HYSTÉRIE ET SOMA
Litza Guttieres-Green
Presses Universitaires de France | « Revue française de psychosomatique »
2004/1 no 25 | pages 69 à 80
ISSN 1164-4796
ISBN 2130544401
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)
Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France.
© Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays.
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
Article disponible en ligne à l'adresse :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychosomatique-2004-1-page-69.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
LITZA GUTTIERES-GREEN
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
Freud a soulevé le problème des relations existant entre la psyché et
le corps à travers le concept de la pulsion, qui naît dans le corps pour
parvenir au psychisme. Dans l’Abrégé, il conclut : « Les phénomènes que
nous avons étudiés ne sont pas uniquement d’ordre psychologique, ils
ont également un aspect organique et biologique… Toutefois, ne quittons
pas pour le moment le domaine de la psychologie » 1. Et l’hystérie est restée pour lui le modèle des névroses où les symptômes corporels ont une
signification psychologique.
Depuis, nous avons été amenés à examiner les similitudes et les différences qui rapprochent et séparent la névrose hystérique des maladies
psychosomatiques.
Dans les deux cas, en effet, on est confronté à des symptômes qui font
le lien entre le psychisme et le corps, ces malades traduisant en symptômes corporels leur malaise psychique : conversion pour les uns, somatisations pour les autres. Nous y reviendrons, mais disons tout de suite
que la clinique nous montre, aux deux extrêmes, des modes de fonctionnement mental, comme des symptômes, fondamentalement opposés, bien
qu’on trouve des formes de transition et qu’on assiste même parfois au
passage d’un modèle à l’autre. Après la tentative d’Alexander de donner
un sens aux maladies psychosomatiques et de les rattacher aux conceptions médicales et neurophysiologiques, l’École psychosomatique de
Paris (Marty, Fain, de M’Uzan, David) s’est tournée vers une approche
totalement nouvelle, donnant la priorité au fonctionnement mental avec
les notions fondamentales de mentalisation et de démentalisation, qui
mettent l’accent sur le psychique, et laissent le physiologique aux médecins. Signalons encore que la continuité entre le fonctionnement normal
1. 1938, Abrégé de psychanalyse, trad. A. Berman, PUF, 1970, p. 71.
Rev. franç. Psychosom., 25/2004
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
Hystérie et soma
70
Litza Guttieres-Green
et le fonctionnement névrosé a été étendue depuis Freud au fonctionnement psychotique, avec les états-limites qui font la transition. Or, les
malades psychosomatiques sont maintenant inclus dans la nébuleuse de
ceux qu’André Green appelle les cas non névrotiques.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
Tout d’abord, reprenons rapidement la description des caractéristiques de la névrose hystérique, telle qu’elle nous apparaît actuellement,
avec les modifications intervenues depuis que Freud l’a décrite.
Névrose de transfert éminemment polymorphe, plus ou moins grave,
l’hystérie reste cependant œdipienne. D’étiologie psychogène et psychosexuelle, elle est caractérisée par des symptômes de conversion. La
représentation du désir, inconciliable parce que interdit (représentation
pathogène), se trouve « affaiblie » lorsque la somme d’excitation dont elle
était chargée lui a été arrachée ; elle peut alors être refoulée dans l’inconscient où elle continue à se développer et à produire des rejetons, tandis que l’excitation, détachée de la représentation, est transférée dans le
corps. La disposition à l’hystérie réside, selon Freud 1, (1894) « dans
l’aptitude psychophysique à transposer de grandes sommes d’excitation
dans l’innervation corporelle ». Le corps, ou l’organe atteint, érotisé, se
comporte alors comme un organe génital excité. Si la conversion réussit,
il ne devrait plus y avoir de souffrance psychique, puisque c’est le corps
qui devient douloureux. Freud a fait remarquer que les symptômes hystériques (douleurs ou paralysies) ne coïncident pas avec une atteinte neurologique : l’hystérie méconnaît l’anatomie. En revanche, ils ont un lien
symbolique avec le trauma.
