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Divodurum. Metz antique

2017, Antiquité Magazine

Metz est une ville importante durant l’Antiquité en raison de sa situation stratégique, à la confluence de la Moselle et de la Seille. Depuis une trentaine d’années, son histoire s’est enrichie grâce aux travaux de l’archéologie préventive, affinant les connaissances du passé gallo-romain de la ville.

9 gaule romaine divodurum metz antique Metz est une ville importante durant l’Antiquité en raison de sa situation stratégique, à la confluence de la Moselle et de la Seille. Depuis une trentaine d’années, son histoire s’est enrichie grâce aux travaux de l’archéologie préventive, affinant les connaissances du passé gallo-romain de la ville. 8 4 5 6 2 1 3 4 Antiquité magazine divodurum, metz antique Vue panoramique de Metz vers le IIe-IIIe siècles. 1 Porte de la ville, ralliant le cardo et donnant sur la voie vers Trèves 2 Thermes du nord 3 Porte de la ville, en direction de la voie de Strasbourg 4 Porte de la ville, ralliant le decumanus, et donnant sur les voies vers Mayence et Strasbourg 5 Thermes SaintJacques 6 Maison Quarrée et centre monumental 7 Petit amphithéâtre 8 Porte de la ville, au niveau de l’actuelle pont des Roches, menant à Verdun et Reims 9 Grand amphitéâtre 10 Porte de la ville, sous l’actuelle Porte Serpenoise, ralliant le cardo et donnant sur la voie vers Trèves. ❚ (Aquarelle de Jean-Claude Golvin. Musée départemental Arles Antique © Jean-Claude Golvin / Éditions Errance.) 10 par Kévin Alexandre Kazek et Julien Trapp 6 7 A près la conquête des Gaules au milieu du Ier siècle avant notre ère, Divodurum, dont le nom pourrait signifier colline divine ou un lieu sacré, devient le chef-lieu de la civitas Mediomatricorum, la cité des Médiomatriques. Elle est rattachée à la province de Gaule belgique (Gallia Belgica) dont la capitale est Reims. Divodurum a développé son territoire autour de l’ancien oppidum celtique. Rarement citée par les historiens antiques, elle n’est mentionnée qu’à l’occasion d’épisodes violents. À son apogée, sa population est estimée à près de 10 000 habitants, répartis sur une centaine d’hectares. Cela en fait une des villes les plus importantes de Gaule belgique durant le Haut Empire, après Trèves et Reims. n°8 / été 2017 5 gaule romaine L’oppidum celtique de Metz L Torque retrouvé dans les environs de Metz, Âge du fer. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) es premières traces d’occupation du site de Metz remontent au Bronze final, vers 1 000 av. J.-C., avec la découverte d’urnes cinéraires sur la colline Sainte-Croix. L’occupation pérenne du site semble toutefois n’avoir lieu qu’à la fin de l’âge de Fer, entre le IIIe et le Ier siècle av. J.-C. La mise au jour d’une quinzaine d’urnes funéraires témoigne de la présence d’une nécropole durant la seconde moitié du IIIe siècle av. J.-C. Le mobilier funéraire se compose essentiellement d’éléments de parure, comme des torques et des fibules. Situé à la confluence de la Moselle et de la Seille, le site est fortifié vers 110 av. J.-C. L’oppidum est installé en hauteur (188 m) et s’étend peut-être sur une dizaine d’hectares. Pour le protéger, un rempart composé de poutres en bois, de pierre et de terre, est construit, puis réparé à deux reprises jusqu’à la guerre des Gaules au milieu du Ier siècle av. J.-C. Ce rempart bénéficiait d’un fossé de protection au nord et au sud de la colline. Pourtant, l’organisation interne de l’oppidum demeure mal renseignée, tout comme son importance au sein de la cité des Médiomatriques. Les activités qui y étaient pratiquées sont d’ailleurs indéterminées. Long- temps considéré comme le chef-lieu de la cité, les travaux récents tendent à montrer que l’oppidum principal était situé près de Saverne (Bas-Rhin, Alsace), au fossé des Pandours, et que celui de Metz avait une position secondaire. ❚ Urne cinéraire datant de la seconde moitié du IIe siècle av. J.-C. découverte sur la colline Sainte-Croix à Metz. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) Évocation 3D du mur à poutrage interne qui protégeait la colline Sainte-Croix à la fin du IIe siècle av. J.-C. (infographie Nicolas Gasseau, extrait de l’Atlas historique de Metz.) Divodurum présente une emprise urbaine étendue dès la fin du Ier siècle avant notre ère. Comme de nombreuses villes romaines, elle s’organise autour de deux axes de communications majeurs, le cardo maximus et le decumanus maximus. La voie d’Agrippa reliant la frontière de l’Empire (limes) à la Méditerranée constitue le cardo maximus et pénètre dans le tissu urbain par la porte Serpenoise, au sud. Cette voie se dirige au nord vers Trèves en longeant la rive orientale de la Moselle. Le decumanus maximus semble traverser la ville d’est en ouest en empruntant l’actuelle Fournirue pour sortir de la ville à l’est en direction de Mayence (Mogontiacum). L’organisation interne est mieux connue grâce aux fouilles archéologiques des trente dernières années, montrant les particularités du tracé des voies antiques à Metz. En effet, il n’existe pas de quadrillage orthonormé régulier, comme dans d’autres villes romaines de l’Empire, mais plusieurs orientations du réseau viaire. Au sud, les rues s’organisent autour d’un plan plus ou moins trapézoïdal, avant de retrouver une organisation plus régulière dans le secteur des rues Winston-Churchill et du Coëtlosquet. Des faubourgs se sont développés dès le Haut Empire. À l’ouest et à l’est, les quartiers d’Outre-Moselle et d’Outre-Seille s’organisent selon la topographie, sans suivre celle du centre de la ville. Pour le relier, des ponts en bois sont construits. Un est attesté en amont du pont Saint-Georges, permettant d’atteindre le Pontiffroy, tandis qu’un autre a pu enjamber la Seille dans le secteur de la place des Paraiges, pour rejoindre l’Outre-Seille. Au sud de la ville, les fouilles récentes de l’INRAP et de Metz Métropole ont montré une occupation résidentielle et artisanale des environs du grand amphithéâtre entre la fin du Ier siècle et le Ve siècle. Le secteur de la place Mazelle, près de la Seille, est occupé par une zone de dépotoirs durant la seconde moitié du IIIe siècle, tandis que le quartier de Sablon accueille des zones de nécropoles. ❚ Chapiteau pseudo-corinthien découvert dans le secteur de l’esplanade. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) 6 Antiquité magazine divodurum, metz antique La parure monumentale Alors que les maisons en terre et en bois sont remplacées progressivement par des bâtiments en pierre durant la seconde moitié du Ier siècle, le centre public avec ses édifices monumentaux qui apparaissent à cette période reste assez mal connu. Des monuments publics mal identifiés D’après la tradition, le centre de Divodurum était localisé au croisement du cardo maximus et du decumanus maximus, sans que cela n’ait été formellement prouvé. Le forum, centre de la vie civique et commerciale de la cité, ne peut donc pas être localisé avec précision. Son emplacement supposé pourrait se situer entre la rue au Blé et la rue Serpenoise, traversant les actuelles places Jean-Paul-II et Saint-Jacques. Des éléments architecturaux découverts à proximité abondent dans ce sens. Alors que la présence d’une basilique imaginée par René Jolin est plus qu’hypothétique, il est certain qu’un autre bâtiment antique, la Maison Quarrée, est avéré au centre de cet ensemble. Son plan rectangulaire de 22,50 m sur 17,50 pour une hauteur de plus de 16 m laisse penser à un bâtiment public. Sa fonction n’est toutefois pas reconnue avec certitude. Il pourrait s’agir aussi bien d’une basilique, que d’un temple d’inspiration celtique, ou fanum, comme celui de Janus à Autun. À une dizaine de mètres au sud de ce bâtiment, un ensemble interprété par R. Jolin comme un portique, a été mis au jour au XVIIIe siècle. D’autres structures pouvant être identifiés comme des édifices publics ont, par ailleurs, été observés dans la ville. Près de l’entrée sud, sous les bâtiments de l’évêché actuel, deux pièces contigües datant de l’époque gallo-romaine sont encore visibles. À ce jour, ces deux galeries ont été identifiées comme des cryptoportiques ou un entrepôt. Un autre ensemble monumental, situé entre la Nexirue et la rue des Clercs, peut être interprété comme un bâtiment public. Outre un mur de pierre conservé sur plus de 12 m, une baignoire ainsi qu’un système de chauffage par hypocauste ont été mis au jour. Vue de l’élévation de la Maison Quarré de Metz au XVIIIe siècle. L’ensemble est appareillé en pierre calcaire et en brique. (Erik Groult, d’après Caylus, 1762.) Divodurum au IIIe siècle. En rouge, l’aire urbanisée reconnue au Haut Empire. (DAO Julien Trapp, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) Élément d’architrave, place Saint-Jacques. