9782940715282
9782940715282
9782940715282
Jacques Maritain
Collection du Département de Théologie morale et d’Ethique de l’Université de
Fribourg (Suisse)
Sous la direction de
Luc-Thomas Somme OP
Thierry Collaud
NS 9
Wojciech Gliniecki
www.academicpressfribourg.info
DOI : 10.55132/axft5874
Cette licence Creative Commons CC-BY permet aux tiers de distribuer, remanier, adapter
et développer l'œuvre, même à des fins commerciales, à condition qu'ils attribuent à
l'auteur la création originale.
Image de couverture : Jacques Maritain, vers 1930, image dans le domaine public, auteur
inconnu
Remerciements
Wojciech Gliniecki
Sigles et abréviations
a. – articulus (article)
cf. – confer
coll. – collection
dir. – directeur
et al. – et alii (et autres)
éd. – édité par
HS – hors-série
Ibid. – ibidem (au même endroit)
Id. – idem (le même auteur)
no – numéro
op. cit. – opera citata (œuvre citée)
p. – page
q. – questio (question)
t. – tome
trad. – traduction
vol. – volume
Introduction 7
Introduction
ses convictions. Maritain ne le conçoit pas comme un obstacle contre lequel il faut
combattre. Il pense plutôt en termes d’enrichissement réciproque. Le monde
constitue un univers aux changements constants. Au Moyen-âge l’homme a
reconnu l’ordre de la sagesse. C’était une grande avancée car la sagesse a permis
de concevoir l’existence humaine, autant personnaliste que sociale, par le prisme
de Dieu. En revanche l’époque suivante se focalise sur la temporalité et le profane
de la personne humaine ; en effet, la période médiévale avait laissé de côté la
réflexion anthropologique. Après le Moyen-Age vient le temps du profane et des
visions anthropocentriques. Cette rupture dont Luther, Rousseau et Descartes
sont des fondateurs commence par une période de modernité. Comme l’exprime
Blanchet, le monde moderne est « l’histoire d’une longue émancipation, pour
reprendre le terme de Maritain : l’émancipation d’une humanité qui réclame son
autonomie, son indépendance, son individualité, proclame son pouvoir créateur
en toutes disciplines, secouant bien sûr le joug du pouvoir clérical mais aussi cette
emprise du divin sur toutes choses temporelles »1. La personne devient son
propre maître et cherche pour elle-même le sens de son existence. C’est
l’individualisme qui prime et qui opère dans l’homme une division entre la
matière et le spirituel. C’est l’homme lui-même dans sa dimension ontologique
et sociale qui est mis en danger. Les dérives de la culture moderne consistent en
ce qu’elles aspirent à définir les fins suprêmes de la personne, à dominer la
matière jusqu’à ce que l’homme trouve le bonheur par une maîtrise technique,
comme le soutient Descartes. Les temps modernes annoncent l’apothéose de
l’humanisme anthropocentrique. Imprégné de naturalisme philosophique, il
conteste une réalité divine et sa valeur pour la vie humaine, face au pessimisme
matérialiste où l’homme se conçoit comme incapable de trouver le sens de sa vie.
La matière prend les dimensions les plus intérieures ce qui provoque une
soumission de l’homme aux nécessités matérielles et techniques. Tous ces
moments où l’être humain se place en lui-même, dans son propre espace de
l’existence, et remplace les vérités métaphysiques et évangéliques par un
raisonnement basé sur l’autonomie et l’individualisme entraînent une crise
profonde de l’homme.
Le problème le plus crucial est la séparation du monde avec
l’intelligence et la métaphysique. Ce sont des idéologies sans aucun contenu
logique qui parasitent l’homme. Maritain perçoit clairement le danger de ce
processus. Ce livre procèdera toutefois à une analyse intellectuelle de cette réalité
afin d’obtenir une vision juste de la liberté, des droits de l’homme, de l’agir et de
la démocratie. La vérité sur l’homme ne peut se concevoir sans ces deux
fondamentaux que sont la philosophie et la culture. En faisant fi des données
métaphysiques, l’homme peut tout faire ; tout devient possible. Cette tendance
anthropocentrique pousse souvent l’homme à s’enfermer en lui-même. Il n’en
reste pas moins qu’un nouveau monde est possible où l’homme, grâce à
l’intelligence, redécouvre le sens de son existence et redevient un acteur
responsable de ce monde. L’ambition de ce livre est de montrer que les vérités
sur l’homme sont fondées sur l’intelligence et assurent la solidité de l’homme à
1
CH. BLANCHET, « Maritain face à la modernité », dans : M. BRESSOLETTE, R., MOUGEL (dir.),
Jacques Maritain face à la modernité, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1995,
p. 11-31.
Introduction 9
l’égard de lui-même. Il est ainsi possible que l’homme revienne à la vérité de lui-
même ; la vérité sur sa spécificité, sa précarité, ses blessures et la vérité sur la
fortification de l’homme par la grâce divine.
Maritain s’intéresse à l’homme dans toute sa complexité. Il
l’examine sous l’angle de l’expérience poétique tout comme de la dimension
sociale et éthique. Il l’aborde aussi par le prisme de l’expérience de la
contemplation considérée comme une expérience primordiale de la vie
intérieure de l’homme. C’est parce que Maritain lui-même s’astreint à une vie
spirituelle très rigoureuse qu’il a une perception intime « des choses typiquement
humaines ». Sa spiritualité joue ici un rôle primordial, aussi sera-t-elle au centre
de notre analyse, tant elle influence le caractère intégral de l’humanisme dans la
philosophie maritainienne. Autrement dit, la spiritualité lui permet de porter un
regard aiguise sur l’homme dans toute sa spécificité et son intégralité. La vie
intérieure chez Maritain trace des pistes non seulement dans ses analyses sur
l’homme mais aussi dans sa vision du monde à venir, dans ses réflexions sur le
renouvellement de la civilisation. On comprend mieux pourquoi la vision de
l’humanisme chez Maritain s’appuie sur le théocentrisme. La référence à
l’instance divine englobe une vision intégrale de l’homme non seulement par
rapport à Dieu mais aussi par rapport aux autres et à toute la création. Cette
vision révèle l’homme tel qu’il est en réalité : comme capable de surexister en
connaissance et en amour tout comme de sombrer dans l’état d’une nature
déchue. Il n’en reste pas moins que cette vision affirme l’humain au sens qu’elle
révèle la vérité sur l’homme et permet de déterminer sa dignité et sa relation à
l’égard à soi-même et à la société. Cela implique une approche concrète de
l’homme autant dans sa dimension personnaliste (l’homme intégral) que dans sa
dimension sociale (la démocratie personnaliste).
Maritain nous apprend à ne pas ignorer les idées qui dirigent l’action
humaine et qui constituent une force motrice pour une civilisation donnée.
Chaque idée est « une pierre d’angle » qui influence en douceur la culture, la
société, l’histoire. C’est l’idée même qui détermine l’acte et le choix de l’humain,
sa fin et les moyens permettant d’atteindre ses aspirations. La proposition
maritainienne est un discours rationnel sur le monde orienté vers la découverte
de la vérité sur l’homme. Il présente les moyens et les outils pour la déceler dans
un contexte actuel de l’histoire. Ainsi, ce lien étroit entre le discours
philosophique et le monde contemporain paraît décisif ; il incite à l’investigation
de son système de pensée. Cette approche philosophique qui vivifie la réflexion
sur l’homme et sur la société peut aider non seulement à comprendre ce monde
contemporain mais aussi à trouver des solutions pour que l’homme y trouve sa
juste place. Dans quelle mesure est-ce possible ?
Qu’est-ce que l’homme ? Avant d’aborder les domaines où l’être
humain s’affirme, il faut d’abord répondre à cette question. Cette démarche est
essentielle pour bien expliquer les champs d’action spécifiques par lesquels
l’homme s’affirme. Possenti sensibilise à la nécessité de répondre à ce
questionnement sur l’homme et sa dignité. Il dit qu’il est urgent d’y répondre car
la réponse stimule à la fois l’agir humain et les décisions politiques2. L’homme ne
2
Cf. V. POSSENTI, Zarys filozofii politycznej. Społeczeństwa liberalne na rozdrożu, Lublin,
Polskie Towarzystwo Tomasza z Akwinu, 2012, p. 35.
10 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
3
Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, t. IX, 1990, p. 69.
4
Science et Sagesse, Œuvres Complètes, t. VI, 1984, p. 85.
Introduction 11
5
Pour la justice, Œuvres Complètes, t. VIII, 1989, p. 841.
12 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
1
Le grand-père de Jacques Maritain est Jules Favre, l’un des fondateurs de la troisième
République.
Les racines de la réflexion anthropologique 13
2
Cf. R. MARITAIN, Les grandes amitiés, Paris, Desclée De Brouwer, 1949, p. 51.
3
J. MARITAIN, Carnet de Notes, Paris, Desclée de Brouwer, 1965, p. 10.
4
J. MARITAIN, La Philosophie morale, Paris, Salvator, 2009, p. 407.
14 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
L’intransigeance
5
Antimoderne, Œuvres Complètes, t. II, 1987, p. 1106.
6
Cf. R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 304-305.
7
Du régime temporel et de la liberté, Œuvres Complètes, t. V, 1982, p. 439.
Les racines de la réflexion anthropologique 15
Maritain socialiste
8
Cf. J.-L. BARRE, Jacques et Raïssa Maritain. Les mendiants du ciel, Paris, Perrin, 2012, p.
57.
9
Cf. J. MARITAIN, Le Philosophe dans la Cité, Paris, Éditions Alsatia, 1960, p. 9.
10
Id., Carnet de Notes, op. cit., p. 10.
11
R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 46.
12
Cf. Ibid., p. 47.
16 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
Le positivisme de la Sorbonne
13
Cf. É. POULAT, « Maritain revisité. Sur les traces françaises de Jacques Maritain », dans :
B. HUBERT (dir.), Jacques Maritain en Europe. La réception de sa pensée, Paris,
Beauchesne, 1996, p. 210.
14
R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 60.
15
Ibid., p. 232.
16
Cf. Ibid., p. 257.
17
Cf. Ibid., p. 258.
18
Cf. R. REMOND, « Jacques Maritain parmi les intellectuels du siècle », Revue des sciences
religieuses, 81(2007)3, p. 301-306.
Les racines de la réflexion anthropologique 17
La quête de la vérité
19
R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 43.
20
Raïssa, dans son journal présente la position critique de Maritain par rapport à
l’appréhension de l’intelligence matérialiste qui nous dit que « cela seul est intelligible
qui est vérifiable matériellement ». Cf. Ibid., p. 62-63.
21
Ibid., p. 78.
18 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
L’expérience de la Sorbonne
Bien que des cours à la Sorbonne avec des savants tels que Marie et
Pierre Curie, Paul Appel, et plus particulièrement Félix Le Dantec les
passionnent, reléguant pour un temps les questions métaphysiques, les Maritain
gardent cette aspiration profonde vers la connaissance de l'essence des choses.
Le scientisme n’a pas impressionné Maritain. Il continue à vouloir se soustraire
au relativisme ambiant. Instinctivement le couple s'oppose à la « démoralisation
de l’esprit » et garde l’espoir de découvrir la vérité. N’ayant pas de bagage
intellectuel suffisant pour élaborer son propre système philosophique, Maritain
approfondit des idées du socialisme pour y trouver un point d’appui dans son
existence. Adolescent, Maritain privilégie déjà la dimension intérieure du
cheminement philosophique. À savoir qu’instinctivement il se défend contre le
scientisme insensible qui obscurcit la notion de vérité. Cette attitude guidera
Jacques Maritain aussi bien dans le domaine scientifique que social. Persuadé que
la vérité suppose la connaissance profonde du réel, Maritain ne déviera pas de
sa route. L’aspiration d’atteindre la vérité le conduit à s'interroger sur les
questions non résolues par le scientisme s’opposant ainsi « à toutes les ténèbres
– celles de l’ignorance, celles de l’erreur, celles de mensonges, celles mêmes de
l’iniquité qui est une erreur de mesure et de mensonge »24. Maritain poursuit sa
recherche d'un système philosophique apte à lui procurer la paix intérieure.
Formé au lycée Henri IV, il y montrait déjà des prédispositions à cette soif
22
Ibid., p. 79.
23
Raïssa décrit leur désir de la connaissance de la vérité dans des mots très poétiques : «
nous lui réservions un autel dans notre cœur, nous l’aimions ardemment sans la
connaître ; d’avance nous lui reconnaissions tous les droits sur nous, sur notre vie. Mais
ce quelle serait, par quelle voie, par quels moyens elle pourrait être atteinte – nous ne
le savions pas (…) Il y avait donc toujours en nous cette idée invincible de la vérité, cette
porte ouverte sur le chemin de la vie ». Ibid., p. 79-80.
24
Ibid., p. 78.
Les racines de la réflexion anthropologique 19
25
Ibid., p. 67.
26
Raïssa dit que c’est la souffrance qui les a sauvés : « Ce qui nous a sauvé alors, ce qui a
fait de notre réel désespoir un désespoir encore conditionnel, c’est justement notre
souffrance. Cette dignité à peine consciente de l’esprit a sauvé notre esprit par la
présence d’un élément irréductible à l’absurde où tout voulait nous conduire ». Ibid., p.
72-75.
27
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, t. I, 1986, p. 192.
20 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
28
R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 80.
29
Ibid., p. 80.
30
Cf. Ibid., p. 81.
31
Cf. J. MARITAIN, Carnet de Notes, op. cit., p. 106.
32
Cela veut dire que Bergson a un impact sur leur chemin intellectuel. Raïssa nous dit que
« l’enseignement de Bergson en ce qu’il avait de positif nous rendait la possibilité même
du travail métaphysique ; et, ce qu’il avait de négatif, démasquant les sophismes sur
lesquels étaient fondées les théories mécanistes et matérialistes, il déblayait le terrain
philosophique d’un grand nombre de pseudoproblèmes et de fausses solutions », R.
MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 82.
33
Ibid., p. 90.
Les racines de la réflexion anthropologique 21
34
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 20.
35
Cf. J.-L. BARRE, Jacques et Raïssa Maritain. Les mendiants du ciel, op. cit., p. 171.
36
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 20.
37
Cf. Id., Carnet de Notes, op. cit., p. 89.
22 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
La durée
38
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 21.
39
Ibid.
40
Cf. Ibid., p. 20.
Les racines de la réflexion anthropologique 23
41
R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op.cit., p. 83.
42
Cf. La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 103.
43 H. BERGSON, Essai sur les données immédiates de la conscience, F. WORMS (éd.), Paris,
Presses Universitaires de France, 2007, p. 79.
44
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 103.
45
Ibid., p. 103.
46
Cf. H. BERGSON, Essai sur les données immédiates de la conscience, op. cit., p. 89.
47
H. BERGSON, Matière et mémoire, Essai sur la relation du corps à l’Esprit, Paris, Presses
Universitaires de France, 1959, p. 46.
48
CF. A. FENEUIL, « Un autre Bergson ? Sur la théorie de la personne comme émotion,
nouveauté des deux sources », dans : A. FRANÇOIS, C. RIQUIER, (éd.), Annales
bergsoniennes, Bergson, la morale, les émotions, vol. VIII, Paris, Presses Universitaires
de France, 2017, p. 271-285.
24 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
49
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 104.
50
Ibid., p. 183.
51
Cf. H. BERGSON, Les deux sources de la morale et de la religion., F. KECK, G. WATERLOT,
F. WORMS (éd.), Paris, Presses Universitaires de France, 2013, p. 481.
52
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 182.
53
Ibid., p. 502.
Les racines de la réflexion anthropologique 25
L’intuition
54
R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 83.
55
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 193.
56
H. BERGSON, Introduction à la métaphysique, F. WORMS (éd.), Paris, Presses
Universitaires de France, 2011, p. 5.
57
H. BERGSON, L’intuition philosophique. Le choc Bergson. La première édition critique de
Bergson, F. WORMS (éd.), Paris, Presses Universitaires de France, 2011, p. 5.
58
Cf. Ibid., p. 30.
59
Ibid., p. 37.
26 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
60
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 172.
61
Ibid., p. 172.
62
Ibid., p.172.
63
Jacques Maritain précise « qu’en appelant anti-intellectualiste la philosophie de M.
Bergson, on ne prétend pas qui celui-ci se propose l’anéantissement de l’intelligence.
On prétend que la conception qu’il se fait d’elle le destitue de sa nature, et de l’office
pour lequel elle existe en nous ». Ibid., p. 66.
64
Nous retenons cette orthographe, transcrite du latin de Thomas d’Aquin, pour
distinguer la subsistence au sens philosophique de la subsistance au sens courant en
français.
65
En analysant l’intuition de Bergson, Maritain est mené à la conclusion très clair et
inacceptable à cause de la négligence de la vérité qui se trouve dans l’esprit humain. A
savoir, le contact avec une chose « nous change en elle. Nous ne possédons pas les
Les racines de la réflexion anthropologique 27
choses, nous sommes possédés par elles ; nous n’intellectualisons pas la matière, nous
matérialisons l’esprit ». Ibid., p. 173.
66
Cf. Ibid., p. 74.
67
Cf. Ibid., p. 175.
68
Ibid., p. 470.
69
Ibid., p. 75.
70
Ibid., p. 30-31.
71
J. MARITAIN, Le Paysan de la Garonne, Paris, Desclée De Brouwer, 1966, p. 205.
28 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
72
Cf. G. COTTIER, « Le philosophe et la foi », op. cit., p. 307-321.
73
J. MARITAIN, Le Paysan de la Garonne, op. cit., p. 205-206.
74
Cf. H. BARS, « Sur le rôle de Bergson dans l’itinéraire philosophique de Jacques
Maritain », CJM, 9(1984), p. 5-31.
75
Quelques pages sur Léon Bloy, Œuvres Complètes, t. III, 1984, p. 1022.
Les racines de la réflexion anthropologique 29
76
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 531.
77
Ibid., p. 530.
78
Ibid., p. 532.
79
Cf. H. BERGSON, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 283-285.
80
Cf. F. WORMS, Bergson ou les deux sens de la vie, Paris, Presses Universitaire de France,
2004, p. 323.
81
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 537.
30 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
avant de savoir et pour savoir ce que je dois faire »82. Cette idée est fondamentale,
car elle permet de placer l’agir humain dans la vérité propre à l’être humain.
En revanche, Maritain réfute la conception de la métaphysique et du
monde chez Bergson qui détermine largement sa théorie de la morale. Le monde
n’est pas, comme le voulait Bergson, une évolution créatrice, mais une hiérarchie
de perfection créatrice, comme l'affirmait Saint Thomas d’Aquin. Dans cette
perspective, Maritain constate : « nous sommes reconnaissants à Bergson d’avoir
fondé sa morale sur une métaphysique ; il faut constater que cette métaphysique
est la métaphysique de l’élan vital, et que la métaphysique de l’élan vital
méconnaît des vérités capitales »83. La morale, telle que Bergson la présente, est
dépendante de la pression et de l’aspiration, de l’obligation sociale et de
l’émotion personnelle. Maritain parle même de la « “carence ontologiqueˮ et de
l’empirisme radical qui grèvent cette métaphysique »84. En d’autres termes, il ne
prend pas en compte l’importance des idées, en les considérant comme
inférieures. Ghislain Waterlot précise que la réalité, telle que Bergson l’a
comprise, ce ne sont pas les idées mais « l’universel devenir auquel j’ai accès à
partir de mon devenir propre, éprouvé dans l’écoulement de la durée »85.
Réduite à cet état, la morale perd sa structure naturelle, celle de la raison et de la
liberté qui permettent de s’autodéterminer. Tandis que la référence à ces deux
capacités humaines révèle une vision de l’homme qui mène vers le « chemin du
bonheur, en faisant usage comme il faut d’une petite lumière qui le met au-
dessus de tout le monde des corps, et grâce à laquelle il est en état d’opter
librement, de choisir lui-même sa béatitude et de dire oui ou non aux divers
guides et marchands de cartes postales qui s’offrent pour l’y conduire »86. Cette
vérité sur l’être humain est d’une importance capitale, car elle mène à la
reconnaissance de l’intelligibilité de la loi et, quant à l’agir humain, à son respect.
M. Bergson ne propose aucune réconciliation entre les deux réalités, sociale infra-
rationnel et mystique supra rationnel. Il « ne nous laisse aucun moyen de suivre
notre voie d’hommes entre le service forcé de la société et l’appel du héros, entre
la crainte qui imite et la ferveur qui invente »87. Il n'y a que la raison pour
réconcilier le social et le mystique tout en respectant leur hiérarchie interne.
Maritain insiste à la fois sur son rôle fondamental dans l’agir moral et sur sa
capacité de reconnaître la nature propre de l’univers.
Maritain critique aussi ouvertement la notion de la fin, constituant
l'élément central de la discussion sur l’agir. Il reproche à Bergson d'oublier la
conception de la finalité. Et pourtant elle est centrale quant à l’action humaine ;
« l’être humain est ordonné à une certaine fin par nature des choses et par sa
structure ontologique, l’éthique et la volonté humaine sont dépendantes d’un
Autre, auxquelles elles doivent faire accueil, et engagées dans le grand jeu
82
Ibid., p. 537.
83
Ibid., p. 538.
84
Ibid., p. 535.
85
H. BERGSON, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 473.
86
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 539.
87
Ibid., p. 540.
Les racines de la réflexion anthropologique 31
88
Ibid.
89
Ibid.
90
Cf. H. BERGSON, L’Évolution créatrice, Paris, Presses Universitaires de France, 1966, p. 88.
91
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 541.
92
H. BERGSON, Essai sur les données immédiates de la conscience, op. cit., p. 124.
93
R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 85-86.
94
Cf. La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 430.
32 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
95
R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 88.
96
Ibid., p. 86.
97
Bars H., Maritain J., Correspondance 1937-1973, t. II, www.univ-brest.fr, consulté le 15
janvier 2018.
98
Cf. M. BRESSOLETTE, « Léon Bloy et les Maritain », dans : Y. FLOUCAT, B. HUBERT (éd.),
Jacques Maritain et ses contemporains, Paris, Desclée, 1991, p. 39.
99
Cf. R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 100.
Les racines de la réflexion anthropologique 33
corps et âme à sa vocation, un « prophète » chargé de crier la vérité sur les toits100.
Ces impératifs moraux s'imposeront à Jacques Maritain dans son engagement
philosophique. Le véritable engagement ne peut être que total, jusqu'au « don de
soi absolu. (…) Il faut se faire souffleter, conspuer, flageller, crucifier »101. Ce n'est
que comme cela qu'on peut se retrouver dans sa mission philosophique, et
ensuite appréhender le monde dans toute sa misère. Léon Bloy conforte les deux
Maritain dans leur recherche de la vérité. Ils ne se bornent pas à admirer le
romancier mais mettent en pratique ses préceptes dans leur vie. C’est dans ce
contexte qu’ils examinent la doctrine du catholicisme afin de revenir au sein de
l’Église par le baptême en 1906.
Il leur apparaît désormais qu’il n’y a pas de contradiction entre les
données scientifiques et spirituelles. Toutes participent « de la lumière, d’où
descend toute connaissance »102. C’était un argument important contre le
positivisme qui n’admet aucune affirmation rationnelle de la foi. Et pourtant,
force est d'admettre qu'elle « pouvait être considérée comme un don supérieur
d’intuition, et que, faisant appel à l’idée d’une vérité absolue elle devait impliquer
aussi et permettre de dégager une doctrine de la connaissance assurant les prises
de l’intelligence humaine sur la vérité »103.
L’influence du mysticisme
100
Cf. Ibid., p. 105.
101
Ibid., p. 108.
102
Ibid., p. 135.
103
Ibid., p. 136.
104
Ibid., p. 140.
34 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
105
Ibid., p. 162.
106
Cf. Ibid., p. 178.
107
Cf. Ibid., p. 309.
108
Cf. Ibid., p. 358.
109
J. MARITAIN, « L’humanisme de Saint Jean de la Croix », CJM, 9(1984), p. 43-48.
110
Ibid., p. 45.
111
En parlant de l’humanisme de Jean de la Croix Maritain accentue son dépouillement
total au service de la vérité ainsi : « se laisser réduire à rien, mais pour parvenir au tout.
Se jeter dans le rien, mais pour garder le tout (…) Mais tout cela n’est que la condition
et le moyen requis pour satisfaire une soif d’une indicible intensité, un désir d’une
violence infinie, le désir d’avoir le Tout et posséder le Tout, qui est Dieu ». Ibid., p. 46.
Les racines de la réflexion anthropologique 35
Le père Clérissac
112
Distinguer pour unir ou les Degrés du Savoir, Œuvres Complètes, t. IV, 1983, p. 820.
113
Id., « L’humanisme de Saint Jean de la Croix », op. cit., p. 47.
114
Distinguer pour unir ou les Degrés du Savoir, Œuvres Complètes, op. cit., p. 787.
115
Cf. Ibid., p. 794.
116
R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 196.
36 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
117
Cf. Ibid., p. 198.
118
Cf. Ibid., p. 199.
119
J. MARITAIN, Carnet de Notes, op. cit., p. 121.
120
R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 379.
121
Science et Sagesse, Œuvres Complètes, op. cit., p. 139.
122
Id., Carnet de Notes, op. cit., p. 184.
Les racines de la réflexion anthropologique 37
apportées par la culture moderne »123. Dans les thèses thomasiennes, les
chercheurs de Meudon trouvent la base incontestable de la vérité. Maritain
avoue même qu'ils vénèrent tout autant la personne de Saint Thomas que sa
doctrine : « elle s’impose à la raison comme un enchaînement de certitudes
démonstrativement liées, et elle s’accorde avec le dogme plus parfaitement
qu’aucune autre »124. L’attachement de Saint Thomas pour la vérité les
impressionne à tel point que Maritain parle d’une sorte d’effacement de sa
personnalité humaine et résume ainsi : « il s’est tellement perdu lui-même dans
la vérité »125. L’approfondissement du thomisme, encouragé par le Pape Léon
XIII, trouve un écho favorable chez les habitants de Meudon. Ainsi, les échanges
mutuels les unissent dans la même soif de la vérité, tout en les soustrayant à
l'impact du modernisme. Il faut bien préciser que le thomisme « risquera d’être
étudié sans la lumière convenable, et dès lors de subir des interprétations
diminuées, parcellaires et déformantes »126. C’est la raison pour laquelle ils
assurent de leur fidélité à Saint Thomas que ne met pas à mal leur intérêt pour
les enjeux de l’époque. Bien que Maritain construise sa propre vision du monde
et interprète Saint Thomas à sa manière, il ne se départira jamais de cette fidélité
à l’Aquinate.
L’étude de l’Aquinate élargit le champ intellectuel de Maritain et l’initie
aux autres domaines où la vérité s'exprime telles que la poésie, l’art, car le cercle
rassemble non seulement des philosophes et des théologiens mais aussi des
étudiants, des professeurs, des savants, des artistes, des musiciens, des juifs, des
orthodoxes, etc. Néanmoins, c'est l’approfondissement de l’enseignement de
Saint Thomas d'Aquin qui leur est essentiel et leur assure « la transparence à la
vérité », la logique de l’intelligence et la fidélité à l’Église. Les réunions à Meudon
tirent leur haute tenue morale, non seulement de la recherche commune, mais
aussi de la « vie d’oraison ». Et cet aspect a la pleine adhésion de Maritain en ce
qu'il s’inscrit inséparablement dans son engagement au sens large du terme. Ces
deux dimensions révèlent le thomisme dans son intégrité et dans sa pureté127. Sa
spiritualité démontre que ce lien est un principe constitutif dans l’action chez
Maritain. L’engagement à la fois intellectuel et spirituel se caractérise par cette
particularité de Maritain dans l'état laïc et c'est de cette position qu'il se donne à
Dieu. La spiritualité chez Maritain l’assure que sa propre voie philosophique est
une sorte d'apostolat. Autrement dit, il met en relief l’importance de la mission
ou de la vocation des laïcs, que la pratique de l’oraison permet de reconnaître.
C'est bien en tant que laïcs qu'ils se mettent au service de Dieu afin que leur
recherche soit bien ancrée dans la Vérité. La prière est la voie privilégiée pour
prendre toute la mesure de ce don à Dieu128. C’est la raison pour laquelle elle
tient une place centrale dans les activités au sein du cercle d’études thomistes.
Maritain insiste beaucoup sur l’acception de l’état laïc comme une condition
123 Ibid., p. 187; Cf. V. POSSENTI, « In dulcedine societatis quaerere veritatem. Souvenir épars
au fil des jours », CJM, 72(2016), p. 55-68.
124
J. MARITAIN, Carnet de Notes, op. cit., p. 396.
125
Ibid., p. 397.
126
Ibid., p. 398.
127
Cf. Ibid., p. 198.
128
Cf. Ibid., p. 236.
38 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
129
Ibid., p. 202.
130
Ibid., p. 181.
131
Cf. Ibid., p. 304.
132
R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op.cit., p. 212.
133
Ibid., p. 214-215.
134
Ibid., p. 217.
135
Ibid., p. 324.
Les racines de la réflexion anthropologique 39
136
Cf. J.-L. BARRE, Jacques et Raïssa Maritain. Les mendiants du ciel, op.cit., p. 155.
137
Cf. R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op.cit., p. 331.
138
Ibid., p. 332.
139
Cf. Ibid., p. 333.
140
Cf. J. MARITAIN, Carnet de Notes, op. cit., p. 177.
141
Ibid., p. 159.
40 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
142
Le génie de Saint Thomas permet à Maritain d’approfondir la question de la cohérence
entre la foi et l’intelligence. Ce qui le distingue entre autres de François Mauriac. Dans
ses écrits (Génitrix, Nœud de vipères) le romancier crée un monde humain qui n’est
pas compatible avec celui de la grâce et de la Sainteté. « Jacques Maritain et François
Mauriac. Correspondance », CJM, 56(2008), p. 25.
143
Cocteau J., Maritain J., Correspondance 1923-1963, M. BRESSOLETTE, P. GLAUDES (éd.),
Paris, Éditions Gallimard, 1993, p. 254.
144
Cf. J.-L. BARRE, Jacques et Raïssa Maritain. Les mendiants du ciel, op. cit., p. 198.
145
Cf. M. SACHS, La Décade de l’illusion, Paris, Éditions Gallimard, 1950, p. 191.
146
Cocteau J., Maritain J., Correspondance 1923-1963, op. cit., p. 18.
Les racines de la réflexion anthropologique 41
morale du Christ »147. C’est dans cette perspective que Maritain considère que
celui qui cherche la vérité doit avoir l’esprit dur mais le cœur doux148. Il fait ainsi
preuve de sa rigueur de scientifique tout en gardant toute sa tendresse et son
indulgence pour l’être humain (voir son attitude face à l’homosexualité de Jean
Cocteau qui le montre clairement). Mais avec le temps, leur divergence sur la
vision du monde et de la religion mettra à dure épreuve leur amitié dont seule la
mort de Cocteau en 1963 sonnera la fin149. Le lien amical avec le poète atteste à la
fois « d’un grand devoir envers la vérité » chez Maritain face à « la nouvelle
morale » établie par Cocteau où « la vérité n’est la vérité »150 et la conscience de la
responsabilité envers les autres lorsqu’il dit : « l’idée que vous pouvez faire du
mal à une autre âme m’est insupportable »151. Dans la recherche de Maritain,
l’attitude du poète présente un danger réel à vouloir trop valoriser l’humanisme
et à omettre Dieu. Le questionnement moral qui en résulte bouleverse Maritain
en lui permettant d’appréhender la dimension métaphysique de la morale. La
défense de sa valeur intelligible l'incite à la plus grande sévérité envers Cocteau.
Maritain la justifie ainsi : « Faire des taches, abîmer une toile pour rencontrer à la
fin beauté inconnue, et plus pure, un poète le peut ; dans l’ordre moral c’est
impossible, absurde. Dieu seul tire le bien du mal, ça lui est réservé. En poésie,
vous avez à créer le monde. Dans la vie, vous êtes dans un monde déjà fait, là il
n’y a qu’un poète »152. La publication du Livre blanc de Cocteau lui a donné
l'impulsion pour affiner sa position sur la moralité. Il y manifeste l’intransigeance
de sa pensée et déclare que la fidélité à Dieu et l’omission de ses préceptes sont
inconciliables parce qu'elles valorisent trop la liberté humaine au détriment de
l’ordre moral. Finalement, la vision du monde se trouve amputée de la
transcendance. Dans son différend avec Cocteau, c'est cet aspect du modernisme
dont il lui garde grief.
En conséquence, il prend ses distances avec le poète, alors qu'il a plus
d'indulgence pour les positions de Julien Green. Ici, selon Yves Floucat, c'est la
personnalité de Julien Green qui touche Maritain parce « qu’elle comporte des
promesses mais aussi de possibles dangers »153. Il vit très mal son homosexualité,
source pour lui de grande souffrance morale. Cela le mène à solliciter l'aide de
Maritain qui devient son directeur spirituel et joue un rôle clé dans son retour à
l’Église en 1939154. Les exemples des deux écrivains illustrent non seulement la
posture missionnaire de Maritain, son affirmation de l’existence d’une loi
suprême grâce à laquelle, dans l'amour, l'homme retrouve son moi, mais aussi la
conviction que c'est Dieu seul qui détient le pouvoir de délivrer de l’homme en
147
Ibid., p. 174.
148
Cf. Réponse à Jean Cocteau, Œuvres Complètes, t. III, 1984, p. 724.
149
Cf. Cocteau J., Maritain J., Correspondance 1923-1963, op. cit., p. 149.
150
Ibid., p. 168.
151
Ibid., p. 154.
152
Ibid., p. 153.
153
Y. FLOUCAT, « Julien Green et Jacques Maritain ou l’amour du vrai et la fidélité du
cœur », dans : Y. FLOUCAT, B. HUBERT (éd.), Jacques Maritain et ses contemporains,
Paris, Desclée, 1991, p. 82.
154
Cf. Green J., Maritain J., Une grande amitié. Correspondance 1926-1972, PIRIOU J.-P.
(éd.), Paris, Plon, 1979, p. 70.
42 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
155
Cf. Cocteau J., Maritain J., Correspondance 1923-1963, op. cit., p. 150.
156
Correspondance Gino Severini, Jacques Maritain (1923-1966), G. RADIN (éd.), Firenze,
Leo S. Olschki Editore, 2011, p. 12.
157
Cf. Art et Scholastique, Œuvres Complètes, t. I, 1986, p. 641.
Les racines de la réflexion anthropologique 43
158
Correspondance Gino Severini, Jacques Maritain (1923-1966), op. cit., p. 196. Cf. CH.
BLANCHET, « Jacques Maritain, chantre de l’être », CJM, 4-5 (1982), p. 128-140.
159
Cf. L’intuition créatrice dans l’art et dans la poésie, Œuvre Complète, t. X, 1985, p. 361.
160
Correspondance Gino Severini, Jacques Maritain (1923-1966), op. cit., p. 59.
161
Cf. R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 368.
162
Cf. L’intuition créatrice dans l’art et dans la poésie, Œuvres Complètes, op. cit., p. 198.
163
Cf. G. LUROL, « Maritain et Mounier », dans : M. BRESSOLETTE, R., MOUGEL (dir.), Jacques
Maritain face à la modernité, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1995, p. 245-
269 ; W.-J. FOSSATI, « Jacques Maritain et Emmanuel Mounier On America : Two
Catholic Views » dans : J.-G. TRAPANI (éd.), Truth Matters, Essays in Honor of Jacques
Maritain, Washington, Catholic University of America Press, 2004, p. 273.
44 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
164
Maritain J., Mounier E., Correspondance 1929-1939, J. PETIT (éd.), Paris, Desclée de
Brouwer, 1973, p. 136.
165
Ibid., p. 54.
166
Ibid., p. 158.
167
Cf. Ibid., p. 48.
168
Ibid., p. 51.
Les racines de la réflexion anthropologique 45
169
Cf. Ibid., p. 87.
170
Ibid., p. 80.
171
Cf. de Lubac H., Maritain J., Correspondance et rencontres, J.-M. GARRIGUES, R. MOUGEL
(éd.), Paris, Editions du Cerf, 2012, p. 28.
172
G. PROUVOST, « Jacques Maritain-Etienne Gilson : le dialogue de l’amitié et de la pensée
(1923-1973) », dans : Y. FLOUCAT, B. HUBERT, Jacques Maritain et ses contemporains,
Paris, Desclée, 1991, p. 256.
173
Cf. Gilson É., Maritain J., Deux approches de l’être. Correspondance 1923-1971, G.
PROUVOST (éd.) Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, 1991, p. 111.
174
J. MARITAIN, Le Paysan de la Garonne, op. cit., p. 16.
46 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
les deux amis, Maritain et Journet, ne s’opposent pas aux idées conciliaires, mais
plutôt à la réception erronée de ses postulats par le milieu ecclésiastique175. Dans
ce contexte, le « Credo de Paul VI » fut une réponse à la crise. C’est Maritain, sous
l’influence du cardinal Journet, qui prépare l’ébauche de Credo du peuple de
Dieu. Ensuite, le philosophe dresse la liste des dérives des années de l’après-
Concile et défend la dimension métaphysique de la vérité dans son livre Le
Paysan de la Garonne. Il en résulte que l’écrivain lie étroitement les données
spéculatives avec l’action. L’interaction entre la théorie et la pratique est un
élément fondamental de sa recherche anthropologique. Pour Maritain, la pensée
et l’action forment un tout. Il en découle que l’action chez Maritain et le jugement
qu’il porte sur les événements, ne sont que l’aboutissement concret de sa pensée,
et le moyen de témoigner de la vérité176. Dans les années 30, Maritain met l'accent
sur la dimension pratique de sa philosophie. Ainsi, le philosophe aborde le sujet
de la liberté à l’Institut Catholique de Paris jusqu’à 1939 et présente ses pensées
fondamentales sur la morale en 1939 dans l’essai La conquête de la liberté.
Ensuite, il creuse la question des fondements philosophiques de la morale
pendant des cours à Toronto (1943), dans l’essai Le premier acte de liberté (1945)
et dans le Court traité de l’existence et de l’existant, son livre fondamental afin
de comprendre sa voie anthropologique. Son parcours sur la morale aboutit avec
les ouvrages La Loi naturelle (1950), L’Homme et l’État (1951), Neuf leçons sur
les notions premières de la philosophie morale (1951), La philosophie morale
(1960).
Étienne Gilson, lui aussi, voit dans le personnage de Maritain un
défenseur de la vérité. Pour notre philosophe, « aucun problème vital pour
l’homme ne se pose, aucun drame humain ne se noue en aucun point de la
planète, sans que la Sagesse ne s’y porte avec lui pour rendre témoignage à la
vérité »177. Dans l’échange épistolaire avec l’historien, ce sont la préoccupation sociale
et la vision de la chrétienté qui ont été exposées avec précision. Elles sont traitées en
priorité dès le début des années 30. Maritain y expose ses idées de la permanence
de la vérité qui suppose l’irréversibilité de l’histoire. Ainsi, l'histoire préside à
chaque époque et grâce à l’analogie, on peut la trouver sous des formes
différentes178. Autrement dit, la vérité sur l’homme reste immuable, mais elle se
manifeste de différentes manières. Ce fil rouge est explicité en particulier dans
Religion et culture (1930) pour trouver son point culminant dans Humanisme
intégral (1936). Sa vision anthropologique se heurtera à maintes critiques et
Maritain sera considéré comme un progressiste. Néanmoins, la considération de
l’être humain dans le contexte actuel de l’existence, tout en gardant la continuité,
donne à cette pensée ses lettres de noblesse.
Maritain partage avec Gilson la même approche de la philosophie
spéculative autour de la question anthropologique que les deux thomistes
analysent en profondeur. Dans leur dialogue, ils mettent en relief, non seulement
175
Cf. M. FOURCADE, « Le Paysan de la Garonne : les enjeux d’une réception », Revue des
Sciences Religieuses, 81(2007)4, p. 461-480.
176
Cf. Raison et raisons, Œuvres Complètes, t. IX, 1990, p. 261-262.
177
Gilson É., Maritain J., Deux approches de l’être. Correspondance 1923-1971, op. cit., p.
262.
178
Cf. Ibid., p. 34.
Les racines de la réflexion anthropologique 47
l’essence, mais aussi l’existence. Cette « distinctio realis » est la pierre d’angle de
la philosophie chrétienne, dont l’intelligence se suffit à elle-même pour établir
cette vérité179. Néanmoins, dans cet échange d'idées, Maritain ne concède rien de
son autonomie de penseur. Tandis que Gilson affirme la nécessité de
l’enseignement du pur thomisme sans aucune interprétation personnelle,
Maritain a le courage d’intégrer ses propres idées à celles de Saint Thomas. Ce
point de divergence prouve une fois de plus que Maritain concilie la double
exigence d'indépendance intellectuelle et de fidélité à la lettre du thomisme. Le
philosophe s’est servi du génie de Saint Thomas afin d’en dégager les vérités lui
permettant de faire face aux dérives du modernisme. C’est la raison pour laquelle
Maritain est davantage sensible à la dimension anthropologique, à l'opposé de
Gilson qui s'attache surtout à la théologie. Ce dernier rejette par exemple
l’intuition intellectuelle de l’être constituant le socle de l’anthropologie chez
Maritain180. Il n’en reste pas moins que tous les deux questionnent la vérité de
l’être et partagent la même vision de la Révélation judéo-chrétienne qui a initié
la discussion sur Dieu dans l’existence humaine et le débat sur l’homme dans sa
complexité d'être charnel et spirituel. C’est bien cette grande thématique qui,
selon Maritain et Gilson, englobe la notion de philosophie chrétienne.
179
Cf. Ibid., p. 65.
180
Cf. Ibid., p. 168.
181
Lettre sur l’indépendance, Œuvres Complètes, t. VI, 1984, p. 255.
182
Cf. Ibid., p. 257.
183
Cf. Pour la Justice et la Paix, Œuvres Complètes, t. VI, 1984, p. 1040-1042.
184
Cf. Ibid., p. 1041.
48 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
L’Action française
185
Cf. Id., Carnet de Notes, op. cit., p. 180.
186
R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 339.
187
Cf. Ibid., p. 344.
188
Cf. J.-L. BARRE, Jacques et Raïssa Maritain. Les mendiants du ciel, op. cit., p. 331.
189
R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 343.
190
Cf. Une opinion sur Charles Maurras, Œuvres Complètes, t. III, 1984, p. 770.
Les racines de la réflexion anthropologique 49
La guerre d’Espagne
191
Cf. G. M. REICHBERG, « Jacques Maritain, l’Espagne et la guerre Sainte », Revue Thomiste,
115(2015)2, p. 215-233 ; J.-M. GARRIGUES, « J. Maritain face à un catholicisme de croisade :
Espagne (1934-1937) », CJM, 63(2011), p. 34-55.
192
On trouve l’intégralité de cet article dans la préface au livre d’Alfred Mendizabal,
intitulée Considérations françaises sur les choses d’Espagne, Œuvres Complètes, t. VI,
1984, p. 1236.
193
Ibid., p. 1243.
194
Maritain rédige entre outre le Manifeste à propos des troubles de Vienne. Ensuite il
prépare avec les autres philosophes le manifeste Pour le bien commun comme la
réaction contre de la maltraitance des peuples français par la bourgeoisie. Enfin il
montre il montre son regarde prudent sur la guerre en Espagne. Ibid., p. 1215-1255.
195
M. BRESSOLETTE, « Jacques Maritain et la guerre civile en Espagne », CJM, 9(1984), p. 33-
42.
50 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
196
J. MARITAIN, « Avant-propos », CJM, 9(1984), p. 51.
197
Cf. Un cri d’alarme, Œuvres Complètes, t. VI, 1984, p. 1178.
198
Cf. R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 367.
199
Cf. E. LOYER, Paris à New York. Intellectuels et artistes français en exil 1940-1947, Paris,
Grasset, 2005, p. 86.
200
Cf. M. FOURCADE, « Jacques Maritain et l’Europe en exil (1940-1945) », CJM, 28(1994), p.
5-38.
