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Du lieu au territoire

Du lieu au territoire Lieu, milieu, espace et territoire sont des termes, des paradigmes et des concepts de base en géographie dont le sens, la limite, le fondement et la portée ne sont ni simples, ni claires ou précis contrairement à ce qui apparaît à priori même si d'importants efforts ont été faits jusqu'ici et les termes se trouvent communément admis ou utilisés, voire même banalisés.

Du lieu ... au territoire Amor Belhedi III° Colloque "Connaissance et pratiques des milieux et territoires" Département de Géographie, FSHS Tunis, Mars 2000 Du lieu .... au territoire Des trajectoires, des enjeux Amor BELHEDI Faculté des Sciences Humaines & Sociales, Tunis « Connaissance et pratiques des milieux et territoires ». III° Colloque du Département de Géographie de la Faculté des Sciences Humaines et Sociales. Tunis (9-11 mars 2000). Textes réunis et introduits par Mohamed Raouf Karray, Adnane Hayder, Hassen Tayachi. Publications de l’INS, 2002, pp : 13- 31. Ecole Normale Supérieure. Résumé : Du lieu au territoire Lieu, milieu, espace et territoire sont des termes, des paradigmes et des concepts de base en géographie dont le sens, la limite, le fondement et la portée ne sont ni simples, ni claires ou précis contrairement à ce qui apparaît à priori même si d’importants efforts ont été faits jusqu’ici et les termes se trouvent communément admis ou utilisés, voire même banalisés. La communication aurait pour objectif d’essayer de cerner un peu plus ces concepts, définir le contenu et saisir la portée sur la connaissance et la pratique spatiales de ces “êtres géographiques”. En effet, la définition de cette grille conceptuelle, détermine la connaissance des milieux et des territoires en termes de modalités, de méthodes, d’outils et de problématiques. Elle fixe aussi la pratique de ces espaces du moins à travers la manière d’étudier cette pratique. En outre, l’intervention va essayer de clarifier le passage, les limites et les complexes articulations entre ces différents concepts. Abstract : From place to territory Place, environment, space and territory are some basic terms, paradigms and concepts in geography which the sense, the limit, the foundation and the impact is neither simple, nor clear or precise contrarily to this who appears in despite of the important efforts made and the terms are commonly admitted or used, even trivial. The communication would have for objective of trying to delimit these concepts, define the content and the impact on the knowledge and the spatial practice of these "geographical beings". Indeed, the definition of this conceptual grid, determines the knowledge of environments and territories in terms of modes, methods, Du lieu ... au territoire Amor Belhedi III° Colloque "Connaissance et pratiques des milieux et territoires" Département de Géographie, FSHS Tunis, Mars 2000 tools and problematics. She also fixes the practice of these spaces across the manner of studying this practice. Besides, the intervening tries to clarify the transition, the limits and the complex articulations between these different concepts. ‫ ﻣﻦ اﻟﻤﻜﺎن اﻟﻰ اﻟﺘﺮاب‬: ‫ﻣﻠﺨﺺ‬ ,‫ ﻣﻌﺎﻧﻴﻬﺎ‬. ‫ﺎﻝ ﻭﺍﻟﺘﺮﺍﺏ ﻫﻲ ﺃﻟﻔﺎﻅ ﻭﻣﺼﻄﻠﺤﺎﺕ ﺃﺳﺎﺳﻴﺔ ﰲ ﺍﳉﻐﺮﺍﻓﻴﺎ‬‫ ﺍ‬,‫ ﺍﻟﻮﺳﻂ‬,‫ﺍﳌﻜﺎﻥ‬ ‫ﻬﻮﺩﺍﺕ ﺍﳍﺎﻣﺔ ﺍﻟﱵ‬‫ ﺃﺳﺴﻬﺎ ﻭﺃﺑﻌﺎﺩﻫﺎ ﻟﻴﺴﺖ ﺑﺎﻟﺒﺴﻴﻄﺔ ﻭﻻ ﺑﺎﻟﻮﺍﺿﺤﺔ ﺧﻼﻓﺎ ﳌﺎ ﻳﺒﺪﻭ ﺑﺎﻟﺮﻏﻢ ﻣﻦ ﺍ‬,‫ﺣﺪﻭﺩﻫﺎ‬ .‫ﺑﺬﻟﺖ ﺣﱴ ﺍﻵﻥ ﻭﺍﻟﺘﺪﺍﻭﻝ ﺍﳌﺘﺰﺍﻳﺪ ﳍﺬﻩ ﺍﳌﺼﻄﻠﺤﺎﺕ‬ ‫ﺪﻑ ﻫﺬﻩ ﺍﳌﺪﺍﺧﻠﺔ ﺇﱃ ﳏﺎﻭﻟﺔ ﲢﺪﻳﺪ ﺃﻛﺜﺮ ﳍﺬﻩ ﺍﳌﺼﻄﻠﺤﺎﺕ ﻭﶈﺘﻮﺍﻫﺎ ﻭﻷﺑﻌﺎﺩﻫﺎ ﻋﻠﻰ ﺍﳌﻌﺮﻓﺔ‬‫ﻭ‬ ‫ ﻓﺘﻌﺮﻳﻒ ﻫﺬﻩ ﺍﻟﺸﺒﻜﺔ ﺍﳌﺼﻄﻠﺤﻴﺔ ﳛﺪﺩ ﻣﻌﺮﻓﺘﻨﺎ ﻟﻸﻭﺳﺎﻁ‬.‫ﺎﻟﻴﺘﲔ ﳍﺬﻩ ﺍﻟﻜﺎﺋﻨﺎﺕ ﺍﳉﻐﺮﺍﻓﻴﺔ‬‫ﻭﺍﳌﻤﺎﺭﺳﺔ ﺍ‬ ‫ﺎﻻﺕ ﻣﻦ ﺧﻼﻝ‬‫ ﻓﻬﻮ ﻳﻀﺒﻂ ﳑﺎﺭﺳﺔ ﺍ‬.‫ ﺍﻟﻮﺳﺎﺋﻞ ﻭﺍﻟﻄﺮﻕ‬,‫ ﺍﻹﺷﻜﺎﻟﻴﺎﺕ‬,‫ﺎﻻﺕ ﻋﻠﻰ ﻣﺴﺘﻮﻯ ﺍﳌﻨﺎﻫﺞ‬‫ﻭﺍ‬ .‫ﻛﻴﻔﻴﺔ ﺩﺭﺍﺳﺔ ﻫﺬﻩ ﺍﳌﻤﺎﺭﺳﺔ ﻋﻠﻰ ﺍﻷﻗﻞ‬ ,‫ ﺗﺴﻌﻰ ﺍﳌﺪﺍﺧﻠﺔ ﻟﺘﻮﺿﻴﺢ ﺍﻻﻧﺘﻘﺎﻝ ﻭﺍﻟﺘﺪﺭﺝ ﺑﲔ ﳐﺘﻠﻒ ﻫﺬﻩ ﺍﳌﺼﻄﻠﺤﺎﺕ‬,‫ﻣﻦ ﻧﺎﺣﻴﺔ ﺃﺧﺮﻯ‬ .‫ﺎ ﺍﳌﺘﺸﻌﺒﺔ‬‫ﻟﺘﻮﺿﻴﺢ ﺣﺪﻭﺩﻫﺎ ﻭﻋﻼﻗﺎ‬ Dans notre discipline, il y a beaucoup de termes qui sont soit très utilisés sans qu'on leur assigne une définition très précise, soit qu'ils ont été amenés à être utilisés à la suite de pression d'autres disciplines qui à priori n'ont rien à avoir avec le spatial du moins comme fondement paradigmatique. Le même concept se trouve chargé de polysémie selon l'usage et la période et le sens évolue au cours du temps comme est le cas des termes lieu, milieu ou territoire. Notre propos n'est pas ici de traiter tous les aspects de la question mais simplement de focaliser sur quelques idées-phares susceptibles de saisir l'évolution et les enjeux. 1- Le lieu Le lieu est le principe d'individuation des figures dans l'espace. Les lieux sont les parties de cet espace qui reçoivent effectivement un corps, et chaque lieu est cette partie de l'espace que remplissent les parties d'un même corps (J F Pradeau, 1996). L'espace est donc ce réceptacle immobile où les corps se figurent. Il est la condition médiate des phénomènes extérieurs. Le lieu n'est pas indépendant de la nature des corps mus, il lui est parfaitement relatif: un corps est quelque part selon sa nature et sa composition. Le lieu est seulement l'aspect local de la composition du corps d'où l'absurdité de concevoir un espace indépendant ou séparé des corps qui s'y trouvent. Le lieu est un point bien déterminé, identifié et 2 Du lieu ... au territoire Amor Belhedi III° Colloque "Connaissance et pratiques des milieux et territoires" Département de Géographie, FSHS Tunis, Mars 2000 identifiable de l'espace qui n'est qu'un ensemble de lieux et leurs liens. Il est l'en-droit (visible, nommé), l'élément de base de l'espace géographique mais il constitue lui même un espace selon l'échelle considérée (point de l'extérieur, espace de l'intérieur). Le lieu est la plus petite unité spatiale complexe, s'embrasse d'un seul coup d'oeil, abolit la distance et a une réalité sensible. C'est un point re-connu, il est déterminé par sa situation et ses attributs à la fois. C'est aussi un endroit précis chargé de sens dans un espace plus étendu. Le lieu marque fortement les êtres qui y vivent et constitue ainsi un milieu (environnement). 