À la conversion s’ajoutent des symptômes qui traduisent des inhibitions des pulsions du ça liées au fonctionnement somatique – constipation, anorexie, frigidité – et qui vont la remplacer progressivement, au
point que dans Inhibition, Symptôme et Angoisse (1926) Freud n’y fait
même plus allusion. Actuellement, les symptômes d’inhibition, ainsi que
d’autres symptômes physiques fonctionnels ou des plaintes diverses portant sur l’aspect extérieur dont on ne trouve pas de justification soma1. « Les psychonévroses de défense » in : Névrose, Psychose et Perversion, Paris, PUF, 1973, p. 1-14,
trad. J. Laplanche.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
L’HYSTÉRIE
71
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
tique, prédominent dans l’hystérie qui est vue comme une caractéropathie par certains (Laplanche), ou une défense contre la psychose par les
auteurs kleiniens ; tandis que les conversions se cantonnent à certains
lieux ou certains milieux culturels.
À partir de 1908, Freud fait intervenir le rôle de la bisexualité 1.
Celle-ci serait à la fois l’expression d’une identification féminine et d’une
identification masculine.
Il reste que le symptôme hystérique a un sens. Il remplace les tendances qui n’ont pas pu s’exprimer : « [Il] serait le signe d’une pulsion
inassouvie et le substitut de sa satisfaction adéquate », interdite (Freud 2,
1926).
Freud avait mis à l’origine de l’hystérie un fantasme de séduction,
vécue passivement, par un père œdipien incestueux. Par la suite, les psychanalystes en sont venus à privilégier le rôle de la mère, objet primaire.
Les maladies psychosomatiques, telles qu’on les étudie aujourd’hui,
ne faisaient pas partie de son objet d’étude ; il recherchait toujours un
sens psychique aux symptômes somatiques.
Rappelons que l’épilepsie de Dostoïevski a été décrite comme un
symptôme hystérique que Freud a fait entrer dans le cadre d’une « hystéro-épilepsie », forme d’hystérie grave. Ce n’était qu’une hypothèse,
mais nous savons aujourd’hui qu’il y a des cas de passage de l’une à
l’autre affection, où le modèle de la crise peut être utilisé secondairement
par le patient, sur un mode hystérique.
J’avais vu en consultation, il y a quelques années, un jeune homme de
dix-huit ans, qui avait été considéré comme épileptique par les médecins,
bien qu’aucun électroencéphalogramme n’eût confirmé ce diagnostic. À
la suite d’un vol de voiture, il fut arrêté par la police et amené à la
consultation où je travaillais. Il disait qu’il ne se souvenait de rien et
qu’il avait tout fait dans un état second. Au cours de l’un des entretiens
suivants, il fit une crise devant moi : tombé à terre, il avait été pris de
secousses clastiques, se tapant violemment la tête contre le sol pendant
plusieurs minutes. La crise se termina brusquement, sans perte de
connaissance, ni émission d’urines, ni morsure de la langue. Il se releva
alors, visiblement éprouvé, mais certain de m’avoir convaincue de la réalité de son épilepsie. La décision du tribunal le fit condamner avec sursis, étant donné son âge. Je ne l’ai revu que plusieurs années plus tard,
lorsque, après un nouveau vol suivi d’une arrestation, il demanda à me
1. 1908, « Les fantasmes hystériques et leur relation à la bisexualité », in Névrose, Psychose et
Perversion, trad. J. Laplanche et J.-B. Pontalis, PUF, p. 146-156.
2. Inhibition, Symptôme et Angoisse, Paris, PUF, 1968, trad. Michel Tort.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
Hystérie et soma
72
Litza Guttieres-Green
revoir. Il ne parlait plus d’épilepsie, mais se disait désespéré et prétendait avoir agi sous l’empire d’une contrainte intérieure. J’avais de la
peine à savoir si l’angoisse, palpable, était liée à la situation « réelle »
d’emprisonnement, ou s’il avait agi pour y échapper. En tout cas, il ne
montrait aucun regret et se sentait la victime et non le coupable. Je n’ai
pas eu à le suivre, car cette fois il a été condamné à une peine plus
lourde.
L’interrogation demeure : la maladie psychosomatique exclue, doit-on
penser à une hystérie maligne ou à un cas-limite ? Je pencherais plutôt
pour la deuxième réponse, étant donné la pauvreté des mécanismes mentaux et la tendance à utiliser le passage à l’acte comme défense.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
Par comparaison, comment se présentent les malades psychosomatiques ?
Ici, nous avons affaire à des tableaux qui tranchent avec l’hystérie.
Ce ne sont pas des névroses de transfert ; les défenses contre une souffrance psychique archaïque ne consistent plus à refouler la représentation inacceptable tout en conservant son souvenir dans l’inconscient ;
elles sont de l’ordre du clivage et de la dépression.
