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L'hystérique, l'analyste et la question du père

2014, Figures de la Psychanalyse 2014/1 (n°27)

L’hystérie a-t-elle cessé de guider les psychanalystes ? Certainement pas si l’on veut bien considérer qu’elle condense à la fois la découverte et la butée de toute approche de l’inconscient dans la psychanalyse.

ÉDITORIAL L'HYSTÉRIQUE, L'ANALYSTE ET LA QUESTION DU PÈRE Alain Vanier ERES | Figures de la psychanalyse 2014/1 - n° 27 pages 9 à 13 ISSN 1623-3883 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-figures-de-la-psy-2014-1-page-9.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : Vanier Alain, « Éditorial L'hystérique, l'analyste et la question du père », Figures de la psychanalyse, 2014/1 n° 27, p. 9-13. DOI : 10.3917/fp.027.0009 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. 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Mais il est vrai qu’il précise, par « ce qu’on a encore à portée de main comme hystériques. » Il se demande d’ailleurs si ce n’est pas la « loufoquerie psychanalytique 3 » qui aurait remplacé les symptômes et les névroses hystériques d’autrefois. Si Lacan, tout comme Freud, a été guidé par les hystériques, au moment où il produit les quatre Discours, dont celui de l’hystérique, il indique l’existence d’un point de divergence d’avec Freud, un point où, selon lui, Freud s’est trompé. Le Alain Vanier, psychanalyste, [email protected] 1. Pour reprendre le mot de Claude-Noële Pickmann. Ces quelques notes sont issues des conclusions des Journées d’Espace analytique, « L’hystérie dans l’air du temps », les 23 et 24 mars 2013 à Paris. Elles paraissent ici grâce à leur réécriture par Claude-Noële Pickmann que je remercie chaleureusement. 2. J. Lacan, « “Conclusions” du 9ème Congrès de l’École Freudienne de Paris sur La transmission (juillet 1978) », Lettres de l’École, n° 25, vol. II, 1979. 3. J. Lacan, « Propos sur l’hystérie » (1977), texte établi par Jacques-Alain Miller, Quarto n° 90, juin 2007. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 85.168.222.17 - 20/04/2014 13h01. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 85.168.222.17 - 20/04/2014 13h01. © ERES térie est toujours d’actualité. Car l’hystérie n’est pas seulement dans l’air du 10 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 27 • point où Freud s’est trompé, c’est « le complexe d’Œdipe – strictement inutilisable ». Il souligne ce jour-là que les psychanalystes s’en servent fort peu, de ce complexe d’Œdipe, « à l’exception de certains de son École », quand même. Or ce qui a rendu le complexe d’Œdipe freudien « strictement inutilisable », c’est d’avoir fonctionné pour Freud comme un savoir à prétention de vérité. La lecture de l’Œdipe par Freud est en impasse et Lacan en apporte une autre. « Pourquoi substitue-t-il au savoir qu’il a recueilli de toutes ces bouches d’or, Anna, Emmy, Dora, ce mythe, le complexe d’Œdipe 4 ? » Or le savoir que Freud installe à cette place n’est pas vérité, même s’il répond à un appel de/à la vérité qui est celui-là même de l’hystérique. Or cet appel à la vérité est aussi la proposition de l’analyste, d’où cette hésitation entre la loufoquerie analytique et l’hystérie. Car le savoir que Freud soutient et qui fait son point d’achoppement, selon Lacan, c’est celui du père-tout-amour, c’est-à-dire celui de la religion. Cela conduit Freud à soutenir une équivalence, celle entre le maître et le père qui est une équivalence proprement hystérique que seule une cure peut dénouer. l’Œdipe », Lacan le signale lui-même. En effet, cet au-delà est équivoque puisque, suivant le point où on se place, c’est avant ou après, si cela veut dire quelque chose. Cela ne veut donc pas dire que nous allions au-delà de l’Œdipe vers du plus fondamental, du plus archaïque – nous retomberions dans les ornières que Lacan n’a cessé de dénoncer (et Freud avant lui – pensons à Rank, etc.). Mais il y a une autre lecture du complexe d’Œdipe réduit à la structure, car le « foisonnement » des mythes n’a comme fonction que de loger une vérité pour masquer que