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Hystérique

Quelles sont les pratiques historiques de contrôle du corps des femmes qui se cachent derrière l'insulte "hystérique"? Une hystoriographie de l'hystérie.

DE IRECTION SOUS LA D OUR C C A Z E SUZ ANN RD L LESSA MICHAË RE I A N N O I T DIC U D E U Q I T I CR E M S I X ISTIQUE SE NGU LI PAG N E H R . CHAM ND E SAR A LO B O U FF E I B C IC IN R EV D RIN E IS E L A N G U LO ABUS SAN LE BARRE IL S A R A H LA E D E FA M S TR ATI O N BON PÈR A ETTE C N L E E R S F S E ROU U S S A U LT D E A N N E LY N N I R R E TA I S M E T E C AT H T E É G A LI CONQUÊ OURMEN T L CHABOT L E E Z N I E MAM C AT H E R LE I C D É LI C A T FA E JULIE UX AMOURE T GOUIN DIANE L JACQUE E IS P O SÉ E N I D L IN O ET CAR NE HEQU LI VE É FRIGIDE C E U IQ MARIE-E E H YS TÉ R CASSER PODMOR I LO S A K I S JA K K S I R A L V O A IC INE M E M I LI E N C AT H E R CAMILLE UISSIVE SSIVÉE NANT JO E E L R P LT R U U A S E H R R JU D IT H E E L M OM ICHÈ ROUNI N M A MARIE-M H A PRENDRE ÏM MÈRE NA O IS C LA IR ROBERT A B E LL E B IS GENEST T N E E I L M A ORNE -VIE ROS O HY R LU S S IE R P N I L A LE C A T E HAME R R A D IC M A R I LY S FIXE Z ACCO U F E U S N N E A R Z IÈ E SU IA LARIV Y Q U E R E LL SSE WID DOROTH A U VA G E TO M B E R E R IÈ IV WONG S E LO T AR S L S A E C C N E E N AU R A R I E -A N A LO U IS E -L ERSEL M L A AWA D D R E U N IV O IL E D A LI V S R A LE X A N IE S H LE Y LN A U A E S C E N D E LI S E Y FL O R VA C H E É FE B V R E X L A R D E AU A N N IC K LE M A U D E FA YE R D WA LK Y R IE U A IÉ IT M ’A NE D PA R É Z O DICTIONNAIRE CRITIQUE DU SEXISME LINGUISTIQUE a été publié sous la direction littéraire de Suzanne Zaccour et Michaël Lessard avec la collaboration de Ianik Marcil. Direction de l’édition : Renaud Plante Conception graphique : Camille Savoie-Payeur Direction de la production : Marie-Claude Pouliot Révision : Andrée Laprise Correction : Marie Lamarre © 2017 Suzanne Zaccour, Michaël Lessard et les éditions Somme toute ISBN 978-2-924606-58-2  epub 978-2-924606-60-5  pdf 978-2-924606-59-9 Nous remercions le Conseil des arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication et la SODEC pour son appui inancier en vertu du Programme d’aide aux entreprises du livre et de l’édition spécialisée. Nous reconnaissons l’aide inancière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est interdite. Une copie ou reproduction par quelque procédé que ce soit, photographie, microilm, bande magnétique, disque ou autre, constitue une contrefaçon passible des peines prévues par la loi du 11 mars 1957 sur la protection des droits d’auteur. Dépôt légal – 2e trimestre 2017 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada Tous droits réservés Imprimé au Canada E R I A N N O I DICT U D E U Q I T I R C E M S I X SE E U Q I T S I NGU LI Table des matières Remerciements ............................................................................................ 9 Introduction .................................................................................................. 11 Abus Sandrine Ricci ............................................................................................... 15 Blonde Sarah R. Champagne ............................................................................... 22 Bon père de famille Louise Langevin ........................................................................................... 29 Boufe Annelyne Roussel........................................................................................37 Castration Sarah Labarre ............................................................................................... 45 Conquête Catherine Dussault Frenette ................................................................ 52 Délicate MamZell Tourmente ................................................................................. 59 Égalitarisme Diane Lamoureux....................................................................................... 67 Facile Catherine Chabot........................................................................................74 Frigide Caroline Jacquet......................................................................................... 80 Gouine Julie Podmore.............................................................................................. 88 Hystérique Céline Hequet .............................................................................................. 