Orient, dans les empereurs
de Constantinople, et en Occident, dans Char-
lemagne et les empereurs d'Allemagne.
On peut entendre : 2° d'après saipl Thomas,
non-seulement l'empire matériel dont nous ve-
nons de parler, mais encore l'empire spirituel,
exercé par le Pontife romain sur les nations chré-
1
tiennes, comme nations .
Nous disons comme nations, parce que l'em-
pire du Pontife romain durera sur des individus
plus ou moins nombreux, pendant J.e règne de
l'antechrist, et jusqu'à la fin du monde.
Entendu dans le double sens temporel et spi-
rituel, où en est aujourd'hui l'empire romain?
' Existe-il encore ?
D'abord, l'empire temporel. Vers la fin du qua-
torzième siècle et au commencement du quin-
i
Dicendum est quod discessio a romano imperio débet intel-
ligi, non solum a teaiporali, sed a spiritali, scilicet a iide catho-
1
lica ronianse Ecclesia . Comment, in II Epist. ad Thess., n , lect. i.
Edit. Paris, 1654.
260 OÙ EN SOMMES-NOUS?

zièine , parut l'homme sans contredit le plus


extraordinaire que le monde ait vu depuis les
apôtres: cet homme est saint Vincent.Ferrier. Il
se donna pour l'ange de l'Apocalypse, envoyé de
Dieu afin d'annoncer l'approche du jugement
dernier. Pendant quarante ans, il parcourut l'Eu-
rope, prêchant chaque jour la même vérité aux
multitudes innombrables qui le suivaient d'une
ville à l'autre, et il prouva sa mission par d'écla-
tants miracles.
Or, trente-trois ans après le passage de l'ange
du jugement, le signe précurseur qui nous oc-
cupe commence à paraître. En 1452, Mahomet II
s'empare de Constantinople et coupe le rameau
oriental du grand empire romain.
Restait le rameau occidental. Attaqué intérieu-
rement par le ver rongeur du césarisme païen,
que la Renaissance avait apporté en Europe, il
continuait néanmoins de vivre dans les empe-
reurs d'Allemagne. Mais dès la fin du seizième
siècle on le voit languir, et les esprits supérieurs
1
présagent sa mort . Tant bien que mal, il s'est
soutenu jusqu'à notre époque.
Enfin, nous l'avons vu s'éteindre au commen-
1
Hoc signum discessinnis et eversionis romani imperii sensim
impletur, cum sensim incJinatur et déficit roman uni imperium.
Corn, a Lap., //i*lï Thess. ; Malvenda, De Antichnsto ; Bible de
Vence, t. XXHl.
CHAPITRE XXVII. 261

cément de ce siècle, par la destruction des Elec-


torats et par la renonciation solennelle au titre
et aux prérogatives de roi des Romains, imposée,
en 1806, par Napoléon à François II, qui prit à
er
la place le nom modeste de François I , empe-
reur d'Autriche.
Ainsi, depuis plus de soixante ans, l'empire
romain, dans le sens temporel, n'existe plus,
même de nom. C'est ce qu'aucun siècle n'avait
encore vu. Il ressort de là qu'entre tous les
signes des derniers temps, le plus incontestable-
ment visible aujourd'hui, c'est la destruction de
l'empire temporel de Rome. Ce signe n'est plus,
comme les autres, à la période de formation : son
développement est complet, et il brille de tout
son éclat.
Quant à l'empire romain, au sens spirituel,
c'est-à-dire la puissance sociale du souverain
Pontife sur les nations, où en est-elle aujour-
d'hui? Pour la partie protestante de l'Europe, le
Pape, c'est l'antechrist, le père de l'erreur, l'a-
1
• pôtre de la superstition . Pour l'autre partie, le
Pape est un souverain étranger, contre lequel on
croit devoir se tenir toujours en garde. Se sécu-
lariser , c'est-à-dire se rendre le plus possible
indépendants de l'influence romaine, est la ten-
* On sait que le célèbre Suarez fat obligé de faire un ouvrage
pour prouver le contraire.
m OÙ EN SOMMES-NOUS'»
dance générale de nos gouvernements soi-disant
catholiques.
Dans quelle partie du monde le Pontife romain
est-il demeuré l'oracle consulté, le père obéi des
nations, comme nations? Les principes politiques
partout professés, l'indifférence, pour ne rien
dire de plus, avec laquelle sont accueillies par
les hommes du pouvoir, les bulles, les allocu-
tions et même les excommunications pontifi-
cales, répondent tristement, mais éloquemmenl,
à cette question.
Plus éloquent encore et plus triste esl le
spectacle que nous avons sous les yeux : l'insur-
rection contre le Pape, la spoliation complète de
ses Etats, en présence de l'Europe, qui demeure
immobile; l'emprisonnement même du Vicaire
de Jésus-Christ, sans aucune protestation efficace
de la part des puissances. Quelle preuve plus
évidente que l'empire romain, au sens spirituel,
est, pour le moment, sinon détruit de fond en
comble, du moins bien près de l'être?
A Rome même on est frappé de cette déca-
dence, et on la juge comme nous la jugeons. On
lit dans la Civiltà : « L'empire romain évangé-
lique, qui s'était substitué à l'empire de Rome
païenne, a commencé depuis longtemps à se
dissoudre. L'hérésie et le schisme ont complète
ment soustrait des royaumes entiers à l'obé-
CHAPITRE XXVII. 263

dience du Siège romain. Les pays catholiques


eux-mêmes ont pris à tâche de détruire peu à
peu la base chrétienne de leurs constitutions, en
y substituant le naturalisme politique, la liberté
de? cultes, l'égalité civile et la jouissance des
mêmes droits pour tous, quelle que soit la reli-
gion qu'ils professent..., et l'on peut bien dire
que l'Eglise du Christ a cessé d'être, quant à son
influence sociale, la reine et la maîtresse des
nations
» Ses ennemis l'ont réduite à peu près à la
même condition où elle se trouvait dans les trois
premiers siècles, quand les fidèles étaient répan-
dus partout, mais sans former nulle part un Etat
et une société politiques. La dernière phase de
cet esprit antichrétien semble manifestement.se
déployer dans la guerre acharnée que l'on fait
au pouvoir temporel du Pape, afin que Rome
cesse d'être ce qu'elle a été si longtemps, la ca-
pitale du monde et la législatrice des peuples,
grâce au prince qui régnait sur elle...
» Qu'on jette maintenant les yeux sur l'état
actuel de la société, on sera forcé de reconnaître
que la séparation, ou l'apostasie, se développe et
prend aujourd'hui une extension quelle n'a ja-
mais eue... On peut dire que la société, comme
telle, est désormais séparée du Christ, et qu'elle
a, pour ce qui la regarde, renié l'Incarnation du
264 OÙ EN SOMMES-NOUS?

Verbe, en ôtant tout caractère sacré à chacun


des actes de la vie civile, pour les ramener à
l'état de pure nature.
» Restent les individus. Vivant dans une at-
mosphère sociale où ils respirent un air infecté
de l'esprit de négation, et au milieu du rationa-
lisme qui s'est infusé dans toutes les relations et
les conditions de l'existence humaine, ils en
viennent peu à peu, non-seulement à se refroidir
dans la charité, mais à s'affaiblir dans la foi.
Ainsi, le mystère d'iniquité qui s'ourdissait déjà
dès les temps apostoliques est, sinon accompli,
du moins porté à un tel degré d'accomplissement,
qu'il reste peu à faire pour qu'il soit entièrement
1
consommé . »

1
Voir les premiers numéros, an. 1863. — D'après la prophétie
de Daniel, la défection ou l'apostasie des nations sera accompa -
gnée d'une circonstance qui semble bien caractéristique de notre
époque. Le prophète dit qu'alors la science multipliera ses
formes et ses applications ; Et multiplex erit scientia (XT, 4). Ce
que nous voyons depuis le commencement du siècle peut bien
paraître l'accomplissement de cette prophétie. Ce qu'on appelle
le progrès de la science, et qui n'est réellement que la multipli-
cité de ses applications en diverses parties tout-à-fait secondaires,
a été porté à un point totalement inconnu jusqu'à nous. Un
premier résultat est d'augmenter l'orgueil de l'homme, d'affai-
blir sa foi et de le matérialiser de plus en plus. Un second ré-
sultat c'est de nous faire comprendre la puissance que tous ces
moyens donneront au dernier ennemi du Christ, pour séduire
les hommes et agir à la fois sur tous les points du globe.
CHAPITRE XXVII. 2t>5

A moins de nier le soleil en plein midi, il faut


donc en convenir : nous avons sous les yeux, dans
la chute totale de l'empire romain, au sens tem-
porel, et dans sa ruine imminente, au sens spiri-
tuel, le premier signe divinement annoncé de
l'approche des derniers jours.
Reste la troisième question. Pourquoi l'em-
pire romain est-il l'obstacle à la venue de l'ante-
christ? Comme Dieu-Homme, Notre-Seigneur
Jésus-Christ possède la plénitude de l'empire.
Au ciel et sur la terre, au temporel comme au
spirituel, il est le Roi des rois et le Seigneur des
seigneurs ; car il est l'héritier de toutes choses :
Quem constitua herœdem universorum. Vain-
queur du vieil empire romain, il se l'est adjugé
par droit de conquête et l'a donné à son Vicaire.
Celui-ci l'a transféré à Charlemagne et à ses
successeurs, avec les titres, les droits et les
devoirs qui devaient le perpétuer de siècle en
siècle.
De là vient que le grand empereur alla re-
cevoir, à Rome, des mains du Pape, la cou-
ronne impériale ; qu'il prit le nom de César, et
qu'il signait : Charles, serviteur ou vassal de
VEglise. De là vient que ses successeurs à l'em-
pire en recevaient l'investiture des mains du
Pape, sous le nom de roi des Romains. Ainsi
perpétué, l'empire romain était le signe visible
m OÙ EN SOMMES-NOUS ?
de la puissance temporelle de Jésus-Christ et de
K
son Vicaire sur le monde régénéré .
Quant à l'empire spirituel de Notre-Seignenr
sur le monde, c'est l'autorité sociale du Pontife
romain; non cette autorité secrète qui s'.exerce
sur les consciences individuelles, par l'ensei-
gnement du Symbole et du Décalogue, mais sur
les nations elles-mêmes, en tant que nations.
Ainsi, après avoir fait des peuples les enfants
de Dieu et les siens par le baptême, le Pontife ro-
main, décidant en dernier ressort les cas de con-
science sociaux; inspirant de l'esprit chrétien les
capitulaires, constitutions, chartes et lois des na-
tions; rappelant les rois à leurs devoirs; condam-
nant les révoltes comme la tyrannie, et traçant,
aux gouvernants et aux gouvernés, les règles à
suivre pour faire des sociétés temporelles l'ache-
minement à la société éternelle des élus : le
Pape faisant tout cela, et le Pape étant obéi, tel
est, au point de vue spirituel, l'empire romain.
Ce double règne de Notre-Seigneur sur le
monde chrétien, était la contrepartie du double
règne de Satan sur le monde païen, alors qu'il
était le roi et le dieu des gentils : Deus hujus
sœculis princeps hujus mundi. Or, ce double
règne de Notre-Seigneur étant détruit, il est in-
faillible que le double règne du démon le
1
Petra dédit Petro, Petrus diadema Rodulpho.
CHAPITRE XXVII. 287

remplace Si l'homme est libre de se choisir un


maître, il n'est pas libre de n'en point avoir.
Jésus-Christ ou Bélial, Christocratie ou Démo-
nocrafie, il n'y a pas de*milieu. -
Nous l'avons déjà remarqué, dans cette alter-
native est toute l'histoire du genre humain,
depuis le paradis terrestre. Que la destruction
du double empire romain, par l'apostasie des na-
tions, soit suivie de la venue de l'antechrist et
de l'établissement de son double règne, rien
n'est plus logique. Cette terrible vérité était
devant les yeux de saint Paul, lorsqu'il écrivait :
« Quand l'apostasie des nations aura eu lieu, alors
2
viendra l'homme du péché . »
1
Le 18 janvier de cette année 1871, Guillaume, roi de Prusse,
déclare accepter la dignité impériale, supprimée depuis soixante-
cinq ans, et que lui offraient les princes d'Allemagne. Tout cela
est une sorte de contrefaçon des électeurs catholiques d'autrefois,
et la confiscation, au profit de l'hérésie, du saint empire romain.
Envisagé dans ses rapports avec l'établissement du règne anti-
chrétien, ce fait inattendu ne manque pas de signification.
2
Ex dictis deducitur certum esse romanum imperium esse
ultimum et duraturum usque ad tinem mundi ; tune vero in
aliud imperium, antichrisii scilicet, sed brève, eonmmtabitur.
Estcommunis Patruni traditio, e t , ut videtur, apostolica. Corn,
a L a p In II ad Thess., n.
M
268 OH EN SOMMES-NOUS?

CHAPITRE XXVIII.
OÙ EN EST LE MONDE?

Examen du second signe : l'affaiblissement de la foi. — La foi


publique ou nationale et la foi privée. — Où en est aujourd'hui
la foi nationale? — Où en est la foi privée? — Deux témoins :
les faits et les hommes.

1
L'affaiblissement de la foi . —Nous l'avons vu,
la conséquence inévitable de la chute de l'empire
de Rome, c'est-à-dire de l'empire chrétien, c'est
la formation rapide du règne antichrétien. De ce
règne antichrétien, la conséquence également
inévitable est l'affaiblissement général de la foi.
1
La question de la fin des temps est la plus grande question de
notre époque. Nous sommes loin d'être seul à nous en occuper.
Depuis quelques années surtout, elle fixe l'attention d'un bon
nombre d'hommes de grande autorité, en Angleterre, en France,
en Italie et ailleurs. Tous partagent le sentiment que nous
r
exprimons. Qu'il nous suffise do citer : Ms Manning, archevêque
de Westminster, dans son livre : le Domaine temporel du Vicaire
de Jésus-Christ; M. Rougoyron, de l'Antéchrist; >I. P. R. N. B.,
de la Dernière Persécution de l'Eglise et de la Fin du monde.
L'auteur démontre avec beaucoup d'intelligence et d'érudition
que les signes de l'approche des'derniers jours apparaissent
clairement dans les temps où nous sommes.
Qu'à différentes époques, par exemple, au sixième siècle et
en l'an 1000, on ait cru à la tin prochaine du monde, nous ne
l'ignorons pas. Mais nous savons aussi que c'était plutôt une
crainte qu'une croyance raisonnée, attendu qu'alors on ne voyait
pas, comme aujourd'hui, les cinq grands signes divinement an-
noncé? de l'approche des derniers jours.
CHAViTKE XXVIII. "2(50
. Cet affaiblissement est le second signe des der-
niers jours. « Quand le Fils de l'homme viendra,
1
pensez-vous qu'il trouve de la foi sur la terre . »
Il n'y a pas à en douter : à l'approche du
second avènement de Notre-Seigneur, la foi aura
tellement diminué sur la terre, que c'est à peine
si lui-même pourra en trouver. La diminution
effrayante de la foi parmi les peuples qui l'auront
reçue, est donc un nouveau signe, divinement
annoncé, de la fin des temps. Mais pour l'être
réellement et de manière à ne pouvoir s'y trom-
per, jusqu'à- quel point doit aller cette diminu-
tion? Dieu seul le sait.
Quant à nous, voici ce que nous savons. D'a-
bord, cette diminution de la foi n'ira pas jusqu'à
l'extinction totale de la foi. L'Eglise doit durer
autant que le monde, toujours visible et toujours
catholique. Il y aura donc toujours des chrétiens,
et il y en aura partout.
Non-seulement le flambeau de la foi, destiné
à éclairer le dernier des élus, ne sera jamais
éteint; mais encore il brillera d'un éclat plus vif
aux yeux des vrais fidèles. Sa puissante lumière
leur sera plus nécessaire que jamais pour sou-
tenir les luttes terribles du règne antichrétien.
a En comparaison des saints des derniers temps,
1
Vorumtomen Filins hominis venien^ putas inveniet iideru in
terra. Luc, x \ i u , 8.
-270 OÙ EN SOMMES-NOUS?

que sommes-nous, disait saint Augustin ? Quel


sera l'héroïsme de ceux qui triompheront d'un
ennemi déchaîné, que nous pouvons à peine
1
vaincre, maintenant qu'il est enchaîné ? »
Nous savons encore, d'après les paroles de
Notre-Seigneur, qu'à l'approche même de son
second avènement, la foi sera plus faible dans la
généralité des hommes qu'elle ne l'aura été à
aucune époque, et que le nombre de ceux qui la
conserveront dans sa vigoureuse intégrité sera
2
plus restreint que jamais . Il s'agit maintenant
d'examiner si tel est, ou à peu de chose près,
l'état dé la foi dans le monde actuel. Parlons d'a-
bord de la foi publique ou nationale. Nous passe-
rons ensuite à la foi privée.
La foi publique ou nationale. Laissons de côté
les pays infidèles, qui composent la plus grande
partie du globe. Considérons seulement l'Europe,
la portion privilégiée du monde, qui, jusqu'aux
temps modernes, a été en possession publique de
la foi. Où trouver aujourd'hui la foi nationale?
Est-ce dans les nations, comme nations? Mais
toutes sont hérétiques, schismatiques, rationa-
1
In eorum sane, qui tune futuri s u n t , sanctorum atque fide-
lium comparatione quid sumus , quandoquidem ad illos proban-
dostantus solvetur inimicus, cum quo nos ligato tantis periculis
dimicamus ? De ch\ Dei, lib. XX, c. vin, n. 2.
* Quoniam abundavit iniquitas , refrigescet earitas multorum.
Matth., xxiv, i 2 .
CHAPITRE XXVIII. 271

listes, matérialistes et plus ou moins hostiles à la


foi.
Dans les gouvernements, qui les représen-
tent? Bien habile celui qui pourrait nommer, sous
le ciel de l'Europe actuelle, un gouvernement
catholique, comme gouvernement ; un souverain
catholique, comme souverain ; même un homme
d'Etat, un ministre tant soit peu connu, catho-
lique comme ministre ou comme homme d'Etat.
Quand on songe que le nom même de Notre-
Seigneur Jésus-Christ, le Roi des rois, le Légis-
lateur des législateurs, n'a pas été une seule fois,
depuis plus de quatre-vingts ans, prononcé en
toutes lettres dans aucun discours officiel, tandis
qu'on le trouve à chaque page, en tète des cons-
titutions des empereurs et des capitulaires des
anciens rois chrétiens : que voulez-vous qu'on
pense de la foi nationale de nos gouvernements
soi-disant catholiques?
Dans la politique? Est-ce sous l'inspiration de
la foi que le monde est gouverné, la religion
impunément batfouée, l'Eglise dépouillée et le
Pape en prison? La politique des gouvernements
actuels n'est-elle pas plutôt la négation de la foi
que la diminution de la foi ?
Dans les constitutions et dans les lois.* La
négation nationale de la foi n'est-elle pas écrite
dans les principes antichrétiens de liberté de
m OÙ EN SOMMES-NOUS-?
conscience, de liberté de la presse, d'égalité des
cultes et dans vingt autres ?
Ainsi, de la foi nationale de l'Europe actuelle,
il ne faut plus parler, si ce n'est comme d'un
mort. Je me trompe : sa foi nationale est la néga-
tion de toute foi religieuse en matière de gou-
vernement. Elle se formule dans les paroles sui-
vantes, d'accord avec les faits ; « Qu'on ne s'y
trompe pas, malgré les dénégations des sacris-
ties, l'autorité morale qui doit présider à la
marche éternellement ascendante du genre h u -
main, n'est plus dans les dogmes théologiques;
le progrès est laïque, et le mouvement de la civi-
lisation s'accomplit complètement en dehors du
catholicisme.
» Par conséquent, toute autorité morale réside
maintenant dans ce patrimoine de vérités que
les générations se lèguent les unes aux autres,
en l'enrichissant constamment, par le constant
travail de l'idée. La loi théologique est dépossé-
dée, et la loi civile s'est faite dogme à son tour.
C'est dans les constitutions que tous les perfec-
tionnements successifs de l'humanité viennent
s'inscrire et se résoudre en devoirs toujours
plus hauts et d'une moralité plus sainte. Les
constitutions sont les codes religieux des temps
modernes \ »
1
Traduction donnée par le National du 15 septembre 4848 des
CHAPITRE XXVIII. 273

Si telle esl aujourd'hui l'absence de foi natio-


n a l e en Europe, que sera-ce lorsque la Prusse
aura achevé de vaincre la France ? Le triomphe
de la Prusse est le triomphe de l'hérésie et du
rationalisme. Le Pape prisonnier, Rome aux
mains de la Révolution, la France ruinée, on
se demande si, au point de vue national, la pré-
diction de Notre-Seigneur n'est pas pleinement
accomplie ?
Venons à la foi privée. Pour apprécier l'état
actuel de la foi chez les particuliers, deux genres
de témoins doivent être entendus : les faits et
les hommes.
Quels sont les faits? En voici quelques uns :
la profanation du dimanche; les blasphèmes
incessants, écrits ou prononcés, dans les cam-
pagnes, comme dans les villes; le mépris presque
général des lois du jeûne et de l'abstinence;
l'abandon des sacrements; l'oubli de la plupart
des pratiques héréditaires de la piété domestique;
la multiplicité des théâtres et des cabarets; le
développement des sociétés secrètes; la popula-
rité des mauvais journaux et des mauvais livres;
les morts sans prêtre, l'augmentation effrayante
du suicide dans toutes les classes.
On connaît l'arbre à ses fruits. Des faits que
paroles de M. de Lamartine, déclarant que la religion, comme
élément social, est désormais mutile.
18
274 OÙ EN SOMMES-NOUS?

nous venons de signaler, et beaucoup d'autres


particuliers à notre époque, du moins par leur
caractère de généralité, annoncent-ils la conser-
vation ou la diminution de la foi dans les indi-
vidus? Allons plus loin et ne parlons pas seule-
ment de la vraie foi, de la foi catholique, mais
seulement de la foi au surnaturel.
Combien, même parmi les hommes baptisés
catholiques, qui n'y croient plus ! Vrais Chinois,
qui ne croient qu'à leur ventre. Dans les Etats
protestants, c'est pis encore. Sur plus de vingt
millions d'habitants, c'est à peine si on compte,
dans la Grande-Bretagne, huit millions d'hommes
qui croient à autre chose qu'à la matière. Sur
trente-six millions de créatures humaines qui
composent la population des Etats-Unis, on con-
naît à dix millions une croyance quelconque; aux
vingt-six autres millions on n'en connaît aucune.
Quels sont les hommes? Les témoins compé-
tents de la foi des peuples ne sont pas les
laïques. Leurs regards s'arrêtent forcément aux
surfaces. A la vue d'une église remplie de monde
un jour de solennité, ou à l'occasion d'un sermon
de quelque prédicateur célèbre , au spectacle
d'une communion plus ou moins nombreuse,
dans une ville ou une paroisse dont les habitants
se comptent par milliers, ils s'écrient aussitôt :
Voyez combien il y a encore de foi !
CHAPITRE XXVIII. 275

