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A GRYNBERG - Un kibboutz en Corrèze

par Anne Grynberg À la mémoire d 'Alain Raczymow (1951-1997 qui, le premier, m'interrogea sur les réfugiés juifs de Jugeals-Nazareth… dont je ne savais alors rien.

14/01/11 20:45 Page 89 À la mémoire d’Alain Raczymow (1951-1997) qui, le premier, m’interrogea sur les réfugiés juifs de Jugeals-Nazareth… dont je ne savais alors rien. Un kibboutz en Corrèze, 1933-1935 par Anne Grynberg 1. Archives départementales de la Corrèze – désormais AD 19 – (Tulle), 4 M 236. 2. Paul Painlevé préside en effet le Comité national de secours. Voir infra. 3. AD 19, 4 M 236. e 30 novembre 1933, le sous-préfet de Brive rend compte au préfet de la Corrèze1 des résultats de l’enquête qu’il a diligentée sur les activités de Heinrich Herzberg, Juif allemand envoyé dans la région par le Comité national, « qui désire initier à l’agriculture un certain nombre de jeunes israélites proscrits récemment d’Allemagne. Cette organisation se propose de les garder en France un certain temps, pour les diriger ensuite vers la Palestine afin d’y constituer le foyer national juif ». Herzberg vient de conclure un bail de neuf ans pour un domaine de 75 hectares situé à JugealsNazareth, à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de Brive. Son propriétaire, « très honorablement connu dans la région », accepte d’initier les jeunes gens à l’agriculture, en particulier au maraîchage. « Le parrainage qui serait accordé à cette organisation étrangère par des notabilités françaises et à laquelle s’intéresserait, paraît-il, M. le président Painlevé2, permet de penser que ses dirigeants ont obtenu toutes les autorisations nécessaires, bien qu’ils n’aient pas signalé leur projet aux autorités administratives locales. J’ai cru toutefois devoir vous signaler l’établissement dans mon arrondissement de cette colonie étrangère. […]. Plusieurs de ces jeunes Allemands sont d’ailleurs démunis de papiers. […] Je ne manquerai pas de vous tenir au courant des faits nouveaux qui pourraient parvenir à ma connaissance au sujet de cette affaire que je suivrai personnellement3. » L RETOURS À LA TERRE 08-Grynbergter Le sous-préfet Roger Dutruch ne va pas cesser, en effet, de s’intéresser aux jeunes réfugiés juifs établis à Jugeals-Nazareth, dans un ensemble de trois corps de ferme qu’ils dénomment aussitôt « kibboutz Machar » [« Demain », en hébreu]. Né en 1893 à Bougie en Algérie, avocat à Bordeaux avant de faire partie de divers cabinets ministériels entre 1919 et 1921, il est 89 08-Grynbergter 14/01/11 20:45 Page 90 Un k i b b o u t z e n C o r rè z e , 1 9 3 3 - 1 9 3 5 par Anne Grynberg La maison d’habitation principale, en 1998 (coll. AG) 4. Cf. Jean-Baptiste Joly, « L’aide aux émigrés juifs : le Comité national de secours », in Gilbert Badia & al., Les Bannis de Hitler. Accueil et lutte des exilés allemands en France, 19331939, Paris, EDI, 1984, p. 42. 5. Archives de l’Alliance israélite universelle – désormais Arch. AIU – (Paris), France, XD 56. 6. Ibid. 7. Cf. Encyclopaedia Judaica, Jérusalem, Keter / New York, Macmillan, 2007, vol. 8, pp. 756-761, entrée « Hehalutz ». 8. Cf. La Terre retrouvée, 6 e année, n°5, 25 février 1934, pp. 17-18. 9. À cette fédération d’orientation sioniste socialiste, laïque, sont affiliés les mouvements de jeunesse Hashomer Hatsair, [Freiheit]-Dror et Gordonia – devenu ensuite Ihud Habonim. Cf. Lucien Lazare, La Résistance juive en France, Paris, Stock, 1987, p. 406. 10. Hébreu : ferme-école de préparation agricole. 11. Il compte trois kibboutzim à la fin de l’année 1933 : outre Machar à Jugeals-Nazareth, HaOlim (« Les immigrants [vers la terre d’Israël] ») en Moselle et Hula (du nom du lac Hulé, en Galilée) dans le Lot ; un quatrième est en cours d’installation en Touraine. Cf. « Ce qui se passe chez nous », La Terre retrouvée, 6 e année, n°5, 25 janvier 1934, pp.17-18. 12. Cf. Alain Dieckhoff, « La communauté juive de Palestine dans l’entre-deuxguerres », Les Cahies de la Shoah, n°1, 1994, pp. 89-100. 90 devenu successivement secrétaire général des préfectures du Var et de la Dordogne, puis nommé souspréfet de Brive en juillet 1933. Cela ne fait donc guère plus de six mois qu’il est en poste lorsque survient cet événement inattendu dans une région rurale du centre de la France : l’installation d’une « colonie étrangère », « israélite » de surcroît. La teneur de cette première lettre, où sourd déjà la méfiance, montre que le sous-préfet méconnaît les orientations et les activités des institutions qui viennent en aide aux réfugiés d’Allemagne. I France terre d’accueil… temporaire Le 14 juin 1933, ces principaux comités d’assistance se sont réunis afin de coordonner leur action : la nouvelle structure, qui commence à travailler effectivement au début du mois de juillet 1933, prend le nom de Comité national de secours aux victimes de l’antisémitisme en Allemagne, généralement désigné comme le Comité national [de secours] 4. Dans un courrier du 19 juillet 1933, le ministre de l’Intérieur Camille Chautemps se dit « heureux de le reconnaître comme l’organe qualifié pour traiter avec les administrations publiques les multiples et délicats problèmes que soulève l’immigration en France d’un grand nombre d’israélites victimes de l’antisémitisme » et « remercie vivement ses dirigeants du concours si précieux qu’ils veulent bien apporter aux pouvoirs publics et de leur œuvre généreuse […] 5 ». Comme il le précise dans sa circulaire n°1 du 13 août 1933, le Comité national se place « uniquement sur le terrain de la solidarité juive, excluant rigoureusement toutes considérations politiques et toutes organisations dont la tendance aurait pu en être marquée6». Contrairement à ce que laisse à penser le sous-préfet de Brive, ce nouvel organisme ne se définit pas comme sioniste, même si son secrétaire général Raymond-Raoul Lambert nourrit quelque sympathie pour ce courant, mais ses dirigeants, notables israélites français, souhaitent avant tout que leur patrie ne soit pour ces réfugiés qu’un pays de transit et qu’ils poursuivent rapidement leur route vers une autre terre d’asile – pourquoi pas en Palestine ? C’est pour cette raison pragmatique que le Comité national coopère activement avec Hehaloutz7 [« Le Pionnier »]. Initiée en Russie après les pogromes de 1881, cette organisation regroupe différents mouvements de jeunesse sionistes ayant pour objectif d’envoyer de jeunes Juifs en Eretz Israel pour y travailler la terre. Elle se développe dans l’Est et le centre de l’Europe, ainsi qu’aux Pays-Bas et aux États-Unis. En France aussi, il existe des groupements affiliés à Hehaloutz, notamment à Paris, Toulouse et Nancy 8, et en juin 1933, Hehaloutz envoie à Paris un shaliah [émissaire], Fritz Lichtentenstein, afin de mieux les structurer. Le premier congrès du Hehaloutz français se tient du 23 au 25 décembre 1933, en présence de vingt-quatre délégués venus de diverses régions de France et de nombreux invités 9. Il y est décidé qu’« aucun haloutz ne pourra partir en Palestine sans avoir fait la hakhshara 10 » et qu’« aucun certificat ne sera plus délivré aux haloutzim ne sachant pas parler l’hébreu ». Conformément à ses objectifs, Hehaloutz ouvre plusieurs fermes-écoles 11. C’est dans ce contexte que s’inscrit la fondation du kibboutz Machar. Celui-ci est conçu comme temporaire car de son côté, l’Office palestinien s’emploie à obtenir des autorités britanniques les visas nécessaires et les certificats d’immigration. Outre les difficultés liées aux ambivalences de la puissance mandataire concernant le développement de l’immigration juive et des acquisitions foncières en Palestine 12, ses efforts sont parfois ralentis par des dissensions au sein même 14/01/11 20:45 Page 91 de l’Organisation sioniste : Chaïm Weizmann bataille pour fournir des certificats d’immigration à des réfugiés déjà présents en France, alors que l’Agence juive préfère les réserver aux Juifs encore bloqués en Allemagne 13. Le 1 er décembre 1933, le maire de JugealsNazareth 14 signale à son tour au préfet « l’arrivée d’une colonie d’émigrés juifs allemands dans [sa] commune 15 […] où ils séjourneront pendant plusieurs mois ». Il demande qu’on lui envoie « une provision d’imprimés pour établir une vingtaine de demandes de cartes d’identité16 », document indispensable à tous les étrangers de plus de quinze ans souhaitant résider en France plus de deux mois même sans y occuper un emploi salarié, qui doivent en faire la demande dans les huit jours suivant leur arrivée dans le département. Cette carte d’identité des étrangers sans profession est délivrée moyennant un coût – avec parfois possibilité d’exemption – et après enquête. Elle est en général valide trois ans et fait office de permis de séjour 17. Le 26 décembre, le directeur de la Sûreté générale donne l’autorisation d’accorder ce document aux réfugiés allemands de Jugeals-Nazareth, ajoutant cependant : « Mais cette décision ne saurait s’appliquer aux Polonais, aux Autrichiens etc… qui peuvent rentrer librement dans leurs pays d’origine respectifs. Ces derniers devront être invités à quitter