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La Contre-Revolution en Europe -

Introduction au colloque de 1999. Comment comprendre la Contre-Révolution?

La Contre-Révolution en Europe - Introduction - Presses universita... http://books.openedition.org/pur/16549 Presses universitaires de Rennes La Contre-Révolution en Europe | Jean-Clément Martin Introduction Jean-Clément Martin p. 7-14 Texte intégral 1 1 sur 13 Lorsque ce colloque se tint, à Cholet, en octobre 1999, il y avait deux cents ans, à quelques jours près, dans la nuit du 19 au 20 octobre 1799, que les chouans étaient entrés dans Nantes, cinq jours après avoir investi Le Mans, une semaine avant d’en faire autant à Saint-Brieuc, tandis que Vannes résistait à l’attaque des troupes de Cadoudal. Rappeler ces faits, bien ignorés en général, n’est ni satisfaire à l’anecdote, ni se soumettre au plaisir de la remémoration, mais attirer 28/05/2018 à 10:50 La Contre-Révolution en Europe - Introduction - Presses universita... 2 2 sur 13 http://books.openedition.org/pur/16549 l’attention sur le fait qu’ils témoignent de la force et de la persistance de la Contre-Révolution dans l’Ouest, comme dans l’ensemble de la France, à un moment où il est convenu de fixer le terme de la Révolution et de ne voir la Contre-Révolution comme un mouvement définitivement hors de l’Histoire. Or le Bordelais, la vallée du Rhône, la Normandie et la plus grande partie de la Bretagne étaient alors contrôlés par les forces contre-révolutionnaires, puisque Cadoudal pouvait recevoir en toute impunité des armes débarquées par des bateaux anglais sur la côte bretonne, et que Toulouse fut assiégée par une armée contre-révolutionnaire, qui ne fut mise en déroute et écrasée qu’après un mois d’engagements militaires –plusieurs milliers de personnes moururent dans cette opération. Sans doute ces manifestations furent-elles plus spectaculaires qu’efficaces, le Consulat, puis l’Empire réduisant les opposants sans coup férir. Pourtant dans cette ultime année du XVIIIe siècle, l’Europe était sous l’emprise de la Contre-Révolution. Les affrontements dans le Toulousain et les prises de villes, toutes éphémères qu’elles fussent, relevaient d’un plan d’offensive global, qui faisait débarquer des troupes en Hollande, et qui aurait dû être coordonné avec les offensives sur les frontières. En Italie, les insurrections paysannes chassaient peu à peu les troupes françaises, dans un ensemble où se distinguait la forte personnalité du cardinal Ruffo. En Suisse, les soldats français faisaient face aux nombreux insurgés des cantons centraux, soutenus par les troupes alliées. En Belgique, enfin, la « guerre des paysans » venait tout juste d’être écrasée. Partout, les réseaux des émigrés échangeaient des informations et des armes, en liaison plus ou moins étroite avec les armées des souverains européens engagés dans la troisième coalition. Cependant en 1799, tous ces mouvements échouaient à abattre la Révolution, faute de coordination, de chance, et parce que le coup d’État de Bonaparte, le 18 brumaire, contenait les mouvements contre-révolutionnaires, en les réprimant sans faiblesse mais en accordant la liberté religieuse. 28/05/2018 à 10:50 La Contre-Révolution en Europe - Introduction - Presses universita... 3 4 3 sur 13 http://books.openedition.org/pur/16549 En 1800 la Contre-Révolution est ainsi vaincue alors qu’elle n’a jamais été aussi forte ni organisée, possédant ses théoriciens (Burke, Barruel,…) et ses chefs légitimes : les frères du roi Louis XVI. Elle apparaît comme un mouvement destiné à enrayer les progrès de la Révolution, dans tous les domaines, politique, culturel, idéologique, s’adressant à toutes les couches de la société, des élites aux masses rurales. Par la suite, après les péripéties militaires et les revirements d’alliances survenus en Europe pendant l’Empire, c’est au nom de cette lutte entre les principes opposés, Révolution, Contre-Révolution, que l’Europe est modelée en 1815 et gardée sous surveillance jusqu’en 1848. L’exemple paradoxal est donné en 1823, lorsque les armées françaises, engagées dans l’expédition dite des Cent mille fils de Saint-Louis, écrasent les libéraux espagnols avec la bénédiction des puissances européennes réactionnaires. Semblable alliance se retrouve en 1832, lorsque les Vendéens, chassés de France après l’échec de la tentative de coup d’État de la duchesse de Berry, vont se