Tel Quel Theorie Densemble PDF
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Tel Quel Theorie Densemble PDF
Théorie
d'ensemble
Michel Foucault, Roland Barthes, Jacques Derrida
Collection "Te
AUX ÉDITIONS ·-SEUIL
Ce livre reprend et organise certains textes théori
Théorie ques fondamentaux produits par Tel Quel et autour
d'ensemble de Tel Quel depuis quelques années. Qu'en est-il
désormais de la "littérature" et de sa dissolution? De
l'écriture dont on parle en somme toujours trop? Du
texte en général? Du déchiffrement? Qu'en est-il de
l'histoire, du sujet, de la représentation - catégories
soumises à un démembrement dont le langage s'est
fait le porteur actif? Qu'en est-il du signe, du sens,
.de la langue? Qu'arrivera-t-il si une réflexion sur la
production signifiante devient susceptible d'aider à
penser celle de la monnaie? Que devient la bibliothè
que et le rapport ébranlé entre "œuvre", "auteur",
" lecteur " ? Quelle scène se creuse dans le mouve
ment de ce travail obstiné, rongeur, mais qui règle
déjà son autre côté retourné ? Quelle action ? Quels
déplacements ? Quelle politique?
Théorie d'ensemble permet de situer ces questions,
le lieu stratégique d'où elles sont aujourd'hui émises,
le lent et patient effort qui a fait de Tel Quel le seul
groupe cohérent voulant le passage de l'idéologie
"littéraire" à la science de cette idéologie, à la science
des rapports entre la production "poétique" ou "ro
manesque" et les mutations toujours plus coupantes
du savoir.
Trois études importantes de Michel Foucault, de
Roland Barthes et de Jacques Derrida ouvrent ce
recueil. Elles sont suivies de textes de : Jean-Louis
Baudry, Jean-Joseph Goux, Jean-Louis Houdebine,
Julia Kristeva, Marcelin Pleynet, Jean Ricardou,
Jacqueline Risset, Denis Roche, Pierre Rottenberg,
Philippe Sollers, Jean Thibaudeau. Un appendice
donne la possibilité de se référer à quelques
documents-charnières de l'activité dialectique de la
revue et du groupe.
TEL QUEL
DIRIGÉE PAR PHILIPPE SOLLERS
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collective. Toute repr ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque
procédé que ce soit, s _nsentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite
et constitue une contr '§aµ.ctionnée par les artiçles 425 et suivants du Code pénal.
DIVISION DE L'ENSEMBLE
Il est sans doute trop tôt, bien que déjà possible, de dater avec
précision, l'efficacité et la force avec lesquelles une percée théq
rique générale se sera manifestée autour d'un certain nombre de
concepts décisifs repris, redoublés ou construits dans le cours de
ces dernières années. Écriture, texte, inconscient, histoire, travail,
trace, production, scène : aucun de ces mots-carrefours n'est en lui
même une nouveauté théorique puisqu'il s'agit, dans la manière
dont ils interviennent désormais dans des régions déterminées de
notre recherche, non pas d'inventions destinées à s'aj outer au
marché du savoir, mais d'une constellation réfléchie j ouant à la
fois un rôle de délimitation et de transformation. Il y a quelque
temps, pouvait paraître une Théorie de la littérature qui, en rappelant
l'acquis du " formalisme " lié à la naissance du " structuralisme "
indiquait après-coup le lieu d'une rupture dans l'approche du
texte " littéraire ". Les trois mots que l'on vient de lire entre
guillemets se sont, depuis, singulièrement déportés par rapport à
ceux qui se trouvent soulignés plus hau�. ne faudrait pas en
conclure qu'un " dépassement " du li · ·dq formel, ou du
structural se produit maintenant par une ùtation simple. Plus
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profondément, il nous semble, pour marquer ici une opération
vérifiable aussi bien dans l'histoire scientifique qu'un remaniement
de base se fait totfiours, non sur le coup qui précède immédiatement celui
de la refonte, mais sur le coup qui précède ce coup. C'est ainsi que, pour
préciser la dimension historique de ce qui " arrive ", il nous faut
remonter au-delà d'effets situables dans les années 1 920-1 9 3 0
(surréalisme, formalisme, extension d e l a linguistique structurale)
pour placer correctement une réserve plus radicale inscrite à la
fin du siècle dernier (Lautréamont, Mallarmé, Marx, Freud). Ce
principe de départ est pertinent si nous voulons tenir compte -
sans les effacer - des champs par rapport auxquels ce volume
acquiert sa fonction active et des divisions qui les font exister
comme ensemble hétérogène et voulu comme tel. Alors seulement
peut s'éclairer le nouveau coup qui ébranle et remet en jeu à la
fois le coup et l'après-coup. Alors seulement peut se laisser cal
culer et prévoir de quel coup ce nouveau coup sera à son tour
l'avant-coup 1•
Ce livre, donc, est une organisation de rappels et d'appels à
l'autre côté d'une clôture dont le cercle serait apparu comme
cercle, il y a une centaine d'années, et comme " autre côté " tout
récemment. Il fallait à la fois éviter le piège métaphysique de la
réunification et de la synthèse (retombée dans la clôture) et l'igno
rance de l'après-coup structural ne faisant que déplacer le cercle
(d'où nécessité d'interroger les fondements de plusieurs méthodes
nées dans ce déplacement, par exemple l'idéologie linguistique).
Voici quelles sont en somme les lignes de force de ce travail de
rassemblement qui opère, quant à Tel Quel, de 19 6 3 (date du col
loque de Cerisy, cf. Tel Quel n° 17) à 19 6 8 (date du colloque de
Cluny, cf. la Nouvelle Critique, novembre 19 6 8). Les noms de
Fouèault, de Barthes et de Derrida suffisent à souligner ce glisse
ment temporel. Ceux de Lacan et d'Althusser seront retrouvés,
dans leur position de leviers, à l'intérieur des différentes études.
Il s'agissait par conséquent :
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de flèche " dont les effets d'isomorphisme sont constitutifs d'un
espace et d'une limite relevant d'une topologie du fictif définie
ainsi par Foucault: " la nervure verbale de ce qui n'existe pas,
tel qu'il est ". L'ÉCRITURE DANS SON FONCTIONNEMENT PRODUC
TEUR N'EST PAS REPRÉSENTATION;
- de régler une ana!Jse dont l'exemple est donné ici par Barthes
dans un texte inaugural pour l'approche de la pratique des nou
velles écritures du réseau, de leurs conséquences de décentrement
non seulement par rapport au " sujet " mais aussi, et sans do'ute
surtout, à l'histoire : " L'Histoire elle-même est de moins en
moins conçue comme un système monolithique de déterminations;
on sait bien, on sait de plus en plus, qu'elle est, tout comme le
langage, un jeu de structures, dont l'indépendance respective peut
être poussée beaucoup plus loin qu'on ne croyait: l'Histoire elle
aussi est une écriture " ... " Ce qui est en cause, c'est d'agrandir
la déchirure du système symbolique dans lequel vient de vivre et
vit encore l'Occident moderne ... pour le décentrer, lui retirer ses
privilèges millénaires, faire apparaître une écriture nouvelle (et
non un style nouveau) une pratique fondée en théorie est néces
saire." A ce niveau, il convient de brancher l'analyse sur un débor
dement qui est précisément celui du texte où fonctionnerait le
" creux de toutes les langues ". Comme l'écrit encore Barthes à
propos du japonais, le " sujet " (élément classique substantifié de
la réflexion occidentale clôturée sur le langage) devient " non
l'agent tout-puissant du discours, mais plutôt un grand espace
obstiné qui enveloppe l'énoncé et se déplace en lui ". L'ÉCRITURE
SCANDE L'HISTOIRE;
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d'une histoire discontinue repérée au niveau des textes, de leurs
différences et de leurs jonctions. Processus de réécriture suscep
tible de cribler l'amoncellement culturel;
Octobre 1 968.
DISTANCE, ASPECT, ORIGINE 1
IZ
DISTANCE, ASPECT, ORIGINE
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MICHEL FOUCAULT
tout à fait ni de reflet ni de rêve, ni d'imitation ni de songerie?
De fiction, dirait Sollers, mais laissons pour l'instant ce mot si
lourd et si mince.
J'aimerais mieux pour l'instant emprunter à Klossowski un
mot très beau : celui de simulacre. On pourrait dire que si, chez
Robbe-Grillet, les choses s'entêtent et s'obstinent, chez Sollers
elles se simulent; c'est-à-dire, en suivant le dictionnaire, qu'elles
sont d'elles-mêmes l'image (la vaine image), le spectre inconsis
tant, la pensée mensongère; elles se représentent hors de leur pré
sence divine, mais lui faisant signe pourtant, - objets d'une piété
qui s'adresse au lointain. Mais peut-être faudrait-il écouter l'étymo
logie avec plus d'attention : simuler n'est-il pas " venir ensemble ",
être en même temps que soi, et décalé de soi? être soi-même en
cet autre lieu, qui n'est pas l'emplacement de naissance, le sol natif
de la perception, mais à une distance sans mesure, à l'extérieur
le plus proche? Étre hors de soi, avec soi, dans un avec où se
croisent les lointains. Je pense au simulacre sans fond et parfaite
ment circulaire de la Cérémonie rqya!e, ou à celui, ordonné encore
par Thibaudeau, du Match de football : la partie de ballon à peine
décollée d'elle-même par la voix des reporters trouve en ce parc
sonore, en ce bruyant miroir son lieu de rencontre avec tant d'au
tres paroles reflétées. C'est peut-être dans cette direction qu'il
faut entendre ce que dit le même Thibaudeau lorsqu'il opposé
au théâtre du temps, un autre, de l'espace, à peine dessiné jusqu'ici
par Appia ou Meyerhold.
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DISTANCE, ASPECT, ORIGINE
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MICHEL FOUCAULT
qui a eu lieu et ce qui p.'a pas eu lieu, même (et dans la mesuFe où)
elle est difficile à établir, demeure au centre du texte (au 'fuoins
sous forme de lacune, de page blanche ou de répétition) : elle en
est la limite et l'énigme; dans la Chambre secrète, la descente et la
remontée de l'homme le long de l'escalier jusqu'au corps de la
victime (mqrte, blessée, saignant, se débattant, morte à nouveau)
est après tout la lecture d'un événement. Thibaudeau, dans la
séquence de l'attentat, semble suivre un dessin semblable : en
fait, il s'agit, dans ce défilé circulaire de chevaux et de carrosses,
de déployer une série d'événements virtuels (de mouvements, de
gestes, d'acclamations, de hurlements qui se produisent peut-être
ou ne se produisent pas) et qui ont la même densité que la " réa
lité " , ni plus ni moins qu'elle, puisqu'avec elle ils sont emportés,
lorsqu'au dernier moment de la parade, dans la poussière, le soleil,
la musique, les cris, les derniers chevaux disparaissent avec la
grille qui se referme. On ne déchiffre pas de signes à travers un
système de différences ; on suit des isomorphismes, à travers une
épaisseur d'analogies. Non pas lecture, mais plutôt recueillement
de l'identique, avancée immobile vers ce qui n'a pas de différence.
Là, les partages entre réel et virtuel, perception et songe, passé
et fantasme (qu'ils demeurent ou qu'on les traverse) n'ont plus
d'autre valeur que d'être moments du passage, relais plus que
signes, traces de pas, plages vides où ne s'attarde pas mais par où
s'annonce de loin, et s'insinue déjà ce qui d'entrée de j eu était le
même (renversant à l'horizon, mais ici-même également en chaque
instant, le temps, le regard, le partage des choses et ne cessant
d'en faire paraître l'autre côté) . L'intermédiaire, c'est cela, préci
sément. Écoutons Sollers : " On trouvera ici quelques textes
d'apparence contradictoire, mais dont le sujet, en définitive, se
montrait le même. Qu'il s'agisse de peintures ou d'événements
fortement réels (cependant à la limite du rêve), de réflexions ou
de descriptions glissantes, c'est toujours l'état intermédiaire vers
un lieu de renversement qui est provoqué, subi, poursuivi. " 5 Ce
mouvement presque sur place, cette attention recueillie à l'Iden
tique, cette cérémonie dans la dimension suspendue de !'Intermé
diaire découvrent non pas un espace, non pas une région ou une
structure (mots trop engagés dans un mode de lecture qui ne con
vient plus) mais un rapport constant, mobile, intérieur au langage
lui-même, et que Sollers appelle du mot décisif de " fiction " 6 •
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DISTANCE, ASPECT, ORIGINE
9. Marcelin Pleynet, Paysages en tkux suivi de Les lignes de la prose, p. 121; Éd.
du Seuil, Coll. " Tel Quel " 1963.
MlCHEL FOUCAULT
10. M. Pleynet, Comme, p. 19, Éd. du Seuil, Coll. " Tel Quel " 1965.
zo
DISTANCE, ASPECT, ORIGINE
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MICHEL FOUCAULT
Michel Foucault.
DRAME, POÈME, ROMAN
Le texte que voici a été publié dans Critique, en r96;, quand a paru
Drame, de Philippe Sollers (aux éditions du Seuil). Si l'auteur y ajoute
atfjourd'hui un commentaire, c'est d'abord pour participer à l'élaboration
continue d'une définition de l'écriture, qu'il est nécessaire de corriger en rap
port et en complicité avec ce qui s'écrit autour de lui ; c'est aussi p our
représenter le droit de /'écrivain à dialoguer avec ses propres textes ;
la glose est certes une forme timide de dialogue (puisqu'elle respecte la
partition de deux auteurs, au lieu de mêler vraiment leurs écritures) ; menée
par soi-même sur son propre texte, elle peut néanmoins accréditer l'idée
qu'un texte est à la fois définitif (on ne saurait l'améliorer, p rofiter de
l'histoire qui passe pour le rendre rétroactivement vrai) et infiniment ou
vert (il ne s'ouvre pas sous l'effet d'une correction, d'une censure, mais sous
l'action, sous le supplément d'allfres écritures, qui l'entraînent dans
l'espace général du texte multiple) ; à ce compte, /'écrivain doit tenir ses
anciens textes pour des textes autres, qu'il reprend, cite ou déforme,
comme il ferait d'une multitude d'autres signes. _
Drame et poème sont des mots très proches : tous deux procèdent
de verbes qui veulent dire faire. Cependant, le faire du drame est
intérieur à l'histoire, c'est l'action promise au récit, et le sujet du
drame est cil cui aveneient aventures (Roman de Troie). Le Jaire du
poème (on nous l'a assez dit) est au contraire extérieur à l'histoire,
c'est l'activité d'un technicien qui assemble des éléments en vue
de constituer un objet. Drame ne veut pas du tout être cet objet
fabriqué; il veut être action et non facture : Drame est le récit d'un
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ROLAND BARTHES
i. Il est effectivement possible de lire Drame comme un très beau poème, la célé
bration indistincte du langage et de la femme aimée, ,de leur chemin l'un vers l'autre,
comme fut, en son temps, la Vita Nova de Dante : Drame n'est-il pas la métaphore
infinie du " je t'aime ", qui est l'unique transformation de toute poésie ? (Cf. Nicolas
Ruwet : " Analyse structùtale d'un poème français ", Linguistics, 3, 1964.)
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DRAME, POÈME, ROMAN
2. 8
DRAME, POÈME, ROMAN
(l'actant est un personnage défini par é:e qu'il fait, non par ce qu'il
est) : l'un agit, l'autre parle; étant deux pour une même personne,
ces actants entretiennent entre eux des rapports difficiles, dont la
difficulté même est consommée sous le nom de sincérité ou d'authen
ticité; comme les deux moitiés de l'androgyne platonicien, le nar
rateur et l'acteur courent l'un après l'autre, sans jamais coïncider;
cet écart s'appelle mauvaise foi et, depuis longtemps déjà, la littérature
s'en préoccupe. A cet égard, le projet de Sollers est radical : il
entend lever au moins une fois (Drame n'est pas un modèle ; c'est
une expérience sans doute inimitable, par son auteur même) la
mauvaise foi attachée à toute narration personnelle : des deux
moitiés traditionnelles, l'acteur et le narrateur, unies sous un je
équivoque, Sollers ne fait à la lettre qu'un seul actant : son narrateur
est absorbé entièrement dans une seule action, qui est de narrer;
transparente dans le roman impersonnel, ambiguë dans le roman
personnel, la narration devient ici opaque, visible, elle emplit fa
scène. Aussitôt, bien entendu, toute psychologie disparaît [m];
le narrateur n'a plus à ajuster ses actes passés et sa parole présente :
temps, souvenirs, raisons ou remords tombent hors de la per
sonne 3• La conséquence en est que la narration, acte fondamental
du sujet, ne peut être prise en charge naïvement par aucun pronom
[m] . L'évacuation de la " Pvchologie ", depuis si longtemps investie dans le roman tradi
tionnel, de type bourgeois, n'est pas seulement une affaire de littérature. La pfYchologie est
aussi dans l'écriture de la mondanité, dans ce livre que nous crl!Jons intérieur, que nous appe
lons, en l 'opposant bien naïvement au monde des livres, " la vie " : tout notre imaginaire quoti
dien, parlé en dehors de toute situation d'écrivain ou d'artiste, est essentiellement pvcholo
gique. L'œuvre fondée en Pvchologie est toujours claire, parce que notre vie nous vient de nos
livres, d'une immense géologie d'écritures Pv•chologiques ; ou plutôt: nous appelons clarté celte
circulation égale des codes dont s'écrivent à la fois nos livres et notre vie: l'une n'estjamais que
la translitération des autres. .Changer le livre, c'est donc bien, selon le premier mot de la moder
nité, changer la vie. Un texte comme Drame, au même rang que quelques autres qui l'ont pré
cédé, accompagné ou suivi, dans la mesure où il change l'écriture, a ce pouvoir: il n'inllite pas à
rêver, à transporter dans la " vie " quelques images, transmises narcissiquement de /'auteur
au lecteur, ce " frère " ; il modifie les conditions mêmes du rêve, du récit ; m produisant une
écriture multiple, non pas étrange, mais inouïe, il rectifie le langage lui-même, attestant qu'au
jourd'hui l'originalité n'est pas une attitude esthétique mais un acte de mutation.
3 . Beaucoup de notations dans Drame à ce sujet : " C'est lui et lui seul . . . mais
qu'est-ce que ce lui dont il ne sait rien ? " (p. 77). " Se tuer ? Mais qui se tue, s'il
-
se tue ? Qui tue soi ? Qu'est-ce que qui là-dedans ? " (p. 91). - " Ce n'est pas encore
lui, ce rt' est pas encore assez p our être lui " (p. 108). - " Il est dans la nuit qu'il est.
Il la tient en quelque sorte en réduction sous son regard - mais lui-même y a disparu
(il vérifie en somme qu'il n'y a pas de " sujet " -pas plus que sur cette page) " (p. 1 21).
- La dépersonnalisation du sujet est commune à bien des œuvres modernes. Le propre
de Drame, c'est qu'elle n'y est pas racontée (rapportée), mais constituée (si l'on peut dire)
par l'acte même du récit.
ROLAND BARTHES
4. Sollers conclut ainsi une très belle description de saint Sébastien : " il peut
représenter un arc etje la flèche. La seconde doit jaillir du premier comme la flamme
du , feu . . . mais pourtant aussi y rentrer sans efforts. . . et je peut devenir alors ce qui
l'alimente, s'y brûle " (p. 1 3 3).
DRAME, PôÈME, ROMAN
[v]. La pratique tk l'indireç/ a une fonçtion de vérité. Façe à la parole expressive, çhargée
d'authentifier une " çhose " çonçue çomme antérieure au disçours, l'indireçt trouble le proçès
même de l 'expression, il falsifie le rapport du çentre et des bords, opère, à l'égard de cette
" çhose " que le langage aurait à dire, un perpétuel déportement, en maintenant toujours leplein
(l'information, le sens, la fin) en avant, dans l 'inédit - çe qui est aussi une manière de déjouer
/'interprétation des œuvres. L'indirect (la constitution du paysage de côté) assure la mise en
parallèles du récit, la transformation stéréographique de /'assertion. Peut-être la linguistique
elle-même, qui, ces derniers temps, grâce à Jakobson, a pu repérer de nouvelles formes typique.s
de musage, reconnaltra-t-e!le un jour que /'oblique est un mode fondamental d'énonciation.
5 . " S'il y a récit, il raconte au fond comment une langue (une syntaxe) se cherche,
s'invente, se fait à la fois émettrice et réceptrice " (Prière d'insérer).
32·
DRAME, POÈME, ROMAN
[VI]. La " spontanéité " dont on nous parle ordinairement est /6 &omble de la tonvenlion :
elle ut ce langage réifié que nous trouvons /oui prêt en nous, à noire disposition immédiate,
IM"sque prétisémenl nous voulons parler " spontanément ". La spontanéité visée ici par Sollers
ROLAND BARTHES
e.rl un concept d'une tout autre difficulté: critique fondamentale des signes, recherche presque
utopique (et cependant théoriquement nécessaire) d'un a-langage, pleinement corporel, pleinement
vivant, espace adamique d'où le stéréotype, constitutif de toute psychologie et de toute " spon
tanéité ", est chassé. La pratique à laquelle Sollersfait ici allusion, de biais (seule transmission
possible) n'a aucun rapport avec les modes de rupture dont notre civilisation revendique pério
diquement l'urgence. Cette pratique ne consiste pas à ignorer le langage (excellent mqyen pour
le voir revenir au galop, dans ses formes les plus usées), mais à le surprendre - ou comme dans
Drame, à en écouter la suspension précaire: entreprise si peu immédiate qu'on ne la retrouvera
sans daute que dans les expériences radicales de la poésie ou dans les opérations très patientes
de civilisations extrêmes, tel le wuhsin ou état de non-langage visé par le Zen.
10. Sollers a donné quelques indications sur sa méthode de sommeil (et d'éveil)
dans un passage de /'Intermédiaire (p. 47) consacré à la sieste entrecoupée.
I I . " Il me semble que je suis à la frontière des mots, juste avant qu'ils deviennent
visibles et audibles, près d'un livre se rêvant lui-même avec une patience infinie. "
(p. 87). - " . . . le rappel d'un état sans mémoire, quelque chose qui aurait toujours
précédé ce qu 'il est obligé de voir, de penser. " (p. 64).
1 2. " . . . frôler intérieurement la limite ; le geste, la parole que personne ne com
prendrait plus ; qu'il ne ·comprendrait pa davantage, mais dont il serait au moins
l'origine insoluble " (p. 91).
34
DRAME, POÈME, ROMAN
n'y a donc pas une place privilégiée (les rêves construits, anecdo
tiques, sont d'ailleurs a�sez rares dans Drame) ; aligné au rang des
souvenirs, visions et imaginations, le rêve est en quelque sorte
formalisé, appelé dans cette grande forme alternative qui semble
régler le discours de Drame à tous ses niveaux et qui oppose le j our
et la nuit, le sommeil et la veille, le noir et le blanc (de l'échiquier),
le il et le je, et dont l'éveil n'est en somme que la neutralisation
précieuse. C'est un langage de l'abolition qui se cherche : abolition
des partages, et pour finir, de ce partage, intérieur au langage lui
même, qui renvoie abusivement les choses d'un côté et les mots de
l'autre. Pour Sollers, au niveau de l'expérience qu'il raconte, les
mots sont antérieurs aux choses - ce qui est une fa çon de brouiller
leur séparation : les mots voient, perçoivent et provoquent les
choses à exister 13• Comment cela se fait-il (car cette précédence
des mots ne doit pas être prise comme une simple façon de parler) ?
On sait que la sémiotique distingue soigneusement dans le sens :
le signifiant, le signifié et la chose (le référent) : le signifié n'est pas
la chose : telle est l'une des grandes acquisitions de la linguistique
moderne. Sollers distend à l'extrême l'écart qui sépare le signifié
du référent (écart minime dans le langage courant) : " C'est du sens
(entendez : du signifié) des mots qu'il sagit, non des choses dans les
mots. Inutile de se représenter ici un feu, une flamme : ce qu'ils sont (en
tendez : leur être sémantique) n'a rien à voir avec ce qu'on voit " (p. 1 1 ; ).
Le parleur (l' éveillé) imaginé par Sollers ne vit pas au milieu des
choses (ni, bien sûr, au milieu des " mots ", comme signifiants,
car il ne s'agit pas ici d'un verbalisme dérisoire), mais au milieu
des signifiés (puisque précisément le signifié n'est plus le référent) ;
son langage s'offre déjà à cette rhétorique d'avenir, qui est - qui
sera la rhétorique des signifiés ; pour lui, avec lui, les côtés du lan
gage (comme on dit les limites d'un monde) ne sont pas ceux de la
nature (des choses) comme c'était le cas dans la poésie romantique,
offerte à une critique thématique, mais ceux de cet envers du sens
que constituent les associations ou chaînes de signifiés : le sens
d'incendie n'est pas flamme, car il n'est plus question d'associer le mot
à son référent : ce peut être, plutôt, fougère (entre autres), car il
s'agit du même espace métonymique (supérieur auj ourd'hui,
poétiquement, semble-t-il, à l'espace métaphorique) . Il s'ensuit
naturellement qu'il n' y a plus rupture de substance entre le livre
et le monde, puisque le " monde " n'est pas directement une col-
1 3 . " Il revoit, c'est aux mots de revoir pour lui . . . " (p. 67). - " Alors la formule
exacte devient non pas : ceci ou cela, mais : depuis ce que je dis, j'aperçois ... "
(p. l j 6).
ROLAND BARTHES
lection de choses, mais un champ de signifiés; mots et choses cir
culent donc entre eux de plain-pied, comme les unités d'un même
discours, les particules d'une même matière 14• Ceci n'est pas loin
d'un ancien mythe : celui du monde comme Livre, de l'écriture
tracée à même la terre 15•
Héros chercheur, histoire cherchée, langage ennemi, langage
allié, telles sont les fonctions cardinales qui font le sens de Drame
(et par conséquent sa tension " dramatique ") Cependant les ter .
14. " . . . et pensant brusquement que quelque part, dans un livre, un paragraphe
enchevêtré s'ouvre en effet sur le ciel " (p. 141). - " Les mots .. , (tu es pamù eux
transparente, tu marches à travers eux comme un mot parmi d'autres mots) " (p. 8 1).
1 5 . " Au temps où la gelée copie sur notre terre l'image de sa blanche sœur mais
la trempe de sa plume ne dure guerre " (Dante, Enfer, XXIV).
1 6 . Sollers citant Fluchère à propos de Sterne : " . . . c'est que le passé est toujours
présent dans l'opération de l'esprit qui consiste à le coucher en mots sur le papier "
(Tel Quel, no 6).
DRAME, POÈME, ROMAN
37
ROLAND BARTHES
laquelle la personne est placée devant ou derrière le verbe, selon qu'elle s'oriente vers le passé
ou i'avenir, tantôt au chinook un discontinu temporel inconnu de nous (passés : indéfini, récent
mythique), etc.: toutes ces pratiques linguistiques, en même temps qu'elles forment comme la
vaste imagination du langage, attestent qu'il est possible de construire le rapport du sujet à
/'énonciation, en le centrant ou en le décentrant d'une façon inouïe pour nous et notre langue-mère.
Cette langue totale, rassemblée au-delà de toute linguistique par i'écrivain, n'est pas la lingua
adamica, la langue parfaite, originelle, paradisiaque ; elle est au contraire faite du creux de
toutes les langues, dont l'empreinte se trouve déportée de la grammaire au discours. Dans /'écri
ture, la surnumérétation des phrases, dont aucune règle structurale ne peut limiter théoriquement
le cumul, n'a rien à voir avec l'addition des messages contigus ou /'expansion rhétorique des
détails secondaires (qu'on appelle " développement " d'une idée) : par rapport à la langue, !t
discours est superficiellement combinatoire, essentiellement contestateur et rémunérateur ; et
c'est en quoi !'écrivain (celui qui écrit, c'est-à-dire qui dénie les limites obligatoires de sa propre
langue) a la responsabilité d'un travail politique ; ce travail ne consiste pas à " inventer " de
nouveaux symboles, mais à opérer la mutation du système symbolique dans son entier, à re
tourner le langage, non à le renouveler.
20. (Image d 'un incendie) : " Le rêve ne laisse subsister qu'un seul mot, ou plutôt
lesuggère mécaniquement, de biais, d'une façon rigide, fausse. Mais à la place de
quoi ce mot ? à la place de quoi l'incendie ? (est-ce qu'il ose penser : à la place de quoi
le monde ?) " (p. 85).
2 r . " Le livre n e doit pas rester pris a u piège qu'il se tend à lui-même, mais se placer
dans un espace qui n'appartient qu'à lui " (Ph. Sollers, Tel Quel, n° 6).
22. C'est ce tabou que Dante - entre autres - a secoué, lorsqu'il a fait de ses
poèmes et de leur commentaire technique une seule œuvre (La Vita Nova), et plus
précisément encore lorsque, dans ce livre, s'adressant à sa ballade (Ballade, va trouver
Amour• • . ), il repousse l'obj ection selon laquelle on ne saurait à qui il parle sous pré
texte que " la ballade n'est rien d'autre que ce que j'en dis ".
39
reprenant Léonard de Vinci, opposait la peinture (et la suggestion),
qui procède per via di porre, à la sculpture (et à l'analyse), qui pro
cède per via di levare 23 ; nous pensons toujours que les œuvres
sont des peintures et que nous devons les lire comme nous croyons
qu'elles ont été faites, c'est-à-dire en nous y ajoutant nous-mêmes.
A ce compte-là, seul l'écrivain peut se projeter dans Drame, seul
!'écrivain peut lire Drame. On peut cependant imaginer, espérer
une autre lecture. Cette lecture nouvelle, à quoi nous invite Drame,
n'essaierait pas d'établir entre l'œuvre et le lecteur un rapport
analogique, mais, si l'on peut dire, homologique. Lorsqu'un artiste
lutte avec la matière, toile, bois, son, mots, bien que cette lutte
produise, chemin faisant, des imitations précieuses sur lesquelles
nous pouvons réfléchir sans fin, c'est tout de même cette lutte et
cette lutte seule qu'en dernière instance il nous dit : c'est là sa pre
mière et sa dernière parole. Or cette lutte reproduit " en abyme "
toutes les luttes du monde ; cette fonction symbolique de l'artiste
est très ancienne, donnée à lire beaucoup plus clairement qu'aujour
d'hui dans des œuvres d'autrefois, où l'aède, le poète, était chargé
de représenter au monde, non seulement ses drames, mais aussi
son propre drame, l'événement même de sa parole : les contraintes
de la poésie, si actives dans des genres très populaires et dont la
maîtrise a toujours suscité une vive admiration collective, ne peu
vent être que l'image homologique d'un certain rapport au monde :
il n'y a jamais qu'un seul côté de la lutte, il n'y a jamais qu'une seule
victoire. Ce symbole s'est atténué dans la modernité, mais l'écri
vain est précisément là pour le réveiller sans cesse et quoi qu'il
lui en coûte : c'est ainsi qu'à l'exemple de Sollers il est de ce côté-ci
du monde.