Sans comparer à ceux qui sont dedans le


• nombre de ceux qui sont dehors, sans compter
les non-valeurs parmi ceux qui sont dedans, ils
concluent, avec une assurance satisfaite, qu'il
n'y a pas liçu de se plaindre, et que, sous le
rapport de la foi, notre siècle en vaut un autre.
C'est surtout à la suite d'une mission ou d'une
station de Carême qu'ils se montrent émerveil-
lés. Je ne sais si, à aucune époque, on a autant
prêché qu'aujourd'hui. A la voix des nouveaux
apôtres, les églises, du moins dans certaines
localités, se remplissent de femmes et d'un cer-
tain nombre d'hommes. Un mouvement reli-
gieux sè fait sentir, et un bien réel est opéré. Il
le faut pour tenir allumé, du moins dans quelques
âmes, le flambeau de la foi et perpétuer les vrais
enfants de l'Eglise.
Mais combien dure la persévérance du plus
grand nombre? Le mouvement consolateur est
bien vite éteint par le mauvais esprit qui souffle
partout ; de sorte que le résultat final est plutôt
d'enrayer le mal que de développer le bien. La
preuve en est, que tant de missions, tant de sta-
tions, tant de retraites n'ont pas modifié, dans le
sens catholique, les tendances générales des po-
pulations.
Sur l'état de la foi chez les peuples de l'Eu-
rope actuelle, les vrais témoins à entendre sont
m OÙ EN SOMMES-NOUS T
les prêtres. Eus seuls, à raison de leur ministère,
percent les surfaces et voient le fond réel des
choses. Avant tout écoutons le Prêtre des prêtres,
la Sentinelle d'Israël, dont le regard, du haut du
Vatican, plane sur le monde entier.
S'adressant aux patriarches,, aux primats, aux
archevêques, aux évêques de toute la terre, le
Vicaire de Jésus-Christ leur dit : « Nous pouvons
dire avec vérité que c'est maintenant l'heure de
la puissance des ténèbres, pour cribler comme le
blé les fils de l'élection ; oui, la terre est, dans le
deuil, et elle périt, infectée qu'elle est par la cor-
ruption de ses habitants. Nous vous parlons, vé-
nérables frères, de ce que vous voyez de vos
yeux, et sur quoi nous gémissons ensemble,
» C'est le triomphe d'une méchanceté sans re-
tenue, d'une science sans pudeur, d'une licence
sans bornes. Les choses saintes sont méprisées,
la religion tournée en dérision. Les liens de l'u-
nité s'affaiblissent de jour en jour. La divine
autorité de l'Eglise est attaquée, ses droits sont
anéantis. Nous pouvons dire en toute vérité que
le puits de l'abîme est ouvert : ce puits dont saint
Jean vit sortir une fumée qui obscurcit le soleil,
1
et des sauterelles qui ravagèrent la terre . »

* Vere apertum dicimus puteum abyssi, e quo vidit Joannes


ascendere f u m u m , quo obscuratus est sol, locustis ex eo
piodeuntibus in vastitatem terrée. Bulle Miravi vos, etc.
CHAPITRE XXVIII. 277

Déjà quelques années avant Grégoire XVI t

le vénérable Pie VII écrivait : « La déplorable


époque où nous vivons semble être ces derniers
temps annoncés tant de fois par les apôtres*. »
Que serait-ce si, à ces graves témoignages,
nous ajoutions les cris d'alarme tant de fois
poussés par Pie IX dans ses lettres apostoliques?
Telle est la réponse des souverains Pontifes à
ceux qui prétendent qu'il y a encore beaucoup
de foi dans le monde, et que notre siècle en vaut
un autre.
Interrogeons maintenant les évêques des an-
ciens pays catholiques : la France, l'Espagne, le
Portugal, l'Autriche, l'Italie, et demandons-leur :
Depuis quarante ans, la foi a-t-elle augmenté
dans vos diocèses et dans vos paroisses? Ils n'au-
ront qu'un cri pour répondre : «Hélas! c'est le
contraire. Loin d'augmenter, la foi diminue à
vue d'œil ; au lieu de venir, elle s'en va. Le mal
moissonne ; nous glanons. »
Ecrite dans leurs mandements, dans leurs
lettres synodales, dans leurs publications, cette
réponse unanime est l'écho retentissant des pa-
roles apostoliques : «, G'est maintenant l'heure de
la puissance des ténèbres; le puits de l'abîme
est ouvert; la déplorable époque où nous vivons

1
Bulle Ecclesiam a Jesu Ghristo, 13 septembre 1821.
m OÙ EN SOMMES-NOUS?
semble être les derniers temps divinement an-
noncés. »
Quelques-uns disent que, sous cette épaisse
couche d'indifférence, de matérialisme, et, il
faut ajouter, d'iniquités de tout genre, la foi vit
au fond des âmes. Est-ce bien la vraie foi? la
foi complète à tous les articles du Symbole, tels
que l'Eglise les enseigne? la foi simple qui o
vaincu le monde? La foi qui n'agit pas, est-ce
une foi sincère? L'Apôtre répond : La foi sans
les oeuvres est une foi morte : Fides sine operibus
mortua est. Il faut du moins avouer que si elle
est vivante et sincère, elle est bien faible, plus
faible que jamais.
En résumé : les faits les plus évidents mon-
trent que la foi nationale est éteinte dans le
monde ; les affirmations unanimes des témoins
les plus compétents, les prêtres, les évêques et
les Papes, déclarent que la foi privée baisse d'une
manière effrayante et dans des proportions in-
connues jusqu'ici. Nous voyons donc de nos
yeux l'accomplissement très-avancé de la pré-
diction de Notre-Seigneur : Quand le Fils de
l'homme viendra, pensez-vous qu'il trouve de la
foi sur la terre? Or, l'affaiblissement visible et
universel de la foi est le second signe précurseur
de la fin des temps.
CHAPITRE XXIX.

CHAPITRE XXIX.
OÙ E N EST LE MONDE?

Examen du troisième signe ; le débordement de la vie m a t é -


rielle. — Tableau du matérialisme et du sensualisme actuel.
— La politique. — Le commerce et l'industrie. — Les arts. —
L egoïsme. — Quatre symptômes du matérialisme : l'aveugle-
ment de Tesprit, rabaissement des caractères, le méconten-
tement, la crainte.

Le débordement de la vie matérielle. — Quand


le plateau d'une balance descend, l'autre monte.
Le signe qui précède appelle nécessairement ce-
lui qui suit. Tout ce que perd la vie de Tesprit
bénéficie à la vie de la chair. Le monde surnatu-
rel n'étant plus rien pour Thomme, le monde
naturel est tout. Cette prépondérance, ou mieux
ce débordement de la vie matérielle est un nou-
veau signe de la fin du monde.
Notre Seigneur dit : « Comme il en était aux
7

jours de Noé, il en sera à l'avènement du Fils de


Thonirne. Aux jours qui précédèrent le déluge,
les hommes ne songeaient qu'à manger et à
Boire, à se marier et à marier, jusqu'au jour où
Noé entra dans Tarche. Et ils ne connurent rien,
jusqu'à ce que vint le déluge, qui les emporta
tous. Tel sera T avènement du Fils de l'homme.
280 OÙ EN SOMMES-NOUS?

Comme il en était encore aux jours de Loth : ils


mangeaient et buvaient, achetaient et ven-
daient, plantaient et bâtissaient. Le jour même
ou Loth sortit de Sodome, une pluie de feu et de
soufre tomba du ciel, et les perdit tous. Voilà
ce qui aura lieu, lorsque le Fils de l'homme se
1
manifestera . »
Sur ces paroles d'une clarté éblouissante, plu-
sieurs remarques sont à faire. D'abord, Notre-
Seigneur répète ce qu'il avait dit ailleurs, que le
jour précis et l'heure précise de la fin du monde
sont le secret de Dieu seul. Puis, immédiatement
après, il donne un signe auquel on reconnaîtra
2
l'approche de son second avènement . Il ajoute
que, ce signe ayant suffisamment paru, le der-
nier des jours tombera inopinément sur le monde.
En effet, il est dit que la généralité des hommes
1
Sectmdum htec erit qua die Filius hominis revelabitur.
Matth., xxrv, 36-39 ; Luc, xvn, 2G-30.
* Ces lignes sont écrites à Fuans (Doubsj, les 26, 27 et 28 jan-
vier 1871, au moment où passent sous mes fenêtres les débris
de l'armée du général Ftourbaki, vaincue à Hérimoricourt sans
avoir combattu. Le froid , les mauvais chemins, les privations,
les maladies l'ont décimée. Par un froid noir et très-vif, la terre
couverte de huit pouces de n e i g e , ces malheureux soldats vont
à marches forcées, pour échapper aux Prussiens. Les uns ont les
pieds gelés, les autres les souliers percés et les habits déchirés ;
ils marchent à la débandade, sans discipline, sans ordres que
des contre-ordres, et dans une démoralisation complète. Jamais
spectacle plus navrant ! Hélas ! c'est la France en miniature !
Seigneur, ayez pitié d'elle !
CHAPITRE XXIX. 281

ne reconnaîtront pas plus ce signe du jugement


dernier, que les antédiluviens ne reconnurent
les signes du déluge : et non cognoverunt donec
venit dilu-mum, ita erit et adventus Filii hominis.
Mais la Providence se sera justifiée; les élus au-
ront été avertis et l'Eglise ne sera pas demeurée
sans direction.
Très-significatif par lui-même, ce nouveau
signe acquiert une grande valeur à cause de sa
réunion avec les autres. Que le débordement du
matérialisme se soit produit à d'autres époques
de l'ère chrétienne, telle n'est pas la question.
La question est de savoir, premièrement, si ce
débordement a jamais eu lieu dans les propor-
tions qu'il atteint de nos jours ; secondement, si,
en le supposant aussi développé, il était accom-
pagné des autres signes de la fin des temps : l'é-
mancipation des juifs, la prédication à peu près
universelle de l'Evangile, l'affaiblissement de la
foi et l'apostasie des nations. Quant à la seconde
partie de la question, la réponse n'est pas dou-
teuse. Reste à étudier la première. Nous allons
le faire en examinant où en est aujourd'hui le
débordement de la vie matérielle, et s'il est ar-
rivé à un degré suffisant pour former le signe di-
vinement prédit.
Or, la réponse que nous cherchons est dans
les paroles mêmes du souverain Juge. Il viendra.
28-2 OU K\ SOMMKS-NOUS?

nous dit-il lui-même, lorsque la généralité des


hommes ne vivront plus que pour le corps ; lors-
que boire, manger, vendre, acheter, bâtir, se
livrer avec passion aux affaires et aux plaisirs,
sera leur occupation dominante et presque exclu-
sive, le soin qui absorbera tous les autres soins.
Lorsqu'enfoncés dans la matière et esclaves
de leurs sens, le monde spirituel, Dieu, Jésus-
Christ, l'Eglise, rame, l'éternité, les promesses
et les menaces divines, ne seront pour les uns
que des chimères, et pour les autres que des vé-
rités plus ou moins abstraites et presque sans in-
fluence sérieuse sur l'ensemble de leur conduite;
lorsqu'ils ne connaîtront plus, qu'ils n'aimeront
plus, qu'ils ne rechercheront plus que les réalités
palpables, l'or, l'argent, le bien-être du corps;
qu'ils se moqueront des Noé, dont la voix amie
leur annoncera la proximité du déluge : alors
l'homme sera devenu chair. Quand il sera de-
venu chair, l'esprit de Dieu se retirera, l'homme
aura perdu sa raison d'être; puis viendra la
tin.
Essayons maintenant de mesurer la hauteur
à laquelle est aujourd'hui monté le débordemeni
de la vie matérielle. Il est dit que les eaux du
déluge dépassèrent de quinze coudées les plus
hautes montagnes. Ne peut-on pas affirmer, avec
certitude, qu'au dix-neuvième siècle le maté-
CHAPITHE XXIX. 283

rialisme dépasse de beaucoup la tête des peuples


les plus élevés en prétendue civilisation?
Le Créateur de l'homme et des sociétés, le sou-
verain Législateur des nations avait dit : « Cher-
chez d'abord le règne de Dieu et sa justice, et
tout le reste vous sera donné par surcroît \ » Le
dix-neuvième siècle a retourné la formule, et il
dit : Cherchons d'abord les biens temporels,
cherchons-les incessamment et par tous les
moyens possibles. Quant aux biens spirituels,
nous aurons toujours le temps de nous en occu-
per, si tant est qu'ils en vaillent la peine.
Cet axiome est devenu la règle de sa conduite.
Paris, qu'ils appellent la capitale de la civilisa-
tion, a donné le branle. Par sa transformation
matérielle, par le nombre, la beauté, le luxe de
ses palais, par ses théâtres, par ses lieux de plai-
sirs, par sa vie de mollesse, de dissipation et
d'agiotage, Paris est devenu une Babylone. Dans
les limites, et quelquefois au delà des limites de
leurs ressources, les villes de France ont imité
Paris, et sont devenues de petites Babylones.
Franchissant les frontières de la France et
même de l'Europe, la ftèvre épidémique du
bien-être et du luxe, sous toutes les formes, s'est
emparée des peuples. La politique n'a plus été
que l'art de matérialiser les nations, en leur pro-
j
Matth.
} v i , 33.
28i OÙ EN SOMMES-NOUS?

curant, môme au détriment de leur vie surna-


turelle, la plus grande somme possible de jouis-
sances animales. L'industrie et le commerce ont
pris un développement inouï, dont le résultat le
plus clair a été de créer à l'homme des milliers
de besoins factices, qui le rendent de plus en
plus esclave de son corps et l'enfoncent chaque
1
jour plus avant dans la matière .
De là, un luxe dont l'effronterie et les raffine-
ments sont la terreur et la honte des hommes
sensés. Entrés dans le complot, les arts sont de-
venus honteusement sensualistes. Les uns ont
amolli les générations actuelles par les chants,
par la musique, par les danses, par les spec-
tacles; les autres ont achevé de les corrompre,
en étalant aux yeux du monde chrétien toutes
les lubricités qui faisaient des villes païennes
autant de Sodomes, et dont les abominables ves-
tiges se retrouvent encore dans les ruines de
Pompéi. Prédication puissante, ce langage des
arts a produit dans les mœurs générales un cy-
nisme dont le moyen âge n'eut jamais à rougir.
Tel est, en quelques mots, le tableau du maté-
rialisme au dix-neuvième siècle. Sans crainte,
nous le demandons à tout homme instruit et
1
Dans un seul petit village, isolé au fond de la province, et
qui n'est pas des plus mauvais, nous avons compté trente-cinq
objets de luxe qui y étaient inconnus il y a cinquante ans.
CHAPITRE XXIX. 285

impartial : Depuis que le christianisme est venu


• révéler les sublimes espérances du monde fu-
tur, a-t-on jamais vu l'homme ensorcelé par la
bagatelle et enfoncé dans la boue du matéria-
lisme et du sensualisme comme nous le voyons
de nos jours?
Pauvre monde ! il a penché sa tète vers la terre,
devenue son ciel ; sur elle il a cloué ses regards,
ses mains, son cœur. Nuit et jour au travail dans
ses manufactures, dans ses ateliers. sur les
fleuves, sur les mers, sur les chemins de fer,
dans les entrailles du globe ; pas un instant de
repos pour son corps, et moins encore pour son
âme.
Que veut-il? Eh! que voulait la vieille société
de Tibère et de Galigula? du pain et des plaisirs :
Panent et circensés. Ne lui parlez plus d'honneur,
de dévouement, de sacrifice de l'intérêt person-
nel à Dieu, à la société : il ne vous comprendrait
pas. Si lui-même vous en parle, ne le croyez
point. Devenu calculateur et froidement égoïste,
il porte inscrit sur son drapeau : Chacun pour soi,
chacun chez soi.
Autrefois, il revêtit sa puissante armure et
se leva comme un géant pour conquérir un tom-
beau. Il était grand ce jour-là; car ce tombeau
était le berceau de la civilisation du monde. Au-
jourd'hui, on peut lui enlever sa foi ; opprimer
286 OÙ EN SOMMES-NOUS?

l'Eglise, sa mère; baflbuer, dépouiller, empri-


sonner le Pape, son père : il restera muet, s'il
n'applaudit.
Réduit à la vie des sens, animalis homo, pourvu
qu'il ait de quoi l'entretenir tranquille et abon-
dante, il est coîitent. Non, il n'est pas content;
il ne le sera jamais. Un invincible instinct lui
dit que, par la prépondérance de la vie matérielle
sur la vie spirituelle, du corps sur l'àme, l'équi-
libre normal est rompu ; cet instinct ne le trompe
pas. Plus l'homme s'occupe de ce monde, moins
il s'occupe de l'autre. Moins l'homme s'occupe
de l'autre monde, plus il s'éloigne de sa fin ; plus
il s'éloigne de sa fin, plus il devient vil, malheu-
reux et coupable.
De là, quatre symptômes qui servent de ther-
momètre pour calculer la profondeur exception-
nelle du matérialisme dans lequel le monde
actuel est enfoncé Plus éloquents que tous les
discours, ces quatre symptômes sont : l'aveugle-
ment de l'esprit, l'abaissement des caractères, le
mécontentement et la crainte.
L'aveuglement de l'esprit. « Le plus noble des
êtres, l'homme, dit le Prophète, a perdu l'intel-
ligence de sa dignité ; il s'est comparé aux bètes
1
brutes et il leur est devenu semblable . » Pris
1
Houx» cum in honore esset non intellexit, comparatus est
jumentih in^ijtieiiiilms , et simili^ f.idus est illis. Ps. XI.VIJÎ, 13.
CHAPITRE XXIX. 287

en général, l'homme du dix-neuvième siècle vit


comme s'il n'avait point d'ànie. Le monde sur-
naturel, il le connaît peu, l'estime peu, et s'en
occupe encore moins. Sur le gouvernement de sa
vie, les grandes réalités de l'avenir ne pèsent
guère plus qu'une plume dans le bassin d'une
balance.
Entre la terre et le ciel semble interposé un
couvercle de plomb, qui empêche la vraie lu-
mière d'arriver jusqu'à l'homme devenu matière.
Etranger au monde surnaturel, il ne connaît
plus ni la main qui dirige les événements, ni leur
raison d'être. Les biens, il les reçoit sans recon-
naissance; les châtiments, sans repentir. Jamais
cette vérité n'a brillé d'un éclat plus sinistre.
Depuis quelques mois sont tombés sur la France
des maux qui font tinter les deux oreilles à l'an-
cien et au nouveau monde, et qui les feront tin-
ter à la postérité la plus reculée. Paris, devenu
un théâtre d'horreurs inconnues dans l'histoire,
fait peur et pitié. Or, nous ne craignons pas de
le dire, entre toutes les ruines accumulées dans
la capitale et sur le sol de la France, la plus
effrayante est la ruine du sens moral, qui em-
pêche de reconnaître la cause de toutes les
autres.
Où est le deuil public de la patrie? Où est le
cri du repentir? Où sont les conversions écla-
288 OÙ EN SOMMES-NOUS?

tantes? Où sont, comme dans les siècles de foi,


les supplications collectives, ardentes, officielles,
adressées au Tout-Puissant pour désarmer sa
justice? Vous les chercheriez en vain.
Bien plus. C'est à peine si on ose dire en public
que les fléaux qui tombent sur le monde sont le
châtiment de ses iniquités. Elémentaire chez
tous les peuples, même païens, cette vérité dé-
passe aujourd'hui l'intelligence des uns, et pro-
voque les ricanements des autres. Tel est l'a-
veuglement de l'homme matérialisé que , ne
croyant plus au gouvernement de la Provi-
dence, il admet, sans sourciller, des effets sans
cause.
L'abaissement des caractères. L'homme qui
fait de la créature son Dieu et de la terre son
ciel, est esclave de tout ce qui peut lui ravir son
bonheur. Pour le conserver, il est prêt à toutes
les bassesses. Un monde qui en est là n'est plus
qu'un vaste bazar, où tout se vend, parce que
tout s'achète : l'honneur, la conscience, la li-
berté. Cet abaissement des caractères est un des
signes les plus répandus et les plus sinistres de
notre époque. N'en citons qu'un exemple.
En France, en Belgique, en Angleterre, en
Italie, partout où est établi ce qu'on nomme le
suffrage universel, l'immense majorité vote
comme un troupeau. L'oracle consulté n'est ni la
CHAPITRE XXIX. 289

conscience, ni l'indépendance, ni la dignité per-


sonnelle, ni même l'intérêt général.
Le guide qui dirige l'aveugle bétail, c'est je
ne sais quel mesquin intérêt matériel, qu'on fait
miroiter aux yeux de l'électeur : un tableau pour
l'église, un chemin vicinal ou quelque tronçon
• de chemin de fer. C'est un emploi à prétendre, à
garder ou à perdre. C'est une marchandise à
vendre à plus haut ou à plus bas prix. Moins que
cela, c'est un repas à prendre gratis dans une
1
auberge .
C'est la crainte ou de déplaire à quelque agent
subordonné du pouvoir, ou simplement de se
faire remarquer, si, comme les moutons de Pa-
nurge, on ne sautait pas, à la suite des autres,
le même échalier, par la même ouverture. En
attendant, l'intérêt général disparaît devant l'in-
térêt particulier, et les exploiteurs de cet abêtis-
sement ont carte blanche, pour accumuler les
dettes publiques, corrompre la société et la con-
duire aux abîmes.
Le mécontentement. Semblable au malade, qui
se tourne et se retourne sur son lit de douleur,
sans pouvoir trouver le repos, le monde actuel,
atteint d'un malaise indéfinissable, est mécon-
tent de tout et de lui-même. La preuve en est
M l y a peu d'années un député belge nous disait que la moitié
de la Chambre avait été élue dans les brasseries.
19
290 OÙ EN SOMMES-NOUS?

dans les révolutions sans cesse renaissantes, qui


l'agitent et le bouleversent. Quel est, depuis
quatre-vingts ans, le peuple de l'Europe qui
n'ait pas eu la sienne, ou qui ne soit pas menacé
de l'avoir? En est-il un seul qui ne renferme
dans son sein des partis opposés et toujours prêts
à en venir aux mains?
La crainte. Que dire de la crainte qui oppresse,
comme un cauchemar, le monde actuel? Ce qu'il
appelle sa civilisation va chaque jour grandis-
sant : et il a peur.
La nature matérielle semble être à sa disposi-
tion, comme la balle entre les mains d'un enfant :
et il a peur.
Devant les efforts de son génie, les montagnes
ouvrent leurs flancs de granit, les vallées com-
blent leurs profondeurs, les mers reculent leurs
rivages : et il a peur.
Tributaires de sa volonté, la vapeur le trans-
porte, rapide comme l'oiseau, aux quatre points
du ciel ; et, en un clin d'oeil, l'électricité fait faire
à sa pensée le tour du monde : et il a peur.
Dans ses vêtements, la soie a remplacé la bure;
avec abondance l'or coule de ses mains : et il a
peur.
Sa vie est un festin de Balthasar ; et il a peur.
Quatre millions de baïonnettes protègent son
repos : et il a peur.
CHAPITRE XXX. 291

Les rois ont penr des peuples ; les peuples ont


peur des rois. Les nations ont peur des nations.
Tous ont peur de quelqu'un ou de quelque chose,
et rien ne peut les rassurer. Ils sentent qu'un
déluge de calamités est suspendu sur leurs tètes;
mais le matérialisme les empêche d'en connaître
la cause.
Le débordement de la vie matérielle, qui fait
de notre époque la reproduction trop fidèle de
l'époque antédiluvienne, tel est le troisième signe
divin de la décadence du monde et l'avant-cou-
reur de sa chute.

CHAPITRE XXX.
OÙ E N EST LE MONDE'?