95 5 Introduction La langue française est trufée de sexisme. Elle porte en elle l’héritage d’une histoire marquée par la domination des hommes. Elle a été sculptée, structurée, modelée, réglementée par les hommes au travers des époques où les femmes étaient tenues à l’écart de la littérature, des institutions linguistiques et de l’espace public. Aujourd’hui plus que jamais, les femmes rejettent ces injustices. Nous exprimons avec force et conviction nos idées, nos valeurs, notre féminisme. Dans Internet, dans la littérature, dans les médias, dans la rue, nous prenons la parole. Nous restons cependant contraintes par une langue dont on a voulu nous déposséder. Une langue qui blesse par des expressions sexistes, racistes, lesbophobes, transphobes, grossophobes, capacitistes et spécistes trop souvent banalisées. Si l’afront est apparent lorsqu’une femme est traitée de folle, de lesbienne frustrée, de grosse vache, le reconnaît-on autant lorsqu’on parle de violence domestique, de mettre ses couilles sur la table, d’égalitarisme plutôt que de féminisme, d’une belle gazelle, de l’école maternelle et de la zone d’amitié ? Le sexisme se loge non seulement dans les insultes, mais aussi dans les mots courants qu’on emploie sans y penser – même lorsqu’on est (pro)féministe. On se retrouve malgré soi à perpétuer des stéréotypes de genre, à rendre invisibles les violences faites aux femmes et à renforcer la division sexuelle du travail – tout le contraire de ce qu’on voudrait faire ! 11 Révéler le sexisme dans la langue française, voilà la raison d’être de cet ouvrage. Un recueil pluriel, coloré et accessible, explorant de façon thématique tous ces termes sexistes qui se cachent dans notre vocabulaire. Ce livre invite la lectrice ou le lecteur à tourner sa langue sept fois avant de parler, à remettre en question des rélexes apparemment anodins et à comprendre toute la portée des mots. Il nous dit : « Parlez féministe ! – et voici comment ». Lutter, militer, enseigner, manifester, lire et donner sont peut-être au cœur de notre activisme – mais quelle action faisons-nous plus souvent que de parler ? Parler féministe, c’est l’activisme de chaque instant. C’est la chance de se réapproprier notre langue, de la conjuguer au son du respect des femmes, en commençant par comprendre comment le sexisme colore nos pensées en s’immisçant dans notre langage. Cet ouvrage est né de la rencontre d’une pluralité de voix féministes québécoises. À l’image des mouvements féministes d’aujourd’hui, il se veut dynamique, diversiié, créatif et intersectionnel – puisque l’oppression des femmes en tant que femmes ne peut se comprendre sans tenir compte de l’oppression des femmes lesbiennes, trans, musulmanes, noires, autochtones, etc. Si chaque entrée explore un champ lexical qui lui est propre, l’ensemble démontre l’interaction entre le langage et la subordination des femmes dans notre société. Les entrées Conquête, Facile, Frigide, Gouine, Jouissive, Prendre, Pro-vie, Walkyrie et Zone d’amitié témoignent du contrôle patriarcal de la sexualité des femmes, et suggèrent autant de façons de nous la réapproprier. Abus et Querelle font état d’un langage qui contribue à invisibiliser, euphémiser et excuser les violences faites aux femmes, qu’on ne peut éradiquer sans les nommer comme telles. Les autrices nous rappellent également comment les corps des femmes sont transformés, 12 jugés, appropriés et catégorisés avec les entrées Boufe, Indisposée, Kilos, Tomber, Vache et XY. La santé mentale et les facultés cérébrales des femmes ne sont pas en reste – les entrées Blonde et Hystérique décrivent comment elles ont été et continuent d’être dénigrées. Jouissive, Sauvagesse et Voile nous rappellent que les femmes noires, autochtones et musulmanes sont spéciiquement catégorisées et déshumanisées par des procédés langagiers violents. Le rôle des femmes dans notre société, historiquement limité à la fonction d’Ornement et de Mère, est également un thème exploré par les autrices. L’inluence de la langue sur la dépréciation du rôle des femmes est explorée dans les textes Lessivée, Jacasser et Nommer. Lorsque les femmes bravent les injonctions à toujours être Délicates et intègrent la sphère politique, leurs propositions sont taxées de Radicales et décriées comme visant la Castration des hommes. On leur enjoint alors de délaisser le féminisme pour l’Égalitarisme, et de croire au caractère Universel des « droits de l’Homme ». Le standard juridique du Bon père de famille et la structure des dictionnaires réduisant la femme à un Suixe sont d’autres indicateurs d’une langue centrée sur les perspectives et les réalités des hommes. Si le français est sexiste, il est aussi malléable, démocratique et en constante évolution. Comprendre toutes les facettes du sexisme linguistique est crucial à l’avancement du féminisme. Voilà pourquoi nous réunissons dans ce livre les savoirs, perspectives et expériences de 33 féministes. Notre travail s’arrête là où le vôtre commence. À vous de vous approprier ces connaissances, de faire vôtres nos colères, de vous attaquer à votre tour à l’injustice en refusant de participer au sexisme linguistique. À vous d’accorder vos paroles à la mélodie de vos valeurs. 