La Théologie Mariale: Thomas Philippe
La Théologie Mariale: Thomas Philippe
La Théologie Mariale: Thomas Philippe
2022 18:00
La théologie mariale
Thomas Philippe
Éditeur(s)
Laval théologique et philosophique, Université Laval
ISSN
0023-9054 (imprimé)
1703-8804 (numérique)
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Marie est une pure créature. La théologie étudie Dieu dans le mystère
de sa Déité. Sans doute, le théologien étudie les créatures, les anges, l’hom
me, mais il les considère précisément en tant que telles, c’est-à-dire qu’il
ne les envisage pas en particulier, mais comme parties de l’univers dans le
traité de la création. Certes, le théologien peut parler de Marie comme de
la créature la plus excellente après l’humanité du Sauveur, mais faut-il
lui consacrer une partie spéciale de la théologie, comme au Christ ? N ’est-ce
pas oublier sa condition de pure créature ?
du Christ, car Jésus est l’unique Prêtre, le seul Médiateur. Mais cela
suffit. Le traité du Sauveur sera complété par celui des sacrements. Ceux-
ci sont les moyens de nous unir à lui, les canaux mystérieux sortis de son
côté lorsqu’il était étendu sur la Croix, pour répandre sur notre vie les
bienfaits du salut; les sacrements n’ont leur sens que par le Christ, ils en
sont le divin prolongement. De même le théologien devra consacrer quel
ques questions de la christologie à la Très Sainte Vierge: à sa Maternité,
à son Immaculée Conception, à son Annonciation. . . Ces mystères de
Marie font partie de la vie de Jésus. Sans eux, celle-ci ne serait pas complète.
Mais un véritable traité de mariologie ne semble pas nécessaire, il paraî
trait même détruire l’équilibre et l’harmonie de la sagesse théologique et
risquerait, semble-t-il, d ’enlever à Jésus son rôle d ’unique Sauveur. N ’est-ce
pas d’ailleurs la manière de procéder de saint Thomas.
Réponse:— La réponse à cette première objection est assez délicate,
elle doit être très nuancée. Elle constituera la principale partie de notre
exposé. Nous pourrons traiter plus brièvement la deuxième difficulté.
1. Le plan de la Somme
ment de lui, mais elles s’étagent par degrés et forment une théorie splendide
du premier des séraphins, roi du monde angélique, jusqu’aux êtres matériels
inanimés. Au centre de cette procession admirable: l’homme, synthèse de
toute la création, être à la fois spirituel et corporel. En lui se rencontrent
les deux univers qui composent le monde: celui de l’esprit et celui de la
matière. Il est l’être le plus complexe, en un sens, le plus difficile à déchif
frer.
1. Joan, ni, 1.
LA T H É O L O G IE M A R IA L E 11 1
Dans les décrets de Dieu, la fin n’est pas prévue et voulue seulement
in intentione, et donc avec encore une certaine imprécision, mais bien
in consecutione, avec toutes les conditions concrètes de sa réalisation. Or
le même décret qui décide la venue de Jésus sur la terre détermine simul
tanément qu’il sera le Fils de Marie. Pie IX , dans sa bulle Ineffabilis,
je proclame en termes magnifiques. Jamais Dieu n’a pensé à Jésus sans
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Marie, comme mère de Dieu, joue donc un rôle essentiel dans l’ Incar
nation rédemptrice, telle qu’elle a été voulue par le Très-Haut.
Les théologiens ne vont-ils pas jusqu’à dire qu’il n’est pas contradic
toire— c’est-à-dire contre l’essence des choses— que la Mère de Dieu soit
pécheresse, voire damnée ? Evidemment ceci répugne tout à fait au point
de vue de la sagesse. Ceci ne convient pas. Pourtant, de puissance abso
lue, ce n’est pas impossible; car la maternité divine n’implique pas en son
essence la gfâce, elle ne la réclame même pas en stricte justice.
Sans aller jusqu’à ces extrémités, qui offrent, pour nous du moins,
l’ avantage de faire saisir la gratuité des dons accordés par Dieu à Marie,
la Très Sainte Vierge aurait pu donner à son divin Fils sa chair et son sang,
lui assurant les premiers soins qu’une mère apporte à son enfant et dis
paraître ensuite, comme saint Joseph.