2- Le milieu, Le mi-lieu est ce qui est au milieu, ce qui est entouré. C'est ce qui est situé au centre, à l'intérieur d'une entité donnée. Lorsqu'on parle de milieu, on pense toujours à deux notions essentielles: d'abord l'homogénéité qui caractérise l'ensemble des lieux qui en font partie intégrante et qui imprime au milieu ses traits caractéristiques. Ensuite, il y a la notion de position, de situation interne, loin des franges et des marges. Le concept de milieu renvoie aussi à ce qui entoure et ce qui enveloppe tout autour, l'environnement. Un lieu tire ses attributs du milieu où il plonge (médiance). On parle de milieu humide, de milieu rural ou urbain. Enfin, il y a la notion de surdétermination qui fait du milieu un lieu qui détermine, qui conditionne ce qui est à l'intérieur, on parle ainsi des conditions du milieu... Le milieu se définit par rapport à un lieu ou une entité, il n'existe pas en soi. C'est à une dimension plutôt physique et matérielle que renvoie plutôt le concept de milieu. Ce paradigme a souvent déterminé les réflexions en géographie et le milieu a été dans la plupart des cas un déterminant qu'il faut étudier pour pouvoir comprendre le déterminé. Il est aussi naturel que culturel, subjectif que objectif, individuel que collectif (A Berque) et il désigne par extension l'espace. Cette notion de milieu (naturel) suppose une relation linéaire de détermination et d'antécédence et évacue totalement la dimension idéologique et socio-culturelle. On la trouve fort utilisée en géographie physique même si on n'exclue guère les phénomènes d'interaction, d'adaptation et les actions réciproques entre le milieu et les acteurs. Le développement des études écologiques et systémiques a contribué fortement à avancer dans ce sens mais les handicaps congénitaux de cette démarche y demeurent. Evacuer l'idéologique et le politique, c'est le péché d'une telle démarche à laquelle va répondre une approche naissante qui réhabilite le politique à travers un nouveau concept, celui de territoire. 3- L'espace 3 Du lieu ... au territoire Amor Belhedi III° Colloque "Connaissance et pratiques des milieux et territoires" Département de Géographie, FSHS Tunis, Mars 2000 Deux conceptions de l'espace se présentent: un espace absolu indépendant des corps qui le ponctuent et un espace de relation entre les corps. Cet espace est resté le parent pauvre de la réflexion, il est resté cette extériorité physique, cette extension ou étendue géométrique, cette limite ou situation géographique qu'on évoque. L'espace est distinct et indépendant des corps qui s'y trouvent. C'est un support unique et commun qui est indépendant des mouvements des corps. L'espace est condition nécessaire de l'existence et du mouvement des corps et de leur séparation. L'espace existe ainsi sans la matière. Le mouvement est défini en référence à l'espace et non aux autres corps. L'espace se présente comme rapports entre les corps distincts. L'espace est un ordre général des choses selon Leibniz, c'est un ordre de coexistence et de distance. La distance n'est pas externe, elle dans les corps et les choses. L'espace n'est alors que la réalité d'un rapport et non une situation absolue. L'espace est cet ensemble des formes distantes. Le vocabulaire utilisé est spatialisé à outrance sans que l'espace soit défini. L'espace est à la fois aréal (étendue, aire) et réticulaire (ligne, axes...) et c'est le capillaire (réseau fin) qui unit les deux pôles et lève la contradiction entre l'aire et le lieu (R Brunet et al : Les mots de la géographie 1993), entre le réseau et l'étendue... L'espace est cette conscience instinctive de la distance et du volume, de l'orientation et de la perspective selon les trois dimensions (L, l, h) de l'espace euclidien. On peut distinguer l'espace physique (les rapports écologiques), l'espace kantien (lieu et forme de toute sensibilité) et l'espace durkheimien (produit par la représentation et l'action humaine). L'espace géographique est à la fois un écosystème et un produit social, une combinaison des trois espaces. C'est un continuum dans lequel s'inscrivent les étendues particulières (espace local, régional...). Territorialiser l'espace, c'est le ponctuer (créer) de lieux et les relier en réseaux (non-lieux). 4- Le territoire Le territoire est un espace approprié avec le sentiment de son appropriation. Il est à l'espace ce que la conscience (de classe) représente à la classe. C'est quelque chose qui fait partie de soi tout en lui étant extérieur et distinct. Dans ce sens, le terme se rapproche du terme de nation ou de patrie. Juridiquement, le concept de territoire renvoie à la notion d'Etat dont la légitimité se mesure en partie à sa capacité à garantir l'intégrité territoriale. Cette légitimité se trouve assurée par des services spécialisés (comme la DST: Direction de la Surveillance du Territoire...) qui prennent des noms différents selon les pays. L'Etat assure et constitue une autorité territoriale à l'intérieur (vis à vis de la population) comme à l'extérieur (vis à vis des autres Etats). Ce territoire se trouve 4 Du lieu ... au territoire Amor Belhedi III° Colloque "Connaissance et pratiques des milieux et territoires" Département de Géographie, FSHS Tunis, Mars 2000 délimité, borné et reconnu comme tel et l'Etat se charge ainsi de l'aménagement du territoire à ses différentes échelles (locale, régionale et nationale). C'est une maille de gestion de l'espace ayant un statut inférieur aux subdivisions normales. On parle de Territoires d'Outre-Mer, les territoires du Nord du Canada ou les territoires occupés de la Palestine... Le terme s'applique aux espaces pionniers, lointains, peu peuplés ou contestés. Ce territoire est appelé