Roland Barthes.
41
JACQUES DERRIDA
p as nous passer ici de passer par un texte écrit, de nous régler sur
le dérèglement qui s'y produit, et c'est d'abord ce qui m'importe.
Sans doute ce silence pyramidal de la clliférence graphique entre
le e et le a ne peut-il fonctionner qu'à l'intérieur du système de
l'écriture phonétique et à l'intérieur d'une langue ou d'une gram
maire historialement liée à l'écriture phonétique comme à toute
la culture qui en est inséparable. Mais je dirais que cela même -
ce silence fonctionnant à l'intérieur seulement d'une écriture
dite phonétique - signale ou rappelle de façon très opportune que,
contrairement à un énorme préjugé, il n'y a pas d'écriture phonétique.
Il n'y a pas d'écriture purement et rigoureusement phonétique.
L'écriture dite phonétique ne peut, en principe et en droit, et non
seulement par une insuffisance empirique et technique, fonction
ner qu'en admettant en elle-même des " signes " non-phonétiques
(ponctuation, espacement, ete.) dont on s'apercevrait vite, à en
examiner la structure et la nécessité, qu'ils tolèrent très mal le
concept de signe. Mieux, le j eu de la différence dont Saussure n'a
eu qu'à rappeler qu'il est la condition de possibilité et du fonction
nement de tout signe, ce j eu est lui-même silencieux. Est inaudible
la clliférence entre deux phonèmes, qui seule permet à ceux-ci
d'être et d'opérer comme tels. L'inaudible ouvre à l'entente les
deux phonèmes présents, tels qu'ils se présentent. S'il n'y a
donc pas d'écriture purement phonétique, c'est qu'il n'y a pas de
phonè purement phonétique. La différence qui fait lever les pho
nèmes et les donne à entendre, à tous les sens de ce mot, reste en
soi inaudible.
On objectera que, pour les mêmes raisons, la clliférence graphi
que s'enfonce elle-même dans la nuit, ne fait jamais le plein
d'un terme sensible mais étire un rapport invisible, le trait d'une
relation inapparente entre deux spectacles. Sans doute. Mais que,
de ce point de vue, la clliférence marquée dans la " différence "
entre le e et le a se dérobe au regard et à l'écoute, cela suggère
peut-être heureusement qu'il faut ici se laisser renvoyer à un ordre
qui n'appartient plus à la sensibilité. Mais non davantage à l'intelli
gibilité, à une idéalité qui n'est pas fortuitement affiliée à l'objec
tivité du theorein ou de l'entendement ; il faut ici se laisser renvoyer
à un ordre, donc, qui résiste à l'opposition, fondatrice de la philo
sophie, entre le sensible et l'intelligible. L'ordre qui résiste à cette
opposition, et lui résiste parce qu il la porte, s'annonce dans un
'
.
mouvement de différance (avec un a) entre deux clliférences ou
enfre deux lettres, clliférance qui n'appartient ni à la voix ni à l'écri
ture au sens courant et qui se tient, comme l'espace étrange qui
43
JACQUES DERRIDA
45
JACQUES DERRIDA
47
JACQUES DERRIDA
49
JACQUES DERRIDA
férance, qui n'est pas un concept, n'est pas un simple mot, c'est
à-dire ce qu'on se représente comme l'unité calme et présente,
auto-référente, d'un concept et d'une phonie. Nous verrons plus
loin ce qu'il en est du mot en général.
La différence dont parle Saussure n'est donc elle-même ni un con
cept ni un mot parmi d'autres. On peut dire cela a fortiori de la
différance. Et nous sommes ainsi conduits à expliciter le rapport
de l'une à l'autre.
Dans une langue, dans le .rystème de la langue, il n'y a que des
différences. Une opération taxinomique peut donc en entreprendre
l'inventaire systématique, statistique et classificatoire. Mais d'une
part ces différences jouent : dans la langue, dans la parole aussi et
dans l'échange entre langue et parole. D'autre part, ces différences
sont elles-mêmes des effets. Elles ne sont pas tombées du ciel toutes
prêtes ; elles ne sont pas plus inscrites dans un topos noetos que pres
crites dans la cire du cerveau. Si le mot " histoire " ne comportait
en lui le motif d'une répression finale de la différence, on pourrait
dire que seules des différences peuvent être d'entrée de j eu et de
part en part " historiques ".
Ce qui s'écrit dijférance, ce sera donc le mouvement de jeu qui
" produit ", par ce qui n'est pas simplement une activité, ces diffé
rences, ces effets de différence. Cela ne veut pas dire que la diffé
rance qui produit les différences soit avant elles, dans un présent
simple et en soi immodifié, in-différent. La différance est l' " ori
gine " non-pleine, non-simple, l'origine structurée et différante
des différences. Le nom d' " origine " ne lui convient donc plus.
Puisque la langue, dont Saussure dit qu'elle est une classifi
cation, n'est pas tombée du ciel, les différences ont été produites,
elles sont des effets produits, mais des effets qui n'ont pas pour
cause un sujet ou une substance, une chose en général, un étant
quelque part présent et échappant lui-même au j eu de la différance.
Si une telle présence était impliquée, le plus classiquement du monde,
dans le concept de cause en général, il faudrait donc parler d'effet
sans cause, ce qui conduirait très vite à ne plus parler d'effet. La
sortie hors de la clôture de ce schème, j 'ai tenté d'en indiquer la
visée à travers la " trace ", qui n'est pas plus un effet qu'elle n'a
une cause mais qui ne peut suffire à elle seule, hors-texte, à opérer
la transgression nécessaire.
Comme il n'y a pas de présence avant la différence sémiologique
et hors d'elle, on peut étendre au signe en général ce que Saussure
écrit de la . langue : " La langue est nécessaire pour que la parole
soit intelligible, et produise tout s es effets ; mais celle-ci est néces-
�o
LA DIFFÉRANCE
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LA DIFFÉRANCE
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JACQUES DERRIDA
57
JACQUES DERRIDA
de l' " économie restreinte " ne faisant aucune part à la dépense sans
réserve, à la mort, à l'exposition au non-sens, etc., et d'une économie
générale tenant compte de la non-réserve, si l'on peut dire. Rapport
entre une différance qui retrouve son compte et une différance qui
manque à retrouver son compte, la mise de la présence pure et sans
perte se confondant avec celle de la perte absolue, de la mort. Par
cette mise en rapport de l'économie restreinte et de l'économie
générale on déplace et on réinscrit le projet même de la philoso
phie, sous l'espèce privilégiée du hégélianisme.
Car le caractère économique de la différance n'implique nulle
ment que la présence différée puisse toujours se retrouver, qu'il
n'y ait là qu'un investissement retardant provisoirement et sans
perte la présentation de la présence, la perception du bénéfice ou
le bénéfice de la perception. Contrairement à l'interprétation
métaphysique, dialectique, " hégélienne ", du mouvement écono
mique de la différance, il faut ici admettre un j eu où qui perd gagne
et où l'on gagne et perd à tous les coups. Si la présentation détour
née reste d'une certaine manière définitivement et implacablement
refusée, ce n'est pas parce qu'un certain présent reste caché ou
absent mais parce que la différance nous tient en rapport avec ce
dont nous méconnaissons nécessairement qu'il excède l'alterna
tive de la présence et de l'absence. Une certaine altérité - Freud
lui donne le nom métaphysique d'inconscient - est définitivement
soustraite à tout processus de présentation par lequel nous l'appel
lerions à se montrer en personne. Dans ce contexte et sous ce nom,
l'inconscient n'est pas, comme on sait, une présence à soi cachée,
virtuelle, potentielle. Il se diffère, cela veut dire sans doute qu'il
se tisse de différences et aussi qu'il envoie, qu'il délègue des
représentants, des mandataires ; mais il n'y a aucune chance pour
que le mandant " existe ", soit présent, soit " lui-même " quelque
part et encore moins devienne conscient. En ce sens, contraire
ment aux termes d'un vieux débat, fort de tous les investis
sements métaphysiques qu'il a toujours engagés, l' " inconscient ''
n'est pas plus une " chose " qu'autre chose, pas plus une chose
qu'une conscience virtuelle ou masquée. Cette altérité radicale
par rapport à tout mode possible de présence se marque en des
effets irréductibles d'après-coup, de retardement. Et pour les
décrire, pour lire les traces des traces " inconscientes " (il n'y a
pas de trace " consciente "), le langage de la présence ou de l'ab
sence, le discours métaphysique de la phénoménologie est inadéquat.
(Mais le " phénoménologue " n'est pas le seul à le parler.)
La structure du retardement (Nachtraglichkeit) dont parle Freud
59
JACQUES DERRIDA
ment à penser dans le mot " le maintien ", de cela 't'a xp ewv nomme
proprement une trace (Spur), trace qui disparait aussitôt (alsbald
verschwindet) dans l'histoire de l'être qui se déploie historico
mondialement comme métaphysique occidentale. "
Comment penser le dehors d'un texte ? Par exemple l'autre du
texte de la métaphysique occidentale ? Certes la " trace qui dis
paraît aussitôt dans l'histoire de l'être. . . comme métaphysique
occidental� " échappe à toutes les déterminations, à tous les noms
qu'elle pourrait recevoir dans le texte métaphysique. Dans ces
noms elle s'abrite et donc se dissimule. Elle n'y apparaît pas comme
la trace " elle-même " Mais c'est parce qu'elle ne saurait jamais
apparaître elle-même, comme telle. Heidegger dit aussi que la
différence ne peut apparaître en tant que telle : " Lichtung des Unters
chiedes kann deshalb auch nicht bedeuten, dasz der Unterschied ais der
Unterschied erscheint " Il n'y a pas d'essence de la différance, celle-ci
(est) ce qui non seulement ne saurait se laisser approprier dans
le comme tel de son nom ou de son apparaître, mais ce qui menace
l'autorité du comme tel en général, de la présence de la chose même
en son essence. Qu'il n'y ait pas, à ce point, d'essence de la diffé
rance, cela. implique qu'il n'y ait ni être ni vérité du jeu de l'écri
ture en tant qu'il engage la différance.
Pour nous, la différa�ce reste un nom métaphysique et tous les
noms qu'elle reçoit dans notre langue sont encore, en tant que
noms, métaphysiques. En particulier quand ils disent la détermi
nation de la différance en différence de la présence au présent
(Anwesen / Anwesend), mais surtout, et déjà, de la façon la plus
générale, quand ils disent la détermination de la différance en dif
férence de l'être à l'étant.
Plus " vieille " que l'être lui-même, une telle différance n'a aucun
nom dans notre langue. Mais nous " savons déjà " que si elle est
innommable, ce n'est pas par provision, parce que notre langue n'a
pas encore trouvé ou reçu ce nom, ou parce qu'il faudrait le chercher
dans une autre langue, hors du système fini de la nôtre. C'est parce
qu'il n'y a pas de nom pour cela, pas même celui d'essence ou d'être,
pas même celui de " différance " qui n'est pas un nom, qui n'est
pas une unité nominale pure et se disloque sans cesse dans une
chaîne de substitutions différantes.
" Il n'y a pas de nom pour cela " : lire cette proposition en sa
platitude. Cet innommable n'est pas un être ineffable dont aucun
nom ne pourrait s'approcher : Dieu, par exemple. Cet innommable
est le jeu qui fait qu'il y a des effets nominaux, des structures rela
tivement unitaires ou atomiques qu'on appelle noms, des chaînes
de substitutions de noms, et dans lesquelles, par exemple, l'effet
nominal " différance " est lui-même entraîné, emporté, réinscrit,
comme une fausse entrée ou une fausse sortie est encore partie du
jeu, fonction du système.
Ce que nous savons, ce que nous saurions s'il s'agissait ici
simplement d'un savoir, c'est qu'il n'y a jamais eu, qu'il n'y aura
jamais de mot unique, de maître-nom. C'est pourquoi la pensée de
la lettre a de la différance n'est pas la prescription première ni
l'annonce prophétique d'une nomination imminente et encore inouïe.
Ce " mot " n'a rien de kérygmatique pour peu qu'on puisse en
percevoir l'émajusculation. Mettre en question le nom de nom.
Il n'y aura pas de nom unique, fût-il le nom de l'être. Et il faut
le penser sans nostalgie, c'est-à-dire hors du mythe de la langue
purement maternelle ou purement paternelle, de la patrie perdue
de la pensée. Il faut au contraire l'affirmer, au sens où Nietzsche
met l'affirmation en jeu, dans un certain rire et dans un certain
pas de la danse.
Depuis ce rire et cette danse, depuis cette affirmation étrangère
à toute dialectique, vient en question cette autre face de la nostal
gie que j'appellerai l'espérance heideggerienne. Je ne méconnais pas
ce que ce mot peut avoir ici de choquant. Je le risque toutefois,
sans en exclure aucune implication, et le mets en rapport avec ce
que La parole d'Anaximandre me paraît retenir de la métaphysique :
la quête du mot, propre et du nom unique. Parlant du " premier
mot de l'être , (dasfriihe Wort des Seins : TO xpe:ciiv), Heidegger écrit :
" Le rapport au prés ent, déployant son ordre dans l'essence même
de la pré sence, est unique (ist eine einzige). Il reste par exc:ellence
incomparable à tout autre rapport. Il appartient à l'unicité de l'être
lui-même (Sie gehort zur Einzigkeit des Seins se!bst). La langue devrait
donc, pour nommer ce qui se déploie dans l'être (das Wesende des
Seins), trouver un seul mot, le mot unique (ein einziges, das einzige
Wort). C'est là que nous mesurons combien risqué est tout mot de
la pensée [tout mot pensant : denkende Wort] qui s'adresse à l'être
(das dem Sein zugesprochen wird). Pourtant ce qui est risqué ici n'est
pas quelque chose d'impossible ; car l'être parle partout et toujours
au travers de toute langue. "
Telle est la question : l'alliance de la parole et de l'être dans le
mot unique, dans le nom enfin propre. Telle est la question qui
s'inscrit dans l'affirmation jouée de la différance. Elle porte (sur)
chacun des membres de cette phrase : " L'être / parle J partout
et toujours / à travers/toute/langue /. "
Jacques Derrida.
ÉCRITURE ET Rf: voLUTION
pour tout dire exténuée, la " littérature " est, dans notre société,
le symptôme actif. Bien entendu, ce symptôme renvoie à l'ensemble
de l'idéologie bourgeoise qui ne manque pas " d'écrivains " desti
nés à mimer son passé classique romantique ou naturaliste : cela
va du stendhalien agité à l'esthète crépusculaire, en passant par
toutes les variantes d'un fonctionnariat multiple. Pour une telle
économie, il s'agit de comprendre ce que TelQuel signifie : l'annonce
d'une dévaluation. Il ne faut donc pas s'étonner si notre travail -
qui commence maintenant à s'étendre, à s'approfondir, à produire
des effets de plus en plus irréversibles - provoque souvent des
réactions acharnées. Il ne peut en être autrement. D'emblée, en
mettant l'accent sur le texte, sur ses déterminations historiques
et son mode de production ; en dénonçant systématiquement
la valorisation métaphysique des concepts " d'œuvre " et " d'au
teur " ; en mettant en cause l'expressivité subjective ou soi-disant
objective, nous avons touché les centres nerveux de l'inconscient
social dans lequel nous vivons et, en somme, la distribution de
la propriété symbolique. Par rapport à la " littérature ", ce que nous
proposons veut être aussi subversif que la critique faite par Marx
de l'économie classique. Vous vous souvenez de la préface du
Capital : " Sur le terrain de l'économie politique, la libre et scienti
fique recherche rencontre bien plus d'ennemis que dans les autres
champs d'exploration. La nature particulière du sujet qu'elle traite
soulève contre elle et amène sur le champ de bataille les passions
les plus vives, les plus mesquines et les plus haïssables du cœur
humain, toutes les furies de l'intérêt privé. " Les accusations de
jargon ou de dogmatisme qui nous sont adressées sont ainsi le résultat
d'une atteinte à un secteur tabou, un mythe, de l'idéologie bour-
geoise : la " création artistique " dans ses corrélations structurales
avec l'économie qui la fonde. Jargon : c'est par ce mot que toute
idéologie inconsciente réagit devant la méthode rigoureuse qui
la met à jour (que ce soit pour la circulation de la monnaie ou pour
celle, avec Freud, du sexe). Dogmatisme : " Ce terme, écrit Lénine, a
une saveur toute particulière : c'est le mot dont les idéalistes et les
agnostiques usent le plus volontiers contre le matérialisme. "
Supposez maintenant qu'il s'agisse de la circulation du sens, à
l'œuvre dans toute production de langage et particulièrement au
niveau de ces organismes, hautement différenciés que sont les
textes. Proposer une analyse de cette production, non pas
comme réalisation d'objets transparents et clos, mais comme
transformations d'éléments réels, va provoquer le même scan
dale : en effet, on substitue alors à un symbolisme expressif la
68
ÉCRITURE ET RÉVOLUTION
chez-vous par là ?
PHILIPPE SOLLERS
70
ÉCRITURE ET RÉVOLUTION
5 . Quels critères vous ont fait retenir, pour les étudier, les
" œuvres " de Dante, Sade, Lautréamont, Mallarmé, Artaud,
Bataille ? Vous déclarez dans Programme, ce texte liminaire
qui ouvre Logiques, que ces exclusions de textes-limites
donnent " l'indication d'une écriture textuelle comme his
toire réelle ". Quel est le nouveau type d'historicité dont vous
tentez de j eter les bases au cours de vo s lectures logiques ?
Ce choix n'est compréhensible que sur le fond d'une théorie géné
rale de l'écriture et il faut renvoyer, là encore, aux travaux révolu
tionnaires de Derrida. On peut dire que cette théorie exercée dans sa
rigueur opératoire donne accès à l'envers de la littérature et permet
de reconnaître dans son histoire un certain nombre de coupures
particulièrement importantes. Les textes choisis se trouvent ainsi
en position de charnières : d'un côté ils nous " parlent ", ils hantent
notre discours qui est obligé de leur faire une place en les défor
mant ; de l'autre, et ceci dans leur lettre même, ils sont tournés
vers une autre économie que celle qui nous sert à penser habituel
lement l'histoi re comme expression, ils restent illisibles. L'histoire
réelle - c'est-à-dire matérialiste - ne saurait se passer d'un
matérialisme sémantique (d'où l'exergue de Lénine : " Histoire de la
pensée : histoire du langage ? ") qui, s'il était fondé, ouvrirait
un champ de recherche très vaste. Ce qui est contesté, ici, c'est
71
PHILIPPE SOLLERS
74
ÉCRITURE ET RÉVOLUTION
77
PHILIPPE SOLLERS
Ij68.
LA SEMIOLOGIE : SCIENCE CRITIQUE
ET / OU CRITIQUE DE LA SCIENCE
1. Cf. Trou4_y po z.nakovym sistemam " (Travaux mr les qstèmes signifiants), Tartu,
"
80
LA SÉMIOLOGIE COMME SCIENCE CRITIQUE
Les notes qui suivent ne sont qu'une anaphore (qu'un geste d'indi
cation) de cette nécessité. Nous parlerons donc moins de ce que la
sémiologie est que de ce qu'elle nous semble pouvoir faire .
81
JULIA KRISTEVA
82
LA SÉMIOLOGIE COMME SCIENCE CRITIQUE
2. LA SÉMIOLOGIE ET LA PRODUCTION.
comme il suit.
1 5 . Engels, Préface à l'édition anglaise du Capita 1 866 (cité par L. Althusser, op.
til. p. I I :z.).
86
LA SÉMIOLOGIE COMME SCIENCE CRITIQUE
88
LA SÉMIOLOGIE COMME SCIENCE CRITIQUE
91
JULIA KRISTEVÀ
pas de dresser une liste des modes de production : Marx l'a suggé
rée en se limitant au point de vue de la circulation des produits.
On vise à poser la différence entre les types de production signifiante
avant le produit (la valeur) : les philosophies orientales ont essayé
de les aborder sous l'aspect du travail pré-communicatif 24• Ces types
de production constitueront peut-être ce qu'on a appelé une " his
toire monumentale " " dans la mesure où elle " fait fond ", de façon
littérale, par rapport à une histoire " cursive ", figurée, téléo
logique) 25 . . . "
in Tel Quel 3 2 .
2 5 . Ph. Sollers, " Programme " in Logiquer, Ed. du Seuil, Coll. " Tel Qgel , 1 968.
"
26. Ibid.
LA SÉMIOLOGIB COMME SCIENCE CRITIQUE
Tout texte " littéraire " peut être envisagé comme productivité.
Or, l'histoire littéraire depuis la fin du xxe siècle offre des textes
modernes qui, dans leurs structures mêmes, se pensent comme pro
duction irréductible à la représentation (Joyce, Mallarmé, Lautré
amont, Roussel). Aussi une sémiologie de la production se doit-elle
d'aborder ces textes justement pour joindre une pratique scriptu
rale tournée vers la production, avec une pensée scientifique à
la recherche de la production. Et pour tirer de cette recherche
toutes les conséquences, c'est-à-dire les bouleversements récipro
ques que les deux pratiques s'infligent mutuellement.
É laborés sur et à partir de ces textes modernes, les modèles
sémiotiques ainsi produits se retournent vers le texte social -
vers les pratiques sociales dont la " littérature " n'est qu'une
variante non-valorisée - pour les penser comme autant de
transformations-productions en cours.
à Jacqueline Risset.
94
LA POÉSIE DOIT AVOIR POUR BUT . . .
1 . " Une sémiologie littéraire est à faire à partir cl 'une logique poétique, dans
laquelle le concept de puissance du continu engloberait l'intervalle de o à 2, un continu
où le o dénote et le I est implicitement transgressé.
" Dans cette " puissance du continu " du zéro au double spécifiquement poétique,
on s'aperçoit que " l'interdit " (linguistique, psychologique, social), c'est le 1 (Dieu, la
loi, la définition) et que la seule pratique linguistique qui " échappe " à cet interdit,
c'est le discours poétique. " (Julia Kristeva, " Bakhtine, le mot, le dialogue et le roman ",
CritÏIJUe, avril 1 967.)
MARCELIN PLEYNET
tion de lecture, à une lecture déjà faite dans le cadre (qui n'admet
aucune déviation) de la loi de l'unique mot génétique. Le te:x:te n'est
que le produit de ce mot et il ne produit que ce mot. Avant même
de commencer, il est écrit et c'est dans une langue ftnie qu'il s'a
chève, n'ayant d'autre rôle que de se constituer en objet (pur objet
de la langue) dont la virtuosité technique garantira du langage la
fonction " créatrice " (maternelle) 2, le statut achevé d'ordre et de
vérité. L'ordre de cette langue produit des obj ets esthétiques ache
vés qui garantissent à l'intérieur de la langue la bonne circulation du
sens et un accueil touj ours chaleureux pour ceux qui n'ont d'autre
fin que cette vérité. Le texte donne sens au mot qui le définit (caté
gorie de vérité : roman, poème) et justifie la vérité de celui qui le
lit dans l'ordre où il se reconnaît (reflet : microcosme-macrocosme).
Le texte ainsi qualifié n'est qu'un objet proposé à la reconnais
sance distraite de celui qui se vit comme signe de la vérité dans la
vérité du code. Le texte n'est ainsi j amais dans son assemblage
possible de signes qu'une fa çon aimable, décorative de représenter
le modèle, l'étalon signe. Ainsi retrouvons-nous ce dont nous dé
plorions l'effet en commençant : la poésie ne peut produire que du
poétique parce qu'elle appartient au genre " poésie ".
Mais il ne s'agit là que d'un seul parcours, tracé très schémati
quement. Le fonctionnement de l'appareil est bien entendu beau
coup plus complexe où la multiplicité des textes (qui vont du
texte académique au texte transgressif, illisible pour ce code) qui
semblent pouvoir s'inscrire en toute liberté, permet de brouiller,
de recouvrir d'un tissu bigarré de formes, l'action toute
puissante de la structure génétique transcendantale et ses effets
réducteurs. La place qu'occupent dans cette structure les textes
dits " d'avant-garde " est tout aussi importante que celle des te:x:tes
académiques. Nous verrons le rôle politique j oué sur les textes
par l'ordre génétique des genres (qui recouvre, on l'a compris,
l'ordre du savoir) déplacer au besoin ses alliances à l'intérieur de
cette chaîne " académie-avant-garde " où, par vertu juridique de
son contrat de lecture, la loi se trouve toujours normalisée par
ce qui la transgresse.
Ceci posé, il devient évident que cette loi des genres sera plus
attachée à son rôle qu'à sa lettre. Dans cette perspective, les aven
tures du mot " roman " sont trop significatives pour les passer
sous silence. C'est à ce point que l'obj et littéraire est appelé à
garantir la fonction de vérité de la langue qu'un des mots choisi
.z. Dans ce code où la langue est " maternelle ", l'interdit majeur est l'inceste.
LA POÉSIE DOIT AVOIR POUR BUT, . ,
comme " géniteur " formel (roman) désigne dans sa première tra
duction une manière d'être et un langage (roman) opposés aux
mœurs et au langage des Francs - puis, tout en continuant d'oc
cuper le même rôle, se déplace et désigne le français, langue com
mune, opposé au latin, et enfin, l'ouv;rage en français. C'est parce
que la loi de la langue est immuable dans sa fonction légale qu'elle
peut déplacer, transformer ses statuts et les adapter au besoin à un
progrès (et à une modernité) qu'elle comprend " positivement ".
Ainsi la connotation c1u code poétique n'est pas la même au début
et à la fin du xrxe siècle ; pas la même pour Lamartine et pour
Mallarmé (" Notre phase, récente, sinon se ferme, prend arrêt ou
peut être conscience : certaine attention dégage la créatrice et rela
tivement sûre volonté . . . Accordez que la poésie française, en raison
de la primauté dans l'enchantement donnée à la rime, pendant l'évo
lution jusqu'à nous, s'atteste intermittente : elle brille un laps,
l'épuise et attend. Extinction, plutôt usure à montrer la trame re
dite 3• " ) Qu'on songe à la fonction de lecture du texte poétique
pour un contemporain de Dante et à celle d'un contemporain de
Mallarmé ; puis pour renverser ce mode de valeur (de valorisa
tion):, à la fonction de lecture du roman de Mme de Lafayette par
ses contemporains et à celle du roman de Proust par les siens, et
l'on verra se dessiner ce déplacement d'activité du code littéraire
d'un ordre de signifié métaphysique avoué à celui d'une " science "
positive 4•
Bien entendu, nous ne prenons absolument pas ici, pour le
moment, en considération la production littéraire, mais uniquement
le " contrat " de littérature qui lie cette production au social, qui
cultive cette production. Les précautions génético-clilturelles prises
par rapport aux effets de langage ne sont, c'est évident, pas sans lien
avec la production textuelle (texte qui ne peut intervenir comme
producteur qu'en dialectisant ses rapports) mais leur action sur le
97
4
MARCELIN PLEYNET
5 . Jacques Derrida, De /agrammato/ogie, Coll. " Critique ", Éd. de Minuit. Il est, d'autre
part, fait" dans ce texte un très grand, et peut-être trop libre usage des concepts " d'archi
écriture " et de " différance " qui appartiennent à Jacques Derrida.
6. Il faudra .un j our établir le bilan de ce mode de réduction textuel dont le futu
risme italien offre un exemple trop connu pour que j'y revienne.
LA POÉSIE DOIT AVOIR POUR BUT• • •
99
MARCELIN PLEYNET
trice du texte (dans la perspective où la G. J est reconnue appelée
à jouer le rôle de la G. I) et comprenant dans ce détour la non
lecture de la fonction théorique au travail, de revenir dans notre
lecture, de faire notre lecture revenir dans les textes au lieu non lu
de l'histoire cultivée (G. 1) qui tendra à se transformer en histoire du
travail producteur, texte.
FORME DE LA PRATIQUE.
" Cette poésie ne peut avoir toute son ejjicacité que si elle est concrète,
c'est-à-dire si elle produit o&ectivement quelque chose du fait de sa pré
sence sur la scène, si un son comme dans le théâtre balinais équivaut à un
geste, et au lieu de servir de décor d'accompagnement à ttne pensée la fait
évoluer, la dirige, la détruit ou la change définitivement. " A. Artaud 1 1•
Passer la colère qui fait le poète (contre les chantres de l'harmo
nie qui se confondent aujourd'hui avec l'avant-garde anarcho
révolutionnaire et le j eu mystifiant des formalistes - formes et
combinatoire scientistes, garantie vide d'idéologie . . . ce qui n'est
pas peu dire), revenir sur cette histoire cultivée ( " Nous revenons
arpenter le jardin cultivé " , R . c . , p. 8 6) dont la non-lecture peut
justement donner lieu à ce n'importe quoi " transgressif " ou sans
transgression, exige une pratique dont la complexité opératoire
n'offre pas forcément en une seule fois l'articulation de ces lec
tures 12 • C'est d'abord sur la complexité de ces articulations que
doit porter aujourd'hui le travail de l'écriture ; ne laissant. aucune
d'elles inactive, il opèrera par un déplacement de sens qui ne pourra
pas ne pas en un lieu ou en un autre, compromettre son lecteur.
Lecteur dès lors condamné à parcourir toute la chaîne signifiante
(de l'opération) ou à pratiquer censure et dénégation sur tout ce qui
n'est pas, de son accord subjectif (le plus souvent esthétique) - ce
qui est une autre façon de parcourir la complexité opératoire (en se
trouvant inscrit à l'un de ses moments).
En ce sens nous pouvons considérer le travail de Denis Roche
comme exemplaire, exemplaires les tentatives de réduction et de
dénégation auxquelles il donne lieu, les lectures hâtives (significa-
x x . Cité par Denis Roche dans sa conférence sur la poésie. Conférence inédite pro
noncée lors d'une réunion organisée par la revue TelQuel le x x juin 1964.