battre au Portugal, puis en Espagne, enfin en Italie, poursuivant leur combat contre le libéralisme et la révolution jusqu’en 1870 dans les troupes des zouaves pontificaux1. Une « internationale noire » aura ainsi existé, liant des élites réactionnaires aux masses catholiques dans différents pays européens pendant plus d’un demi-siècle, s’opposant exactement aux réseaux libéraux et révolutionnaires qui rassemblaient les sociétés secrètes et les Carbonari dans un ensemble tout aussi disparate. Sans vouloir cultiver le paradoxe, l’action de la Contre-Révolution aura ainsi contribué notablement à marquer le XIXe siècle, autant au moins que les courants révolutionnaires, même si ceux-ci ont cependant fini par l’emporter à la fin du siècle. S’il est possible de tenir un tel discours après le colloque, celui-ci aura attiré l’attention sur d’autres facettes du phénomène contre-révolutionnaire, qui méritent certainement l’attention et qui devraient susciter de nouvelles recherches. Car la rencontre des historiographies européennes met particulièrement en valeur l’hétérogénéité des chronologies. La Contre-Révolution représente une 28/05/2018 à 10:50 La Contre-Révolution en Europe - Introduction - Presses universita... 5 4 sur 13 http://books.openedition.org/pur/16549 menace pour la France révolutionnaire surtout entre 1791 et 1799, et si ensuite la monarchie restaurée arrive au pouvoir en 1814, elle le fait sans gloire, et sans pouvoir ni contrebalancer le prestige de l’Empire, ni renouer la chaîne du temps, 1830 balayant toutes les velléités de retour à la monarchie de droit divin. Or si la Contre-Révolution ne se constitue véritablement qu’à partir de 1798 en Italie et en Suisse, elle demeure une force considérable pendant tout le XIXe siècle espagnol et à un degré moins important portugais. Cette disparité est fondée sur la grande variété des formes qui se retrouvent sous le mot de ContreRévolution. Sans doute trouve-t-on partout des élites intellectuelles capables d’insuffler les principes et d’organiser les mouvements, cependant chaque pays, chaque région, connaît selon ses propres équilibres une démarche spécifique de la Contre-Révolution. L’exemple suisse2 est frappant, puisque les rythmes et les sens mêmes des vagues d’émigrants contre-révolutionnaires évoluent selon les luttes internes et selon la présence française. La Belgique est affectée par la Contre-Révolution soit parce que les Français emploient ce mot lorsqu’ils qualifient des Belges réticents aux innovations, soit parce que les paysans entrent finalement dans une révolte qui dans le contexte politique n’a pas d’autre appellation possible ; pourtant en définitive les « provinces belgiques » réussissent leur modernisation politique en évitant les affrontements déterminés entre contre-révolutionnaires et révolutionnaires comme cela se produit dans la France conquérante. En Grande-Bretagne, ne peut-on aller jusqu’à dire que la Contre-Révolution n’aura été que rampante, puisque malgré les accusations des révolutionnaires français, le gouvernement ne s’est pas lancé dans une politique ouvertement contre-révolutionnaire, comme Burke et ses amis le souhaitaient ? Pire, partout, les déterminations révolutionnaires/contrerévolutionnaires sont d’abord liées aux luttes et des rivalités internes qui précipitent telles personnalités ou tels groupes dans un camp particulier. L’exemple rouennais mérite d’être médité, car la désignation stigmatise et cristallise des 28/05/2018 à 10:50 La Contre-Révolution en Europe - Introduction - Presses universita... 6 5 sur 13 http://books.openedition.org/pur/16549 positions qui n’avaient sans doute pas des définitions strictes, et l’on voit ici comment sous l’effet des rivalités et des malentendus les positions se cristallisent. Mais encore faut-il se déprendre de la recherche de schémas classiques, qui voudraient que les nobles d’un côté, les clercs de l’autre aient eu de bonnes raisons pour refuser la Révolution et qu’ils se soient rejoints autour des révoltes rurales, provoquées par des mécontentements. Toutes les solidarités comme toutes les occasions du rejet jouent pêle-mêle, comme on le voit dans le Massif Central, pour expliquer qu’un bloc contre-révolutionnaire se forme, profitant d’une occasion politique en récupérant l’arsenal bien constitué des arguments contre-révolutionnaires. Si bien que l’on passe des actions de « brigandage » aux