souvent à passer à un Etat ou une région lorsque les obstacles se trouvent levés. Ce sont des espaces dont l'appropriation est sous jacente, latente ou en encore imprécise. La notion de territoire est affective et culturelle, elle suppose toujours l'appropriation de l'espace concerné. Le territoire dépasse ainsi la notion d'espace et il est autre chose que l'appropriation juridique simple, ou une série d'espaces vécus, sans entité politique ou administrative. L'ensemble des quartiers où un individu a vécu ou habité ne constitue guère un ter. Le territoire n'est pas non plus le terroir, ni la zone d'influence ou de chalandise d'une ville. Il ne se réduit pas au lieu d'enracinement paysan, ni à l'attachement d'un citadin à son quartier ou aux lieux fréquentés. Il faut en plus le sentiment d'appartenance et d'appropriation: "je suis de là, je suis d'ici et ce pays est à moi, le mien..." Le concept de territoire relève de la socialisation de l'espace, il relève d'une nature plutôt collective et non individuelle si l'on exclue la proxémitique (la maison ou la chambre...). Il exprime la projection sur un espace donné de structures spécifiques d'un groupe humain allant du découpage spatial, à la gestion de cet espace et à son aménagement. Il contribue ainsi à fonder la spécificité du groupe et son identité et conforter le sentiment d'appartenance et d'appropriation. Il permet aussi la cristallisation des représentations individuelles et collectives et des symboles fondateurs, d'identification et de référence. Les études éthologiques sur la défense et l'agressivité liées à l'espace, l'espacement et le marquage territorial ont permis souvent de généraliser à l'homme une partie du comportement territorial (Ardrey A L'impératif territorial) mais le débat reste ouvert sur la part de l'inné et l'acquis, l'instinct et le culturel et les tentations territoriales ont nourri les courants les plus radicaux (nazisme, fascisme, extrême droite...) dans la mesure où le territoire est le support des identités individuelles et collectives et se trouve au centre de la réflexion et de l'approche identitaire. Le territoire est un support de formation identitaire avec tous les processus qu'il intègre: agrégation, ségrégation, exclusion et intégration (J Attali: les territoires qui enracinent l'homme, Lignes d'horizon; M Serres: Le contrat naturel)... Le transfert du monde animal à l'homme se trouve de plus en plus contesté avec le recul progressif de la loi de la jungle par les droits de l'homme, de plus en plus respectés mais aussi disputés. 5 Du lieu ... au territoire Amor Belhedi III° Colloque "Connaissance et pratiques des milieux et territoires" Département de Géographie, FSHS Tunis, Mars 2000 Le territoire est la superposition de plusieurs espaces: un espace produit (l'action sociale), perçu, représenté, vécu (espace de vie, interrelations sociales, valeurs psychologiques) et social. Il permet l'insertion du sujet dans le groupe, assure l'appartenance et l'altérité. C'est un mode de découpage et de contrôle (permettant la spécificité, la permanence et la reproduction territoriale), un champ symbolique et emblématique (mobilisation sociale) qui réduit les distances internes et maximise les distances externes (Retaillé D 1997). 4.1- Le territoire: réseaux ou étendue? Le territoire est un réseau de lieux liés les uns aux autres. Il renferme des cheminements plus ou moins forts et des axes lourds, des points ou noeuds et des foyers centraux. L'espace y est fort différencié, hiérarchisé et organisé. C'est un véritable réseau hiérarchisé et fort ramifié selon les échelles qui irrigue les coins les plus reculés. Il n'y a qu'à voir le réseau viaire à commencer des voies rapides jusqu'au menu réseau de pistes de terre. L'étendue n'est en définitive qu'un réseau très maillé qui irrigue la totalité de l'aire (comme la feuille d'une plante ou le corps humain). Les nervures de plus en plus fines arrivent à former la surface même. Le territoire lui même se trouve à son tour articulé sur un réseau plus vaste lui permettant de se reproduire et d'entretenir les échanges avec l'extérieur. 4.2- Du rapport au territoire: territorialité et territorialisme La territorialité est "ce qui est propre à un territoire considéré politiquement" (Littré), ce qui relève et caractérise le territoire, c'est le rapport à un territoire considéré comme approprié. Contrairement aux racines, ce rapport est transposable permettant ainsi à certains migrants ou pionniers de reconstituer ce rapport au territoire. La territorialité est utile à la cohésion du groupe et à son intégration mais elle se trouve aussi à l'origine de l'exclusion et de conflits qu'ils soient d'identification ou d'appropriation. La territorialité est plutôt de nature animale ou végétale et le propre de l'homme est de pouvoir se dégager des pesanteurs de la territorialité restreinte ou exacerbée à l'instar de l'affranchissement de la distance. La territorialité fonde et tue à la fois la solidarité et la sociabilité: un peu c'est bon, trop c'est néfaste. Le territorialisme serait le terrorisme exercé par le territoire ou la territorialité. C'est un mauvais usage de la territorialité en vantant une appartenance ou en excluant l'autre. Lorsque le rapport au territoire se nourrit de naturalité, les choses deviennent dangereuses et donnent lieu à la dérive avec une légitimité des racines et de l'enracinement. Le territorialisme se fonde sur une vision animale du territoire et constitue 6 Du lieu ... au territoire Amor Belhedi III° Colloque "Connaissance et pratiques des milieux et territoires" Département de Géographie, FSHS Tunis, Mars 2000 ainsi une forme de tribalisme qui se trouve alimentée par l'écologisme et l'idéologie des racines. Le terroir est ce lieu défini par des qualités physiques particulières: pente, exposition, sol... Il est synonyme de local, de là on trouve les termes de dialecte du terroir, produit du terroir ou goût du terroir en particulier les produits agricoles au sens qu'ils ne sauraient être produits ailleurs. C'est aussi la campagne au sens large tout en renvoyant à une localité donnée et la connotation est soit laudative, soit péjorative selon les cas tandis que certains l'utilisent parfois dans le sens de finage! La notion de terroir exprime, en réalité, la conjonction de ces deux paramètres: le lieu matériel avec ses héritages, contraintes et potentialités d'un côté; le groupe avec sa culture, son idéologie, ses croyances et ses coutumes de l'autre. Le terroir est le produit du local, ce qui est spécifique et n'existe pas ailleurs. C'est la combinaison d'un milieu et d'une entité sociale à travers la diachronie. En effet, il faut de la durée pour qu'il y ait terroir, encore plus pour un territoire. 