Les racines de la réflexion anthropologique 51
le cours des événements, comme l'expose très clairement l’article daté du 21 juin
1940 Dix mois après. Maritain nous affirme : « Je n’ai d’espérance absolue qu’en
Dieu, et d’espérance temporelle que dans le peuple, je veux dire dans le bien
dont le peuple est capable quand sa tête est saine »201. Il en résulte que son étude
de l’homme et la notion de peuple tiennent une place de choix, intimement
imbriquée dans l’action politique. En ce sens, le peuple, pour le philosophe, d’un
côté peut être porteur de la spiritualité et de la moralité, et de l’autre gardien des
valeurs quelles qu’elles soient. C’est bien cette conception du peuple qui apporte
l’espérance face aux dangers de l’époque202. Durant les années de la guerre, son
combat pour la vérité reste toujours une priorité. La question de l’anthropologie
y tient notamment une grande place. Il s’intéresse aux principes de la morale et
à ses fondements philosophiques. Il en résulte la publication de La philosophie
morale qui affirme une fois de plus l’homme comme point central de sa
recherche. Les deux ouvrages de la période de la guerre sont les plus significatifs
quant à l’anthropologie chez Maritain : Scholasticism and Politics (1940) et
Ransoming the Time (1941).
Son séjour en Amérique lui offre l'occasion de se faire une autre idée de
la démocratie, vu comme un espace de la collaboration de tous les membres de
la société, y compris l’Église. Même s'il a un jugement complet et profond sur la
question, l’expérience américaine lui ouvre une autre perspective : celle de la
coexistence possible et cohérente entre les hommes de différentes cultures et
origines. Ce constat l'amène à parler de la nouvelle démocratie, purgée de
l’individualisme bourgeois et accueillante pour chaque personne humaine. En
Amérique, il « a eu une réelle expérience de la démocratie concrète, existentielle,
nous dit-il, de la démocratie non comme un ensemble de slogans abstraits ou
comme un idéal élevé, mais comme quelque chose de réel et d’humain »203. En
vantant le système démocratique et fédéral favorisant la liberté humaine,
Maritain poursuit sa démarche vers une forme de révolution dans l’esprit des
peuples car « si la rénovation n’est pas d’abord morale, rien ne sera vraiment
renouvelé »204. Son séjour en Amérique et l’expérience de la démocratie
américaine nourrit son espoir de l'avènement de la nouvelle chrétienté. Jean-Luc
Barré cite à cet effet l'expression « l’énergie créatrice de l’histoire » qui oriente le
monde, selon Maritain, « vers une prise de conscience de son destin collectif, vers
l’émancipation politique des peuples soumis au régime colonial, à la tutelle des
idéologies comme à l’emprise de l’État »205. C’est pour cela que Maritain met sa
confiance dans la force du peuple afin de proclamer les droits de l’homme et de
vivre en harmonie avec les autres. Le philosophe se sent responsable de
l’éducation des gens dans le domaine des pensées et des idées motrices dans le
futur système. Dans ce contexte, le philosophe diffuse de 1941 à 1944 ses
messages206 par la radio et publie Christianisme et démocratie (1943).
201
L’article se trouve dans un livre Pour la justice qui constitue un recueil des discours et
des articles de philosophe, Œuvres Complètes, t. VIII, 1989, p. 536.
202
Cf. R. MOUGEL, « Les années de New York 1940-1945 », CJM, 16-17(1988), p. 7-28.
203
Réflexions sur l’Amérique, Œuvres Complètes, t. X, 1990, p. 891.
204
De la justice politique, Œuvres Complètes, t. VII, 1988, p. 304.
205
J.-L. BARRE, Jacques et Raïssa Maritain. Les mendiants du ciel, op. cit., p. 527.
206
Cf. Messages 1941-1944, Œuvres Complètes, t. VIII, 1989, p. 381-508.
52 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
207
Cf. J.-D. DURAND, « La grande attaque de 1956 », CJM, 30(1995), p. 2-31.
208
Cf. R. MOUGEL, « Jacques Maritain et la Déclaration universelle des Droits de l’Homme
1948 », CJM, 61(2010), p. 68.
209
Cf. Principes d’une politique humaniste, Œuvres Complètes, t. VIII, 1989, p. 270-272.
Les racines de la réflexion anthropologique 53
ne pas revenir à l’ancienne Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 mais d'en
établir une nouvelle qui garantit les droits fondamentaux de l’homme et affirme
la dignité inaliénable de la personne humaine210. Le fait que Maritain élabore les
Droits sur une assise philosophique et morale est d'une importance capitale. C'est
sa grande contribution à la version finale de la Charte. Elle lui offre l'occasion de
formuler ses propositions de façon logique et bien ordonnée. Il s'ensuit la
publication en 1942 du livre Les droits de l’homme et la loi naturelle. Cet exposé
exhaustif de sa conception des droits de l'homme constitue une publication
primordiale. La réflexion sur la dignité de l’homme et la conscience humaine
ainsi abordée permet de comprendre la dimension anthropologique du devoir et
du nécessaire.
Le travail sur les droits communs à chaque être humain ouvre à
Maritain la porte du pluralisme permettant aux hommes de coexister en
harmonie. En novembre 1947, Maritain participe à Mexico à la Seconde
Conférence Générale de l’Unesco en remplacement de Léon Blum qui est
malade. Là, le philosophe s’oppose aux idées matérialistes de Julien Huxley et
expose l’idée du respect de chaque être humain dans sa culture, sa race, sa
religion. Ces différences ne sont pas pour Maritain un motif de division parce
que chaque homme à la base présente les mêmes besoins fondamentaux.
Autrement dit, malgré les différences extérieures, les hommes sont unis par leur
nature. Il est alors tout à fait possible de collaborer avec chaque personne et le
pluralisme ne détruit en aucun cas l’équilibre social. Jean-Luc Barré souligne que
cela conduit Huxley lui-même à mettre en sourdine son credo matérialiste211.
Maritain ne rédige pas la Déclaration Universelle des Droits de
l’Homme. Néanmoins, il influence sa rédaction par sa voix philosophique, ce qui
correspond mieux à sa position de philosophe. Il importe de dire qu’il cherche la
base rationnelle des droits fondamentaux, afin de mettre en valeur la personne
humaine et sa spécificité par rapport aux autres créatures. Charles Blanchet
affirme ainsi que Maritain, meurtri par la faiblesse morale et intellectuelle des
démocraties occidentales, propose la solution : « pour résister, réunir des
hommes dans un projet commun, la démocratie a besoin d’une foi, et d’une foi
qui repose sur des fondements rationnels capables de forger une conviction212.
C’est ainsi que le philosophe prépare le terrain dans le milieu catholique afin qu'il
adhère à la Déclaration. Une fois de plus, notons son souci constant de lier la
philosophie à l’action. Ainsi, il parvient à influencer l'opinion des hommes
d'Église et à leur faire accepter la Déclaration ainsi que son application concrète.
210
Cf. Correspondance entre Jacques Maritain et le général de Gaulle 1941-1942, CJM, 16-
17(1988), p. 62.
211
Cf. J.-L. BARRE, Jacques et Raïssa Maritain. Les mendiants du ciel, op. cit., p. 513.
212
Cf. CH. BLANCHET, « Primauté du spirituel et passion du temporel dans l’œuvres de
Jacques Maritain », dans : J.-L. ALLARD et al. (dir.), L’humanisme intégral de Jacques
Maritain, Colloque de Paris, Paris-Fribourg, Éditions Saint-Paul, 1988, p. 71.
54 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
213
Cf. A. AMOROSO LIMA, « Maritain et l’Amérique latine », Revue Thomiste, 48(1948)1-2,
p. 12-17.
Les racines de la réflexion anthropologique 55
214
Cf. PH. CHENAUX, Paul VI, le souverain éclairé, Paris, Éditions du Cerf, 2015, p. 254.
215
Cf. PH. CHENAUX, Paul VI et Maritain. Les rapports du « montinianisme » et du
« maritanisme », Brescia-Roma, Istituto San Paolo VI-Edizioni Studium, 1994, p. 92.
216
PH. CHENAUX, « Paul VI et Maritain », dans : Y. FLOUCAT, B. HUBERT (dir.), Jacques
Maritain et ses contemporains, Paris, Desclée, 1991, p. 336.
217
Id., Paul VI et Maritain, op. cit., p. 113. Dans l’annexe on retrouve l’une des interventions
de Jacques Maritain, celle sur la liberté religieuse.
218
Cf. J.-L. BARRE, Jacques et Raïssa Maritain. Les mendiants du ciel, op. cit., p. 557.
56 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
Conclusion
La question anthropologique devient primordiale aux yeux de Maritain
à partir de 1935. La tournure inquiétante que prennent les événements l'amènent
à une refonte de sa pensée philosophique sur la personne humaine en
privilégiant désormais le problème de la destinée humaine et de sa coexistence
avec les autres. Cela ne veut pas dire qu’elle ne le préoccupait pas à l'époque de
ses études puis de son engagement socialiste. Au contraire, l’influence des idées
bergsoniennes lui ouvre une large perspective de travail métaphysique et le
confirme dans la conviction que le matérialisme de l’époque présente une fausse
vision de l’homme et de la connaissance. Il en résulte que le temps
d’interrogation avant la conversion, l’approfondissement du thomisme après le
baptême, et ensuite l’expérience de l’avant-guerre et de l’après-guerre
l’encouragent, non seulement à aborder le sujet de l’être humain, mais aussi à
proposer des solutions : une révolution spirituelle, le renouvellement des
consciences et même l’idée de la création de la Société des Nations.
Le contexte historique de la voie philosophique de Maritain démontre
un développement progressif de sa réflexion anthropologique. Au début, il
n'aborde pas la question anthropologique. En revanche, le philosophe se montre
soucieux de s'approprier la vérité de son existence en la cherchant dans
l'engagement polyvalent et son attrait pour la philosophie. Raïssa nous le
présente ainsi : « malgré tout ce qui pouvait nous en détourner, nous persistons
à chercher la vérité – quelle vérité ? – à porter en nous l’espérance d’une
plénitude d’adhésion possible à une plénitude d’être »221. Il est clair que c'est la
vérité seule qui préserve l’homme. L’affirmation de la vérité veut dire l’élévation
de l’être humain à sa juste place dans le monde moderne : « si on n’aime pas la
vérité, on n’est pas un homme »222 confie-t-il à la fin de sa vie. Dans cette
perspective, la recherche de Maritain n'est que la redécouverte de l’identité
219
J. KALINOWSKI, S. SWIEZAWSKI, La philosophie à l’heure du Concile, Paris, Les Presses
universitaires de l’IPC, 2014, p. 46.
220
J. MARITAIN, Le Paysan de la Garonne, op. cit., p. 13.
221
R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 78.
222
J. MARITAIN, Le Paysan de la Garonne, op. cit., p. 128.
Les racines de la réflexion anthropologique 57
humaine, telle qu'elle nous est présentée par Saint Thomas d’Aquin. C’est bien
dans cet espace que l’on découvre la spécificité de la vérité qui à la fois génère un
impératif et exige un acte d’intelligence.
Cette période de la quête de la vérité constitue donc un socle pour sa
recherche future sur l’homme au point qu’elle l’accompagnera tout au long de la
vie. En ce sens, Jean-Luc Barré a raison lorsqu’il constate que « chez Maritain
l’œuvre et la vie se répondent et renvoient sans cesse l’une à l’autre »223. C’est
pour cela que l’on perçoit chez Maritain un lien étroit et inséparable entre la
période du questionnement existentiel pendant ses études et la période où il
présente sa propre vision du monde. On pense que la première période est même
primordiale car elle est celle qui conduit à la recherche sur l’homme. On le voit
clairement dans ses écrits fondamentaux du point de vue de l’anthropologie. Au
début, Maritain se contente de transmettre la vision de l’homme, telle qu’elle est
présentée par l’Aquinate. En revanche, postérieurement il affine sa vision en
s’appuyant sur l’expérience de la vie (l’Action française, la guerre d’Espagne ou
son séjour en Amérique). Il n’en reste pas moins que Maritain garde la ligne
thomasienne de sa philosophie, thème qui sera abordé dans cette étude.
La vie de Jacques Maritain considérée dans son ensemble se présente
comme un dialogue permanent avec le monde moderne, qui se fonde sur la
conception de l’homme, bien enracinée dans l’intelligence, comme nous le dit
Jean Paul II : « en face des monstrueuses aberrations de notre siècle que sont les
totalitarismes avec leurs séquelles d’horreurs et de souffrances, il s’était persuadé
qu’une juste conception de la personne humaine est à la base nécessaire de toute
construction sociale et politique digne de l’homme »224. Ainsi, le philosophe
démontre que le dialogue avec le monde pluraliste est possible à condition que
l’on se réfère aux vérités transcendantes et aux solutions héritées de la
philosophia perennis, y compris Saint Thomas d’Aquin. Une telle règle de
conduite exige un effort constant, comme le montrent les actes héroïques de la
propre vie de Jacques Maritain.
223
J.-L. BARRE, Jacques et Raïssa Maritain. Les mendiants du ciel, op. cit., p. 247.
224
Message de Jean Paul II à l’occasion du congrès « Jacques Maritain aujourd’hui »
organisé par l’Université Catholique du Sacré Cœur à Milan du 20 au 23 octobre 1982,
CJM, 4-5(1982), p. 60-63.
58 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
1
Cf. S. FUMET, « Amour de la sagesse et amitié des hommes », dans : E. BORNE (dir.), Jacques
Maritain, coll. « Recherches et débats » du centre catholique des intellectuelles français,
vol. 19, Paris, Arthème Fayard, 1957, p. 24.
2
Le Docteur Angélique, Œuvres Complètes, t. IV, 1983, p. 65. Cf. S. GUENA, « Maritain et la
Révolution », CJM, 61(2010), p. 34-64.
Les intuitions thomistes 59
3
Le Docteur Angélique, Œuvres Complètes, op. cit., p. 66.
4
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 929.
5
Cf. Lettre sur l’indépendance Œuvres Complètes, op. cit., p. 259-261.
6
Cf. Id., Le Paysan de la Garonne, op. cit., p. 162 ; Charles Blanchet montre dans sa
recherche que la « déchéance ontologique » constitue une sorte de mutilation de
l’homme. CH. BLANCHET, « Maritain face à la modernité », op. cit., p. 11-31.
60 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
La dégradation de l’intelligence
7
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 935.
8
Ibid., p. 936.
9
Le crépuscule de la civilisation, Œuvres Complètes, t. VII, 1988, p. 12.
10
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1039.
11
Ibid., p. 1038.
12
Ibid., p. 1038.
Les intuitions thomistes 61
13
Le crépuscule de la civilisation, op. cit., p. 15.
14
Ibid., p. 14.
15
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1023-1024.
16
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 190.
17
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1025.
62 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
observables dans la nature18. C’est ainsi que la valorisation des sciences modernes
et la négligence d’autres modes de connaissance provoquent une dépréciation
de la philosophie. Même Bergson, dont la philosophie l’a ouvert à l’Absolu, ne le
satisfait pas. La vision bergsonienne de la connaissance intellectuelle, incapable
d’atteindre l’essence des choses, est inacceptable pour Maritain qui se tourne vers
l’intuition abstractive de l’être, apte non seulement à atteindre l’essence des
choses, mais aussi à découvrir le vrai des choses.
Le péril le plus grave qui guette la vision du monde est une carence,
voire une disparition des références métaphysiques dans l’espace social et
scientifique. Le positivisme et le scientisme ont tracé une autre méthode de
recherche tout en limitant leur portée aux données définies par des sciences
exactes. L’orientation positiviste a gagné aussi bien l’ontologie, où la science
s’appuie sur le matérialisme, que la théorie de la connaissance, où l’homme ne se
réfère plus aux principes transcendantaux mais au progrès technique devenu son
bien suprême. Voyant la grande désaffection pour ces deux dimensions (la
théorie de la connaissance et de l’être), Maritain s’oriente vers le thomisme afin
d'occuper ce terrain de recherche laissé en friche pour lui redonner ses lettres de
noblesse, en présentant une conception de l’homme bien ancrée dans le réel. Le
réalisme existentiel de l’Aquinate lui a permis de construire sa vision de l’homme
sur « la primauté de l’existence, mais comme impliquant et sauvant les essences
ou natures »19. Ainsi, Maritain discute avec l’existentialisme de Heidegger, afin
de nier la valorisation de l’existence qui supprimerait ou dévaluerait l’essence.
La dépréciation de la métaphysique se traduit non seulement dans le
regard sur le monde, mais aussi dans l’appréhension des valeurs morales. En
s’opposant au conformisme éthique, Maritain aborde le caractère intellectualiste
de la conduite morale. La déficience de l’intelligence tient au fait qu’elle refuse
l’ordre surnaturel en le considérant comme inatteignable, voire impossible. Le
naturalisme qui en découle dénie non seulement la dimension de la grâce, mais
aussi l’aspect ontologique de l’action humaine. Le rapport au sacré est
complétement remis en cause et Dieu n’est plus celui qui établit les principes
sociaux ou moraux. L’État se définit par des catégories profanes qui exaltent la
puissance de la raison et de la volonté des citoyens. Pour Maritain, l’oubli de Dieu
a des conséquences très concrètes : « le monde moderne leur a enseigné que Dieu
s’élaborait dans l’homme, il a renversé l’ordre, fait l’Acte pur dépendant de nous.
Des prémisses qu’on leur a apprises, ils ont au moins le mérite de tirer la
conclusion : Désespoir. Hélas, ils cherchent Dieu dans la destruction d’eux-
mêmes. L’instinct de leur âme immortelle, (…) les jettent vers un absolu qu’ils
croient devoir inventer, ignorant qu’il est là, plus intime à eux qu’eux-mêmes, car
c’est lui qui les a faits »20.
Poursuivant ses réflexions, le philosophe montre qu’il s'ensuit une autre
dérive de l’intelligence : la vision de l’être humain comme un esprit pur et parfait.
Cela conduit à présenter l’homme comme entièrement autonome, autosuffisant
et maître de la nature. C’est cette attitude que Maritain appelle l’individualisme
anthropocentrique ou l’angélisme et qui conduit à emprisonner l’homme en lui-
18
Cf. Ibid., p. 1031.
19
Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 15.
20
Cocteau J., Maritain J., Correspondance 1923-1963, op. cit., p. 340.
Les intuitions thomistes 63
21
Cf. Le Docteur Angélique, Œuvres Complètes, op. cit., p. 98.
22
Ibid., p. 70.
23
Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 13.
24
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1035.
25
R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 62.
26
S. FUMET, « Amour de la sagesse et amitié des hommes », op. cit., p. 33.
64 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
27
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1011.
28
Trois Réformateurs, Luther – Descartes – Rousseau, Œuvres Complètes, t. III, 1984, p.
487.
29
Le crépuscule de la civilisation, Œuvres Complètes, op. cit., p. 14.
30
Primauté du spirituel, Œuvres Complètes, op. cit., p. 787.
31
Le crépuscule de la civilisation, Œuvres Complètes, op. cit., p. 15.
Les intuitions thomistes 65
elle a détruit cette relation de nature supérieure qu'elle pouvait avoir avec la
sphère rationnelle. La vision du monde a été fondée aux dépens de l’intelligence
et au mépris de la vérité. Et c’est bien cette découverte qui est fondamentale pour
comprendre à la fois l’attitude de Maritain à l’égard du modernisme et son
ouverture au thomisme. De ce fait, la déficience la plus grave est « qu’il n’y a alors
aucun effort pour restaurer, dans le domaine de la spéculation rationnelle, la
philosophia perennis qui est la philosophie de l’Église, parce qu’elle est celle des
évidences naturelles de la raison »32. Il en résulte que la médiocrité du
modernisme a provoqué une méconnaissance de l’intelligence. Pour Maritain,
elle exige toujours un effort de la part de l’homme et suppose le développement
et le perfectionnement constant de la pensée philosophique. Finalement, le
modernisme en négligeant l’intelligence se prive de la métaphysique, ce qui
provoque à la fois l'abandon des premiers principes et introduit le subjectivisme
dans la philosophie. Cetteanalyse - amène le philosophe à la conclusion
suivante : « la restauration de la philosophie qui se fonde sur les évidences
premières de l’intelligence et sur les évidences premières de l’expérience
sensible, et qui se montre partout, et toujours docile à la réalité, je veux dire de la
philosophie d’Aristote et de Saint Thomas »33. Grâce à l’Aquinate, Maritain
découvre l’aptitude cognitive de la connaissance intellectuelle qui est la voie vers
l’appréhension du réel. Finalement, cette idée sera développée chez Maritain
dans la conception de l’intuition de l’être.
La confusion entre l’ordre matériel et l’ordre formel déforme à son tour
le réel. Selon Maritain, la disjonction et l’oubli du passé sont à l'origine d’un
désordre entre la dimension spirituelle et matérielle. La première, dégradée, perd
sa place privilégiée alors que la seconde affirme son rôle avant tout par le progrès.
En ce sens, Maritain prend le contre-pied de la philosophie moderne qui
déterminait la vision de l’homme pendant presque trois siècles, et cherche la
vérité dans l'héritage du passé parce qu’il « fait lui-même (le modernisme) de
l’opposition au patrimoine humain sa spécificité propre, hait et méprise le passé,
et s’adore, et parce que nous haïssons et méprisons cette haine et ce mépris, et
cette impureté spirituelle »34. Et quoi qu’il en soit, l’homme a besoin de cet
héritage avec lequel le modernisme tend à rompre. Maritain l’explique ainsi : « la
manière de philosopher des modernes, parce qu’elle implique dès le principe le
mépris de la pensée des générations précédentes, doit être appelée barbarie
intellectuelle. Et comme, par là même, elle substitue de fait la poursuite de
l’originalité à celle de la vérité, et soumet le savoir, en définitive, au
particularisme du sujet philosophant »35. Les dérives qui en résultent entraine
Maritain à lire Aristote et Saint Thomas d’Aquin dans la continuité historique,
afin de démontrer qu’il y a une cohérence entre la philosophie de Stagirite et
scolastique. Ces considérations permettent d'aborder un autre aspect du
modernisme que Maritain combattait : le matérialisme. La vision de l’homme, qui
tend vers sa destinée purement temporelle et sans Dieu, ouvre à Jacques Maritain
32
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1013.
33
Ibid., p. 1018.
34
Ibid., p. 933-934.
35
Ibid., p. 931-932.
66 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
36
Id., Carnet de Notes, op. cit., p. 92.
37
G. COTTIER, « Le philosophe et la foi », op. cit., p. 307-321.
38
C. LANGLOIS, « La naissance de l’intellectuel catholique », dans : P. COLIN (dir.),
Intellectuels chrétiens et esprit des années 1920, coll. Sciences humaines et religions,
Paris, Éditions du Cerf, 1997, p. 231.
39
Le Docteur Angélique, Œuvres Complètes, op. cit., p. 19.
40
Confession de foi, Œuvres Complètes, t. XI, 1991, p. 28.
Les intuitions thomistes 67
41
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 291.
42
Ibid., p. 184.
43
Ibid., p. 18-19.
44
Éléments de philosophie I, Œuvres Complètes, t. II, 1987, p. 97.
45
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 934.
68 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
Maritain va jusqu'à préciser qu’il faut imiter Saint Thomas dans sa « modernité »
et dans sa « hardiesse à innover, dans son courage intellectuel »46. Autrement dit,
le philosophe cherche dans les solutions proposées par l’Aquinate une réponse
aux problèmes actuels. Cela veut dire que le philosophe, à la différence de Gilson,
garde sa liberté de pensée par rapport à Saint Thomas. Néanmoins, en même
temps il se laisse inspirer par le génie du docteur Angélique et continue à diffuser
les idées scolastiques. L’attitude de Maritain démontre qu’il considère le
thomisme comme une tradition qui est toujours vivante et applicable aux défis
de l’époque. Le philosophe se pose en héritier de Saint Thomas, à côté de Cajetan
ou Jean de Saint-Thomas, dont il perpétue l'enseignement et s’en sert afin de
construire sa propre anthropologie. Dans cette perspective, le philosophe conçoit
le thomisme comme une « philosophie dont la pérennité est le caractère propre,
et qui donc est d’aujourd’hui comme d’hier, nous aimons le nouveau. Mais à une
condition, c’est que ce nouveau continue véritablement l’ancien, et s’ajoute, sans
la détruire, à la substance acquise »47.
46
Le Docteur Angélique, Œuvres Complètes, op. cit., p. 113. Maritain souligne le
renouvellement du thomisme dans un dialogue avec Jean Cocteau. Il dit ainsi : « le
temps est venu pour lui (thomisme) de travailler philosophiquement dans le profane,
de promener à travers le monde sa jeunesse renouvelée, sa curiosité, sa hardiesse, sa
liberté, et de rassembler ainsi l’héritage dispersé de la sagesse ». Cocteau J., Maritain J.,
Correspondance 1923-1963, op. cit., p. 337.
47
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 931.
48
J. LADRIERE, La foi chrétienne et le destin de la raison, Paris, Éditions du Cerf, 2004, p. 80.
Les intuitions thomistes 69
ne parvient à sa propre plénitude que si elle est aidée et vivifiée par les lumières
qui viennent de la foi »49.
L’appréhension du monde par l’Aquinate constitue pour Maritain la
réponse la plus rigoureuse à sa recherche de la vérité. Dans cette perspective, le
docteur Angélique n’est pas seulement un continuateur de l’œuvre d’Aristote. Il
l’a rénovée et réformée. Jean Paul II admire avec raison chez Maritain et chez
Gilson la découverte du thomisme comme doctrine autonome et leur courage
même de reformer celle de Stagirite50. Dans cette optique, Maritain en vient à
constater que Saint Thomas d’Aquin « laisse à la vérité toute sa grandeur (…)
Toute sa régulation est dans l’être, il est parfaitement rectifié à l’égard de son
objet. Rien d’autre que les nécessités intelligibles et les exigences des principes
suprêmes ne vient déterminer ses solutions »51. Mais il faut bien le préciser : cette
vérité a un caractère stable, même éternel, parce qu’elle « ne reconnaît pas de
critère chronologique »52. C’est ainsi que la vérité, telle que la formule Saint
Thomas d’Aquin, est toujours actuelle dans le contexte de temps moderne.
Maritain va encore plus loin dans ses réflexions sur le système scolastique et
présente une thèse audacieuse : « loin d’être un retour au passé, il sera une
grande nouveauté historique et un accomplissement authentiquement
moderne »53.
Pour Maritain, le thomisme présente des solutions aux problèmes
rencontrés en s’appuyant sur le rôle irremplaçable de l’intellect. C’est pourquoi
il propose de le répandre dans le monde pour que la vraie intelligence retrouve
tout son éclat, même dans un dialogue avec le modernisme. En s’appropriant la
vie intellectuelle, le thomisme pourrait aider à « dégager la vraie signification de
toutes les vérités partielles, (…) à animer la renaissance intellectuelle, (…) et à
informer l’intelligence commune »54. Dans ses analyses, Paul Valadier constate
l’influence de l’Aquinate sur Maritain en ces termes : « son attachement (de
Maritain) à la théorie et à la vérité se réduirait à un intellectualisme vide s’il n’était
pas rapporté à l’expérience originale toujours tacitement présente aux
élaborations les plus poussées »55. En ce sens, Maritain se sert de l’expression la
réparation intellectuelle afin de rehausser la place de Dieu en tant qu’objet
suprême de l’intelligence56 ; vérité négligée par les intellectuels de l’époque.
Finalement, la force intellectuelle de la doctrine thomasienne lui a permis de
combattre l’opinion selon laquelle la théologie n’avait pas sa place dans la
discussion scientifique et que la doctrine, telle qu’elle est présentée par l’Église,
n’avait aucune valeur méthodique. Cependant « en réalité, si la philosophie
49
De Bergson à Thomas d’Aquin, Œuvres Complètes, t. VIII, 1989, p. 34.
50
Cf. JEAN PAUL II, « N’ayez pas peur ! », André Frossard dialogue avec Jean Paul II, Paris,
Éditions Robert Laffont, 1982, p.75.
51
Le Docteur Angélique, Œuvres Complètes, op. cit., p. 106.
52
J. MARITAIN, Sept leçons sur l’être et les premiers principes de la raison spéculative, Paris,
Téqui, 1934, p. 8.
53
Le Docteur Angélique, Œuvres Complètes, op. cit., p. 15.
54
Id., Carnet de Notes, op. cit., p. 398.
55
P. VALADIER, Maritain à contre-temps. Pour une démocratie vivante, Paris, Desclée de
Brouwer, 2007, p. 16.
56
Cf. J. MARITAIN, Carnet de Notes, op. cit., p. 400.
70 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
thomiste signifie quelque chose, c’est que cette philosophie n’est pas une
philosophie de sacristie, mais de grand air ; elle tire toute sa force de ce qu’il y a
en l’homme de plus naturel : le sens et la raison, et l’Église ne la recommande
avec tant d’insistance que parce qu’ayant parmi nous le dépôt de la Vérité divine,
il lui importe essentiellement de veiller à la santé de notre raison »57.
Il en résulte alors que le système de l’Aquinate incite Maritain à aborder
la question anthropologique dans sa dimension sociale tout en s’appuyant sur
les données de la raison. Ce faisant, il essaye de répondre aux dérives
modernistes qui aboutissent à une dévalorisation de la personne humaine :
« j’éprouvai alors, nous dit-il, comme une illumination de la raison ; ma vocation
philosophique m’était rendue en plénitude »58. Jean-Luc Barré souligne le mérite
des Maritain d’une approche personnelle du thomisme, parce qu’il y trouve ainsi
« non seulement une armature doctrinale conforme à leurs attentes et à leurs
propres intuitions, mais plus encore la source d’une expérience de vie. La
singularité des Maritain par rapport au thomisme résidera moins dans la
coopération qu’ils apporteront à sa renaissance que dans l’emploi très personnel
qu’ils feront de ses principes »59. L’approfondissement du thomisme est pour
Maritain une forme d’apostolat. Son travail scientifique a l'ambition, non
seulement d’aborder les problèmes de l’époque, mais aussi de les interpréter à la
lumière de l’Aquinate qui permet d'y trouver une réponse. Il faut néanmoins
préciser que le thomisme n'est pas lié étroitement à la théologie. Il peut être traité
dans son autonomie. Maritain se dit « le philosophe » et, simultanément, il
entreprend la recherche sur Saint Thomas d’Aquin.
57
La Philosophie bergsonienne, op. cit., p. 27.
58
Id., Le Philosophe dans la Cité, op. cit., p. 23-24.
59
J.-L. BARRE, Jacques et Raïssa Maritain. Les mendiants du ciel, op. cit., p. 138.
60
Le Docteur Angélique, Œuvres Complètes, op. cit., p. 110.
Les intuitions thomistes 71
La force de l’intelligence
61
Cf. Ibid., p. 105.
62
Ibid., p. 108.
63
L’expression « l’obéissance au réel » a été utilisée par Étienne Borne afin de souligner un
lien étroit entre le réel et le vrai, imprégnant toute la philosophie de Maritain. E. BORNE,
« Souvenirs d’un commencement », dans : E. BORNE (dir.), Jacques Maritain, coll.
« Recherches et débats » du centre catholique des intellectuelles français, vol. 19, Paris,
Arthème Fayard, 1957, p. 43 ; M. GOGACZ, « Tomizm Maritaina », Więź, 16(1973)10, p.
17-31.
64
Théonas, Œuvres Complètes, t. II, 1987, p. 785.
65
Le Docteur Angélique, Œuvres Complètes, op. cit., p. 115.
72 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
L’apostolat de l’intelligence
66
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1044.
67
Ibid.
68
Le Docteur Angélique, Œuvres Complètes, op. cit., p. 25.
69
De Bergson à Thomas d’Aquin, Œuvres Complètes, op. cit., p. 33.
70
Le Docteur Angélique, Œuvres Complètes, op. cit., p. 109.
71
Théonas, Œuvres Complètes, op. cit., p. 775.
72
Le Docteur Angélique, Œuvres Complètes, op. cit., p. 69.
Les intuitions thomistes 73
73
Ibid.
74
Théonas, Œuvres Complètes, op. cit., p. 776.
75
Cf. Ibid.
76
Cf. E. MORAWIEC, Intellectual Intuition in the General Metaphysics of Jacques Maritain,
Frankfurt am Main, Edition Peter Lang, 2013, p. 41-43.
77
P. VALADIER, « Péril en démocratie : la post-vérité », Études. Revue de culture
contemporaine, 5(2017), p. 55-63.
74 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
L’acte d’exister
Jacques Maritain a trouvé chez Saint Thomas d’Aquin une autre clé,
éclaircissant sa vision de l’homme : l’acte d’exister, conçu comme la dimension
même du réel. En d’autres termes, grâce aux études de La Somme théologique,
le philosophe découvre une métaphysique dans sa version existentielle, et lui
donne une nouvelle perspective dans ses réflexions anthropologiques, car la mise
en relief de l’acte d’exister permet d’analyser le fond de la réalité en examinant,
à la fois ce qui est, et le fait qui est. Donc, la notion « être » signifie pour Maritain
un objet de l’intellect qui existe. En plus, pour lui, l’existence n’est pas inférieure.
Au contraire, elle constitue un tout avec l’essence. Dans cette perspective,
l’existence n’est pas accidentelle mais fait partie constitutive de chaque chose.
Une chose est réelle, lorsqu’elle existe. Autrement dit, la chose est destinée à
exister et, de ce fait, l’homme est capable de comprendre la réalité en elle-même.
L'existence permet alors de découvrir l’intelligibilité du réel. Pour Maritain,
l’existentialisme n’est pas un pur discours, mais le fondement même de
l’humanisme, car le regard sur l’homme exerçant l’acte d’existence permet de
percevoir une base immuable de la vie humaine et démontre une spécificité de
l’humain perceptible dans ses actes. Alors, l'existence peut être l’objet de la
connaissance intellectuelle et seconder dans la découverte des valeurs. C’est pour
cela que l’on classe le thomisme de Jacques Maritain dans la catégorie
existentielle. Elle permet de regarder l’homme, non seulement dans sa
dimension quantitative, mais aussi dans sa dimension qualitative, car l’existence
est « un acte d’exister qui subsiste par soi-même et qui n’est comme aucune des
choses qui sont »78. Le modèle existentiel de l’être dessine, à la fois la structure
essentielle de l’être, et ses actions, observables par l’expérience. Et c’est bien cet
aspect qui semble fondamental dans ces considérations. L’existence actualise
l’essence composée dans un être réel. De cette façon, elle indique aussi les actions
spécifiques de l’homme : « il y a des critères de vérité indépendants du
mouvement interne d’une pensée qui se fait, et tourner les esprits vers la doctrine
en effet puissamment cohérente mais indéfiniment progressive de Saint Thomas
d’Aquin, comme vers l’unique philosophie exclusivement commandée par ce qui
est »79. L’action de l’homme, tout autant que sa conduite morale, reste en liaison
étroite avec les principes universels. En analysant Saint Thomas d’Aquin,
Maritain précise que « l’ordre de la vie morale, c’est-à-dire de la raison, comme
pratique et comme conduisant l’agir de l’être humain à la vraie fin de cet être-là,
constitue un ordre spécifique et autonome, au sein de l’ordre métaphysique
universel ; mais fondé sur cet ordre ; et Dieu qui est le chef et le principe de
l’ordre universel et de la vie universelle »80.
78
De Bergson à Thomas d’Aquin, Œuvres Complètes, op. cit., p. 32.
79
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 18.
80
Ibid., p. 541.
Les intuitions thomistes 75
L’appréhension du « réel »
est Ipsum Esse subsistens »81. Grâce à L’Aquinate, Maritain découvre la place
capitale de la liberté et le rôle primordial de l’existence. La conception de
l’homme emprunte largement au thomisme la dimension communautaire du
personnalisme, en particulier la notion du bien commun. Le philosophe
privilégie avant tout la notion de la loi naturelle et la vision du réalisme, telle
qu’elle est exposée chez Saint Thomas d’Aquin.
Un nouvel humanisme
81
Mission de la pensée chrétienne, Œuvres Complètes, t. V, 1982, p. 1017.
82
De Bergson à Thomas d’Aquin, Œuvres Complètes, op. cit., p. 32.
83
Le crépuscule de la civilisation, Œuvres Complètes, op. cit., p. 19.
84
Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 21.
Les intuitions thomistes 77
pauvreté chérie de Saint François et qui, elle aussi, exige, si l’on veut servir, la
science du don de soi et de tout ce qui est à soi »85.
Avant même de se pencher sur l'actualité de la conception de l'homme,
il est nécessaire de comprendre les outils utilisés par Maritain, pour aborder la
réalité de l'être humain. Le philosophe montre que l’homme, du fait d’être une
créature spirituelle, a une aptitude naturelle et intellectuelle qui ne résiste pas à
l’être. Au contraire, elle peut le saisir : « Est-ce à dire que l’on doive nier
l’existence de toute expérience métaphysique ? On ne le croit pas (…). Étant
esprits, dit-il, par la meilleure partie de nous-mêmes, nous pouvons avoir une
expérience des choses de l’esprit, même en restant sur le plan naturel »86. Pour
lui, cette expérience intellectuelle est : l’intuition de l’être.
Il est tout d'abord nécessaire de comprendre les capacités cognitives de
l'homme, comme le fondement de toute recherche ultérieure. La spécificité de la
pensée anthropologique chez Maritain rejoint celle de sa théorie de la
connaissance. Elle légitime la posture du philosophe campée dans le réalisme
existentiel qui affermit la force naturelle de l’intelligence, contrairement
à l’idéalisme. Pour Maritain, la vie propre de l’intelligence révèle les données
réelles de la connaissance et ainsi, elle devient féconde.
85
R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 384.
86
Distinguer pour unir ou les Degrés du Savoir, Œuvres Complètes, op. cit., p. 763.
87
Le Docteur Angélique, Œuvres Complètes, op. cit., p. 151. Maritain cite l’encyclique de
Pie XI au numéro 14 où le Pape lui-même se réfère au commentaire thomasien de
l’Éthique à Nicomaque d’Aristote. Cf. ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, I, 1.
78 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
88
Cf. Ibid., p. 157.
89
Éléments de philosophie II, Œuvres Complètes, t. II, 1987, p. 283.
90
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 961.
91
Cf. P.-A. BELLEY, Connaître par le cœur. La connaissance par connaturalité dans les
œuvres de Jacques Maritain, Paris, Édition Pierre Téqui, 2003, p. 119.
92
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 968-969.
93
R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 375.
94
J.-L. BARRE, Jacques et Raïssa Maritain. Les mendiants du ciel, op. cit., p. 136.
Les intuitions thomistes 79
95
R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 384.
96
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 946-947.
97
R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 384.
98
Cf. Cocteau J., Maritain J., Correspondance 1923-1963, op. cit., p. 336.
99
Cf. De Bergson à Thomas d’Aquin, Œuvres Complètes, op. cit., p. 20-21.
100
Cf. J.-P. DOUGHERTY, Jacques Maritain. An Intellectual Profile, Washington, The Catholic
University of America Press, 2003, p. 64.
101
Cf. De Bergson à Thomas d’Aquin, Œuvres Complètes, op. cit., p. 20-22.
80 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
bien préciser que Maritain n'oppose pas l’intuition à la matérialité, même si cette
dernière démontre l’infériorité de notre intellect, puisqu’il faut qu’une âme se
nourrisse par un corps. C’est pour cela que l’intellect se sert d’analogie ou
d’abstraction dans son activité. Cependant, cela n’empêche pas de percevoir
l’activité de l’intuitivité qui « est le vestige de l’Esprit d’où elle descend. Il ne faut
cependant pas prétendre séparer cette intuitivité de cette rationalité,
l’intellection du concept, la pure immanence intellective de la production des
idées !»102.
En présentant sa théorie de la connaissance, Maritain invite à la
vigilance face aux dangers qui menaceraient l’intelligence, même en son propre
sein. C’est ainsi que « si elle suit en philosophie la pente du plus facile, notre
intelligence, parce qu’elle est tournée du côté des sens et de l’imagination, ira
vers les pseudo-explications matérialistes. On peut dire qu’il y a là une tentation
permanente d’illusion. Mais suivre cette pente, c’est justement pour elle faire
abandon de soi. Sans doute ne comprend-elle pas, d’une manière exhaustive, les
choses de la vie et de l’esprit. Toutefois, son jeu instinctif et spontané, avant
qu’elle s’avise d’être savante, l’accorde plutôt à la vie qu’à la géométrie, à
l’animisme plutôt qu’au mécanisme. Le matérialisme est l’état barbare de la
raison savante »103. L’intelligence doit alors se défendre contre les dérives
mécanistiques, au risque de faillir à sa propre mission. Conscient de ce péril, le
philosophe se tourne vers Aristote et Saint Thomas d’Aquin, afin de construire
sa théorie de connaissance sur les transcendantaux et sur les analogues
intelligibles. Cela lui permet de s’affranchir du mécanisme et de voir les limites
de la connaissance. Maritain le constate ainsi : « qui ne voit pas que l’acte n’est
limité que par la puissance, ou que tout ce qui est par participation, suppose ce
qui est par soi, nul raisonnement ne l’en convaincra, - encore que le raisonnement
puisse, en aidant l’esprit à se ressaisir des idées en jeu, le conduire à voir »104.
Voilà l'unique solution à cette menace qu'est l’intellection. Elle est la seule force
capable de regarder le réel en lui-même et garde donc une place privilégiée dans
le processus de la connaissance.
L’homme, pour Maritain, est celui qui est apte à percevoir des choses
en lui-même, même si son savoir découle en grande partie de l’expérience. Dans
sa dimension sensible, elle peut amener l’homme à une expérience
métaphysique, car « c’est le va-et-vient entre l’expérience et le raisonnement qui
répond au jeu le plus naturel de notre intelligence »105. Cet ordre de passage du
sensible au spéculatif est fondamental pour notre sujet, puisqu’il démontre la
capacité naturelle de saisir la vérité humaine et certains énoncés transcendants.
Mais Maritain appréhende le processus de connaissance de façon homogène ; il
ne focalise son attention que sur la personne capable de connaître. Il s'agit de
mettre en valeur la communauté qui stimule la connaissance, et la concevoir
comme un espace ayant un impact sur la connaissance et la conscience. Selon
Gherri, analysant les pensées de Ladislas Örsy, la question de la connaissance et
102
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 47.
103
Ibid., p. 72.
104
Ibid., p. 50.
105
Ibid., p. 72, 54.
Les intuitions thomistes 81
106
Cf. P. GHERRI, « Theology and Canon Law in the Thought of Ladislas Örsy », dans : G.
WHELAN (éd.), Lonergan’s Anthropology Revisited: The Next Fifty Years of Vatican II,
Rome, Gregorian and Biblical Press, 2015, p. 459-463.
107
La Philosophie bergsonienne, op. cit., p. 69.
108
R. MOUGEL, « Sur le Sagesse », CJM, 10(1984), p. 7-23.
109
Cocteau J., Maritain J., Correspondance 1923-1963, op. cit., p. 339 ; J. MARITAIN, « Sur le
Savoir », CJM, 10(1984), p. 37-60.
110
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 45.
82 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
111
Ibid., p. 179, 253.
112
Somme Théol., Ia, q. 16, a. 5.
113
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 179.
114
Ibid., p. 38.
115
Ibid., p. 44.
116
Cf. M.-D. PHILIPPE, L’Être. Recherche d’une Philosophie première, t. I, Paris, Téqui, 1972,
p. 182.
Les intuitions thomistes 83
conscience spontanée. Il y a ainsi des choses que notre intelligence sait avant de
penser à elles »117. La saisie intuitive est donc une appréhension immédiate et
directe de la nature de l’esprit. On touche là l’activité la plus élevée de la
métaphysique qui consiste à connaître l’univers dans sa dimension
immatérialisée. La mise en valeur de la puissance de la métaphysique apte à saisir
le réel en lui-même constitue un sujet sur lequel Maritain dialogue avec Kant et
met en exergue la force de l’intelligence. Cela lui a permis d’affiner le rôle de
l’intelligence comme celle qui atteint l’intelligible et décèle le réel de l’esprit.