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) n°8 / été 2017 7 gaule romaine Inscription découverte près de l’amphithéâtre mentionnant M. Vegisonius Marcellus. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) Plan de l’amphithéâtre de Metz. En rouge, les parties exhumées lors des fouilles, en gris, la restitution hypothétique du plan. (DAO Bernard Paiche / Damien Bouet, d’après Schramm 1902.) L’amphithéâtre Evocation de l’amphithéâtre de Metz et de son quartier. (infographie Nicolas Gasseau, extrait de l’Atlas historique de Metz.) 8 Dans de nombreuses villes de l’Empire, c’est sans nul doute l’amphithéâtre qui caractérise le mieux les apports de la civilisation romaine. En Gaule, les monuments de spectacle des cités les plus riches sont souvent imposants, semblables aux plus belles réalisations italiques. À ce titre, le Colisée de Rome, construit sous les Flaviens, reste pour les puissants le modèle par excellence que l’on rêve d’égaler. Par ses dimensions gigantesques et ses décors très luxueux, ce colosse incarne à lui seul l’orbis romanum (l’Empire romain.) Dans toutes les provinces, l’affirmation des élites locales passe par la construction d’édifices majestueux qui symbolisent leur pouvoir. L’architecture particulière de l’amphithéâtre est unique et frappe indéniablement les esprits des populations et, surtout, des voyageurs qui découvrent pour la première fois un tel monument. À Divodurum, l’emplacement du grand amphithéâtre dans la plaine du Sablon remplit parfaitement ce rôle auprès de tous ceux qui arrivent au cheflieu de cité par le sud. Antiquité magazine Les principales dimensions de ce monument ont été données par E. Schramm à la suite de fouilles réalisées entre 1902 et 1903. Le grand axe mesure 148 m de long pour un petit axe de 124,32 m. La cavea (gradins) possède une surface de 12 332 m2 et peut fournir plus de 30 000 places assises. L’arène (du latin arena, le sable), sur laquelle se déroulent les spectacles, bénéficie d’une surface confortable de 2 119 m2, soit 61 m2 de plus qu’à Nîmes mais 1526 m2 de moins qu’à Rome ! Cela n’enlève rien au caractère exceptionnel de l’édifice messin qui se place par sa taille et ses capacités de contenance au deuxième rang des monuments de spectacles en Gaule, un territoire où l’on a découvert plus de 41 constructions de ce type. Avec le Colisée, seuls cinq amphithéâtre surpassent celui de Divodurum dans le reste de l’Empire (Caesarea, Carthage, Capoue, Pouzzoles et Vérone) et pour la Gaule belgique, il fait figure d’unicum puisque Trèves possède une structure bien différente équipée de places moins nombreuses. Au temps de sa splendeur, l’amphithéâtre devait paraître colossal. Sa façade constituée de deux ou trois étages mesurait près de 30 m de hauteur et comportait de nombreuses arcades ainsi qu’un décor de colonnes sur le premier niveau. L’ensemble reflétait les aspirations de la cité et servait à marquer son prestige. Cet édifice ou, tout au moins, une partie, a pu être élevé grâce à l’évergésie d’un certain M. Vegisonius Marcellus, notable de la cité, d’après une inscription découverte en 1737 près de la porte Saint Thiebault et l’existence d’un fragment lapidaire retrouvé en 1902 près de la redoute du Pâté (Corpus des Inscriptions Latines, XIII, 4317-4318). Cette pierre conservée au Musée de La Cour d’Or, mentionne très distinctement le gentilice d’origine gauloise du donateur : VEGISO(nius). divodurum, metz antique Mosaïque aux gladiateurs, découverte place Coislin, IIe-IIIe siècles. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) Malheureusement, la date exacte de construction de l’amphithéâtre reste discutée. E. Schramm proposait de placer son érection au règne de Trajan (98-117 ap. J.-C.) à la suite de la découverte d’une monnaie à son effigie, tandis que J.B. Keune (directeur du Musée à partir de 1899) avançait l’époque flavienne et plus particulièrement les environs de l’année 80 ap. J.-C. qui vit l’inauguration du Colisée. Si les fouilles récentes de l’INRAP menées par F. Gama en 2006-2007 n’ont pas permis d’affiner cette chronologie, elles ont toutefois servi à démontrer que le quartier de l’amphithéâtre a commencé à se développer dans le dernier quart du Ier siècle. Est-ce une simple coïncidence ou la confirmation d’un essor économique qui touche cette zone peu après la mise en service du grand amphithéâtre ? En effet, il faut imaginer une intense activité liée aux spectacles à cet endroit avec des lieux d’accueil pour le public, des tavernes pour se restaurer et des commodités prévues pour le bien-être de tous. La mosaïque aux gladiateurs mise au jour en 1969 place Coislin donne une idée assez précise des exhibitions auxquelles pouvaient assister les médiomatriques et les voyageurs en recherche de sensations fortes. Sur ce pavement ce sont des combattants réputés qui s’affrontent mais tout indique que l’arène de Divodurum devait proposer d’autres divertissements. Les amateurs de cynégétique de tradition gauloise – avec ses codes vestimentaires et ses techniques que l’on devine en observant l’iconographie de la céramique sigillée –, devaient apprécier les venationes données dans l’arène. Ces chasses sanglantes au cours desquelles les ours, les cerfs et les sangliers s’affrontent ou s’opposent à des hommes armés d’épieux mettaient à l’honneur la bravoure et la persévérance. De même, les ludi meridiani (jeux de midi) qui réunissent des combattants utilisant des fouets et des bâtons, comme on peut les découvrir sur des enduits peints de la villa de Liéhon (Moselle) mis au jour en 2003 par J.-D. Laffitte, avaient aussi les faveurs des spectateurs. LA Mosaïque aux gladiateurs une mosaïque pour se souvenir On mesure souvent l’importance d’une ville à la variété de ses restes matériels. Divodurum possédait une parure monumentale de qualité comme en témoigne le grand amphithéâtre mis au jour dans le quartier du Sablon au tout début du XXe siècle. Lors des fouilles, on pouvait aussi s’attendre à trouver davantage de décors soignés, manifestation des goûts d’une population aisée, mais le faible nombre de mosaïques dégagées au sein de l’agglomération messine a très tôt frappé les archéologues. Ce n’est qu’en 1969 qu’un pavement remarquable fut enfin découvert place Coislin. Il possédait un intérêt multiple puisqu’il présentait la première scène historiée trouvée à Metz, il donnait à voir quatre gladiateurs dans l’attitude du combat et, surtout, il était inscrit. À cette époque, la seule mosaïque inscrite connue pour l’ensemble de la Gaule belgique se trouvait à Trèves, en Allemagne. Il s’agissait d’une belle réalisation qui avait été exhumée à la fin du XIXe siècle et sur laquelle figurait l’aurige Polydus. La trouvaille messine était donc intéressante à plus d’un titre et son caractère insolite se confirmait par la présence de gladiateurs. Un type de représentation qui était alors peu répandu dans les répertoires iconographiques. Après une restauration qui donna lieu à une étude stylistique, quatre combattants purent être identifiés puis clairement désignés : – un homme maintenant une hampe dont la position du corps rappelle la posture du retiarius. Les trois lettres restantes (DVS) ne constituent qu’une partie de son anthroponyme. – un personnage tourné vers la droite, armé d’un long bouclier et d’un petit glaive, qui doit appartenir à la catégorie des secutores. La lettre M semble bien correspondre au commencement de son nom. – un second retiarius – Senilianus ou Seninianus – parfaitement reconnaissable à sa large épaulière (le galerus). – un second secutor, Prudens, coiffé d’un casque enveloppant très caractéristique. Au-delà de cette galerie de gladiateurs dont la panoplie correspond peu ou prou aux canons habituels, ce sont surtout les signes graphiques qui ont attiré l’attention des historiens. Ils servent à identifier des hommes qui ont sûrement dû exister et qui ont probablement