4.3- Les fondements de la territorialité Quels sont les fondements d'un territoire ? Quelles sont les fonctions territoriales ? Ces fonctions ne sont pas intrinsèques à l'espace physique, elles se trouvent fondées, modulées et régulées socialement. On se limitera ici à quelques fondements ou fonctions de base comme l'identité, la convivialité ou la sociabilité. (1) - L'appropriation : le découpage de l'espace La première caractéristique d'un territoire qui le distingue du lieu ou de l'espace est la propriété et ce qui est propre. Cette appropriation a deux sens en réalité : - Transformer un espace en une propriété. Il devient ainsi mon espace, l'espace qui m'appartient. - Transformer un espace en un espace propre, c'est à dire spécifique et différent. Les deux sens de l'appropriation sont en réalité, très liés l'un à l'autre et un espace ne peut devenir propre (spécifique) que lorsqu'il est approprié pour que les autres me permettent d'y faire ce qui est propre à moi. L'un ne va pas sans l'autre. L'appropriation relève plutôt d'une logique de partition spatiale. (2) - L'appartenance : la filiation à un milieu Il n'y a pas de territoire sans ce sentiment d'appartenance à un lieu, un terroir ou un espace. C'est une filiation à un milieu donné (localité, région, ville, pays, une culture). Ce sentiment ombilical d'appartenance n'est possible qu'à travers le processus d'appropriation, il constitue son corollaire. Ce sentiment d'appartenance provient du fait 7 Du lieu ... au territoire Amor Belhedi III° Colloque "Connaissance et pratiques des milieux et territoires" Département de Géographie, FSHS Tunis, Mars 2000 que le territoire permet l'existence même de l'homme en tant que individu et groupe. C'est à travers l'espace que j'existe et je vis. En me permettant d'exister, je fais partie donc de cet espace et je lui appartiens. Comme l'écrivait Heidegger "être, c'est être là", le lieu est donc une condition d'occurrence et d'existence de la vie. (3) - L'identité : le couple appropriation-appartenance L'identité constitue une des fonctions basiques de la territorialité et du territoire. Elle intéresse aussi bien l'individu que le groupe et la communauté. On s'identifie toujours par rapport à un espace. La référence est spatialisée même si elle est de nature a-spatiale. Même lorsqu'on se réfère à un référé social comme la tribu ou la famille, le référentiel est souvent localisé, symbolisé par des formes matérielles plus ou moins localisés et situés dans l'espace. Le travail de M Mauss sur les esquimaux est indicatif, il montre que l'unité sociale est matérielle et est représentée par l'établissement et non la tribu1. L'attachement affectif à un territoire est difficilement distinguable de l'ensemble des relations sociales, des habitudes et des rites, des croyances et des coutumes. le tout va ensemble et la territorialité se trouve prégnante dans toutes les sphères. L'identité provient de la culture beaucoup plus que du site physique bien que l'espace puisse marquer une société à travers les contraintes et l'accumulation historique. Ainsi, dans les régions à forte mobilité géographique (ancienne ou actuellement), l'identité provient plutôt du groupe social beaucoup plus que d'un lieu particulier. Le groupe, à travers culture, croyances et coutumes, arrive à donner à l'ensemble des lieux cette homogénéité requise et le sentiment d'appartenance nécessaire pour fonder et exprimer l'identité. Dans le cas d'une forte mobilité, le groupe marque les nouveaux espaces selon le schéma d'organisation du territoire originel, il tend à reproduire sa territorialité. C'est ce qu'on observe chez les populations mobiles, transhumantes ou nomades quelque soit le milieu concerné des esquimaux de l'Alaska jusqu'aux Touaregs du Sahara. Cependant, le clonage n'est jamais parfait, bien entendu. Il y a toujours un processus transformationnel lors de ces nouvelles implantations guidé par deux impératifs qu'on observe clairement dans les différents mouvements de conquête, de colonisation ou de migration: - Certains acteurs (individus, fractions, groupes) profitent de ce changement territorial pour lever quelques contraintes, exploiter la nouvelle conjoncture et balayer les limites qui leur ont été imposées. - Les contraintes du nouveau milieu se trouvent souvent prises en compte, directement ou indirectement, et donnent lieu à des 1 Mauss M - L'essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimos. 1904-1973. L'Année Sociologique, IX, pp 39-132. 