La dépression essentielle, qui précède la décompensation somatique,
véritable dépression chronique, est décrite par Marty 1 comme une baisse
du tonus psychique, à la fois objectal et narcissique, prélude à l’installation d’une pensée opératoire sans fantasme.
Selon Marty 2, elle découlerait de mouvements contre-évolutifs qui
auraient déstructuré l’individu plus ou moins profondément, à une
époque précoce de sa vie. Il peut s’agir de troubles de la relation avec la
mère, comme de « mésaventures » de l’évolution, héréditaires ou accidentelles, qui auraient donné lieu à des atteintes « irréversibles » de l’organisation psychosomatique.
Le préconscient est le lieu de la « jonction » entre la sensori-motricité
(représentation de choses) et le langage (représentation de mots), d’où
1. 1966, « La dépression essentielle », in Revue française de psychosomatique, 8/1995, PUF.
2. 1981, « Les processus de somatisation », intervention au Congrès de psychosomatique de
Montréal, in : Cliniques psychosomatiques, Monographies de la Revue française de psychanalyse,
PUF, 1997.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
MALADIE PSYCHOSOMATIQUE
73
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
son importance comme témoin du bon fonctionnement psychique. Il sert
de garant des capacités d’élaboration psychique du sujet ; son défaut
livre celui-ci aux pulsions de destruction.
Contrairement au fonctionnement névrotique et aux symptômes qui
en découlent, le fonctionnement psychosomatique n’est pas l’expression
d’un fantasme ; il traduit l’incapacité du patient à élaborer ses conflits
psychiquement ; ses symptômes n’ont donc pas de sens. Le processus de
démentalisation, qui donne naissance à la pensée opératoire, rend
compte des défaillances de l’élaboration psychique qui empêchent ces
patients de faire face aux conflits. Ils ne peuvent pas utiliser le refoulement qui laisse la représentation subsister dans l’inconscient sous forme
de souvenir ; ils ont recours au clivage, à la forclusion qui détruit la
représentation insupportable. Ou bien encore ils l’expulsent dans le
corps, qui devient malade.
Le corps de l’hystérique est un corps libidinal au sens large (libido
érotique, libido agressive, libido narcissique), tandis que le soma renverrait à ce que nous connaissons de l’organisation biologique et dont on
peut concevoir que celle-ci puisse se couper de la libido et de l’inconscient comme Marty le soutient. D’une manière générale, en analyse, on
peut penser que nous avons affaire au corps, toujours, même en cas de
désorganisation somatique. (A. Green, 1998) 1.
Par rapport à la conversion, la somatisation pose le problème de la nonsymbolisation. Ni la maladie, ni l’action ne sont référées à un sens, à un
désir ou à une pulsion. Pour l’École psychosomatique de Paris, la transformation psychosomatique est liée à un blocage de la capacité de représentation. Lorsque les pulsions n’ont pas trouvé le chemin de l’élaboration
psychique, l’accent est mis sur la décharge. Le sujet apparaît d’abord
comme psychiquement « normal », ni névrosé, ni psychotique, mais
« malade physiquement ». En réalité, on assiste à un surinvestissement du
factuel avec réduction du champ psychique. « Le patient psychosomatique
met en communication son soma et le réel en écrasant tout ce qui est de
l’ordre du psychique » (André Green 2, 1998). Alors que l’hystérique se
moule sur l’autre, le psychosomatique cherche dans l’autre ce qu’il est luimême, par indifférenciation (réduplication projective, de M’Uzan).
Pour Joyce McDougall 3, la maladie psychosomatique, loin d’être une
tentative d’autoguérison du côté de la vie, se situe du côté de l’antivie.
1. « Théorie », in Interrogations psychosomatiques, 1998, Débats de psychanalyse, PUF.
2. Op. cit., « Théorie », in Interrogations psychosomatiques, 1998, Débats de psychanalyse, PUF.
3. « Le psychosoma et la psychanalyse », in : Plaidoyer pour une certaine anormalité, Gallimard,
1978.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
Hystérie et soma
Litza Guttieres-Green
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
Elle a la fonction d’un acte, d’une décharge qui court-circuite le travail
psychique. Le soma s’exprime seul ou plutôt il agit. Son histoire est régie
par des lois biologiques. Il ne rêve pas, ne parle pas, sauf à travers l’explosion de la décompensation somatique. Le bénéfice en est le silence de
toute douleur psychique – si bien que ces patients nous apparaissent
d’abord comme des anti-analysants. Bion a également décrit une
défense primitive, qui consiste à expulser de la pensée les éléments bêta
non élaborés, lorsque le sujet est trop immature pour les transformer en
éléments alpha pensables.