Elle aurait encore pu demeurer près de lui durant les trente années
de sa vie cachée, mais n’être pas le témoin de sa vie publique, le disciple
fidèle de sa prédication, qui gardait dans son cœur chacune de ses paroles.
Remarquez-le, cela aurait déjà été assez exceptionnel. Peu de fils demeu
rent trente ans sous le toit paternel.
Non, Dieu a voulu que la vie de son Fils soit complètement enveloppée
et comme doublée— au simple point de vue de l’extension évidemment—
par celle de Marie.
Vierge ait été témoin de toute la vie du Sauveur, il y a encore bien des
façons d’être témoin. Elle aurait pu l’être seulement comme mère, ou
encore comme sœur, comme fille, comme amie, et chacun de ces rôles, il y
a une infinité de manières de le jouer. Dans nos familles terrestres,
nous constatons tant de degrés, tant de nuances dans l’intimité! Et il
est si rare, hélas, qu’il y ait une compréhension totale! Dans la Sainte
Famille, cette famille divine qui est le chef-d’œuvre de l’Esprit-Saint,
ces possibilités d ’affection et d’union sont multipliées de toutes façons.
Marie est la Mère de Dieu, mais si Jésus l’a choisie comme mère,
c ’est pour qu’elle soit la compagne fidèle, aimante, de toute sa vie. S’il
1. Luc, n, 19.
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Il parle avec autorité au nom de son Père, il confirme sa doctrine par ses
miracles; sa mère doit rester dans l’ombre, et pourtant son rôle est indis
pensable. Les apôtres n’ont pas encore reçu le Saint-Esprit; ils n’ont pas
l’Esprit de Jésus. Nous voyons dans l’Evangile que bien souvent ils ne
comprennent pas l’enseignement du Maître. Marie, elle, a déjà reçu en
plénitude le Saint-Esprit; elle a l’Esprit de son Fils. Elle seule est la
discipula parfaitement préparée à recevoir sa doctrine. Elle doit être là
pour qu’au moins un des auditeurs de Jésus la reçoive selon toute la mesure,
pour qu’aucune des paroles du Maître ne soit perdue. Elle est la bonne
terre qui porte cent pour un. Tandis que le Christ s’adresse aux foules,
il parle d’abord à sa mère. Le sermon sur la montagne, le discours après
la Cène, il les prononce d’abord pour elle. Nous ne pouvons comprendre
toutes les dimensions de la prédication de Jésus, si nous oublions que Marie
est la première auditrice de sa parole.
Cette large fresque que nous venons de brosser indique les dimensions
presque infinies de ce mystère de la maternité de Marie. Dans les desseins
du Très-Haut, elle a été choisie pour être la Mère de Jésus d’une façon toute
divine : pour être sa mère et sa compagne, la mère de sa chair et l’épouse
de son cœur, en un mot sa mère bien-aimée.
Jésus est venu pour nous sauver, mais en sanctifiant le nom de son
Père, en nous le faisant connaître, en nous révélant le mystère de la Sainte
Trinité, en nous montrant comment les fils des hommes peuvent ici-bas
mener une vie de fils de Dieu, être parfaits comme leur Père céleste est
parfait. En vue de ses divins projets, il a voulu lui-même être le fils de
l’homme, lui qui de toute éternité demeurait in sinu Patris, il est descendu
in sinu Matris. Il a fondé en cette terre de péché une famille incompara
1. «O Dieu, qui par l’immaculée Conception de la Vierge avez préparé une de
meure digne de votre Fils, nous demandons que vous, qui en prévision de la mort de
ce même Fils, l’avez préservée de toute tache, vous nous accordiez par son inter
cession de parvenir jusqu’à vous, purifiés nous aussi. Par le même Jésus-Christ,
Notre-Seigneur».