1 2 . " Tout se passe alors comme si !'écrivain, non content d'avoir dressé ses écrits,
voulait encore que le lecteur en construise la lecture dans un espace à trois dimensions. "
(Denis Roche, conférence inédite.)
1 00
LA POÉSIE DOIT AVOIR POUR BUT • • •
IOI
MARCELIN PLEYNET
1 02.
LA POÉSIB DOIT AVOIR POUR BUT •••
104
LA POÉSIE DOIT AVOIR POUR BUT •••
105
MARCELIN PLEYNET
É ROS ET CULTURE.
1 06
LA POÉSIE DOIT AVOIR POUR BUT • • •
crit dans les mots e t au-delà des mots (dans l e rapport des mots
parmi les lettres) dans le rapport que le lecteur est accoutumé à
entretenir avec les mots, derrière tout cela et avec tout cela s'ins
crit un manque qui, bon gré, mal gré, force l'interprétation :
devoir être la plus évidente (je veux dire dans le récit érotique)
qu'elle est la plus censurée - la littérature érotique met forcément
l'accent sur la re-présentativité du signe, sur sa traductibilité, sur
son activité de traducteur, la projection érotisante se trouvant dé
terminée par ce qu'en ce lieu, plus qu'en tout autre, mais comme
fond de cette culture, le signe, dans la variété de ses traductions
est assimilé au phallus. Le sujet érotise forcément cette absence
signifiée dans son autre : le signe. Sur cet " énervement " réalité / fic
tion, qu'il faut alors marquer réalité / fantasme, le texte de Denis
Roche revient, en ne cessant d'en présenter (et d'en critiquer) l'as
pect le plus douteux : l'évocation, la suggestion évocatrice. Les
titres et les inter-titres seront ainsi prometteurs (d'identifications
sujet / signe) : " Vingt-deux poèmes pour Ophélie ", " Les fu
reurs et les faveurs ", " Éros Volusia " (R. c . ) , " Animaux mo
teurs z corps ", " Le lever de l'intruse " (les Idées), " É ros éner
gumène ", " Théâtre des agissements d' Éros ", " Lectrice tu frémis
d'étonnement ", " Positions respectives de deux amants pour
février 1 964 " (E. :i;:.), etc .. Promesse évidemment adressée à un
type déterminé de lecture, et qui à l'intérieur du mode critique du
texte de Denis Roche va jouer à la fois sur les déceptions crées par
le montage des enchaînements et interruptions de récit :
Elle a cette candeur l'insistance et leur
Tabac de Virgine comme prudence domestique
Comme réserve à moi de répugnance de leur
Sortie serait devinée tantôt (questions ?)
Sortie difficile, à qui vous voudrez
L'exhibition dn exemples trop vêtus, il
Fait un peu celui quî manque d'épaisseur
Mais l'absence lui sauve bien des accalmies.
(E. E., p. 8 z..)
Cette déception, cette lecture déçue, ayant autorisé l'appro the
du texte érotique dans sa généralité, va se déplacer comme critique
généralisée sur l'histoire cultivée (sur l' É ros culturel), faisant ap:
paraître humoristiquement (et avec une force telle qu'elle en est
presque scandaleuse) ce qui, se donnant comme culture, a pour
fonction de censurer la réalité du texte dans son action. . . Ainsi,
par exemple, daqs E. E. sur la page 8 3 , faisant face au poème cité
ci-dessus, cette ligne :
Ah ! que vous enftammez mon désir curieux ! Racine
108
LA POÉSIE DOIT AVOIR POUR BUT •••
· Tel serait et tel assurément à travers Denis Roche nous est dési
gné le déjà là maintenant du texte contemporain 33• Le but de la
poésie ne pouvant qu'être ce cheminement, ce chemin des chemins
qui mène là où chemine, justement là, la vérité pratique. Et puis
que ce concept idéologique de " vérité " fait éclat, j e voudrais,
qu'on entende bien ici le but de vérité pratique de la poésie comme
cheminement, pensée dialectique des formes, de leur activité, de
leur histoire, de leur effacement productif-transformationnel. La
fonction première et dernière de la poésie qui a pour but la vérité
pratique étant une fonction didactique de lecture (d'activité de
lecture) ; elle met ce qui la produit en situation de lecture, et c'est
cette situation de lecture (historiquement déterminée) qu'elle donne
à lire à travers un jeu (la mise en jeu d'une histoire culturelle) qui
finalement s'efface au profit de la seule complexe productivité
démystifiante. La vérité de cette productivité ne saurait être autre
que l'efficacité de son travail de transformation. La poésie doit
3 2 . Voir ce que Julia I<risteva écrit à propos de la structure " carnavalesque " :
" Celui qui participe au carnaval est à la fois acteur et spectateur, il perd sa conscience
de personne pour passer par le zéro de l'activité carnavalesque et se dédoubler en
sujet du spectacle et en objet du jeu. " ( " Bakhtine, le mot, le dialogue et le roffilµl ",
Critique, avril 1 967.)
3 3 . Peut-on parler d'influence de X ou Y (Pound ou Cummings) sur Denis Roche ?
Dans un mode d'activité critique comme le sien, il ne saurait être question d'influence,
mais de situation historique vve et utilisée à des fins qui débordent considérablement
lelien des influences (lien pratiquement toujours entendu, considéré, à partir d'une
pensée culrurelle qui se définit au niveau des noms - des mots - d'auteurs).
I IO
LA POÉSIE DOIT AVOIR POUR BUT •••
avoir pour but le récit depuis toujours différé de son activité (de
sa vérité) pratique. A travers l'histoire des formes qui, depuis tou
jours, diffèrent ce " récit ", c'est ce récit différé qui aujourd'hui
marque toute production d'écriture. C'est le " retour " de ce récit,
à travers son histoire (qui est aussi l'histoire des textes) qui déter
mine aujourd'hui l'inscription d'écriture et répond de la force ou
de la faiblesse d'un travail plus ou moins en pression sur le texte
de l'histoire. On comprend qu'il ne s'agit plus dès lors d'un espace
littéraire (tel que celui auquel tout naturellement nous nous réfé
rons) se définissant à partir des concepts de personnalité, d'origi
nalité, mais que pris dans la dialectique de ses contradictions tout
texte est un prétexte, n'est jamais qu'un pré-texte. Dans la mesure
où il se pense en fonction d'une lecture historiquement déterminée
par la culture qui l'a produit, par l'état de la science qui lui permet
de penser cette culture, d'en faire apparaître les " décalages "
(Althusser), et leur récit, le texte s'abîme (brûle) dans la lecture
qu'il produit (dès que produite), pré-texte de cette lecture; Le
texte ainsi n'est pas " original ", il est plus ou moins efficace, plus
ou moins préparé à sa transformation. . . Pourtant il ne peut être
répétitif, et c'est même là une des conditions de sa réalité pratique.
A partir du moment où le jeu dialectique de la production tex
tuelle ne renvoie plus à un auteur propriétaire d'une œuvre (auteur
et œuvre dont l'addition constitue la culture finie de la société
bourgeoise, et finie dès son origine - c'est-à-dire constitue la
culture répétitive de cette société), le texte dès que produit entre
dans la machine de la lecture productive (et ce aussi bien pour celui
dont la signature 1 auteur - va indiquer un mode de " décalage ",
- '
III
MARCELIN PLEYNET
I I2
LA POÉSIE DOIT A VOIR POUR BUT • • •
PRODUCTION j TRANSFORMATION.
métaphysique qui tend à valoriser la " profondeur " poétique - " profondeur " qu i
s'abîme toujours finalement dans l'idée de littérature telle qu'elle assure une plus ou
moins forte réussite e sthétiqu e .
113
MARCELIN PLEYNET
36. " Antagonisme et contradiction ne sont pas du tout une seule et même chose
Sous le socialisme, le premier disparaîtra, la seconde subsistera. " Unioe, " Remarqu e
sur le livre de N .I. Boukharine ", /'.É&o110mie de la période Iran siloire.
37. " La théorie vise par conséquent à mettre d'abord en cause ce concept d'his
toire et à mettre en avant " l'histoire " de ce concept comme " littérature " (fiction),
de même que les exclusions reconnues donnent l'indication d'une écriture textue/11
comme histoire réelle. " Philippe Sollers, LJgiques.
NOTES MARGINALES CRITIQUES OU
POÉSIE COMME EXPLICATION
Le récit que vous lisez (!t récit du récit) a deux morales ou mille, en
deux logiques :
Dépasser = en finir (et conserver en même temps)
= maintenir
!'autre n'est ni dans le récit, ni dans la langue, et si vous vous demandez
comment se dévoile l'opinion au srget dtt vide, dites-vous qu'elle est différée
parce qu'avant de dire que le vide existe il faut en faire l'expérience, et
parce que tottt cela, qui est second (et second parce que) ne peut se réciter
dans la langue. Le récit, serait-il double, s'en tient à cette série de trans
formations qui se sont opérées tant sur le plan intellectuel que sur le plan
pratique - sans profondeur (jttsqu' à la " nouvelle " science) sur le plan.
Ce qui hante la langue (et qui fait le poète parlant dans toutes les directions)
c'est la disposition de la particularité, de l'un particulier - le spectre :
l'un quelconque parmi beaucoup - le texte écrit par tous. Dans ce débat
le mort mange le vif, c'est ainsi, lorsqu'il est mort celui qui ne revient plus
mange celui qui revient. Le père, celui qt1i lie la langue, il revient, il revient
dans un texte ou dans un autre. Qui est mort ? Tous morts dans le désordre,
ne le sachant pas, ne sachant que jaire. Et pourtant, avant, rien à dire ;
la disparition de la cultttre tout court. . . des morts qui mangent des morts.
De ceux qui se trouvent réunis (par quel hasard) bottdant à la porte de
!'histoire qui une fois encore ne se fera pas dans la langue, appliquant les
principes de la philosophie dans la langue, essqyant de passer de la loi
descriptive à sa confirmation expérimentale . . . Et de cette aventure parti
culière naissent les formes du récit (qq. siècles plus tôt). Massacre / Théâ
tre / Dialogue dès lors dissimulés par le mythe religieux.
Lisez donc que ce qui commence à l'endroit et à l'envers, qui remonta
dans sa lecture " génétique ", pose que toutes formes entrent dans l'histoire
du récit et dans la langue par la science qui la produit. . . toute forme datée
par la science et répondant à la lecture de son histoire par sa satisfaction
et son immobilisme (dépassée - finie et conservée en même temps -
maintenue dans une autre forme, dans une autre science) si elle ne pense
sa disparition et sa négation génétique. (Des poètes torgours pensés par
Hegel.)
Et de la même Jaron que se donne à lire le récit de cette aventure indi
viduelle, vous lisez le récit des formes, vous ne lisez que le récit des formes
qtti systématisent l'aventure individuelle. Pas de travail, le travail n'est
pas fait, ne se fait pas, ne se fera pas, est empêché. Récit dans le récit,
interprétation, interprétation de l'interprétation (pas vu), tout reste à
faire, !'aventure individuelle et !'aventure collective sombrent ici et là (et
très loin en avant, et très loin en arrière.) dans l'histoire mythique (les
dieux, les poètes, les temples, les statues, le bavardage des névroses).
MARCELIN PLEYNET
Un texte plus long, jamais lu, détermine l'ana!Jse, traduction d'une autre
langue, traduction dans une autre langue, à tradttire d'une langue à l'autre,
jamais lu dans la langue, il commence et recommence, dans la langue aussi
bien. . . Ce plus proche, ce presque contemporain, est très lointain (et la
phrase peut se lire à l'envers) . . . celui qui résida longtemps dans les pcrys
rhénans (à Cologne) et qui à l'occasion de persécutions contre les juifs
au xiv e s. et xv e s., émigre vers l'est pour revenir de Lithuanie en
passant par la Galicie vers un pcrys de langue allemande . . . celui qui naît
de l'histoire mythologique (celui qui naît) ne traduit que son histoire. Et
l'aventure individuelle (serait-elle mythique) n'est autre que celle du père
qui lie la langue et la loi, qui revient, commence et recommence la même
forme : pas lu (des poètes !). L'aveuglement ne produit rien, et pourtant
il aveugle !
Le récit du récit s'emploie à délier ce qui est lié, ce qui lie et pourtant
a les cheveux épars donne de l'essor au jeu ne saurait être lié. C'est bien
le fond de la question : le contrôle des choses, le pouvoir de produire qui
termine le procès qui détruit toute justice. Ce savoir dans son ordre appa
rent dans la langue liée est la volonté qui élabore des projets trop faibles
de l'autre côté de l'océan. La volonté est forte mais faible est cette force
(pas lue).
Description, lecture d'un livre que vous n'avez pas, qui manque à
travers les livres. . . description, lecture du texte qui manque à travers
les textes . . . récit du texte qui ne peut être tradttit que collectivement
dans les textes, qui informe l'histoire collective. Rien d'autre pourtant
que ce que vous lisez, non plus dans les livres mais à travers les livres,
dans les livres à travers les livres, qui n'a aucun titre et qui travaille.
La description écrite deviendra la mutation de ce travail, la chaîne logique
qui commence avec l'affirmation négative (traverse les logiques) cesse de
commencer, ne finit pas, commence avec la négation positive.
N'en parlons plus. Le désir. N'en parlons plus. Le désir, le groupe
sanguin écrit dans la nuit. La chute est d'abord un fait que l'on constate
mais qui à tout moment peut disparaître comme la pensée du corps dans
l'aventure individuelle. Si vous ne V<2Jez pas votre corps, vous ne vczyez
pas le récit (plus loin). La lecture peut être très longue, les détails tra
versés n'avoir pas de sens commun. Parmi les notions que véhicule le sens
commun la vérité est J ans doute une de celles qui paraissent avoir tot-efours
existé et suivi en silence le bord. Dans le récit tout cela noue l'intrigue,
.re déplace (vous l'avez lu), n'accorde rien . . . n'accorderait rien, jouerait
l'étonnement. . . Le texte tot-efours présent dan.r la force de censure (2 fois)
dans la résistance à l'effraction et dan.r l'effraction (à lire). Impossible
II8
LA POÉSIE DOIT AVOIR POUR BUT •••
Les Préliminaires portent ce nom parce qu'ils sont mis en œuvre avant
la représentation. C'est ce qu'il importe de répéter lorsqu'on distingue le
genre poétique et son histoire, il est dans la représentation souscrit par
le code de la représentation et n'a d'atttre fonction qtte de justifier ce code. '
Lorsqtte l'homme ne portait pas de nom propre il était reconnaissable
comme signe et comme destiné (et comme destinée de ce signe) et comme
producteur de signe, il n'avait d'autre destinée que son activité et les condi
tions de son activité passant littéralement dans la machine. . . non pas
signe de, non pas prodt1cteur, mais dans l'économie de la production (tout
cela est tradttit). Le récit décrit le fonctionnement de la machine, son âge
� la machine et l'âge dtt récit, le lieu producteur / consommateur ; il
pense les discottrs anciens et l'ancienne rhétorique dans leur vieillissement.
Le récit s'installe dans la traduction des récits plus proche que jamais
de la figure (la fig11rc)' traduite, mais ce plus proche est son éloignement.
Vous le lisez dans son parcours (féod.) quoique ce parcours ne soit pas
dans le récit qui commence à l'envers mais non par la fin. Puisque à chaque
parcours (xrxe) le récit commence dans son vieillissement. Tout cela tient
du récit, non des Préliminaires. Les préliminaires portent ce nom parce
qu'ils sont mis en œuvre avant la représentation.
I 2.2.
LA POÉSIE DOIT AVOIR POUR BUT . . .
En même temps le récit que vous lisez, encore, totfiottrs pris dans l'acte
de la parole et l'aventure individuelle. A penser pourtant dans son rapport
constant avec les généralités qui le penseraient. Le texte dans sa folie se
réduisant d'abord à quelques initiales (consonne ou voyelle), tentant dans
l'érymologie d'en finir avec ces caractères en plttS . Le récit individuel sur
gissant (pour défendre ses dividendes (specialt.) à effacer) . Surgissant -
à effacer. Surgissant en tout point semblable à lui-même dans la li'néarité
descriptive, revenant dans son discours, réduisant tout à son discours
dont l'oijet a pot1rtant finalement tme valeur sociale qui dépasse - et
LA POÉSIE DOIT AVOIR POUR BUT . . .
125
Dans l'ancien récit - mais qui écrit " ancien '', s'il n'est différé le
récit est ancien, perdu dans une histoire où l'ombre ne cesse de s'élargir
(fonction mythique) ignorant la science nouvelle qui diffère le récit -
Dans l'ancien récit jamais lu, lisible pourtant dans son rapport au récit
différé, les corps tombent parce que la terre les attire. Mais qui lit (lie)
le mouvement et la vitesse des corps dans /'ancien récit ?
M. P.
ECRITURE, FICTION, IDÉ OLOGIE
CENSURE ET IDÉOLOGIE.
1 z7
JEAN-LOUIS BAUDRY
128
ÉCRITURE, FICTION, IDÉOLOGIE
ECRITURE j LECTURE.
L'ESPACE HIÉROGLYPHIQUE.
palement des images visuelles et non des mots, il nous paraît plus juste de comparer
le rêve à un système d'écriture qu'à une langue. En fait l'interprétation des rêves est
de part en part analogue à une écriture figurative de l'antiquité comme les hiéroglyphes
égyptiens. "
JEAN-LOUIS BAUDRY
\
et un rapport au réel, en tant qu'il est nécessaire d'affirmer pour
éviter toute position idéaliste de l'écriture, une dualité écriture / ré
férent 7 •
Comme signifiant phonétique ensuite. L'écriture égyptienne usant
de la parenté phonétique existant entre les mots, de leur homophonie,
pour inscrire un mot dans le corps d'un autre. Si l'écriture du
rêve ne fait pas autre chose, si l' " inconscient " se sert fréquemment
de tels déplacements, et l'œuvre de Freud en donne mille exemples,
on sait aussi que cette fonction a été décelée par Saussure dans ses
anagrammes.
Comme déterminatif enfin, un signifiant s'ajoutant à un autre
signifiant à valeur phonétique afin de parer à l'ambiguïté du pho
nétisme. Ce déterminatif qui reprend la forme de l'idéogramme,
semble avoir pour fonction spécifique de souligner le caractère
écrit du signifiant phonétique, c'est-à-dire de le réintroduire dans
la dimension de l'écriture à laquelle il appartient puisque écrit,
mais qu'on pourrait oublier puisqu'il utilise pour être écrit des
caractéristiques qui n'appartiennent pas en propre à l'écriture
mais à la voix. Des écritures comme le chinois qui ne font pas direc
tement appel au phonétisme, qui ne cherchent pas à transmettre
fidèlement la sonorité des mots, utilisent aussi les déterminatifs
comme si de telles écritures, déjà indépendantes, voulaient marquer
le caractère fondamental de l'écriture, de l'écriture écrite : à savoir
qu'il n'y a d'écriture que redoublée. C'est ce que nous laissions enten
dre lorsque nous disions que l'espace de lecture inaugurée par
Marx> Nietzsche, Freud, n'existait que par une écriture qui le lit,
l'interprète, l'écrit, le redouble.
L'espace hiéroglyphique, en tant qu'il faut voir la matérialité
du texte, en tant qu'il accentue, insiste sur la corporéité du matériel
signifiant, en tant qu'il reverse le signifiant phonétique dans la dimen-
7. On peut être tenté d'assimiler l'idéogramme à une représentation de l'objet,
mais on verra que dans la troisième fonction, la fonction déterminative, il se produit
un glissement qui laisse pressentir le rapport de l'écriture au référent, en tant que ce
rapport pourrait se comprendre comme redoublement de l'écriture par elle-même.
En fait, ce rapport est constamment esquivé, soit que le référent est réduit au rôle de
signifié, - et l'écriture est aussitôt déterminée comme expressivité, - soit qu'il
demeure le terme en quelque sorte transparent d'une dialectique dont le langage est
le second terme, condamné dès lors à flotter librement sur cette transparence. Si l'on
fait du référent la réalité, il faut reprendre les termes de l'opposition sur laquelle
insiste Althusser : objet réel et objet de connaissance, et comprendre que tout ce que
nous pourrons dire du référent ou rejoindra les concepts scientifiques et renffera
dans le cadre de l'objet de connaissance, ou relèvera du discours idéologique. On ne
peut que signaler pour l'instant les termes de ce rapport, en soulignant en outre ce
que ce rapport peut avoir de douteux.
:ÉCRITURE, FICTION, IDÉOLOGIE
LE MASQUE.
L'ÉCRITURE A-CAUSALE.
d éologique, au lieu, pourrait-on dire, de donner à voir, la peinture prise dans un espace
d'écriture, dans " l'articulation forme/couleur ", " fait alors appel à un mode de percep
tion absolument dépsychologisé qui est celui d'une lecture ", (in les Lettresfrançaises).
I I . S'il fallait une dernière fois et par dérision le faire intervenir dans la probléma
tique aristotélicienne du sujet et . du prédicat, on pourrait en donner la formule sui-
vante : S � et non P E S. On voit alors que si P le prédicat, défini par la totalité
des énoncés, tend bien vers co, le sujet lui, tend vers o. En fait Freud ne dit pas autre
chose lorsqu'il remarque que l'inconscient ignore les contradictions (" ce n'est qu'une
contradiction logique, ce qui n'est pas grand-chose "). Le sujet d'ailleurs en tant que
moi, que substance, est la figure marquante, exemplaire de la propriété. En ce sens,
il s'avère que la névrose, manifestation de défense contre une dépense qui menace
l'intégrité du " sujet ", est profondément solidaire d'un système social fondé sur la
propriété privée. On sait que pour Freud c'est le passage - inévitable - du processus
primaire de décharge immédiate, de dépense, au processus secondaire de décharge
différée et d'investissement qui constitue les conditions nécessaires de la formation
des névroses.
ÉCRITURE, FICTION, IDÉOLOGIB
pas la " création " d'un individu isolé ; elle ne peut pas être consi
dérée comme sa propriété, mais bien au contraire à travers un
nom qui n'est déjà que fragment textuel, elle apparaît comme une
des manifestations particulières de l'écriture générale. Déjà le
pseudonyme est le phénomène daté de l'effacement de !'écrivain
en tant qu'il est créateur et propriétaire de son " œuvre ". Pleynet
l'a bien montré à propos de Lautréamont, ce n'est pas un " auteur "
qui signe une " œuvre ", mais un texte qui signe un nom. Sans doute
dans un système économique marqué par la propriété privée, un
nom doit bien figurer comme auteur, mais au même titre que celui
de l'éditeur. Ce nom exprime à la fois la marque d'un produit et
la responsabilité sociale de ce produit dans un système juridique
déterminé. Mais il ne peut désigner la " substance " créatrice de ce
produit. Dans la Pensée chinoise, Granet reconnaît que pour les
Chinois l'aménagement de l'univers ne suppose pas un " auteur ''
mais " une sorte de régent responsable, lequel appartient au monde
humain ". C'est ainsi qu'il faut comprendre le rapport du texte au
nom qui le signe. Ce nom fait partie du texte en s'en portant respon
sable, inscrit ce texte sous le mode qui lui est propre et dans des
relations particulières (d'approbation, de défense, d'inconscience,
d'opposition ou de subversion) avec le corps social.
On serait de la sorte amené à définir une écriture a-causale carac
térisée d'abord par la disparition d'un signifié qui en serait à la fois
l'origine (l'auteur comme cause) et le but (la vérité, la loi, l'expressi
vité). Ayant perdu ses appuis, n'étant plus, comme le dit Derrida,
assujettie, dépendante et seconde par rapport au Logos, l'écriture,
au lieu d'être l'instrument de la représentation, devient elle-même
le lieu d'une action qu'on ne peut nommer représentation si rien
d'extérieur à elle ne s'y représente - à la fois scène et spectacle,
acteur et spectateur, j eu tel qu'il s'exprime dans la dimension
" dionysiaque " de " l'existence et de la pensée ". Et sans doute doit
on mettre en relation les attaques incessantes, violentes et décisives
portées par Nietzsche contre l'idée de cause, contre tous les pro
cessus de pensée liés à la causalité et la connaissance tout à fait
singulière qu'il montre pour le caractère textuel et fragmentaire de
l'univers (" l'œuvre d'art quand elle apparaît sans auteur. . . L'uni
vers, œuvre d'art qui s'engendre de soi-même "). Il a pensé au plus
près ce qui fait de cette activité, de cette auto-génération, un j eu,
mais un jeu constitué par et constituant ses propres limites, " la
plus grande splendeur de la mort devrait être de nous faire passer
dans un autre monde, de nous faire prendre plaisir à tout le devenir,
donc aussi à notre propre disparition ", d'un jeu donc qui prend en
JEAN-LOUIS BAUDRY
charge le tragique - en " rit '', et se reproduit dans une perpétuelle
affirmation, dans un geste renouvelé, dans un " oui " sans réplique,
qui loin de contenir sa négation, se redouble au contraire dans
l'ironie. Est-ce assez dire, soulignant le risque qu'elle comporte,
que nous n'entendons pas par écriture a-causale une activité gra
tuite - indépendante du texte général, du contexte - qui ne ferait
que rejoindre la conception de la création artistique imposée par
l'idéologie, mais qu'elle est au contraire, en raison de l'absence de
limites qu'elle découvre et reconnaît dans le jeu, dans la main
indéfiniment neuve des surfaces intertextuelles, la fracture et la sub
version portées à l'intérieur d'une idéologie théologique réduisant
les textes à n'être que les résidus rejetés d'un centre souverain et
condamnés à graviter autour de lui. Car il s'agit d'abord de tirer les
conséquences qui s'imposent de la mort de Dieu (de la mort du
sujet), car il s'agit d'obliger l'écriture à un déplacement tel que ce
qui était attribué à la cause se révèle être le texte qu'elle était déjà
et de comprendre que cette expérience, si difficilement pensable,
si difficilement réalisable pour nous, est celle même qui est jouée
dans l'écriture. Penser l'écriture en termes de représentation, ce
serait croire, si l'écriture est bien ce signe qui s'efface, cette vie
mourante, que l'on peut assister à sa mort comme à un spectacle.
Sans doute, puisque dans la mort il s'agit de la mort des autres,
avons-nous là l'ultime fantasme, le plus profond, celui de mourir
en vivant, de vivre notre mort 12 • C'est en ce point du fantasme que
se construit le modèle que nous nous faisons de l'écriture en tant
que représentation, comme si effectivement nous assistions à
l'écriture. Une telle mise en j eu de l'écriture, refoulée par la concep
tion classique, est affirmée par Lautréamont et Rimbaud, par
Mallarmé, Artaud, Bataille ; elle est celle qui dans son procès
d'affirmation, de reprise, d'effacement, se voit chez Ponge dans les
textes duquel on peut à loisir méditer ce qui sépare l'écriture en
acte de la représentation.
LA FICTION.
de pensée que l'on ne peut défaire, mais qui par ailleurs n'a rien
apporté de plus au contenu du rêve. C'est " l'ombilic " du rêve,
le point où il se rattache à l'inconnu. Les pensées du rêve que l'on
rencontre pendant l'interprétation n'ont en général pas d'aboutisse
ment et divergent dans tous les sens du réseau complexe de nos
pensées. " S'il est vrai aussi que c'est ce travail d'interprétation qui
fait apparaître en y étant lui-même compris la syntaxe du rêve. De
la fiction, il faudrait dire qu'elle est une écriture qui, n'étant pas
soumise à la loi de la vérité, communique directement avec le lieu
de la réserve signifiante, qu'elle est la pratique par laquelle l'écri
ture va montrer sa " signifiance ", et c'est parce que le sujet en
est absent comme centre et comme recours que s'y révèlent les
opérations qui décident de toutes les significations. Ecriture nais
sante ou comme le dit Sollers " génétique ", c'est-à-dire qui saisit
au cours de son procès le mécanisme de sa production : fiction qui
se dissocier de cet objet, le cadavre, e� croyant que ce corps étendu, c'est lui-même,
il lui prête encore, debout à ses côtés, la sensibilité de la vie (Lucrèce). "
1 3 . C'est la raison pour laquelle la fiction a un rôle subversif par rapport au langage
considéré dans sa fonction expressive, dans la constitution d'un sens qui semble lui
être extérieur. Nietzsche n'a cessé de dénoncer ces effets d'illusion qui sont toujours
au service de l'idéologie : " Ce n'est pas comme on le devine l'opposition sujet-objet
qui me préoccupe en cet instant : j 'abandonne cette distinction aux théoriciens dt
la connaissance qui restent encore accrochés dans les filets de la grammaire... "
JEAN-LOUIS BAUDRY
1 40
ÉCRITURE, Fi:èTION, IDÉOLOGIË
16. " Langage poétique " à différencier naturellement de la " poésie " telle qu'on
l'entend dans son acception ordinaire et qui est tout entière prise dans l'idéologie
du sens, de l'inspiration, de la révélation; Il faut lire ou relire le texte de Julia Kristeva
" Pour une sémiologie des paragrammes " paru dans Tel Quel 29, qui est le seul, à
notre connaissance, à rendre compte d'une façon satisfaisante du fonctionnement
permutationnel de l'écriture contemporaine.
17• " Lorsque l'écriture, qui consiste à faire couler d'une plume un liquide sur une
feuille de papier blanc, a pris la signification symbolique du coït ou lorsque la marche
est devenue le substitut de piétinement sur le corps de la terre mère, écriture et marche
sont toutes deux abandonnées parce qu'elles reviendraient à exécuter l'acte sexuel
interdit. " Freud.
JEAN-LOUIS BAUDRY
LA GRILLE.
pris comme partie d'un ensemble non fini, sera pensé à partir du
rapport analogique :
fragment grille texte
grille = espace = autre texte
où l'on voit que chaque fragment est, par rapport à l'ensemble des
fragments que comporte la grille, dans la même relation que cet
ensemble fini à l'ensemble textuel infini. C'est la mobilité des sur
faces textuelles fragmentaires, le fait que chacune est en relation
par glissement, recoupement, répétition, permutation, avec toutes
les autres, qui rend une lecture linéaire à proprement parler impos
sible, mais c'est aussi cette même mobilité, c'est-à-dire l'impossi
bilité de les orienter selon un centre défini, unique, qui donne à lire
dans ce texte sa relation aux autres textes ou comme dirait Julia
Kristeva, sa dimension paragrammatique. Dans le rapport des
fragments les uns aux autres se trouve impliqué le rapport " inter
textuel ". Rapport analogique où espace et texte coïncident, la
grille faisant fonction de partie, d'espace clôturé, mais mettant en
jeu, par le recoupement des fragments, la non-clôture du texte
général.
