La Contre-Révolution en Europe - Introduction - Presses universita...
http://books.openedition.org/pur/16549
Presses
universitaires
de Rennes
La Contre-Révolution en Europe
| Jean-Clément Martin
Introduction
Jean-Clément Martin
p. 7-14
Texte intégral
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Lorsque ce colloque se tint, à Cholet, en octobre 1999, il y
avait deux cents ans, à quelques jours près, dans la nuit du
19 au 20 octobre 1799, que les chouans étaient entrés dans
Nantes, cinq jours après avoir investi Le Mans, une semaine
avant d’en faire autant à Saint-Brieuc, tandis que Vannes
résistait à l’attaque des troupes de Cadoudal. Rappeler ces
faits, bien ignorés en général, n’est ni satisfaire à l’anecdote,
ni se soumettre au plaisir de la remémoration, mais attirer
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l’attention sur le fait qu’ils témoignent de la force et de la
persistance de la Contre-Révolution dans l’Ouest, comme
dans l’ensemble de la France, à un moment où il est
convenu de fixer le terme de la Révolution et de ne voir la
Contre-Révolution comme un mouvement définitivement
hors de l’Histoire. Or le Bordelais, la vallée du Rhône, la
Normandie et la plus grande partie de la Bretagne étaient
alors contrôlés par les forces contre-révolutionnaires,
puisque Cadoudal pouvait recevoir en toute impunité des
armes débarquées par des bateaux anglais sur la côte
bretonne, et que Toulouse fut assiégée par une armée
contre-révolutionnaire, qui ne fut mise en déroute et
écrasée qu’après un mois d’engagements militaires
–plusieurs milliers de personnes moururent dans cette
opération. Sans doute ces manifestations furent-elles plus
spectaculaires qu’efficaces, le Consulat, puis l’Empire
réduisant les opposants sans coup férir.
Pourtant dans cette ultime année du XVIIIe siècle, l’Europe
était sous l’emprise de la Contre-Révolution. Les
affrontements dans le Toulousain et les prises de villes,
toutes éphémères qu’elles fussent, relevaient d’un plan
d’offensive global, qui faisait débarquer des troupes en
Hollande, et qui aurait dû être coordonné avec les offensives
sur les frontières. En Italie, les insurrections paysannes
chassaient peu à peu les troupes françaises, dans un
ensemble où se distinguait la forte personnalité du cardinal
Ruffo. En Suisse, les soldats français faisaient face aux
nombreux insurgés des cantons centraux, soutenus par les
troupes alliées. En Belgique, enfin, la « guerre des
paysans » venait tout juste d’être écrasée. Partout, les
réseaux des émigrés échangeaient des informations et des
armes, en liaison plus ou moins étroite avec les armées des
souverains européens engagés dans la troisième coalition.
Cependant en 1799, tous ces mouvements échouaient à
abattre la Révolution, faute de coordination, de chance, et
parce que le coup d’État de Bonaparte, le 18 brumaire,
contenait les mouvements contre-révolutionnaires, en les
réprimant sans faiblesse mais en accordant la liberté
religieuse.
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En 1800 la Contre-Révolution est ainsi vaincue alors qu’elle
n’a jamais été aussi forte ni organisée, possédant ses
théoriciens (Burke, Barruel,…) et ses chefs légitimes : les
frères du roi Louis XVI. Elle apparaît comme un
mouvement destiné à enrayer les progrès de la Révolution,
dans tous les domaines, politique, culturel, idéologique,
s’adressant à toutes les couches de la société, des élites aux
masses rurales. Par la suite, après les péripéties militaires et
les revirements d’alliances survenus en Europe pendant
l’Empire, c’est au nom de cette lutte entre les principes
opposés, Révolution, Contre-Révolution, que l’Europe est
modelée en 1815 et gardée sous surveillance jusqu’en 1848.
L’exemple paradoxal est donné en 1823, lorsque les armées
françaises, engagées dans l’expédition dite des Cent mille
fils de Saint-Louis, écrasent les libéraux espagnols avec la
bénédiction des puissances européennes réactionnaires.
Semblable alliance se retrouve en 1832, lorsque les
Vendéens, chassés de France après l’échec de la tentative de
coup d’État de la duchesse de Berry, vont se battre au
Portugal, puis en Espagne, enfin en Italie, poursuivant leur
combat contre le libéralisme et la révolution jusqu’en 1870
dans les troupes des zouaves pontificaux1.