notre territoire à l’expiration du visa consulaire dont ils doivent être porteurs. J’ajoute que de toutes façons, je m’opposerai à l’avenir à l’entrée en France de nouveaux étrangers désireux de se rendre à Jugeals-Nazareth 18. » On voit ici, directement, les conséquences du changement survenu à partir de l’été 1933 dans la politique française vis-à-vis des réfugiés d’Allemagne. Ces derniers ont bénéficié d’abord de la bienveillance des autorités ; ceux qui n’ont pas de visa ne sont pas inquiétés, à condition de se signaler à la police dans les vingt jours, de s’engager à obéir aux lois françaises et de s’abstenir de toute activité politique 19. Mais devant le nombre croissant de candidats à l’immigration et la charge financière qu’implique leur accueil – facteurs importants en ces temps de crise économique et sociale, auxquels s’ajoutent tous les a priori à l’encontre des ‘ennemis d’hier’ –, une partie de la classe politique et de l’opinion publique s’émeut : outre le risque que les réfugiés allemands ne soient des « concurrents indésirables de la main d’œuvre nationale », d’aucuns craignent qu’ils ne constituent un danger pour la sécurité nationale, du fait de leur orientation politique de gauche, voire révolutionnaire. Et certains ne les voient que comme des ‘nationaux allemands’, y compris les réfugiés, et même les réfugiés juifs qui pourraient bien être en fait « allemands avant tout 20 ». Le gouvernement décide au bout de quelques mois de recourir à trois stratégies pour que la France cesse d’être un lieu d’asile privilégié. Prioritairement, il s’emploie à ‘internationaliser’ le problème des réfugiés 21. Il envisage en particulier de faire pression sur la Grande-Bretagne pour qu’elle ouvre plus largement les portes de la Palestine, mais décide finalement de ne pas trop insister sur ce point pour ne pas risquer de soulever le problème plus général des mandats au Proche-Orient, et de se tourner plutôt vers le Haut Commissariat pour les réfugiés (israélites ou autres) provenant d’Allemagne, le HCR nouvellement créé. Parallèlement, il durcit sa politique d’accueil. En octobre 1933, le régime libéral des visas cède le pas à une pratique beaucoup plus restrictive, sauf si les demandeurs peuvent prouver qu’ils ont subi des sévices dans l’Allemagne nazie. Le sort des Juifs, qui « ne paraissent pas courir de risques immédiats » selon le consul de France à Cologne, Jean Dobler, ne fait pas l’objet d’un examen spécifique 22. D’autre part, on retient désormais des critères plus stricts pour accorder le statut de réfugié, qui concerne seulement deux catégories : les citoyens allemands et les détenteurs d’un passeport Nansen. Les autres – environ 35%, en particulier des Juifs d’Europe de l’Est, surtout polonais, qui vivaient en Allemagne parfois depuis des générations, mais sans en avoir la citoyenneté – sont considérés dorénavant comme des RETOURS À LA TERRE 08-Grynbergter 13. Cf. Catherine Nicault, La France et le sionisme, 1897-1947. Paris, Calmann-Lévy, 1992, pp. 164-166. 14. La commune de Jugeals-Nazareth compte 107 électeurs en 1929, 117 en 1935. L’issue des élections municipales organisées à ces deux dates aboutit à une très large majorité radicale. En dehors d’un forgeron et d’un maçon, tous les conseillers municipaux sont des cultivateurs. Henri Pradal est réélu maire chaque fois – cf. AD 19, 3M 388 –. Voir aussi Muriel Le Roux, « Aux origines du communisme rural : Jugeals-Nazareth, monographie d’un village de Basse Corrèze (1826-1945)», mémoire de maîtrise soutenu à l’université Paris X - Nanterre en 1984. 15. Ils seraient alors au nombre de seize. 16. AD 19, 4 M 236. 17. Cf. Marcel Livian, Le Régime juridique des étrangers en France, Paris, LGDJ, 1936, pp. 67-89. 18. AD 19, 4M 236. 19. Cf. notamment Vicki Caron, L’Asile incertain. La crise des réfugiés juifs en France, 1933-1942, Paris, Tallandier, 2008, pp. 38-39. 20. Cf. Jacques FouquesDuparc, « Note pour le Ministre », 3 novembre 1933, Archives du ministère des Affaires étrangères – désormais AMAE – (Paris), SDN I E 448, pp. 41-43, cité in V. Caron, op. cit., p. 493, n. 39. 21. Ibid., pp. 60-65. 22. Comme son collègue Pierre Arnal, chargé d’affaires à Berlin, Jean Dobler n’a cessé d’exprimer des réserves vis-à-vis de la politique d’ouverture précédemment adoptée par la France – cf. Anne Grynberg, Les Camps de la honte, Paris, La Découverte, 1991, rééd. coll. de poche 1999, pp. 26-27. 91 08-Grynbergter 14/01/11 20:45 Page 92 Un k i b b o u t z e n C o r rè z e , 1 9 3 3 - 1 9 3 5 par Anne Grynberg Bernard Go* (AD 19, 4M 197) 23. Cf. Jacques Bielinky, « La situation des Ostjuden réfugiés en France », L’Univers israélite, 27 octobre 1933, pp. 186-187. 24. AD 19, 4 M 236. 25. Une mesure de refoulement est une décision préfectorale par laquelle un immigré se voit refuser le droit de séjourner en France – la préfecture étant habilitée à refuser la délivrance ou le renouvellement d’une carte d’identité d’étranger. Celui qui reçoit une feuille bleue de refoulement doit quitter le territoire français dans le délai officiellement imparti – même si celui-ci peut la plupart du temps être prolongé. Un ordre d’expulsion, sous l’autorité du ministère de l’Intérieur, entraîne le départ immédiat de l’étranger concerné et éventuellement sa reconduite à la frontière sous escorte militaire. Le fait de contrevenir à un ordre d’expulsion est passible d’une peine de prison d’un à six mois, sans possibilité de faire appel. Cf. Jean-Charles Bonnet, Les Pouvoirs publics français et l’immigration dans l’entre-deuxguerres, Lyon, PUL, 1976, p.107. 92 immigrants économiques qu’on va jusqu’à soupçonner de se présenter comme des opposants politiques pour en tirer avantage 23. À partir de février 1934, les fréquents contrôles effectués dans la ‘colonie’ de Jugeals-Nazareth montrent que ses membres ne sont pas tous de nationalité allemande et que beaucoup sont en infraction avec la réglementation sur la police des étrangers. « En raison de leur situation tout à fait spéciale, il avait été usé, jusqu’à ce jour, de la plus large indulgence à leur égard », note le sous-préfet le 14 mars 1934 24, mais « C’est une situation qui ne peut plus se prolonger et les avertissements ont été suffisamment nombreux pour que, à mon avis, tout manquement soit désormais relevé conformément à la Loi. Actuellement, la colonie se compose de 55 jeunes gens. 32 sont munis d’un récépissé de carte d’identité d’étranger. Les autres ne possèdent que des passeports périmés ; certains même ne sont détenteurs que de feuilles de refoulement 25. » Suit la liste nominative de ceux qui sont en France depuis plus de deux mois, dont les visas consulaires ont expiré mais qui, bien que prévenus, n’ont pas déposé de demande de carte d’identité et contre lesquels des procès-verbaux ont été dressés le 7 mars. Le souspréfet produit huit noms, auxquels s’ajoutent huit autres, « qui avaient fait l’objet d’une mesure de refoulement et devraient avoir quitté le territoire français, mais leur situation étant, paraît-il, en voie de régularisation, ils n’ont pas été l’objet de procès-verbaux – cela étant, il est possible que leur prolongation ait été refusée mais qu’on ne puisse les refouler vraiment faute de savoir où ils se trouvent, car ils n’ont certainement pas déclaré leur adresse de Jugeals-Nazareth à la préfecture de police de Paris ». « […] Il est juste de reconnaître que jusqu’à ce jour, ils n’ont donné lieu à aucune remarque défavorable et qu’ils entretiennent avec la population des rapports corrects. J’estime cependant que la situation irrégulière dans laquelle se maintient, Salomon Sp* (AD 19, 4M 204) malgré de nombreux avertissements, un grand nombre de ces étrangers ne saurait se prolonger plus longtemps. Ils allèguent, pour se justifier, qu’ils n’ont aucune ressource ; ils vivent en effet pauvrement. Cependant, et malgré tout l’intérêt qu’il est équitable de porter à des proscrits, la loi française ne saurait à mon avis être tenue plus longtemps en échec. Aussi, et à moins d’instructions nouvelles, ai-je invité M. le capitaine de gendarmerie à relever désormais par procèsverbal toute infraction […]. » I Essai de typologie. Quelques portraits Les échanges entre le préfet, le sous-préfet et le maire, ainsi que des lettres envoyées par le Comité national ou par Hehaloutz aux autorités pour plaider la cause d’un jeune menacé de refoulement ou d’expulsion fournissent des informations précieuses sur la biographie de nombreux membres du kibboutz Machar. On peut consulter également aux Archives départementales de la Corrèze le cahier d’écolier sur lequel le secrétaire de mairie a noté scrupuleusement les nom et prénoms, date et lieu de naissance, dates d’arrivée et de départ, ainsi que les documents administratifs en possession de chacun. Enfin, on peut reconnaître certains noms parmi les dossiers individuels d’étrangers présents dans le département qui ont été conservés, par nationalité, et dans lesquels figurent parfois des photographies. Nous sommes par venue à un total de 143 08-Grynbergter 14/01/11 20:45 Page 93 Sura Ajdla Fi* (AD 19, 4M 197) personnes étant passées