Autrement dit, elle « voit en concevant, et ne conçoit que pour voir »118. La vérité
sur une chose est saisissable donc, non seulement par l’intuition du sens, mais
avant tout grâce à l’intuition intellectuelle dans laquelle on perçoit l’activité
immanente et immatérielle de l’intelligence. Elle « atteint son objet au-dedans de
soi (…), mais cet objet, c’est d’abord le réel extra-mental, l’être où nous baignons,
transféré au sein de l’esprit : de sorte que notre opération intellective ne se
termine pas à notre pensée elle-même et à nos représentations, mais atteint en
nous l’être lui-même, indépendant de nous, né à nouveau en nous, - dans la
vitalité du verbum cordis, - d’une manière meilleure qu’en lui-même dans la
matière »119. Dans le processus de la connaissance, le philosophe met alors en
relief, non pas la production des idées, mais le mouvement de l’intelligence : « de
devenir ou d’être, en vertu de soi, par-dessus et par-delà, - infiniment - la simple
existence en sa propre nature, de sorte que, devenant ainsi par l’intellection cela
même qui n’est pas nous, la connaissance ne procède pas seulement tout entière
de l’esprit connaissant, en même temps, elle procède tout entière de l’objet
connu »120. Cette considération est primordiale pour cette recherche, car elle
montre l’objet de connaissance, comme celui qui se donne à le saisir par l’activité
abstractive de l’intelligence. Il est dégagé du sensible, peut être connu en lui-
même et appréhendé dans un concept : « l’intelligence voit par et dans les
concepts, dit-il, qu’elle produit vitalement au sein d’elle-même. (…) Tout ce
qu’elle fait surgir en elle de concepts et de constructions idéales, n’est que pour
servir ce sens de l’être, qui est bien ce qu’il y a en elle de plus profond, et pour
obtenir un discernement intuitif qui est son acte même. Dans les moments
incomparables de découverte intellectuelle où, capturant pour la première fois,
l’ampleur infinie de ses possibilités d’expansion, une vivante réalité intelligible,
nous sentons monter et se nouer, au fond de nous, le verbe spirituel qui nous la
rend présente, nous savons bien ce qu’est le pouvoir intuitif de l’intelligence,
qu’il s’exerce par le concept »121.
De cette façon, on procèdera selon l’intuition intellectuelle de l’être qui
révélera la beauté de l’être dans chacune de ses dimensions, et le sens de ce qui
est. Autrement dit, l’intuition de l’être décèle la valeur ontologique des choses,
ce qui veut dire qu’elle est indispensable dans l’appréhension de la réalité. Pour
cela, on ne saurait rejeter l’ordre logique du raisonnement, même pour aboutir à
un résultat. Maritain tient à cette discipline de la logique justement parce que
117
De Bergson à Thomas d’Aquin, Œuvres Complètes, op. cit., p. 53.
118
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 42.
119
Ibid., p. 45-46.
120
Ibid.
121
Ibid., p. 502-503.
84 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
c’est la vérité qui l’exige : « le service que nous devons à la vérité, c’est pourtant
de garder les principes, jusqu’au moindre iota. Si des insensés abusent de leur
intelligence, et si le monde oublie la vérité, la vérité est toujours belle,
l’intelligence est toujours maîtresse, la Lumière qui éclaire tout homme venant
dans ce monde ne connaît pas d’obscurcissement »122.
L’intuition de l’être
122
Ibid., p. 184.
123
Jean de Saint-Thomas (l’article), Œuvres Complètes, t. VII, 1988, p. 1021.
124
Cf. E. MORAWIEC, Intellectual Intuition in the General Metaphysics, op. cit., p. 17.
125
Cf. P.-A. BELLEY, Connaître par le cœur, op. cit., p. 138.
Les intuitions thomistes 85
126
Une esquisse de l’intuition chez Maritain a été élaborée explicitement par Laura Fraga
De Almeida Sampaio dans son étude sur la théorie de connaissance et constitue un
livre : L.-F. DE ALMEIDA SAMPAIO, L’intuition dans la philosophie de Jacques Maritain,
Paris, Vrin, 1963.
127
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 239.
128
Ibid., p. 240.
129
Ibid., p. 501.
86 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
130
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1030.
131
Éléments de philosophie I, Œuvres Complètes, op. cit., p. 85.
132
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 64.
133
Éléments de philosophie II, Œuvres Complètes, op. cit., p. 286.
134
Ibid., p. 292.
135
Approches sans entraves, Œuvres Complètes, t. XIII, 1992, p. 788.
Les intuitions thomistes 87
136
Cf. Réflexion sur l’intelligence, Œuvres Complètes, t. III, 1984, p. 68.
137
Ibid., p. 68.
138
Cf. Ibid., p. 69.
139
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 171. Maritain interprète
l’idée de Saint Thomas d’Aquin : Somme Théol. Ia, q. 16, a. 2.
88 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
140
Cf. Distinguer pour unir ou les Degrés du Savoir, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1043.
141
Cf. M. KRĄPIEC, Ja – człowiek, Lublin, 1979, p. 179.
142
Cf. Distinguer pour unir ou les Degrés du Savoir, Œuvres Complètes, op. cit., p. 473-
474.
143
Réflexion sur l’intelligence, Œuvres Complètes, op. cit., p. 72.
144
Distinguer pour unir ou les Degrés du Savoir, Œuvres Complètes, op. cit., p. 471.
145
Cf. R. GROSS, L’être et la beauté chez Jacques Maritain, Fribourg, Éditions Universitaires
Fribourg Suisse, 2001, p. 28.
Les intuitions thomistes 89
146
Distinguer pour unir ou les Degrés du Savoir, Œuvres Complètes, op. cit., p. 483.
147
Cf. E. MORAWIEC, Intellectual Intuition in the General Metaphysics, op. cit., p. 40.
148
Cf. E. MORAWIEC, « Jakub Maritain jako filozof », Studia Philosophiae Christianae,
12(1976)1, p. 113-131.
149
Cf. Distinguer pour unir ou les Degrés du Savoir, Œuvres Complètes, op. cit., p. 511.
90 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
l’être, son essence, sa nature ou sa « quiddité »150. Ainsi, l’objet qui se présente à
l’esprit humain, « c’est l’être en tant qu’enveloppé ou incorporé dans la quiddité
sensible, l’être « investi » dans les diverses natures qui tombent sous les sens, ens
concretum quidditati sensibili, c’est quelque chose d’enveloppé confusément
dans telle nature et dans telle autre, dans le chien, dans le cheval, dans le caillou.
(…) C’est à la fois la quiddité particulière et l’être en général, c’est l’être
enveloppé, incorporé dans la multiplicité des natures ou des essences »151. Ce
premier rapport de la raison avec une chose ne désigne pas encore un objet
métaphysique au sens strict du terme. Toutefois, son résultat comporte une
première idée de l’être. À ce niveau-là, l’intellect différencie l’essence de
l’existence et construit une idée de l’être. C’est bien cette opération que Maritain
appelle le jugement d’existence. Il « appréhende et juge en même temps, il forme
sa première idée (celle de l’être) en portant son premier jugement (d’existence)
et porte son premier jugement en formant sa première idée »152. Dans le
jugement, l’intellect constate l’existence et forme les premières notions de son
contenu. En d’autres termes, l’intelligence saisit un objet singulièrement et
perçoit qu’il exerce l’acte d’existence. Par la suite, Maritain explique que l’essence
et l’existence composent un même être et, qu'en conséquence, elles sont
inséparables l’une de l’autre. De ce fait, le philosophe en tire une conclusion
fondamentale, à savoir que l’existence est une réalisation de l’essence153. Les deux
dimensions constituent un être, établissent sa base intelligible et sont reconnues
dans une simple appréhension de l’esprit. Il faut alors bien préciser que l’être ne
saurait être limité à un concept, ce qui indiquerait l’essence. L’existence l’actualise
et la perfectionne. En tant que telle, elle n’échappe pas à l’intelligence et peut être
appréhendée par l’intellect. Ainsi, Maritain démontre que l’idée de l’être, bien
ancrée dans la dimension existentielle, est un fondement du réalisme154. C’est
bien là où le philosophe rejoint Saint Thomas d’Aquin.
150
Cf. Éléments de philosophie II, Œuvres Complètes, op. cit., p. 304.
151
Id., Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 24.
152
Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 32.
153
Cf. Ibid., p. 33.
154
Cf. Id., Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 27.
155
Ibid., p. 25.
Les intuitions thomistes 91
156
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 50.
157
Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 38.
158
Approches sans entraves, Œuvres Complètes, op. cit., p. 787.
159
Ibid., p. 788.
160
Id., Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 66.
161
Cf. Ibid., p. 53.
162
Ibid.
92 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
mise en valeur, car « il y a une priorité de l’objet, (…), il y a une priorité dans
l’ordre de la nature, de l’intuition de l’être en tant qu’être sur l’habitus du
métaphysicien »163. C’est pour cela qu’il est important, pour Maritain, d’être
purifié intellectuellement, en tant que métaphysicien. Ainsi, il est disponible
« pour entendre ce que toutes choses murmurent et pour écouter, au lieu de
fabriquer »164. La difficulté de la connaissance ne réside pas dans l’opération de
l’intuition, mais plutôt dans l’acquis de la purification intellectuelle.
Evidemment, le premier contact avec un objet garde sa dimension sensible.
Cependant, l’intelligence saurait le regarder dans son intelligibilité. C’est la
raison pour laquelle Maritain met en valeur la troisième opération de l’esprit et
affirme que, « raisonner c’est passer d’une chose intellectuellement saisie à une
autre chose intellectuellement saisie grâce à la première, et s’avancer ainsi de
proposition en proposition, afin de connaître la vérité intelligible »165. Le
raisonnement permet donc de découvrir la vérité insoupçonnée jusqu’alors et de
l’établir. De ce fait, l’objet devient transparent envers elle et peut être perçu dans
son existence eidétique.
163
Ibid.
164
Ibid., p. 56.
165
Éléments de philosophie II, Œuvres Complètes, op. cit., p. 483.
166
Cf. Gilson É., Maritain J., Deux approches de l’être, op. cit., p. 173.
167
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1048.
Les intuitions thomistes 93
168
Cf. Ibid.
169
Ibid.
170
Cf. Ibid., p. 1050.
171
Ibid., p. 1048.
172
Ibid., p. 1049.
173
Ibid.
94 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
d’être est une notion transcendantale et analogue »174. Il en résulte que ce qui
détermine une chose, ce n’est pas l’existence, mais l’essence. Néanmoins,
l’existence est fondamentale puisqu’elle démontre la densité de l’être et confirme
l’identité de l’être. L’existence est « l’acte ou l’énergie par excellence »175. Par
l’essence, les êtres sont spécifiques et distingués toutefois par l’existence, ils
s’identifient entre eux. C’est la raison pour laquelle le philosophe met en valeur
l’analogie de l’être. Le rôle particulier de l’existence qui est une, et dans les
différents êtres, ne s’affirme que par une explication analogique. Elle fait
comprendre que l’être différencie l’un de l’autre, mais aussi qu’en chaque être, il
y a une dimension commune. Ce qui les unit, c’est justement le rapport à
l’existence, même s’il s’effectue à des degrés proportionnellement différents. De
surcroît, selon Maritain, l’existence peut même être appréhendée dans un
concept, à condition qu’elle soit considérée comme intelligible dans un sens
analogique. L’intellect se saisit de ses propres actes et peut ainsi recevoir,
appréhender l’existence dans une idée. Par analogie, l’existence est conçue
comme « un surintelligible, livré à l’esprit dans l’opération même qu’il accomplit
chaque fois qu’il juge, et dès son premier jugement »176. Pierre-Antoine Belley
démontre que l’analogie trouve une place privilégiée chez Maritain dans la
connaissance par connaturalité177. Il y a des analogues naturels, que l’on perçoit
dans des jugements pratiques de la vie morale, dans le domaine de l’art et de la
poésie, et ensuite, dans l’amour humain et dans l’expérience d’autrui178.
Cependant, Edmund Morawiec met en relief l’analogie de l’être, car elle
démontre que l’unité et la polyvalence ne s’opposent pas à la réalité. Au
contraire, ce n’est qu’ainsi que l’être se présente dans son intégralité. Donc, si l’on
appréhende l’être, il faut toujours le saisir analogiquement179. Ainsi, l’être garde
son identité, mais s’actualise dans le réel de différentes manières. Maritain
l’explique ainsi : « il n’y a, entre les degrés d’abstraction, qu’une communauté
analogique, chacun répond d’une manière typiquement et irréductiblement
différente, d’affronter le réel et de saisir de lui, une « prise » sui generis, dans la
lutte de l’intellect avec les choses »180.
L’intelligence, dans son activité la plus pure, contemple l’être comme
un objet intelligible, et non pas comme un fruit de l’expérience, même si ce
dernier participe à l’appréhension sensible de l’être. Cependant, l’intellect défait
l’unité d’une chose pour regarder chaque élément dans sa particularité et dans
son essence. De cette façon, on accède à la vérité sur chaque chose. En
conséquence, elle manifeste même son universalité : « il faut bien qu’elle recueille
partout les fragments dérobés à l’unité, elle seule le peut. Les esprits ne se
reconnaissent que dans la lumière ; plus elle est pure et divisée d’avec l’ombre,
174
Ibid.
175
Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 28.
176
Ibid., p. 28, 32.
177
Cf. P.-A. BELLEY, Connaître par le cœur, op. cit., p. 246.
178
Cf. Distinguer pour unir ou les Degrés du Savoir, Œuvres Complètes, op. cit., p. 769.
179
Cf. E. MORAWIEC, Intellectual Intuition in the General Metaphysics, op. cit., p. 74-75.
180
Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 37-38.
Les intuitions thomistes 95
plus elle unit »181. Ainsi, on atteint l’intelligible et le fond le plus réel d’une chose.
Finalement, un sujet devient une unité en lui-même. Maritain l’explique ainsi :
« cette unité ne pouvait pas précéder dans l’esprit puisqu'au contraire, il la défait,
pour ensuite la réaccomplir. Elle précédait (elle se trouvait d’abord posée) hors
de l’esprit, dans l’existence (actuelle ou possible) qui en tant que détenue même
(exercita), est hors de l’ordre de la simple représentation ou de la simple
appréhension »182. L’intuition est une saisie directe, elle englobe l’objet dans sa
totalité et non partiellement, même s’il est perçu dans chacune de ses
dimensions.
Conclusion
181
Cocteau J., Maritain J., Correspondance 1923-1963, op. cit., p. 336.
182
Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 27.
183
R. MARITAIN, Les grandes amitiés, op. cit., p. 206.
184
Le Docteur Angélique, Œuvres Complètes, op. cit., p. 115.
96 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
185
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1026-1027.
186
Le Docteur Angélique, Œuvres Complètes, op. cit., p. 77.
187
Cf. Ibid., p. 108.
188
Gilson É., Maritain J., Deux approches de l’être, op. cit., p. 262.
189
Cf. J.-L. BARRE, Jacques et Raïssa Maritain. Les mendiants du ciel, op. cit., p. 248-249.
Les intuitions thomistes 97
190
Cf. Réflexion sur l’intelligence, Œuvres Complètes, op. cit., p. 17 ; R. MARITAIN, Les
grandes amitiés, op. cit., p. 78.
191
Cf. P. VALADIER, « Péril en démocratie : la post-vérité », op. cit., p. 55-63.
192
Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 49.
193
Cf. Id., Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 52.
98 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
194
Réflexion sur l’intelligence, Œuvres Complètes, op. cit., p. 391.
195
Cf. Id., Le Paysan de la Garonne, op. cit., p. 203-204.
196
Court traité de l’existence et de l’existant, op. cit., p. 29.
197
Cf. Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1036.
198
Id., Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 55.
La structure ontologique de l’homme 99
1
Cf. Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 77, 78, 82.
2
De Bergson à Thomas d’Aquin, Œuvres Complètes, op. cit., p. 45.
3
Ibid., p. 48.
4
Cf. Id., Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 35-45.
5
Ibid., p. 95.
6
Cf. Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 44, 46.
100 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
7
Approches sans entraves, Œuvres Complètes, op. cit., p. 570.
8
Cf. Id., Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 26.
9
J. MARITAIN, Neuf leçons sur les notions premières de la philosophie morale, Paris, Téqui,
1951, p. 17.
10
Approches sans entraves, Œuvres Complètes, op. cit., p. 630.
11
Cf. CZ. BARTNIK, Hermeneutyka personalistyczna, Lublin, wyd. Polihymnia, 1994, p. 117.
La structure ontologique de l’homme 101
présente une variété d’aspects qui sont, eux aussi, amples et chargés
d’intelligible : les transcendantaux. Grâce à eux, l’être est toujours considéré
objectivement, car ils déterminent un mode universel de l’être12. Ce point est
d'une importance capitale, en tant que base solide pour traiter la question de
l’homme dans sa dimension individuelle et personnaliste.
12
Cf. J. MARITAIN, Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 75.
13
Éléments de philosophie I, Œuvres Complètes, op. cit., p. 82-83.
14
Ibid.
15
Id., Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 31.
102 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
inconditionnée »16. Il est donc important de se pencher d’abord sur l’être, dans
sa dimension objective, afin d’aborder celle de l’agir et de la communauté. Il est
même indispensable de l’analyser en priorité, du point de vue métaphysique,
afin de comprendre qu’il y a certains aspects de l’existence humaine qui, à la fois,
s’imposent et déterminent un acte humain concret. Maritain constate clairement
que « la raison est la mesure des actes humains et spécifie le domaine propre de
la moralité »17. C'est dans cette lignée du spéculatif à la praxis, qu'il faut aussi
poursuivre cette recherche.
Pour Maritain, l’intelligence et la volonté sont considérées comme des
perfections. Néanmoins, en l’homme comme une créature, elles constituent une
potentialité mise en œuvre par l’être humain. Le philosophe l’exprime ainsi : « Et
remarquons que c’est le même cas pour les autres perfections, telles que
l’intelligence et la volonté qui, dans les créatures, impliquent la potentialité ; ce
sont des « puissances opératives », - ce mot lui-même, bien qu’il s’agisse là
d’énergie et d’activité, indique que quelque chose de potentiel subsiste en elles,
qu’elles ne sont pas leur acte même, d’intellection ou de volition. Il y a une
distinction réelle entre intellectus et intellectio, entre voluntas et volitio »18. C’est
une idée fondamentale permettant de comprendre que l'intelligence est donnée
à l’homme, non seulement comme un pouvoir intellectuel, mais aussi comme un
acte du corps ou comme une forme substantielle du corps. En ce sens, l’être
humain a une âme intellectuelle qui « n’est pas seulement principe de vie
intellectuelle, elle est principe de toute la vie de son corps, vie végétative et vie
sensitive »19. Il est perceptible que le rôle de la raison chez Maritain ne consiste
pas seulement en la saisie du réel. L’intellect rend aussi possible un croisement
de la réalité existentielle avec ce qui est et, par la suite, elle conditionne, non
seulement la pensée, mais elle désigne aussi la rectitude du comportement.
Parler de la dimension intellectuelle chez l’homme, revient à la considérer au
sens large du terme comme englobant, à la fois la faculté intellectuelle et la
corporéité de l’être humain.
16
Id., Neuf leçons sur les notions premières, op. cit., p. 19.
17
Ibid., p. 18.
18
Approches sans entraves, Œuvres Complètes, op. cit., p. 565.
19
Ibid., p. 604.
20
Id., Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 8.
La structure ontologique de l’homme 103
21
Ibid., p. 9.
22
Cf. Ibid.
23
Cf. Ibid., p. 11.
24
Ibid., p. 73.
25
Ibid., p. 72.
26
Cf. GS 10.
27
R. GROSS, L’être et la beauté chez Jacques Maritain, op. cit., p. 45.
104 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
L’être, pour Maritain, se révèle avant tout comme une réalité extra-
mentale, « dans sa lumière propre, qui est la révélation de ce que l’exister extra-
mental fait à l’esprit et dans l’esprit. Il n’est plus pris dans sa relation au monde
sensible, il est pris absolument, dans son universalité sans limites, et
intrinsèquement différencié, qui embrasse tout ce qui est »31. Cela offre une
image d'un être autonome intelligible qui se donne à l’intellect pour
l’appréhender. En revanche, la saisie universelle de l’être ne veut pas dire
négation de la diversité et de la différence. Ce n’est pas une domination sur le
réel, mais plutôt la recherche, à la fois de son sens premier et de sa signification
la plus universelle. L’être, dans sa pureté intelligible, doit être appréhendé de
différentes manières. Les considérations sur le réel démontrent qu’il est tellement
riche qu’il doit être saisi, non seulement par la méthode de l’abstraction, mais
aussi en prenant en compte d’autres façons intuitives de le concevoir, car il se
28
Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p.66.
29
Cf. Id., Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 52.
30
Ibid., p. 14.
31
Approches sans entraves, Œuvres Complètes, op. cit., p. 800.
La structure ontologique de l’homme 105
32
Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 49.
33
Cf. Ibid., p. 50-51.
106 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
40
Cf. Y. FLOUCAT, « Approches métaphysique du mal », CJM, 12(1985), p. 37 ; N. ROLAND,
Jacques Maritain. La sanctification du monde profane, Paris, Éditions du Cerf, 2016, p.
235.
41
J. MARITAIN, Neuf leçons sur les notions premières, op. cit., p. 31.
42
Ibid.
43
Cf. C. CAFFARRA, « Sakramentalna ontologia a nierozerwalność małżeństwa», dans : R.
DODARO (éd.), Pozostać w prawdzie Chrystusa, Poznań, Wyd. Św. Wojciecha, 2015, p.
161-173.
44
J. MARITAIN, Neuf leçons sur les notions premières, op. cit., p. 2.
45
Cf. Somme Théol., Ia-IIae, q. 18, a. 1.
108 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
l’instant, le bien moral est perçu dans sa structure ontologique, il faudra ensuite
le reconsidérer dans son application pratique.
Il a été dit que le mystère intelligible est une perfection intelligible que
l’homme désire atteindre. Il entraîne l’homme à chercher sa propre identité, et
constitue une matière attirant toujours l’intelligence humaine. Dans cette
logique, l’accomplissement de soi est une dimension par laquelle ce désir émane.
En ce sens, l’homme est même capable de se dépasser lui-même par sa dimension
spirituelle. Le bien moral, lui aussi, ouvre à la réalité spirituelle, afin que l’homme
puisse atteindre l’accomplissement de lui-même et s'approcher de plus en plus
de son propre mystère. Grégor Puppinck l’explique en prenant un exemple
concret. Il constate que l’accomplissement de soi et de sa nature est au cœur
même de la discussion contemporaine sur l’homme. Selon lui, ce sont avant tout
les droits de l’homme constituant le bien qui sont fondés sur la notion de
l’accomplissement de soi. Ils en sont un instrument. L’accomplissement de soi,
c’est l’idéal de la perfection. Il gouverne et invite à aller au-delà de sa propre
nature. Il s’exprime spirituellement, mais aussi dans le cadre social. L’homme
veut aller toujours plus loin. Dans cette perspective, l’accomplissement de soi est
le moteur profond de tout ce que nous faisons46. Les droits de l’homme
constituent donc un bien pour l’être humain, parce qu’ils sont fondés sur cet
accomplissement de soi.
46
Cf. G. PUPPINCK, Les droits de l’homme dénaturé, Paris, Éditions du Cerf, 2018, p. 105-
109.
47
J. MARITAIN, Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 65.
48
Ibid., p. 101-102.
La structure ontologique de l’homme 109
49
Ibid., p. 103.
50
Cf. Ibid., p. 104.
51
Cf. Éléments de philosophie II, Œuvres Complètes, op. cit., p. 504.
52
Cf. Réflexion sur l’intelligence, Œuvres Complètes, op. cit., p. 56.
53
Cf. Id., Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 110.
110 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
l'intellect, par sa propre vérité ontologique. Cela explique le principe énoncé par
le philosophe : « l’être doit suffire au bien de l’intelligence »54. Maritain explique
que l’intelligence est faite pour un être, afin de le posséder achevé. Autrement
dit, l’intelligence tend à sa fin naturelle qui est l’être lui-même. Et grâce à
l’intellect, chaque chose est saisie, non seulement comme existante, mais aussi
comme vraie. En ayant cette image de l’être, on constate que le principe de
l’identité dévoile que chaque être est suffisamment intelligible, soit par lui-même
(a se), soit par autrui (ab alio). Il démontre la nécessité d’un contenu dont l’être
est ce qui est. Maritain donne l’exemple d’un triangle dont l’essence est définie
par ses propriétés constitutives. Le triangle n’a pas besoin d’autres éléments, à
part de ceux qui dévoilent son essence55. Il n’en reste pas moins que les traits
extérieurs de l’être sont compatibles avec la dimension ontologique, dont ils
trouvent la source. Néanmoins, « il ne suffit pas à l’intelligence de considérer
l’être d’une chose, comme un fait donné (…). Elle n’aura sa satisfaction que dans
ce qui achève et termine cette chose en tant qu’intelligible, en tant même que
faisant face à un pouvoir de connaître »56. Cela ouvre une image de l’être
nécessairement liée à l’intellect en tant que son objet et, par la suite, il peut être
connu. Ainsi, il devient compréhensible et se dévoile comme intérieurement
intégré.
54
Ibid., p. 109.
55
Cf. Ibid., p. 111.
56
Ibid., p. 110.
57
Cf. Ibid., p. 97.
58
Cf. R. GROSS, L’être et la beauté chez Jacques Maritain, op. cit., p. 74.
59
C. DE BELLOY, « Personne divine, personne humaine selon Thomas d’Aquin :
l’irréductible analogie », Les Études philosophiques, 81(2007)2, p. 163-181.
La structure ontologique de l’homme 111
existence, et comme le sujet de ses actes : « La substance, par rapport à l’être, dit-
il, c’est ce qui est fait pour exister en soi ou par soi, c’est la première signification
de l’être dans l’ordre des catégories »60. D’un côté, Maritain saisit l’être, comme
une essence, grâce à laquelle on perçoit les choses en elles-mêmes. D’un autre
côté, il présente l’être comme celui qui exerce l’existence. Dans cette perspective,
l’être est un sujet car il possède, non seulement l’essence et l’acte de l’existence,
mais il agit aussi, tout en gardant une conformité ontologique avec elles. L’idée
de l’être est étroitement liée à celle de la substance. Le lien entre elles semble
nécessaire à cause des implications qu’il entraîne. La substance est considérée
comme la première détermination de l’être, c’est-à-dire « ce à quoi il appartient
proprement d’être, ce à quoi il appartient d’avoir l’existence en soi »61. Il est
important de mettre en valeur la dimension intelligible de la substance. Ce qui
veut dire qu’elle garde sa nature tout entière dans ses parties. En d’autres termes,
la substance est un pur intelligible, à tel point que « par elle la chose est l’être
premier, et par elle tous les accidents sont maintenus dans l’être »62. Elle constitue
alors la base de la concrétisation de l’être, de son identité et de son intégrité. Dans
cette perspective, elle est la source de la spécificité et de l’individuation de l’être,
qui démontre son unité et ordonne ses activités et ses opérations. C’est la
dimension dynamique de l’être chez Maritain. Considéré par rapport à lui-
même, dans sa propre condition existentielle, il manifeste sa spécificité dans ses
actes et par sa relation avec le monde. Cela démontre que la notion de substance
implique un contenu précis (une essence) et le fondement de l’agir (une nature).
Cela exprime une idée d’une importance capitale pour cette recherche. À savoir,
les considérations ci-dessus dessinent une image de l’être comme un lieu de la
pluralité ontologique. En d’autres termes, en l’homme, il y a des dimensions
divergentes, qui ne s’opposent pas et ne détruisent pas l’être humain ; au
contraire, elles témoignent de leur spécificité. À titre d’exemple, on peut évoquer
les dimensions suivantes : spiritualité et corporéité, transcendance et
immanence, communauté et individu.
La substance constitue alors l’objet de la métaphysique, chez Maritain,
qui permet de fonder la vision du monde sur le réalisme. Elle constitue le centre
de l’existence réelle, non seulement grâce à son autonomie (elle existe en lui-
même en tant que sujet), mais aussi grâce aux implications qu’elle entraîne : elle
constitue le sujet pour les accidents, elle subit des changements et devient l’objet
de la connaissance. Il est perceptible que, malgré son dynamisme, la substance
garantit l’identité de l’être. Plus encore, elle est la raison d’être de l’identité. Dans
cette perspective, l’appréhension de l’homme commence par la substance.
Considérée comme la base pour les accidents, elle révèle les traits nécessaires de
l’être humain. La notion de la substance implique l'ordre intérieur d’un être, des
traits qui constituent son identité. Ainsi, on peut dire que chaque être est ce qu’il
est. Dans cette recherche, cette idée paraît indispensable pour bien désigner ces
aspects qui éprouvent l’humanité de chaque homme. La substance indique les
traits spécifiques d’un être qui désignent l’identité de l’être avec lui-même. Par la
suite, elle trace un monde spécifique d’existence de chaque être et sa spécificité à
60
J. MARITAIN, Neuf leçons sur les notions premières, op. cit., p. 37.
61
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 389.
62
Ibid., p. 392.
112 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
l’égard des autres, d’où vient le pluralisme des êtres. Dans cette perspective,
chaque existence est différente, car chaque essence exerce l’acte d’être à sa
manière, en fonction de sa propre construction. On constate que chaque
existence est proportionnée par rapport à ce qui l’exerce. On y perçoit les
implications de la détermination de la substance, à savoir, par la matière, on
accentue une quantité précise et par la forme, on met en relief la qualité.
La substantialité de l’homme démontre, non seulement sa dimension
matérielle, mais aussi son intelligence et sa vivacité spécifique. C’est avant tout
l’âme, sa forme substantielle, qui constitue le principe de l’intelligence, grâce
auquel l’homme est capable de saisir le réel. De plus, l’intelligence peut analyser
son propre mouvement. Ainsi, l’homme s’identifie, non seulement avec ses
pensées (le moi pensant), mais aussi ses actes (le moi existant). L’unité du corps
et de l’âme dans l’homme éprouve alors le réalisme de son existence et de son
être. La notion de la personne suppose cette intégrité de la nature humaine. Ce
n’est qu’ainsi que l’homme est apte à mettre en œuvre toutes ses facultés
naturelles63. Il en résulte que chaque être agit proportionnellement à sa nature.
Chez l’homme, les actes sont les plus complexes, parce qu’en lui, l’âme dispose
des puissances, non seulement végétatives et sensitives, mais aussi intellectives
et spirituelles. Plus encore, par l’intelligence, l’homme peut même effectuer les
opérations immatérielles qui dépassent la matière. C’est ainsi qu’il tend vers le
surnaturel.
La matière est un élément constitutif de l’être, parce qu’elle a un impact
concret, à la fois sur son existence, mais aussi sur sa durée et son dynamisme. Il
en découle qu’elle n’est pas un accident mais fait partie de la substance de l’être.
Ainsi, la matière constitue une raison de potentialité et de changement.
Néanmoins, tous ces changements ne sont pas accidentels mais restent en lien
avec la substance. Cela veut dire qu’ils s’effectuent en fonction de la nature
propre de l’être. Dans cette perspective, la matière est organisée par la forme
substantielle. Ainsi, la dimension matérielle devient l’élément qui décèle le
dynamisme de l’être et sa propre nature. Cette structure, nommée
hylémorphisme dans la philosophie classique, atteste l’unité substantielle de
chaque être, perceptible avant tout par l’action. Face à la multiplicité des
éléments présents dans l’être, il y a une forme qui les unit et constitue le contenu
d’un être. Elle garantit l’unité de l’être et la cohérence avec ses actes. Cependant,
s’il peut être divisé, c’est la matière qui l’opère. Par exemple, un fruit, nous
pouvons le manger. Ainsi, il n’existe plus comme un fruit, mais sous une autre
forme. Néanmoins, la division doit trouver sa justification dans l’être lui-même ;
elle dépend, non pas de la forme, mais de la matière. Il n’en reste pas moins que
la matière et la forme constituent un seul être et non pas deux êtres
indépendants. Cette idée est fondamentale pour considérer l’âme, non pas
comme une substance indépendante, mais en relation étroite avec la matière. Il
en résulte que la matière constitue cette dimension par laquelle la réalité est
incommunicable64. De cette façon, la substance atteste que chaque être a une
identité concrète, qui lui est propre. Ainsi, l’homme reste en lien indispensable
avec la nature, mais il n’est une simple œuvre de la nature. C’est justement la
63
Cf. Ibid., p. 399.
64
Cf. Id., Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 89-90.
La structure ontologique de l’homme 113
forme qui démontre la spécificité de l’homme, car c’est elle qui constitue le
principe de l’existence et l’accorde à un être. Ainsi, l’être est un compositum et
non pas seulement séparément une matière ou une forme. Il en résulte que,
lorsqu'on parle de la forme, il est nécessaire de considérer l’homme dans son
intégrité comme un compositum. Et en passant à la notion de la personne,
Maritain dira qu’elle « est une substance dont une âme spirituelle est la forme
spirituelle »65. Dans cette perspective, Maritain s’oppose à la philosophie
cartésienne, qui concevait le principe de la vie comme concernant les choses
matérielles (res extensa). Chez Descartes, les choses sont organisées par les
principes dynamiques, et non pas par une forme substantielle. Par conséquent,
la vie, elle aussi, n’est dirigée que par une loi dynamique. On se trouve à la fois
dans un pur déterminisme et dans un discours uniquement biologique et
physique. Descartes avait donc supprimé la conception de l’âme, comme celle
qui organise la vie, et finalement, depuis ce temps-là, se pose la difficulté de
définir la notion de l’âme et, par la suite, la notion de la vie en amont de toute
science exacte.
Il est bien connu que l’intelligence est capable de percevoir l’être, bien
qu’elle soit dépassée par sa pureté intelligible. Néanmoins, la seule manière de la
saisir, c'est d'objectiver l’être. Ce cheminement est fondamental pour la bonne
compréhension de l’être chez Maritain. Le philosophe met en valeur la notion
du sujet qui dévoile un vaste sens de l’être : « dans le monde de l’existence, il n’y
a que des sujets ou des suppôts, avec ce qui émane d’eux dans l’être, c’est
pourquoi c’est un monde de nature et d’aventure, où il y a des événements, de
la contingence et du hasard »66. Le sujet existant possède alors une nature qui lui
est propre. Il est doté d'une existence et du pouvoir d'action qui lui sont propres.
Il est possible de saisir toutes ces dimensions dans le sujet, afin d’en faire un objet
de pensée. Il en résulte que le sujet, dans sa nature individuelle, est un lieu
inépuisable de la connaissance et que la révélation de l’objet de la pensée est
possible grâce à l’objectivation du sujet : « nous connaissons ces sujets, nous
n’aurons jamais fini de les connaître. Nous ne les connaissons pas comme sujets,
nous les connaissons en les objectivant, en prenant sur eux des vues objectives et
en faisant nos objets, car l’objet n’est rien d’autre que quelque chose du sujet
transféré dans l’état d’existence immatérielle de l’intellection en acte »67. Dans
cette perspective, les sujets existants, comme l’être, constituent une réalité qui est
une source du savoir illimité.
L’accent a été mis sur la question de l’opacité de l’être et du sujet à
l’égard de l’intelligence. Ces considérations sont indispensables, afin de révéler
une dimension essentielle de l’être, à savoir son indépendance et son autonomie.
65
Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 82.
66
Ibid., p. 69.
67
Ibid., p. 69-70.
114 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
Même s’il est analysé par les différentes sciences, l’être apparaît toujours « selon
ses caractères propres, comme trans-objectivité consistante, autonome et
essentiellement variée »68. En d’autres termes, en tant que réalité intelligible,
l’être dépasse le concept et ne trouve sa place que dans la réalité extra-mentale,
hors des conditions matérielles. C’est avant tout là qu'il se reconnaît comme
indépendant. Lorsqu’il parle de la réalité, il ne la conçoit pas seulement comme
un univers se situant en opposition à la fiction69. Il la perçoit comme un univers
indépendant de l’esprit : « cette réalité est, en tant même que manifestée
objectivement par et dans l’idée de l’être, plus riche, plus chargée de valeurs
intelligibles que ce que l’idée de l’être à elle seule me découvre immédiatement,
- elle demande, en vertu d’une nécessité interne, à déborder en quelque sorte de
l’idée même où elle s’objective »70. Dans la relation de l’objet avec l’esprit, le réel
constitue donc une matière considérée en elle-même. Dans cette perspective, le
philosophe démontre que l’être réel est celui qui se présente dans toute sa pureté
et dans l’amplitude de son intelligibilité, est un être autonome71. Son
indépendance trouve alors sa meilleure expression dans l’existence réelle et
extra-mentale. Quand on parle de l’être, il faut toujours se référer aux conditions
de l’existence eidétique et voir l’unité dans l’esprit comme imparfaite et relative72.
Il est clair que l’existence réelle de l’être est alors conçue comme extra-mentale,
dont il se trouve autonome au sens strict du terme. Cette autonomie résulte en
outre du principe de l’identité, grâce auquel l’être a ses exigences propres.
68
Id., Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 52.
69
Cf. E. CRAIG, « Realism and Antirealism », dans : E. CRAIG (éd.), The Shorter Routledge
Encyclopedia of Philosophy, New York, Routledge, 2010, p. 887-891.
70
J. MARITAIN, Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 75.
71
Cf. Ibid., p. 52.
72
Cf. Ibid., p. 67.
73
Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 24.
La structure ontologique de l’homme 115
74
Ibid., p. 65.
75
Ibid., p. 66.
76
Ibid., p. 67.
77
Ibid.
78
Distinguer pour unir ou les Degrés du Savoir, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1045.
79
Cf. Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 68.
80
Cf. Maritain fait une référence à la Somme Théologique IIIa, q. 2, a. 2 ; Distinguer pour
unir ou les Degrés du Savoir, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1049.
116 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
81
Cf. A. LENDZION, « Koncepcja podmiotu osobowego w personaliźmie Jacques’a
Maritaina », Roczniki Pedagogiczne, 38(2010)2, p. 5-20.
82
Distinguer pour unir ou les Degrés du Savoir, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1034.
83
Cf. J.-F. WIPPEL, « Maritain and Aquinas on Our Discovery of Being, Studia Gilsoniana,
3(2014),
p. 415-443.
84
Cf. Distinguer pour unir ou les Degrés du Savoir, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1050 -
1051.
La structure ontologique de l’homme 117
85
Raison et raisons, Œuvres Complètes, op. cit., p. 360.
86
Cf. Y. FLOUCAT, Jacques Maritain ou la fidélité à l’Éternel, Paris, Fac-éditions, 1996, p. 106.
87
Cf. Raison et raisons, Œuvres Complètes, op. cit., p. 361.
88
Cf. Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 71.
89
Distinguer pour unir ou les Degrés du Savoir, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1052.
118 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
bien l’amour considéré comme une donation de soi-même, qui exprime au mieux
la finalité de la subjectivité. Lorsque l’homme « saisit intuitivement l’obscure et
vivante profondeur du Moi et de la subjectivité, il expérimente, en vertu du
dynamisme interne de cette intuition, que l’amour n’est pas un plaisir (…) mais
une tendance radicale et foncière, inscrite dans son être même, pour laquelle il
est en vie »90. Dans cette perspective, on souligne l’aspect totalement existentiel
de la subjectivité perçue, à partir de notre expérience et par l’analyse de l’agir.
C’est justement dans l’expérience que l’homme peut la connaître. Bien qu’elle
déborde de la dimension matérielle, elle reste saisissable dans l’expérience
existentielle, telle qu'elle se manifeste dans la connaissance préconsciente de
nous-mêmes, l’inclination vers le bien, la connaissance par connaturalité91. Le
sujet humain extériorise toutes les activités et, par la suite, il se distingue des
autres réalités existantes. En d’autres termes, il n’est pas seulement un individu
matériel, mais aussi spirituel ; il ne fait pas seulement partie du cosmos, mais il
« se possède lui-même et se tient lui-même en main tant qu’il est spirituel et qu’il
est libre »92. Néanmoins, Maritain a quelque difficulté à traiter la question de la
subjectivité. Même s’il la présente explicitement, il n’expose pas clairement la
dimension de l’objet, présente dans la personne humaine. Et pourtant, il est
important de la souligner, parce que la mise en lumière de l’objet dans l’être
humain permet d’éviter l'écueil de l'idéalisme ou du pur subjectivisme. Le
caractère objectif de la personne ouvre le regard sur l’homme, capable d’agir à
l’égard de lui-même par la conscience. Bien sûr, la personne n’est pas seulement
un objet, sinon il faudrait admettre des réductionnismes sous différentes formes.
Il n’en reste pas moins que, dans la personne, les deux aspects sont inséparables,
même si l’on doit toujours accorder la priorité à la subjectivité. On aboutit ainsi à
ce qui révèle la spécificité de la personne, à savoir qu’elle est une synthèse
intégrale de la transcendance et de l’immanence, des dimensions subjective et
objective. On perçoit alors l’aspect dynamique de l’être dans le croisement de ces
dimensions, qui consiste en ce que la personne entre en elle-même (l’immanence)
et ensuite sort d’elle-même vers le monde extérieur. C’est pour cela que sa
spécificité englobe une connaissance particulière par la raison, une liberté
enracinée dans la volonté, mais aussi l’agir et l’amour. Dans cette perspective, la
subjectivité donne la possibilité à la personne humaine d’affirmer sa propre
existence au degré le plus élevé et de jouir d’une dignité exceptionnelle. Par
conséquent, la subjectivité crée son propre monde intérieur, en conformité avec
la nature des choses et, chez l’homme, elle acquiert l’existence la plus accomplie
grâce à sa relation avec le monde extérieur. En effet, elle ne s’accomplit qu’en
étant en lien avec les autres.
90
Raison et raisons, Œuvres Complètes, op. cit., p. 361.
91
Cf. Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 72-73.
92
Raison et raisons, Œuvres Complètes, op. cit., p. 361.
La structure ontologique de l’homme 119
93
Ibid.
94
Cf. Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 71-72.
95
Y. FLOUCAT, Jacques Maritain ou la fidélité à l’Éternel, op. cit., p. 108.
96
Cf. K. WOJTYLA, Personne et acte, Paris, Éditions Parole et Silence, 2011, p. 91-92.
97
Cf. L’Homme et l’État, Œuvres Complètes, t. IX, 1990, p. 584.
98
Message de Jean Paul II à l’occasion du congrès « Jacques Maritain aujourd’hui » organisé
par l’Université Catholique du Sacré Cœur à Milan du 20 au 23 octobre 1982, CJM, 4-
5(1982), p. 60-63.
120 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
est fondamentale, à la fois pour déceler la spécificité de l’homme, mais aussi pour
établir son rôle irremplaçable dans la société. À la suite de Gogacz, on constate
que l’idée de « devenir une personne », Maritain en hérite de Platon99. Dans cette
logique, l’homme devient une personne grâce aux relations et par son agir tout
au long de sa vie.
L’expérience de la subjectivité oriente donc vers la conception
métaphysique de la personne en la situant aucentre du monde. Autrement dit,
la subjectivité affirme le moi pensant, comme le sujet à soi-même. Dans cette
perspective, selon le philosophe polonais Stanisław Kowalczyk, Maritain
construit sa philosophie à l’appui de la méthode phénoménologique, tout
comme Jean Paul II le fait lui-même. Tous les deux choisissent un langage objectif
génétiquement lié au monde des choses100. Par la suite, le philosophe français et
le Pape polonais ont recours à la phénoménologie, afin de passer de l’expérience
spécifiquement humaine aux données ontologiques. Grâce à ce cheminement, le
sujet est le centre du monde et son destin devient le moteur essentiel de l’agir.