L'APRÈS-COUP.
1 4;
JEAN-LOUIS BAUDRY
lisibilité. Démarche qui prend l'allure d'une contestation inces
sante de la signification puisque les énoncés sont constamment
neutralisés par les permutations auxquelles ils sont soumis 18 •
LES PERSONNES.
1 44
ÉCRITURE, FICTION, IDÉOLOGIB
formes personnelles dans un système défini qui permettrait d'une
part l'effacement de la référence à un sujet-réalité c'est-à-dire neu
tralisant par la confrontation des fragments écrits à telle ou telle
personne le recours à un personnage réel - et d'autre part la
présence implicite dans un texte de l'autre texte - nous entendons
par là la superposition et le recoupement de toutes les surfaces
textuelles. Cet autre texte dont la présence est virtuelle ou plus ou
moins signalée par les citations est le foyer nécessaire à l'existence
de ce texte-ci qui le redouble.
LES THÈMES.
On sait que pour Freud les différentes formes que peut prendre
la paranoïa relèvent des façons diverses de contredire une propo
sition unique : " Moi, je l'aime. " En fait ces façons diverses affec
tent l'énoncé selon qu'elles se portent sur les personnes, sur la voix
active ou passive du verbe, sur la forme active ou négative de la
proposition. Le délire (le texte) du paranoïaque, les thèmes qui en
résultent, dépendent donc de la manière dont s'établit la forme gram
maticale de l'énoncé. On peut imaginer que dans un système d' écri
ture qui joue à la fois de la permutation des personnes et du recou
pement des fragments, les thèmes se trouveront immédiatement
impliqués par la forme grammaticale. Mais contrairement à ce qui
se passe pour le discours du psychotique dont la logique tient au
privilège d'une forme grammaticale sur toutes les autres et qui
cherche sans y parvenir (car il manque toujours le signifié ultime
qui le bouclerait) à aller jusqu'à l'épuisement d'un même thème,
ceu."'l:-ci, solidaires de la variation et de la permutation, montre
raient leur ambivalence, leur caractère en quelque sorte accidentel.
Si Freud laisse entendre que les perversions voyeurisme / exhibi
tionnisme, sadisme / masochisme sont des formes opposées d'une
même pulsion, peut-être sommes-nous autorisés à voir en elles les
façons diverses de transformer un même énoncé. L'unité du sadisme
et du masochisme relèverait de la prééminence du texte et de la
fonction grammaticale sur tout ce qui p ourrait faire appel à une
" nature ", à une détermination mystérieuse du sujet 19• Il n'y a
19. Freud paya cette découverte des doutes qu'il eut sur le bien-fondé de sa mé
thode thérapeutique et sur la formalisation théorique qu'il en faisait quand il remarqua
que la fréquence de la séduction de l'enfant par les adultes dans le discours de ses
145
JEAN-LOUIS BAUDRY
Jean-Louis Baudry.
FREUD ET
LA " CRÉATION LITTÉRAIRE "
1 . Que cette répression soit inévitable ou non est un autre problème. Il est cepen
dant intéressant de remarquer que cette répression se marque chez Freud par le terme
de renonmnent : l'enfant est obligé de renoncer à ses satisfactions (de les différer), et
que ce terme est fondamental de l'idéologie chrétienne et l'arme idéologique privi
légiée de la classe dominante.
2. Voir Derrida, " Freud et la scène de !'Écriture " in /'Écriture el la Différenc•,
Éd. du Seuil, Coll. " Tel Quel ".
FREUD ET LA " CRÉATION LITTÉRAIRE "
1 49
JEAN-LOUIS BAUDRY
problème théorique. Dès les premières lignes, Freud annonce les
données de ce problème lorsqu'il dit que " la curiosité s'éveilla
un jour à propos des rêves qui ne furent jamais rêvés, mais attribués
par les romanciers à leurs personnages imaginaires. L'idée de sou
mettre à un examen cette classe de rêves peut sembler surprenante
et oiseuse ; envisagée sous un certain angle, elle n'a rien d'injus
tifié ". Cependant Freud va consacrer une grande partie de son
travail à essayer de la justifier. La question qui paraît se poser à
Freud pourrait se formuler ainsi : Comment se fait-il que des rêves
imaginés par un auteur et attribués pour les besoins de sa fiction
à un personnage soient susceptibles de l'interprétation analytique
tout comme les rêves " réels " ? Comment se fait-il de même que
des personnages fictifs soient décrits de telle sorte qu'ils paraissent
être soumis aux mêmes forces psychiques que des personnes
réelles ? Freud établit donc d'abord une distinction entre réalité
et imagination. Toutefois cette distinction ne passe pas par les
frontières de la psychologie classique pour laquelle le rêve appar
tient à l'imagination et ne saurait en aucune fa çon être qualifié de
" réel ". Freud pose donc les rêves réels (wirklichen Traume) -
rêves vécus par un sujet réel - d'un côté, et rêves imaginés de
l'autre (" les rêves réels passent pour ne connaître ni frein ni lois,
alors que dire de la libre production des rêves dans la fiction ") .
151
JEAN-LOUIS BAUDRY
connaisseurs de l'âme humaine que nous sommes accoutumés
à honorer dans les poètes ". Mais une fois admis le rapport, et le
rapport de causalité, d'appartenance, entre le " poète " le " roman
cier ", et son " œuvre ", nous voyons Freud hésiter sur les carac
tères particuliers de ce rapport. S'il semble être enclin à faire du
" poète " un " sujet " privilégié apparenté au Créateur, placé entre
ciel et terre, ayant accès à une connaissance que les autres hommes,
les " profanes " ignorent, et par là même destiné à être l'objet
d'une vénération méritée, il glisse cependant une autre réponse :
" Mais la vie psychique a beaucoup moins de liberté et de caprice
qu'on ne tendrait à le croire ; peut-être même n'en a-t-elle pas du
tout. Ce que dans le monde extérieur nous appelons hasard, finit
par se résoudre, comme nous le savons, en des lois, ce que dans la
vie psychique nous nommons caprice, repose aussi sur des lois -
que nous ne pressentons qu'obscurément encore. " En ce point
Freud laisse entendre que l' " œuvre " est moins le lieu d'un savoir
inexplicable, surnaturel, qu'objet pour un · savoir qui s'appliquera
à elle. Entre ces deux possibilités, Freud n'ose d'ailleurs pas se
décider. Il ne peut se résoudre à considérer la production artistique
comme n'importe quelle autre production du psychisme, mais il
ne peut pourtant pas davantage l'abandonner à la seule apprécia
tion esthétique. Les indices de ces hésitations sont nombreux.
Ils se perçoivent par la forme interrogative souvent adoptée, par
des paragraphes interrompus un peu trop vite. Le terme de profane
prend alors tout son sens. La démarche de Freud est singulièrement
prudente et respectueuse un peu trop même pour ne pas montrer
le désir d'y renverser quelques idoles. " Mais notre héros, Norbert
Hanold, étant une pure création du romancier, nous voudrions
adresser à celui-ci timidement cette question : son imagination
a-t-elle été soumise à d'autres forces que le propre arbitraire de
celle-ci ? " Question timide, et question pour l'instant sans réponse
(mais celle-ci a déjà été supposée un peu plus haut quand Freud
évoque l'unité de la vie psychique et des lois qui la fondent), indi
quant sans doute une arrière-pensée et laissant prévoir le procédé
dont Freud veut user, mais question in sistante qui peut se formuler
diversement : de quel savoir dispose le romancier ? quelles en
sont les " sources " ? quels sont les rapports de ce savoir avec celui
de la science (l'ancienne, la psychiatrie classique, et la nouvelle,
la psychanalyse) . Freud, ne l'oublions pas, veut assurer la validité
de la méthode analytique et de ses résultats sur des œuvres de fic
tion, il veut parvenir à une confirmation de ses vues sur l' " incons
cient " et le rêve par les conclusions qui s'imposeront de l'étude
152
FREUD ET LA " CRÉATION LITTÉRAIRE "
l' " œuvre " à l' " auteur ", du texte au " sujet ", reste inchangé.
Expression d'un auteur, signifiant d'un signifié qu'il a pour fonc
tion de représenter, le texte est toujours second, c'est-à-dire, en
définitive, réductible à un autre texte plus essentiel. Le seul pouvoir
qui lui appartienne en propre, nous le verrons plus loin, est d'appor
ter un " bénéfice secondaire " de plaisir, une " prime de séduction ".
Il ressort aussi de ce passage de la Traumdeutung qu'un person
nage de fiction est assimilable à une personne réelle. Il y a là le
même mécanisme d'illusion et <l'hypostasie qui détermine tout le
discours de la critique littéraire. Pourtant dans Délires et Rêves,
Freud manifeste une certaine prudence à ce sujet et semble soucieux
de montrer qu'il est conscient du glissement qu'il effectue : " Nos
lecteurs ont dû être étonnés de nous voir traiter Norbert Hanold
et Zoé Bertgang, dans toutes les expressions de leur psychisme,
dans leurs faits et gestes, comme des personnages réels, et non
comme des créations poétiques . . . " et il termine même son étude
par un rappel au caractère fictif des personnages qu'il a par ailleurs
analysés : " Mais arrêtons-nous là, sans quoi nous risquerions
d'oublier que Hanold et Gradiva ne sont que les créations d'un
romancier. " Mais c'est, nous l'avons vu, la possibilité de considé
rer des personnages de fiction comme des personnes réelles qui
fait, entre autres, dans ce texte, problème pour Freud. Sa position
dans Délires et Rêves paraît en retrait sur celle qu'il a déjà adoptée
dans la Traumdeutung, mais le même schéma se laisse percevoir :
Freud hypostasie les personnages et c'est d'eux qu'il entreprend
l'analyse. Le sujet de la Gradiva, le caractère névropathique du
héros, le sert d'ailleurs dans son entreprise. Il s'en tient d'abord
aux symptômes des personnages, puis effectue . un renversement
laissant entendre que les personnages et l'œuvre elle-même peuvent
être considérés comme des symptômes. Symptômes, il est vrai,
d'un type particulier qui donneront au " romancier ", au " poète ",
à l' " artiste ", leur statut spécifique dans - ou en marge de - la
névrose. Freud dit bien que Hamlet est hystérique, mais si l'aver
sion du personnage pour les actes sexuels est celle de Shakespeare,
Freud laisse bien entendre, mais ne dit pas, que Shakespeare était
lui aussi hystérique. La conclusion attendue de ce qui paraît bien
être un syllogisme 4 est " oubliée ". Cette conclusion a-t-elle invo
lontairement sauté (censure d'un acte p ro fanato ire ?) ou bien Freud
l'aurait-il volontairement tue dans la mesure où elle continue de
4. Syllogisme qui fait apparaître clairement le présupposé métaphysique, la faute
.:le raisonnement, et l'empirisme sur lequel il se fonde : Si A est compris dans B et
si A est C, B doit aussi être C.
JEAN-LOUIS BAUDRY
6. Le terme de " profane " doit se justifier d'autant plus que " l'intelligence la
meilleure du choix des thèmes et de l'essence de l'art poétique ne saurait faire de nous
des créateurs " malgré ce qu'en disent les créateurs eux-mêmes qui, dit Freud, " se
plaisent à diminuer la distance entre ce qui fait leur originalité et la manière d'être
en g6léral des hommes ".
1 60
FREUD ET LA " CRÉATION LITTÉRAIRE "
10. Est-il utile de dire que nous n'infirmons en rien la validité du discours freudien,
d'autant plus que Freud ne cesse d'insister sur ce qu'a de profondément illusoire le
renoncement et sur les ravages qu'inconscient ou non, mais inévitable, il entraîne.
Nous marquons seulement les implications d'un tel discours. (Songeons par exemple
au sacrement initial du baptême centré sur le renoncement à Satan, à ses pompes
"
1 1 . De la grammalologie, p. 96 et suiv.
FREUD ET LA " CRÉATION LITTÉRAIRE "
Le mécanisme de la formation du fantasme est ainsi décrit :
" Le travail psychique part d'une impression actuelle, d'une oc
casion offerte par le présent, capable d'éveiller un des grands désirs
du sujet ; de là, il s'étend au souvenir d'un événement d'autrefois,
le plus souvent infantile, dans lequel ce désir était réalisé ; il édifie
une situation en rapport avec l'avenir et qui se présente (darstellt)
sous forme de réalisation de ce désir, c'est là le rêve éveillé ou le
fantasme, qui porte trace de son origine. " Origine suspecte dira
Freud dans l'Introduction à la psychanalyse - désirs d'ambitions
et désirs érotiques. Ceux-ci d'ailleurs plus particuliers aux femmes
(" car l'ambition de la jeune femme est en général absorbée par
les tendances amoureuses ") .
Déjà dans Délires et Rêves Freud avait donné une analyse du fan
tasme et l'on pouvait en déduire à partir du glissement effectué
dans la Traumdeuttmg, qu'à travers le personnage de Norbert Ha
nold, c'était l'écrivain et la " source " de sa production qui étaient
visés, tout comme Shakespeare à travers Hamlet. Les fantasmes
ont une double détermination ; une détermination consciente -
" celle qui apparaît au:x: yeux même d'Hanold " et " qui dérive
tout entière du cercle des représentations de la science archéolo
gique " - (les intentions conscientes du romancier et l'œuvre
telle qu'il la pense) ; l'autre inconsciente " dérive des souvenirs
d'enfance refoulés et des pulsions affectives à eux attachés ".
Peut-être faudrait-il comprendre que le silence de l'écrivain s'ex
plique par son incapacité à connaître les " sources " de son roman
qui, du fait de leur détermination inconsciente, lui sont effective
ment inaccessibles. On retrouve ici un schéma idéologique bien
connu. On demande à un sujet psychologique de rendre compte
du texte et on profite de la non pertinence de la question, c'est
à-dire de l'impossibilité d'obtenir une réponse satisfaisante pour
faire de ce même " sujet " le lieu d'une parole autre, d'une parole
pleine exprimant un sens injustifiable. C'est ainsi que sera imposée
la figure oraculaire du poète qui aura pour rôle de délivrer un
message de vérité qu'il ne serait pas capable lui-même de maîtriser
ni de comprendre. Une telle conception se fait une fois de plus au
détriment du texte qu'elle rend transparent en privilégiant le sens
que celui-ci proposerait, et ne tient absolument pas compte des
opérations qui sont nécessaires à sa production.
" Les fantasmes, précise encore Freud, sont des succédanés, les
dérivés de souvenirs qu'une résistance empêche de se présenter à
la conscience sous leurs traits véritables, mais qui y parviennent
cependant au prix des modifications et des déformations que leur
JEAN-LOUIS BAUDRY
12. Cf. Michel Tort, " Le concept freudien de " Représentant " in Cahiers poHr
l'analyse, no 5.
1 66
FREUD ET LA " CRÉATION LITTÉRAIRE "
1 3 . Nous renvoyons ici plus spécialement aux opérations textuelles dégagées par
Julia Kristeva dans " Pour une sémiologie des paragrammes ", in Tel Quel, 29.
JEAN-LOUIS BAUDRY
14. Cf. Philippe Sollers, " La Science de Lautréamont " in Critique, no 245 .
1 68
l'REUD El' LA " C RÉATION LITTÉRAIRE "
171
JEAN-LOUIS BAUDRY
X somatique
Trieb
Affect
(pulsion)
Refoulement
Vorstellung
(représentatiàn
Darstellung ·
(formations
} rêves
symptômes
psychische de la de compromis) fantasmes -+ Dars-
Reprasentanz pulsion) tellung (œuvre)
" Les désirs non satisfaits, écrivait Freud, sont les promoteurs
des fantasmes, tout fantasme est la réalisation d'un désir. " Le
" désir " . serait-il donc lié, ou devrait-il donc se lier à des représen
tations ? Ou bien la représentation ne serait-elle pas plutôt ce qui
désamorce le désir, le détourne d'être désir d'une pratique, l'écri
ture, la production textuelle, pour laquelle le terme de " désir "
risque même d'être impropre ou inutile ? La représentation ne serait
elle pas en fin de compte ce qui s'opposant à cette pratique, em
pêcherait que soit brisé le cycle fermé et répétitif du sens, du signe,
de la présence, du sujet, de la névrose ? Ne pourrait-on pas dire que
le désir lui-même est un effet de la représentation, d'une mise en
présence, et que dans la mesure où il est toujours désir de quelque
chose (quelque chose qui serait Dieu ou sa représentation dans des
substituts trompeurs) il est engagé dans la pensée téléologique du
sens ? Cela nous permettrait peut-être de comprendre la complicité
qui existe entre un système fondé sur la représentation et la névrose
elle-même ; et comment cette dernière se trouverait dans l'obli
gation de faire obstacle et d'occulter l'écriture pour la même raison
qui fait d'elle un mécanisme de défense contre le sexe. Pour la
même raison : il n'y a pas plus de " sujet " de l'écriture qu'il ne
peut y avoir de " sujet " du sexe ; par une défense identique : si
sexe et écriture relèvent de la même opération d'inscription, d'ef
fraction, de dépense. Il s'agit justement de ce rapport à la mort que
Freud a remarquablement dégagé pour le sexe dans Au-delà du
principe du plaisir mais qu'il n'a pu penser pour l'écriture, comme il
ne pouvait aller au-delà de (et penser les questions que posait)
la " scène de l' écriture " comme métaphore de l' appareil psychique 1 7 •
17. Derrida, " Freud et la scène de l'écriture " in l'Écrilur6 el la Différenç6. Dans
ce texte essentiel, on peut lire ; " Dans ce moment de l'histoire du monde, tel qu'il
L'impossibilité de penser le texte, de lire l'écriture, détermine le
système de la représentation de la même façon que celui-ci a pour
conséquence de dissimuler l'écriture. " Il n'y a pas d'écriture qui
ne se constitue une protection, écrit Derrida ; protection contre
so i, contre l'écriture selon laquelle le sujet est lui-même menacé
en se laissant écrire, en s'exposant. " Ne serait-ce pas dire que la
névrose est cette surface de protection - pensée irréductible du
" sujet ", rétention crispée - par laquelle sexe et écriture se trou
vent à la fois dissimulés, recouverts, effacés, mais aussi protégés,
thésaurisés, soustraits pour un temps à l'inévitable effacement ?
Mais Freud évidemment ne pouvait pas voir que l'appareil qu'il
se donnait pour comprendre la névrose était compris dans le
système même qui institue la névrose.
Jean-Louis Baudry.
Si l'on prend pour base à lafois un fait qui est bien une telle réac
tion et aussi un second fait : cette réaction doit être à son tour ana-
175
PIERRE ROITENBERG
A. La rétention quantitative.
La réaction réalise une agression qui la caractérise et dégage une
certaine énergie. Si l'on pose par exemple la différence Q2-Q1, elle
servira à tenir la situation réactionnaire en deux moments. On
aura par exemple une série possible de schémas pouvant repré
senter cette saisie. Ainsi :
Q2- Qi
Le problème du choix d'un tel schéma est bien de répondre à la
situation réactionnaire et, ensuite, de trouver sa validité par rap
port à une écriture, laquelle se diversifie, ne cesse cependant de faire
référence à soi à travers la lutte qu'elle mène contre les conventions .
La rétention quantitative doit servir à éviter l'effet traumatisant
de la réaction, en posant par conséquent ceci qu' en face de toute
réaction une différence quantitative doit assurer des conditions d'ana!Jse
aussi diverses que possible.
B. Le document.
La notion et le terme de document se trouvent retenus. Docu
ment, le fait d'inscrire le Capital sous la forme d'un Il marqué + .
Il s'agit bien de retenir le Capital dans la valorisation même qu'il
exerce et, ensuite, de le placer de telle manière gu'il soit soumis,
quelles que soient ses différences à lui-même, à la différence quantita
tive mentionnée. Ainsi :
Il+
Q2- Ql
On peut écrire, comme commentaire de la présentation du
schéma, qu'il ne s'agit pas d'envelopper le Capitalpar une méthode mais de
placer toute méthode sotts la barre de séparation d'avec le Capital. On peut
écrire par conséquent qu'on reconnaît ici 1° Une opération de
base ; 2° Les composantes de cette opération ; 3° Que la méthode
d'analyse est donnée comme méthode d'ana!Jse par différences sur
des différences (et tout le problème est seulement mais précisément
de savoir reconnaître des différences réelles d'avec des différences
seulement soumises au déplacement du Capital, à l'effort du Capital
pour sa conservation intégrale et intouchée).
PIERRE ROITENBERG
Lorsqu'un auteur écrit : " Il semble donc que l'homme soit
définitivement marié avec la technique scientifique expérimentale ",
il semble bien, d'abord, qu'il veut dire quelque chose et que sa phrase
dégage une signification. Mais précisément il se trouve que cette
phrase est prise dans le texte d'un article dont le titre est Les con
traintes de la société scientifique, en conséquence de quoi ce n'est jus
tement pas la même chose que d'écrire une telle phrase dans un
texte et un contexte donné ou dans un autre texte et contexte. Or,
que fait l'auteur en question ? Pratiquement, il conserve la phrase
donnée sur la ligne du Capital tel qu'il a été représenté par le cône
marqué + et, par conséquent, il exerce une réelle coercition lin
guistique, cela à des degrés divers. Ce que cet auteur ne fait pas c'est
une certaine différence à même d'établir la phrase qu'il écrit à un
niveau autre que le niveau de la seule crédibilité (laquelle, pour
finir, renforce la coercition linguistique, c'est-à-dire la répression
et la réaction dans le cadre de la société bourgeoise). On pourrait
distinguer en effet :
1 . Une coercition linguistique répondant à une idée convention
nelle touchant la notion du mariage et le possible emploi d'un
adjectif susceptible de rendre compte d'un lien entre " l'homme "
et la " technique scientifique expérimentale " ;
2 . En conséquence de quoi la coercition linguistique serait aussi
une coercition sociologique (car si cet auteur voit un tel lien, on peut
être assuré que cela répond plus généralement à une conception
sociale et à un certain régime sociologique qu'elle commanderait) .
Si l'on rappelle maintenant que la terre a été valorisée dans l'his-
toire de manières tout à fait diverses, on est en droit de se demander
quel aliment une telle phrase apporte à une certaine conception
de la " vie ", des " idées ", sur quel fond elle vient se déposer,
apportant une confirmation ou non à une idée préalablement reçue
et qui est bien une " vision du monde " (et par conséquent une poli
tique). Or, une phrase comme celle-là vient alimenter une " idée "
statique, suivant laquelle les contraintes sont pratiquement des
stades de la vie, suivant laquelle nous serions, pour finir, commandés
par des nécessités de nature, inévitables.
Il s'agit d'un fait de code et précisément, aujourd'hui, les codes
non seulement restent soumis à des coercitions extrêmement di
verses (égales à la puissance de coercition générale de la société
bourgeoise) mais ne sont pas lus dans leur travail, dans le fait qu'ils
dégagent cependant, de l'intérieur de telle ou telle coercition, une
différence quantitative du type Q2-Qi. En fait
178
LECTURES DE CODES
I. Les rapports entre les termes dans tel ou tel code sont natura
lisés et rendus mécaniques dans la même proportion où les rapports
sociaux, inter-individuels sont mécanisés, naturalisés ;
2. La production du code est méconnue ;
3 . Une compréhension déformante du code, de caractère névrotique en géné
ral, est à la place de l'étttde des faits de code.
La situation est doublement analytique et marxiste. Si l'individu
a valorisé la terre il n'a valorisé la femme que dans une certaine
proportion à la valorisation de la terre. A travers un ensemble de
raisons, il reste que la compréhension qu'il a de la production refuse
de s'étendre, de se généraliser et, constamment, il retourne un
ensemble d'obstacles sociaux sur des rapports interindividuels qui
devraient être sa lecture (sa prise de possession successive des codes) .
Constamment il s'agit d'une pré-lecture, d'un phénomène de ré
pression de la lecture laquelle, s'exerçant dans les conditions et la
situation d'une société favorable à cette répression générale, prend
un caractère de plus en plus enfoui, dévitalisé, répression renvoyant
à l'archaïsme la commandant, devenant l'ensemble archaïque com
mandant cette lecture.
Naturalisme, mécanisme, spéculation s'exercent et développent
une situation réactionnaire. Ils sont tous trois pratiquement la
réponse de l'individu à la généralisation inconsciente. Entre ces
trois emplacements l'individu se déplace et s'assure du pouvoir
que ses ascendants lui accorderaient à proportion de sa fidélité au
code, intouché, à l'égal d'un totem. L'individu justifie ainsi l'en
semble de ses rapports interindividuels voire sociaux.
En raison même du fonctionnement qui naturalise le fonction
nement des codes, la plupart des individus, lorsqu'ils sont regrou
pés selon tel ou tel modèle sociologique (une guerre par exemple),
croient bon d'affirmer leur point de vue sur tel ou tel code. Si l'on
distingue par exemple trois généralités touchant les codes : 1. Les
codes se détruisent ; 2. Ils ont plus ou moins de rapport avec la science ;
3 . Ils ont une .rymbolique et entretiennent des rapports .rymboliques, tout
individu, pratiquement et théoriquement, est à même d'avoir un
point de vue sur telle ou telle généralité du code. Mais, soit préci
sément la généralité 1 , le point de vue suivant lequel se trouve en
visagée la destruction des codes, reste local, partiel, point de vue
par lequel un individu (dans les conditions et la situation d'une
guerre) affirme quelque chose d'un point de vue apparemment
dialectique, qui répond à la demande géographique, historique, cul
turelle, religieuse, totémique, psychologique, économique, morale
1 79
PIERRE ROTTENBERG
que représente la guerre en question dans ses déplacements et ses
condensations. Mais précisément le naturalisme agit ici comme ré
gionalisme par lequel l'individu d'un peuple juge et émet des juge
ments sur tel individu d'un autre peuple. Le naturalisme, attaché
comme il peut l'être au mécanisme et à la spéculation, constitue
à la fois le seuil de compréhension et le frein voire l'obstacle déter
minant d'une réelle compréhension généralisée entre peuples à
travers les codes.
Il se trouve par conséquent que la réaction profite de réponses
prématurées à l'appel entre peuples. La réaction use, dans des condi
tions et des situations extrêmement diverses, d'une apparente
objectivité de la situation, laquelle entraîne en fait ceux qui s'y
trouvent insérés dans des dénégations successives et reposant sur
l'inconscience de leur fonctionnement. Il faut donc ne cesser de faire
la mention d'un certain nombre de tâches à remplir, lesquelles
concernent les codes et les rapports avec ces codes et entre ces
codes.
1 . La rétention quantitative ( Q2- Q1) est en somme la généralité 2
du rapport avec la science, ce qui veut dire que, suivant telle ou
telle situation, elle sera plus ou moins applicable ;
2 . En conséquence de quoi c'est bien en somme sur la base du
Capital marqué + que se porte l'intervention et la possibilité
d'intervention, ajin de montrer que le Capital, comme racine
de la réaction, manipule constamment du code dans le but de
cacher et de faire oublier la rétention quantitative qui, elle, se
trouve placée sous le Capital et le traite.
Ce qui veut dire évidemment ceci qu' on n'intervient pas sur la
.rymboliqt1e des codes d'une manière directe. Le Capital est là qui mani
pule intensément cette symbolique et parvient à des résultats con
sidérables. En conséquence de quoi les individus, soumis à la fois
au Capital et à tel ou tel code, ne cessent de valoriser le seul Capi
tal et exercent une dénégation farouche (plus particulièrement
dans la situation d'une guerre) à l'égard de ce qui ne serait pas le
Capital. L'histoire constituée a joué si fortement que seule la lec
ture des manipulations exercées par le Capital, et cela suivant cer
taines règles, est à même de faire céder quelque peu le cloisonne
ment extrêmement serré qui est la répression et la réaction dans
les conditions et la situation du Capital. Dès lors c'est la position
et l'intervention de " l'intellectuel " qui se trouve redistribuée.
Son rôle est constamment alors de saisir les cloisonnements et
de faire parler les individus en face des cloisonnements. S'il est
1 80
LECTURES DE CODES
181
PIBRRE ROTTENBERG
Condamnation du théâtre ;
Élimination de l'érotisme et de la nudité ;
Jugement sur le vêtement ;
Opposition à la j ouissance ;
" L'homme a des devoirs à l'égard des richesses qui lui sont
confiées " ;
- La division du travail est comme l'émanation directe du plan
divin de l'univers .
une forme qui rassemble des " états interdits ", un texte interdit
en général, une fonction historique. Et c'est ainsi qu'en face du
Capitalisme on pourra placer une condamnation du théatre, en face de
la féodalité une peinture, en face de l'esclavage et de la commune pri
mitive une tragédie. A chaque stade historique correspond une ossa
ture et une musculature particulière, et précisément le problème
du Capitalisme aujourd'hui est d'empêcher que cette musculature et
ossature vienne à jour. Mais alors le problème, inverse, de l'écriture
apparaît comme plus vaste que prévu, en ceci qu'il doit tenir compte
et traiter les différents stades historiques mentionnés . L'écriture,
dans cette perspective, est un véhicule historique, un trait histo
rique qui sert au repérage historique. L'écriture en ce sens, est vide
de contenu mais trouve son contenu à tel ou tel stade historique
suivant tel ou tel repérage.
Ainsi le concept d'écriture comprend-il la signification de la
condamnation capitaliste du théâtre, de l'érotisme et de la nudité,
son j ugement sur le vêtement, son opposition à la j ouissance.
Comprendre, ici, veut dire envelopper une signification du fait histo
rique et prendre les mesures en conséquence. Conséquence ou
suite historique du fait de censure qui, effectivement, entraîne une
suite historique : l'écriture comme concept, comme véhicule, comme
traitement de significations historiques .
Une relation spatio-temporelle se trouve ainsi déterminée qui,
d'un côté, pose l'écriture comme le mobile en direction du Socialisme
et du Communisme et qui, d'un autre côté, pose l'écriture comme un
mobile ayant pour but d'effectuer l'ensemble de la trajectoire histori
que (dès lors les problèmes sont des problèmes de freinage, problèmes
devant comprendre des censures diverses èn fonction d'une science
de la Mécanique devant constamment être surveillée, voire rectifiée) .
Dans le but d'achever ce travail, on peut rappeler que les Conven
tions morales et religieuses sont le cadre et la rubrique dans lesquels
ont été placées des analyses diverses. Et précisément l'achèvement de
ce travail pourra être ici de rappeler un second cadre et une seconde
1 86
LECTURES DE CODES
Pierre Rottenberg.