par le kibboutz Machar, pour une période très variable de quelques jours à plusieurs mois. Parmi elles, 95 sont nées en Allemagne : 80 nationaux allemands, 11 Polonais, 3 apatrides, 1 Autrichien. On compte en outre 23 Polonais nés en Pologne, mais dont plus de la moitié (15) a vécu plusieurs années en Allemagne avant de se réfugier en France ; c’est également le cas de 2 Roumains sur 4, d’un Letton, d’un Lituanien, et même d’un Palestinien, né à Lodz en 1915 et dont les parents, partis quelques années en Palestine avec leurs enfants, ont émigré ensuite en Allemagne. Les autres sont originaires d’Autriche, des Pays-Bas, de Russie, de Tchécoslovaquie, de Turquie… Dans leur grande majorité, ils sont venus seuls ou par fratries, mais quelques-uns ont immigré avec leurs parents. À plusieurs reprises, des adultes viennent encadrer la ferme-école. C’est le cas, brièvement, de Heinrich Herzberg déjà cité et de son épouse Irma, nés respectivement en 1893 et 1901, tous deux de nationalité allemande ; comme le sont aussi Leo Lewin (1886) et son épouse née Alice Hartog (1895), installés avec leur fillette, Ellen 26, sur une petite exploitation agricole toute proche, au Cayre-Blanc, et qui ‘gardent un œil’ sur le kibboutz au nom du Comité national 27. C’est le représentant de Hehaloutz en Europe, David Sealtiel (ou Shaltiel), qui a signé le bail de location de la propriété agricole. Il n’a que trente ans, mais déjà une solide expérience militante. Né le 16 janvier 1903 à Berlin au sein d’une famille d’origine judéo-espagnole, il est parti très jeune s’établir en Palestine où il a travaillé comme ouvrier agricole entre 1923 et 1926, avant de venir en France où il s’est engagé au titre de la Légion étrangère, envoyé en mission au Maroc puis en Algérie où son contrat prend fin en 1931. À partir de cette date, il milite pour l’Organisation sioniste 28. Mais la plupart des pionniers de Jugeals-Nazareth sont jeunes, voire très jeunes : beaucoup – tels les ‘directeurs’ successifs du kibboutz, Heinz Pa* (Berlin, 1911), Joachim Li* (Berlin, 1913), Gotthilf Mozek Br* (Marburg, 1912) et Stefan Au* (Nuremberg, 1911) – sont nés entre 1908 et 1913. Et deux sont âgés de dix-sept ans à peine : Sura Ajdla Fi*, née à Chmielnik en Pologne mais grandie à Berlin29; et Leo Ha*, né à Mannheim, dont le cas particulier préoccupe le sous-préfet pendant des mois : trop jeune pour être autorisé à émigrer en Palestine, il ne peut être refoulé dans aucun autre pays car il est « sans nationalité définie », ce qui le prive en France du statut de réfugié réservé aux Allemands30. Nous n’avons pas retrouvé tous les dossiers individuels de ceux qui ont vécu au kibboutz Machar. Et même ceux que nous avons pu consulter ne comportent pas tous des informations sur la situation socioprofessionnelle de leur famille ni sur leur propre formation. Néanmoins, des constantes apparaissent : une origine urbaine plutôt que rurale, l’appartenance à des milieux aisés ou à la classe moyenne – des parents commerçants, marchands de bestiaux, artisans ou membres de professions libérales –, un niveau de fin d’études secondaires ou même un début de cursus universitaire – on relève ainsi un étudiant en dentisterie, un en médecine et deux en droit. S’agissant de leurs options idéologiques et de leur engagement politique, les mentions figurant dans ces dossiers sont, au mieux, laconiques. Novita El*, jeune Juive allemande née à Francfort en 1912, « faisait partie d’une organisation socialiste et a dû fuir à l’étranger 31». Ludwig Go*, né en 1908 à Nierstein, lui aussi de nationalité allemande, a été « blessé par les nazis pendant le régime républicain. Il a dû fuir ses agresseurs qui se sont vengés sur lui en le menaçant et il a été obligé de se sauver à l’étranger en août 193332 ». Son frère Arthur, d’un an son cadet, a lui aussi été « molesté par les nazis le 6 mars 1933 à Nierstein 33 ». Alice Lewin, déjà mentionnée, est présentée comme une « amie de la France, venue rejoindre son mari qui avait dû quitter l’Allemagne sous le régime naziste [sic] 34 ». La toute jeune Sura Ajdla Fi* « a dû quitter l’Allemagne parce 26. En 1998, grâce à l’ancien maire de Jugeals-Nazareth M. Elie Dupuy, nous avons fait la connaissance d’Ellen Lewin, devenue Ellen Crew qui, vivant à Londres, était revenue visiter les lieux de son enfance. Celle-ci a réussi à persuader les autorités municipales et le propriétaire de la ferme d’accepter que fût apposée une plaque, le 9 avril 2000 : « En souvenir du kibboutz Machar, ferme-école des pionniers d’Israël, 19331935 ». L’ensemble immobilier est actuellement à vendre, la plaque sera-t-elle maintenue en place par les nouveaux acquéreurs ? 27. Dossiers nominatifs des Lewin, AD 19, 4 M 151. 28. En 1935, David Sealtiel devient émissaire de la Hagana pour l’achat d’armes en Europe, à destination de la Palestine juive. Arrêté par la Gestapo, il est interné pendant deux ans à Dachau puis à Buchenwald, avant de réussir à s’évader et de repartir en Palestine où il participe très activement à la lutte pour la création de l’État juif. À la Libération, il est le premier délégué du Yishuv à Paris. Entre 1950 et 1952, il est attaché militaire d’Israël en France, avant d’entamer une carrière diplomatique. Il décède en 1969. Cf. Jacquel [Jacques Lazarus], « L’étonnant destin du légionnaire David Shaltiel », Information juive, nouvelle série, n°177, avril-mai 1998. 29. Dossier nominatif, 4 M 197. 30. Les lettres des 17 octobre et 6 novembre 1934, 18 et 30 janvier 1935 en témoignent. AD 19, 4 M 236. 31. AD 19, 4 M 151. 32. Ibid. 33. Ibid. 34. Ibid. 93 08-Grynbergter 14/01/11 20:45 Page 94 Un k i b b o u t z e n C o r rè z e , 1 9 3 3 - 1 9 3 5 par Anne Grynberg Carte d’identité de travailleur étranger d’Abraham Sc* (AD 19, 4 M 204) Et sur tous les formulaires de demande de carte d’identité d’étranger, le maire Henri Pradal note : « Conduite : bonne. Moralité : bonne. » I 35. AD 19, 4 M 197. 36. AD 19, 4 M 151. 37. Ibid. 38. AD 19, 4 M 200. 39. AD 19, 4 M 204. 40. Le 29 août 1998, nous avons rencontré, avec Ellen Crew-Lewin, un petit groupe d’octogénaires de JugealsNazareth ayant connu les habitants du kibboutz Machar : M. Léon Delsol se souvenait précisément de son étonnement – et de son attirance – pour ces jeunes filles « dynamiques » qui « travaillaient comme des hommes ». M. Pierre Estivie, dont les parents avaient pendant plusieurs mois hébergé un réfugié allemand « sans doute non juif », Otto Ro*, avait également des souvenirs d’échanges conviviaux, notamment autour du lavage des poireaux dans la rivière, avant leur mise en vente sur le marché de Brive. 41. Consultables à la BNF sous la cote 86 486, ces articles sont accompagnés de quatre photographies – dont la qualité médiocre ne permet malheureusement pas la reproduction – et par des dessins illustrant la vie quotidienne. Voir aussi Pascal Plas, « Pierre Poitevin, journaliste d’investigation : trois enquêtes en Limousin – L’inconnu de Beynat, Les mutineries de La Courtine, Des Juifs allemands en Corrèze », Histoire & mémoires. Conflits contemporains Limousin, Berry, Périgord, Charentes, n°1, 2008, pp. 11-45. 94 qu’elle était membre d’une association républicaine35 ». Il arrive aussi que des courriers adressés à la préfecture par les intéressés eux-mêmes figurent dans des dossiers. Ainsi Gunther Go*, né en 1910 à Brumerhaven, demande-t-il à « résider en France pendant les quelques mois qui me sont utiles pour acquérir quelques notions de pratique agricole en vue de mon émigration en Palestine. J’ai été relégué dans un camp de concentration par les nazis pendant dix-huit mois. J’ai dû interrompre mes études de médecine. Je fais appel à l’hospitalité et à la générosité de la France36. » D’autres, tels Wilhelmine Sc*37 – née en 1914 à Munich – , Joseph Kr*38 ou Abraham Sc*39 – tous deux Polonais nés en Allemagne – , expliquent qu’ils sont sionistes et veulent partir en Palestine mais qu’étant juifs, ils n’ont pas réussi à trouver en Allemagne un fermier qui accepte de les accueillir et de les former à l’agriculture – ce qu’ils souhaitent maintenant pouvoir faire en France –. Dans un premier temps au moins, la population locale paraît bien moins inquiète que le sous-préfet de Brive. Les kibboutznikim se lient parfois d’amitié avec les jeunes du village, qu’ils côtoient dans leurs activités agricoles et également lors des bals de fin de semaine. Certes, le problème de la langue limite les conversations, l’aspect « déluré » des « filles en short40 » ne correspond pas vraiment aux traditions corréziennes des années trente, mais les relations sont plutôt bonnes. Empathie d’un journaliste… Un journaliste s’intéresse bientôt au kibboutz corrézien. Venu dans la région pour couvrir un tout autre sujet, Pierre Poitevin publie dans trois numéros successifs du journal Le Limousin de Paris, entre le 25 février et le 18 mars 1934, une série d’articles pleins d’empathie intitulée : « France, terre hospitalière. Des juifs allemands vont coloniser Nazareth… en Corrèze 41». Avec un lyrisme assez noir, il dépeint d’abord le village comme un « hameau bâti sur une crête chauve entourée