C’est pour cela qu'on perçoit une connivence entre les actes et l’expérience de la
subjectivité, car celle-ci les affirme et les présente par la conscience. Les actes
émanent de la subjectivité, à condition qu’ils soient bien reconnus dans la
pratique. Maritain insiste fortement sur ce point et, dans cette optique, il constate
qu’avec la personne, les actes acquièrent le niveau d’indépendance et de liberté
maximal. C’est le point fondamental dans la pensée de Maritain, qui permet de
se confronter aux autres visions de l’homme élaborées au détriment de la place
centrale du sujet. La position des philosophes comme Héraclite, Fichte et même
Bergson, dont le changement et le devenir deviennent une notion première,
définissant l’homme, n'est pas satisfaisante pour notre philosophe101. L'ontologie
n'a pas sa place dans leurs systèmes, alors que Maritain postule un retour à la
métaphysique, car elle permet de percevoir les êtres à des degrés différents de
l’individualité, de plus en plus riche en complexité intérieure et manifestant
spontanéité et agir. Au degré le plus élevé, il y a des sujets dont la liberté devient
indépendante et autonome. C’est bien ce niveau qui est caractéristique pour la
personne. Par la suite, « le suppositum devient personna, - un tout qui subsiste
et qui existe de par la subsistence et l’existence même de son âme spirituelle, qui
agit en se donnant à lui-même des fins, son propre univers, un microcosme qui,
dans son existence menacée au sein de l’univers matériel, a cependant une plus
haute densité ontologique que cet univers. La personne seule est libre, elle seule
a, au sens plein de ces mots, une intériorité et une subjectivité, parce qu’elle se
contient et se parcourt elle-même »102.
La subjectivité dévoile alors certains aspects de la personne qui se
focalisent en elle en tant qu’espace d’intégrité. C’est ainsi que la place de la
personne parmi les autres créatures reste toujours spécifique. Etroitement liée à
l’être, la subjectivité contient en elle-même une dimension intelligible, parce
99
Cf. M. GOGACZ, Wokół problemu osoby, Warszawa, Instytut Wydawniczy Pax, 1974, p.
201.
100
Cf. S. KOWALCZYK, Nurty personalizmu. Od Augustyna do Wojtyly, Lublin, KUL, 2010,
p. 130.
101
Cf. Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1063.
102
Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 70.
La structure ontologique de l’homme 121
qu’elle est une réalité qui se compose de la forme substantielle vivant « d’une vie,
non seulement biologique et instinctive, mais aussi intellectuelle et
volontaire »103. C’est la raison pour laquelle, elle demande aussi un effort
d’intelligence permettant de découvrir son rôle en l’être. Dans cette lignée, la
subjectivité unit tous les actes humains et assure les dynamismes qui ne
s’opposent pas dans une et même personne : « nos actes ne sont tolérables que
parce que la conscience que nous avons d’eux baigne dans l’expérience obscure
de la subjectivité. (…) Ils sont immergés dans cette atmosphère maternelle,
émanant de la subjectivité »104. De plus, dans sa condition intelligible, la
subjectivité traite tous les êtres comme ses attraits intérieurs, afin de se donner à
eux, de les surabonder, et par conséquence, elle révèle l’existence spécifique de
cet être. En ayant une structure intelligible reçue par l’intelligence, elle la partage
par et avec l’être. Il en résulte qu’elle communique avec l’être par l’intelligence et
par l’amour et peut être connue par l’intuition de l’être. La subjectivité est alors
un don à l’égard du moi existant. Dans le cas de la personne, le moi est constitué
par la subjectivité, non seulement comme un individu matériel, mais aussi
spirituel et substantiel. C’est une implication capitale pour une bonne
compréhension de la personne chez Maritain, car l’intuition de l’être englobe
aussi l’intuition du sujet agissant et exige de saisir la subjectivité comme
subjectivité. Dans cette perspective, la subjectivité montre, qu’en l’homme, il y a
une structure ontologique, source d’unité dynamique et d’indépendance105. Il est
alors possible de passer de la subjectivité à la personne. Ce passage est nécessaire
pour saisir le lien étroit entre le spéculatif et le pratique. William Sweet, dans son
étude, considère cette relation comme constitutive pour une compréhension des
actes typiquement humains. Il dit que les sciences pratiques s’appuient sur les
principes spéculatifs. Mais elles ne sont pas des actions spéculatives, puisqu’elles
n’agissent pas pour elles-mêmes. Étant une science pratique, elle assigne la
direction de l’agir humain et devient ainsi une partie de la philosophie morale106.
On conçoit une image spécifique de l’homme, comme celui qui a des capacités,
non seulement spirituelles et intellectuelles, mais aussi qui est libre dans ses actes.
Dès que la personne humaine appréhende le moi, elle se reconnaît comme un
sujet existant d’une manière spécifique. Et sa particularité consiste en ce qu’il
monte au-dessus du monde sensible par l’intelligence et par la volonté. Donc, la
subjectivité suppose avant tout l’autonomie et la conscience qui distinguent la
personne humaine des autres créatures. Ainsi, l’homme a une subsistence qui est
capable d’intérioriser le monde extérieur et il reste l'auteur de ses déterminations
quant à sa destinée.
103
Ibid., p. 82.
104
Ibid., p. 80.
105
Cf. Ibid., p. 83.
106
Cf. W. SWEET, « Maritain, Jacques (1882-1973) », dans : CH. BERRY- GRAY (éd.) The
Philosophy of Law: An Encyclopedia, vol. 2, New York, Garland Press, 1999, p. 533-535.
122 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
107
Réflexions sur la personne humaine et la philosophie de la culture (l’article), Œuvres
Complètes, t. VI, 1984, p. 904.
108
La Personne et le Bien commun, Œuvres Complètes, t. IX, 1990, p. 190.
109
Ibid., p. 191.
110
GS 14.
La structure ontologique de l’homme 123
à l’invisible »111. Le Concile Vatican II, tout comme Maritain, fait référence à la
conception personnaliste de l’homme, afin de faire face aux enjeux du temps ;
Dans cette perspective, la nature spécifique de l’homme reste en relation étroite
avec la personne et simultanément avec la nature universelle. Le philosophe
explique que « le vivant exerce l’existence d’une autre façon, l’existence du vivant
n’est pas seulement de lui, elle est à lui et pour lui, son esse dépend sans doute
de l’univers ; mais de plus en plus, à mesure qu’on monte dans l’échelle des êtres
vivants et qu’on se rapproche de l’esprit, de plus en plus à titre de condition
(l’univers fournit les conditions d’existence du vivant, notamment du vivant
corporel-spirituel ), de moins en moins à titre de cause proprement dite ;
l’existence du vivant est orientée vers lui-même, pour surabonder ensuite au-
dehors »112. La personne alors n’est pas immergée complètement dans la nature
tout entière, mais elle reste indépendante. Et ce point de départ est capital pour
s'orienter vers une meilleure compréhension de ces éléments qui lui sont
propres : une matière et une âme constituant ensemble une unité substantielle et
une détermination essentielle113. En conséquence, grâce à la substance qui est
une source d’individuation de la personne, elle n’est pas une partie d’un autre
être, mais constitue le microcosme le plus parfait114. La personne n’est pas une
des images du monde, mais un monde en elle-même qui est relationnel.
111
Ibid., 15.
112
Approches sans entraves, Œuvres Complètes, op. cit., p. 569.
113
Cf. La Personne et le Bien commun, Œuvres Complètes, op. cit., p. 188.
114
Cf. Somme Théol., Ia, q. 29, a. 3 : « Persona significat id quod est perfectissimum in tota
natura, scilicet subsistens in rationali natura ».
115
La Personne et le Bien commun, Œuvres Complètes, op. cit., p. 186-187.
124 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
116
Cf. F. NIESSEN, O. DE DINECHIN, Repères chrétiens en bioéthique, La vie humaine du
début à la fin, Paris, Editions Salvator, 2015, p. 63. Françoise Niessen souligne
l’importance d’hylémorphisme comme argument soulevant la question de
consentement du patient dans le débat sur les pratiques de l’assistance médicale à la
procréation, la sédation en fin de vie, les prélèvements et greffes d’organe.
117
Cf. La Personne et le Bien commun, Œuvres Complètes, op. cit., p. 192-193.
118
Ibid., p. 194.
119
Cf. Principes d’une politique humaniste, Œuvres Complètes, op. cit., p. 188.
120
Cf. Raison et raisons, Œuvres Complètes, op. cit., p. 361.
La structure ontologique de l’homme 125
121
Trois Réformateurs, Œuvres Complètes, op. cit., p. 453.
122
Cf. L. CHAMMING’S, « Actualité d’Humanisme intégrale : perspectives pour un nouvel
âge de civilisation », Revue des Sciences Religieuses, 81(2007)3, p. 353-368.
123
Trois Réformateurs, Œuvres Complètes, op. cit., p. 452-453.
124
Cf. Ibid., p. 453.
125
Cf. Ibid., p. 451-452.
126
Humanisme intégral, Œuvres Complètes, t. VI, 1984, p. 306.
126 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
une personne qui est, non seulement immanente, mais aussi transcendante par
rapport au monde qui l’entoure. Si la personne est capable de surpasser son
indépendance et sa propre intériorité, ce qui n’est pas le cas chez les animaux, ce
n’est qu’à la grâce de son esprit127. Dans cette lignée, la personne humaine est
affirmée en tenant compte de sa propre structure, eu égard à elle-même. Dans
cette recherche, un constat d’une importance capitale est avéré, à savoir
l’affirmation que l’homme trouve son fondement dans sa structure réelle. Elle ne
résulte pas des idées idéalistes ou univoques. Comme l’a bien montré Mario
D’Souza, Maritain présente une vision dont tous les éléments, même s’ils se
différencient les uns des autres, constituent un tout intégral dans une personne
et l’affirment pour elle-même128. En conséquence, l’homme reste toujours ancré
dans le monde matériel par sa corporéité. Il n’en reste pas moins qu’il le dépasse
par sa spiritualité.
La distinction entre l’individu et la personne a une grande répercussion
dans la vision du bien commun chez Maritain. Ces deux dimensions sont
nécessaires, même si le bien temporel de la société reste subordonné au bien
absolu de la personne humaine. Il en résulte que la personne, en tant
qu’individu, est une partie de la communauté et que, par sa dimension
individuelle, elle est subordonnée à la communauté, tandis que la personnalité
constitue un tout indépendant. Cela montre qu’au niveau de l’individu, le bien
de la communauté est supérieur. Néanmoins, il faut regarder la personne chez
Maritain dans son intégrité. Ainsi, il est perçu une gradualité des biens qui ne
s’opposent pas, mais qui correspondent à la réalité, soit matérielle, soit spirituelle.
Cette logique amène à constater que des dimensions, à première vue
contradictoires, coïncident réciproquement et permettent de s’épanouir jusqu’à
ce que la personne dépasse la dimension matérielle et place son bien sur un plan
supérieur129. Dans cette perspective, le bien de la personne, la perfection
spirituelle et la liberté d’autonomie, ne contrarient pas l’individu, mais
constituent le niveau le plus parfait d’épanouissement de l’homme. Ces
considérations démontrent que, c’est toujours la personne qui est une partie de
la société, mais il est indispensable de souligner qu’elle l’est, non pas par sa
personnalité, mais par son individuation. À juste titre, Yves Floucat montre que
la vision sociale de l’homme suppose une tension entre l’individu et la
personne130. En tant qu’individu, il constitue une partie d’un tout. Dans cette
logique, l’homme doit se sacrifier pour la société. Cependant, par sa personnalité,
il est un univers indépendant et dépasse la société dont le bien n’est qu’un bien
commun humain. Dans cette perspective, la société est subordonnée à
l’accomplissement de la personne131. La question de cette tension est déjà
évoquée, parce qu’elle montre l’aspiration supranaturelle de l’homme, qui
résulte de sa personnalité. Il en découle alors, que l’homme s’épanouit toujours
127
Cf. L’attitude actuelle envers la scolastique (l’article), Œuvres Complètes, t. XVI, 1999,
p. 37.
128
Cf. M.-O. D’SOUZA, « The Unity of the Thought of Jacques Maritain », Études
maritainiennes – Maritain Studies, 32(2016), p. 84-98.
129
Cf. Du régime temporel et de la liberté, Œuvres Complètes, op. cit., p. 369.
130
Cf. Y. FLOUCAT, Jacques Maritain ou la fidélité à l’Éternel, op. cit., p. 118.
131
Cf. La Personne et le Bien commun, Œuvres Complètes, op. cit., p. 201.
La structure ontologique de l’homme 127
dans un contexte concret de l’ordre naturel, dans le temps et dans l’espace social.
C’est même une condition indispensable à son développement. Cet ordre
supranaturel n’est pas en contradiction avec la dimension individuelle, même si
le bien d’une société et celui de la personne ne sont pas les mêmes, car la
complexité de la personne dépasse la société « jusqu’à ce qu’elle entre enfin dans
la société de pures personnes, c’est-à-dire dans la société des Personnes
divines »132.
132
Du régime temporel et de la liberté, Œuvres Complètes op. cit., p. 367.
133
Cf. T. MICHAŁEK, Jacquesa Maritaina antropologiczna argumentacja istnienia Boga,
Lublin, Redakcja Wydawnictw KUL, 1996, p. 173.
134
Cf. Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1070.
135
Maritain a fait un exposé sur cette question à Kolbsheim, le 21 juillet 1967. Le texte
intégral est apparu dans la Revue Thomiste. J. MARITAIN, « Réflexions sur la nature
blessée et sur l’intuition de l’être », Revue Thomiste, 68(1968)1, p. 5-40.
128 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
136
Approches sans entraves, Œuvres Complètes, op. cit., p. 771.
137
Ibid., p. 774.
138
Cf. Ibid., p. 775.
139
Cf. Ibid., p. 781.
140
Trois Réformateurs, Œuvres Complètes, op. cit., p. 470-471.
La structure ontologique de l’homme 129
141
Approches sans entraves, Œuvres Complètes, op. cit., p. 570.
142
Cf. B. KRÓL, « Osobowość, wolność i rozumność człowieka w świetle wybranych dzieł
Jacques’a Maritaina », Studia Teologiczno-Historyczne Śląska Opolskiego, 34(2014), p.
53-67.
143
Cf. Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 70.
144
Du régime temporel et de la liberté, Œuvres Complètes, op. cit., p. 327.
145
Cf. De Bergson à Thomas d’Aquin, Œuvres Complètes, op. cit., p. 84-85 ; W. CICHOSZ,
« Implikajce pedagogiczne antropologii Jacquesa Maritaina », Studia Gdańskie,
13(2000), p. 159-173.
146
Cf. Quatre essais sur l’esprit, Œuvres Complètes, t. VII, 1988, p. 160.
130 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
147
Cf. De Bergson à Thomas d’Aquin, Œuvres Complètes, op. cit., p. 103.
148
Cf. Principe d’une politique humaniste, Œuvres Complètes, op. cit., p. 203.
149
Cf. M. TATAR, « Świętość ontyczna i struktura ontologiczna człowieka. Antropologiczne
podstawy duchowości chrześcijańskiej », Warszawskie Studia Teologiczne, 26(2013)1,
p. 177-194.
150
Cf. Du régime temporel et de la liberté, Œuvres Complètes, op. cit., p. 351-352.
151
Cf. De Bergson à Thomas d’Aquin, Œuvres Complètes, op. cit., p. 72.
La structure ontologique de l’homme 131
152
Cf. J. DESCLAUSAIS, Primauté de l’Etre, Religion et Politique, Paris, Plon, 1936, p. 48. La
publication constitue l’article publié en deux livraisons de la Revue Universelle, le 15
juin et 1er juillet 1936. L’auteur critique avant tout les positions d’Humanisme intégral.
153
Cf. J. GRZYBOWSKI, « Kultura i metafizyka: tomistyczne inspiracje filozofii Jacquesa
Maritaina », Studia Płockie, 37(2009), p. 135-145.
154
GS 55.
155
Cf. J. MARITAIN, Neuf leçons sur les notions premières, op. cit., p. 72.
132 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
156
Cf. S. KOWALCZYK, « Koncepcja wolności odpowiedzialnej J. Maritaina », dans : E.
BALAWAJDER, S. KOWALCZYK, (dir.), Jacques Maritain prokursor soborowego
humanizmu, Lublin, KUL, 1992, p. 55.
157
Cf. R. DENNEHY, « Being Is Better Than Freedom », dans : M.-D. TORRE, (éd.), Freedom
in the Modern Word: Jacques Maritain, Yves R. Simon, Mortimer J. Adler, Indiana,
University of Notre Dame Press, 1989, p. 253.
158
A. LEONARD, « Morale et liberté », dans : C. BRUAIRE (dir.), La morale, sagesse et salut,
Paris, Fayard, 1981, p. 91-107.
159
J. MARITAIN, Neuf leçons sur les notions premières, op. cit., p. 68.
160
Ibid.
161
Du régime temporel et de la liberté, Œuvres Complètes, op. cit., p. 342.
La structure ontologique de l’homme 133
par ses actions libres, tout en s’appuyant sur la raison et sur la loi universelle :
« en supprimant la généralité et la loi universelle, on supprime la liberté, pour ne
laisser que l’informe surgissant de la nuit qui en est le simulacre. Parce qu’en
supprimant la généralité et la loi universelle, on supprime la raison, dans laquelle
toute la liberté a sa racine et d’où émane dans l’homme un si vaste désir que nul
motif au monde et nulle sollicitation objective, sinon la Béatitude vue face à face,
ne suffisent à le déterminer »162. La liberté n’est alors pas une dimension
irrationnelle qui freine le choix humain. Au contraire, la racine de la liberté trouve
sa constitution dans la raison163. L’interaction entre elles est nécessaire, car elle
harmonise les actes humains : l’intelligence permet de connaître le monde, tandis
que la volonté le désire sous l’aspect du bien. Elles sont inséparables. L’homme
tend vers le bien, vers le bonheur. Et l’appétit qui lui permet de le désirer est la
volonté considérée comme celle qui, par sa nature, est ouverte au bien et aspire
à l’acquérir. On est alors au centre de la dimension dynamique de la personne
chez Maritain, où l’homme est déterminé par le bien et par le mouvement de la
volonté l’entraînant vers ce bien. Néanmoins, avant de le vouloir, il faut le
connaître car nihil volitum nisi praecognitum164. Et c’est bien l’intelligence qui
présente à la volonté une chose comme bonne. On perçoit alors un aspect
important de la norme personnaliste de l’agir chez Maritain, à savoir « l’univers
de la liberté suppose l’univers de la nature et se constitue dans un ordre à part,
irréductible au premier, et dont le dynamisme propre va d’une liberté initiale
(libre arbitre) à une liberté terminale, dite liberté d’exultation et liberté
d’autonomie »165. Cette conception de la liberté a des implications importantes.
Elle suppose la connaissance des lois suprêmes de l’être et la connaissance de ce
qui est. Dans cette perspective, l’éthique présuppose la philosophie spéculative
et la métaphysique est la condition indispensable de la morale. Même si la morale
n’est pas une science spéculative, mais un savoir pratique, elle s’appuie sur les
données philosophiques. C’est pour cela que Maritain soutient qu’avant de
regarder l’homme comme moral, il faut le concevoir comme un être
métaphysique, comme un animal qui se nourrit de transcendantaux. Il n’y a pas
de morale chez les fournis. Ce n’est que l’homme qui connaît le sens des mots :
l’être, le pourquoi, la finalité166. Ces considérations montrent la nécessité de
rationaliser l’homme à partir de ce qu’il est. Ainsi, il trouve sa juste place dans la
science et dans la société. C'est là le centre de la norme personnaliste qui cherche
le juste milieu et une cohabitation harmonieuse, afin d’établir un ordre approprié
entre la personne humaine et la technique.
En revanche, Maritain ne conçoit pas seulement la liberté selon l’aspect
individuel, mais aussi dans l’ordre social. Dans la dimension communautaire, la
mise en relief de la liberté de choix mène au libéralisme et l’individualisme. Il faut
mettre l’accent sur la liberté qui définit l’homme. Grégor Puppinck montre que
les droits de l’homme eux-mêmes ne sont plus considérés comme un ensemble
permettant de coexister, parce qu’en matière de choix individuel, c’est la liberté
162
Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 64.
163
Cf. De Veritate, q. 24, a. 2.
164
Cf. Somme Théol. Ia-IIae, q. 3, a. 4, ad. 4.
165
Du régime temporel et de la liberté, Œuvres Complètes, op. cit., p. 323.
166
Cf. Ibid., p. 334-335.
134 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
qui prime167. Ainsi, la personne ne définit pas sa fin dernière et ne s’engage pas
quant aux valeurs universelles sur lesquelles tous les hommes pourraient
s’entendre. Un autre danger apparait lorsque l’État définit toutes les normes
auxquelles l’homme se réfère, afin de s’accomplir. Et cela aboutit à des visions
impérialistes et dictatoriales. Cependant, le danger le plus grave est une
déification de l’individu qui mène à une fausse conquête de la liberté. Du fait
d’être une personne, il y a dans l’homme une aspiration à atteindre la perfection,
non seulement physique, mais aussi surnaturelle. Cela l’oriente vers la réalité
divine considérée comme une réalité simple et pure. Dans cette logique, l’oubli
de Dieu provoque une fausse déification de l’homme, dont attestent les
révolutions luthérienne et cartésienne. Le regard théocentrique révèle une
tendance transnaturelle de la personne vers Dieu, sa Cause transcendante, qui
assure la conquête de la liberté d’autonomie car « l’homme ne peut passer à une
condition surhumaine que par l’adhésion de l’intelligence et de l’amour à un
objet meilleur »168. Une vraie déification consiste alors en une dépendance de
Dieu qui est la Liberté même. Ainsi, l’homme est capable de participer même à la
vie de l’Absolu et devient libre comme lui. Maritain subordonne sa conception
des droits humains à cette vérité169. L’Absolu dans la conception personnaliste
chez Maritain ne freine pas la liberté de l’homme ni son autonomie. Au contraire,
Dieu lui permet de retrouver la vraie liberté et de refonder le sens de sa dignité.
Finalement, l’homme est réhabilité par Dieu et en Dieu. C’est bien cette nouvelle
réalité, dont la dimension divine valorise l’homme, qui constitue l'assise d’un
nouvel âge de la civilisation, que Maritain propose : « cet âge sera un âge de
dignification de la créature, dans sa relation vivante avec le Créateur : en tant que
vivifiée par lui, et en tant qu’ayant en lui la justification de son existence même,
de son travail sur terre, de ses aspirations essentielles et de sa poussée vers la
liberté »170. Kowalczyk insiste, fort à propos, sur le lien étroit entre la liberté et
l’amour dans la conception maritainienne. Ainsi, l’homme intérieurement libre
accepte des devoirs et une loi morale. La conception de la liberté est, d’un côté,
en lien avec l’être et, de l'autre, elle dépasse l’ontologie171. L’amour parfait nous
mène à la liberté d’autonomie et par la suite il nous rend apte à nous maîtriser.
La liberté appréhendée est aussi une capacité d’autodétermination.
La vision théocentrique se fonde sur les deux mouvements, nécessaires
pour bien comprendre le dynamisme spirituel en l’homme. D’abord, c’est le
mouvement de descente par lequel Dieu « descend dans la réalité humaine pour
la pénétrer et la vivifier, car Dieu infuse en chaque créature la bonté et l’amabilité
en même temps que l’être, et il a la première initiative en chaque activité
bonne »172. Ensuite, il y a aussi un mouvement ascendant, ce qui suppose la
réponse de l’homme. Le problème de l’époque moderne consiste à vouloir placer
le second mouvement en premier. Dans cette perspective, l’homme prend
167
Cf. G. PUPPINCK, Les droits de l’homme dénaturé, op. cit., p. 91-98.
168
Du régime temporel et de la liberté, Œuvres Complètes, op. cit., p. 353.
169
Cf. Principes d’une politique humaniste, Œuvres Complètes, op. cit., p. 195-196.
170
Raison et raisons, Œuvres Complètes, op. cit., p. 363.
171
Cf. S. KOWALCZYK, « Koncepcja wolności odpowiedzialnej J. Maritaina », op. cit., p. 62-
63.
172
Raison et raisons, Œuvres Complètes, op. cit., p. 366.
La structure ontologique de l’homme 135
173
Ibid.
174
Ibid., p. 364.
175
Cf. J. RATZINGER, (BENOIT XVI), Libérer la liberté, foi et politique, Paris, Parole et Silence,
2018, p. 16. Le philosophe américain James Schall défend cette position de Benoît XVI.
Il conçoit la raison comme une dimension nécessaire pour protéger l’homme et
construire un ordre en société. J. SCHALL, The Modern Age, South Bend, St. Augustine’s
Press, 2011, p. 60, 129.
176
Du régime temporel et de la liberté, Œuvres Complètes, op. cit., p. 359.
136 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
177
Id., Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 133.
178
Ibid., p. 116.
179
Ibid.
180
Id., Le Paysan de la Garonne, op. cit., p. 63.
La structure ontologique de l’homme 137
agissant et qui est une forme substantielle) constitue une nature spécifique, grâce
à laquelle il est capable de s’épanouir. Ces considérations montrent que le
principe de finalité a sa source, typiquement ontologique, dans le fait que l’être
est nécessairement orienté vers l’acte. Autrement dit, « n’importe quoi ne peut
pas produire n’importe quoi. La détermination conduit à l’ordination et celle-ci
à la préordination »181. Il apparaît donc que l’être, par sa nature, tend à une fin,
la finalité est ontologiquement inscrite dans sa structure et l’action elle-même
constitue une modalité de l’être.
Néanmoins, Maritain considère la conception scolastique de la finalité
évoquée trop générale, car elle met trop l’accent sur la potentialité de l’être, tout
en oubliant l’aspect pratique du principe de finalité. C’est pour cela que le
philosophe valorise la deuxième acception du terme de ce principe : omne agens
agit propter finem. Cette formule contient deux aspects fondamentaux pour cette
recherche sur l’actualité de la conception de l’homme chez Maritain. Il faut
d'abord mettre en valeur le mot « agent » qui signifie un être considéré comme
un sujet de l’action, quelqu’un qui existe réellement et qui agit actuellement.
Dans cette perspective, un être communique avec les autres par ses actes, perçus
comme une forme de perfection propre à lui. Autrement dit, un être transmet un
idéal, qui le constitue à lui-même ou à autrui. De façon similaire, le philosophe
distingue deux genres d’actions : transitive et immanente. Cela veut dire qu’en
reconnaissant sa propre détermination et sa perfection, « l’être communique une
actualité, une perfection, soit à autrui dans le cas de l’action transitive, soit à lui-
même dans le cas de l’action immanente »182. L’aspect de l’autodétermination
chez l’homme y est bien mis en évidence. Par ses actes, il est capable de se parfaire
lui-même.
Ces considérations montrent que l’action, même si elle est étroitement
liée avec l’être, s’en distingue réellement. Pour le philosophe, « l’être est
dynamogénique ; il n’y a pas de “chosesˮ au sens de choses mortes, de choses
possiblement inertes ; l’être est “tensionˮ ; et, dans le souverain Être, il est donc
tension parfaite, c’est-à-dire possession pleine de ce qui se manifeste en son
œuvre par une “continuité de jaillissementˮ »183. Néanmoins, pour que l’action
soit accomplie, il faut un ordre qui, non seulement l’active, mais désigne aussi
des actions concrètes. Il ne s’agit pas de n’importe quelle action, mais de celle qui
est ancrée dans la nature d’une chose. Maritain l’explique ainsi : « tenons compte
de cette distinction réelle entre l’action et l’agent : il est clair que, si l’agent opère
telle action, produit tel effet, il y a, à cela, une raison d’être, c’est-à-dire qu'il est
déterminé avant que l’action soit produite à tel effet ou à telle action plutôt qu’à
telle autre »184. Cet ordre qui oriente l’acte, en vue duquel il est tel qu’il est, c’est
l’ordre du bien ou un agencement de l’agir à un bien. C’est le deuxième aspect
qu’il paraît indispensable de mettre en exergue, à cause de son rôle constitutif
concernant la dimension éthique de l’agir humain. Cette ordonnance de l’action
au bien constitue une raison formelle d’une telle direction de l’agir, et non pas
d’une autre. Il en résulte un argument d’une importance capitale sur l’intégralité
181
Id., Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 118.
182
Ibid., p. 123.
183
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 24.
184
Id., Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 127-128.
138 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
de l’homme, à savoir que « cette notion d’agent implique l’actualité d’un être en
acte ayant une certaine détermination et perfection constitutives, et elle implique
aussi que cet être communique une actualité, une perfection »185.
Toutefois, ce qui constitue une raison formelle pour laquelle les actes
sont bien orientés, c’est aussi qu’un certain ordre les commande. En ce sens, la
fin dépend de la nature humaine, d’où la nécessité d’appréhender l’être humain
intégralement. C’est pour cela que Maritain constate « que l’agent a un ordre, qui
est un appétit ou un amour, il a un ordre, à tel bien par où il parfait lui-même ou
autrui, et qui est son action »186. La dimension de l’ordre est d'une grande aide
pour éclairer la raison formelle de l’agir. Il pourrait être dit que l’homme dispose
d’un penchant naturel vers les actes concrets. Il n’en reste pas moins qu’il est
difficile d’établir explicitement une relation entre cet appétit naturel et l’essence
d’un sujet, et leur impact l’un sur l’autre. Maritain affirme implicitement que
l’agent désire ou aspire, par son être même, à une certaine perfection contenue
dans la nature. Ainsi, le philosophe considère la relation entre un appétit naturel
et l’agent, comme constitutive de leur essence même : « ils ont, dit-il, une relation
qui est leur essence même »187. En conséquence, grâce à cette relation, un sujet
agissant s’actualise, afin d’accomplir telle action et non pas telle autre, et
d’obtenir ce résultat et non pas un autre. Elle révèle une compatibilité de l’agir
avec l’essence de l’être donné. Il apparaît alors que Maritain met en valeur deux
aspects permettant de désigner le fondement de chaque acte : l’essence et
l’ordination naturelle. En d’autres termes, il existe une relation indispensable
entre elles, à tel point qu’elles constituent une cause formelle de l’action pour
chaque être.
D’un point de vue ontologique, la relation entre l’essence et l’ordre
naturel est universelle, et devient une condition de l’agir de chaque être.
Cependant, le philosophe polonais Edmund Morawiec a un autre avis sur la
question. Il dit que, pour Maritain, cette relation n’est pas un facteur essentiel,
car l’homme, en tant qu’être libre, doit gérer son existence en se basant sur
l’intelligence188. Au contraire, cette relation, parce qu’elle est naturelle, pourrait
constituer le fondement essentiel de l’agir humain, démontrer la spécificité de
l’homme et sa position privilégiée parmi les autres créatures. L’ordre naturel ne
s’oppose pas à l’action transitive et immanente de l’agent. L’homme n’est pas
programmé dans ses actes, mais il est plutôt déterminé par la nature elle-même.
Évidemment, l’être humain reste libre dans ses décisions. Néanmoins, la nature,
l’intellect et la liberté l’entraînent vers l’autodétermination. Dans ce contexte, il y
a une autre dimension qui révèle l’homme dans sa complexité, celle du bien.,
185
Ibid., p. 123.
186
Ibid., p. 128.
187
Ibid., p. 128.
188
Cf. E. MORAWIEC, Intellectual Intuition in the General Metaphysics, op. cit., p. 127.
La structure ontologique de l’homme 139
189
Cf. Réflexions sur l’intelligence, Œuvres Complètes, op. cit., p. 71.
190
Id., Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 124.
191
Ibid., p. 78.
192
Ibid., p. 79.
193
Ibid.
194
Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 50.
140 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
les végétaux ou le vrai qui est bon pour l’intelligence195. Le bien incite donc l’être
à l’atteindre, parce qu’il est désirable pour lui. Il révèle donc aussi une dimension
dynamique. S’identifiant à l’être, le bien l'exhorte à « se surpasser, à
communiquer un surplus (…), à parfaire autrui par l’action transitive, ou à se
parfaire lui-même ontologiquement par l’action immanente du vivant végétatif
qui s’édifie lui-même »196. Maritain commente Jean de Saint-Thomas, afin
d’analyser le caractère dynamique de l’être. Ce dynamisme est naturel ; plus
encore, il pousse l’être à surabonder en connaissance et en amour. Cela veut dire
que l’être désire, à la fois atteindre sa propre perfection, son existence supra-
objective et manifester son amour par le don de lui-même. Le principe de la
finalité est donc bien de l’ordre de l'intention, et non pas seulement de l’ordre
ontologique. Il faut un acte de volonté et d’intelligence pour parvenir à une fin.
Le mouvement n’est donc pas une simple réalité de l’expérience, mais il est saisi
par le métaphysicien dans l’intellect. Lorsqu’il appréhende l’inclination de l’être,
simultanément il perçoit le mouvement dans le passage entre la puissance et
l’acte : « partout où il y aura inclination, dans tout l’univers des choses qui ne sont
pas Dieu et qui ont besoin de se parfaire en quelque façon, - et avant tout dans le
monde matériel, lieu métaphysique de l’indigence, - il y aura mouvement,
changement »197.
195
Cf. Id., Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 79.
196
Ibid., p. 80.
197
Ibid., p. 84.
198
Ibid., p. 124-125.
La structure ontologique de l’homme 141
Pour expliquer ce lien étroit entre l’être et le bien, Maritain utilise les expressions
« surabondance », « tendance », « appétit » ou « désir ». C’est ainsi qu’il révèle une
vérité sur l’être qui, par sa nature, reste en corrélation avec le bien. Dans cette
lignée, il constate que « l’être est amour du bien, tout être est amour d’un bien, et
c’est la raison même en vertu de laquelle il agit »199. Cette relation entre l’amour
et le bien dessine le principe de finalité dans sa formule la plus fondamentale.
L’action elle-même constitue déjà un bien, et l’être s’oriente vers ce bien pour se
parfaire ou pour parfaire les autres. Dans cette perspective, ce bien est une fin,
vers laquelle l’homme tend, et l’amour de cette fin est une raison formelle de
l’action de l’agent. Parce qu'il est désirable, le bien détermine donc l’agir. Il
s'ensuit que la fin devient l’objet vers lequel tend la volonté200. Il s’agit de la
dimension morale, dans laquelle la liberté s’ouvre au bien, et dynamise l’être vers
une fin. Maritain va encore plus loin et dira que l’amour du bien constitue la
raison formelle de l’agir. Ces considérations révèlent l’être humain, comme un
bien qui manifeste un amour et une tendance orientés vers lui-même. Plus
encore, le désir d’un bien constitue une détermination. L’homme est même
ordonné à cette action. Cela lui permet de découvrir sa propre spécificité. Ce n’est
qu’ainsi qu’il peut communiquer un surplus, une perfection à lui-même et à
autrui. Maritain l’explique ainsi : « l’être apparaît, dans le principe de finalité,
sous l’aspect du transcendantal bien, comme faisant face à un appétit, à une
inclination ou à un amour. (…). L’être trop riche pour nous parler seulement par
le concept d’être se scinde, d’un côté, en agent, de l’autre, en bien auquel l’agent
est ordonné et déterminé ou par sa volonté ou par sa nature, et qu’il aime
volontairement ou naturellement »201. Grâce à cette relation entre le bien et
l’agent, chaque créature est capable d’atteindre sa propre perfection, soit par sa
propre activité, soit par l’interaction avec les autres.
La dimension de la finalité est présente en chaque acte, même si sa fin
reste inconsciente. L’homme ne l’exprime pas et pourtant, la fin est une raison
de son dynamisme, autant dans l’ordre naturel que surnaturel. Cependant, chez
Maritain, la notion de la fin suppose toujours une tension vers la perfection
humaine. Dans cette perspective, la finalité naturelle englobe aussi l’acquis de la
liberté d’autonomie, la perfection des puissances immanentes et
l’accomplissement de la potentialité humaine. La fin naturelle conjecture alors la
recherche scientifique, l’activité artistique et l’étude de la morale202. Ainsi, le
philosophe suppose des fins intermédiaires, et la fin ultime est considérée
comme l'objet principal de l’acte de volonté qui dynamise la vie. Dans cette
perspective, Maritain met en valeur la fin ultime et constate que « ce qui est le
dernier dans l’ordre d’exécution vient le premier dans l’ordre d’intention »203.
Maritain fait un lien entre la fin et le bien ; il constate que la fin ultime implique
199
Ibid., p. 125.
200
Cf. Ibid., p. 126.
201
Ibid., p. 133-134. Le philosophe construit sa conception sur la base des idées
thomasiennes. Nous les trouvons avant tout dans la Somme Théologique, IIa-IIae, q. 132,
1, a.1, 2.
202
Cf. J. MARITAIN, Le Paysan de la Garonne, op. cit., p. 66-67.
203
Id., Neuf leçons sur les notions premières, op. cit., p. 79.
142 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
On ne peut parler de l'obligation, sans insister sur cet autre aspect, celui
des valeurs. L’obligation « dépend immédiatement de la valeur, elle se situe dans
l’ordre de la causalité formelle intrinsèque, non de la fin ultime. C’est parce que
l’obligation repose sur la valeur, qu’il y a devoir moral vis-à-vis de la fin ultime
elle-même »208. Si je suis obligé d’accomplir un acte, c’est parce que la fin a une
valeur suprême et constitue le bien vrai et authentique. En ce sens, on respecte
notre prochain, non parce que c’est la fin en elle-même, mais parce que c’est un
bon acte qui nous mène vers la fin ultime. Cela représente le dynamisme de la
moralité, où l’être humain tend vers le bien ultime, tout en restant déterminé par
des choix libres des biens particuliers. La finalité et la dimension des valeurs sont
donc, chez Maritain, inséparables car elles situent l’être humain dans un contexte
204
Cf. La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 441.
205
Cf. G. VILAR, « Pour une théorie informelle du bien », dans : A. Gomez-Muller (éd.), Du
bonheur comme question éthique, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 61-84.
206
L. NIEWIADOMSKI, « La conquête de la liberté dans la conception philosophique de
Jacques Maritain », Parerga, Międzynarodowe Studia Filozoficzne, 1(2004), p. 41-60.
207
J. MARITAIN, Neuf leçons sur les notions premières, op. cit., p. 83.
208
Ibid., p. 84.
La structure ontologique de l’homme 143
Conclusion
209
Cf. Ibid., p. 84-85.
210
Cf. Id., Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 162.
144 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
211
Approches sans entraves, Œuvres Complètes, op. cit., p. 570.
212
Cf. Somme Théol., Ia-IIae, q. 18, a. 2.
213
J. KALINOWSKI, S. SWIEZAWSKI, La philosophie à l’heure du Concile, op. cit., p. 48.
La structure ontologique de l’homme 145
214
L. GARDET, « Témoignage », CJM, 10(1984), p. 29-32.
146 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
1
Cf. K. WOJTYLA, Personne et acte, op. cit., p. 93-94.
2
Cf. Principes d’une politique humaniste, Œuvres Complètes, op. cit., p. 198.
La dimension affirmative des actes humains 147
penser »3. Cette observation est d’une importance capitale, car elle incite d’abord
à appréhender l’homme dans son intégralité, thème déjà abordé. Cela permet, à
la fois de bien concevoir son agir, sa raison d’être, et d'admettre certaines
déterminations et certains ordres pour que l’homme procède à un acte
spécifique. L'action a néanmoins toute son importance. En effet, elle constitue le
bien propre de l’être humain et, dans son existence, il est même ordonné à agir.
C’est justement en fonction de l’image spécifique de l’acte et de sa place éminente
qu'il est important de l’aborder. Il n’en reste pas moins que la question de l’agir
humain suppose une réflexion, un effort intellectuel et la connaissance, qui
révèle certains aspects de l’agir. Dans cette perspective, l’acte doit être présenté
à la pensée avant d’être réalisé.
L’agir signifie « être d’une certaine manière, mais c’est avant tout
surabonder l’être ; qui dit action dit une certaine plénitude, une certaine
floraison, plus exactement une certaine émanation par laquelle l’être s’achève »4.
Dans cette perspective, l’action humaine est conçue « au-dehors », par la parole
ou par les gestes. Cela n’épuise pas toute sa richesse. Elle agit aussi « au-dedans »,
par l’intelligence, par son inclination au vrai et au bien. La personnalité suppose
alors que l’être possède une existence qui lui est propre, elle constitue pour lui
une plénitude, et même sa générosité. Ainsi, la personnalité, « c’est la subsistence
d’une nature spirituelle, d’une nature douée d’intelligence et de volonté ; donc
qui, par son intelligence, est ouverte sur le monde et, par sa volonté, est capable
d’aimer tous les autres êtres. Par conséquent, elle est essentiellement
généreuse »5. Cette distinction entre l’agir intérieur (l’intelligence et l’amour) et
extérieur (la corporéité) ne se fait pas aux dépens de l’action humaine mais, au
contraire, l’agir constitue un tout dans un sujet spirituel. Ces deux dimensions se
focalisent en l’homme et influencent sa propre existence. Cette vision de la
3
Id., Sept leçons sur l’être, op. cit., p. 127.
4
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1062.
5
Réflexions sur la personne humaine, Œuvres Complètes, op. cit., p. 903.
148 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
personne agissante ainsi apporte une réponse aux dérives de ce temps, qui
résultent de l’oubli de transcendance de l'être humain. Le premier aspect de l’agir
« au-dedans » montre que l’homme est apte à se posséder lui-même par la
connaissance et par l’amour. Maritain va plus loin, lorsqu’il dit que l’homme
pourrait surexister par ses actes de connaissance et d’amour6. Cela veut dire que
l’être humain peut même se dépasser et, par la suite, accéder à une réalité
immatérielle. En ce sens, il est plus facile de comprendre que, pour Maritain,
l’action est, non seulement une manifestation de l’être, mais aussi de sa
surabondance. Ces considérations sont à prendre en compte dans la discussion
sur la notion du réel dans l’action humaine, qui n’est pas une notion subjective
mais objective. Comme l’a bien montré Mattéi, la liberté humaine et les
circonstances existentielles ne suffisent pas à définir la notion de l’agir, car la
raison et l’amour sont capables de transcender le matériel et de dévoiler la réalité
indépendante de moi7. Par la suite, l’homme est apte à construire l’image de la
réalité, celle qui est liée au matériel et celle qui est immatérielle. C'est une idée-
clé pour cette recherche, car Maritain apporte ainsi une solution à une forme
d’individualisme. C’est bien dans cette perspective que Maritain critique la
philosophie de l’action chez Hegel et dit que « la praxis, ou l’action (transitive), a
pris dans cette philosophie une valeur absolument première et fondamentale, au
point de remplacer le connaître spéculatif. Du même coup, “êtreˮ est devenu
faire ou agir »8. Grâce à la vision complexe et objective du réel, telle que Maritain
la présente, la stabilité de l’existence humaine est mieux assurée, et la nécessité
de certaines exigences à l’égard de soi-même et à l’égard des autres réaffirmée.
L’agir chez l’homme dépend donc de la façon dont le réel est compris.
Dans cet ordre d'idées, la notion de transcendance reste une question
fondamentale dans la discussion sur l’homme. Elle lui permet de dépasser la
dimension matérielle, afin d’atteindre celle qui s’ouvre à son immatérialité.
L’oubli de la transcendance conduit à la négligence de la dimension spirituelle
chez l’homme, tant sur le plan individuel que communautaire. En fin de compte,
il y a un ordre en l’homme qui révèle son unité intérieure. Maritain s l’élucide
ainsi : « la raison d’ordre – une fois la diversité supposée – suit la raison d’unité,
et il y a de l’unité dans la mesure où il y a de l’être, de telle sorte qu’aucun être
n’est absolument sans unité et, par suite, sans ordre. De là vient, qu’en posant
une nature, on pose en même temps un certain ordre »9. Il a été montré que
l’ordre chez l’être humain englobe les deux aspects : transcendantal et immanent.
Dans cette logique, l’agir humain ne peut se limiter à une dimension purement
extérieure. Paul-Richard Blum constate, à juste titre, que Maritain se réfère aux
données spéculatives pour trouver des causes de l’agir humain et son implication
6
Cf. Pour une philosophie de l’éducation, Œuvres Complètes, t. VII, 1988, p. 908.
7
Cf. J.-F. MATTEI, « L’éclipse de la transcendance et le retour de la barbarie », dans : PH.
CAPELLE, J. GREISCH (éd.), Raison philosophique et Christianisme à l'aube du IIIe
Millénaire, Paris, Éditions du Cerf, 2004, p. 329-343.
8
Approches sans entraves, Œuvres Complètes, op. cit., p. 804.
9
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 147; Cf. J. MARITAIN,
« Redeeming the Time », dans : J. WITTE, F.-S. ALEXANDER (éd.), The Teachings of
Modern Roman Catholicism on Law, Politics and Human Nature, New York, Columbia
University Press, 2007, p. 149.