Une
« internationale noire » aura ainsi existé, liant des élites
réactionnaires aux masses catholiques dans différents pays
européens pendant plus d’un demi-siècle, s’opposant
exactement aux réseaux libéraux et révolutionnaires qui
rassemblaient les sociétés secrètes et les Carbonari dans un
ensemble tout aussi disparate. Sans vouloir cultiver le
paradoxe, l’action de la Contre-Révolution aura ainsi
contribué notablement à marquer le XIXe siècle, autant au
moins que les courants révolutionnaires, même si ceux-ci
ont cependant fini par l’emporter à la fin du siècle.
S’il est possible de tenir un tel discours après le colloque,
celui-ci aura attiré l’attention sur d’autres facettes du
phénomène
contre-révolutionnaire,
qui
méritent
certainement l’attention et qui devraient susciter de
nouvelles recherches. Car la rencontre des historiographies
européennes met particulièrement en valeur l’hétérogénéité
des chronologies. La Contre-Révolution représente une
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menace pour la France révolutionnaire surtout entre 1791 et
1799, et si ensuite la monarchie restaurée arrive au pouvoir
en 1814, elle le fait sans gloire, et sans pouvoir ni
contrebalancer le prestige de l’Empire, ni renouer la chaîne
du temps, 1830 balayant toutes les velléités de retour à la
monarchie de droit divin. Or si la Contre-Révolution ne se
constitue véritablement qu’à partir de 1798 en Italie et en
Suisse, elle demeure une force considérable pendant tout le
XIXe siècle espagnol et à un degré moins important
portugais. Cette disparité est fondée sur la grande variété
des formes qui se retrouvent sous le mot de ContreRévolution. Sans doute trouve-t-on partout des élites
intellectuelles capables d’insuffler les principes et
d’organiser les mouvements, cependant chaque pays,
chaque région, connaît selon ses propres équilibres une
démarche spécifique de la Contre-Révolution. L’exemple
suisse2 est frappant, puisque les rythmes et les sens mêmes
des vagues d’émigrants contre-révolutionnaires évoluent
selon les luttes internes et selon la présence française. La
Belgique est affectée par la Contre-Révolution soit parce
que les Français emploient ce mot lorsqu’ils qualifient des
Belges réticents aux innovations, soit parce que les paysans
entrent finalement dans une révolte qui dans le contexte
politique n’a pas d’autre appellation possible ; pourtant en
définitive les « provinces belgiques » réussissent leur
modernisation politique en évitant les affrontements
déterminés
entre
contre-révolutionnaires
et
révolutionnaires comme cela se produit dans la France
conquérante. En Grande-Bretagne, ne peut-on aller jusqu’à
dire que la Contre-Révolution n’aura été que rampante,
puisque malgré les accusations des révolutionnaires
français, le gouvernement ne s’est pas lancé dans une
politique ouvertement contre-révolutionnaire, comme
Burke et ses amis le souhaitaient ?
Pire, partout, les déterminations révolutionnaires/contrerévolutionnaires sont d’abord liées aux luttes et des rivalités
internes qui précipitent telles personnalités ou tels groupes
dans un camp particulier. L’exemple rouennais mérite
d’être médité, car la désignation stigmatise et cristallise des
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positions qui n’avaient sans doute pas des définitions
strictes, et l’on voit ici comment sous l’effet des rivalités et
des malentendus les positions se cristallisent. Mais encore
faut-il se déprendre de la recherche de schémas classiques,
qui voudraient que les nobles d’un côté, les clercs de l’autre
aient eu de bonnes raisons pour refuser la Révolution et
qu’ils se soient rejoints autour des révoltes rurales,
provoquées par des mécontentements. Toutes les solidarités
comme toutes les occasions du rejet jouent pêle-mêle,
comme on le voit dans le Massif Central, pour expliquer
qu’un bloc contre-révolutionnaire se forme, profitant d’une
occasion politique en récupérant l’arsenal bien constitué des
arguments contre-révolutionnaires. Si bien que l’on passe
des actions de « brigandage » aux manifestations politiques
selon les opportunités, ce qui rend les frontières floues
entre
contre-révolutionnaires,
mécontents
(antirévolutionnaires selon une terminologie consacrée), et
délinquants. La Contre-Révolution ne représente pas, de ce
point de vue, une expression réellement « politique », elle
peut s’enraciner dans un rejet du politique et de
l’étatisation, ce qui ne manque pas de poser problème aux
élites contre-révolutionnaires qui veulent ensuite récupérer
l’élan populaire et qui, comme en Italie, s’en détachent
ensuite3. Reste que l’appartenance ou l’adhésion à des
groupes se révèle essentielle dans tous les cas, pour
comprendre qui se range (ou est rangé) dans un camp. Les
carlistes espagnols forment ainsi un cas particulièrement
frappant de ce principe de constitution des opinions et de
transmission des valeurs, que ce soit en Espagne même ou
dans les pays européens au XIXe siècle4. Plus généralement,
les identités régionales et nationales tiennent une large
place dans la création des ensembles contrerévolutionnaires.
