Dieu Dans La Sociologie

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Théologiques

La question de Dieu dans la sociologie


Nicole Laurin

Dieu interdit Résumé de l'article


Volume 6, numéro 2, octobre 1998 Dieu est désormais absent de la sociologie. Il a quitté d'abord la théorie
sociologique générale et par la suite, il s'est retiré de la sociologie religieuse. De
URI : https://id.erudit.org/iderudit/024960ar surcroît, en tant qu'élément de l'idéologie et source de mobilisation
DOI : https://doi.org/10.7202/024960ar intellectuelle et politique, il est tombé en désuétude. Au moment où la théologie
chrétienne cherche son inspiration du côté des sciences et, particulièrement,
des sciences humaines, la sociologie n'a donc plus rien à lui offrir. À part le fait
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social, dépouillé de ses oripeaux, ramené à sa misère et son absurdité. Le fait
social dans sa pesanteur.

Éditeur(s)
Faculté de théologie de l'Université de Montréal

ISSN
1188-7109 (imprimé)
1492-1413 (numérique)

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Citer cet article


Laurin, N. (1998). La question de Dieu dans la sociologie. Théologiques, 6(2),
25–32. https://doi.org/10.7202/024960ar

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Théologiques 6/2 (1998) 25-32.

La question de Dieu dans la sociologie

Nicole LAURlN
Département de sociologie
Université de Montréal

La sociologie est athée. Elle se construit sans Dieu parce quelle


n'a nul besoin de lui comme hypothèse fondatrice ou comme garant
de la connaissance. Néanmoins, Dieu se présente-t-il sur son che-
min, elle n'hésite pas à se Papproprier. Dieu devient alors une réalité
sociale : il est soumis à une méthode et livré à un regard qui le pro-
duit comme objet dans le champ propre de la discipline. Toute autre
issue pour Dieu, dans la sociologie, relève du « péché contre
Pesprit », en Poccurrence contre les règles et les usages de la pensée
scientifique. La sociologie, il va sans dire, ne prétend pas au statut de
science exacte ou expérimentale au même titre que la physique, par
exemple, mais elle n'aime pas pour autant qu'on la confonde avec la
littérature, la philosophie, la politique ou d'autres modes de connais-
sance. L'objet de la sociologie doit être conquis, souvent de haute
lutte, sur le sens commun, la multiplicité des évidences et des appa-
rences qui recouvrent cet objet. Sa démarche ne s'arrête pas là, il
faut encore reconstruire l'objet selon les concepts et les théories de la
discipline, pour permettre l'analyse et l'explication 1 . Ainsi de Dieu.

La question de Dieu dans la sociologie est très éloignée de mes préoccupations


ordinaires. Aussi, ai-je tout d'abord refusé de rriaventurer sur ce terrain où je
n'ai nulle compétence. Uinsistance de plusieurs membres du comité de rédaction
de Théologiques a eu raison de mes résistances. Toutefois, c'est au cours d'une
réunion amicale chez Stephen Schecter, à l'occasion de la fête du Hanukah, que
mon texte a pris forme virtuellement grâce aux questions et aux commentaires
passionnés de Anne-Marie Pelletier, Rebecca Augenfeld, Jean-Pierre Bourdouxe
et Pierre Feuvrier. Je garde un souvenir ému de cet échange.
1
Les questions du statut scientifique de la sociologie, de la nature de
son objet et de son mode de connaissance sont étudiées par plusieurs
26 NICOLE LAURlN