La dimension affirmative des actes humains 149
dans la morale et la politique10. L’acte a une dimension morale, parce que l’être
humain est libre et il prend une décision tout en s’appuyant sur la raison et la
volonté. Ainsi, la réflexion raisonnable précède l’action humaine et l’être humain
devient responsable de ses actes, effectués en conformité avec la raison et la
volonté. Il n’en reste pas moins, que les capacités naturelles et transcendantales
de la surexistence en connaissance et en amour, permettent à l’homme
d’apercevoir la beauté de son existence, comme la valeur de la vie, la nécessité
des relations interpersonnelles ou la place fondamentale de la communauté. La
transcendance ferait donc partie constitutive de l’épanouissement de l’homme.
10
Cf. P.-R. BLUM, « Jacques Maritain Against Modern Pseudo-Humanism », dans: Atti del
Congresso Tomista Internazionale su l’Umanesimo Cristiano nel III Millennio: La
Prospettiva di Tommaso d’Aquino, 21-25 Settembre 2003, Vatican City, Pontificia
Academia Sancti Thomae Aquinatis, 2004, p. 780-791.
11
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1025.
12
Réflexions sur la personne humaine, Œuvres Complètes, op. cit., p. 907.
13
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1063.
150 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
natalité »14. C’est à la fois « une naissance » dans un monde dont la pluralité
constitue le trait essentiel, et « une naissance » qui entraîne elle-même des
changements dans le monde. Dans cette perspective, Hannah Arendt montre un
nouvel aspect de chaque action – la parole, qui constitue un mode essentiel de
communication entre les hommes. Dans son étude, Alexandre Hubeny explique
que pour Hannah Arendt, la parole et l’action sont les deux dimensions de
l’homme qui vivifient la vie humaine et politique, à condition que le nombre des
citoyens soit restreint. Dans cette logique, celle-ci s’oppose à la massification qui
amènerait à la perte de sens du réel, au conformisme et enfin au despotisme15.Elle
saisit alors l’action humaine du côté de la phénoménologie, tandis que Maritain
choisit une approche métaphysique de l’agir humain.
Cependant, l’appréhension phénoménologique de l’agir n’est pas
étrangère au philosophe. Bien sûr, la vue ontologique constitue un point de
départ pour la réflexion sur l’acte. Il n’en reste pas moins que le phénomène et
l’expérience y conduisent aussi. Grzegorz Barth précise, à juste titre, que la
phénoménologie n’est pas donnée pour construire la structure de l’action, mais
pour la découvrir et retrouver sa base métaphysique16. Ce regard novateur
permet de s'orienter vers l’expérience de la vie de l’homme pour trouver les faits
universels et affirmer la spécificité de l’agir humain. C'est également la lecture
qu'en fait Karol Wojtyła, dont la phénoménologie sert à regarder l’agir de l’être
humain dans ses évidences premières et dans son sens métaphysique17. À
l’opposé de Roman Ingarden, Karol Wojtyła propose une recherche sur l’action
qui se base sur les données métaphysiques. La structure ontologique de l’homme,
déjà abordée, conduit à voir l’agir qui en découle naturellement. Les dimensions
spéculatives et pratiques apparaissent étroitement liées. De plus, la seconde
résulte de la première, parce qu’elle dévoile la pleine vérité sur l’homme. Dans
cette perspective, l’agir humain est naturel, dans la mesure où il s’accorde avec
cette vérité.
Alasdair MacIntyre, à la différence de Maritain, analyse l’agir humain
par un autre biais, à savoir qu'il regarde l’action dans son aspect téléologique,
comme une dimension qui tend vers les vraies fins ; ce qui permet à l’homme de
s’accomplir et de se conformer aux exigences de sa propre nature. McIntyre
montre que l’éthique téléologique est la plus rationnelle, car elle met l’accent sur
la dimension typiquement humaine en soulignant sa spécificité. Il affirme ce qui
constitue la profondeur essentielle de l’homme, c'est-à-dire son désir du bien
absolu18. Mais le philosophe écossais ne s’arrête pas sur l’aspect téléologique de
l’agir. Il réfléchit aussi sur son sens ontologique. Dans cette perspective, il met en
relief l’interaction fondamentale entre les prémisses factuelles et les conclusions
morales, dont Aristote est un précurseur : « dans un raisonnement valide, la
14
H. ARENDT, Condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 2018, p. 281.
15
Cf. A. HUBENY, L’action dans l’œuvre de Hannah Arendt. Du politique à l’éthique, coll.
Jeunes talents, Paris, Larousse, 1993, p. 33.
16
Cf. G. BARTH, « Ku całościowej wizji osoby ludzkiej. Metodologiczne założenia
personalizmu integralnego », Teologia w Polsce, 2(2008)1, p. 43-53.
17
Cf. K. WOJTYŁA, Personne et acte, op. cit., p. 103-108.
18
Cf. A. MACINTYRE, Après la vertu. Étude de théorie morale, Paris, Presses Universitaires
de France, 2018, p. 52-53.
La dimension affirmative des actes humains 151
conclusion ne contient rien qui n’était déjà dans les prémisses »19. Pour lui, la
séparation totale entre le fait et la valeur, dénature l’acte humain, d'où certaines
dérives concernant la liberté. Ce sont bien les désastres de la modernité qui
poussent, aussi bien MacIntyre que Maritain, à fonder leur vision de l’agir sur
une dimension stable, à savoir sur la nature humaine. Il y a donc bien une
cohérence entre l’identité de l’homme et ses actes, par lesquels il tend vers son
but et s’accomplit. MacIntyre s’inscrit alors dans cette logique, à savoir que
l’homme s’affirme lui-même par la dimension téléologique de l’acte, car l’agir
n’est pas une simple tendance vers un but, mais aussi la manifestation d'un
certain état de l’homme et de son épanouissement. Dans cette logique, la moralité
suppose trois éléments : « la nature humaine à l’état brut, l’homme tel qu’il
pourrait être s’il réalisait son telos, et les préceptes moraux qui lui permettent de
passer d’un état à l’autre »20. Le philosophe écossais aborde l’acte humain par une
méthode narrative. L’homme est un acteur qui, non seulement crée son histoire,
mais la raconte aussi aux autres. C’est lui qui désigne ses biens et cherche sa
propre unité. Il reste dépendant des autres et découvre les vertus. C’est ainsi qu’il
est uni en lui-même et que l’agir émerge de cette unité. La spécificité morale chez
l’humain résulte de plusieurs facteurs : historique, familial, national, etc.
La construction de l’action
19
Ibid., p. 56.
20
Ibid., p. 54. Un philosophe Ronan Sharkey, abordant la morale chez MacIntyre accentue
cet aspect ontologique de l’agir. Cf. R. SHARKEY, « « Vertus, communautés et politique :
la philosophie morale d’Alasdair MacIntyre », Nouvelle revue théologique, 123(2001)1,
p. 62-87.
21
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1057.
152 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
22
Ibid., p. 1058.
23
Cf. Ibid., p. 1058-1060.
24
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, t. XVI, 1999, p. 697.
La dimension affirmative des actes humains 153
25
Cf. J. ZABIELSKI, « Personalizm jako imperatyw wartościowania człowieka », Rocznik
Teologii Katolickiej, 13(2014)1, p. 125-137.
26
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 697.
27
Cf. Ibid., p. 697.
28
Cf. O. O’NEILL, « Practical Reason and Ethics », dans : E. CRAIG (éd.), The Shorter
Routledge Encyclopedia of Philosophy, New York, Routledge, 2010, p. 832-837.
29
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 698.
154 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
été analysé son rôle dans l’intuition de l’être et le fait qu’elle atteint la dimension
immatérielle d’une chose et son intelligibilité. Maintenant, il s'agit de poursuivre
cette recherche en s'attachant plus particulièrement à son aspect pratique. C’est
ainsi que sera abordée la question de la loi naturelle, inséparablement liée à
l’intelligence humaine. Il faut toujours se souvenir que la raison est mesurée par
les objets de connaissance. Autrement dit, en chaque chose, il y a une dimension
intelligible qui existe même hors de l’esprit. Maritain la définit comme une réalité
extra-mentale. Il faut alors que la raison s’y conforme. Dans cette optique,
l’homme agit bien à condition que la raison s’oriente vers la réalité des choses.
Maritain dit même que la subjectivité singulière est secondaire dans la première
saisie d’une chose. Il y a un ordre qui mesure la raison ainsi que l'action, puisqu’il
démontre la conformité d’une chose à l’exigence de sa nature, afin de transmettre
cette image objective à la raison. Cet ordre, qui règle la raison et l’agir humain,
est nommé par Maritain la loi naturelle. Sa supériorité consiste en ce qu’il est
fondé sur le réel extra-mental. Ainsi, il reste supérieur au simple fait30. Il est donc
tout simplement impossible de diviniser la raison, comme principe suffisant à
opérer un choix, car l’agir doit être conforme, non seulement à la raison, mais
aussi à la nature. De surcroît, la connaissance la plus fondamentale de la loi
naturelle n’est pas le fruit d’un effort de la raison, car elle procède des inclinations
de la nature, qui elle-même est une image de la Sagesse divine, ce qui signifie que
la raison doit dépasser son propre mouvement, afin d’atteindre le réel propre de
la nature. Dans cette optique, à la suite de Saint Thomas d’Aquin, il sera question
de ratio naturalis : « la lumière de notre raison naturelle nous faisant discerner ce
qui est bien et ce qui est mal, n'est rien d'autre qu'une impression en nous de la
lumière divine »31. Cette pensée de Saint Thomas montre que la raison humaine,
avant de discourir du bien et du mal, reconnaît la valeur morale, par les
inclinations naturelles de la nature humaine, et par connaturalité ; « ce sont les
inclinations par conformité auxquelles l’intellect pratique juge de ce qui est bien
et de ce qui est mal »32. L’infaillibilité de la nature ne veut donc pas dire
l’infaillibilité de la raison. Ce constat permet de comprendre que ce raisonnement
se base sur une structure du fond. Par la suite, comme le constate MacIntyre, ce
qui compte, ce ne sont pas les arguments de force ni de persuasion, mais ceux
qui résultent d’un processus fondé sur le raisonnement logique et rationnel. C’est
ainsi qu’un argument se complète par un autre. En conséquence, il y a une
continuité cohérente dans l’argumentation et dans chaque discussion33. Le lien
entre la nature et la raison est étroit, il est déterminant dans le débat sur la
protection de l’espèce humaine. Ainsi, il vaut mieux éviter un registre
idéologique et monologique et mener un débat constructif pour arriver à un
consensus.
Il existe donc une dimension qui mesure les actes humains. Et ce n’est
pas la raison qui l’effectue en premier lieu, ni la conscience morale. Il est
indispensable de s’orienter d'abord vers la réalité propre des choses : « la raison
doit se tourner vers la réalité, vers ce que les choses sont, spécialement vers ce
30
Cf. Ibid., p. 698.
31
Somme Théol., Ia-IIae, q. 91, a. 2.
32
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 725.
33
Cf. A. MACINTYRE, Après la vertu. Étude de théorie morale, op. cit., p. 57.
La dimension affirmative des actes humains 155
que l’homme est, puisque nous sommes moralement bons, pour autant que nous
agissons comme nous sommes. Avant de mesurer mon acte libre, la raison doit
d’abord regarder vers quelque chose d’autre que moi et que ma subjectivité
singulière, et même vers quelque chose qui est au-dessus de cette subjectivité
singulière »34. Ces considérations prouvent qu’il est d'abord nécessaire de
connaître la spécificité de l’être humain, sa destinée, sa spiritualité et sa
dimension ontologique, afin de désigner une norme pratique qui détermine
l’agir. Cette étude sur la structure ontologique a ouvert un autre champ de
recherche, la praxis. Les deux dimensions sont étroitement liées et se complètent,
dans la mesure où l’ontologie constitue une base pour l’action, et la praxis permet
à l’homme de s’accomplir et de s’achever. La rationalité, dont la conformité avec
la raison démontre la bonté d’une chose et constitue un indice pour désigner la
bonté morale de l’agir humain.
Dans le développement de cette étude, il est important de se concentrer
sur l’application de la loi naturelle dans l’espace existentiel de l’homme, afin de
démontrer, non seulement la spécificité de son agir, mais avant tout d’observer
ce que la proposition de Maritain apporte de nouveau dans la discussion
contemporaine sur l’homme. Tout en gardant cette prémisse de la
problématique, il émane du cœur de la praxis de la loi naturelle, le principe
suivant : agir conformément à la raison démontre la vérité et la rectitude
intrinsèque de l’action. De plus, la raison tient compte des circonstances
particulières, ce qui veut dire que la règle générale de la loi naturelle ne s’impose
pas. Comme exemple, Maritain présente un principe général qui commande et
une situation sans contrainte. Voici le précepte suivant : « tu dois rendre ce qui
t’a été remis en dépôt, si celui qui te l’a confié, te le réclame (…). Le cas peut se
présenter où celui qui revendique ce qui lui appartient, le fait dans l’intention de
s’en servir contre la patrie de celui à qui il l’avait confié. Le précepte cesse alors
de s’appliquer »35. Il faut bien préciser que la loi naturelle reste actuelle, mais il y
a des situations irrationnelles qui s’opposent à la vérité et à la rectitude de l’agir,
comme le cas ci-dessus. Ce n’est pas une transgression de la loi naturelle, mais
un acte nuisible. Il est donc indispensable que la prescription de la loi naturelle
soit raisonnable, car la raison perçoit la bonté d’un acte. S’il est irrationnel, il cesse
d'être un principe qui oblige une personne à le mettre en œuvre. En d’autres
termes, l’acte n’est pas abstrait et ne tire pas sa vérité de lui-même, mais il faut
toujours qu’il soit vu à la lumière des circonstances particulières qui déterminent
sa valeur morale. C’est avant tout la prudence qui permet de bien regarder
l’homme comme un microcosme, un univers autonome de liberté et de valeurs
qui, par la suite, sait bien placer les passions et les sentiments, afin de bien choisir.
Elle constitue cette vertu qui mobilise l’humain à regarder la loi naturelle et les
circonstances particulières et à engager tout homme, afin que l’agir soit juste.
Dans cette optique, le jugement qui se veut prudent n’est pas facultatif mais
nécessaire, car il stimule la vie morale et permet à l’homme d’expérimenter la loi
naturelle. Plus la loi universelle est appliquée, plus elle est appropriée et devient
sa loi personnelle. Il s’ensuit que, par le processus d’individualisation, la loi
universelle est un précepte singulier qui demeure dans sa conscience. Maritain
34
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 698.
35
Ibid., p. 822.
156 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
va encore plus loin et constate « qu’il n’y a pas de vie morale authentique, sans
ce processus d’individuation par lequel la loi universelle devient sa loi, s’incarne
dans les profondeurs de son désir, de ses vraies fins personnelles »36. C’est un
passage de l’universel à la dimension singulière de l’humain qui révèle, non pas
une opposition mais, au contraire, une cohésion entre la loi universelle et
l’homme. De plus, cette cohérence trouve sa place et son application avant tout
dans l’acte moral chez les hommes. D'un point de vue formel, un acte peut être
neutre et même bon, mais les circonstances peuvent changer sa spécification
morale. Néanmoins, il est nécessaire qu’il soit conforme à la raison, comme
regardant le bien de la vie humaine37. Ainsi, l’homme prétend s’affirmer par
l’action, suivant trois règles : il veut atteindre ce bien, il veut que l’acte soit vrai et
suivre la rectitude intérieure de l’agir. C’est justement la raison qui éclaire les trois
dimensions. Ces considérations indiquent que l’agir humain possède une
dimension de l’incommunicabilité. C’est toujours l’acte singulier de la personne
qui est considéré comme le sien. Il en résulte que l’acte moral n’est pas
l'application d’un simple schéma mathématique de la loi naturelle, mais un
mouvement libre d’un univers incommunicable de la personne. Pour Maritain,
il y a une forme de risque d'incompréhension et une forme d’anxiété38. Dans cette
logique, le processus d’individualisation et d’intériorisation de la loi universelle,
est nécessaire, car elle trouve ainsi sa place dans la sphère incommunicable de la
personne et s’extériorise, à la fois dans le jugement individualisé, et dans tous les
actes moraux. Par la suite, l’activité morale n’est pas seulement une résonnance
de la loi naturelle, mais aussi une image de la personnalité chez l’homme. En
d’autres termes, en agissant (la raison, la loi naturelle et la volonté), l’être humain
s’affirme lui-même.
Il peut sembler que cette recherche privilégie la raison au détriment de
la volonté. Il n'en est rien, car les deux dimensions s'accordent harmonieusement,
tout en obéissant à un ordre permettant à l’être humain de s’affirmer dans la
praxis : d’abord par la raison, mais aussi par la loi naturelle et par la volonté qui
constitue une mesure effective pour la raison. Cependant, il faut ici distinguer le
spéculatif du pratique. La raison joue un rôle primordial dans la première
dimension, ce qui explique la relation entre l’universel et la praxis. C’est pour cela
qu'il faut insister sur la loi naturelle. La question de la volonté sera approfondie
ultérieurement, car elle constitue l’élément indispensable de la rectitude d’agir et
de l’aspect pratique chez l’humain. Cette distinction ne veut pas dire séparation,
elle permet juste de bien définir la fonction spécifique de la raison et celle de la
volonté.
Cependant, la raison reste toujours en lien étroit avec la réalité extra-
mentale qui dévoile la loi naturelle, cet ordre supérieur du simple fait qu'il est
primordial pour bien diriger le travail de la raison et pour bien orienter l’agir
humain39. Ainsi, la valeur morale des actes humains dépend avant tout de la loi
naturelle. C’est elle qui assigne une norme à l’action correspondant le mieux à la
nature de l’être humain. Dans cette perspective, Maritain présente deux
36
Ibid., p. 760.
37
Cf. Ibid., p. 825-826.
38
Cf. Ibid., p. 759.
39
Cf. Ibid., p. 698.
La dimension affirmative des actes humains 157
L’élément ontologique
40
G. COTTIER, Deviens ce que tu es. Enjeux éthiques, coll. Sagesse et Cultures, Paris, Parole
et Silence, 2003, p. 254.
41
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 705. Une étude
complexe sur la loi naturelle nous donne Zaralahy Benjamin Rabehevitra. L’auteur
présente la dimension anthropologique, morale et politique de la loi naturelle chez
Maritain. C’est par la suite qu’il argumente les fondements métaphysiques et
théologiques de la loi naturelle. Cf. Z.-B. RABEHEVITRA, La loi naturelle chez Jacques
Maritain. Actualité d’une pensée. Étude historique, critique et doctrinale, coll. Croire et
Savoir, Paris, Téqui, 2011.
42
Cf. L’Homme et l’État, Œuvres Complètes, op. cit., p. 579.
43
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 703.
158 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
indispensable avec la nature même de chaque être. L’agir humain contient alors
une structure normative qui a sa source dans la réalité ontologique. Il possède la
normalité de fonctionnement fondée sur l’essence. C’est bien cette dimension
que Maritain conçoit comme l’élément ontologique. Dans ce cas, l’expression
« formule idéale » désigne cette structure objective qui montre à l’être humain
l’orientation de son action. Cela ne veut pas dire qu’il est forcé de le suivre
comme si c’était une forme de détermination qui nierait la volonté humaine. Rien
de tout ça ne trouve place dans la philosophie de Maritain. Selon lui, chaque
chose, quelle qu’elle soit (une table, un lit, un piano, un chien, un cheval) a sa
propre loi naturelle et, finalement, se spécifie par son propre fonctionnement, sa
normalité et ses fins spécifiques44. Il en résulte qu’en raison de sa spécificité
naturelle, il faut qu’elle soit mise en action. La loi naturelle révèle donc un ordre
idéal concernant les actes humains parce qu’il est conforme aux nécessités
immuables de l’homme et à la finalité de l’essence humaine. Dans sa dimension
idéale, elle entraîne la liberté humaine, tout en restant soumise à l’essence
humaine. Ainsi, l’élément ontologique de la loi naturelle se révèle comme
quelque chose qu'il faudrait mettre en œuvre, et non pas comme quelque chose
qui est déjà fait ; un ordre qui désigne ce qui est convenable ou non, ce qui est
propre à l’homme ou non. En ce sens ontologique, la loi naturelle contient les
normes morales qui ne sont spécifiques qu’à l’homme en tant qu’homme45. C’est
un point capital de cette recherche, car il dévoile la loi naturelle qui ne s’impose
pas aux actes, mais se montre plutôt sous son aspect idéal, poussant l’être humain
à certains actes moraux. Par la suite, l’homme s’affirme lui-même, car la normalité
du fonctionnement entraîne l’être humain et « se rapporte à une certaine nature,
à l’intelligence et à la connaissance de la nature humaine, nature aux propriétés
et aux fins de laquelle certains actes que l’homme peut accomplir, dans certaines
conditions existentielles données, ou bien sont conformes, ou bien répugnent »46.
En d’autres termes, par ses capacités normatives, d’un côté, la loi naturelle
constitue une structure qui interpelle l’être humain et le pousse à l’agir moral et,
de l’autre, elle engage l’homme moralement, afin qu’il puisse agir en lien avec sa
propre essence. Dans cette perspective, l’action de chaque être se caractérise par
un comportement spécifique et permet de tendre vers sa plénitude, dans la
mesure où elle est conforme à sa loi naturelle. En d’autres termes, suivant les
indices de la loi naturelle, tous les êtres agissent en conformité avec eux-mêmes
et, en conséquence, « ils doivent ou devraient atteindre leur plénitude d’être
typique dans leur comportement »47. Le verbe « devoir » est ici conçu
métaphysiquement comme une orientation naturelle et nécessaire, à l’acte. Pour
l’illustrer, Maritain donne exemple d’un œil qui est naturellement orienté pour
voir ; il « “doitˮ ou “devraitˮ être capable de lire des lettres sur un tableau à une
distance donnée »48. Les considérations sur la loi naturelle, abordées ci-dessus, ne
44
Cf. Ibid., p. 704-705.
45
Cf. J. MARITAIN, « Natural Law and Moral Law », dans : R.-N. ANSHEN (éd.), Moral
Principles of Action. Man’s Ethical Imperative, vol. VI, coll. Science of Culture Series,
New York, Harper and Brothers, 1952, p. 62.
46
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 765-766.
47
Ibid., p. 704.
48
Ibid.
La dimension affirmative des actes humains 159
L’élément gnoséologique
49
Cf. Ibid., p. 705.
50
Ibid., p. 707.
51
Luc Ferry a exprimé ses pensées dans une tribune publiée les 4 juillet 2018 et 10 octobre
2018 dans le Figaro. De plus il les développe aussi dans un autre livre : L. FERRY, J.-D.
VINCENT, Qu’est-ce que l’homme ? Sur les fondamentaux de la biologie et de la
philosophie, Paris, Éditions Odile Jacob, 2000, p. 107-109.
52
Cf. L. FERRY, The New Ecological Order, Chicago, University of Chicago Press, 1995, p.
3-5.
160 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
53
Cf. V. POSSENTI, « La philosophie du droit chez Jacques Maritain », dans : P. DE LAUBIER
(éd.), Vladimir Soloviev, Jacques Maritain et le personnalisme chrétien, Paris, Parole et
Silence, Les Presses universitaires de l’IPC, 2008, p. 131-146.
54
Cf. Somme Théol., IIa -IIae, q. 45, a. 2.
55
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 711.
56
L’Homme et l’État, Œuvres Complètes, op. cit., p. 589.
57
Cf. F. VIOLA, « La connaissance de la loi naturelle dans la pensée de Jacques Maritain »,
Nova et Vetera, 3(1984), p. 204-228.
La dimension affirmative des actes humains 161
comme un bien pour l’homme, parce qu’elle permet de remonter des effets
visibles à leurs causes invisibles. En ce sens, « connaître, c’est relier à une
structure échappant aux sens, les phénomènes qu’elle génère »58. Ainsi, Steffens
montre certaines incohérences de la modernité. Quant à l’acte humain, il constate
clairement que l’agir ne peut pas être mis en action par un simple désir car le
désir, pour les modernes, invente son objet et reste inapte à apporter une
satisfaction. Par la suite, le désir n’a pas d’autres fins que la perpétuation du
mouvement de l’homme59. C’est une vision du désir comme seul élément
suffisant pour procéder à l’acte, ce qui le déforme souvent. Telle est l’une des
conséquences soulevées de la dissociation de l’acte humain avec les capacités
naturelles de la connaissance. L’apport capital de Maritain dans la discussion sur
l’homme consiste à mettre en avant une cohésion naturelle entre la loi non-écrite
et les inclinations de l’homme. Par la suite, l’intellect saisit cette loi comme bonne
pour l’homme et construit un jugement existentiel. De surcroît, c’est la nature
elle-même qui dynamise la raison. Il s’ensuit que les données de la raison
trouvent leur origine dans le dynamisme le plus profond des tendances
naturelles et dans la loi non-écrite. Bien évidemment, la raison s’appuie sur
l’expérience. Cependant, c’est la nature et les inclinations naturelles qui
l’entraînent, car elles se rendent visibles justement dans la praxis. L’acte humain
est alors spécifique, grâce aux inclinations naturelles de l’homme. Ce sont des
inclinations ontologiques, rationnelles et typiquement humaines, car elles ne
trouvent leur place qu’en l’homme, dans la partie non-conceptuelle de la raison,
et dans l’entéléchie de ses énergies psychiques60. Le désir seul ne suffit pas pour
accomplir un acte, puisqu’il pourrait rendre l’action humaine non-conforme à la
vérité d’une chose. Il s’ensuit que l’acte, chez Maritain, est apte à ne pas détruire
l’homme lui-même, à condition qu’il existe une cohérence entre les inclinations
naturelles et la raison. C’est par la suite, que l’être humain s’incline vers certains
biens qui lui sont propres, s’accomplit dans son existence, et affirme sa spécificité.
Toutefois, Maritain expose certains éléments, considérés comme
indispensables, sur lesquels l’agir est fondé, afin d’assurer le développement
intégral chez l’homme. En premier lieu, la raison est à la fois mensura mensurans
et mensura mensurata. Cela veut dire que la raison humaine n’est pas la norme
la plus haute qui définit le bien et le mal ; c’est la loi naturelle qui constitue un
critère pour la raison pratique. Elle influence l’agir humain dans la mesure où
elle le règle et le mesure. Chaque acte contient l’élément ontologique qui, non
seulement correspond à la nature de chaque être et à ses fins, mais permet aussi
à chaque être d’atteindre sa plénitude. Néanmoins, l’agir humain reste en lien
étroit avec l’élément gnoséologique de la loi naturelle. Cet aspect assure un
fonctionnement correct de l’être humain, au moins au niveau des premières
règles, parce qu’il indique que l’homme est capable de connaître les normes
morales directement et naturellement : « c’est par connaturalité à ses inclinations
que les jugements pratiques se forment dans la raison pratique en ce qui
concerne, par exemple, le jugement no 1 : “ne pas nuire à autruiˮ et le jugement
58
M. STEFFENS, L’éternité reçue, Paris, Desclée De Brouver, 2017, p. 118.
59
Cf. Ibid., p. 95.
60
Cf. J. MARITAIN, « Natural Law and Moral Law », op. cit., p. 64.
162 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
no 2 : “ne pas tuerˮ. Ces jugements appartiennent à la loi naturelle »61. Ce lien
entre la nature et l’homme constitue une approche fondamentale dans la
discussion sur l’homme. Il révèle un regard rationnel sur les capacités de la
connaissance chez l’être humain, à savoir la spécificité de l’homme en ce qui
concerne son intelligence et ses liens avec les inclinations naturelles. Il s’ensuit
que, chez les hommes, « l’inclination a valeur morale, tant qu’elle est enracinée
dans la raison humaine, elle a valeur de moyen pour connaître l’ordination de la
raison divine »62. De plus, chez l’homme, le fait de « connaître la loi naturelle » a
une valeur morale, parce qu’il appartient au monde des êtres libres. Arrive alors
le deuxième élément spécifique de l’agir humain, la liberté. Pour l’homme, la loi
naturelle devient la loi morale, parce qu’il est libre ; il peut lui obéir ou la rejeter.
Les décisions finales appartiennent au choix libre de l’homme63. Il s'agit du
registre des devoirs et de l’obligation. C'est en effet une nouvelle tonalité, où les
actes ont un caractère moral, puisqu’ils émergent d’un être libre et, par la suite,
sont responsables de son agir.
61
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 724.
62
Ibid., p. 820.
63
Maritain dit que la notion de la loi suppose une raison qui oblige à la mettre en œuvre.
Ainsi, il parle de la loi éternelle dont l’auteur est la raison de Dieu. La notion de la loi
naturelle n’est compréhensible qu’en lien avec la loi éternelle. Cherchant l’origine de la
naturelle alors il nous faut nous référer à la loi éternelle. Cf. Id., « Natural Law and
Moral Law », op. cit., p. 62.
64
Les droits de l’homme et la loi naturelle, Œuvres Complètes, t. VII, 1988, p. 660.
65
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 713.
La dimension affirmative des actes humains 163
66
Ibid., p. 709.
67
Cf. P. WASYLUK, « Między optymizmem i pesymizmem dziejowym – Jacques’a Maritaina
koncepcja realizmu historiozoficznego », Roczniki filozoficzne, 60(2012)2, p. 5-23.
68
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 710.
164 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
69
Cf. Somme Théol., Ia-IIae, q. 93, a. 2.
70
Cf. La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 869.
71
GS 26.
72
Cf. La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 874.
73
Cf. Ibid., p. 715.
La dimension affirmative des actes humains 165
74
Cf. Ibid., p. 705.
75
É. FIAT, « Dignité et vulnérabilité », dans : B. SCHUMACHER (dir.), L’éthique de la
dépendance face au corps vulnérable, Toulouse, Éditions érès, 2019, p. 28.
76
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 760.
166 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
77
Cf. P. MANENT, La loi naturelle et les droits de l’homme, Paris, Presses Universitaires de
France, 2018, p. 120-124.
La dimension affirmative des actes humains 167
d’accomplir sa destinée, il a le droit aux choses nécessaires pour cela »78. Il s’ensuit
que l’acte de l’homme est, d’un côté, libre parce qu’il est réalisé par un agent
spirituel mais, de l'autre, il est lié à la finalité et au bien propre de l’homme. Par
sa capacité naturelle à dépasser le monde visible par l’intelligence et par la
volonté, l’homme est apte à conformer ses actes avec la finalité qui lui est
naturelle. C’est une approche essentielle, car elle montre une cohésion entre les
capacités humaines de surexister, l’action et la fin ultime. L’agir humain contient
donc implicitement la finalité naturelle qui est inscrite en l’homme et vers
laquelle il tend. Il apparaît que la notion des droits de l’homme est
impérativement fondée sur celle de la loi naturelle ; ce qui détermine un acte
humain, ce sont les devoirs et les obligations fondamentaux. Dans cette optique,
étant un être spirituel, l’homme agit et accomplit ses actes, selon les sources des
droits fondamentaux, non seulement à l’égard du cosmos et de la nature créée,
mais aussi à l’égard de son prochain. Et ce sont alors les droits fondamentaux qui
indiquent la juste direction de nos actes. Pour Maritain, le problème majeur
réside dans la tendance qu’a l’homme de n’obéir à aucune loi, autre que la sienne
propre. Cette idée, dont Jean-Jacques Rousseau est un pionnier, conçoit l’acte
humain comme uniquement fondé sur la liberté et la volonté humaine. Cet
individualisme révèle une vision des droits « comme des droits proprement
divins, donc infinis, échappant à toute mesure objective, refusant toute limitation
imposée aux revendications du moi et exprimant, en définitive, l’indépendance
absolue du sujet humain et un soi-disant droit absolu, attaché à tout ce qui est en
lui, du seul fait qu’il est en lui, de se déployer contre tout le reste des êtres »79.
C’est ainsi que l’homme devient l’esclave de ses propres lois et du scepticisme,
car il s’aperçoit que sa vision individualiste est faible et précaire. Il affronte les
imprévus et l’impossible face auxquels lui-même devient impuissant. C’est l’une
des dérives de l’agir humain, provenant d’une appréhension défigurée des droits
de l’homme. Dans cette perspective, Maritain met en évidence la nécessité de la
révolution, à la fois intellectuelle et morale, qui permettrait de rétablir une foi
authentique en la dignité humaine et ses droits. Pour cela, il explique que la
révélation évangélique constitue ce message. L’homme y est présenté dans sa
dimension transcendante, ce qui permet de redécouvrir la foi en l’homme et
d’éveiller la conscience de la dignité humaine et des droits de l’homme80.
Les droits naturels ou positifs, quels qu’ils soient, se basent sur le
préambule de la loi naturelle « faire le bien et éviter le mal »81. Ce qui est
important, c’est que chaque droit garde un lien avec la loi naturelle. Il s'agit donc
toujours de la dimension objective de l’être, et il faut se référer aux préceptes qui
se trouvent dans la nature des choses et qui vont de soi. Dans cette optique, « c’est
la loi naturelle elle-même qui demande que ce qu’elle laisse elle-même
indéterminée soit ultérieurement déterminée »82. Il s’ensuit alors que certaines
actions humaines doivent supposer les devoirs venant de la loi naturelle et
permettant de réguler certaines relations entre les hommes, jusqu’à ce qu’elles
78
Les droits de l’homme et la loi naturelle, Œuvres Complètes, op. cit., p. 661.
79
Ibid., p. 662.
80
Cf. Ibid., p. 662.
81
Ibid., p. 663.
82
Ibid., p. 664.
168 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
soient établies par une législation convenable. Tel est l’un des principes du
dynamisme de la loi naturelle et d’affinement de la conscience humaine.
La loi positive se rapporte, ne fût-ce qu'implicitement, à ce qu’il faut
faire le bien et éviter le mal. C’est la raison humaine qui légifère certaines règles
et les désigne comme bonnes ou mauvaises. Maritain donne comme exemple le
feu rouge marquant l'arrêt et le feu vert autorisant la poursuite de la marche.
C’est une règle rationnelle à laquelle l’homme doit se soumettre, car une
négligence provoquerait un désordre. Il en résulte que la raison désigne, elle
aussi, le bien moral ou le mal moral, puisqu’elle instaure certaines exigences
permettant de bien vivre en société. Il n’en reste pas moins qu’elle se réfère à la
loi naturelle et au bien propre de l’homme. Il s'agit de la capacité de surexister en
connaissance chez l’homme. Pour Maritain, la loi naturelle ne présente pas
explicitement des règles de la loi positive. C’est justement la raison qui prend une
initiative. La loi naturelle même demande à la raison de bien déterminer
certaines règles83. Elle occupe une place capitale, tout en indiquant les obligations
et les ordonnances de l’agir chez l’homme. Dans cette optique, l’approche de
Maritain sur la conformité entre la loi naturelle et positive, est très utile car elle
indique une cohésion entre elles ; l’une suppose l’autre, comme conséquences
naturelles. Selon Maritain, « les régulations de la loi humaine accomplissent un
vœu de la loi naturelle en achevant ce que la loi naturelle laisse indéterminé (…).
Cet achèvement est conforme, dans le cas des droits politiques, à une aspiration
inscrite dans la nature de l’homme »84. Il s’ensuit alors que l’agir humain affirme,
non seulement les exigences de la loi positive, mais aussi implicitement de la loi
naturelle. Ce lien est très important, à tel point que la loi positive, si elle ne se
réfère pas à la règle de la loi naturelle « faire le bien et éviter le mal », ne peut pas
toujours être appliquée. Et, par la suite, l’acte s’inscrit dans la dimension propre
de la loi humaine. Ce lien de la loi positive et naturelle est même indispensable,
car il stimule l’action humaine au niveau le plus élevé de la perfection. Il
dynamise l’homme et le fait s’épanouir, toujours en concordance avec sa propre
nature.
83 Cf. Id., « Natural Law and Moral Law », op. cit., p. 75.
84 Les droits de l’homme et la loi naturelle, Œuvres Complètes, op. cit., p. 672.
La dimension affirmative des actes humains 169
85
Ibid., p. 666-667.
86
Science et Sagesse, Œuvres Complètes, op. cit., p. 137.
87
Cf. J. GRZYBOWSKI, Jacques Maritain i nowa cywilizacja chrześcijańska,Warszawa,
Fronda, 2007, p. 267-270.
88
Les droits de l’homme et la loi naturelle, Œuvres Complètes, op. cit., p. 670.
170 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
89
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 745. Cf. Id., Neuf leçons
sur les notions premières, op. cit., p. 49.
90
Cf. Id., « Natural Law and Moral Law », op. cit., p. 76.
La dimension affirmative des actes humains 171
de bien vivre parmi les hommes. L’action de l’homme est bien liée au bon sens
qui construit ses obligations selon la règle « faire le bien, éviter le mal ». Il est alors
perceptible que la raison humaine établit certaines normes sur lesquelles la
civilisation est fondée. L’action humaine n’est donc pas désordonnée, mais garde
aussi un lien avec la raison et, par la suite, tend vers le bien. Dans cette
perspective, toutes les normes qui proviennent du bon sens et qui influencent
l’agir humain constituent, à la fois un ordre juridique, mais aussi un ordre moral.
C’est une approche d’une importance capitale pour cette recherche, car le bon
sens indique une loi universelle, naturellement connue par la raison. De surcroît,
la loi naturelle, à force de la respecter, oblige moralement la conscience à mettre
en œuvre certains actes.
Dans cette perspective, d’un côté, la spécificité de l’homme consiste en
ce qu’il est apte à gérer rationnellement sa propre existence et à conformer ses
instincts à ses données rationnelles. De l'autre, elle consiste en ce que l’être
humain a le droit d’agir en conformité avec la conscience, ce qui implique la
dimension de la liberté et celle de la loi naturelle, devenue chez l’homme la loi
morale. Pour illustrer cette dimension de la praxis la plus fondamentale chez une
personne, Maritain utilise l’expression « le secret des cœurs » comme l’équivalent
de la conscience91. C'est la capacité de la transcendance spécifique chez l’humain,
grâce à laquelle il trouve sa juste place par rapport à l’État. En d’autres termes,
l’aptitude transcendante de la conscience permet de garder à distance les
totalitarismes, quels qu'ils soient. Dans cette perspective, aucun pouvoir n’a le
droit d’obliger à procéder à un acte qui est incohérent et contraire à la conscience.
L’agir humain possède donc une propre logique qui réside dans la nature
humaine. En ce sens, l’action reste indépendante de l’État et la loi promulguée
par l’État n’oblige, qu’à condition qu’elle soit juste en elle-même et affirmée par
une autorité légitime. Il n’en reste pas moins que l’État a un rôle à la fois moral et
pédagogique pour éclairer les consciences aveuglées, mais aussi pour
promouvoir le développement des vertus et encourager les gens à faire un effort
moral92. Cela veut dire qu’un pouvoir étatique ne peut pas influencer le jugement
de la conscience, mais plutôt la former car, en dernier ressort, c'est l’humain seul
qui procède à un acte en accord avec sa propre identité ontologique et
axiologique. La conscience est un élément indispensable de cette identité de
l’essence de l’homme.
L’inviolabilité de la conscience
91
Cf. Les droits de l’homme et la loi naturelle, Œuvres Complètes, op. cit., p. 668.
92
Cf. Ibid., p. 668.
93
Ibid., p. 671.
172 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
l'auteur de ses actes qui prennent vie au plus profond de lui-même, c’est-à-dire
dans le sanctuaire le plus intime de la personne. La conscience est inviolable et
ainsi aucun pouvoir, même l’État, n’a l’autorité pour influencer le jugement de
la conscience. De par sa nature, il ne peut ni imposer la religion, ni désigner ce
qui est bien ou mal. La conscience dévoile une réalité spécifique chez l’homme,
car elle indique cette dimension grâce à laquelle l’être humain tend vers sa propre
perfection. La norme personnaliste chez Maritain indique que, du point de vue
ontologique, « toute chose enveloppe une certaine plénitude de l’être ou
d’esse »94. Dans cette lignée, la conscience affirme l’homme lui-même car elle
démontre une densité intellectuelle et morale supérieure aux autres créatures.
Par la suite, l’homme est apte à juger, non seulement le réel, mais aussi les
valeurs, quoique l’univers des valeurs soit autosuffisant et irréductible. Cela veut
dire que l’ordre des valeurs est autonome et l’homme se l’approprie par un effort
personnel. Bien sûr, les valeurs sont saisies, non pas par des argumentations
conceptuelles, mais par une concordance entre les inclinations naturelles de
l’humain et l’intellect, dont la connaissance reste implicitement rationnelle. Ainsi,
chaque homme, quel qu’il soit, est apte par sa nature à appréhender les valeurs
éthiques. De surcroît, tous les jugements sur ces valeurs sont objectifs et réels au
sens strict du terme, car ils ne proviennent pas des structures conceptuelles ;
l’origine du jugement de l’intellect est « une inclination, une tendance, qu’une
notion préconsciente et “immergéeˮ de la raison a fait naître du dynamisme
instinctif de la nature »95. Les valeurs ont alors leur source dans l’ontologie de
l’être, car la raison spéculative est étroitement liée à la raison pratique. L’homme
est ainsi capable, à la fois de percevoir ses inclinations naturelles, et de procéder
aux jugements moraux fondés sur ces inclinations. Cela amène à considérer les
valeurs comme ne se réduisant pas aux sentiments subjectifs et dépendants de la
société. Au contraire, elles gardent aussi leur intelligibilité et, par la suite, elles
indiquent des actes bons ou mauvais. Il n’en reste pas moins que la conscience
permet de reconnaître le sens initial des valeurs, inscrit en elles-mêmes par la
sagesse éternelle. Il faut bien préciser que l’humain n’est pas l’auteur de l’ordre
moral, mais Dieu. On y voit un rôle fondamental de la conscience quant au choix
rationnel et conforme avec le sens premier des valeurs. C’est ainsi, que l’acte sera
considéré comme bon ou mauvais, aussi bien pour moi que pour les autres, mais
aussi pour Dieu. Ce qui importe, c’est la formation de la conscience permettant
de procéder au jugement orienté vers le bien. Selon Maritain, « la distinction
entre le bien et le mal ne s’évanouit pas »96. C’est plutôt l’intelligence qui doit se
parfaire, afin de bien découvrir la vérité objective des valeurs. Ce qui veut dire
que « plus l’intelligence qui juge est élevée, plus les mesures employées pour
peser l’acte moral concernent les profondeurs intérieures de l’homme »97. Ainsi,
la conscience possède une dimension rationnelle qui permet d’objectiver l’acte
humain pour qu’il soit lié à l’ordre universel des choses. De plus, l’affirmation de
l’homme est liée à la formation de la conscience. Ceci manifeste une relation
étroite entre la conscience et l’acte, à savoir que, la conscience, bien affinée par
94
Id., Neuf leçons sur les notions premières, op. cit., p. 43.
95
Ibid., p. 54.
96
Ibid., p. 69.
97
Ibid.
La dimension affirmative des actes humains 173
l’homme, le pousse à percevoir l’action dans ses évidences les plus simples.
Alasdair MacIntyre a choisi une autre façon d’expliquer l’universalité des valeurs.
Il l’élucide par une distinction entre « le fait » et « la valeur ». Le philosophe
écossais rejoint Maritain quant à l’origine de ses pensées, héritées d’Aristote et
de Saint Thomas d’Aquin98. Cependant, MacIntyre semble plus explicite que
Maritain dans ses pensées, par ses références à l’existence concrète. La réflexion
sur « le fait » le démontre. Il dit que « le fait » ne peut pas être privé de la valeur.
Dans cette logique, il faut choisir ce qui constitue objectivement une valeur pour
moi et non pas ce que j’en pense99.
La rationalité de la conscience
98
C’est avant tout la philosophe Christophe Rouard, analysant la notion de la vérité chez
MacIntyre, aborde les inspirations aristotéliciennes et thomasiennes dans les œuvres du
philosophe écossais. Cf. CH. ROUARD, La vérité chez Alasdair MacIntyre, Paris,
Harmattan, 2011, p. 99-104.
99
Cf. A. MACINTYRE, Après la vertu. Étude de théorie morale, op. cit., p. 83-84.
100
Réflexion sur l’intelligence, Œuvres Complètes, op. cit., p. 12.