13 Abus [ a.by ] Politiques de l’abus : nos dommages, leurs intérêts1 Sandrine Ricci Recourir au terme « abus », pour signiier des violences inligées non à un bien ou à une chose mais à une personne, pose une série de problèmes, particulièrement lorsque l’abus est qualiié de « sexuel », dans une formulation tenant d’ailleurs du calque de l’anglais (sexual abuse). Rejetée par les un·e·s et plébiscitée par les autres, l’expression abus sexuel subira ici un examen critique montrant que non seulement elle participe de la normalisation de la violence patriarcale, mais qu’elle nous empêche en plus de lutter contre la culture du viol. Vers la normalisation de la violence sexualisée, incluant celle contre les enfants Le terme « abus » suppose un usage (étymologiquement us, comme dans us et coutumes) excessif par rapport au comportement normal, aux normes sociales. Pensons à l’abus d’alcool, de narcotiques ou de tabac. En ce sens, l’expression « abus sexuel » pose les agissements mis en cause comme extérieurs à la normalité. Cette hypothèse du dysfonctionnement paraît pourtant bien difficile à défendre, au vu de la fréquence de la violence à caractère 1. Ce sous-titre est un clin d’œil à l’article de Monique Plaza, « Nos dommages et leurs intérêts », publié en 1978 dans Questions féministes (n o 3), une revue qui a publié d’importants textes-munitions. 15 sexuel2, même dans les sociétés réputées égalitaires qui pourtant normalisent cette violence de multiples manières, notamment en la qualiiant d’abus. La normalisation peut se déinir comme le processus complexe et historique par lequel une idée ou un comportement se banalise jusqu’à devenir toléré socialement. C’est ainsi que l’anormal, en l’occurrence la violence patriarcale, devient la norme, le quotidien, celui des illes et des femmes en particulier. Souvent associé à la notion de culture du viol, ce phénomène de normalisation nous amène notamment à percevoir les agressions à caractère sexuel comme un fait divers ou une fatalité – un gars, c’t’un gars –, mais aussi quelque chose dont on exagère l’ampleur et dont la victime n’est pas si innocente – une ille, c’t’une ille. Le problème est que, socialisé·e·s dans ladite culture du viol qui est intériorisée, ces gars et ces illes ne sont pas toujours en mesure de reconnaître la violence sexuelle (et sexiste, notamment) vécue ou même exercée. Omniprésente, quoique souvent inaperçue et impunie parce que normalisée, cette violence est une réalité dont le discours social nous informe qu’il appartient aux illes de la gérer. On s’arrange donc pour ne pas être assise à côté du mononcle ou du patron aux mains baladeuses lors du souper de Noël, pour ne pas mettre une mini-jupe quand on sort seule le soir. On place des écouteurs sur ses oreilles et on espère échapper au harcèlement dans les transports en commun. Consciemment ou non, les illes développent 2. À l’échelle mondiale, le partenaire intime d’une femme sur trois lui a inligé des sévices physiques ou sexuels, selon le rapport Global and regional estimates of violence against women : prevalence and health efects of intimate partner violence and non-partner sexual violence publié en 2013 par l’Organisation mondiale de la santé ; au Québec, les deux tiers des victimes d’infractions sexuelles ont moins de 18 ans ; 78,1 % d’entre elles sont des illes qui connaissaient, dans 85,6 % des situations, leur agresseur. Voir Sécurité publique Québec, Statistiques 2013 sur les infractions sexuelles au Québec, publié en 2015, en ligne : Sécurité publique Québec <http://www.securitepublique.gouv.qc.ca/police>. 