118 LAVAL T H É O L O G IQ U E E T P H IL O S O P H IQ U E
ble, toute proche des familles les plus humbles et les plus pauvres, et en
même temps à l’image de l’adorable Trinité. Par là, il se donne à la fois
de façon divine et humaine. Parmi toutes les créatures raisonnables, il en
choisit une. Il la sépare de toute la création, il se la réserve pour qu’elle
tienne près de lui la place du Père. Celle-là sera à la ressemblance de son
Père, de son Père bien-aimé. Elle sera sa mère bien-aimée. Cette intimité
qu’il connaît de toute éternité avec son Père, il veut la partager dans le
temps avec une créature, une seule pour qu’elle soit l’unique exemplaire
adapté à notre faiblesse, aux proportions de notre nature humaine.
Tel est le but suprême de tous les privilèges de Marie, de toutes les
conduites de Dieu vis-à-vis d’elle.
admirable dévotion qui peut envelopper et résumer toutes les autres, car
elle nous conduit au cœur même du christianisme, en nous introduisant
si simplement et si profondément dans le cœur de Jésus.
Quand nous parlons d’une connaissance intime, notons-le bien, nous
devons l’entendre tant du point de vue humain que du point de vue divin.
II. Q U E L S SO N T L E S M O YE N S DE P É N É T R E R CES M Y S T È R E S ?
Sans doute, on peut écrire sur la Sainte Vierge des ouvrages de piété
ou meme de spiritualité, mais peut-on constituer une véritable science
théologique? De plus, est-ce désirable? N ’est-il pas déplacé de vouloir
se servir de la raison spéculative avec tout son appareil de distinctions
et de syllogismes, pour pénétrer dans le secret de ce jardin fermé? N ’y
a-t-il pas là un manque de tact, une témérité coupable ou du moins indé
licate ? Au Moyen Âge, à l’âge d’or de la théologie, le prince des théolo
giens, Thomas d’Aquin, s’est montré si réservé à ce sujet! Dans son traité
du Christ, il intercale simplement quelques questions sur la Mère de Dieu.
1. Gai., iv , 4.
L A TH É O L O G IE M A R IA L E 121
est devenue une partie intégrante du savoir théologique. C ’est là, semble-
t-il, un de ses développements les plus remarquables par rapport au Moyen
Âge. Dans les desseins de sa sagesse miséricordieuse, Dieu semblait tenir
caché ce trésor pour le révéler à nos temps modernes. Or nous ne devons
pas oublier que l’usage de l’Eglise, consuetudo Ecclesiae, est en définitive
le principal lieu théologique. Saint Thomas,— et il est, je crois, le premier
à l’avoir fait si nettement— le remarque explicitement. Humblement et
docilement— et aussi avec la joie d’enfants aimants—-admettons le fait.
Ce donné initial est capital pour le théologien. Il lui offre un point de
départ ferme. C ’est là la pierre angulaire sur laquelle il va bâtir.
Quant aux Ecritures, elles sont sobres. Elles nous donnent cependant
l’essentiel, lorsque nous savons les comprendre en utilisant les ressources
que nous offre la théologie, comme nous aurons souvent occasion de le
constater.
Une autre source encore, la liturgie ou les liturgies avec tout ce qui s’y
rapporte, l’archéologie chrétienne par exemple. Elles nous renseignent
sur les coutumes antiques de l’Eglise, sur ses manières de prier. On con
naît le vieil adage: lex orandi, lex credendi. La théologie mariale devra
recourir fréquemment à ce lieu théologique.
I I I . N O T E S C A R A C T É R IS T IQ U E S DE L A M A R IO L O G IE
Après ce que nous avons dit, il est facile de discerner les notes spéciales
de cette partie de la théologie consacrée à la Sainte Vierge, et de découvrir
son grand profit pour nos âmes.
Pour saint Thomas, la théologie est d’abord spéculative, car elle est
la science de la foi. Avant tout, elle est ordonnée à connaître la vérité
divine pour elle-même, avec un grand désintéressement. Pourtant, elle
est aussi éminemment pratique et affective. La foi, qui est à sa racine,
a une extension pratique: elle ne nous enseigne pas seulement les vérités
à croire, mais encore les préceptes et les règles qui doivent diriger notre vie.
Normalement la foi doit également s’épanouir en la charité et en les dons
du Saint-Esprit. C ’est pourquoi la théologie est une sagesse.