En tout cas, le fonctionnement mental déficient de ces structures, avec
l’absence de fantasmatisation, les oppose aux structures névrotiques, et
lorsque Rosolato 1 compare la belle indifférence des hystériques à la pauvreté d’insight des psychosomatiques, il oublie qu’ici ce n’est pas un
refoulement conservateur qui est à l’œuvre, mais plutôt la destructivité.
En effet, comme dans d’autres cas-limites, ces patients manquent de
structures intermédiaires qui, permettant l’aménagement du conflit, éviteraient les régressions somatiques et la désorganisation. C’est comme si
la pulsion destructrice était agie directement, faute d’une zone tampon
où elle pourrait être transformée, sublimée ou déviée vers l’extérieur. On
pense au masochisme mortifère de Benno Rosenberg 2, où le déplacement
d’énergie, de la pulsion de vie vers le pôle de l’autoconservation, affaiblit la libido objectale, amenant un désinvestissement de l’objet, une
« désobjectalisation », comme dirait Green. Le moi, n’étant plus à même
d’assurer son rôle de liaison et de défense, est coupé de ses sources et
désorganisé (Marty).
André Green rattache l’hystérie au domaine de l’éros qui fait des
liens et rassemble, alors que la maladie psychosomatique, qui rompt les
liens et bloque la mentalisation, appartiendrait au domaine de la pulsion
de mort.
Gaddini 3 a proposé un modèle où l’atteinte psychosomatique serait
en rapport avec les expériences primitives du corps, liées à un fonctionnement physique (par exemple l’alimentation). Pour lui, l’expérience
mentale primitive est un fantasme corporel qui fonctionne comme une
défense pour contenir les menaces de la pulsion de mort, ce qui nous
rapproche du côté mortifère des défenses. On peut l’associer à ce que
1. 1998, « L’hystérie, névrose d’inconnu », in : Topique, n° 41, p. 20-46.
2. Masochisme mortifère et masochisme gardien de la vie (1982), Monographies de la Revue
française de psychanalyse, PUF, 1991.
3. Amati-Mehler J. et Argentieri S., « Un autre modèle pour la psychosomatique », in Revue
française de psychanalyse, PUF, 1998, LXII, 5.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
74
75
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
Jeanneau 1 a décrit de l’hystérique qui mettrait en avant le « langage
d’action » au détriment de la pensée, avec érotisation de l’activité musculaire et difficulté à rester dans le psychique. Il évoque encore une
« position hallucinatoire » qui unit l’image de la satisfaction à une
contracture musculaire de décharge indifférenciée qui aurait cependant
un sens, puisqu’il l’interprète comme la recherche, par ce raidissement
du corps, des tensions musculaires qui le rassemblent et du « souvenir
hallucinatoire de la présence maternelle ». Dans ce cas, les réflexions de
Gaddini concernent-elles vraiment les malades psychosomatiques ou plutôt les hystériques ?
Pour Marty, le déclenchement des somatisations et la rupture d’investissements affectifs importants, lorsque l’organisation préconsciente du
sujet est insuffisante, risquent d’induire une désorganisation mentale.
Cependant, la régression peut bloquer le processus de désorganisation
jusqu’à un palier d’arrêt, à partir duquel la reconstruction est possible.
La maladie psychosomatique, une fois déclenchée, va suivre son
cours, indépendamment de l’état psychique qui peut s’améliorer du fait
d’un changement de circonstances ou d’un traitement psychothérapeutique.
Il ne faut pas oublier que nous pouvons assister chez nos analysants,
névrosés par ailleurs, à l’éclosion d’une maladie considérée comme psychosomatique, à l’occasion d’une crise de vie, échec, abandon ou vieillissement, qui les a laissés sans défense et que « les modalités du caractère
ou de la relation d’objet ne suffisent pas à lier » (A. Green, 2000) 2.
Rappelons que, vingt ans après son analyse avec Freud, Dora, qui est
considérée comme l’exemple type de l’hystérique, a consulté Felix
Deutsch, alors que ses enfants devenus adultes avaient quitté la maison.