manifestations politiques selon les opportunités, ce qui rend les frontières floues entre contre-révolutionnaires, mécontents (antirévolutionnaires selon une terminologie consacrée), et délinquants. La Contre-Révolution ne représente pas, de ce point de vue, une expression réellement « politique », elle peut s’enraciner dans un rejet du politique et de l’étatisation, ce qui ne manque pas de poser problème aux élites contre-révolutionnaires qui veulent ensuite récupérer l’élan populaire et qui, comme en Italie, s’en détachent ensuite3. Reste que l’appartenance ou l’adhésion à des groupes se révèle essentielle dans tous les cas, pour comprendre qui se range (ou est rangé) dans un camp. Les carlistes espagnols forment ainsi un cas particulièrement frappant de ce principe de constitution des opinions et de transmission des valeurs, que ce soit en Espagne même ou dans les pays européens au XIXe siècle4. Plus généralement, les identités régionales et nationales tiennent une large place dans la création des ensembles contrerévolutionnaires. Les études qui suivent ont voulu rendre compte de cette réalité complexe, puisque la Contre-Révolution est à la fois puissante et faible, essentielle et marginale. Elles insistent cependant sur un autre aspect, quoique encore moins connu, l’importance fantasmatique de la Contre-Révolution européenne. En Espagne, en Italie comme au Portugal, les 28/05/2018 à 10:50 La Contre-Révolution en Europe - Introduction - Presses universita... 7 6 sur 13 http://books.openedition.org/pur/16549 souvenirs des soulèvements ruraux contre les Français, porteurs fantasmés des idées révolutionnaires, conditionnent le déroulement de la vie politique et des équilibres idéologiques pendant tout le XIXe siècle, quelles qu’aient été les dates de ces soulèvements (1799, 1806-1808) et quels que soient les objectifs précis des camps en opposition. La Révolution et la Contre-Révolution rappelées dans des affrontements peu attentifs aux réalités historiques précises, jouent alors comme des pôles aimantant les tensions politiques nationales. L’unité italienne se bâtit ainsi dans la réinterprétation des insurrections populaires survenues cinquante années plus tôt, soit en gommant les réclamations paysannes, soit en réinterprétant le martyre des patriotes napolitains, pour trouver une voie nationale originale. L’histoire portugaise est aussi lue au cours du XIXe siècle selon les clivages hérités des épisodes de la Révolution et de l’occupation napoléonienne, conduisant les élites à adopter des positions réformistes pour éviter les débordements populaires et à ne pas en reconnaître le caractère politique, quand il s’agissait de mouvements contre-révolutionnaires. Les mots sont chargés de significations fantasmatiques qui les dotent d’une importance exorbitante eu égard à ce qu’ils sont censés décrire, mais qui est capitale dans la marche des évolutions politiques. Si cette situation n’est pas propre à la période révolutionnaire, si les mythes nés de la Révolution et de la Contre-Révolution ont joué un rôle central dans la vie politique de l’Italie de la première moitié du XIXe siècle donnant naissance à des courants spécifiques, dès les années 1790, les mots, notamment ceux qui désignent les adversaires de la Révolution, vivent d’une vie autonome et fantasmée qui dépend des luttes et des manipulations politiques et idéologiques. On sait la fortune de l’invention du « fédéralisme », invention polémique contre les « brissotins » devenue dénonciation d’un démembrement, redouté et jamais envisagé, de la nation, et finalement rangée dans les tiroirs élastiques de la Contre-Révolution. La ville de Rouen subit les conséquences de cette situation, 28/05/2018 à 10:50 La Contre-Révolution en Europe - Introduction - Presses universita... 