8 Du lieu ... au territoire Amor Belhedi III° Colloque "Connaissance et pratiques des milieux et territoires" Département de Géographie, FSHS Tunis, Mars 2000 mutations territoriales allant des simples adaptations plus ou moins limitées jusqu'aux véritables stratégies territoriales aux prises du nouvel espace. Le processus identitaire s'articule sur une relation réciproque du binôme "appartenance-appropriation". On s'identifie au territoire qui nous appartient et qu'on s'approprie d'une manière ou d'une autre, partiellement ou totalement. Qu'elle soit génétique ou sociétale, l'appropriation constitue une donne nécessaire dans la compréhension des organisations spatiales. (4) - L'intimité et la sociabilité : la culture, le psyché et le social Bien que la frontière entre les deux existe, elle n'est pas aussi étanche dans la mesure où la dernière amène à la première. Le rapport entre intimité (privacy) et sociabilité s'exprime à travers les aménagements spatiaux et l'organisation des territoires. Il conduit à séparer l'intérieur de l'extérieur, distinguer l'espace de la famille de celui du voisinage, des connaissances et encore plus des autres. L'organisation de la maison, l'articulation du quartier dans la ville et dans la campagne, dans les villes anciennes ou récentes, occidentales ou arabes s'opère selon ce processus Interne/externe, public/privé et selon une gradation qui permet la gradation de l'espace public de l'anonymat où l'appropriation est presque nulle et atomisée vers l'espace privatif à savoir le séjour (toute la famille et les visiteurs) et la chambre à coucher strictement réservée au couple ou à la personne concernée. On peut se référer ici aux travaux d'urbanisme et l'habitat qui foisonnent et qui glorifient parfois, à tors ou à travers, ce modèle de la séparation stricte ou de l'ouverture. Cette séparation est d'autant plus inexistante que le logement est petit, la famille est modeste et le groupe est homogène au niveau social, ethnique ou économique... Les chambres ne sont pas aussi spécialisées qu'on le pense et la polyfonctionnalité compense l'étroitesse et consolide l'homogénéité du groupe et l'intégration de l'individu. L'organisation de l'habitat reproduit les sphères de l'intimité-parenté et de l'économie domestique (production, autoconsommation). La fonctionnalité et la spécialisation de l'espace expriment la division sociale du travail, elles accompagnent souvent la privatisation accrue de l'espace et l'évolution générale de la famille. On assiste ainsi dans le logement à la séparation des fonctions de base (le sommeil, le séjour et le manger) d'un côté, entre parents, enfants et autres (ascendants ou visiteurs) de l'autre. Les normes du groupe sont souvent déterminantes dans les arrangements territoriaux et la stratification sociale conduit inéluctablement à une territorialisation des groupes ou des ethnies selon la nature du rapport de force qui régit la communauté. La culture déplace la frontière entre l'intime et le social et impose les arrangements 9 Du lieu ... au territoire Amor Belhedi III° Colloque "Connaissance et pratiques des milieux et territoires" Département de Géographie, FSHS Tunis, Mars 2000 territoriaux appropriés aux rapports sociaux qui régissent le groupe2. Le rapport des sexes ou de genre, la relation parents-enfants-vieux et l'attitude vis à vis du travail et de l'individu façonnent l'espace et crée la territorialité. Le groupe n'existe qu'à travers la sociabilité, c'est à dire la présence conjointe sur un même espace. Cette co-présence n'est, en réalité, possible qu'à travers l'espace qui nous est commun et qui constitue le territoire. Le territoire permet de pérenniser les rapports sociaux et pour se fixer spatialement l'homme a besoin de fixer les règles des rapports sociaux et des partages spatiaux. La territorialisation est une condition de la socialisation et de la socialité. Le territoire est l'espace chargé de symbolique incorporant le temps (l'histoire) et l'affectivité ce qui conduit à des enjeux et de là à des conflits qui transforment l'espace en territoires. Le territoire est la socialisation de l'espace qui nous renvoie à la communauté dont la légitimité et l'autorité se mesurent par sa capacité de défendre l'intégrité spatiale et d'organiser son territoire. C'est une notion juridique (Etat, Commune...), sociale (tribu...) et affective (Quartier, Houma...) qui exige 2 La valeur de la rue et de la maison change selon les périodes. La rue appartient surtout aux pauvres tandis que les riches s'en retirent au fur et à mesure qu'ils s'enrichissent afin de se distinguer des autres et défendre leur intimité et leur espace. La distinction entre l'intérieur et l'extérieur est différente selon la position de chacun. Dans un cas, la rue est le prolongement naturel de la maison ou de la boutique dans une stratégie d'appropriation spatiale mais aussi de compensation de l'étroitesse. La rue devient dans certains cas l'espace de base et la maison n'est utilisée que pour les actes les plus intimes. Même le manger peut transgresser le seuil de la maison dans certains cas. Selon le même mécanisme, on comprend aussi la transgression des petits métiers et l'informalisation de l'espace. L'intimité est ici très limitée ou neuve, l'espace est autant privé qu'il se trouve livré à tous les membres du groupes. Cette limitation est dans l'espace et dans le temps. La vie se construit dans la rue, dans tendresse et dans la violence. Les lieux publics deviennent euxmêmes les lieux du secret (coin de rue, espace vague, un café...). Plus le logement est précaire et insalubre, plus il est ouvert sur l'extérieur et plus il ne cache rien ! Un espace de continuité entre le privé et le public, entre l'intérieur et l'extérieur s'instaure et s'organise au même titre que cette continuité entre travail et vie privée ! La rue est ainsi une annexe de la maison. Sa conquête est une sorte de stratégie qui permet le contrôle social de l'autre : il y a le contrôle du voisin, du passant mais aussi des enfants qui y jouent... Certains même s'arrogent le droit d'aménager l'environnement immédiat par des clôtures, des plantations qui sont des formes d'appropriation. Le processus est très visible dans les quartiers populaires où les populations finissent par s'approprier de vastes espaces qui entourent les maisons ou les immeubles. Le processus commence au début au nom de l'environnement et de la propreté, de la protection de la vie privée ou de la maison du regard mais aussi des différentes formes d'intrusion pour terminer par incorporer ces portions aménagés, embellis et parfois clôturés à la maison. Par contre, les couches aisées adoptent la politique de retranchement spatial où l'espace est marqué par une frontière d'autant plus que le désir d'isolement est grand: clôture haute et blindée, longue allée, jardin, espace réservé aux visiteurs... L'intimité n'est livrée que lorsqu'on veut le faire contrairement aux couches pauvres où on pénètre dans l'intime avant même de franchir le seuil de la maison dans la mesure où une partie de la rue se trouve déjà annexée du moins dans les faits. 