foulé le sable de l’amphithéâtre de Metz. Pour cette raison, la présence de lettres confère à ce pavement une dimension historiographique de premier ordre. On peut supposer que certains spectacles donnés à Divodurum étaient renommés pour leur qualité. Bien que l’on relativise aujourd’hui la fréquence des affrontements qui mettaient aux prises des gladiateurs célèbres dans les arènes de province, cette mosaïque inscrite témoigne d’une pratique qui n’était pas inconnue des populations gallo-romaines. D’ailleurs, la volonté d’immortaliser dans la pierre l’image de ces stars de l’amphithéâtre va absolument dans ce sens. Celui de louer une exhibition hors du commun qui a, semblet-il, marqué les esprits. ❚ Sur ce point, l’organisation des jeux de l’amphithéâtre peut être considérée comme une des originalités de Divodurum. À n’en pas douter, Metz était un carrefour incontournable pour toutes celles et ceux qui souhaitaient se divertir, passer du bon temps et profiter des plaisirs offerts par la ville. Cet art de vivre, fait de loisirs et d’amusements typiquement romains, se retrouvent pleinement dans l’aménagement de la demeure au sein de laquelle les peintures murales et les mosaïques contribuent, à leur manière, au bien-être quotidien d’une frange de la population. n°8 / été 2017 9 gaule romaine Enduit peint représentant un chasseur à l’épieu, Metz Pontiffroy, fin du Ier siècle - début du IIIe siècle. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or,Metz Métropole.) Le décor de la maison Les sociétés occidentales actuelles ont, d’une certaine manière, des modes de vie très proches des populations gallo-romaines des Ier et IIIe siècles ap. J.-C. : les loisirs et la recherche du bienêtre à la maison en constituent deux aspects importants. Le décor de la demeure par le choix des motifs iconographiques et des couleurs employés pour l’ornementation des murs et des sols renvoie aux autres l’image de la réussite, des goûts et du raffinement du propriétaire. Après la conquête, avec l’essor de la romanisation, les savoir-faire et les modes de vie inspirés par la tradition gréco-romaine pénètrent progressivement les différentes provinces de l’Empire. En Gaule, l’appartenance à la romanité peut se traduire de différentes manières. L’apprentissage du latin et le besoin de dévoiler son éducation – comme l’illustre l’iconographie de plusieurs stèles funéraires mises au jour lors des travaux du centre Saint Jacques – constituent un moyen d’affirmer cette adhésion à la culture romaine, tandis qu’au sein de la sphère privée, ce sont des décorations soignées et des aménagements utilitaires qui assurent ce rôle. Plafond à réseau de motifs de losanges, d'octogones et de fleurons cordiformes, Metz, rue de la Glacière, début du IIIe siècle. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) 10 Antiquité magazine Ici, la fonction des pièces qui reçoivent ces décors est fondamentale comme le nombre et la qualité des mosaïques et des enduits peints qui ornent les sols et les parois de l’habitation. Il faut donc rester prudent lors de l’interprétation de ces traces d’un savoir-faire et d’un savoir-vivre romain. Finalement, les notions d’esthétisme, de qualité du travail (quels types d’ateliers ?) comme la quantité des décors peuvent naturellement concourir à mieux discerner une maison riche ou très riche de l’habitat des classes moyennes et des plus modestes. À titre d’exemple, à Metz et dans sa région, les fouilles menées ces dix dernières années n’ont pas permis d’exhumer le moindre pavement de mosaïque. À l’inverse de Trèves qui conserve des dizaines de mosaïques, seules quatre réalisations remarquables traduisent une forme de richesse du décor de la maison messine pour les IIe et IIIe siècles ap. J.-C. Il s’agit de la mosaïque aux gladiateurs dégagée place Coislin en 1969 dont l’iconographie trouve un pendant sur des enduits peints découverts dans le quartier du Pontiffroy en 1974 (scènes de venatio et de ludus meridianus), de la mosaïque aux oiseaux trouvée rue Maurice-Barrès en 1970, de la mosaïque de la rue Pierre-Hardie mise au jour en 1994 et d’une petite réalisation géométrique exhumée en 1990 rue de la Princerie, conservée in situ. Ce faible nombre s’explique difficilement, malgré l’existence de deux pavements remarquables, aujourd’hui détruits, découverts lors de la construction de l’Hôtel de ville en 1754 et pour lesquels aucune technique de dépose n’avait été envisagée à l’époque. À l’inverse, les découvertes de peintures murales sont beaucoup plus fréquentes et dévoilent une importante diversité technique et iconographique. Mais comme l’ont montré les synthèses récentes, elles ne sont pas toujours l’apanage des maisons excessivement riches. L’exemple des imitations de marbre pour la décoration des murs est sur ce point très éclairant comme en témoigne le résultat des fouilles menées en 2001 sur l’îlot Turmel et en 2009 sur le site de Sainte-Chrétienne. Le goût pour le mouchetis, procédé éco- divodurum, metz antique nomique de réalisation d’une imitation de marbre va progressivement laisser place à des réalisations plus soignées qui donnent vraiment l’impression d’être en présence d’un décor marbré ou de marbres veinés. Finalement, la seule maison messine réunissant toutes les qualités d’une demeure de grand standing a été mise au jour rue de la Pierre-Hardie. Ce site a révélé plusieurs phases d’habitats successifs. Ce sont les dernières phases d’occupation qui donne une idée de ce que pouvait être une très belle domus en pierre entre 170 et 250/260 ap. J.-C. à Divodurum. Ici, tous les éléments de confort sont réunis : une pièce chauffée par un système d’hypocauste (l’ancêtre de notre chauffage au sol), une mosaïque géométrique polychrome de bonne facture avec des motifs de peltae et de scutae (deux types de boucliers utilisés par les guerriers de l’Antiquité), une peinture murale d’une belle qualité d’exécution avec prédominance de rouge cinabre et des fragments d’enduits peints à fond blanc ayant servi à la décoration d’un plafond à réseaux constituées de losanges et d’octogones, comme ceux mis au jour rue de la Glacière en 1958 et rue des Capucins en 2000. Bien entendu, il s’agit d’une découverte exceptionnelle qui témoigne de tout ce que la civilisation romaine a su développer de plus moderne, de plus usuel et de plus beau. Un autre exemple, celui de la rue Maurice-Barrès, n’a malheureusement pas permis une étude comparable. Un incendie a ravagé cette domus à une époque indéterminée ne permettant que quelques prélèvements d’enduits. Pourtant, une mosaïque en parfait état de conservation présente un décor central constitué d’une fleur à quatre pétales rouges donnant naissance à des motifs cordiformes dans lesquels figurent des oiseaux. Douze autres cœurs entourent ce motif. Quatre comportent des volatiles, dont l’un becquette un fruit, tandis que les derniers accueillent des canthares soutenus par des volutes. Cette image pleine de fraicheur traduit un autre aspect de la civilisation gallo-romaine bien éloigné des considérations belliqueuses d’un pavement évoquant les spectacles de l’arène. Ici, c’est la douceur de vivre à la romaine qui est privilégiée où la nature et la fertilité ont une place essentielle. On retrouve fréquemment ces thèmes dans la mosaïque, mais à l’origine c’est surtout avec la peinture murale que s’est développée cette imagerie naturaliste. Une fresque de la villa de Livie de Prima Porta datée de 20-10 av. J.-C. évoque un jardin en trompe l’œil dans lequel des oiseaux perchés sur des branches se nourrissent de fruit à la manière du volatile frugivore de Maurice-Barrés. On retrouve cette même ambiance bucolique au sein des appartements sud-est de la villa de Liéhon dans laquelle un espace plus intimiste montre la peinture d’un jardin fictif agrémenté de paons, délimité par une pergola faite de fins poteaux. Oiseau à houppette, mosaïque de la rue Maurice-Barrès (Metz), IIe siècle. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) Ce dernier exemple traduit une pérennité des décors d’inspiration italique réadapté en fonction des espaces de la demeure et de sa localisation en ville ou à la campagne. Le propriétaire d’une villa privilégiera ainsi des espaces ouverts sur le paysage en laissant parler son imagination et en jouant sur le contraste entre le réel et l’illusion à l’instar des immenses propriétés italiennes au sein desquelles les puissants rivalisent d’ingéniosité pour étaler leur richesse. Dans les premières décennies du Ier siècle ap. J.C., comment définir alors le bien du propriétaire de la maison découverte en 1987 rue Marchant ? Sa demeure était-elle une vaste domus ou un habitat plus modeste ? Ici, pas de mosaïque de sol mais une pièce recouverte d’un terrazzo (mélange de pierre, de sables et de tuiles pilées) et, surtout des décors peints sur un mur de terre et de bois. Pourtant, la finesse des peintures et des aménagements de la maison (bassin extérieur, cour) pousse à voir en ce lieu une résidence de belle qualité. Dans une première pièce, au-dessus d’une plinthe rose, s’élançaient des panneaux noirs encadrant un petit panneau rouge figurant un candélabre à boules. L’autre pièce, plus riche encore, offrait de grands panneaux rouges qui alternaient avec des panneaux noirs plus étroits, décorés eux-aussi de candélabres. Certains motifs (palmettes, feuilles, canthares, clipeus, etc.) accentuaient le caractère élaboré de ces peintures inspirées du IIIe style pompéien. Mosaïque aux peltae et aux scuta, Metz rue de la Pierre-Hardie, fin du IIe-début du IIIe siècle. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) n°8 / été 2017 11 gaule romaine Amour chevauchant un dauphin, Pontiffroy, fin du Ier siècle-début du IIe siècle. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) Le choix des matériaux utilisés et des espaces à décorer répond au courant stylistique du moment. L’absence de mosaïque en ce début du Ier siècle à Metz ne doit pas étonner outre mesure et peut sembler compréhensible si l’on considère que le développement de cette technique de décoration de sol a réellement commencé à se diffuser dans le dernier quart du Ier siècle dans notre région et que l’essentiel des habitations sont en matériaux périssables à cette date. Cette courte présentation, très incomplète, des différents décors mis au jour dans les quelques maisons messines montre qu’il est délicat d’évoquer des notions de richesse et de les hiérarchiser en comparant des périodes éloignées chronologiquement et soumises à des courants stylistiques divers et variés. Comme nous l’avons dit les goûts du commanditaire, les choix d’espaces à décorer et les savoir-faire des artisans ou/et des artistes qui interviennent sur ces chantiers sont à prendre en considération. Finalement, cette brève synthèse témoigne surtout de l’absence de connaissances sur la maison plus modeste et l’habitat des classes moyennes à Divodurum au cours de l’époque gallo-romaine. Commerce et artisanat Divodurum est un grand carrefour commercial de l’est de la Gaule en raison de sa position au croisement des principales voies de communications. Se situant à 200 km de la frontière, la ville bénéficie du déplacement des légions romaines, mais aussi des échanges avec les populations voisines. La Moselle et la Seille permettent des contacts avec l’ensemble du territoire médiomatrique, mais également avec toute la Gaule. Les activités commerciales sont donc intenses à Metz dès le Ier siècle ap. J.-C. Des contacts existent dès lors avec la Bétique (Espagne), pour l’huile d’olive, et l’Égypte, entre autres. Toutefois, le port, lieu de déchargement indispensable, n’a pas encore été identifié. Une autre richesse de Divodurum est la diversité de ses métiers, connus grâce aux représentations sur les stèles funéraires conservées au musée de La Cour d’Or. Cordonnier, forgeron, brasseur, drapier sont mentionnés par des inscriptions ou reconnaissables grâce à leurs outils. Dans le secteur alimentaire, de nombreuses boucheries ont pu être identifiées grâce aux découvertes archéologiques dans différents quartiers périphériques de la ville, rue Belle-Isle dans le quartier du Pontiffroy, mais aussi place du Général-de-Gaulle, à proximité du grand amphithéâtre du Sablon. Elles fonctionnent presque toujours avec un atelier de tabletterie où les os sont travaillés, taillés, pour fabriquer des épingles, des peignes... Les fouilles archéologiques ont livré à la fois des outils de charpentier ou de forgeron, mais également des déchets en lien avec le travail du métal ou du verre, cette dernière activité se retrouvant exclusivement dans le secteur du Pontiffroy, rue Belle-Isle et dans le quartier Saint-Marcel. Mais l’une des activités artisanales les plus importantes et les plus prospères demeure la production de céramique, distribuée dans tout l’Empire romain. L’un des plus anciens ateliers, mis au jour sous Saint-Pierre-aux-Nonnains, est celui du potier Casicos et date du Ier siècle ap. J.-C. Ses productions sont identifiables grâce à son nom marqué sur des estampilles (empreintes) qu’il a laissé sur les fonds des céramiques. Un autre atelier de la même époque a été identifié dans le quartier Outre-Seille, rue Mabille, et témoigne d’une forte production de céramiques à Metz dès le début du Haut Empire. Au cours du IIe siècle, la production de céramique sigillée supplante les précédentes. Ce type de céramique, originaire d’Arezzo (Italie) et reconnaissable par sa couleur rouge orangée, est l’un des plus répandus dans tous l’Empire. Migrant du sud et du centre de la Gaule vers l’Est, des ateliers et leurs succursales s’installent un peu Stèle des pêcheurs, Metz, îlot Saint-Jacques, IIe-IIIe siècles. (Jean Munin, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) 12 Antiquité magazine divodurum, metz antique Gobelet en sigillée à la barbotine d’Argonne, décorée d’une scène de chasse, Morsbach (Moselle), IIe-IIIe siècle. (photo Jean Munin, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) partout sur le territoire médiomatrique, notamment à Chémery et à Boucheporn grâce aux maîtres potiers Satto et Saturninus. L’installation de ces ateliers semble suivre les principaux axes de communications, mais aussi les mouvements de l’armée romaine vers le limes. À Metz, un site de production a été découvert dans le sud de l’agglomération, dans le secteur de la caserne De Lattre-de-Tassigny. Mais à partir du IIIe siècle, les centres de production semblent se déplacer vers l’ouest de la cité avec l’installation de potiers en Argonne (Meuse) et vers le nord, avec l’émergence de la céramique métallescente de Trèves (Allemagne). Gobelet, céramique à couverte métallescente et inscription à la barbotine blanche, Metz Pontiffroy, fin du IIIe siècle. Stèle des drapiers, Metz îlot Saint-Jacques, IIe-IIIe siècle. (photos Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) Stèle de l’échange, Citadelle de Metz, IIe-IIIe siècles. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) Si la plupart de ces activités se limitent à la ville et à ses alentours, des commerçants sont chargés de la vente de certains produits en dehors du territoire médiomatrique. Deux négociants spécialisés ont été identifiés sur deux stèles funéraires : l’un vendait des serrures et l’autre de la céramique. Enfin, l’épigraphie a également révélé deux professions particulières : un vestiarius, un marchand de vêtements, mais aussi un venaliciarius, un marchand d’esclaves. Ce dernier métier est important, car ce type de mentions ayant trait à l’esclavage est rare. Pourtant, il parait évident que des esclaves aient été utilisés pour faire fonctionner les ateliers, pour l’usage domestique ou les travaux des champs, mais aussi pour les besoins de l’armée romaine. Vase produit par l’atelier du Casicos, Metz Saint-Pierre-aux-Nonnains, Ier siècle. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) n°8 / été 2017 13 gaule romaine Inscription mentionnant la construction d’un Nymphée par des sévirs augustaux. Metz Sablon, époque gallo-romaine. (Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) Monuments et sanctuaires de l’eau L’alimentation de la ville en eau Bassin collecteur de l’aqueduc aérien à Jouy-aux-Arches. (photo François Bernardin.) Évocation du pont aqueduc entre Ars-sur-Moselle et Jouy-aux-Arches. (infographie Nicolas Gasseau, extrait de l’Atlas historique de Metz.) 14 Antiquité magazine Afin de fournir en eau les habitants de Divodurum, puits et citernes sont attestés partout au sein de la ville, mais ce type de ravitaillement ne peut satisfaire que des besoins privés limités. Pour alimenter les espaces publics (thermes et fontaines), un aqueduc est construit au début du IIe siècle. Captant les eaux d’une source à Gorze, l’ouvrage est long d’environ 22 km et utilise les accidents du relief pour garder un débit régulier. Son parcours est essentiellement souterrain, avec un canal unique, dont la section utilisable est de 1,20 m de hauteur. Il est maçonné au mortier de tuileau, afin d’étanchéifier la conduite. Entre les communes d’Ars-sur-Moselle et Jouy-aux-Arches, l’aqueduc devient aérien pour franchir la Moselle. Il prend alors la forme d’un pont long d’environ 1 100 m, composé d’une centaine d’arches, hautes pour certaines de plus de 30 m. Ses caractéristiques en font l’un des plus longs pontsaqueducs de l’Empire romain sur voie fluviale. Il ne subsiste aujourd’hui que sept arches sur la rive gauche et seize sur la rive droite. Construites en plein-cintre, elles sont portées par des piles qui s’épaississent de haut en bas. Une double canalisation courait sur toute la longueur du pont avec une pente accrue (1,70 m par km au lieu de 1 m par km). Ce pont est encadré par deux bassins. En amont, une vaste construction de 11 m sur 9 permettait de casser le courant, de décanter l’eau et de réguler divodurum, metz antique Section conservée de la conduite souterraine à Novéant-sur-Moselle. (photo Carole Raddato.) Plan des thermes du nord de la ville. En rouge, les parties exhumées lors des fouilles, en gris la restitution hypothétique du plan. (DAO Bernard Paich / Damien Bouet, d’après R. Jolin 1984.) le débit grâce à un canal de dérivation. En aval, les eaux se jettent dans un bassin circulaire de 2 m de diamètre qui permettait l’amortissement des vagues qui s’étaient formées lors de la traversée du pont-aqueduc, ainsi que l’évacuation des limons. Puis, jusqu’à Metz, l’aqueduc reprenait une forme souterraine. Cependant, son lieu d’arrivée reste inconnu. Une inscription mentionnant la construction d’une conduite, d’une fontaine monumentale (nympheum) et d’un portique par des sévirs augustaux semble indiquer qu’une première répartition des eaux devait se faire dans le quartier du Sablon avant que l’aqueduc n’aboutisse peut-être au centre de la ville pour alimenter les monuments publics, comme les thermes. Décor en marbre qui ornait les thermes du nord de la ville. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) Arches de l’aqueduc à Jouy-aux-Arches. (photo Carole Raddato.) Les thermes de la ville Le thermalisme était une activité très prisée par les Gallo-Romains. Les thermes sont des établissements de bains privés ou publics participant à la santé publique. Ils ont une grande importance sociale et ils font partie intégrante de la vie romaine. Divodurum disposait d’au moins deux établissements publics de ce type durant le Haut Empire : les thermes du nord de la ville, sous l’actuel musée de la Cour d’Or ; et les thermes de l’îlot Saint-Jacques. Au nord de la ville, un ensemble thermal a été découvert en 1932 lors de travaux d’agrandissement du musée. Ces thermes ont, par la suite, été intégés au parcours de visite. Ils sont datés du IIe siècle, soit de la période où la ville se pare de monuments. Ce complexe semble couvrir n°8 / été 2017 15 gaule romaine Conduite d’évacuation des eaux des thermes du nord de la ville, époque gallo-romaine. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) Strigile, ancienne colection Huber, IIe siècle. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) l’intégralité de l’îlot actuel, compris entre les rues du Haut-Poirier, des Trinitaires, des Boucheries-Saint-Georges et de Chèvremont, soit une superficie d’environ un hectare. Si l’organisation interne du bâtiment reste sujette à caution, avec la répartition exacte des différents espaces (vestiaires, salles chaudes, tièdes et froides), sa décoration intérieure est mieux connue. Les sols étaient recouverts de mosaïques noires et blanches, ou de terrazzo, et les parois étaient ornées d’assemblages de marbre, provenant de Skyros, de Karystos et des Pyrénées. Quant à l’usage d’enduits peints pour agrémenter les murs de certaines salles, rien ne permet pour le moment de confirmer leur existence, même s’il est raisonnable de penser que des peintures devaient contribuer à l’embellissement du lieu au même titre que les nombreux fragments de chapiteaux, pilastres et corniches mis au jour. Un deuxième ensemble s’élevait à l’emplacement de l’îlot Saint-Jacques, détruit en 1973 pour accueillir un centre commercial et était délimité 16 Antiquité magazine par les rues Ladoucette, Tête-d’Or, du Change et Fournirue. Une inscription figurée sur un linteau, aujourd’hui conservé au musée de la Cour d’Or, relate le cadeau offert par un certain Taurus, fils de Celer, prêtre du culte de Rome et d’Auguste à la cité de Divodurum. Son évergésie consistait en un campus et une piscina, c’est-à-dire un terrain d’entraînement, ou un lieu de jeu, et un bassin. Une importante piscine circulaire, profonde d’1,40 m et d’un diamètre extérieur de 25,80 m, fut d’ailleurs mise au jour au moment des fouilles de ce quartier avec d’autres espaces correspondant au caldarium, identifié grâce à la découverte d’hypocaustes, système de chauffage par le sol ; au tepidarium et à la palestre. Salle des thermes du nord de la ville conservée au Musée de la Cour d’Or, époque gallo-romaine. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) Niveau du sol antique Elévation conservée du sanctuaire d’Icovellauna. (dessin Erik Groult d’après Fr. Möller, 1880.) Mercure et Rosmerta, Toul (Meurthe-et-Moselle), époque gallo-romaine. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) Le sanctuaire d’Icovellauna Nous avons vu avec l’aqueduc de Metz, captant l’eau de la source des Bouillons à Gorze pour la transporter jusqu’au cœur de la cité messine, que l’eau était un élément fondamental durant l’Antiquité. Son usage quotidien pour l’alimentation de certaines maisons, des fontaines et, surtout, des thermes est essentiel au développement de la culture romaine. C’est une ressource précieuse associée à la fertilité et à la purification qui permet de pérenniser la vie et d’assurer la bonne santé du corps. En Gaule mosellane, sources et eaux thermales ont fait l’objet de nombreuses dédicaces qui les présentent comme divinisées. Ce sont souvent des dieux de tradition indigène, liés dans certains cas, à des divinités romaines qui assurent la protection des eaux. L’importance du sanctuaire d’Icovellauna est double, puisqu’il s’agit actuellement du seul lieu consacré à la pratique d’un culte découvert à Metz et qu’il est dédié à une divinité féminine peu attestée. En effet, Icovellauna à un caractère local très marqué puisqu’en dehors de Divodurum, seule la ville d’Augusta Treverorum (Trèves) l’a honorée. Cette déesse de l’ « eau bienfaisante », d’origine gauloise principalement vénérée en Gaule belgique préside les flux d’eaux turbulentes et sacrées venues des entrailles de la Terre. Son sanctuaire a été mis au jour dans le quartier du Sablon en 1879. Construit en petit appareil, ce temple, pris à tort pour un Nymphée, a pour particularité d’être souterrain et de posséder un plan original de type octogonal. En son centre se trouvait un bassin hexagonal duquel jaillissait une source, auquel on accédait par un escalier. Cette eau vivifiante avait une place centrale dans la pratique du culte et servait à purifier les adeptes. Tout autour, sur les parois de l’édifice, des ex-voto étaient fixés en l’honneur d’Icovellauna, mais aussi de Mogontia et de Mercure, deux divinités guérisseuses. La présence de ces déesses indigènes aux côtés d’un dieu traditionnel du panthéon romain est tout à fait intéressante et illustre parfaitement cette notion de syncrétisme religieux souhaitée par Rome. À Divodurum et aux abords de la cité des Médiomatriques, cette tradition ne s’est pas démentie comme en témoigne plusieurs rapprochements entre Mercure et Rosmerta, la « Grande pourvoyeuse » dans la statuaire et l’épigraphie (C.I.L., XIII, 4312, rue Taison). Mercure et Rosmerta, relief découvert à Montigny-lès-Metz, époque gallo-romaine. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) n°8 / été 2017 17 gaule romaine Stèle d’Epona, Metz Sablon-la Horgne, IIe-IIIe siècle. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) Cultes et dévotion Les divinités indigènes Outre Icovellauna, Mogontia et Rosmerta, l’iconographie des stèles messines permet de découvrir d’autres divinités féminines indigènes de tradition celtique. C’est le cas des déesses-mères définies par les attributs de la fertilité et de la fécondité, peu présentes à Metz (C.I.L. XIII, n° 4291) et d’Épona (epos, le cheval en langue celtique), une déesse-cavalière, généralement figurée en amazone ou assise sur une jument. C’est de loin la divinité la plus représentée à Divodurum puisque dix éléments lapidaires de petites dimensions sans inscriptions permettent de découvrir son apparence. Ces exemplaires de bonne facture, pour la grande majorité d’entre eux, ont été retrouvés à la Horgne-au-Sablon. Seuls trois ont été mis au jour en d’autres endroits de la ville : près de l’Esplanade, rue Poncelet et en Fournirue. La fréquence des représentations de cette déesse à Metz suppose l’existence d’un culte apprécié par les populations gallo-romaines. Chez les Celtes, la place du cheval et des équidés, d’une manière générale, est primordiale. Les cavaliers gaulois avaient une fonction essentielle dans les rangs de l’armée et la figure du cheval a souvent été utilisée pour décorer les monnaies gauloises. Jules César, dans ses Commentaires sur la Guerre des Gaules (IV, 2) relate, à juste titre, la grande passion des Gaulois pour ces bêtes. Par ailleurs, la tradition de l’élevage du cheval en Gaule n’est plus à démontrer, notamment chez les Rèmes où Le calendrier rustique de la porte de Mars à Reims montre la saillie des chevaux. Épona est donc tout naturellement devenue une déesse de l’élevage, protectrice des cavaliers, des voyageurs et de l’écurie. On retrouve la figure du cheval sur le groupe du cavalier à l’anguipède dont les exemplaires abondent dans la cité des Médiomatriques. Cette statuaire parfois monumentale doit être comprise comme une synthèse des traditions grecques, romaines et gauloises. Elle met en scène une divinité masculine, Jupiter, qu’il est tout à fait possible d’assimiler à Taranis, le dieu du tonnerre, largement vénéré chez les Celtes. Deux autres dieux indigènes sont d’ailleurs connus à Metz par des représentations Base de colonne à trois divinités découverte rue Taison à Metz (© Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole) Partie sommitale de la colonne représentant Jupiter à l'anguipède, Merten (Moselle), fin du IIIe siècle. (photo Jean Munin, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) 18 Antiquité magazine divodurum, metz antique datées des IIe-IIIe siècles. Il s’agit de Sucellus, le dieu au maillet et de Cernunnos le dieu aux bois de cerf, figuré sur un fragment de pilier mis au jour à l’îlot Saint-Jacques. Leur fréquence est sans commune mesure avec la représentation des divinités féminines. Le cavalier à l’anguipède Le musée de la Cour d’Or, Metz Métropole conserve un groupe sculpté monumental de 12 m de hauteur mis au jour à Merten (Moselle-est) en 1878. Cette œuvre remarquable, conservée en trois parties, permet de découvrir Jupiter monté sur un cheval cabré placé à l’arrière d’un monstre anguipède à corps de serpent. Cet ensemble situé au sommet d’une colonne décorée d’un chapiteau portant le buste des saisons s’appuie sur un tambour sur lequel apparaissent les divinités de la semaine. Une base imposante à quatre dieux (Minerve, Apollon, Junon et Hercule) termine la composition. Cet exemplaire, unique dans la région par la diversité des personnages qu’il donne à découvrir et sa monumentalité, connait toutefois quelques pendants très lacunaires à Metz. Les habitants de Divodurum vénéraient sans doute cette image jupitérienne complexe mais, au regard des quelques trouvailles réalisées dans la ville, la ferveur pour ce culte devait être faible. Seules deux colonnes aux futs ornés de feuilles imbriquées ont été mises au jour avec une pierre à quatre dieux dont les lettres I.O.M « Jupiter très bon et très grand » ont malheureusement disparu. C’est donc aux marges du territoire des Médiomatriques qu’il faut chercher pour essayer de saisir l’originalité d’une telle réalisation. Le cavalier de Merten juché au sommet d’une haute colonne était probablement placé en pleine campagne près d’une exploitation agricole. Son rôle n’était sûrement pas le même que ces colonnes établies le long du limes pour dévoiler la figure d’un Jupiter protecteur de l’Empire, terrassant à l’aide de son foudre les barbares assimilés à l’anguipède. En effet, si l’on considère cette sculpture sous un angle moins belliqueux, la figure de l’anguipède doit être comprise comme le compagnon d’un Jupiter/Taranis déchaînant l’orage et les pluies célestes. Certains exemplaires retrouvés en Allemagne (Obernburg-am-Main notamment) dévoilent un cavalier flanqué d’un bouclier en forme de roue. Cette roue qui est une allégorie du tonnerre qui gronde permet d’éclairer la symbolique de cette composition. Le serpent, créature souterraine par excellence, accompagne dans le sol les eaux déchainés par le dieu du ciel afin d’assurer la bonne fertilité de la terre. C’est donc plutôt une signification positive qu’il convient d’attribuer désormais à certaines colonnes à l’anguipède. Mercure, Grosbliederstroff (Moselle), IIe siècle. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) Des religions venues d’Orient La force de Rome est d’avoir su assimiler d’autres cultures et d’autres religions pour créer une civilisation originale et enrichie d’apports étrangers. Il n’est donc pas étonnant de trouver dans de nombreuses villes d’Occident des manifestations, plus ou moins importantes, de cultes et de croyances venus d’Orient. Ces cultes nouveaux proposent une relation privilégiée avec la divinité et se caractérisent par des cérémonies à la fois solennelles et enjouées faites de musiques, de chants liturgiques et d’épreuves initiatiques. À Metz, avant la mise au jour d’un autel à Cybèle dégagé place de la République en 2008 par le pôle archéologique de Metz Métropole, les religions orientales tenaient une place peu importante dans l’histoire de la ville. Néanmoins, les témoignages conservés – essentiellement lapidaires – de ces pratiques cultuelles en provenance d’Asie mineure, du Proche Orient ou d’Égypte étaient de belle qualité à l’image d’un autel taurobolique découvert en 1904, quartier de l’Esplanade. Relief de Mithra, Sarrebourg (Moselle), IIIe siècle. (photo Jean Munin, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) n°8 / été 2017 19 gaule romaine Autel à Cybèle figurant des galli, Metz, place de la République, fin du IIe-IIIe siècle. (photo Jean Munin, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) Autel commémorant un taurobole, Metz Citadelle, IIe-IIIe siècle. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) Statue d’Isis, divinité égyp- tienne à Metz, caserne du Génie, IIIe siècle. (photo Jean Munin ,Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) 20 Antiquité magazine Cet autel commémore un taurobole accompli en l’an 199 ap. J.-C. en l’honneur de Septime Sévère. Ce rituel pratiqué dans le cadre du culte de la déesse Cybèle consistait à asperger le fidèle avec le sang d’un taureau que l’on venait d’égorger. Sa face principale présente une tête de taureau, tandis que la partie arrière est ornée d’une tête de bélier. De nombreux instruments de musique décorent ses deux côtés : un tympanon (tambourin), une flûte de pan et une double tibia phrygienne (sorte de hautbois), qui attestent de la pratique d’un rituel au sein duquel la mise en scène avait une place prépondérante. C’est d’ailleurs ce que permet de corroborer l’autel à Cybèle mis au jour en 2008. Décoré d’un lion majestueux, il présente une procession de serviteurs et de prêtres (galli) dévoués au rituel de la « Grande Mère ». Ici, un sacerdos (prêtre principal) couronné de lauriers s’apprête à asperger les objets consacrés tandis qu’un musicien joue de la tibia Berecynthia (flûte courbée). Deux autres divinités venues d’Égypte ont, ellesaussi, reçu les faveurs d’une frange de la population de Divodurum. Il s’agit d’Isis et de Jupiter Ammon. Au temps des pharaons, Isis est la sœur et l’épouse d’Osiris. Elle apparaît comme la gardienne de la famille et c’est sous cette forme qu’on la retrouve à Metz. La découverte de cette statue en 1841 à l’emplacement de la Citadelle (près de l’Esplanade) suggère la présence à Divodurum d’un temple consacré à cette divinité qui aurait pu être vénérée conjointement à Cybèle comme c’est le cas dans le sanctuaire d’Isis et de Mater Magna à Mayence en Allemagne. Chez les Égyptiens, Jupiter Ammon, dont la tête a été retrouvée en Fournirue, est considéré comme l’un des plus grands dieux. Ce sont les Grecs qui assimilent Amon à leur divinité principale, Zeus. À leur tour, les Romains l’intègrent à leur panthéon et vénèrent Jupiter Ammon, dieu affublé de cornes de bélier qui représente les forces génératrices de la nature. divodurum, metz antique Provenant lui-aussi du Proche-Orient, Mithra n’est pas attesté à Divodurum. Ce sont les marchands et les militaires qui diffusent son culte au début du IIe siècle ap. J.