Elle avait des troubles du caractère, était mécontente de son mariage, se
montrait à la fois plaintive et séductrice. Elle devait se dérober au traitement, comme elle l’avait fait étant jeune. Finalement, quelque temps
après, un cancer du côlon, une maladie somatique cette fois, allait l’emporter. Le soma avait eu raison d’elle lorsque, abandonnée et déçue,
ayant perdu sa séduction, elle n’avait plus trouvé d’autre manière de se
faire entendre.
1. (1984), « L’hystérie, unité et diversité », Rapport au Congrès des Sociétés psychanalytiques de
langue française, in : Revue française de psychanalyse, 1/1985.
2. « Hystérie et états-limites : chiasme », in : La Pensée clinique, Odile Jacob, 2002.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
Hystérie et soma
76
Litza Guttieres-Green
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
Une patiente m’est envoyée par un collègue pour un état de panique
quasi permanent et sans cause apparente, qui s’est déclenché après des
vacances passées chez des amis, mariés récemment.
Dès qu’elle se lève le matin, elle imagine qu’on va lui faire des
reproches à son travail ou qu’elle va se ridiculiser. Elle a accepté un
travail inférieur à ses capacités, ce qui ne l’empêche pas d’anticiper
toutes sortes de critiques et d’échecs. Elle évite toutes les positions en
vue et toutes les promotions professionnelles. Au prix de ces restrictions, elle peut travailler normalement et avec efficacité. Elle se montre
très contrôlée, toujours souriante et apparemment sereine, alors
qu’elle est dévorée de la peur de faillir. Les tremblements, les crises de
larmes et de tachycardie, pour lesquels elle doit se réfugier aux toilettes
afin de cacher son désarroi, peuvent la surprendre à la moindre
remarque et même sans cause extérieure. Elle se sent surveillée et critiquée. La nuit, elle se réveille en sursaut, terrorisée à la pensée du lendemain. Si elle est seule, elle doit appeler ses amis au secours ou
prendre un anxiolytique.
Je pense tout d’abord à une névrose d’angoisse, telle que Freud l’a
décrite. Dès les entretiens, je remarque qu’elle ne fait aucun lien avec le
passé ni avec le présent. La peur est là, sans explication. Parfois, elle
rationalise les causes de son état, puis dit qu’elle a toujours été comme
ça, que c’est « sa nature ». Avant de consulter un psychanalyste, elle a eu
recours à la médecine à plusieurs reprises. Elle a été traitée principalement pour des troubles digestifs et s’est fait opérer d’un ulcère. Par la
suite, on a découvert une tumeur du sein qui finalement était bénigne,
mais qui lui a donné l’occasion d’imaginer une mort rapide. Actuellement, elle se plaint de douleurs diverses : maux de tête, lombalgies et
autres. De plus, elle est mécontente de son apparence, se sent « masculine », manquant de féminité et de séduction. Sa sexualité est pauvre,
toute sa pensée étant occupée à contrôler son corps. Elle rend l’environnement responsable de tous ses maux, ou bien elle en donne des explications médicales : « Je dois être anémiée… je me demande si je n’ai pas des
troubles endocriniens, si je fais une préménopause, j’ai de l’arthrose »…
Les médecins, lassés, l’ont adressée au « psy ».
Je fais une relation avec une scène primitive, que le mariage de ses
amis et la nuit passée chez eux aurait fait resurgir – ce qui irait dans le
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
UN CAS DE TRANSITION
77
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
sens de l’hystérie – et je finis par lui proposer une analyse, qu’elle
accepte sans réticence.
La cure psychanalytique (trois séances hebdomadaires sur le divan)
sera longue et difficile, entrecoupée d’épisodes dépressifs. Des symptômes de type hystérique, des douleurs diverses, des tremblements intentionnels, une aphonie lorsqu’elle doit prendre la parole, émaillent sa vie
et les séances. Lorsqu’on réussit à leur donner un sens, elle y adhère
avec enthousiasme ; mais rien ne change.