Examen du quatrième signe : la prédication de l'Evangile- par


toute la terre. — Ce qu'elle doit être pour être un signe de la
fin des temps. — Paroles de Suarez. — Où elle en est aujour-
d'hui. — Quatre phénomènes contemporains : la découverte de
pays inconnus, l'œuvre d e l à Propagation de la foi, la multi-
plication des missionnaires. — L'apostolat de la femme. —
Marche parallèle de la propagation de la foi et de la conversion
des juifs.

La prédication de l'Evangile par toute la terre.


— En voyant mourir coup sur coup ses anciens
compagnons d'armes, le maréchal Soult disait :
« Il paraît qu'on bat le rappel là-haut. » Nous
m OÙ EN SOMiMES-NOUS?
pouvons dire la même chose, en considérant avec
quelle rapidité Dieu envoie, depuis quelque
temps, marquer au front ses élus dispersés par
toute la terre. Ce spectacle instruit, mais il n'é-
tonne pas. A mesure que l'affaiblissement de la
foi et le débordement de la vie matérielle aug-
mentent le nombre des défections dans les na-
tions anciennement chrétiennes, la Providence,
qui veut avoir son nombre, se hâte de le complé-
ter, en appelant au bercail des peuplades nou-
velles. La prédication universelle de l'Evangile
est donc la conséquence logique des deux signes
précédents.
« Et cet Evangile du royaume sera prêché dans
tout l'univers, en témoignage à toutes les na-
4
tions : et alors viendra la consommation . » Telle
est la prédiction de Celui qui connaît tout et qui
dispose de tout : mais quel en est le sens précis ?
Interprétées par la tradition catholique, ces
adorables paroles signifient que le flambeau de
la foi sera présenté à tous les peuples. Il servira
d'abord de témoignage pour justifier la Provi-
dence, qui, voulant le salut de tous les hommes,
aura donné au monde entier le moyen de con-
naître la vérité. « Il servira encore de témoignage
1
Et prœdicabitur hoc Evangelium regni in uqiverso orbe, in
testimonium omnibus gentibus : et tune veniet consummatio.
Matth., xxiv, 14.
CHAPITRE XXX. 293

en faveur de ceux qui auront cru, et de témoi-


gnage contre ceux qui auront fermé les yeux à
la lumière. Ces résultats obtenus, le monde
1
n'aura plus sa raison d'être, et il finira . »
Combien de temps le soleil de la vérité devra-
t-il briller sur chaque peuple, avant la fin du
monde? Les divines paroles ne le disent pas. On
peut seulement répondre qu'il brillera aussi
longtemps qu'il sera nécessaire, pour éclairer les
âmes droites et rendre inexcusables les incré-
dules. « Pour cela, ajoutent les interprètes, une
prédication passagère ne suffit pas. Il faudra que,
dans tous les pays et dans les principales pro-
vinces, des églises soient bâties et la religion
2
reçue et pratiquée, mais non par tous . »
Ils ajoutent encore : « Afin que la prédication
de l'Evangile soit universelle, il ne paraît pas
nécessaire qu'avant le jugement dernier le
1
Evangelium ubique prœdicatum erit in testimonium omni-
bus : in testimonium quidem prsemii et mercedis ils qui credunt,
in testimonium autem judicii et condemnationis iis qui non cre-
dunt. Suarez, ubi supra, p. 1062, n. 10.
* Ita esse Evangelium per universum orbem prsedicandum,
ut ubique, id est, in omnibus regionibus et preecipuis provinciis
templa fundentur, et christiana religio recipiatur et exerceatur.
et hoc modo Christus ubique agnoscatur et colatur... Dicendum
est, licet ubique sit fundanda etpropaganda Ecclesia, non tamen
omnes in universum homines esse credituros. Hoc enim nec n e -
cessarium est, neque ullo testimonio probabili affirmari potest.
Id., ibid., n. 9 et 10.
294 OÙ EN SOMMES-NOUS?

monde entier, et en même temps, professe la


religion catholique. La prédiction de Notre-
Seigneur est suffisamment vérifiée, si peu à peu
et successivement l'Evangile est prêché dans le
monde entier, bien que peut-être, lorsqu'il arri-
vera dans une partie du monde, une autre qui
l'aura entendu et reçu s'en prive par l'hérésie,
par l'idolâtrie ou par l'apostasie.
» C'est pourquoi il ne parait pas nécessaire,
pour affirmer que la prédication universelle de
l'Evangile est un signe du jugement dernier, que
l'Evangile soit-de nouveau prêché dans toute
l'Asie ou dans toute l'Afrique, et que toutes les
nations doivent être d'abord converties à la foi.
» En effet, puisque l'Evangile a déjà été prê-
ché dans ces régions, que l'Eglise y a été fondée
et qu'un grand nombre de leurs habitants se
sont sanctifiés, nulle prophétie, nul témoignage
de l'Ecriture ne montre que l'Evangile doive être
de nouveau prêché dans ces pays, ou que ces
nations doivent être de nouveau converties à la
foi \ »
1
Quamobrem non videtur necessarium , ut propter hoc
signum futuri judicii dicamus, antequam Christus ad judican-
dum veniat, in tota Asia vel Africa iterum esse preedicandum
Evangelium, atque omnes illas gentes prius esse ad fidem con-
vertendas. Cum enim jam in lis provinciis prœdicatum sit Evan-
gelium , fundataque Ecclesia, et ex illis gentibus multi fuerint
salutem consecuti. ex nuJJa prophetia aut Scripturse testimo-
CHAPITRE XXX. 293

Le grand théologien a raison. L'Evangile fut


. annoncé en Afrique par les apôtres eux-mêmes
et par leurs disciples immédiats, et la religion
établie dans une partie considérable du.pays, non-
seulement en Egypte, mais encore en Ethiopie.
Au temps de saint Augustin, les Eglises d'Afrique
étaient nombreuses et florissantes. L'évangéli-
sation de l'Afrique, presque centrale, fut reprise
au seizième siècle. Aujourd'hui encore se trou-
vent, dans certaines tribus les plus inconnues
de l'Afrique, des vestiges d'une ancienne civili-
sation chrétienne.
Il en est de même de la plus grande partie du
haut Orient, et de la Chine en particulier. Ar~
nobe, auteur du troisième siècle, compte les Sères
ou Chinois parmi les peuples qui, de son temps,
avaient embrassé la, foi. D'après le très-ancien
bréviaire chaldéen., saint Thomas aurait été leur
premier apôtre. On y retrouve le christianisme
au septième et au huitième siècle.
Au quatorzième siècle, on voit les ambassa-
deurs" des Tartares au concile général de Lyon,
et les empereurs de la Cbine en relations ami-
cales avec les Pontifes de Rome. A la même
époque, nous trouvons un archevêque à Pékin
et des évêchés parmi les Tartares. Le bienheu-
nio colligi potest, iterum esse ibi praedicandum, aut illas gentes
iterum ad fidem convertendas. Suarez, ubi supra, n. 42.
296 OÙ EN SOMMES-NOUS?

reux Odéric, frère mineur, parlant du Thibet,


qu'il avait parcouru au commencement du qua-
torzième siècle, dit : « Les frères de notre ordre y
chassent les démons et y convertissent beaucoup
d'âmes. » Ce témoignage est confirmé par nos
nouveaux missionnaires, qui, dans une foule
d'usages, ont reconnu l'ancien passage du chris-
tianisme dans ces vastes contrées.
Si donc, au temps de Suarez et môme avant
lui, il n'était déjà plus nécessaire, pour justifier
la Providence, d'évangéliser de nouveau toute
l'Afrique et toute la Chine, qu'en est-il aujour-
d'hui? Depuis trois à quatre siècles, combien de
missionnaires ont présenté la lumière à ces pays?
Combien d'oeuvres catholiques y ont été fondées
et combien de sang répandu en témoignage de
la foi? Contre l'universalité actuelle de la prédi-
cation évangélique, on n'est donc pas reçu à
opposer ni l'obstination de l'Orient, ni l'aveugle-
ment de l'Afrique.
Enfin, les interprètes ajoutent : « Cette prédi-
cation universelle de l'Evangile, signe précur-
seur de la fin du monde, doit nécessairement
avoir lieu avant l'arrivée de l'antechrist. Pen-
dant son règne, elle serait impossible ; après sa
mort également : car entre la mort de l'antechrist
et le jugement, le temps serait trop court pour
l'accomplir. C'est pour cette raison, nous en
CHAPITRE XXX. 297

sommes convaincus, que cette prédication doit


• être achevée avant qu'il arrive dans l'Eglise ro-
maine, ou dans l'empire romain, quelque grand
changement temporel ou même une destruction.
» En effet, pour que l'Evangile puisse être
commodément porté dans le monde entier, il est
nécessaire que la majesté de l'Eglise romaine
jouisse de toute sa splendeur, et que cette Eglise
conserve sa puissance non-seulement spirituelle
et divine, mais encore temporelle; ou du moins
que les rois catholiques et les princes puissants
persévèrent dans son obéissance, afin de pouvoir
se servir de leur concours pour propager la foi.
C'est pourquoi, parmi les signes précis du juge-
ment dernier, celui dont nous parlons tient à nos
yeux le premier rang et doit paraître le pre-
1
mier . »
Ce premier signe précurseur du jugement der-
nier, et le plus évident de tous, est la ruine de
1
Necesse est ergo ut ante ejus (antichristi) adventum perfi-
ciatur. Quin potius hac ratione convincimur, ut existimemus
hanc prsedicationem absolvendam esse, antequam in romana
Ecclesia vel imperio fiât magna aliqua mulatio temporalis, aut
eversio. Quia ut Evangelium in toto orbe tandem aliquando
commode divulgari possit, necesse est ut dignitas romanae Ec-
clesiae suum splendorem, potestatemque non solum spiritualem
et divinam, sed etiam temporalem retineat, vel saltem ut in
ejus obedientia catholici reges, ac potentes principes persévèrent,
quorum auxilio et ope ad fidem propagandam uti possit. Quo-
circa inter signa propria futuri judicii, hoc , videtur esse pri-
mum etanteomnia iroplenduim Suarez. ubi supra, p. 1064. n.13.
298 OÙ EN SOMMES-NOUS?

l'empire romain, temporel et spirituel : nous


savons qu'il brille maintenant du plus vif éclat.
Reste à examiner où en est aujourd'hui la prédi-
cation de l'Evangile.
A l'heure qu'il est, quatre événements provi-
dentiels frappent tous les regards : la découverte
récente ou l'exploration de pays et d'archipels
inconnus, l'œuvre de la Propagation de la foi, la
multiplication des missionnaires, l'apostolat de
la femme.
La découverte. Grâce aux voyages incessants
des navigateurs européens dans toutes les mers,
on peut affirmer que le globe est maintenant
percé à jour. Les terres à découvrir, si toutefois
il en reste, doivent être peu de chose, soit en
nombre, soit en étendue. Aux voyages par mer
sont venus s'ajouter, avec une sorte de passion,
les voyages par terre. Pénétrant dans l'intérieur
des terres, d'intrépides explorateurs ont jalonné
la route des futurs apôtres.
C'est ainsi que, depuis la Mantchourie, jus-
qu'aux montagnes Rocheuses et au pays des Es-
quimaux, tout les continents de l'ancien et du
nouveau monde sont connus. Les archipels de
l'Océanie, de la Malaisie, de l'Australie, de la
Polynésie n'offrent peut-être plus un îlot si re-
culé qui ne soit marqué sur une carte géogra-
phique. L'Afrique elle-même, dont le"centre mys-
CHAPITRE XXX. 299

térieux fut si longtemps fermé aux Européens,


. a été sillonnée presque dans toutes ses parties,
soit par de savants voyageurs, soit aussi par les
traitants. Tout cela s'est accompli depuis peu
d'années, avec une rapidité non moins extraor-
dinaire que la découverte elle-même.
La propagation de la foi. Le champ était
ouvert, mais pour le cultiver, il fallait des res-
sources et de grandes ressources. Où les trou-
ver? Si l'Eglise avait conservé ses richesses
d'autrefois, rien n'eût été plus facile; mais les
gouvernements modernes l'avaient dépouillée.
Tout-à-coup prend naissance une œuvre inat-
tendue, une œuvre inconnue des siècles passés,
et dont T à-propos révèle au grand jour la main
de la Providence.
Née à Lyon, de la charité d'une humble fille,
l'œuvre de la Propagation de la foi deviendra le
trésor des missions. Malgré le mauvais vouloir
des hommes, le Dieu qui l'a inspirée saura la
soutenir ; elle grandira même dans la proportion
des besoins qu'elle doit satisfaire. Une fois de
plus, l'homme apprendra que Dieu n'a pas besoin
de lui pour arriver à ses fins.
Lorsqu'en 1830, le gouvernement français
retirait aux missions les faibles aumônes dont
les rois très-chrétiens les avaient toujours grati-
fiées; lorsque, par suit? de cette mesure et de la
300 OÙ EN SOMMES-NOUS? *

pénurie des aspirants, on songeait à fermer le


séminaire des Missions étrangères, voilà que
l'œuvre de la Propagation de la foi, jusque-là
faible et obscure, prend tout-à-coup, et contrai-
rement à toutes les prévisions humaines, un
développement inexplicable. Les quelques cen-
taines de mille francs qu'elle recevait chaque
année deviennent des millions. Les ressources
sont prêtes, le champ est ouvert; reste à trouver
les agriculteurs : la Providence y pourvoira.
Les missionnaires. La révolution de juillet
venait de briser le trône de saint Louis, regardé
par plusieurs comme le piédestal nécessaire de
l'autel. Or, c'est le lendemain même de cette
catastrophe que le zèle de l'apostolat se ranime
dans la tribu sainte, avec une ardeur sans
exemple. Ici, les chiffres sont plus éloquents
que les paroles.
Tandis que, de 1815 à 1830, le séminaire des
Missions étrangères, à Paris, n'avait envoyé
aux nations infidèles que quarante-six apôtres,
de 1830 à 1839 il en a fait partir soixante-seize.
Depuis cette époque, la progression a plus que
décuplé. Ainsi, du 6 janvier 1840 au 17 août 1870,
sont sortis de cette sainte pépinière six cent
trente-trois apôtres, dont un bon nombre ont ar-
rosé de leur sang les contrées de l'extrême Orient.
Loin de s'épuiser, la sève apostolique coule
CHAPITRE XXX. 301

plus abondante. A cause du nombre toujours


croissant des élèves, la maison a dû s'agrandir;
car les rentrées actuelles sont plus nombreuses
que toutes celles qui les ont précédées, depuis la
fondation deux fois séculaire de l'établissement.
Tandis que l'ordre de saint Lazare n'avait
compté, de 1815 à 1830, que sept départs, de
1830 à 1835 il en a eu plus de quarante. Gomme
le séminaire des Missions, il a vu ses recrues
apostoliques augmenter d'année en année, telle-
ment qu'il compte aujourd'hui ses missionnaires
par centaines. En 1863, le nombre s'élevait déjà
à deux cent soixante-seize, répandus dans pres-
que toutes les parties du monde.
Tout cela est beaucoup ; mais peu si on le
compare à ce qui s'est fait ailleurs. Dix-huit con-
grégations nouvelles, destinées aux missions
étrangères, se sont fondées en France, en Bel-
gique et en Italie. Les anciens ordres mission-
naires ont retrouvé le zèle de leur jeunesse. Le
savant bénédictin a quitté ses études pour aller
défricher les landes intellectuelles du Nouveau-
Monde, comme ses pères avaient défriché celles
de l'Europe.
Chose inouïe dans les fastes de l'Eglise ! l'es-
prit de l'apostolat est tombé sur la femme. Depuis
bientôt un demi-siècle, on voit, chaque année et
presque chaque mois, des vierges chrétiennes
302 OÙ EN SOMMES-NOUS?

dans la fleur de l'âge, traverser les mers, et s'a-


battre, comme des essaims de chastes colombes,
sur les plages les plus lointaines, où elles con-
tribuent prescpie autant que les missionnaires
à fonder le règne de l'Evangile.
Partout se constituent des établissements de
mission; partout des conversions s'opèrent; par-
tout se bâtissent des chapelles ou des églises, se
fondent des orphelinats, s'ouvrent des écoles.
Jésus-Christ est connu et l'Evangile publique-
ment professé là où jusqu'ici régnait l'idolâtrie.
Prenez une mappemonde, et assurez-vous par
vos yeux si, dans les cinq parties du globe, il
reste beaucoup de tribus plus ou moins considé-
rables, qui n'ait vu, ou pu voir suffisamment,
briller le soleil évangélique ; entendu ou pu en-
tendre parler, pour en avoir une connaissance
suffisante, de la religion chrétienne.
La prédication universelle de l'Evangile est le
quatrième signe divin des derniers jours. Ce
signe est d'autant plus frappant qu'il monte
à l'horizon en même temps et avec la même
rapidité que le dernier, dont nous allons parler :
le retour des juifs. De ces deux mouvements, l'un
appelle l'autre; car tous deux tendent directe-
ment au même but suprême, la finale réunion
des deux parties du bercail sous un seul pasteur.
CHAPITRE XXXI. 303

CHAPITRE XXXI
OÙ E N EST LE MONDE?

Examen du cinquième signe : la conversion des juifs. — L'é-


mancipation des juifs. — Le judaïsme détruit comme système
religieux. — Trois catégories parmi les juifs. — Conversions.
— Religieuses de Notre-Dame de Sion. — La fortune des juifs
actuels.

La conversion des juifs. —Aux yeux de tout


homme qui pense, je ne dis pas en chrétien,
mais simplement en philosophe, le fait culmi-
nant de l'histoire contemporaine, c'est l'émanci-
pation des juifs. Depuis la ruine de Jérusalem,
le peuple juif, dispersé aux quatre coins du
monde, était demeuré à l'état de pétrification,
obstinément encroûté dans ses traditions talmu-
diques. Bien que vivant chez tous les autres
peuples, il en était séparé par une infranchis-
sable barrière de défiance, de mépris et de haine.
Cependant ce peuple devait se convertir, et
reconnaître pour son Messie Celui que ses pères
avaient crucifié. Ainsi l'avait promis le Dieu
d'Abraham. Seulement, pour le punir d'avoir
repoussé la lumière qui lui fut offerte avant de
l'être aux autres peuples, le Soleil de la vérité ne
l'éclairera qu'après avoir brillé sur tous les points
304 OÙ EN SOMMES-NOUS?

de l'horizon. C'est encore la parole des divins


1
oracles .
Afin de se convertir, il devait recevoir les idées
chrétiennes. Ponr les recevoir, il fallait que le
mur de séparation fût renversé, et que le juif se
trouvât en contact social avec les peuples chré-
tiens. Tel a été l'effet de son émancipation. Placé
sur le pied d'égalité avec les autres citoyens, le
juif a vu s'ouvrir devant lui, non-seulement les
salons et les académies, mais toutes les carrières.
Dans la. magistrature, dans l'armée, dans l'en-
seignement, dans la législature, dans toutes les
administrations, il occupe des emplois plus ou
2
mois élevés, et jusqu'ici réservés aux chrétiens .
Etonnant en lui-même, le fait de l'émancipa-
tion des juifs ne l'est pas moins dans la manière
* Nolo enim vos ignorare, fratres, mysterium h o c , ut non
sitis vobis metipsis sapientes, quia caecitas ex parte contigit in
Israël, donec plenitudo gentium intraretj et sic omnis Israël
salvus fieret, sicut sciïptum est : Veniet ex Sion, qui eripiat et
avertat impietatem a Jacob. Is. L I X , 20. Et hoc illis a me testi-
y

monium : cum abstulero peccata eorum. Secundum Evangelium


quidem, inimici propter vos. Secundum electionem a u t e m , cha-
rissimi propter patres. Sine pœnitentia enim sunt dona et vocatio
Dei. Rom., XJ, 2o-29.
1
On écrivait dernièrement de Saxe-Weimar : « Le Journal du
gouvernement vient de publier la nouvelle loi sur les israélites.
Cette loi met les juifs du grand-duché entièrement sur le même
pied que les chrétiens. Elle autorise l'exercice public du culte
judaïque, et elle permet les mariages entre les israélites et les
chrétiens, qui auront dorénavant le m ê m e effet que ceux con-
tractés entre les chrétiens. »
CHAPITRE X X X I . 303

dont il s'est réalisé. *L'empereur Auguste fut


l'instrument aveugle dont la Providence se ser-
vit pour vérifier les oracles des prophètes, qui
annonçaient la naissance du Messie à Bethléem.
Afin d'accomplir sa parole sur Israël, Dieu s'est
servi de la haine antichrétienne de la Révolution
française, dont le premier acte fut l'émancipa-
tion des juifs.
Opérée en dehors de toutes les prévisions
humaines, l'émancipation des juifs est un fait
de la plus haute signification. Il confirme au-
thentiquement la réalité actuelle de tous les
autres signes précurseurs des derniers jours, et
nous dit à tous qu'il est temps d'ouvrir les yeux.
Attendu pendant dix-sept cents ans, ce signe
s'est enfin montré. Aujourd'hui il est visible
dans l'ancien et dans le nouveau monde. Pour-
quoi a-t-il paru à notre époque, plutôt qu'à une
autre? C'est évidemment que, dans les conseils
de la Providence, à notre époque et non pas à
une antre, devait se manifester le retour d'Israël
au Dieu de ses pères. Afin qu'on n'en puisse
douter, l'émancipation a donné trois résultats
décisifs.
Au contact des idées chrétiennes, le judaïsme
s'est brisé en morceaux, comme le pot de terre
. contre le pot de fer. En toute assurance, on peut
affirmer qu'aujourd'hui le judaïsme, en tant que
20
306 OÙ EN SOMMES-NOUS?

système religieux, est fini. Voici ce qu'écrivait,


il y a plus de vingt ans, un juif devenu catho-
lique : « Un mot sur l'état général des juifs de
France, au point de vue intellectuel. Sous le
rapport religieux, on peut hardiment avancer
qu'il n'existe plus chez eux aucun vestige de
l'antique foi qui, au milieu de l'exil, était encore
leur plus beau côté caractéristique. L'émancipa-
1
tion a tout emporté . »
Ce que le judaïsme est en France, il l'est par-
tout. Divisés entre eux, les juifs forment trois
catégories. Les orthodoxes, qui demeurent en-
core fidèles à quelques traditions du Talmud : ce
sont généralement les anciens. Les rationalistes,
qui ne croient à rien, si ce n'est à l'argent : ils
sont de tous les âges. Les christianisants, qui,
fatigués du doute, cherchent la vérité et gra-
vitent vers le christianisme : la plupart appar-
tiennent aux jeunes générations.
« A côté du travail de dissolution, continue la
lettre citée plus haut, une œuvre de réorganisa-
tion s'est opérée. Les bons sont entrés dans la
grande et vraie communion des fidèles descen-
2
dants d'Abraham. Le saint abbé Ratisbonne a
i r
Lettre à Me l'évèque de Luçon, 1848. Voir aussi les récents
ouvrages de MM. Lemann, juifs convertis, et de M. le chevalier
des Mousseaux.
« Et aussi M. Drach.
CHAPITRE XXXI. 307

ouvert cette voie glorieuse, qui, chaque jour, par


la grâce d'en, haut, se couvre de nouveaux pèle-
rins. »
En confirmation de ce témoignage, voici les
paroles d'un homme fort instruit de ce qui se
passe chez les juifs : « Depuis quelques années, les
israélites reviennent en foule, vous savez que je
n'exagère pas, et dans tous les pays, à la sainte
foi catholique, la véritable religion de nos pères.
Partout, grâce à Dieu, vos regards rencontrent
un bon nombre de vos frères régénérés par les
eaux salutaires du baptême. Nous ne sommes
que d'hier, nous autres israélites catholiques, et
déjà nous remplissons les villes que vous habitez,
. vos comptoirs, vos rendez-vous de commerce,
1
vos consistoires même . »
Le même auteur cite un grand nombre de
juifs convertis depuis peu, qui se sont faits
prêtres et missionnaires, et une multitude de
demoiselles israélites qui ont embrassé lâ vie re-
ligieuse en France et en Italie. « Depuis dix ans,
nous disait à nous-même le savant rabbin, il
s'est converti plus de juifs que pendant deux
siècles. »
La conversion miraculeuse d'Alphonse Ratis-
bonne, frappé comme Saul sur le chemin de
* Drach, Harmonie entre l'Eglise et la Synagogue, t. I, p. 2 8 .
Paris, \m.
308 OÙ EN SOMMES-NOUS?