MARX ET L'INSCRIPTION
DU TRAVAIL
1 . Nous soulignons.
2. Le Capital, I, chap. I.
188
MARX ET L ' INSCRIPTION DU TRAVAIL
3. Le Capital, I, chap. r.
JEAN-JOSEPH GOUX
4. Le Capital, I, chap. r.
MARX ET L ' INSCRIPTION DU TRAVAIL
7
JEAN-JOSEPH GOUX
L'ABSTRACTION DU TRAVAIL.
médiaire disparaît dans son propre résultat, sans laisser de trace 11 . "
Cet effacement de la trace est en même temps effacement des diffé
rences, puisque dans ce processus, " les divers produits du travail
sont en fait égalisés entre eux 12 ." . La valeur n'apparaît que comme
égalisation, nivellement, homogénéisation, polissage ; (et dans tous
les sens de ce mot comme usure.) " Le capitalisme écrira Marx, est
niveleur de sa nature 13• "
Or c'est au niveau du travail même, à la racine de la production
que ce nivellement se trouve en action. La valeur, en effet, n'est pas
expression du travail concret (qu'elle occulte) mais expression
du travail abstrait. Réduction de toutes marchandises au quan
titatif du travail abstrait. Celui-ci est le principe d' échangeabilité géné
rale des marchandises. Or, ceci nous paraît essentiel, la même figure
se retrouve dans la sphère du langage. De même en effet que le
travail abstrait constitue la commune mesure des marchandises
différentes, quelles que soient leurs substances et leurs propriétés ,
et que " la détermination de la quantité de valeur par la durée de
travail est donc un secret caché sous le mouvement apparent des
valeurs des marchandises 14 " , ce que Derrida a appeléen des tra
vaux décisifs, l'archi-trace ou archi-écriture, constituant le schème
unissant la forme à toute substance graphique ou autre, est ce qui
rend la possibilité d'un système significatif indifférent à la subs
tance d'expression - et reste comme l'invariant de toutes les substi
tutions entre les différents types de signes. Ou encore, autrement
formulé, de même que la quantité de travail abstrait fonde la possi
bilité de la valeur et règle les substitutions entre les marchandises
quel que soit le corps des marchandises échangées, un certain
principe de systématicité préalable (antérieur en droit) est la condi
tion de la traductibilité générale des signes (échanges, remplace
ments) qui fonde (à travers l'arbitraire de leurs manifestations
empiriques) la possibilité d'un sens. La figure est identique. Une
certaine forme qui " imprime aux produits du travail le caractère
de marchandise " doit " être considérée comme existant avant toute
circulation de marchandises 15 " - de même que l' archi-trace
renvoie, dans son originalité irréductible à la possibilité d'un sys-
1 1 . Le Capital, 1, chap. m.
12. Idem, chap. n.
1 3 . Idem, chap. xv. Sur le thème de la monnaie et du nivellement recopions ici une
autre formulation. " Dans la monnaie se trouvent effacées toutes les distinctions
qualitatives des marchandises ; et la monnaie, niveleuse radicale, fait disparaître toutes
les différences " (chap. rn).
14. Le Capital, I, chap. m.
15. Idem, chap. 1.
1 97
JEAN-JOSEPH GOUX
LE DÉTOUR DE PRODUCTION.
1 99
JEAN-JOSEPH GOUX
200
MARX ET L'INSCRIPTION DU TRAVAIL
L'EXPLOITATION DU TRAVAIL.
2.0 1
JEAN-JOSEPH GOUX
zoz
MARX ET L ' INSCRIPTION DU TRAVAIL
de la qualité. C'est une activité qui fonctionne avec les moyens
de production conformes à un but, emploie des procédés spéciaux,
et finalement aboutit à un produit usuel. Par contre, comme produc
tion de valeur le même procès ne se présente qu'au point de vue de
la quantité. Il ne s'agit ici que du temps dont le travail a besoin
pour son opération 42 " . Ce qui fonde la vente de la force de travail
(son exploitation) c'est l'établissement d'un code de traduction.
La sphère de la circulation impose un code de traduction du travail.
Elle traduit l'intraduisible. Elle fait du travail un travail salarié.
Du point de vue linguistique " il n'y a de traduction, de système
de traduction que si un code permanent permet de substituer ou de
transformer les signifiants en gardant le même signifié, touj ours
présent malgré l'absence de tel ou tel signifiant déterminé. La possi
bilité radicale de la substitution serait donc impliquée par le
couple signifiant / signifié, donc par le concept de signe lui-même 43 " .
Or un mouvement identique se retrouve au niveau de l' écono
mie. " La différence �ntre le travail concret et le travail source de
valeur " (qui n'apparaît que par la traduction forcée, le marché
du travail) "vient se manifester, continue Marx, comme différence
entre les deux faces de la production marchande 44 " (nous souli
gnons) . La différence valeur d'usage /valeur d'échange est donc
le principe (et au principe) de la même occultation (nous le véri
fions cette fois sûrement), que la différence signifiant /signifié.
Que la marchandise nous apparaisse comme " quelque chose à
double face, valeur d'usage et valeur d'échange 45 " et que le signe
se présente comme réalité à double face ne constituent pas deux
phénomènes étrangers . Par le concept de signe le langage discur
sif occulte le " travail de l'écriture " (l'indistinction entre la force
et le sens) qui le rend possible, comme la forme marchandise masque
le travail - et impose le travail, qui la produit. Transcrire l'écri
ture intranscriptive du travail en valeur-argent, et inversement
convertir une somme d'argent en force de travail à l'issue d'un
marché, dans la sphère de la circulation, telle est la transaction
qui fonde le profit (capitaliste) et l'assignation, l'imposition du
travailleur. Transcrire de même l'écriture non-transcriptive (celle
qui opère) dans l'élément commercial du sens et du langage c'est
profiter en le masquant du travail de l'écriture. Certes, en appa
rence " la loi des échanges a été rigoureusement observée ", " le
rien ne peut rétribuer le travail à sa juste " valeur '', car il n'entre
pas dans la sphère de la valeur marchande, (de même qu'aucun
langage discursif ne peut traduire - acheter - une écriture pro
ductive) " la fiction du libre contrat " (de la traduction universelle
et réciproque d�ns l'élément du sens) ne fait que " moyenner et
en même temps dissimuler 50 " la servitude de la force ouvrière.
L'asservissement du travailleur, par le capital, perpétué par
l'intermédiaire de la forme argent, est donc identique à la servitude
de l'écriture opératoire abaissée par l'élément du sens, réprimée par
la subsomption logocentrique. Assujettir l'écriture à la sphère de
l'échange (du langage) alors que l'efficace et la réalité de son action
appartiennent à la production et à l'usage (écriture productive :
" poésie ", mathématiques, sciences) c'est occulter, par l'éclat du
discours marchand, le travail (ou le j eu) qui permet et entretient ce
discours.
L'EXPLOITATION DE L'ÉCRITURE.
20j
JEAN-JOSEPH GOUX
zo6
MARX ET L ' INSCRIPTION DU TRAVAIL
Écrivons donc que tout travail sur les mots qui n'a en vue que
le revenu d'u� sens détachable de sa fonction (langage discursif,
expressif) corr�spond au mouvement de valorisation d'un " capi
tal industriel ".\ Il s'agit de faire travailler l'écriture pour faire le
plus de sens possible. On peut énoncer de même, qu'à la limite,
(cette limite est celle de la philosophie idéaliste) la résorption de
toute trace (de tout travail) dans la présence pleine du sens, corres
pond en tout poÎnt au mouvement de valorisation d'un capital
usuraire ou d'une manière générale à l'ignorance (à la dispense) de
tout travail, de tout médium entre valeur et valeur. " Dans le capi
tal usuraire la forme A-M-A est ramenée, par suppression du
moyen terme à la forme A-A, de l'argent qui s'échange contre de
l'argent 55• " De même que la forme argent, détachée de toute trace
de travail, de tout rapport à la marchandise, permet la spéculation
financière, l'hypostase de la valeur d'échange des mots, en un élé
ment propre, permet la spéculation philosophique. " La valeur
devient valeur progressive, argent progressif, et comme tel capital.
Elle sort de la circulation, y · entre, s'y maintient et s'y multiplie,
en ressort augmentée et recommence sans cesse le même cycle
A-A, c'est-à-dire l'argent qui couve de l'argent 56 ." Cette circu
lation " en abrégé, dans son résultat, sans les termes intermé
diaires 57 " est celle qui fonde la philosophie spéculative idéaliste
qui court-circuite la valeur d'usage des signes (le trayail de l'écriture)
pour s'installer dans l'élément d'un logos en qui se résorbent (s'éva
luent, s'apprécient) toutes choses, - de même que pour la
monnaie" celle-ci ne révélant pas la matière qu'elle remplace, toute
chose, marchandises ou non, se transforme en monnaie 58 " .
Mais si " rien ne résiste à cette alchimie ", celle-ci n'est pas en
elle-même pour autant, création de valeur. Elle déplace, concentre
la valeur (l'encaisse et l'épargne) mais ne la crée pas . De même que
la spéculation non-opératoire (non-écrite) reste vide, improductive,
la circulation et l'échange " ne créent point de valeur 59 " . Et si le
207
JEAN-JOSEPH GOUX
à b, et b est équivalent à c, alors a est équivalent à c). Mais de plus, en tant que marchan
dises (déterminées par une valeur) tous les produits peuvent figurer sur une échelle
unique. La seule détermination qui entre en ligne de compte étant en effet quantitative (et
cette quantité pouvant s'exprimer en unités communes) l'ensemble des marchandises
est défini, pour employer encore le langage de la théorie des ensembles, par une relation
interne d'ordre. Et plus exactement par une relation interne d'ordre dit " total " ou
" linéaire ". L'ensemble des marchandises est donc un ensemble doué d'une certaine
structure interne définie exclusivement par 1) la relation d'équivalence, 2) la relation
interne d'ordre. Ainsi le code bourgeois, en tant qu'il est soumis à la logique de l'ar
gent et de la marchandise (c'est-à-dire à la réduction au même ordre dans la linéarité du
quantitatif) est d'une pauvreté toute particulière. Tous les types de relations complexes
entre plusieurs ensembles (les applications : surjections, bijections, injections etc.) et les
modes de jonctions délinéarisées (réseaux, arbres, etc.) qui interviennent, comme l'a
montré Kristeva, dans le langage poétique ne peuvent ainsi se manifester au niveau de
son code usuel, sans qu'un interdit économique ne les taxe d'irrégularités illisi
bles.
60. Le Capital, I, chap. IV.
6 1 . Idem, chap. n.
z.08
MARX ET L ' INSCRIPTION DU TRAVAIL
CAPITAL / TRAVAIL.
" É criture, travail ". " Sens, valeur ". " Exploitation de l'écri
ture, exploitation du travail " . . . Qu'il soit difficile de sonder les
tenants et les aboutissants de cette correspondance, de cette fidèle
homologie, cela est certain. Mais la complicité est indubitable.
" La subordination de la trace à la présence pleine résumée dans
le logos, l'abaissement de l'écriture au-dessous d'une parole rêvant
sa plénitude ", " la répression logocentrique qui s'est organisée
pour exclure ou abaisser, mettre en dehors et en bas, comme méta
phore didactique et technique, comme matière servile ou excré
ment, le corps dè la trace écrite 63 a la même figure que l'exploitation
"
il se plaît à " expérimenter ce patrimoine de façon ludique " (Groos). Il accouple les
mots sans souci de leur sens, pour jouir du plaisir du rythme et de la rime. Ce plaisir est
JEAN-JOSEPH GOUX
210
MARX ET L ' INSCRIPTION DU TRAVAIL
Jean-Joseph Goux.
tiltembre r967
LE ROMAN
COMME AUTOBIOGRAPHIE
enfin : " ( ... ) peut-�tre ( ) l'idée même de bùtée est-elle un fantasme de l'analyste ".
. ••
JEAN THIBAUDEAU
digressions,fragmentations en tous genres, y compris et même prin
cipalement les moins " intelligents ".
Et donc, le romancier a bientôt à faire avec un ensemble de frag
ments ingouvernables, chacun tendant au rôle directeur, fragments
sur ou entre lesquels il lui est cependant possible de continuer à
écrire, de la même façon qui n'est pas économique et qui paraît
anarchique.
215
)EAN THIBAUDEAU
est avant tout le résultat d'un certain équilibre qui n'aboutit cepen
dant jamais à une symétrie complète ( . . . ) De la base au sommet,
depuis les sons jusqu'aux formes d'expression les plus complexes,
la langue est un arrangement systématique de parties ( ... ) la langue
3. S'il est permis d'évaluer une forme littéraire d'après la structure sociale : " ( . . . )
�
chaque pratique relativement autonome de la structure sociale doit s'analyser selon une
pertinence propre, dont dépend l'identification des éléments qu'elle combine. Or, il
n'y a aucune raison pour que les éléments déterminés ainsi de façon différente, coïncident
j
dans l'unité d'individus concrets, qui apparaîtraient alors comme la reproduction
locale, en petit, de toute l'articulation sociale. La supposition d'un te! :upport est au
contraire le produit de l'idéologie psychologiste, exactement de la même façon que le
temps linéaire est le produit de l'idéologie historique ( . . . ) les hommes, .'ils étaient les
supports communs des fonctions déterminées dans la structure de chaque pratique
m r
sociale, " exprimeraient et concentreraient en quelque aniè e " la s ucture sociale
tout entière en eux-mêmes, c'est-à-dire qu'ils seraient les centres à p dr desquels il
serait possible de connaître l'articulation de ces pratiques dans la stru •:ture du tout.
Du même coup chacune de ces pratiques serait effectivement centrée suri les hommes
sujets de l'idéologie, c'est-à-dire sur des consciences. Ainsi les " rapport� . sociaux ", au
lieu d'exprimer la structure de ces pratiques, dont les individus sont 1 seulement les
effets, seraient engendrés à partir de la multiplicité de ces centres, c'est-à-dire qu'ils
posséderaient la structure d'une intersubjectivité pratique. Toute l'analys e de Marx ( . . . )
exclut qu'il en soit ainsi. Elle nous oblige à penser, non la multiplicit! des centres,
mais l'absence radicale de centre. " (Étienne Balibar, " Sur les concepts ondamentaux
du matérialisme historique ' ', dans Lire le Capital 2.).
216
LE ROMAN COMME AUTOBIOGRAPHIE
10. Ce qui est à déceler, puis à signaler, ce serait, plutôt que l'orga
nisation syntagmatique du texte, ses références au réel, immédia
tement biographiques (mémoire ou actualité) et culturelles (inven
tions, imitations, plagiats), qu'elles soient ménagées ou soudaines .
2. 1 7
JEAN THIBAUDEAU
Signalisations qui sont en même temps enfouissements : mises au
secret ostentatoires.
Ostentation qui porte encore sur l'utilisation qui est faite de la
bibliothèque comme réserve linguistique : c'est-à-dire que toute
expression devrait être à la fois redondance d'une sorte de lieu
commun, et à la limite des conventions lexicales, grammaticales,
littéraires. De telle sorte que les mots ou groupes de mots (selon
peut-être une probabilité d'emploi qu'une étude statistique du
texte établirait) se trouvent soit au centre de la fiction (laquelle
coïncide avec le texte), soit sur sa périphérie. Mais il faut aussi que
la syntaxe ne se fige pas en des types d'énoncés qui définiraient des
énonciations, mais que tout au contraire elle permette une énon
ciation de l'énoncé (le texte) par lui-même.
Il ne doit pas y avoir dans le texte de mots ni de phrases comme on
les trouve dans le dictionnaire et la grammaire : le texte sera une
articulation sur la langue continuellement risquée. Articulation
écrite : les blancs du texte ne sont pas des " silences ", mais l'autre
pôle, également signifiant, d'un texte noir et blanc.
218
LE ROMAN COMME AUTOBIOGRAPHIE
2. 1 9
(La " mémoire " étant tout, ce qui diffère de cet acte.)
Peut-être le travail romanesque n'est-il que la recherche obsti
nément de cette " simplicité " : le progrès - de page en page, et de
livre en livre - ne consistant pas à amasser du langage, ni même à
l'effacer (ce recueil et cet effacement vont de soi), mais à approcher
sans cesse la réalité interdite de la production textuelle.
Jean Thibaudeau.
décembre z9 67.
est déterminé pour chaque locuteur par chacune des instances du discours qui s'y
rapporte. " Le " présent " linguistique est donc la marque dans la " temporalité " du
" j e " linguistique : " ( . . . ) les instances d'emploi du je ne constituent pas une classe de
référence, puisqu'il n'y a pas d' " objet " définissable comme je auquel puissent ren-
voyer identiquement ces instances. ( . . . ) Je signifie " la personne qui énonce la présente
instance de discours contenant j e ". (. . . ) Il ne vaut que dans l'instance où il est produit.
( . . . ) instance deje comme référent, et instance de discours contenantje, comme référé ".
" Présent " et " je " linguistiques ne décrivent bien sûr qu'allusivement et provisoi
rement le " présent " et le " j e " textuels, à la description desquel concoureraient aussi
les variations temporelles et pronominales de la veille au rêve (de la subjectivation
à un e objectivation).
8. Les expressions entre guillemets sont empruntées à la Thlorie du roman de
Lukacs (1920).
LA PO É SIE EST INADMISSIBLE
D'AILLEURS ELLE N'EXISTE PAS
THÉORIE I (extraits)
Cy
STROZZY
'
N EST ENCLOS :
Ses cendres ou os,
L' lime heureuse au ciel.
Le corps est en mer
Pour à son tour
Etre au jour
dernier
tel.
Quel beau
To m b e a u
Propre à toi,
Propre à moi,
Pour ta valeur,
Pour ma douleur,
De t'avoir perdu,
Si mal àéjendu,
Strozzi trouverai-je ?
De bois le ferai-je ?
Le boisfut trop malheureux
A toi et tes soldats preux,
Et l'or et l'argent tant prisés
Par toi vivant trop méprisés.
Marbres fins et pierre d'élite
Ne répondent à ton mérite ,·
Etpuis les bois, les pie"es, les métaux,
Stijets au Temps, sont joués de sa faux.
Pour Tombeau donc à jamais plus notable
Et à ton sort et au mien plus sortable,
Et qui brave méprise et le temps et les vers,
Je te dresse, pleurant, cette Aiguille de vers,
De mes larmes écrits, pour certain témoignage,
A la Postérité, de mon deuil et dommage.
1 . In Journal de l'E11oile pour /, r�gne de Henri III (année 1 s 82), Gallimard 195 3 .
2. 2. 1
DENIS ROCHE
Regardant Fanchon
Tenir un tire-bouchon,
Qui faisait un manchon
De son bichon.
Btljazet, en glouton,
Mangeant du thon,
Traitait un bas-Breton
De marmiton,
Puis, changeant de ton,
Lui montra, dit-on,
Un nid d'hanneton
Dans du coton.
Le perroquet
De Fouquet
Battait le briquet
Dans un bosquet
Lorsque Jacquet
Chez Cliquet
Jouait au piquet ;
Et Madelon Friquet,
Ayant le hoquet,
D'un coup de mousquet
Assomme un criquet
Qui d'un air coquet
Mangeait un morceau de croquet
Dans un baquet
Ce qui courrouça Jupin,
Qui, dans l'air porté par un lapin,
Vl!Jant le fourbe Scapin,
Armé d'un pin,
Le foudrl!Ja d'un seul coup d'escarpin
Judith poursuit Holopherne
Qui tombe dans une caverne
Où résidaient deux brochets
Qui jouaient aux échets
Sur trois clous à crochets
etc., etc.
Il est tout-à-fait hors de mon propos de vouloir souligner ici
une chronologie rhétorique de la poésie française : je ne fais que donner
des exemples - des possibilités - de discours inhérents à l'arti
culation poétique écrite. Et ceci de façon à faire mieux apparaître un
LA POÉSIE EST INADMISSIBLE
N'était plus dès lors poète que celui qui se soumettait à l'obliga
tion d'être " poétique ". Dada et le surréalisme s'y sont trompés :
si la théorie de Breton marque avec précision la p ortée idéologique
de ce " poétique bourgeois ", la poésie des surréalistes a fait long
feu, amplifiant inutilement, comme en un jeu diabolique de miroirs
brisés, l'exotisme des métaphores.
Peu à peu, très lentement, en fait, cette production " poétique "
est devenue le symbole, i. e. la définition, de la poésie. Puis le
poème est devenu l'unité de mesure de ce poétique.
A L'INTÉRIEUR DE CELA TOUTE RÉVOLUTION NE PEUT ÊTRE QUE
GRAMMATICALE ou SYNTAXIQUE.La philosophie en s'y appliquant
à son tour y aj outa son propre idéalisme comme une religion
apporte sa dose de mystères. Tout épaissie, la poésie devint cette
merveilleuse marchandise à réconfort : le matériau, bien rodé, sert
aussi bien à militer qu'à gagner des concours, devenu entité en
bloc, insécable, MYTHOLOGIE ENFIN DOMESTIQUÉE.
La poésie " moderne " est la paraphrase incessante du " poé
tique " .
Depuis, la poésie est inadmissible et, tous filins coupés a u ras de
la terre, toutes amarres rompues avec la société qui la fondait,
elle n'existe plus que sous la forme de ces beaux dirigeables, de
ces belles " saucisses " grimées qui servaient aux observateurs
de la guerre, de ces baudruches inutiles.
Toute écriture qui ne dénonce pas ce " poétique " est vaine.
Toute poésie qui se veut " poétique " contre une écriture à portée
226
LA POÉSIE EST INADMIS.SIBLE
idéologique précise est vaine ; et de même toute personne " poète "
'qui prétend exalter ce " poétique ".
La logique de l'écriture moderne exige que l'on contribue
massivement à l'agonie de cette idéologie symbolarde et périmée.
L'écriture ne peut symboliser que ce qu'elle est dans son fonction
nement, dans sa " société ", dans le cadre de son utilisation. Elle
doit coller à cela. C'est la condition première de toute chance neuve.
A partir du moment où l'innocence disparaît, où l' on n'écrit
plus innocemment, on peut considérer qu'il redevient possible d'uti
liser sans danger tous les artifices morphologiques propres à la
poésie (rimes, rythmes, majuscules en début de lignes, dispositions
sur la page, etc.). On ne confondra plus les moyens et l'oijet de
la poésie. On ne croira plus au devin de village, au barde porteur
de mystères ou de bonne parole. La poésie n'est pas l'Évangile,
ni une Centurie de Nostradamus . Encore moins la pierre de Ro
sette, qui chiffre une civilisation.
L'aiguille de vers sur sa mort, ces mots sans symboles qui jigttrent
ces obélisques creux et noirs, tendus de drap noir, qu'on fixait
aux quatre coins des catafalques d'autrefois. Dans la pompe ces
mots fixent les cendres et les os dans un obj et qui était sans doute
de verre. Ce verre rempli de mots tue des choses . Alors j 'ai repris
un certain nombre de choses, qui étaient peut-être quelques unes
de celles-là et je le"s ai mi ses dans les figures suspendues que voici.
Je leur ai donné la forme _de ces plaques de photographe que l'on
suspend dans des bains révélateurs . Ces " plages d'écriture immo
deste " répondent en quelque sorte à l'aiguille de verre de 1 5 8 z .
En l'immolant définitivement.
zz7
DENIS ROCHE
THÉORIE Il
Barre à mine :
vent vient de se lever. Peu de brume. Peu de chats
Pas de grandes hypothèses. On pourrait revoir dans
Un moment, mon cher Paradoxe, qu'il n'y
A pas de poussif mon Dieu qui ne me mon
te pas d'air où ne refluent les sperme
s qui m'ont gorgée. " Touj ours la répons
e pour un rien qui serait ange " Mer
de enfouit les alambics de tous les par
tis libéraux de tous les partis véniels
Ma situation trop vendue bouclons la lo
urde agenouille-moi pénètre-moi en chi
en Souvenir de ce qu'écrit Céline
Ah ! je saccade ! . . . je saccade !... je
suis chien de tout. . . Copyright 1 96 4 . Ha 1
Une rigolade ou comme Hachette ou comme
Hectare
2.2 8
LA POÉ SIE EST INADMISSIBLE
Barre à mine :
( ):
ici prend place l'inventio
----j--- e ne rés
siste pas au plaisir d'intervenir et
d'indiquer ceci comme le moule du poè
me, son empreinte. --------
avec ses points de moindre résistance
----- simple problème de densité à
l'œil qui se superpose à un autre pr
oblème de densité (densités success1v
es des rythmes) : j olies petites dens
ités enroulées autour de l'axe prover
bial - le tout a l'allure d'un chromo
some écrasé dans sa longueur par une
roue de bicyclette et ainsi
de suite jusqu'à la ------
DENIS ROCHE
Paradoxe :
Après transformation de la phrase de Céline - prise
de Salonique prévue pour un monument à l'autel - Berlin =
Bouton neutre enfin comme veste à flaques
" Restait, dira Paradoxe, que jusqu'au bor
d de l'eau, que, jusqu'à j'avais le temps
Denis Roche.
FONCTION CRITIQUE
I. CHAMP ET MÉTHODE.
A. Champ.
Évitons d'abord les mirages de l'encyclopédique : la poursuite
d'un complet recensement des manœuvres du brouillage ajourne
rait la maquette théorique capable d'inscrire le lieu qu'elles obs
curcissent. C'est sur un texte localisé, donc, que doit porter notre
analyse.
Évitons aussi les vertiges de l'individuel : l'enlisement dans les
dispositions singulières ajournerait la généralisation qui permet
cette maquette. C'est en tant qu'il est typique, donc, que ce texte
doit être envisagé.
Localisé et typique, c'est comme exemple, échantillon, spéci
men, qu'il doit s'offrir. Il s'en suit d'une part qu'on pourra y nom
mer des procédés généraux en leur rôle local ; d'autre part que les
noms propres y seront seulement l'index de textes pris dans leur
anonymat. Notons en passant que toute prétention à réduire ce
FONCTION CRITIQUE
B. Méthode.
Dans son article, . Claude Roy se réfère au débat Que peut la lit
térature organisé en 1 964 à la Mutualité. Si tardif, si loin (existât
il jamais) du primesaut de l'immédiat, ce compte rendu n'offre
rien qui ne soit le fruit de mesures habiles.
D. Abuser de l'anachronisme.
Le lendemain des émeutes du I I mai 1 96 8 , certaine émission
télévisée présenta, sans précision aucune, un groupe d'opinions
enregistrées quelques jours plus tôt. Dans son commentaire, Claude
Roy procède un peu différemment : il évoque un débat lointain,
et ne tient nul compte des textes qui, depuis quatre ans, ont pu le
préciser. Qui pourtant songerait aujourd'hui, après la Présentation
des Temps modernes et Qu'est-ce que la littérature, à parler sans pré
caution du Sartre de Situations I ?
Ainsi au moins cette phrase dans mes Problèmes du Nouveau Roman
confirme ce que Claude Roy me refuse : " l'action critique jouée,
latéralement, par la pratique de la littérature même ". De même
le Récit hunique montre qu'un prétendu rapprochement de Faye
et de Sartre devrait omettre une divergence fondamentale :
E. Reporter la discussion.
On peut le nommer dogme de /' Urgence. Il n'est rien d'autre que la
pressante transposition, sur la ligne temporelle, de la doctrine du
JEAN RICARDOU
A. Fiction / témoignage.
B. Intransitif / transitif.
C. Poésie / prose.
D. Décoration et ac!Jonction.
Nul doute qu'un tel raisonnement ait permis à plus d'un critique
mineur d'accuser maintes pages d' U(ysse et de Finnegan' s Wake
de " choyer " trop les mots et d'aboutir au galimatias . L'inculpa
tion d'inintelligibilité traduit un peu trop souvent l'inaptitude
à lire pour que nous lui accordions une quelconque valeur critique.
E. Vocable producteur.
F. Style inducteur.
Quant au style même, l'amenuisement sartrien de son rôle
(décoration, adjonction) doit être aussi remis en cause. Une fois
encore, c'est Proust qu'il faut relire. Éminente figure de style, la
métaphore, en le roman lui-même, est célèbrement saluée :
On peut faire se succéder indéfiniment dans une description
les objets qui figuraient dans le lieu décrit, la vérité ne com
mencera qu'au moment où !'écrivain prendra deux objets
différents, posera leur rapport, analogue dans le monde de
l'art à celui qu'est le rapport unique de la loi causale dans le
monde de la science, et les enfermera dans les anneaux néces
saires d'un beau style ; même, ainsi que la vie, quand en rap
prochant une qualité commune à deux sensations, il dégagera
leur essence commune en les réunissant l'une et l'autre pour
les soustraire aux contingences du temps, dans une méta
phore.
Mieux. C'est d'une décisive extension du style qu'il s'agit. La
métaphore ne sera plus seulement
· cette figure qui agrémente de
ses prestiges chatoyants le cours d'une prose, elle tendra, au cours
d'expériences souvent fondamentales, à ordonner et produire la
" substance " même du récit : Madeleine, pavés certes, mais aussi
l'Odette botticellienne, la marine alpestre etc.
Sous le nom de métaphore strt1cturel!e, il nous a été aisé dans une
autre perspective (celle de la Jalousie, de Robbe-Grillet), d'en
suivre le rôle producteur.
En sa précision extrême, le style descriptif n'échappe point à la
règle. Il ne s'accomplit guère sans que son exercice ne produise
d'incessants effets. Rappelons cet aveu de Flaubert à Feydeau :
A chaque ligne, à chaque mot, la langue me manque et l'insuf
fisance du vocabulaire est telle, que je suis forcé à chang er
les détails très souvent.
Souvenons-nous aussi de cette tentative de panoramique exhaustif
qui a induit Ollier, dans Description panoramique d'un quartier moderne,
à inventer, pour l'aisance de la description, une cloison nue,
privée de tout ornement. Ou encore, dans les romans de
Robbe-Grillet, de l'augmentation lisible des scènes figées, plus fa
ciles à inscrire, avec l'accroissement de la rigueur descriptive.
FONCTION CRITIQUE
2 49
JEAN RICARDOU
H. Problèmes de la Fiction.
2. j O
FONCTION CRITIQUE
2. 5 J
JEAN RICARDOU
l'ultérieure venue de Salammbô : " des robes de femmes " " des
boucles d'oreilles ", " le son limpide d'un grand plat d'argent ".