Aux origines de la sociologie, il occupe une place centrale dans


la théorie. Historiquement, Pœuvre des fondateurs de la discipline
participe à l'élaboration, hors du discours religieux et à contre-cou-
rant de ce discours, d'une réflexion sur la société inaugurée précé-
demment dans la philosophie politique. Sans doute aussi la société
est-elle perçue par les premiers sociologues comme une énigme, un
mystère à déchiffrer; sous ce rapport, elle demeure associée à Dieu.
Selon la « loi des trois états » de Phumanité, proposée au XIX e siècle
par Auguste Comte, la forme originelle de la société est théologique
parce que Dieu y représente le principe premier d'explication 2 . Par
conséquent les prêtres y détiennent le pouvoir spirituel. Cette société
symbolise l'enfance de l'humanité et elle sert, dans la théorie, à
faire valoir la pensée positiviste, associée à l'industrie moderne.
D'ailleurs, à ce stade, la sociologie devient, selon Comte, la base du
pouvoir spirituel et l'humanité remplace Dieu comme objet de la
religion. Karl Marx, de son côté, s'efforce d'analyser sociologi-
quement la question de Dieu dans la foulée d'une critique qui
dépasse, de loin, la thèse de « l'opium du peuple » à laquelle on a
réduit sa pensée sur la religion^. Marx y voit une « nébuleuse », un
monde céleste de beauté, de justice et de bienveillance, dont il faut
cependant extraire le « noyau terrestre ». N o n qu'il prétende,
comme Feuerbach, restituer à « l'homme » son essence tout entière
absorbée par le concept de Dieu 4 mais parce qu'il veut comprendre
comment et pourquoi ce monde se détache de la terre et se retire si

auteurs. On consultera, parmi les ouvrages les plus récents, celui de


Jacques HAMEL, Précis d'épistémologie de la sociologie. Paris, L'Harmattan,
1997.
2
Auguste COMTE, Cours de philosophie positive, publié de 1830 à 1842,
60 leçons en 6 volumes. Voir la synthèse de Jean LACROIX, La sociologie
d'Auguste Comte. Paris, Presses universitaires de France, l e r e édition en
1956.
^ Voir, en particulier, de Karl MARX, La question juive, 1844; Pour une
critique de la philosophie du droit de Hegel, 1844; La Sainte famille, 1845;
L'Idéologie allemande, 1845; dans Œuvres, III (Philosophie). Paris,
Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1982.
4 Ludwig FEUERBACH, L'Essence du christianisme. Paris, Maspero,
1968, (première édition en langue allemande, 1841).
LA QUESTION DE DIEU DANS LA SOCIOLOGIE 27

loin et si haut que l'humanité n'y a pas accès. Selon Marx, ce


détournement de Dieu serait en quelque sorte la faute de classe ori-
ginelle, le début de la dramatique série des modes d'aliénation
modernes : Pidéalisme philosophique, le pouvoir centralisé de l'Etat,
le droit bourgeois, le capitalisme ... Au terme, Phumanité se trouve
privée de tout, de son être même : la capacité de s'humaniser dans et
par le travail.
Au début du XX e siècle, dans Pœuvre de Max Weber, Péconomie
capitaliste est de nouveau mise en relation avec Dieu. En effet, l'ac-
cumulation du capital se présente comme l'effet non anticipé,
pervers pourrait-on dire, de la recherche dans le protestantisme des
justifications tangibles de l'élection et de la prédestination divines^.
Faut-il le souligner, non seulement L'éthique protestante et l'esprit du
capitalisme mais l'ensemble des travaux wébériens de sociologie
historique de la religion demeurent à ce jour indépassables 6 .
Cependant, c'est l'œuvre de Durkheim sur la religion qui représente
bel et bien l'incarnation de Dieu dans la sociologie?. O n y retrouve,
inversés, les termes du drame qui se joue dans l'univers marxien. En
effet, selon la théorie durkheimienne, Dieu descend du ciel pour
constituer la société en elle-même : il devient le noyau de la
conscience collective, siège de la capacité de vivre ensemble. Ainsi,
ce que l'humanité adore, ce qui lui demeure sacré, c'est sa propre
existence identifiée à la divinité 8 . Certains auteurs, plus proches de
nous, ont repris la thèse de Durkheim mais en situant le lieu de la
transcendance dans l'existence individuelle. Pour Erwing Goffman,

5 Max WEBER, VÉthique protestante et Vesprit du capitalisme. Paris,


Pion, 1964, (première édition en langue allemande, 1920).
° Ces travaux sont parus récemment en traduction française, voir
Max WEBER, Sociologie des religions. Paris, Gallimard, 1996.
7 Emile DURKHEIM, Les formes élémentaires de la vie religieuse : le
système totémique en Australie. Paris, Presses universitaires de France, 1985,
(première édition, 1912).
8 Dans le prolongement de Pœuvre durkheimienne, je laisse de côté
la « sociologie sacrée » à laquelle œuvrent plusieurs ethnologues,
s'inspirant de Marcel Mauss, au cours des années 1930. L'objet de leur
démarche serait la « présence active du sacré dans l'existence sociale ».
Voir l'introduction de Marcel Fournier à Marcel MAUSS, Écrits politiques
(Textes réunis et présentés par M. Fournier). Paris, Fayard, 1997, p. 51.
28 NICOLE LAURIN