Damas, a puissamment activé le mouvement de


retour. On voit aujourd'hui ce qui ne s'était
jamais vu et ce qui, naguère encore, paraissait
incroyable : des parents juifs confiant leurs en-
fants à des prêtres catholiques, avec pleine li-
berté d'en faire des chrétiens.
Son vénérable frère, le P. Théodore Ratisbonne,
appelé providentiellement à l'apostolat de ses
coreligionnaires, fonde l'œuvre des Dames de
jSion, destinée à l'éducation catholique des jeunes
juives. Née d'hier, cette congrégation modèle
compte ses membres par centaines et multiplie
ses établissements en Occident et en Orient.
A Paris, les conversions deviennent de plus
en plus nombreuses. Dans quelques années le
P. Théodore a baptisé de sa main plus de sept
cents juifs. Ces néophytes appartiennent à tous
les âges et à toutes les conditions; tellement
qu'aujourd'hui c'est à peine si on peut nommer
une seule famille juive, parmi les plus connues,
dans laquelle le catholicisme ne soit entré.
Tandis que les brebis perdues de la maison
d'Israël donnent ce consolant spectacle en Occi-
dent, le P. Alphonse appelle au bercail celles qui
sont dispersées en Orient. C'est à Jérusalem, au
cœur même du judaïsme, qu'il a établi sa mission.
Sa voix est entendue, et de grandes consolations
récompensent les rudes travaux de son apostolat.
CHAPITRE XXXI. 309

Déjà s'est réalisé un fait inouï, qui semble être


le gage de nombreuses conversions dans un pro-
chain avenir.
Après bien des difficultés, le P. Alphonse a pu
acheter le terrain de VEcce homo, avec l'arcade
du haut de laquelle Pilate montra aux juifs leur
Messie couvert de plaies, et devant laquelle les
juifs firent entendre la vocifération déicide : Que
son sang soit sur nous et sur nos enfants. En ce
même lieu, s'élève aujourd'hui une église qui
recouvre la vénérable arcade. Là, vous voyez
chaque jour les filles de Sion, accomplissant la
parole du Messie montant au Calvaire, offrir
leurs prières et leurs larmes en expiation du
crime de leurs pères, et pour hâter le retour
d'Israël au Dieu d'xibraham.
La ruine du judaïsme et de nombreuses con-
versions parmi les israélites, tels ont été les
deux premiers résultats de l'émancipation. Il en
est un troisième non moins frappant et qui veut
être soigneusement examiné. Il s'agit de la colos-
sale fortune des juifs. On l'a dit : Lor possède le
monde, et le juif possède Vor. Tel est le degré
de puissance, inconnu jusqu'ici, auquel le juif
s'est élevé dans l'espace d'environ un demi-
siècle.
Quel peut être la raison d'un pareil phé-
nomène? C'est le secret de Dieu. Nous savons
310 OU EN SOMMES-NOUS?

seulement que la Providence ne tâtonne jamais.


La prodigieuse fortune du juif vient donc à son
heure. Quel en est le but? C'est un autre
mystère. Sans avoir la prétention de sonder les
conseils divins, nous sera-t-il permis de hasarder
timidement quelques pensées sur un fait trop
extraordinaire pour le laisser passer inaperçu?
Le peuple juif est un peuple figuratif : son
avenir est écrit dans son passé. Après quatre
cents ans de séjour et d'esclavage en Egypte, il
entendit enfin sonner l'heure de sa délivrance.
Pour les faire servir à son culte, Dieu lui permil
d'emporter, autant qu'il pourrait, les richesses
des Egyptiens. Chargé d'or et d'argent, Israël se
met en marche vers la terre promise à ses pères,
et les richesses de l'Egypte lui servent à cons-
truire et à orner splendidement le tabernacle el
l'arche d'alliance.
S'il est vrai, comme on vient de le voir, que
l'heure de la conversion des juifs à sonné, serait-
il téméraire de penser que les prodigieuses ri-
chesses, si rapidement accumulées entre leurs
mains, peuvent avoir, dans les conseils de la
Providence, un but analogue à celui dont nou?
venons de parler*?
1
Que tel doive être l'usage immédiat que les juifs feront de
leurs richesses , il est permis d'en douter. 11 paraîtrait, au con-
traire, qu'ils s'en serviront d'abord pour aider à l'établissement
CHAPITRE XXXI. 311

Dune part, vingt prophéties plus nettes les


unes que les autres, annoncent, pour la fin des
temps, le retour des juifs dans la terre de leurs
pères, et la splendide réédification de Jérusalem,
4
qui deviendra la ville sainte .
D'autre part, ne serait-ce pas pour la môme
raison que, à l'exception de toutes les grandes
capitales de l'antiquité, Jérusalem, ainsi que
Rome, s'est toujours relevée de ses ruines et
qu'elle subsiste encore! Cadavre de ville, si
on veut, comme le peuple juif est un cadavre de

du règne de l'antechrist. Car il est annoncé qu'en punition de


leur incrédulité, ils le reconnaîtront pour le Messie : Ego veni
in nomine Patris mei, et non accipitis me ; si alias venerit in no-
mine suo, illum accipietis. Joan., v, 43. — Unde colligitur (anti-
christum) a Judœis prspcipue esse suscipiendum, quia in pœnani
csecitatis et incredulitatis eorum maxime venturus est, teste
Paulo II ad Thessal. iu
K Suarez, De judiciaria potest. Ghristi,
qusest. u x , art. 6, n. 11, t. XIX, p. 1062, editnoviss.
Mais ils seront promptement détrompés. A la prédication
d'Elie ils ouvriront les yeux et reviendront franchement au Dieu
de leurs pères, dont ils propageront le règne par tous les
moyens en leur pouvoir : Sicut pars judœorum per apostolos cre-
didit, ita est creditura per Eliam. S. Hilar., c. xxvi, in Matth.;
Suarez, Ibid.
Dans son savant ouxrage, M. des Mousseaux prouve que les
juifs actuels, dans toute l'Europe, travaillent activement à la
déchristianisation du monde. MM. Lemann ne parlent pas de
cette phase intermédiaire entre le commencement du retour des
juifs et la consommation de ee fait divinement annoncé.
1
On peut les voir réunies dans différents ouvrages, entre
autres dans le livre intitula : la Régénération du monde par les
douze tribus â'ÎSToeJ, i n - S \ (.uuitrai.
m OÙ EN SOMMES-NOUS'.'

peuple; Jérusalem, comme le peuple juif, ne


peut ni vivre ni mourir.
Sa miraculeuse conservation semble indiquer
clairement que sa mission n'est pas finie, pas
plus que celle du peuple juif. Ville sainte, Jéru-
salem perdit par le déicide sa glorieuse préroga-
tive. Rome en hérita. A son tour, Rome redeve-
nant païenne, Jérusalem retrouvera sa gloire et
1
de nouveau sera la ville sainte .
En résumé ; la destruction de l'empire de
Rome ou l'apostasie des nations, l'affaiblisse-
ment de la foi, le débordement de la vie maté-
rielle, la prédication universelle de l'Evangile,
la conversion des juifs, voilà les grands signes,
divinement annoncés, de la fin du monde. Si
nous en avons parlé, c'est qu'aujourd'hui, moins
que jamais, nul ne doit vouloir s'endormir d'un
sommeil trompeur, ni endormir les autres.

* Telle parait être la pensée do quelques Pères, entre autres


Lactance : ... Romanorum nomen quo nunc regitur orbis, tolletur
de terra, et imperium in Asiam reverteturet rursus Oriens domina-
bitur, et Occidens servîet. Lib. VU, i, lo et 1G. — Données poxir
ce qu'elles valent, nous soumettons ces dernières conjectures au
jugement des hommes habitués à réfléchir sur la conduite mys-
térieuse du Très-Haut à l'égard des enfants d'Abraham. Qu'ils se
souviennent seulement que toutes les promesses de Dieu sont
infaillibles et ses dons sans repentance.
CHAPITRE XXXII. 313

CHAPITRE XXXII.
1
QUE R E S T E - T - I L A FAIRE ?

Résumé de la situation. — Impossible à l'homme de sauver le


monde. — Quatre devoirs des hommes privés : veiller, prier,
agir, réformer.

Que faire? Avant de répondre à cette question,


remettons-nous devant les yeux le tableau qui
vient d'être tracé.
L'insurrection générale et opiniâtre de l'Europe
contre Dieu; la négation de toutes les vérités,
bases de la religion, de la société, de la famille
et même de la raison; le christianisme éliminé,
autant qu'il est possible, des lois, des sciences,
des mœurs publiques ; la moitié des nations occi-
dentales, hérétiques ou schismatiques ; l'autre
moitié, catholiques à demi ; l'Eglise dépouillée de
toute propriété et sans influence sociale sur les
nations, comme nations; le Vicaire de Jésus-
Christ en prison ; la conscience humaine sans
garantie, livrée aux caprices de la force brutale.
1
Ceci est écrit le 3 février 1871, jour où arrive, à Fuans, la
dépèche officielle annonçant l'armistice entre la France et la
Prusse, et la capitulation de Paris. Les terribles événements sur-
venus depuis cette époque, ont donné lieu à plusieurs additions,
qu'il sera facile de reconnaître.
314 OÙ EN SOMMES - NOUS ?

Partout l'homme en haut et Dieu en bas : tel est,


dans ses grandes lignes, le caractère qui dis-
tingue tristement le monde actuel.
Si, à travers la nuit qui couvre l'Europe, vos
yeux parviennent à rencontrer quelque rayon
de lumière, ils aperçoivent montant à l'horizon
les signes précurseurs de la fin d'un monde qui,
en foulant aux pieds les lois divines de sa vita-
lité, a perdu sa raison d'être.
Combien de temps ce qui lui reste, comme
malgré lui, de principes chrétiens, suffira-t-il
pour prolonger son existence? combien de temps
durera la formation complète des signes avant-
coureurs de sa chute? Complètement formés,
combien de temps resteront-ils sur l'horizon
avant l'arrivée du souverain Juge ! Nul ne peut
répondre avec précision.
Deux choses seulement nous sont connues.
D'après la tradition universelle, fondée sur l'en-
seignement de saint Paul, l'empire de Rome doit
être détruit par l'empire antichrétien. Or, l'em-
pire temporel de Rome est complètement détruit,
et la ruine de son empire spirituel, si elle n'est
pas complète, est plus imminente que jamais.
Nous touchons donc à l'apogée de l'empire anti-
chrétien; et, suivant les prophéties de Daniel et
de saint Jean, cet empire, dans sa plénitude, doit
<Hre de très-courte durée.
CHAPITRE XXXII. 31 ri

Nous savons encore, d'après les paroles mêmes


de Notre-Seigneur, que, lorsque l'Evangile aura
été prêché par toute la terre, alors, tune, viendra
la fin du monde. « Or, toutes les parties de la
terre ont été enfin explorées, et il n'y a pas un
recoin écarté où n'aient pénétré les apôtres de
la foi de Jésus-Christ. Nous pouvons répéter au-
jourd'hui, non plus en langage prophétique,
mais historique : In omnem terram exivit sonus
eorum, et in fines orbis terrœ verba eorum. La
condition posée par le Christ : prœdicabitur hoc
Evangelium regni in uaiverso orbe, peut bien être
regardée comme accomplie ou très-près de Vôtre.
En face de l'universelle diffusion de l'Evanaïle,
il faut bien dire que les derniers jours du monde
ne peuvent plus être très-éloignés. » Ainsi parle
la Revue romaine, publiée sous les yeux du
1
Pape .
Dans cette attente, que reste-t-il à faire? Nous
troubler et nous attrister? Loin de là, nous de-
vons nous rassurer et nous réjouir.
Nous rassurer. D'une part, nous savons qu'il
ne tombera pas un cheveu de notre tète sans la
permission de notre Père céleste, et que les jours
des terribles épreuves seront abrégés en faveur
des élus. D'autre part, les événements actuels,
annoncés il y a deux mille ans par Notre-
1
Ciultâ, 18fi3.
316 OU EN SOMMES-NOUS?

Seigneur Jésus-Christ, nous découvrent avec


l'évidence la plus consolante, sa divinité, base
immobile de notre foi et gage certain de nos im-
mortelles espérances.
Nous réjouir. La fin du monde est l'accomplis-
sement de cette divine prière, que nous faisons
tous les jours : advenîat regnum tuum. Rien n'est
plus désirable. La fin du monde, c'est la fin des
impiétés, des scandales, des crimes, des outrages
faits à Dieu ; la fin du triomphe des méchants et
des persécutions des justes ; la fin des calamités
qui désolent la terre. La fin du monde, c'est Dieu
régnant en paix dans la plénitude de sa justice
sur ses ennemis, et dans la plénitude de son
amour sur ses amis. Devant le Verbe rédempteur
tant outragé, c'est tout genou fléchi au ciel sur la
terre et dans les enfers. C'est Dieu en toutes
choses, et l'ordre, bouleversé par le péché, rétabli
sur ses bases éternelles.
Nous décourager et nous croiser les bras? Au
contraire, jamais le courage ne fut plus néces-
saire, jamais le travail ne dut être plus actif : on
va le comprendre.
Jamais le courage ne fut plus nécessaire.
Sauvegarder son âme est le premier devoir de
chacun. Ce devoir exige aujourd'hui un courage
exceptionnel. Les temps périlleux, annoncés par
saint Paul, arrivent rapidement-. Pour le chrétien
CHAPITRE XXXII. 317

de notre époque, tout devient péril. Sa foi et ses


moeurs sont également menacées. Si nombreux
et si terribles qu'ils soient déjà, ces périls ne sont
que le commencement de périls plus redoutables.
Avant peu, ils seront tels que si, dans sa miséri-
corde, Dieu n'en abrégeait la durée, nulle chair
1
ne serait sauvée .
Par sa cruauté, le chef de l'empire antichré-
tien, parvenu au faîte de sa puissance, fera
oublier Néron, Dioctétien, Mahomet et tous les
2
tyrans, ses précurseurs ; par son hypocrisie,
Julien l'Apostat et'tous les faux monnayeurs de
la vérité; par ses blasphèmes, tous les impies
anciens et modernes; par sa puissance, tous les
potentats connus dans l'histoire ; par ses pres-
tiges, les magiciens de Pharaon. Tels seront les
moyens de séduction dont il disposera, que les
élus mômes, si cela était possible, seraient in-
3
duits en erreur .
Séduction intellectuelle. Il faut le reconnaître,
elle est déjà terriblement avancée. Grâce aux
faux christs et aux faux prophètes, plus nom-

* Nisi breviati fuissent dies illi, non fieret salva omnis caro.
Matth., xxiv, 22.
s Les communetix de Paris viennent de donner au monde un
échantillon de son règne. Ce qu'ils ont fait dans une seule ville,
l'antechrist le fera partout.
3
Ita ut in errorem inducantur, si fieri potest, etiam electi.
Matth., xxrv, 23.
318 OÙ EN SOMMES-NOUS?

breux aujourd'hui que jamais, et qui crient dans


toutes les langues : Le Christ est ici, quelles
multitudes d'idées erronées en religion, en poli-
tique , en philosophie, en histoire , en toutes
choses, circulent dans les villes et dans les cam-
pagnes, et sont acceptées comme des axiomes !
Séduction morale. Nommez les attraits qui
déjà ne sont pas offerts, sur toute la surface du
globe, à la concupiscence de la chair et des yeux.
Mesurez, si vous pouvez, la puissance de fasci-
nation qu'ils exercent sur la plupart des hommes.
Séduction matérielle. Pour consacrer la parole
des faux christs et légitimer les tendances im-
périeuses de la nature corrompue, qu'on ajoute
les prodiges et les grands signes, signa magna
etprodigia, opérés par l'antechrist; ses menaces,
ses promesses, ses abominables cruautés, et on
aura la mesure -des périls auxquels seront exposés
les chrétiens des derniers temps ; périls dont nous
sommes déjà, du moins en partie, environnés
nous-mêmes. Seule la foi des martyrs pourra
vaincre le monde antichrétien, comme elle vain-
quit le monde païen.
Jamais le travail ne dut être plus actif. Que la
décadence du monde doive être continue et
même s'accélérer à mesure qu'elle approchera
du terme fatal, ou qu'elle doive être suspendue
par quelques moments d'arrêt, toujours est-il
CHAPITRE XXXII. 319

que le vieillard n a pas longtemps à vivre. Donc,


aujourd'hui plus qu'hier, et demain plus qu'au-
jourd'hui, l'heure est venue de prendre au sé-
rieux la recommandation du divin Maître :
« Marchez pendant qu'il est jour: bientôt vien-
dra la nuit, oii personne ne pourra plus rien
1
faire . » Et celle du grand Apôtre : a Donc, pen-
dant que nous avons le temps, faisons le bien à
2
l'égard de tous . »
Afin de ne plus diviser les forces de notre âme,
mais de les consacrer entièrement à l'acquisition
de Tunique nécessaire, ayons toujours présent à
l'esprit l'avertissement de saint Pierre, par lequel
nous avons commencé : «; Puisque toutes les
choses du temps doivent bientôt tomber en disso-
lution, apprenez quelles doivent être la piété et
la sainteté de votre vie, sachant que vous allez
rapidement au devant du jour du Seigneur, et
que vous attendez les nouveaux cieux et la
nouvelle terre, qui nous sont promis, et où les
3
justes seuls habiteront . »
Gomme nous ne pouvons rien de nous-mêmes,
et que nous succomberons infailliblement si
nous sommes seuls, nous aurons souvent sur nos
1
Ambulate dum lucem habetis. Joan.> xn, 35. Venit nox
quando nemo potest operari. Id., rx, 4.
* Ergo, dum tempus habemus, operemur bomim ad omnes,
Galat., vi, 10.
3
II Petr>, m 11-13.
?
320 OÙ EN SOMMES-NOUS?

lèvres, et toujours dans notre cœur, la parole


des disciples d'Emmaùs au divin Compagnon
de notre pèlerinage : « Demeurez avec nous; car
1
il se fait tard, et le jour est déjà sur son déclin . »
Or, le travail que nous imposent plus impé-
rieusement que jamais le présent et l'avenir,
consiste en quatre choses : veiller, prier, agir,
réformer. Ce quadruple travail incombe égale-
ment aux deux classes d'hommes qui sont sur la
terre : les hommes privés et les hommes publics.
Parlons d'abord des premiers.
Veiller. Au moment de quitter la terre, le Chef
de l'éternel combat, le Verbe incarné, nous a
laissé la consigne que nous devons religieuse-
ment garder, si nous voulons continuer avec
succès la lutte qu'il a lui-même victorieusement
commencée. « Veillez et priez, je le dis à tous,
veillez et priez, si vous ne voulez pas être vain-
2
cus . »
S'il veut sauver le double trésor de sa foi et de
ses mœurs, le chrétien d'aujourd'hui doit être
tout yeux et tout oreilles. Autour de lui, nuit et
jour, sans jamais dormir, rode, plus audacieux,
plus cruel et plus perfide que jamais, le lion n i -
1
Mane nobiscum, quoniam advesperascit, et inclinata est jam
dies. Luc, xxiv, 29.
* Vigilate et orate, ut non intretis in tentationem, Matth. f

xxvi, 41 . Quod autem vobis dico , omnibus dico ; Vigilate.


Marc, XJÎI, 37.
CHAPITRE XXXIL 321

gissant qui cherche à le dévorer. La foi du chré-


tien, enfant, jeune homme, vieillard, riche ou
pauvre, est devenue la cible contre laquelle sont
dirigés les traits enflammés de l'ennemi.
Il faut appeler de ce nom les myriades de mau-
vaises maximes, de paroles impies, de blas-
phèmes, d'écrits pervers, de propos obscènes, que
sais-je ! de scandales infinis qui assiègent inces-
samment les deux portes de l'âme, les yeux et
les oreilles. Nous jeter entre les bras de Marie
avec une dévotion de plus en plus filiale, et nous
attacher plus fortement que jamais à la chaire
de Pierre, telle est la double pratique de ce pre-
mier devoir.
Prier. Au soldat chargé de défendre la porte
d'une forteresse assiégée, veiller ne suffit pas :
il faut qu'il soit armé. La prière est l'arme né-
cessaire du chrétien. Sans elle, la défaite est
inévitable. Si, dans les temps ordinaires, le chré-
tien qui ne prie pas, qui prie peu, qui prie mal,
qui reçoit rarement le pain des forts, est une
victime acquise au démon; que sera-ce aujour-
d'hui?
Incapable par lui-même de vaincre dans de
légers combats, comment, sans le secours tou-
jours présent d'un bras invincible, pourra-t-il
triompher dans une lutte telle qu'on n'en a pas
vue depuis le commencement du monde? Comme
21
322 OÙ EN SOMMES-NOUS t

ses pères des premiers siècles, le chrétien d'au-


jourd'hui doit donc être un homme de prière, et
communier souvent. « Il est impropre au mar-
tyre, dit saint Gyprien, celui qui, par l'Eucharis-
tie, ne porte pas en lui le Dieu des martyrs. »
Agir. Plus la fin des temps approche, plus
active doit être l'action du chrétien. Agir, c'est
accomplir avec une perfection plus grande que
jamais les devoirs qui lui sont imposés : devoirs
du père de famille, devoirs de l'adolescent,
devoirs du vieillard, devoirs du riche et devoirs
du pauvre.
Agir, c'est plus que jamais se détacher de cette
terre, destinée, avec tout ce qu'elle renferme, à
un prochain embrasement. Puisque la glace de
l'égoïsme doit remplacer dans les multitudes le
feu de la charité, refrigescet caritas mvltorum,
agir, c'est plus que jamais répandre les biens
périssables dans le sein des pauvres, où ils se
transforment en richesses éternelles, comme le
grain de blé, jeté dans le sein de la terre, se
change en splendides moissons.
Agir, c'est plus que jamais travailler, par la
salutaire influence de l'exemple et du conseil, à
rompre dans tout ce qui nous entoure, le charme
fascinateur de la bagatelle.
Réformer. L'ennemi que nous avons en face
et qui met le monde en si grand péril, c'est la
CHAPITRE XXXÏI. 323

Révolution. La Révolution, c'est l'homme en


haut et Dieu en bas. Tout homme qui, dans sa
conduite, met l'homme en haut et Dieu en bas,
est un révolutionnaire. Remettre dans son âme
Dieu en haut et l'homme en bas, est, pour
chaque particulier, un devoir plus impérieux
que jamais : Devoir privé et devoir social.
Devoir privé. La montagne d'iniquités, de-
venue aujourd'hui un volcan, dont la lave brû-
lante menace de tout envahir, est formée "de
pierres apportées par chaque pécheur. Retirer
ces pierres par une réforme radicale de sa vie, est
un devoir sacré imposé à tous et à chacun.
Devoir social. Si les mérites des justes sont
tout-puissants pour attirer sur leurs frères les
bénédictions du ciel, non moins puissantes sont
les iniquités des méchants pour faire tomber sur
le monde les fléaux de Dieu. Plusieurs milliers
d'hommes périssent pour la faute du seul Achan,
l'infidèle soldat de Josué ; un plus grand nombre
pour le péché de David : ainsi de siècle en siècle.
Telle est l'implacable loi de la solidarité.
Au chapitre suivant les devoirs des hommes
publics.
25» OÙ EN SOMMES-NOUS?