8 9 7 sur 13 http://books.openedition.org/pur/16549 et Coblence devient bien l’égale de la Vendée dans son pouvoir d’alimenter des réserves inépuisables de mythes et de réactions. À l’inverse les hautes terres du Massif central peuvent au contraire échapper à une classification contrerévolutionnaire, alors que la réalité politique aurait dû imposer cette étiquette. La reconnaissance de la place de la Contre-Révolution dans les jeux politiques en France et en Europe est certes l’une des conclusions importantes de ce colloque, réaffirmant que les affrontements furent autant des épisodes de guerre civile à l’intérieur de tous les pays européens, que des moments de lutte « internationale » ou « idéologique5 ». Pourtant, on l’aura compris, il ne s’agit pas de postuler –ou de rechercher simplement– l’existence d’une quelconque unité de la Contre-Révolution. Tout au contraire, et les pages suivantes l’illustrent, ce qui peut être rassemblé sous l’étiquette de Contre-Révolution est profondément disparate, tant pendant la période révolutionnaire qu’ultérieurement, si bien qu’il convient de se méfier des généralisations hâtives – faut-il ajouter même et surtout lorsqu’elles sont consacrées par l’historiographie des siècles passés ? Pendant le temps de la Révolution elle-même, les groupes des émigrés ne furent jamais unis dans une organisation ou dans une orientation politique, au point où il est toujours difficile de les comptabiliser faute d’abord de critères précis –qu’il s’agisse des nobles ou des contre-révolutionnaires suisses ou belges. Leurs forces furent traversées de traditions locales rendant leur cohésion impossible, comme le cas suisse le montre, confirmant les incompréhensions qui naquirent de leur présence en Allemagne. Plus que des camps distincts, Révolution/Contre-Révolution, il y eut manifestement un spectre de nuances, qui aboutit sans doute à des affrontements frontaux dans quelques occasions spectaculaires, précisément en 1799, lorsque toutes les forces se regroupent dans un assaut, mais qui resta diffracté en de multiples facettes dans des temps moins cruciaux. Il est possible de penser que chaque pays donne même naissance à des variations spécifiques du courant contre28/05/2018 à 10:50 La Contre-Révolution en Europe - Introduction - Presses universita... 10 8 sur 13 http://books.openedition.org/pur/16549 révolutionnaire, qui mérite alors de devenir une notion large, englobant le sanfédisme italien, le carlisme espagnol, le miguelisme portugais, le légitimisme français – ces divisions pouvant elles-mêmes se ramifier et se complexifier. La Contre-Révolution serait ainsi une matrice générique, donnant une orientation globale que les opportunités locales auront conjuguée selon les occasions, mais en mêlant partout les mêmes ingrédients6 : le mécontentement devant des mesures religieuses, et des atteintes aux principes traditionnels de la vie des communautés rurales, le désarroi des ruraux devant des mutations imposées par les urbains, et à la suite de difficultés économiques, les effets de la mobilisation des clercs et des nobles, le surgissement de chefs populaires, enfin l’envie de régler des vieilles rancunes et le lien avec le principe formidable de la « guerre civile ». Les attitudes des gouvernements opposés à la Révolution participèrent eux-mêmes à cet éclatement de la ContreRévolution. Ainsi le gouvernement anglais s’attacha à continuer une politique nationale avant toute visée idéologique, et s’il soutint les activités des contrerévolutionnaires, il le fit d’autant mieux lorsque ceux-ci servaient ses intérêts coloniaux. Les conflits autour des colonies évoqués ici au travers de l’exemple du marquis de La Rochejaquelein – dont les célèbres fils avaient fait un peu trop oublier la figure du père lui-même très engagé contre les courants contre-révolutionnaires– permettent aussi de souligner que les combats entre réformateurs et anti-réformateurs avaient commencé bien avant la Révolution et notamment dans les clubs défendant le système colonial contre toute atteinte des mouvements des Lumières. La Contre-Révolution est ainsi à inscrire dans les mouvements a priori hostiles aux Lumières (l’Espagne en donne un bon témoignage), qui unifia par la suite toutes les réactions anti-révolutionnaires ou xénophobes dans tous les pays envahis par les armées françaises. Si bien qu’il est possible d’insister à la fois sur l’unité des forces contrerévolutionnaires, dont tous les exemples présentés ici attestent de la vitalité et de la durée, en en même temps sur 28/05/2018 à 10:50 La Contre-Révolution en Europe - Introduction - Presses universita... 