Pindividu demeure en ce sens le seul dieu viable 9 . Selon une pers-


pective semblable, Thomas Luckmann élabore la notion d'« auto-
transcendance » (« self-transcendence »); celle-ci se manifeste par
la recherche de Pépanouissement personnel au moyen de la sexua-
lité, des liens familiaux, de Pexpression de soi 10 .
Par suite de la différenciation interne de la discipline en sec-
teurs d'étude spécialisés, Dieu quitte le centre de la scène et ses fré-
quences d'apparition se concentrent dans le voisinage immédiat des
religions, des mouvements religieux et des institutions religieuses
dont il reste désormais prisonnier. La sociologie de la religion se
penche sur des organisations, des pratiques, des discours et des acteurs
situés dans un domaine particulier. Celui-ci se définit soit par le ter-
ritoire qu'il occupe au sein de la société, un peu selon le modèle du
« c h a m p » dans la théorie de Bourdieu 1 1 , ou bien encore par la
nature et les propriétés des objets qui s'y présentent. Des approches
quantitatives aussi bien que des approches qualitatives sont mises en
œuvre; les méthodes vont de l'enquête par sondage à l'herméneu-
tique. Peu encline à théoriser pour son propre compte, la sociologie
de la religion s'appuie depuis plusieurs années sur les thèses de la
sécularisation, reformulées inlassablement selon des terminologies
variées par différents théoriciens de la modernité et dernièrement,
ceux de la postmodernité : le déclin des religions instituées, la laïci-
sation de la sphère publique, l'érosion de la culture religieuse, la
privatisation de la foi et des pratiques, etc. Banalisées par un usage
abusif, quasi-incantatoire, ces thèses expliquent mal la réalité

9
Dans son étude sur les rites d'interaction, Erwing GOFFMAN
avance en effet que Pon peut « traduire les notions durkheimiennes quant
à la religion primitive en ces concepts que sont la déférence et la tenue,
qui nous aident à saisir certains aspects de la vie séculière urbaine. Il
s'ensuit qu'en un sens ce monde profane n'est pas aussi irreligieux qu'il y
paraît. Bien des dieux ont été mis au rancart, mais l'individu demeure
obstinément, déité d'une importance considérable ». Voir Les rites
d'interaction, Paris, Les Editions de Minuit, 1974, p. 84-
1° Thomas LUCKMANN, The Invisible Religion. The Problem of Religion in
Modem Society. Londres et Toronto, Collier-Macmillan, 1967.
I* L'application de la notion de champ à la sphère religieuse est
exposée dans l'article de Pierre BOURDIEU, « Genèse et structure du
champ religieux », Revue française de sociologie XII (1971) 275-334.
LA QUESTION DE DIEL/ DANS LA SOCIOLOGIE 29

contemporaine. De plus, elles inhibent la réflexion sur le fait reli-


gieux hors du christianisme et hors des sociétés occidentales. O n
comprend difficilement la persistance de ce courant de pensée, à
moins de faire l'hypothèse qu'il serait l'équivalent, en sociologie, de
la mort de Dieu décrétée par certains courants de la philosophie.
Quoi qu'il en soit, la recherche en sociologie de la religion,
comme dans plusieurs domaines de la discipline, s'intéresse peu à
l'histoire et à la société dans sa globalité. Elle donne plus volontiers
priorité à la nouveauté et au changement. Sans exclure la théorisa-
tion, sa démarche conduit néanmoins à privilégier des niveaux
intermédiaires d'interprétation, très proches des objets d'observation,
circonscrivant ainsi la réflexion dans l'espace exigu de la spécialité.
Au cours des dernières années, les « nouvelles » formes du religieux -
les sectes et les fondamentalismes, par exemple - ont fortement
retenu l'attention. Les sociologues se sont également penchés sur des
croyances et des pratiques inédites, se rattachant notamment à Peso-
térisme et au syncrétisme. En outre, ils se sont intéressés aux nou-
velles formes du sacré, lesquelles seraient, paradoxalement, laïques
et profanes. O n le voit, la sociologie de la religion est à la merci de
son champ, qui se rétrécit comme une peau de chagrin, et de son
objet, apparemment en voie de dénaturation et de disparition. Elle
n'a donc plus grand chose à dire sur Dieu sinon qu'il serait victime de
la crise du sens, celle-ci se manifestant par la perte, le manque, le
vide de sens, associés n o t a m m e n t au déclin de la religion. En
contrepartie, la recherche de sens expliquerait la résurgence du fait
religieux et de Dieu, sous différents avatars. La base de cette argu-
mentation - la crise du sens présumée - est relativement précaire.
Devant l'impasse apparente du fait religieux, dans la société et
dans la sociologie, la tentation de se tourner vers le passé devient
forte. En effet, l'histoire religieuse représente un champ de
recherche en plein essor et rien n'empêche d'y adapter les méthodes
et les problématiques sociologiques 12 . L'histoire nous restitue Dieu