CHAPITRE XXXIII.
QUE RESTE-T-IL A FAIRE?

Quatre devoirs des hommes publics : veiller, prier, prière


nationale, sa nécessité.

Dans les circonstances actuelles, les quatre


devoirs des hommes privés sont les mêmes pour
les hommes publics. Seulement, pour les hommes
publics, ces devoirs ont une étendue et une gra-
vité particulières. Avant d'être écrite sur le pa-
pier, la preuve en est faite dans Tesprit.
Veiller. Appelés à la défense et à la restaura-
tion de Tordre social, ébranlé jusque dans ses
fondements, les hommes publics doivent avant
tout se rendre un compte exact de leur mission.
Par quel ennemi la société est-elle attaquée, non-
seulement en France, mais en Europe ? Comment
la défendre et comment la restaurer? Sous peine
de faire fausse route et de jeter de la poussière
au vent, la réponse vraie à ces questions doit
être leur point de départ-
Or, la puissance qui menace aujourd'hui la
société humaine d'une destruction radicale, c'est
la Révolution. De là deux premiers devoirs, qui
.s'imposent d'eux-mêmes et qui appellent toute la
CHAPITRE XXXIII. 325

vigilance des hommes publics. Le premier, ne


laisser subsister ni dans les constitutions, ni dans
les lois aucun principe révolutionnaire. Toute
concession de ce genre, si minime qu'elle pa-
raisse, serait l'étincelle cachée sous la cendre, le
loup enfermé dans la bergerie, la porte toujours
entr'ouverte aux invasions de l'ennemi.
Le second, dans la défense de l'ordre social ne
jamais séparer la religion de la société. Malheur
aux hommes du pouvoir, malheur à la France,
malheur à l'Europe, si on continue à faire de la
* législation séparée et de la politique séparée.
A cet égard, une éclatante leçon est donnée au
monde actuel par la Révolution elle-même. Dans
ses attaques contre la société, c'est toujours, on
vient de le voir, sur la religion qu'elle porte ses
premiers coups : elle est logique. Quand on veut
détruire un édifice, le meilleur moyen est d'en
saper le fondement. Avis aux défenseurs et
restaurateurs de l'ordre social.
Ajoutons en passant : avis à tout homme qui
cherche la vérité. La guerre furibonde que la
révolution parisienne fait à la religion, est un
trait de lumière dont l'éclat dissipe toute incer-
titude sur la vérité dogmatique et sur la néces-
sité sociale du catholicisme.
Pourquoi les Communeux^ démolisseurs achar-
nés, ou plutôt inspires, de la société, de la li-
326 OÙ EN SOMMES-NOUS?

berté, de la famille, de la propriété, portent-ils


d'abord leurs coups sur la religion catholique, et
uniquement sur elle? Pourquoi ne prennent-ils
pour leurs clubs ni les temples des protestants,
ni lés synagogues des juifs, mais seulement les
églises catholiques? Pourquoi ne mettent-ils en
prison et ne fusillent-ils ni les ministres, ni les
rabbins, mais seulement les religieux et les
prêtres catholiques? La réponse est facile.
Les méchants ont un flair qui ne les trompe
jamais. S'ils ne frappent pas toujours fort, ils
frappent toujours juste. Ils savent que l'Eglise
catholique est le seul ennemi qu'ils aient à.
craindre. Pourquoi? Parce que l'Eglise catho-
lique seule, en affirmant divinement tout ce
qu'ils nient, protège divinement tout ce qu'ils
attaquent. Il est glorieux pour nous, catholiques,
d'être l'affirmation invincible et adéquate de la
négation révolutionnaire.
Prier. Comme la prière particulière, la prière
nationale est une loi vitale des sociétés. Toute
nation, comme nation, qui ne prie pas, qui prie
peu, qui prie mal, est une nation perdue, ou à la
veille de l'être. Pour elle se tarit la source de la
1
vie ; c'est l'enfant privé du lait maternel . Jamais

* Si non humiliter sentiebam, sed exaltavi animam meam.


Sicut ablactatus est super matre sua, ita retributio in anima
mea. Ps. cxxx.
*
CHAPITRE XXXIII. 327

cette loi de la prière nationale ne fut plus impé-


rieuse qu'aujourd'hui.
Le monde actuel se débat dans les convulsions
de l'agonie, parce que, contrairement aux lois
éternelles de l'ordre, la pyramide est renversée :
Dieu est en bas, l'homme en haut.
L'ordre ne sera rétabli que lorsque Dieu sera
remis à sa place et l'homme à la sienne : Dieu
dans ses droits, l'homme dans ses devoirs.
Restaurer le règne de Dieu, voilà donc pour
l'Europe, et pour la France en particulier, la
question de vie ou de mort.
La première chose à faire pour la résoudre,
est de reconnaître qu'une pareille tâche est évi-
demment au-dessus des forces humaines. Si
l'homme est assez faible pour se perdre, il n'est
pas assez fort pour se sauver. Que nos législa-
teurs en soient bien convaincus. « Si le Seigneur
ne bâtit pas la maison, en vain travaillent ceux
qui la bâtissent : » Nisi Dominus œdificaverit
domum, in mnum laàoraverunt qui œdificant
eam. Bien faible est leur raison, si elle ne va pas
jusqu'à comprendre l'éternelle vérité de cet
oracle.
Savoir qu'on a besoin du secours de Dieu ne
suffit pas : il faut l'implorer. Comment l'im-
plorer pour l'obtenir? Publiquement et le repen-
tir dans le cœur.
328 * OÙ EN SOMMES-NOUS?

Le repentir dans le cœur. Pour les nations


coupables, Ninive est un type immortel. Sans
repentir national, il n'y a de salut à espérer pour
aucune nation.
Publiquement. A une nation coupable, comme
nation, il n'est pas loisible de laisser à des indi-
vidualités, plus ou moins nombreuses, le soin
de demander le secours d'en haut. Pas plus que
l'individu, le peuple coupable, demeurant cou-
pable, ne peut se sauver par procureur. Si les
hommes qui vont représenter la France d'au-
jourd'hui étaient assez aveugles pour ne pas
comprendre la nécessité de ce devoir, ou assez
lâches pour ne pas oser l'accomplir, ils trahiraienl
leur mandat et nous forceraient à désespérer de
l'avenir.
Membres de l'Assemblée souveraine, en quel
état la France vous remet-elle ses destinées el
qu'attend-elle de vous? Pour exciter votre com-
passion, cette patrie bien-aimée n'est-elle donc
pas encore assez affligée, assez battue, assez
meurtrie, assez déchirée, assez foulée, assez ra-
vagée, assez désorganisée, assez aplatie, assez
ruinée? N'a-t-elle pas bu jusqu'à la lie le calice
des douleurs et des humiliations ?
Obligés de lui venir en aide, votre premier
devoir est de reconnaître que tout est surnaturel
dans les désastres qu'elle vient de subir, et dont
CHAPITRE XXXIII. 320

le bruit fait tinter les oreilles à l'ancien et au


1
nouveau monde . Seriez-vous seuls à ne pas voir
ce que voient, dans la stupeur, toutes les nations
de la terre, la main de Dieu appesantie sur la
France ! Gomment expliquer autrement la rapi-
dité foudroyante avec laquelle notre patrie, est
descendue au fond de l'abîme?
0 toi, la terre des vaillants et des preux, de tout
temps tu fus regardée comme la première nation
militaire du globe : nullum bellum sine milite
gallo ! Comment, dans un jour, as-tu perdu le
génie de la guerre, l'habileté, la prévoyance, la
discipline, la force, toutes les conditions de la
victoire? Qui te les a ôtées, pour les donner à tes
ennemis ?
Par ton âge, par ta puissance, par tes ri-
chesses, par tes hauts faits, tu tenais le premier
rang parmi tes soeurs ; et six mois ont suffi pour
te jeter à terre, toi, ta prospérité, tes armées, tes
forteresses, et, pour combler la mesure, forcer
ta superbe capitale, la reine des cités, environnée
de citadelles, hérissée de canons, défendue par
1
Ecce ego inducam mala super Jérusalem et Judam, ut qui-
cumque audierit tinniant ambse aures ejus. I Reg. x x i , 12. —
3

Les meilleurs soldats du roi de Prusse sont les péchés de la


France. « En entrant en campagne, nous disaient les officiers
prussiens, nous étions sûrs de vaincre : nous avions devant nous
une nation pourrie de luxe et d'impiété, » Oui, mais Assur ne
vaut pas mieux qu'Israël.
330 OÙ EN SOMMES-NOUS?

quatre cent mille combattants, à se rendre aux


conditions les plus dures et les plus humiliantes,
qu'aucune ville de l'Europe ait jamais subies. A
moins d'être rayée du nombre des nations, peux-
4
tu descendre beaucoup plus bas ?
1
Si tu en cloutes, pauvre France, ou si jamais tu viens à
l'oublier, relis la page suivante : Le 28 février 1871, M. Thiers
apporte à l'Assemblée constituante, réunie à Bordeaux, les pré-
liminaires de la paix, signés à Versailles le 26 février.
« Art. 1". — L'Assemblée nationale, subissant les nécessités
dont elle n'est pas responsable, adopte les préliminaires de la
paix, signés à Versailles le 26 février.
» 1° La France renonce, en faveur de l'empire allemand, à ses
droits sur le territoire suivant : un cinquième de la Lorraine , y
compris Metz et Thionville, et toute l'Alsace, moins Belfort.
» 2° La France paiera cinq milliards de francs, dont un milliard
en 1871. Le reste dans l'espace de trois ans.
» 3° L'évacuation cominencera après la ratification des traités.
Les troupes alleinandes évacueront alors l'intérieur de Paris et
divers départements, compris pour la plupart dans la région de
l'ouest. L'évacuation des départements de l'est s'opérera gra-
duellement après le paiement du premier milliard, et au fur eî
à mesure du versement des autres milliards. Les sommes res-
tant à payer produiront u n intérêt de 5 pour cent, à partir de la
ratification des traités.
» 4° Les troupes allemandes s'abstiendront de réquisitions
dans les départements occupés, mais leur entretien aura lieu aux
frais de la France.
0
» S Un délai est accordé aux populations des territoires
annexés pour l'option entre les deux nationalités.
» 6° Les prisonniers seront rendus immédiatement.
» 7° L'ouverture des négociations définitives de paix aura lieu,
à Bruxelles, après la ratification des traités.
» 8° L'administration des départements. occupés sera confiée
à des fonctionnaires français, sous les ordres des chefs de corps
allemands.
CHAPITRE XXXIII. 331

Cependant, si malheureuse que tu sois, ne


t'abdique pas toi-même. Le Dieu qui t'a frappée
t'aime encore. « Ecoute, pauvre petite, enivrée
non du vin de ta vigne, mais du vin de ma
colère Je suis ton Dieu et ton protecteur. Tes
ennemis t'ont cruellement humiliée. Ils t'ont dit :
Couche-toi par terre ; que ton dos nous serve de
marche-pied. Et ils ont passé sur toi, comme sur
un grand chemin; mais je mettrai dans leurs
mains le calice de ma fureur ; ils le boiront et tu
1
redeviendras mon peuple . »
Que l'Assemblée qui va personnifier la France
" s'adresse donc aux chefs de la prière et qu'elle-
même s'associe publiquement et en corps à leurs
2
supplications . A l'exemple du souverain Pontife,
» 9° Le présent traité ne confère aucun droit sur la portion du
territoire non occupée.
» Art. 2. — Le traité sera soumis à la ratification de l'Assem-
blée nationale de France. »
L'Assemblée nationale a courbé la tète et accepté les prélimi-
naires par 546 voix contre 107. Dieu est la justice m ê m e : il ne
punit pas au delà du démérite ; il reste m ê m e en deçà. Si jamais,
depuis son origine, pareil châtiment n'a été infligé à la France,
il faut donc avouer que j a m a i s , depuis son origine, la France
n'a été si coupable.
1
Audi, paupercula, et ebria non a vino, etc. Isai., u, 21; u i , etc.
* L'Assemblée de Versailles a demandé des prières publiques.
Cette demande, dont il faut lui tenir compte, ne nous rassure
guère. 1° L'empire aussi demandait des prières publiques, même
pour le succès de la guerre d'Italie : affaire de forme ; 2° c'est
contre la volonté d'une bonne partie des députés, et même de
M. Thiers, que ces prières ont été votées ; 3° on a demandé en
33-2 OÙ EN SOMMES-NOUS?'

qui ne cesse de prier et de foire prier publique-


ment pour le salut de la France et du monde,
que tous les évêques dans leurs diocèses, tous
les curés dans leurs paroisses, tous les religieux
et les religieuses dans leurs couvents, tous les
pères de famille dans leurs maisons, accomplis-
sent l'ordre du prophète Joël, écrit, ce semble,
pour notre temps. « Sonnez de la trompette dans
Sion; convoquez l'assemblée ; réunissez les
vieillards et les petits enfants ; que l'époux el
l'épouse sortent de leur demeure. Entre le ves-
tibule et l'autel pleureront les prêtres, ministres
du Seigneur, et ils diront : Epargnez. Seigneur,
épargnez votre peuple. Et le Seigneur prendra
en main la cause de son peuple, et il le comblera,
1
de biens . »
Des supplications publiques, expression sin-
cère du repentir national, voilà pour la France,
nous ne cesserons de le répéter, le premier pas

même temps et dans les mêmes termes, les prières du catho-


lique qui croit, du protestant qui nie et du juif qui se moque du
protestant et du catholique. Qu'est-ce que cela, sinon la négation
officielle de toute religion positive. Par conséquent une profes-
sion publique d'athéisme ?
. Pour couronner son œuvre, en lui donnant son vrai caractère,
l'Assemblée fixe au dimanche 18 juin la revue de l'armée libé-
ratrice de Paris ; c'est-à-dire qu'elle constitue cent mille hommes
dans l'impossibilité de remplir leurs devoirs de chrétiens.
Et vous voulez que Dieu vous exauce?
1
Joël., e. n.
CHAPITRE XXXIII. 333

dans la voie de la restauration sociale. Quelque


habiles qu'ils se prétendent, les hommes-pouvoir
qui travaillent sans Dieu, ne seront jamais que
1
des tisserands de toile d'araignée .
Ajoutons que la conversion de la France inté-
resse l'Europe entière. Si elles avaient souci de
leur avenir, toutes les nations prieraient pour
l'obtenir.
Que l'Espagne, l'Italie, l'Autriche rede-
viennent chrétiennes; c'est l'Espagne, le Portu-
gal, l'Italie, l'Autriche redevenues chrétiennes;
rien de plus. Mais que la France, où, malgré
beaucoup de mal, la foi se montre encore si active
et si généreuse dans un bon nombre d'indivi-
dualités; la France, où sont nées et où fleurissent,
plus que partout ailleurs, les grandes œuvres
catholiques de la Propagation de la foi, de l'a
Sainte-Enfance, de Saint- Vincent de Paul; que
la France redevienne chrétienne comme nation ;
peut-on calculer l'influence salutaire qu'elle
exercera sur l'Europe et sur le monde?
La France redevenue chrétienne, c'est la sup-
pression des agents les plus actifs de la propa-
gande révolutionnaire; c'est la vraie civilisation
reprenant sa marche dans l'ancien et dans le
nouveau monde; c'est l'Europe occidentale pré-
1
Telas araneœ t e x u e m n t . Isai,, u x , a.— Vani enim sunt
omnes nommes in quibus non est scientia IVi, Sap., xm, i .
334 OÙ EN SOMMES-NOUS?

servée de la barbarie intérieure et étrangère;


c'est la terre entière rapidement éclairée des
lumières de l'Evangile ; c'est-la paix de la société
et un moment d'arrêt dans la décadence du
monde.
Dans la supposition contraire, qu'arrivera-t-il?
Si la France ne redevient pas chrétienne comme
nation, nous le disons avec la conviction la plus
douloureuse, mais la plus profonde, ce qu'elle
souffre n'est pour elle, comme pour l'Europe,
que le commencement des douleurs : Esec autem
omnia initia sunt dolorum. La France impéni-
tente et rebelle sous les coups terribles de la jus-
tice divine, c'est la France devenue plus que
jamais une menace permanente pour l'Europe,
un scandale plus séduisant et un foyer plus actif
de corruption religieuse et sociale; c'est la
France augmentant sa dette et se préparant à
elle-même, ainsi qu'à l'Europe, les plus redou-
tables échéances.
Une pareille supposition épouvante. Si elle
doit devenir une réalité, qui ose envisager l'ave-
nir de la France, de l'Europe et du monde? En
fait d'antichristianisme, de despotisme, de cala-
mités et de sauvagerie, tout est croyable, parce
que tout est possible, et tout est possible, parce
que tout est à craindre.
Agir. En mettant les hommes-pouvoir en corn-
CHAPITRE XXXIII. 335

munication avec Dieu, la prière leur ouvre


1
l'unique source de la lumière et de la force .
Devenus par là de vrais législateurs, ils peuvent
et ils doivent agir dans Tordre politique. Les
hommes-pouvoir sont les électeurs et les élus.
Aux uns et aux autres incombent de graves
devoirs.
Devoirs des électeurs. Si les gouvernements
sont mauvais, n'est-ce pas, en grande partie, la
faute de ceux qui les nomment? Aujourd'hui,
chez la plupart des nations de l'Europe, les gou-
vernants sont le produit du suffrage des élec-
teurs? Comment ce suffrage est-il donné, ou
plutôt acheté? A la honte de l'époque actuelle,
qui se proclame si indépendante, la grande ma-
jorité vend son suffrage, ou vote sans intelli-
gence et sans conscience L'égoïsme aveugle,
mesquin, inavouable est le guide du vote.
Peuples de l'Europe, et vous en particulier,
électeurs français, il est temps de consulter votre
conscience de chrétiens, afin de retrouver votre
dignité d'hommes et de citoyens. Depuis plus
d'un demi-siècle, tous les partis sont venus solli-
citer vos suffrages. Vous avez essayé de tous. La
France leur a tout donné : son obéissance, son
argent, son sang, autant qu'ils en ont voulu.
1
Per me reges régnant et legum conditores justa decernunt,
Prov. vnr, 45.
t
336 OÙ EN SOMMES-NOUS?

Qu'ont-ils fait de la France? Ils l'ont tondue


comme une brebis; ils l'ont pervertie; ils l'ont
criblée de milliards de dettes ; ils l'ont laissée
sans force devant ses ennemis et finalement
conduite au fond de l'abîme. Tous ces partis ont
donc donné leur mesure. Ils sont indignes de
votre confiance, car ils ont prouvé, à vos dé-
pens, qu'ils ne sont pas de la race des hommes
qui peuvent sauver Israël.
Pour renouveler la France, il faut des hommes
nouveaux. Les hommes sont comme les billets
de banque : ils ne valent que ce qu'ils repré-
sentent. Le meilleur billet de banque est celui
qui représente la plus forte somme. L'homme
le meilleur est celui qui représente la plus grande
somme de vérités et de vertus. Cet homme est
le catholique, et le catholique seul : catholique
comme homme privé et comme homme-pouvoir.
Non-seulement il offre plus que tout autre de -
solides garanties de dévouement et d'indépen-
dance; mais encore il possède, plus que tout
autre, la science des choses divines et humaines,
inséparables dans le gouvernement des peuples.
De là ce mot profond de Donoso Gortès : Si le
monde n'était pas irrémédiablement condamné
à Terreur, il choisirait des saints pour le gou-
j
verner .
1
Si ces conseils arrivent trop tard pour les élections à l'As-
CHAPITRE XXXIII. 337

Après les devoirs des électeurs, viennent ceux


des élus. Le premier est de faire la paix avec
l'ennemi qui étreint la France dans ses bras de
fer et lui tient le pied sur la gorge. Ce devoir
n'est pas le plus important. Il en est un qui
prime tous les autres : c'est de réconcilier la
France avec Dieu. Sans cette réconciliation, la
paix de la France avec la Prusse sera une paix,
mais ce ne sera pas la paix.
Réconcilier la France avec Dieu, c'est, comme
il a été dit, remettre Dieu dans ses droits et la
France dans ses devoirs. Citons quelques-unes
des conditions sine qua non, de cette réconcilia-
tion nécessaire.
Afin que l'Etat redevienne ce qu'il doit être et
ce qu'il est par son institution même, le ministre
de Dieu pour le bien, minister Dei in bonum, il
faut ;
1° Bannir à tout jamais de la constitution ce
qu'on appelle sottement les principes de 89. Con-
trefaçon révolutionnaire des principes sociaux du
cbristianisme, ces prétendus principes, destruc-

semblée constituante, 8 février, ils resteront, sans rien perdre


de leur utilité, pour les élections futures, en France et ailleurs.
— Si, parmi les candidats, on ne trouve pas assez de vrais catho-
liques, il faut, autant que possible, choisir les hommes qui, par
leurs antécédents, s'en rapprochent le plus. C'est un devoir de
conscience.
00
338 OÙ EN SOMMES-NOUS?

teurs de toute hiérarchie, sont le renversement


radical de la société ;
2° Y substituer carrément les principes catho-
liques, conservateurs de la hiérarchie sociale et
source unique de la liberté, de l'égalité et de la
fraternité véritable ;
3° Rétablir légalement les trois grands corps
de l'Etat, solides bases de l'ancienne monarchie
française, afin d'avoir la représentation vraie de
toutes les forces vives de la nation, et supprimer
ainsi le suffrage universel, qui n'a été et qui ne
sera jamais qu'un mensonge au profit de l'in-
trigue ;
4° Rayer l'athéisme du code, en cessant de
mettre toutes les religions sur le même pied
d'égalité ;
5° Supprimer le mariage civil;
6° Faire cesser la profanation du dimanche ;
7° Laisser à l'Eglise sa pleine liberté d'action,
et lui reconnaître tous les droits d'une personne
civile et indépendante ;
8° Décentraliser le gouvernement, en trans-
portant hors Paris le siège du pouvoir ;
9° Décentraliser l'administration, en rétablis-
sant les anciennes provinces avec leurs fran-
chises ;
10° Décentraliser l'instruction, en rétablissant
nos vingt universités d'autrefois;
CHAPITRE XXXIII. 330

11° Rétablir dans toute sa plénitude l'autorité


paternelle, en lui rendant le plein pouvoir de
tester, et en déclarant que les pères de famille,
par rang d'âge, formeront seuls et de droit le
conseil municipal de chaque commune ;
12° Proscrire les sociétés secrètes.;
13° Réprimer sans pitié la licence de la presse.
En un mot, défaire sur toute la ligne l'œuvre
1
de la Révolution .
Voilà ce qui reste à faire, et en l'écrivant, nous
avons le triste pressentiment d'écrire ce qui ne se
fera pas. Toutefois, affirmer d'une manière ab-
solue que rien de tout cela n'aura lieu, dans la
mesure nécessaire pour prolonger pendant quel-
que temps la vie des sociétés, autant répondre
que le monde marche a sa fin sans moment d'ar-
rêt. Il en coûte de souscrire sans réserve à cette
pensée. Aussi, dans l'incertitude de l'avenir,
nous allons rappeler un devoir plus important
que tous les autres, et dont l'accomplissement
est la dernière ancre de salut, non-seulement
pour la France, mais pour l'Europe entière.
j
Nous ne donnons pas les motifs de ces différentes nécessités :
ils sont évidents par eux-mêmes.
341) OÙ EN SOMMES-NOUS f

CHAPITRE XXXIV.