10 Du lieu ... au territoire Amor Belhedi III° Colloque "Connaissance et pratiques des milieux et territoires" Département de Géographie, FSHS Tunis, Mars 2000 l'appartenance, l'appropriation et l'identification à travers un processus socio-culturel circulaire liant l'histoire (le temps), le groupe et l'individu. La communauté n'existe que par le contrôle d'un territoire plus ou moins disputé. La territorialité est à la fois, le but, le sens et la finalité de la vie sociale dans la mesure où il n y a pas de rapports sociaux sans espaces appropriés, c'est à dire des territoires. La moindre transgression est porteuse de conflits et de déterritorialisation transformant les territoires en des espaces-supports. (5) - Le pouvoir : instrument d'appropriation, de contrôle et de défense Une fonction essentielle de la territorialité est la présence d'un certain pouvoir quelque soit sa forme. Qui dit appropriation, se réfère inéluctablement à un certain pouvoir qui assure cette appropriation. A ce niveau, le territoire est l'espace qui se trouve commandé et organisé par le pouvoir. Ce dernier peut être économique, politique, religieux ou culturel... C'est ainsi qu'on peut parler du pouvoir économique d'une entreprise ou d'une ville qui commande tout un territoire, appelé souvent zone d'influence ou aire de marché où l'acteur peut modeler les habitudes de consommation et d'achat des populations concernées en agissant sur certains paramètres comme le prix, le circuit de distribution, le découpage territorial ou la hiérarchie des lieux... Un fief politique constitue un territoire commandé par un parti ou une organisation socioculturelle donnée tandis qu'une organisation religieuse peut marquer aussi un territoire donné à travers la filiation et l'autorité qu'elle peut susciter ou utiliser. Derrière toute territorialisation, existe un pouvoir qui commande, contrôle et maîtrise l'espace correspondant. L'appropriation elle-même suppose un certain pouvoir qui la rend possible et réelle. Ce pouvoir peut être très diffus, complexe et peu saisissable mais revient souvent à un foyer pulsateur bien précis même si on arrive difficilement à le localiser ou à l'identifier3. 3 Le logement, par exemple, exprime ce pouvoir à travers sa conception et son organisation. Ce pouvoir peut être détenu par le parrain, le père, la mère, les deux ou même l'ensemble de la famille selon les rapports qui se tissent à l'intérieur du ménage. A chaque type de pouvoir à l'intérieur du ménage correspond une organisation spatiale et une territorialisation données. Le quartier reflète, à son tour, la nature du pouvoir agissant et le rapport de voisinage instauré (crée, reproduit ou imposé) en fonction du mécanisme historique et du contexte qui ont présidé à la création de ce quartier. L'organisation est différente dans un quartier qui s'est développé progressivement au gré des nouvelles recrues suivant les rythmes de l'évolution globale de la ville et sur la base des rapports de voisinage où le nouveau venu adopte les règles des occupants et les reproduit à son tour. Elle est encore différente dans un quartier construit d'un bloc par un opérateur (public ou privé) dans le cadre d'un plan d'aménagement, d'une politique donnée de l'habitat ou de la maîtrise de la croissance urbaine. L'agencement diffère selon la population cible et la clientèle visée (pauvre, moyenne ou aisée...), l'origine géographico-culturelle de cette population (néo-citadins, émigrés, anciens citadins marginalisés ou promus, habitants du Centre ou des immeubles...). 11 Du lieu ... au territoire Amor Belhedi III° Colloque "Connaissance et pratiques des milieux et territoires" Département de Géographie, FSHS Tunis, Mars 2000 Le pouvoir permet l'appropriation spatiale certes, mais aussi la maîtrise et le contrôle pour sauvegarder cette propriété réelle ou fictive, matérielle ou morale. En effet, l'appropriation n'est possible que lorsqu'on dispose des outils permettant le contrôle et la maîtrise de l'espace. Ces deux notions supposent la puissance (réelle ou potentielle) pour défendre le territoire et l'organiser selon des modèles voulus et souhaités; autrement le territoire finit par s'effriter et redevenir un simple espace de retranchement et de survie. (6) - La mémoire, le temps et l'histoire, le patrimoine Un territoire est un espace qui a une mémoire et qui constitue la mémoire de la collectivité. Cette mémoire contribue à former les identités individuelles et collectives. Le territoire est une accumulation historique sur un espace donné de la mémoire collective ou individuelle. C'est cette dimension temporelle de l'espace sans laquelle, il n'y a plus de mémoire, il n'y a pas d'accumulation et de processus de reproduction d'une collectivité, il n' y a pas non plus cet attachement qui fonde l'appartenance et le processus identitaire. Le territoire n'est pas uniquement une mémoire qui fixe le passé, il est aussi l'actualité et l'avenir dans la mesure où il permet la reproduction. Il se forme et se précise avec et dans le temps long, il fait partie intégrante de l'individu ou du groupe, il constitue