de champs de cailloux […], un bourg de plus en plus désert » aux « maisons moyenâgeuses […], masures sinistres et hantées […] dont les ouvertures béent et servent de refuge à des milliers de chauves-souris ». C’est pourtant là que retentissent « des éclats de voix et des rires joyeux », ceux de jeunes réfugiés allemands « dans des accoutrements de scouts et de bohémiens », récemment installés dans une ferme. « […] Les exilés de Nazareth n’appartiennent à aucun parti politique […]. Obligés de se détourner des professions libérales et commerciales auxquelles ils se destinaient, les jeunes juifs allemands, chassés par Hitler, ne veulent pas prendre la place des Français dans ces mêmes carrières. Ils doivent donc forcément se diriger vers le travail manuel en attendant de regarder vers le pays de leurs ancêtres […] pour y créer des foyers, se vouer à la patrie juive, […] être les créateurs de la Palestine nouvelle ». P. Poitevin décrit la vie quotidienne de ces jeunes – une quarantaine, dont huit filles, âgés de seize à vingthuit ans – dans des conditions matérielles très sommaires : « Ils ont dû, au début de leur séjour à Nazareth, 14/01/11 20:45 Page 95 coucher pêle-mêle sans lits et sans matelas. Les femmes, logées dans une chambre mitoyenne à celle des jeunes gens, se blottissaient les unes contre les autres et se couvraient avec les mêmes couvertures ; elles dormaient sur la paille comme leurs compagnons. […] La vieille bâtisse délabrée menace ruine. Une partie de la toiture est effondrée. […] Ici, dans cette maison, presque un taudis, tout n’est encore que désordre et malpropreté. […] Nous voici dans la cuisine. Jeunes filles et jeunes gens épluchent des légumes. […] Dans un chaudron, un cuisinier de 18 ans tourne avec une cuiller, pour les empêcher de cramer, des nouilles cuites à l’eau. Passons au réfectoire, c’est la seule pièce repeinte. Elle est à peu près habitable. Un apprenti cordonnier répare un soulier de femme. À côté de lui, un étudiant tape à la machine à écrire […]. Plusieurs projets leur tiennent à cœur : bâtir une maison et des étables, créer une école de jardinage, construire des serres, planter des fruitiers et en attendant, réparer le vieux bâti. » Mais le 17 mai 1934 puis de nouveau le 31 juillet, dans deux courriers envoyés au ministère des Affaires étrangères, le consul Jean Dobler accuse Hehaloutz d’avoir travesti la réalité en présentant tous ces jeunes comme des élèves agriculteurs afin de les faire admettre plus facilement sur le sol français 42. Déjà très réservés sur ces projets de centres agricoles, dont ils craignent qu’ils ne suscitent l’antisémitisme en milieu rural, Robert de Rothschild et Jacques Helbronner, principaux dirigeants du Comité national, sont furieux de se voir soupçonnés d’avoir participé à une telle supercherie, alors que le légalisme est pour eux primordial 43. Ils commencent à prendre leurs distances avec les kibboutzim de Hehaloutz. I … acharnement d’un sous-préfet Les documents conservés aux Archives départementales de la Corrèze montrent aussi que les brigades de gendarmerie de Brive se rendent plusieurs fois par semaine au kibboutz Machar « pour des vérifications ou des notifications diverses ». Cela constitue d’ailleurs, souligne le sous-préfet, « un service particulièrement lourd en raison de la distance et de la fréquence des tournées imposées par les circonstances ». Le 23 octobre 1934, il écrit une nouvelle fois au préfet pour lui rendre compte d’une visite effectuée avec le maire de Jugeals-Nazareth à « la colonie allemande […] afin de [se] rendre compte par [lui-même] de la situation des jeunes israélites au regard des lois réglant le séjour des étrangers en France ». « J’ai pu faire à cette occasion diverses constatations dont je crois indispensable de vous faire part sans retard, car elles révèlent des irrégularités qu’il importe de redresser d’urgence afin d’assurer un contrôle plus efficace de ces étrangers et le respect par eux des lois françaises. […] Ils ont été, à maintes reprises, invités au respect des obligations qui leur incombaient 44. » Il signale la difficulté de « contrôler la colonie », du fait du changement fréquent de direction ; des déplacements des jeunes qui « se rendent souvent soit à Paris au siège central de leur organisation […], soit dans les colonies agricoles similaires situées dans le Lot, aux environs de Toulouse, ou à Joué-les-Tours (Indre-etLoire), soit enfin – ce qui est plus grave – à l’étranger : c’est là un point que je crois devoir vous signaler tout particulièrement car ces allées et venues hors de nos frontières ne paraissent pas motivées par les nécessités de l’instruction agricole qu’ils poursuivent à Jugeals en vue de leur départ éventuel pour la Palestine et pourraient être provoquées par des raisons susceptibles de mettre en cause notre sécurité nationale. » Il omet de préciser que si Kurt Kl* est en effet reparti dans sa ville natale de Karlsruhe pour quelques jours, c’était pour voir son père mourant 45. Dans ce même rapport, Dutruch rappelle encore que de nombreux membres du kibboutz Machar « ne sont pas encore munis, à leur arrivée dans notre département, des pièces dont tout étranger devant se fixer en France doit être légalement détenteur ». De plus, RETOURS À LA TERRE 08-Grynbergter 42. AMAE Z 711, pp. 210-216, 228-230. 43. Cf. lettre de Robert de Rothschild à David Sealtiel, 4 juin 1934, Archives de l’American Jewish Joint Distribution Committee – désormais AJDC– (New York), n°601. L’affaire est évoquée in V. Caron, op. cit., pp. 223-225. 44. Rapport du 14 juin 1934, AD 19, 4 M 236. 45. Cf. lettre de Stefan Au* au préfet de la Corrèze, 20 novembre 1934, ibid.. Au* essaie d’y plaider la cause de Kurt Kl*, frappé d’une mesure de refoulement. 95 08-Grynbergter 14/01/11 20:45 Page 96 Un k i b b o u t z e n C o r rè z e , 1 9 3 3 - 1 9 3 5 par Anne Grynberg 46. Léonce Bernheim est également conseiller général de la Marne. 47. Conformément à la législation sur les archives, nous n’avons pas été autorisée à consulter les registres d’état civil conservés à la mairie de Jugeals-Nazareth, mais le maire, M. Antoine Lamagat, a demandé à une employée de relever à notre intention les mariages contractés entre les membres du kibboutz Machar. L’identité des nouveaux conjoints n’y figure pas, mais seulement leurs lieux de naissance ainsi que la profession de leurs parents. Nous avons pu ainsi identifier certains couples. Huit mariages ont été célébrés en 1934, trois en 1935. Les villageois que nous avons rencontrés se souvenaient de la huppa, qui les avait étonnés. On racontait qu’il s’agissait le plus souvent de mariages blancs destinés à faciliter le départ en Palestine, mais rien n’est avéré sur cette question et il apparaît bien que plusieurs unions, au moins, aient été de ‘vrais mariages’. 48. Cf. V. Caron, op. cit., p. 517, n.10. 49. Ibid., p. 77. 96 certains sont apatrides et le règlement de leur situation administrative est extrêmement complexe. Plusieurs se sont vu d’ailleurs frapper d’une mesure de refoulement exécutoire dans un délai assez court… qu’ils n’ont pas respecté dans la plupart des cas. « Ils allèguent, pour se justifier, qu’ils attendent de la part du gouvernement anglais l’autorisation de se rendre en Palestine ; mais rien ne prouve qu’ils ont fait dans ce but toutes diligences et que cette raison ne sert pas de prétexte à une prolongation de leur séjour en France, au mépris des injonctions qui leur sont adressées. Ces manquements répétés au respect des lois françaises ne sauraient être – à mon avis – plus longtemps tolérés car, si on ne réagit pas, ils s’érigeront en habitudes. Je vous proposerai donc de vous demander dorénavant de prendre un arrêté d’expulsion contre ceux qui auront négligé d’obéir à un ordre de refoulement […]. Cette mesure permettra d’exercer à l’égard de l’étranger des poursuites judiciaires s’il est trouvé en infraction à cet arrêté d’expulsion alors qu’un simple ordre de départ ne donne aux services de police aucun moyen de prendre une mesure de coercition visà-vis de lui. […] Je profiterai également de cette occasion pour prier M. le maire de Jugeals de signaler sans délai à la gendarmerie tous les étrangers qui se présenteraient à lui sans pièce d’identité ou avec des pièces irrégulières […]. » Le sous-préfet use d’un autre argument en mettant l’accent sur les conditions précaires dans lesquelles vivent les kibboutznikim de Jugeals-Nazareth, ce qui comporte des risques pour leur santé et celle des villageois d’alentour. Il signale ainsi plusieurs cas de gale et propose qu’un médecin soit envoyé sur place. Le préfet relaie cette demande le 29 octobre dans une lettre envoyée à l’inspecteur départemental des services d’hygiène à Tulle, qu’il prie de bien vouloir donner « des conseils d’hygiène aux jeunes gens qui peuplent cette colonie ». Hasard du calendrier ? Le lendemain, huit jeunes ‘colons’ déjà frappés d’une mesure de refoulement à laquelle ils n’ont pas obéi se voient signifier leur expulsion immédiate du territoire français. « Je m’explique mal les raisons [de cette expulsion] car ils n’ont aucune activité