QUE RESTE-T-IL A FAIRE ?

Réformer. — L'éducation, surtout l'éducation des classes élevées.


— Le mal est dans les âmes. — L'Internationale. — Le mal
vient de l'éducation. — Qui fait l'éducation du peuple? La
bourgeoisie. — Gomment? — Justice de Dieu.

Réformer. Avant tout et par-dessus tout, que


faut-il réformer? L'éducation ; L'éducation des
classes élevées, qui font les autres à leur image.
-Sans cette réforme, toutes les mesures, d'ailleurs
nécessaires, que nous venons d'indiquer, seront
impuissantes à retarder la décadence du monde.
Celui qui réformera l'éducation, écrit Leibnitz,
réformera le genre humain, et celui-là seul
pourra le réformer. Trois faits incontestables
mettent cette vérité dans tout son jour ; 1° le mal
est dans les âmes ; 2° le mal vient de l'éducation ;
3° le mal est inguérissable dans les générations
formées.
1° Le mal est dans les âmes. Tous les faits
extérieurs que nous voyons de nos yeux ont
une cause cachée que nous ne voyons pas. Idée,
principe, opinion, comme il vous plaira de Tap-
CHAPITRE XXXIV. 341

peler, cette cause existe nécessairement avant le


fait qu'elle produit. Avant d'éclore, l'oiseau vit
dans l'œuf.
C'est ce que disait Erasme en parlant de la
Renaissance, à laquelle il attribuait avec raison
la maternité du protestantisme : « J'ai pondu
l'œuf; Luther l'a fait éclore : Ego peperi ovum;
Zutherus exclusif. » En bien comme en mal,
toutes les révolutions existent dans les esprits
avant de passer dans les faits : 93 existait en 89 ;
1830, en 1829; 1848, en 1847, et 1871, en 1870.
L'émeute ne gronde dans la rue que parce que
la révolution est accomplie dans les idées.
Dans ses manifestations matérielles, le mal
actuel épouvante lç monde; c'est à bon droit. Il
vient de se révéler à Paris par un ensemble de
forfaits sans exemple dans l'histoire du genre
humain. Donc, le mal qui est aujourd'hui dans
les âmes atteint une profondeur et une étendue
jusqu'ici sans exemple.
Je dis une étendue. Les sauvages qui ont fait
de Paris un théâtre d'horreurs, ne forment pas
une bande isolée. Ils ont des complices dans toute
l'Europe et même en Amérique. On en cite de
toutes les nations : Hongrois, Valaques, Polo-
nais, Belges, Hollandais, Italiens, Anglais, Es-
pagnols, Portugais, Américains.
Un recensement officiel • porte à 32,000 le
3*2 OÙ EN SOMMES-NOUS?

nombre de ces étrangers, enrôlés sous le drapeau


de la Commune. Dans son armée figurent, à des
grades plus ou moins élevés, quarante-sept chefs,
également étrangers à la France. Ces officiers
eux-mêmes ne sont que les ignobles caporaux de
l'infernale armée. Les grands chefs, dont plu-
sieurs ne sont jamais venus à Paris, sont à Ber-
lin et à Londres. Là sont les organisateurs du
i
mouvement et les payeurs de l'émeute .

* On sait aujourd'hui que des fonds considérables, venus de


Londres, ont été distribués aux insurgés pendant le règne de la
Commune.
« De Londres, où il était en sûreté, Karl-Marx dirigeait tout,
et c'est à cette intelligence redoutable que nous devons le triste
honneur d'avoir vu se débattre chez nous, à coups de fusil, la
question économique.
» C'est en France que le mouvement doit être essayé, avait
dit Jacobi; hors de là il avortera.
» Avec son puissant esprit d'organisation, Karl-Marx, bien
que trouvant le moment mal choisi et mal préparé, essaya de
réglementer la marche de l'insurrection.
» La lutte entre le comité et la Commune nous sauva du
désastre. — Bien que victorieux, le comité, empêtré de Rossel
et ensuite de Delescluze, ne put exécuter les ordres venus de
Londres et d'Allemagne.
» Ce ne sera pas une chose de médiocre intérêt que la publi-
cation de ces documents, qui sont tout entiers en mains sûres,
et qui jetteront un jour nouveau sur la coalition du banditisme
européen.
» Les vrais chefs du complot, c'étaient Karl-Marx, Jacobi,
Diebneck et le Russe Tonatchin. C'est à ce dernier et à Jacobi
que l'on doit ridée de brûler Paris; c'est à Karl-Marx que nous
devons l'organisation de Y Internationale et le plus clair de la
demi-organisation des bandits cosmopolites qui ont envahi la
CHAPITRE XXXIV. 3 (3

Devenus de notoriété publique, ces faits con-


firment le jugement de Donoso Cortès. Au retour
de son ambassade de Londres, il nous disait :
« C'est en Allemagne que sont les pontifes du
socialisme; en France, les apôtres; en Italie,
les séides. » Ainsi, une armée, savamment or-
ganisée, de barbares, de sauvages, de Peaux-
Rouges, comme il plaira de les appeler, menace
aujourd'hui le monde civilisé d'une destruction
radicale. L'échec qu'ils viennent de subir ne les
décourage pas. Leurs placards, affichés sur les
murs calcinés de Paris, leurs journaux, publiés
à l'étranger, les discours de leurs chefs annoncent
qu'ils se préparent à recommencer la lutte et à
prendre leur revanche. « L'insurrection de Paris
n'est qu'un combat d'avant-garde, disait na-
guère à Berlin, en plein parlement, au nez de
M. de Bismark, l'ouvrier saxon Bebel, député
socialiste.

capitale de la "France. Le crime a été un crime international.


Les représailles doivent être universelles.
» Sus aux incendiaires de Paris, mais sus aussi à leurs chefs.
n Nous savons que , du fond de leur repaire de Londres, les
grands lamas de l'Internationale dressent de nouvelles listes de
proscriptions, préparent de nouvelles troupes. Nous savons
qu'avant six mois Lyon, Marseille, lîarcelonne, Turin, R o m e ,
N a p l e s , Vienne, B e r l i n , Moscou, l'Irlande, l'Espagne et les
provinces danubiennes doivent être en feu. — Quel qu'en soit le
danger, nous ne cesserons d'avertir les gouvernements : c'est à
eux de veiller. »
3il OÙ EN SOMMES-NOUS?

Qu'on ne s'y trompe pas : la prise de Paris


n'est pas la défaite de la Révolution. La Révo-
lution est un principe, une idée, un système, une
puissance spirituelle. On ne tue pas les idées
avec de la poudre. L'idée ne peut être dominée
que par l'idée. Sans doute, la Révolution se per-
sonnifie dans quelques hommes , mais ces
hommes ne sont pas elle. Si vous l'interrogez,
elle-même vous dira : « Marat n'était pas moi, Ro-
bespierre n'était pas moi, Mazzini n'est pas moi,
Garibaldi n'est'pas moi, Victor-Emmanuel n'est
pas moi, les Communeux ne sont pas moi. Ces
hommes et leurs pareils sont mes fils et mes sol-
dats, mais ils ne sont pas moi. Ils meurent, et je
vis; ils habitent des lieux déterminés, et je suis
partout. Toutes les langues, je les parle, et tous
les échos du monde répondent à ma voix. Je suis
Y Esprit du mal qui souffle aujourd'hui sur le
monde et qui l'arme contre Dieu. »
h'Esprit du mal ne peut être vaincu que par
VEsprit du bien. Il y a dix-huit siècles, par qui
l'abominable tyran, dominateur du monde, fut-
il chassé de son empire? Par Y Esprit du bien le 1

Saint-Esprit; uniquement par lui. Aujourd'hui,


1
nulle autre puissance ne le vaincra .
Ainsi, en arrachant la capitale de la France
1
Voilà pourquoi, en prévision de ce qui arrive, nous publiâmes,
il y. a peu d'années, le Traité dv- Saint-Esprit,
CHAPITRE XXXIV. 343

aux mains de ses tyrans, qu'avez-vous fait?


Vous avez fusillé, enchaîné, envoyé à Cayenne
quelques-uns des fils de la Révolution, mais non
la Révolution elle-même.
Tenez pour certain qu'elle n'est ni fusillée, ni
enchaînée, ni convertie, ni en route pour
Cayenne. Si vous pouviez l'ignorer, les Commu-
neux français et étrangers vous l'apprendraient.
Les peines dont on les frappe les font sourire.
Ecoutez un de leurs organes :
« Que nous importe, bourgeois que la peur
affole, vos menaces, vos haines et vos persécu-
tions? Frappez-nous, emprisonnez-nous, inven-
tez au besoin une nouvelle Calédonie à l'usage
des ouvriers. Mais pensez-vous pouvoir résister
au développement de notre puissance?
» Pensez-vous pouvoir arrêter la révolution
qui couve maintenant dans le cœur du peuple?
Aucune des mesures auxquelles vous pourrez
recourir n'aura d'empire sur Vidée nette et in-
compressible qui est en nous. Plus même vous
serez impitoyables et barbares, plus vous ser-
virez notre cause, car c'est la persécution et la
souffrance qui nous ont faits ce que nous sommes.
» A l'heure qu'il est, le socialisme, dans son
efïlorescence, n'a plus rien à craindre. Voyez
seulement le progrès qu'il a accompli en dix
ans, et jugez d'après cela ce qu'il sera bientôt,
m OU EN SOMMES-NOUS?
» Voilà la raison de notre indifférence. Voilà
pourquoi pas un de nos journaux, pas un de no?
meetings n'a protesté contre vos menaces. Nous
ne nous sentons pas atteints, et nous vous met-
tons au défi de nous nuire. »
Un autre de leurs organes est encore plus
explicite. Le 11 juin de cette année, la section
italienne de Y Internationale ouvre une souscrip-
tion en faveur des Communeux de Paris, héros et
martyrs, à qui elle envoie une adresse, en guise
de salut fraternel. Voici le texte de cette adresse :
« Le voile qui couvre l'avenir a été soulevé. Une
ère nouvelle dans la civilisation a été inaugurée.
Aussi la réaction n'en a pour longtemps à jouir de
son triomphe,'et bientôt viendra l'heure où notre
cause l'emportera. Du sang de nos frères tombés,
naîtront des milliers de vengeurs. La Commune
n'est pas la comète qui se perd dans l'espace in-
fini; c'est le soleil qui se couche aujourd'hui,
pour demain resplendir d'un nouvel éclat. »
Tenez également pour certain que le nombre
des fils de la Révolution sur lesquels vous avez
mis la main, n'est rien en comparaison de ceux
qui lui restent.
Enfin, tenez pour certain que le mal est dans
les âmes. C'est là qu'il faut l'attaquer. Tant que
vous ne porterez pas la cognée à la racine de
l'arbre, vous lutterez en vain contre la Révolu-
CHAPITRE XXXIV. 347

tion. Gomment le mal est-il dans les âmes? Se-


conde question à laquelle nous allons répondre.
2° Le mal vient de l'éducation. Prise dans son
acception la plus large, l'éducation comprend
l'enseignement de l'esprit et du cœur, donné à
l'homme pendant et après l'adolescence ; et nous
affirmons que le mal comme le bien, tout vient
de l'éducation.
L'homme est un être enseigné, rien qu'un être
enseigné. Au moral comme au physique, tout
ce que l'homme possède, il l'a reçu. En venant
au monde, dit le Docteur angélique, l'âme hu-
maine est une table rase, tabula rasa, disposée
à recevoir tous les caractères qu'on veut y impri-
mer. C'est un champ tout neuf, où germe, sans
obstacle, la semence bonne ou mauvaise qu'on
y répand. Rien de plus vrai. Le catholique est
catholique, parce qu'on lui a enseigné le catho-
licisme; le protestant est protestant, parce qu'on
lui a enseigné le protestantisme ; le juif, le maho-
métan, le païen, sont juifs, mahométans, païens,
parce qu'on leur a enseigné le judaïsme, le
mahométisme, le paganisme. Tous eussent été
autre chose, s'ils avaient reçu un enseignement
différent.
Or, deux enseignements ont été donnés à
l'homme. L'enseignement divin et l'enseigne-
ment satanique. Dieu a enseigné et Satan à en-
348. OÙ EN SOMMES-NOUS?

seigné. Depuis la chute primitive, ces deux


enseignements, marchant sans arrêt sur deux
lignes parallèles, ont partagé le monde en
deux cités. L'enseignement divin a formé
la cité du bien; renseignement satanique a
formé la cité du mal. Ainsi, bons ou mauvais,
tous les hommes sont fils de leur éducation. Il
est tellement vrai que tout vient de renseigne-
ment, que le premier mot sorti de la bouche du
Fils de Dieu, lorsqu'il envoya ses apôtres régé-
nérer le monde," est le mot d'enseignement ;
E unies docete. C'est la contre-partie du premier
sophisme qui, au paradis terrestre, causa la
chute du monde : Eritis sicut dii.
Qui fait l'éducation des classes inférieures de
la société? L'enseignement descend, il ne monte
pas. Ce n'est ni l'ouvrier, ni le laboureur, ni
l'ignorant, ni le prolétaire, qui fait la vie intel-
lectuelle et morale du patron, du riche, du
lettré, du bourgeois. Au contraire, c'est la bour-
geoisie ou la classe élevée qui fait l'éducation du
peuple. Nous ne parlons pas de l'éducation rudi-
mentaire du premier âge ; mais de l'éducation de
l'adolescence et de la jeunesse, qui développe ou
qui étouffe l'éducation de l'école et du foyer.
Comment la bourgeoisie fait-elle l'éducation
du peuple? Par les paroles, par les écrits et sur-
tout par l'exemple. Nous disons surtout par
CHAPITRE XXXIV. 349

l'exemple, car la conduite des supérieurs est


l'évangile des inférieurs. Quelle éducation la
bourgeoisie de toute l'Europe donne-t-elle aux
classes populaires? Quels sont ses discours, ses
livres, ses journaux, ses exemples?
Il est triste, mais il est vrai de le dire ; de-
puis longtemps la bourgeoisie européenne, dans
l'immense majorité, n'a laissé ni un blasphème
à proférer, ni un scandale à donner. Indifférente
et hostile à l'égard de la religion, se moquant
de ses lois, de ses promesses et de ses menaces;
ne connaissant d'autres divinités que la richesse
et le plaisir; chaque jour, par son luxe effréné,
par ses théâtres, par ses journaux, versant à tor-
rents dans les entrailles du peuple les doctrines
les plus subversives de l'ordre social; par le
travail du dimanche, dans les ateliers, dans les
filatures,' dans les usines, dans les manufactures,
dans les chemins de fer, constituant des multi-
tudes d'ouvriers et d'ouvrières en dehors des
lois chrétiennes : elle a donné au peuple l'ensei-
gnement qu'il pratique aujourd'hui.
A la coalisation de la bourgeoisie pour dé-
moraliser le prolétariat, répond aujourd'hui la
coalisation du prolétariat pour exterminer la
bourgeoisie. Retournant contre ses maîtres les
doctrines qu'il en a reçues, il lui dit : « Puisque
tout finit avec le temps et qu'il n'y a, au delà du
350 OÙ EN SOMMES-NOUS?

tombeau, ni ciel à attendre, ni enfer à craindre,


l'enfer et le paradis sont sur la terre. Le paradis,
c'est la richesse et le repos dans le plaisir. L'en-
fer, c'est le travail et la pauvreté. Il y a assez
longtemps que vous êtes dans le paradis; h notre
tour d'y entrer ; Ote-toi de là que je wCy mette.
Vous nous en fermez les portes, nous les brise-
rons. Nous saccagerons vos palais, nous les brû-
lerons, et, s'il le faut, nous vous tuerons sans
pitié. »
Dans la bouche d'un peuple à qui on a en-
levé sa foi, et avec sa foi ses espérances immor-
telles , unique compensation à ses souffrances,
rien n'est plus terriblement logique.
Sans doute ils sont coupables, affreusement
coupables, les malheureux qui marchent à la
conquête de la fortune par le pillage, l'incendie,
l'assassinat. A moins que le sens moral ne soit
éteint chez eux, ils en conviennent, et ils répon-
dent : « Il est vrai, nous sommes coupables; mais
à qui la faute ? Nous ne nous sommes pas faits
nous-mêmes. Nous sommes ce qu'on nous a faits,
et ce sont nos maîtres qui nous ont faits ce que
nous sommes. Nos maîtres sont les bourgeois, les
riches, les lettrés. Nourris de leurs doctrines- et
de leurs exemples, nous pratiquons ce qu'ils nous
ont enseigné. Exilez-nous, proscrivez-nous, fu-
sillez-nous , vous le pouvez ; mais si vous êtes
CHAPITRE XXXIV. 381

justes, après avoir fait notre procès, faites-le à


1
ceux qui nous ont formés . »
Disons-le nous-mème à ceux qui ont besoin
de le savoir : Dans la guerre du prolétariat contre
la richesse, il faut reconnaître la justice de Dieu.
Elle y est, comme elle est dans la tempête qui
ravage les campagnes et déracine les forêts. Elle
y est, comme elle fut dans l'invasion des anciens
barbares, comme elle a été dans les inexplicables
victoires de la Prusse \
Toutefois, le déchaînement naturel des pas-

< On lit dans les feuilles du jour :


« M. Jules Simon a trouvé sur les pontons, à Cherbourg, un
ancien instituteur qui avait été l'un de ses agents électoraux sous
l'empire. On sait que M. Jules Simon a été nommé par les socia-
listes, à force d'avoir répété qu'il était socialiste.
» Cet homme a durement apostrophé M. Jules Simon : « C'est
vous, lui a-t-il dit, qui m'avez amené ici, c'est pour vous et à
cause de vous que j'ai été destitué sous l'empire. Vous ne m'a-
vez pas replacé, le désespoir m'a fait complice de la Commune.
Faites-moi sortir d'ici, ou je me vengerai! »
» L'exaspération du prisonnier était telle, après avoir vu son
ancien professeur de socialisme ministre et entouré d'honneurs,
qu'il a fallu, assure-t-on, le mettre aux fers... Il a frappé ses
camarades..., frappé u n gardien... Dans sa détresse et sa rage,
il invoquait toujours son ami d'autrefois, et il se réclamait de
M. Simon. Tout a été inutile. Le canon, qui avait salué la sortie
du port de M. le ministre de l'instruction publique, n'a pas sonné
la délivrance de son agent et complice. Mais assurément M. Jules
Simon aura versé une larme sur le sort de ce malheureux dis-
ciple de sa philosophie. »
* Ignis , grando , nix , glacies, spiritus procellaruin quœ
faciunt verbum ejus. Ps. cxunn.
m OÙ EN SOMMES-NOUS?
sions, devenues les instruments de la justice di-
vine, ne peut seul rendre compte de ce qui se
passe aujourd'hui. La présence d'un autre élé-
ment est nécessaire, pour expliqueras horreurs
surhumaines dont nous venons d'être témoins et
celles dont on nous menace : cet élément est l'ac-
tion démoniaque. Afin de préparer les conclu-
sions de cet écrit, nous la signalerons dans le
chapitre suivant.

CHAPITRE XXXV.
QUE RESTE-T-IL A FAIRE?

Programme de l'Internationale. — Action satanique. — Les crimes


héroïques. — Le spiritisme. — Trois éléments de l'Internatio-
nale. — L'éducation de la bourgeoisie. — Qui la fait? — Les
hommes du paganisme.

La cité du mal, fille de l'enseignement sata-


nique, s'appelle la Révolution. Depuis quelques
années, la Révolution elle-même a pris un corps
gigantesque et puissamment organisé. Réunis-
sant en faisceau toutes ses forces éparses dans
l'ancien et dans le nouveau monde, elle se per-
sonnifie dans une vaste association, intitulée
Y Internationale. C'est l'Eglise de Satan, la syn-
thèse du mal. Si vous lui demandez qui elle est,
l'Internationale répond :
CHAPITRE XXXV. 353

a Je suis la république démocratique univer-


selle, ce grand empire que le chrétien attend
vers les derniers jours du monde. Héritière
agrandie de l'ancienne Rome, je réclame mes
droits. Vaincue, je prends ma revanche. Tous les
peuples sont à moi. La Prusse et même la Russie
ne seront que des provinces de mon empire. Mon
heure approche. Partout l'homme-peuple est
avec moi. Il a le nombre ; il aura la force. Dieu
est le seul ennemi que je craigne et qui puisse
triompher de moi. Tout pays qui l'abandonne
m'appartient. Rois, prêtres, magistrats, officiers,
supports de la vieille société chrétienne, que vous
avez trahie, je vous balaierai comme de la paille
pourrie. Prêtres, je vous ensevelirai sous les dé-
bris de vos temples. Riches, je vous anéantirai
avec vos richesses. Mon fouet égalitaire vous fla-
gellera, conquérants éphémères ; et pour les têtes
1
trop hautes, j'aurai le couperet du bourreau ".
» Je n'en fais mystère. Je suis la guerre so-
ciale; la guerre du prolétariat contre la richesse;
du travail contre le capital; de celui qui n'a pas,
contre celui qui a; de celui qui ne croit pas,
contre celui qui croit. Je suis la négation uni-
verselle, la négation armée, par conséquent le
renversement radical de toute société et de toute
religion. »
1
Voir notre ouvrage k César ïsme.
23
354 OÙ EN SOMMES-NOUS?