16 toutes sortes de stratégies pour échapper à la culture du viol, à cette mainmise sur leur corps et leur sexualité. Au demeurant, penser en termes d’abus sexuel sur un·e enfant (child sexual abuse), n’est-ce pas envisager qu’il existe un usage normal de gestes à connotation sexuelle commis par un·e adulte sur un·e enfant ? La normalisation charriée par l’expression « abus sexuel » apparaît d’autant plus préoccupante qu’elle igure dans nombre d’écrits et de politiques dans le domaine de l’enfance. Par exemple, la Loi de la protection de la jeunesse continue d’opter pour cette terminologie 3, malgré les critiques et un certain délaissement par le milieu de la recherche, à tout le moins au Québec. Ainsi, préférant les expressions « agressions (ou violence) à caractère sexuel », une diversité d’intervenantes et de spécialistes préconise « [d’]éviter de parler d’abus sexuels, terme qui peut sous-entendre qu’un acte sexuel serait possible s’il n’était pas abusif 4 », qui « semble reconnaître aux adultes des droits sexuels sur les enfants […] outrepassés lors de “l’abus”5 », qui pose en somme « un pouvoir légitime sur la sexualité de l’enfant6 ». L’expression faussement neutre « abus sexuel » illustre comment la langue des maîtres7 s’attache à occulter leur violence. Passant par un perpétuel travail de (re)déinition, la normalisation de la violence repose en efet sur la capacité des dominants de faire passer leur violence pour autre chose que de la violence, souvent à coup d’euphémismes. 3. Loi sur la protection de la jeunesse, RLRQ, c P-34.1. 4. Voir Dre Muriel Salmona, « Violences sexuelles », Mémoire traumatique et victimologie, août 2010, en ligne : <http://www.memoiretraumatique.org>. 5. Voir Conseil du Statut de la femme, L’inceste envers les illes : état de la situation, Québec, Gouvernement du Québec, mars 1995, p. 11. 6. Voir « Formes d’agression à caractère sexuel », Assaut Sexuel Secours, 5 février 2012, en ligne : <http://www.assautsexuelsecours.com>. 7. Sur la langue des maîtres, voir Pierre Tévanian et Sylvie Tissot, Les mots sont importants, Paris, Libertalia, 2010. 17 Une approche euphémique et dépolitisée de la violence patriarcale Il existe une propension historique à ne nommer la violence patriarcale qu’à demi-mot, que Patrizia Romito associe à des tactiques d’occultation8. Minimiser ou adoucir une réalité a pour efet de la relativiser, de la vider de sa charge afective ou politique, de la neutraliser, de la rendre tolérable. L’expression « abus sexuel » relève ainsi d’une novlangue dépolitisée qui, maniée dans les institutions de savoir et de pouvoir, n’en init plus de masquer la violence des dominants. Les médias se voient souvent accusés d’être les courroies de transmission de la culture du viol et, plus largement, d’user (et d’abuser) d’expressions telles que drame conjugal, chicane de couple, crime passionnel, violence domestique, afaire de mœurs ou circoncision féminine. Pareillement, référer à des scandales sexuels dans l’Église n’est pas équivalent à référer à des viols d’enfants par des prêtres pédocriminels. Il en va de même quand on réduit des actes (criminels) d’agression à des inconduites (dans les Forces canadiennes), à des comportements inappropriés ou autres attentions sexuelles non désirées, voire à des accidents de parcours. De tels énoncés minimisent la violence qu’ils prétendent nommer 9. Du reste et au-delà des discours médiatiques, employer de manière synonymique les termes « abus sexuel », pédophilie et inceste contribue à brouiller la réalité de la pédocriminalité. 8. Voir Patrizia Romito, Un silence de mortes, Paris, Syllepse, 2006. 9. La trousse média fournie par l’Institut national de santé publique, qui a pour vocation d’aiguiller les journalistes sur le vocabulaire à privilégier pour traiter des agressions sexuelles, recommande « d’éviter d’utiliser des termes qui minimisent, qui peuvent laisser place à une interprétation erronée ou qui laissent croire à un consentement », Institut national de santé publique, Trousse média sur les agressions sexuelles, en ligne : <https://www.inspq.qc.ca>. 18 Outre leurs efets de dilution et de distorsion, les stratégies lexicales euphémisantes ont pour efet de garder dans l’ombre les agresseurs, essentiellement des hommes10. Même les formules consacrées telles violence envers les femmes, violence faite aux femmes ou violence contre les femmes contribuent à invisibiliser les actants masculins et à dépolitiser les enjeux, comparativement à la charge politique associée à l’idée de « violence patriarcale » ou de « violence masculine ». Quoiqu’il en soit, un vocabulaire qui eface les agresseurs n’aide pas à contrer l’idée fallacieuse que la violence, particulièrement « sexuelle » ou « conjugale », est un « problème de femmes ». Enin, l’évitement linguistique d’une formule comme « abus sexuel » place l’ensemble des actrices et acteurs sociaux en mauvaise posture pour prévenir la violence patriarcale, y résister et s’en libérer. Quand les féministes abusent… Issue du jargon