Elle se montre si suggestionnable que j’hésite à proposer des liens
mais, quand je me tais, elle se déprime ou pense qu’elle a dit une bêtise
et que je lui en veux. Elle réclame des drogues, antidépresseurs ou anxiolytiques, en demande aux médecins qui les lui donnent. J’essaie de ramener au transfert ces passages à l’acte. L’idéalisation est l’envers de sa
rancune envers moi et de sa rivalité phallique. Je me sens souvent en
défaut et j’ai l’impression qu’on n’avance pas. Pourtant elle vient très
fidèlement et se félicite constamment d’avoir entrepris cette analyse,
pour laquelle elle fait de gros sacrifices, financiers en particulier.
De son enfance, il reste de bons moments avec ses sœurs, malgré une
rivalité niée. La mère était une femme froide et sévère dont elle ne s’est
jamais sentie aimée. « Je n’existais pas ! » Le père, faible et beaucoup
plus âgé, est mort alors que sa fille était encore jeune. Elle ne le voit que
malade, faisant des allées et venues entre la maison et l’hôpital. Elle est
la seule des cinq sœurs à avoir poursuivi des études universitaires. Le
lien avec la mère, toujours au centre de sa vie, est revécu dans le transfert avec intensité, mais toujours sur un mode persécutoire.
Après plusieurs années d’analyse, l’angoisse n’est plus qu’occasionnelle et prend la forme de phobies d’impulsion, lorsqu’elle traverse un
pont ou s’approche d’une fenêtre. Elle se plaît à son travail et peut
reconnaître son désir de plaire et de briller, même si elle continue de
craindre un « retour de bâton », au cas où elle oserait céder à son désir.
Elle a cessé de recourir aux drogues et les a remplacées par des rituels,
comme « toucher du bois » ou répéter des mots conjuratoires, par
exemple « il n’arrivera rien », lorsqu’elle se sent menacée. J’ai l’impression qu’un passage au psychique modifie son mode de fonctionnement.
On a pu faire des liens avec des contenus plus œdipiens : amour et
rivalité avec la mère, identification avec le père. Rivalité phallique, très
culpabilisée, avec ses collègues masculins et son mari. Elle ressent de l’attirance pour certains hommes mais la refrène aussitôt, craignant d’être
débordée par l’excitation, et l’angoisse reste érotisée et entretenue. Bien
que le transfert homosexuel soit intense, elle rejette toutes les interpré-
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
Hystérie et soma
Litza Guttieres-Green
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
tations dans ce sens, en même temps qu’elle se dit « sûre » d’être aimée
de moi.
Son idéal, hérité des demandes de sa mère qui voulait des enfants
tranquilles, serait d’être « lisse », parfaitement maîtrisée et insensible.
Elle ne doit montrer aucune émotion, ni plaisir ni agressivité, alors
qu’elle est suggestionnable et excitable. La maladie somatique aurait été
une solution, si elle avait réussi à effacer tout affect. Mais l’angoisse est
restée au premier plan, l’obligeant à entreprendre cette analyse, dont
elle a eu honte d’abord, mais dont elle tire vanité maintenant. Elle espère
ainsi acquérir ce qui lui manque et à quoi elle aspire : la tranquillité
d’âme et le courage de se montrer !
Je me repose la question du diagnostic.
S’agit-il d’une hystérie maligne telle que les décrit Zetzel 1, d’un antianalysant à la McDougall, ou encore d’une malade psychosomatique,
sans symptômes, qui a réussi, à partir d’un « point d’arrêt de la régression », à reprendre une évolution vers une organisation limite ?
Il me semble que les défenses deviennent plus névrotiques puisque des
rituels de la lignée obsessionnelle sont apparus. Il n’y a pas eu de maladie somatique pendant l’analyse ; pourtant la mentalisation reste
défaillante et les liens que nous faisons sont rapidement « oubliés », sans
être suivis d’effet.
CONCLUSION
Nous savons que Freud, qui a décrit l’hystérie, n’a pas théorisé les
maladies psychosomatiques. Pourtant, l’Homme aux loups, par exemple,
a souffert de troubles physiques. Parmi les cas d’hystériques, certaines
nous paraissent à la frontière des deux affections.
Cependant, nous sommes maintenant convaincus qu’il existe une
continuité de la névrose à la psychose, en passant par les cas non névrotiques dont font partie les maladies psychosomatiques.