Ou l'inspiration satanique est dans un pareil


programme, ou elle n'est nulle part. Ecoutons
encore.
a Je suis la négation universelle. Je nie tout
ce qui n'est ni moi, ni avec moi, ni par moi.
Dieu n'est ni moi, ni avec moi, ni par moi : et je
nie Dieu.
» Jésus-Christ n'est ni moi, ni avec moi, ni
par moi : et je nie Jésus-Christ.
» L'Eglise catholique n'est ni moi, ni avec
moi, ni par moi ; et je nie l'Eglise catholique.
» L'ordre social n'est ni moi, ni avec moi, ni
par moi ; et je nie l'ordre social.
» La famille n'est ni moi, ni avec moi, ni par
moi : et je nie la famille.
» La propriété n'est ni moi, ni avec moi, ni
par moi : et je nie la propriété.
» Toutes les vérités que le christianisme en-
seigne, tous les devoirs qu'il impose, tous les
droits*qu'il consacre, ne sont ni moi, ni avec
moi, ni par moi : et je les nie.
» Je n'affirme qu'une chose, mon droit : et
mon droit, c'est la force.
» Je suis la négation armée. Mes soldats se
comptent par millions. Dans tous les pays, dans
tous les rangs, dans toutes les conditions, tout ce
qui n'est ni avec Dieu, ni avec Jésus-Christ, ni
avec l'Eglise, est à moi et avec moi. Pour assu-
CHAPITRE XXXV. 355

rer mon triomphe, mes soldats sont prêts à tout


et capables de tout.
» Je suis la haine à outrance. La haine à ou-
trance , c'est la destruction à outrance : et ils
sont mes fils. Le pillage, l'incendie, le meurtre,
et, s'il le faut, des hécatombes humaines : voilà
leurs moyens.
» Le fer, le feu, le picrate, le pétrole, le fulmi-
nate, tous les instruments de ruine, inventés
par la science moderne : voilà leurs armes. Ils
ne les déposeront pas, tant qu'il restera debout
une pierre de l'édifice religieux et social, que
je déteste. Je le déteste, parce qu'il n'est pas
mon ouvrage et qu'il s'oppose à l'établissement
de mon règne. »
Afin qu'on ne nous accuse pas de calomnie en
traduisant, comme nous venons de le faire, le
programme de la Révolution, nous appelons l'at-
tention sur la pièce suivante. C'est la circulaire
que vient d'adresser, à la date du 13 juillet 1871,
le comité central de Londres, à tous les comités
de l'Internationale dans le monde entier :
« Considérant que l'on a égorgé sans pitié et
mis à mort sans grâce ni merci les illustres chefs
du mouvement socialiste français, qui, heureuse-
ment, sont déjà remplacés par d'autres, qui mar-
cheront aussi bravement à la mort, si la cause
du prolétariat l'exige, nous ordonnons à tous nos
356 OÙ EN SOMMES-NOUS?

membres de tous les pays d'attiser le foyer de-


haine et de vengeance que nous avons allumé
contre la religion, l'autorité, les riches et les
bourgeois.
» Nous saisissons cette occasion pour vous dire
que l'apaisement n'est ni dans nos cœurs, ni dans
notre esprit, et que nos idées sociales sont de jour
en jour mieux appréciées par le prolétariat du
monde entier. Bientôt nous aurons recours aux
explosions violentes et terribles, qui se charge-
ront d'exécuter le système social existant, en
abattant au besoin par la hache et le fusil tout ce
. qui est aujourd'hui debout dans l'ordre civil et
religieux. »
Cette déclaration de guerre n'admet ni tran-
saction, ni conciliation, ni quartier, ni merci.
Il faut tuer la Révolution, ou la Révolution nous
tuera.
Telle est la revanche que prépare l'Internatio-
nale. Que ceux qui doivent veiller veillent. Que
ceux qui doivent agir agissent. Il n'y a pas de
temps à perdre. Aujourd'hui tout est en jeu;
demain tout peut être en feu.
Ne l'oublions pas : les misérables qui ont épou-
vanté le monde, par les abominables forfaits com-
mis dans Paris, vous les appelez des monstres à
face humaine, des bêtes féroces, des Vandales,
des Peaux-Rouges : vous avez raison. Ils sont
CHAPITRE XXXV. 357

tout cela, mais ils sont quelque chose de plus


effrayant : ils sont des conséquentiaires.
Logiciens imperturbables de la Révolution,
ils ont tiré les dernières conséquences de ses
principes. Si son intérêt le demande et si sa force
le permet, quiconque nie Dieu doit arriver là.
Entre toutes les ruines accumulées sur le sol de
la France et surtout dans la capitale, la plus
efrayante est la ruine du sens moral, qui em-
pêche de comprendre la cause de toutes les autres.
Visible dans le programme de la Révolution,
l'inspiration sataniquene l'est pas moins dans ses
actes. Il y a dans les vertus des actes héroïques
que l'homme ne saurait accomplir avec le secours
de la grâce ordinaire : il faut pour cela une action
extraordinaire, directe, souveraine du Saint-
Esprit.
De même il y a des crimes qu'on peut appeler
héroïques, dont l'homme, si méchant qu'il soit,
n'est pas capable tout seul. Pour les commettre,
il faut que sa méchanceté naturelle soit doublée
delà malice du démon, agissant sur lui d'une
manière directe et souveraine. Tels sont les pé-
chés contre le Saint-Esprit : la haine de Dieu,
la haine du Sauveur du monde, la haine de la
sainte Vierge, la haine de la vérité connue, et la
plupart des forfaits dont Paris vient d'être le
théâtre.
358 OU EN SOMMES-NOUS ?

Cette action visible du démon dans le monde


actuel n'a rien d'étonnant. L'homme ne peut ser-
vir deux maîtres; mais, quoi qu'il fasse, il faut
qu'il en serve un : Jésus-Christ ou Bélial; pas de
milieu. Depuis longtemps, par ses actes plus en-
core que par ses paroles, le monde actuel ne cesse
de dire : « Le christianisme me pèse ; Jésus-Christ
a fait son temps ; je ne veux plus qu'il règne sur
moi : » Nolumus hune regnare super nos. A lui et
à son Eglise on a déclaré la guerre ; et, autant
qu'elles ont pu, les nations, comme nations, l'ont
banni. La place du divin Roi n'est pas restée
vide. Elle a été immédiatement occupée par
l'autre roi..Alors s'est produit un phénomène in-
connu dans l'histoire des peuples chrétiens. Nous
parlons de la familiarité du monde actuel avec le
1
démon .
Trop habile pour se faire connaître dès l'abord,
Satan prit le masque des âmes, venant instruire
les vivants des mystères de l'autre monde, les
consoler et les guérir. Comme dans l'antiquité,
il se manifesta par les tables parlantes et par les
autres pratiques du spiritisme. L'interroger de-
vint un jeu, une fièvre universelle. L'Amérique
protestante en fut prise la première; c'était en

<On peut en voir les nombreuses preuves dans notre Traité


du Saint-Esprit, t. ï.
CHAPITRE X X X V . " 359

1852. Toujours masqué, Satan avait acquis le


droit de bourgeoisie.
L'influence du nouvel bote ne tarda pas à se
faire sentir. Satan ne change, ni ne vieillit; il
est toujours le grand homicide. Inextinguible est
sa soif de sang humain. Partout où il règne, il lui
faut des victimes. La folie et le suicide ne tar-
dèrent pas à lui en donner dans des proportions
effrayantes. Il ne se contenta pas de si peu.
Prince de la guerre, comme Jésus-Christ est le
prince de la paix, il souffla la discorde dans l'âme
des Américains ; et, sous les prétextes les moins
sérieux, éclata la guerre la plus sanglante qui
ait désolé le Nouveau-Monde.
Passé en Europe sous son masque d'outre-mer,
Satan excita la même curiosité. Se mettre en
rapport avec lui, jouer avec lui, fut pendant plu-
sieurs années l'amusement favori des salons et
des ateliers. Paris, seulement, a compté plus de
cinquante mille spirites ; Lyon vingt mille ; ainsi
des autres villes. Parmi eux figurent, non-
seulement des prolétaires, mais des bourgeois en
grand nombre, hommes et femmes, et même
des hommes publics.
A cette prise de possession succédèrent des
réunions périodiques, des sociétés, même régu-
lièrement établies, dans le but de se constituer en
relations do plus en plus intimes avec Y Esprit,
360 OÙ EN SOMMES-NOUS?

de recueillir ses oracles et de se diriger d'après


ses conseils. Le christianisme est une grande er-
reur, l'enfer est une fable : tels furent les pre-
miers dogmes qu'il enseigna. Dix revues ou jour-
naux et plus de cent écrits différents ont propagé
la nouvelle doctrine. C'est l'athéisme en principe,
et le socialisme en pratique.
En France, comme en Amérique, mêmes ré-
sultats. D'abord, l'augmentation rapide du sui-
cide et de la folie; puis, la guerre étrangère, avec
des hécatombes humaines ; enfin, la guerre civile,
marquée par des horreurs dont l'homme seul
n'est point capable.
Le déchaînement des passions, la justice de
Dieu, l'action du démon, tels sont, ce nous
semble, les trois éléments de la Révolution qui
vient d'épouvanter le monde et qui le menace de
nouvelles catastrophes. Qu'elle triomphe, comme
on peut le craindre, et bientôt nous aurons, à son
apogée, le règne antichrétien annoncé pour les
derniers temps.
Revenons à la bourgeoisie. Toujours et partout
les classes élevées font le peuple à leur image, et
nous avons vu qu'au tribunal de la justice di-
vine, les classes élevées de l'Europe moderne ont
un terrible dossier. Or, ainsi que le prolétaire, le
bourgeois, étant un être enseigné, est fils de son
.éducation.
CHAPITRE X X X V . 361

Aux reproches mérités qu'on leur adresse, les


bourgeois, les lettrés, les hommes qui savent te-
nir une plume et qui portent des habits de drap,
répondent comme le peuple : « Sans doute, nous
sommes très-coupables. La plupart indifférents
en matière de religion, voltairiens et sensua-
listes, c'est nous qui avons perverti le peuple.
C'est nous, et non pas lui, qui avons inondé
l'Europe, et qui continuons de l'inonder de
mauvais livres, de mauvais journaux, de mau-
vaises gravures et de mauvaises pièces de théâ-
tre. C'est de nos rangs que sortent tous les so-
phistes, négateurs de Dieu, de la religion, de la
famille et de la société; tous les orateurs de
clubs; tous les organisateurs de sociétés secrètes;
tous les dogmatiseurs de la révolte, du pillage et
de l'incendie. C'est nous qui avons prêché au
peuple la religion naturelle, la morale indépen-
dante et le mépris de l'enfer. En un mot, c'est
nous qui, par nos doctrines et par nos scandales,
lui avons arraché ses croyances et ses mœurs :
double crime dont aujourd'hui, le pétrole d'une
main et le revolver de l'autre, il demande compte
à la société telle que nous l'avons faite.
» Nous sommes donc bien coupables, mais à
qui la faute? Nous ne nous sommes pas faits
nous-mêmes ; nous sommes ce qu'on nous a faits.
Fils de notre éducation première, jusqu'à dix ans
362 OÙ EN SOMMES-NOUS?

nous fûmes chrétiens. Gomment avons-nous


cessé de l'être? Victimes d'une seconde éduca-
tion qui a étouffé la première, on nous a fait
vivre pendant dix ans au milieu des païens de
Rome et d'Athènes.
» Au lieu de nous alimenter du pur froment de
la vérité, on nous a nourris de viande creuse et
malsaine, de fables, de fausses admirations pour
de faux grands hommes, pour de fausses vertus,
pour de fausses théories philosophiques et so-
ciales. Le christianisme ne nous a été administré
qu'en doses homéopathiques ; et nous avons
grandi dans l'ignorance et le mépris des vrais
grands hommes, des vraies vertus, des vrais
principes religieux, philosophiques et sociaux.
Fils de cette nouvelle éducation, qui n'apprend
rien, qui ne sert à rien, qui n'arme contre rien \
nous sommes devenus des êtres hybrides, faibles
pour le bien et forts pour le mal. »
Quels sont ces corrupteurs des hommes de la
bourgeoisie? Eux-mêmes nous le disent : « Les
maîtres qui nous ont formés et qui forment en-
core les classes lettrées dans l'Europe entière,
sont les hommes avec qui on nous a mis en com-
merce journalier, intime, obligatoire, pendant les
1
Mot d'Alphonse Karr, qui traduit ce vers de Sénéque, parlant
des poètes païens et d'Homère en particulier :
Quis ex eis metum démit, cupiditatein eximit, libidinem freenat?
CHAPITRE XXXV. 363

années décisives de la vie ; les hommes dont on


a fait distiller goutte à goutte dans nos jeunes
âmes les idées et les sentiments, et qu'on nous a
présentés comme les géants de l'intelligence et
souvent comme des modèles de vertus. Enfants,
nous les avons admirés ; hommes, nous n'avons
pu que les imiter ; ils nous ont faits à leur image,
comme nous avons fait le peuple à la nôtre.
» Etrangers au christianisme, ces hommes ne
se confessaient pas, ne communiaient pas, ne
connaissaient ni Jésus-Christ, ni l'Eglise : et
nous le savions. Néanmoins, on nous les donnait
pour de très-grands hommes, et nous disions in-
térieurement : A quoi bon le christianisme, puis-
que sans lui on peut être un grand homme? Aux
mystiques, la morale de l'Evangile ; nous nous
contentons de celle de Socrate. Et au sortir des
écoles, la première chose que nous avons faite a
été d'abandonner le christianisme comme une
inutilité, et, les passions aidant, de le haïr comme
une tyrannie.
» Cependant, l'éducation nous mentait. Ces
hommes si vantés, ces maîtres demeurés au pre-
mier rang de notre estime, ne sont autres que
les rationalistes, les sensualistes, les républicains
et les despotes de l'antiquité gréco-romaine : his-
toriens, rhéteurs, poètes, philosophes, pourceaux
du troupeau d'Epicure, qui tous seraient au
364 OÙ EN SOMMES-NOUS?

bagne, s'ils vivaient aujourd'hui. Dis-moi qui tu


fréquentes, je te dirai qui tu es. Leur esprit est
devenu notre esprit, et ils ont fait de nous ce que
nous sommes, de vrais païens.
» Tels ont été nos maîtres ! Nos professeurs en
soutane ou en toge n'ont été que nos répétiteurs.
En voici la preuve : autant de fois que nous l'a-
vons pu, lettrés de toute l'Europe, nous avons
honni, chassé, persécuté nos répétiteurs et élevé
nos maîtres sur le pavois.
» Enfin, ne pouvant transmettre que ce que
nous avons reçu, nous avons écrit, parlé, agi en
dehors de l'esprit chrétien. Nos doctrines et nos
actions, étrangères et hostiles au christianisme,
ont préparé les révolutions, que les bras du
peuple exécute. Gomme ce peuple égaré par nous,
par nous perverti, nous devons dire : punissez-
nous, nous, bourgeois voltairiens, écrivains im-
pies et licencieux, artistes obscènes, négateurs
de l'ordre religieux et social, apôtres du scandale
et adorateurs de la matière ; exilez-nous, fusillez-
nous, comme vous fusillez nos victimes. Vous le
pouvez ; mais si vous êtes justes, après avoir fait
notre procès, faites-le à ceux qui nous ont élevés.
» Bannissez donc de vos écoles ceux qui ont
étiolé notre adolescence, en la privant de sa véri-
table nourriture; qui l'ont empoisonnée, en nous
alimentant de la nourriture des* démons : Cibus
CHAPITRE XXXVI. 365

est dsemoniorum secularis phïlosophia, carmina


poetarum, rhetoricorum pompa verborum*.
» Tout au plus ne les y laissez pénétrer qu'à
l'époque où la jeunesse, suffisamment nourrie
de christianisme, n'aura plus rien à craindre de
leur contact.
» Telle est la condamnation trop méritée que
nous réclamons de votre justice. »

CHAPITRE XXXVI.
r
Une séance de la Chambre des députés.— Me Parisis. — M. Cré-
mieux.— Le P. Grou. — Le P. Possevin. — Napoléon. — Pie IX.
— Le mal inguérissable dans les générations formées : en quel
sens. — Conclusion forcée : réforme radicalement chrétienne
de l'éducation.

L'éducation des classes lettrées, cette éduca-


tion qui étiole et qui empoisonne, qui n'apprend
rien, qui ne sert à rien, qui n'arme contre rien :
telle est donc la cause première et toujours agis-
sante du mal dans l'Europe moderne.
S'obstiner aie contester, aujourd'hui surtout,
serait plus qu'insensé : ce serait coupable. Est-il
donc permis d'oublier que l'éducation faisant
l'homme, et l'homme la société, l'Europe actuelle,
dévorée par le naturalisme païen, est la photo-
graphie de son éducation.
' S. Hier., epist. De dnob. fLliis.
366 OÙ EN SOMMES-NOUS?

Est-il permis d'oublier que la plus terrible ca-


tastrophe de l'histoire moderne, après celle dont
nous sommes témoins, la Révolution française
de 93, ne fut d'un bout à l'autre, dans ses actes
tour-à-tour atroces et burlesques, que la mise en
scène des études de collège?
Les mômes causes produisent les mômes effets.
Si vous continuez de semer de l'ivraie, vous ré-
colterez de l'ivraie. Si vous semez du paganisme,
quoi que vous fassiez, vous récolterez du paga-
nisme. Ni l'exemple des répétiteurs, ni l'ortho-
doxie de leur doctrine, ni leurs pieuses industries,
ni aucuns moyens de juxta-position, ne chan-
geront la nature des choses, et le verre de bon vin
se perdra toujours dans le tonneau de vinaigre.
Il y a quelques années, un homme non sus-
pect donna à cette vérité l'éclat de foudre. C'était
en 1850. La Chambre des députés discutait la
loi du 15 mars, sur la liberté d'enseignement.
r
Ms Parisis, plaidant contre le monopole uni-
versitaire, fit un tableau effrayant de la généra-
tion élevée par l'université. « C'est, disait-il,
cette génération qui inonde la France de doc-
trines détestables et qui a failli plusieurs fois,
notamment aux journées de juin, la faire som-
brer dans le sang. »
Il n'avait pas fini, qu'un député demande la
parole ; c'était M. Crémieux. Monté à la tribune
CHAPITRE XXXVI. 367

après le digne évêque : « L'honorable préopi-


nant, dit-il, vient d'accuser la génération élevée
par l'université de corrompre la France et d'avoir
préparé les journées de 48. Je le prie de dire à la
Chambre par qui avait été élevée la génération
qui a corrompu le dix-huitième siècle et fait 93?
» Alors l'université n'existait pas. Alors il n'y
avait pas de monopole, ou, s'il y en avait un,
c'était en faveur du clergé. Jésuites, domini-
cains, bénédictins, ecclésiastiques séculiers et
réguliers, toute l'éducation était entre vos mains.
Vous étiez puissants, vous étiez riches et respec-
tés, vous aviez des hommes capables. Ni la sym-
pathie des familles, ni l'appui du gouvernement,
rien ne vous manquait. Et la génération sortie
de vos mains a fait 93 ! Si l'université ne fait pas
mieux que vous, elle ne fera jamais plus mal.
Cessez donc de l'accuser. Les anathèmes que
vous lancez contre elle tombent d'abord sur
vous. ))
L'argument était sans réplique. Pour être
complet, M. Crémieux aurait dû ajouter : Ne
récriminons ni contre le clergé ni contre l'uni-
versité. Accusons et réformons un système d'en-
seignement qui, entre les mains de l'université,
comme entre les mains du clergé, conduit égale-
ment à l'abîme.
Longtemps avant M. Crémieux, en 1783, cet
368 OÙ EN SOMMES-NOUS?

inévitable résultat était hautement dénoncé par


le P. Grou, professeur jésuite, dont le témoignage
est trop significatif pour n'être pas cité.
« Notre éducation est toute païenne. On ne fait
guère lire aux enfants, dans les collèges et dans
l'enceinte des maisons, que des poètes, des ora-
teurs et des historiens profanes. Je ne sais quel
mélange confus se forme dans leurs têtes des
vérités du christianisme et des absurdités de
la fable ; des vrais miracles de notre religion, et
des merveilles ridicules racontées par les poètes;
surtout de la morale de l'Evangile et de la
morale humaine et toute sensuelle des païens.
» Je ne doute pas que la lecture des anciens,
soit poètes, soit philosophes, n'ait contribué à
former ce grand nombre d'incrédules, qui ont
paru depuis la renaissance des lettres. Ce goût
pour le paganisme, contracté dans l'éducation
publique ou privée, se répand ensuite dans la
société. Nous ne sommes point idolâtres, il est
1
vrai ; mais nous ne sommes chrétiens qu'à
l'extérieur, si même la plupart des gens de
lettres le sont aujourd'hui; et dans le fond nous
sommes de vrads païens, et par l'esprit, et par le
2
cœur, et par la conduite . »
Tel est le témoignage rendu par un jésuite à
1
Dix ans plus tard toute la France officielle l'était.
2
Momie tirée de saint Augustin, t. 1, c. vin.
CHAPITRE XXXVL 369

l'éducation des jésuites et autres humanistes du


siècle passé et du nôtre.
Le témoignage duP. Grou n'est pas isolé. Sans
peine, nous pourrions en citer vingt autres.
Deux suffiront.
Envoyant Paris dévasté par une horde de sau-
r
vages. Ms Dupanloup s'écriait, il y a quelques
jours : « C'est le socialisme athée qui a brûlé
Paris. » Tout le monde le sait. Mais là n'est pas
la question. Il s'agit de savoir qui a semé dans
les nations chrétiennes l'athéisme, devenu du
pétrole. Un ancien jésuite, le célèbre Possevin,
va l'apprendre à ceux qui l'ignorent, ou qui
feignent de l'ignorer. Voici en quels termes le
confrère du P. Grou parle de l'éducation clas-
sique :
« Quelle, pensez-vous, s'écrie-t-il, que soit la
cause qui précipite les hommes dans le gouffre
du sensualisme, de l'injustice, du blasphème, de
l'impiété, de Y athéisme? C'est, n'en doutez pas,
que, dès l'enfance, on leur a enseigné toutes
choses, excepté la religion. C'est que, dans les
collèges, pépinières des Etats, on leur fait lire et
étudier tout, excepté les auteurs chrétiens*. Si on
y parie de religion, cet enseignement se mêle

* Comme on le fait encore aujourd'hui dans les petits sémi-


naires et dans les collèges catholiques.
24
370 OÙ EN SOMMES-NOUS?