Les études qui suivent ont voulu rendre compte de cette
réalité complexe, puisque la Contre-Révolution est à la fois
puissante et faible, essentielle et marginale. Elles insistent
cependant sur un autre aspect, quoique encore moins
connu, l’importance fantasmatique de la Contre-Révolution
européenne. En Espagne, en Italie comme au Portugal, les
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souvenirs des soulèvements ruraux contre les Français,
porteurs
fantasmés
des
idées
révolutionnaires,
conditionnent le déroulement de la vie politique et des
équilibres idéologiques pendant tout le XIXe siècle, quelles
qu’aient été les dates de ces soulèvements (1799,
1806-1808) et quels que soient les objectifs précis des
camps en opposition. La Révolution et la Contre-Révolution
rappelées dans des affrontements peu attentifs aux réalités
historiques précises, jouent alors comme des pôles
aimantant les tensions politiques nationales. L’unité
italienne se bâtit ainsi dans la réinterprétation des
insurrections populaires survenues cinquante années plus
tôt, soit en gommant les réclamations paysannes, soit en
réinterprétant le martyre des patriotes napolitains, pour
trouver une voie nationale originale. L’histoire portugaise
est aussi lue au cours du XIXe siècle selon les clivages hérités
des épisodes de la Révolution et de l’occupation
napoléonienne, conduisant les élites à adopter des positions
réformistes pour éviter les débordements populaires et à ne
pas en reconnaître le caractère politique, quand il s’agissait
de mouvements contre-révolutionnaires. Les mots sont
chargés de significations fantasmatiques qui les dotent
d’une importance exorbitante eu égard à ce qu’ils sont
censés décrire, mais qui est capitale dans la marche des
évolutions politiques.
Si cette situation n’est pas propre à la période
révolutionnaire, si les mythes nés de la Révolution et de la
Contre-Révolution ont joué un rôle central dans la vie
politique de l’Italie de la première moitié du XIXe siècle
donnant naissance à des courants spécifiques, dès les
années 1790, les mots, notamment ceux qui désignent les
adversaires de la Révolution, vivent d’une vie autonome et
fantasmée qui dépend des luttes et des manipulations
politiques et idéologiques. On sait la fortune de l’invention
du « fédéralisme », invention polémique contre les
« brissotins » devenue dénonciation d’un démembrement,
redouté et jamais envisagé, de la nation, et finalement
rangée dans les tiroirs élastiques de la Contre-Révolution.
La ville de Rouen subit les conséquences de cette situation,
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et Coblence devient bien l’égale de la Vendée dans son
pouvoir d’alimenter des réserves inépuisables de mythes et
de réactions. À l’inverse les hautes terres du Massif central
peuvent au contraire échapper à une classification contrerévolutionnaire, alors que la réalité politique aurait dû
imposer cette étiquette.
La reconnaissance de la place de la Contre-Révolution dans
les jeux politiques en France et en Europe est certes l’une
des conclusions importantes de ce colloque, réaffirmant que
les affrontements furent autant des épisodes de guerre civile
à l’intérieur de tous les pays européens, que des moments
de lutte « internationale » ou « idéologique5 ». Pourtant, on
l’aura compris, il ne s’agit pas de postuler –ou de rechercher
simplement– l’existence d’une quelconque unité de la
Contre-Révolution. Tout au contraire, et les pages suivantes
l’illustrent, ce qui peut être rassemblé sous l’étiquette de
Contre-Révolution est profondément disparate, tant
pendant la période révolutionnaire qu’ultérieurement, si
bien qu’il convient de se méfier des généralisations hâtives
– faut-il ajouter même et surtout lorsqu’elles sont
consacrées par l’historiographie des siècles passés ?