-C. Dans l’est de la Gaule, la présence d’une forte garnison stationnée sur le limes permet d’expliquer la présence d’un mithraeum à Sarrebourg. Fondés sur le principe d’une initiation du fidèle, ces cultes très démonstratifs proposent une vie meilleure, une rédemption et l’espoir d’une existence après la mort (Mithra, Cybèle). Plus qu’auparavant, la notion de conduite morale individuelle est au centre de la pratique religieuse. Elle annonce le christianisme. Urne cinéraire en verre, Metz Lunette d’Arçon, fin du Ier- début du IIe siècle. Boîte à bijoux en ivoire, Metz place Saint-Thiébault, époque gallo-romaine. (photos Laurianne Kieffer ,Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) La mort à Divodurum Comme le voulait la tradition romaine, les habitants de Divodurum enterrent leurs défunts en dehors du centre urbanisé, le long des principales voies de communication. Le monde des morts était ainsi bien distinct de celui des vivants. Les tombes sont souvent matérialisées par des stèles, voire des monuments funéraires. Associées aux cités antiques, elles révèlent une élite sociale installée dans un milieu urbain. Ces stèles soulignent la volonté d’utiliser un vocabulaire architectural mis au service d’une monumentalisation afin d’inscrire le défunt dans un cadre sacralisé. Des inscriptions, non systématiques, peuvent être placées sur le linteau : une invocation aux dieux Mânes, symbolisés par l’inscription Dis Manibus, accompagne jusqu’à la fin du Ier siècle ap. J.-C., le nom du défunt, sa profession et le nom de celui qui a érigé la sépulture. À partir du IIe siècle, la dédicace est réduite à l’abréviation D M. Les stèles funéraires reflet de la vie de la cité Le musée de La Cour d’Or conserve dans ses collections plus d’une centaine de stèles funéraires, pour la plupart découvertes au début du XXe siècle et en 1974, lors de la construction du centre Saint-Jacques. À cette occasion, près de quatre-vingts blocs sculptés ont été mis au jour, réemployés dans la muraille de l’Antiquité tardive. La plupart de ces stèles sont figurées et/ou inscrites, renseignant sur les noms et les métiers des habitants de Divodurum. Plusieurs éléments lapidaires portent des mentions rares comme c’est le cas sur la stèle de la medica. Une autre témoigne de la présence d’un marchand d’esclaves (venalicius), dénommé Marcelinus. Ces différentes représentations illustrent aussi des scènes de la vie quotidienne, comme le paiement de l’impôt. En règle générale, sur l’un des côtés de la stèle est sculptée une ascia, outil du tailleur de pierre, qui agit comme un symbole protecteur de la tombe. ❚ Salle des stèles funéraires dans le musée de la Cour d’Or à Metz. (photo Laurianne Kieffer, Musée de la Cour d’Or, Metz Métropole.) n°8 / été 2017 21 gaule romaine Stèle funéraire d’un marchand d’esclaves dénommé Marcelinus. (photo Laurianne Kieffer,Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) Les nécropoles de Divodurum s’étendent au sud, entre Moselle et Seille, sur les territoires actuels du quartier du Sablon et de la commune de Montigny-lès-Metz. Des fouilles récentes ont permis d’identifier une nouvelle zone à l’est, aux abords de l’avenue André-Malraux, au sud du grand amphithéâtre. Il s’agit d’un vaste ensemble de deux cent soixante-quatorze crémations, ainsi que d’une trentaine d’inhumations, dont le fonctionnement est daté par le mobilier funéraire entre les Ier et IVe siècles ap. J.-C., avec un pic d’utilisation au IIe siècle. Les rites de l’incinération et de l’inhumation se sont succédés jusqu’à l’Antiquité tardive auxquels il faut ajouter des sépultures du haut Moyen Âge, attestant une continuité de l’occupation funéraire qui dépasse la période antique. Au sein de ces nécropoles, différents types de contenants ont été mis au jour pour les inhumations : sarcophages en plomb, en pierre, coffrages en dalles et/ou en tuiles, contenants en bois. Pour les sépultures à incinération, récipients en céramique, en verre, en pierre. Parfois, des matériaux plus nobles sont utilisés comme en témoigne une urne en onyx, découverte près de l’ancienne gare, et dont la pierre est originaire d’Égypte. Du mobilier accompagne souvent ces tombes. Il s’agit essentiellement de monnaies, de lampes à huile, de pot en céramique, de récipients en verre (ampulla, bouteilles, gobelets, fioles, balsamaires), et parfois d’éléments de parure, tels des bracelets en verre, des fibules, ou encore un coffret baguier. Parure funéraire en jais et flacon de verre, Metz Sablon, IVe siècle : épingles, manches d’éventail et de miroir. (photo Jean Munin, Musée de La Cour d’Or,Metz Métropole. Aux origines du christianisme à Metz Le christianisme est une religion monothéiste qui se développe au Ier siècle de notre ère. Ce sont les voyages de l’apôtre Paul qui permettent aux premières églises chrétiennes de s’implanter dans la partie orientale de l’Empire. Au IIIe siècle, cette religion nouvelle gagne une grande partie de l’Occident mais, à cette époque, on estime à seulement 2 à 5 % le nombre de Chrétiens dans l’ensemble du monde romain. Refusant de reconnaître l’existence des autres dieux, en marge de la société, les croyants subissent les persécutions des empereurs. Pourtant, à l’avènement de Gallien (253-268 ap. J.-C.), un changement s’opère et une véritable tolérance s’installe à l’égard du christianisme. Elle durera près de quarante ans. C’est dans ce contexte de « petite paix de l’Église » que la religion chrétienne est introduite à Metz par l’évêque Clément vers 275. Cette religion s’implante tout d’abord timidement aux abords de la ville, dans laquelle elle ne pénètre que lentement, avant d’atteindre, beaucoup plus tard, les centres isolés des campagnes. En 313, à la suite d’un rescrit (déclaration de l’empereur) pris à Milan, le christianisme remporte une nouvelle victoire grâce à Constantin qui accorde la liberté de culte aux Chrétiens. Vers 395, ils sont peut-être à l’origine de la destruction du centre mithriaque de Sarrebourg, symbole d’un paganisme que l’on souhaite voir disparaître depuis que Théodose a élevé le christianisme au rang de religion officielle avec l’édit de Thessalonique. À cette date, la communauté chrétienne est bien implantée dans la région et plus particulièrement à Metz. En 1902, les fouilles du grand amphithéâtre apportent des informations qui semblent confirmer sa vivacité dans la première moitié du Ve siècle ap. J.-C. Dans les sous-sols de l’arène, la mise au jour de lignes de colonnes suggère la présence à cet endroit du premier oratoire. La découverte d’inscriptions funéraires chrétiennes dans le même contexte semble appuyer cette hypothèse. Quand Divodurum annonce Mettis... Finalement, qu’elle est la véritable physionomie de Divodurum à l’époque romaine ? Au vu du nombre de découvertes réalisé dans la ville depuis le XVIe siècle et, si l’on considère la qualité de sa parure monumentale (un grand amphithéâtre, plusieurs ensembles thermaux, un aqueduc, etc.), nous serions tentés de voir en elle une Rome en miniature. 