ainsi un patrimoine. (7) - La solidarité et la logique agrégative Le territoire se fonde sur la solidarité de ses parties et des espaces qui le constituent. Autrement, il n'y a pas de territoire sans la solidarité entre les lieux ou les espaces qui le composent. Si l'espace relève plutôt d'une logique de partition, le territoire se trouve régi par une logique d'agrégation solidaire qu'on retrouve dans les fondements de l'aménagement du territoire. Le territoire est une création, un espace approprié dans le sens de propre à (à soi, à quelque chose...), il est la base spatiale de l'existence sociale. Toute société a, produit, organise du territoire dont les parties ne sont pas équivalentes et se trouvent affectées à des fonctions différentes par nécessité ou par choix. Une société dispose, en fait, de plusieurs territoires pour assurer les différentes fonctions: habiter, travailler, se recréer, rêver. Le territoire est forcément multiscalaire (plusieurs échelles du quartier à l'espace multinational...). La pire des situations c'est de ne pas disposer de territoire à défendre ! Aussitôt approprié, le territoire se trouve affecté, spécialisé, recomposé et chargé par le temps et l'histoire qui en fait la mémoire tout en y plaçant du nouveau et du sien. La réaffectation est permanente et l'aménagement territorial n'est en fait que cette réaffectation selon un projet (plan) d'ensemble. Le territoire est un espace prométhéen (R Brunet, 1990). 12 Du lieu ... au territoire Amor Belhedi III° Colloque "Connaissance et pratiques des milieux et territoires" Département de Géographie, FSHS Tunis, Mars 2000 Un territoire est fait de lieux reliés. Sans cette liaison il n'y a point de territoire. On a souvent pris l'habitude de réfléchir lieu et l'opposer même au territoire d'où le choix de la bonne localisation, du site le plus approprié indépendamment des interrelations entre lieux ou de l'environnement des lieux. On s'intéresse plutôt aux qualités propres des lieux: localisation, site, terrain, subvention... Chaque lieu faisait ainsi sa politique propre sans se soucier des interrelations avec les autres lieux, c'est à dire du territoire solidaire. Le territoire se trouve oublié devant les exigences du lieu, de l'entreprise et du local. Le territoire est un produit social qui a ses lois et ses acteurs qui doivent être analysés et étudiés comme tels. (8) - Une communauté: l'expression territoriale collective Un territoire est avant tout une appropriation communautaire (collective) de l'espace, c'est l'organisation communautaire d'un espace socialisé et re-connu. La crise des territoires n'est que celle des communautés correspondantes qu'on peut voir brièvement à travers trois exemples de l'Etat, de la ville ou de la région. L'Etat est la plus territoriale des organisations humaines, la notion de souveraineté se définit par rapport à un territoire et une frontière et l'exercice du pouvoir se mesure à l'efficacité du contrôle territorial exercé. Il n'y a pas de territoire sans expression collective de cette territorialité comme il n'y a pas d'Etat sans cette conscience collective territoriale. Un peuple sans Etat est privé de son expression naturelle. Cette territorialité est le prolongement historique des autres formes de territorialité avec les sentiments d'identité, d'appropriation, d'intimité, d'agression-défense. Le territoire serait cette terre sacrée et sublimée. L'Etat n'est pas l'expression d'une réalité géographique préexistante dans la mesure où l'Etat moderne est une création historique. La frontière est à défendre et à justifier à la fois ce qui a privilégié souvent la frontière naturelle (lignes de crête ou les talwegs, cours d'eau...) mais aussi artificielle, qu'elle soit une limite finit par créer le fait. La ville est au centre des organisations territoriales. Elle participe d'une double territorialité, elle est territoire tout en disposant d'un territoire (institution, activité). Elle combine le mouvement et la territorialité. La conduite territoriale exprime le statut et les attentes du groupe4. 4 On n'a qu'à comparer le comportement territorial des classes aisées et des classes peu nanties. Classes aisées Classes pauvres Manifestation de prestige et relations Manifestation de sécurité et de sociales solidarité Réseau libéré des contraintes de Réseau de proximité et de voisinage proximité Villas de luxe fermées, des isolats Des espaces ouverts sur la rue 13 Du lieu ... au territoire Amor Belhedi III° Colloque "Connaissance et pratiques des milieux et territoires" Département de Géographie, FSHS Tunis, Mars 2000 L'exemple des grands ensembles montre qu'en l'absence de ce sentiment collectif de territorialité, la proximité sociale aggrave encore plus la distance sociale d'où l'agressivité, la violence et l'insécurité. Cet habitat n'a juxtaposé que les trajectoires, les attentes mais aussi les échecs dans une situation d'atomisation extrême d'où l'échec de cette nouvelle territorialité avec l'accroissement des distances-temps du ménage (activité, équipements..). La crise urbaine n'est pas liée à une forme d'habitat mais plutôt à un changement rapide des conditions de vie d'où la dilution des aspects les plus élaborés et les plus collectifs de la territorialité et le retour à des attitudes primaires (possession, agression, défense...). L'échec de la décentralisation provient du fait que les groupes sociaux n'ont plus une base territoriale et la décentralisation administrative et politique n'est pas suffisante. Face à l'organisation du pouvoir économique, l'Etat n'est plus en mesure d'assurer la protection nécessaire. La crise n'est pas territoriale mais le territoire demeure l'un des meilleurs lieux d'appréciation de la crise. Le territoire devient au coeur des revendications (régionales, nationales), des enjeux et des prises de conscience. Conclusion Le privilège de