Restent les questions que nous posent ces patients. Jusqu’où peut-on
espérer aller dans la réparation de leur fonctionnement mental ? L’amélioration sera-t-elle durable ? Se maintiendra-t-elle après l’arrêt de
1. E. Zetzel, 1968, « The so-called good hysteric », in International Journal of Psychoanalysis,
49, p. 256-260.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
78
Hystérie et soma
79
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
LITZA GUTTIERES-GREEN
9, avenue de l’Observatoire
75006 Paris
— L’hystérie est une névrose de transfert. Ses défenses sont le refoulement et le
déplacement de l’excitation vers le corps. Les symptômes sont l’expression d’un conflit
entre des désirs et l’interdit qui les condamne. Les conversions et plaintes somatiques
diverses ne correspondent jamais à une entité d’origine somatique. Les maladies psychosomatiques nous offrent des tableaux où s’associent le silence psychique et des états somatiques répertoriés par la médecine. Les défenses sont de l’ordre du clivage et de la
dépression. La destructivité est à l’œuvre.
RÉSUMÉ
MOTS CLÉS
— Hystérie. Maladie psychosomatique. Corps. Soma. Anti-analysants. Cas
limites.
— Hysteria is a transference neurosis. Its defenses include repression and the
displacement of the excitation towards the body. The symptoms are the expresssion of a
conflict between desires and the prohibitions which condemn them. Conversions and
diverse somatic complaints never correspond to an entity of somatic origins. Psychosomatic illnesses depict situations where psychical silence is associated with somatic states
described by the medical field. The defenses are characterized by splitting and depression.
Destructiveness is at work.
SUMMARY
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
l’analyse ? Pourront-ils supporter les défis auxquels celle-ci risque de les
pousser ? Ou remplaceront-ils les somatisations par des agirs difficiles à
soutenir ? Enfin, la question qui découle de toutes ces interrogations : me
suis-je engagée dans une analyse interminable, en diagnostiquant l’hystérie et en négligeant le fonctionnement opératoire de ma patiente ?
Jusqu’à présent, rien ne me semble indiquer qu’elle abordera l’avenir par des régressions et, pendant mes absences, elle continue vaillamment son chemin. Mais l’angoisse est là, prête à éclater à la moindre
occasion, et nous voyons souvent ces patients revenir ou aller consulter
un autre collègue, parfois aussi des médecins.
Enfin, quelle est l’origine de ces affections ? Même l’hystérie garde
son mystère. Il est à la mode de rattacher la plupart des troubles à une
relation troublée avec la mère primitive. Certes ; mais tout dépend aussi
d’autres facteurs : un père qui serait plus ou moins présent, la place
dans la fratrie et dans la famille élargie, enfin des traumas précoces dont
le souvenir a été définitivement perdu. Le glissement vers un fonctionnement limite laisse espérer, je crois, qu’un processus de mentalisation
est en marche avec une issue lointaine, mais plus favorable.
80
Litza Guttieres-Green
KEY-WORDS
— Hysteria. Psychosomatic illness. Body. Soma. Anti-analysands. Borderline
cases.
— Die Hysterie ist eine Übertragungsneurose. Ihre Abwehrmechanismen sind die Verdrängung und die Verschiebung der Erregung auf den Körper. Die
Symptome sind der Ausdruck des Konflikts zwischen Wünschen und dem sie verurteilenden Verbot. Die verschiedenen somatischen Konversionen und Klagen entsprechen nie
einer ursprünglich organischen Entität. Die psychosomatischen Krankheiten liefern uns
Bilder, in denen das psychische Schweigen und die medizinisch registrierten somatischen
Zustände miteinander verknüpft werden. Die Abwehrmechanismen haben mit Spaltung
und Depression zu tun. Destruktion ist am Werk.
ZUSAMMENFASSUNG
STICHWÖRTER
— Hysterie. Psychosomatische Krankheit. Körper. Soma. Antianalysan-
den. Grenzfälle.
— La histeria es una neurosis de transferencia. Sus defensas son la represión
y el desplazamiento de la exitación hacia el cuerpo. Los síntomas son la expresión de un
conflicto entre los deseos y la prohibición que los condena. Las conversiones y quejas
somáticas diversas no corresponden nunca a una entidad de origen somático. Las enfermedades psicosomáticas nos ofrecen cuadros en el que se asocian el silencio psiquico y
estados somáticos repertoriados por el médico. Las defensas son del orden del clivaje y de
la depresión. La destructividad esta en funcionamiento.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
PALABRAS CLAVES
— Histeria. Enfermedad psicosomática. Cuerpo. Soma. Antianali-
zantes. Casos límites.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)
RESUMEN