12
Les travaux que j'ai réalisés avec Danielle Juteau sur les
communautés religieuses de femmes, au Québec, représentent un exemple
de ce type de recherche. Au moyen de l'échantillonnage et de l'analyse
statistique, nous avons étudié les caractéristiques socio-démographiques et
l'activité professionnelle de 3700 religieuses, issues de vingt-quatre
communautés, au cours d'une période de soixante-dix ans. L'interprétation
30 NICOLE LAURIN

dans toute sa splendeur, si on peut dire. Les acteurs sociaux le convo-


quent et l'invoquent sans inhibition, ils se servent aussi de lui sans
scrupule. Pourtant, ce Dieu dissimule souvent le fait socio-historique,
il s'interpose comme un écran qu'il faut écarter, le temps d'observer
et d'analyser ce qui se passe dans l'histoire, quitte par la suite à invi-
ter Dieu à reprendre sa place qui est partout, alors qu'aujourd'hui, elle
n'est nulle part. Il en va ainsi de l'histoire québécoise, de la
Nouvelle-France à la Révolution tranquille. Si Dieu n'est pas une
idéologie, il s'en distingue parfois fort mal dans l'histoire, au regard
de la sociologie. O n le voit mobilisé le plus souvent par les groupes
conservateurs et, même au nom des pauvres, par ceux qui profitent le
mieux de l'ordre (ou du désordre) établi. Les institutions de la régula-
tion et du contrôle social font elles aussi une forte consommation de
la divinité.
Sous un autre aspect, Dieu s'intègre souvent dans des doctrines
politico-philosophiques, portées par des classes, des partis et des mou-
vements sociaux. Le catholicisme social en est une et son influence
s'est exercée sur la sociologie dans plusieurs sociétés contemporaines,
incluant le Québec, jusque dans les années 1960. La sociologie, en
effet, est perméable aux courants de pensée qui traversent la société,
pensons par exemple au libéralisme, au socialisme, au nationalisme,
au féminisme. Elle trouve en eux son inspiration et elle se met par-
fois à leur service. Les premiers enseignements de sociologie dispen-
sés par la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval, et plus
tard, celle de l'Université de Montréal, présentent une conception
de la société qui se veut compatible avec la pensée de l'Eglise et sa
doctrine sociale. Par exemple, Arthur Saint-Pierre, un laïc, se défi-
nit dans les années 1920 et 1930 comme un sociologue catholique.

de ces données se place hors du champ de la sociologie religieuse; elle


s'inspire plutôt des problématiques du travail féminin d'une part et des
rapports entre les institutions au sein de la société québécoise, d'autre
part. Voir, Nicole LAURIN, Danielle JUTEAU et Lorraine DUCHESNE, À
la recherche d'un monde oublié. Les communautés religieuses de femmes au
Québec de 1900 à 1970. Montréal, Le Jour, 1991. Danielle JUTEAU et
Nicole LAURIN, Un métier et une vocation. Le travail des religieuses au
Québec de 1901 à 1971. Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal,
1997.
LA QUESTION DE DIEU DANS LA SOCIOLOGIE 31