11 9 sur 13 http://books.openedition.org/pur/16549 l’éclatement de la Contre-Révolution. Les forces antimodernistes ont présidé d’une certaine façon à toutes les manifestations politiques contre-révolutionnaires, parfois sans les accompagner ni même les comprendre, mais en finissant par leur donner un sens, au-delà de toutes leurs disparités. Les leçons de Jacques Godechot7 ne sont pas à négliger lorsqu’il insiste sur l’unité des doctrines, préexistant à tout mouvement ; pour autant ce colloque rappelle la difficulté avec laquelle les courants qui ont donné corps à la Contre-Révolution ont été rassemblés. Ils relèvent bien d’une culture anti-réformiste, antérieure à 1789, qui eu sa responsabilité dans la radicalisation politique dans les années 1787-1788 qui provoqua la réunion mal préparée des États généraux. ContreRévolution avant la Révolution, la formule n’est pas à prendre au pied de la lettre, mais elle signale cependant la présence de cette orientation qui trouva ensuite autour d’elle des alliés imprévus et des accords obligés8. Pourtant la dénomination Contre-Révolution n’est pas exactement contemporaine de Révolution, qui la précède de plus d’une année, elle n’en est pas la sœur jumelle opposée, ni le pendant. La dynamique de la Révolution fait naître la Contre-Révolution en amalgamant ceux qui s’opposent à elle, comme ceux qui s’en détachent, avec ceux qui ne supportent pas la confrontation. Les configurations intellectuelles qui finissent par former la Contre-Révolution ne sont donc pas indépendantes des événements, dans ce qu’ils ont toujours d’imprévisible et d’excessif. Ces configurations ne sont jamais figées, répondant aux situations historiques, et intégrant les propos les plus divers – de la poésie romantique aux envies de revanches les plus réactionnaires. Il n’est pas possible de parler d’une ContreRévolution théorique dans ces années de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe, sans prendre le risque de créer un groupe qui n’a jamais existé, de chercher un parti là où il y eut des rencontres et des hasards, là où, finalement, les expressions mêmes de la Contre-Révolution ne se réduisirent pas à des revendications politiques ou religieuses, mais ouvrirent les voies nouvelles de la 28/05/2018 à 10:50 La Contre-Révolution en Europe - Introduction - Presses universita... 12 13 10 sur 13 http://books.openedition.org/pur/16549 littérature, en forgeant l’image du poète romantique, puis de l’écrivain9. Encore moins que la Révolution, la Contre-Révolution n’a été un bloc, et c’est peut-être pour cela qu’elle a encore quelque chose à nous offrir et à nous apprendre, nous amenant à reprendre des questionnements oubliés, à remettre en question des certitudes hâtives, à réexaminer des apories – hors de toute sympathie ou proximité individuelle. Elle a manifestement contribué à la recherche du sens caché des événements révolutionnaires, ranimant l’intérêt pour la philosophie de l’Histoire qu’elle disait combattre. Elle a enraciné la conviction que la Révolution s’était faite contre les « ordres » naturels (les fameux états connus par ce Tiers-Etat qui revendiqua une reconnaissance), permettant de comprendre que « la bourgeoisie » avait pris le pas sur la « noblesse », légitimant une lecture de l’Histoire comme une lutte des classes. Que ce soit dans le déroulement des événements eux-mêmes, dans leurs résonances ensuite, dans leurs relectures enfin, l’histoire de la Contre-Révolution illustre l’importance du malentendu dans l’explication historique.10 Il devient possible de comprendre le succès de ces réconciliations organisées par Napoléon par la suite, tant en France qu’en Belgique, qui traite la Contre-Révolution dans une visée politicienne, en décomposant les courants qui se sont retrouvés sous son étiquette, en cherchant à reconstituer une société se défiant de tout enracinement politique unique. Les mêmes obligations se posent à Louis XVIII, qui doit gouverner en se gardant autant du courant ultra-royaliste, que de ses rivaux napoléonien ou républicain, ou même au monarque espagnol qui se trouve dans l’incapacité de revenir après 1814 à l’état social antérieur à 1790. Dans ce cadre, on comprend comment des trajectoires aussi contournées que celles de Fiévée, contrerévolutionnaire authentique à maints égards mais échappant aux normes sociales convenues, aient pu avoir leur importance, décourageant les déterminations fixistes. Cette complexité qui a découragé tant de contrerévolutionnaires insatisfaits de la situation post28/05/2018 à 10:50 La Contre-Révolution en Europe - Introduction - Presses universita... 