le père est castré dès l’origine. C’est là l’impasse de Freud, sa butée sur le Penisneid ; en effet, quand on l’articule, cela « aboutit au reproche par la fille fait à la mère de ne pas l’avoir créée garçon » et au report sur la mère, sous forme de frustration, de ce qui « se dédouble en, d’une part, castration du père idéalisé, qui livre le secret du maître, et, d’autre part, privation, assomption par le sujet, féminin ou pas, de la jouissance d’être privé 5 ». Car c’est une particularité hystérique de situer le féminin comme phallus, c’est-à-dire de n’envisager le féminin qu’à partir du côté masculin des formules de la sexuation. D’où cette confusion fondamentale entre le père et le maître qui est au cœur de la névrose hystérique, et une privation en rapport avec la fonction de l’autre femme dans l’hystérie. 4. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XVII, L’envers de la psychanalyse (1969-1970), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Le Seuil, 1991, p. 112-113. 5. Ibid. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 85.168.222.17 - 20/04/2014 13h01. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 85.168.222.17 - 20/04/2014 13h01. © ERES Cependant, cela ne veut pas dire que nous allions pour autant « au-delà de ÉDITORIAL 11 Car le défaut de l’hystérie, ce dont elle se pare, son armature, c’est « son amour pour son père 6 ». Si bien que Lacan se définira comme un « hystérique parfait », c’est-à-dire « sans symptôme », en tant qu’il se sépare de l’hystérie au point précis de l’amour du père. « Parfait hystérique », comme Socrate – qui ne confond pas le père et le maître. On en a un bel exemple au théâtre dans la première scène du Roi Lear quand il décide de partager son royaume entre ses trois filles et qu’il leur demande de lui déclarer leur amour pour savoir quelle part leur reviendra : « De laquelle dirons-nous qu’elle nous aime le plus ? », interroget-il. C’est que ce « vieux fou croit qu’il est fait pour être aimé », note Lacan. Lorsqu’on lit ou voit la pièce, on entend la différence entre Goneril et Regan, d’une part, celles qui auront la bonne part du gâteau, parce qu’elles expriment leur amour – cela n’empêchera pas la manière dont Goneril et Regan traiteront ensuite leur père – et, d’autre part, le silence de Cordelia, ce « rien » qu’elle répond à la question pressante de son père. À quoi le roi répond : « Rien ne vient de rien. » « Nothing will come of nothing. » Elle lui explique même que l’amour cet exemple, l’écart entre l’hystérie et l’hystérie parfaite. Peut-on envisager l’analyste comme l’hystérique parfait ainsi que Lacan nous y invite ? Comme celui qui pousserait à bout le vice ferenczien de l’interrogation permanente de l’inconscient ? Lacan confie à la fin de son enseignement qu’il passe son temps à penser à son inconscient, que ça l’occupe tout le temps, qu’il « l’unifie avec (s)on conscient ». Or ce que l’hystérique manifeste, c’est que pour faire consister son corps, elle n’a qu’un inconscient. C’est pourquoi Lacan la nomme « la radicalement Autre 7 ». Elle ne consiste qu’en un inconscient, et Lacan ajoute : « moi aussi » ; à ceci près, précise-t-il aussitôt, qu’il n’a pas besoin de l’amour du père, qui donne à l’hystérique son assise. Elle méconnaît ainsi que c’est l’impuissance du père qui permet sa symbolisation. On saisit bien en quoi la présence de l’analyse et de l’analyste dans la culture peut avoir modifié la position de l’hystérique qui parle sans doute aujourd’hui des dialectes plus conformes à l’époque. Et c’est la psychanalyse qui a pris en charge, pour une part, sa passion de la vérité. 6. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XXIV, L’insu que sait de l’une bévue s’aile à mourre (19761977), inédit, séance du 14 décembre 1976. 7. Ibid. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 85.168.222.17 - 20/04/2014 13h01. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 85.168.222.17 - 20/04/2014 13h01. © ERES de la fille pour le père a des limites puisque un jour, elle se mariera. On voit, dans 12 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 27 • Car la cure ramène toute névrose à son noyau fondamental, qui est hystérique. On pourrait même dire qu’une psychanalyse, c’est la production d’une hystérie fondamentale que le dispositif sait résoudre. C’est un aspect et une dimension très importants dans notre pratique et c’est d’ailleurs ce qu’exige littéralement la règle fondamentale en énonçant comme un devoir, celui de l’analysant, ce que fait l’hystérique : « Dites n’importe quoi, vous ne savez pas ce que vous dites, mais pourtant vous dites quelque chose “par les mots qui (vous) manquent” », ce qui consiste à introduire cet appel à la vérité, qui concerne le désir, mais qui est lié aussi à une certaine dimension de la jouissance. Ce dispositif ne consiste-t-il pas à ramener à l’hystérie toute névrose, et de là tout un savoirfaire pour agencer cette mise en place initiale ? Ramener toute névrose à ce noyau fondamental permet de réarticuler l’impuissance à l’impossible et ainsi de cerner le Réel, ce Réel « qui est à l’opposé de notre pratique », mais qui l’oriente. Or ce rapport entre Réel et vérité n’est pas sans relation avec la question du père. Alors, certes, l’hystérie a disparu des classifications psychiatriques, consomtrouvé un abri fortuit. Mais a-t-elle disparu de la culture ou parle-t-elle d’autres dialectes ? N’objecte-t-elle pas toujours à ce que la sexualité soit réduite à des comportements ? Ne manifeste-t-elle pas autrement le questionnement de l’identité, dans un monde où la précarité des liens, voire des identifications, conduit à d’autres modes de présence ? Même si, aujourd’hui, on ne met pas en échec le savoir du neurologue en proposant une anatomie de fantaisie, l’hystérie oblige à s’affronter à des questions sans réponses. D’où la nécessité de mettre en place des comités d’éthiques, des staffs, etc., chaque fois que le désir vient déstabiliser les protocoles, introduit de l’imprévu, subvertit un certain rapport aux biens. En l’occurrence, le bien en question est souvent l’enfant dont tout un chacun se doit maintenant d’être pourvu. Aujourd’hui, on déplore le manque de père dans la culture, c’est même la plainte de certains analystes, oubliant ce que la psychanalyse nous a appris sur cette place, car le père a toujours manqué. C’est la leçon de l’hystérique mais aussi celle de l’analyse. Mais ce discours nostalgique qui, comme toute déploration, est un appel – Lacan voyait ainsi le retour du religieux – n’est-il pas consonnant avec ce point où nous conduit l’hystérie, là où Freud, selon Lacan, se serait trompé, l’écueil religieux, c’est-à-dire l’impossibilité de remettre en cause le père lui-même ? Dans une psychanalyse, il s’agit d’analyser cette fonction pour affronter ce quelque chose qui, dans le désir de Freud, n’a jamais été analysé. Le père et la femme demeurent notre question, et restent l’un des enjeux de la psycha- Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 85.168.222.17 - 20/04/2014 13h01. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 85.168.222.17 - 20/04/2014 13h01. © ERES mant ainsi un certain divorce d’avec la psychiatrie où elle, comme l’analyse, avait ÉDITORIAL 13 nalyse dans la modernité, c’est ce que l’hystérique nous rappelle. En effet, nous sommes loin d’en avoir fini avec ces questions cruciales qui travaillent non seulement la psychanalyse depuis ses débuts mais aussi la culture, imparablement. RÉSUMÉ L’hystérie a-t-elle cessé de guider les psychanalystes ? Certainement pas si l’on veut bien considérer qu’elle condense à la fois la découverte et la butée de toute approche de l’inconscient dans la psychanalyse. MOTS-CLÉS Freud, hystérie, Lacan, Œdipe, Père. SUMMARY Has hysteria ceased guiding psychoanalysts? Certainly not if one wants to consider that hysteria condenses both the discovery and stumbling blocks of every approach to the unconscious in psychoanalysis. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 85.168.222.17 - 20/04/2014 13h01. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 85.168.222.17 - 20/04/2014 13h01. © ERES KEYWORDS Freud, hysteria, Lacan, Oedipus, Father.