I. Le dogme de /'Expression.
z54
FONCTION CRITIQUE
z55
JEAN RICARDOU
B. Critique de l'imagination.
tité antécédente j oue tantôt la naïveté (elle s'assimile au " réel ") ,
tantôt la ruse (elle se dit imaginaire). Dans un curieux paragraphe
de Pour un nouveau roman, Robbe-Grillet, passant de l'un à l'autre,
ne semble guère percevoir que cette métamorphose, loin dè chan
ger l'essentiel, a pour fonction de masquer la pérennité du schéma :
Il m'est arrivé comme à tout le monde, d'être victime un ins
tant de l'illusion réaliste. A l'époque où j 'écrivais le V�eur, par
exemple, tandis que je m'acharnais à décrire avec précision le
vol des mouettes et le mouvement des vagues, j 'eus l'occasion
de faire un bref voyage d'hiver sur la côte bretonne. En route
je me disais : voici une bonne occasion d'observer les choses
" sur le vif " et de me " rafraîchir la mémoire " . . . Mais dès le
premier oiseau de mer aperçu, je compris mon erreur : d'une
part les mouettes que je voyais à présent n'avaient que des
rapports confus avec celles que j'étais en train de décrire dans
mon livre, et d'autre part cela m'était bien égal. Les seules
mouettes qui m'importaient à ce moment-là, étaient celles qui
se trouvaient dans ma tête.
A moins d'oublier résolument qu'elle est le produit d'un texte, la
mouette décrite, en ses particularités, ne saurait mieux se confondre
avec une image mentale qu'avec un animal même. En un sens, tex
tuel et imagination sont deux grandeurs contradictoires. A niveau
d'écriture, le texte ne se fait qu'en refusant d'exprimer un imaginaire.
A niveau de lecture, par la permanente rigueur de sa littéralité, il
rappelle à l'ordre les hypostases qu'à partir de lui l'imagination
tente touj ours d'établir. Ce n'est pas le recours à un imaginaire
plus ou moins débridé qui définit la littérature, c'est le degré d'ac
tivité d'un texte. Ainsi le label roman, lié à l'idée de fabulation,
n'est-il nullement un gage certain de littérature. Notons donc, en
passant, que la goguenarde interrogation de Claude Roy à propos
de la célèbre romancière américaine :
Est-ce que Mary Mc Carthy est un écrivain lorsqu'elle écrit
ses romans ou ses essais et un écrivant lorsqu'elle écrit son
" reportage " retentissant sur le Vietnam ?
était donc assez loin de préciser le problème.
260
FONCTION CRil'IQUE
z.61
JEAN RICARDOU
ner que ce vocable ait si bien prospéré chez les étudiants comme
les représentants de la plupart des partis. Sans doute les jeunes
gens ont-ils voulu retourner leur rôle passif d'auditeur des cours
ex-cathedra en l'activité d'une expression par la prise de parole.
Hélas le romantique désir de s'exprimer, loin de s'opposer à l'en
seignement archaïque, est son parfait complémentaire. Au cours
magistral, en lequel une Vérité est censée remplir l'esprit d'un audi
toire, correspond exactement l'idée d'expression par laquelle
(comme on exprime le jus d'un citron) l'esprit se vide de son contenu.
Réussir à l'examen c'est précisément, semble-t-il, établir une concor
dance : savoir se vider de ce qui a rempli. Dans les exigences étu
diantes, c'est !'Autorité et ses coercitions qui sont surtout mises
en cause, non pas encore, fondamentalement, le principe réaction
naire par lequel les travaux du texte sont occultés. Sauf constant
recours aux vertus critiques de la littérature, il est difficile à des
esprits façonnés par un enseignement bourgeois de s'arracher
aux dogmes qu'ils tentent de combattre.
F. Critique de la littérature.
2 64
FONCTION CRITIQUE
Jean Ricardou.
QUESTIONS
SUR LES RÈGLES DU JEU
Écrire n'est pas une occupation ineffable - n'est pas une explo
ration lointaine. Il n'y a qu'un monde, écrire se fait dedans (avec le
monde, avec ses morceaux) . Écrire n'est pas sauter dans un texte
séparé qui emporte loin d'ici, mais passer d'un point à l'autre,
d'un point à l'autre qui sont là. Écrire n'est pas un domaine
réservé ; n'est pas plus sur un papier, avec une plume, qu'ailleurs,
que partout.
Jacqueline Risset,
PREMIÈRE APPROCHE DE LA NOTION
DE TEXTE 1
La brève étude ici publiée a d'abord été présentée au cours des discussions
organisées l'an dernier par la Nouvelle Critique, et auxquelles ont participé
des collaborateurs de la revue et des membres du comité de rédaction de Tel
Quel (cf. N.C., n° 8-9). Ces discussions s'étaient donné, entre autres buts,
celui deposer leproblème de la production littéraire, de son concept, de ses
modalités propres, etc. C'est en introduction à l'examen de ce problème
que fut donc communiquée cette ana!Jse de la notion de texte : le texte en
effet, en tant qtte seul résultat (même provisoire) d'une production, seule
trace d'une écriture, constitue la seule réalité à partir de laquelle pourra
être entrepris le travail de réflexion s'attachant précisément au concept
de sa production. Tout est à lire dans les textes,y compris le fonctionne
ment de la pratique qui les produit.
Cette communication ne se donnait donc pour tâche que d'introduire à
des discussions, et à ce titre ne prétendait nullement ni à l'exhaustivité
quant à l'examen de la question, ni à la nouveauté absolue quant aux thèses
présentées ; bien au contraire, on s) proposait essentiellement de risquer
quelques définitions et d'établir ainsi une sorte de .rynthèse à partir de
recherches relativement anciennes (notamment celles des formalistes russes)
et d'autres plus actuelles.
Cela dit, on a repris ici cette communication sans lui apporter de modi
fications, préférant la ponctuer, lorsque cela était nécessaire, de remarques
faisant état de lectures plus récentes, ou soulignant des points de discuûion
·
importants.
1. Publié dans la Nouvelle Critique, n° 1 1, sous le titre " Texte, structure, histoire ".
PREMIÈRE APPROCHE DE LA NOTION DE TEXTE
271
JEAN-LOUIS HOUDEBINE
en œuvre de ce lexiqu€ (syntaxe de la langue, sa grammaire), dont
la possession désigne, comme on sait, la compétence du couple
Destinateur / Destinataire, et dont la mise en œuvre elle-même
(laperformance) varie indéfiniment selon les paroles, selon les discours .
. En bref, ces questions sont à poser dans la mesure où le texte
renvoie à un code, ou mieux, s'inscrit dans la perspective d'un code
défini ici d'une manière très générale comme ce que doivent possé
der ensemble Destinateur et Destinataire (c'est-à-dire une langue)
pour que le texte soit lui-même possible. On peut noter au pas
sage que le texte nous apparaît ainsi immédiatement comme lieu
d'intersection d'au moins dettx discours ; la question de l'autre
est posée dans sa texture même, et toute conception du texte à
perspective " individualiste " (texte comme expression d'un indi
vidu, d'un tempérament ou d'un " moi " solitaire) est à rej eter
d'emblée.
Il semble · donc que ce soit une question ancienne que nous
retrouvions : celle de la spécificité du langage littéraire comme tel,
et plus précisément de cette mise en œuvre, de cette pratique dont
est fait le texte, par rapport aux autres pratiques langagières :
langage usuel, scientifique, etc.
La réponse est connue : pour mettre en évidence cette " litté
rarité " du texte (ce qu'il a de proprement " textuel "), on a fait
surgir cette spécificité par opposition à une autre forme de langage
prise comme série référentielle. C'est la méthode. suivie, comme
on sait, par les formalistes russes, qui pratiquent l'opposition lan
gage poétique / langage usuel ; ces études ont été le point de
départ des recherches de l'Opoiaz, et ont contribué, par exemple,
à dégager ce qui est proprement poétique dans la poésie, etc.
Toutefois, il convient de poser immédiatement à ce.propos une
question préalable : quel statut accorde-t-on à la série référentielle
par opposé à laquelle on définit la littérarité de la série littéraire ? ·
281
JEAN-LOUIS HOUDEBINE
tiel du texte que l'écriture qui le fonde peut être saisie co.mme opé
ratrice du sens (et non expressive), et que la notion de " matéria
lisme sémantique " peut trouver son point d'application (dans
la mesure en effet où l'idée de fonctionnement différentiel du texte
permet de définir à la fois son mode d'activité et son mode d'effi
cacité) ; c'est aussi dans cette perspective que peut être saisi le
rapport que le texte entretient avec l'idéologie, rapport ambigu
puisque, ne pouvant se passer de l'idéologie, le texte ne " traduit "
pas cette idéologie, mais il la prend, il l'intègre dans une dyna
mique qui lui est propre et qui transforme l'idéologie, le niveau
proprement idéologique n'étant précisément qu'un niveau parmi
les autres, lesquels fonctionnent tous en bloc dans le texte.
Remarque X : Écriture " opératrice " du sens, oui, sans doute ;
mais il convient de porter encore plus avant l'interrogation :
le texte se donnant comme opérateur, quel est alors le statut
du " sens " ? Ne pouvant plus se concevoir comme origine
du texte (il y aurait un " sens " à exprimer dans une " œuvre "),
il ne saurait non plus s'y révéler comme sa fin (définitive,
achevée) ; c'est donc par rapport au processus de la production
textuelle que ce problème doit sans doute être posé pour
devenir intelligible. De toute façon, il s'agit là d'un problème
capital.
30 J'ajouterai enfin, et ce dernier problème n'est pas mince, que
c'est également dans cette même perspective du texte comme sys
tème différentiel, que pourrait être saisi ce qui est posé sous forme
de question par Derrida dans une note à l'une de ses études sur
Artaud, à savoir le statut " des rapports entré l'existence [l'exis
tence individuelle, ce qui est habituellement signalé comme réfé
rence biographique] et le texte, entre ces deux formes de textualité
et l'écriture générale dans le jeu de laquelle elles s'articulent "
(l' Écriture et la Différence, p. 272).
Juin-novembre I9 67 Jean-Louis Houdebine.
SUR UNE LECTURE DE LÉNINE 1
quences qu'il convient d'en tirer quant à une analyse théorique des
faits littéraires, et sans doute, plus généralement, des faits esthé
tiques.
Henne (cf. en particulier les études " Sur le jeune Marx " et - " La
dialectique matérialiste " _in Pour Marx, Éd. Maspero) : car il
convient de noter, dans la remarque déjà citée où Lénine définit
son propre mode de lecture, que le " renversement " s'accompagne
d'une " élimination " qui ne peut être comprise que comme le
premier stade d'une transformation de fond en comble de la dia
lectique hégélienne ; en bonne logique, en effet, et comme Althus
ser l'a fort bien montré, on voit mal ce que pourrait donner un
système hégélien, même " renversé ", d'où auraient été retranchés
des " moments " aussi essentiels à l'économie de ce système que
l'Absolu, l'Idée pure, etc. ; amputé de tels concepts, le système perd
sa qualité même de " système ", et c'est sur ses ruines que se trouve
élaboré un autre type de théorie, possédant alors sa propre problé
matique, son propre corps de concepts, etc.
A ce propos, on examinera donc ici ce qu'il en est, prises comme
elles le sont dans la progression d'une lecture, matérialiste
de Hegel, des notions de reflet et de processus.
Lénine admire donc l' " universelle souplesse " des concepts,
" souplesse en tous sens ", " qui va jusqu'à l'identité des contraires"
(Lénine dira aussi plus loin " l'unité des contraires "). De cette
souplesse conceptuelle (chez Hegel) témoignent les exemples
que Lénine rapporte dans la première partie de sa remarque. On
pourrait préciser ici, semble-t-il, que cette " souplesse de pensée ",
telle qu'elle se manifeste dans la Grande Logique, est caractéristique
pour Lénine de toute dialectique ; ou plus exactement, et par une
restriction révélatrice fo rtement marquée en fin de la note, ce qui
va définir la dialectique pour Lénine, c'est-à-dire la dialectique
matérialiste, c'est l'application oijective (par opposé à l'application
suijective = éclectisme et sophistique) de cette " universelle sou
plesse des concepts " à l'œuvre dans telle ou telle pratique, ici
celle de la connaissance produite par l'homme et <l.ppliquée à un
objet ici nommé " univers ". Cette application objective est elle
même définie dans son objectivité :
288
SUR UNE LECTURE DE LÉNINE
IQ
JEAN-LOUIS HOUDEBINE
On retrouve ainsi ce qui a déjà été formulé plus haut : cette série
définitionnelle a pour but de réaffirmer une fois de plus, face à
l'idéalisme hegelien, le principe fondamental de tout matérialisme,
c'est-à-dire l'antériorité de la nature par rapport à la connaissance
qui en est prise, et dans la perspective ici plus précise d'une théorie
matérialiste de la connaissance, l'idée d'une adéquation d'ensemble
de la dialectique conceptuelle (E2) à la dialectique naturelle (E1).
Toutefois, cela étant dit, il est manifeste qu'un autre problème
(mais n'est-ce pas le même ?) préoccupe Lénine : quel est le statut
de ce reflet ? Quels sont à la fois son mode de production et son
mode d'organisation, sa constitution propre ? Or la réponse à
cette question s'effectue selon un passage caractéristique de la
notion de reflet à celle de processus, que Lénine est amené à pré
ciser à plusieurs reprises dans cette seule note. On peut dresser
ainsi le schéma de ce passage, à partir de sa double formulation
(au début et à la fin de la note), et encore une fois selon la seule
perspective qui nous intéresse directement ici, celle du rapport
Œ ] {
reflet / processus :
1 non-simple 1
ornplexe abstractions
}
connaissance = reflet non-immédiat -+ rné at � = série de forrnatio� de . . .
non-total arttel formulations
concepts
formations de loi � tableau scientifique = processus (de connaissance).
.
categones
Jean-Louis Houdebine.
PROBLÈMES . DE LA STRUCTURATION
DU TEXTE
lation. Ainsi, plus que d'un discours nous parlerons d'un texte. Cette
distinction a un double avantage. Premièrement elle nous fait
échapper au danger que représente pour la sémiologie générale
la tentation d'assimiler toute pratique signifiante à la langue parlée,
et à partir de là de vouloir récupérer la pluralité des pratiques
signifiantes par une pensée réductrice qui peut être, d'ailleurs,
pertinente dans l'étude du langage dénotatif. Deuxièmement, la
distinction discours / texte nous place une fois de plus dans une
perspective marxiste, puisqu'elle met l'accent sur la production du
sens plutôt que sur l'échange de sens (et on sait que c'est cet échange
sous le nom de communication qui centre l'intérêt de la linguistique
structurale) . Ainsi, sans vouloir réduire le texte à la parole orale,
mais en marquant que nous ne pouvons pas le lire en dehors de
la langue, nous définirons le texte comme un appareil trans-lin
guistique qui redistribue l'ordre de la langue, en mettant en relation
une parole communicative visant l'information directe, avec diffé
rents types d'énoncés antérieurs ou synchroniques . Le texte est
donc une productivité ce qui veut dire : 1 . son rapport à la langue
dans laquelle il se situe est redistributif (destructivo-constructif),
par conséquent il est abordable à travers des catégories logiques
et mathématiques plutôt que purement linguistiques, 2. il est une
permutation de textes, une inter-textualité : dans l'espace d'un texte
plusieurs énoncés pris à d'autres textes se croisent et se neutralisent.
Résumons donc notre propos :
La sémiologie dont nous nous réclamons considérant le texte
comme une production et / ou comme une transformation, cherchera à
formaliser la structuration plutôt que la structure.
Nous prendrons comme objet de notre démonstration le roman
classique au manient même où il s'articule et par conséquent laisse
aisément entrevoir sa fabrication : ce sera " J ehan de Saintré "
d'Antoine de La Sale, écrit en 1 4 5 6 . Nous l'étudierons comme une
transformation tout d'abord à l'intérieur de lui-même, c'est-à-dire
au niveau de la syntaxe du texte (de sa syntagmatique) . Dans un
second temps, nous situerons notre texte dans l'ensemble des
textes de l'époque et étudierons sa structuration par rapport aux
textes extérieurs.
En premier lieu, nous irons chercher notre modèle non plus dans
la phonologie (qui est à la base de la linguistique structurale), mais
299
JULIA KRISTEV A
� OO
PROBLÈMES DE LA STRUCTURATION DU TEXTE
spécialement par S a um jan. Il en résulte un modèle transformationnel
applicatif dont les conséquences sont les suivantes :
I . Il est nécessaire de distinguer nettement et rigoureusement les
deux niveaux d'abstraction dans le modèle génératif : la compétence
et la performance. Nous obtiendrons cette distinction lorsque
nous substituerons aux strings (dont se sert Chomsky) les
complexes (avec lesquels opère S aumjan), le complexe étant défini
comme une suite ordonnée d'éléments dont l'ordre est sans
importance. Le rapport structure des complexes / structure
des strings est équivalent au rapport compétence / perfor
mance. Nous nous plaçons donc au niveau de la compétence
lorsque nous parlons de l'agencement des complexes dans le
texte.
2. Dans le modèle génératif applicatif on distinguera deux: types
de règles de génération de complexes : l . règles de formation des
pomplexes 2. règles de transformation des complexes. Les règles
de formation des complexes sont basées sur l'opération dite appli
cation (pour l'utilisation de cette opération en logique mathématique et
H. B. Curry, R. Feys, Combinatory logic, vol. l , Amsterdam, 1 9 5 8 ) .
A l'aide de l'application on obtient des complexes divers, de sorte
que le modèle applicatif n'a pas besoin de règles de transformation
des complexes . Ainsi, le modèle génératif applicatif fournit la
transformation de façon, pour ainsi dire, automatique, tandis que,
comme on le sait, dans le modèle chomskien la transformation
est donnée d'avance arbitrairement dans un nombre fini de
règles.
3. D'autre part, le modèle applicatif suppose, outre la classe des
propositions possibles, aussi celle des mots possibles (" base compo
nents '', " phrase makers "). Les calculs des complexes et des
mots peuvent être représentés dans le modèle génératif applicatif
comme deux générateurs homomorphes : le générateur des com
plexes et le générateur des mots. L'interaction de ces deux géné
rateurs introduit la notion de générateur des " transforms ".
Un dédoublement enfin s'impose du statut des mots et des propo
sitions suivant qu'ils relèvent des deux stuctures différentes : la
compétence et la performance. Nous distinguerons un statut des
mots-compétence et des propositions-compétence, et un statut des
mots-performance et des propositions-performance. Ainsi le mo dèle
transformatif applicatif sera un modèle à deux niveaux (cf. pour
ce schéma S. K. S aumjan, " La grammaire transformationnelle et
le modèle génératif applicatif " in la Méthode transformationnelle
dans la linguistique structurale, Moscou, 1 964).
gén érateu r des
c o m p lexes ...,
� --------�
r-- p,é nérateur des
mots
....�--
... --C,.----�
méca n i s m e de
t r a n s - codage
1
propos i tions mots
pcrform a n c e perfor m a n ce
Jchima 1
Donc, " l'histoire " peut être considérée comme terminée une
fois accomplie une des boucles (résolue une des dyades opposi
tionnelles) dont la série a été ouverte par la programmation ini
tiale. Cette boucle, c'est la condamnation de la Dame qui signifie
une condamnation de l'ambiguïté. Le récit s'arrête là. Mais la
finition structurale manifestée une fois de plus par une concréti
sation de la figure fondamentale du texte (la dyade oppositionnelle
et son rapport avec la non-disj onction), ne suffit pas pour que le
discours de l'auteur soit clos. Le véritable coup d'arrêt est donné
par l'arrivée, dans l'énoncé romanesque, du travail même qui le
produit, maintenant, sur cette page. Une nouvelle rubrique
" l' Acteur " signale la deuxième - la véritable - reprise de la
fin : " Et cy donnray fin au livre de ce très vaillant chevalier qui. . . "
Un bref récit du récit s'ensuit pour terminer le roman en rame
nant l'énoncé à l'acte de l'écriture (" j 'ay fait ce livre dit
Saintré, que en façon d'une lettre je vous envoye . . . " ), et en sub
stituant au passé de la parole le présent du graphisme : " Et
sur ce, pour le présent, mon très redoubté seigneur autre ne vous
escripts . . .
"
3 06
PROBLÈMES DE LA STRUCTURATION DU TEXTE
etc.), mais en subsumant d'emblée cette opposition dans une syn
thèse ambivalente (le oui-non, le double, le masque, la trahison,
etc.), la non-disjonction romanesque tient de la triade, et c'est de
là qu'elle tire son évolutionnisme qui rappelle la spirale hégélienne.
Le champ dans lèquel la non-disj onction évolue est un champ ter
naire, donc hiérarchique ; il suppose que l'opposition des deux
termes (positif vs négatif) est dominé par le troisième (la synthèse
ambivalente ou la dépassement de l'opposition dans une entité
ambivalente revalorisée). Contrairement à l'épique, qui était struc
turé sur une dyade symétrique, le roman de par sa fonction non
disjonctive, est structuré sur une dyade asymétrique. En ceci il
rappelle le " dualisme concentrique " dont parle Lévi-Strauss en
l'opposant à un " dualisme diamétral " (Claude Lévi-Strauss,
" Les organisations dualistes existent-elles " in Anthropologie struc
turale, p. 1 47- 1 80 ).
La fonction non-disj onctive (ambivalente, concentrique) du
roman quoique figurant au début aussi bien qu'à la fin du texte et
assurant ainsi l'équivalence de sens entre l'opérant et le résultat,
assure à l'énoncé romanesque une dialectique plus subtile que
celle de l'épopée. Cette non-disj onction exige, à un moment de la
transformation, l'apparition d'un facteur qui transforme la narra
tion dans le sens fort du mot, c'est-à-dire, la renverse, la change
en son contraire sans pour autant lui enlever la ressemblance avec
la programmation initiale (avec l'opérant). La possibilité, ou mieux,
le stimulant, de ce renversement est donnée donc dans la fonction
même de l'énoncé romanesque, dans la mesure où cet énoncé est
ambivalent et asymétrique. L'asymétrie et l'ambivalence dont il
s'agit quittent pour ainsi dire leur noyau sémantique, se déploient
et se manifestent au niveau de la syntagmatique narrative par un
remaniement de l'intrigue, d'une part, et des actants, de l'autre. Cette
surdétermination de la pensée romanesque par la non-disj onction
(le dualisme concentrique) indique l'impact théologique de cette
pensée et de toute l'époque qu'elle domine, à travers le phantasme
ou le j ournalisme, la rhétorique politique ou l'idéologie scienti
fique. Hiérarchique et triadique, cette pensée est religieuse quoique
faussement religieuse, ce qui nous permet peut-être de dire qu'elle
est la théologie rassemblée et rassemblante et par là qu'elle se place
à la frontière (à la sortie) théologique. En effet, tout en prétendant
à un développement (signifiant) et en visant un but (signifié), la
structure romanesque (la structure du signe) ne produit pas de
" nouveau ", mais se reproduit en se transformant dans l'écart de
ce qu'on a appelé l' " arbitraire " du signe (l'espacement entre le
JULIA KRISTEV A
8
1
" '
t< 1
Q) 1
'O 1
c:: 1
� ·
c::>.. I
1
,_ _ schéma 2
Act. (N)
Ace. (N)
3 14
PROBLÈMES DE LA STRUCTURATION DU TEXTE
" littérature " (tout " art "), puisque ce trajet est programmé par
l'idéologème constitutif du signe, à savoir, par la démarche dya
dique close (finie) qui : 1 . instaure une hiérarchie référent-signifié
signifiant. 2. intériorise ces dyades oppositionnelles jusqu'au niveau
de l'articulation des termes et se construit, de même que le symbole,
comme une solution de contradictions. Si dans une pratique sémio
tique relevant du symbole la contradiction était résolue par une
connexion du type de la disjonction exclusive (la non-équivalence)
--- "/= --- ou de la non-co'!}onction --- 1 - -- ), dans
une pratique sémiotique relevante du signe la contradiction
est résolue par une connexion du type de la non-disjonction
--- v - -- .
fond transcendantal qui le supporte (on peut dire qu'il est " arbi
traire ) tout en restant expressif.
"
DÉFINITIONS.
n'implique pas que celui qui parle dans cet exposé se considère
comme " l'auteur " - au sens classique - de ce texte. " Je "
renvoie à la situation concrète d'un locuteur qui parle après-coup
PHILIP PE SOLLERS
HISTOIRE
discours
319
PHILIPPE SOLLERS
ANALYSE.
3 20
NIVEAUX SÉMANTIQUES D ' UN TEXTE MODERNE
pz
NIVEAUX SÉMANTIQUES D 'UN TEXTE MODERNE
CONCLUSION.
Cet exposé est alors suivi d'une lecture à haute voix d'une sé
quence de Nombres (séquence 4. 1 00) .
SOUSCRIPTION DE LA FORME
p .6
SOUSCRIPTION DE LA FORME
que la critique des Mystèns de Paris n'est pas ce que vise Marx,
ensuite que pourtant ce que vise Marx se trouve mis en représen
tation dans Les Mystères de Paris : Marx donne pour titre à un
des chapitres (Sainte Famille, t. II, chap. vu) de la Sainte Famille
" la vie terrestre et la transfiguration de la critique critique sous les
traits de Rodolphe, prince de Gerolstein ". Marx, qui va démonter
systématiquement l'idéologie qui ordonne le roman de Sue, ne
s'.arrête que très épisodiquement sur les qualités de l'écrivain, il ne
laisse pourtant pas passer l'occasion de désigner Sue comme :
" un grand réformateur à tant la ligne " (t. II, p. 8 9), de le compa
rer à ces " mauvai s peintres qui sont obligés d'indiquer par une
étiquette le sujet de leur tableau " (t. III, p. 42 ) et encore de préciser
" Sue motive la carrière de la comtesse aussi niaisement que la
plupart des caractères de son roman " (t. I, p. 1 1 7) 2 • C'est dire que
s'il n'entre pas dans le projet de Marx d'établir Sue dans une pers
pective qui prendrait en considération l'histoire de la littérature,
il ne le situe pas moins en passant dans ttn métier où il y aurait de
mauvais ouvriers, il ne l'en rattache pas moins en passant à un savoir
faire dont l'absence sans doute d'un certaine façon discrédite Sue,
tout en le créditant de cette parentée qui le juge. Au demeurant la
destinée de l'écrivain Eugène Sue est trop significative pour que
nous ne nous contentions de ne la lire qu'épi sodiquement, épiphé
nomène dont à travers l'engouement d'un futur général d'infan
terie (Szeliga) Marx fait apparaître la réalité.
Cette réalité n'aurait-elle rien à faire avec le travail de production
littéraire, ne viendrait-elle souscrire que l'œuvre des " mauvais
peintres " ? Ou bien aurait-elle tant à faire, serait-elle si fortement
liée avec le travail littéraire, avec la littérature, que nous n'aurions
rien de plus pressé, que d'en déporter la question, que de la
censurer ? Eugène Sue fut-il simplement un très mauvais écrivain
de feuilleton, à ne confondre en aucune façon avec les héros
de notre culture ? Est-ce un hasard si Marx s'est trouvé amené à
consacrer à un roman de Sue la plus importante critique qu'il
ait consacrée à un livre de fiction (et ce au moment où Marx
précise les principes du matérialisme historique) ? Est-ce un
hasard si Isidore Ducasse empreinte son pseudonyme Lautréamont
à un des premiers romans de Sue " Latréaumont " (paru en
1 8 3 7 ?) Est-ce un hasard si Eugène Sue marque la langue au
2. Auguste Cornu écrit : " Marx raille la manie de Szeliga de transformer les plus
vulgaires trivialités en mystères et dénonce en même temps le néant de ce roman qui,
sous de faux dehors humanitaires s'inspirait de la plus basse morale bourgeoise ", in
Ki.ri Marx et Friedrkh Engûr, P.U.F., t. III.
MARCELIN PLEYNET
32. 8
SOUSCRIPTION DE LA FORME
nous voyons bien que l'idéologie de Sue est restée la même pro
fondément, et que si de 1 8 3 8 à 1 8 5 0 il y a révolution, cette révo
lution n'a à faire avec les œuvres de notre auteur que dans la mesure
où leur transformation est directement liée à l'objectif théolo
gique qui a toujours été le leur. Il ne s'agit en somme que de débor
der, de contourner cette contradiction interne à la culture de Sue,
le scepticisme, et de passer d'une fiction métaphysique avouée, à
une fiction morale (de faire passer la vérité métaphysique sous le
couvert du j eu théologique de la morale) . Le dualisme bien / mal,
qui donne son épaisseur à la fiction du Roman Noir et qui peut
être lu comme déterminé au xvrne siècle par la terreur qu'inspire
à une certaine classe sociale le scepticisme, va au début du xrxe siècle
servir un moment le " désenchantement profond et amer " de
cette même classe avant de se trouver réinvesti comme positivité
morale. En ce sens l'évolution de Sue, qui du Roman Noir au
Roman Feuilleton se réclame de ce dualisme comme structure
fondamentale de son œuvre ; en ce sens cette évolution est exem
plaire, j oue exemplairement à travers les divers déplacements,
tactiques, d'une même forme littéraire que Marx définit bien
lorsqu'il écrit : " De même que dans la réalité, toutes les diffé
rences se confondent de plus en plus dans la différence entre riche
et pauvre, toutes les différences aristocratiques se ramènent dans la
pensée, à l'opposition entre le bien et le mal. Cette distinction est
la forme dernière que l'aristocratie donne à ses préjugés. Rodolphe
se considère lui-même comme bon, et les méchants ne sont là
que pour lui donner la pleine jouissance de sa propre excellence "
(t. II, p. I I 1 ) . Le rôle que Marx attribue ici à la dualité bien / mal
qui souscrit le roman, est proprement un rôle de censure : dans la
réalité toutes les différences se confondent de plus en plus dans la
SOUSCRIPTION DE LA FORME
333
MARCELIN PLEYNET
3 34
\
\
SOUSCRIPTION DE LA FORME
335
MARCELIN PLEYNET
dé ce double point de vue fixe, pour Bauer et consort, les hommes
sont placés au point de vue de la critique ou de la masse. Mais tous
les deux transforment les hommes réels en point de vue abstrait "
(t. II, p. 94). Quel serait le roman qui ne transformerait pas " les
hommes réels en point de vue abstrait " ; Marx revient à plusieurs
reprises sur la peine que le bon, Rodolphe, inflige au méchant,
le Maître d'école, écrivant : " La peine que Rodolphe inflige au
Maître d'école est celle qu'Origène s'est infligée à lui-même. Il
l'émascule en le privant de ses yeux, ces véritables organes de la
génération " (t. II, p. 6 8), et un peu plus loin " La théorie que
Rodolphe applique en privant de la vue le Maître d'école, cet isole
ment de l'homme retranché du monde extérieur et réduit à sa seule
âme, cette alliance du châtiment juridique et de l'expiation théolo
gique, tout cela trouve sa réalisation la plus parfaite dans le sys
tème cellulaire " (t. II, p. 8 1 , 8 2). Quel est le roman qui ne pratiquera
pas systématiquement ce châtiment, cette émasculation ? Quel est
le roman qui n'aveuglera pas systématiquement son lecteur en
réduisant les hommes réels en point de vue abstrait ? Répondons
provisoirement, sans cesser de citer la Sainte Famille que " Pour
réaliser des idées il faut des hommes qui disposent de forces réelles ".