politique et ils ne sont pas des travailleurs qui risquent d’encombrer le marché du travail français puisque leur séjour en France est tout provisoire, plaide Me Léonce Bernheim, président de la section française de Hehaloutz 46 , dans une lettre envoyée à la direction de la Sûreté nationale. […] Ils ont d’ores et déjà le certificat nécessaire à l’immigration en Palestine où ils doivent partir dans deux ou trois semaines, mais dont ils perdraient le bénéfice s’ils étaient refoulés. » Quelques jours plus tard, le 3 novembre 1934, Stefan Au* tente d’intervenir auprès de la préfecture en faveur de Klare Ja*, à laquelle son refoulement a été notifié par la gendarmerie nationale de Brive le 31 octobre alors qu’elle doit se marier très prochainement avec Herbert Ka* (lequel est également sous le coup d’une mesure de refoulement sous quinze jours). Il demande que lui soit accordé le sursis nécessaire au mariage 47, après quoi le jeune couple partira en Palestine, les autorisations étant déjà acquises. L’accord est signifié le 6 novembre, soit le jour même où le ministère de l’Intérieur donne l’instruction d’expulser dans les plus brefs délais les étrangers dont les visas ont expiré ou dont les papiers ne sont pas en règle 48. Et deux jours plus tard, la démission de Paul Doumergue entraîne la constitution d’un gouvernement nettement plus conservateur sous la direction de Pierre-Étienne Flandin. Dès les premières semaines, on assiste à un durcissement encore accru de la politique d’immigration et, plus largement, du contrôle sur les étrangers déjà présents sur le sol français. Flandin nomme comme ministre de l’Intérieur Adrien Marquet, « un protectionniste fanatique et partisan de la conception selon laquelle il suffisait d’éliminer les travailleurs immigrés pour sortir de la dépression 49 ». Dans le même temps, il crée une commission interministérielle (Affaires 14/01/11 20:45 Page 97 étrangères, Intérieur, Agriculture, Travail) placée sous la direction du chef du Parti radical Édouard Herriot – maire de Lyon et ministre d’État –, dont la mission est d’assurer la protection de la main d’œuvre française et, pour ce faire, de réviser le statut des travailleurs immigrés en France 50. Le 20 novembre, se tient une réunion du conseil des ministres au cours de laquelle la Commission Herriot présente ses propositions, immédiatement acceptées et rendues publiques par un communiqué : unifier les services de la main d’œuvre agricole et industrielle ; assurer une surveillance plus étroite des frontières ; réduire, par une application plus rigoureuse de la loi du 10 août 1932, le nombre des étrangers employés dans le commerce, l’industrie et l’agriculture 51. Dans la foulée, le gouvernement dépose un projet de loi sur l’aggravation des peines en cas d’infraction à un arrêté d’expulsion : un à cinq ans de prison au lieu de un à six mois ; et la relégation pour l’étranger qui serait resté sur le sol français après deux condamnations 52. À partir du 24 novembre et pendant quatre jours, la police parisienne procède à une série de contrôles dans les quartiers à forte population immigrée : 400 étrangers en situation irrégulière sont arrêtés, bientôt frappés de mesures de rapatriement, de refoulement ou d’expulsion 53. Quant à ceux qui ont déjà obtenu une carte d’identité d’étranger à durée limitée, ils ne peuvent la faire prolonger que s’ils résident en France depuis au moins deux ans – alors que, dans le même temps, on ne délivre plus que des cartes valables onze mois 54. Cette évolution législative galvanise le sous-préfet Dutruch qui, le 26 novembre 1934, transmet au préfet de la Corrèze un procès-verbal de gendarmerie « faisant connaître qu’Erich Da*, israélite allemand, se trouve encore à la colonie agricole de Jugeals-Nazareth alors qu’il aurait dû avoir quitté la France depuis le 17 courant ». « J’estime que cette situation ne peut plus se prolonger sans compromettre gravement le prestige que doit conserver l’autorité française à l’égard des étrangers qui doivent, en échange de l’hospitalité que leur offre libéralement notre pays, respecter scrupuleusement les lois qui le régissent. Tel n’est malheureusement pas le cas à Jugeals-Nazareth où presque constamment l’on enregistre une méconnaissance systématique, sinon le mépris absolu des prescriptions gouvernementales, précisément à un moment où il convient d’exercer à l’égard des étrangers résidant dans notre pays une surveillance particulièrement stricte et vigilante. » Et il propose l’expulsion immédiate d’Erich Da*, qui « serait d’un salutaire exemple 55». Excédé par ce jeu du chat et de la souris – auquel, de fait, les membres du kibboutz Machar se plaisent à jouer, partant pour quelques jours dans une autre ferme-école pour mieux en revenir, éventuellement sous une identité à peine différente que l’employé de mairie ne repère pas –, le sous-préfet va trouver un soutien efficace dans le journal L’Écho de Paris, qui lance une véritable campagne de dénigrement contre les jeunes réfugiés. I « Que font ces Allemands tout près du tunnel ? » Fondé en 1884, ce quotidien est l’un des principaux organes de presse du Bloc national après 1919, date à laquelle il connaît ses meilleurs tirages (300 000), avant de les voir régulièrement diminuer (200 000 en 1929, 100 000 en 1937). Son directeur à l’époque qui nous intéresse ici, Henry Simond, le définit ainsi : « un quotidien dont le lecteur est prêtre, père ou frère de prêtre, et la lectrice une dame en deuil qui a son fils à Saint-Cyr 56 ». « L’Écho de Paris, catholique, conservateur, proche des milieux militaires, antiparlementaire, haineux envers le communisme, l’internationalisme, reste un journal de signatures, bien écrit et d’un bon niveau intellectuel, note cependant Frédérique Olivier 57». Y écrivent notamment Henri de Kerillis, Pertinax, Louis Marin, Raymond Cartier, François Mauriac, Jean-Jacques Gautier, ainsi que les frères Tharaud. La grille d’analyse proposée par F. Olivier RETOURS À LA TERRE 08-Grynbergter 50. J.-C. Bonnet, op. cit., pp. 287-289, cite E. Herriot in Jadis, vol. 2, pp. 486-487, qui définit cette commission comme une sorte de « conseil de guerre » chargé de lutter contre le chômage. 51. Ibid., p. 289. 52. Ibid., p. 291, n. 85. 53. Cf. V. Caron, op. cit., p. 517 n.12. 54. Cf. J.-C. Bonnet, op. cit., pp. 292-293. 55. AD 19, 4 M 236. 56. Cf. Yves Courrière, Pierre Lazareff ou le vagabond de l’actualité, Paris, Gallimard /NRF, 1995, cité in L’Express du 1er avril 1995. 57. Frédérique Olivier, «L’Écho de Paris et les étrangers, 1921-1931. Un quotidien conservateur face au développement de l’immigration », Revue européenne de migrations internationales, vol. 10, n°10-2, 1994, pp. 187-200 – ici p. 188. 97 08-Grynbergter 14/01/11 20:45 Page 98 Un k i b b o u t z e n C o r rè z e , 1 9 3 3 - 1 9 3 5 par Anne Grynberg 58. Ibid., p. 198. 59. L’Écho de Paris est consultable en ligne sur le site gallica.bnf.fr. 60. Cf. « Une étrange colonie allemande des environs de Toulouse », L’Écho de Paris, 25 novembre 1934, p. 1 : « On pouvait les apercevoir [ces jeunes gens et ces jeunes femmes] dans la journée, sommairement vêtus, se livrant à des exercices de plein air, cependant qu’à la nuit tombée retentissaient des chants étranges, exécutés dans le pur allemand. » Il s’agit de la fermeécole de Freycinet, située à Plaisance du Touch près de Toulouse. 61. Ce texte est publié dans L’Écho de Paris le 7 décembre 1934. 98 semble parfaitement adaptée au cas de la « colonie agricole » de Jugeals-Nazareth : au fil des numéros, L’Écho de Paris développe une ‘typologie’ stéréotypée et caricaturale des immigrés, en fonction de leur appartenance à la chrétienté européenne, de leur qualité d’amis ou d’ennemis de la France héritée du premier conflit mondial, ainsi que de leurs options idéologiques et politiques, réelles ou supposées. Les Juifs allemands, soupçonnés de manière confuse et globalisante d’être favorables à l’internationalisme d’extrême gauche, sont particulièrement vilipendés. Et le recours à des étrangers pour le travail agricole, même s’il s’avère indispensable dans certaines régions, est ressenti comme un véritable crève-cœur dans la mesure où la rédaction du journal voue à la terre une profonde « vénération nationaliste 58 ». Le premier article sur le kibboutz Machar paraît le 2 décembre 1934 59, sous le titre : « Que font ces Allemands tout près du tunnel ? ». « Nous avons signalé l’existence d’une colonie d’Allemands installée près de Toulouse 60, colonie qui vient enfin d’être dispersée. Mais il en existe encore d’autres, dont la présence préoccupe l’opinion. Entre Brive et Turenne, au village de Nazareth au nom prédestiné pour une colonie juive, sont installés une centaine d’Allemands, hommes et femmes, vivant dans la promiscuité la plus complète. Ce sont presque tous des pharmaciens, médecins, avocats, notaires, ingénieurs. Ils passent leur temps à explorer le pays, à faire des photos et des dessins. Pendant quelques heures ils font des exercices soi-disant de culture physique commandés par un des leurs. Quelquesuns se placent chez des paysans des environs et