I V . L A PO R TÉ E DE L A TH É O L O G IE M A R IA L E , SON R Ô L E S P É C IA L D A N S
L ’ ORDRE DE S A IN T D O M IN IQ U E
1. Ceci apparaît surtout lorsque l’on compare la Somme au Commentaire sur les
Sentences ou aux Questions disputées. Saint Thomas a laissé de côté ce qui n’avait
qu’un caractère épisodique. Bien souvent il a formalisé les objections de ses adver
saires pour leur donner une portée universelle, indépendante de son temps.
2. Matth., xxv, 40.
L A T H É O L O G IE M A R IA L E 127
la charité n’est pas envieuse, la charité n’est pas inconsidérée, elle ne s’enfle
pas d’orgueil; elle ne fait rien d’inconvenant, elle ne cherche point son inté
rêt, elle ne s’irrite point, elle ne tient pas compte du mal; elle ne prend pas
plaisir à l’injustice, mais elle se réjouit de la vérité; elle excuse tout, elle
croit tout, elle espère tout, elle supporte tou t»1.— «Soit que vous mangiez,
soit que vous buviez ou quelque autre chose que vous fassiez, faites tout
pour la gloire de Dieu»2.
Qui instituera en chacune de nos vies cette belle ordonnance de la
charité ? Comme tout autre, plus que tout autre, à cause même de notre
richesse— qui fait aussi notre pauvreté— nous avons besoin d’un maître
en spiritualité, ou plus précisément d’un éducateur. C ’est ici que nous
discernons la place du Rosaire dans l’économie dominicaine, et d’une façon
plus générale dans la vie du théologien qui s’est mis à l’école du Docteur
Angélique. Saint Thomas nous donne une théologie splendide. Com
ment saint Dominique est-il notre père en spiritualité ? Comme testament,
il ne nous laisse aucun écrit, quelques textes de constitutions, quelques
paroles gardées soigneusement, l’exemple de sa vie et de son œ u v re... et
surtout le Rosaire3. Il s’est effacé derrière la Sainte Vierge: Faites tout
ce qu’elle vous dira, nous enseigne-t-il. C ’ est Marie qui est notre véritable
éducatrice. C ’est elle qui nous apprend à vivre la doctrine de saint Thomas,
qui n’est qu’une explication rationnelle de l’Evangile de Jésus. Le Rosaire
est cette école où elle forme ses enfants à l’art de vivre et de prier selon l’esprit
du Bon Maître. Les Frères Prêcheurs ont une double école: l’école de la
raison et de la sagesse acquise, l’école du cœur et de la sagesse infuse.
Elle est la plus accomplie des femmes. Toutes les qualités d’adaptation
et aussi d ’attention aux menus détails de la vie, qui font de la femme une
éducatrice remarquable, se retrouvent chez elle amplifiées et développées
sous l’action maternelle du Saint-Esprit.
avons donc, comme fils de saint Dominique, un besoin tout spécial de Marie.
Notre pauvreté nous met dans la bienheureuse obligation de recourir à elle.
Sa réponse dépasse merveilleusement notre attente. Elle nous donne son
Rosaire.
Il y a plus: nous sommes un Ordre d’apôtres. Or l’apôtre doit se
faire tout à tous, surtout l’apôtre qui est un prêcheur. Le prédicateur
est envoyé, missus. Il ne demeure pas comme le pasteur. Il va là où
l’Esprit l’envoie. Par vocation il doit établir de nouvelles chrétientés
ou visiter les chrétientés déjà constituées pour y ranimer la flamme. Tem-
porellement et spirituellement, il doit être un pauvre, libéré de toute
entrave pour être capable de se livrer entièrement à ce grand labeur de la
parole, et posséder cet art divin de savoir s’adapter à tous les groupes, à
toutes les communautés, à tous les milieux pour leur insuffler l’esprit de
l’Evangile. Pour cette œuvre essentiellement catholique, la théologie de
saint Thomas le prépare merveilleusement au point de vue spéculatif,
car elle est universelle. Parallèlement le Rosaire atteint le même résultat
au point de vue pratique et spirituel. Il apporte à l’apôtre la spiritualité
de l’Evangile réalisée de façon si concrète et si élevée.