Les idées et les romans, les idées et le langage, tout cela n'est pas
si éloigné, que nous ne soyons amené, lisant la Sainte Famille, à
multiplier les questions. Entre autres quant à la possibilité qu'il y a
de reconnaître un personnage de roman comme un homme réel ?
Et pourtant un roman peut être une force, le travail que Marx con
sacre aux Mystères de Paris nous le confirme. Entre autres quant à ce
que cela suppose de prendre une représentation pour une réalité.
Lisànt les Mystères de Paris Marx démasque les conventions qui
donnaient au livre un semblant de réalité ; déchiffrant ce qui sous
crit ces mêmes conventions il donne force à la réalité que ces conven
tions censuraient. Le problème qui se pose, pour qui recherche un
lieu qui puisse réaliser le discours " littéraire ", ce problème n'est-il
pas d'abord celui de la disposition et de l'économie des forces réelles
qui permettent de réaliser les idées . Si la lecture de la Sainte Famille
fait porter la suspicion sur la forme littéraire prise par les Mystères
de Paris, ne peut-on imaginer que d'autres codes, en activité dans
le champ de la littérature, puissent se trouver (avoir été amenés
à) souscrire une semblable idéologie ? Les contradictions en jeu
dans ce vieux langage qui est le nôtre, sommes-nous certains que les
conventions d'une culture, dont les origines sont bien connues,
en répondent ?
Le travail de déchiffrement, qui est en cours, le lieu du discours de
SOUSCRIPTION DE LA FORME
déchiffrement, ne peut pas ne pas dès lors, s'il veut échanger " la
dénonciation simplement morale des mythes et mensonges, pour
leur critique rationnelle et rigoureuse " 8, ne peut pas ne pas faire
appel, d'abord empiriquement, à toutes les disciplines qui lui sont
contemporaines ; étant entendu que toutes ces disciplines se trou
veront tour à tour sujet et objet de déchiffrement 9 •
Linguistique et littérature ?10 Dans · la mesure où nous devons à
la linguistique une méthode de déchiffrement formel, oui, sans
doute, entre autres.
337
MARCELIN PLEYNET
nous rencontrerons en cours de lecture, et jusque dans notre volonté
de déchiffrement, des complicités avec les divers types de censures
contre lesquels nous sommes d'abord tenté de nous élever. Qui,
avant même d'aborder une œuvre de Sade, n'est pas préparé à
questionner la normalité (et la justification, l'objectivité de cette
normalité) de son code, de ses codes de déchiffrement culturel,
est assuré de se retrouver, à un moment ou à un autre, arrêté dans
sa lecture (législative) comme assurément il l'est dans sa vie. N'ou
blions pas que, dans l'ordre de ce code culturel, Diderot lui-même
sera accusé de se complaire dans une " physiologie sale et lubrique "
(Paul Albert, Introduction aux Œuvres de Diderot) .
Il n'est qu'à moitié étonnant de voir l'importance accordée à
la biographie de Sade alors que pratiquement aucune étude critique
n'a été consacrée aux références culturelles qui autorisent l'œuvre.
Sade n'a pas été lu, si on l'avait lu on se serait aperçu que ce qui
dans son œuvre choquait (le bon goût, la morale, la sensibilité)
était souscrit par une culture précise, et devait être pris en considé
ration non comme épiphénomène monstrueux mais comme acti
vité d'un fait culturel. On s'est bien gardé d'aborder cela
pour la bonne raison qu'il aurait fallu aborder la philosophie
scientifique et matérialiste du xvrne siècle, philosophie que la
culture bourgeoise s'emploie systématiquement à recouvrir. Il
n'est que de voir comment la philosophie des lumières se trouve
en France portée au crédit des déistes Rousseau et Voltaire, alors
que les athées ne sont pratiquement jamais cités. Or il se trouve
que justement c'est le plus virulent et le plus systématiqùe de ces
athées, d'Holbach, que Sade se reconnaît comme maître à penser.
A la fin du mois de novembre 1 18 3 , du château de Vincennes
où il est enfermé, Sade écrit à sa femme : " Comment voulez-vous
que je puisse goûter " la Réfutation du Système de la nature 1 ", si
vous ne m'envoyez pas en même temps que la réfutation, le livre
qu'on réfute, c'est comme si vous vouliez que je juge un procès
sans voir les pièces des deux parties. Vous sentez bien que c'est
impossible, quoique " Le Système " c'est bien réellement et bien incon
testablement la base de ma philosophie 2 et j 'en suis sectateurjusqu'au
martyre 3 s'il le fallait, il est pourtant impossible que depuis sept
ans que je ne l'ai vu, je puisse me le rappeler 4 assez pour en goûter
r . Le livre dont parle Sade la Réfutation du Système de la nature peut être, soit celui de
l'abbé Bergier publié en 1 7 7 1 , soit celui de Bolland publié en 1 7 7 3 ·
z . C'est nous qui soulignons.
3 . C'est Sade qui souligne.
4. " Le système de la nature " de d 'Holbach fut publié pour la première fois en l 770,
SADE LISIBLE
il connu une seconde édition toujours en 1 770, puis fut réimprimé en 1 771, 74, 1 5 , 77.
Selon cette lettre Sade l'aurait lu en 1776.
5. C'est nous qui soulignons.
6. J'ai porté, mon bon ami, au bureau un envoi de livres qui n'a pas pu passer. A
"
l'explication avec M. Le Noir, il m'a dit que l'on t'avait ôté tous tes livres parce qu'ils
t'échauffaient la tête et te faisaient écrire des choses qui n'étaient pas convenables. "
3 39
MARCELIN PLEYNET
le sadique. Faut-il alors penser que les têtes " échauffées " par
certaines lectures ne peuvent produire que des monstres ? Sans
aucun doute pour la société que nous connaissons le scepticisme
et le matérialisme sont des doctrines " échauffantes " et criminelles
dans la mesure où elles produisent ces monstres appelés à trans
former les bases mêmes de cette société. Sans doute cette société
a-t-elle tout intérêt (et de toute façon elle ne peut pas faire autre
ment) à incarner ces doctrines dans un type d'individu dénué des
qualités sociales qu'elle reconnaît, et, déplaçant ainsi le champ
d'activité de cette doctrine, de l'ordre d'un savoir producteur
(et donc criminel pour la législation) à celui d'une législation (cri�
minelle pour la production de savoir), a-t-elle alors, c'est évident,
tout intérêt à réduire exemplairement (pour l'exemple) la pensée,
pour elle criminelle, à un individu qu'elle peut condamner (et
qui est donc dès lors condamnable) . Car si nous y regardons de
près, la tête échauffée de Sade est tout le contraire d'urni tête folle,
c'est une tête raisonneuse qui ne manque jamais de situer sa ré
flexion historiquement et théoriquement (voyez l"' Idée sur les
romans "), et qui sait dans sa démarche être plus conséquente que
les législateurs qui la censurent, lui laissant lire Lucrèce et lui inter
disant Rousseau.
Ainsi placée, replacée dans le contexte culturel qui la produit
et auquel elle ne cesse de se référer, l'œuvre de Sade autorise une
série de questions qui n'en désamorceront pas bien entendu la
violence transgressive, mais permettront l'approche et la lecture
d'un texte, entre tous, démystifiant. La philosophie des lumières
qui lui donne naissance n'est en effet pas sans ambiguïté 7 partagée
7. Pour comprendre ce que je soulignais plus haut de la récupération bourgeoise de
la philosophie scientifique du xvm• siècle, qu'on lise par exemple dans Je livr e de
Cassirer, la Philosophie des lumières :
" On a coutume de considérer la conversion au " mécanisme ", au " matérialisme "
comme Je trait le plus significatif de la philosophie de la nature du xvm• siècle et l'on
croit souvent qu'il suffit à caractériser exhaustivement son esprit, en particulier l'orien
tation générale de l ' esprit français à cette époque. En vérité ce " matérialisme " tel qu'il
apparaît par exemple dans le Système de la nature d'Holbach et dans l'homme machine
de La Mettrie, ne représente qu'un phénomène isolé qui ne peut en aucune façon passer
pour représentatif de cette période. Les deux ouvrages cités constituent un cas d 'espèce
une rechute dans l'esprit dogmatique contre lequel bataille le xvnr• siècle par la plume
de ses penseurs . . . " et plus loin " Dans le développement de sa pensée (celle du xvm•
siècle), le Système de la nature ne j oue qu'un rôle relativement mince et subordonné. Les
penseurs les plus proches du cercle de d'Holbach ont rejeté les conclusions de son
œuvre dans leur radicalité et en ont même combattu les prémisses. L'esprit satirique
percutant de Voltaire se reconnaît à ce qu'il frappe s1;1r-le-champ au point faible de
l'ouvrage de d'Holbach. Avec lucidité et sans le moindre ménagement il met à nu la
contradiction d'Holbach qui, ayant inscrit sur sa bannière la lutte contre le dogmatisme
SADE LISIBLE
pas en effet que " la Nouvelle Héloïse " dès sa publication se présente
comme un réquisitoire contre les philosophes athées, Rousseau
écrit : " Julie dévote est un démon pour les philosophes 10 • • • " ,
et que le personnage de Wolmar est alors lu par tous comme un
portrait psychologique du Baron d'Holbach 1 1 • On voit que Sade
travaille, et en toute connaissance de cause, sur un lieu culturel
précis qu'il entend dégager de toute ambiguïté déiste (et de toute
utilisation du type Rousseau), lieu à partir duquel sa pensée se
déploie. C'est que si Rousseau est là exemplaire, la pensée des
" philosophes " n'est pas, elle non plus, sans contradictions de
type justement morales, et qu'il convient pour Sade à la fois de
mettre en avant le travail du plus radical d'entre eux (d'Holbach)
et de se garder autant que possible de toute interprétation méta
physique, voire de celles que dénonce Marx lorsqu'il écrit :
" L'homme qui s'attaque à l'existence de Dieu s'attaque d'abord
à sa propre religiosité 12 " ; Sade passe ici après ceux pour qui cette
" religiosité " fait problème (Diderot, d'Holbach), et les dépasse
en tirant de son athéisme les conséquences qu'historiquement
aucun de ses contemporains n'avait la possibilité de suivre, de
9. Philippe Sollers, "Sade dans le texte", in Logiques, Coll. " Tel Quel ", Éd. du Seuil,
1968. -Les personnages de Saint-Fond et de Clairwil sont des personnages de Juliefle.
Sollers lit Clairwil comme " clair-vouloir, elle enseigne Juliette " mais ne pourrait-on
pas lire Clairwil comme claire et vile, ce qui ferait intervenir, à l'intérieur de celle qui
enseigne, la contradiction irréductible selon Sade (" Il est impossible de former aucun
terme collectif de deux contraires, parce qu'il ne serait plus distinct à l'enteµdement "
" Opuscules sur le théâtre ") du clair et de l'obscur, du haut et du bas . . . Le terme collec
tif échappe à l'entendement, mais marque l'activité du texte. S�de revient souvent ainsi
sur les problèmes que lui pose la langue, sur les problèmes que lui pose son écriture,
comme s'il se découvrait affrontant dans sa pratique ce problème de la contradiction,
insoluble pour qui ne peut le penser dialectiquement. On trouve par exemple dans
" la Philosophie " : " La pauvreté de la langue française nous contraint à employer
..•
des mots que notre heureux gouvernement réprouve aujourd'hui avec tant de raison;
nous espérons que nos lecteurs éclairés nous entendrons et ne confondront point
l'absurde despotisme politique avec le très luxurieux despotisme des passions du
libertinage. "
10. Rousseau, lettre à Vernes le 24 juin 1 7 6 1 .
1 1 . Sur l es rapports d'Holbach Rousseau, voir Pierre Naville " D'Holbach e l la
philosophie scientifique au XVIII• si�cle ", Éd. Gallimard.
1 2 . K. Marx, la Sainte Famille.
SADE LISIBLE
3 43
MARCELIN PLEYNET
bourgeois qui conditionne le matérialisme mécaniste et la révolu
tion de 8 9. Ordre qui est bien encore celui de notre culture et
contre lequel aujourd'hui encore Sade ne cesse de s'inscrire. Je
renvoie ici encore à l'essai de Sollers : " L'encyclopédie de Sade
annule en tant que projet universel et intemporel celle des " Lu
mières " limitée à un type de lecture . . . " L'ordre que je souligne
et auquel l' œuvre de Sade est absolument irréductible est bien d'abord
celui de ce " type de lecture " .
Les contradictions du matérialisme mécaniste à l'ordre qui le
justifie, ne sont pas bien entendu présentes dans la seule œuvre de
Sade, mais la timidité même qui partout ailleurs les expose les rend
pratiquement illisibles. Lorsque Diderot écrit à Sophie Volland :
" Rien n'est indifférent dans un ordre de choses qu'une loi géné
rale lie et entraîne, il semble que tout soit également important. Il
n'y a point de grand, ni de petit phénomène. La constitution Uni
genitus est aussi nécessaire que le lever et le coucher du soleil. Il
est dur de s'abandonner aveuglément au torrent universel, il est
impossible de lui résister. Les efforts impuissants ou victorieux
sont aussi dans l'ordre. Si je crois que je vous aime librement, j e
m e trompe. Il n'en est rien. " O n voit bien tout c e qui tente l à de
se montrer ose à peine se dire et se rétracte sitôt dit, commandé
dans sa faiblesse par l'ordre qui fera dans une autre lettre écrire au
même Diderot : " J'aime encore mieux le baptême que la circon
cision, cela fait moins mal 15• " Ce qui ne s'exprime que très timi
dement et très marginalement chez les " philosophes " est radica
lement, totalement et centralement exposé par Sade, s'institue
comme seule écriture possible, comme la seule réalité de l'écriture,
constitue le corpus même à partir duquel devra se marquer toute
réalité. Son " Idée sur les romans " (notons que cette idée est au
singulier) ne peut pas ne pas mettre en question la lecture de repré
sentation fantasmatique à laquelle les romans de Sade ont été trop
souvent soumis, qu'on lise plutôt : " ne perds pas de vue que le
romancier est l'homme de la nature, elle l'a créé pour être son
peintre ; s'il ne devient pas l'amant de sa mère dès que celle-ci l'a" mis
au monde, qu'il n'écrive jamais, nous ne le lirons point . . .
16 ;
nous entendons bien que Sade pose l'inceste comme seule possible
condition de l'écriture romanesque, comme acte à partir duquel
la lecture devient possible. Je crois qu'il est inutile de souligner ce
qu'une telle démarche a de fondamentalement transgressif (et à
3 44
SADE LISIBLE
1 7 · " Ce que les économistes ne perdent pas de vue, c'est que la production est plus
facile sous la police moderne que sous le signe de " la loi du plus fort " par exemple.
Ils oublient seulement que " la loi du plus fort " fut elle aussi un droit et qu'elle survit
sous une autre forme dans leur état juridique. " K. Marx, Fondements de la Critique de
léconomie politique, t. I.
1 8 . Gilbert Lely, le biographe de Sade se trouve par exemple arrêté par l'aspect
coprophagique de Les l zo Journées de Sodome.
34 5
MARCELIN PLEYNET
Lorsque Sade écrit : " les mouvements les plus simples de nos
corps sont pour tout homme qui les médite des énigmes aussi difficiles
à deviner que la pensée ", nous pouvons bien entendu comprendre
cela à partir du seul matérialiste mécaniste, toutefois si nous le
situons dans le fonctionnement de l'œuvre de Sade, si nous le
rapprochons de ce que nous citions tout à l'heure à propos de l'in
ceste, un déplacement s'opère qui arrache ce qu'une telle question
doit au matérialisme proprement mécaniste pour l'introduire dans
cette pensée qui questionne la normalité de ce code. " Les mouve
ments les plus simples de nos corps " obéissent à des structures
qui ne peuvent être données comme normalité que dans la mesure
où elles recoupent les structures de la législation morale ; " les
mouvements les plus simples de nos corps sont pour tout homme
qui les médite des énigmes " dans la mesure où tout ce qui déborde
la législation morale (les débordements) ne peut être pensé qu'à
partir d'une remise en question de cette législation. On sait contre
quelle sottise pudibonde Freud a dû lutter ! Mais qu'on m'entende
bien, je ne voudrais pas laisser supposer que je considère l'œuvre
de Sade comme l'illustration d'une lecture fantasmatique. La
lecture de l'œuvre de Sade, comme celle de l'œuvre de Freud est de
celles qui pour nous aujourd'hui " décèlent l'essence du fantasme19"
c'est bien dire qu'elle ne se donne déjà plus comme lecture " cri
minelle ", mais (encore) seulement dans la mesure où elle peut être
reçue hors de cet espace duel qui jusqu'à présent l'a condamnée
1 9 . Voir à ce propos l'essai de Michel Tort, " /'Effet Sade " dans le numéro 28 de la
revue Tel Quel. - QJ!'on voie d'autre part comment dans la Philosophie
dans le boudoir, par exemple, c'est la transgression du discours didactique
qui, " excitant " le personnage, bloque brusquement le discours. A la fin
d 'une de ses leçons Dolmancé s'aperçoit que ses propos ont mis Eugénie hors d'elle
même : " Oh 1 ciel 1 qu'avez-vous donc cher ange ? Madame, dans quel état voilà notre
élève ! . . . Eugénie (se branlant) : Ah 1 sacredieu 1 vous me tournez la tête. " Le même
Dolmancé interrompt, se trouve " forcé " d'interrompre un de ses discours : " Foutre 1
je bande !. . Rappelez Augustin, je vous prie. " La structure du discours transgressif,
.
rencontrant chez le sujet la structure de l'interdit, bloque le discours, interrompt la
pensée qui dès lors se répète dans la posture et dans " l'économie " transgressive, ne
pouvant dialectiser et dépasser dans la " dépense " productive ce qui à ce moment la
détermine et l'arrête. Nous voyons la même chose se produire pour le lecteur qui
interrompt sa lecture à la simple " représentation " naturaliste de ce qu'il lit (les pos
tures) ne pouvant plus dès lors penser dialectiquement les diverses articulations du
texte. Le livre comprenant ainsi dans sa fiction ce qui peut " arrêter " sa lecture, et la
lecture possible de cet " arrêté ". La leçon, et l'explication de tout cela se trouvant en
une note finale du premier texte écrit par Sade " Dialogue entre un prêtre et un moribond ' ' :
Le moribond sonna, les femmes entrèrent, et le prédicant devint dans leurs bras un
homme co"ompu par la nature, po11r n'avoir pas 111 expliquer ce que c'était que la naturf
co"omp11e. "
SADE LISIBLE
" La Philosophie dans le boudoir " est un des ouvrages les plus
systématiques de Sade, beaucoup moins violent (" monstrueux ")
que ses grands romans (Justine, Juliette, Les I 20 journées ... ) ce petit
livre reprend le premier écrit de Sade " Dialogue entre un prêtre et
un moribond " dans la mesure où il est, avec le " Dialogue ", le seul
livre dialogué de toute l'œuvre de Sade, et surtout dans la mesure
ou comme le " Dialogue " il joue d'un savoir qui entend enseigner
avant de convaincre (ce qui n'est pas toujours la tactique des romans).
Le titre, si nous nous y arrêtons, indique bien le lieu du projet
sadien : Philosophie DANS le boudoir. Au xvme siècle " philosophe"
est entendu comme philosophe matérialiste ; ce qui se retire donc
ici dans le boudoir, c'est ce que la pensée du siècle ne peut enseigner
en public, et qui va être enseigné dans le privé. Nous devons bien
entendre en effet : la philosophie matérialiste dans le boudoir -
ou encore les effets, dans ce qu'on nomme le privé, de la philoso
phie matérialiste - ou encore, non plus effet de surface mais
conséquence, activité totalisante de la philosophie matérialiste.
N'oublions pas que le livre est écrit au moment où la révolution
de 1 7 8 9 s'inquiète des structures morales de la nation et rétablit
l'ordre déiste. Dans le cadre du bien public la philosophie ne peut
plus dès lors " tout dire ", et c'est d'un lieu retiré et comme
20. " Parcourons-nous des nations qui, plus féroces encore, ne se satisfirent qu'en
immolant des enfants . . . Dans les républiques de la Grèce, on examinait soigneuse
ment tous les enfants qui arrivaient au monde, et si l'on ne les trouvait pas conformes
de manière à pouvoir défendre un jour la république, ils étaient aussitôt immolés . . . Les
anciens législateurs n'avaient aucun scrupule de dévouer les enfants à la mort . . . Aristote
conseillait l'avortement . . . " " la Philosophie . . . "
3 47
MARCELIN PLEYNET
3 49
et dont le premier paragraphe déclare : " Le peuple français re
connaît l'existence de l'être suprême et l'immortalité de l'âme ",
on comprend que Sade demande aux Français de faire un effort
s'ils veulent être républicains - effort qui leur permettra d'écarter
les consolations de cette " puéril<' religion ". Qu'on corn pare les
deux discours celui de Robespierre et celui de Sade, toute la rigueur
est chez Sade qui écrit : " Anéantissez donc à jamais tout ce qui
peut détruire un jour votre ouvrage . . . Encore un effort ; puisque
vous travaillez à détruire tous les préjugés, n'en laissez subsister
aucun, s'il n'en faut qu'un seul pour les ramener tous. Combien
devons-nous être plus certains de leur retour si celui que vous
laissez vivre est positivement le berceau de tous les autres. "
Phrases prophétiques quant à la destinée de Robespierre et à celle
de la révolution. La complexité des discours sadiens qui composent
la Philosophie . . est là illustrée à son niveau le plus élémentaire, et
.
Marcelin Pleynet.
LINGUISTIQUE ET PRODUCTION TEXTUELLE
351
JEAN-LOUIS BAUDRY
353
12
JEAN-LOUIS BAUDRY
3 54
LINGUISTIQUE ET PRODUCTION TEXTUELLE
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JEAN-LOUIS BAUD RY
357
JEAN-LOUIS BAUDRY
359
JEAN-LOUIS BAUDRY
Sans autrement insister sur le fait que la langue est ici assimilée à
l'argent, autrement dit à ce qui circule sans jamais produire, mais
s'empare, en la cachant, de la production, on remarquera qu'elle est
aussi identifiée à un produit, mais un produit sans production et
dont la transformation s'effectue sans travail. Un produit pour
rait-on dire passif, inerte, toujours déjà donné. " Un produit que
le sujet enregistre passivement " dit Saussure, " L'objet concret
de notre étude est donc le produit social déposé dans le cerveau de
JEAN-LOUIS BAUDRY
chacun ", et aussi " aucune société n'a jamais connu la langue autre
ment que comme un produit hérité des générations précédentes . . . " .
·�
et Marx. Freud, parce qu'il définit un lieu textuel radica
lement décentré par rapport au sujet, parce qu'il permet de pen
ser à travers l' " inconscient " la généralisation du texte, l'inscrip
tion du signifiant comme corps dans la sexualité et parce qu'on
trouve chez lui des concepts comme ceux de frayage, de trace, de
déplacement et condensation, d'après-coup, etc., qui se révèlent
essentiels. Ainsi le Nachtraglich, l'après-coup, par exemple, fait
sauter une conception uniquement linéaire de l'analyse textuelle
et ouvre sur le dynamisme productif - la double inscription, la
relation lecture / écriture, selon un mécanisme de répétition / effa
cement en même temps qu'il éclaire l'intertextualité (tout texte
est un après-coup d'un autre texte).
Marx surtout parce qu'il fait apparaître le double système échange
circulation et production et permet à la théorie de se faire lutte
idéologique (pourquoi la société bourgeoise privilégie le procès
de la circulation et de l'échange, de l'expression en occultant la
production et en faisant agir contre elle toutes ses forces répres
sives). Parce qu'il permet enfin de concevoir la pratique scripturale
transformante liée aux autres pratiques sociales et ouvre l'écriture
sur les pratiques translinguistiques. Il semble d'ailleurs nécessaire
en ce qui concerne la pratique scripturale d'employer le terme de
production avec prudence pour autant qu'il peut être capté par
la métaphysique et renvoyer à la notion d'origine. C'est pourquoi
nous ne voulons pas pour l'instant isoler la production des raisons
et des conditions de son occultation en rapport avec la circulation
et lui conférons avant tout une fonction stratégique.
Ce n'est pas un hasard si la linguistique s'est développée dans
l'aire occidentale et si la sémiotique, science des. pratiques trans
linguistiques se développe en Union soviétique ou dans des zones
marquées par le marxisme. Peut-être pourrait-on dire que la lin
guistique par rapport à une théorie de la production textuelle a
joué le rôle et se trouve dans la même position que l'économie clas
sique par rapport au matérialisme historique. La sémiologie, science
de la production textuelle remplacerait alors le modèle linguis
tique science du signe et de l'échange. Mais sans doute une théorie
,
Jean-Louis Baudry.
L'OR DU SCARABÉE
I. GÉOGRAPHIE.
A. L'invention.
On devine combien, en une fiction, toute localisation géogra
phique peut satisfaire le dogme naturaliste : l'espace fictif semble
alors donner copie conforme d'un rassurant quotidien. Peut-être,
même, à cette " reproduction du monde extérieur " sera-t-il pos
sible d'ajouter " une expression de l'univers intérieur ". Ne suffi
rait-il pas de découvrir que cette région tient une place marquante en
la biographie de l'écrivain ? Si nous en croyons les premières lignes :
Il y a quelques années, je me liai intimement avec un M. Wil
liam Legrand. Il était d'une ancienne famille protestante, et jadis
il avait été riche ; mais une série de malheurs l'avait réduit à
la misère. Pour éviter l'humiliation de ses désastres, il quitta
la Nouvelle-Orléans, la ville de ses aïeux, et établit sa demeure
dans l'île de Sullivan, près de Charleston, dans la caroline du Sud,
c'est le cas du Scarabée d'or. En effet, Marie Bonaparte n'a point
manqué de le noter :
En l'automne de 1 8 27, Edgar Poe, alors âgé de dix-huit ans, ( . . . )
s'était embarqué avec la Batterie " H " du premier régiment des
États-Unis d'Amérique, pour la Caroline du Sud ( . . . ) Il avait,
quelques semaines plus tard, abordé aux rives plates de l'île
de Sullivan, en face de Charleston. Là une année durant, les
murailles du fort Moultrie abritaient son repos, son sommeil.
L ' OR DU SCARABÉE
B. L'exception
Nullement accidentelle, cette pratique est reprise d'une façon
voisine avec un commentaire qui en révèle le parti pris :
Sous la latitude de l'île de Sullivan, les hivers sont rarement
rigoureux, et c'est un événement quand, au déclin de l'année,
le feu devient indispensable. Cependant vers le milieu d' octo
bre 1 8 . , il y eut une j ournée d'un froid remarquable.
.
C. Un espace polarisé.
Or, la spécificité du territoire est accrue par un étrange phéno
mène de polarisation. Que l'on considère certains éléments choisis
d'abord à l'est, puis à l'ouest. Les maisons :
Au plus profond de ce taillis, non loin de l'extrémité de
l'île, c'est-à-dire la plus éloignée, Legrand s'était bâti lui
même unepetite hutte ( . . . ) Vers l'extrémité occidentale, à l'endroit
où s'élève lefort Mou/trie et quelques misérables bâtisses de bois ;
les arbres :
de l'île : " la végétation ( . ) est ( . . . ) naine ", et du continent :
. .
D. Cosmogonie.
Or, cette valorisation de l'occident est de toute évidence liée à
un autre élément du récit. Toute première lecture découvre l'in
sistante présence du soleil à ses deux crépuscules :
Juste avant le coucher du soleil je me frayais un chemin à travers
les taillis vers la hutte de mon ami ( ... ) L'autre jour il m'a
échappé avant le lever du soleil ( . . . ) Nous allons partir immé
diatement, et, dans tous les cas, nous serons de retour au
lever du soleil.
Leur commun va-et-vient entre l'est et l'ouest détermine en
outre entre soleil et scarabée une étroite liaison. Celle-ci est resserrée
ailleurs de deux manières : par la substitution d'un involontaire
quiproquo :
Restez ici, cette nuit, et j'enverrai Jupiter le chercher au lever
du soleil. C'est bien la plus ravissante chose de la création 1
- Quoi ? Le lever du soleil ?
A. Grammaire.
Si une phrase se révèle remarquable, c'est bien celle où se pro-
duit la première allusion au scarabée :
Il avait trouvé un bivalve inconnu, formant un genre nouveau,
et, mieux encore, il avait chassé et attrapé, avec l'assistance
de Jupiter, un scarabée qu'il croyait tout à fait nouveau et
sur lequel il désirait avoir mon opinion le lendemain matin.
C'est en effet deux trouvailles qu'on nous annonce et, curieu
sement, elles sont unies par toutes sortes de procédés. Inclus dans
l'unité d'une même phrase, bivalve et scarabée sont fermement unis
L'OR DU SCARABÉB
3 · LECTURE.
A. Un effet du texte.
Nous l'avons vu, les perturbations infligées à l'ordre habituel
ruinaient le naturalisme qui voue la fiction à représenter le " monde ".
L'OR DU SCARABÉE
B. Lecteurs insuffisants.
Mieux : en ce récit d'un décryptage, la lecture fait l'objet d'une
explicite mise en place. C'est par leur façon de lire que sont déter
minés pour l'essentiel les trois acteurs. Legrand est seul capable
de déchiffrage. Jupiter et le narrateur, en revanche, sont en mau
vais termes avec le langage. En cas d'ambiguïté, leur interpréta
tion obéit à la loi du quiproquo. Si Jupiter, proférant toujours
un étrange jargon, interrompt la description de Legrand :
Les antennes sont . . .