travaillent mais, comme ils reçoivent de l’argent de Paris tous les mois, et en bonne quantité, ils aiment mieux vivre en rentiers. Remarque importante : Nazareth est exactement au-dessus du tunnel Paris-Toulouse par Capdenac et à quelques kilomètres de la ligne Paris-Toulouse par Montauban. On voudrait savoir pourquoi ces Allemands ont choisi cet endroit plutôt qu’un autre. Peut-être le service des Renseignements voudra-t-il s’en informer ? » Léonce Bernheim a beau riposter en certifiant que « les jeunes gens qui se trouvent là s’adonnent exclusivement à l’agriculture, mènent une vie parfaitement propre et modeste […] et font tout leur possible pour hâter le moment où ils auront l’aptitude voulue pour recevoir un certificat d’immigration en Palestine », il a beau assurer qu’« il va sans dire qu’ils ne sont ni des êtres immoraux, ni des parasites, ni des agents hitlériens d’espionnage, et [que] la dure existence de travail physique, si nouvelle pour eux, à laquelle ils se vouent, leur devrait être un titre à l’estime de tous 61», le préfet de la Corrèze saisit la direction de la Sûreté nationale « d’une proposition ferme de dispersion de la colonie allemande installée à Jugeals-Nazareth ». Reprenant les termes mêmes du sous-préfet, il invoque « le prestige de l’autorité » mis à mal par le non respect de la législation sur l’immigration et, surtout, des motivations qui touchent à la sécurité nationale : « […] Il est établi que le centre agricole de Jugeals-Nazareth fonctionne aujourd’hui dans des conditions moins satisfaisantes que par le passé, et cela se conçoit puisque les colons sont tous des intellectuels non familiarisés avec les choses de la terre et peu enclins à supporter ou à faire les efforts pénibles que réclame la culture. Un certain nombre de ces colons préfèrent évidemment ‘sillonner’ journellement les routes du département, c’est moins pénible, c’est plus agréable, certes, mais c’est peut-être plus dangereux pour la sécurité nationale, car il convient d’observer que le département de la Corrèze recèle une manufacture nationale d’armes, un nœud ferroviaire extrêmement important comme Brive, de nombreux tunnels dont un est à un kilomètre à peine de Jugeals et dont la destruction entraînerait la suppression totale du trafic de la grande ligne Paris-Toulouse, de nombreuses usines hydro-électriques en fonctionnement ou en construction, bref des 14/01/11 20:45 Page 99 rouages essentiels de défense nationale. L’opinion s’émeut donc de rencontrer fréquemment sur les routes corréziennes ces étrangers aux allures plus ou moins équivoques qui n’hésitent pas à héler les automobilistes pour se déplacer 62. […]» Alors que les relations avaient jusqu’alors été cordiales, des rumeurs commencent à circuler parmi les villageois. Pourquoi ces jeunes réfugiés parcourent-ils la campagne avec des appareils photographiques – encore rares dans la région – ? Que veulent-ils ainsi repérer ? À qui transmettent-ils ces clichés ? Par ailleurs, quels sont les signes bizarres – en fait, des lettres hébraïques – qu’ils tracent sur les portes des bâtiments, pourrait-il s’agir d’un code ? L’ombre de la ‘cinquième colonne’ plane sur la Corrèze… Dans les milieux catholiques, certains s’indignent de constater que les kibboutznikim chôment le samedi et travaillent le dimanche, dans des tenues « débraillées », et un prêtre des environs va jusqu’à fustiger en chaire, lors d’une messe dominicale, cet « attentat à la pudeur 63 ». Le 29 décembre 1934, la Sûreté nationale ordonne une enquête que le sous-préfet Dutruch va s’appliquer à mener avec diligence. Il signale dans un rapport du 30 janvier 1935 qu’il a fait procéder par la gendarmerie à un « recensement général » des « étrangers composant la colonie israélite de Jugeals-Nazareth […] dans le but de pouvoir faire assurer une surveillance plus efficace ». L’effectif actuel est de 48 personnes dont 9 seulement étaient déjà là lors du ‘recensement’ d’avril 1934. « Ainsi, en dix mois, la population s’est presque intégralement renouvelée, montrant par là les mutations incessantes qui s’y produisent, non pas tant vers la Palestine que d’un centre vers un autre ou vers Paris. Cette situation rend difficile, et souvent précaire, la surveillance exercée à l’égard de ces étrangers. […] Douze ne peuvent, d’après leur propre déclaration, se réclamer de la qualité de réfugié politique. Plusieurs proviennent d’ailleurs de pays très divers […] et n’ont jamais séjourné en Allemagne ; ils seraient venus direc- tement à Jugeals pour apprendre la culture. Cet état de choses nouveau me paraît devoir être tout particulièrement signalé. En effet, jusqu’à ce jour, la colonie était destinée à accueillir les réfugiés juifs victimes de l’antisémitisme qui sévit en Allemagne. Aussi, tout en assurant le respect des lois françaises, a-t-il été usé à leur égard d’une bienveillance que semblait justifier leur situation difficile. Aujourd’hui, il n’en est plus ainsi puisque ce centre reçoit des étrangers qui n’ont nullement souffert des agissements du gouvernement hitlérien car ils proviennent de toutes les parties du monde. Il semble donc qu’à l’égard de ces derniers, le droit commun doit être intégralement appliqué et que dans ces conditions, les étrangers qui ne réalisent pas la qualité de réfugiés politiques devraient ne pas être autorisés à séjourner en France s’ils n’y sont pas entrés dans des conditions tout à fait régulières. Il est à craindre en effet que si l’on ne réagit pas contre la tendance qui se dessine, la colonie de Jugeals n’en vienne à accueillir un nombre important d’étrangers de nationalités diverses dont il serait difficile de déterminer les antécédents et de surveiller la conduite, étant confondus parmi beaucoup d’autres dans un centre assez fermé et où le contrôle reste, de ce fait, assez malaisé. » Et de rappeler une fois de plus le cas des huit jeunes gens qui sont en situation irrégulière depuis plusieurs semaines car ils n’ont pas déféré aux ordres de départ qui leur ont été signifiés. À la lecture de ce courrier, le préfet « insiste vivement pour que la mesure de dispersion de la colonie allemande de Jugeals-Nazareth […] soit prise dans le plus court délai possible ». Les jours du kibboutz Machar semblent comptés, même si certains tentent par différents moyens de s’opposer à sa dissolution. RETOURS À LA TERRE 08-Grynbergter 62. Lettre du 12 décembre 1934, AD 19, 4 M 236. 63. Cf. Jugeals-Nazareth d’hier à aujourd’hui, Brive, Amicale laïque de la Corrèze, 1996, pp. 60-61. 99 08-Grynbergter 14/01/11 20:45 Page 100 Un k i b b o u t z e n C o r rè z e , 1 9 3 3 - 1 9 3 5 par Anne Grynberg I 64. Henry de Jouvenel des Ursins (1876-octobre 1935) se consacre d’abord au journalisme – au quotidien Le Matin – avant d’entamer une carrière politique et diplomatique. Sénateur de la Corrèze à partir de 1921, il est haut commissaire de la République française en Syrie et au Liban (19251926), puis ambassadeur de France à Rome (1932-1933), et entre en 1934 dans le deuxième gouvernement Daladier comme ministre de la France d’outre-mer. Cf. Dictionnaire des parlementaires français, 1899-1940, Paris, PUF, 1970, vol. VI, pp. 2039-2041 ; Christine Manigand, Henry de Jouvenel, Limoges, PULIM, 2000. L’inventaire du fonds Henry de Jouvenel, désormais classé, est en cours de publication aux Archives départementales de la Corrèze ; il concerne surtout les affaires libanaises et syriennes. 65. AMAE, SDN I M 1819, p. 27. Pour le discours de Jouvenel devant le Sénat, le 15 février 1935, ibid.. pp. 54-67. Voir aussi « Le statut des étrangers et des réfugiés », L’Univers israélite, 15 février 1935, p. 355. 66. Cf. V. Caron, op. cit., p. 521. 67. AD 19, 4 M 236. 100 Allumer des contre-feux ? Dans le numéro daté de janvier-février 1935, Les Cahiers juifs publient un long article sur « Les kibboutzim en France », dans lequel ils soulignent les « efforts intensifs » de Hehaloutz pour « faire des jeunes réfugiés d’Allemagne des jardiniers et des agriculteurs, et pour leur apprendre l’hébreu ». « Les résultats obtenus en une année et demie d’existence dans ces kibboutzim peuvent sans exagération être qualifiés d’excellents. Si l’on considère qu’il s’agit ici en général de jeunes gens qui se destinaient au commerce, à la médecine, d’avocats, d’architectes, d’ingénieurs etc., qu’ils ont été d’un seul coup placés dans un champ d’activité absolument nouveau et cela en pays étranger, qu’il leur faut vivre dans des conditions souvent extrêmement primitives, on ne peut leur refuser un éloge : c’est d’avoir su parfaitement s’adapter (presque dans la proportion de 100%) à ce mode de vie si nouveau pour eux, et de l’avoir fait avec un véritable enthousiasme surgi d’un sentiment profond tout en donnant pleine satisfaction aux cultivateurs qui les occupent. Ce qui a été réalisé dans ces kibboutzim peut être considéré comme presque parfait. Nous les avons visités un à un, y séjournant pendant plusieurs semaines afin de les étudier à fond, observer les jeunes gens pendant leur travail et en dehors de leur travail, nous entretenant avec eux de leurs idées et de leurs projets. Nous n’avons