101
K. WOJTYLA, Personne et acte, op. cit., p. 185.
174 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
102
Ibid., p. 190.
103
Cf. Questions de conscience, Œuvres Complètes, t. VI, 1984, p. 793-797.
104
Cf. M. DUVAUCHEL, L’esthétique oubliée de Jacques Maritain. Un ˮchemin de poésie et
de raisonˮ, Paris, Publibook, 2009, p. 118.
105
Cf. Religion et culture, Œuvres Complètes, t. IV, 1983, p. 201.
La dimension affirmative des actes humains 175
106
Cf. K. WOJTYLA, Personne et acte, op. cit., p. 186-190.
107
P. HARCOURT, « Sur la crise de la raison éthique », dans : C. BRUAIRE (dir.) La morale :
sagesse et salut, Paris, Fayard, 1981, p. 15-26.
108
Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 80-81.
109
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 750.
176 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
110
Ibid., p. 750.
111
La Philosophie bergsonienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 441.
112
Cf. A. MACINTYRE, Ethics in the Conflicts of Modernity, New York, Cambridge
University Press, 2018, p. 23.
La dimension affirmative des actes humains 177
113
Cf. J. MARITAIN, Neuf leçons sur les notions premières, op. cit., p. 94.
114
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 722.
115
Cf. Du régime temporel et de la liberté, Œuvres Complètes, op. cit., p. 327-330.
116
Cf. Id., Neuf leçons sur les notions premières, op. cit., p. 104.
178 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
autre »117. C'est une vision intégrale et complexe de l’agir humain : d’un côté, sa
bonté et sa droiture morale dépendent de la conformité avec la raison pratique,
d’un autre, il faut nécessairement que l’acte humain soit conforme « à une
mesure incarnée dans les profondeurs de ma subjectivité et qui est ma propre
volonté, tant que cette volonté est droite »118. La relation entre la raison et la
volonté est essentielle pour que le jugement de la conscience soit bon et que l’acte
individuel soit fondé sur le réel. Il en découle que l’acte humain n’est pas
seulement mesuré par une loi universelle, mais il engage toute la dimension de
l’incommunicabilité qui est présente en l’homme.
L’agir humain acquière alors une autre dimension absolument
singulière et individuelle, qui le régule, celle de « la rectitude du vouloir, tendant
droitement aux vraies fins de l’existence humaine »119. Dans cette logique,
lorsqu’on parle du jugement pratique et individuel, cela veut dire que ce
jugement est vrai, non seulement parce qu’il est conforme à l’essence des choses,
mais aussi parce qu’il s’accorde à l’appétit droit, à la volonté. Maritain met en
valeur la rectitude du vouloir, comme un élément indispensable de la décision à
agir de telle façon et non pas d’une autre. Bien évidemment, la volonté reste
dépendante de la raison qui lui dévoile la connaissance sur ce qui est la vraie fin
de l’existence humaine, la vraie fin des vertus120. Ces considérations révèlent une
image de l’agir humain, comme l’acte final de l’identité humaine, ce qui veut dire
que l’homme agit en tenant compte de son intériorité et en s’appuyant sur les
vertus. C’est pour cela que l'on peut dire que l’homme agit en fonction de ce qu’il
est. Dans cette perspective, le mouvement de la volonté dépend, non seulement
de la connaissance de l’intellect, mais aussi de la liberté grâce à laquelle l’homme
choisit les valeurs qui constituent un fondement pour le jugement droit. Maritain
le précise : « la volonté d’un homme est droite, si elle tend droitement aux vraies
fins de la vie humaine ; cela dépendra aussi de sa propre liberté si celle-ci a
développé en lui des vertus, des inclinations stables vers le bien »121. La rectitude
du vouloir influence la rectitude de jugement et, par la suite, a un impact
considérable sur la forme de l’action. La rectitude du vouloir constitue un fait
existentiel qui devrait être formé et développé, et qu’il faut supposer. C’est une
vision existentielle qui dévoile la rectitude de la volonté, non pas comme
infaillible, mais comme droite au moment de l’acte de choix. Il ne s'agit pas là du
registre de la certitude, mais de la supposition. Dans cette perspective, il faut
supposer que la volonté est droite au moment du choix. L’homme a confiance et
le manifeste par le jugement de la conscience. Jacques Maritain l’élucide ainsi :
« la rectitude de mon vouloir est un fait existentiel, une donnée que je suppose,
une fois que la rectitude de la volonté tendant droitement vers les vraies fins de
la vie humaine est donnée, alors cette volonté droite devient une mesure pour la
raison »122. C’est le moment très important, où l’homme intériorise la loi naturelle
et l’approprie individuellement. C’est bien sur le fondement d’intériorisation et
117
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 751.
118
Ibid.
119
Ibid.
120
Cf. Ibid.
121
Ibid.
122
Ibid., p. 752.
La dimension affirmative des actes humains 179
123
Ibid.
124
Cf. G. COTTIER, Deviens ce que tu es. Enjeux éthiques, op. cit., p. 110.
125
Cf. La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 832.
126
Ibid., p. 753.
180 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
127
Cf. Ibid.
128
Court traité de l’existence et de l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 65.
129
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 754.
130
Science et Sagesse, Œuvres Complètes, op. cit., p. 153.
131
Cf. Somme Théol., Ia -IIae, q. 74, a. 7.
132
Distinguer pour unir ou les Degrés du Savoir, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1100.
La dimension affirmative des actes humains 181
133
Ibid.
134
Somme Théol., IIa-IIae, q. 47, a. 6.
135
Cf. J.-M. RAMIREZ, « Sur l’organisation du savoir moral », Bulletin Thomiste, 12(avril-juin
1935)6, p. 423-432.
182 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
136
Distinguer pour unir ou les Degrés du Savoir, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1091.
137
Ibid., p. 827.
138
Cf. Art et Scholastique, Œuvres Complètes, op. cit., p. 630 ; Du régime temporel et de la
liberté, Œuvres Complètes, op. cit., p. 341-342.
139
Distinguer pour unir ou les Degrés du Savoir, Œuvres Complètes, op. cit., p. 826.
La dimension affirmative des actes humains 183
vers les fins naturelles de l’homme. Mais cela ne suffit pas, car les connaître est
une chose, et les choisir en est une autre. En d’autres termes, la conscience
présente un jugement, mais il faut que l’homme le reconnaisse par son propre
jugement libre. Il est possible que ces deux jugements, spéculatif et pratique, se
croisent grâce à « la vertu de la prudence, qui les commande tous les deux. La
vertu de prudence, quand elle est là, fait porter un jugement de conscience droit
et un jugement pratique droit ; elle va jusqu’au terme du dynamisme moral,
jusqu’au jugement porté dans la décision libre et condition de celle-ci »140. Ceci
éclaire la spécificité par laquelle l’être humain s’affirme lui-même. Ainsi, chez
l’homme dont la vie est profondément morale et se pare de vertus, plus
particulièrement de la prudence, le jugement de conscience équivaut à la
décision libre. L’un constitue l'équivalent de l’autre. La prudence apparait
comme la vertu qui indique une cohérence entre les deux mouvements de la
raison pratique, « connaître l’agir » et « choisir l’agir ». Alors, grâce à la prudence,
la volonté perçoit à la fois l’objectivité de chaque action et tient compte des
circonstances particulières. Dans cette lignée, la prudence façonne la droiture de
la volonté pour qu’elle se base sur les vertus et s’oriente toujours vers le bien.
140
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 755.
141
Somme Théol., Ia -IIae, q. 96, a. 1.
142
Cf. Somme Théol., Ia -IIae, q. 96, a. 2.
143
Somme Théol., Ia -IIae, q. 96, a. 2. Jacques Maritain aborde cette question dans son livre :
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 860.
184 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
une disposition du sujet et sur un exercice, sur un habitus. Ce qui veut dire, qu’à
côté de la raison et de la volonté, il y a l’habitus de la vertu qui permet de bien
agir et de saisir objectivement la question de la qualité de la vie par rapport à soi-
même et par rapport aux autres.
144
Somme Théol., Ia -IIae, q. 96, a. 2.
145
Somme Théol., Ia -IIae, q. 96, a. 2.
146
Cf. Les droits de l’homme et la loi naturelle, Œuvres Complètes, op. cit., p. 667.
La dimension affirmative des actes humains 185
147
Cf. A. MACINTYRE, Après la vertu. Étude de théorie morale, op. cit., p. 180-186.
148
La notion « pratique » est fondamentale chez MacIntyre. Selon lui, la pratique suppose
une perfection d’un acte, une conformité aux normes universelles et aux certains
modèles, l’acceptation de leur autorité. Cf. Ibid., p. 186.
186 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
149
Somme Théol., Ia -IIae, q. 65, a. 1.
150
Somme Théol., Ia -IIae, q. 109, a. 2.
151
Cette idée de la connaissance par connaturalité est très présente chez Maritain. Il y doit
beaucoup à Saint Augustin dont la sagesse est une interdépendance de l’expérience
mystique avec dans un champ intelligible tout en gardant leur propre autonomie. C’est
bien Saint Augustin qui construit sa personnalité d’un cœur doux mais de l’esprit dur.
Cf. Distinguer pour unir ou les Degrés du Savoir, Œuvres Complètes, op. cit., p. 790.
152
Cf. De la philosophie chrétienne, Œuvres Complètes, t. V, 1982, p. 279.
153
Science et Sagesse, Œuvres Complètes, op. cit., p. 159.
La dimension affirmative des actes humains 187
154
Cf. Somme Théol., Ia -IIae, q. 109, a. 3.
155
Somme Théol., Ia -IIae, q. 65, a. 2.
156
Somme Théol., Ia -IIae, q. 65, a. 1.
157
Théonas, Œuvres Complètes, op. cit., p. 783.
188 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
158
Science et Sagesse, Œuvres Complètes, op. cit., p. 217.
159
Cf. F. RESCH, L’homme, la politique et Dieu. Le théocentrisme de Jacques Maritain, Paris,
Téqui, 2018, p. 351.
La dimension affirmative des actes humains 189
160
Science et Sagesse, Œuvres Complètes, op. cit., p. 220.
161
Cf. La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 755.
162
Cf. Distinguer pour unir ou les Degrés du Savoir, Œuvres Complètes, op. cit., p. 792.
163
Cf. Science et Sagesse, Œuvres Complètes, op. cit., p. 222.
190 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
164
Cf. J. MARITAIN, « Une société sans argent (Dernier écrit de Jacques Maritain achevé la
veille de sa mort) », CJM, 4-5 (1982), p. 65-78.
165
J. KALINOWSKI, S. SWIEZAWSKI, La philosophie à l’heure du Concile, op. cit., p. 48.
166
Science et Sagesse, Œuvres Complètes, op. cit., p. 115.
La dimension affirmative des actes humains 191
prudentiel). Dans cette perspective, Maritain se tourne vers la théologie, car elle
seule révèle le vrai bien de nos actes et assigne les fins de l’existence humaine. Le
rôle de la théologie par rapport à la philosophie pratique, consiste alors en ce
qu’elle présente les conditions profondément existentielles (la finalité
surnaturelle de l’être humain, la nature déchue et rachetée de l’homme),
reconnues par la philosophie et mises en œuvre dans l’action de l’homme. Ainsi,
l’être humain s’affirme, dans la mesure où son esprit est conforme à son action.
On l'aperçoit dans la relation entre la raison pratique et la fin surnaturelle.
Naturellement, la raison pratique tend à l’acquérir. C’est pour cela qu’il cherche
les lumières de la théologie, tout en gardant sa naturalité. Par contre, l’acte qui
en résulte montre, d’un côté, sa dimension naturelle et, de l'autre, les capacités
de l’élévation surnaturelle. L’agir humain est réglé, non seulement par la force
propre de la raison pratique, mais aussi par les vérités théologiques. Il possède
alors une disposition surnaturelle. Cela veut dire que l’acte humain « fait face à
un habitus naturel qui procède à partir des principes de la raison pratique,
complétés par les vérités reçues d’un habitus entitativement naturel et
originativement surnaturel auquel il est subalterné »167. Les deux habitus se
focalisent en l’homme et affirment leur spécificité par l’action. En d’autres
termes, l’agir, en tant qu’objet formel de la morale, enveloppe les vertus et les
principes fondamentaux. Il contient la dimension naturelle qui peut être élevée
au surnaturel. C’est bien dans ce contexte qu'il faut considérer l’acte qui affronte
un habitus essentiellement naturel et radicalement surnaturel. Cela veut dire que
l’acte, par sa nature, est orienté vers une fin surnaturelle qui lui est propre. Et
c’est bien la philosophie morale adéquatement appliquée qui permet de voir d’en
bas les choses surnaturelles, présentes dans l’existence de l’homme. Elle révèle le
vrai esprit de l’acte, car c’est « une véritable science morale, en état de rendre de
soi l’esprit adéquat ou conforme à son objet, c’est-à-dire à l’agir humain »168. Il
faut que la philosophie morale soit adéquate à son objet. Ce n’est qu’ainsi qu’elle
répond aux exigences propres de l’acte, avant tout à ses fins naturelles et
surnaturelles. Dans cette logique, Maritain parle de la subalternation de la
philosophie à la théologie, non pour la dévaloriser, mais pour indiquer que la
théologie contient des vérités existentielles, dont l’universalité s'impose à la
philosophie. Cela veut dire que la philosophie morale complète les principes de
la raison naturelle, grâce aux vérités théologiques169. La raison manifeste alors ses
capacités à se surélever, afin de toucher la réalité divine, tout en gardant sa
propre identité et, en même temps, en découvrant les vérités universelles et
surnaturelles sur l’homme. Dans cette logique, l’homme, par ses capacités de
surexistence, reconnaît rationnellement sa fin éternelle, mais aussi ses fins
temporelles. C'est un apport fondamental qui donne l’image spécifique de
l’homme, à savoir que la dimension surnaturelle accompagne la conduite
humaine et son existence. L’analyse de l’expérience humaine le montre
clairement. En conséquence, les choses surnaturelles deviennent naturelles pour
l’homme. C’est pour cela que l’approche proposée par Maritain appréhende la
vie dans son aspect, à la fois physique et spirituel. Il y a, d’un côté, des structures
167
Ibid., p. 240.
168
Ibid., p. 116.
169
Cf. De la philosophie chrétienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 305.
192 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
Après avoir abordé l’acte moral dans sa complexité (du point de vue de
la philosophie et l’influence de la théologie), un corollaire naturel semble alors
apparaître, à savoir les éléments qui décident définitivement de la valeur morale
d’un acte. Ces conclusions résultent d'une réflexion antérieure. Toutefois, il est
intéressant de les évoquer, non seulement pour approfondir la spécificité de
170
Science et Sagesse, Œuvres Complètes, op. cit., p. 126.
171
Ibid., p. 132.
172
P. IDE, « La blessure intérieure dans l’œuvre de Jacques Maritain », dans : M.
BRESSOLETTE, R., MOUGEL (dir.), Jacques Maritain face à la modernité, Toulouse, Presses
Universitaires du Mirail, 1995, p. 271-305.
173
Science et Sagesse, Œuvres Complètes, op. cit., p. 171.
La dimension affirmative des actes humains 193
l’acte humain, mais aussi pour regarder la praxis de l’homme, comme le moment
fondamental de son affirmation.
Les actes humains ont toujours une dimension morale, parce qu’ils
trouvent leur fondement en l’homme doué de raison et de volonté. Grâce à ses
capacités, l’homme est apte à réfléchir avant que les actes ne soient accomplis. En
ce sens, il est responsable de ses actes, car il les choisit sans aucune contrainte ; il
se situe ainsi dans la position de l’auteur de son agir. Néanmoins, chez Maritain,
la qualification morale des actes est élaborée dans une perspective métaphysique.
En référence à Saint Thomas d’Aquin, le philosophe précise que « la bonté ou la
droiture morale se trouve ainsi résolue dans la bonté ontologique, le bien
ontologique lui-même se résolvant dans l’être. Tout bien ontologique est un
certain bien particulier, relatif à la nature et aux fins de cet être particulier qui est
l’homme »174. Dans cette logique, dans la pensée maritainienne, le bien moral est
toujours fondé sur le bien ontologique. Ce bien, en tant qu’objet de la volonté,
est désiré et aimé. Maritain met en valeur le bien, le situant au même niveau que
l’être. Les deux notions sont convertibles. La bonté, tout comme l’être, constitue
la plénitude d’une chose et sa perfection. Dans cette perspective, « dans la
mesure où une action manque de la plénitude de l’être qui lui est due, dans cette
même mesure, elle manque de bonté et peut être appelée mauvaise »175. Du point
de vue ontologique, le bien constitue un élément qualificatif, car sa privation
constitue la nature du mal. Par contre, le bien moral suppose un certain ordre qui
dirige l’agir humain : l’accomplissement de soi-même tout en procédant à un
acte, grâce à la liberté et à la fin. Il est ancré dans un contexte de l’existence
humaine et de l’expérience morale. Dans cette perspective, la bonté morale de
l’agir dépend des objets permettant d’atteindre sa propre plénitude. Mais il faut
que tous ces objets de l’acte soient bons eux-mêmes. Il en résulte que les actes
sont moralement bons pour autant que leur objet est ontologiquement bon176. Le
bien moral assure alors une bonne qualité de l’agir. Il s'agit d'un registre de bien
considéré comme une valeur et comme une fin vers laquelle l’homme s’oriente.
L’homme agit parce qu’il voit ce bien moral comme une valeur. Le bien de l’agir
le spécifie comme un acte bon et, du point de vue de la morale, il pousse l’homme
à le mettre en œuvre. C’est une forme d’obligation morale. Et pourtant, pour
l’humain c’est une action toujours bonne, car elle lui permet librement de
s’actualiser et de se parfaire. En tant que valeur, le bien aide à spécifier les actes
bons et, en tant que fin, il permet de les exercer afin d’atteindre le bien. Cette
approche révèle que le bien moral (le bien honnête) est, d’un côté, aimable pour
lui-même et, de l'autre, il le rend bon. Ce qui veut dire que « l’action bonne, par
174
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 695.
175
Ibid., p. 696.
176
Cf. Id., Neuf leçons sur les notions premières, op. cit., p. 30-32.
194 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
définition, rend l’agent qui le produit bon »177. Le bien moral est alors perçu
comme une dimension par laquelle l’homme affirme ses désirs les plus profonds
et son orientation naturelle vers certaines fins. L’accomplissement de soi est une
aspiration inséparablement liée à l’homme et constitue le bien moral pour
l’homme.
177
Ibid., p. 39.
178
Ibid., p. 83.
179
Ibid., p. 85.
180
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 696.
La dimension affirmative des actes humains 195
181
Id., Neuf leçons sur les notions premières, op. cit., p. 41.
182
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 696.
183
Id., Neuf leçons sur les notions premières, op. cit., p. 136.
184
Cf. Du régime temporel et de la liberté, Œuvres Complètes, op. cit., p. 337-339.
196 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
185
Cf. Id., Neuf leçons sur les notions premières, op. cit., p. 33.
186
Ibid., p. 73.
187
Ibid., p. 35.
188
Antimoderne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1035.
189
Id., Neuf leçons sur les notions premières, op. cit., p. 85.
La dimension affirmative des actes humains 197
190
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 704.
191
Cf. G. PUPPINCK, Les droits de l’homme dénaturé, op. cit., p. 51.
192
Somme Théol., Ia-IIae, q. 90, a. 4.
193
La loi naturelle ou la loi non écrite, Œuvres Complètes, op. cit., p. 743.
198 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
Conclusion
194
Cf. Id., « Natural Law and Moral Law », op. cit., p. 69-71.
La dimension affirmative des actes humains 199
l’aspect existentiel constitue le point de départ pour bien découvrir les données
universelles. Cette recherche pointe cette relation, à savoir que nos actes
spécifiques révèlent, non seulement l’intégralité de l’être humain, mais qu’ils
indiquent la vérité existentielle sur l’homme lui-même et que celui-ci est apte à
affirmer son humanité par ses propres capacités. Dans cette logique, l’acte
révèlerait d'abord l’image concrète sur l’homme, puis l’agir permettrait de
répondre à la question sur l’identité de l’homme. C’est ainsi qu'est faite l’analyse
de Maurice Blondel. Il l’explique ainsi : « en agissant, nous exprimons notre
nature profonde, nos aspirations essentiellement humaines ; “nous faisons
l’hommeˮ (...). Par nos actions, nous avons, selon la parole d’un ancien, à nous
façonner d’abord nous-même, à constituer notre personnalité, à sculpter
visiblement ou invisiblement notre beauté ou notre laideur »195. Cela veut dire
que l’être humain s’affirme par ses actes, ce qui a des conséquences importantes,
car l’affirmation signifie aussi la protection de soi-même et des autres. C’est pour
cela qu'il est important de mettre en évidence la conception de la personne
considérée, comme une norme personnaliste dirigeant l’action humaine. Cela
permet de rejoindre l’Aquinate dans sa vision de l’agir qui ne s’attache pas à la
nature comme sujet de l’action, mais plutôt à personne196. Le corrélat entre ces
deux dimensions, la praxis et la norme personnaliste parait alors
complémentaire. D’un côté, l’agir se fonde sur la vision concrète de l’humain et,
de l’autre, la norme personnaliste est affirmée par l’agir. Les deux facteurs dans
l’homme, statique et dynamique, se croisent dans le sens que le premier est une
dimension déjà faite en l’homme, et le second a un autre rôle aussi important :
de produire, générer l’avenir et affirmer la particularité de l’homme197. La
réflexion sur les opérations de l’humain permet alors de percevoir son existence
et sa spécificité dans le but de se protéger soi-même. À l’inverse, le spéculatif est
indispensable, non pas pour un motif utilitaire comme le voulait Socrate, mais
avant tout pour gagner en discernement. Dans la même logique, la conduite
humaine est dirigée par le savoir, de telle sorte que « la morale n’est rien si elle
n’est pas un ensemble de vérités démonstrativement établies, une vraie et
authentique science »198. Yves Floucat, lui aussi, a considéré avec raison le
spéculatif et la pratique comme corrélatifs. Le philosophe dit que « la pure
contemplation des vérités les plus hautes, donne au sage tous les fondements de
l’ordre du savoir humain et de l’ordre même de la vie. Il n’y aura aussi bien de
morale pour l’homme qu’enracinée dans la perspective propre de la
métaphysique. En ce sens, celle-ci est indissociablement une sagesse qui fait
connaître et qui fait vivre »199.
195
M. BLONDEL, L’Action. Le problème des causes secondes et le pur agir, t. 1, Paris, Félix
Alcan, 1936, p. 84-85.
196
Saint Thomas d’Aquin explique ainsi : Agere autem non attribuitur naturae sicut agenti,
sed personae. Cf. Somme Théol., IIIa, q. 20, a. I, ad. 2.
197
Cf. Le Docteur Angélique, Œuvres Complètes, op. cit., p. 67.
198
Éléments de philosophie I, Œuvres Complètes, op. cit., p. 70.
199
Y. FLOUCAT, Jacques Maritain ou la fidélité à l’Éternel, op. cit., p. 85.
200 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
200
De la philosophie chrétienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 246.
201
Cf. Ibid., p. 253.
202
Cf. Approches sans entraves, Œuvres Complètes, op. cit., p. 574.
La dimension affirmative des actes humains 201
203
Cf. De la philosophie chrétienne, Œuvres Complètes, op. cit., p. 280.
204
Ibid., p. 287.
205
Id., Neuf leçons sur les notions premières, op. cit., p. 45.
206
Ibid., p. 45.
207
Cf. L’Homme et l’État, Œuvres Complètes, op. cit., p. 569.
202 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
208
Leibniz introduit la notion de possibilité dans son analyse de la réalité, dont le monde
créé est le meilleur des mondes possibles. Le philosophe aborde cette question dans le
chapitre qui s’intitule : « Principes de la nature et de la grâce fondés en raison » ; Cf. G.-
W. LEIBNIZ, Monadologie und andere metaphysische Schriften, Hamburg, Meiner
Verlag, 2014, p. 152-173 ; Cf. G.-W. LEIBNIZ, Dialogues sur la morale et la religion, Paris,
Vrin, 2017, p. 92-93. Maritain, quant à lui, il se réfère à aux pensées leibniziennes tout
en mettant l’accent sur la notion de l’être qui s’épanouit lui-même par ses capacités. Il
est alors possible que l’homme forme lui-même. Cf. Court traité de l’existence et de
l’existant, Œuvres Complètes, op. cit., p. 28, 39, 108.
La dimension affirmative des actes humains 203
209
Cf. A. MACINTYRE, Après la vertu. Étude de théorie morale, op. cit., p. 20.
204 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
1
Cf. L’Homme et l’État, Œuvres Complètes, op. cit., p. 595-596.
L’idée du bien commun 205
2
Cf. Du régime temporel et de la liberté, Œuvres Complètes, op. cit., p. 363.
3
La Personne et le Bien commun, Œuvres Complètes, op. cit., p. 170.
206 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
4
Ibid., p. 193-194.
5
Ibid., p. 194.
6
Cf. Réflexions sur la personne humaine, Œuvres Complètes, op. cit., p. 898.
7
La Personne et le Bien commun, Œuvres Complètes, op. cit., p. 194.
L’idée du bien commun 207
8
Ibid., p. 173.
9
SAINT THOMAS D’AQUIN, De Regimine principum, I, 14.
10
Cf. Y. FLOUCAT, Pour une restauration du politique. Maritain l’intransigeant, de la contre-
révolution à la démocratie, Paris, Téqui, 1999, p. 61.
11
S. LUQUET, « Charles de Koninck et le bien commun », Laval théologique et
philosophique, 70(2014)1, p. 45-60.
12
Cf. Somme Théol., Ia, q. 65, a. 2.
208 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
quae est capax summi boni, est plus semblable à la perfection divine que l’univers
tout entier : elle seule est proprement l’image de Dieu »13.
Pour Maritain, le bien commun reste en dépendance avec la fin ultime.
Dans la vision béatifique, chaque personne connaîtra l’essence divine. C’est le
moment où « l’essence divine elle-même joue dans l’intellect humain le rôle de
species impressa et où la lumière de gloire met cet intellect en état de connaître,
par une intuition directe et sans aucune intermédiarité créée »14. Il y a alors une
relation directe entre la personne et Dieu jusqu’à ce que, dans la vision béatifique,
la personne elle-même devienne Dieu intentionnellement. C’est bien la finalité
ultime qui conduit Maritain à mettre en valeur le bien suprême de la personne.
La vision béatifique n’est pas considérée dans sa dimension communautaire, car
c’est « l’acte souverainement personnel par lequel, transcendant absolument
toute espèce de bien commun créé, l’âme entre dans la joie même de Dieu et vit
du Bien incréé qui est l’essence divine elle-même, le Bien commun incréé des
trois Personnes divines »15. Dieu, en tant que tel, constitue un Bien absolu à qui
la personne est ordonnée afin d’être un. Maritain l’éclaire ainsi : « ils sont deux
qui ne font qu’un, Dieu et elle ; deux natures en une seule vision, et un seul
amour ; elle est comblée de Dieu. Elle est en société avec Dieu ; elle a un bien
commun avec Dieu, le bien divin lui-même »16. Dans cette optique, Maritain
constate que le bien commun suprême suppose une sorte de solitude avec Dieu.
La personne est parfaitement liée à l’essence divine, de telle sorte qu’elle ne
saurait formuler sa joie par aucune expression extérieure. Si l'on parle d’une
société des bienheureux, c’est justement en référence à ce bien ultime, Dieu, qui
les unit : « chacune pour leur propre compte voient l’essence divine et jouissent
du même Bien incréé, qui s’aiment en Dieu les unes les autres et pour lesquelles
ce Bien commun incréé qu’elles participent toutes, constitue le bien de la cité
céleste »17. Il y a une conséquence logique de ce raisonnement : les personnes
pour qui Dieu est le bien commun, sont en relation nécessaire entre elles et
communiquent. C’est bien dans cette lignée que Dieu est « le bien commun de la
multitude des créatures béatifiées qui toutes communient à lui, elles communient
dans leur amour les unes avec les autres »18. Le bien suprême n’est alors pas
seulement le bien de la nature puisqu’il la transcende. Dieu, en tant que bien
suprême, est conçu comme un bien séparé auquel la personne s’oriente primo et
per se. Le bien suprême est autonome car il est capable de la transcendance.
Comme l’a bien vu le philosophe Paweł Tarasiewicz, dans la philosophie réaliste,
le bien commun est une catégorie qui révèle une dimension transcendante de
l’être. Il désigne une propriété commune à tous les hommes19. En conséquence,
la personne humaine entre dans la relation avec ce bien et participe à l’univers
13
La Personne et le Bien commun, Œuvres Complètes, op. cit., p. 177.
14
Ibid.
15
Ibid., p. 178.
16
Ibid.
17
Ibid., p. 179.
18
Ibid.
19
Cf. P. TARASIEWICZ, « Dobro wspólne z perspektywy personalizmu filozoficznego », dans
: S. KOWOLIK (dir.), Polityka: od Niccolo Machiavellego do Jana Pawła II, Tarnowskie
Góry, Fundacja Krzewienia KNS im. bł. A. Kolpinga, 2017, p. 77-87.
L’idée du bien commun 209
20
Cf. Summa Contra Gentiles, III, 112.
21
Cf. Somme Théol., IIa-IIae, q. 39, a. 2.
22
Cf. Somme Théol., Ia-IIae, q. 47, a. 2.
23
La Personne et le Bien commun, Œuvres Complètes, op. cit., p. 180.
210 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
Ce sont bien les rôles respectifs des intellects spéculatif et pratique, mais
aussi les réflexions sur le bien commun, qui poussent Maritain à mettre en relief
la distinction entre l’action et la contemplation, ou plus précisément la
supériorité de la vie contemplative par rapport à la vie politique. La
contemplation caractérise un acte immatériel et immanent qui permet à l’homme
de percevoir les choses divines. Elle est liée au bien commun, dans le sens qu’elle
amène l’âme humaine à être unie dans un seul esprit avec Dieu. Et par la suite,
« c’est d’elle, quand l’âme est parfaite, que doivent surabonder, au moins quant
à la manière dont elles sont accomplies, les œuvres de la vie active »24. Cela veut
dire que le service rendu aux autres ne signifie pas un oubli de la contemplation.
Bien au contraire, le service est un acte de charité, requis dans la vie
contemplative. Il en résulte que la contemplation entraîne les activités inter
homines et l’homme doit s’ouvrir au bien de la communauté ou rendre service
aux autres en tenant compte des circonstances. La question de la contemplation
est au centre du système social chez Maritain, car elle indique l’acte de l’esprit,
l’acte par excellence, « la primauté de ce qui est spirituel et le plus éminemment
personnel sur ce qui est social »25. La personne est alors appelée d’abord à la
contemplation avant d’être appelée à la vie politique. Afin de justifier sa position,
Maritain se réfère à Saint Thomas d’Aquin. Dans la Somme théologique,
l’Aquinate interprète les pensées aristotéliciennes et constate que la vie
contemplative est une perfection. Et ce qui est parfait surpasse ce qui tend vers
sa perfection.; « Ainsi, la vie en société est nécessaire à qui s'exerce à la perfection,
tandis que la solitude convient à ceux qui l'ont déjà atteinte »26. La contemplation
constitue alors une vocation de chaque personne qui dépasse la vie politique. En
tant que telle, elle est une manière de vie plus idéale que la vie politique, ce qui
veut dire que le bien créé doit amener l’homme à la vie contemplative. Maritain
l’explicite ainsi : « Mais absolument parlant la communion dans laquelle chaque
esprit entre personnellement et solitairement avec la vérité, par la connaissance
spéculative et avec Dieu par la contemplation, est meilleure que le trésor de
culture communicable qu’ils reçoivent les uns des autres. Ainsi, la loi de
dépassement ou de transgression joue encore à l’égard de la communauté des
esprits, comme de toute communauté humaine »27.
Toutes ces considérations montrent les racines sur lesquelles Maritain
construit la conception de la personne dans sa dimension sociale. Plus encore,
elles démontrent l’importance du bien commun dans le développement de la
personnalité chez l’être humain. La question du bien commun constitue un socle
de la vie sociale, car elle assure l’engagement mutuel au niveau de la société, à
l’égard de la personne humaine, pour qu’elle puisse se parfaire. Maritain ne parle
du bien commun qu’en référence à la personne humaine, puisqu’elle seule est
apte à se développer et à s’épanouir. Maritain préfère dire que ce bien est, non
seulement commun, mais aussi humain. Afin de justifier sa vision, il s’appuie sur
le magistère de l’Église. En se référant à l’encyclique de Pie XII Mystici Corporis
Christi, Maritain constate que « le bien commun, étant bien commun humain,
24
Ibid., p. 181-182.
25
Ibid., p. 182.
26
Somme Théol., IIa-IIae, q. 188, a. 8.
27
La Personne et le Bien commun, Œuvres Complètes, op. cit., p. 223.
L’idée du bien commun 211
28
Ibid., p. 183. Jacques Maritain traite l’encyclique comme une charte de la doctrine
chrétienne de la personne. Nous voyons une similitude dans les pensées
maritainiennes et celles de Pie XII. Le Pape met en valeur la personne humaine. Dans
cette perspective « toute société humaine, pour peu qu'on fasse attention à la fin
dernière de son utilité, est ordonnée en définitive au profit de tous et de chacun des
membres, car ils sont des personnes ». Pie XII, Mystici Corporis Christi (29 juin 1943),
AAS, 35(1943), no 114.
29
Ibid., p. 198.
212 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
comme un tout dans le monde animal. Dans cette logique, le bien leur a permis
de se maintenir en bon état et en vie. C’est pourquoi ce bien « n’est commun au
tout et aux parties qu’en un sens impropre, car il ne profite pas aux parties pour
elles-mêmes (finis cui) en même temps que pour le tout, selon les exigences
typiques d’un tout fait de personnes »30. Chez les animaux, le bien les met en
meilleur état pour eux-mêmes, tandis que le bien commun chez les êtres humains
doit se redistribuer à tous et se reverser à tous. C’est une distinction d’une
importance capitale, afin de comprendre la suprématie de la personne dans la
conception du bien commun chez Maritain. Elle exprime une vérité existentielle
par laquelle l’homme s’affirme lui-même, à savoir que le bien commun implique
nécessairement un acte de répartition entre les personnes, en tant que personnes.
Plus encore, chaque personne, même si elle garde la dimension sociale et
relationnelle, est toujours conçue comme un tout indépendant.
La société se compose de personnes humaines. Cela veut dire que le
bien commun, considéré comme la fin de la société, n’est ni un bien individuel
ni une collection de tous les biens privés. Maritain définit le bien commun comme
« la bonne vie humaine de la multitude, d’une multitude de personnes ; c’est leur
communion dans le bien-vivre ; il est donc commun au tout et aux parties, sur
lesquelles il se reverse et qui doivent bénéficier de lui. (…) Il suppose les
personnes et il se reverse sur elles, et en ce sens, s’accomplit en elles »31. On
affirme une dépendance entre la personne et le bien commun, à savoir le bien
commun se redistribue à la personne. Il est communicable dans le sens où est
réparti sur chacun et, par la suite, il permet à la personne de se parfaire. Dans son
analyse sur le bien commun chez Maritain, Luquet fait une erreur
d'interprétation : « s’il n’existe de communauté entre parties (…), un tel “toutˮ
n’ayant pas d’être propre, il ne peut pas être appelé comme collection des
parties »32. Selon Luquet, Maritain conçoit le bien comme la collection des biens.
Cependant, pour Maritain, il existe des communautés naturelles considérées
comme « un tout » pour l’être humain, celles qui résultent de sa nature sociale,
telles que la société familiale ou la société politique33. Il apparaît alors que, pour
Maritain, le bien est avant tout extrinsèque par rapport à l’homme, et seulement
implicitement intrinsèque. Mazur rejoint Maritain et constate que la
transcendance entraîne, dans l’homme, un désir de sociabilité. Grâce à sa
dimension transcendantale, l’être humain prend conscience que ce bien
appartient à tous et, pour cela, il le communique aux autres. Le philosophe
polonais pense, à juste titre, qu’il suffit de mettre en relief la transcendance
humaine, pour mettre en valeur l’homme face au matériel34. En revanche,
Mrówczyński explique que Maritain reste dans le registre du réalisme
30
Ibid., p. 199.
31
Ibid., p. 200.
32
S. LUQUET, « Le bien commun des personnalistes (introduction) », dans : CH. DE
KONINCK, Œuvres de Charles de Koninck. La primauté du bien commun, t. II, vol. II,
trad. S. LUQUET, Québec, PUL, 2010, p. 48.
33
Cf. L’Homme et l’État, Œuvres Complètes, op. cit., p. 484.
34
Cf. J. MAZUR, Persona in societate. Wybrane zagadnienia chrześcijańskiej nauki o
człowieku, Kraków, Uniwersytet Papieski Jana Pawła II-Wydawnictwo Naukowe, 2014,
p. 49.
L’idée du bien commun 213
La notion du bien commun est une question morale, car elle implique
une bonne fin en soi et une droiture de vie. Maritain explique que « d’une
part, c’est une chose moralement bonne en elle-même que d’assurer l’existence
de la multitude et, d’autre part, c’est une existence juste et moralement bonne de
la communauté qui doit être ainsi assurée ; c’est à cette condition seulement, à
condition d’être selon la justice et la bonté morale que le bien moral est ce qu’il
est, bien d’un peuple, bien d’une cité »36. Il en résulte que, du point de vue
éthique, le bien commun est toujours bon et assure le développement de toutes
les personnes hic et nunc. C’est un moment fondamental de l’affirmation de la
spécificité de l’homme. Le caractère moral du bien commun lui est constitutif,
afin que l’homme puisse se perfectionner et bien organiser le fonctionnement de
la société. Le bien commun assure alors l’épanouissement moral. Kowalczyk met
l’accent sur la dimension morale du bien commun, non seulement chez l’homme,
mais aussi au niveau étatique. Dans cette logique, partagée par Maritain, le
devoir de l’État enveloppe, d’une part, les intérêts internationaux, et d’autre part,
la rectitude de la vie et la coexistence fondée sur la morale et sur la justice37.
Par sa personnalité, l’être humain affirme ses tendances perfectionnistes
et son ouverture à la société et, en conséquence, il entre en société comme un
tout. En même temps, en tant qu’individu matériel, il est une partie de ce tout.
Dans cette perspective, le bien commun est supérieur au bien individuel et se
reverse sur chaque personne. En conséquence, il « soutient en chacune l’élan par
lequel elle va vers son bien propre éternel et le Tout transcendant et dépasse
l’ordre dans lequel le bien commun de la cité terrestre est constitué »38. Cela
indique que Maritain insiste sur la vision idéale de la personnalité, qui dessine
une image de l’homme, comme un être indépendant qui a le bien commun à sa
disposition. Cependant, il faut aussi prendre en compte certaines imperfections.
L’homme n’est pas une pure personne. Dans son statut même de personne, il
manifeste des imperfections et des indigences. Maritain semble négliger cette
appréhension du réel. Il dit que ce sont les perfections de la personne qui
l’entraînent à vivre en société. Il faudrait donc davantage mettre l’accent sur un
autre aspect, celui de l’imperfection et du développement constant de la
35
Cf. T. MRÓWCZYŃSKI, Personalizm Maritaina i współczesna myśl katolicka, Warszawa,
Książka i Wiedza, 1964, p. 131.
36
La Personne et le Bien commun, Œuvres Complètes, op. cit., p. 201 ; Conception
chrétienne de la cité (article), Œuvres Complètes, t. VI, 1984, p. 952.
37
Cf. S. KOWALCZYK, Wprowadzenie do filozofii J. Maritaina, Lublin, Wydawnictwo KUL,
1992, p. 146.
38
La Personne et le Bien commun, Œuvres Complètes, op. cit., p. 206.
214 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
Le bien commun est aussi considéré comme une fin vers laquelle
l’homme se dirige, par sa nature. En revanche, la personne elle-même accomplit
le bien commun par ses actes. Maritain ne se positionne pas clairement sur la
deuxième dimension. Tandis qu’il élucide explicitement le rôle du bien commun
à l’égard de la personne, il aborde très peu la question de l’engagement de la
personne par rapport au bien commun. Maritain insiste plutôt sur les devoirs de
la personne à l’égard d'elle-même. Le bien commun constitue la fin de la société,
car il permettra à la personne humaine d’atteindre un haut niveau
d’indépendance. Il faut aussi que la personne s’engage dans la société. Dans La
Personne et le Bien commun, Maritain ne se focalise pas sur cette question et se
cantonne à dire que le bien commun implique aussi l’engagement de l’homme
tout entier40. Il met en valeur la vision de la personne comme un tout
indépendant. Néanmoins, il faudrait aussi mettre en valeur la vision de l’homme
comme une partie de la société, non pas pour tomber dans le totalitarisme, mais
pour accentuer les devoirs de la personne à l’égard de la société. En étant membre
d'une famille, citoyen, ou constituant une partie de la société, la personne dispose
de sa nature et, en même temps, elle se réalise. C’est une vision plus existentielle
du bien commun. Cette vision est essentielle pour Charles de Koninck. Le
philosophe canadien dit explicitement que l’ordination de la partie « est si
intégrale que ceux qui poursuivent le bien commun, poursuivent leur bien
propre ex consequenti : “parce que, d’abord, le bien propre ne peut exister sans
le bien commun de la famille, de la cité ou du royaumeˮ41». Il est alors perceptible
que le bien commun constitue cette dimension qui révèle le bien typiquement
humain et, en même temps, affirme la spécificité de l’homme. Selon le
dominicain Aquinas Guilbeau, dans son étude sur la primauté du bien commun
39
Cf. CH. DE KONINCK, Œuvres de Charles de Koninck. La primauté du bien commun, t.
II, vol. II, trad. S. LUQUET, Québec, PUL, 2010, p. 118.
40
Cf. La Personne et le Bien commun, Œuvres Complètes, op. cit., p. 202.
41
CH. DE KONINCK, Œuvres de Charles de Koninck. La primauté du bien commun, op. cit.,
p. 127.
L’idée du bien commun 215
42
L’auteur dans sa recherche sur la philosophie De Koninck constate explicitement que le
bien commun est toujours le plus grand bien de la personne : « De Koninck argued
strongly that the common good is the good of the persons who constitute the
commmunity. The common good is their proper good. For De Koninck, to think
otherwise is to adopt a modern – and as we shall see, totalitarian – view of the common
good ». Cf. A. GUILBEAU, Charles de Koninck’s Defense of the Primacy of the Common
Good, Fribourg, University of Fribourg (Switzerland), 2016, p. 47.
43
Cf. J. GRZYBOWSKI, Jacques Maritain i nowa cywilizacja chrześcijańska, op. cit., p. 160.
44
Les droits de l’homme et la loi naturelle, Œuvres Complètes, op. cit., p. 621.
216 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
45
La Personne et le Bien commun, Œuvres Complètes, op. cit., p. 210.
46
Cf. Somme Théol., IIa-IIae, q. 64, a. 3.
47
Cf. La Personne et le Bien commun, Œuvres Complètes, op. cit., p. 210.