22 Antiquité magazine divodurum, metz antique Certes, son importance commerciale, sa position stratégique sur la voie qui mène de Lyon au limes rhénan et son rôle de carrefour ne sont plus à démontrer, mais beaucoup d’indices font encore défaut concernant la véritable importance des notables et le rôle des magistratures. L’exemple du faible nombre de mosaïques découvertes dans la ville est très éclairant sur ce point. Plus que la peinture murale, il s’agit d’un puissant marqueur de réussite sociale qui traduit la qualité des moyens financiers d’une élite urbaine, celle-là même qui assure, par son rôle d’évergète, le rayonnement d’une ville. Dans un même ordre d’idée, la rareté des maisons prestigieuses à l’image du site de la PierreHardie pourrait nous inciter à penser que Divodurum n’est qu’un immense marché de ravitaillement pour les légions stationnées sur la frontière et les gens de passage, une grande ville exclusivement artisanale – comme semble l’attester les stèles de l’îlot Saint-Jacques – ayant pour simple vocation les services et les loisirs. Une piste permet de nuancer ce bilan en demiteinte : les premières décennies du haut Moyen Âge qui voient Mettis devenir progressivement capitale d’Austrasie sous Sigebert Ier (561-575). Cette « fière et superbe » Metz, chantée par le poète Venance Fortunat, protégée derrière ses « puissantes murailles » présidera aux destinées d’une grande partie de l’Europe jusqu’au règne de Dagobert (629-639). L’un de ses rois, Théodebert Ier (533-546), traitera d’ailleurs d’égal à égal avec Justinien, allant même jusqu’à frapper une monnaie d’or par volonté d’indépendance. Est-ce parce que Divodurum, repliée à l’intérieur de son enceinte, a échappé à la récession et aux profondes difficultés rencontrées par l’empire aux IIIe et IVe ap. J.-C.qu’elle a pu servir d’écrin aux descendants de Clovis ? Souhaitons que les futures découvertes apportent des réponses à toutes ces interrogations et que nous puissions enfin avoir une idée un peu plus précise de la capitale des Médiomatriques sous la domination romaine. Pour l’heure, laissons la parole à Fortunat (Carmina, VI, 1) qui décrit avec emphase le mariage de Sigebert et de la princesse wisigothe Brunehilde qui eut lieu probablement à Metz vers 567 : Recto et verso du sou de Théodebert. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) Le sou de théodebert une affirmation du pouvoir À la mort de son père, Thierry, qui régna sur une Austrasie rendue puissante grâce aux guerres de conquête, Théodebert (534-548) dut s’imposer par la ruse face à ses oncles Childebert et Clotaire. Le nouveau roi, rompu aux exercices du combat pour avoir été aux avants postes lors des conflits qui opposèrent les Austrasiens aux Danois et aux Goths, choisit de consolider son pouvoir en poursuivant ses efforts contre la Bourgogne. Dès lors, les cités de Langres, de Dijon, d’Autun et de Chalon se trouvèrent sous sa dépendance. À cette époque, la ville de Metz n’était pas le seul centre du gouvernement qu’elle partageait avec Reims, mais Théodebert choisit d’y installer sa cour qu’il voulut raffinée. C’est en ce lieu que Justinien envoya ses émissaires afin de mieux cerner les ambitions du roi des Francs qui, dans une lettre bientôt adressée en retour à l’empereur, précisa quelle était l’étendue de son royaume : « […] notre domination s’étend des bords du Danube et des limites de la Pannonie jusqu’aux rivages de l’Océan ». Théodebert avait pour dessein d’assoir son autorité sur un vaste territoire et il espérait bien se hisser au niveau des Grecs (les Byzantins) perçus comme les dignes descendants de Rome. L’expédition d’Italie lui permit d’affirmer sa politique et de faire reconnaître, par Justinien, l’acte de cession qui donnait aux Francs la Provence et les villes d’Arles et de Marseille. Vers 540, à la suite de ce coup d’éclat décrit par l’historien Procope de Césarée (De bello Gothorum, I. I), Théodebert fit donner des jeux hippiques en Arles et fabriquer une série de monnaies d’or portant son nom en toutes lettres. Parmi ces monnaies, un sou de Théodebert, frappé dans l’atelier de Verdun – dont le Musée de la Cour d’Or, Metz Métropole conserve le seul exemplaire connu – donne la mesure de l’audace et de la volonté d’indépendance du roi à l’égard de Constantinople. Au droit, la légende DN THEODEBE/RTVS VICTOR (Notre seigneur Théodebert victorieux) encadre un buste à l’antique dans le style du Bas-empire, tandis qu’au revers les mots VICTORI AAVCCCI (La victoire des Augustes), entourant une Victoire portant une croix et un globe, réaffirment la posture orgueilleuse du souverain qui, par cet acte, s’inscrit dans une lignée prestigieuse. Ce sou témoigne de la montée en puissance des premiers Mérovingiens à une époque où Mettis conservait sa parure monumentale héritée des Romains. Le nom de la Cour d’Or, donné au musée installé sur les vestiges des thermes, a été choisi en souvenir du palais des rois d’Austrasie qui, à partir du règne de Sigebert (561-575), établirent définitivement leur capitale à Metz. Actuellement, la localisation exacte de ce palais reste discutée. ❚ Fragments d’épitaphes paléochrétiennes, découverts à Metz Rue aux Arènes [à gauche] et à Metz Lunette d’Arçon [à droite], Ve siècle. (photo Laurianne Kieffer, Musée de La Cour d’Or, Metz Métropole.) « Voici Mars avec les capitaines, voilà la paix avec sa noblesse… Dans un sifflement de son arc, Cupidon qui vole à l’aventure a lancé ses flèches qui portent l’amour. Sur terre, il brûle toutes les espèces, et la mer ne le tient pas à l’écart de ses eaux. Il a tôt fait de soumettre les coeurs vulgaires, foule engourdie. Puis enfin les sens d’un roi puissant ont bu le feu qui palpite dans ses os paisibles, et la flamme s’insinuant doucement s’est attachée à ses moelles… Seconde Vénus par la naissance, tu as reçu en dot l’empire de la beauté ; aucune des Néréides de la mer ibérique qui nage à la source de l’Océan ne te ressemble, aucune napée n’est plus belle, les fleuves eux-mêmes placent leurs nymphes au-dessous de toi… ». ❚ n°8 / été 2017 23 gaule romaine Bibliographie sélective ❚ Dominique Darde, Nîmes antique, Editions du Patrimoine, 2005. ❚ Alix S., Gama F., Gébus L., Georges-Leroy M., Thion P., « Quartiers périphériques de Metz antique. L’apport des recherches (en ligne). ❚ Ayache L. et Kazek K. A., « Les Gallo-romains vus par eux-mêmes », L’Archéologue, n°119, avril-mai 2012, p.11-39. ❚ Brkojewitsch G., Dreier C., Marquié S., « Metz/Divodurum, cité des Médiomatriques : apport de deux fouilles récentes (place de la République et rue Paille-Maille) à la question des origines », Gallia, 72-1, 2015, p.177-194. ❚ Dupond R., Metz. Place de la République. 2000 ans d’histoire. Recherches et fouilles archéologiques, Serpenoise, Metz, 2010. ❚ Flotté P., Carte archéologique de la Gaule 57-2, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Metz, 2005. ❚ Heckenbenner D. et Mondy M., Les décors peints et stuqués d dans la cité des Médiomatriques. Ier-IIIe siècle p.C., t. I, Metz-Divodurum, Ausonius, Bordeaux, 2014. ❚ Kazek K. A., La mosaïque romaine en pays messin, Serpenoise, Metz, 2010. ❚ Trapp J. et Wagner S. (dir), Atlas historique de Metz, Editions de Paraiges, Metz, 2013. ❚ Trapp J., L’Archéologie à Metz. Des antiquaires à l’archéologie préventive (1750-2008), PUR, Rennes, 2015. ❚ Vue aérienne de Metz. (photo © Norbert Guirkinger.) 24 Antiquité magazine divodurum, metz antique atlas historique de metz Destiné à la fois au grand public et aux chercheurs, l’Atlas historique de Metz offre une information claire et précise sur les différentes périodes chronologiques de l’histoire de la ville, de la préhistoire à nos jours. Ouvrage de référence, il comble ainsi une lacune dans la riche bibliographie messine. Fondé sur l’état actuel de la recherche scientifique – qu’elle soit archéologique ou historique – relative à Metz, cet atlas se veut didactique. En effet, toutes les cartes schématiques qui le composent – plus de quatre-vingts – sont inédites. Elles accompagnent le texte synthétique et rigoureux de chaque notice, illustrées par des documents iconographiques appropriés et méconnus, provenant de fonds patrimoniaux locaux, nationaux et internationaux, ainsi que de reconstitutions 3D de certains bâtiments emblématiques disparus : aqueduc, amphithéâtre, cloître de la cathédrale... Redevable aux grandes découvertes archéologiques des trente dernières années qui ont permis d’affiner le passé antique de la ville, cet ouvrage cherche à faciliter la compréhension des grandes étapes du développement de la cité sur plusieurs millénaires. ❚ de J. Trapp et S. Wagner (dir), Editions des Paraiges, 40 €. Renseignements pratiques ❚ Musée de la Cour d’Or / Metz-Métropole 2, rue du Haut-Poirier 57000 Metz Tél. 03 87 20 13 20 http://musee.metzmetropole.fr Musée ouvert tous les jours sauf le mardi de 9h à 12h30 et de 13h45 à 17h. Fermeture les 1er janvier, Vendredi Saint, 1er mai, 14 juillet, 1er et 11 novembre, 24-25-26 et 31 décembre toute la journée. ❚ n°8 / été 2017 25