Pendant le temps de la Révolution elle-même, les groupes
des émigrés ne furent jamais unis dans une organisation ou
dans une orientation politique, au point où il est toujours
difficile de les comptabiliser faute d’abord de critères précis
–qu’il s’agisse des nobles ou des contre-révolutionnaires
suisses ou belges. Leurs forces furent traversées de
traditions locales rendant leur cohésion impossible, comme
le cas suisse le montre, confirmant les incompréhensions
qui naquirent de leur présence en Allemagne. Plus que des
camps distincts, Révolution/Contre-Révolution, il y eut
manifestement un spectre de nuances, qui aboutit sans
doute à des affrontements frontaux dans quelques
occasions spectaculaires, précisément en 1799, lorsque
toutes les forces se regroupent dans un assaut, mais qui
resta diffracté en de multiples facettes dans des temps
moins cruciaux.
Il est possible de penser que chaque pays donne même
naissance à des variations spécifiques du courant contre28/05/2018 à 10:50
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révolutionnaire, qui mérite alors de devenir une notion
large, englobant le sanfédisme italien, le carlisme espagnol,
le miguelisme portugais, le légitimisme français – ces
divisions pouvant elles-mêmes se ramifier et se
complexifier. La Contre-Révolution serait ainsi une matrice
générique, donnant une orientation globale que les
opportunités locales auront conjuguée selon les occasions,
mais en mêlant partout les mêmes ingrédients6 : le
mécontentement devant des mesures religieuses, et des
atteintes aux principes traditionnels de la vie des
communautés rurales, le désarroi des ruraux devant des
mutations imposées par les urbains, et à la suite de
difficultés économiques, les effets de la mobilisation des
clercs et des nobles, le surgissement de chefs populaires,
enfin l’envie de régler des vieilles rancunes et le lien avec le
principe formidable de la « guerre civile ».
Les attitudes des gouvernements opposés à la Révolution
participèrent eux-mêmes à cet éclatement de la ContreRévolution. Ainsi le gouvernement anglais s’attacha à
continuer une politique nationale avant toute visée
idéologique, et s’il soutint les activités des contrerévolutionnaires, il le fit d’autant mieux lorsque ceux-ci
servaient ses intérêts coloniaux. Les conflits autour des
colonies évoqués ici au travers de l’exemple du marquis de
La Rochejaquelein – dont les célèbres fils avaient fait un
peu trop oublier la figure du père lui-même très engagé
contre les courants contre-révolutionnaires– permettent
aussi de souligner que les combats entre réformateurs et
anti-réformateurs avaient commencé bien avant la
Révolution et notamment dans les clubs défendant le
système colonial contre toute atteinte des mouvements des
Lumières. La Contre-Révolution est ainsi à inscrire dans les
mouvements a priori hostiles aux Lumières (l’Espagne en
donne un bon témoignage), qui unifia par la suite toutes les
réactions anti-révolutionnaires ou xénophobes dans tous les
pays envahis par les armées françaises. Si bien qu’il est
possible d’insister à la fois sur l’unité des forces contrerévolutionnaires, dont tous les exemples présentés ici
attestent de la vitalité et de la durée, en en même temps sur
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l’éclatement de la Contre-Révolution. Les forces antimodernistes ont présidé d’une certaine façon à toutes les
manifestations politiques contre-révolutionnaires, parfois
sans les accompagner ni même les comprendre, mais en
finissant par leur donner un sens, au-delà de toutes leurs
disparités. Les leçons de Jacques Godechot7 ne sont pas à
négliger lorsqu’il insiste sur l’unité des doctrines,
préexistant à tout mouvement ; pour autant ce colloque
rappelle la difficulté avec laquelle les courants qui ont
donné corps à la Contre-Révolution ont été rassemblés.