L’idée du bien commun 217
comportements et pousse la personne à agir d’une telle façon et non pas d’une
autre. C’est une remarque fondamentale, car « le bien commun terrestre
enveloppe lui-même des valeurs supra-humaines et se réfère indirectement à la
fin absolument ultime de l’homme. (…) Ainsi, la guerre, qui porte à une limite
suprême la subordination de la personne individuelle à la communauté
temporelle, atteste en même temps les implications supra-temporelles et les
finalités supra-sociales supposées par cette subordination »48. Maritain met
implicitement en valeur la place du bien commun. Cependant, ce bien commun
est aussi ouvert à la personne qui lui permet de s’affirmer. Comment donc le bien
commun affirme-t-il certaines valeurs ? C’est avant tout la personne, dans son
intégralité et sa spécificité, qui les assure. La société a besoin de la personne
humaine qui affirme certaines valeurs par sa vie vertueuse. Niesyty, dans son
analyse sur l’humanisme intégral chez Maritain, accentue la place des vertus
dans la culture et dans la civilisation. L’homme se révèle, non seulement comme
un être de la nature, mais aussi comme un être possédant des facultés spécifiques
qui assurent sa cohérence intérieure. En parlant de l’homme comme d'un être
naturel, il faut prendre en compte, à la fois les dimensions rationnelles, volitives
et l’exigence des vertus49. La société est pour la personne mais la personne est
aussi pour la société. C’est une relation profitable, autant à la personne qu’à la
société, car elle entraîne l’épanouissement des deux dimensions, chacune vers sa
propre finalité. Dans La Personne et le Bien Commun, Maritain affine sa position
et indique que « la société ne peut pas vivre sans le perpétuel don et le perpétuel
surcroît provenant des personnes, irremplaçables chacune et incommunicables ;
et que cependant, cela même qui dans l’usage social est retenu des personnes est
transmué du coup en quelque chose de communicable et de remplaçable,
d’individualisé toujours, mais de dépersonnalisé »50. Selon Maritain, la personne
est donc ouverte à la société et l’enrichit. Cependant, cette ouverture de la
personne est au bénéfice d’elle-même. La personne humaine s’affirme elle-même
dans la mesure où elle affirme le bien commun et, par la suite, atteste le rôle
indispensable de la société quant à la protection de la personne. En d’autres
termes, l’affirmation du bien commun veut dire à la fois l’affirmation de l’homme
et la protection de l’être humain. Plus l’homme l’affirme, plus il voit la nécessité
et l’importance de la communauté. Ainsi, il évite les deux dangers :
l’individualisme et le collectivisme. Le premier danger accentue la liberté d’un
individu tout en négligeant la dimension personnaliste, tandis que le second met
en relief la puissance de la collectivité au détriment des tendances les plus intimes
de chaque personne. L’être humain, étant incommunicable et irremplaçable,
communique avec la société le bien commun qui ne saurait être remplaçable. La
société, grâce à la personne humaine, contient certains biens irremplaçables
permettant de protéger l’être humain. Maritain met l’accent sur la redistribution
du bien commun à la personne et sur la valorisation de la dimension
personnaliste grâce à ses capacités de transcendance. Cela passe par un effort de
la personne elle-même. Si la société est naturellement ordonnée au bien et à la
48
Ibid., p. 213.
49
Cf. E. NIESYTY, Jacques Maritain’s personalist concept of democratic society, Poznań,
Uniwersytet im. Adama Mickiewicza, 2009, p. 43-44.
50
La Personne et le Bien commun, Œuvres Complètes, op. cit., p. 217.
218 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
51
Ibid., p. 212.
52
Cf. Ibid., p. 219.
L’idée du bien commun 219
le tout de la personne individuelle et le tout social »53. Mais pour qu’il en soit
ainsi, il faut un apport de la personne qui reconnaît les valeurs et l’importance de
la justice, et les applique dans son existence au sein de la communauté. C’est bien
dans cette optique, que son rôle sera valorisé par rapport à la communauté,
jusqu’à ce qu’il soit nécessaire. Il semble donc que la personne (et non seulement
l’individu), qui se donne à la communauté et qui partage son énergie spirituelle,
influence considérablement la vue sociale sur la personne elle-même, afin de la
protéger. Chez Maritain, la personne est plutôt considérée comme un devoir par
rapport à elle-même. En conséquence, le philosophe semble négliger les devoirs
de la personne par rapport à la communauté. Et pourtant, il faut donner quelque
chose pour recevoir quelque chose. L’homme profite alors de la communauté,
dès lors qu’il lui donne de sa personne et affirme son importance. Par la suite,
l’homme actualise ses propres potentialités. Il apparaît que l’homme doit
s’affirmer par ses propres actes, afin d’être indépendant dans son existence, ce
qui a déjà été évoqué dans le quatrième chapitre. Mais l’homme doit aussi
affirmer la société comme un espace naturel d’épanouissement pour lui. L’apport
de la personne dans la communauté le stabilise. Cela veut dire que la
communauté est solide et forte, parce que la personne le démontre dans ses actes.
Prenons l’exemple d’une communauté religieuse. Elle n’est solide que grâce aux
personnes qui la constituent. Par leur apport personnel (les chants, la générosité,
les actes de charité, la prière commune), la communauté est vivante, rayonnante
et attirante pour les autres. Elle grandit grâce aux témoignages de toutes les
personnes qui font partie de cette communauté.
Le bien commun de la communauté est donc plus divin, car la personne
est non seulement une partie du tout, mais aussi parce que ce bien constitue une
dimension constitutive de chaque personne, y compris les Personnes divines. En
référence à Aristote et Saint Thomas d’Aquin, Maritain appréhende ce principe
d’une façon formelle : si la personne est partie par rapport au tout social, alors le
bien commun est plus noble que celui de l’individu54. Il faut considérer que le
bien commun est plus divin, d’une part, grâce à sa supériorité par rapport au
bien de la personne individuelle et, d’autre part, par son lien indispensable et
naturel avec la personne. Le bien commun constitue l’essence des Personnes
divines. Il est aussi enraciné en chaque personne humaine, puisque c’est en vertu
de la loi de transcendance, que « la personne émerge au-dessus de ce niveau où
elle n’est que partie, et c’est son bien à elle qui, à ce titre, est plus élevé »55. Ce
bien commun est plus divin que le bien individuel, car il révèle à l’homme sa
destination et sa dignité. Dans cette logique, pour l’homme, en tant que créature
intelligente, le bien commun, « c’est la vérité et la beauté elles-mêmes, par la
jouissance desquelles les esprits reçoivent une certaine irradiation ou
participation naturelle de la Vérité et de la Beauté incréées (…). Le bien commun
des intelligences est le trésor intelligible de la culture en lequel les esprits
53
Ibid.
54
Cf. Ibid., p. 221. Saint Thomas d’Aquin présente la même idée de la primauté du bien
commun par rapport au bien d’un individu il s’agit du bien de même genre du bien.
Cf. Somme Théol., Ia-IIae, q. 113, a. 9.
55
Ibid., p. 222.
220 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
communiquent les uns avec les autres »56. Le bien commun semble affirmer la
spécificité de l’homme quant à ses tendances les plus profondes, à savoir la
recherche de la vérité et de la beauté. Il révèle l’image de l’homme, comme celui
qui ne se contente pas des inspirations purement terrestres ou matérielles mais,
étant spirituel et intelligent, l’être humain est en recherche constante de la vérité
et de la beauté.
56
Ibid.
57
Le philosophe canadien Charles de Koninck critique la position des personnalistes sur le
bien commun. Selon le frère Aquinas Guilbeau cette critique vise le personnalisme de
Maritain. Bien que De Koninck ne le dise pas explicitement, nous le supposons en
tenant compte sa critique antérieure concernant la philosophie de la science chez
Maritain. Cela nous permet de constater explicitement que le philosophe canadien
débat avec Maritain et après avec frère Ignatius-Theodore Eschmann qui défendait la
vision maritainienne du bien commun. Toute la discussion est publiée dans le deuxième
tome des Œuvres de Charles de Koninck. CH. DE KONINCK, Œuvres de Charles de
Koninck. La primauté du bien commun, t. II, vol. II, trad. S. LUQUET, Québec, PUL, 2010.
58
Cf. Ibid., p. 118, 150.
L’idée du bien commun 221
59
S. LUQUET, « Charles de Koninck et le bien commun », op. cit., p. 45-60.
60
E. LEVINAS, Altérité et transcendance, Paris, Fata Morgana, 1995, p. 44.
61
CH. DE KONINCK, Œuvres de Charles de Koninck. La primauté du bien commun, op. cit.,
p. 119.
222 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
62
S. LUQUET, « Charles de Koninck et le bien commun », op. cit., p. 45-60.
63
Cf. Les droits de l’homme et la loi naturelle, Œuvres Complètes, op. cit., p. 622.
64 Cf. T. MRÓWCZYŃSKI, Personalizm Maritaina i współczesna myśl katolicka, op. cit., p. 129-
131, 137.
65
CH. DE KONINCK, Œuvres de Charles de Koninck. La primauté du bien commun, op. cit.,
p. 122.
L’idée du bien commun 223
veut dire que le bien commun lui permet de se perfectionner. Cette manière
d’appréhender la relation entre la personne et le bien commun trouve sa source
chez Aristote. Dans son livre intitulé La Politique, celui-ci précise que le bien
commun apparaît dans le contexte des biens auxquels l’homme tend. Plus
encore, il y tend dans le contexte social. Aristote définit le bien commun comme
« to koinêi sympheron » qui veut dire « l’avantage mutuel ou l’intérêt général ».
L’idée du bien commun englobe alors des éléments à partir desquels on parle du
bien commun et grâce auxquels la communauté et la personne sont saines :
l’homme par sa nature aime à être dans la communauté ; elle est même nécessaire
pour vivre. La vie elle-même contient une douceur naturelle qui s’exprime en
société. Ensuite, la communauté est nécessaire pour les avantages qui en
résultent et pour bien vivre physiquement et moralement. Il en résulte que le
bien commun est une bonne vie66. Pour cela, l’homme a besoin des autres. Le
bien commun est ce grâce à quoi l’homme peut vivre, s’épanouir et tendre vers
la beauté de la vie. La conception aristotélicienne du bien semble prendre en
compte la nature humaine et l’épanouissement de tous les hommes. C’est une
condition nécessaire de la vie sociale qui permet d’éviter toutes sortes de dérives.
Dans le cas contraire, la société est considérée par Aristote comme la société des
dépravés67. Ces considérations guident de façon ordonnée cette recherche sur le
bien commun, à savoir qu’en abordant la notion du bien commun, l’homme doit
être la référence suprême. C’est le point de départ fondamental pour garder un
lien étroit entre l’homme et le bien commun68. En d’autres termes, la société est
requise par la nature humaine et non pas par le contrat social, comme le voulait
Rousseau. Elle n’est pas un simple accord volitif de l’humain, mais une œuvre
enracinée dans la nature. Maritain s’appuie sur cette vision aristotélico-
thomasienne et la met en relief afin de contredire l’idée de pacte social de
Rousseau69. Dans cette logique, la société naturelle (familiale ou politique) doit
correspondre aux inclinations naturelles de l’homme. En tant que telle, elle « tend
vers un bien concrètement et entièrement humain, le bien commun. C’est une
œuvre de raison, née des obscurs efforts de la raison dégagée de l’instinct, et
impliquant essentiellement un ordre rationnel »70. On y voit le réalisme
d’Aristote qui regarde l’homme, non pas par le prisme idéal, mais celui qui a trait
au réel. Cette observation de l’homme, tel qu’il est dans le réel, permet de
percevoir les inclinations naturelles chez l’homme, telles que l’amour de la vie, le
désir d’épanouissement. Plus encore, la raison et la liberté indiquent l’importance
du bien commun, car ce sont les deux facultés révélatrices de la vérité sur
l’homme. Dans cette perspective, Aristote constate que le bien commun, au sens
66
Cf. ARISTOTE, La Politique, I, 1, 1253 a, 9-13 ; III, 12, 1282 b, 15-20.
67
Cf. ARISTOTE, La Politique, III, 7, 1279 a, 15-30.
68
Le philosophe polonais Stanisław Kowalczyk précise que le bien commun possède deux
dimensions étroitement liées à la construction de l’homme : ontologique et axiologique.
Toutes les deux, elles correspondent à la nature humaine. Cf. S. KOWALCZYK, Człowiek
a społeczność. Zarys filozofii społecznej, Lublin, Wydawnictwo KUL, 2005, p. 234.
69
Cf. L’Homme et l’État, Œuvres Complètes, op. cit., p. 531.
70
Ibid., p. 491.
224 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
strict du terme, n’est concevable que pour l’homme libre. Plus encore, il l’identifie
à la vie vertueuse71.
71
Cf. ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, I, 3, 1095b, 15 – 1096a, 5.
72
CEC 1906 : « Par bien commun, il faut entendre "l’ensemble des conditions sociales qui
permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres d’atteindre leur perfection,
d’une façon plus totale et plus aisée" (GS 26, § 1 ; cf. GS 74, § 1) ».
73
Cf. L’Homme et l’État, Œuvres Complètes, op. cit., p. 668.
74
Le philosophe canadien compare la vision des personnalistes à l’hérésie pélagienne.
Pélage a confondu la nature avec la grâce disant que la liberté est suffisante pour Le
salut. Tandis que les personnalistes soumettent le bien commun au bien singulier. Par
la suite les personnalistes constatent que le bien de la personne suffit pour atteindre la
béatitude. Cf. CH. DE KONINCK, Œuvres de Charles de Koninck. La primauté du bien
commun, op. cit., p. 149.
L’idée du bien commun 225
75
Ibid., p. 149-150.
76
Ibid., p. 150.
77
Le dominicain présente clairement la position de philosophe canadien : « De Koninck
admonishes personalist writers (…) for entering fully, even if unwittingly, into
totalitarian project (…). De Koninck alleges that instead of opposing totalitarianism at
its root, personalist writers concede and even adopt key tenets of its theory ». A.
GUILBEAU, Charles de Koninck’s Defense of the Primacy of the Common Good, op. cit.,
p. 79.
226 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
il s’expose au danger de mort et néglige son bien privé »78. Il y a alors les biens de
l’univers, de la famille et de la cité, considérés par la raison et par la volonté
comme communs. Ce sont les biens de la personne qui œuvrent à son
épanouissement pour peu qu'elle veuille se subordonner à leur loi. Plus encore,
ils répondent aux besoins humains et permettent à l’homme de s’accomplir et
finalement de manifester ce bien autour de lui dans une communication
authentique. Il en résulte que le bien commun affirme l’appréhension
personnaliste de l’homme en tant qu’homme, car il est de caractère ontologique
et non pas pratique, et cet ordre ontologique détermine le regard personnaliste
sur ce bien et spécifie également l’agir humain.
78
CH. DE KONINCK, Œuvres de Charles de Koninck. La primauté du bien commun, op. cit.,
p. 123.
79
Ibid., p. 145.
80
Cf. I.-TH. ESCHMANN, « Pour la défense de Jacques Maritain (annexe) », dans : CH. DE
KONINCK, Œuvres de Charles de Koninck. La primauté du bien commun, t. II, vol. II,
trad. S. LUQUET, Québec, PUL, 2010, p. 414.
L’idée du bien commun 227
81
Cf. Ibid., p. 278.
82
Cf. Somme Théol., Ia, q. 60, a. 5.
83
Cf. J. A. COLEMAN, « A Limited State and a Vibrant Society: Christianity and Civil Society
», dans : J. A. COLEMAN (éd.), Christian Political Ethics, Princeton, Princeton University
Press, 2008, p. 37.
84 Cf. Somme Théol., Ia, q. 42, a. 4, ad. 2.
228 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
certains actes. Il faut plutôt montrer par des actes la place constitutive de la
dignité humaine.
Ces considérations amènent à la réflexion sur la relation entre la
personne et le bien commun. Le dominicain Eschmann, prenant la défense de
Maritain dans sa discussion avec De Koninck, constate que le philosophe
canadien met en valeur le bien commun, comme celui qui est le plus semblable à
Dieu, tout en oubliant la place privilégiée de la personne humaine. Plus encore,
selon Eschmann, De Koninck détruit la relation personnelle entre l’homme et
Dieu en interposant l’univers du bien commun entre eux85. Cette divergence
conduit à aborder la question du rapport entre la personne et le bien commun,
afin de montrer qu’ils ne s’opposent pas, mais qu’ils se croisent et s’affirment
mutuellement. Le rôle du bien commun consiste à valoriser le spirituel en
l'homme et son inclination vers Dieu. Cela veut dire que le bien commun est
capable de protéger l’homme contre l’individualisme qui est, à proprement
parler, la base de toutes les formes du totalitarisme86. Le bien commun n’aliène
jamais la personne des autres ; bien au contraire, il appréhende ce qui unit les
hommes et constitue leurs richesses existentielles. Donc, l’affirmation de
l’homme signifie, à la fois la découverte de tous les aspects qui unissent les
hommes, et la révélation de ce qui leur permet de cohabiter en harmonie
ensemble, et non pas l’aliénation de l’homme. La personne ne se concentre pas
sur elle-même, mais elle conçoit la dimension commune présente, à la fois en elle-
même et chez les autres. Il est ainsi plus facile de comprendre en quoi consiste la
générosité de l’être, à savoir qu’il n’est pas égocentrique, mais qu’il est destiné à
vivre en communauté parmi ceux qui lui sont semblables et qu’il communique
au niveau de la société. Le bien commun affirme alors la sociabilité de l’homme
dans le sens où il freine certains actes humains qui pourraient être destructeurs
pour les autres hommes.
85
Cf. I.-TH. ESCHMANN, « Pour la défense de Jacques Maritain (annexe) », op. cit., p. 416.
86
Cf. Pour le bien commun (témoignages-débats), Œuvres Complètes, t. V, 1982, p. 1034.
87
Cf. L’Homme et l’État, Œuvres Complètes, op. cit., p. 706.
L’idée du bien commun 229
88
D. GREINER, « Le bien commun à l’épreuve des éthiques procédurales : pour une
réinterprétation des sources théologique », Revue d’éthique et de théologie morale,
241(2006/HS), p. 119-144.
89
Cf. M. A. KRĄPIEC, Człowiek i prawo naturalne, Lublin, Polskie Towarzystwo Tomasza z
Akwinu, 2009, p. 208-224.
230 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
90
CH. DE KONINCK, Œuvres de Charles de Koninck. La primauté du bien commun, op. cit.,
p. 152.
91
L’auteur précise ces idées ainsi : « Maritain refused to allow that man qua person could
both constitute a part of a greater whole and not have his personal dignity offended.
To be a part is to have the person’s dignity offended ». A. GUILBEAU, Charles de
Koninck’s Defense of the Primacy of the Common Good, op. cit., p. 46.
92
Cf. Du régime temporel et de la liberté, Œuvres Complètes, op. cit., p. 368-369.
L’idée du bien commun 231
parce que la personne est bonne, mais aussi parce qu’elle est construite sur le
bien commun. Autrement dit, le bien commun confirme la personne humaine
comme une créature communicable. Il faut alors mettre en relief la dimension
naturelle et universelle du bien commun. S’il en est ainsi, il n’est pas singulier
mais nécessairement communicable aux autres. Cela veut dire que la personne
doit percevoir, non seulement son bien propre, mais le bien qui l’ordonne à
certains actes, parce qu’il est commun à tous. Ainsi, le père de famille est ordonné
au bien commun de la famille ou le citoyen au bien commun de la cité93. C’est un
résultat d’une importance capitale, car il présente le bien commun comme le lieu,
non seulement de la mise en valeur de la personne, mais avant tout comme la
dimension qui unifie tous les hommes par sa valeur universelle. De même, Dieu
constitue par exemple le bien commun ultime qui unit tous les hommes, et non
pas simplement une personne singulière en elle-même. Donc, l’Absolu tout en
étant le bien ultime, n’est pas un bien personnel, mais il est au centre des
inclinations de tous les hommes. Maritain conçoit le théocentrisme plutôt en lien
avec la personne qui se trouve en société. Cependant, il faudrait élargir cette
vision, à savoir que l’instance divine est le fondement premier de la société des
hommes qui garantit le développement naturel de tous, et non pas séparément
de chaque personne. Dieu n’est pas seulement là pour rendre son indépendance
à la personne, mais aussi pour assurer l’harmonie entre les hommes.
93
Cf. CH. DE KONINCK, Œuvres de Charles de Koninck. La primauté du bien commun, op.
cit., p. 127.
232 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
94
CEC 1905.
L’idée du bien commun 233
95
Cf. M. KAPIAS, G. POLOK, « Religijno-społeczny kontekst integralnego personalizmu
Jacques’a Maritaina », Studia Pastoralne, 10(2014)10, p. 453-464.
96
Cf. JEAN PAUL II, Redemptor hominis (4 mars 1979), AAS, 71(1979), no 14, 17; Centesimus
annus (1 mai 1991), AAS, 83(1991), no 13, 47.
97
Cf. A. GUILBEAU, Charles de Koninck’s Defense of the Primacy of the Common Good,
op. cit., p. 283.
98
Le Pape présente le bien commun dans sa dimension diffusive ainsi : « On trouve peu
de vie humaine dans les familles d'aujourd'hui. Il n'y a plus que peu de personnes avec
qui créer et partager le bien commun ; et pourtant, par nature, le bien demande à être
créé et partagé avec d'autres, « bonum est diffusivum sui », « le bien tend à se
communiquer ». Plus le bien est commun, plus il est particulier également : mien, tien,
nôtre. Telle est la logique intrinsèque de l'existence dans le bien, dans la vérité et dans
la charité. Si l'homme sait accueillir cette logique et la suivre, son existence devient
vraiment un « don désintéressé ». JEAN PAUL II, Gratissimam sane, Lettre du Pape Jean
Paul II aux familles 2 février 1994, AAS, 86(1994), no 10.
234 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
La justice
99
Cf. JEAN PAUL II, Veritatis splendor (6 août 1993), AAS, 85(1993), no 95-101.
100
Pour appréhender la vision de l’Humanisme intégral chez Maritain nous avons consulté
non seulement son ouvrage fondamental mais également deux livres qui nous ont
éclairées le contenu, la portée et le contexte des pensées maritainiennes. PH. CHENAUX,
« Humanisme intégral » (1936) de Jacques Maritain, Paris, Éditions du Cerf, 2006 ; P.
VALADIER, Maritain à contre-temps. Pour une démocratie vivante, Paris, Desclée de
Brouwer, 2007.
101
Lettre sur l’indépendance, Œuvres Complètes, op. cit., p. 287.
102
De la justice politique, Œuvres Complètes, op. cit., p. 324.
L’idée du bien commun 235
hommes se distinguent (les talents, les capacités de travail, etc.). De l’autre, ils
sont égaux au niveau de la morale et de l’accès aux biens fondamentaux. Cela
veut dire que le bien commun est lié à la justice distributive qui, elle-même, est
un fondement de la justice sociale. Selon Jean-Jacques Friboulet, « la justice
redistributive implique une rectitude des actions »103. C’est ainsi que les moyens
s’accordent aux fins, et les décisions politiques concilient l’éthique personnelle et
sociale. La justice réelle suppose une forme d’égalité entre les êtres qui « vient
de ce qu’elle proportionne ses exigences aux mérites et aux vertus de ce qui
existe »104. La justice constitue donc une défense du bien commun, car le pouvoir
de la justice reste particulier, tel que l’homme est prêt à se sacrifier pour elle.
C’était le cas des combattants pour la liberté pendant la Seconde Guerre
mondiale. L’État doit œuvrer pour le bien commun de tous, et non pas d’une
partie. Une bonne politique pour Maritain « est d’abord et avant tout une
politique juste »105. Comme l’a bien vu Geneviève Médevielle, la reconnaissance
de la justice « indique que le pouvoir même des lois n’est pas à la libre disposition
de ceux qui les font et elle exige leur réalisation à travers le respect et la promotion
de la dignité de tout être humain »106.
Sur le plan ontologique, toutes les personnes sont égales (la dignité
humaine, l’intellect, la volonté). Cependant, il y a aussi des différences
individuelles et sociales qui sont le fait de la nature. L’égalité parfaite n’existe
qu’entre les trois personnes divines, dans la Trinité. Maritain suppose une
diversité hiérarchique de la société et une participation divergente des citoyens
dans le bien commun. En parlant de l’égalité, Maritain précise qu’elle est
proportionnelle, ce qui suppose, d’un côté, une différence sociale et, de l’autre,
la mise en œuvre de la justice sociale. L’enseignement social de l’Église catholique
propose la même vision de la justice distributive107. En conséquence, cette
conception permet de traiter le bien commun comme le bien de tous, qui doit
être distribué proportionnellement à tous. Il y a une distinction entre la
possession d’un droit et son exercice. Tous les hommes possèdent certains droits
inaliénables. Néanmoins, leur revendication et leur exercice dépend de la justice
sociale et des circonstances culturelles108. Dans cette logique, le bien commun est
le fondement d’un principe de justice, car il affirme une corrélation entre le bien
personnel et le bien commun, de telle sorte que le bien particulier soit
proportionnel à tout. Par exemple, le bonheur d’un individu doit être en
corrélation avec le bonheur de tous ; en ce sens, on peut parler d’une
subordination de la partie au tout. Il en résulte que le bien commun ordonne
l’agir, eu égard au bonheur de tous. Il est à la base de la justice sociale et invite la
personne à fonder l’acte humain sur l’égalité proportionnelle.
103
J.-J. FRIBOULET, « Le bien commun selon Jacques Maritain », dans : A. GAVRIC, G.-W.
SIENKIEWICZ (éd.), État et bien commun, Bern, Peter Lang, 2008, p. 45.
104
Pour la justice, Œuvres Complètes, op. cit., p. 523.
105
La voie de paix, Œuvres Complètes, t. IX, 1990, p. 162.
106
G. MEDEVIELLE, « La difficile question de l’universalité des droits de l’homme »,
Transversalités, 107(2008)3, p. 69-91.
107
Cf. LÉON XIII, Rerum novarum (15 mai 1891), ALXIII, 11(1892), no 27.
108
Cf. Principes d’une politique humaniste, Œuvres Complètes, op. cit., p. 220 ; L’Homme
et l’État, Œuvres Complètes, op. cit., p. 598-599.
236 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
La justice politique est liée au bien commun, car elle suppose une
création des conditions élémentaires de vie. Maritain l’explique ainsi : « une
communauté d’hommes libres n’est pas concevable s’il n’y est pas reconnu que
la vérité est l’expression de ce qui est, le droit, de ce qui est juste, - est non pas de
ce qui sert le mieux, à un moment donné, l’intérêt du groupe humain »109. Plus
encore, elle est possible à condition que les hommes prennent en compte les
conditions historiques et naturelles qui composent un pays et acceptent son
identité110. Si elles sont menacées, la raison d’être de l’homme est aussi mis en
danger. C’est le cas où l’homme se voit contraint à résister contre les droits
injustes. Maritain souligne explicitement que la vie politique se fonde sur la
morale et la justice. Leur manque et leur ignorance provoquent une déformation
de la conscience et la négligence des règles de l’agir humain. Plus encore, en
suivant l'analyse d’Hervé Barreau, il est perceptible que l’ordre politique est
subordonné à l’ordre moral111. En conséquence, il y a une référence des normes,
grâce à laquelle l’homme s’accomplit au niveau de la sociabilité.
Le postulat de solidarité
109
La voie de paix, Œuvres Complètes, op. cit., p. 163.
110
Cf. De la justice politique, Œuvres Complètes, op. cit., p. 296.
111
Cf. H. BARREAU, « Maritain, les droits de l’homme et le droit naturel », », dans : M.
BRESSOLETTE, R. MOUGEL (dir.), Jacques Maritain face à la modernité, Toulouse, Presses
Universitaires du Mirail, 1995, p. 115- 158.
112
Cf. LEON XIII, Rerum novarum, op. cit., no 21 ; JEAN PAUL II, Sollicitudo rei socialis (30
décembre 1987), AAS, 80(1988), no 9.
113
Cf. JEAN PAUL II, Sollicitudo rei socialis, op. cit., no 26.
114
Ibid., no 38.
L’idée du bien commun 237
tout être humain. Cela veut dire que la solidarité assure la protection dans la
sphère matérielle (la nourriture) et dans la sphère intérieure (le droit à la religion
ou à l’association).
Le Pape Jean Paul II met l’accent sur la dimension communautaire de la
solidarité. Il y a des dimensions existentielles basées sur le bien commun qui
doivent être portées par tous les hommes. Personne ne peut se sentir seul ou
rejeté face à la violation des droits relatifs à l’exercice d’un travail ou de la liberté
de la religion, etc. En ce sens, la solidarité veut dire « être l’un avec l’autre » et
jamais « l’un contre l’autre », ce qui crée une forte conscience de l’esprit
communautaire et de l’unité entre les hommes. La solidarité implique alors ces
dimensions humaines, qui unissent les hommes, tout en respectant les
différences culturelles, religieuses, etc. Elle suppose alors la diversité. Cette
considération est fondamentale, puisqu’elle révèle la solidarité comme une
manière d’exister sur deux repères : l’unité humaine et la pluralité. Elle crée alors
un lien spirituel qui entraîne tous les hommes à la responsabilité les uns envers
les autres. Il s’ensuit que la solidarité façonne une relation d’interdépendance
humaine en vue de protéger l’homme. Jean Paul II présente alors une nouvelle
appréhension de la solidarité, comme une idée universelle et indiscutable dans
la construction d’un monde de plus en plus humain. Dans cette logique, la
solidarité constitue une catégorie morale, car elle détermine les relations
interhumaines au niveau de la culture, de la politique et de la religion115. C’est
une forme d’interdépendance entre les hommes, fondée sur la solidarité et sur
l’engagement de tous en faveur du bien commun. Dans cette perspective, la
solidarité entraîne le combat, mais jamais contre les hommes. C’est plutôt un
combat pour l’homme, pour son épanouissement et pour ses droits. L’exemple
du mouvement « Solidarność » en Pologne, dans les années 1980, illustre
clairement cette forme de combat. Les travailleurs se sont unis, afin de s’opposer
à la violation des droits du travail. Il apparaît alors que l’homme, grâce à la
solidarité, devient de plus en plus une personne. De surcroît, la saisie de l’homme
comme une personne est une condition fondamentale de chaque acte de la
solidarité. Ce n’est que la reconnaissance de la personnalité qui révèle une
grande valeur de la dignité de l’homme et qui pousse ensuite à le protéger et à
être responsable de l’humanité. En fin de compte, la solidarité permet, d’un côté,
de regarder le bien commun comme celui qui est destiné à tous et, de l'autre, de
concevoir son prochain comme une personne. C’est par la suite que la solidarité
crée une image de l’homme comme « une aide » pour un autre homme sur le
chemin de l’épanouissement personnaliste.
Ces considérations indiquent un devoir chez l’homme de traiter les
autres comme des personnes, car la solidarité suppose la coopération pour le bien
commun, tout en respectant la dignité de l’être humain et ses fins individuelles.
C’est ainsi que l’instrumentalisation, aussi bien de la personne que de la société,
n'aura plus aucune prise sur nous. Pour Jean Paul II, la solidarité était mise en
pratique dans les années 1980 et 1990, au moment où les pays sous le régime
communiste avaient des difficultés économiques. La solidarité a entraîné
l’émancipation des pays en Europe centrale et de l’Est. Le Pape constate
clairement « qu’il est juste que, dans les difficultés actuelles, les pays
115
Cf. Ibid., no 39.
238 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
L’amitié
116
JEAN PAUL II, Centesimus annus, op. cit., no 28.
117
Cf. Science et Sagesse, Œuvres Complètes, op. cit., p. 103 ; Humanisme intégral, Œuvres
Complètes, op. cit., p. 520 ; Pour la justice, Œuvres Complètes, op. cit., p. 883.
118
Cf. De la justice politique, Œuvres Complètes, op. cit., p. 290.
L’idée du bien commun 239
qu’il faut maintenir contre le matérialisme »119. L’amitié entre les hommes
constitue alors cette dimension, par laquelle les hommes communiquent le bien
commun entre eux. Friboulet donne un exemple qui illustre le rôle de l’amitié.
Dans une situation de catastrophes naturelles, les moyens de lutte sont mis en
œuvre grâce à la solidarité active. Au moment où le bien commun est menacé,
l’amitié et l’amour suscitent des actes de charité120. Maritain va jusqu’à affirmer
la nécessité de l’amour. Selon lui, l’esprit de la démocratie est inspiré par l’amour,
mais il ne saurait exister sans amour121. Il en résulte que l’amour est le fondement
de la conception du bien commun chez Maritain et un élément fédérateur pour
les hommes. Il répond aux besoins de la nature humaine sur deux plans : il admet
la moralité et assure l’épanouissement de la personne humaine. Grzybowski
constate, à juste titre, que l’amitié fraternelle dans la réalisation du bien commun
mène au renouvellement moral de la politique122.
119
J. Maritain, E. Mounier, Les grandes correspondances 1929-1939, J. PETIT (éd.), Paris,
Desclée de Brouwer, 1973, p. 106.
120
Cf. J.-J. FRIBOULET, « Le bien commun selon Jacques Maritain », op. cit., p. 48.
121
Cf. Christianisme et démocratie, Œuvres Complètes, t. VII, 1988, p. 741.
122
Cf. J. GRZYBOWSKI, Jacques Maritain i nowa cywilizacja chrześcijańska, op. cit., p. 261.
123
Cf. V. POSSENTI, « Mondialisation, souveraineté, paix perpétuelle. Les perspectives de
Kant et de Maritain », dans : J.-D. DURAND, R. MOUGEL (dir.), Penser la mondialisation
avec Jacques Maritain, enjeux et défis : Actes du colloque de Lyon 8-9 novembre 2007,
coll. Chrétiens et Sociétés, Documents et Mémoires, no 21, Lyon, RESEA, 2013, p. 65-88.
124
Principes d’une politique humaniste, Œuvres Complètes, op. cit., p. 211.
125
Cf. Ibid., Pour la justice, Œuvres Complètes, op. cit., p. 670, 855.
240 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
126
Cf. L’Homme et l’État, Œuvres Complètes, op. cit., p. 628.
127
Ibid.
128
Ibid.
129
W. CAVANAUGH, Torture et eucharistie, Paris, Éditions du Cerf, 2009, p. 287.
130
Principes d’une politique humaniste, Œuvres Complètes, op. cit., p. 216.
131
Cf. E. FORMICKI, Katolicka Nauka Społeczna, Kraków, Wyd. Instytutu Teologicznego
Księży Misjonarzy, 2014, p.241.
132
Les droits de l’homme et la loi naturelle, Œuvres Complètes, op. cit., p. 668 ; Cf. Pour le
bien commun, Œuvres Complètes, op. cit., p. 1029.
L’idée du bien commun 241
le bien commun. Louis Chamming’s constate, à juste titre, que l’autorité est
indispensable pour contredire l’égalitarisme absolu. Pour construire un nouveau
type de démocratie, il y a besoin d’élites qui sachent « faire passer le bien
commun, et la justice, avant leur intérêt propre »133. L’Aquinate précise que la
communauté politique, considérée comme un tout, a pour fonction de répartir
des biens entre toutes ses parties. Et c’est bien à l’autorité que constitue le pouvoir
de les distribuer, afin d’assurer l’unité et la stabilité sociales134. Le lien entre
l’autorité et le bien commun consiste alors en ce que l’autorité juge et met en
pratique le bien commun. Ce qui veut dire qu’elle dirige les hommes libres vers
ce bien typiquement humain. Autrement dit, dans les conditions contingentes de
l’histoire et des événements, une autorité est chargée d’exiger des actions au
bénéfice des tendances les plus élémentaires de l’humain, telles que
l’accomplissement de la personne humaine et la sauvegarde du bien commun.
Le lien entre l’autorité et le bien commun implique donc des décisions pratiques
fondamentales pour le développement intégral chez l’homme. La mise en valeur
du bien commun par l’autorité permet, non seulement d’éviter la déification de
l’individu, mais avant tout de saisir l’homme par le prisme de sa transcendance
et de sa finalité. Selon Maritain, ce n’est que la démocratie organique qui l’assure.
Les hommes, dit-il, « doivent être gouvernés comme des personnes, non comme
des choses, vers un bien commun, véritablement humain, qui se reverse sur les
personnes, et dont la valeur principale est la liberté d’épanouissement de celles-
ci »135. L’autorité révèle donc une loi fondée sur le bien commun pour que
l’homme puisse conquérir sa liberté et tendre vers son accomplissement.
133
L. CHAMMING’S, « Actualité d’Humanisme intégrale : perspectives pour un nouvel âge
de civilisation », op. cit., p. 353-368.
134
Cf. Somme Théol., Ia-IIae, q. 96, a. 4 ; q. 104, a. 1 ; G. MEYER-BISCH, « Maritain, penseur
de la démocratie : lecteur fidèle de Thomas d’Aquin ? », Le Philosophoire, 38(2012)2, p.
251-272.
135
Principes d’une politique humaniste, Œuvres Complètes, op. cit., p. 219.
136
L’Homme et l’État, Œuvres Complètes, op. cit., p. 596.
242 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
137
Ibid.
138
Cf. E. FORMICKI, Katolicka Nauka Społeczna, op. cit., p. 427.
139
Cf. L’Homme et l’État, Œuvres Complètes, op. cit., p. 597-598 ; Humanisme intégral,
Œuvres Complètes, op. cit., p. 536.
140
Cf. Les droits de l’homme et la loi naturelle, Œuvres Complètes, op. cit., p. 628.
L’idée du bien commun 243
141
Cf. Somme Théol, IIa-IIae, q. 47, a. 10, ad. 2.
142
« Bonum est diffusivum sui esse, eo modo quo finis dicitur movere », Somme Théol., Ia,
q. 5, a. 4, ad. 2.
143
Cf. T. MRÓWCZYŃSKI, Personalizm Maritaina i współczesna myśl katolicka, op. cit., p.
134.
144
JEAN PAUL II, « La paix est une valeur sans frontières du nord au sud, de l’est à l’ouest :
une seule paix (1 janvier 1986) », dans : COMMISSION PONTIFICALE « IUSTITA ET PAX »,
Chemins de la Paix. Messages pontificaux pour les Journées mondiales de la paix : 1968-
1986, Vatican, Cité du Vatican, 1986, no 4.
244 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
145
Cf. B. BOURDIN, « Démocratie, médiation chrétienne. Enjeu pour une nouvelle légitimité
de la représentation démocratique », Revue d’éthique et de théologie morale, 296
(2017)4, p. 25-44.
146
Cf. W. CAVANAUGH, Torture et eucharistie, op. cit., p. 303.
147
Cf. Ibid., p. 289-292.
148
Cf. J. GRZYBOWSKI, Jacques Maritain i nowa cywilizacja chrześcijańska, op. cit., p. 240.
L’idée du bien commun 245
149
Cf. J.-J. FRIBOULET, « Le bien commun selon Jacques Maritain », op. cit., p. 46.
150
L’Aquinate nous explique le rapport d’une partie au tout ainsi : « La bonté d'une partie
s'apprécie d'après son rapport avec le tout ; c'est pourquoi S. Augustin écrit que “toute
partie est difforme quand elle n'est pas accordée à son toutˮ. Donc, puisque tout homme
est une partie de la cité, il est impossible qu'un homme soit bon s'il n'est pas
proportionné au bien commun. Et le tout lui-même ne peut être bien constitué, sinon
par des parties qui lui sont proportionnées ». Somme Théol., Ia-IIae, q. 92, a. 1, ad. 3.
151
GS 74.
246 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
152
Cf. M. NEBEL, « Searching for the Common Good », dans: M. NEBEL, T. COLLAUD (éd.),
Searching for the Common Good, Philosophical, Theological and Economic
Approaches, Baden-Baden, Nomos Verlag, 2018, p. 143.
L’idée du bien commun 247
153
GS 74.
154
Cf. G. DE THIEULLOY, Le chevalier de l’absolu, Jacques Maritain entre mystique et
politique, Paris, Gallimard, 2005, p. 199-200.
155
JEAN PAUL II, Discours aux participants à la conférence des présidents des parlements
de l’Union européenne, op. cit., p. 19.
248 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
156
La question du bien commun a été abordée avant tous par les Papes : Léon XIII (Rerum
novarum), Pie XI (Quadragesimo anno), Jean XIII (Mater et magistra, Pacem in terris),
Paul VI (Populorum progressio) et Jean Paul II (Laborem exercens, Sollicitudo rei
socialis, Centesimus annus). Le Cardinal Cottier nous présente un exposé complet du
bien commun à l’Église : G. COTTIER, « Le bien commun dans l’enseignement du
Magistère de l’Église », dans : A. GAVRIC, G.-W. SIENKIEWICZ (éd.), État et bien commun,
Bern, Peter Lang, 2008, p.165-179.
157
Cf. L’Homme et l’État, Œuvres Complètes, op. cit., p. 495.
158
Cf. JEAN XXIII, Pacem in terris (11 avril 1963), AAS, 55(1963), no 85.
159
Cf. P. VALADIER, « Jacques Maritain : une philosophie politique pour aujourd’hui ? », op.
cit., p. 159-178.
160
Cf. L’Homme et l’État, Œuvres Complètes, op. cit., p. 592.
161
Cf. M. PIECHOWIAK, Dobro wspólne jako fundament polskiego porządku
konstytucyjnego, Warszawa, Biuro Trybunału Konstytucyjnego, 2012, p. 134-135.
162
Cf. M. A. KRĄPIEC, Człowiek i prawo naturalne, op. cit., p. 62.
L’idée du bien commun 249
Ces considérations ont encore une autre implication, à savoir que le bien
commun au sens subjectif ne concerne que la personne humaine, son
développement personnaliste et moral. Il faut insister sur cet aspect subjectif, car
il présente le bien commun comme n'appartenant qu'à un homme concret qui
seul peut décider en son âme et conscience. Le bien commun a, d’une part, une
dimension d’immuabilité et, d’autre part, il n'est l'œuvre que d'une personne
libre. Néanmoins, les conditions extérieures, c’est-à-dire le bien au sens objectif,
participent aussi au développement de l’homme. Le bien commun ainsi conçu
implique l’épanouissement intégral (physique et spirituel) fondé sur ce qu’est
l’homme et donc sur son inaltérable dignité. Jean Paul II souligne, à plusieurs
reprises, la nécessité du développement intégral : « le développement ne doit pas
être compris d'une manière exclusivement économique, mais dans un sens
intégralement humain. Il ne s'agit pas seulement d'élever tous les peuples au
niveau dont jouissent aujourd'hui les pays les plus riches, mais de construire, par
un travail solidaire, une vie plus digne, de faire croître réellement la dignité et la
créativité de chaque personne, sa capacité de répondre à sa vocation et donc à
l'appel de Dieu »163. Cela se réalise grâce à l’engagement désintéressé de la
personne à l’égard des autres. Par le don de soi-même, l’homme se développe
lui-même. Le bien commun saisi subjectivement suppose cet acte humain de se
donner. Par la suite, le développement d’une personne façonne le
développement des autres, car il crée un environnement propice au
perfectionnement moral d'autrui. Le développement intégral est un bien
commun dans la sphère subjective et objective, car il conditionne le
développement des uns et des autres.
Conclusion
Maritain exhorte à avoir des idéaux qui s’affirment dans les actes
humains. Il dit explicitement « qu’il faut à tout prix sauver l’espoir des hommes
en un idéal temporel, un idéal dynamique de paix sur terre, semblât-il utopique
au départ. Et il est trop clair, qu’aujourd’hui, l’absence d’un tel idéal crée un vide
tragique au cœur des peuples et des gouvernements »164. Cette analyse du bien
commun montre que la recherche d’un tel idéal permet à l’homme, d’une part,
de vivre en harmonie avec les autres et, d’autre part, de tendre vers
l’accomplissement inscrit dans sa nature. L’idéal dont il est question, est
considéré comme prospectif, et non pas comme utopique. Une image
prospective oriente vers une action concrète et permet de dégager les lignes de
force permettant de voir l’homme dans toute sa richesse existentielle165. La
société ne peut pas exister sans le bien commun. Plus encore, elle agit en vue de
ce bien. Il est, par sa nature, juste (bonum honestum) et, en tant que tel, ce bien
est désirable. Pour Maritain, une bonne fin, id est le bien commun, est avant tout
163
JEAN PAUL II, Centesimus annus, op. cit., no 29.
164
Approches sans entraves, Œuvres Complètes, op. cit., p. 761.
165
Cf. L. CHAMMING’S, « Actualité d’Humanisme intégrale : perspectives pour un nouvel
âge de civilisation », op. cit., p. 353-368.
250 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
la vie bonne et digne. Dans cette perspective, les Droits de l’homme constituent
une déclaration qui devrait protéger le bien commun. Leur contenu englobe des
ordonnances rationnelles permettant, à la fois de maintenir l’homme dans son
intégrité, et de le préserver de toutes sortes de menaces. Certaines sont les
totalitarismes de toute sorte qui débouchent sur un affrontement entre le bien
commun et le bien singulier d’une minorité. La valorisation du bien commun et
son affirmation permet de concevoir ce bien, comme destiné à tous, sans
exception, et non pas à un nombre restreint d'hommes, comme dans le cas d’un
régime totalitaire.