Ajoutons qu’elle est la plus simple, la plus une. Dans les exemples
de la vie des saints, dans leurs écrits, il y a toujours un certain mélange de
données divines et de données humaines. L ’avantage de leur spiritualité
sur la théologie est de concrétiser les principes dans des faits et des expé
riences qui nous servent d’exemples. Par là, ils les appliquent et les ren
dent accessibles à notre pauvre nature sensible. Fatalement ils leur font
perdre un peu de leur éclat, ils les atténuent en les humanisant. Les spi
ritualités les plus mystiques, et partant les plus hautes, n’échappent pas
à cet écueil. Les grâces les plus surnaturelles, dès qu’elles sont reçues en
nous, prennent toujours un peu la teinte de notre psychologie. De plus,
si nous entreprenons de les décrire, nous y mettons forcément un facteur
personnel. Toute théologie spirituelle suppose des expériences, objets
d’analyse dont on cherche à tirer des lois; or toute expérience garde quelque
chose d ’humain. C ’est pourquoi toute spiritualité doit être jugée par la
théologie, dont la fonction est précisément de la dégager de ses éléments
subjectifs nécessairement particularistes.
multiples et variées. Celle de Marie est une, et c’est pourquoi elle est la
seule qui demeure au niveau de la théologie. La vie de la Sainte Vierge
est pour le théologien cause d’une grande joie, gaudium de veritate, car elle
est la seule vie qui se maintienne au plan des vérités éternelles. En elle,
il n’y a aucune entorse faite aux principes, aucun compromis. Enfin le
théologien trouve une pure créature pleinement conforme aux principes
— il y a là une sorte de miracle1— qui est dès lors pour lui un objet digne
de contemplation. Marie est bien la Rose mystique. Elle offre à l’esprit
et au cœur du théologien un lieu de repos. Parmi les pures créatures,
elle est la plus humaine et la plus divine, et pourtant tout demeure en har
monie avec l’idéal. Les principes sont gardés dans toute leur intégrité.
Et cependant nulle violence n’est faite à la nature humaine. Tout ce qu’il
y a d ’authentiquement humain est respecté jusque dans ses ultimes nuances.
L ’Artiste divin n’a mutilé aucune valeur vraiment humaine, la nature et la
grâce sont en harmonie parfaite; le dogme, la morale, la mystique s’unis
sent dans un embrassement divin.
Turris ebumea— Fons signatus. Pour le théologien, Marje, Siège de
la Sagesse, est à la fois la Tour d ’ivoire placée au milieu d ’un monde ennemi,
et la Fontaine scellée, située au centre de ce jardin fermé de la théologie
pour y répandre la fraîcheur. Elle est le refuge où l’amant de Béatrix
vient retremper ses forces, lorsque, au contact quotidien des réalisations si
éloignées des principes, si médiocres, peut-être même toutes chargées de
mal et d’ erreur, il est tenté d’abandonner l’absolu de la vérité, de la dimi
nuer à la façon des enfants des hommes, de la ramener aux dimensions des
désirs de notre monde, ou lorsqu’il risque de se cabrer, de perdre patience,
de devenir dur, voire misanthrope et amer. Au contact de la Sainte
Vierge, il retrouve l’équilibre. Elle lui fait éviter ces deux excès qui tou
jours le guettent. En elle, il trouve alliées, harmonisées de façon toute
divine la jalousie farouche, parfois terrible, de l’épouse qui veille sur les
droits de son Epoux: la Vérité subsistante, et qui demeure intrépide jusqu’au
martyre s’il le faut pour garder la pureté et l’intégrité de la foi; et la misé
ricorde immense de la mère, qui a communié au cœur infiniment tendre de
Jésus et qui, sans se lasser, découvre toujours de nouveaux moyens pour
secourir ses enfants, poussant jusqu’à l’extrême limite les concessions
possibles en tout ce qui ne touche pas directement ou indirectement le
patrimoine légué par son Fils.
T h o m a s P h ilip p e , O.P.