l'homme c'est d'adapter le milieu tout en s'y adaptant. L'homme, animal sans umwelt, a étendu son domaine vital jusqu'à un monde total mais reste toutefois un animal agressivement territorial dans la mesure où c'est toujours à l'intérieur de limites précises qu'une société réalise son projet et organise son espace. La territorialité est une exigence bio-sociale, à mesure que l'espace géographique se dégage de l'espace écologique, il s'identifie plus étroitement avec la société et se territorialise. La territorialité, contrairement au milieu, se fonde sur la solidarité (spatiale, sociale et chronologique) permettant la reproduction, le développement endogène conforme aux ressources locales, l'autonomie territoriale permettant l'appropriation et l'organisation autocentrée conforme aux besoins locaux. Elle s'appuie sur la réhabilitation constante du rapport à l'espace pour en faire un territoire ce qui nécessite son aménagement permanent et la maîtrise des techniques utilisées sans laquelle toute intervention devient intrusion. L'intérêt exagéré accordé à la matérialité, la centralité du paradigme fonctionnaliste et économiste, la déterritorialisation et l'évacuation du cadre de vie dans l'organisation spatiale ont contribué à inverser l'approche tandis que les expériences de développement et les opérations d'aménagement ont consacré le retour du territoire. Ce paradigme territorial existentialiste et environnementaliste se fonde sur le rapport étroit homme-milieu qui fait du premier le produit du 14 Du lieu ... au territoire Amor Belhedi III° Colloque "Connaissance et pratiques des milieux et territoires" Département de Géographie, FSHS Tunis, Mars 2000 second et les formes spatiales sont le produit du local. On retrouve ici l'éco-développement qui réhabilite le milieu en le territorial. La territorialité est une métastructure spatiale (un ensemble de structures) qui rattache l'individu à son milieu territorial. L'appropriation territoriale (en plus qu'elle est juridique et affective) est aussi économique, culturelle, politique et sociale. Le territoire est une réordination (une sémiotisation).de l'espace (CC Raffestin 1986). Le territoire est une terre, une psyché et un référent collectif à la fois. Il est forcement multiscalaire (plusieurs échelles du local au multinational) Le territoire géographique est ouvert tandis que le territoire politique est fermé et borné. C'est la combinaison de la psyché, de la position sociale; de la causalité culturelle et de l'effet de lieu. Il constitue une formation socio-spatiale (FSS) qui combine plusieurs instances: l'instance géographique (l'espace concret: écosystème, pratique, carte, paysage), économique (l'espace de production et de distribution), idéologique (représentation, culture) et celle du pouvoir (discours, actes, stratégies) dans un jeu bipolaire (infrastructure-superstructure) intégrant la dialectique, le structuralisme et la systèmogenèse. Au total, les travaux géographiques sont restés le plus souvent au niveau du lieu (géographie humaine), du milieu (géographie physique) selon qu'ils s'attachent aux attributs et aux particularités intrinsèques des lieux ou se focalisent sur la dimension physique et environnementale des milieux. L'approche spatiale (dans le sens d'organisation, de structure et de mise en relation) est restée timide tandis que la problématique territoriale se trouve évacuée dans la mesure où elle ne pose que des problèmes (tant au niveau technique,, épistémologique que sociopolitique) mais s'avère la plus féconde et la plus prometteuse pour deux raisons: la première est que le territoire englobe et dépasse les trois autres composantes de lieu, de milieu et d'espace tout en les revisitant; la seconde est la réhabilitation du socio-politique à travers la territorialité qui est une nécessité bio-sociale. Selon le terme adopté ou (et) considéré comme paradigme central de la réflexion géographique, les itinéraires se trouvent tracés et les jalons déjà placés mais les enjeux sont aussi considérables. L’analyse montre que lieu, milieu, espace et territoire se trouvent emboîtés dans une sphère cognitive progressive où le passage de l’un à l’autre est à la fois subtil et inéluctable à condition de ne pas s’arrêter à mi-chemin. Bibliographie Alliés P - 1980 : L'invention du territoire. Presses Universitaires de Grenoble. 15 Du lieu ... au territoire Amor Belhedi III° Colloque "Connaissance et pratiques des milieux et territoires" Département de Géographie, FSHS Tunis, Mars 2000 Belhedi A - 1990 : Espace et transaction sociale ou le rapport du social à la matérialité. Cours publics de la Faculté des Lettres de Manouba. Belhedi A - 1998 : Repères pour l'analyse de l'espace. Cahiers du Ceres 19, 459 p. Brunet R - 1990: Le territoire dans les turbulences. Reclus, Coll. Géographiques, 223p. Brunet R, Ferras R et Thiery H - 1993: Les mots de la géographie. Debardieux B - 1995 : Le lieu, fragment et symbole du territoire. Espaces et Sociétés 82-83. Debardieux B - 1995 : Le lieu, le territoire et trois figures de rhétorique. L'Espace Géographique, 2. Di Méo G - 1991 : L'homme, la société, l'espace. Anthropos coll. Géographie, Paris. Di Méo G (dir) - 1996 : Les territoires du quotidien. L'Harmattan, coll. Géographie sociale. Di Méo G - 1998 : Géographies sociales et territoires. Nathan université, Fac Géographie, 320p. Falque M - 1974 : De l'espace au territoire. Options Méditerranéennes, 23, pp : 54-66. Hoerner J. M - 1996 : Géopolitique des territoires: de l'espace approprié à la suprématie des Etats-Nations. PU Perpignan, coll. Etudes. Isnard H - 1978 : L'espace géographique. PUF. Isnard H, Racine J B, Reymond H-1973 : Problématiques de la géographie. PUF, 1981. Piveteau J. L - 1995 : Le territoire est-il un lieu de mémoire? L'Espace Géographique 2. Pradeau J. 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