Saint Thomas d’Aquin, dans sa définition de la loi, constate
explicitement que les droits sont promulgués pour le bien commun166. Il est alors
perceptible que les droits de l’homme supposent une vision de l’être humain
considéré sous l’aspect de la droiture de vie, et non pas du prisme utilitaire. Ils
prennent en compte l’ordre menant l’homme vers le bonheur. La question des
droits de l’homme reflète cette tendance essentielle de l’homme : le désir de
perfection et d’accomplissement. Selon Grégor Puppinck, c’est un idéal auquel
l’homme tend167. Les droits fondamentaux sont perçus comme un instrument de
cet accomplissement de l’homme, car ils sont construits sur cet idéal. Dans cette
perspective, les droits permettent d’accomplir le bien et finalement de
s’accomplir à l’homme. D’un côté, ils définissent toutes ses dimensions
spécifiques en y incluant le bien commun. De l’autre, les droits protègent ces
dimensions typiques pour l’être humain. C’est avant tout la société politique,
considérée comme naturelle, qui détermine les conditions propices au bonheur
de la personne. Il existe donc un lien indispensable entre le bien commun et les
droits de l’homme, car le bien commun permet de fixer les conditions nécessaires
auxquelles les droits doivent répondre. Il en découle que la notion de bien
commun contient un aspect de finalité et, en tant que tel, il est aussi considéré
comme une raison d’agir. Maritain ne semble pas prendre en compte
l’appréhension intrinsèque du bien commun. Cependant, l’excellence
ontologique révèle le bien commun comme celui qui est apte à intégrer, non
seulement les hommes, mais aussi les valeurs qui ordonnent la vie sociale. Il
s'ensuit, en toute logique, que le bien commun est la fin poursuivie par le droit ;
il est un principe nécessaire à tout ordre social. Le bien commun est alors
considéré comme une réalité qui s’impose en raison de la dignité humaine ;
personne ne peut en être privé. On admettra donc que chaque personne a droit
aux biens fondamentaux : aux biens naturels, à la nourriture, à la liberté, au
respect, etc. Dans cette perspective, le bien commun devient l’objet des droits de
l’homme et s'oppose de manière catégorique à toute déviation et confusion entre
l’État et la Nation. Pour Jean-Dominique Durand, le bien commun a pour rôle
d'unir les hommes quant à leur nature168. C'est en cela que les nationalismes du
XXe siècle ont failli et doivent être l'objet de l'opprobre général. L’excellence
ontologique du bien commun montre que l’intérêt national ne peut pas être
166
« Nihil est aliud quam quaedam rationis ordinatio ad bonum commune, ab eo qui curam
communitatis habet, promulgata », Somme Théol., Ia-IIae, q. 90, a. 4.
167
Cf. G. PUPPINCK, Les droits de l’homme dénaturé, op. cit., p. 107.
168
Cf. J.-D. DURAND, « Jacques Maritain et la nation », CJM, 67(2013), p. 44-55.
L’idée du bien commun 251
169
J. MARITAIN, Neuf leçons sur les notions premières, op. cit., p. 81.
170
Cf. M. A. KRĄPIEC, Człowiek i prawo naturalne, op. cit., p. 51.
171
Cf. J. SCHALL, Jacques Maritain : The Philosopher in Society, Lanham, Rowman &
Littlefield Publishers, 1998, p. 39.
172
Cf. L. WCIÓRKA, « J. Maritaina koncepcja życia społecznego », dans : E. BALAWAJDER,
S. KOWALCZYK, (dir.), Jacques Maritain prokursor soborowego humanizmu, Lublin, KUL,
1992, p. 145-154.
252 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
173
Cf. Déclaration universelle des droits de l’homme, United Nations, Aegitas éditeur,
2015, a. 1.
Synthèse et actualisation 253
Synthèse et actualisation
1
Cf. P.-R. BLUM, « Jacques Maritain Against Modern Pseudo-Humanism », op. cit., p. 780-
791.
254 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
2
Saint Thomas d’Aquin précise : « Veritas sequitur esse rerum ». Cf. De Veritate, q. 1, a. 1.
Synthèse et actualisation 255
permettent de bien choisir. Dans cette optique, « le fait de devenir une personne »
est un événement qu’il faut n'avoir de cesse d’actualiser. Le bien commun
humain, placé au centre de la relation médecin-patient, implique la prudence par
rapport au progrès médical et aux possibilités techniques. Il en résulte que le
soignant a un rôle considérable quant à la promotion du bien commun. Son
engagement suppose « la bonne vie » pour les autres, ce qui constitue
fondamentalement la notion du bien commun. Grâce au bien commun dans son
excellence ontologique, on est apte à contredire toute erreur anthropologique qui
sépare l’homme de sa nature, de ses lois naturelles et le prive de toute la tradition
philosophique, telle qu'elle a été présentée. Cela amène au constat pratique
concernant la médecine, à savoir que les actes médicaux doivent prendre en
compte les deux dimensions qui vont de pair : la dimension technique et la
dimension téléologique. C’est ainsi que l’on évite les manipulations de la vie
humaine et que l’on affirme que la médecine se réfère aux normes, selon
lesquelles l’homme en tant qu’homme et sa dignité sont au centre des décisions.
Il en découle que l’affirmation personnaliste de l’homme, telle qu'elle a été
étudiée chez Maritain, permet de revenir à la vérité objective sur l’homme, afin
qu’il agisse en conformité avec lui-même, dans une société qui soit un lieu naturel
de son épanouissement. La relation médecin-patient qui a été évoquée, est l’un
des moments les plus significatifs de cet épanouissement.
La recherche sur l’être humain vu par le prisme du personnalisme a
révélé la nécessité du regard introspectif de l’homme sur lui-même. Dans ce
travail à l’hôpital, il est clairement perçu que le « regard à l’intérieur de soi » d’un
médecin a un impact sur sa relation avec les patients. Cette découverte, suivie de
cette analyse, montre que la manière dont l’homme se conçoit lui-même, est la
même dont il conçoit les autres, ce qui a des conséquences indiscutables que les
relations interpersonnelles. L’homme qui se voit comme une personne, agit de
ce fait comme une personne et regarde les autres de la même façon. Ce moment
de l’intériorisation de sa subjectivité, influence la qualité des relations
interpersonnelles. En revanche, si quelqu’un déshumanise une personne par ses
actes ou par ses paroles, il se déshumanise simultanément. En traitant un patient
comme une personne, on se reconnaît soi-même comme une personne. Cette
étude sur le personnalisme de Maritain a montré que la saisie de l’homme en tant
qu’homme par le prisme du personnalisme permet de regarder l’homme dans sa
complexité physique et spirituelle. De ce fait, un médecin aperçoit dans son
patient, à la fois son corps, mais aussi sa spiritualité, son histoire de vie, sa fragilité
existentielle. Le malade, lui aussi, révèle les valeurs humaines. Par sa souffrance,
par sa fragilité et par son histoire, il nous apprend à mettre en œuvre des actes
typiquement humains. Le personnalisme de Maritain aide alors à voir la
dimension spirituelle comme constitutive au moment de la rencontre « médecin-
patient ». Plus encore, l’appréhension personnaliste montre l’image de l’homme
imparfait. Dans l’état actuel des choses, on perçoit une tendance à tout
programmer et à être parfait, par ses propres capacités techniques, tandis que
l'analyse de la pensée maritainienne indique une éthique qui considère l’homme,
non pas comme parfait, mais comme celui qui tend vers la perfection. Bien sûr,
on note un certain élitisme chez Maritain, lorsqu’il valorise la dimension
spirituelle. Il n’en reste pas moins qu’il met en relief le fait « de devenir une
personne ». Cela veut dire que l’homme doit, d’une part, accepter les
262 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
3
Y. FLOUCAT, Jacques Maritain ou la fidélité à l’Éternel, op. cit., p. 118.
Synthèse et actualisation 263
choix libre et moralement bon. Le bien commun affirme l’homme dans le sens où
il révèle l’image de la personne comme celle qui n'a de cesse de se parfaire. Il y a
en la personne, toujours quelque chose « à développer », « à creuser », « à
épanouir », et donc « à s’accomplir ». L’excellence ontologique du bien commun
indique que cette tendance vers la perfection est enracinée dans la nature de
l’homme. La saisie métaphysique du bien commun révèle l’exterritorialité de la
personne par rapport à la politique. Dans cette perspective, le bien commun
manifeste aussi la transcendance de l’homme, car il constitue les conditions par
lesquelles l’homme actualise ses potentialités, non seulement matérielles, mais
aussi spirituelles. Ainsi, par l’actualisation de ses potentialités, l’être humain tend
de plus en plus vers son accomplissement et manifeste sa richesse existentielle
par l’amour et la connaissance.
Au niveau communautaire, le bien commun peut aussi être conçu
comme un défi. Néanmoins, la réalisation du bien commun par l’homme mû par
l’amour d’autres hommes, suscite la solidarité et, finalement, l’être humain
s’affirme grâce au bien commun. Pour qu’il en soit ainsi, il est indispensable que
l’homme manifeste la volonté de travailler pour ce bien. Maritain dit
explicitement que « la volonté d’accomplir une tâche commune à l’échelle du
monde doit donc être assez forte pour entraîner la volonté de participer à
certaines souffrances communes, rendues inévitables par cette tâche et par le
bien commun d’une société à l’échelle du monde. Quelles souffrances en vérité
? Des souffrances dues à la solidarité »4. La force du bien commun consiste en ce
qu’il révèle les conditions universelles de coexistence des sociétés. Par la suite, il
constitue un rempart efficace contre toutes sortes de nationalismes et une
confusion entre l’État et la Nation.
4
L’Homme et l’État, Œuvres Complètes, op. cit., p. 726.
264 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
des églises, etc. donne l'espoir que notre « maison commune » sera un espace
propice à toute créature, dans le respect de sa nature propre.
L’utilisabilité du bien commun consiste en ce qu’il présente les principes
intellectuels, afin de justifier rationnellement des normes et des valeurs morales.
Il révèle, à la fois l’homme dans sa sociabilité, et la société basée sur un bien
propre. Il en résulte que le bien commun permet de lier en l’homme l’aspect de
l’individu et de la personne. Grâce à son excellence ontologique, le bien commun
révèle ce qui m’est dû et requis par ma propre nature. Le bien commun permet
de lier la dimension morale et juridique des normes. Les droits de l’homme en
constituent une preuve tangible, car ils constituent le reflet de l’ordre moral. C’est
ainsi qu'il faut considérer les droits de l’homme, sous l’aspect de leur universalité
propre à la nature humaine. Or, de nos jours, les droits de l’homme tendent à
devenir un reflet des désirs humains. La société est divisée sur la perception de
la réalité dans son ensemble. C’est plutôt l’individualisme qui règne sans partage
et impose à l’État les droits hostiles à l’homme. C’est l’individu qui, à présent,
définit les droits, et non pas la nature humaine. Comme l’a bien montré Grégor
Puppinck, les droits sont un reflet de la volonté individuelle5. On assiste à une
glorification de la souveraineté absolue et défigurée de l’homme et de l’État. Les
idées maritainiennes incitent à une autre vision de la souveraineté, celle qui
respecte le bien commun de tous, et non celui de l’individu. C’est ainsi que l'on
se défendra contre toute sorte d'usurpation de l’État qui aboutit au totalitarisme.
Une vision modérée de la souveraineté est utile quant au dialogue entre les
nations, car elle suppose une coopération entre les elles. En conséquence, elle
constitue un fondement pour une union fédérale.
Il y a avant tout deux affirmations qui permettent de déterminer les
droits typiquement humains, à savoir l’affirmation de l’être en tant qu’être et de
la dignité humaine. Les deux principes peuvent être attestés par tous, car ils
résultent des tendances les plus fondamentales de tout homme. Dans cette
perspective, en les affirmant, on parvient à un consensus social au niveau de la
pratique. Face au progrès constant, l’affirmation de l’homme en tant qu’homme
et l’affirmation de la dignité humaine, comme le révèle le personnalisme de
Maritain, assurent une stabilité quant à la communication interpersonnelle,
malgré les divergences philosophiques. Autrement dit, c’est la nature humaine
et ses penchants innés qui unissent les hommes. C’est d’eux que découlent les
principes communs et élémentaires de nos actes. Il s'agit alors de prendre
conscience qu'il faut accepter l’appréhension personnaliste de l’homme en tant
qu’homme et de sa dignité. L’homme s’accomplit à travers la connaissance et
l’amour propre à sa nature. Il prend conscience de ce qui oriente et motive ses
actes et, par la suite, s’ouvre à lui-même, à sa dimension spirituelle et morale.
C’est un moment de l’auto-compréhension de l’humain, selon les mots de Taylor,
qui constitue une condition de compromis raisonnable dans le contexte de la
pluralité culturelle et religieuse6. La reconnaissance de sa propre intégralité chez
l’homme le mène donc à la découverte de sa propre spécificité et de son propre
potentiel éthique. Par conséquent, cette prise de conscience s'assimile à un
5
Cf. G. PUPPINCK, Les droits de l’homme dénaturé, op. cit., p. 94.
6
Cf. CH. TAYLOR, Les sources du moi. La formation de l’identité moderne, Paris, Seuil, 1998,
p. 189.
266 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
impératif. Elle constitue une sorte d’exaltation de l’être humain, en tant qu’être
humain, qui est souvent dépourvue de racines solides, alors que la norme
personnaliste englobe toutes les données métaphysiques qui renvoient à la
notion de la substance, de l’existence, de l’autonomie et de la liberté. Cette norme
est alors d’un caractère protecteur pour l’être humain. Le retour à la racine
rationnelle est fondamental dans la réflexion sur l’homme et sur le bien commun,
car cet ordre permet d’adhérer aux droits humains par la voie authentique,
universelle, c’est-à-dire par la raison, et non pas par la seule voie du sensible. Cela
trace les pistes de la défense des droits de l’homme et de leur protection face aux
déviances qui menacent l’être humain. Il est perceptible qu’il ne suffit pas
d’invoquer les droits humains, il faut les protéger dans les actes typiquement
humains, afin d’éviter leur anéantissement et leur violation. C’est avant tout la
fidélité au bien commun et le consensus qui en résulte, qui assure la protection
des droits de l’homme, car il révèle toutes les exigences à mettre en œuvre, afin
de respecter l’homme et la dignité humaine. Il semble que l’épanouissement de
l’homme et la découverte de son intégralité mènent naturellement l’homme vers
la découverte du bien commun et vers sa défense. C’est un moyen par lequel
l’homme participe à la croissance du bien commun et, par la suite, il enrichit à la
fois la société et sa propre existence. Face à la violation de l’homme par l’homme,
et face à l’émergence des procédés coercitifs de cette violation, il faut dialoguer
et chercher des solutions qui permettent de promouvoir l’homme et de le
sauvegarder. Dans cette analyse, il a paru nécessaire d'insister sur toutes ces
violations, non pas pour susciter l'effroi, mais pour montrer l’homme dans son
extrême fragilité et pour conclure que c'est finalement lui qui est le maître de son
avenir. La découverte de sa propre richesse ontologique et du rôle épanouissant
du bien commun conduit l’être humain à s’affirmer, dans le sens où il accomplit
des actes propres à sa nature et, par la suite, construit l’avenir pour les prochaines
générations.
7
Cf. La voie de paix, Œuvres Complètes, op. cit., p. 149 ; F. VIOLA, « Les droits de l’homme :
Point de rencontre entre la nouvelle chrétienté et l’humanisme contemporain », Nova
et Vetera, 57(1982)1, p. 4-9.
Synthèse et actualisation 267
8
Cf. J. GRZYBOWSKI, « Jacques Maritain i Sobór Watykański II », Saeculum Christianum,
10(2003)1, p. 135-153.
9
Cf. E. FORMICKI, Katolicka Nauka Społeczna, op. cit., p. 448.
10
Cf. K. BEŁCH, Katolicka Nauka Społeczna, Kielce, Wyd. Jedność, 2007, p. 167.
11
Cf. Principes d’une politique humaniste, Œuvres Complètes, op. cit., p. 228.
268 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
12
Cf. L’Homme et l’État, Œuvres Complètes, op. cit., p. 546-550 ; Religion et culture,
Œuvres Complètes, op. cit., p. 197 ; Pour un réalisme intégral et un humanisme
chrétien, (témoignages-débats), Œuvres Complètes, t. V, 1982, p. 974.
13
Cf. Pie XII, Summi Pontificatus (20 octobre 1939), AAS, 31(1939), no 44-60.
14
Les droits de l’homme et la loi naturelle, Œuvres Complètes, op. cit., p. 623.
15
CH. JOURNET, Exigences chrétiennes en politique, Saint Maurice, Editions Saint Augustin,
1990, p. 28.
16
Cf. M.-O. D’SOUZA, « Maritain, Political Community, and the Common Good », Études
maritainiennes – Maritain Studies, 33(2017), p. 3-18.
Synthèse et actualisation 269
Pour Maritain, la société est une œuvre, non seulement naturelle, mais
aussi morale, dans le sens où elle « répond aux grandes inclinations essentielles
de la nature humaine »17. Dans cette logique, le respect de la dignité humaine est
la condition première d’une communauté authentique, non seulement physique,
mais aussi spirituelle. La société n’est pas fondée sur la liberté de choix, comme
le voulait l’idée individualiste au XIXe siècle. Pour que l’homme puisse acquérir
la liberté d’autonomie, il faut que la société soit ordonnée à un bien commun.
Cela implique une tendance fondamentale, à savoir que l’homme devient de plus
en plus libre, non seulement dans son choix, mais aussi en lui-même18. Le bien
commun fait donc partie constitutive de l’accomplissement de soi chez l’homme,
car il implique des actions essentiellement humaines et, par la suite, permet de
tendre vers la perfection spirituelle de l’homme. C’est pour cela que, dans la
discussion sur les droits de l’homme, le bien commun a ce rôle essentiel
d'éclaireur, car il pose les principes socio-anthropologiques grâce auxquels
l’homme agit en conformité avec sa nature. Yacoub dit qu’il est indispensable
d’éclaircir la notion des droits de l’homme d’un point de vue socio-
anthropologique. Mais il pense que cet éclaircissement passe par la seule voie
d’un accord pratique concernant la vie en commun19. Il faudrait élargir
l’appréhension d’un consensus aux vérités qui résultent naturellement du
raisonnement humain et du jugement de la conscience, tels que le respect de la
vie, les actes de solidarité à l’égard des exclus, etc. La nécessité du bien commun
consiste en ce qu’il répond aux besoins et aux inclinations innés à la perfection.
John Hittinger, analysant le lien entre la personne et la société, explique que la
personne atteint la plénitude, non seulement par elle-même, mais aussi grâce à
l’acceptation des biens indispensables qu’elle reçoit de la société20. Il en résulte
que la société assure les conditions existentielles du développement intégral de
la personne. Plus encore, la société est nécessaire pour l’homme, « non seulement
en raison des besoins de son individualité matérielle, mais d’abord et avant tout
en raison des exigences de sa personnalité spirituelle »21. Emmanuel Mounier
partage cette idée. Selon lui, la personne est consciente de sa personnalité et de
sa dignité, à la fois par un effort de la raison, et par la voie du sensible. L’homme
s’épanouit nécessairement au sein de la société et se réfère à elle, afin de protéger
les droits fondamentaux22. On observe une relation étroite entre le bien commun
et les droits de l’homme, car le bien commun révèle la vision de la société qui
n’est pas une simple somme des individus mais une communauté fondée sur ce
qui répond le mieux à la nature et à la structure existentielle de l’humain23. Le
bien commun est donc un principe d’unité et d’ordre dans la société. Celui-ci
définit la relation entre la société et la personne. Cette implication pratique révèle
le bien qui est une cause finale, autant pour la société que pour la personne
humaine. Ce sont avant tout les droits de l’homme qui indiquent ces dimensions
existentielles permettant à l’être humain de tendre vers le bien ontologiquement
enraciné en lui. Ils doivent assurer une vie décente en communauté et aider la
personne à se parfaire, autant matériellement que moralement. Les droits de
l’homme ont ainsi un caractère éducatif et pédagogique qui concourent à la
formation morale et à la véritable liberté de l'être humain. En outre, la question
des droits de l’homme chez Maritain est un impératif moral qui n'exclut pas, s'il
le faut, le sacrifice suprême. Il le dit sans ambages : « nous savons que, pour
défendre les droits de la personne humaine, comme pour défendre la liberté, il
convient d’être prêt à donner sa vie »24.
23
Cf. T. MRÓWCZYŃSKI, Personalizm Maritaina i współczesna myśl katolicka, op. cit., p. 129.
24
Les droits de l’homme et la loi naturelle, Œuvres Complètes, op. cit., p. 620.
25
L’Homme et l’État, Œuvres Complètes, op. cit., p. 567-568.
26
La voie de paix, Œuvres Complètes, op. cit., p. 158.
Synthèse et actualisation 271
alors apte à désigner les principes de l’agir qui vivifient les relations
interpersonnelles et qui constituent un point commun pour tous car, selon
Maritain, « les conclusions pratiques qui, diversement justifiées pour chacun,
sont pour les uns et les autres, des principes d’action analogiquement
communs »27. Cela veut dire que la déclaration commune d’une charte
démocratique est possible, à condition que l'on reste au niveau pratique des
principes d’action. On parvient au consensus, là où il y a un accord sur certains
points pratiques. En revanche, Greiner précise qu'au lieu de donner des
solutions, il faut débattre des questions, telles que la fragilité, la précarité de
l’homme et les dangers qui peuvent menacer le monde (pauvreté, guerre, etc.).
C'est une forme d'angoisse qui préside à ce dialogue, mis en relief par le Concile
Vatican II, et rend urgente la recherche d'un compromis. Cette manière de
dialoguer est fructueuse, car elle encourage les communautés (les églises, la
famille, des syndicats) à collaborer et à servir l’homme dans sa dimension
physique et spirituelle28. Dans cette perspective, la solidarité entre tous renforce
la collaboration et enjoint de placer « l’homme en tant qu’homme » et sa dignité
au centre du dialogue. Maritain montre les assises personnalistes qui résultent de
ces deux ordres et qui permettent de protéger l’être humain. Un accord commun
est alors possible, à condition qu’on communique et qu’on accepte certaines
exigences du bien commun qui dérivent des conditions de la vie sociale,
spécifiques pour chaque époque. Le bien commun, tel qu'on le conçoit, rejette la
neutralité normative pour se concentrer sur ces biens qu’il faut sauvegarder au
nom de tous. En conséquence, d'un côté, le bien est apte à garantir une cohésion
sociale qui implique le pluralisme et, de l'autre, il permet à toutes les personnes
de réaliser leurs aspirations individuelles. Dans cette perspective, Maritain
n'accepte qu’une explication spéculative, celle qui a pour but de trouver les
principes les plus initiaux que chaque personne sera capable d’appliquer. Ce
dénominateur commun constitue un accord idéologique et détermine des
normes communes de l’agir. En revanche, pour ce qui est des normes
secondaires, libre à chaque philosophie de les formuler à sa guise. Il y a donc une
sorte d’idéologie commune à laquelle les hommes tendent, en vue de leur
affirmation et de leur protection. Cet idéal démocratique du respect de la
personne humaine ainsi constitué permettra d’éviter toutes les dérives et les
substitutions qui porteraient un préjudice à la personne. L’universalité des droits
de l’homme consiste en ce que l’homme n’agit pas seulement en fonction de son
propre avantage, mais aussi en vue du bien commun, qui est par excellence un
bien humain. Voilà, selon Maritain, la mission qui incombe à l’Unesco29.
27
Ibid., p. 159.
28
Cf. L’auteur se réfère à la constitution pastoral Gaudium et Spes (numéros : 3, 10, 16, 21-
26). Cf. D. GREINER, « Le bien commun à l’épreuve des éthiques procédurales : pour une
réinterprétation des sources théologique », op. cit., p. 119-144.
29
Cf. La voie de paix, Œuvres Complètes, op. cit., p. 160 ; W. KOŁODZIEJCZAK, « Jacques
Maritain – u źródeł współczesnych koncepcji praw człowieka », Studenckie Zeszyty
Naukowe, 26(2015)18, p. 17-25.
272 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
30
Cf. S. GUENA, « Jacques Maritain : un itinéraire original en philosophie politique – une
âme possible pour l’Europe », CJM, 58(2009), p. 25-52.
31
Cf. L’Homme et l’État, Œuvres Complètes, op. cit., p. 601-603.
32
Ibid., p. 604.
Synthèse et actualisation 273
Maritain pense qu’un accord commun est possible si l'on se limite aux
questions permettant de maintenir l’ordre social, telles que la démocratie, les
droits de l’homme et enfin, le bien commun. La foi séculière consiste en ce que
tous les hommes acceptent les mêmes valeurs exigées par le bien commun.
Dickès-Lafargue précise que, chez l’homme, la vie en société n’est pas seulement
l’œuvre de la nature, mais aussi de la vertu et de la raison. Selon lui, cette idée
permet à Maritain d’esquisser une vision de l’unité politique, à condition de la
fonder sur la dignité de la personne humaine34. En s'inspirant d’une analyse de
Dickès-Lafargue, un consensus et une concordance pragmatique sur certaines
questions semblent possibles. Ces idées ne sont pas en contradiction avec les
différentes traditions. Cavanaugh est dans l'erreur lorsqu’il dit que l’édification
de valeurs éthiques communes provoque une défiguration des traditions35. Il
semble que « la foi commune séculière » englobe les questions enracinées
naturellement en homme, comme la question de la vie ou de la dignité humaine.
En tant que telles, elles constituent un fondement et un point de référence
universel, ce qui veut dire qu’elles sont indépendantes des différentes traditions
et ne les nient pas. Alfredo Gomez-Muller explique qu’il est possible de
déterminer les normes universelles qui assurent la coexistence sociale pour toutes
« les sociétés particulières ». Mais, cela implique la pluralité comme élément
constitutif de la société. Cette pluralité s'applique, non seulement aux différentes
activités sociales, mais aussi à la pluralité éthique36. C’est bien l’État qui garantit,
à la fois un espace public pour tous, et assure une cohérence entre tous les
membres de la société. Face à la pluralité du monde, il faut trouver un discours
philosophique accessible à tous. Gilson dit que Maritain « entreprit une sorte de
croisade en faveur de ce qu’on nommait alors le parti de l’intelligence »37. Bien
sûr, pour Maritain, la civilisation chrétienne pénètre et inspire le temporel. Il n’en
reste pas moins qu’en parlant des droits de l’homme, Maritain choisit un langage
universel. C’est la raison pour laquelle Jésus, pour lui, n’est pas seulement Dieu
incarné, mais aussi une personne divine qui prône les valeurs universelles
33
Ibid., p. 604-605.
34
Cf. G. DICKES-LAFARGUE, Le dilemme de Jacques Maritain. L’évolution d’une pensée en
philosophie politique, Versailles, Éditions de Paris, 2005, p. 66.
35
Cf. W. CAVANAUGH, Torture et eucharistie, op. cit., p. 294.
36
Cf. A. GOMEZ-MULLER, « Philosophie, éthique et “espace publiqueˮ », dans : PH. CAPELLE,
J. GREISCH (éd.), Raison philosophique et Christianisme à l'aube du IIIe Millénaire, Paris,
Éditions du Cerf, 2004, p. 307-309.
37
Gilson É., Maritain J., Deux approches de l’être, op. cit., p. 269.
274 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
accessibles pour tous38. De surcroît, tout le monde est apte à les intérioriser. Il est
alors perceptible que Maritain préfère se reporter aux données philosophiques,
afin de chercher un consensus face à la divergence des convictions. Actuellement,
cette manière de dialoguer avec le monde est pertinente, dans le sens où elle
permet de redécouvrir la spécificité de l’homme et son intégralité (la liberté, ses
propres droits). De plus, un débat fondé sur la raison aide à résister aux
idéologies de tout bord et d'ordonner la pensée de façon logique et cohérente.
Mais cela ne suffit pas. Cavanaugh se réfère aux études de MacIntyre et indique
qu’il faut tenir compte des coutumes particulières et du rôle des institutions
sociales. La discussion philosophique n'épuise pas la question, car la perception
des droits de l’homme dépend du contexte culturel et historique39. Les auteurs
constatent, à juste titre, que ces deux dimensions de la vie sociale influencent
considérablement l’appréhension des droits de l’homme. L’exemple du Chili le
montre. Le régime de Pinochet torturait les opposants en se dispensant de toute
réflexion philosophique sur les droits de l’homme. Le fait d’être marxiste suffisait
pour signer son arrêt de mort40. Ces considérations montrent que l’usage de la
raison constitue déjà un facteur suffisant pour protéger l’homme.
Indépendamment de toute conviction, le fait d’être homme invoque le consensus
auquel il est fait référence dans la discussion contemporaine. Le consensus est
possible, à condition que les différentes traditions affirment, à la fois l’homme en
tant qu’homme, et la dignité inhérente à la personne humaine. Il est donc
possible de découvrir la subjectivité de la personne et toute sa richesse
existentielle, en faisant l'analyse des idées maritainiennes. Tout naturellement, la
saisie de l’homme en tant qu’homme révèle sa densité existentielle.
L’appréhension personnaliste de l’être humain le montre explicitement. Dans
cette perspective, un constat s’établit : tous simplement « affirmer l’homme sans
référence aux convictions, aux croyances et aux philosophies » constitue une
balise pour tous.
Il est vrai que chaque être est le lieu de la nécessité intelligible qui
transcende le fait et l’événement. La nature humaine constitue alors l’univers
d’essence. Elle se situe au-dessus des faits et, par conséquent, la loi naturelle est
« à reconnaître », et non pas « à méconnaître ». Il y a des droits, donc un ordre
« inviolablement requis par ce que les choses sont dans leur type intelligible (…),
ordre en vertu duquel certaines choses comme la vie, le travail, la liberté sont
dues à la personne humaine, existant douée d’une âme spirituelle et du libre
arbitre »41. Cet ordre ne vient pas des faits, mais constitue une exigence de
l’essence de la personne humaine. Cette appréhension objective est le point de
départ de la discussion sur les valeurs et sur ce qui est le bien commun. En se
limitant aux faits, la discussion sur le bien commun et sur les valeurs n’a plus de
sens, car toutes les notions ne sont pas objectivement vraies et, par la suite, elles
deviennent inconcevables. Pour obvier à cet appauvrissement et ne pas tomber
38
Cf. Religion et culture, Œuvres Complètes, op. cit., p. 232-233.
39
Cf. W. CAVANAUGH, Torture et eucharistie, op. cit., p. 296 ; A. MACINTYRE, Après la vertu.
Étude de théorie morale, op. cit., p. 68.
40
Cf. F. PICART, « Imaginer la visibilité politique du Corps du Christ généré par
l’Eucharistie », Laval théologique et philosophique, 63(2007)2, p. 329-342.
41
L’Homme et l’État, Œuvres Complètes, op. cit., p. 592.
Synthèse et actualisation 275
1
Cf. DH 6.
2
JEAN PAUL II, Discours aux participants à la conférence des présidents des parlements de
l’Union européenne (23 septembre 2000), AAS, 93(2001), no 3.
3
Cf. GS 26-31.
4
Cf. JEAN PAUL II, Centesimus annus, op. cit., no 47.
276 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
Conclusion
1
K. WOJTYLA, Le signe de contradiction, Paris, Fayard, 1979, p. 155.
278 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
schéma I
2
M. NEDONCELLE, Vers une philosophie de l’amour et de la personne, Paris, Aubier, 1957,
p. 265.
3
Cf. Les droits de l’homme et la loi naturelle, Œuvres Complètes, op. cit., p. 621.
280 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
schéma II
282 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
4 Cf. GS 12.
Conclusion 283
lorsqu’il dit que le vrai artiste est celui qui se donne entièrement. En servant ces
deux axes, l’être humain s’épanouit et s’accomplit finalement dans le contexte du
temps qui lui est donné. On y rejoint Karol Wojtyła dans sa théorie de la
participation, selon laquelle l’homme, dans son être et dans ses actes, reste
constamment une personne par rapport à elle-même, mais aussi par rapport aux
autres5. Maritain et Wojtyła partagent une vision de l’homme qui conserve des
capacités permettant de participer à l’épanouissement de l’être humain, autant
sur le plan personnaliste que communautaire. L’essentiel est que l’homme se
reconnaît, non seulement comme une personne, mais agit aussi comme une
personne. Il en résulte que la participation se réalise dans la pratique, mais elle se
réfère à la vision concrète de l’homme. Cette idée reste d’actualité, car elle
implique toujours le regard sur les autres, comme si c’était moi-même, comme
une personne. La relation interpersonnelle ainsi conçue prend en compte le bien
véritablement humain, et non pas les seuls avantages extérieurs. En fin de
compte, l’homme reconnaissant sa spécificité et son intégralité, ouvre la voie à la
« participation », cela veut dire à la relation « moi à moi-même » et « moi à mon
prochain ». Ces deux relations et leur qualité dépendent de la manière dont
l’homme se saisit lui-même. Dans cette logique, il y a des pistes ouvertes dans la
discussion sur un lien entre la liberté humaine et la dignité. Comment l’être
humain peut-il conquérir constamment sa liberté et en même temps réaliser sa
dignité ? Quelles conditions faut-il mettre en œuvre pour que ces deux
dimensions puissent garder leur propre sens ? L’expérience de l’individualisme
montre que l’une peut étouffer l’autre. C’est pourquoi cette question reste
actuelle et mérite d’être approfondie.
Maritain indique que l’affirmation de l’homme passe nécessairement
par l’amour de l’homme à l’égard de lui-même et à l’égard du bien commun. En
conséquence, le personnalisme se présente comme un ensemble d'idées qui
proposent des solutions concrètes et solides dans la discussion sur l’homme, tout
en affirmant sa spécificité et son intégralité. Si on parle de l’affirmation de
l’homme, c’est justement dans le sens personnaliste (la découverte de la richesse
de l’homme par l’homme) et dans le sens social (la découverte du bien commun
dans son excellence ontologique). Ces deux dimensions constituent aujourd’hui
la base indispensable du renouvellement personnaliste, afin de montrer la place
spécifique de l’homme par rapport au monde créé, non pas pour l’épuiser, mais
pour le respecter et pour que l’homme se respecte lui-même.
Sources :
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5.2.2022
Le père K. Bełch est notamment connu pour son travail didactique dans
le domaine de l'enseignement social catholique à l'Université catholique de
Lublin et aux Grands séminaires de Przemyśl et de Rzeszów.
Le professeur est également co-initiateur des pèlerinages à pied de
Rzeszów et Przemyśl à Jasna Góra. Il est parti 39 fois en pèlerinage. Pèlerin et
touriste infatigable, jouissant toujours d'une excellente santé, il conduit les
pèlerins le long de la section Podkarpacie du Chemin de Saint-Jacques Via Regia
de Medyka/Korczowa à Pilzno. Il est l'auteur de nombreuses publications sur les
pèlerinages et le tourisme publiées sur turystyka.przemyska.pl et dans Niedziela
Przemyska.
286 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
des éducateurs. Il a également été inscrit sur la liste des experts du ministère de
l'éducation nationale pour la promotion professionnelle des enseignants et sur la
liste des examinateurs de la commission d'examen du district de Gdańsk pour
l'examen de fin d'études secondaires en philosophie.
la logique. En 1951, il habilite une thèse intitulée Logique des phrases pratiques.
Au cours de sa carrière d'enseignant, il est entré en contact avec Karol Wojtyla.
En 1958, pour des raisons politiques et familiales, il émigre en France,
où son projet de commencer son travail d'enseignement et de recherche dans la
section de philosophie du Centre national de la recherche scientifique ne se
concrétise pas. En effet, les autorités françaises ne reconnaissant pas l'habilitation
polonaise, Jerzy Kalinowski devient maître de conférences à la faculté de
philosophie de l'Institut catholique de Lyon. À partir de 1961, il a travaillé comme
Chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). En
1968, à l'Université Bordeaux 4, Jerzy Kalinowski a présenté son ouvrage
principal intitulé Le problème de la vérité en morale et en droit et un ouvrage
annexe intitulé Querelle de la science normative. Jerzy Kalinowski a présenté
une thèse principale intitulée Le problème de la vérité en morale et en droit et
une thèse annexe intitulée Querelle de la science normative et, ayant obtenu des
notes élevées, a obtenu le diplôme qui lui manquait, ce qui lui a permis de
poursuivre ses travaux universitaires interrompus en 1958. Jusqu'à la fin de sa
carrière scientifique, il a été rattaché professionnellement au Centre national de
la recherche scientifique, où il a travaillé comme chercheur dans le groupe
formant le Centre de philosophie du droit. Dans les pages de la revue annuelle
Archives de philosophie du droit, publiée par le Centre, il dirigeait les sections
suivantes : logique des normes, logique dite juridique et revues.
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Source : www.kul.pl/prof-dr-hab-stefan-swiezawski,13842.html,
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Notices biographiques des principaux penseurs polonais 297
Source : https://uksw.edu.pl/en/uniwersytet/uczelniadzis/aktualnosci/
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308 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
L’auteur
Index
AMOROSO LIMA, 62, 360 DE KONINCK, 3, 60, 249, 255, 257, 258,
ARENDT, 178, 179, 360, 364 264, 265, 266, 267, 269, 270,
ARISTOTE, 6, 75, 76, 80, 90, 93, 94, 101, 271, 272, 273, 275, 276, 277,
105, 120, 163, 179, 207, 221, 279, 362, 365, 376
225, 263, 267, 268, 346, 354, DE THIEULLOY, 297, 362
360 DENNEHY, 157, 362
DESCLAUSAIS, 156, 362
BARRE, 15, 23, 44, 45, 46, 55, 59, 61, 64, DICKES-LAFARGUE, 328, 329, 362
66, 81, 91, 92, 113, 360 DOUGHERTY, 93, 362
BARREAU, 283, 284, 360 DURAND, 60, 287, 301, 324, 362, 366,
BARS, 31, 36, 359, 360 368
BARTH, 179, 360 DUVAUCHEL, 208, 362
BARTNIK, 119, 342, 360
BELCH, 322, 343, 360 ESCHMANN, 249, 264, 271, 272, 273,
BELLEY, 91, 99, 110, 360 362
BENOIT XVI, 161, 367
BERGSON, 2, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, FENEUIL, 25, 26, 362
28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, FERRY, 190, 362
38, 45, 70, 71, 77, 78, 80, 84, 86, FIAT, 197, 363
89, 92, 93, 97, 117, 143, 154, FLOUCAT, 36, 47, 52, 64, 126, 127, 139,
155, 156, 324, 357, 360, 362, 141, 142, 151, 240, 248, 249,
368, 373 315, 316, 361, 363, 367
BLANCHET, 7, 48, 61, 62, 69, 360 FORMICKI, 289, 291, 322, 345, 363
BLONDEL, 239, 361 FOSSATI, 50, 363
BLUM, 15, 61, 177, 304, 361 FOURCADE, 52, 58, 363
BORNE, 67, 82, 361, 363 FRIBOULET, 282, 287, 294, 363
BOURDIN, 293, 361 FUMET, 67, 74, 363
BRESSOLETTE, 7, 36, 45, 50, 57, 230,
284, 359, 360, 361, 364, 365, GARDET, 173, 363
368 GARRIGUES, 51, 56, 359, 363
GHERRI, 94, 363
CAFFARRA, 127, 361 GOGACZ, 82, 142, 346, 363
CAVANAUGH, 288, 289, 293, 329, 330, GOMEZ-MULLER, 169, 329, 363, 368
361 GREINER, 275, 326, 363
CHAMMING’S, 149, 289, 300, 361 GROSS, 104, 122, 123, 131, 363
CHENAUX, 63, 64, 280, 361 GRZYBOWSKI, 156, 202, 258, 287, 294,
CICHOSZ, 154, 344, 361 321, 347, 363
COLEMAN, 273, 361 GUENA, 67, 327, 328, 364
COTTIER, 31, 76, 187, 214, 298, 359, 361 GUILBEAU, 258, 264, 270, 276, 280, 364
CRAIG, 135, 183, 362, 366
HARCOURT, 209, 364
D’SOUZA, 150, 323, 362 HITTINGER, 324, 364
DE ALMEIDA SAMPAIO, 99, 362 HUBENY, 178, 179, 364
DE BELLOY, 131, 362
IDE, 230, 364
Index 315
JEAN PAUL II, 52, 66, 80, 142, 279, 280, NIESSEN, 147, 366
284, 285, 286, 293, 297, 298, 299, 331, NIESYTY, 260, 261, 366
332, 359, 364 NIEWIADOMSKI, 169, 366
JEAN XXIII, 298, 359
JOURNET, 43, 48, 52, 323, 364 O’NEILL, 183, 366
KALINOWSKI, 64, 172, 227, 348, 349, PHILIPPE, 64, 96, 366
364 PICART, 330, 366
KAPIAS, 279, 364 PIE XII, 253, 322, 323, 359
KOLODZIEJCZAK, 327, 364 PIECHOWIAK, 298, 299, 356, 366
KOWALCZYK, 142, 157, 160, 256, 268, PIRIOU, 47, 360
302, 349, 350, 351, 364, 368 POLOK, 279, 364
KRAPIEC, 103, 275, 299, 302, 353, 354, POSSENTI, 9, 41, 190, 191, 287, 366
364 POULAT, 16, 367
KROL, 154, 365 PROUVOST, 52, 360, 367
PUPPINCK, 128, 159, 237, 301, 319, 367
LADRIERE, 79, 80, 365
LANGLOIS, 77, 365 RABEHEVITRA, 187, 367
LEIBNIZ, 242, 365 RADIN, 48, 359
LENDZION, 137, 365 RAMIREZ, 217, 367
LEON XIII, 42, 63, 79, 283, 284, 298, RATZINGER, 161, 367
359 REICHBERG, 56, 367
LEONARD, 157, 158, 365 REMOND, 17, 367
LEVINAS, 265, 365 RESCH, 226, 367
LOYER, 58, 365 ROLAND, 127, 367
LUQUET, 249, 255, 257, 264, 265, 266, ROUARD, 207, 367
272, 362, 365
LUROL, 50, 365 SACHS, 46, 367
SAINT THOMAS, 2, 6, 22, 23, 24, 31, 33,
MACINTYRE, 179, 180, 184, 206, 207, 34, 36, 40, 41, 42, 45, 48, 54, 65,
211, 221, 244, 330, 365, 367 66, 67, 73, 75, 76, 77, 78, 79, 80,
MANENT, 198, 365 82, 83, 84, 86, 87, 88, 89, 92, 93,
MATTEI, 176, 365 95, 100, 102, 105, 111, 112, 113,
MAZUR, 255, 365 117, 123, 124, 127, 136, 172,
MEDEVIELLE, 282, 365 184, 191, 196, 207, 219, 220,
MEYER-BISCH, 289, 365 224, 232, 239, 248, 252, 259,
MICHALEK, 152, 355, 365 263, 287, 292, 295, 300, 305,
MORAWIEC, 85, 99, 104, 110, 111, 165, 306, 334, 352, 354, 359, 373,
355, 366 374
MOUGEL, 7, 50, 51, 58, 60, 94, 95, 230, SCHALL, 161, 302, 367
284, 287, 324, 359, 360, 361, SHARKEY, 180, 367
364, 365, 366, 368 STEFFENS, 192, 367
MOUNIER, 49, 50, 287, 311, 324, 360, SWEET, 144, 367
363, 365, 366, 373 SWIEZAWSKI, 64, 172, 227, 364
MROWCZYNSKI, 255, 267, 292, 325, 366
TARASIEWICZ, 250, 367
NEBEL, 295, 366 TATAR, 155, 367
NEDONCELLE, 336, 366 TAYLOR, 320, 367
316 « L’affirmation » de l’homme dans le personnalisme de Jacques Maritain
VALADIER, 81, 85, 114, 280, 298, 368 WOJTYLA, 142, 174, 179, 207, 208, 209,
VILAR, 169, 368 280, 334, 340, 341, 342, 368
VIOLA, 191, 321, 368 WORMS, 25, 27, 28, 32, 33, 360, 368
Introduction ...................................................................................................... 7
Les normes comme condition fondamentale d’un accord commun entre les
hommes......................................................................................................................... 247