14 15 11 sur 13 http://books.openedition.org/pur/16549 révolutionnaire, correspond bien à ce mélange inextricable de causes, de coïncidences et d’alliances imprévues, qui recomposèrent profondément les paysages politiques. La Contre-Révolution la plus radicale, idéologiquement opposée à la Révolution, échoua ainsi à renouer la chaîne des temps, rompue par les innovations et les chocs survenus après 1789. En outre, dans le cas français marqué par l’obsession de l’unité nationale, la Contre-Révolution ne réussit pas à constituer une force autonome, comme le carlisme, puisqu’elle fut contrainte de mettre en avant ses aspects nationalistes, qui détournèrent une partie de ses forces vers les partis conservateurs, ou qui la privèrent de sensibilités religieuses, avant d’être pillée par les mouvements fascistes. L’objectif de ce colloque et des pages qui suivent, a été d’essayer d’approcher les multiples dimensions de cet objet historique complexe et mal connu qu’est la ContreRévolution. Il était logique d’ouvrir par l’analyse des mouvements français et notamment par ceux qui survinrent dans l’Ouest de la France, tant cette région fut marquée par ce courant politique. Il convenait de rappeler l’épaisseur sociale dans laquelle les mouvements contrerévolutionnaires ont trouvé leurs raisons d’être. Les réseaux familiaux, de voisinages, les alliances imprévues ont permis que se trouvent ensemble des individus qui n’avaient pas initialement la même vision des choses. Deuxième grand ensemble contre-révolutionnaire : le groupe disparate des émigrés, présents dans tous les pays européens, actifs partout et incapables d’assurer la victoire de leurs revendications faute d’unité. Les rapports complémentaires ou rivaux entre forces contre-révolutionnaires et États européens illustrent la troisième partie de la réalité contrerévolutionnaire, avant que le jeu des fantasmes, des résonances et des mythes ne viennent composer le quatrième et dernier volet du colloque. Pour achever la présentation de cet ouvrage, il convient de remercier la municipalité de Cholet, son maire, M. Gilles Bourdouleix, le maire-adjoint, M. Roger Massé, pour l’intérêt qu’ils ont porté, au travers de ce colloque et des 28/05/2018 à 10:50 La Contre-Révolution en Europe - Introduction - Presses universita... http://books.openedition.org/pur/16549 manifestations culturelles qui l’ont accompagnées dans leur ville, à ces événements, survenus deux cents ans plus tôt et qui furent le prétexte à cette réflexion. Notes 1. Voir Jean GUÉNEL, La dernière guerre du pape, universitaires de Rennes, 1998. Presses 2. Voir Christian SIMON, Widerstand und Proteste zur Zeit des Helvetik, Bâle, Schwabe et Co, 1998, IVe dossier helvétique. 3. Voir Anna-Maria RAO, s.d., Folle Contro-rivoluzionarie, Rome, Carocci, 2000, abondante bibliographie. 4. Voir le livre récent de Jordi CANAL, El Carlismo, Madrid, Alianza Editorial, 2000. 5. Jean-Clément MARTIN (dir.), La guerre civile entre histoire et mémoire, colloque de La Roche-sur-Yon, université de Nantes, OuestÉditions, 1995. 6. Pedro RÚJULA, Contrarrevolucíon, Realismo y carlismo en Aragón y el Maestrazgo, 1820-1840, Presses Universitaires de Saragosse, 1998. 7. Jacques GODECHOT, La Contre-Révolution, Paris, PUF réed, 1984. 8. 9. Voir notre Contre-Révolution, Révolution et Nation, France 1789-1799, Seuil, 1998. 10. Sur ce point Paul BÉNICHOU, Le Sacre de l’écrivain, Corti, 1973. Auteur Jean-Clément Martin Université Paris-1 Sorbonne Institut d’Histoire Révolution française Panthéonde la © Presses universitaires de Rennes, 2001 Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540 Référence électronique du chapitre MARTIN, Jean-Clément. Introduction In : La Contre-Révolution en 12 sur 13 28/05/2018 à 10:50 La Contre-Révolution en Europe - Introduction - Presses universita... http://books.openedition.org/pur/16549 Europe : XVIIIe-XIXe siècles. Réalités politiques et sociales, résonances culturelles et idéologiques [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2001 (généré le 28 mai 2018). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pur/16549>. ISBN : 9782753526204. DOI : 10.4000/books.pur.16549. Référence électronique du livre MARTIN, Jean-Clément (dir.). La Contre-Révolution en Europe : XVIIIe-XIXe siècles. Réalités politiques et sociales, résonances culturelles et idéologiques. Nouvelle édition [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2001 (généré le 28 mai 2018). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pur/16546>. ISBN : 9782753526204. DOI : 10.4000/books.pur.16546. Compatible avec Zotero 13 sur 13 28/05/2018 à 10:50