prétendument neutre de la science, appartenant à la langue des maîtres dont elle édulcore la violence, l’expression « abus sexuel » recèle un discours politique et normatif. En même temps qu’elle masque les rapports de domination, elle opère un recadrage politique des revendications féministes. À l’instar de la notion de diversité vis-à-vis de la violence raciste et néocolonialiste11, l’euphémisme « abus » nous enjoint à lutter plus poliment que le terme « violence ». Comme le relevait Christine Delphy, « la révolte des dominées prend rarement la forme qui plairait 10. Voir Statistique Canada, Mesure de la violence faite aux femmes : tendances statistiques, 2013, en ligne : Statistique Canada <http://www.statcan.gc.ca>. 11. Voir notamment mon analyse de ce terme dans Sandrine Ricci, « Quand le sourire de la diversité cache les rapports de domination », dans Naïma Hamrouni et Chantal Maillé, dir., Le sujet du féminisme est-il blanc ? Femmes racisées et recherche féministe, Montréal, Remue-ménage, 2015. 19 aux dominants12 ». Dans le même ordre d’idées, on peut remarquer qu’à l’euphémisation de la violence des dominants correspond souvent l’hyperbolisation de la violence des opprimées13, qualiiées d’hystériques victimaires quand elles dénoncent la culture du viol, de terroristes quand elles posent des autocollants sur des portes de bureaux de profs pour attirer l’attention sur le problème du harcèlement sexuel à l’UQAM14. La novlangue qui pense la violence sexualisée en termes d’abus, dont on doit dénoncer la fausse objectivité et la méconnaissance de sa construction sociale, reproduit d’insidieux mécanismes de domination que les féministes s’eforcent de mettre au jour, parfois au péril de leur vie. Malgré les multiples outils d’analyse surgis de leurs luttes, on peine encore à reconnaître l’omniprésente violence patriarcale dans notre environnement, comme les dommages qu’elle entraîne. Cette difficulté tient notamment à la normalisation et à l’euphémisation d’un système qui a tout intérêt à empêcher les femmes (et les autres personnes issues de groupes opprimés) exposées à la violence de la reconnaître comme telle et donc à empêcher l’émergence d’une révolte. On peut toutefois se réjouir du regain d’intérêt que connaît le féminisme et, plus spécifiquement, de la popularisation de la notion de culture du viol. Il nous appartient désormais de saisir cet outil théorique conçu pour détecter et dénoncer la violence sexualisée ain, possiblement, de retrouver le pouvoir d’imaginer un monde qui en serait libéré. 12. Christine Delphy, « Intervention contre une loi d’exclusion. À propos de la loi interdisant le voile à l’école », Les mots sont importants, février 2004, en ligne : <http://lmsi.net/ Intervention-contre-une-loi-d>. 13. Voir Pierre Tévanian et Sylvie Tissot, op. cit. 14. Voir, par exemple, Mathieu Bock-Côté, « Délation et vengeance à l’UQAM », Journal de Montréal, 13 novembre 2014, en ligne : <www.journaldemontreal.com>. 20 Termes à surveiller Abus sexuel, accident de parcours, afaire de mœurs, attentions non désirées, attouchement, caresse sexuelle, circoncision féminine, chicane de couple, comportements inappropriés, courtisane, crime passionnel, dérapage, dispute, diversité, drame conjugal, faveurs sexuelles, hystérique, (une ille) importunée, inceste, inconduite, insistant, mains baladeuses, mariage arrangé15, mictime, miol16, malentendu sexuel, pédophilie, pulsions sexuelles, scandale sexuel, terroriste, tournante, tripoter, viol complet, violence domestique, violence envers les/faite aux/contre les femmes. Pour aller plus loin CHEMALY, Soraya, « Why Rape Euphemisms And Myths Are Dangerous », Role Reboot, 7 juillet 2014, en ligne : <http://www. rolereboot.org>. ROMITO, Patrizia, Un silence de mortes, coll. « Nouvelles Questions Féministes », Paris, Syllepse, 2006, 298 p. TÉVANIAN, Pierre et Sylvie Tissot, Les mots sont importants, Paris, Libertalia, 2010, 296 p. Sandrine Ricci est sociologue et chargée de cours à l’Université du Québec à Montréal. Son projet doctoral est en construction et porte sur la culture du viol. Elle est notamment l’autrice du livre Avant de tuer les femmes, vous devez les violer ! Rapports de sexe et génocide des Tutsi (Paris, Syllepse, 2014). 15. Dans certains contextes, « mariage arrangé » est utilisé comme euphémisme pour « esclavage domestique ». 16. Sur les termes de jargon policier « miol » et « mictime », voir Laura Thouny, « Viol ou rapport sexuel consenti ? Dans le doute, la police dit “miol” », L’OBS, 9 janvier 2016, en ligne : <http://tempsreel.nouvelobs.com>. 21