pas négligé non plus d’aller causer avec les habitants du pays, leurs voisins […]. Tous sans exception se félicitent du travail de ces jeunes gens […] et de leur façon de se consacrer entièrement à leur nouvelle situation. […] » Mais, le 23 février 1935, le ministère de l’Intérieur donne au préfet la consigne d’« informer la direction de la colonie que pour des motifs impériaux (qui n’ont pas à être indiqués), il a été décidé de supprimer cette formation dont la dissolution devra être réalisée entièrement dans un délai d’un mois à dater du 1er mars ». Une mesure de refoulement est prise contre ceux qui ne sont pas de nationalité allemande et « ne peuvent se prétendre réfugiés politiques » ; s’ils n’ont pas déféré à cette décision dans les quinze jours, ils feront l’objet d’un arrêté d’expulsion immédiatement exécutoire. Les réfugiés de nationalité allemande devront avoir quitté la colonie fin mars et indiquer par écrit l’école pratique dans laquelle ils se rendront en quittant Jugeals, ainsi que la date de leur départ en Palestine, qui devra obligatoirement avoir lieu au cours de l’année 1935. Un nouveau soutien se manifeste alors en faveur du kibboutz Machar : celui de Henri de Jouvenel 64, président de la commission des affaires étrangères du Sénat – laquelle vient d’adopter, au début de 1935, une résolution condamnant la politique gouvernementale relative aux réfugiés et appelant à davantage d’humanité 65. Au début de mars 1935, Jouvenel est élu président du nouveau Centre d’études du problème des étrangers en France chargé de « concevoir une politique d’immigration plus humaine et plus rationnelle 66 ». Autour de lui : William Oualid, Adolphe Landry, René Martial, Georges Mauco, Georges Duhamel. Jouvenel prend l’initiative de téléphoner au préfet de la Corrèze pour lui demander de surseoir à sa décision et il réitère dans un courrier envoyé le 13 mars 1935, sur papier en-tête du Sénat : « [...]Vous avez parfaitement raison de considérer cette affaire de votre point de vue départemental. Moi, je la considère d’un point de vue national et je voudrais que nous ayons enfin une politique à l’égard des étrangers parce que nous avons ouvert nos frontières à trois millions d’hommes sans savoir exactement ce que nous en ferions. Aujourd’hui, après avoir tout ouvert, nous fermons tout. Or, cela ne résout pas la question. Vous touchez par exemple à la question des apatrides ; il est parfaitement vain de refouler des gens qui ne peuvent aller nulle part et que tous les autres pays refoulent sur nous puisqu’ils n’appartiennent à aucun 67. » 14/01/11 20:45 Page 101 Le même jour, il envoie une lettre à Édouard Herriot et émet diverses suggestions : « créer à la direction de ces colonies des devoirs, des obligations, la forcer à avoir, à entretenir et à communiquer constamment des états de contrôle, à signaler d’avance les déplacements de ses membres, à demander des autorisations pour leurs projets de voyages à l’étranger »; essayer de parvenir à « un arrangement franco-anglais aux termes duquel le gouvernement français serait averti du nombre des israélites admis en Palestine et de leurs noms, de telle manière que ce ne soit pas seulement les individus appelés à partir qui soient prévenus mais aussi le gouvernement qui leur a accordé l’hospitalité ». Et il conclut : « Dans les rapports du préfet de la Corrèze, j’ai bien vu que les situations individuelles étaient illégales, de plus en plus illégales, ce qui ne m’étonne pas et ce qui, à mon sens, est le seul effet réel des mesures de police dont la rudesse est beaucoup plus apparente qu’effective, mais je n’ai pas vu qu’on ait pu mettre au compte de ces étrangers un délit, au contraire, le préfet signale qu’ils ont de bons rapports avec la population. Par conséquent, je serais beaucoup plus porté à souhaiter, dans l’intérêt public, la multiplication de ces petites colonies que leur dissolution68. […]» « Les Juifs sont chassés » : c’est par cette formule frappante que La Corrèze républicaine et socialiste 69 entre dans le débat, le 21 mars 1935 : « Un an et demi après leur installation, le ministre vient de se rendre compte que les jeunes Juifs réfugiés d’Allemagne qui exploitent une propriété dans le village de Nazareth sont dangereux pour la sécurité nationale ; il faut les chasser promptement. […] Que leur reproche-t-on ? Rien !... Pas un seul d’entre eux n’a fait l’objet de poursuites pour faute grave. Ils vivaient paisiblement et maigrement, s’appliquant de leur mieux à leur apprentissage agricole en vue d’un prochain départ en Palestine. Ils vendaient quelques légumes sur la place de Brive ; mais les commerçants chez qui ils s’approvisionnaient savent qu’ils n’étaient pas venus en France pour accentuer la crise de surproduction et de chômage. Ils sont non seulement étrangers, mais juifs et surtout, ils ne semblent pas aimer Hitler ni les fascistes. Aussi L’Écho de Paris, L’Ami du peuple 70, Le Courrier du Centre et autre Réveil ne les avaient pas en odeur de sainteté. Ils hurlaient et bavaient périodiquement après eux. Il n’y aura plus d’espions à Nazareth, tous les roquets dormiront tranquilles. Nous pensions que dans les bals de la Marine ou dans les salons du grand monde où se pavanent les officiers en brillants uniformes, se glissaient assez souvent des “Lydia” éblouissantes, plus dangereuses pour la défense nationale que les juifs en sabots qui travaillent à pleine peau sur un sol ingrat pour manger un peu de pain noir et boire de l’eau. […] Les jeunes gens de la colonie juive étaient soumis à une surveillance très rigoureuse qui aurait dû permettre de rassurer les plus méfiants. On les disperse à tous les vents, sans moyens d’existence ; il faut qu’ils aient une âme vraiment droite pour ne pas abandonner le bon chemin. En tous cas, ils doivent se faire une fière idée des vertus d’hospitalité dont on asperge la nation française. » Une semaine plus tard, Henri Fabre tente encore de plaider la cause des réfugiés, prenant – par écrit – l’accent du terroir pour réaffirmer haut et fort sa solidarité et son patriotisme : « Je connais nos braves terriens limousins. Si ces juifs allemands ne s’étaient pas conduits vis-à-vis d’eux en hommes courtois et de bonne compagnie, ils auraient senti, déjà, le piquant de leurs fourches. Bien au contraire, ils ont su gagner le cœur de nos paysans. […] Pas un de nous, pas un de mes congénères de race limousine ne se lèverait pour défendre des suspects qui présenteraient un danger pour notre petite patrie. Quand RETOURS À LA TERRE 08-Grynbergter 68. Si la commission Herriot ne fait plus guère parler d’elle à partir de l’acceptation de ses propositions par le conseil des ministres le 20 novembre 1934, Herriot préside par la suite « un petit tribunal administratif composé simplement de trois personnes » pour statuer sur l’attribution ou la non attribution de la qualité de réfugié politique à ceux qui en font la demande. Cf. J.-C.Bonnet, op. cit., p. 290. 69. Fondé en 1918 par Henri Fabre (1876-1969), – pseudonyme : Henri Dayen –, journaliste socialiste de tendance libertaire proche de Lecoin. Ami personnel de Pierre Laval, il continuera à faire paraître le journal sous l’Occupation, ce qui lui vaudra d’être interdit à la Libération. Henri Fabre dirige aussi Les Hommes du jour et Le Journal du peuple. 70. Fondé en 1928 par le parfumeur François Coty. Cf. Ralph Schor, « Xénophobie et extrême droite : l’exemple de L’Ami du peuple (19281937)», Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1976 ; Laurent Joly, « L’Ami du peuple contre “les financiers qui mènent le monde”. La première campagne antisémite en France dans les années trente », Archives juives, vol. 39, 2006/2, pp. 96-109. 101 08-Grynbergter 14/01/11 20:45 Page 102 Un k i b b o u t z e n C o r rè z e , 1 9 3 3 - 1 9 3 5 par Anne Grynberg 71. « Le droit d’asile », La Corrèze républicaine et socialiste, 30 mars 1935. 72. AD 19, 4 M 236. 73. Cf. AD 46 (Cahors), 4 M 118, 1-16, fonds de 56 pièces sur les réfugiés allemands dans le Lot de 1933 à 1935 dont la présentation a fait l’objet d’un article d’André Salvage dans le Bulletin de la Société des études du Lot en 2005, pp. 69-75. Je remercie Mme Hélène Duthu-Latour, directrice des Archives départementales du Lot, de m’avoir signalé cette publication. 74. Lettre du préfet du Lot en date du 19 avril 1935, ibid. 75. Sur le glissement sémantique, lié à l’évolution de la politique française d’immigration, cf. Anne Zalc, « Des réfugiés aux indésirables : les pouvoirs publics français face aux émigrés du IIIe Reich entre 1933 et 1939 », in Éric Guichard & Gérard Noiriel (dir.), Construction des nationalités et immigration dans la France contemporaine, Paris, Presses de l’ENS, 1997, pp. 259-273. 76. Cf. lettre du sous-préfet de Figeac au préfet du Lot, 20 octobre 1933, AD 46, 4 M 118, 35-44, texte cité in extenso dans l’article d’A. Salvage – cf. n. 73. 77. Cf. Hélène Say, « Auf den Spuren einer deutschen Präsenz in Mittelfrankreich », in Michel Espagne, Katharina Middell & Matthias Middell (dir.), Archiv und Gedächtnis Studien zur Interkulturelles Überlieferung, Leipzig, Leipziger Universitätverlag, « Deutsche-Französische Kulturbibliothek », vol. 13, 2000, pp. 156-165. 