Certaines de ses recherches, non dépourvues d'intérêt scientifique,


sont explicitement motivées par la défense du syndicalisme catho-
lique, patronal et ouvrier, et par Pillustration du rôle de l'Eglise au
Québec, particulièrement celui des communautés religieuses fémi-
nines dans les services sociaux et hospitaliers 1 ^. Ce sont surtout des
clercs, ayant reçu une formation en sociologie, qui les premiers ont
vulgarisé les notions fondamentales de la discipline auprès de diffé-
rents groupes sociaux et professionnels : syndicats, associations patro-
nales, travailleurs sociaux, mouvements de jeunesse, etc. Cependant,
au cours des années 1960, le clergé perd son emprise sur la société, sur
la politique et sur la vie intellectuelle. Dès lors, un fossé apparem-
ment infranchissable se creuse entre PEglise et Pinstitution universi-
taire, exception faite des facultés de théologie. La figure de
Pintellectuel catholique disparaît de la sociologie comme des autres
domaines de la pensée scientifique 1 ^. Pour la plupart des intellec-
tuels, en effet, la pratique scientifique et la foi religieuse sont
c l o i s o n n é e s , lorsqu'elles ne sont pas jugées radicalement
incompatibles.
Dieu est désormais absent de la sociologie. Il a quitté d'abord la
théorie générale et par la suite, il s'est retiré de la sociologie reli-
gieuse. De surcroit, en tant qu'élément de l'idéologie et source de
mobilisation intellectuelle et politique, il est tombé en désuétude 1 5 .
Au moment où la théologie chrétienne cherche son inspiration du

1
^ Arthur SAINT-PIERRE, Le problème social. Quelques éléments de
solution. Montréal, Action française, 1925, et Vœuvre des communautés
religieuses de charité dans la Province de Québec en 1930. Montréal, Éditions
de la Bibliothèque Canadienne, 1930.
1
^ Sans doute serait-il difficile de concevoir, au Québec, un ouvrage
comme celui que Jean Delumeau a publié récemment en France,
réunissant les témoignages de vingt-cinq historiens chrétiens qui « à
travers leurs divers engagements... évoquent les exigences réciproques de
leurs convictions religieuses et de leur discipline ». Sous la direction de
Jean DELUMEAU, Vhistorien et la foi. Paris, Fayard, 1996, p. 4 de
couverture.
1
^ Il faut tout de même mentionner qu'au cours des années 1970 la
théologie de la libération a failli réunir les conditions qui auraient pu
produire une telle mobilisation d'intellectuels œuvrant dans des
perspectives critiques, au sein des sciences sociales.
32 NICOLE LAURIN

côté des sciences et tout particulièrement des sciences humaines, la


sociologie n'a donc plus rien à lui offrir- À part le fait social,
dépouillé de ses oripeaux, ramené à sa misère et son absurdité. Le fait
social dans sa pesanteur 1 ^. Pesanteur du système et de la régulation;
procès sans sujet ni fin de la production et de la reproduction.
Pesanteur du langage, circularité du discours, réitération incessante
de Pinterpellation, l'interdiction et Pinjonction. Pesanteur de
l'institution et de la hiérarchie, du pouvoir, de l'argent, du signe.
Pesanteur de la condition de classe, du sexe, de la race, de la natio-
nalité, qu'ils soient source de dérive ou d'appartenance, d'identité ou
de déracinement. La pesanteur n'appartient pas au déterminisme,
elle ne s'oppose pas à la liberté. Pour la sociologie, il n'existe en
effet ni véritable déterminisme, ni véritable liberté. La vie sociale se
crée et se défait sans cesse mais elle n'est nulle part transparente à
elle-même dans l'objectivité ou dans la subjectivité des modes de
conscience et de discours. Comme toute forme de vie, elle se sou-
tient par l'ordre et le chaos; elle a partie liée avec la mort.
De la présence de Dieu dans cette réalité, la sociologie ne peut
rien dire. Elle peut seulement espérer que la théologie pose son
regard sur la société, et que ce regard puisse croiser celui de la
science, au-delà du fossé épistémologique séparant ces deux
domaines de la pensée. Si toutefois la place du discours sur Dieu est
vide, en théologie comme en science, il n'y aura plus alors qu'à s'en
remettre au silence.

*" « Deux forces régnent sur l'univers : lumière et pesanteur. »


Simone WEIL, La pesanteur et la grâce, Paris, Pion, 1979, p. 11 (première
édition, 1948).

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