Ils relèvent bien d’une culture anti-réformiste, antérieure à
1789, qui eu sa responsabilité dans la radicalisation
politique dans les années 1787-1788 qui provoqua la
réunion mal préparée des États généraux. ContreRévolution avant la Révolution, la formule n’est pas à
prendre au pied de la lettre, mais elle signale cependant la
présence de cette orientation qui trouva ensuite autour
d’elle des alliés imprévus et des accords obligés8. Pourtant
la dénomination Contre-Révolution n’est pas exactement
contemporaine de Révolution, qui la précède de plus d’une
année, elle n’en est pas la sœur jumelle opposée, ni le
pendant. La dynamique de la Révolution fait naître la
Contre-Révolution en amalgamant ceux qui s’opposent à
elle, comme ceux qui s’en détachent, avec ceux qui ne
supportent pas la confrontation. Les configurations
intellectuelles qui finissent par former la Contre-Révolution
ne sont donc pas indépendantes des événements, dans ce
qu’ils ont toujours d’imprévisible et d’excessif. Ces
configurations ne sont jamais figées, répondant aux
situations historiques, et intégrant les propos les plus divers
– de la poésie romantique aux envies de revanches les plus
réactionnaires. Il n’est pas possible de parler d’une ContreRévolution théorique dans ces années de la fin du XVIIIe
siècle et du début du XIXe, sans prendre le risque de créer un
groupe qui n’a jamais existé, de chercher un parti là où il y
eut des rencontres et des hasards, là où, finalement, les
expressions mêmes de la Contre-Révolution ne se
réduisirent pas à des revendications politiques ou
religieuses, mais ouvrirent les voies nouvelles de la
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littérature, en forgeant l’image du poète romantique, puis
de l’écrivain9.
Encore moins que la Révolution, la Contre-Révolution n’a
été un bloc, et c’est peut-être pour cela qu’elle a encore
quelque chose à nous offrir et à nous apprendre, nous
amenant à reprendre des questionnements oubliés, à
remettre en question des certitudes hâtives, à réexaminer
des apories – hors de toute sympathie ou proximité
individuelle. Elle a manifestement contribué à la recherche
du sens caché des événements révolutionnaires, ranimant
l’intérêt pour la philosophie de l’Histoire qu’elle disait
combattre. Elle a enraciné la conviction que la Révolution
s’était faite contre les « ordres » naturels (les fameux états
connus par ce Tiers-Etat qui revendiqua une
reconnaissance), permettant de comprendre que « la
bourgeoisie » avait pris le pas sur la « noblesse », légitimant
une lecture de l’Histoire comme une lutte des classes. Que
ce soit dans le déroulement des événements eux-mêmes,
dans leurs résonances ensuite, dans leurs relectures enfin,
l’histoire de la Contre-Révolution illustre l’importance du
malentendu dans l’explication historique.10
Il devient possible de comprendre le succès de ces
réconciliations organisées par Napoléon par la suite, tant en
France qu’en Belgique, qui traite la Contre-Révolution dans
une visée politicienne, en décomposant les courants qui se
sont retrouvés sous son étiquette, en cherchant à
reconstituer une société se défiant de tout enracinement
politique unique. Les mêmes obligations se posent à Louis
XVIII, qui doit gouverner en se gardant autant du courant
ultra-royaliste, que de ses rivaux napoléonien ou
républicain, ou même au monarque espagnol qui se trouve
dans l’incapacité de revenir après 1814 à l’état social
antérieur à 1790. Dans ce cadre, on comprend comment des
trajectoires aussi contournées que celles de Fiévée, contrerévolutionnaire authentique à maints égards mais
échappant aux normes sociales convenues, aient pu avoir
leur importance, décourageant les déterminations fixistes.
Cette complexité qui a découragé tant de contrerévolutionnaires insatisfaits de la situation post28/05/2018 à 10:50
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révolutionnaire, correspond bien à ce mélange inextricable
de causes, de coïncidences et d’alliances imprévues, qui
recomposèrent profondément les paysages politiques. La
Contre-Révolution la plus radicale, idéologiquement
opposée à la Révolution, échoua ainsi à renouer la chaîne
des temps, rompue par les innovations et les chocs survenus
après 1789. En outre, dans le cas français marqué par
l’obsession de l’unité nationale, la Contre-Révolution ne
réussit pas à constituer une force autonome, comme le
carlisme, puisqu’elle fut contrainte de mettre en avant ses
aspects nationalistes, qui détournèrent une partie de ses
forces vers les partis conservateurs, ou qui la privèrent de
sensibilités religieuses, avant d’être pillée par les
mouvements fascistes.