102 nous prenons parti, on peut se fier à nous. Notre parole n’est pas seulement d’honneur… elle est l’honneur. Nous nous ferions couper la langue plutôt que de plaider pour des ennemis. Aussi, quand nous nous trouvons en présence de mesures administratives aussi cruelles, aussi stupides que celles qui frappent les juifs de Nazareth, nous protestons de toutes nos forces et nous avons la conviction de vous rendre service en vous disant : ne commettez pas cette faute 71. » I Faire cultiver le Causse par des réfugiés juifs : le projet d’Einsteinville Mais le sous-préfet s’acharne. Le 29 mars 1935, il signale au préfet qu’il vient d’être avisé que « les dirigeants de Jugeals-Nazareth se proposent d’installer la colonie judéo-allemande à Sarrazac 72 » – petite commune du Lot située à la limite de la Corrèze – et suggère de les en empêcher car il s’agit de gens « suspects du point de vue national ». Dix jours plus tôt, en effet, le propriétaire de terres agricoles situées au nord de la commune de Sarrazac a écrit au sous-préfet de Gourdon pour l’informer qu’il envisage de louer 70 hectares « à une colonie juive, Hehaloutz, dont le siège est à Paris » et lui en demander l’autorisation73 – qui va lui être refusée car Sarrazac se trouvant « au centre d’un triangle de voies ferroviaires au sommet duquel se trouve la gare de Brive74 », il ne saurait être question de l’installation de ces « indésirables »75. Ce n’est pourtant pas la première fois que les autorités du Lot ont des contacts, directs ou indirects, avec les œuvres de secours aux réfugiés allemands, notamment en les installant dans des départements agricoles du Sud-Ouest de la France. À la fin de l’été 1933, le Comité national a loué un petit terrain pour trois ans au lieu-dit Roquebillière, à quatre kilomètres de Cahors, avec l’objectif d’y installer 13 jeunes gens ; devant les difficultés à cultiver ces terres du Causse et les privations dues à la modestie de l’indemnité versée (45,50 francs par jour pour 13), l’entreprise s’est soldée par un échec au bout de quelques mois. Par ailleurs, il y a eu à l’automne 1934 le projet de construire sur des terrains achetés sur les communes de Livernon et de Corn, dans l’arrondissement de Figeac, une « ville nouvelle » juive « destinée à abriter des Juifs allemands expulsés de leur pays », qui regrouperait environ 30 000 habitants et porterait le nom d’Einsteinville. L’idée directrice du gouvernement étant de mettre en place une commission au ministère de l’Intérieur chargée d’« étudier sur place un certain nombre de projets de cette nature pour grouper tous les Juifs allemands en trois ou quatre centres, isolés les uns des autres, dans les régions pauvres et éloignées de toute ville importante 76 ». Le projet ne se concrétise pas, mais il rebondit au printemps 1935 – après l’arrivée des Juifs sarrois – sous l’impulsion d’Anatole de Monzie, député du Lot, ancien ministre de l’Éducation nationale entre 1932 et 1934, qui s’affirme persuadé que de grandes organisations juives américaines sont prêtes à soutenir un tel projet, qui concernerait 400 familles juives. Le 21 mars 1935, le sous-préfet de Figeac rappelle dans une lettre le projet d’Einsteinville mais émet des doutes sur la possibilité de faire fructifier le Causse et propose plutôt d’y créer une industrie nouvelle, par exemple la fabrication de jouets sur le modèle de Nuremberg 77. I Les «invités» ne doivent pas «casser la vaisselle» Le 19 avril 1935, Stefan Au* fait connaître au sous-préfet les différents lieux de destination des membres du kibboutz Machar, qui ont tous quitté Jugeals-Nazareth : 9 sont partis en Palestine, 13 ont été dirigés sur une colonie agricole du Luxembourg, 9 se sont répartis dans d’autres centres de Hehaloutz en France et 1 est resté chez un parent à Brive. Aucun des fonds d’archives que nous avons consultés ne conser ve la trace d’une quelconque démarche effectuée par les dirigeants du Comité national pour tenter d’empêcher la dissolution du kibboutz Machar. Il semblerait même que tous n’aient pas été animés d’une grande solidarité, préoccupés avant tout de témoigner leur légalisme et leur patriotisme. Ainsi, dans 14/01/11 20:45 Page 103 le texte de l’allocution qu’il prévoit de prononcer lors de l’assemblée générale du Consistoire de Paris le 26 mai 1935, Robert de Rothschild écrit-il : « […] J’ai eu la charge des réfugiés allemands et, vous le savez peut-être, ce sont des haloutzim plus ou moins sionistes qui ont installé de petites communautés en province, ont dressé des jeunes gens à l’agriculture pour en faire des candidats utiles pour l’émigration en Palestine. […] Il y avait une colonie à Nazareth, une commune de France au nom prédestiné, en Lot-et-Garonne [sic]. Tout allait très bien et les jeunes gens se sont amusés à se promener partout en chantant des hymnes et en se livrant à des manifestations extrêmes. Ils ont réussi à choquer la population, la brave population paysanne. On disait : “Ce sont des Boches !” Le résultat en a été de graves difficultés. Eh bien ! il faut que les Juifs se mettent ceci en tête : nous avons été étrangers sur la terre d’Égypte. En attendant qu’ils s’adaptent, qu’ils soient naturalisés, qu’ils aient fait leur service militaire, qu’ils aient, en somme, leurs lettres patentes de Français, il faut qu’ils s’arrangent pour ne pas donner sujet à des observations. Ils peuvent avoir des idées politiques, mais qu’ils n’essaient pas, d’une façon ou d’une autre, de saper l’autorité. S’ils ne sont pas contents, qu’ils s’en aillent ! Ils sont des invités qu’on reçoit avec plaisir, mais il ne faut pas qu’ils cassent la vaisselle 78. » Nous ne sommes pas en mesure actuellement de retracer l’itinéraire de chacun des kibboutznikim de Jugeals-Nazareth après 1935. Nous savons, d’après les archives départementales de la Corrèze, qu’au moins vingt d’entre eux sont effectivement allés en Palestine, à partir de la France, et pour certains, nous connaissons même la date exacte de leur départ. Aucun des 143 noms que nous avons recensés n’apparaît dans les listes nominatives du Mémorial des déportés juifs de France mais nous ne savons pas ce qu’il est advenu de ceux qui sont partis au Luxembourg. Même si Hehaloutz intensifie son activité 79 et réussit à augmenter le nombre des départs vers Eretz Israel entre 1936 et 1939, rien ne permet d’affirmer que tous les colons de Jugeals-Nazareth ont survécu à la Shoah. Le 4 juillet 1936, le ministère de l’Intérieur informe le préfet de la Corrèze que dans la mesure où le gouvernement de Londres a « réduit considérablement le mouvement de jeunes israélites réfugiés d’Allemagne en raison des incidents survenus récemment dans le Proche-Orient », il a « décidé d’autoriser les jeunes réfugiés israélites en apprentissage dans les fermes-écoles […] à effectuer sur notre territoire un stage de deux ans au lieu d’une année ». Il lui demande de le notifier aux responsables de tels établissements situés dans son département. Le document, transmis ensuite au sous-préfet, porte une annotation manuscrite : « En existe-t-il toujours ? M’en parler 80. » Nous n’avons pas la réponse de Roger Dutruch, qui n’a pu que confirmer qu’il n’y avait plus de kibboutz en Corrèze. Il reste en poste à Brive jusqu’en octobre 1937. Après deux ans passés à Tunis en tant que secrétaire général adjoint à la résidence générale de France (1938-1940), il devient préfet des Basses-Alpes (19401941) avant d’occuper un poste similaire en Lozère (novembre 1941-1944). Accusé d’avoir dénoncé à la Gestapo la présence du maquis Bir Hakeim à La Parade sur le Causse Méjean, ce qui a provoqué la mort au combat ou l’exécution de soixante résistants, il est arrêté le 19 août 1944 sur ordre d’Émile Peytavin, chef départemental des FFI, et suspendu de ses fonctions par le commissaire de la République le 28 août. Traduit en justice devant un tribunal militaire siégeant à Mende et érigé en cour martiale, il est condamné à mort le 25 septembre 1944. Son recours en grâce ayant été refusé, il est fusillé à l’aube du 28 septembre 1944 derrière la maison d’arrêt de Mende 81. Anne Grynberg est professeur des Universités en histoire contemporaine (INALCO / université Paris I - Sorbonne) RETOURS À LA TERRE 08-Grynbergter 78. Archives de l’ACIP (Paris), B 132. Cité in David Weinberg, Les Juifs à Paris de 1933 à 1939, Paris, Calmann-Lévy, 1974, p. 102, selon lequel il s’agirait du brouillon du discours dans lequel la dernière phrase aurait été finalement supprimée pour ne pas susciter de polémique. 79. Cf. « Pour que prospère l’Hehalouts français », La Terre retrouvée, 7 e année, n°3, 25 novembre 1935, p. 15 ; « Ce qui se passe chez nous. Activité de la jeunesse sioniste à Paris », ibid, n°4, 25 décembre 1935, pp.16-17. 80. AD 19, 4 M 236. 81. Cf. Cent préfets pour la Corrèze, Tulle, AD Corrèze, 2000, p. 93 ; Plus de cent préfets pour la Lozère, consultable en ligne sur le site www.amilo.net/ p. 623 ; René Bargeton, Dictionnaire biographique des préfets (septembre 1870-mai 1982), Paris, AN, 1994. 103