- Il n'y a pas d'étain sur lui, Massa Will,
ce n'est pas sans qu'un jeu de mots involontaire lui fasse prendre
une chose pour une autre. Ailleurs, il oppose deux synonymes
et ces deux termes, précisément, évoquent le langage :
Quant au narrateur, nous l'avons déjà vu, c'est non moins d'un
malentendu qu'il est victime : il confond lever de soleil et scarabée.
Ainsi pour les deux hommes, fut-ce au prix: d'une méprise, toute
ambiguïté doit se réduire à une monovalence : nul élément ne
saurait à la fois être ce qu'il est et l'affleurement allusif d'autre
chose. Ils n'admettent en somme que des sens propres ; comme
selon Barthes divers critiques positivistes, ils sont condamnés à
une asymbolie. .
Victime de l'échange du recto et du verso, le narrateur voit, en
le dessin du scarabée, non l'évocation approximative de la tête
de mort, mais un crâne parfait :
3 74
L ' OR DU SCARABÉE
375
JEAN RICARDOU
D. Lecture.
Lire n'est guère obéir à un savoir satisfait qui tend à proscrire
l'extraordinaire. Puisqu'elle est transgressive, toute aberration
doit être tenue, à l'inverse, comme émergence possible d'un autre
système. William Legrand profite d'une curieuse;intuition : suppo
sant sur le parchemin un texte, il se définit avant tout comme lec
teur. Or, s'il cherche les raisons de ce pressentiment, il n'oublie
pas, notamment, de citer le caractère exceptionnel du concours
des circonstances :
Je présume que vous espériez trouver une lettre entre le
timbre et la signature. - Quelque chose comme cela. Le
fait est que je me sentais comme irrésistiblement pénétré
du pressentiment d'une immense bonne fortune imminente.
Pourquoi ? Je ne saurais trop le dire. Après tout, peut-être
était-ce plutôt un désir qu'une croyance positive ; - mais
croiriez-vous que le dire absurde de Jupiter, que le scarabée
était en or massif, a eu une influence remarquable sur mon
imagination ? Et puis cette série d'accidents et de coïncidences
était vraiment si extraordinaire 1 Avez-vous remarqué tout
ce qu'il y a de fortuit là-dedans ? Il a fallu que tous ces évé
nements arrivassent le seul jour de toute l'année où il a fait,
o ù il a pu faire assez froid pour nécesssiter du feu ; et, sans ce
feu et sans l'intervention du chien au moment précis où il
a paru, je n'aurais jamais eu connaissance de la tête de mort
et n'aurais jamais possédé ce trésor.
Autrement dit, ce qui incite Legrand à faire surgir le texte du par
chemin, est son aptitude à découvrir en cet assemblage d'événe
ments une logique fort irrespectueuse de tout quotidien vraisem-
L ' OR DU SCARABÉE
4 • JEUX DE MOTS.
3 77
JEAN RICARDOU
exclut les noms propres. Une fois encore, supposant cette loi,
Legrand est le lecteur : Kidd, remarque-t-il, c'est kid, le chevreau.
Mais, plus généralement, cette abolition de la propriété n'obéi
rait-elle pas à quelque règle ? Il suffit pour la saisir de noter que le
domestique, ce père dérisoire, sans autorité réelle, se nomme
Jupiter. Loin d'appartenir à un élément isolé, le nom " propre '',
désigne une fonction du récit.
L'ouest, nous l'avons vu, dispose d'une aptitude à la majoration.
Pendant la nuit révélatrice (l'amorce de cette métamorphose du
scarabée en innombrables richesses), l'insecte est à l'ouest : au
fort Moultrie. Il serait étrange qu'un auteur citant Crébillon et
Quinault ignorât " moult ". Il y a mieux. Moultrie peut s'entendre
comme un calembour bilingue : moult-trees. Portant le scarabée
au fort, le lieutenant G. annonce secrètement une autre scène, celle
où Jupiter s'élève avec l'insecte dans le tulipier " qui se dressait
en compagnie de huit à dix chênes ".
Venant de · 1 'ouest, capable d'agrandir un minuscule trésor
entomologique aux dimensions d'une fortune, le héros porte le
nom opportun de Legrand. Quant à la curieuse familiarité de
Legrand avec la prose à l'emblème du crâne, elle se com
prend mieux à lire William comme l'anagramme de I am (the)
will : je suis le testament. N'est-ce pas cette voie que nous
indique " massa Will " , cette fréquente abréviation proférée par
Jupiter ?
Puisque, sous l'espèce d'innombrables indices et allusions, le
trésor se signale, partiellement, en maints lieux du récit, n'est-il pas
possible de supposer que le mot " gold " apparaisse, dans la masse
des lettres, sous l'aspect que Saussure a nommé hypogrammatique ?
Commentant les notes du linguiste, Jean Starobinski pré
cise :
Le " discours " poétique ne sera donc que la seconde façon
d'être d'un nom : une variation développée qui laisserait aper
cevoir, pour un lecteur perspicace, la présence évidente (mais
dispersée) des phonèmes conducteurs .
. L'hypogramme glisse un nom simple dans l'étalement com
plexe des syllabes d'un vers ; il s'agira de reconnaître et de
rassembler les syllabes directrices, comme Isis réunissait le
corps dépecé d'Osiris;
Apparu diverses fois dans le texte, l'adjectif " old " révèle ainsi la
fonction d'un nom énigmatique, celui du lieutenant de fort
Moultrie : G. + old =Gold. En ce texte anglais, on ne sera
L'OR DU SCARABÉE
surpris guère que le pays des richesses soit non !'Eldorado, mais
" Golconda " .
5 . ÉCRITURE.
3 79
JEAN RICARDOU
B. Lecture - écriture.
Auparavant doit se marquer la différence majeure qui sépare
Legrand des deux piètres lecteurs. Sans doute sa religion a-t-elle
L' OR DU SCARABÉE
C. Index de l'écriture.
Nous l'avons établi : soleil, scarabée, trésor sont pris dans une
chaîne d'équivalence. Loin d'être figé en une propriété innocente,
chaque terme subit de part en part, le travail d'un courant de figura
tion. Il suffit de s'y rendre attentif pour qu'une nouvelle dimension
se déclare bientôt.
C'est le rapprochement du parchemin et de la flamme qui permet
à la chaleur d'accomplir sa révélation du texte. Or le feu peut se lire
ici comme substitut du soleil : lumière, chaleur, et il est allumé au
crépuscule. Le soleil se trouve ainsi lié par ce texte à la mise à jour
de l'écriture.
Souvenons-nous maintenant de la manière dont Jupiter, selon
ses étranges dires, a attrapé le scarabée :
I cotch him vid a piece ob paper dat I found. I rap him up in
de paper and stuff a piece of it in he mouff.
Tout sphinx demandant qui, environné de papier, est censé en
consommer, recevrait aussitôt en réponse : l'écriture. Cette indi
cation, Baudelaire s'est plu à l'accroître, semble-t-il, en multipliant,
jusqu'à l'extraordinaire on l'a vu, les occurrences du mot papier :
Je pris un morceau de papier ; j'empoignai le scarabée dans le
p apier ; je l'enveloppai donc dans ce papier, avec un petit
b out de papier dans la bouche.
JE.AN RICARDOU
l'or est sommé, par le travail du texte, à jouer le rôle d'une méta
phore : celle par laquelle, en le lieu le plus adverse, en somme
avec la « belle encre d'or » de la poussière de Soleils, l'écriture se
trouve désignée. Nul savoir dont on pourrait se rendre proprié
taire n'est ainsi permis par le texte. Formation qui se conteste à
mesure, le sens subit une circulation permanente, attestée, s'il
, désigne l'écriture, ce mouvement qui l'instaure et le contredit.
Jean Ricardou.
RÉPONSES
\
A LA NOUVELLE CRITIQUE
Le texte qu'on va lire est la réponse que nos amis de la revue Tel quel
nous ont adressée, sur un questionnaire élaboré par nos soins, après qu'eurent
lieu, au siège de la Nouvelle Critique, plusieurs entretiens avec Jean
Louis Baudry, Jean Pierre Fcrye, Marcelin Plrynet et Philippe Sollers,
d'une part, et quelques-uns de nos collaborateurs, Antoine Càsanova,
André Gisselbrecht, Christine Glucksmann et Jean-Louis Houdebine,
d'autre part.
On fe sait, les jeunes écrivains rassemblés autour de Tel Quel jouent
de plus en plus un rôle de premier plan dans la littérature contemporaine.
Depuis sa fondation, en 1 960, Tel Quel a multiplié les analyses et les
recherches d'un hattt niveau littéraire et scientifique. Parallèlement, la
collection du même nom, aux Éditions du Seuil, a publié des textes d'une
importance incontestable : recueils de poèmes, essais critiques et théoriques,
romans. Nous avons fait écho en temps utile à ces parutions, dont nous ne
rappellerons que quelques-unes parmi les plus marquantes : Essais cri
tiques, de Roland Barthes, Relevés d'apprenti, de Pierre Boulez, !'Écri
ture et la Différence, de Jacques Derrida, le Récit hunique, de Jean
Pierre Fcrye, Figures, de Gérard Genette, Compact, de Maurice Roche,
Drame, de Philippe Sollers, Personnes, de Jean-Louis Baudry, Pro
blèmes du nouveau roman, de Jean Ricardou, sans oublier le Lautréa
mont, de Marcelin Plrynet, dans la série " Écrivains de totefours ".
Enfin, c'est le mérite de cette collection d'avoir fait connaître au public
franfais, sous le titre Théorie de la littérature, quelques-uns des textes
capitaux de /'avant-garde soviétique des années 2 0, les " Formalistes
russes ".
Tel Quel est donc le lieu d'une réflexion vivante, sur l'écriture : réflexion
souvent controversée, parfois violemment refetée, mais qui suscite un intérêt
croissant chez beaucoup de jeunes écrivains ; et l'on sait d'autre part avec
quelle attention Aragon suit le travail de ses cadets dont il fut l'un des
premiers à dire l'importance.
En outre, la situation de Tel Quel est marquée depuis quelque temps
RÉPONSES A LA NOUVE�LE CRITIQUE
par une évolution idéologiqtte décrite par Philippe Sollers dan.r une inter
view à France nouvelle de mai 67 : évolution qui s 'est manifestée, sur
le plan politique, par des prises de position très flettes et, sur le plan théo
rique, par des efforts de p/tts en plus résoltts pour se placer dans une pers
pective marxiste.
Il est intttile de souligner combien cette rechrJrche mérite notre sympathie
et combien nous pouvons apprendre d'elle. Il nous semble urgent, en effet,
de confronter les thèses nouvelles qui s'élaborent en fonction du développe
ment de l'ensemble des sciences hu111aines, en particulier de celles qui sont
consacrées au langage, et de les intégrer, si possible, dans une théqrie cohé
rente de la littérature.
On pourra penser que le texte ci-dessous ne résout pas tous les pro
blèmes : ce n'était pas, au demeurant, l'intention de ses auteurs. On ne
manquera pas de s'interroger sur telle ou tellefor11111/e, de souhaiter à propos
de telle ou telle question une élaboration plus poussée. Comment, en par
ticulier, définir clairement la notion d' " écriture bourgeoise " ? Ne coniient
il pas, pour séduisant que paraisse a priori /e rapprochement des fonctions
respectives de /'argent et du sens, de donner à cette idée ttn développement
plus approfondi ? Mais justement : ces questions - et bien d'autres -
ne recevront de réponses satisfaisantes qu'au prix d'un travail considérable
et de confrontations constantes avec tou.r les chercheurs épris de rigueur
scientifique. Dans la mesuré de ses possibilités, la Nouvelle Critique
s'efforcera defavoriser cette recherche collective.
La N. C.
� 86
RÉPONSES A LA NOUVELLE CRITIQUE
térature n'est pas la science, quel vous semble être son statut
spécifique (par rapport à l'activité scientifique) ? Plus parti
culièrement, de quelle manière cette référence à la science
et à une attitude scientifique est-elle intervenue concrètement
dans votre pratique d'écriture et en quoi l'a-t-elle modifiée ?
UN TRAVAIL MÉCONNU.
391
PHILIPPE SOLLERS
ayant été très vite abandonnée, après une série de crises intérieures
au comité de rédaction de la revue, il est par conséquent inutile
d'y revenir. Ce qu'on peut remarquer aujourd'hui c'est l'ejjicacité
qu'a eue, initialement, cette position. Dès le départ, l'accent est
mis sur la pratique immanente du texte, sur la rupture avec les
justifications extra-littéraires de la littérature. Attitude qui amènera
assez vite Tel Quel à réactiver une théorie de la " méthode for
melle " en corrélation ultérieure avec les travaux des formalistes
russes. Cette période se caractérise par la constitution d'un champ
textuel spécifique, c'est-à-dire par l'accumulation et la mise en avant
systématique de textes jusque-là considérés comme marginaux
(Artaud, Bataille, Ponge) et par l'étude critique de leurs fondements
théoriques. Le travail porte aussi bien sur la " poésie " que sur
le " roman " ou " l'essai ". L'aboutissement de cette activité -
outre une publication intense de textes - sera, entre autres, la cons
titution (par T. Todorov) du recueil Théorie de la littérature où sont
révélés au public français les écrits jusque-là totalement inconnus
de l'avant-garde révolutionnaire - futuriste et scientifique -
soviétique dans les années 1 920- 1 9 3 0 .
2 . L a " contestation ", que Pingaud aperçoit simplement en
I 9 6 4 à propos de Robbe-Grillet, se produit en fait beaucoup plus
tôt dans la mesure où le concept d'écriture comme représentation
et principalement comme expression est récusé dans ses implica
tions métaphysiques. Il nous faut à ce moment surmonter à la fois
les résidus de la théorie surréaliste qui, voulant présenter d'abord
le " fonctionnement réel de la pensée " , reste prise au piège d'un
classicisme et d'un baroquisme superficiels ; les confusions de la
littérature soi-disant " engagée " qui n'est ni littéraire (incom
préhension de la série historique visant à dégager la pratique spé
cifique du texte) ni engagée (persistance, en elle, du discours natu
raliste bourgeois du xrxe siècle), et enfin, après une phase de sou
tien assez brève, l'idéologie positiviste du " nouveau roman "
qui oscille entre une survivance psychologiste (" courant de cons
cience ") et un " descriptionnisme " décorativement structural.
A ce moment, en effet, la linguistique est pour no u s d'un p uissant
secours . Nous commençons - et cela ·à partir de notre propre
pratique qui ne répond à aucune des classifications précédentes -
à poser la nécessité d'une attitude double :
- production de nouveaux organismes formels - faire sortir
la " poésie ", par exemple, de son enlisement " oraculaire " pour
l'ouvrir à son tracé projectif, à sa combinatoire rythmique désa
cralisée ; faire sortir la narration de son " copiage " pseudo-
3 92
LE RÉFLEXE DE RÉDUCTION
393
PHILIPPE SOLLERS
se tenaient à l'écart de l'actualité) " (Eikhenbaum, 1 9 .z 5 ) . Le besoin
se fait ainsi de plus en plus sentir, pour ébranler l'obscurantisme
traditionnellement attaché à la " littérature ", de mener de front
une recherche scientifique (expansion considérable de la sémio
logie) et les processus producteurs (renouvellement des techniques
formelles, mais aussi, et surtout, exposition de la pensée qui surgit
d'une méditation de l'écriture).
3 94
LE RÉFLEXE DE RÉDUCTION
société comme un fleuv8 l'est par son lit. " En ce sens, nous ne récla
mons pas autre chas� que la lecture systématique (non métaphy
sique) d'une " succession dialectique de formes ", la " forme "
étant " comprise comme le véritable fond se modifiant sans cesse en rapport
avec les œuvres du passé " (Eikhenbaum). Comme le rappelaient
Jakobson et Tynianov : " L'histoir§ de la littérature est intimement
liée aux séries historiques ; chacune de ces séries comporte un faisceau
complexe de lois structurales qui lui est propre. " Le dégagement de
ces lois, on en trouve les traces dans presque tous les numéros
de Tel Quel, étant entendu que ce travail exige une conception
historique conséquente de la spécificité de l'écriture textuelle.
UN CONTRESENS.
395
PHILIPPE SOLLERS
LA GRAMMATOLOGIE.
3 97
geais " ne change rien, en ce point, à l'affaire. En effet, on retrouve
dans la conclusion de Pingaud la proposition d'une vieille alter
native, d'ailleurs typiquement sartrienne : ce n'est plus le démon
de l'analogie mais celui de la castration. Ou bien, il faudrait être
" révolutionnaire " sans " littérature ", ott bien, puisque la littérature
est " bourgeoise ", toute action dans ce sens est, par définition,
à l'extérieur de la révolution. C'est là un problème de " mauvaise
conscience " qui n'est pas le nôtre. Avoir à " choisir " entre une
activité uniquement " militante " et une défense non révolution
naire de ce que Pingaud, parce qu'il en méconnaît la force histo
rique, appelle la " sacro-sainte écriture ", c'est là encore une de
ces simplifications réductrices que nous refusons. L'écriture, pour
nous, l'activité textuelle, est justement ce qui dénonce toute sanc
tification et toute sacralisation, et d'abord, faut-il le dire, celle de
" l'écriture " au sens esthétique du terme. Pour éviter ce malen
tendu, ce contresens, nous disons en effet que la pensée qui nous
préoccupe, outre le " jeu " qu'elle suppose, est inévitablement
reliée au processus de connaissance scientifique et de transforma
tion sociale tel qu'il n'est pas d'autre possibilité que d'en appuyer
les effets . Transformation qui n'est pas une " force brute " à l'œuvre
mais aussi un changement de lecture appelé par l'histoire et la science
à bouleverser un j our jusqu'aux concepts d' " histoire " et de
" science ". Une " avant-garde " est efficace en définitive moins
par ses déclarations ou ses innovations " formelles " que par son
travail : c'est ce travail, et sa réflexion, qui devraient amener
Pingaud, comme, il est vrai, beaucoup d'autres, à relire Tel Quel 3•
Philippe Sollers.
11 L'ÉCRITURE
FONCTION DE \TRANSFORMATION SOCIALE 1
\
3 99
PHILIPPE SOLLERS
400
L 'ÉCRITURE FONCTION DE TRANSFORMATION SOCIALE
à lui, subordonnée à lui comme simple " signe de signe ". Il faut
tenir compte, en ce poip._t, des travaux décisifs de Jacques Derrida
(De la Grammatologie, !' Ecriture et la Différence) qui montrent com
ment et pourquoi à l'intérieur de l'extension de l'écriture phoné
tique (détermination d'une importance considérable et que l'on
a, en général, la plus grande difficulté à faire voir) cette subordina
tion se produit. Bien entendu, il ne s'agit pas, à partir de cette
analyse, de réclamer naïvement ou moralement une " réhabilita
tion " ou une " libération " de l'écriture par rapport à la parole,
mais d'étudier systématiquement, en vue d'une redistribution éven
tuelle de ces fonctions, l'exclusion ou, comme le dit Derrida,
" l'abaissement " dont l'écriture a fait et continue de faire l'objet
de la part d'une idéologie précise. Pour cette idéologie, en effet,
qui peut être qualifiée à la fois d' expressive et de représentative,
l'écriture est toujours une extériorité décorative, une possibilité
dangereuse de non-vérité. La valeur est non seulement l'acte de
parole - celle d'un sujet conscient, identique et présent à soi -
mais le sens, le " signifié transcendental " que cet acte est censé
traduire, actualiser, incarner 2 •
b. ce que veut ainsi travestir l'idéologie parlante c'est que, lo in
d'être " premier ", originaire ou situé quelque part comme un
point commençant absolu, le " sens " est dérivé par rapport à un
effet de trace, de frayage, de production dissimulé par le système
de la langue investie en parole, puis en parole " écrite ". Le pro
blème sera donc de penser cette pré-écriture qui ouvre la possibilité
de la langue dans ses différences, pensée qui n'est possible comme
" science " que dans une écriture fonctionnante se réfléchissant,
c'est-à-dire donnant lieu à la fois à un texte et à sa pensée, sans que
l'un ait à s'effacer devant l'autre. L'écriture ainsi, non pas comme
représentation de la parole, mais comme processus producteur trans
linguistique (et ici se dresse la problématique de toute la " littér.a'"
ture " moderne) se montre comme ayant été occultée au même
titre que le travail dans la théorie prémarxiste 3• Quand nous avons
:i.. " La langue est en fait un instrument régi et agencé en vue des concepts à exprimer.
Elle s'empare efficacement des sons et elle transforme ces données naturelles en des qua
lités oppositives aptes à porter le sens. " (Jakobson.) (C'est nous qui soulignons.)
3 . Nous pensons ici également au chapitre 6 de la Traumdeutung : " Le tra:vàil du
rêve ". " Le contenu du rêve nous est donné sous forme de hiéroglyphes, dont les
signes doivent être successivement traduits (übertragen) dans la langue des pensées du
rÇve. " Pour le problème de l'écriture chez Freud et chez Marx, voir : J . -L . Baudry :
Écriture, Fiction, Idéologie; Freud et la "çréation littéraire" ; le Sens de !'argent et J.-J. Goux:
Marx et I'Inscription du travail.
40 I
PHILIPPE SOLLERS
avancé que le " sens " jouait dans le procès de langage le rôle que
l'argent tenait dans la circulation des marchandises, il n'était pas
question, évidemment, de proposer de " se priver du sens " mais
d'indiquer la possibilité - d'une grande portée théorique - d'une
étude de son procès de production. Ce procès, la linguistique struc
turale en analyse une partie - mais une partie seulement - dans
la mesure où, même dans ses développements les plus récents,
plus dynamiques (Chomsky), elle reste, quoi qu'on dise, une science
de la parole même si le niveau du mot se trouve effectivement
dépassé. La linguistique remplit nécessairement son rôle des
criptif (appuyé sur des postulats philosophiques des plus classiques
notamment en ce qui concerne le " sujet "), mais la " littérature "
que nous dégageons est avant tout scription opérante, c'est-à-dire
relève d'un autre espace, un espace qui se produit et s'annule, se
constitue et se dépense à travers la langue et non en elle. La pro
blématique " littéraire " - précisons bien qu'il s'agit de l'expé
rience d'une pensée à l'œuvre et non d'une activité esthétique -
n'est pas réductible à une science du " discours ". La distinction
parole / écriture doit donc être fermement maintenue afin d'empê
cher de la part des phénoménologues déguisés à la nouvelle mode,
des assimilations hâtives du genre : " discours parlé (ou écrit) ",
ce qui correspond à un figement, à une mise entre parenthèses de
l'écriture.
402
L'ÉCRITURE FONCTION DE TRANSFORMATION SOCIALE
sonnelle, sans " valeur " et que les belles âmes du " sens " (du sens
bourgeois) décréteront aussitôt illisible, insensée. Or ce travail
n'est pas " non-sens " mais sens suspendu, interrogé, contesté,
différé, repris, annulé, relancé par un fonctionnement qui n1avance
pas vers un " sens " ponctuel mais trace la scène des transforma
tions signifiantes changeant le mode · de lecture rhétorique et par
lant en espace multiple, actif, infini 4• C'est ce que nous avons appelé
une " science vécue '', une " traduction " de la science pour indi
quer la dialectique qui se dégage à ce niveau entre langue artifi
cielle et langue naturelle, ou encore entre une " physique " du geste
écrit et sa notation brisée, fragmentaire, entre le mouvement inces
s�nt de l'écriture productive et le " sujet " qui s'en fait, non pas
le porte-parole, mais l'acteur expérimental inscrit 5•
raine. "
4. Pour la question du " langage poétique comme infinité du code "• vg4' Julia
'
lÇr!steva, Pour une sémiolo.g,ie des priragrammn (TelQuel 29).
s, " &.ifçrmé dans là rationalité connaissante, le platonisme ne pçut c9psidérer
" l'àrt " que comme \111 rapport au vrai, donc comme une pranche des sciences appli
qué� . . . (ffiais) la productivité textuelle n'est pas une création (une démiurgie) mais un
travail antérieur à son produit . . . Si elle est scientifique, elle l'est en tant que pratique
de son propre code et destrµction radicak de l'image que le plat9nim1ç (anciep. ou
mqqerne) veut donner d'elle comme mélange de çonjeçturç et dç mesµre, co!Jline
précision imparfaite, comme anomalie possible. " (Julia Kristeva, fa Produçfivité dite
ï1xte, dans Com111Nflkatio111 I I).
L'ÉCRITURE FONCTION DE TRANSFORMATION SOCIALE
A cette " technologie " du discours qui connaît donc des déve
loppements de plus en plus manifestes, nous proposons de joindre
une " science de l'écriture " qui traiterait des différentes pratiques
(philosophiques, scientifiques, esthétiques, sociales) comme textes.
Faire apparaître la " textualité " serait donc à la fois nous libérer
- recul de lecture - par rapport à l'entassement archéologique
de notre culture (et poursuivre avec plus de chances, par consé
quent, le dialogue avec d'autres cultures) mais aussi le faire bas
culer dans une pratique plus complexe, plus étendue, en faisant
ressortir l'épreuve à laquelle se trouve désormais affrontée notre
pensée. La réflexion sur " l'extériorité préalable " qu'est l'écriture
ouvre ainsi, par-delà une problématique
,, nécessaire, mais limitée
qui est celle du " discours , à une pratique réelle, sociale, portant
en même temps sur la culture passée - lue, déchiffrée, i;éécrite -
et sa transformation dans le champ nouveau - producteur - créé
par le marxisme aujourd'hui.
Philippe Sollers.
LE SENS DE L'ARGENT
\
LE SENS DE L'ARGENT
Jean-Louis Baudry.
BIBLIOGRAPHIE
Roland Barthes " Drame, poème; roman " a été publié dans une
première version par Critique (juillet i 96 5 ) . Dans
la collection " Tel Quel " : Essais critiques ( 1 9 64);
Critique et Vérité ( l 966). Par ailleurs, aux Éd. du
Seuil : le Degré zéro de l'écriture ; Michelet par lui
méme ; Sur Racine ; Système de la mode. Aux Éd. Gon
thier : Éléments de sémiologie.
:
Jean-Louis " Écriture, fiction, idéôlogie " (Tel Quel 3 1 ) ;
Baudry " Freud et la création littéraire " (Tel Quel ; z) ;
" Linguistique et production textuelle " (la Nou
velle Critique, novembre 1 968 ; colloque de Cluny).
Dans la collection " Tel Quel " : les Images ( i 96 3 ) ;
Personnes (1 967).
4r2
Jean-Joseph Dans Tel Quel : " Marx et l'inscription du travail "
Goux (n° 3 3 ) ; " Saint Augustin ou la parole de l'Autre "
(n° 2 1 ) ; " De votre côté " (n° 2 5 ) ; " Stratégies "
(n° ; p) ; " Numismatiques " (n° 3 5 et 3 6).
Jean-Louis Collaborateur à la Nouvelle Critique depuis l 96 I .
Houdebine La première étude présentée ici, " Première appro
che de la notion dè texte " a été rédigée en mai l 967 ;
elle constituait l'exposé d'introduction à une réu
nion de travail commune à la Nouvelle Critique et
à Tel Quel; elle a été publiée sous le titre " Texte,
structure, histoire", dans le no I I (février 1 96 8 ,
nouvelle série) d e la Nouvelle Critique. La seconde
étude, qui fait suite à la première et en précise
certains points, a été publiée dans le no l 8 de la
même revue.
Julia K.risteva " La sémiologie : science critique et / ou critique
de la science " (la Nouvelle Critique, n° 1 6, 1 968) ;
" Problèmes de la structuration du texte " (la
Nouvelle Critique, novembre 1 968, colloque de
Cluny). Par ailleurs : " Bakhtine, le mot, le dia
logue et le roman " (Critique, avril 1 967) ; " Pour
une sémiologie des paragrammes " (Tel Quel 29) ;
" Le sens et la mode " (Critique, décembre 1 967) ;
" L'expansion de la sémiotique " (Information sur
les sciences sociales, octobre 1967) ; " La productivité
dite texte " (Communications, n° l l ) ; " Le geste
pratique ou communication " (Langages, n° 1 0) ;
" Le texte clos " (Langages, n° 1 2) ; " Poésie et
négativité " (L'Homme, 8-2-1 968). Le Texte du
roman. Approche sémiotique d'une structure dis
cursive transformationnelle, (Mouton, sous presse).
Marcelin Pleynet " La poésie doit avoir pour but... " est paru dans
une première version dans Critique (juin 1 968) ;
" Poésie comme explication " (Tel Quel 3 3) ; " Sade
lisible " (Tel Quel 3 4) ; " Souscription de la forme "
(la Nouvelle Critique, novembre 1 968, colloque de
Cluny). Dans la collection " Tel Quel " : Pqysages
en deux suivi de les Lignes de la prose (1963) ; Comme
(1965). Par ailleurs : Lautréamont par lui-même,
(Éd. du Seuil, 1967).
Jean Ricardou " Fonction critique '', texte inédit. Dans TelQ11el :
" Le Scarabée d'or " (n° 3 4). Dans la collection
" Tel Quel " : Problèmes du nouveau roman (1 967).
Aux Éd. de Minuit : /'Observatoire de Cannes (1 96 1 ) ;
la Prise de Constantinople (196 5 ).
Jacqueline Risset " Questions sur les règles du j eu ", texte inédit.
Dans Tel Quel : " Poésie et prose " (n° z. z ) ; " Récit "
(n° z. 7) ; " Après-récit " (n° 30) ; " Jeu " (no 3 6).
Jean Thibaudeau " Le roman comme autobiographie " (Tel Quel 34).
Dans l a collection " Tel Quel " : Ouverture (1 966) ;
Imaginez. la nuit (1 968). Par ailleurs : Une cérémonie
rvale (Ed. de Minuit, 1 960) ; Francis Ponge (Galli
mard, 1 967).
TABLE
Division de l'ensemble
Michel Foucault, Distance, aspect, origine
Roland Barthes, Drame, poème, roman
Jacques Derrida, La dijférance
Philippe Sollers, Écriture et révolution (entretien avec Jacques
Henric)
80 Julia Kristeva, La sémiologie : science critique et / ou critique de la
science
Marcelin Pleynet, La poésie doit avoir pour but ...
Imaginez la nuit.
Mai r9 68 en France p ré cé dé de Printemps rouge
par Philip p e Sollers .
Giuseppe Ungaretti, A partir du désert
(traduit de l'italien par Philippe Jaccottet).
Théorie de la littérature
Textes des formaliSl:es russes
(traduit par Tzvetan Todorov).