à Venseignement impur du paganisme, véritable


peste de l'âme.
» A quoi peut servir, je vous le demande, de
verser dans un tonneau un verre de bon vin, et
d'y verser en même temps des barils de vinaigre?
En d'autres termes : Que signifie un peu de ca-
téchisme par semaine, avec Y enseignement quoti-
dien des impuretés et des impiétés païennes?
Voilà pourtant ce que l'on fait d'un bout de l'Eu-
1
rope à l'autre . »
er
Placé aux antipodes du jésuite, Napoléon I
juge comme lui l'éducation classique, et arrive à
la même conclusion. « Voyez, disait le captif de
Sainte-Hélène, la gaucherie de ceux qui nous
forment. Ils devraient éloigner de nous l'idée
du paganisme et de l'idolâtrie, parce que leur
absurdité provoque nos premiers raisonnements,
et nous prépare à résister à la croyance passive.
» Et pourtant ils nous élèvent au milieu des
Grecs et des Romains, avec leurs myriades de
divinités! Telle a été pour moi, et à la lettre, la
marche démon esprit. J'ai eu besoin de croire, et
j'ai cru ; mais ma croyance s'est trouvée heurtée,
incertaine, dès que j'ai su raisonner, et.cela m'est
2
arrivé d!assez bonne heure, à treize ans . »

1
Ragionam, p. 2.
2
Mémorial de Sainte-Hélène, t. II, p. 123.
CHAPITRE X X X V I . 371

Ainsi, perte de la foi et des mœurs, voilà le ré-


sultat, trop général, de Véducation classique.
Le P. Possevin avait donc mille fois raison
d'ajouter : « La réforme chrétienne de ren-
seignement est un des points fondamentaux,
1
d'où dépend le salut du monde . »
r
Ainsi ne l'entend pas M$ Dupanloup. Pas plus
qu'il ne voulait de l'infaillibilité pontificale, ce
prélat ne veut de la réforme de l'enseignement.
En 1852, il écrivait aux professeurs de ses petits
séminaires : a Continuons d'enseigner comme
2
ont enseigné nos pères , il n'y a rien à changer. »
Puis, en 1869, il écrivait encore à propos delà
réforme proposée, qui consistait à introduire lar-
gement dans les études l'élément littéraire chré-
tien : a Si elle avait été suivie, elle eût fait tomber
toutes les maisons d'éducation dans le dernier
mépris. »
De l'évoque ou du jésuite, qui a raison? PieIX
va nous le dire. Une lettre de Rome, du 25 juil-
let 1871, s'exprime ainsi : « Dans sa prison, le
Pape accomplit de grandes choses. Il parle, et sa
parole résout les questions les plus importantes.
» Je veux citer deux exemples de cette puis-
sance et de cette sagesse du Pontife captif ; le pre-
1 Senza dubio uno de* principali punti questo, onde dipenda
la sa]ute dell* universo. Ubi supra.
2
Mais non pas nos grands Pères.
372 OÙ EN SOMMES-NOUS?

mier a trait à l'enseignement, le second à l'in-


faillibilité.
» Cette semaine, recevant les maîtres et les élè-
ves des écoles libres fondées récemment à Rome,
le Pape, après avoir loué ces maîtres de leur dé-
vouement et ces élèves de leur zèle, a éclairé
d'un mot la longue controverse des classiques.
» Faisant voir comment les sources de l'intel-
ligence et de la volonté sont troublées aujour-
d'hui parmi les hommes, il a dit qu'il fallait les
purifier en y introduisant abondamment l'ensei-
gnement chrétien, et s'est plu à insister sur la
nécessité d'étudier les auteurs ecclésiastiques
grecs et latins des beaux temps de la littérature
chrétienne. Tel est le premier exemple. »
Que ces témoignages ne soient pas perdus. Sa-
chons en profiter pour dissiper une erreur trop
commune et depuis trop longtemps persistante.
Beaucoup de catholiques attribuent la maladie
de la France actuelle à l'université. Suivant
eux, la France serait sauvée si l'université était
supprimée et l'éducation remise au clergé. De là
est venue la guerre incessante faite au monopole
universitaire, et l'ardeur avec laquelle on a ré-
clamé la liberté d'enseignement. Loin de blâmer
ces nobles efforts, il faut y applaudir. Seulement,
on doit reconnaître qu'on n'a pas visé au vrai
but.
CHAPITRE XXXVI. 373

Ce n'est pas la liberté de l'enseignement qu'il


fallait demander avant tout : c'était la christia-
nisation de l'enseignement.
Ce n'est pas le monopole universitaire qu'il
fallait attaquer avant tout : c'était le paganisme
de l'enseignement.
Aujourd'hui même, craignons de prendre le
change. Pour %ne fois que nous demanderons la
liberté de l'enseignement, demandons cent fois
la christianisation de l'enseignement.
N'oublions jamais que la France du dix-
huitième siècle a fini par les saturnales de 93,
non parce que l'éducation n'avait pas été libre,
mais parce qu'elle n'avait pas été chrétienne.
Tenons également pour certain que, si l'Eu-
rope actuelle marche à la sauvagerie, ce n'est
pas parce que l'éducation n'a pas été libre, mais
parce qu'elle n'a pas été chrétienne.
3° Le mal est inguérissable dans les généra-
tions formées. Bientôt nous expliquerons ce qui
pourrait sembler excessif dans cette proposition.
En attendant, pour nous fixer sur ce qui reste à
faire, il faut définir nettement la situation.
Le monde se divise en deux grandes catégo-
ries : les générations formées et les générations
naissantes. Les générations formées se composent
de tous les individus de vingt ans et au delà.
Nous les appelons formées, parce qu'au iuora*
374 OÙ EN SOMMES-NOUS?

comme au physique, à vingt ans, l'homme est


fait. Le reste de la vie n'est plus une formation,
mais un développement. De là cette profonde
parole de l'Ecriture ; « L'homme marchera dans
la voie de son adolescence, et dans la vieillesse
même il ne s'en écartera pas. C'est une vérité tel-
1
lement certaine, qu'elle est passée en proverbe .
Remarquons que le Saint-Esprit dit adolescens,
et non pas puer ouparmlus, pour nous apprendre
que les années décisives de la vie sont les années
de l'adolescence. Il en est de l'homme comme
d'un arbre : jeune, l'arbre peut prendre l'incli-
naison qu'on veut lui donner; vieux, vous le
casseriez plutôt que de le redresser.
En disant que le mal est inguérissable dans
les générations formées, nous ne prétendons pas
nier la possibilité ni même le fait de conversions
plus ou moins nombreuses. Nous soutenons
seulement, d'après l'expérience universelle, que
l'ensemble de ces générations restera ce qu'il est,
et que l'action salutaire de la grâce ne se fera
sentir avec succès, aujourd'hui surtout, qu'à un
nombre relativement minime d'individualités.
Croit-on, par exemple, que les répressions
qui viennent de frapper les Communeux de Paris
aient désarmé leurs frères de l'Internationale
* Proverbium est : adolescens juxta viam s u a m , etiam cum
senuerit, non recedet ab ea. Prov., x x n , 6.
CHAPITRE XXXVI. 375

dans le reste de l'Europe; qu'elles aient éteint


la haine et la soif de la vengeance dans leurs
cœurs, de manière à les transformer en citoyens
honnêtes et soumis?
Croit-on que les coups terribles qui viennent
de meurtrir la France, soient regardés par le
grand nombre comme des fléaux de Dieu, juste
salaire de nos iniquités?
Croit-on que les révolutionnaires, à différents
degrés, vont en majorité abjurer leurs utopies,
et, dans leurs idées comme dans leurs mœurs,
remettre Dieu en haut et l'homme en bas ?
Croit-on que les journaux jusqu'ici indiffé-
rents ou hostiles à la religion vont devenir chré-
tiens; les théâtres, moralisateurs; le matéria-
lisme, moins dominant ; l'amour de l'Eglise et
du prêtre, plus sincère et plus pratique ; les
sociétés secrètes, moins actives?
En un mot, croit-on que la génération formée
va, d'un accord à peu près unanime, brûler ce
qu'elle a adoré, et adorer ce qu'elle a brûlé?
Autant croire que le vieux chêne va se redresser
et le torrent remonter vers sa source.
Il faut donc faire la part au feu, et tout en
agissant par les réformes et par les lois, et même
par la force, sur les générations formées, soit
afin de les empêcher de nuire, soit afin d'en
sauver une partie, répéter avec le prophète ,
376 OÙ EN SOMMES-NOUS?

« Que ceux qui doivent aller au glaive aillent


au glaive; à la mort, à la mort. Nous avons
soigné Babylone : elle n'a pas voulu guérir,
1
abandonnons-la . »
Les générations formées étant ce qu'elles sont,
que reste-t-il à faire? Sauver les générations
naissantes. Etudiez la question du présent et de
l'avenir, tournez-la, retournez-la sous toutes ses
faces, nous mettons au défi tout homme capable
de lier deux idées de trouver un autre moyen
humain, sinon de sauver le monde, du moins de
lui procurer un moment de répit, en suspendant
pour quelque temps la marche progressive de sa
décadence.
Gomment sauver les générations naissantes?
Par la réforme radicalement chrétienne de l'édu-
cation, et, avant tout, de l'éducation des classes
élevées, qui font les autres à leur image. Ra-
dicalement chrétienne, c'est-à-dire chrétienne
dans les livres et dans les hommes, dans les
maîtres morts et dans les maîtres vivants, et cela
dès le début jusqu'au terme final.
Or, l'éducation actuelle, surtout des classes
élevées, n'a pas été radicalement chrétienne,
puisqu'elle a conduit la société aux antipodes du

i Qui ad mortem, ad morteni, et qui ad gladimn, ad gla-


dium. Jer., xv, 2. Curavimus Babylonem, et non est sanata : de-
relinquamus eam. Id., u, 9
CHAPITRE XXXVI. 377

christianisme. Continuez d'enseigner comme ont


enseigné nos pères , et si demain nous sortons
de l'abîme, où l'éducation nous a précipités, après
demain il faudra y retomber.
Donc, sans la réforme dont il s'agit, il ne faut
rien attendre de sérieux et de durable ni des lois,
ni des constitutions, ni de la république, ni de la
monarchie, ni d'aucune forme gouvernementale.
Le mal est dans les âmes ; c'est dans les âmes
qu'il faut porter le remède. Vous ne l'y porterez
qu'en chassant l'esprit du mal qui domine le
monde; vous ne chasserez l'esprit du mal que
par l'esprit du bien, et c'est par l'éducation seule,
entendez-le bien, que vous obtiendrez cette vic-
toire décisive. Aujourd'hui plus que jamais, telle
est la question de vie ou de mort : To ly, or not to
hy, comme disent les Anglais.
L'éducation est un remède tardif et lent, nous
le savons. Mais, d'une part, nous n'en connais-
sons pas d'autre. Nous savons, d'autre part, qu'en
l'appliquant résolument et avec ensemble, nous
aurons fait ce qui reste humainement possible ;
et, en dégageant notre responsabilité devant Dieu
comme devant les hommes, nous aurons préparé
pour l'avenir ou de nobles vainqueurs ou de
nobles victimes.
378 OÙ EN SOMMES-NOUS?

Tel est, mon très cher Seigneur, le compte que


je me suis rendu à moi-même de l'état de l'Eu-
rope, envisagé soit dans ses causes, soit dans son
actualité, soit comme présage de l'avenir. Vous
avez bien voulu me le demander, et je vous l'a-
dresse. Mon but a été d'orienter ma vie et celle
de mes frères, voyageurs comme moi au milieu
des tempêtes.
Ni directement, ni indirectement, je n'aspire
au rôle de prophète, moins encore de prophète
de mauvais augure; mais je ne veux être ni un
endormi ni un endormeur. Simple historien, j'ai
signalé des faits généraux, visibles et palpables.
De ces faits, j'ai tiré les premières conséquences,
et, pour éviter l'erreur, seulement les premières.
Vous jugerez si ma logique est en défaut.
Du reste, comme tous ses aînés, cet ouvrage
de ma vieillesse est soumis, sans réserve, au ju-
gement de la sainte Eglise romaine, la maîtresse
infaillible de la vérité ; me déclarant du fond du
cœur prêt à condamner, à rétracter, à modifier
tout ce qu'elle pourrait y trouver d'inexact.
Si imparfait qu'il puisse être, veuillez le rece-
voir comme un nouveau témoignage de ma res-
pectueuse affection; et, en vous l'offrant, ma
CHAPITRE XXXVI. 379

dernière parole sera celle d'un auteur de nos


Livres saints : In his faciam finem sermonis. Et
siquidem bene, et ut historié competit, hoc et ipse
velim : sin autem minus digne, concedendum
mihi est*.
1
UMaehab., xv, 38-39,

J. GAUME,
Prot. apost., Vicaire général d'Aquila.

Kuans (Doubs), 8 février 1871.


TABLE DES MATIERES.

AVANT-PROPOS
— Accueil fait à l'ouvrage : Où allons-
C H A P I T R E PREMIER.
nous? — Lettre de Donoso Cortès. — Raisons de cet
Essai. — Orienter notre vie. — Rechercher les causes et
le remède du mal actuel. — Encourager à combattre. .
CHAP. II. — Où en est l'Eglise ? — L'Eglise vis-à-vis le
monde païen. — L'Eglise au moyen âge
CHAP. III. — Oà en est l'Eglise ? — L'Eglise vis-à-vis le monde
actuel. — Parallélisme avec le monde païen. — Le dogme
de ITmmaculée Conception. — Saint Joseph déclaré pro-
tecteur de l'Eglise universelle. — Mouvement d'unité ca-
tholique. — Le concile du Vatican. — Ses deux constitu-
tions fondamentales. — Le dogme de l'infaillibilité ponti-
ficale. — Son opportunité
CHAP. IV. — Où en est le Pape ? •— Le Pape est prisonnier.
— Enormité d'un pareil forfait. — Ce qu'est le Pape au
point de vue religieux et social. — Gardien de la vérité. —
Protecteur de la dignité humaine, de la liberté, de la sécu-
rité, de la propriété, de tous les droits
CHAP. V. — Où en est le Pape ? — Le Pape est prisonnier.
— Ce qu'est le Pape au point de vue politique. — Le
plus légitime des souverains. — Le dépouiller, sacrilège,
crime de lèse-nation, lâcheté. — Attenter à sa liberté,
crime de lèse-majesté divine. — Appel à tous les châti-
ments.— Le Pape est prisonnier de ses propres enfants.
— L'emprisonnement de Pie IX, différent des autres. . .
CHAP. VI. — Le Pape est prisonnier : à gui la faute? — La
Révolution. — Ce qu'elle est. — Son origine dans l'Eu-
rope moderne. — Son premier auxiliaire, l'éducation lit-
téraire et philosophique
CHAP. VII. — Le Pape est prisonnier : à qui la faute? — Les
gouvernements, soi-disant catholiques, second auxiliaire
de la Révolution. — La politique séparée. — Indifférence
et hostilité de ces gouvernements vis-à-vis de l'Eglise et
du Pape. — Leur histoire[écrite en trois mots': insulter, dé-
pouiller, enchaîner
C H A P . VIII. — Le Pape est prisonnier : à qui la faute ? — Les
gouvernements hérétiques et schismatiques, troisième
. auxiliaire de la Révolution. — Complices dans les atten-
TABLE DES MATIÈRES. 381
fats contre le Pape. — Pour les nations séparées, le Pape
n'est pas seulement un souverain temporel, c'est un père.
— Elles lui doivent leur être chrétien. — Paroles de saint
François de Sales 47
C H A P . IX. — Le Pape est prisonnier : à qui la faute? — Le
Gallicanisme, quatrième auxiliaire de la Révolution. —
Ce qu'est le Gallicanisme. — Quelques-uns de ses actes
depuis son origine. — Sa conduite au concile du Vatican.
— Comment il a été l'auxiliaire de la Révolution. . . . 54
C H A P . X. — Oà en est Rome ? — L'envahissement actuel de
Rome, différent des autres, — dans ses caractères, — dans
son but. — La possession de Rome, idéal de la Révolu-
tion. — Paroles du cardinal Patrizzi et de Pie IX. — Cri
de guerre des modernes païens : Rome ou la mort. . . . 68
C H A * . XI. — Où en est Rome? — Résumé des caractères de
l'envahissement actuel de Rome. — Ce qu'il présage. —
Retour au paganisme. — Vers la fin des temps, Rome
redeviendra païenne. — Témoignages de la tradition. —
Lettre de Pie IX 78
C H A P . XII. — Où en est Rome? — Comment Rome redevien-
dra païenne. — L'éducation. — Anecdote. — La corrup-
tion des hautes classes. — L'admiration pour les an-
ciens Romains 89
Oà en est la France? — Cause de ses mal-
C H A P . XIII. —
heurs. — La barbarie intellectuelle et morale toujours sui-
vie de la barbarie matérielle. — Exemple de Rome an-
cienne. — Exemple différent de l'Espagne. — Barbares
du dedans et barbares du dehors. — La France les connaît. 95
C H A P . XIV. — Oàen est la France? — Prérogatives et belles
qualités de la France. — Ses grandes œuvres. — Entraî-
née dans l'erreur, elle fausse sa mission. — Sa propa-
gande antichrétienne. — Les orgies révolutionnaires. —
Ses scandales. — Avant de combattre contre la Prusse,
elle déclare la guerre à Dieu 105
C H A P . XV. — Où en est la France? — A l'heure qu'il est, la
France est en traitement. — La maladie. — Le médecin.
— Le remède. — Lïnfirmier. — La vie ou la mort propo-
sée à la France. — Lettre de Mélanie 113
C H A P . XVI. — Où en est la France? — Avenir de la France
non convertie. — La sociale. — L'Assemblée constituante.
— La forme de gouvernement. —'Difficultés inextricables.
— Impuissance radie le de sauver la France, par les
formes gouvernementales. — Ne rien attendre des puis-
382 TABLE DES MATIÈRES.
sances neutres, ni de la Prusse. — Une constitution vrai-
ment catholique, unique moyen de salut 126
C H A P . XVII. — Où en est Paris? — Paris assiégé. — Miséri-
corde offerte à Paris. — Pénitence imposée. — Paris con-
verti , son avenir. — Paris non converti, son sort et le
sort de la France 137
C H A P . XVIII. — Où en est l'Europe ? — Sophistiquée comme
la France, l'Europe moderne est réservée aux mêmes
châtiments. — Elle redevient païenne. — Essence de l'an-
cien paganisme. — Ses cinq manifestations fondamen-
tales. — L'émancipation de la raison. — L'émancipation
de la chair. — Le césarisme. — La civilisation maté-
rielle. — La haine du christianisme. — L'Europe actuelle
offre les mêmes symptômes et marche vers le même abîme
qui engloutit le monde païen 152
C H A P . XIX. — Où en est l'Europe? — La vieille Europe
marche à sa fin. — Trois oracles à consulter : la philo-
sophie de l'histoire; elle montre que les mêmes péchés
attirent les mêmes châtiments. — Les faits contempo-
rains : destruction de l'équilibre européen. — Prépon-
dérance des peuples du Nord. — Les pressentiments du
er
g é n i e : Pierre I , Rousseau, M. de Bonald, Napoléon,
M. Rohrbacher, Donoso Gortès. — Instinct des Tartares. 1 6 0
C H A P . X X . — Où en est l'Europe? — Elle est menacée n o n -
seulement par les barbares du Nord, mais aussi par la Ré-
volution. — Nature de la Révolution. — Son origine. —
Son but : destruction complète du christianisme. — Ses
moyens. — Paroles des révolutionnaires. — Paroles du
concile de Vienne. — Aveux des révolutionnaires. . . 182
C H A P . XXI. — Où en est l'Europe ? — Destruction complète
de l'ordre social, autre but de la Révolution. — Paroles
et actes des révolutionnaires. — Sentence de mort contre
le roi de Naples. — Destruction de la propriété et de la
famille. — Paroles des révolutionnaires. — Si leurs pro-
jets sont à craindre 193
C H A P . XXII. — Où en est l'Europe ? — Moyens de la Révo-
lution. — La presse. — Les cabarets. — Les théâtres. —
Les sociétés secrètes. — L'éducation. — Témoignage
d'Orsini. — Les écoles professionnelles. — La haine de
Rome. 207
C H A P . XXIII. — Où en est le monde? — Deux opinions sur la
défaite de la Révolution.— Raisons de ceux qui espèrent :
l'Ecriture ; paroles d'Isaie, de David, de Notre-Seigneur.
— Les faits : le dogme de l'Immaculée Conception ; le
TABLE *DES MATIÈRES. 383
dogme de l'infaillibilité pontificale. — Le triomphe p a s -
sager de la Révolution. — Les nations guérissables. —
Notre siècle en vaut un autre. — Dix justes auraient
sauvé Sodome. — La foi des classes populaires. — La jeu-
nesse du monde. — Examen de ces différents motifs d'es-
pérance 211
CHAP. XXIV. — Où en est le monde? — Suite de l'examen
des motifs d'espérance. — Si notre siècle en vaut un autre.
— Si tous les siècles se ressemblent. — Examen de ces
paroles : Toutes les nations sont guérissables. — Dix justes
auraient sauvé Sodome. — Le mouvement catholique. —
Ce qu'il est en France et ailleurs 222
C H A P . XXV. — Oà en est le monde? — S'il faut attendre une
restauration catholique de la vieille Europe. — La jeunesse
du monde. — Une tradition. — Le règne antichrétien. —
Ce qu'il faut en penser 234
C H A P . XXVI. — Oà en est le monde? — Si des signes a n -
nonceront la décadence du monde et sa fin prochaine. —
Si ces signes seront reconnus, et par qui? — Deux sortes
de signes : les uns avant-coureurs, les autres concomi-
tants. — Cinq signes avant-coureurs, divinement annon-
cés. — La chute de l'empire de Rome, ou la défection des
nations. — L'affaiblissement de la foi. — Le débordement
de la vie matérielle. — La prédication de l'Evangile par
toute la terre. — La conversion des juifs. — Examen du
premier signe : la chute de l'empire de Rome ou l'aposta-
sie des nations. — En quoi elle consiste. — Obstacle q u i ,
jusqu'à nos jours, l'avait empêché de paraître. — La con-
servation ;de l'empire romain. — Témoignages des Pères. 2 4 8
CHAP. XXVII. — Oà en est le monde? — Quel est l'empire
romain dont il s'agit. — Existe-t-il encore, dans le sens
temporel et dans le sens spirituel ? -— Pourquoi est-il l'obs-
tacle à la venue du règne antichrétien ou de l'antechrist ?
— Quel empire le remplacera 258
CHAP. XXVIII. — Oà en est le monde ? — Examen du s e -
cond signe : l'affaiblissement de la foi. — La foi publique
ou nationale et la foi privée. — Où en est aujourd'hui la
foi nationale ? — Où en est la foi privée ? — Deux témoins :
les faits et les hommes 268
C H A P . XXIX. — Oà en est le monde?— Examen du troi-
sième signe : le débordement de la vie matérielle. —
Tableau du matérialisme et du sensualisme actuel. — La
politique. — Le commerce et l'industrie. — Les arts. —
L'égoïsme. — Quatre symptômes du matérialisme ; l'aveu-
384 TABLE D E S MATIÈRES.
g l e m e n t d e l'esprit, l'abaissement des caractères, le m é -
contentement, la crainte 279
C H A P . X X X . — Où en est le monde? — E x a m e n du quatrième
signe : la prédication de l'Evangile par toute la terre. —
Ce qu'elle doit être pour être u n signe de la fin des temps.
— Paroles de Suarez. — Où elle e n est aujourd'hui. —
Quatre phénomènes contemporains : la découverte de p a y s
i n c o n n u s , l'œuvre de la Propagation de la foi, la m u l t i -
plication des missionnaires. — L'apostolat de la femme.
— Marche parallèle de la propagation de la foi et de la con-
version des juifs. . 291
C H A P . X X X I . — Où en est le monde? — E x a m e n du c i n -
quième signe : la conversion des juifs. — L'émancipation
des juifs. — Le judaïsme détruit c o m m e système religieux.
— Trois catégories parmi les juifs. — Conversions. —
Religieuses de Notre-Dame de Sion. — La fortune des
juifs actuels 303
C H A P . X X X I I . — Que reste-t-il à faire*! — R é s u m é de la si-
tuation. — Impossible à l'homme de sauver le monde. —
Quatre devoirs des h o m m e s privés : veiller, prier, agir,
réformer. .' 313
C H A P . X X X I I I . — Que reste-t-il à faire? — Quatre devoirs
des hommes publics : veiller, prier, prière nationale, sa
nécessité 324
C H A P . X X X I V . — Que reste-t-il à faire? — Réformer. —
L'éducation, surtout l'éducation dans les classes élevées.
— Le mal est dans les âmes. — L'Internationale. — Le mal
vient de l'éducation. — Qui fait l'éducation du peuple? La
bourgeoisie. — Comment? — Justice de Dieu 340
C H A P . X X X V . — Que reste-t-il à faire? — Programme de
l'Internationale. — Action satanique. — Les crimes hé-
roïques. — Le spiritisme. — Trois éléments de l'Interna-
tionale. — L'éducation de la bourgeoisie. — Qui la fait?
— Les h o m m e s du paganisme 332
C H A P . X X X V I . — Une séance de la Chambre des députés.
r
— Ms Parisis, — M. Crémieux. — Le P. Grou. — Le
P. Possevin.— Napoléon.—Pie IX.— Le mal inguérissable
dans les générations formées : en quel sens. — Conclusion
forcée : réforme, radicalement chrétienne de l'éducation. 3 6 5

BESANÇON, IMPRIMERIE DE J. BONVALOT.

Vous aimerez peut-être aussi