L’objectif de ce colloque et des pages qui suivent, a été
d’essayer d’approcher les multiples dimensions de cet objet
historique complexe et mal connu qu’est la ContreRévolution. Il était logique d’ouvrir par l’analyse des
mouvements français et notamment par ceux qui survinrent
dans l’Ouest de la France, tant cette région fut marquée par
ce courant politique. Il convenait de rappeler l’épaisseur
sociale
dans
laquelle
les
mouvements
contrerévolutionnaires ont trouvé leurs raisons d’être. Les réseaux
familiaux, de voisinages, les alliances imprévues ont permis
que se trouvent ensemble des individus qui n’avaient pas
initialement la même vision des choses. Deuxième grand
ensemble contre-révolutionnaire : le groupe disparate des
émigrés, présents dans tous les pays européens, actifs
partout et incapables d’assurer la victoire de leurs
revendications faute d’unité. Les rapports complémentaires
ou rivaux entre forces contre-révolutionnaires et États
européens illustrent la troisième partie de la réalité contrerévolutionnaire, avant que le jeu des fantasmes, des
résonances et des mythes ne viennent composer le
quatrième et dernier volet du colloque.
Pour achever la présentation de cet ouvrage, il convient de
remercier la municipalité de Cholet, son maire, M. Gilles
Bourdouleix, le maire-adjoint, M. Roger Massé, pour
l’intérêt qu’ils ont porté, au travers de ce colloque et des
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manifestations culturelles qui l’ont accompagnées dans leur
ville, à ces événements, survenus deux cents ans plus tôt et
qui furent le prétexte à cette réflexion.
Notes
1. Voir Jean GUÉNEL, La dernière guerre du pape,
universitaires de Rennes, 1998.
Presses
2. Voir Christian SIMON, Widerstand und Proteste zur Zeit des Helvetik,
Bâle, Schwabe et Co, 1998, IVe dossier helvétique.
3. Voir Anna-Maria RAO, s.d., Folle Contro-rivoluzionarie, Rome,
Carocci, 2000, abondante bibliographie.
4. Voir le livre récent de Jordi CANAL, El Carlismo, Madrid, Alianza
Editorial, 2000.
5. Jean-Clément MARTIN (dir.), La guerre civile entre histoire et
mémoire, colloque de La Roche-sur-Yon, université de Nantes, OuestÉditions, 1995.
6. Pedro RÚJULA, Contrarrevolucíon, Realismo y carlismo en Aragón y
el Maestrazgo, 1820-1840, Presses Universitaires de Saragosse, 1998.
7. Jacques GODECHOT, La Contre-Révolution, Paris, PUF réed, 1984.
8.
9. Voir notre Contre-Révolution, Révolution et Nation, France
1789-1799, Seuil, 1998.
10. Sur ce point Paul BÉNICHOU, Le Sacre de l’écrivain, Corti, 1973.
Auteur
Jean-Clément Martin
Université
Paris-1
Sorbonne
Institut
d’Histoire
Révolution française
Panthéonde
la
© Presses universitaires de Rennes, 2001
Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540
Référence électronique du chapitre
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Europe : XVIIIe-XIXe siècles. Réalités politiques et sociales,
résonances culturelles et idéologiques [en ligne]. Rennes : Presses
universitaires de Rennes, 2001 (généré le 28 mai 2018). Disponible sur
Internet : <http://books.openedition.org/pur/16549>. ISBN :
9782753526204. DOI : 10.4000/books.pur.16549.
Référence électronique du livre
MARTIN, Jean-Clément (dir.). La Contre-Révolution en Europe :
XVIIIe-XIXe siècles. Réalités politiques et sociales, résonances
culturelles et idéologiques. Nouvelle édition [en ligne]. Rennes : Presses
universitaires de Rennes, 2001 (généré le 28 mai 2018). Disponible sur
Internet : <http://books.openedition.org/pur/16546>. ISBN :
9782753526204. DOI : 10.4000/books.pur.16546.
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